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1 Claude Monet au musée Marmottan-Monet Dossier pédagogique

Claude Monet au musée Marmottan-Monet · Auguste Renoir, Portrait de Claude Monet debout, 1875, inv.5066 (c)musee ... recherches de Monet le mèneront à la limite de l’abstraction

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Claude Monet au musée Marmottan-Monet

Dossier pédagogique

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Sommaire

1°) Claude Monet en dates p 3 2°) Repères chronologiques p 5 3°) Claude Monet en images au musée Marmottan-Monet P 6 4°) Le clan Monet p 18 5°) Claude Monet a-t-il inventé l’art abstrait ? p 23 6°) L’œil de Monet p 26 7°) Monet et les Américains p 28 8°) Histoire du musée p 29 9°) Activité pédagogiques p 30

Dossier réalisée par l’équipe de Arts magazine.

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1°) Claude Monet

Auguste Renoir, Portrait de Claude Monet debout, 1875, inv.5066 (c)musee Marmottan Monet, Paris_Bridgeman Giraudon 1840 Naissance à Paris d’Oscar-Claude Monet (14 novembre) fils de Claude-Adolphe Monet, propriétaire, et de Louise-Justine née Aubrée. 1845 La famille s’installe au Havre 1855 Premiers succès comme caricaturiste 1858 Rencontre Eugène Boudin qui le pousse à peindre 1859 S’installe à Paris contre la volonté paternelle. Fréquente l’Académie suisse où il se lie avec Pissarro 1861 Service militaire en Algérie. Parti pour sept ans, il est « racheté » 3025 F par sa tante en 1862 1862 Retour à Paris. Atelier Gleyre où il rencontre Renoir, Bazille et Sisley.Préfère peindre à la campagne 1865 Premiers succès au Salon 1866 Nouveaux succès au Salon. Rencontre Manet 1867 À Paris, Camille Doncieux, son modèle, met au monde leur fils, Jean. Seule. Claude est en Normandie pour calmer la fureur de son père. Et peindre. Suivent des années créatives, mais financièrement difficiles 1869 Refusé au Salon 1870 Épouse Camille. Fuit la guerre à Londres. Il y rencontre son premier marchand Paul Durand-Ruel 1871 Retour en France via les Pays-Bas où il achète des estampes japonaises qu’il va collectionner avec passion.

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1874 Première exposition impressionniste. Expose, entre autres, Impression Soleil Levant , acheté par Ernest Hoschédé, marchand de tissus précieux. 1876 Décore le château d’Ernest et Alice Hoschédé à Montgeron. Deuxième exposition impressionniste. Rencontre Gustave Caillebotte. 1877 troisième exposition impressionniste. 1878 Naissance de son second fils Michel. Ernest Hoschédé fait faillite et les Monet s’installent à Vétheuil avec Alice et ses 6 enfants 1879 Quatrième exposition impressionniste. Mort de Camille 1880 Première exposition personnelle 1883 S’installe à Giverny avec Alice et les 8 enfants. Voyage en méditerranée avec Renoir. 1884 Durand-Ruel lui achète 21 toiles pour 18 200 francs 1886 Séjour à Belle Île 1889 Expose avec Rodin chez Georges Petit, rival de Durand-Ruel 1890 Achète Giverny. Commence sa première série « Les Meules » 1892 Épouse Alice . Commence « Les cathédrales » 1893 Commence à creuser son bassin aux nymphéas. 1895 Expose 20 versions des Cathédrales 1898 Signe le manifeste des intellectuels en soutien au « J’accuse » de Zola. 1902 Premiers achats par des musées français 1908 Séjour à Venise. Premier symptômes de la cataracte. 1911 Mort d’Alice. Dépression de Monet 1914 Mort de son fils Jean. Commence les grands « Nymphéas » 1918 Au lendemain de l’armistice, propose à son ami Clemenceau de donner les grands Nymphéas à la France. 1923 Opération de la cataracte (il est quasi aveugle depuis dix ans). 1926 Meurt le 5 décembre

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2°) Repères chronologiques.

1830/48 Règne de Louis-Philippe 1837 Inauguration de la ligne Paris/Saint-Germain-en Laye, Première ligne de chemin de fer « voyageurs » en France 1839 Invention de la photographie (Daguerre. Premiers travaux de Niepce en 1826) 1848/1852 Deuxième République 1850 Fabrication des premiers tubes de peinture en France (Lefranc) 1852/1870 Second Empire 1861 Premier vélo à pédales (Pierre Michaux) 1870 Guerre de 70. 1870/1940 Troisième République 1873 L’Obéissante, automobile à vapeur, roule à 40 Km/h (Amédée Bollée) 1871 La Commune de Paris 1879 invention de l’ampoule électrique (Edison) 1885 Louis Pasteur teste son vaccin contre la rage 1889 La Tour Eiffel, vedette de l’exposition universelle 1895 Invention de la radio (Marconi) 1900 Inauguration de la première ligne de métro à Paris 1911 Louis Blériot traverse la Manche en avion 1914/1918 Première guerre Mondiale 1921 Premier concert radiodiffusé par radio Tour Eiffel.

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3°)Claude Monet en images au musée Marmottan-Monet

Caricaturiste précoce, bosseur acharné, observateur affûté, jardinier hors pair… une palette de talents qui impressionne ! J’étais un indiscipliné de naissance, confie Claude Monet en 1900 au journaliste du Temps François Thiébault-Sisson. On n’a jamais pu me plier, même dans ma petite enfance, à une règle. C’est chez moi que j’ai appris le peu que je sais ». « Rebelle, l’artiste l’est dans l’âme », confirme son bel-arrière-petit-fils Philippe Piguet. Monet résiste à ses professeurs qu’il caricature ; tient tête à son père qui voudrait le voir suivre le chemin de l’épicerie familiale plutôt que celui de la peinture. Il désobéit à sa tante qui n’aurait pas trouvé indécent qu’il abandonne sa maîtresse, le modèle Camille Doncieux, et leur jeune fils Jean. Il refuse de passer par la voie royale de l’école des beaux-arts, et s’il finit par fréquenter l’atelier de Charles Gleyre, il n’y reste que quelques semaines car il juge les conseils de l’artiste déplorables. Évidemment, il regimbe aussi devant l’institution : le Salon évince ses toiles ? Qu’à cela ne tienne, il fonde la « société anonyme coopérative d’artistes-peintres, sculpteurs, graveurs, etc. », à laquelle adhèrent Renoir, Sisley, Berthe Morisot, Pissarro, Degas, Cézanne… et organise ce qui sera la première exposition impressionniste ! Il sait même envoyer balader ses acheteurs : en 1879, malgré le manque d’argent, il refuse de vendre un tableau au baryton Jean-Baptiste Faure parce que ce dernier l’avait vexé six ans auparavant… Ce caractère rebelle s’appuie non pas sur une inébranlable confiance en soi (le peintre a d’affreux moments de doute), mais sur une certaine « conscience de l’œuvre à venir et même de son rôle dans l’histoire de l’art », affirme Philippe Piguet. II faut dire que les bonnes fées lui ont donné au berceau un talent de dessinateur inné, une capacité de travail peu commune, une vocation de fer, une vraie appétence pour la nouveauté… et que la vie a mis sur son chemin des femmes, des amis, des marchands qui l’ont incontestablement aidé à grimper sur les cimes de l’art!

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3-A Dessinateur hors pair, enfant, il a de l’or dans les doigts Enfant, Oscar comme l’appelle ses parents, n’aime pas l’école qui lui fait « l’effet d’une prison ». Il n’apprécie que les cours de son professeur de dessin Jacques-François Ochard, ancien élève de David. En bon cancre qui se respecte, il passe son temps à enguirlander la marge de ses livres et à croquer sur ses cahiers la tête de ses professeurs, la déformant le plus possible.« Je devins vite à ce jeu d’une belle force, racontera-t-il. À 15 ans, j’étais connu de tout Le Havre comme caricaturiste. » Résultat : les notables s’arrachent ses portraits-charges qu’il vend 10 ou 20 francs pièce. Et c’est ainsi qu’il accumule près de 2000 francs. Un joli pécule qui lui permettra de filer à Paris malgré les objurgations paternelles (Adolphe, son père, voulait le voir reprendre l’épicerie familiale).

Monet, Petit Pantheon théatral 1860 (c)musee Marmottan Monet Paris_ Bridgeman Giraudon_Presse

Monet Vin de Bordeaux 1857

(c)musee Marmottan Monet Paris_Monet Vieille normande de face 1857 (c)musee Marmottan Monet Paris_Bridgeman Giraudon_Presse

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3-B Il devient peintre sous l’influence d’Eugène Boudin. Le jeune Monet installe son chevalet en plein air pour peindre « sur le motif » grâce à une invention récente : les tubes de peinture. Il suit l’exemple de son maître Eugène Boudin surnommé « le roi des ciels », et excelle à fixer sur la toile les moindres variations chromatiques. Exposé au Salon de 1865, ses premiers tableaux, des marines, raviront les critiques séduits par « une manière hardie de voir les choses ».

Eugene Boudin, Sur la plage, 1863 inv. 5035 (c)musee Marmottan Monet, Paris_Bridgeman Giraudon_Presse

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3-C Le père de l’impressionnisme Malgré des premiers succès très prometteurs, Claude Monet est vite banni du Salon. Trop dérangeant. Qu’à cela ne tienne ! Le peintre crée une société anonyme, une coopérative d’artistes avec ses amis Sisley, Degas, Pissarro, Renoir… son maître, Boudin et une femme, (une seule !) Berthe Morisot. Ils organisent un « Salon off » en 1874, 15 jours avant l’ouverture du Salon officiel. Une toile en particulier, trop moderne pour être honnête, quasi floue, pas finie, déchaîne les critiques et l’incompréhension du public. C’est Impression, soleil levant, Un journaliste, Louis Leroy, s’en prend particulièrement à ce tableau de Monet. Il le trouve moins réussi qu’un brouillon de papier peint. Et pour le ridiculiser, il titre son article dans le Charivari « L’exposition des impressionnistes ». Le nom est resté, et aujourd’hui les œuvres des impressionnistes – ces artistes qui essaient de restituer leurs sensations, leurs impressions sur la toile – sont parmi les plus populaires du monde.

Monet Impression soleil levant 1873 (c)musee Marmottan Monet Paris_Bridgeman Giraudon_Press

À LIRE ÉGALEMENT LE LIVRET D’ARTS MAGAZINE SUR L’IMPRESSIONNISME

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3-D Un œil incomparable « Monet n’est qu’un œil, mais bon Dieu, quel œil ! » La formule de Cézanne est restée célèbre. Il est vrai que Monet a un œil fascinant, à la fois extrêmement observateur et imaginatif. Les critiques de l’époque saluent son réalisme, voire son naturalisme, tant il sait capter et rendre sur la toile la matérialité des rochers, les teintes des schistes et des gneiss, les traces d’éboulis sur la falaise, les variations de couleur des nuages dans les ciels normands… D’autres apprécient que le peintre ait une vision si personnelle que les ombres deviennent violettes, la neige de Norvège rose ou que Venise paraisse une ville hallucinatoire. Cette combinaison signe son originalité, même si le poids des deux tendances varie avec le temps. à ses débuts, il est fasciné par les nouveautés de la société : les chemins de fer(ci-dessous), le tourisme, les loisirs… (ci-dessus) Pas étonnant pour un homme qui est lui-même progressiste (il est passionné par les avions, achète une des premières automobiles…).

Monet Le train dans la neige. La locomotive 1875 (c)musee Marmottan Monet Paris_Bridgeman Giraudon

Mais par la suite, son intérêt pour le paysage change… Petit à petit, les signes de la vie moderne (trains, navires, guinguettes…) disparaissent des toiles de Monet. Tout comme la figure se fait de plus en plus rare. Comme si les recherches du peintre l’amenaient à se concentrer sur l’essentiel. Et qu’est-ce que l’essentiel en peinture ? La forme, le plan, le vide. Les recherches de Monet le mèneront à la limite de l’abstraction. Et ne cesseront jamais, même lorsque devenu quasi aveugle, il ne peindra plus qu’avec le souvenir des formes et des couleurs.

La Plage a ! Pourville. Soleil couchant, 1882 Huile sur toile, 60 x 73

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3-E Le Raphaël de l’eau La réverbération de la lumière, le miroir changeant des flots, les reflets colorés des barques, de la végétation, du ciel… L’effet de mouvement et de profondeur est ici saisissant grâce à une technique « tachiste » innovante, une touche peu précise mais énergique, des tonalités assez froides. Ce n’est pas pour rien que Monet sera baptisé le « Raphaël de l’eau » par Manet.

Monet La Barque 1887 (c)musee Marmottan Monet Paris_Bridgeman Giraudon_Presse

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3-F Bourreau de travail, ni le gel ni la fatigue ne l’arrêtent

Monet Paysage de Norvege Les maisons bleues 1895 (c)musee Marmottan Monet Paris_Bridgeman Giraudon Contrairement à la légende, Monet ne peint pas toujours en plein air, directement sur le motif. Parfois, il termine ses tableaux à l’intérieur, ou il les exécute entièrement en atelier comme les grands « Nymphéas ». Reste qu’il travaille beaucoup dehors et par tous les temps. Et que ni le froid ni la tempête ne l’empêchent de sortir. Il enfile trois manteaux

et s’échappe avec ses pinceaux, y compris lorsqu’il fait si froid que la Seine gèle. Et il affronte sans problème la Norvège en hiver (ci-dessus) pour y trouver une lumière qui l’intéresse. Dans la Creuse (ci-dessous), à l’hiver 1889, les conditions météo sont si terribles que ses doigts se couvrent d’engelures : il les enduit de graisse, met des gants et continue de plus belle. À Belle-Île, en 1886, il travaille d’arrache-pied même si dans la ferme où il est logé, les rats dans le grenier et les grognements du cochon l’empêchent de dormir. C’est un « bosseur » qui n’hésite pas, quand il est mécontent du résultat, à déchirer, brûler, détruire…

Valle "e de la Creuse. Effet du soir, 1889 (c)musee Marmottan Monet Paris_Bridgeman Giraudon

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3-G Businessman, il sait faire monter sa cote Certes, il a été pauvre, mais pas tout le temps. Certains soulignent malicieusement que même lorsque Monet crie famine, il a une bonne à la maison. À ses débuts, il brade ses toiles environ 50 francs. Mais déjà Camille en robe verte événement du Salon de 1866, est vendue 800 francs quand le salaire mensuel d’une bonne s’élève à peine à 30 francs. Durand-Ruel, son premier marchand, lui achète ses œuvres 300 francs au tournant des années 1870. Les ventes lui rapportent en tout 25000 francs en 1873 ! Mais six ans plus tard, il n’en gagne plus que la moitié. Le peintre sait alors se renouveler et jouer de la rivalité entre les galeristes pour organiser des expositions à succès (dont celle avec Rodin en 1889). Sa cote atteint 2 500 francs par toile vers 1890. Elle ne cesse de grimper. Monet demande 15 000 francs en 1894 pour chaque « Cathédrale ». Et après la guerre de 1914, il vend certains des « Nymphéas » plus de 30 000 francs pièce. De quoi finalement élever huit enfants et entretenir Giverny avec sa horde de jardiniers.

Monet Nympheas 1903 (c)musee Marmottan Monet Paris_Bridgeman Giraudon

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3-H L’art de creuser son sujet : répétitions et séries Dès ses premiers coups de pinceau ou presque, Monet s’essaie

à peindre des toiles par paire, en représentant un même motif sous des éclairages différents. Une méthode qu’il utilise ensuite de loin en loin avec, le plus souvent, des cadrages et des formats variables. Puis, dans les années 1880, il commence à travailler, sous des angles de plus en plus proches, quatre, cinq, voire neuf fois le même sujet tel le ravin de la Creuse ou la vallée de la seine. Il s’agit pour lui de saisir les fugaces effets de lumière : il met en chantier plusieurs toiles en même temps et les avance en parallèle en fonction des différentes heures du jour et de la météo. Il lui est arrivé de travailler sur onze tableaux distincts lors d’une journée ! à l’inverse, quand des pluies incessantes bloquent son travail pendant plusieurs jours, il est parfois obligé, le soleil revenu, de faire enlever les feuilles qui ont poussé entre-temps et lui ont changé son motif !

Monet, La Seine a Port-Villez. Effet du soir, 1894 inv.5025 (c)musee Marmottan Monet, Paris_Bridgeman Giraudon_/ Monet, La Seine a Port-Villez. Effet rose, 1894 in.5002 (c)musee Marmottan Monet, Paris_Bridgeman Giraudon À force de répéter ses sujets, et peut-être inspiré par les suites d’estampes japonaises dont il est grand collectionneur, Claude Monet en arrive au concept de série : « Meules » (en 1890 et 1891), « Peupliers » (en 1891), « Cathédrales » (datées de 1894, mais réalisées en 1892 et 1893) avant « Londres » et « Venise »… La différence avec les vallées de la seine par exemple ? D’abord le nombre : quinze, vingt, trente… Surtout, dorénavant, le peintre cherche non seulement à travailler les jeux de lumière, mais aussi à produire un effet de groupe : les toiles sont retravaillées en atelier pour en harmoniser les couleurs et l’unité. D’ailleurs, elles sont conçues dès le départ pour être exposées ensemble. Comme l’écrit Camille Pissarro à son fils Lucien : « Je regretterais que tu ne sois ici avant la fermeture de l’exposition de Monet ; ses “Cathédrales” vont être dispersées d’un côté et d’autre, et c’est surtout dans son ensemble qu’il faut que ce soit vu ».

Cathédrale de Rouen. Effet de soleil. Fin de journée, 1892Huile sur toile, 100 x 65 cm5002 (c)musee Marmottan Monet, Paris_Bridgeman Giraudo

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3-I Quand Monet affronte la lumière du sud Monet a longtemps été un grand voyageur, toujours à la recherche de motifs inédits. Habitué des ambiances froides et humides du Nord, il est d’abord dérouté par la lumière de la Méditerranée lorsqu’il descend dans le Sud en 1884. Comment « saisir le ton de ce pays » ? ll relève le défi avec une palette plus chatoyante, des contrastes plus forts et un style plus spontané qui, il le sait, va plaire aux collectionneurs.

Monet Vallee de Sasso Effet de soleil 1884 (c)musee Marmottan Monet Paris_Bridgeman Giraudon

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3-J La passion du jardinage Dès son arrivée à Giverny en 1883, Monet s’attaque au jardin. Il remplace les épicéas de l’allée centrale par des rosiers, les arbres fruitiers par des cerisiers du Japon, et relègue le potager hors de sa vue… Sous ses fenêtres, il ne tolère que les fleurs ! Du printemps à l’automne, le jardin est toujours coloré. « Dès qu’une fleur se fane, je l’abats, je la remplace. Les fleurs ne peuvent pas vieillir », confiera-t-il en 1926 à un journaliste. Ses goûts sont éclectiques : roses, tulipes, soleils, dahlias, gloxinias, capucines, iris… Les plants sont regroupés par couleur dans des parterres rectangulaires. Une organisation chromatique qui fera dire à sa femme Alice : « Le jardin est ton autre atelier, elle est là ta palette ». Pour Monet, les fleurs sont une source d’inspiration. Le maître partage la passion du jardinage avec plusieurs de ses amis : Octave Mirbeau, Georges Clemenceau, Gustave Caillebotte et Lucien Guitry. Son érudition grandit au fil des années. Sa bibliothèque recèle la meilleure encyclopédie d’horticulture de l’époque, le Nicholson et Mottet en cinq volumes. Et lorsqu’il s’absente pour peindre, parfois pendant de longues semaines, il ne peut s’empêcher, dans ses lettres, de prodiguer des conseils : « Étiqueter les dahlias par couleur, acheter des tuteurs en châtaignier pour les rosiers, semer les gazons, bouturer les petites capucines… » Comme en peinture, le jardinier Monet recherche la perfection. Au début, les enfants sont mis à contribution, mais très vite, ce sont des professionnels qui assurent l’entretien. À la fin de sa vie, Monet emploiera une dizaine de jardiniers ! Avec eux, il se lancera même dans la création d’hybrides et obtient un iris baptisé Blanche, un pavot Monetti et un dahlia Digouennaise.

Monet Les Iris jaunes 1924-1925 (c)musee Marmottan Monet Paris_Bridgeman Giraudon_

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3-K Avec les Nymphéas, Monet crée son propre motif Les trente dernières années de la vie de Monet sont en grande partie consacrées aux séries des « Nymphéas ». En 1893, la propriété de Giverny s’agrandit d’un terrain situé juste en face du jardin, entre la route et le cours d’eau. L’artiste veut y installer un bassin. Comme il l’avouera lui-même, ce sera « une œuvre lente, poursuivie avec amour ». Dès le début, Monet a une idée très précise : un étang, un pont japonais, un saule pleureur, des nénuphars… Tout est réfléchi et agencé de sorte à accentuer les jeux de lumière et les reflets des végétaux sur la surface de l’eau. Ici, le peintre et le jardinier ne font plus qu’un. Le jardinier façonne un paysage unique et complexe pour les besoins du peintre. Autour du

bassin, des iris et des agapanthes. Sur l’eau, des hybrides de nénuphars, les célèbres nymphéas roses. Monet se les procure dès 1894 auprès du pépiniériste Joseph Bory Latour-Marliac, qui a créé cette variété à partir d’un nymphéa sauvage rouge apparu dans le fjord suédois de Fagertärn. Mais Monet ne commencera à peindre ces fleurs aquatiques que quelques années plus tard. « J’ai mis du temps à comprendre mes nymphéas », explique-t-il modestement. Plus le temps passe, plus ce bassin et sa végétation l’obsèdent. Alice, sa femme, en est parfois exaspérée : « J’ai besoin d’air, écrit-elle dans une de ses lettres. On ne peut pas rester enfermé comme cela dans un tableau ». Elle voit juste : il s’agit bien là d’une œuvre d’art. D’ailleurs, avec l’âge, Monet renonce aux voyages et pose son tréteau sur les rives de ce bassin qui devient son sujet quasi unique, et le thème de sa dernière œuvre monumentale : les « Nymphéas », exposés à l’Orangerie à Paris

Monet Nympheas Effet du soir 1897 (c)musee Marmottan Monet Paris Bridgeman Giraudon

2 - Nympheas 1917-1919 (c)musee Marmottan Monet Paris Bridgeman Giraudon

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4°) Le clan Monet Le peintre est un indépendant. Mais pas un solitaire. Ses fidèles l’ont aidé à monter sur les cimes de l’art. Sa famille

Claude-Adolphe (1800-1871) et Louise Justine (1805-1857) Monet, ses parents. En 1845, Monsieur Monet installe sa famille au Havre, parce qu’il rentre dans l’entreprise d’épicerie de son beau-frère Lecadre. Il s’oppose à la vocation de son fils. Et surtout à ses amours hors-mariage avec Camille Doncieux. Madame Monet est beaucoup plus proche du tempérament artistique d’Oscar (comme elle l’appelle) mais elle meurt quand le jeune homme a 16 ans. Marie-Jeanne Lecadre (1790-1870) Demi-sœur aînée de Monet père, peintre amateur, sans enfant, elle prend en affection le jeune Oscar-Claude, surtout après le décès de sa mère. Elle croit aux talents de son neveu, le pousse à suivre des cours et le recommande à ses amis artistes. Un temps, elle lui versera une pension et « rachètera » la fin de son service militaire (3!025 F)

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Camille son premier amour sur la plage de Trouville. Monet Sur la plage a

Trouville 1870 (c)musee Marmottan Monet Paris_Bridgeman Giraudon_

Camille Doncieux (1847-1879) Premier amour de Monet, elle a 18 ans quand elle commence à poser pour Claude. Elle devient son modèle favori, et la mère de son fils Jean, né en 1867, au grand dam de la famille Monet. Camille meurt en 1879, peu après la naissance de Michel. Dès lors, le paysage prendra définitivement le pas sur la figure dans l’œuvre du peintre. Alice Hoschédé 1844-1911 Épouse du premier mécène de Claude Monet elle s’installe, après la faillite de son mari, avec ses six enfants chez les Monet en 1878. Et restera après la mort de Camille l’année suivante. Véritable ange du foyer, Alice tient la maison, veille à la table (Monet est très gourmand), élève les enfants… Elle sait aussi merveilleusement calmer la mauvaise humeur du maître lorsque ce dernier est contrarié par la météo. Claude l’épouse en 1892. Sa disparition au cours de l’année 1911 abat le peintre.

Michel Monet et Jean-Pierre Hoschédé, les deux petits derniers de la famille recomposée de Claude Monet. Monet, Michel Monet et Jean-Pierre Hoschede, 1881

inv. 2060 (c)musee Marmottan Monet, ParisBridgeman Giraudon

Michel Monet (1878-1966) Après la mort de son frère aîné en 1914, Michel Monet reste le seul descendant direct du peintre et son unique héritier. Explorateur dilettante, il meurt en léguant Giverny et la collection de tableaux de son père au musée Marmottan.

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Jean Monet (1867-1914) Fils aîné de l’artiste et de Camille Doncieux, il épouse Blanche Hoschédé (deuxième fille d’Alice). Chimiste, iltravaille auprès de son oncle Léon Monet. En 1911, il se reconvertit et ouvre un élevage de truite. Mais malade il meurt en 1914 Blanche Hoschédé-Monet (1865-1947) Blanche est la belle-fille de Claude à double titre : elle est la fille d’Alice et la femme de Jean, le fils aîné. Peintre, elle apprend le métier auprès de son beau-père. Elle vient tenir Giverny après la mort de sa mère et de son mari. Clemenceau la surnomme « l’Ange bleu ». Son mécène Ernest Hoschédé (1837-1891) Riche négociant en dentelle et cachemire, Ernest Hoschédé aime la peinture moderne. Il achète Impression, soleil levant en 1874. Et deux ans plus tard, commande des panneaux décoratifs à Monet pour le château de sa femme Alice, à Montgeron. Juste avant de faire faillite. Ses confrères Auguste Renoir (1841-1919) Ce camarade de jeunesse partage avec Monet les folles journées créatives en bord de Seine (La Grenouillère) et la misère. Auguste Renoir parcourt des lieues à pied pour donner à la famille de son ami, ses maigres quignons de pain. Ils restent proches malgré des chemins artistiques différents. Gustave Caillebotte (1848-1894) « Riche et généreux, deux qualités qui s’opposent d’habitude », dixit Monet. Gustave Caillebotte aide ses amis impressionnistes en leur achetant des tableaux, en louant des ateliers… Il lègue sa magnifique collection à l’état. Qui d’abord n’en veut pas (elle est aujourd’hui à Orsay). ll a, tout comme Monet, la passion des fleurs. Frédéric Bazille (1841-1870) Infatigable compagnon d’ateliers et de virées à la campagne, Frédéric Bazille ne cesse dans les années 1860 de soutenir matériellement Monet, malgré ses propres difficultés financières. Il admire fortement le peintre qui le traite un peu de haut. Il meurt pendant la guerre de 1870.

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Camille Pissarro (1830-1903) Peintre Danois, né aux Iles Vierges, Pissarro rencontre Monet en 1859 à Paris. Il participe au groupe impressionniste dès la première exposition de 1874. Leur amitié ne se démentira pas jusqu’à la mort de Pissarro. Berthe Morisot (1841-1895) Modèle, notamment pour Manet (dont elle épousera le frère) et peintre (elle fut l’élève de Corot), Berthe Morisot rejoint le groupe impressionniste dès l’exposition de 1874. « C’est la seule femme peintre que je connaisse, dira Claude Monet. Avec elle pas de littérature, pas de leçon apprise. L’impression est directe et d’une sensibilité si féminine. » Alfred Sisley (1839-1899) Peintre anglais, né à Paris, Sisley rencontre Monet en 1862. Il fait partie de l’aventure impressionniste mais ne connaît que peu de succès de son vivant. Pauvre et malade, il meurt en laissant ses enfants à la recommandation de Monet . Edouard Manet (1832-1883) Leur histoire commence mal : au Salon de 1866, tout le monde félicite Manet pour son tableau La Dame à la robe verte… une œuvre qui est en fait de Monet ! Fureur de Manet qui finit par s’adoucir et même acheter des toiles à Monet. Ce dernier, après la mort de son « homonyme », se bat pour faire entrer Olympia au musée du Louvre. Paul Cézanne (1839-1906) Monet admire beaucoup le maître de la Sainte Victoire. Il garde notamment, dans sa chambre à Giverny, Le nègre Scipion, tableau qu’il considère comme un « morceau de première force ». C’est avec cette toile qu’il convainc Clémenceau de l’importance de Cézanne. Ses maîtres Eugène Boudin (1824-1898) Le peintre s’entiche du jeune caricaturiste qui pourtant, à leur rencontre vers 1856, trouve les marines du Honfleurais « dégoûtantes ». Mais Boudin convainc l’adolescent de peindre avec lui en plein air. « Ce fut tout à coup comme un voile qui se déchire : j’avais compris, j’avais saisi ce que pouvait être la peinture. » Johan Barthold Jongkind (1819-1891) Le paysagiste hollandais croise Monet en 1862 à Honfleur, et le prend sous son aile. « II fut à partir de ce moment-là mon vrai maître et c’est à lui que je dus l’éducation définitive de mon œil. »

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Ses marchands Paul Durand-Ruel (1831-1922) Durand Ruel rencontre Monet à Londres en 1870. Il lui achète aussitôt des tableaux (300 F) et soutient par la suite activement la cote de son poulain. Malgré les infidélités de ce dernier, il l’aide à acheter Giverny en 1890. Et il est le tout premier à exporter Monet et les impressionnistes en Amérique. Théo Van Gogh (1857-1891) Théo Van Gogh achète son premier Claude Monet en 1885, avant même l’arrivée à Paris de Vincent, son frère. Il organise deux expositions personnelles du peintre en 1888 et 1889, mais, simple employé de la maison Goupil, il ne peut rivaliser avec les autres marchands. Georges Petit (1856-1920) Grand rival de Durand-Ruel, Georges Petit est un habile homme d’affaires qui attire dans sa galerie de nombreux impressionnistes. En 1889, il organise chez lui la grande exposition Claude Monet (145 toiles)/Auguste Rodin (36 sculptures). Un triomphe. Ses amis Georges Clemenceau (1841-1929) C’est « le Tigre » qui sort le peintre de la dépression où l’a plongé la mort d’Alice et l’oblige à reprendre ses pinceaux. Il l’appelle « mon pauvre vieux crustacé », « mon cher homme des bois ». Et lui fait livrer du charbon pour ses serres pendant la guerre. Selon la légende, à l’enterrement de Monet, il aurait ôté le drap noir du cercueil pour y déposer un tissu fleuri. Octave Mirbeau (1848-1917) Le journaliste et romancier Octave Mirbeau défend le style novateur de Monet dès le milieu des années 1880. Il sera un des familiers de Giverny, malgré la jalousie qu’éprouve Alice Hoschédé envers Madame Mirbeau. Gustave Geoffroy (1855-1926) Critique d’art, historien, romancier Gustave Geoffroy publie son premier article élogieux sur Monet en 1884. Leur amitié ne se démentira pas, et il écrit la première biographie du peintre en 1922

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5°) Claude Monet a-t-il inventé l’art abstrait ? À voir l’influence du père de l’impressionnisme sur les ténors de l’abstraction, on peut se poser la question… Monet inventeur de l’art abstrait ? En voilà une interrogation inhabituelle concernant le chef de file des impressionnistes ! Car pour représenter ses paysages, il est allé jusqu’à installer son chevalet à l’extérieur afin de peindre les couleurs des champs de coquelicots, les reflets du soleil sur la Tamise, la cathédrale de Rouen à différentes heures du jour… Et pourtant, difficile de ne pas voir une parenté entre les artistes abstraits américains d’après la Seconde Guerre mondiale et lui. Et s’il ne cherchait pas à être un peintre abstrait, il n’en apparaît pas moins comme un précurseur du mouvement. En effet, ses recherches sur les effets de lumière ou de brume et sa volonté d’exprimer ses sensations amènent Monet, à partir des années 1890 – il a alors une cinquantaine d’années –, à diluer les formes et à s’éloigner peu à peu d’une représentation réaliste du monde. Il s’enferme à cette époque dans sa propriété de Giverny, en Normandie, où il mène des expériences d’une incroyable originalité. à contre-courant des recherches d’un Cézanne ou d’un Picasso, qui font évoluer l’art vers la géométrie. D’autant plus qu’à partir des années 1910, atteint de la cataracte, le maître perçoit de moins en moins formes et couleurs : plus que jamais, ses œuvres frisent l’abstraction. Pas étonnant, donc, qu’il ait inspiré les peintres qui ont osé renoncer à la figuration. Ainsi dès 1895, Vassily Kandinsky tombe en arrêt devant un tableau de la série des « Meules ». Dans un premier temps, il n’en distingue pas le sujet, mais son émotion n’en est pas moins intense : le Russe comprend que l’art n’a pas besoin de représenter un objet réel. Ses toiles se font, dès lors, moins figuratives. Et vers 1910, le voilà devenu un des fondateurs de l’art abstrait.

Une des meules de Monet a poussé Kandinsky sur le chemin de l’abstraction La Meule par Monet 1889-1890 (c)musee Marmottan Monet, Paris_Bridgeman Giraudon.jpg Cependant, s’il suscite l’engouement de Kandinsky, Monet, après sa période impressionniste, reste mal compris. Inaugurés un an après sa

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mort, en 1927, au musée de l’Orangerie à Paris, les panneaux décoratifs des « Nymphéas », avec leurs formes presque méconnaissables, laissent le public indifférent. Pour qu’on s’y intéresse, il faut attendre l’enthousiasme des artistes abstraits américains des années 1950 : Jackson Pollock, bouleversé par un triptyque des « Nymphéas » exposé au MoMA à New York, Sam Francis, qui vient admirer les panneaux in situ, ou encore Joan Mitchell, qui s’installe à Vétheuil, près de Giverny, dans une maison où avait vécu le peintre. Claude Monet se trouve alors érigé en grand-père de l’abstraction. Le geste pictural constitue l’œuvre d’art

Vous vous frottez les yeux en vous demandant ce que Monet a bien pu peindre là ? Il s’agit du pont japonais de son jardin de Giverny. Mais le dessin disparaît derrière les coups de pinceau. D’ailleurs, à cette date, en 1918, le maître a cessé de travailler en extérieur. « Par endroits, on aperçoit même la toile brute, preuve que le geste et l’émotion importent plus à Monet que la représentation d’un paysage . Pas surprenant que le Français ait suscité l’enthousiasme de l’Américain Jackson Pollock ! Pour cet artiste abstrait des années 1950, une œuvre est constituée avant tout par le geste pictural, qui doit exprimer un sentiment. On doit donc en percevoir le jaillissement. C’est ce qu’on appelle l’« Action painting » Le Pont japonais par Monet vers 1918 (c) musée Marmottan, Paris Bridgeman Giraudon

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La lumière surgit des couleurs

Regardez cette lumière qui jaillit de la couleur, à l’intérieur du tableau ci-dessous ! Dans la peinture classique, elle émanait d’un point précis – une lanterne, le soleil du matin ou du soir… – et projetait des ombres sur la scène représentée. Mais Monet rompt avec cette tradition. Pour lui, la lumière ne constitue pas un simple « éclairage » : elle emplit toute la toile de ses vibrations. « La couleur doit toujours sa luminosité à la force du contraste plus qu’à ses qualités propres, et ces couleurs primaires paraissent plus lumineuses lorsqu’elles s’opposent à leurs complémentaires », affirme-t-il. Dans ce paysage, la lumière surgit du choc visuel entre les rouges, les bleus et les verts, et exprime les sentiments du peintre face à la nature… soixante-dix ans avant les champs colorés de Mark Rothko ! Charing Cross Bridge Fumees dans le brouillard impression par Monet 1899-1901 (c) musée Marmottan Monet, Paris Bridgeman Giraudon

La forme et l’espace en 3D se diluent

Voyez ces glycines (ci-dessus), originellement destinées à surmonter les « Nymphéas » du musée de l’Orangerie : pas de perspective et aucun élément en trois dimensions ! Monet dilue les contours, jusqu’à rendre les formes presque méconnaissables, transformant la végétation et l’étang en simples étendues colorées. Grâce à un cadrage resserré, l’espace, sans commencement ni fin, semble déborder l’œuvre. Voilà qui est visionnaire ! Quarante ans plus tard, aux États-Unis, pour Sam Francis la forme sera en effet constituée par la tache colorée. Et ses aplats de couleur, disposés sans hiérarchie, paraîtront, comme ici, se prolonger au-delà du cadre. Les Glycines par Monet (c)musee Marmottan Monet, Paris_Bridgeman Giraudon

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6°) L’œil de Claude Monet Quinze années durant, Monet a souffert de cataracte. Cette maladie eut-elle une incidence sur ses dernières toiles ?

Au début des années 1920, grâce à sa prodigieuse mémoire des couleurs, Monet peint sa maison et le jardin aux roses, avec des teintes éclatantes alors qu’il doit la percevoir dans un brouillard « boueux » comme à gauche (La maison vue du jardin 1922-1924 (c)musee Marmottan Monet Paris_Bridgeman Giraudon_presse/ Pof Michael.F Marmor) Un ciel verdâtre, des marguerites entièrement jaunes, des roses rouges devenues maronnasses... Voilà ce que devait voir Claude Monet en 1912, lorsque l’on décela chez lui les symptômes de la cataracte. Ce maître de la couleur, habitué à jouer sur les nuances les plus subtiles et dont Cézanne affirmait qu’il n’était « qu’un œil », perdait progressivement la vue. « Je ne percevais plus les couleurs avec la même intensité... Les rouges m’apparaissaient boueux... », déclarait-il en 1915. L’impressionniste rangeait même ses tubes de couleur de façon méthodique pour être sur de ne pas se tromper. Aujourd’hui grâce à des travaux d’ophtalmologues, on peut voir à travers les yeux malades du peintre et comprendre comment ces troubles de la vue ont eu un impact sur son art. Premier constat, l’œil opacifié de Monet altérait sa perception de l’espace. L’artiste perdait en effet sa « vision binoculaire », permettant de voir l’environnement proche en relief et en profondeur. « Il avait plus de difficulté à recréer dans ses toiles la distance entre le premier et le second plan », estime Philippe Lanthony, ophtalmologue, auteur du livre Des yeux pour peindre (éd. RMN). Quelle conséquence sur l’œuvre ? Ce spécialiste des pathologies de l’œil invite à bien observer la série du maître représentant le pont japonais dans son jardin de Giverny. Avant que ne se déclare la maladie, le pont, plus clair, se détache vraiment bien du reste du jardin. Après, il semble se dissoudre complètement dans la nature.

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Autre handicap!: la vision de Monet devenait floue. Avant qu’il ne consente à se faire opérer (avec un relatif succès) en 1923, l’acuité de son œil gauche était tombée à 1/10e, si faible qu’il ne pouvait plus ni lire ni écrire. Au même moment, le peintre réalise des toiles à la limite de l’abstraction où les formes des arbres et des plantes se font de plus en plus imprécises. Surtout, à cause de la cataracte, le coloriste ne discernait plus les « vraies » couleurs. En simplifiant, on pourrait dire qu’une sorte de voile jaune recouvrait tout ce qu’il voyait et que certaines teintes, elles, disparaissaient totalement, notamment le rouge et le bleu. Monet, pour compenser, a pu être tenté d’utiliser des couleurs de plus en plus crues, surtout en forçant l’intensité de celles qu’il ne percevait plus. C’est du moins l’opinion d’un autre ophtalmologue, Michael F. Marmor, qui consacre à ce sujet un chapitre passionnant dans Monet, l’œil impressionniste (éd. Hazan).« On commence à voir apparaître des teintes saturées au moment où la maladie progresse, alors qu’elles étaient totalement absentes jusque-là, note le spécialiste. La cataracte a joué sur la faculté de Monet à apprécier les couleurs, de telle manière que même en cherchant à retrouver les bonnes teintes de mémoire, il était incapable de travailler avec précision. Après son opération, dans ses grands Nymphéas pour l’Orangerie par exemple, il revient à des œuvres moins abstraites, aux nuances plus subtiles. » Autre élément appuyant l’hypothèse de Marmor: lorsqu’il a mis ses nouvelles lunettes sur son œil opéré, Monet détruisit beaucoup de toiles réalisées les années précédentes. « La plupart des historiens d’art nient le rôle de la pathologie. Pour eux, le génie explique tout, regrette Philippe Lanthony. Pourtant, cette analyse apporte une explication à l’évolution de certains peintres. Je pense à Degas, borgne à l’âge de 35 ans, dont le style s’est relâché au fur et à mesure que sa vue se dégradait, ou à Munch, qui voyait des points noirs, du fait d’une hémorragie touchant son œil, points qu’il transformait en oiseaux menaçants sur la toile. » Pourquoi pas simplement regarder d’un autre œil le génie du peintre, qui, malgré l’obscurité envahissant son champ de vision, jetait sur la toile une nature lumineuse ?

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7°) Monet et les Américains Claude Monet n’a pas fondé d’école à proprement parler et n’a jamais eu d’élève (sauf sa belle-fille, Blanche Hoschédé, fille de sa seconde femme Alice). Il s’est portant retrouvé chef de file malgré lui des artistes étrangers tentés par l’aventure impressionniste. En 1883, le maître s’installe dans la maison du Pressoir, à Giverny, qui ne compte alors guère plus de 300 âmes. Le foyer prend bientôt des allures de maison tribale, car en plus de l’artiste et de sa compagne Alice Hoschedé, de ses deux fils et des six enfants d’Alice, surgissent bientôt de nombreux talents américains qui espèrent se familiariser avec la peinture moderne. Vers 1885, John Singer Sargent (1856-1925), sans doute le plus grand portraitiste d’outre-atlantique au XIXe siècle, est le premier à rendre visite à la célébrité locale. Il le représente même peignant à l’orée d’un bois. En 1886, c’est au tour de Théodore Robinson (1852-1896) de l’approcher. Ce peintre de talent sera l’un des premiers à s’essayer à la touche impressionniste. Le courant passe si bien qu’il entretient une correspondance avec Monet et détaille sa méthode de travail dans son journal. En 1887, c’est John Leslie Breck (1860-1899) qui s’introduit chez le patriarche. -Monet le laisse même peindre dans son jardin. Avant de le congédier définitivement, celui-ci s’intéressant de trop près à une de ses belles-filles ! On pourrait en citer beaucoup : Theodore Butler (1861-1936), plus chanceux, qui se mariera avec une des filles d’Alice, Suzanne. Mais aussi Lilla Cabot Perry (1848-1933) ou Frederick Carl Frieseke (1874-1939), qui entretenaient avec lui plus que des rapports de bon voisinage. Durant la quarantaine d’années qu’il passe à Giverny, Claude Monet s’impose finalement comme le chef spirituel de cette colonie d’artistes jeunes qui rôdent autour de sa propriété. Même s’il finit par devenir inaccessible, retranché dans son jardin, les quelque 350 artistes passés par le village viennent pour apercevoir cette figure quasi légendaire, glaner quelques conseils ou même copier ses sujets. C’est ainsi que l’on retrouve la célèbre touche, rapide et colorée, de Monet ou ses effets de lumière dans la plupart des tableaux de cette génération. Breck ira jusqu’à brosser une série de douze meules de foin pour tenter de percer le secret du maestro ! Si vous passez par Giverny, faites un détour par la tombe de Monet. Tout près se trouve la stèle de Butler, qui s’est fait enterrer à deux pas de son beau-père. Un dernier témoignage du lien fort entre Monet et sa « famille » américaine

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8°) Histoire du musée Le Musée Marmottan Monet, ancien pavillon de chasse de Christophe Edmond Kellermann, duc de Valmy, est acquis en 1882 par Jules Marmottan. Son fils Paul en fait sa demeure et l’agrandit d’un pavillon de chasse destiné à recevoir sa collection d’objets d’art et de tableaux Premier Empire. A sa mort, en 1932, il lègue à l’Académie des Beaux-Arts l’ensemble de ses collections ainsi que son hôtel particulier qui devient le musée Marmottan en 1934 ainsi que la bibliothèque de Boulogne riche en documents historiques.

En 1957, le Musée Marmottan Monet reçoit en donation la collection de Victorine Donop de Monchy, héritée de son père le Docteur Georges de Bellio, médecin de Manet, Monet, Pissarro, Sisley et Renoir qui fut l’un des premiers amateurs de la peinture impressionniste.

Michel Monet, second fils du peintre, lègue en 1966 à l’Académie des Beaux-Arts sa propriété de Giverny et sa collection de tableaux héritée de son père pour le Musée Marmottan. Il dote ainsi le Musée de la plus importante collection au monde d’œuvres de Claude Monet. L’architecte académicien et conservateur du Musée Jacques Carlu construit alors une salle inspirée de celle des grandes décorations de l’Orangerie des Tuileries pour y recevoir la collection.

Les œuvres réunies par Henri Duhem et son épouse Mary Sergeant viennent admirablement compléter ce fonds en 1987 grâce à la générosité de leur fille Nelly Duhem. Peintre et compagnon d’armes des post-impressionnistes, Henri Duhem fut aussi un collectionneur passionné rassemblant les œuvres de ses contemporains.

En 1996, la Fondation Denis et Annie Rouart est créée au sein du Musée Marmottan Monet dans le respect du souhait de sa bienfaitrice. Le Musée enrichit alors ses collections d’œuvres prestigieuses de Berthe Morisot, Edouard Manet, Edgar Degas, Auguste Renoir ou encore Henri Rouart.

Daniel Wildenstein offre l'exceptionnelle collection d'enluminures de son père au Musée Marmottan en 1980.

Depuis lors de nombreux autres legs, tout aussi importants, sont venus compléter les collections du musée tels que ceux d’Emile Bastien Lepage, de Vincens Bouguereau, d’Henri Le Riche, de Jean Paul Léon, d’André Billecocq, de Gaston Schulmann, de la Fondation Florence Gould, de Roger Hauser, de Cila Dreyfus, ou encore celui de Thérèse Rouart.

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9°) Activités pédagogiques 9-A Le nouveau nom (Histoire des arts/Français)

- Après avoir raconté le scandale impressionniste, trouver un autre

titre pour Impression Soleil Levant. - Puis décliner-le pour donner un nouveau nom aux Impressionnistes

9-B Devenons caricaturistes (Histoire des arts/ Informatique)

- Observez les caricatures de Claude Monet - Recherche encadrée dans le dictionnaire et sur Internet : qu’est-ce

qu’une caricature ? Trouver des exemples de caricatures, anciennes et contemporaines Quels sont leurs points communs ? etc.

- Avec un logiciel de caricature gratuit à télécharger sur Internet, caricaturer un héros de BD, un présentateur vedette de la télévision, un(e) chanteur(se)……

9-C Le mystère des couleurs (Arts plastiques/Sciences)

- Rappel sur les couleurs primaires (rouge, jaune, bleu) secondaires (violet, orange, vert) et les associations de complémentaires

- Les impressionnistes étaient de savants coloristes. Ils connaissaient

notamment les travaux du chimiste Eugène Chevreul et sa Loi du contraste simultané des couleurs énoncée en 1839 dans un ouvrage intitulé De la loi du contraste simultané des couleurs et de l'assortiment des objets colorés.

o À retenir : A) Une couleur n’est pas perçue isolément des couleurs qui l’entourent. Et toute couleur perçue appelle sa complémentaire pour exister. L’oeil a tendance à appeler la couleur manquante complémentaire pour former un équilibre neutre dans notre cerveau. Exemple pratique : le bleu appelle sa complémentaire soit du orange. Donc un rouge ou un jaune placés juste à côté paraîtront plus « orangés ». Tandis que le bleu s’il est placé à côté du rouge tirera vers le vert (à cause

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de la complémentaire du rouge) et placé à côté du jaune tirera vers le violet. Bien entendu d’après cette loi, les couleurs complémentaires s’exaltent l’une l’autre (Observez Impression Soleil Levant)

o B) D’autre part, à partir de deux taches de couleurs différentes, l’oeil opère ce que l’on appelle un mélange optique, c’est-à-dire que ces deux couleurs (ou plus), distinctes sont perçues simultanément comme une combinaison, une fusion en une nouvelle couleur.Ce principe a notamment été utilisé par les impressionnistes et les pointillistes. Au lieu d'employer un vert mélangé sur la palette (mélange mécanique), ils appliquaient sur la toile une touche de jaune superposée ou juxtaposée à une touche de bleu. ( Cette loi est abondamment utilisée dans les procédés de reproduction photomécanique (sérigraphie, imprimerie...). Les surfaces colorées sont décomposées en points ou en trames de couleurs séparées (trois couleurs primaires + le noir = la quadrichromie), qui se fondent dans l'oeil du spectateur de façon à ce que la couleur se mélange par simple perception : d'où le terme mélange optique.)

- Observez des tableaux impressionnistes et pointillistes (Seurat). Et

des images tramées en quadrichromie - Peindre avec des couleurs pures un rond jaune entouré de bleu ou

de rouge, un rond bleu entouré de jaune ou de rouge etc.… Observez les différences de perception.

- Peindre une nature morte uniquement avec des petits points de couleurs.

9-D L’énigme du Nénuphar (mathématiques)

- Un nénuphar double de surface tous les jours et met trente jours à

recouvrir tout un lac. Combien de jours faudra-t-il au nénuphar pour qu'il recouvre la moitié de ce lac ?

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9-E Moderne, vous avez dit moderne ? (art plastique/Histoire) Les Impressionnistes ont peint la nature mais aussi la modernité de leur époque : trains, usines, nouvelle société des loisirs….

- Sur la notion de modernité : enquête auprès des parents, grands-parents sur ce qui est nouveau, moderne. Demander ce qui est utilisé aujourd’hui et qui n’existait pas quand les parents/grands-parents étaient petits

- Représenter cette modernité : peinture, photo, collage… -

9-F Jeux de lumière (art plastique/science)

Une des obsessions de Claude Monet : saisir l’instant, peindre un même motif à différentes heures du jour et/ou selon les saisons.

- Si possible placez un objet dans la cour de l’école dans endroit ensoleillé. Observer/photographier le matin, à midi, l’après midi… un jour d’automne, un jour d’hiver un jour de printemps. Observez les changements de lumière, le trajet du soleil dans le ciel, les mouvements de l’ombre etc.

- Travail sur la rotation de la Terre sur elle-même et autour du soleil : le jour et la nuit, les fuseaux horaires, les saisons….

(Une bonne documentation sur http://www.ac-nice.fr/clea/lunap/html/Revolution/RevolutionEnBref.html)

9-G la grande saga du paysage (histoire des arts/ sciences) Claude Monet est assurément un des grands paysagistes de l’art occidental.

- Avec des reproductions esquissez l’histoire de la peinture de paysage. Exemple : Les riches heures du Duc de Berry, un portrait Renaissance avec un paysage à travers la fenêtre ou derrière le sujet (La Joconde), Le Lorrain, Poussin, Watteau, Constable, Turner, Corot, Millet, Courbet… Puis les Impressionnistes. Enfin, Derain, Soutine, Dufy… jusqu’à friser l’abstraction avec Nicolas de Staël.

- Observer, chercher, réfléchir . Pistes : qu’appelle-t-on un “paysage” ? Qu’est-ce qu’un paysagiste ? (Un peintre de paysages

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et/ou un dessinateur qui aménage les jardins et les“espaces verts”. Quelle sorte de paysagiste est Claude Monet à Giverny ? Les deux.). Pourquoi n’y a-t-il pas de sculpteurs paysagistes? Pourquoi les tableaux sont-ils presque toujours horizontaux (et non verticaux comme dans les portraits). Décrire chaque paysage (identifier le lieu, l’heure (l’aurore, la soirée...), la saison. Distinguer le permanent -relief, cours d’eau, bâtiments…- de l’éphémère -lumière, ombres et reflets, saison, météo…). Les indices de l’activité humaine sont-ils plus ou moins importants/nature ? Voit-on la ligne d’horizon ? Quelle proportion accordée au ciel ? Distinguer le premier plan (en bas), le plan intermédiaire (au centre), l’arrière-plan (en haut). Quelle est la différence entre une peinture de paysage, une carte, un plan, une photographie ?

- À travers ces paysages, questionnement sur naturel/sauvage/artificiel. Un jardin est-il naturel ? Une forêt de pins dans les Landes ? la forêt amazonienne ? L’Antarctique ? Existe-t-il encore des endroits « sauvages » sur la planète ?

- Dessinez l’endroit le plus (le moins) naturel que vous connaissez