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 1 Chronique d’une dindonnerie constitutionnelle. Mise au Point en guise de réponse à James Mouangue Kobila sur la prétendue rééligibilité de Paul Biya. Paul-Aarons Ngomo I- Les enjeux d’une édifiante polémique  Paul Biya est-il rééligible? La question parait saugrenue sitôt qu’on la rapporte au contexte d’une interminable restauration autoritaire où le maître de lieux survit surtout grâce à un art consommé de la r use incluant, comme en février 2008, le recours à une violence policière homicidaire pour réduire au silence quiconque oserait remettre en cause l’ordre politique qu’il fait régner au Cameroun. Pourtant, si l’on en croit quelques doctes personnages qui assurent n’intervenir dans le débat en cours qu’au nom du respect des normes juridiques bien comprises, le principe de sa rééligibilité serait inattaquable en droit. Quiconque y trouverait à redire manifesterait par là même une incurie juridique surtout révélatrice d’une ignorance impardonnable de la complexité du droit constitutionnel, voire une malicieuse propension à s’opposer perfidement au droit du peuple souverain à réviser la loi fondamentale, pour la rendre  plus conforme aux exigences d’une authentique démocratie. Le droit ayant été édicté, le reste coulerait de source. Paul Biya serait rééligible parce que la lettre et l’esprit de la révision constitutionnelle de 2008 visaient principalement à f onder sa rééligibilité en droit. Cette thèse est confortée, sous des formes diverses, par des apologistes de l’orthodoxie constitutionnelle qui s’offusquent de l’irrévérencieuse hardiesse des critiques stridentes qui rejettent le principe de la rééligibilité de Paul Biya. Comme en un hommage incongru du droit au viol de la constitution, des juristes signataires de motion de soutien en faveur du maintien au pouvoir de Paul Biya mobilisent depuis peu les ressources du droit pour défendre le principe de la rééligibilité d’un autocrate qui n’a de respect pour la loi que lorsqu’elle est spécialement édictée pour conforter ses appétits de pouvoir. En intervenant récemment dans ce débat, je me suis attaché à suggérer qu’un certain formalisme juridique s’ingéniant à réduire l’obje t du différend sur la rééligibilité de Paul Biya en controverse herméneutique sur le sens de la lettre et de l’esprit de la constitution révisée en 2008 participe d’un juridisme douteux qui fait suspicieusement l’impasse sur une flagrante manipulation de l a loi pour accommoder les desseins d’un régime peu enclin à respecter des règles impartiales. Sans surprise, un membre de la confrérie des cerbères de magistère qui ont investi leurs talents juridiques à la bourse des valeurs et des carrières de notre vénérable satrapie nationale m’est tombé dessus, à bras raccourcis, pour me faire entendre la raison du droit du plus  juridiquement fourbe. J’aurais été enclin à m’en tenir à un simple sourire sardonique si le contradicteur de circonstance n’était pas l’un d e ces pédants dont la rustrerie mégalomaniaque agaçante justifie une mise au point suffisamment vigoureuse pour envoyer un signal clair aux sous-fifres qui espèrent tirer les dividendes de leur dévotion opportuniste à un pouvoir qui œuvre à la perte du Cameroun. James Mouangue Kobila, puisqu’il s’agit de lui, s’indigne qu’une cohorte bruyante de gens sans expertise juridique s’arroge le droit de se mêler d’un débat qui serait la prérogative exclusive de professionnels du droit constitutionnel, comme son auguste  personne. La visée de sa démarche, qu ’il place d’emblée sous le sceau de l’objectivité juridique, est de contrer ce qu’il tient pour une perfide propension à mésinterpréter volontairement le droit au nom d’une malsaine politique partisane s’obstinant à nier que la révision constitutionnelle de 2008 a irréversiblement tranché le débat sur la rééligibilité de Paul Biya. Dans sa récente réaction, il prend pour cible ceux qu’il tient pour ses «  contempteurs ».

Chronique d'Une Dindonnerie Constitutionelle Reponse a Kobila

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Chronique d’une dindonnerie constitutionnelle. Mise au Point en guise de

réponse à James Mouangue Kobila sur la prétendue rééligibilité de Paul Biya.

Paul-Aarons Ngomo

I-  Les enjeux d’une édifiante polémique Paul Biya est-il rééligible? La question parait saugrenue sitôt qu’on la rapporte au

contexte d’une interminable restauration autoritaire où le maître de lieux survit surtout grâce à unart consommé de la ruse incluant, comme en février 2008, le recours à une violence policière

homicidaire pour réduire au silence quiconque oserait remettre en cause l’ordre politique qu’ilfait régner au Cameroun. Pourtant, si l’on en croit quelques doctes personnages qui assurent

n’intervenir dans le débat en cours qu’au nom du respect des normes juridiques bien comprises,le principe de sa rééligibilité serait inattaquable en droit. Quiconque y trouverait à rediremanifesterait par là même une incurie juridique surtout révélatrice d’une ignoranceimpardonnable de la complexité du droit constitutionnel, voire une malicieuse propension à

s’opposer perfidement au droit du peuple souverain à réviser la loi fondamentale, pour la rendre

plus conforme aux exigences d’une authentique démocratie. Le droit ayant été édicté, le restecoulerait de source. Paul Biya serait rééligible parce que la lettre et l’esprit de la révisionconstitutionnelle de 2008 visaient principalement à fonder sa rééligibilité en droit. Cette thèse

est confortée, sous des formes diverses, par des apologistes de l’orthodoxie constitutionnelle quis’offusquent de l’irrévérencieuse hardiesse des critiques stridentes qui rejettent le principe de larééligibilité de Paul Biya. Comme en un hommage incongru du droit au viol de la constitution,

des juristes signataires de motion de soutien en faveur du maintien au pouvoir de Paul Biya

mobilisent depuis peu les ressources du droit pour défendre le principe de la rééligibilité d’unautocrate qui n’a de respect pour la loi que lorsqu’elle est spécialement édictée pour conforter sesappétits de pouvoir. En intervenant récemment dans ce débat, je me suis attaché à suggérer

qu’un certain formalisme juridique s’ingéniant à réduire l’objet du différend sur la rééligibilité de

Paul Biya en controverse herméneutique sur le sens de la lettre et de l’esprit de la constitutionrévisée en 2008 participe d’un juridisme douteux qui fait suspicieusement l’impasse sur uneflagrante manipulation de la loi pour accommoder les desseins d’un régime peu enclin àrespecter des règles impartiales.

Sans surprise, un membre de la confrérie des cerbères de magistère qui ont investi leurs

talents juridiques à la bourse des valeurs et des carrières de notre vénérable satrapie nationale

m’est tombé dessus, à bras raccourcis, pour me faire entendre la raison du droit du plus

  juridiquement fourbe. J’aurais été enclin à m’en tenir à un simple sourire sardonique si lecontradicteur de circonstance n’était pas l’un de ces pédants dont la rustrerie mégalomaniaque

agaçante justifie une mise au point suffisamment vigoureuse pour envoyer un signal clair auxsous-fifres qui espèrent tirer les dividendes de leur dévotion opportuniste à un pouvoir qui œuvre

à la perte du Cameroun. James Mouangue Kobila, puisqu’il s’agit de lui, s’indigne qu’unecohorte bruyante de gens sans expertise juridique s’arroge le droit de se mêler d’un débat quiserait la prérogative exclusive de professionnels du droit constitutionnel, comme son auguste

 personne. La visée de sa démarche, qu’il place d’emblée sous le sceau de l’objectivité juridique,est de contrer ce qu’il tient pour une perfide propension à mésinterpréter volontairement le droitau nom d’une malsaine politique partisane s’obstinant à nier que la révision constitutionnelle de

2008 a irréversiblement tranché le débat sur la rééligibilité de Paul Biya. Dans sa récente

réaction, il prend pour cible ceux qu’il tient pour ses « contempteurs ».

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Le choix d’un terme qui relève du registre du dédain et du mépris, voire du dénigrement,

m’étonne d’autant plus qu’il indique que Kobila s’imagine être l’objet d’une croisade qui attenteà son honorabilité. L’intrépide agrégé dit vouloir défendre l’Etat de droit et s’inquiète de ce que,« dans la future République de [ses] contempteurs, l’on aura vite fait d’oublier l’Etat de droit.

 D’autant que M. Ngomo annonce que la première mission de leur futur gouvernement sera de

  faire fuir tous les constitutionalistes par la terreur ». Ceux qui règnent par la terreur sontpourtant connus au Cameroun où ils ne font pas mystère de leurs méthodes. Faudrait-il dresser la

longue liste des meurtres perpétrés sous Paul Biya pour persuader les patres des amphithéâtresque leurs doctes proclamations sonnent comme de la fausse monnaie ? Hors des cercles des

sicaires du RDPC, peu de gens raisonnables se risqueraient à décrire une croisade juridique pour

défendre la tentative de pérennisation du pouvoir de Paul Biya comme un combat pour l’Etat dedroit. Acte est donc pris du lieu d’où parle Kobila et des intérêts au service desquels sonexpertise est engagée. Mais le plus surprenant de l’affaire n’est pas vraiment que Kobila décrivele Cameroun satrapique de Paul Biya comme un Etat de droit en feignant d’omettre les brutali tésque subissent ceux qui osent organiser des manifestations pour protester contre les pratiques

autocratiques d’un régime qui emprisonne ou torture ceux des rares groupes et personnalités de

l’opposition qu’il ne parvient pas à corrompre ; l’étrangeté de  l’histoire est qu’un cerbère  juridique visiblement embarqué dans un marchandage opportuniste prétende revendiquer

l’autorité d’un juriste universitaire sérieux.L’objectif du docte juriste est de faire place nette en chassant du temple du droit la faune

nombreuse de profanateurs à l’entendement qu’il croit trop étriqué pour saisir les subtilescomplexités du droit constitutionnel. Son fiel cible principalement Mathias Eric Owona Nguini

décrit comme un « affabulateur de premier ordre » et l’auteur de ses lignes. A en croire le juriste

de cour de Douala, mon « argumentation s’avère encore plus faible que celle de l’enseignant del’IRIC  » coupable de vouloir élargir le débat au « tout venant » en donnant « voix au chapitre

aux experts financiers, électriciens, plombiers, cuisiniers et chauffeurs dans un débat relevant,

ainsi qu’il le concerne lui même de la technique juridique, de la théorie juridique et de la

 philosophie juridique ». Le débat constitutionnel serait donc une affaire de spécialistes rompusaux usages de l’herméneutique juridique, sans commune mesure avec un débat démocratique enprincipe ouvert aux citoyens s’intéressant aux affaires publiques. En un sens, la défense deprincipe de la lettre de la loi a quelque chose de rassurant. Mais sitôt qu’on en rapportel’intentionnalité à une tradition de manipulation juridique visant à consolider le pouvoir autocratique de Paul Biya, on s’aperçoit que l’intervention de James Mouangue Kobila fait partied’une tradition de formalisme juridique à géométrie variable qui n’invoque les règles de droitque pour imposer des principes adoptés unilatéralement pour servir les intérêts d’une coterieclientéliste persuadée qu’une compétition libre scellerait son sort.

La démarche de Kobila repose sur deux expédients simples. Au premier abord, son

approche limite le débat à une simple interprétation des dispositions d’une constitution révisée

spécialement pour favoriser le maintien de Paul Biya au pouvoir. Ce subterfuge réductionniste  permet d’évacuer la question pendante de la légitimité d’une telle démarche au profit d’unformalisme de circonstance consacrant un fétichisme juridique qui fait de la loi un simple

instrument au service des puissants du jour. La généalogie de cette tradition

d’institutionnalisation de l’iniquité  s’inscrit dans une continuité autocratique ininterrompue où

les lois d’exception, comme les multiples révisions de la constitution sous Paul Biya, figurent en

bonne place. Ensuite, Kobila feint d’être un honnête constitutionnaliste qui se borne à proposer

les lumières de son expertise « afin, dit-il, de ne point laisser intactes les hérésies ainsi livrées à

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la crédulité des Camerounais ». En d’autres circonstances, cette indécente prétention n’auraitguère suscité qu’un simple haussement d’épaules. J’aurais pu me contenter de rire sous cape etrailler les lubies d’un fantassin du RDPC met ses élucubrations juridiques au service d’une cause

pour laquelle il est par ailleurs un pétitionnaire invétéré souhaitant, de tout cœur, la perpétuationdu pouvoir autocratique de Paul Biya.

L’actuel débat n’a rien d’une de ces « controverses hétérogènes » dans lesquelles Kobilarépugne à s’engager. Il s’agit principalement d’un débat citoyen qui n’a rien d’une controverseésotérique entre spécialistes du droit constitutionnel. Par son objet et sa portée, il s’inscrit, endroite ligne, dans le cadre général du différend politique majeur au Cameroun. L’identité politique des groupes et des individus qu’opposent des valeurs et des attentes en désaccord sontégalement connus. D’une part, on discerne sans peine les factions et clientèles qui tirent parti del’autocratie et des avantages qu’elle laisse miroiter aux foules de cour qu’elle attire, et, d’autrepart, les multitudes aux aspirations démocratiques contrariées qui espèrent l’émergence d’unesociété d’équité. Le formalisme juridique de ceux qui évacuent le débat sur le déficitdémocratique de la société camerounaise, sous le fallacieux prétexte qu’une telle extensionélargirait indûment ce qui ne serait qu’une simple interprétation de la constitution révisée en

2008 est donc une ruse qui vise à travestir une question fondamentale ; on pourrait la formulerdans les termes suivants: de quelle légitimité peut se prévaloir une politique du fait accompli quiuse des atours formels de la démocratie, sans jamais en appliquer les normes, et d’une majorité partisane douteusement établie pour modifier à son avantage les dispositions d’une constitutionpourtant établie, unilatéralement, par ceux qui ont fini par se rendre compte qu’elle n’autoriseraitpas toutes leurs forfaitures ? En voulant faire d’un débat citoyen une simple masturbation  juridique sur la signification d’une disposition constitutionnelle taillée sur mesure pour accommoder les appétits de pouvoir d’un autocrate incapable de se soumettre à ses propresrègles, Kobila décline les principes au service desquels il voue sa plume. Il va sans dire-mais il

faut le dire- qu’il n’est, ni le premier, ni le dernier, dans une longue procession d’universitairesqui opèrent comme fantassins de première ligne pour protéger les fortifications

constitutionnelles qui cuirassent le régime de Paul Biya. En soi, ceci n’a rien d’étonnant dans unpays où on a curieusement entendu un universitaire devenu ministre s’indigner qu’on critique les

desseins de perpétuation du pouvoir de Biya lors qu’on célèbre la longévité du règne de la reined’Angleterre !

Si la variante de textualisme constitutionnel qui oriente la démarche de Kobila affirme, en

apparence, la primauté d’une interprétation de la constitution privilégiant l’esprit et la lettre dutexte de la loi fondamentale, il faudrait se garder d’y voir un souci de fidélité à des valeursconformes à des normes d’équité. Ici, le formalisme sert de paravent commode à une duperie juridique dont les commanditaires ne prospèrent qu’au prix d’une manipulation constante de laloi ; ce subterfuge impose des termes de la compétition politique qui, bien qu’elle vide ladémocratie de toute substance, n’en conserve pas moins les formes. Le fétichisme du formalisme

 juridique que prône Kobila fait écho au loyalisme servile de ceux qui, avant lui, y sont allés deleur verbe et de leur prose équivoques pour nous assurer, la main loin du cœur, que les loisd’exception étaient conformes à la constitution taillée sur mesure par un autre autocrate pour

embastiller, torturer, et assassiner en toute bonne conscience des opposants campés comme

d’impitoyables terroristes conspirant contre la paix de la veuve et de l’orphelin. La maxime et lemode d’opération demeurent constants, dans les formes comme dans les effets : changer les

règles et imposer un cadre d’interprétation qui impose comme point de départ les dispositions les  plus récentes, en s’assurant qu’elles sont modifiées pour obtenir exactement les résultats

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correspondant aux attentes du pouvoir. Le triomphe du formalisme permet de sauver lesapparences en maintenant un décorum qui singe les usages et les formes de la démocratie pour

conserver une apparence d’honorabilité qui épargne à l’autocrate l’opprobre d’une dénonciationlégitime de ses pratiques politiques sordides.

Le formalisme juridique qui évacue subrepticement les préalables susceptibles d’éclairer 

le débat et d’en expliciter clairement les enjeux repose sur une logique spécieuse ; celle-ci tient pour légitimes des inférences fallacieuses induites de présupposés contestables qu’imposent ceuxpour qui la force fait droit. Dans sa chanson à succès   Mota benama, l’artiste Charles Lembèdésigne de telles pratiques d’une expression duala, njom’a ngila,  qui correspond à ce que le

fabuliste Jean de la Fontaine appelle la raison du plus fort. En s’opposant à l’extension du débatsur la rééligibilité de Paul Biya aux conditions suspectes d’une révision constitutionnelle qui asupprimé la limitation du nombre de mandats présidentiels, les défenseurs du formalisme

 juridique opèrent en réalité sur un mode analogue à la démarche du loup raisonneur de la fable.

L’apparence de rationalité cède vite le pas à une politique du fait accompli qui prétend soustrairedes   procédés douteux de l’examen public, sous le fallacieux prétexte que la révision de laconstitution répondait à une requête populaire. Mais le peuple ne se réduit pas aux foules de

courtisans qui signent des pétitions, rédigent des motions de soutien, encore moins aux cerbèresde magistère qui feignent de découvrir les vertus d’un textualisme constitutionnel qui fait le jeude l’autocratie. Quiconque a quelque familiarité avec la politique camerounaise n’ignore pasqu’il ne s’agit pas, contrairement à ce que Kobila feint de croire, d’un « soupçon de

manipulation ». Le docte juriste croit décisif de rappeler que « les archives des plus grandes

démocraties du monde regorgent de lois jamais appliquées et d’institutions jamais mises enplace, parfois depuis plus d’un demi siècle ». Le Cameroun serait donc un cas ordinaire puisqu’ilne s’y passe rien d’anormal ; comme dans les « plus grandes démocraties », des lois y restentlettre morte et des institutions ne sont jamais mises en place ! Appelons cela, la preuve par

l’aberration, une variante inédite d’une forme de raisonnement dont on doit l’invention àKobila. La parade est pathétique et la question demeure entière : pourquoi des institutions

fondamentales ne sont-elles toujours pas en place 15 ans après la constitution de 1996 ?Le soupçon persiste que cette surprenante procrastination n’a rien d’un hasard ; elle

 participe d’une culture du fait accompli permettant à Paul Biya de se maintenir au pouvoir. Leproblème est donc politique de part en part, même si Kobila se croit justifié à réclamer le respect

d’une constitution régulièrement amendée pour la cuirasser contre les aspirations du plus grandnombre. L’alibi formaliste qui tire argument d’un technicisme juridique équivoque pour conforter les forfaitures constitutionnelles de Paul Biya rappelle précisément que le droit

constitutionnel est une chose trop sérieuse pour être laissée en pâture aux sbires du Biyaïsme qui

s’abritent derrière un culte formaliste pour simuler la surdité et la cécité face aux enj eux majeurs

du différend politique au Cameroun. Le plus sérieusement du monde, Kobila se demande ce queferaient ceux qui contestent la procédure de révision de la constitution en 2008 « s’ils étaient des

citoyens de certains pays européens (les Pays-Bas et la France) où, après le rejet du projet deConstitution pour l’Europe en 2005, l’Exécutif a choisi la voie parlementaire pour l’adoption duTraité de Lisbonne trois ans plus tard ». L’expédient est si bizarroïde qu’il mérite à peine unhaussement d’épaules. Kobila aurait-il fini par se persuader que ses aberrantes fabulations ne

sont pas autre chose que de grossiers simulacres qui singent le droit pour dissimuler d’obscurescontorsions juridiques mises au service d’une sordide satrapie? Ni la France ni les Pays-Bas

n’ont une constitution taillée sur mesure pour assouvir les desseins d’un autocrate. L’histoire descontorsions juridiques sous Paul Biya rappelle malencontreusement que les cerbères du prince ne

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reculent devant rien lorsqu’il s’agit de conforter des pratiques susceptibles de perpétuer le règne

un système qui ne survit qu’au prix d’une manipulation constante des lois.Les incantations de Kobila sur la technique juridique visent à suggérer que le Cameroun

est un Etat de droit fonctionnel, comme d’autres, et que ses institutions jouissent d’une crédibilitéfiduciaire suffisante pour qu’on admette, comme allant de soi, les modifications des règles

fondamentales tant qu’elles sont effectuées suivant les normes édictées pour garantir une mise enordre de l’espace politique correspondant aux expectations de Paul Biya. Ainsi, il importerait peuque, comme par enchantement, les usages du droit dans la sphère politique soient subordonnés àune seule fin, celle qui autorise un président totémisé par une constitution qui lui confère des

 pouvoirs considérablement étendus à infléchir le cours de la compétition politique pour s’assurer un avantage décisif. Les prestidigitations et les gesticulations de Kobila sont néanmoins utiles, neseraient ce que parce qu’elles permettent de comprendre des modalités instructives du marchédes compétences juridiques au Cameroun. Le formalisme que défendent les membres de la

confrérie du fétichisme juridique fait l’impasse sur les conditions sociales et politiques del’énonciation du droit ; il consolide une interprétation des normes juridiques qui transforme le

droit en prérogative léonine au service d’une caste qui se sert du droit comme d’un expédient

  permettant d’écarter toute compétition. Kobila propose une analyse de l’interprétationpsychologique de la révision constitutionnelle de 2008 et interprète le principe de la non-

rétroactivité de la loi en indiquant selon un procédé formaliste qui établit indubitablement qu’iluse de son expertise de juriste pour conforter sa  position partisane de signataire d’une pétitionqui chante les louanges de Paul Biya en le suppliant de se porter candidat à la prochaine électionprésidentielle. Le juriste qui prétend interpréter objectivement le droit apparait ainsi comme un

partisan avançant masqué qui se drape de la cape de l’objectivité juridique pour mieux défendreune cause suspecte. Mais le formaliste fétichiste a ses limites ; elles ne sont jamais aussi claires

que lorsqu’elles transforment en talon d’Achille ce qui a l’apparence d’une posture inatteignable.Paradoxalement, Kobila révèle les limites de son juridisme courtisanesque en rendant compte du

principe de non-rétroactivité de la loi et en proposant une lecture de l’interprétation

  psychologique de la constitution d’une manière qui trahit sa duplicité de thuriféraire. On nes’étonnera pas que les compromissions serviles des partisans du formalisme juridiqueaccomplissent subtilement, avec les outils du droit, ce que des loubards en uniformesaccomplissent impitoyablement   par l’entremise de féroces ratonnades ou d’exécutionssommaires de manifestants, comme en février 2008.

II-Le formalisme juridique est l’instrument de la raison constitutionnelle du plus fort

Un certain formalisme qui vide le droit de sa substance normative sert généralement de

prétexte aux juristes enrégimentés par le régime Biya pour se donner bonne contenance. Si la

pusillanimité de Dipanda Mouelle est encore vivace dans la mémoire collective comme unexemple de rouerie juridique, les franc-tireurs qui se bousculent pour prendre la relève semble

avoir déjà fourbi les armes requises pour perpétuer le magistère du formalisme fétichiste. Le casJames Mouangue Kobila est intéressant pour plusieurs raisons. On lui doit un livre détonnant quithéorise et légitime le clientélisme ethnique abusivement décrit comme une conception de la

 justice politique sous la nébuleuse dénomination d’équilibre régional qui traduirait l’exigence deprendre en compte « la composition sociologique » de l’Etat dans la gestion de la cité. Il se

signale aussi depuis peu comme une sorte d’intégriste du droit au service d’un fondamentalisme  juridique douteux qui réduit le droit à la stricte observance de principes formels, sans

considération des circonstances de leur énonciation. En tentant maladroitement de disqualifier

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quiconque ne serait pas juriste du débat sur la rééligibilité de Paul Biya, Kobila manifeste surtout

l’étendue d’un provincialisme fort naïf. Dans la mesure où tout débat fondamental sur laconstitution engage la vie de la communauté politique, il ne saurait être l’apanage exclusif des  juristes. Dans les conditions d’une délibération ouverte, en principe, à l’ensemble du corpspolitique, le débat sur la constitution concerne chaque citoyen. Du reste, le constitutionalisme

moderne dépasse les frontières étriquées du droit constitutionnel tel qu’il est psalmodié par ceuxqui se bornent à régurgiter des doctrines sans en saisir conceptuellement les principes.

La politique précède et fonde le droit. Elle est le principe d’ordonnancement qui activeles procédures délibératives dont découle la moralité politique dont le droit tire sa force

légitimante. La propension à muer un débat constitutionnel en exercice exégétique entre

spécialistes du droit constitutionnel procède de deux erreurs connexes. En premier lieu, le « toutvenant » dont Kobila parle avec condescendance est constitutive de la diversité du peuple dont il

 porte et exprime la volonté. L’obsession d’exclure le « tout venant » relève d’un élitisme bancal

et d’une bêtise qui s’ignore comme telle. Le gouvernement de la multitude tire sa force de sonaptitude à enrichir les délibérations publiques en tirant parti du savoir cumulé du plus grand

nombre. Comme Aristote avant lui, Condorcet établit justement que la probabilité qu’une

assemblée délibère correctement croit exponentiellement, à mesure que le nombre de participantstend vers l’infini. Traduite en termes simples, cette intuition mathématique signifie quel’intelligence de la multitude supplante forcément celle de chaque individu d’une assemblée prisséparément, lorsqu’elle s’exprime dans des conditions optimales. En second lieu, le droit n’a passa fin en lui-même. Il codifie une volonté qui impose sa substance à la forme juridique.

Au regard de ce qui précède, le contenu normatif du droit dépend du processus de

légitimation par lequel le droit positif donne corps aux attentes du plus grand nombre. Il en va du

droit comme de la chouette de minerve : c’est à la tombée du jour qu’il déploie la forme par

laquelle sont codifiées la volonté et les aspirations du peuple, tout comme son désir d’équité. Ony a recours pour codifier les accords fondateurs issus de délibérations antérieures sans lesquelles

le droit serait privé de sa force légitimante. Ces rapides considérations théoriques indiquent à

suffisance qu’une révision constitutionnelle qui fait l’économie d’une procédure de légitimationimpliquant le plus grand nombre n’est guère qu’une camisole de force. La remarque vautégalement pour tout fétichisme formaliste qui s’agrippe à des dispositions conçues expressémentpour priver la multitude de son pouvoir constituant. Une constitution promulguée dans les

conditions douteuses d’une prépondérance de méthodes autocratiques vaut exactement ce quevaut le rapport de force qui la soutient. Une fois l’équilibre rompu, rien n’empêchera del’abroger et de renvoyer les prosélytes du formaliste fétichiste, comme Kobila, à leursratiocinations suspectes. Intervenant dans le débat en tant que citoyen, je n’ai pas à décliner de

titres académiques , encore moins prétendre, comme certains pontifes du droit, qu’unequalification académique confère le droit d’arraisonner un débat public et le soustraire àl’examen délibératif du plus grand nombre sous le fallacieux prétexte que le « tout venant » n’a

 pas à s’immiscer dans une débat qui serait la prérogative exclusive de soi -disant spécialistes.L’argumentation en faveur de la rééligibilité de Paul Biya est, à tout bien considérer, un plaidoyer en faveur d’un statu quo dont la charpente juridique a été mise en place essentiellement

pour garantir la prépondérance politique du Biyaïsme. Sous les dehors d’une simple applicationdes canons de l’objectivité juridique afin d’établir que « la révision constitutionnelle promulguéele 14 avril 2008 rend le Président de la République indéfiniment rééligible», Kobila croit pouvoir

masquer le fait qu’il n’est en réalité qu’une petite frappe au service de l’orthodoxie imposée par Paul Biya. Or, tout dans sa démarche indique qu’il agit comme un servile fantassin du

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conservatisme autocratique qui vicie l’ordre juridique pour le transformer en instrument depréservation de positions suspicieusement acquises pour les cuirasser contre toute compétition.

Le subterfuge naïvement positiviste qu’adopte le signataire de motions de soutien à Biya l’induità décliner sa « note d’actualité constitutionnelle » comme une illustration appliquée de « la

démarche juridique qui est descriptive, en ce sens qu’elle vise à  exposer, comprendre ou

expliquer ce qui est, sans chercher à déterminer ce qui devrait être ». Il est relativement facile dedémasquer les étranges circonvolutions que le comparse de Douala tente de fourguer en

contrebande: le droit- dont il semble ne pas comprendre les principes, en dépit de ses titresronflants- est une discipline normative qui n’est phénoménologique qu’en apparence. Ladescription n’y a cours que comme une stratégie d’explicitation destinée à articuler uneinterprétation dont la pertinence est fonction de sa fidélité au contexte et à l’esprit de la loi, maisaussi à sa vocation à garantir une impartiale exigence d’équité par laquelle la loi s’atteste commeun mécanisme d’arbitrage qui empêche la force brute de faire droit, en s’imposant au forceps.

Le descriptivisme juridique de Kobila lui permet d’éluder le différend sur lescirconstances de la révision constitutionnelle de 2008 et du rapport de force asymétrique qui a

 permis au RDPC d’introduire, comme effraction, le projet de révision de la constitution au cours

d’une séance unilatéralement raccourcie en une quinzaine de minutes, en dépit des protestationsdu Jean Jacques Ekindi et du SDF. Bien instruit des rudiments des arts de la rouerie en politique

à l’école de son « illustre prédécesseur », Biya a fait de la manipulation obsessionnelle des lois la

signature par excellence de sa duplicité politique. Les concessions ne sont jamais que des feintes

qui préparent parce que Biya et ses sbires n’ont aucun scrupule à se dédire tant que la voltefacesert leurs intérêts. L’abrogation des lois restreignant la marge de manœuvre et les ambitionscésariennes de l’autocrate lui permet de travestir ses manigances en fournissant un nouvelhabillage juridique au viol constant de la constitution. Une fois le forfait accompli, despositivistes de circonstance entrent en scène pour parachever la forfaiture en prétendant

appliquer une méthode descriptive qui ne s’intéresse qu’à ce qui est, non à ce qui devrait être.On ne s’étonnera donc pas que le cerbère juridique qui défend hargneusement le statu quo

s’accommode joyeusement d’une légalité taillée sur mesure pour imposer la loi du plus fort. Lerecours sélectif au droit permet aux foules de courtisans qui pérorent sur la lettre de la

constitution révisée d’évacuer toute discussion sur les conditions de la révision de la loi

fondamentale. L’objectif   n’est pas difficile à imaginer : maintenir un système qui survit et

 prospère en obturant la possibilité d’un ordre juridique qui ne se bornerait pas à consolider undispositif autoritaire au service des caprices politiques d’un autocrate avide de pouvoir. La politique du fait accompli se joue en deux étapes. Une fois les lois modifiées pour s’assurer quePaul Biya obtiendra en toute légalité ce qu’il désire, la cohorte d’affidés qui bénéficient de ses

largesses, par la grâce d’une nomination, envahissent les espaces discursifs pour  légitimer l’ordrequ’il impose au moyen de contorsions juridiques destinées à donner caution aux pratiquespseudo-démocratiques unilatéralement imposées aux groupes qui revendiquent une application

impartiale de la loi.L’intervention des cerbères juridiques a pour seule fin d’articuler une interprétation del’ordre juridique qui sert précisément les desseins de Paul Biya, le marionnettiste de l’ombre.Lorsque Kobila déclare que la loi ne dispose que pour l’avenir, il feint de valoriser l’exigence desécurité juridique qui sous-tend le principe de la non-rétroactivité de la loi. A première vue, une

telle démarche semble participer d’un souci d’intégrité normative qui a pour seul but de garantir

l’impartialité en affirmant la transcendance des normes juridiques. Mais c’est par les effets quecette démarche induit qu’il importe d’en saisir les motivations et la finalité. Tandis que

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l’exigence de sécurité juridique qui restreint les possibilités de rétroactivité de la loi vise, avant

tout, à limiter l’arbitraire tout en préservant la qualité intrinsèque de la loi, elle estinstrumentalisée par les cerbères juridiques de l’ordre établi par Paul Biya spécifiquement pour légitimer une arbitraire propension opportuniste à légiférer dans le simple but de légitimer, par le

droit, les forfaitures destinées à assurer la perduration de l’Etat-Rdpc. Le droit est ainsi mis au

service d’une factionnalisme qui exploite, à son avantage, la possibilité de changer les lois en lessoustrayant à toute critique, sous le prétexte convenu que la loi ne dispose que pour l’avenir. Onobjectera que la majorité parlementaire du RDPC et la légitimité constitutionnelle du pouvoir derévision conféré au président de la république justifient, au regard de la loi, la procédure comme

le résultat de l’abrogation de la limitation du nombre de mandats présidentiels. Tel est du moinsl’argument favori des cerbères juridiques au service de Paul Biya et de sa clientèle d’affidés.Mais, sauf à oublier ou tenir pour quantité négligeable les colossales tricheries électorales

régulièrement dénoncée à chaque élection organisée par l’administration partisane aux ordres du pouvoir en place, il est difficile d’admettre qu’une faction dont l’esprit de clan est connu pourraitraisonnablement réviser la constitution sans motivation partisane.

A plusieurs reprises, Kobila cherche refuge dans le recours pataud au raisonnement

analogique sans même s’apercevoir que son funambulisme naïf ne suffit pas à masquer la vacuitélogique de son argumentation. Ainsi, fidèle à sa propension à aligner des citations au lieu

d’argumenter rationnellement, il cite une phrase de l’Abbé de Sieyès où ce penseur engagé de larévolution française rappelle qu’« [u]ne nation ne peut ni aliéner, ni s’interdire de vouloir. Et 

quelle que soit sa volonté, elle ne peut pas perdre le droit de la changer dès lors que son intérêt 

l’exige ». Kobila sait-il ce que Sieyès entend par nation ? Comme il cite pour faire savant à peu

de frais, il ignore manifestement que le philosophe-législateur ne défend pas le principe de la

flexibilité juridique comme un simple expédient au service d’une majorité douteusement acquise.Il suffisait de lire, et de comprendre Sieyès, pour faire l’économie de ce douteux usage d’uneréférence dont le sens est pourtant simple. Si, comme le dit Sieyès, la nation est « un corps

d’associés », la volonté commune qui unifie des multitudes disparates et permet l’expression des

desseins du corps politique tout entier requiert autre chose qu’une révision menée hâtivement pour draper d’un légalisme suspect une initiative qui n’est rien d’autre qu’un coup de force.Dans une dénonciation passionnée de l’accaparement du pouvoir par des castes d’affidés

qui dépouillait la nation sans scrupules, Sieyès notait justement « l’effrayante vérité que, d’unemanière ou d’autre, toutes les branches du pouvoir exécutif sont tombées aussi dans la caste quifournit l’Église, la Robe et l’Épée. Une sorte d’esprit de confraternité ou de compérage fait que

les nobles se préfèrent entre eux, et pour tout, au reste de la nation. L’usurpation est complète; ilsrègnent véritablement (Qu’est ce que le Tiers Etat ? 2002. Paris : Editions du Boucher, p.11).

Comme du tem ps de Sieyès, L’effrayante vérité du Cameroun est que les pouvoirs constitués ysont accaparés par des groupes dont le compérage obsessionnel empêche tout changement

démocratique. Comme il fait partie des groupuscules qui soutiennent Paul Biya, il n’est pas

étonnant que Kobila assimile la nation camerounaise aux rédacteurs de motions de soutien et auxmilitants du RDPC dont les chœurs hypocrites réclamaient une énième manipulation de la loifondamentale pour cautionner la présidence à vie que Biya cherche à imposer à une nation

zombifiée par son long règne.

Si la révision des lois est une prérogative démocratique fondamentale, encore faudrait-ilque les lois soient à l’abri de triturations opportunistes destinées à consolider la domination decastes qui s’imposent par la violence. La prudence démocratique implique qu’ « il n’y a aucunecontradiction dans la pratique à ce que les lois soient constituées d’une manière si ferme que le

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Roi lui-même ne puisse les abolir » (Baruch Spinoza. Traité Politique, VII ). Bien que Spinozaévoque la nécessité du retranchement des lois (legal entrenchment ) en contexte monarchique,

son propos n’en garde pas moins toute sa pertinence partout où des factions qui gouvernent par laterreur se servent des formes institutionnelles de la démocratie pour imposer la loi du plus fort.

Mais Kobila est évidemment si peu enclin à admettre le principe de l’impartialité des lois qu’il

n’hésite pas à défendre sa justification opportuniste d’une révision constitutionnelle dont le butavoué était en fait de permettre à Biya de se porter à nouveau candidat. Pressé de s’expliquer par une objection décisive de Mathias Eric Owona Nguini, le docte juriste n’a pas trouvé mieuxqu’une bizarre parade d’évitement. A l’en croire, il n’y aurait guère matière à se formaliser de la

curieuse inapplicabilité de lois adoptés puis prestement abrogées pour plaire au prince « d’autantque les archives des plus grandes démocraties du monde regorgent de lois jamais appliquées et

d’institutions jamais mises en place,  parfois depuis plus d’un demi siècle ». C’est un peu commesi un voleur voulait se dédouaner en expliquant que des gens réputés plus honnêtes se sont

rendus coupables des mêmes chaparderies coupables que lui sans pour autant aller à la potence.Faut-il rappeler que dans les démocraties établies, les lois ne sont pas manipulées

régulièrement pour accommoder ceux qui ne sont enclins à respecter que les règles édictées pour

garantir leur arraisonnement du pouvoir ? Faut-il rappeler que dans les démocraties africainescrédibles, des nombreuses voix se sont élevées pour dénoncer l’indécence de révisionsconstitutionnelles abusives ? Mathieu Kérékou a eu l’élégance de s’opposer aux clameurs descourtisans qui le suppliaient avec empressement de tenter de faire réviser la constitution alors

qu’Olusegun Obasandjo s’est vu opposer une fin de non recevoir par le sénat de son pays. AuCameroun, des juristes zélés expliquent placidement qu’il serait vain de pousser des crisd’orfraie pour protester contre la révision de la constitution parce qu’elle aurait été menée dans lestrict respect des règles. Alors que l’article 36 (1) de la constitution de 1996 introduisait, defacto, une procédure de révision suggérant l’option référendaire comme voie délibérative pour des questions décisives, Paul Biya a choisi de faire modifier par une assemblée nationale que

Luc Sindjoun qualifia autrefois, avant de se mettre de se mettre au service du prince, comme

« une chambre d’enregistrement » de la volonté du pouvoir exécutif.L’article susmentionné dispose justement que « le Président de la République, après

consultation du Président du Conseil Constitutionnel, du Président de l’Assemblée Nationale etdu Président du Sénat, peut soumettre au Référendum tout projet de réforme qui, bien que

relevant du domaine de la loi, serait susceptible d’avoir des répercussions profondes sur l’avenir de la nation et les institutions nationales ». Cette disposition concerne, entre autres, « des projets

de loi portant sur l’organisation des pouvoirs publics ou sur la révision de la constitution ». A

cette disposition concurrente, Paul Biya a préféré une option qui a privé le peuple d’exercer directement son jugement, publiquement, sur une question dont l’issue affectera, à n’en pasdouter, l’équilibre politique du pays pendant au moins sept années, sans parler des conflits de

coteries autour d’un président qui est d’un point vue actuariel, la figure par excellence du passif 

dans l’histoire du Cameroun postcolonial. Le ridicule n’étant décidément pas d’effet dedissuasion parmi les doctes juristes qui vouent leur plume à la défense d’une révisionconstitutionnelle personnalisée pour plaire à son instigateur. Kobila a l’outrecuidance de feindrede dénoncer « l’impressionnisme juridique qui consiste à appr écier la disposition normative sur

la rééligibilité du président de la République au Cameroun d’après l’ambiance générale del’affaire et non, certes, par les outils techniques requis ».

Mais qui diantre est donc impressionniste et apprécie la rééligibilité de Paul Biya

« d’après l’ambiance générale de l’affaire » ? Ceux qui s’opposent à une révision opportuniste

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de la constitution où un cerbère juridique qui s’empresse d’apposer le sceau suspect de sonexpertise de signataire de motions de soutien à un autocrate pour défendre le droit de celui qui

est l’objet de ses suppliques de courtisan à se maintenir au pouvoir, contre le bon sens, après prèsde trois décennies de prévarication et d’incompétence ? Dans la course effrénée aux faveurs du

  prince, il n’est pas surprenant qu’un docte juriste auteur d’un livre à la gloire de l’idéologie

autochtoniste de Paul Biya recyclée en protection des droits des minorités se retrouve aussi parmiles universitaires qui l’implore de s’enkyster au pouvoir. Il m’importe peu que, poussés par une

indécente vanité, les fantassins de l’hallali étalent au grand jour l’ampleur de leur juridisme defaçade. Mais il est vital qu’ils aient bien conscience que le larbinisme n’est pas la chose dumonde la mieux partagée et que le droit constitutionnel n’est heureusement pas l’apanage dessicaires au service de Paul Biya.

Si chacun a le droit souverain de défendre un candidat, voire de tenter de faire passer une

forfaiture constitutionnelle pour une révision de la loi fondamentale conforme à l’équité, encore

faudrait-il que ceux qui font de tels choix avouent publiquement leur posture partisane au lieu de

  prétendre qu’ils se bornent à prendre le parti objectif du droit. Il est ainsi fort risible de lireKobila lorsqu’il croit raffermir ses fallacieuses proclamations en les drapant de l’autorité de la

« méthodologie fondamentale du droit ». L’une de ses forfanteries favorites consiste à égrener doctement des références scolaires qu’il tient benoitement pour des arguments sans parade. Ilprétend ainsi dériver un appui décisif d’une interprétation psychologique de la révision de 2008sans se rendre compte que cette vérification établit précisément que la modification

constitutionnelle qui visait effectivement à assurer la rééligibilité n’est, pour cela, qu’unaccommodement opportuniste qui avait pour seul but de subvertir la loi au profit de Paul Biya.

L’examen de la volonté du législateur révèle surtout l’étendue de la culture de compérage (Dixit

Sieyès) parmi les députés du RDPC. L’interprétation psychologique dévoile, mieux que tout

autre indice, la subjectivité des auteurs d’une révision à la carte. La méthode de confirmationétablit choisie pour établir l’intentionnalité des législateurs permet, contre toute attente, dedémasquer une opération partisane de manipulation de la constitution au profit d’un autocrate qui

s’agrippe désespérément au pouvoir.L’image du docte juriste qui émerge de cette discussion n’est guère flatteuse. Ellerappelle que les arguties juridiques des cerbères juridiques au service de la satrapie de Paul Biyane diffèrent guère des juristes loufoques que Franz Kafka brocardait si délicieusement en

suggérant que le droit fonctionne parfois comme une liturgie dont le byzantinisme sert de

 paravent à l’arbitraire et aux absurdes gymnastiques qu’une superficielle référence à la technique  juridique ne suffit pas à masquer. Peut-être les historiens qui se pencheront un jour sur cette

  période trouble de l’histoire des compromissions des juristes qui prêtent leur expertise augouvernement autocratique de Paul Biya expliqueront-ils aux générations futures pourquoi tant

de gens, apparemment sérieux, ont cru bien faire en volant au secours d’un système qui subsiste  par la tricherie et la violence. Pour l’édification de tous et de chacun, il importe de rappeler

 pourquoi les manœuvres des cerbères juridiques sont vouées au ridicule.  

III- L’inconstitutionnalité de la candidature de Paul Biya

Si, comme on l’a souligné à suffisance, la révision constitutionnelle de 2008 fournit une

illustration supplémentaire, si besoin en était encore, que la distorsion de l’ordre juridique pour se garantir un avantage comparatif indu participe d’une stratégie de conservation du pouvoir   propre au RDPC, il s’ensuit que le principe même de la rééligibilité de Paul Biya serait la

confirmation que la voix des plus forts, plutôt que celle du peuple, détermine l’accès au pouvoir 

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au Cameroun. Cette proposition n’est ni une conjecture, ni une supputation outrancière hostile,en principe, à la révision des lois. Si la révisabilité des lois est une prérogative démocratique

fondamentale, encore faudrait-il s’assurer qu’elles ne sont point changées à la carte, au forceps,pour servir les desseins des groupes dont elle contrarie les ambitions. Accepter, le principe de la

rééligibilité de Paul Biya équivaudrait à établir que les lois camerounaises n’offrent pas la

garantie d’impartialité capable de donner un sens aux compétitions électorales. La manipulationdes lois les vident de toute substance et de leur vocation à instituer un cadre normatif où l’équitéde l’ordre juridique ferait échec à l’opportunisme révisionniste malsain des groupes quiconspirent à différer l’avènement d’une société politique démocratique au Cameroun.

Des juristes qui ont cru devoir défendre la rééligibilité de Paul Biya sous le prétexte

équivoque que la révision constitutionnelle du 14 avril 2008 a pour effet modifier la nature du

mandat en cours de Paul Biya acquis sous l’empire d’une clause de limitation des mandats, enmandat reconductible, sans restriction d’éligibilité. L’absence d’une clause explicitant le principede la rééligibilité de Paul Biya ne changerait rien à l’affaire : Biya serait rééligible précisémentparce que la révision visait expressément à abroger la clause de limitation du nombre de mandats

présidentiels dont le maintien invalidait proscrivait automatiquement sa candidature.

Paradoxalement, c’est en croyant établir la légitimité juridique de la rééligibilité de Paul Biyaque les juristes zélés qui en défendent le principe confessent, ce que tout le monde savait déjà, àsavoir que la révision de la constitution était motivée essentiellement par une volonté de

subvertir la loi pour servir les desseins d’un individu. La loi perd ainsi tout caractère généralparce qu’elle a été cousue sur mesure, comme une robe d’un seul tenant, pour imposer uncandidat. Si, au bout du compte, Paul Biya a l’indécente inélégance de se déclarer candidat à la  prochaine élection présidentielle, il confirmera tout juste qu’une alternance pacifique sera

impossible tant qu’il demeurera au pouvoir.S’il subsistait une doute sur la nature de l’activisme opportuniste des juristes qui mettent

leur expertise au service des ambitions de Paul Biya, il est vite dissipé par le courroux surfait de

Mouangue Kobila qui prétend n’intervenir dans le débat que pour démasquer des conspirateurs  

cherchant à « faire échec à la souveraineté du suffrage et à affaiblir le lien entre l’élu et lepeuple ». De quel peuple s’agit-il ? Celui qui est éreinté et avachit par une misère débilitante ou

la confédération de comparses agissant de concert pour auréoler d’un apparat juridique uneforfaiture porteuse de la menace d’accentuer la détérioration d’un pays exsangue au terme detrois décennies d’une incurie gouvernementale sans précédent ? Le tour de prestidigitation

 juridique de Kobila est pourtant loin d’emporter l’adhésion et ne prouve pas la constitutionalitéde la rééligibilité de Paul Biya. Si la loi dispose bien pour l’avenir, la sécurité juridique requiertque les situations juridiques antérieurement constituées conservent leurs effets. Toute tentative

d’abroger les effets d’une situation antérieure à la nouvelle loi équivaudrait juridiquement àappliquer rétroactivement les dispositions, donc à nier le principe fondamental de sécurité

 juridique suivant la loi ne dispose que pour l’avenir. Si Kobila a bien raison d’insister sur la non -

rétroactivité de la loi, il est bien forcé d’admettre que l’élection de Biya sous l’empire de laconstitution de 1996 constitue, au plan juridique, une situation constituée dont les effets sont

temporellement contraignants. L’actuel président est juridiquement lié par une situationconstituée avant la révision constitutionnelle de 2008 qui rend, de facto, sa candidature

inconstitutionnelle.

Au regard de ce qui précède, l’inéligibilité de Paul Biya découle, entre autres, del’immutabilité de la situation juridique constituée avant la révision. On ne saurait donc ledéclarer rééligible sous peine de violer l’exigence de sécurité juridique découlant du principe de

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non-rétroactivité en vertu duquel la loi ne dispose que pour l’avenir. La permanence des effetsinduits par la loi sous l’empire de laquelle Paul Biya a obtenu le mandat en cours le disqualifieconséquemment de toute élection présidentielle future. Cette lecture est du reste confortée par la

volonté constituante issue de la tripartite, et des travaux subséquents d’élaboration de laconstitution qui ont conduit à l’adoption de la loi fondamentale de 1996. L’on se souvient, et

Kobila fait de le rappeler que la rencontre tripartite de 1991 « s’analyse juridiquement commeune convention constituante » (James Mouangue Kobila 2009. La protection des minorités et des

 peuples autochtones au Cameroun. Paris : Dianoia, p.113) ; il s’ensuit que la validité normativedes « accords conclus dans le cadre de cette rencontre » tripartie ont, comme le rappelle

 justement Kobila, « un caractère constitutionnel ». Plus décisivement, ces accords ont valeur de

pacte contractant qui fonde une moralité politique irréversiblement contraignante. Toute qui se

dédirait indiquerait, de la sorte, qu’elle était de mauvaise foi lorsqu’elle s’est engagée à respecter des normes dont les effets s’imposent, sans exception, à tous les acteurs politiques.

Mais en quoi exactement les considérations qui précèdent concernent-elles la question dela rééligibilité de Paul Biya ? Elles s’y rapportent au moins sous deux modalités. La premièretient aux raisons qui ont justifié l’organisation de la rencontre tripartite, le moyen choisi par Paul

Biya pour désamorcer les tensions dans un pays fracturé par des revendications liées à latransition démocratique. Si les travaux furent contrôlés de bout en bout par le pouvoir en place,

l’attente générale- d’ailleurs confortée par le pourvoir- se résumait à l’idée que les règles issuesdes assisses étaient supposées refléter un esprit de consensus pour apaiser les parties en conflit et

garantir l’ouverture du champ politique et, en particulier, la possibilité d’une alternance ausommet de l’Etat. Il était en effet manifeste que le conflit opposait divers groupes disposant,chacun, d’un soutien d’une ampleur certaine. Le peuple ne parlant pas d’une seule voix, desrègles d’arbitrage sont apparues nécessaires pour institutionnaliser la possibilité de l’alternancepolitique. Dans un tel contexte, la limitation du nombre des mandats présidentiels est apparue

comme une condition essentielle de la paix civile parce que la possibilité d’une présidence à vies’accorde mal avec l’alternance démocratique. Une telle idée requiert un éclaircissement : en

contexte de transition démocratique, l’impartialité de la compétition électorale et l’existenced’une probabilité raisonnable de transfert de pouvoir ont l’effet notoire d’empêcher l’enlisementdes conflits politiques dans le piège belliciste d’un jeu à somme nulle. La limitation du nombrede mandats présidentiels donnait l’assurance qu’un enkystement au pouvoir devenaitconstitutionnellement illicite.

La deuxième modalité découle de celle qui la précède ; elle suggère notamment que les

 partis en compétition pour les magistratures publiques ne représentent jamais qu’une partie dupeuple. La victoire ne signifie évidemment pas que le pouvoir est acquis pour être exercé au

bénéfice exclusif des membres du parti au pouvoir. Mais il est entendu que les politiques

publiques sont conçues et implémentées en fonction des valeurs des vainqueurs du jour dont lasurvie politique dépend, entre autres, de sa capacité à fédérer groupes et intérêts au-delà de ses

  partisans. La limitation des mandats lie donc la crédibilité de la démocratie à l’alternance partisane, l’équivalent moderne du principe de la rotation au pouvoir né de l’expérience politiquede l’ancienne cité d’Athènes. Adam Przeworski formule admirablement l’intuition qui est aucœur de la démocratie moderne : ce sont des partis plutôt que le peuple qui gouvernent ; la

volonté qu’ils implémentent est toujours partielle, mais la grandeur de la démocratie tient à ceque l’alternance partisane au pouvoir  accroit la probabilité que les vaincus du jour acceptent

l’issue d’une élection perdue. Ils seraient d’autant plus enclins à accepter une issue qui leur est

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défavorable qu’ils savent qu’il existe une probabilité réelle d’alternance (  Democracy and the

limits of Self-Government . New York : Cambridge University Press, 2010).

La valeur normative de la limitation du nombre des mandats présidentiels dans la

constitution de 1996 tenait à ce qu’elle garantissait la possibilité d’une alternance générationnelleau sommet d’un Etat, avec pour effet de diminuer les conflits autour de l’accès aux magistratures

publiques. Dans la mesure où la clause de limitation du nombre de mandats présidentielscontenue dans la constitution de 1996 instaurait une situation contractuelle restrictive qui a

valeur de retranchement constitutionnel (constitutional entrenchment ) qui borne l’horizontemporel de quiconque obtient un mandat sous son empire, Paul Biya est donc

constitutionnellement inéligible au regard de la moralité constitutionnelle dont il a édicté, puis

accepté le principe. Il importe peu que cette concession fut tactiquement dictée par les

circonstances. En définitive, seul compte l’incompressible dispositif de limitation du nombre demandats présidentiels dont les effets permanents sont constitutifs d’une situation juridiquerétrospectivement indéfaisable, à moins de créer un précédent qui violerait le principe de lasécurité qui fonde la non-rétroactivité de la loi. L’inconstitutionnalité de la candidature de PaulBiya est aussi juridiquement confortée par un principe de l'autonomie de la volonté présupposant

que l’acceptation, sans réserve, de l’empire de la clause sous laquelle il a acquis le mandat encours induit irréversiblement qu’il ne peut plus candidater à une élection présidentielle. Il n’étaitdonc pas nécessaire d’introduire une clause de survie de la loi ancienne lors de la révision de

2008 pour déclarer Paul Biya légalement inéligible dans l’hypothèse plausible où il envisageraitde briguer un nouveau mandat.

Kobila s’égare donc lourdement lorsqu’il prétend que « les nouvelles dispositions

constitutionnelles qui rendent le Chef de l’Etat indéfiniment rééligible s’appliquent naturellement –   aussi bien en logique tout court qu’en logique déontique (ou logique de s normes)  –  dès laprochaine élection présidentielle ». Son erreur n’est pas due à son ignorance de la logiquedéontique dont il invoque pédantiquement- et du reste fort mal à propos- l’autorité normativepour justifier une intenable aberration. Sa méprise d’herméneute juridique à la petite semaine

consiste à mésinterpréter volontairement le principe de la non-rétroactivité de la loi en niantparadoxalement le principe de la sécurité juridique qui garantit la légalité de la situation juridique

antérieurement constituée sous l’empire de la clause de la limitation du nombre de mandatsprésidentiels. Le député Nkodo Dang du RDPC, que Kobila cite désapprobativement, a sans

doute saisit les enjeux de la question en notant que la révision constitutionnelle de 2008 ne

s’appliquerait point à Paul Biya, en l’absence d’une clause explicite qui proclameraitexplicitement sa rééligibilité. Mais il a eu tort de penser qu’il est constitutionnellement possiblede défaire les contraintes de l’empire de la clause de limitation du nombre de mandats

présidentiels sans remettre en cause la non-rétroactivité de la loi garante de la sécurité juridique

qui protège des aléas de la manipulation abusive de la loi.Paradoxalement, la révision de la constitution produit un résultat exactement contraire à

celui qu’escomptait Paul Biya ; l’issue de sa manœuvre manifeste exemplairement quel’instrumentalisation du droit à des fins personnelles est la marque de fabrique d’un régime quisait pouvoir compter sur la diligence d’une portée de juristes complaisants pressés d’avaliser lesexpédients par le biais desquels il s’applique à circonvenir aux règles susceptibles de contrarier ses objectifs. Il importe peu que l’arraisonnement de la constitution prétende tirer sa légitimitéd’une onction populaire. Le peuple qu’on dit s’être mobilisé pour réclamer l’abrogation de lalimitation du nombre de mandats présidentiels ne se limite ni aux courtisans du RDPC, ni aux

rédacteurs des volumes de motions de soutien que la SOPECAM vient de publier, encore moins

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à la poignée de députés acquis à la cause autocratique de Paul Biya. Le roi est donc nu, tout nu ;et avec lui, les juristes qui, comme Kobila, mettent leur expertise juridique au service du droit du

plus fort.

L’instrumentalisation du droit pour assurer le maintien de Paul Biya au pouvoir dévoile

clairement que les concessions ne sont que des ruses tactiques qui font partie d’une stratégie qui

définit les termes de la guerre d’attrition d’un jeu suprême : la conservation du pouvoir par tousles moyens, y compris la fraude, l’intimidation. Ces expédients font partie d’une seule logique :

celle de la force et du fait accompli qui instrumentalise les lois pour légitimer, avant coup, la

grande comédie d’adoubement qu’annonce la prochaine mascarade électorale. L’erreur aura étéde croire que l’abrogation de la clause de limitation du nombre de mandats présidentiels suffiraità en annuler les effets. La situation juridique constituée sous l’empire de la constitution de 1996disqualifie automatiquement Paul Biya précisément parce qu’elle opère, de facto, comme undispositif contre l’incohérence temporelle et la modification de la structure des incitations de lacompétition politique. En cela, la clause de limitation du nombre de mandats présidentiels aproduit l’effet d’un mécanisme de pré-engagement constitutionnel (constitutional

 precommitment ) qui frappe de nullité la tentative de légitimer le principe de la rééligibilité de

Paul Biya.Les considérations qui précèdent montre suffisance que l’intervention de Kobila est  juridiquement dénué de pertinence et que ses fins sont avant tout politiques, pour ne pas dire

 politiciennes, au sens le plus ringardement opportuniste. Pour l’avoir suggéré dans ma premièreintervention, j’ai eu droit à une admonestation  vulgaire où des épithètes inélégantes m’ont brocardé comme une sorte de réactionnaire intellectuellement indigent qui a l’outrecuidance dese mêler de matières qui dépassent son entendement. Dans ce qui suit, j’y réponds avec lavigueur qu’impose l’occasion, sans faire de quartier. Dans l’esprit des roueries tragicomiquesque j’ai nommées camerouniaiseries pour caractériser un trait de la culture politiqueconcussionnaire sous Paul Biya, j’appellerai Kobiliaiseries le pédantisme provincial, les

rodomontades puériles, et la somme de niaiseries caractéristiques du prétentieux jacassement par

lequel Kobila déguise son imposture intellectuelle.IV-Réponse « poing par poing » à quelques KobiliaiseriesDans Koba-koba na wuba (le dindon et la poule), une anecdote sapientielle duala, un

dindon connu pour sa vanité s’offusque de s’entendre dire qu’il est bien moins corpulent qu’une poule. La suggestion pique la vanité du brave oiseau qui entreprend, séance tenante, d’enfler sonenvergure pour bien montrer qu’elle est supérieure à celle d’une poule. Mais, fier commeArtaban, l’oiseau vaniteux parade si bruyamment qu’il en perd le sens des réalités. Au bout ducompte, ce qui devait arriver arriva : l’implacable et irrésistible enflure déclenche une implosionqui scelle la perte de l’infortuné vaniteux qui est perdu par sa propre morgue. Il en va du dindon

comme de la réponse de James Mouangue Kobila à ma lecture de sa supposée « note d’actualitéconstitutionnelle » et à celle de Mathias Eric Owona Nguini qu’il décrit y comme mon

« acolyte ».Dans un cas comme dans l’autre, l’émotion et la vanité blessée induisent une réactionpathologique autodestructrice : le vertébré signe sa perte tandis que le « docte juriste » à la

grandiloquence bon marché étale au grand jour ses solidarités autocratiques en prétendant faire

œuvre désintéressée de fonctionnaire de la vérité juridique. Il est permis de suggérer, sanscaricature excessive, que l’obséquiosité juridique avec laquelle Mouangue Kobila justifiel’éligibilité de Paul Biya fait partie d’une économie symbolique du maintien du statu quo quiproduit des effets pratiques similaires à violence administrative des gouverneurs qui usent de

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leurs pouvoirs pour interdire des manifestations publiques, ou à la violence mortifère despoliciers, gendarmes, ou militaires qui bastonnent ou exécutent des manifestants dans la rue,

comme en 2008, pour pérenniser le pouvoir de Paul Biya. De toute évidence, il s’agit bien d’unedivision du travail qui permet aux brutes en uniformes d’assassiner des citoyens en toute

impunité, laissant le soin aux juristes zélateurs et aux adulateurs en col blanc d’entonner de

subtils cantiques à la gloire du prince sous le camouflage d’une glose juridique prétendumentobjective.

Il n’y a ainsi pas matière à s’étonner que les signataires de motions de soutien suppliantpieusement Paul Biya de se présenter à la prochaine élection présidentielle se recrutent aussi,

comme Mouangue Kobila et ses pairs, parmi les cerbères juridiques qui mettent le droit au

service du projet inavoué d’une présidence à vie du grand ordonnateur du jeu de marionnettesqui tient lieu de vie politique au Cameroun, sous le long règne de Paul Biya. Peu importe qu’ils  prétendent professer le droit ou d’exercer leur devoir de citoyen en portant leur choix sur le

candidat supposé incarner leurs aspirations, comme Fame Ndongo, le ministre activiste quidéclare, pince-sans rire, qu’il se considère comme un esclave de Paul Biya. L’implacablevéracité inductive du test du canard est sans appel : «Si ça ressemble à un canard, si ça nage

comme un canard et si ça cancane comme un canard, c'est qu'il s'agit sans doute d'un canard ».Supposons que le débat sur la rééligibilité de Paul Biya en vaut la chandelle et que les arguments

ont d’autres effets que ceux d’une dispute sans effet performatifs. Une telle supposition permetd’accorder généreusement le statut de thèse à examiner aux élucubrations juridiques de JamesMouangue Kobila de manière en en instruire le contenu et démasquer les prétentions. Lebénéfice escompté de l’entreprise est d’esquisser la description d’une veule imposture avançantmasquée sous le paravent d’une pseudo-expertise juridique qui n’est rien d’autre qu’unelégitimation d’un conservatisme autoritaire et clientéliste.

Dans ma réaction au texte que Mouangue Kobila appelle pompeusement « note

d’actualité constitutionnelle », j’ai principalement voulu mettre en relief l’inanité des termes dudébat choisis par les ardents défenseurs de la thèse de la rééligibilité de Paul Biya. Pour y

 parvenir, je me suis efforcé de mettre en lumière ce qui m’est apparu comme l’enjeu essentiel dedes interventions angoissées des agents du conservatisme autocratique qui, sans vergogne,

 prêtent leur expertise à une démarche qui s’apparente à un hold up constitutionnel. A contrepied

de ceux qui se masturbent les méninges pour conférer un semblant d’honorabilité juridique àl’insidieuse campagne de réélection de Paul Biya, j’ai suggéré et rationnellement explicité l’idéeque la révision constitutionnelle de 2008 ne s’est faite qu’au prix rédhibitoire d’une atteinte à lamoralité politique constitutionnelle de la promesse d’alternance ordonnée que laissait envisager la constitution de 1996. En ce sens, valider le principe de la rééligibilité de Paul Biya

équivaudrait à créer un inquiétant précédent constitutionnel faisant accroire qu’une majoritécontrariée, supposée ou réelle, aurait le droit de modifier la constitution pour accommoder ses

desseins, en vertu d’un majoritarisme réel ou imaginaire qui légitimerait une modification

opportuniste de la loi fondamentale. Celle-ci varierait dès lors en fonction des intérêts deshiérarques du jour parce que la volonté du peuple exigerait que la loi fasse droit aux préférencesdu plus grand nombre.

L’idée directrice qui régule la moralité constitutionnelle de la loi fondamentale de 1996

échappe à l’intention structurante de la révision de 2008 parce qu’elle est issue d’une promesse  politique constitutive d’un  projet de commencement inédit dont l’originalité tient à ce qu’elleintroduit, au Cameroun, l’idée neuve d’une transition ordonnée mettant fin, en pratique, à la  possibilité d’une présidence coextensive à l’espérance de vie du titulaire du poste. En son

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principe, la moralité politique constitutionnelle fonctionne comme un repère axiologique. Ellesert de point de stabilité dans un jeu de coordination instaurant un équilibre stable qui disqualifie

les stratégies dominantes unilatérales permettant aux plus forts d’optimiser leurs gains audétriment des plus faibles emmurés, à contrecœur, dans une compétition politique qui reproduitla structure stratégique d’un jeu à somme nulle mettant en péril la paix civile. Admettre le

 principe de la rééligibilité de Paul Biya reviendrait à admettre qu’on puisse impunément change rles termes et les règles d’un jeu en cours, dont l’issue est à peu près connue, au bénéfice d’unefaction qui joue de sa position dominante pour modifier la structure des incitations (incentive

structure) politiques en imposant une asymétrie normative qui viole le principe d’équité politique. Mais il y a bien plus alarmant encore. Avaliser l’idée de la rééligibilité de Paul Biyaconfirmerait que les lois camerounaises ne sont guère que de simples expédientsinstrumentalisables au gré des impulsions des cohortes partisanes qui s’en servent comme moyend’assurer et consolider un contrôle monopolistique de l’Etat.

Si une constitution est, comme le rappelle fort bien Jon Elster, « un cadre pour l’actionpolitique et non un instrument à son service », la crainte prévaut que de fréquentes manipulations

de la constitution ne précipitent bientôt le basculement du corps politique dans l’incertitude de la

morbide condition d’un Etat sans consensus normatif à l’abri des velléités de domination d’unefaction. Or cette dernière n’est que trop souvent encline à défaire des dispositionsconstitutionnelles fondamentales pour les reconfigurer à son avantage. La justification commode

de cette ruse est toute trouvée : en tant que dépositaire et expression des préférences du

« peuple » la majorité serait fondée à garantir que la loi soit le reflet des volitions de ce qu’ontient pour le « peuple ». Raffolant manifestement de métaphores martiales, Mouangue Kobila

décrit la controverse sur la rééligibilité de Paul Biya comme un « pugilat ». Cela explique

 pourquoi sa récente sortie a pris la forme d’une série d’attaques personnelles contre Mathias EricOwona Nguini et l’auteur de ces lignes. Mon « acolyte », suivant une épithète du cru de Kobila,

est décrit comme une sorte de dilettante doublé d’un « affabulateur » qui aurait un « entendement

assurément bien bizarre » des choses juridiques.

Le docte juriste est si convaincu de l’inébranlable pertinence de sa haute science qu’iln’hésite pas à tenir conclave avec des ouailles en cours d’endoctrinement pour concélébrer unedocte messe juridique afin de disséquer les forfaits supposés risibles de ceux qui ont eu

l’outrecuidance de douter de la sublime sagesse du maître de céans. Abandonné et isolé en pleineconfrontation par le cerbère juriste à-plat-ventriste Mouelle Kombi qui concélébrait

imprudemment la rééligibilité prétendue de Biya en sa compagnie, James Mouangue Kobila, auxabois, se rabat sur quelques-uns de ses déformés intellectuels et subalternes. Le docte

pontificateur de Douala nous apprend ainsi qu’un de ses étudiants « a à juste titre qualifié de «

séance de vaudou juridique » le texte de Mathias Eric Owona Nguini que le maître en personne

décrivait déjà comme un précipité d’aberrations et de galimatias sans pertinence juridique. Le

 pieux disciple a visiblement hérité du maître une aisance certaine à jouer du quolibet et s’attache

à maintenir l’asymétrie pernicieuse d’une dialectique bloquée du maître et de l’esclave où lelarbin croit pouvoir prospérer en ingurgitant les déjections de son pâtre. On l’imagine sans peine,dans sa posture servile, un peu comme le chien de la lithographie des vieux disques de Pathé-

Marconi écoutant la voix de son maître sur la réclame d’un gramophone. Pour ma part, j’ai droità un assortiment de gentillesses où je suis brocardé comme un « homme de lettres peu cultivé »

  pour n’avoir cité qu’un seul auteur (Spinoza) tandis que l’ensemble de mon texte « regorge

d’injures qui témoignent d’une argumentation singulièrement indigente » (Kobila). Venant de

Kobila qui est si prompt à manier l’injure qu’il a l’outrecuidance de traiter le doyen Maurice

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Kamto d’ignorant, cette pudibonderie a quelque chose de comiquement pathétique. J’aurais prisle parti d’en rire et de me contenter d’un haussement d’épaules plutôt que d’honorer cettedésopilante sortie d’une réponse si cette baliverne ne venait pas d’un personnage qui prendmanifestement de bien risibles propos pour des raisonnements sensés.

Deux remarques s’imposent. En premier lieu, citer à profusion des bribes de phrases n’est

pas un signe de culture. Cela indique surtout que ceux qui cèdent à la puérile tentation de sedispenser de penser et se dissimulent derrière des autorités souvent mal comprises en sont encore

au stade du psittacisme stérile consistant à psalmodier des citations mémorisées au hasard de

lectures superficielles. Il suffit de lire la prose délétère de Kobila pour prendre la mesure d’unsnobisme qui tente maladroitement de faire passer de bien curieuses fadaises pour une analyse

décente. A lire les locutions latines dont Kobila parsème ses écrits, on est, au premier abord,

enclin à croire qu’on se trouve en présence d’un authentique juriste latinisant faisant partager uneculture chèrement acquise. Mais, à scruter attentivement l’usage qu’il fait des multiples locutionslatines dont il raffole, on s’aperçoit très vite qu’il s’agit d’un simple m’as-tu-vuisme d’imposteur.Croyant impressionner l’intrépide Mathias Eric Owona Nguini, Kobila l’accuse de recourir à unestratégie de diversion destinée à masquer ce qu’il tient pour une dérobade. Ainsi, nous assure le

docte juriste, «non content d’élargir ainsi le débat au tout venant, il propose, usant d’une stratégie bien connue des anciens sophistes (pars pro toto : élargir le débat à l’ensemble, lorsqu’on craintd’être humilié dans un aspect singulier) il propose de ne pas seulement discuter de l’éligibilité del’actuel président. Il faut, selon lui, ouvrir un nouveau front « sur le statut du mandat présidentiel

en cours ».

L’échantillon d’aristocratisme pédant qui traite de « tout venant » quiconque oserait

s’intéresser à un débat constitutionnel n’est paradoxalement pas le trait plus insolite de cettecurieuse phrase. La palme d’or revient à l’usage mal approprié de la locution « pars pro toto »

détournée pour désigner une bizarre tentative d’« élargir le débat à l’ensemble, lorsqu’on craintd’être humilié dans un aspect singulier » qui doit faire partie des stratégies rhétoriques favorites

de Kobila. S’il savait son latin au lieu de se contenter de butiner quelques locutions dans un

dictionnaire, il saurait que « pars pro toto » est une figure métonymique qui n’a rien d’un artificerhétorique d’évitement qu’on déploie pour échapper à une réplique embarrassante. On en rirait sila mésaventure n’avait la résonance d’une tragique impudence malheureusement trop fréquentedans la cohorte nombreuse de ceux qui roulent des mécaniques et prospèrent en faisant passer

leur doctes proclamations pour un savoir justifiant l’estime de quiconque se laisser ait

impressionner par cette poussière de culture. Comme le curé pédant des Trois mousquetaires 

d’Alexandre Dumas père qui parle latin pour en mettre plein la vue à ses interlocuteurs, le docte juriste commet des erreurs si grossières qu’elles ont pour effet inattendu de magnifier l’ampleur de ses prétentions et sa clinquante culture latine qui ne va guère plus loin de que simples

formules psalmodiées au petit bonheur la chance pour faire sérieux. Croyant bien faire, deux

comparses du docte juriste n’ont rien trouvé de mieux que plagier, sans vergogne, l’extrait d’une

définition proposée dans l’encyclopédie internet Wikipédia, sans se donner la peine d’en élucider le sens. Il aurait pourtant suffi d’utiliser des guillemets pour bien signifier que l’expression « synecdoque particularisante », du reste mal comprise, est un emprunt !). On voit ce qu’il encoûte de piocher des bribes de locutions qu’on ne comprend pas pour impressionner des lecteursincrédules. On voudrait croire qu’il en sait suffisamment sur les « anciens sophistes » pour enparler aussi cavalièrement. Mais on imagine sans peine que cette divagation est à la mesure de

quelqu’un qui en sait si peu sur la sophistique qu’il en parle grossièrement comme s’il s’agissaitd’une tradition de pensée suffisamment homogène pour la dépeindre comme s’il s’agissait d’une

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orthodoxie méthodologique. Et manifestement, Mouangue Kobila fait piteusement semblant deconnaître Protagoras, Gorgias, Prodicos, Hippias, Antiphon, Thrasymaque, ou Euthydème, au

point de pouvoir identifier des modes de raisonnement propres aux « anciens sophistes » !

En second lieu, Kobila se serait rendu compte s’il s’était donné la peine de lirecorrectement mon texte qu’il prend en fait des vessies pour des lanternes. Contrairement à son  

étrange et fort superficielle lecture, je n’ai cité Spinoza nulle part dans mon texte. Dans l’extraitincriminé, j’évoque la concise explicitation de la nature de la logique déontique que donneLeibniz pour démasquer les prétentions de Kobila qui explique tranquillement, comme si celaallait de soi que « les nouvelles dispositions constitutionnelles qui rendent le Chef de l’Etatindéfiniment rééligible s’appliquent naturellement –   aussi bien en logique tout court qu’enlogique déontique (ou logique des normes) ». La confusion serait excusable si elle ne venait pas

de quelqu’un qui dit n’avoir aucune inclination pour les « controverses hétérogènes » mais

s’autorise des incursions hasardeuses vers des horizons où il n’a manifestement pas le viatiquerequis pour dire quelque chose de sensé. Comme de juste, il s’est bien gardé de mentionner laréférence à Leibniz sans doute parce qu’elle mettait à nu sa propension cavalière à saupoudrer ses divagations de références culturelles creuses.

Assez bizarrement, Mouangue Kobila me fait le reproche de signer mon texte de monnom, sans aucune mention de ce qu’il semble tenir pour une sorte de référence identitaire. Jugez-en plutôt : « celui qui a signé Paul-Aarons Ngomo, qui ne décline ni ses titres et qualités, se

limit ant à indiquer, aussi vaguement que possible qu’il réside quelque part à New-York, aux

  Etats-Unis, croyant ainsi impressionner celui qui a participé à un colloque international à

l’Université de Princeton (l’une des meilleures universités américaines) il y  a 12 ans, alors qu’il n’était titulaire que d’un DEA en Droit public) ». Cette phrase a-t-elle été écrite sous l’influencede quelque suspecte substance ? La puérilité d’une telle fanfaronnade a de quoi inquiéter.L’obsession des « titres » et des « qualités » m’est complètement étrangère parce qu’elle participe d’une malséante culture des apparences qui transforme les titres académiques en digniténobiliaire dans un pays clochardisé par ses « docteurs en doctorats » (Charly Gabriel Mbock) qui

remuent de l’air avec leurs interminables bavardages et leurs rituels de courtisans alors que la persistance de la misère déshumanise la plupart de leurs compatriotes. Si j’avais précisé que jeréside à Nairobi ou ailleurs en Afrique, au hasard de mes pérégrinations professionnelles, je nesuis pas certain que cela aurait mis en éveil le soubassement mental visiblement complexuel de

Kobila. New York est un point géographique, ni plus ni moins. Il ne m’a jamais traversé l’espritde tirer gloire des aléas d’un lieu temporel de résidence comme s’il s’agissait d’une dignitécardinalice.

L’histoire détonne parce qu’une simple mention géographique déclenche un réflexedéfensif surprenant dans l’esprit de Mouangue Kobila qui croit trouver une parade décisive à cequ’il tient  pour une manœuvre d’intimidation en précisant hâtivement qu’il est d’autant moinsimpressionnable qu’il « a participé à un colloque international à l’Université de Princeton

(l’une des meilleures universités américaines) il y a 12 ans, alors qu’il n’était titulaire que d’un  DEA en Droit public». Rien moins que cela ! Deux précisions : (1) participer à un colloque

international fait partie des activités ordinaires d’un universitaire actif, que ce soit a Princeton ouailleurs. Faut-il rappeler que des centaines de colloques, conférences, événements académiques

se tiennent chaque année à Princeton, comme dans n’importe quel campus Aux Usa et qu’unesimple participation n’atteste en rien des mérites intellectuels de ceux qui y prennent part ? Du

reste, quiconque a travaillé ou étudié dans un cycle doctoral d’une université américaine sait fort  bien que la participation à des colloques fait partie des rituels ordinaires d’une initiation aux

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usages académiques ; (2) la loufoque revendication d’une participation à un colloque comme s’ils’agissait d’un titre de gloire est d’autant plus risible que Kobila croit devoir préciser qu’il a pris part à la fameuse conférence alors qu’il n’était titulaire que d’un DEA en droit public. Le docte  juriste oublie de préciser qu’il avait alors la trentaine largement entamée et qu’à cet âge,personne de sérieux ne tient un détenteur du seul DEA pour un Mozart méconnu, surtout

lorsqu’il croit être en droit de fanfaronner comme un paon pour avoir reçu une invitation aucolloque !

Paradoxalement, les pantalonnades de Kobila prennent parfois une tournure fort curieuse.Croyant répondre à ma dénonciation des collusions des juristes opportunistes qui monnayent leur

expertise contre une carrière dans les arcanes de la satrapie de Biya, l ’intrigant personnagetransforme la critique des juristes de cour en une critique de principe contre toute l’ensemble deceux qui font profession de droit au Cameroun ; tout semble se passer comme si la

déconstruction des positions douteuses de Kobila équivalait, de fait, à une négation sans

exception de la fonction sociale du droit ! Mais, par expérience, je sais qu’il existe au Camerounquantité de juristes compétents et suffisamment sérieux intellectuellement pour rehausser l’imagede leur profession. Comme beaucoup de compagnons de ma génération, je sais pour avoir lu et

écouté des gens du calibre de Maurice Kamto et bien d’autres ténors d’amphithéâtres que lacorporation des juristes universitaires compte un nombre impressionnant d’éminentes figuresparmi ses rangs. J’ai aussi souvenance des chevaleresques avocats qui ont gracieusementdéfendu des manifestants, des étudiants ou des hommes politiques trainés devant les tribunaux

 par l’appareil répressif de Biya. Mais si ces preux défenseurs du droit méritent la reconnaissance

des opprimés, on ne saurait en dire autant des cerbères qui n’interviennent dans le débat publicque pour tenter, par des actes de contrebande intellectuelle, de faire passer leurs combats

d’arrière-garde pour une contribution au combat pour le triomphe du droit au Cameroun.

Tout porte à croire que Mouangue Kobila pratique l’art de la mésinterprétation pour sedonner bonne contenance en faisant accroire qu’il serait l’objet de critiques malveillantesdénuées de toute pertinence. Mais le complexe de persécution a ses limites, surtout lorsqu’il

s’alimente de supputations qui tronquent grossièrement les faits pour accréditer des hypothèsesinvraisemblables. Si l’on croit Kobila, mon « argumentation serait singulièrement indigente » et

« faible » faute d’avoir saisi que, dans son texte, «  l’interprétation psychologique participe de laméthodologie fondamentale du droit ». Croyant tenir la pièce à conviction démasquant

irréfutablement ma gaucherie, le docte juriste s’octroie un moment de triomphe en glosant sur

l’ânonnement d’un supposé béotien qui ignore, à la différence d’un « étudiant en première annéede licence » qu’aucun juriste sérieux ne commettrait la bourde d’annoncer « explicitement

annoncer le plan de sa dissertation au beau milieu de l’introduction et ne saurait en outreconduire une démonstration sans la moindre référence technique qui rappelle que l’on a bienaffaire à un juriste ».

Je suppose qu’il s’agit là d’une lubie d’élève perpétuel trop peu subtil pour se souvenir 

que les usages didactiques des tâches d’écolier ont bien peu de choses en commun avec lessubtilités analytiques d’une argumentation. La simplification de l’exposition d’un point de vuerequiert la désagrégation d’un raisonnement en étapes connexes. Ma phrase est pourtant simple à

comprendre. Mon propos me semblait pourtant clair. J’indiquais que « mon dissentiment portera

sur deux points : (1) la validité normative de l’interprétation psychologique de l’intentionsupposée du constituant de 2008 (en fait de « constituant », il s’agissait surtout d’une coterie decourtisans acquise aux ambitions de leur patron) et (2) le recours fallacieux à des arguties

drapées de l’autorité de « la méthodologie fondamentale du droit » pour sanctifier un juridisme

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spécieux qui manipule la loi au gré des humeurs et des intérêts des puissants du jour ». Dans

l’entendement visiblement brumeux de Kobila, cette simple décomposition analytique estparadoxalement interprétée comme une confusion qui dissocie malencontreusement

« l’interprétation psychologique » de la « méthodologie fondamentale du droit », comme s’ils’agissait de procédés herméneutiques distincts.

A l’exception de Kobila, chaque lecteur raisonnable aura certainement compris que je mebornais principalement à discuter la lecture qu’il fait de l’interprétation psychologique del’intention du constituant de 2008 et ce qu’il croit pouvoir en inférer pour justifier la rééligibilitéde Paul Biya. Pareillement, il est pourtant évident que je raillais les arguties qui se drapent de

l’autorité du droit pour mieux masquer des intérêts suspects. Par ailleurs, rien n’interdit dedésagréger la lecture que Kobila donne de la « méthodologie fondamentale du droit » pour

mettre en exergue l’ampleur de la vacuité de ses prétentions. Rétr ospectivement, je regrette

quelque peu d’avoir eu recours à ce que je tenais pour une simple explicitation logique qui amalheureusement eu pour effet surprenant d’aggraver la confusion dans un esprit manifestementprédisposé à mécomprendre des relations logiques simples. Là où je me suis borné à signaler une

simple gradation analytique, Kobila a cru voir une déconnexion qui perdrait de vue ce qu’il tient

 pour la nature de la méthodologie fondamentale du droit. Dans l’anonymat des salles de cours oùle docte juriste « enseigne en doctorat », comme il se plait à rappeler pompeusement, je lui

concède sans peine qu’il est parfaitement libre de professer son indigeste catéchisme doctrinaire.Mais, à moins d’être un scholarque adorant pieusement les usages didactiques scolaires qu’onenseigne aux jeunes pour les former à la discipline académique, une tribune exprimant une

opinion de citoyen dans le cadre d’un débat public n’a pas à se plier aux usages scolaires de ladissertation juridique qui n’a guère d’intérêt hors de cénacles de l’orthodoxie universitaire.

Les considérations qui précèdent montre à suffisance que la logique n’est pas la chose dumonde la mieux partagée dans l’univers du docte juriste Kobila. Intrigué par la propension quasi

compulsionnelle des juristes de cour qui, comme Kobila, mettent servilement ce qui leur tient

lieu d’expertise au service d’un statu quo despotique, le latiniste à la petite semaine croit

  judicieux de décliner une liste d’articles censés invalider ma critique. Jugez-en plutôt : «M. Ngomo n’est pas non plus avare d’aberrations, qui prétend notamment que je ne propose mes «

lumières équivoques que pour avaliser des pratiques hégémoniques qui diffèrent l’avènement d’un ordre juridique libre ». Il doit être pardonné d’ignorer ma tribune sur l’Accord de Greentreedu 12 juin 2006 relatif à la mise en œuvre de l’arrêt rendu par la Cour internationale de justice le10 octobre 2002 dans l’affaire de la Frontière terrestre et maritime parue dans le quotidien LeMessager, sur l’élection de Barack Obama parue dans les cinq plus grands journaux camerounais

du moment, celle sur la réforme institutionnelle de la CEMAC parue dans les colonnes de ce

  journal, ma leçon sur la République publiée en feuilleton dans ce journal ». Mais sa réplique

n’offre rien de probatoire en contrepoint de ma remarque. Bien au contraire, il confirme lavalidité de ma critique en croyant l’invalider. Parfois, l’exercice critique vire au ruminement

autistique. Kobila ne se rend pas compte qu’il admet tacitement la validité de l’objection qu’ilcroit contourner en égrenant des justifications qui tournent à vide. En évoquant les tribunes

censées absoudre ses collusions avec le conservatisme despotique du tricheur qu’il défend, il nese rend pas compte qu’il rend manifeste une duplicité qui révèle l’ampleur de l’hypocrisie descerbères de magistère qui servent de fantassins du Biyaïsme. Si Kobila peut disserter

tranquillement sur l’Accord de Greentree, gloser sur l’élection de Barack Obama, ou deviser savamment sur des sujets divers, que fait-il lorsqu’un despote incrusté au pouvoir manipule laconstitution pour perpétuer son pouvoir ? On le sait : il signe des pétitions et rédige des tribunes

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hallucinantes pour consolider le morbide pouvoir d’une kleptocratie qui se félicite d’avoir fait duCameroun un pays pauvre et très endetté.

Dans la mesure où Kobila m’a librement convié à lire sa «  leçon magistrale d’accueil »

  pour m’édifier sur l’ampleur de ses aptitudes de brasseur d’idées, je me suis procuré unexemplaire de ladite leçon pour comprendre les raisons pour lesquelles il tient cet écrit pour un

fleuron essentiel de sa production intellectuelle. A priori, tout laissait supposer que la lecture dutexte en vaudrait la chandelle étant donné qu’un appel de note indique d’emblée que « cette leçon

correspond au sujet tiré au sort par l’auteur pour la troisième épreuve du Conseil Africain etMalgache pour l’enseignement supérieur (Cames) à Cotonou le 8 novembre 2009 ». De plus, une

précision de taille indique la version écrite sérialisée dans  La Nouvelle Expression « reprend les

mêmes articulations et les mêmes orientations que la leçon d’admission dite devant le juryinternational du Cames à l’université d’Abomey-Calavi ». L’effet d’annonce est assezconvaincant pour me persuader de désinvestir des heures vouées à d’autres fins pour m’immerger dans la lecture d’une « leçon magistrale » que l’auteur semble tenir pour un fleuronmajeur de sa production intellectuelle. La lecture du texte m’a cependant fait déchanter rapidement.

D’entrée de jeu, l’écriture rébarbative donne la mesure de la pénibilité de la lecture dutexte. Par exemple, on apprend qu’il existe des Etats qui « s’intitulent [sic] République ». J’enétais encore à me demander ce que signifiait cette étrange formula tion qu’une autre brutale scoriedécrivait doctement le mot « république » comme un morphème ! Dans la foulée, on lit même

que « le terme « République » a une double origine latine et grecque ». L’observationdécontenance et intrigue. Si l’origine latine du terme est bien connue, on est abasourdi de

découvrir Kobila inventer une origine grecque à un terme qui recouvre une expérience de vie

 politique étrangère aux modes d’organisation de la vie publique des cités grecques. Comme pour savant, le docte juriste croit pouvoir conclure avec assurance que « la République n’est pas eneffet imposée en glissant comme la durée bergsonienne sur un long fleuve tranquille ». Si une

telle pédanterie rappelle que Kobila a conservé quelques réminiscences de son cours de

philosophie en terminale, cette métaphore malheureuse montre surtout les lacunes d’uneérudition bon marché. Si la théorie bergsonienne du temps lui était, ne serait-ce que vaguement

familière, il saurait que la durée est une ineffable « donnée immédiate de la conscience », un

vécu subjectif de la temporalité qui n’a rien d’un « long fleuve tranquille ».

Il importe, en dépit de la tentation de débusquer les pédantes impostures de Kobila, de

s’en tenir à l’essentiel et de renoncer à traquer chacune de ses outrances de style. En dépit de son

titre, le texte sur la république n’a rien d’une exploration conceptuelle de l’idée républicaine.D’une manière assez abrupte, Kobila déclare tranquillement que « la notion de république étant

quasiment dépourvue de pertinence dans sa conception commune (sic) en raison de la

multiplicité de signification-souvent contradictoire d’ailleurs- qui s’y attachent, elle n’intéresseque par la conception particulière qu’en a retenue (sic) la France ». La restriction de la portée de

l’analyse laisse supposer qu’on aura au moins droit à une minutieuse interprétation del’expérience républicaine française. Mais l’optimisme est de courte durée sitôt que ce qui tientlieu d’analyse se mue en une sorte de caricature de l’expérience républicaine française

grossièrement brocardée comme « une conception uniformisante, monolithique et

assimilationniste de l’indivisibilité de la république ». Kobila décrit le républicanisme français

comme une sorte d’hologramme du jacobinisme viscéralement hostile aux différences

culturelles. On cherchera vainement dans le texte une critique raisonnée du républicanisme

français. En dépit des apparences, Kobila prend pour cible une vulgate paresseuse qui fait les

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choux gras des prophètes du multiculturalisme et de la politique de la reconnaissance qui rendent

trop facilement le républicanisme français responsable de l’incurie centralisatrice des autocratiesafricaines. Tel est en effet l’enjeu central dans la mesure où Kobila ne s’aventure imprudemmentsur le terrain complexe de l’analyse du républicanisme français que pour préparer le terrain à unethéorie ethnocorporatiste de l’Etat proposée comme une conception raisonnable de l’inclusion

politique en contexte multiethnique.A bien des égards, l’analyse de Kobila  prend des allures d’une croisade donquichottesquequi use d’une stratégie de l’épouvantail qui permet de critiquer une cible fantasmée sans priseavec le réel. Comme de juste, la démarche commence par une de ces surinterprétations abusives

dont raffole Ko bila. Une étonnante lecture d’Aristote le campe comme le tenant d’une doctrine(sic) « qui considère que le fondement de tous les totalitarismes est de vouloir intégrer de forceles hommes à un modèle préalable, sans prendre en compte les spécificités propres à la nature

humaine ». Intrigué par cette étrange interprétation d’Aristote paradoxalement etanachroniquement dépeint comme un critique du totalitarisme, je me suis rendu compte, en

vérifiant l’appel de note que Kobila interprète librement Aristote sans s’être donné la peined’étudier attentivement le passage de la politique qu’il mobilise pour confirmer ses prénotions. Il

cite Aristote à partir d’une source secondaire et fait un peu hâtivement l’économie d’une lecturesérieuse du texte. S’il s’était donné la peine d’étudier Aristote, il se serait aperçu que le passagequ’il mésinterprète propose une critique du proto communisme platonicien fondé sur le principe  bien connu du communisme des femmes. En outre, la critique n’a pas pour cible une praxisd’uniformisation culturelle qui nie les différences. Elle vise une confusion catégorielle entre lasphère privée et la sphère publique qui conduit Platon à prescrire le communisme des biens, des

enfants, puis des femmes, pour la classe supérieure des gardiens, afin de prévenir une dérive

oligarchique de la cité idéale. Si Aristote conçoit la cité comme une pluralité, c’estessentiellement parce qu’elle est à ses yeux une communauté organique qui est moins un agrégatd’individus déconnectés les uns des autres qu’une constellation de multitudes qui n’en sont pasmoins complémentaires en dépit de leurs différences. Par une prestidigitation burlesque, la

conception aristotélicienne de la pluralité est dévoyée par Kobila pour informer les basesnormatives d’une douteuse théorie ethnocorporatiste de l’Etat. Le point d’orgue del’interprétation de l’idée républicaine que Kobila propose s’ordonne autour d’une propositionsimpliste qui postule la thèse de « l’impossible universalisation du modèle français de larépublique ». Il en irait ainsi parce que la « mythologie juridique républicaine » du système

politique français repose sur le « postulat de l’homogénéité du corps social ». A supposer quecette critique ait un sens en contexte français, il reste à établir en quoi ce qui vaudrait pour la

France vaudrait équivalemment pour les Etats multiethniques africains. Kobila soutient sans

 justification que « le jacobinisme, formellement infligé (sic) aux Etats africains au lendemain des

indépendances » aura été, selon Will Kymlicka qu’il cite religieusement, « une recette dudésastre ». Cette remarque byzantine est surprenante pour au moins deux raisons.

En premier lieu, Kobila parle des Etats africains comme s’ils avaient tous hérité de laFrance un modèle jacobiniste hostile aux différences culturelles. Cela est d’autant plus inexactque seuls les Etats sous influence française ont adopté une ingénierie institutionnelle

reproduisant formellement le modèle de l’ancienne puissance coloniale. Hors de la sphèred’influence française, le modèle de l’Etat unitaire s’est surtout développé dans le sillage d’uncentralisme autocratique qui n’a pas grand-chose en commun avec le jacobinisme. Par ailleurs,

décrire l’Etat unitaire africain comme un avatar du jacobinisme relève d’un concordisme

réducteur et d’une naïveté méthodologique d’autant plus bizarre que la variante africaine de

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centralisation politique simule les formes du jacobinisme sans jamais en institutionnaliser

l’éthos. Contrairement à des généralisations faciles, l’Etat unitaire africain n’a eu de jacobin quel’apparence. Il n’a guère mis en œuvre le type de projet d’homogénéisation culturelle, par lanégation des identités, que lui prêtent Kobila et ceux qui postulent qu’en Afrique, le « pluri-ethnisme a été érigé en principe de gouvernement depuis les origines » (sic). La prévalence des

identités ethniques est moins un fait permanent que la résultante de dynamiques endogènes d’unmode de politisation qui transforme l’appartenance ethnique en modalité d’inclusion politique.En second lieu, les trajectoires de la centralisation politique en Afrique n’ont jamais

présupposé « le postulat de l’homogénéité du corps social ». Elles se sont construites suivant des

 procédés divergents d’instrumentalisation de l’ethnicité aux antipodes du modèle jacobin sensé

leur servir de principe structurant. Parler en Afrique de « l’occultation corrélative du pluralismede la contexture de l’Etat » est d’autant plus aberrant que la gestion clientéliste du pluralismeethnique est précisément au fondement même des modes de politiser propres à l’Etatpostcolonial en Afrique. Il est donc illusoire de brandir la critique du jacobinisme comme unpréalable à « l’adaptation du modèle républicain français en Afrique ». La geste et ce qu’elleimplique décontenancent à plus d’un titre. D’abord, il s’agit moins d’adapter le républicanisme

français en Afrique que de construire des formes de mutualité politique capable de créer lesconditions de possibilité de l’épanouissement individuel et collectif. Ensuite, le modèle

qu’indique Kobila est aux antipodes d’une praxis de l’intégration démocratique qui valorise laculture et désamorce les mécanismes institutionnels de la domination. Sa théorie est celle d’unEtat ethnocorporatiste qui transforme la justice distributive en un simple partage ethnique du

 pouvoir et des avantages qu’il procure. Sa conception des droits différenciés singe les théories

contemporaines du multiculturalisme et de la politique de la reconnaissance sans en thématiser

les modalités, encore moins montrer en quoi ces savoirs se rapportent aux circonstances

 politiques de l’Afrique.Dans la mesure où il pense par slogans et repique des thèmes mal assimilés dans les

friperies intellectuelles proposées à l’Afrique par les idéologues de l’ethnicisme politique, Kobila

réduit naïvement la protection des groupes marginalisés à une simple répartition ethnique des biens positionnels politiques. Au bout du compte, en fait de républicanisme adapté à l’Afrique,Kobila produit en fait un salmigondis byzantin d’intuitions raccommodées pour revêtir

l’apparence d’une théorie du gouvernement multiethnique. S’il avait bien compris le

républicanisme de Maurice Kamto, il aurait avantageusement fait l’économie de l’étrangesuggestion suivant laquelle ce juriste remarquable militerait pour « la folklorisation des identitéset pour leur clochardisation ». A tout bien considérer, l’Etat ethnocorporatiste de Kobila est lestade normatif ultime de l’ethnopolitique postcoloniale qui perçoit l’Etat africain comme uneconstellation de quasi-principautés ethniques ayant des droits ascriptifs de participation politique

habilement déguisés en « prise en compte de la diversité de l’élément humain de l’Etat » dans lagestion des affaires publiques. Cette longue digression sur la réinterprétation byzantine du

républicanisme que donne Kobila ne doit pas distraire de la discussion sur la rééligibilité de PaulBiya. Les racontars de Kobila sur une curieuse « conception originelle de la république despenseurs grecs (sic) » et les allusions intrigantes sur « la sagesse ancestrale africaine » qui

« rejoint la philosophie grecque » ne sont malheureusement pas les outrances les plus

déprimantes d’un docte juriste entré malencontreusement par effraction en philosophie politiqueavec la grâce d’un éléphant dans un magasin de porcelaine pour psalmodier un catéchisme

ethnocratique abêtissant. Les rodomontades de Kobila sur l’idée de république ne sont

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finalement qu’un confus babil dénué de sens, une simple bouffonnerie qu’il cherche à faire passer pour un exercice intellectuel sérieux.

Sans surprise, j’ai trouvé un échantillon représentatif de cette étrange inclination dans uneréplique de Kobila à un passage de mon texte sur ses édifiantes camerouniaiseries

constitutionnelles. Feignant d’être victime d’un réquisitoire mal intentionné, il assure sans hésiter

que je lui «  prête l’allégation suivant laquelle la révision constitutionnelle de 2008 serait lerésultat d’un « consensus ». La suite sonne comme une mise en demeure injonctive qui m’enjointà produire le corps du délit. « Peut-il indiquer où je l’aurais suggéré ? » Telle est la question que

me pose Kobila. L’injonction est d’autant plus risible qu’elle montre que Kobila ne saisit pas lesimplications de ses propos. Il ne se rend pas compte qu’en recourant à l’intention du constituantde 2008 pour justifier la rééligibilité de Paul Biya, il présuppose en fait que la volonté del’assemblée nationale agissant comme corps collectif -en dépit du dissentiment de députés ayant

voté contre la modification de la constitution- exprime la volonté du corps politique qu’elle aunom duquel elle agit. Ce que j’ai nommé « consensus légitimant » signifie simplement que la

révision de la constitution a été justifiée par ceux qui en ont pris l’initiative comme l’expression

d’une attente populaire. Il s’ensuit que Kobila endosse et légitime cette justification douteuse en

défendant le principe de la rééligibilité de Paul Biya en s’appuyant sur ce qu’il tient pour lavolonté du constituant de 2008 qui, d’après lui, aurait révisé la constitution dans l’intentionexpresse de rendre possible la candidature du chef du RDPC.

Le reste des critiques que m’adresse Kobila reproduit ne vaut guère mieux que celles qui

viennent d’être réfutées.  Pour l’essentiel, elles sont truffées d’approximations déroutantes et

d’une surprenante confusion  de la part d’un agrégé de droit public. Dans un passage de montexte, j’ai par exemple indiqué qu’au Cameroun, « le pouvoir supposé législatif est dominé par le

détenteur du pouvoir exécutif ». L’observation me semble aller de soi étant donné qu’elledécoule d’un simple constat empirique qui ne prête guère à controverse au Cameroun. Aussi ai-jeété surpris de lire Kobila déclarer sur un ton jubilatoire que mon observation étale « de ce fait au

grand jour [m]on ignorance du fait majoritaire qui constitue la donne fondamentale de la quasi-

totalité des régimes politiques du monde entier, à commencer par les régimes d’Europeoccidentale tels celui du Royaume Uni, de l’Allemagne ou celui de la France où la majorité

parlementaire permet au Gouvernement de réaliser son programme politique ». Sur le ton de

l’instituteur courroucé par l’audace déplacée d’un mauvais élève, le docte juriste m’accuse même« de calomnier le législateur » pour l’avoir qualifié d’«organe docile qu’on nommeimproprement pouvoir législatif ». Il en déduit que cela « laisse supposer que [m]on futur

gouvernement n’aura pas besoin de la discipline des députés de [m]a famille politique àl’Assemblée nationale ou, mieux, [que je veillerai] à ce que les députés adverses y soient

majoritaires, afin de bénéficier d’un parlement indocile ». Ces objections appellent deux

remarques : (1) Il est amusant de voir Kobila exalter la valeur du principe majoritaire. Commentle prendre au sérieux, sachant qu’il est par ailleurs l’auteur d’un livre qui tient le pouvoir de la

majorité pour une menace contre l’existence des minorités, notamment ethnique. Cet hommagehypocrite du droit de la majorité participe d’une duplicité structurelle caractéristique de gens quiaffectionnent les logiques à géométrie variable. Cela permet à Kobila de dénoncer le principe

majoritaire lorsqu’il contrarie ses desseins ethnocratiques maquillés en droits des minorités et despeuples autochtones. Il est pourtant connu de tous les gens sérieux que l’assemblée nationale est

selon l’expression de Luc Sindjoun, « une chambre d’enregistrement ». Il suffit, pour s’enconvaincre, d’analyser les données empiriques sur l’initiative des lois et l’élaboration de l’ordredu jour de l’assemblée nationale pour s’apercevoir qu’elle fonctionne, non comme un pouvoir,

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mais comme un simple appendice de l’exécutif. Pour être plus précis, ces données indiquent quela probabilité d’échec de projets de lois initiés par le président de la république est quasiment

nulle.

Si le fait majoritaire est bien une donnée essentielle des grandes démocraties, encorefaudrait-il que la majorité puisse s’exprimer électoralement, par le biais de procédures

impartiales, pour que sa volonté influence dans les politiques publiques. Il faut croire quel’intérêt de Kobila pour le pouvoir de la majorité ne va pas plus loin qu’une simple justificationopportuniste de l’usage instrumental du droit qui permet à l’Etat-RDPC de conférer uneapparence de légitimité à ses pratiques de monopolisation arbitraire du pouvoir au Cameroun. La

seconde remarque (2) étend l’intuition qui oriente la précédente pour balayer les fadaises deKobila sur « la disciple des députés ». A première vue, l’observation donne l’impression que ledocte juriste comprend suffisamment les subtilités de la discipline de parti dans les législatures

démocratiques. Mais l’interprétation qu’il en donne explique pourquoi il a si peur des« controverses hétérogènes ». Une simple familiarité avec les mécanismes de la discipline qui

sont l’objet de l’étude des législatures en économie politique ou en science politique empiriquelui aurait permis de savoir que la discipline de parti n’a rien d’un conjuration de bande grégaire

agissant pour bloquer l’émergence d’un ordre politique démocratique. Cette interprétationbizarre de la discipline de parti confirme, si besoin en était encore, que la révisionconstitutionnelle de 2008 était bien une démarche unilatérale du RDPC conscient de pouvoir

atteindre ses fins en évitant le recours au referendum qui aurait justement permis au peuple de

s’exprimer directement sur la question de l’abrogation de la clause de limitation du nombre demandats présidentiels. Les masques sont à présent tombés ; chacun peut voir que le juridisme

empressé des cerbères du prince s’origine dans une longue tradition de légitimation del’autocratie au Cameroun. L’histoire retiendra que James Mouangue Kobila fait partie, d’uneconfraternité du déshonneur qui défend l’institutionnalisation de la fraude. Ses fadaises, comme

du reste celles de ses pairs, servent tout au plus à différer l’inéluctable démocratisation duCameroun.