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1 Byzance et ses voisins musulmans (Xe-XIe s.) Les basileis de Constantinople ont suivi leurs prédécesseurs romains en s’efforçant de constituer au-delà du limes une série d’alliés, que ce soient des princes territoriaux ou des chefs de tribus plus mobiles, pour éviter qu’ils ne soient tentés d’envahir un Empire qui leur paraissait riche et même pour qu’ils forment une première ligne de défense qui permette de gagner du temps face à une invasion massive. Le meilleur moyen de se concilier ces princes et leur peuple était de partager les richesses, soit par le paiement d’un tribut, soit par la distribution de dignités qui avaient de plus l’avantage de donner une position aux bénéficiaires de ces honneurs et renforçaient leur prestige auprès de leur peuple. Cette politique reprise par les Byzantins s’appliquait à toutes les frontières de l’Empire, aussi bien à l’ouest qu’à l’Est ou au nord. La diplomatie byzantine, un temps surprise par l’irruption des Arabes et la formation d’un puissant califat, établit assez vite des relations régulières avec les nouveaux venus, en dépit d’une irrémédiable différence religieuse. Elle s’est ensuite adaptée à l’évolution du monde musulman, lorsque son unité s’est brisée et a laissé place à des califats rivaux et à des émirats plus ou moins indépendants 1 . Pour se concilier les princes arabes, l’empereur utilisa donc les armes habituelles de la diplomatie byzantine, l’argent et les titres. La tradition de conférer des titres aux princes arabes remontait à l’époque protobyzantine. Nous avons conservé le sceau d’un phylarque ghassanide, Gabalas, dont le signataire mentionne sa haute dignité de patrice 2 . Cette bulle confirme l’attribution régulière de cette très haute dignité aux phylarques ghassanides depuis le VI e siècle 3 . Elle s’était estompée lorsque l’Empire était en plein désarroi et le califat triomphant à ses frontières, car il est impossible d’attirer dans l’orbite impériale des sujets d’un Etat qui lui était supérieur en richesses et par les perspectives de carrière qu’il offrait. Il n’y a que deux possibilités dans cette situation que les deux adversaires exploitent également se constituer à la cour même du souverain un réseau d’amitiés qui prend sa valeur notamment au moment des ambassades ou accueillir les généraux en révolte contre le pouvoir central. Tel fut le choix de l’empereur Théophile de recevoir le chef khorramite Na1r avec ses hommes. Na1r se convertit au christianisme sous le nom de Théophobe, épousa une sœur de l’empereur et fut honoré du patriciat 4 . Lorsque le califat abbaside se désagrégea, l’Empire byzantin perdit son adversaire principal qui jouxtait son territoire et il se créa à nouveau, comme du temps de l’opposition 1 . Voir notamment BEIHAMMER A. (2004), 159-189. 2 . SHAHÎD I. (2001), 369-377. 3 . SHAHÎD I. (1959), 321-343. 4 . Voir, entre autres, CHEYNET J-Cl. (1998), 39-50.

Cheynet (J. C.)_Byzance Et Ses Voisins Musulmans, Xe-XIe s

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    Byzance et ses voisins musulmans (Xe-XIe s.) Les basileis de Constantinople ont suivi leurs prdcesseurs romains en sefforant de constituer au-del du limes une srie dallis, que ce soient des princes territoriaux ou des chefs de tribus plus mobiles, pour viter quils ne soient tents denvahir un Empire qui leur paraissait riche et mme pour quils forment une premire ligne de dfense qui permette de gagner du temps face une invasion massive. Le meilleur moyen de se concilier ces princes et leur peuple tait de partager les richesses, soit par le paiement dun tribut, soit par la distribution de dignits qui avaient de plus lavantage de donner une position aux bnficiaires de ces honneurs et renforaient leur prestige auprs de leur peuple. Cette politique reprise par les Byzantins sappliquait toutes les frontires de lEmpire, aussi bien louest qu lEst ou au nord.

    La diplomatie byzantine, un temps surprise par lirruption des Arabes et la formation dun puissant califat, tablit assez vite des relations rgulires avec les nouveaux venus, en dpit dune irrmdiable diffrence religieuse. Elle sest ensuite adapte lvolution du monde musulman, lorsque son unit sest brise et a laiss place des califats rivaux et des mirats plus ou moins indpendants1. Pour se concilier les princes arabes, lempereur utilisa donc les armes habituelles de la diplomatie byzantine, largent et les titres. La tradition de confrer des titres aux princes arabes remontait lpoque protobyzantine. Nous avons conserv le sceau dun phylarque ghassanide, Gabalas, dont le signataire mentionne sa haute dignit de patrice2. Cette bulle confirme lattribution rgulire de cette trs haute dignit aux phylarques ghassanides depuis le VIe sicle3. Elle stait estompe lorsque lEmpire tait en plein dsarroi et le califat triomphant ses frontires, car il est impossible dattirer dans lorbite impriale des sujets dun Etat qui lui tait suprieur en richesses et par les perspectives de carrire quil offrait. Il ny a que deux possibilits dans cette situation que les deux adversaires exploitent galement se constituer la cour mme du souverain un rseau damitis qui prend sa valeur notamment au moment des ambassades ou accueillir les gnraux en rvolte contre le pouvoir central. Tel fut le choix de lempereur Thophile de recevoir le chef khorramite Na1r avec ses hommes. Na1r se convertit au christianisme sous le nom de Thophobe, pousa une sur de lempereur et fut honor du patriciat4. Lorsque le califat abbaside se dsagrgea, lEmpire byzantin perdit son adversaire principal qui jouxtait son territoire et il se cra nouveau, comme du temps de lopposition

    1. Voir notamment BEIHAMMER A. (2004), 159-189. 2. SHAHD I. (2001), 369-377. 3. SHAHD I. (1959), 321-343. 4. Voir, entre autres, CHEYNET J-Cl. (1998), 39-50.

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    entre Byzance et lEmpire perse, une srie dEtats tampons peupls en majorit de musulmans, mais souvent avec une part importante de population chrtienne. Dans un premier temps, furent concerns, comme lpoque protobyzantine, surtout les princes du Caucase, armniens et gorgiens, dont les Byzantins voulaient obtenir laide pour limiter linfluence des Arabes ou attirer dans lorbite byzantine jusqu prparer lannexion de leur territoire. En revanche, du ct de la frontire msopotamienne et syrienne, lEtat hamdanide se constitua sur le principe du djihad militaire contre lEmpire, se substituant aux dynasties irakiennes qui ne se sentaient plus vraiment concernes. Tant que dura la lutte avec Sayf al-Dawla, les Byzantins ne pouvaient esprer se concilier le souverain de cet Etat ou mme influencer quelquun de son entourage. Quand les Byzantins leurent emport et eurent rduit Alep un Etat tributaire, ils n'eurent plus d'ennemis irrductibles leur frontire mme et leur diplomatie put dployer ses armes favorites, prestige et argent, car des mirs musulmans taient prts sallier au basileus pour combattre dautres princes musulmans, notamment les nomades du dsert, dont le nombre augmentant fortement, vitant aux Byzantins de lourdes charges financires pour dfendre leur frontire. Ils tablirent une nouvelle frontire incluant Antioche et la Syrie du Nord et ils visrent mettre en place des allis face aux deux plus grandes puissances musulmanes du temps, les Fatimides et les Bouyides. Ces derniers rivalisrent avec les Byzantins en offrant aux mmes princes des robes dhonneur et des cadeaux somptueux. Les souverains de Constantinople menrent une politique similaire en Occident, en Sicile, face lmirat en place en Ifrikya, celui des Zirides, successeurs des Fatimides lorsque celui-ci connut de graves divisions internes. De quelles sources disposons-nous ? Du ct grec, les sources narratives ne donnent que des informations trs partielles, car, principalement crites par des Constantinopolitains, elles se soucient assez peu de ce qui se passent hors des frontires de lEmpire, sauf lorsquune invasion importante rappelle aux habitants de la capitale la menace potentielle dune attaque. Il est symptomatique que le chroniqueur rsidant en territoire byzantin, Antioche, Ya5y dAntioche, rdigeant sa chronique en arabe, soit notre source la plus prcieuse sur ces questions. Car son intrt se porte sur les vnements de Syrie et de lEgypte fatimide. Dautres chroniques rgionales, cette fois rdiges par des musulmans, tels Kamal ad-Dn et alAm, donnent aussi des renseignements prcis, preuve que loctroi de ces titres importaient aux populations de la rgion. Il faut aussi distinguer les notables arabes, souvent des chrtiens, qui vinrent stablir dans lEmpire, attirs par la scurit offerte par les armes byzantines, les hautes dignits et les charges dautorit qui leur furent confies, et les Arabes rests musulmans qui conservrent leur indpendance. LArabe chrtien Kulayb relve de la premire catgorie. Secrtaire chrtien de Ruqtch qui gouvernait Barzyah et !ayn, il livra Jean Tzimisks ces deux

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    places fortes, qui protgeaient les abords de Laodice de Syrie5 et vint stablir en terre byzantine o il reut la dignit de patrice, auquel le basileus ajouta la charge trs fructueuse de basilikos dAntioche, lui octroyant aussi un grand domaine. Ses deux fils reurent des titres, mais le chroniqueur ne prcise pas lesquels ; on les supposera infrieurs celui de patrice, peut-tre protospathaire. Kulayb et ses fils devinrent des agents de la byzantinisation de la province dAntioche arrache depuis assez peu au pouvoir des musulmans. De mme Ab l-Hayg , un hamdanide, stait rfugi la cour de Basile II, qui lautorisa reprendre Alep, mais il choua et fut finalement autoris par lempereur revenir Constantinople. Il reu des faveurs qui ne nous sont pas connues avec plus de prcisions mais impliquaient srement le don dune dignit avec sa roga6. Son adversaire, le matre dAlep, Man1r ibn Lulu, finit par se rfugier son tour, en janvier 1016, dans lEmpire o Basile II ordonna de le recevoir avec ses hommes, en lui donnant des terres et la dignit de magistre. Ses frres et ses fils furent aussi accueillis et reurent de hautes dignits et de hautes charges7. Ctait un atout dans la lutte contre les Fatimides, car Man1r pouvait reprendre son ancienne cit dsormais gouverne par un mir favorable au calife fatimide. En effet la politique de distribution des dignits byzantines sur la frontire orientale du sud-est est largement lie la rivalit avec les Fatimides, du moins jusqu la moiti du XIe sicle. Dans les cas que nous venons dvoquer, il sagit de transfuges qui devinrent sujets de lempereur byzantins, mais les basileis sefforcrent de rallier des chefs indpendants dont ils ne revendiquaient pas leur territoire, mais visaient les utiliser comme des pions pour protger la frontire de lEmpire contre des voisins puissants. La Syrie tait dispute entre les Fatimides et les Byzantins, mais aprs quelques dcennies de tensions, lantagonisme entre les deux grandes puissances sattnua fortement, chacun reconnaissant lautre ses possessions, Antioche et sa rgion aux Byzantins, la Palestine et la rgion de Damas aux Fatimides, Alep et la Syrie du nord intrieure restant dispute. Cette pacification ninterdisait pas aux deux protagonistes de profiter des troubles du camp adverse. Les Byzantins cherchaient constituer un glacis au sud du duch dAntioche et sappuyrent sur les tribus nomades que les Fatimides ne purent jamais soumettre durablement. Lun des chefs bdouins les plus fameux, quoique ses qualits de stratges aient t mdiocres, fut %assn ibn al-Mufarrig ibn al-Garr5, connu Byzance sous le nom de 5. Ya5y dAntioche II, 369 ; cf. aussi, CANARD M. (1951), 843-844. 6. Ya5y dAntioche III , 23-26. Ce personnage se serait faire un sceau portant au droit saint Thodore et au revers une lgende en arabe. Il serait conserv au Istanbul (FELIX W. (1981), 56, n. 40), mais je lai pas vu en cataloguant les sceaux du muse archologique. 7. Ya5y dAntioche II, 402-403 ; DLGER (2003), no 801c ; son sceau personnel est conserv (MCGEER E. J. NESBITT OIKONOMIDES (2001), 44.1, lecture errone corrige par W. SEIBT dans son compte rendu de la Byzantinische Zeitschrift 96, (2003), 751 ; la solution Mansour fils du grand Lulu propose par W. Seibt est confirme par une pice parallle, jadis publie dans ROSTOVTSEW M. M. PROU (1900), no 921. Il nest pas impossible que la famille ait fait souche, puisque nous avons conserv le sceau dun Christophe Mansour (KOLTSIDA-MAKR I. (1996), no 427). Comme Man1r ibn Lulu ne fut pas le seul de ce nom (Man1r) servir lEmpire, cela reste une conjecture.

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    Pinzarach ou Apelzarach. Skylitzs rapporte que %assn vint Constantinople sous Romain III Argyre, empereur trs actif sur la frontire syrienne et qui sut rattraper sa malheureuse campagne contre Alep. Lmir, reu avec honneur, fut honor de la dignit encore importante cette date, celle de patrice, et quen 1031 son fils Allach (Allf) fut galement reu dans la capitale impriale et obtint galement la dignit de patrice, son pre retournant son tour dans la capitale. Dans les deux cas, ces mirs furent conduits par les chefs militaires byzantins de la rgion, Thoctiste, stratge autokratr, et Nictas, duc dAntioche. Ces deux gnraux taient sans doute les plus mme dexpliquer lempereur laide quon pouvait esprer des visiteurs8. Il semble quHassan soit revenu une fois de trop Constantinople esprant recevoir de nouveaux honneurs et de largent supplmentaire, car il fut assign rsidence pendant deux ans avant de russir senfuir, heureux de sauver sa tte. Kkaumnos, dans ses Conseils et rcits, qui rapporte lanecdote, recommande aux toparques, cest--dire ici aux princes indpendants dont le territoire jouxte lEmpire, de ne pas user lexcs des bienfaits du basileus9. Lempereur sintressait mme de modestes personnages comme Na1r ibn Musarraf, qui commandait quelques milliers dmes, la frontire sud du duch dAntioche. Ce dernier avait demand lautorisation au catpan dAntioche, Michel Spondyls, de construire une forteresse pour dfendre le territoire byzantin face lmirat de Tripoli10. Il obtint cette occasion, probablement sans stre rendu auprs de lempereur, mais seulement Antioche auprs du catpan, la dignit leve de patrice, comme nous lapprend son sceau qui nous est parvenu. Cette bulle porte au droit un buste de Georges, saint trs populaire en Orient, et au revers une inscription rdige en arabe donne le nom du signataire accompagn de sa dignit de patrice11. Bien entendu, liconographie de la bulle nimpliquait pas que Musarraf ft devenu chrtien. En fait cet mir ne cherchait qu se rendre indpendant et il fut finalement battu et tu, son neveu rendant les dernires forteresses quil dtenait12. Peut-tre ce neveu fut-il rcompens de cette action et vint stablir dans lEmpire, car des Mousaraphoi, le plus souvent des officiers, sont ensuite attests dans les dcennies suivantes13. Les rapports entre lEmpire et les Mirdassides furent trs troits. Lempereur Basile II laissa !li5 ibn Mirds, un adversaire des Fatimides semparer dAlep en 1025. Nous ignorons si !li5 avait obtenu une dignit de la part du grand empereur, mais son fils Na1r se plaisait rappeler que son pre avait reu des honneurs de la part de Basile II et de

    8. Ioannis Scylitzae Synopsis historiarum (1973), 318 ; Ya5y d'Antioche III, 145 (anne 1031). 9. LITAVRIN G. G. (1972), 302. 10. Ya5y d'Antioche III, 61-67 ; Ioannis Scylitzae Synopsis historiarum (1973), 379, 382-383. 11. CHEYNET J.-Cl. , C. MORRISSON, W. SEIBT (1991), no 395. 12. Ioannis Scylitzae Synopsis historiarum (1973), 383. 13. Sur les Mousaraph, cf. Al.-K. WASSILIOU W. SEIBT (2004), no 270. Kosmas, le plus ancien, serait attest un peu avant le milieu du XIe sicle, donc aprs la reddition du neveu de lmir arabe.

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    Constantin VIII, ce qui suggre que !li5 a bien port un titre byzantin. Ses fils, Na1r et /iml, aprs avoir t la cible dune offensive malheureuse de Romain III Argyre en 1030 recherchrent gagner les bonnes grces du souverain. Ils y parvinrent, car Na1r fut publiquement proclam, en prsence de son envoy et de ceux du calife fatimide, al-?hir, patrice anthypatos vests14. Cette allgeance de Na1r nempchait pas ce dernier de rechercher de bonnes relations avec le calife fatimide. Il aurait mme reu des encouragements dans ce sens de la part de lempereur Michel IV15. Cela ne doit pas surprendre, car le basileus, occup par des projets en Sicile, souhaitait que le front oriental soit calme et donc ne pas provoquer les Fatimides. Un pouvoir autonome, mais amical Alep, constituait la solution la plus lgante. Cette double allgeance aux Byzantins et aux Fatimides annonce lattitude des gouverneurs des provinces orientales de lEmpire envahies par les Grands Seldjoukides la fin du XIe sicle. Ils purent se dclarer la fois mirs et ducs. Quelques annes plus tard, lorsque /iml le mirdasside succda son frre Na1r, tu en 1038 par Dizbar, il fut promu, sans doute en 1042, par Thodora et Zo, magistre dAlep . Mais le plus tonnant cest que toute sa famille fut aussi honore : un cousin, Muqallad, fut promu stratge , son fils, deux neveux et deux frres furent promus patrices. Mme la veuve de Na1r devint patricienne, sans doute patricienne ceinture, puisque cest un titre rserv aux femmes. En 1051/1052, /iml, qui continuait payer le tribut lEmpire fut encore promu une dignit suprieure, sans doute celle de prodre, son cousin devenant magistre. Une nouvelle ambassade de /iml se rendit auprs de Thodora, alors seule impratrice16. Si les Mirdassides avaient t des sujets de lempereur, leurs dignits les auraient mis aux premiers rangs de la cour, devant la plupart des hauts fonctionnaires. Lintrt des Byzantins sest aussi port sur la Haute Msopotamie, pas seulement celui de lempereur, mais aussi de ceux qui lui contestrent le pouvoir comme Bardas Sklros qui put compter, lors de sa rbellion en 976, sur lmir marwanide du Diyr Bakr17. Cependant, cest sur un Marwanide, A5mad b. Marwn Mu5ammad ad-Dawla, que Basile II sappuya et lempereur lui accorda la haute dignit de magistre et la charge de duc de lOrient vers lan mil18. On a parfois considr que la charge de duc et celle de domestique des Scholes taient quivalentes, mais ce ne peut tre le cas. Le titre symtrique, celui de duc dOccident, se distinguait bien de la charge de domestique des Scholes dOccident. En Occident le duc commandait les tagmata de Macdoine, alors que le domestique des Scholes avait en principe comptence sur tous les thmes dOccident. La charge rellement exerce par le Marwanide reste plus mystrieuse, mais il faut sans doute y voir une sorte de dlgation

    14. Ya5y d'Antioche III, 163. 15. BIANQUIS T. (1986-1989), 509. 16. BIANQUIS T. (1986-1989), 563-564. 17. RIPPER Th. (2000), p. 112-113. 18. Ya5y d'Antioche II, 460.

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    de police par lempereur pour surveiller la rgion de la Msopotamie, au moment o lEmpire souhaitait allger son dispositif de dfense dans la rgion vers lan 1000, quand il concentrait ses efforts militaires sur le front bulgare. Asolik de Tarn affirme que les troupes de la Quatrime Armnie et du Tarn devait te mises sa disposition, cest--dire que des troupes impriales taient placs sous le commandement dun mir rest indpendant19. Linvasion seldjoukide redessina la carte politique de la rgion, tant du ct byzantin que du ct arabe. Larrive de bandes turcomanes dans les annes 1060 en Msopotamie et en Syrie du nord affaiblit le pouvoir des nomades arabes avec lesquels les Byzantins avaient ou depuis un sicle des liens complexes, mais qui sauvegardaient lquilibre rgional. LEmpire ne changea pas de mthode pour protger ses nouvelles frontires, mais reconstituer un tel rseau dalliances demandait du temps et de bien peser le choix des bons allis. LEmpire rtablit des Etats tampons, choisissant de sappuyer de faon prfrentielle sur les Seljoukides de Nice. Ainsi Abl Qsim, charg de la rgence aprs la mort de Sulaimn et menac par les Seldjoukides dIran, fut reu en grande pompe Constantinople et reparti honor de la dignit de sbaste qui linscrivait au rang des parents de lempereur. Plus tard le sultan danishmendide fut honor par lempereur Manuel Comnne de la mme dignit et fut compt au nombre des douloi de lempereur. Ces alliances se rvlrent beaucoup plus fragiles et circonstantielles, car elles taient conclues avec des partenaires temporairement en position de faiblesse, mais dgale force. En Occident, le front passait par lItalie du Sud et par la Sicile, car les Byzantins depuis le XIe sicle avaient repris linitiative. Leur meilleur gnral, George Maniaks, remporta de grands succs dans lle, prfigurant la conqute normande. Les Byzantins profitrent des rivalits fratricides qui opposrent les mirs de Sicile, en sefforant dattirer de leur ct des mirs siciliens qui se sentaient menacs par les armes venues dIfrikya. A5mad al-Ak5al lmir de Sicile fit alliance avec lempereur Michel IV et fut honor de la dignit trs leve de magistre, son fils ayant t envoy Constantinople20. Dans quelle catgorie, fallait-il ranger ces bnficiaires des largesses impriales, parmi les philoi ou les douloi ? Kkaumnos, au XIe sicle, conseille aux matres de territoires voisins de lEmpire, pas seulement aux Arabes, de se mfier des largesses impriales. Bon connaisseur de la terminologie diplomatique en usage dans lEmpire depuis des sicles, explique que dans une premire phase, lempereur cherche sduire lintress et, lorsquil y russit, le bnficiaire est inscrit au nombre des philoi de lempereur. Si larchonte redemande des bienfaits avec trop dinsistance, il peut les obtenir, mais il passe alors au statut de doulos. Le doulos, tout en nimpliquant pas dtre un esclave, suppose une soumission plus forte que celle dun philos. Il est considr, en quelque sorte, comme un sujet de lempereur et peut tre 19. Asolik de Tarn (1917), 163. 20. Ioannis Scylitzae Synopsis historiarum (1973), 398 ; FELIX W. (1981), 204-205.

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    trait comme tel, cest--dire tre emprisonn. Kkaumnos recommande donc de ne venir quune seule fois se prsenter personnellement au basileus21. En Orient, les princes arabes, notamment en Orient ont pris la place des Armniens absorbs progressivement dans lEmpire. Dans le De administrando imperio, la dignit de magistre, cette poque une des plus hautes de lEmpire et celle immdiatement infrieure de patrice, sont distribues presque exclusivement des Armniens ou des Gorgiens22. Ensuite pour reconstituer le long de la frontire orientale une chane dEtats amis, les basileis devaient se tourner exclusivement vers des mirs de la frontire, tout en continuant leurs libralits lgard des souverains gorgiens rests indpendants23. Les empereurs traitaient avec les mirs comme avec les autres souverains voisins, sans quon puisse dceler une quelconque influence de la religion et, linverse, les mirs salliaient sans tat dme avec lEmpire chrtien, dautant que, comme Alep, une partie importante de la population tait chrtienne24. Lorsque des conflits clataient, ctaient des guerres comme les autres et lesprit de djihad stait presque teint25. Le principal responsable militaire de la rgion, le duc dAntioche, servait constamment dintermdiaire entre les mirs et le basileus. La conqute normande, qui a priv lEmpire de ses possessions italiennes, a mis fin ce systme, en Occident, car lEmpire na plus de frontire commune avec les musulmans de Sicile qui, eux-mmes ont t chass par les Normands du comte Roger, frre de Guiscard. La politique dattraction des lites se poursuit en Italie sous les Comnnes, mais elle est dsormais exclusivement dirige vers les Latins.

    En revanche, larrive des Turcs et la perte de lAsie Mineure nont pas fait cesser

    loctroi de dignits aux princes trangers, mais la signification de cette gnrosit est plus explicite. Selon Ibn al-Adm, le chef turc Asad ad-Dawla A7ya reut argent et dignits de la

    21. LITAVRIN G. G. (1972), 221. 22. Cf. MARTIN-HISARD B. (2000), 376-380, pour les archontes armniens. Les Italiens les plus favoriss, les princes lombards sont au mieux anthypatoi-patrices, les ducs de Venise et de Naples, hypatoi, mais ceux de Venise progressrent par la suite [MARTIN J.-M. (2000), 619-628]. 23. Traditionnellement, le matre du Tao-Klardjeti tait titr curopalate, ce qui le mettait au-dessus de tous les autres allis locaux de lEmpire. Les principaux nobles de la cour du curopalate David taient eux-mmes honors de trs hautes dignits la fin du xe sicle. Les membres de la famille de Tornik le moine, fondateur dIviron, comptaient des protospathaires, des patrices et mme des magistres, dont certains tombrent au service de lEmpire [cf. Iviron I (1985), 15-17]. Au cours de la seconde moiti du XIe sicle, les empereurs, dont Michel VII, qui avait pous Marie dAlanie, puis Nicphore III, qui lpousa son tour, continurent favoriser les lites venues du Caucase, notamment dAlanie, dont ils espraient un secours contre les Turcs seldjoukides. 24. Le vizir de !li5 tait chrtien, sans doute nomm Thodore, qui succomba avec lui lors de sa dfaite face aux Fatimides [ZAKKAR S. (1971), 102]. 25. MICHEAU (1998), 550.

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    part des Byzantins26. Accepter les dignits offertes par le basileus, cest accepter le matre de Constantinople comme un souverain. Les bnficiaires, Danishmendides et Seldjoukides, ont facilement reu ces honneurs, sans doute parce quils occupaient danciens territoires byzantins en Anatolie et que ces dignits leur donnaient du prestige auprs de leurs sujets grecs. Ctait aussi la concrtisation de la philia avec lempereur, qui les mettait, en principe labri dune attaque du basileus et leur laissait tout loisir de guerroyer en Anatolie orientale. Les princes arabes, puis, un moindre degr, les mirs turcs ont t intgrs au rseau de clients que la diplomatie byzantine sefforait de constituer sur toutes les frontires de lEmpire. Selon la tradition, aussi que prime aux extrieurs sur les extrieurs27.

    Si on compare les dignits octroyes par les basileis, on voit que les archontes tablis en Orient ou en Sicile furent favoriss par rapports ceux venus de lOccident latin ou du monde slave et des steppes jusquau milieu du XIe sicle. A partir du rgne des Comnnes, cet avantage disparat, si le Seldjoukide de Nice et, pour des raisons familiales, lexousiokratr des Alains, Rosmiks28, peuvent encore prtendre la nouvelle et haute dignit de sbaste, le doge de Venise obtient celle de protosbaste, le joupan de Serbie, celle de sbaste29. Byzance reconnat la prpondrance croissante de lOccident en Mditerrane.

    BIBLIOGRAPHIE Sources :

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    26. CAPPEL A. (1994), 131. 27. LITAVRIN G. G. (1972), 95 : jamais Romain III Argyros naurait promu un Varange ou un Franc la dignit de patrice. 28 SEIBT W. (1978), no 170. 29. CHEYNET J.-Cl (2008), 89-97.

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