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CINÉMA Danyèle Patenaude et Roger Caniin P armi les quelque soixante documents visionnés, les- quels commenter ~> Peut-être en premier ces beaux films très peu connus pour toutes sortes de raisons, la princi- pale étant leur brièveté : la télévision et surtout les salles de cinéma ne savent que faire des courts métrages. Lettre à Catherine, de Marie Potvin, Dou- ble Jeu. de Suzy Cohen et L Objet de Roger Cantin et Danyèle Patenaude. sont de ceux-là. Ces trois fictions dégagent un bien agréable sens de l'humour. J'ai tou- jours un peu peur de revoir des films que j'ai trouvés drôles mais, au deuxième visionnement de L'Objet, voyant venir les gags, j'ai ri encore plus que la première fois. Et voilà trois thématiques modernes laissant libre cours à une bonne folie. Toujours dans L Objet le personnage prin- cipal «freak» sur la fin du monde. Il quitte son travail (bof !), part en voyage, «remplit» ses cartes de crédit et rentre finalement chez lui regarder le spectacle du siècle en direct à la télé. Et là. je n'en dis pas plus. Effet de surprise et effets spéciaux se suivent ; Cantin et Patenaude, les scéna- ristes de La Guerre des tuques. nous en mettent plein la vue. Et c'est réussi ! Avec Double Jeu. Suzy Cohen se paie, elle aussi un tour de magie pas mal du tout. En 13 minutes, elle développe son intrigue, impose ses personnages et réus- sit à nous faire marcher. Ses héros sont deux enfants qui imaginent les aventures Cinéma d'hiver Coup sur coup, les Rendez-vous du cinéma québécois (à Montréal du 29 janvier au 3 février) et le Festival des filles des vues de Vidéo Femmes (à Québec, du 20 au 24 février) exposaient la récolte 1983-1984 des films et vidéos produits par des Québécoises, ou par quelques étrangères dont la britannique Sally Potter. Diane Poitras a suivi les deux événements. par Diane Poitras amoureuses de leur mère monoparentale. La réussite est d'autant plus remarquable que le film a été tourné avec un budget minuscule. Mais la réalisatrice ne veut pas en parler. Elle prend la situation autrement : ayant financé son film elle- même, elle n'avait pas à justifier devant des investisseurs son scénario, son casting ou son traitement. Et ceci, dit-elle, lui a laissé toute la liberté nécessaire pour aller jusqu'au bout de son projet et de ses fantaisies. Contrairement aux titres précédents. Lettre à Catherine est une première oeuvre et donne très envie de voir le prochain film de Marie Potvin. Empreint lui aussi d'humour et d'une certaine fraîcheur, ce court métrage joue avec une forme narra- tive plus libre et assez fantaisiste. En voix hors champ, l'héroïne répond à une lettre de sa soeur partie en Europe. La musique et l'association des images, comme un album de photos, tentent de suggérer comment se passe la vie d'une jeune L'Objet : Serge Thèrloult et Louise Rinfret LA VIE EN ROSE 44 avril 1985

Cinéma d'hiver / Diane Poitrasbv.cdeacf.ca/CF_PDF/LVR/1985/25avril/92021.pdf · La réussite est d'autant plus remarquable que le film a été tourné avec un budget minuscule. Mais

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Page 1: Cinéma d'hiver / Diane Poitrasbv.cdeacf.ca/CF_PDF/LVR/1985/25avril/92021.pdf · La réussite est d'autant plus remarquable que le film a été tourné avec un budget minuscule. Mais

CINÉMA

Danyèle Patenaude et Roger Caniin

Parmi les quelque soixantedocuments visionnés, les-quels commenter ~> Peut-êtreen premier ces beaux filmstrès peu connus pour toutessortes de raisons, la princi-pale étant leur brièveté : latélévision et surtout les sallesde cinéma ne savent que fairedes courts métrages.

Lettre à Catherine, de Marie Potvin, Dou-ble Jeu. de Suzy Cohen et L Objet de RogerCantin et Danyèle Patenaude. sont deceux-là. Ces trois fictions dégagent unbien agréable sens de l'humour. J'ai tou-jours un peu peur de revoir des films quej'ai trouvés drôles mais, au deuxièmevisionnement de L'Objet, voyant venir lesgags, j'ai ri encore plus que la premièrefois. Et voilà trois thématiques moderneslaissant libre cours à une bonne folie.Toujours dans L Objet le personnage prin-cipal «freak» sur la fin du monde. Il quitteson travail (bof !), part en voyage, «remplit»ses cartes de crédit et rentre finalementchez lui regarder le spectacle du siècle endirect à la télé. Et là. je n'en dis pas plus.Effet de surprise et effets spéciaux sesuivent ; Cantin et Patenaude, les scéna-ristes de La Guerre des tuques. nous enmettent plein la vue. Et c'est réussi !

Avec Double Jeu. Suzy Cohen se paie,elle aussi un tour de magie pas mal dutout. En 13 minutes, elle développe sonintrigue, impose ses personnages et réus-sit à nous faire marcher. Ses héros sontdeux enfants qui imaginent les aventures

Cinéma d'hiverCoup sur coup,les Rendez-vous du cinéma québécois (à Montréaldu 29 janvier au 3 février) et le Festival des filles des vuesde Vidéo Femmes (à Québec, du 20 au 24 février) exposaientla récolte 1983-1984 des films et vidéos produits par desQuébécoises, ou par quelques étrangères dont la britanniqueSally Potter. Diane Poitras a suivi les deux événements.

par Diane Poitrasamoureuses de leur mère monoparentale.La réussite est d'autant plus remarquableque le film a été tourné avec un budgetminuscule. Mais la réalisatrice ne veutpas en parler. Elle prend la situationautrement : ayant financé son film elle-même, elle n'avait pas à justifier devantdes investisseurs son scénario, son castingou son traitement. Et ceci, dit-elle, lui alaissé toute la liberté nécessaire pour allerjusqu'au bout de son projet et de sesfantaisies.

Contrairement aux titres précédents.Lettre à Catherine est une première oeuvreet donne très envie de voir le prochainfilm de Marie Potvin. Empreint lui aussid'humour et d'une certaine fraîcheur, cecourt métrage joue avec une forme narra-tive plus libre et assez fantaisiste. En voixhors champ, l'héroïne répond à une lettrede sa soeur partie en Europe. La musiqueet l'association des images, comme unalbum de photos, tentent de suggérercomment se passe la vie d'une jeune

L'Objet : Serge Thèrloult et Louise Rinfret

LA VIE EN ROSE 44 avril 1985

Page 2: Cinéma d'hiver / Diane Poitrasbv.cdeacf.ca/CF_PDF/LVR/1985/25avril/92021.pdf · La réussite est d'autant plus remarquable que le film a été tourné avec un budget minuscule. Mais

Double Jeu : Lucie Laurier et Doris Blonchet

femme qui a choisi la marginalité. On lavoit entre autres choses, danser le tangoavec des ami-e-s dans le port de Montréal'.

Punk ou heavy métal ?La Différence n'a pas d'importance, un

vidéo de Stella Goulet et Daniel Guy, nousintroduit dans le monde des adolescentesexcentriques Ces deux jeunes «punk»(Pardon ! Une «punk» et une «heavymétal») nous amènent sur leur terrain,nous provoquent avec un plaisir évident,pour se livrer finalement avec une trou-blante sincérité. Au bout des dix premièresminutes, j'avais peur de me lasser de cesfanfaronnades, mais le ton s'est mis àchanger. Les deux héroïnes de 14 et 17ans commençaient à parler du chumidéal, des peines d'amour déjà connues,des enfants possibles ou impossibles, deleur avenir : «Ça ne me sert à rien d'aller àl'école, si Nostradamus a prédit la fin dumonde en 1986 !» La boutade ne cherchemême pas à cacher l'angoisse ; elle est unefaçon de l'exprimer. Tout comme l'extra-vagance de la coiffure et du maquillage.Le «syndrome du peigne», comme ellesdiraient, c'est... l'angoisse existentielle.Rien de moins.

Avec des miettes de budget, StellaGoulet et Daniel Guy ont fabriqué undocument très efficace. Si elle ne cherchepas à faire «novatrice», la forme a aumoins le mérite de bien servir le sujet. Enfait, on a assis les deux adolescentes dansun salon et on leur a demandé de parler.La force du vidéo réside dans les person-

nages eux-mêmes. Les cinéastes l'ontcompris et ont misé sur eux ; ils ont mêmesu, tout porte à le croire, établir unerelation de confiance avec les deux ado-lescentes. Par exemple, ils ont réussi àfaire parler la plus introvertie des deux, laplus timide, tout en laissant beaucoup deplace à l'autre pour cabotiner.

Mélodie, ma grand-mère et Les Chevauxd'acier, deux autres films de Stella Goulet,étaient sympathiques, attendrissants etmême drôles ; La Différence a les mêmesqualités, mais avec plus de vigueur et deconsistance.

Vive la vidéo !Encore une fois cette année, Vidéo

Femmes a prouvé qu'il est possible demontrer d'excellents programmes vidéo,sur des écrans géants d'une qualité trèsacceptable. L'installation permanentepermettait de passer du film à la vidéosans délais et sans heurter ses sensibilitéscinématographiques.

Parmi ces vidéos, le savoureux HormoneWarzone. (Le Champ de bataille des hor-mones779) Réalisé par un groupe de To-ronto, The Hummers, ce documentaireexpérimental avait été présenté à Montréaldans les cadres de Vidéo 84 et du Festivaldu nouveau cinéma. C'est dire qu'il plaîtbeaucoup.

Hormone Warzone est un document d'in-formation et d'animation sur les métho-des contraceptives. Pour faire passer lemessage, on a eu recours à une mise enscène oscillant entre la fiction et le «soapopéra». Exaspérée par les effets secondai-res des méthodes contraceptives, unejeune femme rêve qu'un personnage my-thique vient faire l'éducation sexuelle deson compagnon. Le rythme est rapide, lesgags efficaces, les effets spéciaux et lemontage assez audacieux. Enfin, lescomédiens sont convaincants. Le hic : ilfaut comprendre l'anglais, of course !

Aux antipodes de la vidéo d'interventionse trouvent les vidéos expérimentaux dela New-yorkaise Kit Fitzgerald, dont on apu revoir à Québec Static et 777e Retum ofthe Native (une série inspirée d'un romande Thomas Hardy). Fitzgerald, dont lesproductions avaient été fort appréciées aufestival du Nouveau Cinéma en octobredernier, emprunte la forme du vidéo-clip :elle utilise les effets électroniques avecpertinence et économie, dans une oeuvreoù la musique et/ou la danse sont aussiimportantes que le visuel. Ses pièces lesmieux réussies donnent l'impression depetits poèmes visuels où les paysagesjouent le premier rôle. Elles laissent uneimpression fugitive de la paysanneried'Irlande, de ses moutons et de ses vallonsFitzgerald a aussi produit un très beau cliptourné en Saskatchewan. Mais il faut dire

qu'à d'autres moments, la technique, ré-pétitive, devient lassante.

Les Tatouages de la mémoire, le derniervidéo d'Helen Doyle, poursuit la démarcheoriginale d'une réalisatrice qui ose prendrecertains risques. Lan dernier, à ce mêmefestival de Vidéo Femmes. Helen Doyledisait vouloir «vérifier jusqu'où va monautocensure». Et il y a effectivement,depuis Chaperons rouges jusqu'aux Tatoua-ges, en passant par C'est pas le pays desmerveilles et Les Mots/maux du silence, re-cherche d'une parole de plus en pluspersonnelle. Mais si Doyle maîtrise par-faitement, dans ses documentaires, lerapport entre le contenu et la forme, jetrouve qu'il s'obscurcit dans ses vidéosexpérimentaux. Dans Les Tatouages... parexemple, il y a une certaine mollesse entreles divers éléments de l'oeuvre. Comme si,à certains moments, limage, la narration,les effets spéciaux et les personnages sechamaillaient entre eux pour prendre laplace, au lieu de se compléter et de formerun tout cohérent. Aussi, au visionnement,j'avais du mal à retenir ce que je venaistout juste de voir ou d'entendre. Je n'arri-vais pas à créer ce lien nécessaire entre cequi m'était proposé sur l'écran et mapropre imagerie intérieure. Et je me ren-dais compte, régulièrement, que j'avaisl'esprit ailleurs.

Mais le travail d'Helen Doyle demeuretrès intéressant. Dans Les Tatouages . j'aibeaucoup aimé la texture extrêmementténue de certaines images, les blancs surblancs, sur blancs, comme des dentelles,comme des transparences. J'aurais peut-être aimé y voir plus de simplicité, unefaçon plus directe d'aller à l'essentiel.

Lo Différence n'a pas d'importance

avril 1985 45 LA VIE EN ROSE

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Les Tatouages de la mémoire

Entre le rêve et la réalitéAvec J'ai toujours rêvé d'aimer ma mère.

Francine Prévost tenait un bon sujet : lesrelations mère-fille. Au début, la réalisa-trice veut faire un film sur sa mère et. parlà, se rapprocher d'une femme qu'elle améconnue. Le projet est d'autant plusdifficile que la fille semble avoir pris sesdistances, il y a très longtemps, face à unamour maternel jugé trop envahissant. Lechemin inverse n'est pas si facile à par-courir. Mais voilà qu'en cours de travail,une autre jeune femme, une enfant«adoptée» à la recherche de sa mèrenaturelle, fait irruption dans la vie de lacinéaste. Celle-ci 1 accueille. l'héberge etdéveloppe avec elle une relation de typemère-fille.

Tout ce matériel aurait pu donner unbon film, mais la réalisation ne va pasassez loin. La cinéaste soulève des ques-tions intéressantes, mais les laisse enplan. Par exemple, la mère déclare calme-ment que non, elle n'a jamais eu lapossibilité de faire des confidences à sapropre mère et que de toute façon, elle nel'aurait pas souhaité Vu le titre du film.

CINÉMAc est assez provocant : il aurait fallu creu-ser davantage. Ailleurs, il est question dulien physique et sensuel entre la mère et lafille, qui s'étiole dès que celle-ci ébauchedes rapports de sensualité avec les hom-mes. Mais voilà, ces quelques filons - jepourrais en nommer d'autres - restent àl'état d'intuitions, tournent toujours unpeu court.

La réalisatrice, et ce serait ma princi-pale critique, semble sur-valoriser l'émo-tion, qui tient souvent lieu ici de discourset empêche la réflexion d'aller plus loin.Les féministes ont déjà montré ce qu'il y ade pernicieux dans ces associations troprapides entre l'émotion et le féminin,entre la raison et le masculin. Les larmeset les débordements émotifs, tout au longdu film, ne contribuent d'aucune façon àune meilleure compréhension du sujet ouau développement dramatique. Plus éco-nome d'émotion, la réalisatrice auraitpeut-être pris plus de distance face à sonsujet et mieux discerné ainsi ce qui y étaitfort et ce qui l'était moins.

D'autres titres, nécessairement, valentla peine d'être mentionnés. Pour leuraudace. La Chevauchée roze. de Marie Dé-cary et Pas fou comme on le pense, de Jac-queline Levitin ; pour le sujet. Événementà Restigouche. d'Alanis Obomsawin etL'Ordinateur en tête de Diane Beaudry. dontle jeu des comédiennes est aussi à noter.

Que se dégage-t-il de la production1983-1984 ~> En film, plus de femmes ontréalisé des fictions : aux Rendez-vous.

elles en présentaient presque autant quede documentaires (la même remarques'applique d'ailleurs aux hommes) Encoreune fois, cette année, une femme a rem-porté le Prix de la critique : Léa Pool, avecLa Femme de l'hôtel Lan dernier, le prixavait été partagé entre le Journal inachevéde Marilù Mallet et La turlutte des annéesdures de Pascal Gélinas et Richard Boutet.

Du côté de la vidéo, la production expé-rimentale a augmenté considérablement.En général, les vidéastes traversent unepériode de «brassage», de diversificationet d'intégration des formes. Elles produi-sent moins qu'il y a quelques années,moins vite. Les résultats, par contre, sontplus soignés et plus recherchés. Les fem-mes vidéastes contrôlent visiblementmieux la technique, ce qui leur permet des'aventurer hors des sentiers battus, avecplus d'assurance. A,!*

1/ Lettre à Catherine est distribué par MainFilm, Montréal (845-7442). Double /eu a étéacheté par la télévision française et estdisponible à Parlimage. Mtl (526-4423) L'Objetsera diffusé à Radio-Canada en juillet, et setrouve à Cinéma libre. Mtl (526-0473)2/ La Différence et les Tatouages sont distribuéspar Vidéo Femmes, Québec (418-692-3090).3/ J'ai toujours rêvé estdisponibleà l'ONF, Mtl(283-4823)

Sally PorterVidéo Femmes rendait hommagecette année & Sally Potter, une cinéastebritannique qui s'est acquis une réputation internationalegrâce à la qualité de son oeuvre. On a présenté à Québecses deux plus récents films: Thriller (1979), reconnu commeun élément important de la production cinématographiqueféministe, et The Gold Diggers (1983), primé déjà dansplusieurs festivals dont Berlin, Moscou, Florence et Vancouver.

aime, extrêmement calme,réfléchie, elle écoute attenti-vement mes questions etrépond lentement, avec pré-cision et presque sans hési-tation. Je reconnais, danscette personnalité, ce quim'avait tant fascinée dans TheGold Diggers (Les chercheursd'or), ce questionnement des

stéréotypes du cinéma : une réflexionpoussée et extrêmement rigoureuse etune maîtrise remarquable de tous leséléments du langage.

Diane Poitras : Estceque The Gold Diggersest un film sur la façon dont les femmes sevoient ou sur la façon dont le cinéma voit lesfemmes ?Sally Potter : La perception que les fem-

LA VIE EN ROSE 46 avril 1985

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Dans le prochain numéro de La Vie en rose!Sylvie Dupont interroge celle quin'a pas cessé de chanter le Québecet les femmes: PAULINE JULIENGloria Escomel raconte le pays deson enfance, comme il était etcomme il est devenu: L'URUGUAYEn plus, les conditions desNON-SYNDIQUÉ-E-S au Québec, unaperçu du FESTIVAL DESAMÉRIQUES, ce méga-événementthéâtral, et surtout, surtout, surtout,l'entrevue surprise d'uneQUÉBÉCOISE EXCEPTIONNELLE...En kiosque dès le 27 avril

mes ont d'elles-mêmes est en partie fa-çonnée par le cinéma, d'où nous viennentplusieurs de nos fantasmes conscients.Mais le film tente d'explorer, non pastellement limage féministe que les fem-mes ont d'elles-mêmes, que ce qu'onpourrait appeler la structure profonde dela féminité qui, elle, se situe dans l'in-conscient.

DP : Quelle est cette image féministe que lesfemmes auraient d'elles-mêmes ?SP : Les féministes ont beaucoup réfléchisur l'image qu'on se fait consciemment dela féminité : se sentir forte ou faible, sesentir bien ou non à son travail, etc. Maisquand on fouille dans l'inconscient, ondécouvre des combinaisons tout à faitparticulières d'éléments que le féminismen'a pas encore vraiment expliqués.

DP: Le personnage de Ruby incame-t-il larecherche de cette image de la féminité enfouiedans l'inconscient 'SP : Oui, en quelque sorte, parce qu'il estinterprété par Julie Christie, une comé-dienne très connue. Au lieu de lui tournerle dos, le film cherche à comprendre, parexemple, ce qu'il y a dans le «star System».Il rapproche donc la star de cinéma etl'icône féminine adorée par les hommes,

mais qui reste sans pouvoir. Et beaucoupde femmes se reconnaissent dans l'expé-rience de Ruby, qui consiste à se sentirdivisée : une partie de soi réfléchit etregarde l'autre partie de soi qui, elle, estreliée à cette icône qu'on appelle la fémi-nité. En faisant ce film, j'ai réalisé qu'iln'est pas suffisant de détruire l'icône oude lui dire adieu à tout jamais. Car il y adans l'icône un pouvoir qui n'est pas uni-quement destructeur et qui a quelquechose à voir, selon moi, avec le pouvoiroriginel de la mère. C'est pourquoi, dansThe Gold Diggers. il y a beaucoup desymboles liés à la relation mère-fille.

DP : Et le personnage de Céleste, l'autrefemme ?SP: Ruby est tournée vers l'analyse inté-rieure alors que Céleste (Colette Lafond)cherche à comprendre l'extérieur, lesrouages de l'économie. Et leurs deuxnoms combinés forment la formule alchi-miste The CelestialRuby (Le Rubis céleste?).Le film tente donc de réconcilier ces deuxmouvements : celui qui est orienté versl'économie comme seul moyen de chan-ger le système, et celui selon lequel on nepeut prétendre à aucun changement socialou politique si on ne commence par sechanger soi-même.

DP : N'est-il pas très risqué de donner à unfilm dont le contenu est politique, féministe,une forme aussi audacieuse ?SP : Ah oui, c'est risqué ! Mais l'idée dufilm était justement de tenter des con-nexions entre des mondes toujours sépa-rés : le cinéma indépendant et le cinémacommercial : le cinéma féministe et lecinéma esthétique ou expérimental. Tousces aspects m'intéressent et je voulais lesintégrer. Le thème du film, d'ailleurs, c'estl'intégration. C'est vouloir dire beaucoupde choses en même temps, je le sais. Dansl'enseignement, j'ai réalisé que les femmesagissent comme ça : elles essaient d'intro-duire toutes leurs idées dans un projet ouun film comme si c'était le dernier de leurvie... Mais enfin, je suis là pour défendremon film, et non pour le critiquer !!! Jelaisse ça à d'autres,

avril 1935 47 LA VIE EN ROSE