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Revue numismatique Le métal des chrysobulles (XIe-XIIe siècle) Cécile Morrisson, Maryse Blet-Lemarquand Résumé On présente ici les premières analyses réalisées de bulles d'or impériales : l'une de Michel VII Doukas (1071-1078) de la collection Whittemore, les autres des empereurs latins de Constantinople, Baudouin Ier (1204-1205) et Henri Ier (1206-1216) conservées au Cabinet des Médailles (BnF). La composition suit celle de la monnaie d'or contemporaine et permet de dater la bulle de Michel VII du début du règne. Les bulles latines ont des teneurs conformes à celles des hyperpères du XIIe siècle et sont toutes deux formées de deux disques comme les bulles byzantines. Elles comportent au centre une feuille d'or enroulée dans laquelle passait le cordon de pourpre. La première a été soudée par brasure, les deux disques de l'autre ont été assemblés en rabattant la bordure du revers sur le droit. Abstract We present the first analyses ever carried over imperial gold bullae : one of Michael VII Doukas (1071-78) in the Whittemore collection and two of the Latin emperors of Constantinople, Baudouin I (1204-5) and Henri I (1206-16) in the Cabinet des Médailles (BnF). Their composition is the same as that of contemporary gold coins and helps to date the Michael VII bulla in the early part of his reign. The alloy of the Latin bullae is similar to that of 12th-century hyperpyra. Both are made of two disks like the Byzantine ones. In the middle, between these disks a wrapped gold leaf formed the canal through which passed the purple thread. The first of these bullae was soldered by brazing, but the two disks of the other were assembled by doubling the border of the reverse over the obverse. Citer ce document / Cite this document : Morrisson Cécile, Blet-Lemarquand Maryse. Le métal des chrysobulles (XIe-XIIe siècle). In: Revue numismatique, 6e série - Tome 164, année 2008 pp. 151-167. doi : 10.3406/numi.2008.2848 http://www.persee.fr/doc/numi_0484-8942_2008_num_6_164_2848 Document généré le 28/09/2015

Le métal des chrysobulles (XIe-XIIe siècle)

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Chrysobulls from eastern emperors

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Revue numismatique

Le métal des chrysobulles (XIe-XIIe siècle)Cécile Morrisson, Maryse Blet-Lemarquand

RésuméOn présente ici les premières analyses réalisées de bulles d'or impériales : l'une de Michel VII Doukas (1071-1078) de lacollection Whittemore, les autres des empereurs latins de Constantinople, Baudouin Ier (1204-1205) et Henri Ier (1206-1216)conservées au Cabinet des Médailles (BnF). La composition suit celle de la monnaie d'or contemporaine et permet de dater labulle de Michel VII du début du règne. Les bulles latines ont des teneurs conformes à celles des hyperpères du XIIe siècle etsont toutes deux formées de deux disques comme les bulles byzantines. Elles comportent au centre une feuille d'or enrouléedans laquelle passait le cordon de pourpre. La première a été soudée par brasure, les deux disques de l'autre ont étéassemblés en rabattant la bordure du revers sur le droit.

AbstractWe present the first analyses ever carried over imperial gold bullae : one of Michael VII Doukas (1071-78) in the Whittemorecollection and two of the Latin emperors of Constantinople, Baudouin I (1204-5) and Henri I (1206-16) in the Cabinet desMédailles (BnF). Their composition is the same as that of contemporary gold coins and helps to date the Michael VII bulla in theearly part of his reign. The alloy of the Latin bullae is similar to that of 12th-century hyperpyra. Both are made of two disks likethe Byzantine ones. In the middle, between these disks a wrapped gold leaf formed the canal through which passed the purplethread. The first of these bullae was soldered by brazing, but the two disks of the other were assembled by doubling the borderof the reverse over the obverse.

Citer ce document / Cite this document :

Morrisson Cécile, Blet-Lemarquand Maryse. Le métal des chrysobulles (XIe-XIIe siècle). In: Revue numismatique, 6e série -

Tome 164, année 2008 pp. 151-167.

doi : 10.3406/numi.2008.2848

http://www.persee.fr/doc/numi_0484-8942_2008_num_6_164_2848

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Cécile Morrisson* et Maryse Blet-Lemarquand**

Le métal des chrysobulles (xie-xne siècle)

(PL I)

Résumé - On présente ici les premières analyses réalisées de bulles d'or impériales : l'une de Michel VII Doukas (1071-1078) de la collection Whittemore, les autres des empereurs latins de Constantinople, Baudouin Ier (1204-1205) et Henri Ier (1206-1216) conservées au Cabinet des Médailles (BnF). La composition suit celle de la monnaie d'or contemporaine et permet de dater la bulle de Michel VII du début du règne. Les bulles latines ont des teneurs conformes à celles des hyperpères du xne siècle et sont toutes deux formées de deux disques comme les bulles byzantines. Elles comportent au centre une feuille d'or enroulée dans laquelle passait le cordon de pourpre. La première a été soudée par brasure, les deux disques de l'autre ont été assemblés en rabattant la bordure du revers sur le droit.

Summary - We present the first analyses ever carried over imperial gold bullae: one of Michael VII Doukas (1071-78) in the Whittemore collection and two of the Latin emperors of Constantinople, Baudouin I (1204-5) and Henri I (1206-16) in the Cabinet des Médailles (BnF). Their composition is the same as that of contemporary gold coins and helps to date the Michael VII bulla in the early part of his reign. The alloy of the Latin bullae is similar to that of 12th-century hyperpyra. Both are made of two disks like the Byzantine ones. In the middle, between these disks a wrapped gold leaf formed the canal through which passed the purple thread. The first of these bullae was soldered by brazing, but the two disks of the other were assembled by doubling the border of the reverse over the obverse.

Le livre II, ch. 48 du Livre des Cérémonies compilé sur l'ordre de Constantin VII Porphyrogénète au milieu du xe siècle1 conserve les « Formules de suscription des lettres adressées [par l'empereur] aux étrangers ».

* Directeur de recherches émérite, CNRS, UMR 7187 CNRS-Collège de France, 52, rue du Cardinal-Lemoine, 75005 Paris. Courriel : [email protected]

** Ingénieur de recherche, Institut de Recherches sur les archéomatériaux (IRAMAT, UMR 5060, CNRS-Universités), Centre Ernest-Babelon, 3D rue de la Férollerie, 45071 Orléans Cedex 2. Courriel : [email protected]. Les auteurs expriment leur gratitude à Mathilde Avisseau- Broustet, conservateur au Cabinet des Médailles (BnF) pour sa patience et son aide concernant le transfert de ces objets précieux à Orléans. Leur reconnaissance s'adresse particulièrement à John Nesbitt, Christophe Giros, François Delamare, Patricia Roger et Dominique Robeis pour les informations et les remarques qu'ils leur ont communiquées.

1. Ed. de Bonn, I, p. 686-692 cité ici dans la traduction à paraître de Gilbert Dagron. Voir les commentaires approfondis de ce chapitre avec références à la documentation contemporaine dans Travaux et Mémoires 13, 2000 : B. Martin-Hisard (Constantinople et les archontes caucasiens dans le Livre des cérémonies, II, 48, p. 359-530), C. Zuckerman, À propos du Livre des Cérémonies II, 48, p. 531-594), E. Malamut, Les adresses aux princes des pays slaves du Sud dans le Livre des cérémonies, II, 48, p. 595-616 et J.-M. Martin, L'Occident chrétien dans le Livre des cérémonies, II, 48, p. 617-646.

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II commence ainsi Pour le pape : une bulle d'or de la valeur d'un sou ; « Au nom du Père, du Fils et du Saint-Esprit, notre Dieu unique et seul véritable. Un tel et un tel, empereurs des Romains fidèles dans le Christ à un tel, très saint pape de Rome, notre père spirituel. » De même pour le pape d'Alexandrie, sauf qu'on n'écrit pas « père ». De même pour les patriarches d'Antioche et de Jérusalem, sauf qu'on n'écrit pas « père spirituel », et que les bulles d'or sont de trois sous. Pour le prôtosymboulos, c'est-à-dire l'Amir al-mu'minîn : bulle d'or de quatre sous ; « Au très magnifique, très noble et très admirable un tel, prôtosymboulos et commandeur des Agarènes, de la part d'un tel et un tel, fidèles autokrators, augustes grands empereurs des Romains. Un tel et un tel, fidèles autokrators dans le Christ notre Dieu, augustes grands empereurs des Romains, au très magnifique, très noble et très admirable un tel, prôtosymboulos et commandeur des Agarènes. »

Dans la longue enumeration qui suit on retrouve le pape, cette fois un peu mieux traité puisqu'il reçoit une bulle de deux sous, de même que les autres souverains occidentaux.

Pour le pape de Rome : bulle de deux sous ; « Au nom du Père, du Fils et du Saint- Esprit, notre Dieu unique et seul véritable. Constantin et Romain, empereurs des Romains fidèles en Dieu à un tel, très saint pape de Rome, notre père spirituel. » Pour le roi de Saxe, pour le roi de Bavière - ce pays est celui des habitants qu'on appelle Némitzi -, pour le roi de Gaule, pour le roi de Germanie, suscription pour tous les personnages cités ci-dessus : « Au nom du Père, du Fils et du Saint-Esprit, notre Dieu unique et seul véritable, Constantin et Romain, empereurs des Romains fidèles dans le Christ, à un tel, très cher frère spirituel, et admirable roi. »

La métrologie des bulles et son échelle en termes de solidi reflète donc, comme on l'a souvent souligné2, l'importance relative accordée par la diplomatie byzantine du milieu du xe siècle à ses correspondants, et l'on voit la modeste place qu'y occupent les souverains d'Occident face au calife de Bagdad et au calife fatimide. En déplorant que le domaine du Trésor de Fécamp soit ainsi traité avec une arrogance impériale nous n'en dédions pas moins à son auteur les quelques réflexions qui suivent sur la composition de l'or des chrysobulles.

La parenté des bulles d'or avec les monnaies est étroite : elle ne concerne pas seulement l'iconographie3. Vraisemblablement préparées dans les mêmes

2. P. Grierson, Byzantine Gold Bullae, with a catalogue of those at Dumbarton Oaks, Dumbarton Oaks Papers 20, 1966, p. 239-253, réimpr. in Id, Scritti storici e numismatici, Spolète, 2001, p. 191-205

3. Pour un rappel de l'évolution voir C. Morrisson et G. Zacos, L'image de l'empereur byzantin sur les sceaux et les monnaies in La monnaie miroir des rois, Paris, 1978, p. 57-72. Commentaire des huit bulles de Dumbarton Oaks par Grierson, art. cit., 1966, de celles-ci et de deux autres, restées dans la collection Zacos, par G. Zacos et A. Veglery, Byzantine Lead Seals I/I, Bale, 1972. La bulle d'or de Michel VII sera publiée en même temps que les bulles impériales en plomb conservées à Dumbarton Oaks et à Cambridge (Harvard University Art Museum) - avec les monnaies contemporaines pour permettre la comparaison - par J. Nesbitt dans le

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LE MÉTAL DES CHRYSOBULLES (Xf-XIIe SIÈCLE) 1 53

ateliers (le métal était fondu au χρυσοχειον dépendant de Veidikon ou trésor privé, puis frappé à la Monnaie, χαραγή, dépendant du vestiarion public4), il est normal qu'elles aient été faites « du même métal que les nomismata » comme le supposait Grierson dans son étude fondamentale de 19665. Mais, de même que Françoise Dumas a étudié autrefois avec Jean-Noël Barrandon le rôle du métal des mines de Melle dans le monnayage de l'atelier de Melle6, de même, la similitude du métal des monnaies d'or et de celui des chrysobulles est une hypothèse qui, bien que hautement vraisemblable, mérite d'être vérifiée.

Aucune donnée n'était disponible jusqu'à récemment. La préparation de l'exposition 1204 la quatrième croisade : de Blois à Constantinople. Eclats d'empires (Cabinet des Médailles 2005, catalogue éd. par I. Villela-Petit) a offert l'occasion d'analyser les deux bulles d'or des empereurs latins de Constantinople conservées au Cabinet des Médailles. Quelques années auparavant, la découverte au Fogg Museum of Art d'une bulle d'or inédite de Michel VII de la collection Whittemore en vue de son exposition à Dumbarton Oaks en juillet- octobre 2002, permit aussi une série d'analyses. Ce sont ces résultats que nous présentons et commentons aujourd'hui dans l'ordre chronologique.

La bulle d'or de Michel VII7 (1071-1078) mesure 23,5 x 22,5 mm de diamètre et 2 mm d'épaisseur et pèse 7,86 g (pi. I, p. 167). Il s'agit sans doute d'une bulle de deux solidi (disoldia) malgré la faiblesse du poids8. Sa tranche est soudée et le droit présente des traces de granulation (The specimen displays a melted edge and granulation on the obverse).

Au droit, le Christ assis sur un trône à dossier carré et la légende habituelle IC XC et au revers l'empereur debout vêtu du loros, tenant en main droite le labarum et en main gauche le globe crucigère avec la légende

+MIXAHAAVTO-KPAT,PUMOAUK, Μιχαήλ αύτοκράτ(ωρ) 'Ρωμ(αίων) ό Δούκ(ας) Michel Doukas, autocrate

des Romains

Catalogue of Byzantine Seals at Dumbarton Oaks and the Fogg Museum of Art, 6. The Imperial Seals, Washington (sous presse), ci-après DOSeals. Nous remercions vivement John Nesbitt de nous autoriser à la commenter ici et de nous avoir fait part d'utiles observations.

4. C. Morrisson, Moneta, χαραγή, zecca : les ateliers byzantins et le palais impérial, in L. Travaini éd., / luoghi délia moneta. Le sedi délie zecche dall' antichita" ail' eta^ moderna, Milan, 2001,49-58.

5. Art cit, p. 245 : « it seems to have been taken for granted that the gold used for bullae and coins should be of the same quality ».

6. J.-N. Barrandon et F. Dumas, Minerai de Melle et monnaies durant le haut Moyen-Age : relations établies grâce aux isotopes du plomb, BSFN 45 (1990), p. 901-906.

7. J. Nesbitt, DOSeals, n° 127.1. 8. La moyenne du poids des nomismata de Michel VII conservés à la BnF et à DO est

d'environ 4,30 g. La bulle est donc déficiente d'environ 8,6 %. Grierson notait déjà (p. 245) que « after the middle of the eleventh century, the metal was so base that the weight of gold in a bulla was already much below what it should have been ».

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La légende ne laisse aucun doute quant à l'identité de l'empereur parmi les trois souverains de ce nom ayant régné au xie siècle. Même en l'absence de ce patronyme, la couleur pâle de la bulle suffirait à indiquer cette attribution, de même que son mode de fabrication à partir de deux pièces de métal réunies par un joint soudé, caractéristique, comme l'a montré Grierson9, des bulles de cet empereur et de ses deux premiers successeurs. Grierson explique ce nouveau mode de fabrication par le durcissement de l'alliage10 qui n'aurait plus permis de frapper des bulles sur un seul flan. Mais cette hypothèse, comme nous le fait observer François Delamare, n'est pas justifiée, car un flan plus mince présentait au contraire beaucoup plus de risques de fissuration lors de la frappe. Sans pouvoir pour l'instant présenter d'alternative, on ne peut que constater la coïncidence dans le temps de l'apparition de ce nouveau mode de fabrication et de la dévaluation.

La bulle a été analysée à la microsonde électronique (electron microprobe) par David Lange au laboratoire des Musées de l'Université Harvard (HUAM). La moyenne des 37 points mesurés sur les deux faces indique la composition suivante : Au 65,86 % (1,63) Ag 31,04 % (1,52) Cu 1,29 % (0,94) (entre parenthèses l'écart type). Le rapport fait aussi état de mercure détecté sur les deux faces11.

On peut s'attendre à ce que les résultats obtenus par cette méthode d'analyse de surface (Ιμΐη - micromètre - de profondeur environ) sous-estiment la teneur en cuivre de façon plus systématique que Γ activation neutronique sur micro-prélèvements pratiquée par A. A. Gordus qui porte sur une profondeur de l'ordre d'une centaine de micromètres12. Ils peuvent néanmoins, du fait des différentes profondeurs analysées, concorder plus ou moins avec les résultats de Gordus et ceux de Γ activation protonique (200 μηί) pratiquée à Orléans et publiés dans L'or monnayé I (CEB 2, 1985), p. 228-229.

9. Art. cit., p. 245. 10. Voir maintenant les mesures de l'augmentation de la dureté de l'alliage (contrainte

d'écoulement σ0) effectuées sur les monnaies d'or de Constantinople des vie-xne siècles par F. Delamare (F. Delamare, P. Montmitonnet, C. Morrisson, Une approche mécanique de la frappe des monnaies : application à l'étude de la forme du solidus byzantin, RN 1984, p. 7-45, figure 8, p. 20).

11. Les teneurs mesurées, comprises entre 0,03 % et 0,3 %, sont faibles et variables. Elles montrent que ce métal a été mis en œuvre à proximité de la bulle, mais pas forcément pour la réalisation de la bulle. En effet, l'or et l'argent présentent de fortes affinités chimiques avec le mercure, surtout si celui-ci est sous forme de vapeurs. Il suffit de placer un objet en or ou en argent dans une atmosphère riche en mercure pour contaminer sa surface.

12. Le prélèvement est habituellement précédé d'un nettoyage, cf. A. A. Gordus, Neutron activation analysis of coins and coin-streaks, in Methods of chemical and metallurgical investigation of ancient coinage, E.T. Hall et D.M. Metcalf (éd.), Londres, Royal Numismatic Society, 1972, p. 133.

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Nomismata histaména de Michel VII

DOC classe I (BNC 2) entre parenthèses l'écart type : ση Au 64 % (2,21) Ag 31 ,6 % (2,10) Cu 4,28 % (0,25) DOC classe II (BNC \) Au 56,24 % (5,50) Ag 38,7 % (4,68) Cu 4,93 % (1,30)

La comparaison de ces valeurs d'analyse incite donc à dater le sceau du début du règne, et probablement du tout début de celui-ci. La classe I, comme le fait remarquer Grierson13, est en effet extrêmement rare : 4 ex. dans DOC contre 33 de la classe II, et une disproportion analogue à la BnF, 3 contre 10. Comme la classe I des histaména, et la totalité des bulles de plomb de Michel VII (Zacos-Veglery nos 95a-e ; Nesbitt DOSeals nos 80.1-12), la bulle d'or de la collection Whittemore porte l'image du Christ trônant au droit, tandis que les autres bulles d'or de Michel VII conservées, telle Zacos-Veglery nos 94 = Grierson n° 5 portent un buste du Christ. L'iconographie des bulles de plomb n'a pas changé au cours du règne car leur composition est restée stable. Celle des bulles d'or en revanche a donc été modifiée, comme celle des monnaies, pour suivre le changement des normes de fabrication.

S'il ne possède malheureusement aucune bulle d'or byzantine, le Cabinet des Médailles a la chance d'en posséder deux des empereurs latins de Constantinople. Dès 1204, ces derniers avaient adopté une partie des insignes du pouvoir et de la titulature des basileis dont ils se considéraient comme les légitimes successeurs. Ils ne frappèrent jamais monnaie à leur nom et se contentèrent d'imitations plus ou moins fidèles des émissions de bronze du xne siècle, plus familières et acceptables à leurs sujets14. Les bulles d'or et de plomb avec lesquels ils scellaient leurs actes15 sont un exemple d'acculturation progressive qui trouve son aboutissement sous Baudouin II avec une face purement byzantine et une face où le thème occidental du souverain à cheval est traité de façon hiératique16.

13. DOC 3/2, p. 800. 14. Voir le rappel de P. Papadopoulou et C. Morrisson, L'éclatement du monnayage dans

le monde byzantin après 1204 : mythe ou réalité ?, in 1204 la quatrième croisade : de Biais à Constantinople. Éclats d'empires, dir. par I. Villela-Petit (= Bull, de la Soc. Fr. d'Héraldique et de Sigillographie, 73-75, 2003-2005), p. 135-143.

15. Voir l'étude récente d'A. Pontani, Precisazioni sul numisma Laetiense (con un sigillo inedito di Enrico di Hainaut), qui n'est pas paru dans YAnzeiger der philosophisch-historischen Klasse der Ôsterr. Akad. d. Wiss. 2004, comme je l'annonçai en 2005 dans l'article cité ci-dessus, mais dans Νέα Ρώμη 2, 2005 = Αμπελοκήττιον Studi di amici e colleghi in onore di Vera von Falkenhausen, p. 313-389.

16. C. Morrisson, in 1204 (ouvrage cité, n. 12), avec la bibliographie antérieure.

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La bulle d'or de Baudouin Ier (1204-1205) (pi. I, p. 167) mesure 39 mm et pèse 1 1,58 g, un poids qui ne semble pas un multiple du besant car il ne correspond qu'à 2,6 ou 2,5 hyperpères. Elle provient de l'abbaye de Groeninghe près de Courtrai, et a été léguée au Cabinet des Médailles en 1930 par la princesse de Croy.

Droit : ♦B^AC-VINC-C-AeC-nC-TH C· ( Βαλδουίνος δεσπότης « Baudouin, empereur »). L'empereur, imberbe, de face, vêtu d'un manteau de cérémonie, portant une couronne fermée ornée d'une croix, assis sur une chaise curule ornée de fleurs de lis aux extrémités supérieures et à la croisée, les pieds sur un tapis. Il tient en main droite un sceptre crucigère et en main gauche, un globe crucigère.

Revers : B<SL£)-DI:rR· IMPr\ftQMFLAI/IDSr-0IM-CÔM· (Balduinus dei gratia Imperator Romanie Flandriae et Hainoniae cornes) « Baudouin, par la grâce de Dieu, empereur de Romanie, comte de Flandre et de Hainaut »). L'empereur, imberbe, coiffé d'un heaume orné d'une croix chevauchant à droite, tenant en main droite un écu aux armes de Flandre, et en main gauche une épée dégainée.

La bulle de Henri Ier (1206-1216) (pi. I, p. 167) mesure 41 mm et pèse 13,26 g, un poids qui s'approche de celui de 3 hyperpères17. Elle provient peut- être de la collection du prince de Furstenberg. Au droit l'empereur est assis sur une chaise curule ornée de têtes de lions (?) analogue à celle du sceau de Philippe-Auguste et tient en main droite un sceptre crucigère et en main gauche, un globe crucigère.

Au revers l'empereur chevauchant à droite tenant en main droite un écu au lion, et en main droite une épée haute. La légende ne fait plus état des titres latins de comte de Flandre et de Hainaut mais seulement de celui d'« empereur de Romanie ».

Droit ePPIKOCAecnOTH 6 (Ερρίκος δεσπότης « Henri, empereur »). Entre deux cercles de grènetis. L'empereur, imberbe, de face, vêtu d'un manteau de cérémonie, portant une couronne fermée ornée d'une croix, assis sur une chaise curule aux extrémités supérieures en forme de têtes d'animaux, tenant en main droite un sceptre surmonté d'une croix et en main gauche, un globe crucigère.

Revers hENRLe DI GR ATI AIN PATORROIE (Henricus Dei Gratia Inperator Romanie) « Henri par la grâce de Dieu empereur de Romanie ». Entre deux cercles de grènetis. L'empereur, imberbe, coiffé d'un heaume, galopant à droite, tenant en main gauche un écu au lion, et en main droite l'épée haute.

17. Mais des éléments « exogènes » sont susceptibles de biaiser cette mesure du poids de l'alliage à base d'or : ce sont les deux petits clous corrodés en laiton situés sur le bord.

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Comme la bulle de Michel VII, les bulles des empereurs latins sont composées de deux disques de métal. Les deux feuilles étant écartées par endroit, il est possible d'estimer leur épaisseur : elle est de l'ordre de 0,2 mm.

Les deux bulles ont été retirées de leur support moderne. On distingue une feuille enroulée, apparemment en or et de même épaisseur que les disques, entre les deux disques (voir figures 1, 2 et 3 et tableau 2). John Nesbitt suggère que ce dispositif était destiné à protéger la bulle de la fracture médiane fréquemment observée sur d'autres exemplaires. Des fibres de couleur rose ont été observées dans le cylindre de la bulle de Baudouin Ier. Il s'agit très vraisemblablement des restes du cordon tel qu'on le voit représenté sur la miniature du célèbre document d'Alexis III le Grand Comnène en faveur du monastère de Dionysiou (1374), représentant l'empereur et son épouse tenant ensemble le chrysobulle enroulé sur lui-même et attaché par ce cordon qui passe à travers la bulle18. F. Dôlger rappelle que ce cordon de soie appelé mèrinthos (μήρινθος) était « de couleur pourpre » utilisant ici le terme dans son acception moderne et non dans le sens médiéval de rouge. Avec le temps sa couleur virait souvent au bleu. Dans leur édition du chrysobulle de Lavra, G. Rouillard et D. Zakythinos parlent d'un « pourpre foncé ou bleu »19.

Des fibres roses ont été prélevées de la bulle de Baudouin Ier et soumises à différentes méthodes d'analyse des pigments et colorants, de façon à définir si la teinture employée est réellement de la pourpre obtenue à partir de coquillages marins. On sait, d'une part, que ses principes tinctoriaux contiennent très souvent du brome20. D'autre part, une étude menée par spectrophotométrie d'absorption en réflexion diffuse sur des échantillons de pourpre a permis de définir les caractéristiques spectrales de ce colorant21. Les microanalyses X que nous avons réalisées avec un microscope électronique environnemental à balayage sur les fibres prélevées, suggèrent la présence de traces de brome, sans toutefois la prouver de façon incontestable, car la concentration en brome des fibres est proche des limites de détection de la méthode employée22. Les mesures de microspectrophotométrie d'absorption en réflexion diffuse effectuées sur ces

18. Actes de Dionysiou, éd. par N. Oikonomidès, Paris, 1968 (Archives de l'Athos IV), n° 4, p. 50-61 et pi. VI-IX; texte grec p. 59-61.

19. F. Dôlger-I. Karayannopulos, Byzantinische Urkundenlehre (Handbuch der Altertums- wissenschaft 12.3.1] Munich, 1968, p. 44 et n. 6.

20. D. Cardon, Guide des teintures naturelles : plantes, lichens, champignons, mollusques et insectes, Delachaux et Niestlé, 1990, p. 338 et suivantes.

21. B. Guineau, Acquisition et traitement de données colorimétriques : application à l'étude de la teinture des textiles, La conservation des textiles anciens, Actes des journées d'études de la S.F.I.I.C d'Angers des 20-22 octobre 1994, p. 53-68.

22. Seule la raie Kal (11,924 keV) du brome a été détectée, la raie Κβΐ (13,292 keV), trop peu intense, ne pouvant pas être mesurée. En basse énergie, la raie Lai (1,480 keV) interfère avec la raie Kal (1 1,487 keV) de l'aluminium, élément dont on ne peut exclure la détection dans nos conditions de mesures.

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Figure 1 - Schéma des bulles d'or des empereurs latins La feuille interne enroulée figure en pointillés

1 fragments de feuille interne non soudés au droit ou au revers

1 -^ Enchevêtrement ν — J^^x de fibres ^

— —

Droit

ι Revers i

1 mm

Figure 2 - Tranche de la bulle de Baudouin Ier photographiée au niveau de l'une des deux ouvertures diamétralement opposées et explications

Figure 3 - Tranche de la bulle de Henri Ier photographiée au niveau de l'une des deux ouvertures diamétralement opposées et explications. Le rond dessiné

en pointillé correspond au trou cylindrique laissé par la tige du support de la bulle

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LE MÉTAL DES CHRYSOBULLES (XIe-XIIe SIECLE) 159

mêmes prélèvements s'accordent avec celles déjà pratiquées au moyen de cette méthode sur des échantillons de pourpre23. L'ensemble de ces résultats corrobore l'utilisation de pourpre pour teindre le cordon attaché à la bulle de Baudouin Ier24.

La feuille interne a été soudée aux deux disques au niveau des deux ouvertures diamétralement opposées. Les deux disques sont soudés entre eux, également au niveau du bord qui a été retravaillé après le soudage, comme en témoigne son aspect très lissé. Cependant quelques petits morceaux d'or allongés (longueur maximale 3 mm), dont l'un a la forme d'un fragment de ruban replié, ont été observés sur le bord, avant les grènetis externes, en particulier sur le revers. Deux méthodes d'analyse élémentaire complémentaires, tant par l'épaisseur de matière étudiée que par leur sensibilité, ont été appliquées sur le pourtour de la bulle. Il s'agit de la méthode LA-ICP-MS25 et de la spectrométrie de fluorescence X. Le bord soudé se distingue de l'or des disques par des teneurs plus élevées en argent et en cuivre (figure 4). Du point de vue des éléments-traces, une augmentation des concentrations en zinc, en étain et en plomb a été mise en évidence (tableau 1).

Au (%) Ag (%) Cu (%)

Pb (ppm) Sn (ppm) Zn (ppm)

Disque de la bulle 81,8 12,8 5,2 794 166 49

Bordure soudée de 77,8 à 81,4 de 13,2 à 14,8 de 5,2 à 7,1

de 660 à 3370 de 180 à 1600 de 100 à 210

Tableau 1 - résultats d'analyse partiels de la bulle de Baudouin Ier obtenus par LA-ICP-MS

23. Nous remercions sincèrement Patricia Roger, ingénieur de recherche à l'IRAMAT - Centre Ernest-Babelon, qui a réalisé et interprété ces mesures. Celles-ci font apparaître des absorptions entre 395 et 400 nm ainsi qu'autour de 525 nm, en accord avec les résultats publiés par B. Guineau (B. Guineau, art. cit.).

24. De plus, des particules blanches micrométriques ont accompagné les fibres roses lors du prélèvement. Ces agglomérats, qui ont la composition de carbonate de calcium et présentent un faciès bio-détritique, pourraient résulter du broyage de coquillages à pourpre.

25. Pour des informations sur la méthode LA-ICP-MS (Laser Ablation Inductively Coupled Plasma Mass Spectrometry) appliquée aux alliages or-argent-cuivre, voir B. Gratuze, M. Blet- Lemarquand, J.-N. Barrandon, Caractérisation des alliages monétaires à base d'or, BSFN 59 (2004), p. 163-169.

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160 CÉCILE MORRISSON / MARYSE BLET-LEMARQUAND

%Ag

16

12/ 8 /'

4 /

20

/

40A 36 . 4

32 _ , Λ 28.

24 *

i ο

, 12 16

/ , 20

/

Disque (LA-ICP-MS) Bordure soudée (LA-ICP-MS) Bordure soudée (fluorescence X)

o/o Cu

24

28 X32

λ X 36

100 96 92 88 84 80 76 72 68 64~ ' 40

%Au Figure 4 - Diagramme ternaire des teneurs en or, argent, cuivre

mesurées sur la bulle de Baudouin Ier

Compte tenu de ces différentes informations, il apparaît que le procédé de soudage mis en œuvre est celui de la brasure, caractérisé par l'apport d'un alliage ternaire or-argent-cuivre présentant un point de fusion inférieur à celui de l'or des pièces à assembler26. Le soudage aurait été réalisé comme suit. Les deux disques estampés et la feuille enroulée ont été mis en place et l'ensemble a été chauffé à une température suffisante pour faire fondre l'alliage ternaire de la brasure. Mise au contact du pourtour des disques chauds, la tige de brasure se liquéfie et assure par diffusion la soudure entre les deux plaques. Une nouvelle phase de composition intermédiaire entre celle de l'alliage de brasure et des feuilles d'or est créée. La brasure est réalisée ainsi de proche en proche sur tout le pourtour. Après refroidissement de la pièce, le bord est repris à la lime pour faire disparaître les débordements27.

26. D'après les textes antiques et médiévaux, les grandes filières du soudage de l'or utilisent soit des alliages ternaires or-argent-cuivre, soit des pâtes contenant du cuivre sous une forme non métallique, soit des fondants (cf. Anne-Catherine Robert-Hauglustaine, Le soudage de l'or : étude à partir des textes antiques et médiévaux, dans Outils et ateliers d'orfèvres des temps anciens, antiquités nationales mémoire 2, Saint-Germain-en-Laye, 1993, p. 111-116). L'ouvrage Jewelery concept and technology recense diverses compositions type de brasures d'or (Oppi Untracht, Jewelry Concepts and Technology, Doubleday & Co. Inc., New York, and Robert Haie, Londres, 1982).

27. Nous remercions vivement M. Dominique Robcis, chef de travaux d'art au Centre de recherche et de restauration des Musées de France, pour ses conseils avisés concernant la brasure.

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LE MÉTAL DES CHRYSOBULLES (XIe -XIIe SIÈCLE) 161

Les bulles byzantines étaient également constituées de deux parties soudées. Grierson remarquait à propos de celles-ci que « The joint is of variable thickness and filled with a metallic solder which is darker in color than the rather whitish base gold of which the bullae proper are composed »28. Mais les parties soudées de la bulle de Baudouin Ier ne sont pas de couleur plus sombre ; un fondant de composition différente a donc dû être employé. Il faut attendre pour en savoir plus que les bulles conservées à Dumbarton Oaks29 puissent être soumises à analyse.

La bulle de Henri Ier en revanche ne présente aucune trace de soudure entre les deux disques qui constituent le droit et le revers. Les deux disques sont maintenus ensemble par la bordure du revers qui est rabattue sur le droit. L'observation sous loupe binoculaire montre que cette bande d'environ 1 mm de largeur a été lissée (voir figure 5).

28. Grierson, art. cit., p. 245 : « The joint is of variable thickness and filled with a metallic solder which is darker in color than the rather whitish base gold of which the bullae proper are composed. Its exact composition cannot be made out but it is not lead, for it does not scratch easily and is not the right color, or niello, which would be too brittle and is not likely to have been used as a solder. Gold-copper alloys can also be excluded because of their brittle character. The most reasonable assumption is that it is a gold-silver alloy inferior in fineness to the metal used for the bulla proper».

29. Le nombre des bulles d'or byzantines parvenues jusqu'à nous est limité : il est de l'ordre d'une soixantaine. La collection de Dumbarton Oaks en possède 8 ; la collection Whittemore (Sackler Museum, Cambridge, Mass.) 2, dont celle de Michel VII commentée ci-dessus, le Vatican 5 : une de Michel IX, une d'Andronic II, une de Jean V et deux de Jean VIII (P. Sella, Le bolle d'oro deW Archivio Vaticano, Cité du Vatican, 1934, nos 11, 12, 20, 22 et 23). Les archives des différents monastères du Mont-Athos en conservent aujourd'hui un certain nombre souvent détachées du document original et fixées à un document différent, souvent des faux. Les volumes publiés dans la série des Archives de l'Athos en compte 31. Christophe Giros nous précise en outre : « il semble qu'un assez grand nombre de bulles d'or ait disparu depuis le xixe siècle, voire, dans certains monastères, depuis les années 1930 ». En 1858, Sabatier citait en effet le témoignage de l'archimandrite Porphyre, publié en 1847 dans le Journal du Ministère de l'Instruction Publique russe (ZMNP) qui avait compté « lors de sa visite au Mont-Athos plus de cent actes munis d'une bulle d'or » (J. Sabatier, Plombs, bulles et sceaux byzantins, Revue archéologique, 15, 1858, p. 82-100, à la p. 99. Dans son Iconographie choisie..., Saint-Pétersbourg, 1847, pi. xxiii, 1 5, Sabatier illustre une bulle d'or de Manuel Ier de sa collection. Celle-ci fut acquise par le comte Strogonoff. L'Ermitage possède aujourd'hui trois bulles d'or qui ont été récemment publiées in Y. Piatnitsky et al. éd., Sinai, Byzantium, Russia, Orthodox Art from the Sixth to the Twentieth Century, Londres, 2000 (une de Basile Ier, p. 83, η" Β59 , une de Michel VII, p. 83 n° B60 et une de Michel VIII, p. 170-171, n° Β 144). Le Cabinet de Vienne conserve une bulle d'or d'Isaac II Ange (F. Dworschak, Byzantinische Goldbullen, Byzantinische Zeitschrifl 36, 1936, p. 36-45). Les plus anciennes bulles d'or byzantines conservées remontent à la fin du ixe siècle (Basile Ier) et les plus récentes au règne de Constantin XI (1448-1453). C. Morrisson et J. Nesbitt en donneront un relevé détaillé en même temps que les analyses des huit bulles d'or de Dumbarton Oaks lorsque celles-ci auront pu être réalisées.

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162 CÉCILE MORRISSON / MARYSE BLET-LEMARQUAND

Figure 5 - Vue partielle du droit de la bulle de Henri Ier

Les deux feuilles de chaque bulle et la feuille enroulée à l'intérieur possédant des compositions proches, le tableau ci-dessous présente les teneurs moyennes pour chaque objet30.

Au (%) Ag (%) Cu (%)

Pb (ppm) Pd (ppm) Pt (ppm) Sb (ppm) S η (ppm) Zn (ppm)

Bulle d'or de Baudouin Ier

81,8 12,8 5,2 794 14 76 70 166 49

Bulle d'or de Henri Ier (442 R)

82,0 14,2 3,7 436 18 89 41 109 72

Tableau 2 - composition des bulles des empereurs latins. Analyses réalisées au moyen de la méthode LA-ICP-MS

30. L'analyse de la bulle de Henri Ier a été réalisée sur la tranche, de façon à mesurer séparément chacune des deux faces et la tôle interne. Par contre, l'analyse de la bulle de Baudouin Ier s'est révélée plus pertinente sur la face de l'objet car le bord, et la tranche notamment, sont enrichis en cuivre et en argent du fait de la brasure. Des mesures complémentaires par spectrométrie de fluorescence X ont confirmé que les deux faces présentent bien les mêmes concentrations en or, argent et cuivre.

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LE MÉTAL DES CHRYSOBULLES (XIc-XIf SIÈCLE) 1 63

Comparaison de la composition des bulles avec celle des hyperperes

Les titres obtenus pour les bulles, qui sont respectivement de 81 ,8 % et 82,0 % concordent avec les teneurs en or des hyperperes frappés après la réforme d'Alexis Ier Comnène et jusqu'en 1203 (figure 6).

40/ 36

32, 28

24 % Ag y 20 - . ,

16, „ , e, 1 2 / i&g

'

8 /~ #

4 /_ Ζ Λ/

4 ί

• Hyperperes du xne siècle ' Bulle de Baudouin Ier

. Bulle de Henri Ier Hyperperes de l'empire de Nicée

12 16

20 24

, 28 32

,36

40 100 96 92 88 84 80 76 72 68 64 %Au

Figure 6 - Diagramme ternaire des teneurs en or, argent, cuivre dans les bulles des empereurs latins et dans les hyperperes du xne siècle

Plus généralement, les concentrations en or, argent et cuivre des bulles sont conformes à celles des hyperperes des Comnènes. Nous donnons pour ceux-ci des valeurs moyennes calculées sur des exemplaires du Cabinet des Médailles à partir des analyses par activation protonique publiées dans L'or monnayé (CEB 2, 1985, p. 232-237) complétées par celles de quatre hyperperes d'Andronic Ier, Isaac II et Alexis III pratiquées récemment par LA-ICP-MS (voir tableau 3 et appendice).

Il faut noter toutefois que la bulle de Baudouin Ier se différencie de la bulle de Michel VII et des hyperperes des Comnènes et des Anges par une teneur en cuivre un peu plus élevée.

La bulle de Baudouin Ier aurait tendance à contenir un peu plus de plomb que les hyperperes frappés avant ou après l'avènement des empereurs latins, alors que la concentration en plomb mesurée pour celle de Henri Ier est conforme à celle des hyperperes (figure 7). Mais une première série de mesures réalisée par LA-ICP-MS sur la bulle de Henri Ier avait mis en évidence des variations importantes de cet élément. La raison en était que les analyses avaient malencontreusement pris en compte une partie non métallique de l'objet. Il s'agit d'une

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164 CÉCILE MORRISSON / MARYSE BLET-LEMARQUAND

2000 Pb (ppm) • Hyperperes du xne siècle

^ Bulle de Baudouin 1er

l Bulle de Henri Ier

* Hyperperes de l'empire de Nicée

1000

··---«■

%Ag 10 15 20 25

Figure 7 - Les teneurs en plomb des hyperperes du xne siècle, des bulles des empereurs latins et des hyperperes de Nicée

120

100

80

60

40 -

20 -

Pt/Au(ppm) • Hyperperes du xne siècle

ο Bulle de Baudouin 1er δ Bulle de Henri Ier

« Hyperperes de l'empire de Nicée

Date

1100 1150 1200 1250 Figure 8 - Les teneurs en platine normalisées à celles en or

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LE MÉTAL DES CHRYSOBULLES (XIe-XIf SIÈCLE) 165

sorte de colle translucide marron qui enduit la face interne du droit et lie partiellement les disques à la feuille interne au niveau des ouvertures. Outre du plomb, elle contient différents éléments métalliques dont du zinc et de l'étain. Cette colle semble résulter de restaurations modernes. Il ne semble pas qu'une pollution comparable puisse expliquer le surcroît de plomb mesuré dans la bulle de Baudouin Ier par rapport aux hyperpères.

Hyperpères 1092-1204

Hyperpères 1092-1180

Hyperpères 1180-1204

Au (%)

83,7 (3,4)

85,3(1,5)

81,7(4,1)

Ag(%)

12,8(2,5)

11,4(1,4)

14,6(2,6)

Cu (%)

3,4(1,2)

3,3 (0,6)

3,5(1,7)

Pb (ppm)

287(91)

254 (77)

329 (94)

Pt /Au (ppm)

76(18)

71 (21)

80(16)

Bulle d'or de Baudouin Ier Bulle d'or de

Henri Ier (442 R) Moyenne des deux bulles

81,8

82,0

81,9

12,8

14,2

13,5

5,2

3,7

4,5

794

436

615

92

108

100

Tableau 3 - Composition comparée des hyperpères et des bulles

Les teneurs en platine normalisées à celles en or31 (figure 8) mesurées dans les bulles sont environ de 100 ppm, valeur en accord avec celles des hyperpères du xiie siècle. Ces monnaies contiennent en effet entre 40 et 100 ppm de platine et la concentration moyenne est de 76 ppm, associée à un écart type de 1 8 ppm. D'une façon générale, les teneurs des éléments-traces mesurées pour les bulles entrent dans la variabilité mise en évidence pour For des hyperpères (tableau 3 et tableau en appendice). Ces arguments supplémentaires laissent supposer que les bulles ont bien été fabriquées avec le même or que celui destiné à la frappe des hyperpères, trouvé par les Croisés à leur arrivée au Grand Palais32.

31 . Le platine étant un élément trace caractéristique de l'or, il est plus pertinent de considérer sa teneur normalisée à celle de l'or plutôt que sa concentration brute dans l'objet, celle-ci étant susceptible de varier au gré de l'altération de l'or.

32. C'est là, on le sait, qu'était situé l'atelier impérial, déjà pillé par la foule lors de l'émeute qui mit fin au règne d'Andronic Ier. C'est là aussi qu'étaient conservés les insignes impériaux dont on se servit pour le couronnement de Baudouin Ier à Sainte-Sophie ou les reliques que les empereurs latins distribuèrent ou mirent en gage (v. notamment B. Flusin, Les reliques de la sainte Chapelle et leur passé impérial à Constantinople, dans J. Durand et M. -P. Laffitte éd., Le trésor de la Sainte Chapelle, Paris, 2001 , p. 20-33 ; J. Durand et B. Flusin, éd., Byzance et les reliques du Christ, [Centre de recherche d'histoire et civilisation de Byzance. Monographies 1 7], Paris 2004) en les accompagnant de chrysobulles ou de molybdobulles qui nous sont ainsi parvenues, détachées ou non des documents originaux.

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166 CÉCILE MORRISSON / MARYSE BLET-LEMARQUAND

APPENDICE

Analyses complémentaires d'hyperpères de la fin du xne siècle

Au (%)

Ag (%)

Cu (%)

Pb (ppm)

Pd (ppm)

Pt (ppm)

Sb (ppm)

Sn (ppm)

Zn (ppm)

Andronic Ier

BNC01

Ane fonds 971

4,47 g

84,5

12,9

2,2

221

14

63

21

67

50

Isaac II

BNC01

Ane fonds 972

4,56 g 83,1

12,1

4,3

293

14

70

66

80

47

Isaac II

BNC02

Schlumberger 3590

4,34 g

73,0

19,4

7,0

407

13

73

37

158

22

Alexis III

BNC01

Ane fonds 943

3,87 g 85,3

12,0

2,4

225

13

47

37

64

48

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LE MÉTAL DES CHRYSOBULLES (XIe-XIIe SIÈCLE) 167

Bulle de Michel VII (HUAM, Coll. Whittemore)

Bulle de Michel VII (HUAM, Coll. Whittemore) χ 2

Bulle de Baudouin Ier (BnF)

Bulle de Henri Ier (BnF)

Planche I

RN2Œ)H,p. 151-167