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M FABIEN CHAREIX La découverte des lois du choc par Christiaan Huygens / Christiaan Huygens' discovery of the laws of collision In: Revue d'histoire des sciences. 2003, Tome 56 n°1. pp. 15-58. Résumé RÉSUMÉ. — De 1652 à 1669 Christiaan Huygens établit l'ensemble des règles idéales par lesquelles le mouvement se communique par le choc des corps. Les manuscrits révèlent, mieux que ne le font les textes publiés, un parcours intellectuel résolument tourné vers une cinématique descriptive, lorsque ses contemporains, tel Leibniz, trouveront dans les travaux mêmes de Huygens la matière d'une authentique dynamique. En retrouvant pas à pas la façon dont les règles du choc ont été réellement construites par Huygens, c'est à une élucidation générale de la pensée huguenienne que l'on se trouve confronté. L'architecture interne des manuscrits puis celle des traités publiés sur le choc donnent une explication très nette des prises de position ultérieures de Huygens en leur restituant le fonds conceptuel qui leur assure cohérence et force. Abstract SUMMARY. — Between 1652 and 1669 Christiaan Huygens discoverd the laws that govern the motions that perfectly hard bodies make when they collide with each other. His manuscripts reveal, far better than his published texts do, that he pursued an intellectual programm entirely devoted to finding a descriptive kinematics. Meanwhile Huygens' contemporaries, such as Leibniz, tried to interpret Huygens' own concepts from a dynamical point of view. By determining, step by step, the way that Huygens truly discovered the laws of motion of bodies after collision, we are led to a broad overview of Huygens' thought. The internal structures of both manuscripts and published essays on collisions shed light on some of Huygens' subsequent stands on various issues, which display their conceptual background and logical bases. Citer ce document / Cite this document : CHAREIX FABIEN. La découverte des lois du choc par Christiaan Huygens / Christiaan Huygens' discovery of the laws of collision. In: Revue d'histoire des sciences. 2003, Tome 56 n°1. pp. 15-58. doi : 10.3406/rhs.2003.2171 http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/rhs_0151-4105_2003_num_56_1_2171

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M FABIEN CHAREIX

La découverte des lois du choc par Christiaan Huygens /Christiaan Huygens' discovery of the laws of collisionIn: Revue d'histoire des sciences. 2003, Tome 56 n°1. pp. 15-58.

RésuméRÉSUMÉ. — De 1652 à 1669 Christiaan Huygens établit l'ensemble des règles idéales par lesquelles le mouvement secommunique par le choc des corps. Les manuscrits révèlent, mieux que ne le font les textes publiés, un parcours intellectuelrésolument tourné vers une cinématique descriptive, lorsque ses contemporains, tel Leibniz, trouveront dans les travaux mêmesde Huygens la matière d'une authentique dynamique. En retrouvant pas à pas la façon dont les règles du choc ont été réellementconstruites par Huygens, c'est à une élucidation générale de la pensée huguenienne que l'on se trouve confronté. L'architectureinterne des manuscrits puis celle des traités publiés sur le choc donnent une explication très nette des prises de positionultérieures de Huygens en leur restituant le fonds conceptuel qui leur assure cohérence et force.

AbstractSUMMARY. — Between 1652 and 1669 Christiaan Huygens discoverd the laws that govern the motions that perfectly hardbodies make when they collide with each other. His manuscripts reveal, far better than his published texts do, that he pursued anintellectual programm entirely devoted to finding a descriptive kinematics. Meanwhile Huygens' contemporaries, such as Leibniz,tried to interpret Huygens' own concepts from a dynamical point of view. By determining, step by step, the way that Huygens trulydiscovered the laws of motion of bodies after collision, we are led to a broad overview of Huygens' thought. The internalstructures of both manuscripts and published essays on collisions shed light on some of Huygens' subsequent stands on variousissues, which display their conceptual background and logical bases.

Citer ce document / Cite this document :

CHAREIX FABIEN. La découverte des lois du choc par Christiaan Huygens / Christiaan Huygens' discovery of the laws ofcollision. In: Revue d'histoire des sciences. 2003, Tome 56 n°1. pp. 15-58.

doi : 10.3406/rhs.2003.2171

http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/rhs_0151-4105_2003_num_56_1_2171

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La découverte des lois du choc

par Christiaan Huygens

Fabien Chareix (*)

RÉSUMÉ. — De 1652 à 1669 Christiaan Huygens établit l'ensemble des règles idéales par lesquelles le mouvement se communique par le choc des corps. Les manuscrits révèlent, mieux que ne le font les textes publiés, un parcours intellectuel résolument tourné vers une cinématique descriptive, lorsque ses contemporains, tel Leibniz, trouveront dans les travaux mêmes de Huygens la matière d'une authentique dynamique. En retrouvant pas à pas la façon dont les règles du choc ont été réellement construites par Huygens, c'est à une elucidation générale de la pensée huguenienne que l'on se trouve confronté. L'architecture interne des manuscrits puis celle des traités publiés sur le choc donnent une explication très nette des prises de position ultérieures de Huygens en leur restituant le fonds conceptuel qui leur assure cohérence et force.

MOTS-CLÉS. — Choc ; dynamique ; mécanique ; pensée classique ; corps ; mouvement.

SUMMARY. — Between 1652 and 1669 Christiaan Huygens discoverd the laws that govern the motions that perfectly hard bodies make when they collide with each other. His manuscripts reveal, far better than his published texts do, that he pursued an intellectual programm entirely devoted to finding a descriptive kinematics. Meanwhile Huygens' contemporaries, such as Leibniz, tried to interpret Huygens' own concepts from a dynamical point of view. By determining, step by step, the way that Huygens truly discovered the laws of motion of bodies after collision, we are led to a broad overview of Huygens' thought. The internal structures of both manuscripts and published essays on collisions shed light on some of Huygens' subsequent stands on various issues, which display their conceptual background and logical bases.

KEYWORDS. — Collision ; dynamics ; mechanics ; classical thought ; body ; motion.

(*) Fabien Chareix, maître de conférences, Université Lille I, Cité scientifique, 59650 Villeneuve d'Ascq. E-mail : [email protected] .fr Rev. Hist. Sci., 2003, 56/1, 15-58

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I. — Les textes de jeunesse

Nous sommes en 1652. Christiaan Huygens, qui a 23 ans, veut approfondir sa connaissance de la mécanique par une simple mise en ordre des lois de la percussion. Nous savons ce qu'il adviendra de ces recherches, dont les commentateurs se plaisent à souligner qu'elles détruisent une grande partie de la mécanique cartésienne, celle qui est exposée dans les Principes de la philosophie. La thèse la plus répandue consiste même à lire les articles sur le choc composés en 1669 par Huygens comme autant de jalons posés sur la route triomphante et inéluctable de la dynamique. La règle de conservation d'une certaine vis collisionis, qui apparaît dès cette année, est alors considérée hâtivement comme un principe, afin de rendre Huygens, Leibniz puis Newton compatibles au sein d'une histoire linéaire dont Huygens serait le premier moment. Le savant Hollandais renonce pourtant immédiatement à l'introduction d'un tel concept, en biffe la mention manuscrite dans un geste qui marque très tôt une détermination constante de sa philosophie naturelle : ne pas admettre dans le discours d'entités fantômes qui, telles la force, semblent supposer l'existence, dans le corps, d'une disposition interne au mouvement.

Notre intention est de montrer que le refus permanent, dans les textes ultérieurs de Huygens, d'une explication hyperphysique des phénomènes, c'est-à-dire le refus de tout emploi injustifié d'une métaphysique de la force (1), est déjà présent dans son œuvre de jeunesse. En privilégiant, dans ces manuscrits, le principe de relativité, Huygens montre déjà un certain nombre de traits majeurs de sa mécanique ultérieure : la recherche d'une réduction de tous les effets dynamiques à une relation cinématique ou géométrique claire et distincte. S'il est vrai que Huygens corrige Descartes, si nombre des principes qu'il découvre ici serviront en effet de point de départ à l'analyse de la

(1) Telle que celle qui apparaît dans les textes écrits par Leibniz à partir de 1671.

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potentia dynamica, il serait faux de songer à Huygens comme étant le père inconscient d'une forme de pensée qu'il s'acharne à récuser.

Nous prenons appui sur deux types de textes. Le premier texte est un manuscrit extrait du Codex Hugeniorum 26 A, fol. 9 r°-v°. Les autres textes sont les articles envoyés par Huygens aux Philosophical transactions puis au Journal des sçavans en 1669. Ils constituent une reprise succincte, peu explicite, qui ne peut être comprise que si l'on a d'abord examiné le manuscrit de 1652, puis éventuellement ceux de 1654 à 1656 qui en font la synthèse.

Lorsque Huygens se penche sur le problème du choc, il ne dispose que de deux sources. D'une part il connaît les analyses de Descartes, qui affirme dans les Principes que ce qui se conserve dans l'impact est le produit de la quantité de matière par la vitesse. D'autre part il connaît et admire les analyses que Galilée donne, dans les Discorsi, de l'immense force de la percussion. Il sait aussi que Descartes a défini la communication du mouvement dans le choc en utilisant un principe de minimisation des variations modales. Un corps perd autant de vitesse ou de mouvement qu'il peut en céder afin de rendre son propre mouvement compatible à l'autre. Ce principe explique que, lorsque cette compatibilité ne peut être atteinte, il y a rebond.

Huygens découvre immédiatement les limites des propositions cartésiennes, néanmoins le manuscrit montre clairement, sur le fol. 9 r°, que c'est d'abord en reprenant les indications de Descartes que Huygens commence ses recherches. Cette première page consiste essentiellement en un bilan de ce qui est connu au moment où Huygens écrit. En particulier, les réflexions du bas de la page font allusion au mode de répartition des vitesses après le choc. Malgré la présence du principe de relativité, introduit dès cette page par l'allusion au bateau qui déplace le cadre de référence, il y a là manifestement une reprise de Descartes. Huygens est à ce point sous l'emprise de la pensée cartésienne qu'il rature un passage relatif à la « force de collision», dont la mesure ne lui sera donnée qu'à la page suivante.

Après avoir effectué ce bilan, Huygens passe à la rédaction d'un certain nombre de dérivations algébriques où il reprend une

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fois encore le principe cartésien. Les figures qui accompagnent ces équations lui donnent alors une règle générale, obtenue grâce à la suggestion visuelle de la méthode du bateau et confirmée par les calculs : ce qui se conserve, c'est le produit de la quantité de matière par le carré de la vitesse. Le fol. 9 v° contient deux « axiomes » numérotés 1 . L'un, dont le nom d'axiome est biffé par Huy- gens, regarde le principe du bateau. Dans le cas du choc de deux corps égaux, Huygens met en évidence l'égalité simple des vitesses relatives avant et après le choc. Quelle que soit la vitesse qui anime l'observateur situé sur le référentiel en mouvement, il « ne perçoi[t] pas différemment le choc » ( « occurrentium motus non alius apparet»). L'événement est le même, bien que sa description change avec le référentiel choisi. De fait, ce qui permet de conserver à un phénomène de choc son unité par-delà les différents postes d'observation que l'on peut prendre sur lui, c'est l'affirmation d'une vitesse relative égale avant et après le choc. Telle est la constante universelle du choc des corps, une règle qui s'enracine elle-même dans la conservation du mouvement du centre commun de gravité des corps engagés dans le choc. Ces relations entre les vitesses relatives et le mouvement du centre de masse seront expliquées dans le De motu corporum posthume au moyen d'un usage constant du principe de Torricelli. Mais pour l'heure, la constance des vitesses relatives dans les chocs quelconques, justifiée par la seule notation ontologique du texte de Huygens, non alius apparet, devient l'axiome 1 véritable, en lieu et place du principe du bateau, qui n'en est que la mise en perspective.

Huygens est donc d'une part conscient de la validité restreinte de la conservation cartésienne de la quantité de mouvement, qui doit être envisagée en tenant compte de l'orientation des vitesses. Il est d'autre part en possession de l'axiome 1, répété à la fin du fol. 9 v°. Or un raisonnement simple permet de comprendre que le principe cartésien et l'axiome 1 contiennent en fait la règle qui va former l'axiome 2, celui qui porte la mention de la conservation du produit fait des carrés des vitesses et des grandeurs des corps. Même si Huygens, à ce qu'il semble, ne suit pas exactement cette voie algébrique, il peut être utile de montrer que : soient ma et mb les grandeurs de A et de В . Soient щ et v, leurs vitesses avant le choc ; u2 et v2 celles d'après la rencontre. On voit que : selon le principe cartésien : тащ + mb v, = mau2 + mb v2 (i), et selon

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l'axiome 1 : vx - щ = u2 - v2 (ii). Or (i) s'écrit та(щ - u2) - mb(v2 - vj et (ii) vx + v2 = u2 + щ. On ajoute les membres de (ii) dans ceux de (i), c'est-à-dire que l'on interprète la conservation des vitesses dans la conservation de la quantité de mouvement. On obtient : та(щ - u2) {щ + иг) = mb(v2 - v,) (v2 + v{) (iii), c'est-à- dire ma{u\ -u2) = mb{vx2 - vj) (iv). Cette expression donne l'axiome 2 par un simple développement terme à terme : ma u\ + mb v,2 = ma u\ + mb v*. Ainsi, il est assez simple de comprendre pourquoi la mise en rapport d'une version amendée de la conservation cartésienne du produit mv, pour le dire vite, de l'axiome 1 issu du principe du bateau et de la nécessité de penser un même événement de choc sous des descriptions équivalentes par translation du référentiel choisi, devait donner l'axiome 2. Christiaan Huygens n'a pas eu l'intuition directe et analytique de cette relation. Sa méthode a consisté dans un mixte d'analyse puis de test, au moyen d'un support lié à la géométrie et aux figures, de la validité universelle d'un tel passage au carré des vitesses.

Tout s'enchaîne alors dans le fol. 9 v°, qui ne présente que peu de ratures. Huygens est à même de formuler une série d'axiomes qui seront tous repris dans les textes de 1669. L'expression mv2 n'est jamais pour Huygens la mesure d'une force permanente dans les corps (en effet, si l'on change le mouvement du cadre de référence, cette mesure change aussi), elle correspond seulement à la recherche d'un invariant algébrique qui traduit dans la langue analytique une vérité établie par le principe de relativité, c'est-à-dire aussi par la plus pure des cinématiques. Ainsi, contrairement à Leibniz qui veut réduire la cinématique à une connaissance de la simple apparence du mouvement, Huygens parvient à montrer qu'il est possible de donner une solution rationnelle à un problème d'impact, de force ou de percussion, en demeurant dans les limites du mouvement simplement relatif.

Au sein de ce fragment manuscrit 9 v° figurent en effet un certain nombre de dérivations algébriques dont le déchiffrement permet de comprendre l'évaluation numérique qui précède l'énoncé de l'axiome 3. Voici, exprimé analytiquement, le premier de ces calculs. Soient a et b les grandeurs des corps A et В considérés. Soient x et y les variables cherchées représentant respectivement les vitesses acquises après le choc par В et A. A se meut avant le choc

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avec une vitesse с, В est au repos, ainsi que le premier cas envisagé le laisse penser. Huygens écrit :

bx + ay <*> ac [1],

bx ro, yooc [2]. a

Autrement dit, les quantités de mouvement devant et après le choc, В étant au repos, se conservent et donnent un rapport algébrique isolant la vitesse y acquise par le corps A après le choc. Or y s'exprime ici encore en fonction de л:. Huygens procède à une substitution de variables qui donne sans autre médiation :

ace - 2b ex + + bxx ©° ace [4]. a

En fait, Huygens part de l'expression algébrique de y et l'introduit dans l'expression [1] :

bx a

и j. ( bx\ bx + a\ с - — \oo ас.

Conformément à l'axiome 2 qui n'est autre qu'un principe de conservation de la vis collisionis évoquée dans les premières lignes biffées par Huygens du fol. 9 r°, toutes les vitesses sont élevées au carré, ce qui donne :

A + ( bx)2

bxx + a\ с — — <*> ace, { a)

Soit, en développant :

, , ( 2bcx ЬЬххЛ bxx + a\ ce + oo ace, y a aa J

puis :

bbx + ace - 2b ex + °o ace [3]. a

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La suite de la dérivation à laquelle Huygens se livre a pour but d'exprimer x en fonction des seules variables connues, vitesse initiale de A et grandeurs des corps en présence :

2ca °°bx + ax,

2ca b + a

oo X [4].

Ainsi, si l'on reprend le premier des deux cas donnés entre l'axiome 2 et l'axiome 3, les données numériques sont : a = 2, b = 1, с = 3. L'instanciation en [4] donne x - 4, d'où en [2] y = 1, valeurs que Huygens est donc en mesure de fournir et dont il perçoit sans doute la validité restreinte aux cas des chocs où les vitesses de rebond ont la même direction. S'agissant du second cas, l'application du principe de relativité est nécessaire puisque les directions des corps après le rebond divergent, le principe de conservation du mouvement au sens cartésien n'étant pas valable dans ce cas. De fait, aucun calcul n'est nécessaire puisqu'en supposant que le premier cas de choc soit transféré sur un bateau en mouvement uniforme de vitesse 3, dans la même direction que le petit corps, les cas 1 et 2 ne forment qu'une variante relative de la même redistribution des états de mouvement, ainsi que le dessin ci- dessous le fait voir :

О Cas 1

1^- 3 = - 2 4 - 3 = J

OO Q_ Cas 2 QO О

vitesse uniforme 3 appliquée à tout le système

Fig. 1. — Cas de transformation relative du mouvement.

Le produit des grandeurs des corps par le carré de leurs vitesses est égal à 18 dans le premier cas. Le principe opératoire du bateau permet de représenter les différents cas de choc au moyen de deux opérations distinctes. D'une part on opère un changement

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de repère, d'autre part on ajuste la vitesse relative du second repère choisi, afin de mettre en évidence l'essentielle interchangeabilité du mouvement et du repos. Nous voyons apparaître l'ordre et le lien entre les dérivations algébriques du fol. 9 v° et l'application numérique qui, sur la même page, suit directement l'énoncé de l'axiome 2 ou règle des carrés des vitesses. L'analyse algébrique par laquelle Huygens essaie le carré des vitesses, lui donne d'abord une valeur aux variables cherchées, x et y. Huygens devait avoir le sentiment que l'élévation au carré du produit algébrique obtenu à partir de l'expression [1] lui donnerait des valeurs calculables pour chacun des paramètres de grandeur et de mouvement. Ce qui n'était au départ qu'une piste algébrique ingénieuse sans doute, se transforme, à la fin du fol. 9 v°, en une règle constante et opératoire. La première application numérique est consignée en toutes lettres, avant l'axiome 3, puis Huygens, en générant divers cas de chocs, va pouvoir construire, comme nous le verrons plus loin, une procédure de test de la conservation de cette règle des carrés par l'application de la méthode de translation uniforme du bateau.

Les éditeurs ont séparé en deux parties le contenu du fol. 9 r°- v° numérotées 1 et 2 par Huygens. Avec raison semble-t-il puisque la seconde partie semble présenter les traits d'une reprise et d'un approfondissement. La première page est en effet raturée fortement, Huygens semblant, à partir de l'énoncé de la première règle de Descartes (2), chercher un principe rationnel de communication du mouvement avant et après le choc. Notons qu'il n'est bien sûr pas question d'expérience des lois du choc, chaque principe étant établi ici par une spéculation rationnelle dont les outils semblent être le principe de conservation de la quantité orientée de mouvement, la conservation de la vis collisionis et le principe de relativité. L'hypothèse sur laquelle s'achève la page 1 est celle de la conservation des vitesses relatives d'approche et d'éloignement devant et après le choc. Ce résultat, fondamental, semble directement déduit de l'application du principe de relativité. Huygens l'inscrit en incipit de la page 2, comme si, après avoir vainement cherché une clavis universalis pour la résolution concrète des règles

(2) Fondamentale pour la mise en place ultérieure des règles exactes du choc car elle décrit le cas standard de symétrie parfaite.

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du choc, il avait abordé le verso de la page par des dérivations algébriques dont nous avons pu examiner, plus haut, les enseignements. Sur le même feuillet, il formule en termes concis (3) le résultat de la page 1, le nomme axiome dans la marge puis le rature et entreprend d'exposer la méthode opératoire du bateau qui est très certainement au fondement de l'axiome précédent. Si Huygens ne conserve pas, finalement, ce premier axiome en l'état, c'est, à ce qu'il semble, parce que, d'une part, il en conçoit un autre, plus général (4), qui précède la reprise de l'axiome 1 raturé au début du feuillet. Huygens conçoit donc cette page 2 comme devant exprimer un ordre d'exposition, l'ensemble des règles et axiomes étant apparu clairement grâce aux dérivations algébriques qui, selon notre hypothèse, ont été effectuées entre la recherche passablement désordonnée de principes généraux (p. 1) et la résolution ordonnée des règles calculables du choc des corps. À la suite de la méthode du bateau, Huygens conclut à partir du principe selon lequel un corps reçoit dans le choc plus de vitesse à mesure que sa grandeur est moindre, que le mouvement défini comme le fait Descartes ne se conserve pas toujours dans le choc. Dès lors il peut consigner par écrit, en tant que deuxième axiome, l'autre outil théorique dont il s'est servi lors de la confection des équations algébriques du choc : la conservation de la quantité faite par la somme des produits des grandeurs et des vitesses au carré avant et après le choc. Au principe cartésien manipulé dans les dérivations algébriques sous certaines conditions de direction, Huygens substitue un autre principe de conservation qui, dans l'ordre logique d'exposition qui est retenu ici, n'est pas premier et ne peut donc en aucun cas posséder la fonction architectonique qu'il aura dans le De corporum concursu de Leibniz.

L'axiome 3 mérite que l'on s'y attarde car sa genèse probable est éclairante quant à la méthode huguenienne. Cet axiome pose deux conditions au choc. D'une part, il s'agit d'introduire, après la

(3) « Eadem est celeritas separationis post duorum corporum concur sum quae fuit appro- pinquandi » (OCH, t. XVI, 94. (OCH : voir la référence bibliographique complète dans le Nota bene de la page 13).

(4) Noté Axióma : « Si duo corpora ex adverse sibi mutuo occurrant, unumque eorum eadem qua venit celeritate retro feratur nihil de motu sui amittens, etiam alterum eâ quâ venit celeritate resiliet. »

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résolution numérique, le cas de grandeurs et de vitesses asymétriques. Ayant obtenu, au sein des calculs rapportés plus haut, une équation générale du mouvement dans le choc (5), Huygens cherche pour quelles valeurs de grandeur et de vitesse initiales de A et de В l'équation revient au cas symétrique de la première règle de Descartes énoncée en incipit de la page 1. Or le bilan des états de mouvement avant le choc peut s'écrire ainsi, a et b étant pour les grandeurs de A et de В, с la vitesse initiale de A et y la vitesse recherchée :

ac + by

r\ ac i им л • 4. i uí ac\ Or pour y = — le bilan devient : ac + b\ — L

où b peut être réduit pour donner :

ac + ac,

qui est le cas du choc symétrique décrit par la règle de Descartes. ac

Donc si y est pris tel que y = — , le cas du choc asymétrique devient parfaitement symétrique. "

Qui ne remarque qu'alors on obtient le rapport :

1-1 b с

c'est-à-dire précisément la seconde condition de l'axiome 3 ? Notre hypothèse de lecture de ce texte fondateur à bien des égards de la méthode huguenienne est simple : c'est en forgeant un outil d'analyse relative que Huygens parvient à une clavis universalis des règles du choc. Confirmé algébriquement, le principe chronologiquement premier de l'identité des vitesses d'approche et de séparation est alors inséré à sa place à l'intérieur de l'architecture conceptuelle remarquablement stable de cet écrit de 1652. C'est le principe de relativité, celui du bateau, qui y est essentiellement impliqué. Comment, dès lors, Huygens est-il parvenu à substituer au faux invariant cartésien un invariant universellement valable ? Le fac-similé du feuillet 9 v°, présenté à la fin des Œuvres complètes, t. XVI, le fait voir clairement.

(5) De la forme bx + ay <*> ac + bd (avec bd = 0), В étant au repos, sa vitesse d est nulle.

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Fig. 2. — Détail du fol. 9 V.

Huygens y dessine en effet des esquisses de ce qui deviendra l'objet des méditations leibniziennes dans l'article Regulae de motu- corporum ex mutuo impulsu, c'est-à-dire la mise à l'épreuve de la conservation en mv2 à différents cas de chocs démontrés au préalable au moyen du principe de relativité (6). Or comme cela est évident d'après la démonstration de la proposition XI du De motu corporum ex percussione, la règle de construction de ces dessins, résolus par la méthode du bateau, présuppose la conservation du produit mv2.

(6) Voir la prop. IX du De motu corporum ex percussione [1703] (in OCH, t. XVI). Sur ce traité, voir la note 10.

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Fig. 3. — [В] De motu corporum ex mutuo impulsu hypothesis (1669).

Si l'on établit le bilan des états de mouvement dans le cas le plus simple, le premier de la figure précédente, on aurait, selon l'affirmation de la proposition XI où les lignes sont comme les vitesses en norme comme en direction :

A (AD)2 + В (BD)2 = A (EA)2 + В (BE)2

soit

mx Vj2 + m 2 v22 = mx v'2 + m2 v'2,,

ce qui donne, par substitution liée à la proportion construite par Huygens :

CB (AD)2 + CA (BD)2 = CB (EA)2 + CA (BE)2.

Huygens exprime cette proposition géométriquement : « On doit démontrer que le solide constitué par la ligne CB

sur le carré AB ensemble avec le solide par la droite CA avec le carré BD est égal à la somme du solide par la même ligne CB sur le carré EA du solide par la droite CA sur le carré EB (7) ».

(7) OCH, t. XVI, 72-73.

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En décomposant algébriquement les vitesses, toutes les lignes ayant la direction AB étant positives :

CB (AC + CD)2 + CA (CB - CD)2

= CB (AC - EC)2 + CA (EC + CB)2.

Il suffit de se souvenir que, par construction, D est de telle sorte que CE = CD (les quantités sont orientées et CE = - EC), pour vérifier la validité de la proposition. Huygens ne songe en aucun cas à promouvoir le principe opératoire ou calculatoire ici établi en invariant substitué à l'invariant cartésien exprimant l'immutabilité de Dieu ou, au sens de l'interprétation qu'en fera Leibniz, une force qui se conserve. Certes, le lien entre cette quantité conservée et la définition de l'effet ou de la puissance d'un impact par la proportion qui existe entre hauteur de chute et vitesse élevée au carré, est patent. Mais Huygens ne l'exploite pas dans le sens d'une découverte de l'estime véritable de l'effet du mouvement. Il s'agit d'un résultat de cinématique par lequel un algorithme fort utile fait son entrée dans la détermination de tous les effets possibles du choc de deux corps. Aussi étrange que cela puisse paraître à un leibnizien, Huygens tire un principe général de conservation de la simple considération des cas donnés et d'une règle qui en manifeste la validité. Les dérivations algébriques qui prennent le relai de la figure 2 dans le fol. 9 montrent qu'en appliquant ce principe de conservation, les valeurs admises via le principe de relativité sont les mêmes que celles que l'on obtient sans son aide. L'invention des règles hugueniennes du choc repose donc sur l'entrecroisement signifiant des dessins et des dérivations algébriques qui les confirment, véritable jeu mécanique à partir duquel Huygens est à même de donner un écrit structuré selon l'ordre hiérarchique de dépendance logique des axiomes les uns envers les autres. Le traitement de ces règles est purement rationnel. Il repose sur l'acte théorique majeur consistant à faire de la relativité et de son premier théorème (8) la source de tous les axiomes dans l'ordre de la recherche, ainsi que l'origine de toutes les règles particulières, dans les différents ordres d'exposition adoptés en 1654, 1656, 1669 ou dans le grand traité apocryphe de 1703.

(8) Conservation des vitesses relatives au sein d'un système de deux corps.

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II. — Une mécanique sans force

1 / L'idée du corps

Les problèmes de l'identification d'une force, quelle qu'elle soit, et de la construction d'un principe de relativité sont des problèmes liés. La notion de relativité mise en œuvre par Huygens dans l'élaboration de ses règles du choc diffère en bien des points de ce qu'il est convenu d'appeler la relativité cartésienne. Chez Descartes, la relativité du mouvement est d'abord établie par la dissociation des notions de mouvement et d'action. Cette identification est liée aux préjugés de l'enfance selon lesquels l'action est requise pour l'être qui se meut et non pour l'être qui est au repos. Une telle fausse notion du mouvement est remplacée par une distinction modale entre mouvement et repos, aboutissant à l'affirmation {Principes de la philosophie, II, 26) qu'il y a autant de réalité dans le repos que dans le mouvement. Mais l'affirmation, à l'article 13, de la relativité du mouvement, où la distinction du mouvement et du repos n'a plus de sens, se trouve réélaborée à partir de la nécessité de trouver (par la notion de voisinage) un équivalent au lieu qui est exclu, à Yaction de même (ce sera le transport), ainsi qu'à partir de la nécessité de recomposer les réalités modales distinctes que sont le repos et le mouvement. Or cette nécessité d'une définition individuelle d'un corps (qui fait que l'on peut parler d'un corps dans le langage de la substance comme ce corps (9) ainsi que comme tout ce qui est transporté ensemble du voisinage de quelques corps à celui de quelques autres), cette réappropriation de la substance est étrangère aux préoccupations de Huygens. En vertu de la troisième hypothèse de [A] (10), il n'est

(9) Le monde n'est pas composé que d'une seule substance. (10) Nous notons [A] le De motu corporum ex percussione dont la composition et

l'édition n'ont pas été le fait de Christiaan Huygens. Voir Yoder, 1998, ainsi que l'article de Mormino, page [139] de ce volume. C'est précisément pour comprendre la démarche originale de Huygens, travestie dans le traité de 1703, que nous avons voulu systématiquement comparer les travaux de jeunesse, ceux de 1669 puis le texte qui passe souvent, de façon illégitime, pour une œuvre de Huygens lui-même.

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pas interdit de supposer un référentiel lui-même en mouvement, ainsi jusqu'à l'infini, ou jusqu'aux atomes (11). Le texte noté [A] est celui du traité rédigé dès 1656, publié de façon posthume en 1703. [B], De motu corporum ex mutuo impulsu hypothesis, est l'envoi de Huygens à la Royal society, au début de l'année 1669. La non-publication de ce traité lacunaire, partiel, entraîne l'envoi de [C], Règles du mouvement dans la rencontre des corps, la même année, au Journal des sçavans. Un traité identique est envoyé à la Royal society, publié dans les Philosophical transactions. Huygens ne limite donc pas sa relativité aux corps qui se trouvent dans le voisinage, équivalent chez Descartes d'un substrat matériel. Huygens dénie la possibilité pour un seul corps d'être absolument au repos et il se situe donc entre (et contre) l'attribution cartésienne du mouvement ou du repos à un corps pris individuellement dans un univers substantialisé, et la définition du spatium mundaneum comme orienté et renvoyant à un point fixe support d'un espace absolu (12).

Huygens récuse, dans les faits, toute idée de substantiation de ce qui se présente comme un certain ordre relatif. L'étendue et le temps sont saisis comme un certain rapport nécessaire sous-jacent, dont les propriétés ne sont pas celles des choses mais des idées. Ainsi l'étendue est une vérité nécessaire, incréée, qui contient dans son concept la coexistence des parties, mais ne peut se satisfaire de la terminaison des figures, qui relève des corps eux-mêmes et non pas de l'étendue :

« Les choses qui ont été de toute éternité sont telles qu'elles ne sauraient être conçues autrement qu'elles ne sont. Comme l'étendue, infinie de tous côtés. Car l'on ne peut concevoir qu'elle soit bornée. De même le temps, l'on ne peut le concevoir qu'infini en avant et en arrière. L'on peut concevoir anéanti tout ce qui mesure le temps, c'est-à-dire tous les corps et tout le mouvement, mais nous ne pouvons nous imaginer l'anéantissement du temps (13). »

(11) L'atomisme de Huygens serait à définir précisément. (12) Cette façon de comprendre la dé-réalisation du mouvement se heurte toutefois,

constamment, à l'affirmation du copernicanisme comme système véritable. Soit comme argument positif (pour dénoncer chez Riccioli le géocentrisme, in OCH, t. VI, 327), soit comme élément paradoxal : « Le système que j'appelle ici le véritable c'est celui qui établit le mouvement de la Terre autour du Soleil et autour de son propre axe [...] l'on ne saurait autrement rendre raison des apparences sans poser des choses absurdes dans la nature. » (Pensées mêlées, in OCH, t. XXI, 357, § 25.)

(13) OCH, t. XXI, 524, Appendice aux pièces du De rationi imperiis.

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Le temps n'est pas plus une substance dans la mesure où il n'est pas susceptible de la corruption propre aux corps et aux mouvements. L'étendue est l'idée des rapports relatifs entre les corps. Cette réflexion est produite en premier lieu par la mise en œuvre des conséquences bien comprises de la relativité du mouvement. Bien plus soigneusement que Descartes, qui fait de l'étendue une substance, Huygens se donne le moyen de penser une relativité intégrale du mouvement. Si l'étendue est une substance, comme le veut Descartes, comment interdire une interprétation possible du choc en termes d'échanges dynamiques où une force se communique ? Huygens suit, dans une certaine mesure les indications de Leibniz qui ne pense l'étendue que comme vérité nécessaire et qui ne voit dans le corps qu'un être par agrégat. Mais, leur abondante correspondance le prouve, Huygens n'admettra jamais le principe d'une unité métaphysique ou « hyperphysique » par laquelle Leibniz réintroduit l'idée de forme substantielle et justifie l'existence dans les effets dynamiques des chocs d'un indice de communication réelle entre substances individualisées. Chez Leibniz la force est de l'ordre des formes substantielles, elle exprime une détermination réelle qui échappe au simple pouvoir de la cinématique. Christiaan Huygens est donc con- ceptuellement situé entre deux doctrines attachées à la notion de substance. Contre Descartes, il affirme que l'acceptation de la relativité du mouvement implique l'abandon de l'étendue- substance. Contre Leibniz, il affirme la possibilité d'établir une science pure du mouvement, sans référence à une individuation dynamique des corps.

On ne saurait insister trop sur l'importance que revêtent, pour une pensée orientée vers une conception strictement mécaniste, les lois du choc des corps. On pourrait penser que cette préoccupation ne fut celle de Huygens que dans les dernières années, au moment où, dans un effort qu'il faudrait encore évaluer, il re-saisit l'ensemble de ses recherches pour en donner, par une lecture récurrente, l'unité. Dans les faits, on trouve la trace de cette visée fondatrice chez Huygens dès 1656-1657, au moment même où s'élabore sa propre doctrine du choc :

« En effet si la nature entière est faite de corpuscules quelconques par le mouvement desquels toute la variété des choses est engendrée, par l'impulsion extrêmement vive desquels la lumière se propage en un moment de temps pour se porter à travers les immenses espaces du ciel,

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ainsi que, selon l'opinion de nombreux philosophes, cela doit probablement être ; cette spéculation (contemplatio) ne sera pas, semble-t-il, sans utilité, si les vraies lois du mouvement étaient découvertes et selon quel rapport on passe des corps aux corps (14). »

De l'élaboration première des règles du choc jusqu'au Traité de la lumière (15) de 1690, la fonction centrale de la détermination des rapports que conservent les corps entre eux dans leurs rencontres ne s'est ni démentie, ni transformée radicalement. Lorsque Huygens fait parvenir, trop tard, son mémoire [B] De motu corpo- rum ex mutuo impulsu hypothesis, à la Royal society (mémoire qui ne fut pas rendu public), à l'occasion du concours lancé par cette dernière au sujet des règles du mouvement dans les rencontres des corps, il possède déjà un corps de théorie [A] dont il ne divulgue que peu d'éléments et dont il ne révèle pas les démonstrations. Seuls les mémoires de Wren et de Wallis sont publiés en janvier 1669, et Huygens est conduit à saisir le Journal des sçavans d'un article intitulé Règles du mouvement dans la rencontre des corps, publié le 18 mars de la même année. Huygens avait par ailleurs fait connaître son sentiment sur les règles du choc dans une série d'exposés effectués au sein de l'Académie parisienne (16) en janvier 1668. La connaissance totale du mouvement distribué en ses deux genres fondamentaux (le droit et le circulaire) est seulement perçue dans cette période, en l'absence d'une investigation précise des lois de la force centrifuge (et donc d'une détermination du criterion du mouvement circulaire). Cette détermination sera acquise seulement à la fin de l'année 1659. La distinction rigoureuse des deux genres du mouvement est maintenue, même lorsque Huygens renonce (dès 1687) à la thèse du criterion, parce qu'alors elle lui permet de reconstruire rationnellement la tendance centripète à partir de la tendance centrifuge :

« À regarder simplement les corps, sans cette qualité que l'on nomme pesanteur, leur mouvement est naturellement ou droit ou circulaire. Le premier leur appartenant lorsqu'ils se meuvent sans empêchement ; l'autre

(14) Appendice III au De motu corporum ex percussione, in OCH, t. XVI, 151. (15) Signe révélateur de l'activité interprétative et positiviste des éditeurs, le Traité de la

lumière, publié par Huygens conjointement au Discours de la cause de la pesanteur (qui contient le modèle du tourbillon), est imprimé séparément dans les Œuvres complètes. Contre le projet même de Huygens, le modèle tourbillonnaire est séparé de la description des ondes lumineuses. Celles-ci sont scientifiquement (et de façon récurrente) prometteuses, celui-là est méthodologiquement périmé et rangé du côté des écrits cosmologiques.

(16) OCH, t. XVI, 182-185.

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quand ils sont retenus autour de quelque centre, ou qu'ils tournent sur leur centre même. Nous connaissons aucunement la nature du mouvement droit et les lois que gardent les corps dans la communication de leurs mouvements, lorsqu'ils se rencontrent. Mais tant que l'on ne considère que cette sorte de mouvement, et les réflexions qui en arrivent entre les parties de la matière, on ne trouve rien qui les détermine à tendre vers un centre (17). »

Ce texte de 1690 montre en quelle mesure la détermination de la nature du mouvement pris dans sa généralité ne peut se satisfaire du seul énoncé des règles du choc. C'est, comme en bien d'autres domaines de recherche, une œuvre achevée que Huygens se propose, à la fin de sa carrière, de livrer au public (lettre à Leibniz du 11 juillet 1692 (18)). C'est peut-être la raison pour laquelle le traité lui-même, dont Huygens a tenté de donner la préface n'a pas été publié de son vivant.

2 / Les traités sur le choc des corps

[A] est certainement la source la plus complète. Les hypothèses sont formulées selon un ordre rigoureux. [A] partage avec [B] les trois premières hypothèses. La première est l'exposé du principe d'inertie, repris dans les mêmes termes dans les hypothèses de Y Horologium oscillator ium.

La deuxième hypothèse, commune elle aussi, est la reprise de la première règle cartésienne du choc. Notons que les articles [C] et [D] ne font pas même mention de cette hypothèse : ce faisant, l'ordre de progression de [A] et [B] est fondé dans une progression du cas le plus symétrique, vers ceux qui ne le sont plus, ordre qui est moins systématisé dans les articles [C] et [D]. Dans [A] et [B], on passe de l'absence de rencontre (Hl) à la rencontre parfaitement symétrique (H2, règle 1 de Descartes) puis on assiste à l'introduction d'altérations de plus en plus marquées de la

(17) OCH, t. XXI, 451. (18) Huygens y évoque la Diop trique, en séparant formellement le moment de la

découverte et celui de l'écriture : « [...] il me semble d'avoir tout pénétré, quoyque je n'aye pas encor achevé de tout escrire. » Huygens manipule une notion spécifique de l'écriture, qui ne transcrit pas seulement la découverte, mais la présente dans sa forme logique et achevée.

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symétrie fondamentale (vitesse puis grandeur) avant de parvenir aux cas les plus généraux qui impliquent l'émergence d'autres principes.

[A] ajoute cependant, par rapport à [B] une considération sur la cause dont il est affirmé le caractère quelconque. Faut-il y voir, inscrit dans le grand Traité, la résurgence des débats sur l'élasticité, débat qui, dans le Mémoire [B] parvenu à la Royal Society, n'avait pas encore de raison de se manifester? Mais Huygens fait usage du concept de corps dur et n'explique pas en quoi la dureté parfaite impliquerait le rejaillissement parfaitement restitutif (19).

La quatrième hypothèse de [B] est contenue dans H3 de [A]. Huygens a sans doute jugé que ce qui n'est après tout qu'une méthode et un principe directif pour la démonstration (et traité comme tel dans [A]) devait être transformé en hypothèse à part entière pour le lecteur anglais peu suffisamment averti, quoique Huygens ait déjà eu l'occasion de s'exprimer sur les règles du choc lors de son voyage à Londres en 1661. Le principe figuratif du bateau et sa nouveauté justifie le décalage constatable entre le statut des énoncés dans l'un et l'autre traité.

L'hypothèse IV de [A] introduit la considération des chocs de corps inégaux et son existence avait été annoncée dans l'hypothèse précédente. Cette hypothèse rend aisée la démonstration de la proposition III, si l'on ajoute l'instrument opératoire de l'hypothèse IV de [B].

On devine le plan général de l'ensemble et les principes fondamentaux sont révélés dans l'ordre et à leur place : les propositions I et II valent pour les corps égaux (la différence des vitesses, premier cas de variété et premier gain sensible de généralité, est en P.II). L'H4 de [A] introduit la considération des corps inégaux et fait entrer l'ensemble de la doctrine du choc, selon une lecture d'Emile Jouguet, sur laquelle on va revenir, dans la dépendance du principe de la conservation de la force vive. La proposition III, qui heurte directement les règles cartésiennes du choc, inaugure l'élaboration plus générale (les corps durs sont donnés sans con-

(19) En 1669, Wallis donne les règles pour les corps durs et évoque une « force élastique » dont il ne donne ni la nature, ni les règles de transmission. Il précisera l'usage conceptuel du dur, de l'élastique et du mou dans la Mechanica sive de motu tractatus geometr icus de 1671. Wren parle de corps durs mais donne les règles du choc élastique.

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trainte de symétrie, tant dans leur grandeur que dans la vitesse, c'est-à-dire dans leur mouvement). Le manuscrit de 1656 (qui contient une préface ainsi que toutes les propositions (20) mais qui ne transcrit pas les hypothèses) indique, par sa scission en Liber I et Liber II, que Huygens comprend les propositions qui suivent la proposition VI (sur la quantité de mouvement qui peut augmenter ou diminuer dans l'univers) comme l'approfondissement de la ruine de la quantité de mouvement au sens cartésien. [A] ne signale pas, comme le font de nombreux textes de Huygens antérieurs à 1660, ainsi que [C], en quel sens on peut dire de la quantité de mouvement qu'elle se conserve vers le même côté, en soustrayant la quantité de mouvement contraire. La reconstruction du grand traité gomme ainsi soigneusement la contribution de Huygens à une réévaluation de ce principe de conservation. C'est bien plutôt à son extinction que Huygens se livre ici : Les propositions finales (XII et XIII) de [A] qui ne sont autres que l'énoncé de la septième règle de l'article [C] (21) sont-elles autre chose que la négation de la quantité de mouvement au sens de Descartes ? Les énoncés les plus décisifs, reproduits dans toutes les sources dont nous disposons, concernent l'affirmation de la conservation des vitesses acquises lorsque ces vitesses dans le choc sont inversement proportionnelles aux grandeurs, ainsi que l'affirmation certainement centrale (on peut montrer que tout l'édifice en est déductible) : « Dans le cas de deux corps qui se rencontrent, ce que l'on obtient en prenant la somme de leurs grandeurs multipliées par les carrés de leurs vitesses sera trouvé égal devant et après la rencontre [A]. »

II ne faut pas lire cette affirmation autrement que comme l'établissement d'un bilan numérique car on a vu que la critique de la conservation de la quantité de mouvement n'empêche certes pas Huygens de n'utiliser cette quantité que dans le sens cartésien, non orienté, et Huygens ne songe en aucun cas à promouvoir le

(20) La notion de dureté employée ici correspond aux cas actuels des chocs parfaitement élastiques, mais jamais Huygens ne s'explique sur cette force interne de restitution, car elle va à l'encontre des principes qu'il emploie dans la définition du corps.

(21) Sauf la proposition IX de [A] qui, conformément à sa nature algorithmique, est transcrite avec le statut de « problème », et renvoyée après l'énoncé du théorème de 1656 qui correspond à la proposition X de [A].

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principe ici établi en invariant substitué à l'invariant cartésien exprimant (au sens de l'interprétation qu'en fait Leibniz), une force qui se conserve. Huygens a bien vu que Descartes ne commettait pas cette confusion et, pas plus que lui, il n'estime la potentia réelle en dehors de l'impulsion instantanée ( « devant et après le choc » ).

Un mot sur le principe de conservation des vitesses relatives devant et après le choc : c'est l'occasion pour Huygens, en [A], de s'exprimer sur la nature véritable (rêvera) de cette conservation. Elle reste vraie quel que soit le référentiel. C'est ici une façon de comprendre que Huygens peut demeurer un relativisté intransigeant tout en pouvant construire des invariants.

En ce qui concerne la loi admirable de la nature, véritable acmè des articles sur le mouvement, Pierre Costabel (22) a bien montré à quel point Huygens maîtrise la généralité du principe selon lequel le centre de gravité voit son mouvement inchangé par les échanges internes (les chocs) d'un système donné de corps. Notons que cette remarque de Huygens est certainement le point de départ d'une élaboration plus générale des centres d'oscillations régis par l'hypothèse I de la Quatrième partie de VHorologium oscillatorium, qui n'est autre que le principe de Torricelli, utilisé dans la démonstration de la proposition VIII de [A]. On peut repérer la validité de la « loi admirable » de Huygens dans chaque cas énoncé par la proposition IX de [A] (règle 4 de [C]). La méthode générale n'est que l'application du principe de relativité qui permet de généraliser le résultat de la proposition VIII, cas très particulier du choc inégal dans lequel Huygens met en œuvre le principe de Torricelli (le centre de gravité commun ne peut s'élever plus haut qu'il n'est parti) (23). C'est sans doute pourquoi la loi « admirable » n'est pas énoncée comme telle dans [A] : elle est comprise dans l'opération même du glissement du bateau qui compense le déplacement commun du centre de gravité.

(22) Pierre Costabel, La septième règle du choc élastique de Christiaan Huygens, Revue d'histoire des sciences, X/2 (1957), 120-131. Huygens démontre dans cette règle l'augmentation vertigineuse de la quantité de mouvement par l'interposition d'une suite réglée de grandeurs proportionnelles se heurtant successivement.

(23) Pierre Costabel, La « loi admirable » de Christiaan Huygens, Revue d'histoire des sciences, 1X73 (1956), 208-220.

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On peut synthétiser les enseignements de [A], de [B] et de [C], par quelques remarques. Le corps principal se trouve en [A]. C'est aussi le plus complet et le plus systématique. Les autres traités ne sont dans les faits que des communications dans lesquelles l'intérêt ne semble pas principalement dû à ce qui se donne à voir, mais à ce qui s'y dissimule. On pourrait être étonné de l'absence de toute traduction de la proposition 11 de [A] dans [B]. Cela semblerait indiquer que notre lecture de cette proposition comme centre architectonique de la pensée huguenienne du choc est, sinon fausse, du moins un peu forcée. Or dans la mesure où [C] est postérieur à [B] et entend réparer, par le moyen du Journal des sçavans, une injustice commise par la Royal society (qui ne publie pas le traité de Huygens), on comprend parfaitement la stratégie mise en œuvre en [C]. Il s'agit de ne pas révéler la totalité de l'écrit de 1659, mais de procéder à une présentation synthétique (contre la méthode analytique et partielle de [B]) qui suit presque exactement [A] dans ses éléments les plus saillants. Le principe qui énonce les forces vives est ainsi dévoilé en [C], alors même qu'il demeurait caché en [B], visible seulement alors à celui qui pouvait comprendre la généralité des propositions II et IV de [B] (impliquant une relation ferme entre les vitesses). La découverte de la conservation du produit de la grandeur par le carré de la vitesse des corps n'apparaît, dans le traité anglais, que sous la forme provocante de l'injonction : trouver les vitesses qui résultent du choc. [B] est un produit incomplet, qui n'ajoute rien à [A] et en dissimule les principales richesses opératoires (forces vives, accroissement de la percussion par interposition de corps). [C] répond bien mieux aux deux critères que Huygens s'impose dans la communication de son activité savante : le secret (il n'y a pas de démonstrations) et la découverte. [A] est une mise en forme qui relie les algorithmes aux notions fondamentales qui leur donnent sens et l'on peut dire que [C] est réellement un écrit de communication car Huygens ne s'y attarde pas à énoncer le principe fondamental de l'inertie, pas plus qu'il ne pose le principe de relativité.

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III. — Une force sans réalité POUR UNE SUBSTANCE SANS ACTION

On pourrait affirmer, très rapidement et sous réserve d'analyses plus poussées, que la mécanique de Huygens est prise entre deux tendances contradictoires dans la relation qu'elle entretient avec la réalité et l'usage du concept de force. C'est une mécanique qui déclare se passer de l'activité immanente d'une force dans les corps. Cette soustraction de la force se comprend, d'une part, de façon intrinsèquement mécanique : le principe de relativité interdit, lorsqu'il est affirmé ainsi être universel, que l'on distingue dans le corps qui se meut un critère de mouvement vrai. Le mouvement est seulement, chez Huygens, vrai relativement à un autre qui est pris comme référence. Certains principes de conservation prennent en compte cette dénomination, ainsi celui qui est annoncé dans la proposition IV de [A] : les vitesses relatives de rapprochement et d'éloignement se conservent, quel que soit le référentiel et son mouvement propre, puisque seuls deux corps sont pris ici en compte. D'autre part, l'exclusion de la force se comprend métaphysiquement : une force constamment présente dans le corps impliquerait une forme d'activité substantielle, une qualité inhérente. Pourquoi supposer une telle activité puisque chaque corps voit son état de mouvement suffisamment défini par son inertie ? Chaque corps, en vertu des deux paramètres pertinents que l'on retient d'eux (la grandeur et la vitesse) est une puissance opposable dans la rencontre. Cette potentia n'existe que lorsque le choc lui-même provoque la redistribution instantanée des états de mouvement. Il n'y a pas lieu d'actualiser cette puissance en l'absence d'obstacle, de même qu'il n'est en aucun cas nécessaire de supposer dans le corps en mouvement rectiligne uniforme une force interne qui le maintient, on ne sait comment, dans cet état de mouvement. C'est la rencontre qui confronte les puissances dans l'instant du choc et l'énoncé du principe d'inertie (hypothèse I de [A]) implique que seul l'obstacle et sa puissance d'opposition, possède l'initiative de l'impulsion.

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L'ensemble des règles du choc est donc conçu autour de principes de conservation (inertie et Torricelli) et utilise le principe de relativité. L'instantanéité de Yimpulsus engendre une potentia (ou s'oppose à une potentia déjà constituée : c'est une égalité de l'action et de la réaction qui nie au corps toute activité actuelle), seule dénotation d'une force dont Huygens refuse de faire porter les effets au-delà de Yoccursus. En ce sens seulement, on peut dire que la mécanique de Huygens est une mécanique cartésienne qui réussit, c'est-à-dire : qui traduit tous les énoncés relatifs aux forces et à leur estime dans une langue où le corps n'est que la matière passive (24) qui réagit en opposant une puissance à une autre. Il ne me semble pas que l'on puisse affirmer de Huygens, comme le fait Martial Gueroult, qu'il « n'a pas réussi entièrement à bannir le mouvement absolu (25) », au moment même où il s'apprête à manipuler la relativité du mouvement comme un principe et non pas seulement comme une conjecture. La force des manuscrits de jeunesse sur le choc tient précisément dans l'éclairage qu'ils donnent à un engagement constant de Huygens dans la voie d'une mécanique pure, sans substance ajoutée.

IV. — Le cas du choc mou: mécanique ET PHÉNOMÈNES CONCRETS

Le bateau lui-même ne reçoit son mouvement que relativement à d'autres corps, et ainsi à l'infini. Mais Huygens ne peut ignorer que cet emboîtement à l'infini des référentiels en mouvement exclut a priori, sous peine de perdre le principe d'équivalence,

(24) Voir G. W. Leibniz, in La Réforme de la dynamique : Textes inédits, Michel Fichant (éd.) (Paris : Vrin, 1994), 323. « Hiérarchisation des instances théoriques » que ne connaît pas Leibniz. Les éditeurs des Œuvres complètes signalent l'identité de ce principe avec la conservation orientée de la quantité de mouvement, mais Costabel [1956] rétablit une cohérence historique.

(25) Martial Gueroult, Dynamique et métaphysique leïbniziennes (Paris : Aubier- Montaigne, 1967), 107, n. 1.

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toute modification dynamique de l'état de mouvement du repère mobile : les corps durs idéalisés semblent indispensables aux règles du choc, pourtant ils n'existent pas dans la nature ou dans l'expérience la plus commune. L'état des recherches de Huygens ne permet pas, au moment où il tente de faire publier ses différents traités relatifs au choc, d'affirmer une maîtrise intégrale des effets du mouvement. Une grande difficulté met en péril l'édifice huguenien puisqu'elle touche à la possibilité même d'appliquer les règles de la rencontre des corps à des cas concrets, c'est-à-dire au contenu évident de l'expérience. On a souvent dit, en effet, que la notion de dureté n'était pas vraiment théorisée par Huygens. Cette notion serait admise au titre d'une idée trop simple pour devoir être expliquée. Or Huygens cherche à justifier la dureté au titre d'un principe concret de conservation : «... moins ils se déforment, moins ils restituent, c'est-à-dire moins ils prennent de temps pour communiquer le mouvement et mieux ils conservent nos lois du rebond (26). »

La dureté absolue révèle en effet chez Huygens une idée dynamique originale qui fait fond sur l'hypothèse d'une absence de déformation dans le choc. La transmission du mouvement est intégrale et instantanée, sans que l'idée d'une restitution soit nécessaire. Signe d'une persistance de cette question dans la pensée de Huygens, le Codex Hugeniorum 7 A contient une critique ouverte de la façon dont Wallis construit ses hypothèses relatives à la nature des corps. Nous traduisons ici un passage du Fragment 9 du Codex Hugeniorum 7 A où la critique de la Mecha- nica de Wallis passe en revue l'ensemble de ce que Huygens considère comme une faillite de l'application de la mesure aux phénomènes naturels :

(26) « Quo minus a figura recédant minusque restituuntur, hoc est, quo minori tempore motum communicant, eo melius leges nostras rejïexionfijs servent. » (Appendice III, pièce XI, OCH, t. XVI, 168.)

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Wallis applique sans bonheur la mathématique aux autres domaines, comme dans les phénomènes naturels et dans la mécanique. Est-ce qu'il croit avoir démontré dans sa première partie le rapport des bras aux poids formant l'équilibre, ce qu'il affirme pour finir dans la proposition 12 ?

Il définit le centre de gravité page 73, mais n'en donne pas la démonstration au sujet de laquelle, consultez Pappus.

... Wallis ne donne pas des démonstrations, mais des quasi- démonstrations. De même les Épicuriens disaient que les dieux n'avaient pas de corps mais des quasi-corps, pas de sang mais du quasi-sang. C'est sans effort que de telles démonstrations sont ajoutées à celles qui ont été inventées par d'autres et établies avec certitude. Dans le même temps, il incorpore ses propres notations algébriques à la proposition, et il pense que ce qui en résulte doit être tenu pour une démonstration.

Wallisius Infeliciter mathesin ad alia applicat ut in naturalibus et mechanicis. Putatne se parte prima demonstrasse reciprocam propor- tionem bra-chiorum et ponderum in sequilibrio constitorum, quod prop. 12 concluait (27). Certe nihil minus, пес quicquam demonstrationi simile attulit.

Centrum gravitatis pag. 73 (28) définit, non autem demonstrat. dari. de quo vide Pappum (29).

... Wallisius non demonstrationes dat sed quasi demonstrationes, sicut Epicurei dicebant deos non corpora habere sed quasi corpora, non san- guinem sed quasi sanguinem (30). Taies demonstrationes impune adhi- bentur in ijs quae ab alijs ante inventa et extra dubita-tionem posita sunt. Simul ac notulis suis algebricis propositionem involvit, quae inde efficit putat pro demonstratione habenda.

Il faut essayer cette démonstration : soient deux corps semi-durs, c'est-à-dire qui rejaillissent à moitié, tels qu'ils se séparent après le choc avec une vitesse réduite de moitié ou divisée par trois par rapport à celle qu'ils avaient pour se heurter (en prenant la vitesse relative entre eux, mais non pas la vitesse relative de chacun d'eux qui est en effet inutile ; il est évident, étant donné le mouvement relatif considéré dans chacun des corps qui se choquent, et cela est vrai des corps qui rejaillis-sent, que la vitesse relative des corps qui rejail-

Demonstratio tentanda, Positis corporibus semiduris vel semiresi- lientibus ut nimirum percussione facta cum dimidia celeritate sepa- rentur vel tertia parte, ejus qua concurrerunt (relative inter se non singula seorsim, hoc enim poni non opus, et constat dum relativus motus concurrentium uno aliquo casu datus sit ; пес non resilientium, fore ea- dem resilientium celeritatem respec- tiva dummodo relativus occurren- tium fuerit idem) ostendere hic quoque centrum gravitatis aeque celeriter inque eandem partem ferri post impulsům atque ante. Demons-

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lissent sera la même, pourvu que le mouvement relatif des corps au moment du choc a été le même (31). Montrer que là aussi le centre de gravité se meut avec une vitesse égale et dans la même direction après l'impulsion qu'avant. Le démontrer d'abord des corps qui se choquent avec des vitesse réciproques aux poids, c'est-à-dire où le centre de gravité est au repos. Voir sa démonstration concernant les corps mous. [...]

tra primům de concurrentium cum reciproca celeritate ponderum, hoc est centrum gravitatis quiescat, vide demonstrationem suam de corpori- bus mollibus. [...]

Fig. 4. — Choc réciproque (dessin du Codex Hugueniorum 7 A).

(27) John Wallis, Mechanica, sive de motu, tractatus geometricus (Londini : typis G. God-bid, 1670-1671), un volume en trois parties, part. I, 625.

(28) Ibid., 618. (29) Allusion au livre VIII des Collections de Pappus, livre consacré aux « problèmes de

mécanique variés et détectables » où Pappus définit le centre de gravité comme intersection des lignes de suspension du grave. Wallis serait donc moins conséquent qu'un auteur, certes eminent, du IVe siècle ap. J.-C.

(30) Cicéron, De Nátura deorum, I, 68 e 71. (31) « Que la mesme reflexion se fait quand l'un des corps seroit tout a fait dur ou d'un

ressort parfait, pourvu que le mouvement respectif soit le mesme. » (OCH, t. XVI, 167.)

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42 Fabien Chareix

On doit relever le soin avec lequel Huygens critique en premier lieu le traitement par Wallis de la question architecto- nique du centre de gravité. En effet, quoique formulée bien après les règles du choc et celles de la chute des corps sur des courbes quelconques, les propositions du De centro oscillationis (32) précèdent logiquement toutes les lois positives de la mécanique huguenienne. Les règles du choc ne présentent un principe de conservation que dans la mesure où c'est le mouvement du centre de gravité qui se meut uniformément (ou est au repos) dans tous les cas considérés. De même que c'est le mouvement du centre de gravité d'un système de corps liés qui est considéré lorsque Huygens applique le principe de Torricelli (33). Donc la faillite de l'application de la mathesis à l'expérience commence chez Wallis dans son incapacité même à formuler les démonstrations fondamentales des théorèmes relatifs au centre de gravité. Elle s'achève et s'accomplit dans son impuissance à penser et à démontrer les règles du choc des corps semi-durs (semiresiliens), dont Huygens considère qu'elles relèvent du même principe qui consiste à spéculer sur le mouvement du centre de gravité des corps choqués. Le défaut de démonstration chez Wallis est aussi immédiatement une pensée inadéquate des propriétés de la chose et ces remarques acerbes de Huygens contrastent avec le respect public dont il fait montre, en diverses lettres, envers Wallis. Emblématique de ses relations difficiles avec les mécaniciens anglais en général, ce texte, écrit vers 1690, synthétise dans la polémique l'ensemble des vues de Huygens sur la distinction des corps durs et des corps mous.

On trouve dans l'Appendice III du De motu corporum ex per- cussione, une collection de fragments réunis par les éditeurs, dans lesquels, Huygens, vraisemblablement autour de l'année 1667 - soit après avoir établi toutes les règles du mouvement propre au centre d'oscillation -, traite des corps « semi-résilients » (34). C'est à l'épreuve des corps mous que se mesure la puissance d'une phy-

(32) Pars quarta de Yhorologium oscillatorium (in OCH, t. XVIII, 242). (33) Le centre de gravité ne peut s'élever, du fait de la gravité, plus haut qu'il n'était au

départ du mouvement. (34) En particulier, OCH, t. XVI, 161-168.

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La découverte des lois du choc 43

sique réellement géométrisée. De nombreuses concordances existent entre ce brouillon et les remarques adressées à la mécanique de Wallis. Huygens y relève en effet déjà que :

« Le centre de gravité, donc, s'il était au repos pour les corps qui étaient sur le point de se choquer, sera au repos aussi après le choc, cela se produit de la même façon pour les corps semi-durs que pour les corps parfaitement durs et parfaitement mous. De là on montre que, si avant le choc il se mouvait, de même après il progresse d'un mouvement égal. [En français] que la mesme reflexion se fait quand l'un des corps seroit tout a fait dur ou d'un ressort parfait, pourvu que le mouvement respectif soit le mesme (35). »

Nous reconnaissons le contenu de la remarque précédente, extraite du Fragment 9 Codex Hugeniorum 7 A. La règle générale est donnée dans le même texte où Huygens énonce les données du problème non symétrique, mais où, tout comme dans ses remarques sur Wallis, les vitesses des corps sont supposées réciproques des grandeurs. Dans la mesure où le centre de gravité est ici au repos en C, le résultat d'un choc mou de A et В consiste dans la cessation du mouvement des deux corps. Notons que ce cas central, résolu avec élégance par Huygens dans la page qui suit l'énoncé, n'est pas contradictoire avec le principe selon lequel la quantité de mouvement peut augmenter ou diminuer dans le choc. En ce qui concerne la conservation de la quantité wv2, Huygens demeure silencieux dans ces pages. En effet, très logiquement, cette quantité n'est pas conservée et ne peut donc s'appliquer aux cas des corps mous, dissipateurs d'énergie. C'est sans doute la raison pour laquelle Huygens n'a jamais laissé trace d'une quelconque intention d'intégrer les règles du choc mou dans un traité unifié du choc. Il aurait, en effet, alors fallu émettre une hypothèse physique sur l'évanouissement de cette quantité, hypothèse pour laquelle la rhétorique leibnizienne de l'action est bien mieux adaptée que la simple acceptation par Huygens d'un principe opératoire de comparaison des quantités en wv2. Seuls les corps

(35) « Centrum gravitatis igitur si ad occursum tendentibus quiescebat, quiescet etiam post occursum, in hujusmodi semiduris seque ac in perfecte duris et mollibus. wide ostenditur, quod si ante occursum movebatur, etiam post eodem motu perget. » (Nous traduisons.) (« De semiresi- lientibus », OCH, t. XVI, 166-167.)

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44 Fabien Chareix

.v-*-.

Fig. 5. — Représentation des chocs semi-durs (in OCH, t. XVI, 162).

absolument durs confirment l'universalité de ce principe de conservation.

« A et В corpora mollia, A movetur celeritate АС, В celeri- îate ВС, quse šunt reciproce ut ipsa corpora, dico post concursum in C, manere utrumque immotum (36). »

Huygens est en effet à même de donner une règle simple qui s'accommode de la nature propre de chaque corps :

« On peut en premier lieu montrer que s'il en est ainsi [c'est-à-dire si les corps demeurent immobiles] alors dans tous les autres cas, si A se meut avec une vitesse quelconque AE et В avec une vitesse BE, après le concours en E, le centre de gravité commun qui se meut de С à E poursuivra à même vitesse vers V (37). »

V se trouve dans le prolongement de la ligne AE. Ce résultat absolument général est obtenu (38) en additionnant les vitesses ВС et AC initiales à la vitesse CE que, selon la méthode que nous lui connaissons, Huygens identifie à la vitesse du bateau qui transporte les corps, c'est-à-dire aussi à la vitesse du centre de gravité commun. La règle de Huygens se fonde précisément sur le fait que le centre de gravité conserve un mouvement identique avant et après le choc. Que l'on soit en présence de corps parfaite-

(36) : « A et В des corps mous, A se meut avec une vitesse АС, В avec une vitesse ВС, les vitesses sont réciproques des corps mêmes. Je dis qu'après le concours en C, les deux corps demeurent immobiles. » (OCH, t. XVI, 161.)

(37) OCH, t. XVI, 164, n. 1. (38) Comme le remarquent aussi les éditeurs des Œuvres complètes, qui ne reproduisent

toutefois la formule qu'en notes.

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La découverte des lois du choc 45

ment mous, qui demeurent unis après le choc, ou de corps « semi- résilients » ou d'un composé de corps de quelque nature que ce soit, cette règle est la même.

La préservation de l'universalité du principe de conservation des quantités mv1 supposait en première analyse que soit privilégié le cas des chocs parfaitement durs. Or de cet impératif issu des simples lois du choc, Huygens fait une hypothèse sur la constitution des corps premiers. Huygens s'oppose ainsi à Leibniz en tentant de faire voir combien sa compréhension générale de la constitution de la matière se soumet à l'impératif de l'homogénéité et se trouve directement commandée par la nécessité de conserver la validité de sa doctrine du choc, qu'une dureté par degrés rendrait bien plus complexe :

« II me semble qu'il est plus aisé d'accorder la dureté parfaite et infinie pour tous, que cette variété de forces pour différents corps. Car il est plus difficile de concevoir les raisons de ces différentes duretés que d'en admettre une seule, infinie. Ce serait imaginer plusieurs espèces de matières premières, alors que je n'en ai besoin que d'une (39). »

Quelle que puisse être ici l'assurance avec laquelle Huygens oppose sa construction de la matière à celle de Leibniz, différenciée dès l'origine, l'examen des différents milieux que Huygens est conduit à élaborer pour garantir la cause mécanique de la transmission de la lumière ou de la pesanteur, montre clairement toutes les difficultés auxquelles conduisent l'hypothèse d'une homogénéité des premiers éléments constituant la réalité matérielle. Il n'en demeure pas moins que nous pouvons voir la pensée de Huygens tendre vers l'élimination des considérations dynamiques trop grossières, lorsque ces dernières ne lui permettent pas de formuler un rapport de proportion utile. Ainsi en est-il de la notion de vis collisionis, qui, à peine ébauchée dans les manuscrits, se trouve éliminée dans les différents traités sur le choc des corps, au profit d'une notion métrique dans laquelle on identifiera de façon récurrente l'expression de la force vive. La relativité du

(39) Lettre à Leibniz du 12 janvier 1693.

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46 Fabien Chareix

mouvement est le moyen employé par Huygens pour atteindre le concept même de corps sans référence aucune à un principe interne d'individuation. Toute sa carrière de philosophe naturel voit donc Huygens construire patiemment une mécanique dans laquelle les notions qui possèdent une forte connotation dynamique sont rejetées au profit d'une stricte cinématique descriptive du mouvement. La physique huguenienne repousse tant et si bien toute doctrine de la substance qu'elle se complaît dans la connaissance nécessairement relative des simples phénomènes de mouvement. Leibniz qualifie à quelques reprises les règles du choc, et déjà dans Y Hypothesis physica nova de 1671, de Hugenij wrennique expérimenta, ou Phenomena, signifiant par là que ces règles se meuvent dans la simple apparence phénoménale sans atteindre à la racine causale de la phénoménalité. Le parcours de Huygens de 1652 jusqu'aux textes publiés de 1669 a eu le mérite de montrer que cette limitation de la mécanique aux strictes lois du mouvement relatif n'a jamais été ressentie par le savant Batave comme une imperfection. Le refus (40) de toute forme substantielle qui apparaîtrait dans la trame cachée des lois se fonde donc chez Huygens dans une pratique très précoce qui permet de mieux comprendre l'énergie qu'il emploie à la fin de sa vie pour rejeter une notion telle que l'attraction à distance newtonienne. Cette attitude de la maturité n'est pas un revirement, le coup de théâtre d'une carrière scientifique déclinante et en mal de fondement : elle est en parfait accord avec les premiers textes d'un physicien désireux de corriger quelques lois fausses de la mécanique cartésienne et qui, chemin faisant, en découvrit certaines autres.

(40) « Si donc on reconnaît dans cet énoncé la conservation de ce que Leibniz appellera "puissance" ou "force absolue", puis "force vive", ce serait trahir Huygens que de lui attribuer l'invention de ces notions ; jamais il n'aurait songé à considérer la formule de la somme des mv2, au motif qu'elle se conserve dans le choc direct de deux corps, comme un possible substitut de la quantité cartésienne de mouvement dans une fonction d'invariant universel et de mesure dynamique fondamentale. » (Voir G. W. Leibniz in Michel Fichant (éd.), op. cit., in n. 24, 25.)

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La découverte des lois du choc 47

Fig. 6. — {Codex Hugueniorum 26A, fol. 9 r°).

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48 Fabien Chareix

DOCUMENTS (*)

Manuscrits (1652). Codex Hugeniorum 26A, fol. 9 r°-v° (41)

Les passages entre 1 1 ont été raturés par Huygens.

fol. 9 r° 1. Si deux corps égaux parfait

ement durs et mus d'une même vitesse en des directions opposées se choquent entre eux, chacun d'eux sera réfléchi du même côté d'où il est venu, ne perdant aucun degré de vitesse.

I Si В était double de A et que mu d'une même vitesse dans des directions opposées ils se heurtaient, В demeurera au repos, mais A se dirigera vers la gauche, avec une vitesse initiale double I C'est faux. |en effet si la moitié du corps В heurte le corps A, elle est renvoyée vers la droite avec la même vitesse qu'elle avait en venant, mais l'autre moitié du corps В s'efforce de continuer avec la même vitesse vers la gauche. C'est pourquoi, nécessairement, tout le corps В n'ira pas dans cette direction. Mais le corps A acquerra une vitesse double. Car si A est poussé par un corps égal à soi, comme l'est la moitié de B, A acquiert la même vitesse en allant vers la gauche qu'elle n'avait quand elle

fol. 9 r° Si duo corpora asqualia perfecte

dura aeque celeriter in contrarias partes mota, inter se colliderentur, unumquodque in earn partem unde venit reflecteretur nulla parte celeri- tatis amissa (42).

I Si В esset duplum A et aeque celeriter mota, in contraria partes, col- lidantur, restabit В quietum, at A si- nistram versus movebitur, duplicata priori celeritate. I falsum. I dimidium enim corporis B, corpori A si occur- rat, reflectetur ad dextram ea celeritate quâ venit, atqui altéra medietas corporis В eadem celeritate pergere conatur ad sinistram. itaque totum corpus В necessario neque in Ulam partem movebitur. Corpus autem A duplam celeritatem acquiret. nom si à corpore sibi asquali hoc est à dimi- dio В impellatur eandem celeritatem acquirit ad sinistram eundi quâ mo- vebatur dextrorsum. at nunc impelli- tur a bis tanto corpore. Vel sic. Cum duo corpora a sibi mutuo occurrunt, eadem celeritas est eorum elongatio-

(*) Toutes les traductions sont de l'auteur de l'article. Remerciements à Judith Menget pour ses conseils précieux.

(41) OCH, t. XVI, 92-97. (42) « Primo, si duo ilia corpora, puta В & С, essent plane sequalia, & aeque velociter

moverentur, В quidem a dextra versus sinistram, & С illi in direction a sinistra versus dextram, cum sibi mutuo occurrerent, reflecterentur, & postea pergerent moveri, В versus dextram & С versus sinistram, nulla parte suas celeritatis ammissa. » Première règle du choc selon Descartes, Principia philosophias, pars secunda, in René Descartes, Œuvres, Charles Adam et Pierre Tannery, 11 vol. (Paris: Vrin-CNRS, 1964-1974), art. XLVI, vol. VIII, 68. (La reprise est quasi textuelle.)

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La découverte des lois du choc 49

se mouvait vers la droite. Mais dans le cas présent, il est poussé par un corps deux fois plus grand. Ou comme cela : lorsque deux corps se heurtent l'un l'autre, leur vitesse d'éloignement et de rapprochement est la même (car c'est cela seul que l'on doit attendre quelle que soit la force de collision) donc В demeure immobile après la collision, et il faut que A rejaillisse avec une vitesse double que celle qu'il avait en venant, afin qu'en des temps égaux, l'éloignement soit égal au rapprochement.

2. Posons A et В égaux, mais A au repos : В se meut vers lui. В demeurera immobile au lieu du concours, mais A se meuvra vers la gauche, avec autant de vitesse que В en avait initialement. La force de collision sera la même que si В heurtait le corps A avec la moitié de la vitesse qu'en avait son mouvement vers la gauche, A étant mu vers la droite avec la même vitesse réduite de moitié. Imaginons donc que cela arrive ainsi dans l'espace CDEF. Mais cet espace même est pendant ce temps transporté vers la gauche avec cette même vitesse dont nous avons dit qu'elle était la moitié de celle de B. Dans ces conditions, il apparaîtra qu'au regard de ceux qui, comme le point H, se tiennent hors de l'espace CDEF, A semblera être au repos et В en mouvement, comme il en avait été décidé au départ pour chacun d'eux. C'est pourquoi après la collision, il semblera à ceux qui seront transportés avec

nis quam accessus (43) (nom hoc unum tantum attendendum est quanta sit collisionis vis (44),) igitur quum В maneat post collisionem immotum, necesse est A duplo cele- rius retrocedere quam advenerat, ut asquali tempore asqualis fiat elon- gatio et accessus.

A О

"3

Fig. 6 a. — (détail de la fig. 6).

2. Si A et В sint aequalia A autem quiescat : et В ad ipsum pergat. Restabit В in loco concursus immotum, at A movebitur sinistram versus, tanta celeritate quantam prius habuit В (45). Eadem eût vis collisionis ac si В dimidia celeritate quam habet sinistrorsum motum occurrat corpori A, eâdem dimidia celeritate moto dextrorsum. Itaque imagine- mur haec ita contingere in spa- tio CDEF. Sed hoc ipsum ferri inte- rea sinistram versus eâdem quam diximus celeritate dimidia corpo- ris B. quibut fiet ut respectu eorum qui extra spatium CDEF constitua sunt ut H, videatur A quiescere et В moveri, ut utrumque ab initio po- situmfuit. Itaque post collisionem ijs qui cum spatio CDEF una vehe- rentur videbitur В dextrorsum reflec- ti, A vero sinistrorsum et utrumque cum dimidia celeritate ejus quam corpori В tribuimus respectu H. Sed quia eâdem dimidia celeritate navis posita est tendere sinistram ver-

(43) OCH, t. XVI, Prop. IV. (44) Notation dynamique vite abandonnée par Huygens, qui lui préfère un calcul ciné

matique des positions, ainsi que la représentation concrète du mouvement du centre de gravité commun.

(45) OCH, t. XVI, Prop. I.

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50 Fabien Chareix

l'espace CDEF que В est renvoyé vers la droite, tandis que A sera renvoyé vers la gauche, et chacun d'eux avec la moitié de vitesse que nous avons attribuée à В au regard de H. Mais parce qu'avec la même vitesse réduite de moitié le bateau se meut vers la gauche, il apparaîtra au spectateur en H que le corps В est au repos, mais que A se meut vers la gauche avec la même vitesse à laquelle В se mouvait initialement.

Axiome. I Et cette force donne au corps au repos une certaine vitesse, celle-là même peut donner au corps qui en possède deux fois plus que l'autre la moitié de sa propre vitesse. I

sus, apparebit spectanti ex H, corpus В quiescere, at A moveri sinis- trorsum ea celeritate qua prius mo- vebatur В.

6

Fig. 6 b. — (détail de la fig. 6).

Axióma. I Quas vis corpori quiescenti certam dat velocitatem, eadem corpori quod prions duplum sit dimidium istius celeritatis conferre potis est. I

Si A est au repos et que В le rencontre, В étant plus grand d'autant qu'on le veut, il ne donnera pas au corps A une vitesse double de la sienne, mais toujours moindre. Il faut, en effet, que les corps A et В après le choc se séparent avec la même vitesse qu'ils avaient d'abord en s'approchant (et cela sera évident si l'on entend que le corps В est au repos, et que A se meut vers B. Le corps В se mouvra en effet un peu vers la droite, mais A rejaillira presque avec la même vitesse qu'à son arrivée) mais В rencontrant le corps A perdra quelque peu de sa vitesse et continuera de se mouvoir vers la gauche, c'est pourquoi nécessairement A devra se mouvoir vers la gauche avec un peu moins que le

Si A quiescat et В ipsi allida- tur, sitque В quantumvis majus, non dabit corpori A velocitatem qua? sit duplas suae, sed semper mi- norem (46). Necesse enim est corpora A et В post collisionem aeque celeriter a se mutuo separari, atque prius accedebant. (atque hoc pate- bit si corpus В quiescere intelliga- tur, et A versus В moveri. paulum enim tantum movebit corpus В dex- tram versus, at A репе eadem celeritate quâ venit resiliet.) sed B corpori A occurrens paulum tantum de celeritate sua amittit et pergit si- nistrorsum moveri, itaque necessa- rio debebit A sinistrorsum moveri paulo minore quam dupla celeritate, ejus quam В habuit, ab initio, nempe ut eadem sit separationis

(46) OCH, t. XVI, Prop. VII.

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La découverte des lois du choc 51

double de la vitesse que В a eue initialement, et cela afin que la vitesse de déparation soit la même après la rencontre des deux corps, qu'elle n'a été lorsqu'il s'approchaient.

celeritas post duorum corporum occursum, quae fuit oppropinquan- di (47).

A О

Fig. 6 с. — (détail de la fig. 6).

fol. 9 v° Axiome 1 . La vitesse de sépara

tion après la rencontre de deux corps est la même que ce qu'elle fut dans l'approche.

En supposant un grand et un petit corps. Montrer d'abord que la vitesse de séparation est toujours la même que celle qu'il y avait dans l'approche. De là en effet, on peut prouver ce qui a été trouvé dans le cas de deux corps égaux.

I axiome 1 1 Ceux qui se trouvent dans un bateau qui avance ne perçoivent pas différemment le mouvement des corps qui se choquent que si le bateau se tenait immobile, ou bien comme si eux- mêmes se trouvaient avec ceux qui se tiennent hors du bateau. De là on démontrera que si l'on dispose de deux corps égaux, l'un heurtant l'autre qui est au repos, tout le mouvement se communiquera à celui qui était au repos, et celui qui était en mouvement demeurera immobile au lieu de la rencontre.

Un corps plus grand au repos, poussé par un corps, toujours le même et animé d'une même vitesse, recevra d'autant moins de vitesse

fol. 9 v° Ax. 1. \Eadem est celeritas se-

parationis post duorum corporum concur sum, quae fuit appropinquandi I

Per assumptionem magni et par- vi corporis. primo ostende quod semper eadem est velocitas separationis quando est eadem accedendi. inde enim in casu duorum corporum aequalium inventum probari potest.

\ax. I\ lis qui in navi sunt quae progreditur, corporum sibi in navi occurrentium motus non alius appa- ret quam si navis immota staret, vel ipsi una cum ijs extra navem essent. Idem de motu terras. Hinc demons- tratur quod si corpora sint duo aequalia alterum quiescenti impac- tum, omnis motus transibit in id quod quiescebat, et illud quod move- batur restabit immotum in loco concursus.

Majus corpus quiescens ab eo- dem corpore eadem celeritate impulsům minorem celeritatem acquirit quam corpus minus. Ex his demons-

(47) OCH, t. VII, Prop. IV.

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52 Fabien Chareix

que ce corps est plus petit que lui. Et par ces remarques, on peut démontrer qu'après le choc de deux corps, il ne demeure pas toujours autant de quantité de mouvement qu'il n'y en avait avant, c'est-à-dire dans le sens où les grandeurs multipliées par les vitesses des corps produiraient le même nombre qu'ils produisaient auparavant.

I axiome 21 Mais il est nécessaire que les carrés des vitesses multipliés par les grandeurs des corps produisent toujours le même nombre. De cela et du premier axiome, on tire la règle.

Si un corps 2 avec une vitesse 3 heurte un corps 1 au repos, il est contraint de donner à celui-ci une vitesse 4 et de garder pour lui une vitesse 1 dans la même direction. On peut montrer qu'un corps 1 avec une vitesse 3 heurtant un corps 2 au repos, donnera à celui-ci une vitesse 2 et gardera pour lui une vitesse 1, mais en rejaillissant dans la direction inverse.

I axiome 31 Si un corps A plus grand heurte В plus petit, mais que la vitesse de В est à la vitesse de A réciproquement comme la grandeur de A l'est à celle de B, alors chacun rejaillira avec la vitesse avec laquelle il est arrivé.

Une fois cela concédé, toutes les règles peuvent être démontrées. Même Descartes est contraint de le concéder.

trarepotest non semper post duorum corporum collisionem, tantumdem motus remanere quantum erat antea, eo videlicet sensu, ut corporum ma- gnitudines cum velocitatibus multipli- catas, eundem numerům producant quem prius producebant (48).

\ax. 2\ Sed necesse est quadra- ta velocitatum ducta in magnitudi- nem corporum semper eundem nu- merum producere. Ex hoc et primo ax. régula confîcitur.

Si corpus 2 cum celeritate 3 im- pactum corpori 1 quiescenti, conce- datur ipsi dare velocitatem 4 et sibi retinere veloc. 1 in eandam partem. Ostendi potest, quod corpus 1 cum celeritate 3 impactum corpori 2 quiescenti, dabit ipsi velocitatem 2, et sibi retinebit velocitatem 1 sed re- siliens in partem contrariam.

\ax. 3\ Si corpus A majus oc- currat В minori, sed velocitas in В sit ad velocitatem in A reciproce ut magnitude A ad B, turn utrumque cum eadem qua venit celeritate resi- liet (49).

Hoc concesso omnia demonstra- ri possunt. Cartesius autem conce- dere cogitur.

(48) OCH, t. XVI, Prop. VI. (49) Ibid., Prop. VIII.

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La découverte des lois du choc 53

Mais il faut voir s'il n'y a pas Sed videndum an demonstrari lieu de le démontrer par des princi- per notiora queat. pes plus universels.

Axiome. Si deux corps se heur- Axióma. Si duo corpora ex ad- tent en sens contraire, et que l'un verso sibi mutuo occurrant, unum- d'eux est rejeté en arrière avec la que eorum eadem qua venit celeri- même vitesse que celle qu'il avait tate retro feratur nihil de motu suo en venant, ne perdant rien de son amittens etiam alterum ea qua venit mouvement, alors aussi l'autre re- celeritate resiliet (50). jaillit avec la vitesse qu'il avait en venant.

Deux corps qui se heurtent l'un Duo corpora ex adverso sibi mu- l'autre en sens contraire, se sépa- tuo occurrentia pari celeritate sepa- rent avec la même vitesse qu'ils ont rantur qua et appropinquant (51). en s'approchant.

Traités et articles sur le choc (description analytique)

[A] Structure du De motu corporum ex percussione, in Opuscula posthuma, Leiden 1703 [rédaction dès 1656], OCH, t. XVI.

Hypothèses : I

Un corps quelconque, mis en mouvement, si rien ne s'y oppose, continue de se mouvoir avec la même vitesse et selon une ligne droite.

II « Quaecunque sit causa », les corps durs rejaillissent de leur contact

mutuel, deux corps égaux entre eux, de même vitesse, en rencontre directe, rejaillissent chacun avec la même vitesse.

III Les mouvements des corps et les vitesses égales ou inégales doivent être

entendus relativement comme ayant égard à leurs relations avec d'autres corps qui sont supposés comme en repos, quoique peut-être ceux-ci comme ceux-là soient sujets à quelque autre mouvement qui leur est commun. Dans la rencontre, quoique les deux corps éprouvent quelque autre mouvement égal (uniforme) ils n'agiront pas autrement l'un sur l'autre par rapport à celui qui est entraîné que si ce mouvement était absent dans tous.

Explicitation du modèle du bateau et affirmation que l'on aura besoin d'autres hypothèses pour les corps inégaux.

(50) OCH, t. XVI, Prop. VIII et Hypothèse V. (51) Ibid., Prop. IV.

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54 Fabien Chareix

Propositions : I

Si un corps en repos est frappé par un corps égal, ce dernier entre en repos mais celui au repos acquiert la même vitesse que celle qui était dans le corps poussant.

II Deux corps égaux se poussant avec des vitesses inégales se mouvront

après la rencontre avec des vitesses échangées (le bateau opère ici le rétablissement d'une condition de symétrie en ajustant la vitesse de translation).

Hypothèse : IV

Un corps plus grand rencontre un plus petit au repos et lui donne quelque mouvement, et par conséquent perd quelque partie de son mouvement (c'est l'hypothèse annoncée en hypothèse III).

Proposition : III

Un corps, quelque grand qu'il soit, poussé par un corps quelque petit qu'il soit, et d'une vitesse quelconque, est mis en mouvement (si peu que ce soit).

Le bateau met en évidence que pour un gros corps qui a l'apparence du repos depuis la rive (il a sur le bateau une vitesse égale et de sens contraire à celle qui anime le bateau relativement à la rive), la rencontre d'un corps quelconque plus petit entraîne une perte de mouvement, hypothèse IV : depuis la rive, le gros corps a dès lors l'apparence de se mouvoir).

Hypothèse : V

Deux corps durs se rencontrent : lorsque l'un d'eux a conservé tout son mouvement après la rencontre, l'autre également n'a rien perdu ni gagné.

Propositions : IV

Toutes les fois que deux corps entrent en collision, la vitesse relative d'éloignement est la même que celle du rapprochement. De deux corps égaux, cela est évident d'après la Proposition II. Preuve en plusieurs cas. Huygens conclut que ce principe de conservation est vrai dans toutes les apparences « quum rêvera ea celeritate separentur ». Rêvera est la marque du vrai hugonien, signe d'une fondation réellement relativisté de la mécanique à partir de deux corps et du mouvement réel, indifférent en quelque sorte du référentiel choisi.

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La découverte des lois du choc 55

V Si deux corps retournent de nouveau à la rencontre, chacun avec la

vitesse dont il a rejailli après le choc, ils acquièrent après le second choc la même vitesse qu'ils avaient avant le premier.

VI Dans deux corps qui se rencontrent la quantité de mouvement (in

utroque simuî sumpto) ne se conserve pas toujours la même après le choc, qu'elle était auparavant, mais peut augmenter ou diminuer (mais Huygens ne précise pas en quel sens orienté et à quelles conditions algébriques, on peut dire que la quantité de mouvement peut se conserver : les éditeurs supposent ici une volonté de ne pas prendre la défense de Descartes).

VII Lorsqu'un corps plus grand rencontre un corps plus petit au repos, il

lui donne une vitesse moindre que le double de la sienne.

VIII Lorsque deux corps dont les vitesses sont en proportion inverse de

leur grandeur se rencontrent, chacun rebondit avec la même vitesse qu'il avait avant le choc.

IX Deux corps inégaux se rencontrant directement, dont tous les deux ou

seulement l'un des deux est en mouvement, étant donnée la vitesse de chacun ou celle d'un seul lorsque l'autre est au repos : trouver les vitesses avec lesquelles ils se meuvent après les chocs.

X La vitesse qu'un corps plus grand donne à un corps plus petit en repos se

rapporte à celle que le corps plus petit avec la même vitesse imprime au plus grand en repos comme la grandeur du plus grand à celle du plus petit.

XI Dans le cas de deux corps qui se rencontrent, ce que l'on obtient en

prenant la somme de leurs grandeurs multipliées par les carrés de leurs vitesses sera trouvé égal avant et après la rencontre (les rapports des grandeurs et des vitesses sont donnés en nombres ou en lignes).

Lemmes I et П (propositions géométriques auxiliaires).

Propositions :

XII Si un corps quelconque se meut vers un corps plus petit qui est en

repos, il lui donnera une plus grande vitesse par le moyen d'un corps interposé de grandeur intermédiaire, de même en repos, que s'il rencontre ce corps sans aucun intermédiaire. La vitesse est maximisée lorsque ce corps interposé est moyenne proportionnelle entre les deux extrêmes.

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56 Fabien Chareix

XIII À mesure qu'un plus grand nombre de corps sont interposés entre

deux corps inégaux, dont l'un soit en repos et l'autre en mouvement, un plus grand mouvement pourra être communiqué au corps en repos. Mais le plus grand mouvement sera transmis par un même nombre de corps interposés lorsque ces corps constituent entre les deux extrêmes une suite continue de grandeurs proportionnelles.

Évaluation du gain en quantité de mouvement (en mouvement communiqué dans un impact dont Huygens ne cessera d'interroger la poten- tid). [Parenté avec la structure de la chute des corps en 1, 3, 5, etc.].

[B] Structure du De motu corporum ex mutuo impulsu hypothesis [1669], in OCH, t. VI, 336-343.

Hypothèses:

I Inertie, tout obstacle et toute influence de la gravité supprimés, l'objet

est dit pergere moveri perpétua celeritate, et secudum lineám rectam.

II Deux corps égaux, de même vitesse, rejaillissent avec la même vitesse.

III Le mouvement des corps et leur vitesse doivent être entendus relativ

ement (respective) à d'autres corps qui sont supposés au repos. Description du modèle du bateau : un expérimentateur en translation rectiligne uniforme peut se livrer à des expériences sur le choc tout comme si ce transport n'existait pas.

IV Hypothèse des deux observateurs effectuant, l'un sur la rive, l'autre

sur le bateau, la même expérience. Principe qui permet de passer d'une description à une autre (et de réduire tous les cas de chocs directs entre corps égaux mais de vitesses inégales au cas de symétrie) dans la mesure où « sive ipse [...] sive alius [...] repercussiones eorum corporum easdem fore mei respectu ».

Propositions :

I Lorsqu'un corps dur en choque directement un autre, égal et considéré

comme en repos, il y a transport de tout le mouvement et le premier corps entre en état de repos.

II Si cet autre corps est égal et lui aussi en mouvement sur la même ligne

droite, ils font un échange réciproque de leurs mouvements.

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La découverte des lois du choc 57

III Un corps si petit qu'il soit et quelque peu de vitesse qu'il ait, en rencont

rant un autre plus grand qui soit en repos, lui donnera quelque mouvement.

IV Trouver les celeritates qui résultent du choc.

[C] Structure des Règles du mouvement dans la rencontre des corps, in Extrait d'une lettre de M. Hugens à l'auteur du Journal, Journal des sçavans du 18 mars 1669, OCH, t. VI, 384-385,

et t. XVI, 179-181.

Règles : I

Lorsqu'un corps dur en choque directement un autre, égal et considéré comme en repos, il y a transport de tout le mouvement et le premier corps entre en état de repos.

II Si cet autre corps est égal et lui aussi en mouvement sur la même ligne

droite, ils font un échange réciproque de leurs mouvements.

III Un corps si petit qu'il soit et quelque peu de vitesse qu'il ait, en ren

contrant un autre plus grand qui soit en repos, lui donnera quelque mouvement.

IV Règle générale pour trouver les mouvements acquis par les corps durs

dans leurs rencontres directes. V

La quantité de mouvement qu'ont deux corps durs se peut augmenter ou diminuer par leur rencontre, mais il reste toujours la même quantité vers le même côté, après qu'on a soustrait la quantité de mouvement contraire.

VI La somme des produits faits de grandeur de chaque corps dur, mult

ipliée par le carré de sa vitesse, est toujours le même devant et après leur rencontre.

VII Un corps dur qui est en repos recevra plus de mouvement d'un autre,

plus grand ou moindre que lui par l'interposition d'un tiers de grandeur moyenne, que s'il était frappé immédiatement, et le plus de tous par un qui soit en grandeur la moyenne proportionnelle des deux extrêmes.

Suit l'énoncé d'une loi admirable de la nature qui est que le centre commun de gravité avance toujours également (uniformément) vers le même côté, devant et après la rencontre.

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58 Fabien Chareix

[D] Structure de A summary account of the laws of motion, communicated by Mr. Ch. Huygens in a letter to the R. Society

et Régulas de motu corporum ex mutuo impulsu, Philosophical transactions, 11 avril 1669, in OCH, t. VI, 431-433.

La structure est identique à celle de [C].

Tableau récapitulatif des écrits sur le choc, 1652-1669

[A] 1703 (1656) Hl

H2 H3

PI P2 (v Ф V)

H4 [le plus gros corps perd du mouvement]

P3

H5 P4

P5 P6 [la quantité de mouvement peut augmenter ou

diminuer, mais est égale dans la

même direction] P7

P8

P9 P10

Pli (loi en v2) P12 applications P13 dynamiques

[B] 1669

Hl H2

H3 [H4-bateau]

PI P2 [cas génér

al]

P3

P4

U

R2

RI

R2 [cas général]

R3

R5

R4

R6 R7a

R7b

1652 (fol. 9)

Ax. 1 bis [bateau]

« Axióma »

Ax. 1

Ax. 1 bis

Ax. 3 « omnia demonstrari possunt »

Ax. 2