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Laurent DUVERGER, professeur de SES p. 1 CHAPITRE IV : Comment se construisent et évoluent les liens sociaux ? Notions : liens sociaux, groupe social, solidarité, professions et catégories socioprofessionnelles (PCS), cohésion sociale, individualisation, solidarité mécanique/organique, sociabilité numérique, précarité, ségrégation. Introduction : Le lien social désigne l’ensemble des relations qui se tissent (créer, nouer) entre les individus qui vivent en groupes organisés. Entretenir des relations avec d’autres personnes, vivre des événements avec elles implique donc d’appartenir à des groupes ou d’être inséré dans des réseaux (sociaux). A) La diversité des liens qui relient les individus au sein des groupes sociaux 1) Un groupe social est plus qu’une somme d’individus Un groupe social désigne un ensemble d’individus entretenant des relations directes ou indirectes et ayant conscience d’appartenir au même.

CHAPITRE IV : Comment se construisent et évoluent les

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Laurent DUVERGER, professeur de SES p. 1

CHAPITRE IV : Comment se construisent et

évoluent les liens sociaux ?

Notions : liens sociaux, groupe social, solidarité, professions et catégories

socioprofessionnelles (PCS), cohésion sociale, individualisation, solidarité

mécanique/organique, sociabilité numérique, précarité, ségrégation.

Introduction :

Le lien social désigne l’ensemble des relations qui se tissent (créer, nouer) entre les

individus qui vivent en groupes organisés. Entretenir des relations avec d’autres personnes,

vivre des événements avec elles implique donc d’appartenir à des groupes ou d’être inséré dans

des réseaux (sociaux).

A) La diversité des liens qui relient les individus au sein des groupes sociaux

1) Un groupe social est plus qu’une somme d’individus

Un groupe social désigne un ensemble d’individus entretenant des relations directes ou

indirectes et ayant conscience d’appartenir au même.

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Cela signifie que les individus (membres du groupe) doivent se considérer (se reconnaître)

comme ∈t au même groupe (élément d’un même ensemble) et être considéré par les autres comme

∈t à ce groupe particulier.

C’est par exemple le cas des supporters lors d’un match de football car ils sont en relations

directes et ont une conscience d’∈ qui se manifeste par des écharpes, des maillots, des chants,

des hymnes, des applaudissements, des sifflements, etc.

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Ce sentiment d’∈ pousse les membres du groupe à être solidaires. La solidarité (latin, in

solidum, pour le tout, de solidus, entier) désigne une situat° dans laquelle les membres d’une société

ou d’un groupe sont liés les uns aux autres par des intérêts communs ce qui les pousse à

faire cause comune (agir pour le tout : « un pour tous » ; servir le même idéal ; affirmer ses liens avec

un groupe ; unir ses forces ; agir dans l’intérêt du groupe) et à s’accorder une aide mutuelle (à se porter

assistance dans l’adversité : « tous pour un »).

Toutes les masses (sommes ; réunions ; collections) d’individus ne constituent pas un groupe

social. C’est pourquoi, il faut d’abord bien distinguer un groupe social d’un agrégat physique.

Un agrégat physique désigne un rassemblement (physique) d’individus en un même lieu.

Par exemple, une file d’attente devant un guichet de la poste.

solidarité

adhésion à une cause

commune "un pour tous"

intérêts communs

entraide "tous pour un"

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Laurent DUVERGER, professeur de SES p. 4

Si un événement survient et est à même de doter ces personnes d’une conscience

collective, cet « amas » d’individus devient un groupe social.

Par exemple, si une personne tente d’accéder directement au guichet, la rangée de

personnes (la file d’attente) peut s’unir autour du même objectif : faire comprendre au

resquilleur que la manœuvre ne peut pas être tolérée (si des usagers mécontents du retard du bus ou

de l’avion commencent à discuter et à protester, ils deviennent un groupe social).

Elle double dans la fille d'attente,

senior resquilleur - Cam Clash. Cinéma puis à 8 :22 super-marché.

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Laurent DUVERGER, professeur de SES p. 5

Au restaurant, Obama coupe la

file d’attente... et le paie très cher

http://video.lefigaro.fr/figaro/video/au-

restaurant-obama-coupe-la-file-d-attente...-et-

le-paie-tres-cher/3669443025001/

Ainsi, un groupe social peut avoir une durée de vie très courte et est lié à la notion de rôle.

En effet, il suffit que pendant un temps, les individus agissent en tant qu’élément d’un même

ensemble pour atteindre des objectifs communs (qu’ils adaptent leur comportement à cette

appartenance).

D’autre part, il faut bien distinguer un groupe social d’une catégorie statistique.

Une catégorie statistique désigne un regroupement d’individus effectué par un sociologue

à partir de critères objectifs comme l’âge, le sexe, le revenu, le niveau de diplôme, le secteur

d’activité, etc. (c’est une construction abstraite d’un chercheur).

événement produisant une conscience collective

action collective

rôle social

groupe social

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Laurent DUVERGER, professeur de SES p. 6

Les individus classés à l’intérieur d’une même catégorie ont des attributs (caractéristiques)

communs mais ces points communs ne suffisent pas à développer dans la réalité un sentiment

d’appartenance (qui pourrait déboucher sur des actions collectives pour défendre des intérêts communs). Les

catégories statistiques sont donc des constructions intellectuelles destinées à mieux

comprendre la société mais elles n’existent pas dans les consciences individuelles et donc ne

forment pas des groupes sociaux. C’est le cas par exemple du découpage de la population en

déciles selon les revenus disponibles (des catégories d’âge, etc.).

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Laurent DUVERGER, professeur de SES p. 7

C’est le cas aussi de la nomenclature des PCS (professions et catégories

socioprofessionnelles) mise au point par l’INSEE En 1950 qui classe la population (et en particulier

les actifs) dans des catégories socioprofessionnelles. Une CSP désigne un groupe d’individus

occupant des positions socioprofessionnelles semblables et présentant une certaine

homogénéité sociale. Cela signifie que les membres d’une catégorie doivent avoir des

caractéristiques économiques et sociales proches (revenu, comportements, pratiques

culturelles, etc.). Une CSP ne forme pas un groupe social (mais une catégorie statistique) car les

individus n’ont pas forcément le sentiment d’appartenir à cette catégorie (par exemple, les

professions intermédiaires) et ils n’ont pas nécessairement d’interactions entre eux.

La nomenclature des PCS permet de classer les individus dans 42 CSP elles-mêmes

rassemblées dans 8 groupes à partir de critères tels que le métier (la profession exercée), le statut

juridique de l’emploi (salarié ou indépendant), la position (place dans la) hiérarchique, le niveau

de qualification, le secteur d’activité (agriculture, industrie, administration) la taille

(l’importance) de l’entreprise (nombre de salariés par exemple).

Le revenu n’est pas un critère de

classement !

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Laurent DUVERGER, professeur de SES p. 9

Cette nomenclature permet d’étudier les pratiques culturelles des français (elle est

utilisée par de nombreuses enquêtes sur les comportements culturels, politiques et démographiques des

différentes catégories sociales) et de repérer (souligner, mettre en évidence) les inégalités entre les CSP (existants entre ces catégories).

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Laurent DUVERGER, professeur de SES p. 10

2) Les groupes sociaux permettent de lier (d’attacher) les individus entre eux en leur

apportant protection et reconnaissance (les deux faces complémentaires du lien social)

La vitalité du lien social se construit grâce à des groupes sociaux qui sont des instances

de socialisation et d’intégration comme la famille, l’école, les groupes de pairs, les univers

professionnels (le travail), les associations, les réseaux, etc. Ils apportent de la protection et de

la reconnaissance. En effet, les individus doivent pouvoir « compter sur les autres » (bénéficier

de sécurité matérielle et affective et donc de la solidarité), et « compter pour les autres »

(besoin d’appartenance et d’estime : savoir que vous êtes important à leurs yeux, qu’ils tiennent à vous)

pour profiter de la vie, se sentir utile, avoir une image positive d’eux-mêmes et construire une

identité sociale conforme à leur potentiel.

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Laurent DUVERGER, professeur de SES p. 11

En intégrant, les groupes procurent aux individus un statut social c’est-à-dire une place reconnue dans la société qui leur permet de jouer un rôle social à même de façonner une identité sociale valorisée. L’individu va pouvoir se définir à travers le regard des autres en se sentant socialement utile et être fier de lui (estime sociale + estime de soi = identité personnelle et sociale).

L’abondance de protection et de reconnaissance repose sur la vitalité de quatre types de liens sociaux (formes de reconnaissance sociale ; institutions sociales) :

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Laurent DUVERGER, professeur de SES p. 12

- Le lien de filiation c’est-à-dire le rattachement (association) à une famille (l’appartenance

familiale).

- Le lien de participation organique (aux activités économiques) c’est-à-dire l’exercice d’une

profession (l’acquisition d’un statut socioprofessionnel).

- Le lien de participation élective c’est-à-dire l’appartenance à des groupes sociaux plus

restreints comme un cercle d’amis, une association (militante ou sportive), un syndicat, une religion (communauté religieuse type « paroisse »).

- Le lien de citoyenneté c’est-à-dire le rattachement à une nation ou à un espace politique supra ou infranational.

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3) L’abondance des liens de protection et de reconnaissance favorise l’intégration et

la cohésion sociale (intégrer les individus et consolider la société)

Ces instances favorisent d’une part l’intégration des individus au groupe (l’intégration

sociale des individus) en les poussant à avoir une attitude adaptée à la vie sociale pour qu’ils

puissent tisser des liens avec les autres et trouver leur place dans la société. Le lien social

permet donc aux individus de garder le contact (d’éviter l’isolement) et de se façonner une

identité sociale.

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Ces instances favorisent d’autre part la cohésion de la société (cohésion sociale). En effet,

elles créent un sentiment de confiance entre les individus qui partagent des valeurs

communes qui transcendent l'∈ aux groupes ce qui les pousse à multiplier les relations et les

rend de plus en plus interdépendants, solidaires et pacifiques.

socialisation

conformité (valeurs, normes et rôles)

liens sociaux

reconnaissance et protection

solidarité

intégration sociale

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Laurent DUVERGER, professeur de SES p. 15

La cohés° sociale désigne ainsi une situat° dans laquelle les membres d’une société,

malgré les inégalités, st liés par des intérêts communs ce qui les poussent à nouer des relat°,

à devenir solidaires et à vivre pacifiquement.

socialisation

valeurs communes qui transcendent l'∈ aux groupes

confiance entre les membres d'une société

développement des échanges (relat°fréquentes)

solidarité

paix

cohésion sociale

cohésion sociale

densité morale

solidarité

paix

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Laurent DUVERGER, professeur de SES p. 16

Tous les liens ne produisent pas de la cohésion sociale

Lien qui attache à un groupe Lien qui transcende le lien au groupe

Peut créer de la distance voire de

l’opposition aux autres groupes (lutte des

classes, groupes de supporters par

exemple, etc.)

Alliance ou interdépendance fonctionnelle

entre les groupes

B) L’évolution des formes de la solidarité (des liens sociaux) dans des sociétés qui

s’individualisent

1) L’évolution à long terme : l’essor de la solidarité organique

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Laurent DUVERGER, professeur de SES p. 17

Consulter le site https://www.youtube.com/watch?v=kbRhlSQtxFY

Les sociétés modernes se caractérisent par l’individualisation qui désigne le processus d’accroissement de l’autonomie (liberté et responsabilité individuelle) de l’individu par rapport aux règles collectives (au groupe et à la société) notamment celles de son groupe d’appartenance. En effet, l’individu devient plus libre (moins contraint, moins soumis) dans ses croyances et dans ses actes face aux tutelles traditionnelles (famille, religion, village, etc.). Cela signifie que la société est plus tolérante à l’égard des manières de vivre de ses membres donc les individus sont moins soumis à un contrôle du groupe sur leurs comportement. Par exemple, aujourd’hui, les individus peuvent davantage choisir leur travail ou leur conjoint et ils considèrent que leur famille n’a pas à décider pour eux. L’évolution des normes vestimentaires, des configurations familiales comme la baisse du nombre de mariages ou le fait de faire des enfants hors mariage correspondent à une émancipation des tutelles religieuses, villageoises, etc. et donc à une baisse du contrôle social.

Dans ce contexte, l’individu peut davantage s’individualiser au sens de réalisation de soi (d’accomplissement de soi ; d’épanouissement personnel) en ayant la possibilité de construire une identité sociale conforme à ses désirs. Toutefois, une question se pose : quels sont les effets du processus d’individualisation sur la solidarité ? Comment les sociétés parviennent-elles à maintenir la solidarité en attachant les individus les uns aux autres ?

Durkheim oppose les temps anciens aux temps modernes mais estime que chaque modèle de société repose sur un système spécifique de cohésion sociale :

Dans les sociétés traditionnelles (primitives), la solidarité découle de la ressemblance des

individus et d’une forte conscience collective. Il parle de solidarité mécanique pour qualifier ce lien par similitude (rapport entre semblables) qui contraint les individus à la conformité. La société impose les manières de penser, d’agir et de sentir aux individus qui doivent partager les mêmes croyances, valeurs et sentiments et la singularité est perçue comme une menace pour l’existence et la survie du groupe. La personnalité individuelle est absorbée dans la conscience collective.

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Laurent DUVERGER, professeur de SES p. 18

Cohésion sociale des sociétés traditionnelles

Dans les sociétés modernes, la solidarité découle de la division du travail qui rend les

individus (travailleurs) différents et interdépendants puisqu’ils se spécialisent sur des tâches spécifiques et complémentaires (à l’image des différentes fonctions du corps humain ce qui crée de la

complémentarité entre ses membres). Il parle de solidarité organique pour qualifier ce lien par complémentarité qui oblige les individus à échanger de manière durable (à vivre ensemble) ce qui crée entre eux tout un système de droits et de devoirs. Ainsi, la division du travail rend les membres d’une société différents ce qui permet de développer leur conscience individuelle et de favoriser leur autonomie mais, dans le (en) même temps, elle les rend interdépendants (ils ont besoin les uns les autres) ce qui permet de créer entre eux un sentiment de solidarité et de favoriser la cohésion sociale. Le rôle de la division du travail est bien plus moral et

social (rendre les individus interdépendants et solidaires) qu’économique (le développement de la concurrence, de l’intérêt et l’accroissement des gains de productivité) selon Durkheim.

faible division du travail + droit répressif et stigmatisant

forte conscience collective

faible autonomie individuelle

ressemblance des individus

solidarité mécanique

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Laurent DUVERGER, professeur de SES p. 19

« Nous sommes ainsi conduits à considérer la division du travail sous un nouvel aspect. Dans ce cas, en effet, les services économiques qu'elle peut rendre sont peu de chose à côté de l'effet moral qu'elle produit, et sa véritable fonction est de créer entre deux ou plusieurs personnes un sentiment de solidarité. »

Cohésion sociale des sociétés modernes

forte division du travail + droit restitutif et réhabilitant

faible conscience collective

forte autonomie individuelle

complémentarité des individus

solidarité organique

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Laurent DUVERGER, professeur de SES p. 21

Dans nos sociétés, le développement de la solidarité

organique lié à la complémentarité des fonctions

socioprofessionnelles (sociales), qui s’illustre par

l’importance accordée au travail par les individus, n’a pas

fait disparaître la solidarité mécanique (Les liens nouveaux

liés à la division du travail n’ont pas fait disparaître tous les liens

fondés sur la similitude des croyances, des goûts et des pratiques

culturelles (valeurs, normes et style de vie). En effet, la famille,

les amis, les groupes de pairs, etc. continuent de jouer un

rôle très important dans l’intégration des individus (dans

leur vie) donc les liens sociaux basés (d’un lien social) sur la

ressemblance, bien que moins contraignants, continuer

d’exister (solidarité mécanique et solidarité organique coexistent).

Par ailleurs, même si dans les enquêtes, une minorité d’individus (13%) déclarent que la religion joue un rôle

important, cette part se maintient en 20 ans.

2) L’évolution à court terme : l’essor de la sociabilité numérique

L’ensemble des relations (amicales, familiales, mondaines, professionnelles ou politiques qu’elles

soient directes ou indirectes à travers des chaînes de connaissances plus ou moins longues : les contacts de mes

contacts, les contacts des contacts de mes contacts, etc.) qu’un individu peut avoir avec les autres

désigne son réseau social.

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Laurent DUVERGER, professeur de SES p. 22

Un réseau social apporte de la sociabilité. La sociabilité désigne l’ensemble des relations

vécues par un individu ce qui lui permet d’être rattaché aux autres c’est-à-dire de garder le

contact avec autrui et d’éviter l’isolement.

Depuis les années 2000, de nouvelles formes de sociabilité se développent et deviennent

omniprésentes en particulier au sein de « la génération Z » (les 15-20 ans) et de « la génération

Y » (les 21-35ans). Elles s’appuient sur les nouvelles technologies de l’information et de la

communication (NTIC) (les outils numériques) (courriels, SMS, réseaux sociaux numériques,

etc.) : c’est ce qu’on appelle les sociabilités numériques.

Les liens sociaux numériques ne remplacent pas les liens sociaux réels ce qui signifie que

l’implication croissante des individus dans les réseaux sociaux numériques ne les isole pas

derrière un écran sauf pour les usages extrêmes (les geeks risquent d’être désocialisés car ils s’isolent,

se replis sur eux même ce qui fait craindre une remise en cause de la vie sociale). En effet, les NTIC

permettent d’abord (le plus souvent) de renforcer les liens déjà existants dans la vie réelle

notamment les liens forts avec ses proches (famille, amis, collègues de travail, etc.), ensuite,

de créer de nouveaux liens avec des personnes que l’on peut nommer sans véritablement les

connaître, ce que l’on appelle les liens faibles, et plus rarement, de nouer des contacts avec

des inconnus.

Les liens forts désignent les relations fréquentes et intimes auxquelles les individus

accordent beaucoup d’importance (attachent une grande valeur affective) et dans lesquelles ils

mettent beaucoup d’eux-mêmes. A l’inverse, les liens faibles désignent des relations plus

vagues qui ne se traduisent pas par des sentiments profonds (qui ne supposent pas de relations

d’intimité et qu’on ne connait pas vraiment : la simple connaissance, l’ami d’un ami que l’on croise parfois).

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Laurent DUVERGER, professeur de SES p. 23

Le fait que les outils numériques soient inégalement utilisés au sein de la population

selon le milieu social produit des inégalités de sociabilité qui ont des conséquences sur

l’intégration sociale des individus. En effet, la sociabilité numérique contribuer à développer

les quatre types de liens sociaux (apportant de la reconnaissance et de la protection) à savoir, le lien

de filiation, le lien de participation élective, le lien de participation organique et le lien de

citoyenneté. Elle permet donc de garder le contact et de partager ses expériences avec ses

proches. Ce partage permet d’obtenir de la reconnaissance, de sentir que l’on peut compter

pour et sur les autres ce qui fait partie des propriétés du lien social.

https://www.lemonde.fr/pixels/video/2018/04/14/comment-facebook-peut-il-influencer-le-

resultat-d-une-election_5285587_4408996.html

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Laurent DUVERGER, professeur de SES p. 24

Enfin, dans une démocratie d’opinion, les réseaux sociaux numériques sont devenus un

outil d’information et de communication politique susceptible d’influencer les votes et donc

les résultats des élections (par exemple, lors des élections présidentielles aux Etats-Unis en

2012 et 2016 et lors du référendum sur le Brexit au Royaume-Uni en 2016).

C) Les facteurs qui exposent les individus à l’affaiblissement (voire la

rupture) du lien social

1) Les différents facteurs susceptibles d’affaiblir le lien social

Certaines transformations sociales récentes telles que les mutations du travail, les

transformations familiales, et la ségrégation (socio-spatiale ; géographique) peuvent provoquer un

affaiblissement des liens sociaux.

Les mutations du travail se traduisent par la montée du chômage en particulier le

chômage de longue durée et la précarisation des emplois. La détérioration des conditions

d’emploi de certains salariés contribue d’une part à l’augmentation du nombre de travailleurs

précaires. En effet, si le CDI reste la norme d’emploi (87% des salariés sont en CDI et 83% sont

à temps complet), la norme d’embauche est le CDD (87% des embauches se font sous CDD

dont 2/3 sont d’une durée inférieure à un mois). Ces emplois temporaires sont souvent

qualifiés de précaires pour indiquer que leurs occupants ne bénéficient pas de la même

sécurité que les emplois typiques. En effet, la précarité désigne une situation sociale fragile

en raison d’une insertion professionnelle instable (l’emploi peut se terminer à chaque fin de contrat

sans que le salarié soit sûr de son renouvellement : risque de chômage élevé) qui rend incertain la

perception de revenus futurs (les revenus sont instables et varient d’une semaine ou d’un mois à l’autre

en fonction des horaires, des contrats de travail décrochés et des périodes de chômage). Un salarié précaire

peut difficilement prévoir l’avenir et donc faire des projets : accéder au logement, au crédit, à

la propriété, à la santé (opération dentaire, etc.), avoir des loisirs, partir en vacances, etc. (difficile

voire impossible de se projeter dans l’avenir). Il aura ainsi des conditions de vie plus difficiles (pénibles,

dures, éprouvantes) et sera privé d’un certain nombre de liens sociaux ce qui complique son

intégration sociale. Par exemple, un salarié qui occupe un emploi en CDD ou en intérim pourra

plus difficilement créer des liens forts au travail car il disposera de peu de temps pour nouer

des relations avec ses collègues et il est supposé ne pas rester durablement dans l’entreprise

(il reste quelques jours à quelques mois).

Page 25: CHAPITRE IV : Comment se construisent et évoluent les

Laurent DUVERGER, professeur de SES p. 25

La détérioration de la qualité des emplois contribue d’autre part à l’augmentation du

nombre de travailleurs pauvres. En effet, la pauvreté ne frappe pas seulement les chômeurs

de longue durée, elle frappe désormais les salariés précaires ou à temps partiel subi ou encore

à faible qualification. Cela signifie qu’occuper un emploi ne protège plus automatiquement de

la pauvreté. La pauvreté correspond à la situation d’un ménage dont les ressources

matérielles, culturelles et sociales sont si faibles qu’il est très éloigné des standards de vie

(niveaux de vie habituels) de la société dans laquelle il vit. Les ménages pauvres ont ainsi un

niveau de vie très inférieur à celui de la majorité de la population ce qui ne leur permet pas,

par exemple, de bénéficier de conditions de logement satisfaisantes (décentes) : logement trop

petit et insalubre, ameublement sommaire, etc.). Ainsi, la pauvreté se traduit par des

insuffisances, des manques, des privations : elle peut concerner le défaut d’accès aux soins,

au savoir, aux biens et services essentiels, à la culture, mais aussi aux relations. La pauvreté

peut affaiblir les liens sociaux électifs car l’individu peut arrêter de voir des amis, faute de

pouvoir, financièrement, faire des sorties. Elle peut aussi affaiblir les liens ce citoyenneté, car

l’individu peut se désengager, ne pas se sentir reconnu ni représenté dans la société à laquelle

il ∈t. En Europe, le seuil de pauvreté est fixé à 60% du revenu médian. La France compte

actuellement deux millions de travailleurs pauvres ce qui correspond à 8% des travailleurs et

14% des ménages ont un revenu inférieur à 60% du revenu médian.

Boucler son budget, équilibrer ses dépenses et

ses recettes.

Familier. Joindre les deux bouts, parvenir avec

peine à couvrir ses dépenses, à boucler son

budget

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Laurent DUVERGER, professeur de SES p. 26

Depuis les années 1970, la famille connait de profondes mutations : extensions des familles monoparentales et recomposées en lien avec la plus grande instabilité conjugale, baisse annuelle du nombre de mariages, hausse des unions libres et des Pacs, baisse du nombre de familles nombreuses en lien avec la baisse de la fécondité. Ces transformations accroissent les risques d’isolement càd le risque de vivre seul, de ne pas être rattaché à un groupe primaire où les relations directes, intenses (fréquentes) et affectives sont censées développer plus de solidarité (reconnaissance et protection) qu’ailleurs. En effet, l’instabilité des ménages dans le temps et leur taille plus réduite rend les liens familiaux moins nombreux, moins pérennes et plus fragiles (zone de vulnérabilité) ce qui affaiblit les liens de filiation et les liens électifs. Par ailleurs, les familles monoparentales sont particulièrement touchées par les situations de précarité et de pauvreté.

Métaphore du lien conjugal qui se brise

Enfin, des phénomènes de ségrégation (sociale) semblent exister ce qui fragilise le vivre-

ensemble dans une République censée être une et indivisible. La ségrégation (sociale) désigne

une situation de distanciation socio-spatiale (éloignement géographique) imposée à un groupe

social du fait de sa position sociale défavorisée par rapport aux autres groupes d'une

collectivité (les populations défavorisées sont mises à part : elles sont isolées du reste de la société). Cette

ségrégation se manifeste par des inégalités et des discriminations notamment entre les plus

riches et les plus pauvres ce qui abime la cohésion sociale.

Vue aérienne du bidonville Paraisópolis bâtiments et de l'Avenida de luxe côté Giovanni Gronchi

Date de la prise de vue : février 2013 Lieu : Sao Paulo, Brazil

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Laurent DUVERGER, professeur de SES p. 27

Disparités socio-spatiales à São Paulo, immeubles de standing et favelas

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Laurent DUVERGER, professeur de SES p. 28

Par exemple, la composition sociale des collèges privés est beaucoup plus favorisée que

celle des collèges publics, que ce soit lorsque les élèves résident dans les quartiers prioritaires

ou en dehors. La proportion d’élèves issus des classes favorisées est ainsi de 51,8% parmi les élèves résidant

en dehors des quartiers prioritaires dans le secteur privé contre 34,4% dans le secteur public. Cette

ségrégation scolaire peut affaiblir le lien social dans les collèges du secteur public, notamment

dans les quartiers prioritaires, où les élèves issus des classes défavorisées vont avoir très peu

de contacts avec des élèves issus de classes favorisées. Il peut se créer un sentiment d’entre-

soi, de « mondes différents » (« nous ne sommes pas du même monde ») chez des jeunes (et au-delà)

qui sont enfermés dans un registre culturel unique et qui ne rencontrent pas une multitude

de points de vue (conceptions ou représentations du monde). Cette impossibilité offerte aux individus

de s’ouvrir davantage sur la société, pour mieux en appréhender la complexité (cerner la société

dans toute ses composantes), favorise les incompréhensions et les tensions sociales ce qui fragilise

le lien de citoyenneté et la cohésion sociale.

Rappel :

Tous les liens ne produisent pas de la cohésion sociale

Lien qui attache à un groupe Lien qui transcende le lien au groupe

Peut créer de la distance voire de

l’opposition aux autres groupes (lutte des

classes, groupes de supporters par

exemple, etc.)

Alliance ou interdépendance fonctionnelle

entre les groupes

Page 29: CHAPITRE IV : Comment se construisent et évoluent les

Laurent DUVERGER, professeur de SES p. 29

Marseille, de fortes inégalités

socio-spatiales, à la ville comme à

l’école

2) L’accumulation des facteurs peut aboutir à la rupture du lien social

La précarité ou l’isolement est à la fois la cause et le résultat des ruptures familiales et

de la ségrégation. Par exemple, les ruptures familiales favorisent la précarité (et l’isolement) et

la précarité fragilise à son tour les liens familiaux. Quant à la ségrégation, elle contribue à la

précarisation (et réciproquement). Les facteurs d’altération (fragilisation) du lien social ont donc

tendance à se cumuler c’est-à-dire à s’exercer simultanément sur les mêmes personnes, à

s’ajouter les unes aux autres, à se renforcer mutuellement.

Page 30: CHAPITRE IV : Comment se construisent et évoluent les

Laurent DUVERGER, professeur de SES p. 30

Dans ces conditions, certains individus peuvent se retrouver en situation de

désaffiliation sociale (mécanisme que l’on doit à Robert Castel).

La désaffiliation sociale désigne un processus cumulatif (c’est progressif) de fragilisation

du lien social conduisant à la rupture des liens sociaux. C’est par exemple le cas des SDF dont

le nombre est estimé à 200 000 en France. Cette rupture est progressive, réversible (pas

définitive) et pas forcément totale.

Ëtre désaffilié, c’est être à la fois hors des solidarités de proximité (famille et amis principalement

c’est-à-dire des groupes primaires qui offrent des liens directs, fréquents et intimes) et hors de l’ordre du

travail (du système économique). L’individu se retrouve donc sans place assignée dans la société

et donc sans rôle à jouer, sans considération. Les causes de la désaffiliation sont d’une part

une plus grande fragilité des liens familiaux (vulnérabilité) et d’autre part la montée du chômage

en particulier le chômage de longue durée (l’apparition du chômage de masse et de longue durée ⇒

l’assistance) et la précarisation des emplois (vulnérabilité).

Page 31: CHAPITRE IV : Comment se construisent et évoluent les

Laurent DUVERGER, professeur de SES p. 31

Désaffiliation sociale

mutation du travail (précarisation et chômage) et/ou transformations familiales (hausse des divorces, baisse de la fécondité, etc.)

vulnérabilité (liens familiaux distendus et emploi précaire) ou assistance (non travail)

affaiblissement des relations sociales

affaiblissement de la solidarité

vulnérabilité + assistance

rupture du lien social (réversible et pas nécessairement totale)