Chaveaux. Histoire Maritime Africaine

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História Marítima Africana

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  • Monsieur Jean-Pierre Chauveau

    Une histoire maritime africaine est-elle possible ?Historiographie et histoire de la navigation et de la pcheafricaines la cte occidentale depuis le XVe sicle.In: Cahiers d'tudes africaines. Vol. 26 N101-102. 1986. pp. 173-235.

    AbstractJ.-P. Chauveau Is a Maritime History of Africa Possible? Historiography and History of African Navigation and Fishing on theWest Coast since the i$th Century.Historical works dealing with African societies' relationship to the sea indicate that they ignored the marine milieu or even found itrepulsive. The recurring environ-mental and historical arguments supporting this 'fact' are examined and criticized from the view-point of their inner validity. It is quite exceptional to find it examined in itself. Even so, such an examination is biased by therepresentative interference of external factorsmainly the 'great inland history' and the European expansion. The 'maritime fact'is held for null or negligible simply because it cannot be conceived within the frame of African historiography and its attendantnotions.In opposition to this interpretation, we are proposing an outline reconstruction of West African maritime history from theMauretanian to the Nigerian coast. The existence of marine foci before the coming of the Portuguese and their conti-nuity up tothe 2oth century are presented in their relation with the main environ-mental and historical factors. The conclusion sets forth thehypothesis that, far from being unilaterally determined by the 'European factor', West African maritime history has been aprecondition of Afro-European contacts and an important element in the development and shaping of European settlement. Thatis not without consequences touching the historical interpretation of the relations between 'economies-worlds'.(A note by G. Chauvet on The Repartition of Pathogenic Risks bound to Vector Endmies in Relation to Phytoclimatic Milieus isappended to this paper.)

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    Chauveau Jean-Pierre. Une histoire maritime africaine est-elle possible ? Historiographie et histoire de la navigation et de lapche africaines la cte occidentale depuis le XVe sicle. In: Cahiers d'tudes africaines. Vol. 26 N101-102. 1986. pp. 173-235.

    doi : 10.3406/cea.1986.2172

    http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/cea_0008-0055_1986_num_26_101_2172

  • Jean-Pierre Chauveau

    Une histoire maritime africaine

    est-elle possible

    Historiographie et histoire de la navigation et de la pche africaines la cte occidentale depuis le xve sicle*

    La nier veille le courage elle invite homme la conqute au brigandage mais aussi au gain et acquisition

    Hegel 1979 228.

    de rares exceptions prs les tudes anciennes et rcentes portant sur les relations des socits africaines au milieu maritime peuvent faire croire une Afrique prive de mer ou plus prcisment une Afrique coupe de ses mers puis passivement assujettie au destin forg par les conqurants ocaniques venus Europe Quelle tait importance cono mique et sociale relle des activits maritimes africaines Quel poids accorder ce problme en tant que facteur historique dans histoire globale de Afrique

    Avant de tenter quelques rponses il convient de dnnir le cadre une ventuelle histoire maritime africaine Nous entendons de manire spcifique le domaine maritime comme espace et les activits humaines dfinis par la prsence et utilisation de hydrosphre marine Nous le distinguons du domaine littoral qui concerne prcisment espace et les activits humaines lies au contact de la gosphre avec la mer

    vidence cette distinction est purement formelle espace marin exploit par les hommes ncessite utilisation du littoral et ne se comprend

    Ce travail est ralis dans le cadre du programme Sociologie et histoire de la pche maritime de Institut sngalais de recherches agricoles/Centre de recherche ocanographique de Dakar-Thiaroye et de quipe conomies en transition du dpartement Conditions un dveloppement indpendant de ORSTOM

    Cahiers tudes africaines 101-102 XXVI-l-2 ig86 pp 173-231

  • 174 JEAN-PIERRE CHAUVEA

    en fonction de la valorisation terre des produits ou de services tirs de cette exploitation Cette distinction est nanmoins ncessaire il agit comme ici de rendre compte des rapports spcifiques des socits ctires la mer et afin examiner ces rapports dans leurs manifesta tions les plus indiscutablement lies au milieu maritime nous restrein drons encore le domaine maritime spcifique Nous retiendrons unique ment la navigation et la pche en mer en excluant exploitation du sel et la rcolte des coquillages qui peuvent tre le fait de populations

    terriennes partir de milieux non spcifiquement marins estuaires rias salines naturelles du littoral)

    La distinction de ces deux domaines est donc opratoire que dans cette perspective particulire En outre cette distinction est pas une opposition pour les raisons dj avances Enfin la distinction elle-mme est pas toujours facile dans la mesure o les milieux maritimes et litto raux ainsi que le milieu hydrographique continental interfrent souvent aussi bien du point de vue de la morphologie ctire notamment par existence de rias comme la Casamance et les Rivires du Sud que du point de vue des activits humaines cas des populations vivant sur les cordons littoraux des formations lagunaires ou sur les rives des rias estuaires et deltas largement ouverts sur ocan Nous devrons donc nous en expliquer propos des principales situations que nous examinerons

    Une autre remarque doit tre faite concernant la distinction milieu marin/milieu littoral Si elle se rvle opratoire pour distinguer des domaines activits humaines spcifiques au prix de quelques difficults secondaires elle peut tre beaucoup plus contestable il agit de distin guer Vhistoire maritime de Vhistoire littorale ou ctire Ne risquons-nous pas entriner de fa on abstraite et formaliste une distinction au dpart simplement descriptive et de fonder arbitrairement sur existence un contexte cologique particulier une histoire spcifique

    Nous convenons malgr ce risque ou plutt en le conservant esprit de parler une histoire maritime entendant par l un domaine technique particulier de histoire dont le contenu demeure imbriqu histoire conomique et sociale africaine de la mme fa on par cons quent que histoire maritime de Europe tire ses lettres de noblesse de ce elle permet isoler des fins opratoires un secteur de activit humaine ayant une pertinence historique globale La question est donc pas affirmer priori importance de ce secteur activit en rapport avec un objectif plus ou moins clair de rhabilitation systmatique de histoire africaine dans ses moindres dtails Elle est plus simplement de ne pas interdire examen de ces activits de affranchir posment du poids des reprsentations unilatrales vhicules par les arguments ordre cologique et historique consacrs valuer enfin la place des activits maritimes dans histoire gnrale de Afrique de Ouest

    quitte en mesurer la modestie pourvu que les critres de cette valua tion soient tablis partir de la ralit interne des socits africaines On

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    voit par l quel point la constitution une histoire maritime est indis solublement lie autres dmarches disciplinaires appliques aux terrains africains celle notamment de anthropologie maritime

    valuation du facteur maritime prsente donc intrt aborder le domaine peu tudi des relations entre les socits africaines leur histoire et ce milieu particulier La faible curiosit suscite par histoire natu relle de Afrique maritime pour reprendre une intressante expres sion des rudits des xvne et xvine sicles pourrait se justifier par des raisons couramment invoques dans historiographie pour expliquer le faible investissement des Africains gard de ce milieu Cependant examen de ces raisons appelle la prudence et conforte les tudes peu nombreuses qui accordent au sujet une attention rigoureuse En effet ces raisons o motifs cologiques et motifs historiques semblent si bien se renforcer mutuellement paraissent analyse bien peu consistantes et pour tout dire procder une rationalisation posteriori partir de postulats et de reprsentations dont origine doit tre recherche dans un

    comparatisme sauvage prorient par les traditions maritimes europennes

    Appliqu au domaine maritime le thme cologie et histoire est donc pas seulement occasion approfondir une question peine dfri che Il permet galement aborder le problme du facteur cologique dans historiographie elle-mme et histoire des ides en rapport un domaine o le symbolisme culturel le got de aventure imaginaire voire de la spculation philosophique trouvent panouir spontanment Febvre 1957 Hegel 1979 228 sq. 277)

    est pourquoi nous procderons abord une revue critique de historiographie existant en la matire avant de rexaminer les princi pales vidences Pour des raisons matrielles et logiques que nous avance rons plus loin nous nous limiterons au cas de Afrique atlantique et au sein de celle-ci la portion du littoral maritime comprise entre la Mauri tanie et le Nigeria nous envisagerons essentiellement la priode des xve et xvie sicles comme illustrative de notre propos

    Le facteur cologique dans historiographie maritime africaine raisons cologiques raisons historiques ou histoire des ides

    Les rapports historiques entretenus par les socits africaines noires avec le milieu ocanique qui les entoure passent pour constituer un exemple typique voire caricatural de relations vitement ou de rpulsion Les travaux sur le sujet accordent globalement penser que environnement marin constitua pour ces socits un trs faible stimulant leurs capacits

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    organisation et exploitation un milieu donn Si la vocation terrienne des Africains favoris utilisation des eaux continentales pche commu nication transport) elle les dtourns de Ocan tnbreux Monod 1944 inverse du Sahara ocan constitua une vritable barrire laquelle les socits africaines adossrent sans vritablement en utiliser les ressources1

    ocan Atlantique plus encore que ocan Indien passe pour avoir rebut effort des hommes Ce dernier remplit une fonction de communi cation entre Afrique et Asie et plus tt que le premier entre le monde mditerranen et Afrique noire sans toutefois assurer le dsenclavement de hinterland oriental de Afrique Knappert 1985 Mollat 1980 Oliver 1970 tandis que la frontire atlantique Gautier 1935 fait du littoral ouest-africain un cul-de-sac de koumne Richard- Molard 1952 repris par Person 1970 puis par Barry 1981 Plus cat gorique encore Braudel 1979 373 croit constater que pour le Noir ocan comme le Sahara t ... une cloison tanche bien plus

    une simple frontire Plus nuanc mais dans le mme sens Har- greaves 1985 parle de confining force propos du rle de ocan Atlan tique sur histoire de Afrique de Ouest

    propos de ce non-investissement remarquable des socits africaines gard du milieu maritime les facteurs ngatifs ordre cologique et

    ordre historique semblent tre mutuellement renforcs Examinons-en les causes avances le plus couramment

    Les raisons cologiques effet interprtation de isolement africain

    II est usage de distinguer concernant influence maritime sur histoire de Afrique la priode prportugaise et celle du dblocage du continent Mauny 1965 par les navigateurs et commer ants europens propos de la premire la plupart des auteurs relvent les conditions dfavorables du littoral maritime pour expliquer la vocation maritime trs faible sinon inexistante des populations ctires ouest-africaines

    La dcoupe lourde et massive du continent africain encore plus nette ouest est depuis longtemps frapp imagination des auteurs

    Afrique point de les ni par consquent de ces golfes profonds par lesquels la navigation et le commerce pntrent jusque dans intrieur un continent ... La pauvre Afrique semblable un tronc sans branches ne possde aucun de ces prcieux avantages de notre Europe Des mers entourent sans doute mais exception de la Mditerrane ce sont des mers orageuses et redoutables point de ces

    BAUMANN WESTERMANN 1970 BRIDGES 1985 BRUNSCHWIG 1963 MAUNY 1965 MONOD 1944 OTTENBERG 1960 SAUTTER 1970

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    mers intrieures de ces golfes bien abrits qui ailleurs ont de bonne heure invit homme la navigation. Vulliet 1854 argument est repris par les auteurs contemporains de manire plus sophistique mais pas toujours plus nuance Outre effet de continentalit li son carac tre massif autres arguments orographiques gomorphologiques et climatiques sont venus ajouter pour amplifier loignement rel du continent Sautter 1970 et isolement des rgions ctires Houbert in Stone 1985 le phnomne de la barre les tornades la jonction difficile entre la mer et les fleuves soit ils coulent paralllement la cte soit que la barre les rapides envasement ou ensablement rendent difficile la communication) la barrire forestire sub-littorale et ponctuellement existence un relief montagneux prs de la cte enfin la faiblesse du plateau continental favorable la pche3

    Il faut ajouter cette liste de conditions dfavorables les facteurs pathognes attribus au milieu littoral et notamment aux mangroves ponctuellement prsentes peu prs partout sur le littoral du Sngal Angola Sutherland in Stone 1985) qui ont si fortement contribu associer aux rivages africains image du tombeau de homme blanc Curtin 1964 et les travaux de Hallet cits dans Bridges 1985 Sans inspirer autant de terreur emphatique au sicle dernier4 les patho logies habituelles des milieux forestiers et littoraux sont encore sponta nment interprtes par nombre auteurs comme les indicateurs un milieu beaucoup plus hostile que par exemple les savanes continentales Coquery-Vidrovitch 1985 Rieucau 1985 i6 Hargreaves 1967

    entre autres) Ainsi une accumulation de traits naturels dfavorables accs

    et exploitation du milieu littoral et maritime permet tayer par un argument dterministe la faible attirance des socits ouest-africaines pour ce milieu5

    Si le constat est pas rejeter sans autre forme de procs explication dnote un biais europocentrique incontestable dans lequel pourtant certains tenants de isolement maritime africain ne sont pas eux-mmes toujours tombs Ainsi Gautier 1935 relevait que le phnomne mme de la barre tait pas spcifique Afrique que le phnomne corallien

    Pour le domaine anglophone voir BROWN 1892-95 la nn du xixe sicle la croyance en existence une chane de montagnes dont les montagnes de Kong examines dans ce numro par Terray pp 241-2/19 parallle la cte occidentale de Afrique exacerbait encore isolement suppos des socits ctires PR VILLE 1894 59) Outre les travaux dj cits cf ANGOT 1961 MAUNY 1961 MABOGUNJE 1974 RIEUCAU 1985 Une citation propos de Afrique du professeur Mahe en 1875 MATHIS 1946 est symptomatique de cet tat esprit non disparu L-bas sur les rives empestes de Atlantique vous rencontrerez le redoutable sphynx de la Mala ria pernicieux Pr tee le fantme dlirant du Typhus le spectre livide et glac du Cholra le masque jaune du Vomito negro BRIDGES 1985 souligne le mme phnomne dans la littrature anglophone

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    inexistant ouest avait pas empch est des relations maritimes plus prcoces que les intempries marines taient plutt moins redou tables que dans Atlantique Nord ou la Mditerrane enfin que certains grands fleuves Afrique occidentale et autres plus petits avaient non seulement t des axes de pntration europenne mais constituaient aussi des axes de diffusion culturelle et conomique Sngal Gambie

    Rivires du Sud Niger Toutes choses confirmes par la littrature ancienne et gnralis du point de vue du gographe par Bridges 1985)

    actualit du dterminisme gographique malgr les ptitions de prin cipe thoriques laisse donc songeur Cela est autant plus tonnant que depuis fort longtemps Lucien Febvre 1922 avait propos du

    littoralisme fait un sort aux facteurs naturels pour expliquer atti rance ou la rpulsion pour le milieu ctier La contradiction de ce point de vue est particulirement significative concernant la morphologie ctire africaine cense tre peu favorable existence abris Non seule ment cela est pas vrai dans ensemble Gautier 1935) surtout si on se rfre aux embarcations utilises par les Africains eux-mmes depuis les pirogues dcrites partir du xve sicle dont certaines nous le verrons pouvaient tre de dimension et de tonnage respectables aux petits navires de type europen achets ou construits par les Africains et particulirement nombreux au xixe sicle mais en outre la vieille

    thorie des articulations littorales est toujours conteste gard de histoire europenne elle-mme notamment en ce qui concerne histoire maritime mditerranenne Febvre 1922 Parain 1936 Les littoraux rocheux ou indents plus frquents en Europe ne posent pas moins de problmes que les ctes sableuses et rectilignes de Afrique Sur les ctes plates les barques de la petite pche sont en dehors du travail hales sur les grves sur les ctes rocheuses o les abris ne manquent pas la communication des pcheurs avec la terre se fait au prix exer cices acrobatiques amnagement spcial des ports de pche est un fait tout moderne Vallaux 1933 756)

    On peut en dire autant de argument de la faible attractivit de la la pche maritime lie tat de la mer ou la faiblesse du plateau ctier Angot 1961 Mauny 1961 Ottenberg 1960 si les peuples mditerra nens passent pour une rfrence en ce qui concerne hospitalit du milieu littoral et maritime cela ne les dispensa pas emprunter leurs techniques de navigation les plus performantes aux navigateurs de la mer Rouge et de ocan Indien compris la mal nomme voile latine et plus tard aux marins nordiques la navigation contre le vent ils demeurrent en outre de pitres pcheurs compars aux populations de Atlantique Nord6 il convient de remarquer encore que la plus grande aptitude suppose

    LOTURE 1952 GUILLEUX LA RO RIE 1956 POUJADE 1946 PARAIN 1936 BESAN ON 1965 FEBVRE 1922 VAN LOON 1947

  • HISTOIRE MARITIME AFRICAINE 179

    des Mditerranens en matire de pche par rapport aux Africains ne peut tre attribue aux conditions environnementales en Mditerrane aussi le plateau continental est en gnral de faible dimension et les phno mnes upw elling remonte eau froide riche en sels nutritifs assurent un trs fort potentiel halieutique certaines portions du littoral africain7

    Enfin concernant la pathologie associe au milieu littoral il est difficile de conclure une inhospitalit marque de ce milieu en regard des autres zones cologiques On peut certes tablir des tableaux pidmiolo- giques caractristiques de chacune de ces zones Remy 1984 sans que on puisse rapporter le niveau de ralisation effective des risques patho gnes aux seules conditions naturelles autres facteurs tant tout aussi dterminants rsistance acquise niveau de vie .. Le caractre particulirement morbide attribu dans la littrature aux milieux fores tiers et littoraux tient certainement aussi au fait que leur pathologie davantage retenu attention des Europens dont ces milieux taient la zone accueil privilgie Schnapper 1961 Au xvne sicle dj Villault de Bellefond 1669 2- avait une vue plus nuance des choses en dpit du caractre intress de sa propre interprtation livre Colbert de abandon par les Fran ais des places commerciales de la Cte de Guine Il attribue la mauvaise opinion ils les Fran ais ont de la malignit de air mais il ajoute lors que je trouvay je ne pus remarquer avec un extrme regret adresse des Anglois Hollandois et Danois de nous avoir si fort imprim cette tant pernicieuse pense elle nous ait rduit jusques au point abandonner mesmes les places que nous

    tenions et dont ils tirent leurs plus grands profits galement cit par Tardieu 1847)

    En tout tat de cause autres rationalisations aussi arbitraires ont succd la malignit de air et celle des Anglais et autres Hollan dais pour renforcer ide que les milieux ctiers notamment ceux de mangroves et de forts sont soumis des risques pathognes plus grands que le milieu soudanien tat des connaissances pidmiologiques semble orienter vers des conclusions totalement inverses8

    Les raisons historiques

    effet interprtation de la grande histoire continentale sur histoire des socits ctires

    II ne peut tre question ici de rappeler ensemble des travaux historiques relatifs aux socits ctires Nous pouvons cependant avancer sans en forcer les conclusions que le milieu social historique du littoral de la

    Ce phnomne fut pressenti par quelques ocanographes ds le xixe sicle HISARD 1983 TARDIEU 1847 192-193 Nous renvoyons pour ces points importants annexe rdige par Guy Chau- vet pidmiologiste 1ORSTOM pp 237-239

  • l8o JEAN-PIERRE CHAUVEAU

    Mauritanie au Nigeria est gnralement caractris dans la longue priode par un peuplement ancien mais peu important initialement isol de espace maritime comme de intrieur du continent et dont les facteurs de transformation et volution seraient issus des courants historiques du monde sahlo-soudanien voire au-del des ensembles gyptien et mditerranen

    Le plus souvent associ aux effets de isolement naturel cet argument permet la plupart des auteurs de se dmarquer tout en utilisant du dterminisme gographique afin de souligner encore la dpendance de histoire conomique sociale et politique des peuples ctiers vis--vis de la grande histoire dont le thtre est ds avant le contact europen intrieur du continent Ce que Barry 1981 28 dit de la Sngambie galement cit par Diaw 1983 peut tre gnralis ensemble des socits ctires ouest-africaines un cul-de-sac o les vagues culturelles venues de est epicentre de la civilisation soudanienne venaient expirer sur les plages un ocan qui ne menait nulle part notre traduction)

    La dpendance saharienne et soudanienne ne se manifesterait pas seulement dans le domaine des institutions politiques sociales et cultu

    relles mais galement dans le domaine du peuplement lui-mme Celui-ci depuis fort longtemps est considr comme le produit de migrations et infiltrations progressives originaires de la savane continentale ou pri- forestire et orientes vers le monde clairsem peu volu des tribus atlantiques dont les lointains prdcesseurs sont associs aux vestiges archologiques ctiers Il est sans doute inutile alourdir la bibliographie par des rfrences qui illustrent cette affirmation la raret des travaux effor ant de la relativiser notamment Hopkins 1973 Wondji 1985 est plus pertinente pour notre propos9

    Notre attention est pas de remettre en cause importance et la permanence des effets de histoire saharienne et soudanienne sur le littoral occidental mais de nous tonner de unilatralit uvre dans la reconstitution historique des socits littorales dont la spcificit demeure ngative quoique paradoxalement continuellement repro duite dans la mesure o on connat peu de choses sur les tribus littorales ou les aborignes de la cte seul importe ou est retenu effet de diffusion des traits soudaniens ce compte le milieu interne de ces socits chappe analyse pour des raisons qui ne tiennent pas seule ment au manque informations Les socits ctires ouest-africaines doublement et ngativement marques par leur caractre littoral et forestier sont considres selon un modle historique qui pas objet propre soit il agisse de fuyards ou de refouls soit lorsque valua-

    interprtation soudano-centrique est pleinement dveloppe dans notam ment les ouvrages gnraux dits par AJ AYI ESPIE 1972 AJAYI CROW- DER 1974 DESCHAMPS 1970

  • HISTOIRE MARITIME AFRICAINE l8l

    tion se fait positive que ces socits manifestent par origine de leur peuplement ou leur niveau organisation sociale avance de la civilisa tion continentale

    Il en rsulte une interprtation rgressive et sans fin de histoire des socits ctires dont aboutissement est une simple aporie leurs caractres ngatifs isolement faiblesse dmographique soumission aux pressions continentales leur confrent des traits distinctifs voire une anciennet et une unit fondamentales dont les effets dans le temps dterminent une trange passivit historique En des termes diffrents et malgr son originalit et son intrt le rcent ouvrage de Wondji 1985 reproduit le mme modle historique que Branger-Fraud un sicle plus tt propos des tribus aborignes du littoral de la Sngam- bie au golfe de Guine Maclaud 1907 argument historique ne fait que redoubler argument cologique selon un effet de reprsentation sem blable rapport cette fois non plus au dfaut avantages naturels mais

    excs des productions historiques continentales effet interprtation est tel que vocation des rares vnements

    antrieurs aux contacts europens concernant histoire maritime propre ment dite est rapporte la grande histoire continentale ou aux influences extra-africaines anciennes Ainsi les tentatives faites au tout dbut du xive sicle par le sultan du Mali de lancer des expditions mari times de deux mille pirogues sur Atlantique constituent une rfrence sans cesse reprise par les auteurs qui efforcent de prouver existence une ancienne navigation hauturire en Afrique noire10 tentatives taxes invraisemblables hautement improbables ou voues chec par autres Gaudefroy-Demombynes in Umari 1927 Mauny 1961 1970 Dans sa dfense erudite de histoire de la pche et de la navigation maritime africaines Surgy 1969 lie leurs origines au foyer culturel et technique du delta central nigrien et hritage un fonds culturel carien venu des rives de la Mditerrane par le Soudan historique ou par les priples antiques ainsi rhabilits avec prudence cependant Citons galement du ct des historiens de la navigation la filiation tablie par Poujade 1946 entre les pirogues peron et bords du Sngal rputes pour leurs qualits matines et les embarcations phniciennes Ou encore les extrmits en queue aronde des pirogues ouest-africaines consi dres par Jones cit par Smith 1970 comme indice une diffusion technique indonsienne

    Tout se passe comme si utilisation et les techniques exploitation du milieu marin ne pouvaient tre simplement imputables aux socits littorales elles-mmes qui ne donneraient pas des preuves volution sociale conomique et politique suffisante pour assurer exploitation un milieu difficile mais aussi parce que historiographie courante

    io JEFFREYS 953 et DIAW 1985 Cissokho Van Sertima et Heyerdhal cits par DIAW 1983 Niane cit par WONDJI 1985

  • l82 JEAN-PIERRE CHAUVEA

    ne du foyer culturel europen est nourrie une vision trs spcinque de ce milieu Il en rsulte pour histoire maritime un biais considrable comparativement par exemple histoire de exploitation des eaux continentales bien que de nature diffrente la premire est clipse par la seconde qui est cense selon un modle evolutionniste sans utilit pour historien et anthropologue en fournir les cadres interprtation Par cette remarque nous entendons pas nier les difficults propres la connaissance de histoire maritime africaine ancienne ni ignorer les relations entre celle-ci et la navigation et la pche continentales ou lagu- naires Mais ici comme propos des arguments cologiques la connais sance du milieu social littoral seule susceptible alimenter histoire maritime africaine se heurte un obstacle qui est pas seulement d aux lacunes de la documentation Bien au contraire nous possdons plus de tmoignages europens anciens sur histoire littorale et maritime que sur histoire de utilisation des eaux continentales..

    Cet avantage se trouve pourtant invers dans la littrature aux termes des nombreuses recherches historiques et anthropologiques plus curieuses du continent que de sa priphrie maritime Malgr son caractre pionnier et sa valeur documentaire article de Smith 1970 sur la pirogue dans histoire ouest-africaine est pas dnu de prsupposs de cet ordre notamment en ce qui concerne hypothse une faible volution des techniques de construction maritime De mme la difficult de traiter en soi les techniques spcifiquement maritimes et leurs implications politiques et sociales apparat encore dans son travail ou dans celui tout aussi remarquable par ailleurs de Diaw 1983 1985)

    Le poids de histoire soudanienne sur les socits ctires mme il est incontestable dans la longue dure suscite au niveau de interprta tion des effets pervers inhibe priori la connaissance intime leur chelle propre des productions sociales africaines spcifiques environnement maritime Associ argument cologique de isolement de Afrique par la mer il transforme en lieu commun et en vrit naturelle hypo thque et la tare maritimes qui psent sur Afrique Aussi est-il pas tonnant que les travaux rudits sur conomie politique de utilisation du Niger soit souvent appels la rescousse pour rhabiliter la navigation et halieutique africaines Tymowski 1967 1970 Roberts 1981 tandis que la civilisation maritime des Bij gos reste par exemple largement ignore Mota 1974)

    Un mme effet inhibition de la connaissance vis--vis du milieu mari time affecte interprtation gnrale du contact avec les Europens

    Les effets chelle de la thorie du dblocage continental par les navigateurs europens

    Ouverture de Afrique la mer dblocage du continent rattache ment de Afrique littorale koumne les mtaphores sont suffi-

  • HISTOIRE MARITIME AFRICAINE 183

    samment suggestives pour que on se dispense de rappeler ici quel point la dcouverte de Afrique par les Europens influ dans le sens de ethnocentrisme sur les interprtations globales de histoire du continent

    Sans contester ampleur des effets conscutifs au contact direct avec imprialisme europen historiographie rcente commence prendre la mesure des dynamiques et des conditions internes au milieu africain qui expliquent au mme titre que les facteurs exognes lis imprialisme le mode spcifique intgration de Afrique conomie mondiale Ce rquilibrage concerne prcisment des facteurs exognes dont la dimen sion maritime est vidente comme attestent les dbats sur importance et les effets de la traite des esclaves le maintien du commerce trans saharien et continental en dpit de la concurrence atlantique les condi tions endognes de passage de la traite au commerce lgitime puis exportation maritime massive de produits agricoles ou encore comme facteur historique prdominant dans la longue dure importance compa re du commerce atlantique et de la pntration de islam Ces rvalua tions en cours ne compensent pas cependant le caractre unilatral couramment associ au facteur europen dans histoire africaine postrieure au xve sicle

    Le renversement go-politique opr par les changes maritimes et les implantations ctires europennes eut pour effet global affecter au littoral ouest-africain une importance stratgique nouvelle Nous ne dtaillerons pas les consquences qui en rsultrent dans histoire du littoral au sens le plus gnral du terme luttes influence entre les dispositifs politiques et conomiques de hinterland pour assurer accs

    la mer ou mme le contrle direct une portion de la cte transforma tions des voies et rseaux changes entre la cte et intrieur effets diffrentiels de la nouvelle conomie littorale sur les diverses fractions de la cte ouest-africaine. Nous voulons plutt insister sur effet interpr tation qui en rsult relativement histoire maritime qui nous int resse ici Conjugue interprtation soudano-centriste de histoire ctire pr-europenne ouverture des contacts et changes maritimes sous gide des navigateurs commer ants et traitants europens fait ngliger encore davantage les activits maritimes des socits ouest- africaines crite la fin du xvne sicle par Brue directeur de la Compa gnie du Sngal Saint-Louis apprciation suivante rsume assez bien impression gnrale que on peut tirer de la littrature actuelle par une concidence extraordinaire les populations de Afrique achevaient leurs migrations travers ce continent et en occupaient les dernires terres au moment o les Europens prsentaient pour la premire fois au xve sicle Avec eux cessait histoire des grandes migrations de peuplement et commen ait sous leur gide histoire conomique et sociale vritable du littoral..

    On comprend ds lors que histoire maritime ait gure proccup les chercheurs abord annexes et reflets lointains de histoire soudano-

  • 184 JEAN-PIERRE CHA VEAU

    sahlienne les activits maritimes ont t cantonnes au rle auxiliaires des transformations littorales histoire maritime de Afrique ne pou vait tre histoire de la navigation europenne dicte par les progrs technologiques de Occident les contraintes des vents et courants oca niques et les emprunts africains cette technologie Quant histoire sociale des navigateurs africains elle ne pouvait tre celle de la domi nation et de exploitation exerces par les dispositifs europens implants localement Gutkind 1985 illustre bien ce point de vue rducteur en assimilant histoire des piroguiers de la Cte de Or Ghana actuel celle de la fraction des canoemen qui furent directement utiliss par les tablissements coloniaux11 Corrlativement les Krumen passent pour le parangon de adaptation aux activits maritimes dans les socits afri caines alors que la spcialisation de ces populations du Libria et de la Cte Ivoire dans les activits lies la navigation europenne est rcente dbut xixe sicle et relve typiquement un assujettissement au dispo sitif colonial

    Cet effet chelle qui fait prendre la partie pour le tout tait rendu invitable par la comparaison des techniques nautiques europennes et ouest-africaines isoles de leur contexte global respectif et ramenes celui conflictuel et ingal des relations afro-europennes Il accrut encore avec valuation pjorative porte sur histoire littorale elle- mme en dpit de quelques vidences

    Histoire maritime africaine et histoire des ides

    Avant examiner ces vidences il convient au risque de nous rpter de prciser notre propos

    Les contraintes du milieu existent mais elles ne sont pas des facteurs isolement aussi rdhibitoires on le prtend Il est un particulier ncessaire de ne pas confondre de manire aussi ethnocentrique les conditions des relations maritimes interafricaines avec celles des relations ocaniques intercontinentales les premires ne sont pas en soi ngli geables parce que les secondes manifestent un aspect caractristique de expansionnisme europen inversement il est pas ncessaire de vouloir dmontrer toute force souvent de fa on peu convaincante existence une navigation africaine ocanique pour rhabiliter les pratiques mari times des socits du littoral ouest-africain Davis 1970)

    En ce qui concerne les dterminants historiques la dpendance du peuplement et de la dynamique sociale du littoral ouest-africain avant arrive des Europens vis--vis des courants issus des savanes continen-

    ii Dans le mme ouvrage mais portant davantage sur la navigation lagunaire article de MANNING 1985 rend compte une situation beaucoup plus complexe

  • HISTOIRE MARITIME AFRICAINE 185

    tales est incontestable Mais elle exclut pas que les socits littorales constituent en elles-mmes un objet pertinent pour les analyses historiques et anthropologiques influence exerce par les grandes civilisations soudanaises est une tape dans laboration une synthse rgionale sur ces socits Wondji 1985 et mthodologiquement pas forcment la plus importante sous peine de rduire histoire histoire du peuple ment et les processus de production historique des phnomnes de diffusion culturelle

    Quant aux dterminants historiques postrieurs tablissement sur la cte de imprialisme informel europen ils ne peuvent tre limits des causes exognes et unilatrales Sinon le risque serait grand de considrer histoire des relations entre Afrique et la mer comme la simple illustration rductrice et finaliste du mouvement vainqueur

    en occurrence le colonialisme triomphant port par sa matrise des mers dont avnement aurait t autant plus facile que les aptitudes et les techniques maritimes des peuples africains auraient t ngligeables Peut-on se contenter de ces explications avances couramment par les historiens et non des moindres le caractre le plus original et le moins remarqu des Africains est sans doute leur horreur de la navigation. Brunschwig 1963 sur le littoral atlantique de Afrique] le navire Europe ne rencontre ni rsistance surveillance Il dispose une absolue libert de man uvre se porte l o il veut commerce l ou il lui plat. Braudel 1979 373

    On peut rapprocher de ce biais mthodologique imputable ethnocen- trisme la faible curiosit porte tude des activits maritimes afri caines Cela est encore plus vrai pour Afrique de Ouest atlantique car les influences extra-africaines prcoces dans ocan Indien ont comme par consquence davantage attir attention des spcialistes sur les activits maritimes en Afrique de Est voir Mollat 1980 et Essai une thorie ethnographique sur cette aire de navigation par Pou- jade 1946 eh 5)

    Afrique atlantique est moins bien lotie Depuis les synthses de Monod 1944 et Mauny 1961 1965 plutt dcourageantes quant aux connaissances escomptes de tude des activits maritimes africaines seuls notre connaissance Smith et Diaw dj cits ont tent un rexamen des vidences le rcent colloque Aberdeen sur Afrique et la mer Stone 1985 fait le point sur quelques questions historiques et cologiques gnrales12 tat des informations reste donc sans commune mesure avec les synthses disponibles sur les productions continentales et leurs aspects sociaux et conomiques Or rien ne dit que la pche et la navigation maritimes furent moins importantes que bien autres activits

    12 Voir entre autres les apports de HARGREAVES 1985 BRIDGES 1985 Sutherland et Mc Intyre STONE 1985

    i4

  • l86 JEAN-PIERRE CHAUVEAU

    bien tudies On ne peut que regretter absence de suite donne des projets enqute systmatique le plus ancien qui soit connu grce au professeur Monod 1977) tait une enqute sur les pches aux Ctes de Guine dans le premier quart du xvine sicle un autre concernait la navigation en Afrique lanc par Poujade en 1948 Enqute. 1948)

    historiographie de la navigation et de la pche europennes et de leurs rivalits sur les ctes africaines ne nous est pas un grand secours les activits maritimes africaines sont pas prises en considration de manire comprehensive Mauro 1959 signale simplement un type africain de pirogue Il est ailleurs significatif que les termes gnriques utiliss pour dsigner les embarcations africaines aient jamais t originaires Afrique noire ce fut abord le terme almadia almadie inaugur par les Portugais et origine arabe puis aprs la dcouverte du conti nent amricain par les Europens le terme cano en anglais ou canoa en portugais et celui de pirogue en fran ais tous sont alors drivs de termes indiens carabes13 La notation des termes locaux est trs rare dans quelques crits du xvne sicle comme Dapper 1686 297 Jones 98 7o La seule utilit de historiographie de la navigation euro

    penne concernant notre sujet est de nous permettre apprcier les emprunts technologiques par les marins africains si on est auparavant capable de retracer volution des embarcations africaines

    historiographie sur la pche aux ctes africaines fait galement tourner court nos esprances Il agit toujours des pcheries europennes dont les premires sur les ctes du Sahara remontent au xve sicle ou de projets de dveloppement des pcheries dont un des plus anciens aprs celui auquel se rfrait probablement enqute du dbut du xvine sicle dj voque est publi par abb Baudeau en 1788 autres suivront celui de Labarthe en 1802 puis celui de Berthelot 1840 Ici encore leur intrt se limite pour les plus rcents indication em prunts technologiques possibles par des pcheurs africains emprunts surestims dans certains cas

    Les informations ordre historique publies sur la question doivent tre recherches davantage dans les travaux localiss mens par des historiens et des non-historiens Nous en ferons un survol rapide dans la seconde partie de cet article On peut cependant signaler pour le carac tre exemplaire de leur orientation les travaux historiques de Surgy 1969 et avec les limites dj signales de Gutkind 1985 sur la Cte de Or Les historiens Boulgue 1968 et Moraes 1976) occasion de leurs recherches sur la Sngambie donnent de prcieuses indications sur la navigation et la pche du xve au xvn sur ces ctes

    La pche bien plus que la navigation elle-mme retenu attention des travaux monographiques importance conomique de cette activit

    13 BARBOT 1732 Mauny citant Jal in de LA FOSSE 1949 BONNEFOUX PARIS 1980 JONES 98 CARREIRA 1964 MORICE 1958

  • HISTOIRE MARITIME AFRICAINE 187

    sur laquelle Voltaire pas ddaign de tendre dans son Sicle de Louis XIV... toujours suscit et continue de dterminer essentiel des travaux consacrs aux activits africaines atlantiques comme cela est vrai pour anthropologie maritime en gnral Poggie 1980 Breton 1981 Cet aspect intress nous vaut en fin de compte importantes infor mations sur le sujet depuis le dbut du sicle bien que foncirement non historiques les tudes soutenues ou publies par les autorits coloniales et administratives sur la pche constituent un intressant corpus analyse14

    Il existe en outre sur la navigation et la pche africaines bien des indications dans les rcits de voyages publis et bien autres non exploi tables sans recherches particulires dans les archives -Les tmoignages et les traditions conserves sur le sujet permettent rarement de remonter trs loin dans le temps comme est malheureusement le cas dans beaucoup de domaines de la vie conomique o les techniques ont connu de grands changements Ils permettent pourtant de mesurer le caractre volutif de ces activits et de se dfier du qualificatif de traditionnel qui leur est trop souvent associ

    Les difficults mthodologiques ne suffisent pas expliquer que histoire des activits maritimes africaines soit reste nglige Les effets de reprsentation des arguments de isolement de la prpondrance de la

    grande histoire soudano-sahlienne et du poids de la dcouverte europenne ont certes largement contribu carter de ce domaine la curiosit des chercheurs Les divers ethnocentrismes soudanien et europen ont donc fortement pes en rduisant notamment le problme historique de exploitation du milieu maritime celui de la navigation ocanique et en suscitant juste titre de cet unique point de vue la quasi-ignorance par les ouvrages spcialiss des techniques africaines Toute cette cte africaine atlantique est reste primitive dans art de

    construire ou utiliser des bateaux On pourrait gnraliser cette indi gence ensemble du monde atlantique par opposition au monde indo pacifique rsume Angot 1961 136)l5 Le mme phnomne est percep tible dans les ouvrages ensemble sur la pche o cependant les formes ouest-africaines sont mieux prises en considration grce influence des travaux de Gruvel au dbut du sicle sans toutefois beaucoup de souci de leur volution par exemple Thomazi 1947 Au total la pche africaine figure peu dans les bibliographies gnrales16

    14 Par exemple pour AOF et sur la pche indigne GRUVEL 1913 industrie de la pche. 1925 CADENAT 1948 POSTEL et al 1950

    15 Voir aussi VAN LOON 1947 LOTURE 1952 Pour les travaux consacrs aux techniques de navigation exotiques voir LAMBERT 1749 que nous avons pas pu consulter et PARIS 1841-45 BIDAULT 1945 fait davantage place aux exemples africains surtout pour la navigation continentale

    16 Par exemple GIASSON 1981 Nous avons pu consulter la bibliographie de LANDBERG 1973 ni les travaux de SMITH 1977 La rcente synthse dite par Bela GUNDA 1984 ne fait pas mention des communauts africaines

  • l88 JEAN-PIERRE CHAUVEAU

    On peut penser que la drive europocentrique gard de histoire africaine est trouve comme renforce propos du milieu maritime La mer semble en effet constituer un lment trs significatif des schemes de reprsentations que les Europens se font de leur propre historicit

    de leur ethnohistoire spcifique telle elle transparat aussi dans la production savante17 a-t-il pas par exemple une certaine navet irrflchie dans la fa on ont les historiens examiner trs srieusement

    nigme de la navigation asiatique Malgr leur avance technique ces navigateurs ont pas en effet entrepris la conqute relle des mers du globe laissant aux Europens le soin de la raliser et accomplir ainsi ordre naturel des choses..

    est donc en fonction de cette vision historique trs singulire faut- il dire de cette pistm il faut envisager historiographie de histoire maritime africaine esprit de conqute aventure et de trafic Vallaux 1933 apparat pas suffisamment pour susciter les interpr tations historiques au mme titre que les aires de navigation indo-asia tiques ou du Pacifique plus forte raison histoire maritime africaine parat-elle ngligeable compare celle des grands empires maritimes commencer par le premier entre eux empire portugais interprtation en est toujours rvisable selon des considrations o la psychologie collective est pas absente Braudel 1979 Febvre 1957 Le milieu de la mer est trop archetypal pour que rien en transpire dans la sphre de la connaissance elle-mme

    Associ Afrique lment ocanique demeure encore plus charg des reprsentations dont la gnalogie remonte Antiquit o dj affirme image de Ouest africain comme frontire du monde Frobe- nius 1949 ocanographie fantasmagorique du Moyen-Age qui tait pas forcment partage par les vritables spcialistes de la navi gation Medeiros 1985 Fall 1982) succd une reprsentation scienti fique nourrie arguments cologiques et de faits de mentalit la vritable phobie africaine gard de la mer Ce est videmment pas un hasard si rudit professeur Monod 1944 repris al-Idrissi in Van-Chi- Bonnardel d 1977 55 le terme de tnbreux pour qualifier ocan qui baigne les ctes africaines

    17 Rappelons que John LOCKE 1722 consacr deux volumes histoire de la navigation et un sicle plus tard HEGEL 1979 276-277 attribuait au rapport avec la mer spcifique des socits europennes avnement un type homme plus universel et acquisition du principe de la libert de la personne singulire Les histoires gnrales de Europe antique et mdivale abondent en notations sur importance du facteur maritime HICKS 1973) par exemple est trs rvlateur par la relation il tablit entre ce facteur et non pas seulement histoire gnrale mais plus prcisment histoire des mcanismes conomiques qui seront origine du capitalisme Voir aussi la rfrence maritime dans histoire du terme ngoce cf les travaux Emile Benveniste)

  • HISTOIRE MARITIME AFRICAINE 189

    historiographie ne reflte certes plus hui le sentiment de mystre et inaccessibilit inspirait ocan occidental de Afrique noire Mais les raisons cologiques et historiques qui la sous-tendent sont-elles trs loignes des arguments qui opposrent trs tt dans la conscience occidentale les rivages de Ouest africain l o la terre prend fin et intrieur du continent dispensateur or Medeiros 1985 Oppo sition encore plus tranche partir du xville sicle avec avilissement de Afrique ctire par esclavage qui redoublait en quelque sorte sa sauvagerie en comparaison de la richesse et du caractre non corrompu de intrieur du continent Curtin 1964 Cohen 1981 Hopkins 1973 Cet avilissement pargnait ailleurs pas les Europens eux-mmes leur influence civilisatrice se dgradait au contact prolong du milieu littoral les urs de la population europenne des loges forts et comp toirs effarouchaient dj les voyageurs paisibles Sinou 1985 La rumeur des concentrations urbaines pour la plupart situes sur la cte et o activent hui la plus grande partie des pcheurs marins et dockers africains ne risque-t-elle pas de faire penser bientt que comme ces villes espoir et de misre les activits alimentent ocan ne sont pas vraiment Afrique

    La conscience ou inconscient scientifique est pas insensible au facteur cologique On ne se tourne pas vers histoire maritime pour

    les mmes mobiles que vers histoire du commerce ou des productions continentales Le rcent intrt pour anthropologie maritime illustre comme on peut attendre le poids des enjeux conomiques de la pche aprs expansion rapide des pcheries industrielles conscutives

    la Seconde Guerre mondiale les surpches intervenues dans les zones habituellement frquentes obligent exploiter de nouveaux stocks animaux marins Les eaux africaines constituent donc un enjeu cono mique et donc de savoir depuis que la rglementation internationale tendu dans les annes 1970 la souverainet des tats ctiers une zone conomique exclusive de 200 milles Sans doute est-ce la raison un discours nouveau sur avenir maritime de ces tats alors que ce est manifestement pas toujours le cas la richesse halieutique des diff rentes parties de Ouest africain est fort mal partage et que la mise en

    uvre un dveloppement des pcheries les mieux dotes est une affaire difficile18

    Toutefois la dtermination conomique ses limites pour expliquer histoire des ides et la manire dont peut tre pense la relation des hommes un milieu particulier agissant de Afrique le milieu maritime

    18 Malgr ses grandes potentialits exemple de la pche angolaise et sa rgression depuis indpendance du pays illustre ces difficults de fa on dramatique Pour Ouest africain voir par exemple TROADEC 1982 SUTINEN POLLNAC JOSSE- RAND 1981 Pour le Sngal voir par exemple WEBER FONTANA 1983 CHAUVEAU 1985a

  • JEAN-PIERRE CHAUVEAU

    est pas le seul exemple une cristallisation tout fait particulire des reprsentations du savoir sur le sujet Un autre grand domaine le milieu forestier est par exemple susceptible de la mme dmarche Le facteur cologique ou selon les termes de Morton-Williams 1969) the envi ronmental problem est au ur de interprtation historienne elle- mme avant que tre un objet de la connaissance historique

    Esquisse une gographie historique des activits maritimes en Afrique de Ouest19

    II ne agit pas comme convenu embrasser histoire globale des rgions ctires et de rexaminer point par point facteur continental et facteur europen dans interprtation qui en est donne Ce travail de synthse historique partir des nombreuses tudes menes sur les socits ctires dborderait le cadre de cet article Il risquerait en outre de manquer objet qui nous intresse savoir les formes sociales et histo riques spcifiques produites par les socits africaines dans leur rapport au milieu maritime Entrons donc de plain-pied dans les activits signi ficatives de ce rapport la pche et la navigation de transport et de pche

    Il va sans dire que ce travail ne se veut pas exhaustif mais plutt programmatique En dpit de sa relative nouveaut le projet une histoire maritime ouest-africaine rvle en effet peine constitu la richesse du corpus documentaire utilisable La bibliographie dj trop longue de cet article en donne un faible aper u20 Il agit donc plutt de dfricher et de problematiser un domaine dont ampleur pour tre mconnue dpasse le cadre de ce texte orientation Il en va ainsi tout particulirement de la critique des sources sur laquelle je ne tendrai pas exposant par consquent aux foudres de Clio21

    19 Les noms des diffrentes portions de cte ports sur la carte 194 Sngambie Rivires du Sud Cte du Vent Cte Ivoire Cte de Or Cte des Esclaves correspondent des appellations qui peuvent tre anachroniques entre elles

    Les appellations europennes taient pas encore fixes poque des xvie et xvne sicles qui retiennent davantage notre attention et en outre elles ont fluctu par la suite Nous avons donc choisi pour des raisons de commodit les termes qui paraissent les plus vocateurs pour la longue priode au xixe sicle Dans le texte nous nous rfrons aussi aux portions de cte dli mites par les frontires contemporaines Mauritanie Sngal Guine Bissau Guine Sierra Leone Libria Cte Ivoire Ghana Togo Bnin Nigeria

    20 Il existe pas ma connaissance de bibliographie systmatique sur le sujet concernant Afrique de Ouest Pour la pche voir FOOD AND AGRICULTURE ORGANISATION 1975 Les tentatives de bibliographie pour le Sngal sur la pche et la navigation CHAUVEAU l985a et sur les aspects gnraux de his toire littorale CHAUVEAU 98 illustrent abondance des sources possibles

    21 Les emprunts informations entre les auteurs anciens et rcents est une difficult redoutable pour la priodisation historique de mme que les variations entre les textes originaux et les traductions Voir entre autres DELAUNAY 1985 JONES 1986 Par ailleurs la relative raret des documents durant la

    priode portugaise rend malaise la connaissance des activits maritimes africaines aux xv et vi sicles

  • HISTOIRE MARITIME AFRICAINE ICI

    insuffisance de ce point de vue de la prsente tude suscitera peut-tre comme je espre tant pas historien le dsir des historiens aller voir un peu plus prs >22

    Une premire constatation impose sur laquelle il nous faudra revenir pour en apprhender les causes la relative permanence dans le temps des principaux foyers activits maritimes sur la cte ouest-africaine comprise entre la Mauritanie et le Nigeria du XVe sicle poque actuelle On peut rsumer la situation en distinguant une trs large portion du littoral o ces activits sont importantes ou notables et deux zones situes aux marges de celle-ci o elles sont trs peu dveloppes les ctes de Mauri tanie et la partie du littoral comprise de est du Ghana au Nigeria Au sein de la portion que on peut qualifier de maritime les socits se sont cependant tournes de fa on ingale vers exploitation du milieu marin Celles de la cte sngambienne et de la Cte de Or ont t et demeurent les plus impliques dans la navigation et la pche

    La gographie historique des activits maritimes doit toutefois viter accumuler sans souci chronologique les notations sur les diverses parties de la cte23 Les activits maritimes connurent en effet malgr la permanence qui vient tre souligne de fortes fluctuations dans le temps Nous insisterons ici titre illustration introductive sur les informations relatives aux premires phases de la prsence europenne xve et xvi sicles correspondant la priode de la domination portugaise24

    Les principaux foyers activits maritimes aux xve et xvi sicles

    Les auteurs du xve sicle comme Zurara Ca da Mosto Gomes de La Fosse ou Pereira qui crit au dbut du xvie sicle mais dont les observations sont relatives au dernier quart du xve attestent existence courante de la navigation ctire et de la pche en mer au moment de arrive des Portugais sur les diffrents points du littoral de 1441 au cap Blanc 1471 au Nigeria)25

    22 image de Karine Delaunay qui entreprend une recherche historique sur la pche sur les ctes des Quaqua et de Or Cte Ivoire occidentale et Ghana oriental Je prends connaissance galement du travail iNiKORi 1986 pour la priode 1750-1850 que je ai pas consult

    23 est le reproche que on peut adresser au travail prcurseur de SMITH 1970 pour qui the canoes still in use and still being built by traditional methods presumably differ little from those of the past and something may thus be learnt from them

    24 Pour cette priode les emprunts informations un auteur un autre sont minimes Nos rfrences sont cependant incompltes Nous avons pas dpouill en particulier BARROS 1945- BR SIO 1958-79 BLAKE 1942

    25 ZURARA 1960 CA da MOSTO 1974 GOMES 1959 de LA FOSSE 1949 PEREIRA 95

  • 192 JEAN-PIERRE CHAUVEA

    Les techniques de pche ne sont gure prcises emploi en mer de mets peut tre cependant tenu pour certain Trs tt vers 1434-1436 les navigateurs avaient rapport des ets utiliss au Rio de Oro en de de notre zone enqute qui avaient fait admiration de infant du Portugal Au milieu du xve sicle da Mosto avait not la vente de

    ets de coton traduction de Scheffer sur le march proche de la capitale du souverain du Senega mais sans doute agissait-il engins utiliss sur le fleuve ou les lacs de la rgion Pereira nous donne plus tard une preuve de existence avant le contact europen de cette technique le cabo das Redes aux environs Accra Ghana aurait t nomm ainsi cause des nombreux ets trouvs en cet endroit au moment de sa dcouverte exception de la marine de embou chure du Sngal o elle est expressment notifie et une portion du littoral kru Liberia o les pcheurs aventurent deux et trois lieues en mer la pche retient peu attention des Europens sur la partie du littoral oriente nord-ouest-sud-est Elle semble plus intense ou plus spectaculaire sur la Cte de Or embouchure du rio de Laguoa actuel Bandama en Cte Ivoire et surtout sur la cte fanti du Ghana aux environs du fort portugais Elmina les Noirs ici vivent de la pche

    Les notations sur les embarcations sont plus prcises que sur les tech niques de pche Elles concernent la taille le moyen de propulsion et moins souvent leurs fonctions La taille est trs variable une rgion une autre elle est value quelquefois par comparaison avec des types embarcations europennes et le plus souvent par le nombre de personnes embarques Les plus grandes sont dcrites au cap Vert trente-huit personnes embouchure de la Gambie et dans cette rivire de la taille une grande barque et qui notre mode appellerait cha land sur le littoral de Guine Bissau faisant face archipel des Bij gos aussi grandes une caravelle mais moins hautes sans doute parce que dmunies de bords rehaussant les flancs de la pirogue monoxyle au cap de Sagres face aux les de Los trente quarante personnes au niveau de le Sherbro Sierra Leone o il est question de grandes pirogues sans autre prcision embouchure de la Sierra Leone cin quante hommes au niveau du rio de Laguoa enfin la taille est pas prcise mais elle devait tre suffisamment grande puisque ces pirogues munies de capuchons comme voile possdaient un chteau avant Il est probable que certaines pirogues du Ghana devaient tre au moins aussi grandes que celles du rio de Laguoa aprs les informa tions du xvne sicle mais cela est pas prcis dans les documents consults Les plus grandes Ethiopie Ethiopie dsignant alors Afrique noire sont aprs Pereira celles du rio Real rgion de Bonny et de New-Calabar au Nigeria qui portent quatre-vingts hommes elles semblent cependant uniquement utilises sur le delta et sur le fleuve du Niger et non en mer libre

  • HISTOIRE MARITIME AFRICAINE 193

    Ces embarcations de grande taille coexistaient avec de petites pirogues Celles-ci sont mentionnes embouchure du Sngal ou sa rgion litto rale au cap Vert o les grandes pirogues dj signales semblent avoir t exceptionnelles sur le rio Grande Guine Bissau dans les parages du cap Sainte-Anne Sierra Leone au Libria Ces petites pirogues embarquaient deux trois plus rarement quatre personnes

    Petites ou grandes les pirogues alors taient toutes monoxyles dnues de bords et de superstructures exception des chteaux avant des pirogues de Cte Ivoire et que on imagine ailleurs malaisment Toutes taient uniquement propulses par des pagayeurs debout ou genoux selon les rgions sauf encore ces mmes embarca tions assez mystrieuses du rio de Laguoa dcrites par Pereira qui utili saient galement des capuchons comme voile il devait ailleurs agir plutt de capes planes que de capuchons dans acception contemporaine de ce terme26 Elles rasaient la mer de fleuve en fleuve

    da Mosto 1974] et ne loignaient pour pcher que de deux ou trois lieues aprs plusieurs estimations Navigation strictement ctire par consquent qui excluait pas cependant que la terre fusse perdue de vue

    Les fonctions de ces pirogues ne sont pas toujours prcises Elles apparaissent fort diverses L o elles embarquent un nombre important de marins et de passagers elles servent au transport mme quand cela est pas explicitement not cap Vert Gambie Guine Bissau Guine Sierra Leone Ce transport concerne aussi des marchandises sel de Gambie et de Sierra Leone mais il agit alors plutt de navigation estuaire et de rivire comme sur le rio Real au Nigeria et transborde ment en mer de produits de traite contre la malaguette et dj les esclaves sur actuelle cte librienne On peut ajouter sans crainte de se tromper que ce moyen de transport est galement utilis par les pcheurs- agriculteurs cultivant un terroir insulaire comme le Sherbro ou aux les de Los dont la frquentation par des continentaux est releve certainement aussi dans archipel des Bijagos Enfin les pirogues sont utilises sur certaines portions du littoral comme appareil de guerre Sherbro en Sierra Leone notamment contre les navires portugais Niomi en Gambie Sherbro et plusieurs portions du littoral sierra-lonais)

    Les informations relatives au xvie sicle confirment ingale rpartition des activits maritimes au long du littoral ouest-africain27 En rsumant

    26 Est galement tonnante la description un chteau avant partie la moins protge de la pirogue Une telle protection ne impose que dans le cas o un abri est dj amnag arrire Peut-tre agissait-il un pont avant surlev o aux moments favorables un piroguier pouvait utiliser en guise de voile une pice non mate

    27 FERNANDES 1951 Almada cit par MOTA 1974 TARDIEU 1847 BOUL GUE 1967 Andrade in BOUL GUE 1967 Rainolds in BOUL GUE MARQUET 1971 Lbelfing in JONES 98 Hawkins et Towrson in HAKLUYT 1927

  • Principales rgions productrices or Principaux reliefs

    Principaux foyers anciens activits maritimes

    Principales rgions productrices de noix de kola

    Biotopes lagunaires ou estuariens

    Limite septentrionale de la foret dense semper virente

    Principales exploitations de sel littoral

    Les foyers maritim

    es et les activits conomiques rem

    arquables de hinterland xV-xvie sicle)

  • HISTOIRE MARITIME AFRICAINE 195

    les choses il en ressort la configuration suivante o nous excluons immense delta maritime du Niger entirement tourn vers la pche estuaire et le transport de produits le long du fleuve)

    Les ctes sngambiennes sont parcourues par de petites pirogues en bois de fromager servant la pche et au transport La pche semble particulirement active sur la Petite-Cte sngalaise du cap Vert au Saloum non compris un filet actif avec ouverture coulissante parat trs efficace Fernandes le poisson est sch la fin du sicle Almada dcrit des pirogues de transport parcourant la cte un fleuve autre en dpla ant des voiles cit par Boulgue 1967 208 Nous reviendrons sur la question de adoption de la voile qui caractrise plutt le xvne sicle. Entre la Petite-Cte et la Gambie embouchure et les les du Saloum constituent un domaine la fois maritime et estuarien L les pirogues de guerre contiennent soixante quatre-vingts et mme cent hommes selon Fernandes En ce tout dbut du xvie sicle les pirogues rencontres entre Joal et Gibandor peuvent transporter de trois douze hommes et trois quatre vaches Ce sont ces mmes pirogues qui sont probablement utilises pour acheminer vers intrieur cette fois les coquillages sches conditionns en grande quantit Gibandor Saloum pour tre vendus sur les marchs des autres peuples Ce qui correspond peut-tre un essor des activits maritimes sur la Petite-Cte sngalaise semble concurrencer les activits commerciales maritimes de la Gambie Gray 1940 Cependant les almadias de guerra mui formosas mandingues Almada 1946 permettent organiser des razzias esclaves sur le pays

    feloupe Basse-Casamance ce qui occasionne une rivalit entre ces marins de Gambie et les marins-guerriers bij ago galement razzieurs de

    Feloupes Mota 1974) Les Bij ago occupent alors une position dominante dans le foyer

    maritime voisin de la Sngambie celui qui correspond au littoral de Guine Bissau Leurs pirogues combattent celles des Beafadas conti nentaux et imposent leur loi milles en mer Mota 1974 Entre ces deux foyers embouchure de la Casamance est une zone de moindre activit les groupes constitutifs de actuelle ethnie diola sont peu favo rables au dveloppement activits maritimes qui renforceraient les risques hgmonie des groupes banuk ou mandingues de intrieur Les Falupos imposent mme la cessation des changes embouchure de la

    Casamance dans les annes 1570 et 1580 Pourtant eux aussi possdent de grandes pirogues dcrites par Fernandes au dbut du sicle comme pouvant transporter cinquante et soixante hommes mais dans ce cas elles servent dfendre un blocus volontaire et probablement se dfendre des incursions mandingues de Gambie et de celles des Bij ago et aux transports dans la rivire plutt assurer les contacts maritimes28

    28 Andrade in BOUL GUE 1967 Almada cit par BOUL GUE 1967

  • JEAN-PIERRE CHAUVEAU

    Le troisirne grand foyer maritime se trouve en Sierra Leone Comme au sicle prcdent navigation continentale et navigation ctire sont troitement associes Les grandes pirogues de guerre transportant jus

    cent vingt hommes voluent plutt en rivire mais les Bullom Bol es semblent alors dvelopper une stratgie tourne vers la mer

    ils vivent au bord de la mer aussi loin que on peut naviguer en pirogue dit leur propos Fernandes 1951 81 la navigation fluviale de trans port du sel et du fer allie une notable activit de pche et de transfor mation du poisson de mer fum et non plus sch comme sur la Petite- Cte sngalaise ibid. Il convient de noter ici que comme en Casa- mance la go-politique droit de cit La Sierra Leone est le thtre partir du milieu du xvie sicle de mouvements de populations et de guerres invasion dtermins par la pousse des Mandingues vers la fort et la cte Nots par Hawkins Almada et Andrade poque ces troubles sont suivis par les diffrentes vagues de invasion rou Massing 1985 Dapper 1686 confirme un sicle aprs la dimension maritime des guerres et mentionne interdiction faite par les envahis seurs carous de consommer du poisson cailles Ces vnements sont corrlatifs usage des grandes pirogues de guerre dans les conflits arms Hawkins in Hakiuyt 1927 et lment qui nous intresse plus par ticulirement de notations moins prcises sur les autres activits mari times Peut-tre les populations insulaires ou continentales rfugies dans les les proches du littoral souffrent-elles moins de ces troubles John Hawkins cit par Hendrix 1985 dcrit les pirogues de le Sherbro de belles proportions agrablement dcores et capables de porter vingt trente hommes en pleine mer et une soixantaine prs de la cte

    Entre la Sierra Leone et la future Cte de Or est toujours le littoral librien surtout partir de la rivire Cess qui fait objet des principales observations Les petites pirogues de deux et trois hommes servent la pche et la traite29

    Le dernier foyer activit maritime et sans doute le plus important avec la Sngambie est la portion ghanenne du littoral tendant Axim au pays ga est Accra Les parties du littoral les plus avances dans les activits maritimes et particulirement la pche correspondent

    emplacement des forts construits par les Portugais ou aux environs de ces forts Towrson cit par Surgy 1969 Les tablissements portugais font pleinement sentir leurs effets sur les activits de pche de transport ctier et de transbordement entre les navires et la plage aprs le fort Elmina bti en 1482 les Portugais construisent ceux Axim et de Shama En outre Anglais Fran ais et surtout Hollandais commencent frquenter

    29 Il agissait du transport de ivoire et de la malaguette sur les navires europens Lubelfing in JONES 8 Towrson in HAKLUYT 1927 note que les habitants forgent eux-mmes les instruments en fer ncessaires la construction des pirogues

  • HISTOIRE MARITIME AFRICAINE 197

    la cte Les rapports des manns africains avec les Europens ne sont ailleurs pas forcment leur dsavantage Gutkind 1985 croit voir dans les mouvements hostilit des canoemen Elmina la marque une oppression portugaise on peut tout aussi bien voir les signes une ngociation difficile pour les Portugais qui envisagent alors utiliser des esclaves dociles et moins prompts que les Fanti attaquer pour dfendre leur point de vue les navires portugais comme indique Gutkind

    La permanence des foyers maritimes anciens dans la longue dure

    Les informations relatives aux xve et xvie sicles indiquent une conti nuit certaine dans la localisation des principaux foyers activits mari times entre le moment o les Portugais reconnaissent les ctes de Ouest africain celui o ils tablissent des points de contact et changes rgu liers et la priode dbutant la nn du xvie sicle o les autres nations maritimes europennes disputent aux Portugais leur monopole sur les ctes africaines Avec le xvne sicle commence nanmoins une autre poque de histoire du littoral et de Afrique tout entire Le dveloppe ment des changes et de la traite esclavagiste accompagne de transfor mations des activits maritimes africaines sur lesquelles il est impossible de tendre ici

    Un bond considrable travers le temps permet de constater au XXe sicle ce sont ces mmes portions de cte qui demeurent les princi pales fournisseuses de travailleurs de la mer Gruvel 1913 industrie de la pche. 1925 Sutinen Pollnac Josserand 1981 Depuis le dbut du sicle les activits de transport par pirogues ont beaucoup dclin sans toutefois totalement disparatre elles sont encore notables par exemple entre la Petite-Cte sngalaise la Gambie et la Guine Bissau o elles recouvrent souvent comme en Guine des pratiques de contre bande En revanche la pche maritime piroguire est quant elle normment dveloppe On la trouve surtout dans les foyers maritimes

    historiques ou prise en charge par des populations migrantes origi naires de ces foyers cas des populations wolof et lebu du Sngal des Nzema et Fanti du Ghana)30

    30 Sur les pcheurs wolof et lebu voir en particulier LECA 1934 NE 1983 BALANCIER MERCIER 1952 Il faut galement inclure les Serer-Nyominka de estuaire du Saloum parmi les groupes de pcheurs sngalais originaires de foyers anciens ayant considrablement largi leur aire gographique activits maritimes LISSIER 1966 VAN-C HI-BONNARDEL 1977 eux trois ces groupes assurent essentiel de la pche artisanale piroguire de Mauritanie du Sngal de la Gambie et de Guine Bissau les dbarquements de la pche piroguire sont considrablement plus importants que ceux de la pche indus trielle pche hauturire non dbarque localement exclue Les pcheurs sngalais sont intervenus ou interviennent ponctuellement en Guine et en

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    Ces foyers ont cependant subi entre-temps des variations dans leur tendue dilatation ou au contraire contraction de leurs aires depuis les xve et xvie sicles) quelquefois aussi des reconversions vers des activits qui demeurent maritimes mais ne sont gure traditionnelles par exemple les Kru du Libria et de la Cte Ivoire spcialiss dans les travaux de force bord des navires europens ou dans les ports On ne relve un seul cas de transformation profonde en occurrence dans le sens de la rgression celui de la zone de Guine Bissau compre nant les les Bij gos o la navigation et la pche ont connu un tonnant dclin

    Malgr ces volutions les documents mettent en relief la continuit sur la longue priode des activits maritimes africaines et de leur rpartition gographique le long du littoral du xve au xxe sicle31 Cette stabilit marque permet de tester les principales explications avan ces propos du rapport la mer des socits africaines Nous en avons examin en dtail les hypothses elles apparentent bien souvent nous avons vu des postulats implicites et des prconceptions cultu relles dans la logique interne de lew dmonstration Il convient maintenant de les confronter aux rsultats de la reconstitution des faits du pass re constitution fort incomplte et volontairement limite la priode portugaise mais qui en dpit de cela permet entrevoir un renouvelle ment des hypothses concernant successivement le fait maritime africain influence des variables environnementales sur celui-ci le poids du facteur continental et celui du facteur europen dans la gogra phie historique des activits maritimes ouest-africaines

    Le fait maritime africain

    vidence les activits maritimes avaient des fonctions on ne doit pas sous-valuer Nous avons signal les principales navigation de cabo tage de passagers et de produits locaux transbordement entre les navires europens et le littoral de produits de traite guerre transport de guer riers occasion combat de pirogues opposition au mouvement des navires europens et pche en mer Celle-ci et volution de ses tech niques mriterait une description la mesure de son importance dans la

    Cte Ivoire Sur les pcheurs ghanens essentiellement nzema fanti et anio ces derniers reprsentant un cas de transition assez rcent mais solidement tabli entre la pche lagunaire et estuarienne et la pche maritime GROVE JOHANSEN 1968 GROVE 1966 voir IRVINE et al 1947 LAWSON KwEl 1974 SuRGY 1969 Ces pcheurs ghanens migrent en compagnies en Cte Ivoire au Libria au Togo et au Bnin

    31 On ne peut citer ici les trop nombreux ouvrages utiles la connaissance des activits maritimes du xvue sicle la priode contemporaine Voir entre autres JONES 1986 pour les Ctes de Ivoire et de Or CHAUVEAU 98 pour la Sngambie

  • HISTOIRE MARITIME AFRICAINE 199

    vie matrielle des socits ctires africaines on se contentera ici de signaler la place de la pche maritime la ligne ou au filet dans alimen tation de ces socits et dans les changes avec les peuples de intrieur

    Le caractre systmatique de ces changes dans les foyers maritimes historiques et leur aspect gnral bien que plus occasionnel hors de ces foyers32 permettent de penser que la pche ne fut pas moins importante par ses implications conomiques et sociales que par exemple le sel ou la noix de kola qui ont pourtant davantage retenu attention cet gard la production halieutique est gnralement place dans la mme situation ambigu que la production agricole dans interprtation historique centrale quant la satisfaction des besoins alimentaires mais trs peu prise en considration dans les formes diffres de valorisation de la production changes et commercialisation au nom du principe de auto- subsistance dominante des socits africaines Pourtant les documents poque abondent en notations relatives change de biens de subsis tance notamment change de sel marin et de poisson transform sch brais ou fum selon les rgions contre des produits agricoles de int rieur33 La forte demande de poisson transform engagea mme au xvne sicle les Hollandais tranquer la vieille ou grosse morue en ralit une espce de mrou pche et sale par eux Arguin sur la Cte de Guine Labat 1728 Golbry 1802)

    Les informations des xve et xvie sicles montrent il existait une multiplicit de types de pirogues selon leurs fonctions et leur rgion origine Leurs transformations ultrieures du xvne sicle nos jours

    rien de moins traditionnel que les pirogues sngalaises ou gha nennes actuelles par exemple si on les compare aux descriptions et gra-

    32 Il existe peu de rfrences prcises aux formes de ces changes dans les sources primaires des xve et xvie sicles Elles portent surtout sur le ngoce de coquil lages sches qui avec le sel semblent constituer essentiel des productions littorales dans les changes avec intrieur Les travaux rcents dsignent cependant le poisson sec sal ou fum comme un lment notable du trafic DICKSON 1971 CURTIN 1975 DAAKU 1970 JONES 98 Les indications sur ce sujet deviennent explicites partir du xvne sicle et surtout au xvine sicle o la pche maritime est signale notamment en Sngambie et sur la Cte de Or comme alimentant un commerce orient vers des marchs prcis Voir pour le xvne sicle Mares Mller JONES 98 RUITERS 1969 Coelho Dubois Paris in MORAES 1976 BOSMAN 1705 Loyer in Rous- SIER 1935 Chambonneau in RITCHIE 1968 est aussi partir du xvne sicle que la pche en mer apparat en Sngambie comme une garantie contre la famine en cas de calamit agricole sauterelles scheresse MORAES 1976 BECKER 1982)

    33 Au point que certains auteurs ont voulu voir une spcialisation complmentaire des produits et des changes entre les peuples pcheurs ou fabricants de sel du littoral et les peuples agriculteurs de intrieur Cela t surtout not propos des peuples lagunaires Loyer in ROUSSIER 1935 VERDEAUX 1981 MEMEL- FOT 1980 pour la Cte Ivoire GROVE JOHANSEN 1968 pour le Ghana WILSON 1984 pour actuel Bnin importation de produits alimentaires de intrieur pour les peuples du delta maritime du Niger est bien connue Voir par exemple PEREIRA 1956 Sur le commerce du poisson de mer dans cette mme rgion voir BOSMAN 1705 21e lettre)

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    vures des ouvrages anciens34 se sont opres partir acquis techniques antrieurs et expriences trs diverses volution des techniques de navigation au contact des techniques europennes ne doit pas tre con ue comme un phnomne linaire et massif nous verrons que les emprunts furent slectifs et que la dpendance technique la plus forte au xxe sicle fut au contraire celle des activits europennes gard des techniques africaines

    Il avait donc pralablement arrive des Europens des foyers maritimes africains notables Que ces foyers fussent localiss ne constitue en aucune manire la preuve de leur faible importance est l une constante des activits maritimes quels que soient la priode ou le continent concerns Febvre 1922 Besan on 1965 Que ces activits se soient dployes uniquement preuve du contraire Davis 1970 dans une zone ctire limite ne restreint en rien intrt de la question Il serait absurde valuer leur importance historique aune de la navigation intercontinentale et de la pche hauturire ce compte au xve sicle les Malayo-Polynsiens auraient t les seuls pou voir tre qualifis de marins ils taient les seuls connatre vraiment la haute mer Vallaux 1933 754-755)

    Quelle place accorder aux conditions naturelles de la localisation des anciens foyers maritimes africains

    Les variables environnementales et le fait maritime

    Concernant la morphologie ctire divers facteurs doivent tre distingus En premier lieu et oppos des prconceptions courantes il pas de corrlation entre la localisation des foyers africains anciens et la morphologie littorale elle-mme Rivages dominante sableuse et recti- ligne Petite-Cte sngalaise plus tard partir du xvine sicle Guet- Ndar et la Grande-Cte sngalaise rivages alternativement sableux et rocheux dpourvus abri du Libria et de la Cte de Or littoraux dcoups des estuaires et rias de la Sngambie mridionale du Saloum

    la Casamance) des estuaires de Guine Bissau et de Sierra Leone on ne peut dire que les activits maritimes aient t privilgies par un type de littoral dtermin35

    34 Le recueil systmatique de iconographie relative aux pirogues africaines se rvlerait trs prometteur Dans certains cas les emprunts un auteur autre une priode autre peuvent donner des indications supplmentaires en fonction des modifications apportes Voir par exemple la gravure de la Vue de Ruf sque dans BARBOT 1732 et sa reprise par DURAND 1802)

    35 Parmi les nombreux routiers et ouvrages instructions nautiques voir BOU T- WILLAUMEZ 1845 KERHALLET 1851 Les publications de la FAO donnent les principaux biotopes reprsents et les ressources halieutiques Voir par exemple Rapport du groupe. 1979 TROADEC GARCIA 1986

  • HISTOIRE MARITIME AFRICAINE 201

    Le phnomne de la barre a-t-il eu des effets inhibiteurs spcifiques De manire gnrale il faut rappeler que la barre africaine pas originalit essentielle La mer brise sur la cte africaine comme sur importe quelle autre cte Un peu plus fort peut-tre parce que cette mer est ocan Atlantique dans la plus grande largeur Gautier 1935 58 Il apparat que existence de la barre assez gnrale sur le littoral africain pas constitu un obstacle exploitation du milieu maritime cotier Cependant les centres de pche et de navigation les plus anciens sont localiss de manire assez particulire sans entrer dans les dtails chelle o nous nous pla ons de nombreuses particularits locales nous chappent qui ont leur importance si on considre non plus les portions de cte mais les implantations individuelles des villages marins) beau coup de centres parmi les plus importants se trouvaient l o effet de la barre tait attnu baie de Goree entre Dakar et Rufisque cte rias des Rivires du Sud ou dans des zones o les fonds rocheux loignent sensiblement du rivage la ligne des brisants Libria et surtout Cte de Or o la barre est trs forte)36

    Ce qui prcde concerne essentiellement les conditions de navigation des pirogues aux xve et xvie sicles avant adoption de la voile On peut ajouter que la navigation pouvait se faire perte de vue des ctes comme cela t not dans les documents europens Il est probable que dans ce cas les marins africains possdaient les moyens de dterminer leur position par observation de la direction de la houle et de diffrents courants de surface et sous-marins ainsi que par la profondeur du plateau continental comme ils le font toujours par exemple au Sngal o la boussole gure connu de succs37

    Ces observations sur les conditions de navigabilit de la zone ctire infirment ide que le manque abri littoral et le phnomne de la barre principale explication pour Angot 1961 135 du peu empressement de partir en mer manifest par les populations Afrique tropicale sur sa bordure occidentale constituent des obstacles rdhibitoires Le type gnral des pirogues monoxyles propulses la pagaie dcrites aux xve et xvie sicles recouvrant de trs nombreuses variantes de construction) loin tre un signe archasme est la marque une adaptation trs satis faisante aux conditions de navigation passage de la barre ncessit de mise terre des embarcations aprs utilisation

    La contre-preuve en est donne par la dpendance absolue des navi gateurs europens gard des embarcations africaines dpendance sur laquelle nous reviendrons Signalons simplement ici intrt de la pagaie qui est pas eu gard la rame une forme de propulsion archaque mais une forme dlibrment diffrente effet de la pagaie

    36 J.-M coutin attir mon attention sur le dernier point Voir BERNACSEK 1986 37 Informations personnelles Guet-Ndar Sngal Voir aussi la description des

    techniques de reprage de la position des pirogues in SENE 1983 i5

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    est plus considrable que celui de aviron mais sa man uvre exige plus de force et fatigue davantage Bonnefoux Pans 1980 La ncessit un effort soutenu et continu pour passer la barre empch la diffusion de aviron inversement les contraintes de la propulsion la pagaie ont dtermin des formes et usage de bois particuliers en gnral lgers comme le fromager)

    Dans le mme sens la voile fut toujours aprs son adoption un moyen complmentaire de la pagaie et non un substitut usage un grement fixe est en effet inadapt au passage de la barre o utilisation un type de voilure simple et rapidement dmontable sauf dans quelques endroits comme dans la baie de Goree o les pirogues africaines du xvne sicle possdaient sans doute sous influence des Afro-Portu gais plusieurs mts et des voiles superposes38 De plus le systme des vents ctiers dominants limitait efficacit de la voile pour assurer le cabotage dans la direction de retour contraire ces vents aussi bien pour les bateaux europens que pour les pirogues voile o adoption sur ces dernires de voiles carres ou livarde avec mt orientable)39 visant dlibrment utiliser des vents dominants plutt que les possibilits de louvoyage40 Ce type de voilure tait en outre adapt au systme de vent de mer et de vent de terre alternatifs provoqus par le rchauffe

    ment diurne et le refroidissement nocturne de la terre Ce systme de vents ctiers tait utilisable par les pcheurs pour des mares courantes de aube aprs-midi

    Enfin le manque abri naturel jamais t un obstacle la navi gation pour des pirogues con ues pour tre aisment remontes sur la

    38 historique de adoption et de la gnralisation de la voile exigerait de longs dveloppements Le phnomne apparat dans les documents la fin du xvie sicle Almada cit par BOUL GUE 1967 MAREES 1605 et se dveloppe surtout au cours du xvne sicle notamment en Sngambie et sur la Cte de Or Sur les grements complexes des pirogues dans la baie de Goree en particulier celles de Rufisque et en Gambie voir Van den Brocke 1605-1614] Dubois 1669 et Paris 1682 MORAES 1976 Coelho ca 1668 in MORAES 1973 Bien que influence des Afro-Portugais soit certaine il ne fait pas de doute que ces grements taient monts sur des pirogues et manipuls par des Africains Coelho Des pirogues de ce type sont reprsentes sur la Vue de Runsque in BARBOT 1732 dont observation remonte 1678-79)

    39 adjectif carr se rfre non la forme proprement dite des voiles mais au mode de fixation des vergues auxquelles elles appliquent par rapport au mt les vergues sont installes en croix dans ce cas Cette voilure ne permet pas de bien serrer le vent mais convient particulirement bien aux allures portantes La voile livarde est de forme quadrangulaire Elle est tablie sur une perche place en diagonale dans la voile et fixe au pied du mt Seule la chute avant est en verguee sur le mt Les voiles livarde ont t trs utilises en Europe par les bateaux naviguant dans les rgions forte mare et par les petits bateaux de pche installation une voile livarde offre ni une grande nxit ni beaucoup de solidit mais elle se fait remarquer par sa lgret et elle est un bon emploi dans une petite embarcation dfinitions et apprciations extraites de BONNEFOUX PARIS 1980 CAZZARGLI 1973)

    40 Le louvoyage est limit mais non impossible pour les anciennes pirogues voile sngalaises par exemple On fait intervenir dans ce but inclinaison du mt

  • HISTOIRE MARITIME AFRICAINE 203

    plage La plupart lgres et de faible taille taient simplement tires par les piroguiers les plus grandes et les plus lourdes pouvaient tre selon leurs formes roules sur elles-mmes hales sur des billots ou re montes facilement en faisant pivoter leur fond convexe par des pousses successives sur les extrmits dont la forme est souvent adapte cet usage en mme temps la fonction de brise-lame)41

    ct des conditions de navigation la richesse des eaux en espces exploi tables constitue une autre caractristique plus strictement cologique qui peut expliquer la localisation des foyers maritimes africains les plus anciens En tat des connaissances deux facteurs sont considrs comme particulirement dterminants de la productivit biologique des eaux marines ctires importance du plateau continental et le phnomne upwelling Il est significatif que les foyers historiques de pche les plus importants ceux dont activit est dveloppe le plus fortement hui prsentent les caractres les plus favorables de ce point de vue La Sngambie la Guine Bissau et le Ghana possdent en effet un plateau continental relativement plus large ailleurs et les eaux ctires

    sont soumises un zipw elling caractristique sous effet combin du profil de la cte de la largeur du plateau continental de la direction et de intensit des vents opre le long de la cte une remonte saisonnire eau froide riche en lments nutritifs et favorable une forte productivit42

    Ces conditions morphologiques et hydroclimatiques ne suffisent pas cependant elles seules initier ou soutenir des activits halieutiques importantes Malgr la trs forte productivit des eaux sur les ctes sahariennes la pche au filet des Imragen mauritaniens et de leurs anctres les Azangues de Ca da Mosto et de Fernandes resta de tout temps trs limite43 La cte mauritanienne attira par contre trs tt les pcheurs europens portugais et espagnols ds le xve sicle) fran ais

    41 est en particulier le cas des perons des pirogues sngalaises 42 Sur le phnomne upwelling et les principaux facteurs hydrologiques et biolo

    giques conditionnant la productivit du milieu marin ctier voir entre autres REBERT DOMAIN 1977 propos du cas sngalais

    43 Il est dj question de pcheurs aux environs du cap Bojador sur la carte de 1339 de Dulcert sans que on sache il agissait de pcheurs berbres noirs ou europens FALL 1982 Sur la pche et la navigation des anciens Azangues et des Imragen actuels voir CA da MOSTO 1974 ZURARA 1960 FERNANDES 1951 ttinger in JONES 1985 GABY 1689 LOTTE 1937 ANTHONIOZ 1967 1968 ROBIN 1955 REVOL 1937 Au xve sicle les pcheurs Arguin utili saient des radeaux Au xvne sicle le comptoir hollandais Arguin suscite une activit maritime locale les Maures utilisent alors des barques hollandaises voile latine abandon des comptoirs Arguin et de Portendick par les Fran ais au xvine sicle entrane le dclin de cette activit Par la suite les Imragen utilisent les lanches canariennes mais pchent le plus souvent au filet sans utiliser embarcation Actuellement essentiel des dbarquements artisanaux en Mauritanie est assur par les pcheurs sngalais migrants de Nouakchott

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    partir du xvie et hollandais au xvne surtout venaient pcher la vieille ou fausse morue ils salaient pour le march europen mais aussi comme nous avons indiqu propos des Hollandais pour le

    march de la Cte de Guine44 Dans le mme sens les potentialits halieutiques du littoral Bij ago-Guine Bissau ont pas sum assurer le maintien des activits de cet ancien foyer maritime des xve et xvie sicles Il faut voir probablement un effet des conjonctures histo riques particulires cette portion du littoral compares celles ont connues les grands centres activits maritimes La traite des esclaves

    fut en effet plus tardive alimente par les razzias que les peuples litto raux eux-mmes pratiquaient les uns encontre des autres particulire ment les Bij ago et les Papel Met as 1975 Mota 1974 par la suite la gestion coloniale portugaise de type patriarcal et tourne vers une mtropole au march limit pas favoris expansion un march local montaris comparable ceux ont suscits