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L'AUTISME AU XXIE SIÈCLE… Michel Grollier ERES | « Cliniques méditerranéennes » 2007/2 n° 76 | pages 271 à 286 ISSN 0762-7491 ISBN 9782749207810 Article disponible en ligne à l'adresse : -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- http://www.cairn.info/revue-cliniques-mediterraneennes-2007-2-page-271.htm -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- !Pour citer cet article : -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Michel Grollier, « L'autisme au xxie siècle… », Cliniques méditerranéennes 2007/2 (n° 76), p. 271-286. DOI 10.3917/cm.076.0271 -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Distribution électronique Cairn.info pour ERES. © ERES. Tous droits réservés pour tous pays. La reproduction ou représentation de cet article, notamment par photocopie, n'est autorisée que dans les limites des conditions générales d'utilisation du site ou, le cas échéant, des conditions générales de la licence souscrite par votre établissement. Toute autre reproduction ou représentation, en tout ou partie, sous quelque forme et de quelque manière que ce soit, est interdite sauf accord préalable et écrit de l'éditeur, en dehors des cas prévus par la législation en vigueur en France. Il est précisé que son stockage dans une base de données est également interdit. Powered by TCPDF (www.tcpdf.org) Document téléchargé depuis www.cairn.info - Deutsches Historisches Institut - - 84.14.4.242 - 03/12/2015 12h42. © ERES Document téléchargé depuis www.cairn.info - Deutsches Historisches Institut - - 84.14.4.242 - 03/12/2015 12h42. © ERES

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L'AUTISME AU XXIE SIÈCLE…Michel Grollier

ERES | « Cliniques méditerranéennes »

2007/2 n° 76 | pages 271 à 286 ISSN 0762-7491ISBN 9782749207810

Article disponible en ligne à l'adresse :--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------http://www.cairn.info/revue-cliniques-mediterraneennes-2007-2-page-271.htm--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------

!Pour citer cet article :--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------Michel Grollier, « L'autisme au xxie siècle… », Cliniques méditerranéennes 2007/2 (n° 76),p. 271-286.DOI 10.3917/cm.076.0271--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------

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Michel Grollier

L’autisme au XXIe siècle…

Dans l’ensemble des entités produites par le XXe siècle, l’autisme est cellequi a franchi l’entrée du XXIe siècle avec le plus de succès dans notre champ,devenant même une référence dans le discours de la société moderne. De fait,si le passage du XIXe au XXe siècle s’est fait en interrogeant de façon insistantel’hystérie, le passage du XXe au XXIe siècle se fait en questionnant l’autisme. Ily a là une véritable inversion dans le traitement de la causalité corporelle,d’une mise en cause de l’organicité pour l’hystérie à une croyance décidée encette même organicité pour l’autisme. Désormais l’autisme est une pandé-mie, quand on regarde le spectre qu’elle recouvre, passant de l’isolementdéficitaire au TED voir au TEDSI (Motton, 2004) (Trouble envahissant du déve-loppement sans déficit intellectuel).

Après que Kanner (Kanner, 1947) a mis en évidence des traits autistiqueschez le jeune enfant, reprenant le signifiant créé par Bleuler (Bleuler, 1993)pour la schizophrénie, de nombreux auteurs se sont penchés sur la question.Si le premier mouvement s’orienta dans la clinique à partir de la psychana-lyse, les États-Unis d’Amérique se tournèrent rapidement vers des modèlesneurologiques.

Dans ce terme d’autisme, nous avons retenu en Europe l’effacement del’Éros que Freud interrogeait dans l’autoérotisme repris de Havelock Ellis.Bleuler avait créé ce terme en 1907 à partir du grec autos pour désigner lerepli du sujet dans la schizophrénie. Il semble avoir refusé le terme d’auto-érotisme parce qu’il considérait son contenu comme trop sexuel. À se deman-der si ce passage à la trappe d’Éros n’a pas aidé au succès de ce terme. Restequ’en effet, Éros, au sens de ce qui lie les sujets dans le lien social, paraît man-

Cliniques méditerranéennes, 76-2007

Michel Grollier, maître de conférences en psychologie, EA 4050, « Nouvelles pathologies, violence et liensocial », Université Rennes 2, place recteur H. Le Moal, CS 24 307, 35043 Rennes Cedex. Psychologue,intersecteur 33I05, hôpital de jour de Podensac, 9 rue du Dr Compans, 33720 Podensac.Adresse : 121, rue Berruer, 33000 Bordeaux.

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quer, mais pas la pulsion. Kanner remarque que ces enfants sont dramati-quement seuls, dans un isolement étonnant.

Si Kanner maintenait un lien avec la psychose dans la reprise du termequ’il utilise pour qualifier ces états précoces, la question de la cause donnalieu rapidement à débat. Bettelheim d’abord, puis le courant annafreudienavec Margaret Malher [Malher, 1996], et le courant Kleinien avec Frances Tus-tin [Tustin, 1986], proposèrent des modalités d’accueil et de traitement pource trouble psychotique précoce. Le débat a pris une nouvelle ampleur cesdernières années sous l’impulsion des associations de parents, voire de laclasse politique. Ainsi, Jean Pierre Rouillon (1997) précise : « l’autisme appa-raît comme le fer de lance d’une nouvelle façon de considérer la maladiementale et le handicap ». Nous proposons ici une brève revue des thèsescontemporaines et des conséquences qu’elles impliquent sur les stratégiesthérapeutiques. Nous montrerons en contrepoint l’orientation que nous don-nons à notre travail et l’illustration d’une élaboration de cas. Ceci, non pourfaire valoir une méthode qui vaudrait plus qu’une autre, mais pour soulignerl’enjeu d’une éthique qui répartie les pratiques comme les positions dans ledébat social.

MODERNITÉ ET NEUROSCIENCES

La montée en puissance des neurosciences associées aux traitementscognitivo-comportementaux, s’est faite en partie autour de cette question del’autisme. L’augmentation démesurée du spectre clinique de l’autisme, destroubles autistiques, allant des troubles autistiques déficitaires aux troublesenvahissants du développement sans déficit intellectuel (voir à sur-fonction-nement perceptif) relève de ce mouvement. Le credo de ce courant, dans laligne des dernières productions de Kanner, porte sur la certitude d’une cau-salité organique et génétique. Outre qu’une causalité organique ne résout pasréellement la question des positions singulières de ces sujets dans le liensocial, aucun élément n’est encore venu confirmer cette thèse, et ce n’est pasfaute de recherche. Nous assistons ainsi à des prises de positions radicalestelle celle-ci ; « Même si le bien-être des personnes atteintes d’autisme et deleur famille doit toujours être la considération prioritaire, les résultats d’ex-plorations médicales complètes sont importants pour la compréhension desbases des affections autistiques à la fois dans la recherche et dans la pratiqueclinique » (Ollberg, 2005). Précisons que cette remarque suit la question del’usage des ponctions lombaires et de l’imagerie médicale.

Dans ce recueil de textes récents se répète la certitude d’une forte com-posante génétique dans l’autisme, cette formulation de « forte composante »relativisant le propos scientifique mais ne passant pas le filtre du grand

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public. Car ce qui fait le succès de ce courant est la conjonction d’un discoursd’experts avec la mise à contribution des familles à travers diverses associa-tions. Du côté du traitement, outre quelques molécules, cela a été la mise enplace d’un certain nombre de protocoles éducatifs et comportementaux. Laplupart datent des années 1970 et viennent des USA, voire d’Australie. Il y ales théories du jeu et du développement, la méthode TEACCH (1972, USA), lesthérapies comportementales intensives (Loovas, 1960, USA), les thérapies dulangage et de la communication, comme la communication facilitée de Croo-ley (Australie, 1979) ou l’usage du langage gestuel des sourds. Rajoutons laméthode PECS (Picture Exhange Communication System, USA), le systèmeMakatow anglais (aide visuelle), le AIT (Autory Integration Training) ouencore la Dayly Life Therapy japonaise (1964, exercices physiques intensifs).Enfin, à partir du témoignage de certains, comme Temple Grandin, se consti-tuent des systèmes comme les effets sensori-moteurs. À tout cela se rajoutentdes associations de régimes et de médicaments. La force de ce mouvementest de ne traiter que les conséquences, parfois avec une certaine efficacité,renvoyant à un futur hypothétique la confirmation des certitudes causalescentrées sur le corps (biologie et génétique).

Si actuellement la pression publique se porte vers les questions de dépis-tage, les propositions de suivi restent les mêmes dans ce courant : éduquer,rééduquer, insérer en neutralisant. Ainsi la circulaire du 8 mars 2005 1 semontre moins prudente que les professeurs de neurosciences à propos du« handicap autistique » : « Leurs causes relèvent probablement de processuscomplexes, où l’intervention de facteurs génétiques multiples a été mise enévidence, et où des facteurs environnementaux divers pourraient êtres impli-qués. Les thèses passées sur une psychogenèse exclusive de l’autisme, quiavaient eu le mérite d’éveiller l’attention envers les personnes autistes, maisqui ont gravement accentué la détresse de leurs parents, doivent être et sontaujourd’hui largement écartées. » Désormais il n’est plus question que d’édu-quer, accompagner l’insertion et « d’en limiter considérablement les consé-quences pour la personne et ses proches ». On comprend combien la questionn’est pas uniquement celle de ce « handicap » mais renvoie à un idéal poli-tique du bonheur collectif.

Le lien avec la loi du 11 février 2005 pour l’égalité des droits et deschances est explicitement appelé pour une politique décidée de traitement etd’insertion qui interroge la question de la différence. Si l’action de pilotagepar les experts est patente, le développement rapide des centres de res-

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1. Circulaire DGAS/DGS/DHOS/3C n° 2005-124 du 8 mars 2005 relative à la politique de prise encharge des personnes atteintes d’autisme et de troubles envahissants du développement (TED).

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sources autisme dans les régions renforce cette dimension en leur confiant lesresponsabilités d’orientation du travail afin de contrôler, pardon suivre etaméliorer les pratiques. Quelques mois après la parution de la circulaire, cescentres de ressources, qui étaient prévus dans le décret de S. Veil de 1996,sont en place ou en voie de l’être, et disposent de moyens conséquents.

DU CÔTÉ DE LA PSYCHANALYSE, OÙ EN EST-ON ?

Dans le courant dit psychodynamique, qui poursuit notamment les tra-vaux de Tustin, Malher et Meltzer, la position paraît être celle d’une collabo-ration appelant aux respects de références divergentes. Ainsi, les professeursGolse et Delion n’entendent pas céder sur la dimension de « maladie men-tale » concernant l’autisme (Golse, Delion, 2005, p. 20). Mais la collaborationavec la neurobiologie leur paraît la meilleure voie, à condition que cette col-laboration s’oriente vers des travaux des psychanalystes. Il y aurait ainsi unprojet de démembrer, par la clinique analytique, l’autisme infantile précoceen sous-groupes différenciés auprès desquels la biologie pourrait spécifierson action (Golse, Delion, 2005, p. 22). La collaboration entre Geneviève Haag(psychanalyste) et Sylvie Tordjmann (Pr psychiatrie, intersecteur pédopsy-chiatrie du CHRU de Rennes) est ainsi souvent prise comme référence.G. Haag, qui parle de sujets avec autisme, a pour objectif thérapeutique le« but de communiquer aux sujets avec autisme le maximum de compréhen-sion… » (Haag, 2005a, p. 125). Elle interprète ainsi le sens des gestes de l’en-fant sur un registre de peur qu’elle nomme pour lui. Pour G. Haag, il y a là« symptôme en lien avec la non-constitution, la perte ou la fragilité des basesde l’image du corps » (Haag, 2005a, p. 128). L’enveloppe donc. Il y aurait àmettre alors en œuvre un travail de reconstruction du moi corporel. L’au-tisme est ainsi pour elle un grave trouble cognitivo-émotionnel (Haag, 2005a,p. 143).

Dans cette optique, elle a travaillé dans les années 1990 sur une grille derepérage clinique de l’évolution de la personnalité chez l’enfant autiste, avecnotamment S. Tordjmann ; avec qui elle a poursuivi un travail sur diverseséchelles et grilles d’observation. Le but de ce travail est d’évaluer l’état dumoi. Elle envisage à partir de là une collaboration pratique entre psychothé-rapie, méthode rééducative et cognitive et biologie. Le tout pourrait, selonelle, faire évoluer l’état autistique à travers des étapes psychopathologiquesvariées « tout en gardant certaines particularités probablement liées à la pré-disposition de l’autisme » (Haag, 2005b, p. 161).

Dans ce courant, d’autres auteurs présentent des thèses différentes. LePr Didier Houzel, par exemple, qui ne néglige pas dans son service du CHU

de Caen l’usage de tests prédictifs comme le CHAT (Checklist for Autism in

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Toddlens), a une thèse de l’autisme comme lié à des angoisses de précipi-tations qui seraient au fondement de l’autisme infantile. Sa thèse est celled’un excès (d’angoisse) plus que d’un déficit (Houzel, 2005, p. 172), l’au-tisme étant tentative d’endiguer ces excès. Il reste néanmoins attentif à laproposition du Pr J. Hochmann (psychiatrie, UFR Lyon Nord) sur des pro-cessus autistisants qui, au début de la vie, renforceraient l’autisme chez lespetits sujets. Or, Hochmann a une thèse opposée à Houzel sur l’autisme,puisqu’il associe l’autisme à un déficit de capacité de symbolisation avecdes défenses radicales.

Nous voyons combien ces êtres tout seuls et sans parole entraînent desdivergences d’interprétations sur les causalités en jeu pour s’inscrire dans lelangage. L’ensemble des thèses devant être abordé avec la perspective d’ap-précier en quoi elles peuvent nous orienter dans la clinique, voire quellesstratégies elles autorisent. Nous avons vu celles de G. Haag et Hochmann.Celui-ci par exemple précise qu’il est contre la cure analytique avec lesautistes. En effet, pour lui, il n’est pas certain que la plupart disposent d’uninconscient (Hochmann, 2005, p. 112). Il opte pour un travail thérapeutiquequi se rapproche d’un apprentissage émotionnel, auquel se rajoutent dessoins en groupe et un accueil institutionnel qui veille au maintien des réseauxde soins.

Je vais citer enfin la thèse du Pr Diatkine, puisqu’elle fut objet d’un rejetproblématique par les chercheurs de l’INSERM et causa quelques conflits entrel’INSERM et les enseignants chercheurs de ce courant. Diatkine proposait d’in-terpréter l’autisme comme stratégie existentielle pathétique dont le butn’était autre que de permettre aux « sujets » concernés de vivre tout en fai-sant l’économie absolue de toute relation d’objet 2.

Il me semble que ce qui paraît encore diviser les orientations de ce cou-rant se rapporte à l’époque de la controverse anglaise, entre Anna Freud etMelanie Klein, qui se retrouve de M. Mahler à F. Tustin et qui oscille entreéduquer et soigner. La solution consensuelle se joue dans une causalité pro-posée comme polyfactorielle (dixit le recueil de septembre 2005), ce « poly »résumant à quelques-unes les causalités.

À PARTIR DE LACAN

Dans la suite du travail de Jacques Lacan, nous prendrons comme départle rapport qu’il énonçait de l’autisme à la schizophrénie. Sa proposition peuts’entendre à travers sa remarque que l’enfant autiste est halluciné. Répon-

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2. Cité par Golse et Delion, Toulouse, érès, 2005, p. 24.

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dant à des questions, en 1975, il dira « il y a sûrement quelque chose à leurdire » (Lacan, 1975). Même si Lacan a peu parlé de l’autisme, les psychana-lystes lacaniens interrogent depuis longtemps l’autisme. Rosine et RobertLefort ont ainsi mis en chantier un long travail sur cette question, qui a animéune période de débat dans le CEREDA 3. Antonio Di Ciaccia a lui aussi initiédes expériences, dans le champ institutionnel, sur l’autisme, dont le RI3 4

s’est fait l’écho. Les débats et conversations, qui ont culminé dans le champfreudien dans la journée de 1992 (Découverte freudienne, 1992) ont tentéd’articuler les différentes positions qui s’extrayaient de la clinique. Éric Lau-rent, Pierre Bruno, Marie Jean Sauret, Estella Solano, Bernard Nominé, etencore Sophie Bialeck, Jean Pierre Rouillon, Philippe Lacadée, Jean ClaudeMaleval, dernièrement Pierre Naveau dans son dernier ouvrage (2005), etd’autres ont soutenu et articulé des thèses sur l’autisme.

De même, dans un autre contexte, M. C. Laznik et sa collègueG. Gabassu ont mis en place des séminaires qui visent à articuler les thèsessur le ratage de la structure (en s’articulant avec des équipes de PMI) et les dif-ficultés des familles. La recherche PREAUT 5 qu’ils ont initiée donne lieudepuis cette année à la publication d’une revue (Cahiers Preaut, 2004, 2005),l’un des objectifs étant de tenter de valider des signes prédicteurs d’autismechez l’enfant de moins de 2 ans. Ce courant s’écarte donc des deux précé-dents dans sa logique, mais s’oriente d’une même référence à une lecture deLacan. Voyons maintenant quelques-unes de ces thèses.

La proposition de Rosine et Robert Lefort sur l’autisme a pris un tour-nant lors des journées sur l’autisme de 1992 et s’est développée en différentesétapes pour aboutir à leur dernier ouvrage, La distinction de l’autisme (Lefort,2003). La question de cette distinction est en phase avec la possibilité de per-sonnalité autistique, voire de structure autistique. La grande question queposent Rosine et Robert Lefort, c’est l’absence de l’Autre. Non seulementabsence d’un Autre troué, mais consistance pérenne d’un Autre absolu qu’estle monde pour l’autiste. Cet Autre ne s’incarnant pas même dans le langage,le sujet ne peut donc s’articuler à lui comme peut tenter de le faire le sujetpsychotique. Violence et destruction seraient alors les seules réponses lors-qu’il y a manifestation trop brutale du monde.

De même, les Lefort font l’hypothèse d’un double dans le réel de l’au-tiste qui rendrait compte de l’impossibilité d’articuler une solution dans lelangage, la lalangue de la jouissance primitive n’ouvrant pas la voie. Cela

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3. Centre d’études et de recherches sur l’enfant dans le discours analytique.4. Réseau international d’institutions infantiles.5. PREvention AUTisme.

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conduit d’ailleurs à un écart avec la position de Lacan puisqu’il n’y a plusd’hallucination mais un double dans le réel ; ce réel étant sans articulationimaginaire ou symbolique. Cette aporie questionne ce qu’est alors ce réel, cemonde réel de l’autiste, dans lequel ne s’inscrirait aucun objet pulsionnel.

Pour aborder ce monde et faire consister une présence qui puisses’adresser à un autiste, R. et R. Lefort proposent d’inverser la proposition deLacan : « Il y a quelque chose qu’on ne peut pas leur dire » (Ansermet, 1997).Estéban Morilla, dans son article de Mental (Morilla, 2001), relève quelquesdifficultés dans les positions proposées par les Lefort. Une structure sanssujet et dont le débouché est le passage du côté d’une psychotisation. Unepossibilité pour contourner ces difficultés est la reprise d’une formule, déjàabordée par E. Laurent en 1992, et relancée par P. Naveau lors des XXIIe jour-nées du CEREDA consacrée à « L’enfant et ses joies » (comme relevé parE. Morilla), la forclusion du signifiant du désir de la mère (DM). Absence doncde la possibilité même de symboliser un désir de la mère pour l’enfant. For-clusion anticipatrice qui laisse l’enfant face à une omnipotence réelle. Morillarelève que pour R. et R. Lefort l’enfant autiste est hors langage plus que horsdiscours.

En 2003, ils ponctueront leur parcours en prenant l’option de proposerune structure autistique, structure où l’Autre n’existe pas. Ouverture qui,dans une lecture du séminaire de J.A. Miller et E. Laurent sur « l’Autre quin’existe pas et ses comités d’éthique », les conduit à un questionnementélargi sur la civilisation. Leur thèse ainsi se singularise dans cette position quine propose pas d’Autre au sujet, mais un double réel. Ce travail a su susciterdans le champ freudien une conversation nécessaire pour constituer unedynamique de recherche et d’élaboration, qu’il ne faudrait pas laissers’éteindre.

Dans une orientation un peu différente, Marie-Christine Laznik, repre-nant des apports de Colette Soler et en se référant à Lacan, notamment à par-tir du Séminaire XI, évoque, que dans la constitution du sujet il y a deuxtemps l’aliénation et la séparation. C’est ce temps de l’aliénation qui man-querait dans la constitution du sujet autistique, alors que ce que manque lepsychotique c’est le temps de la séparation. Il y aurait ainsi un arrêt dans lecircuit pulsionnel de la voix. Ce qui oriente le traitement, c’est qu’un psy-chanalyste peut arriver à remettre en route ce circuit pulsionnel en jouantavec le bébé et sa mère. Dans ce lien transférentiel, la mère peut retrouver unevoix porteuse de la pulsion invoquante que l’indifférence de son bébé avaitéteint. Cette pulsion, introduite par Lacan au même titre que la pulsion sco-pique, jouerait un rôle essentiel. Marie-Christine Laznik essaie de démontrerdans ses recherches qu’il y a certaines dimensions prosodiques et rythmiquesauxquelles nul ne peut se soustraire, pas même le bébé à risque autistique.

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S’il répond à la voix humaine, cela active des zones cérébrales qui, dans ledéveloppement de l’autiste, ne sont pas normalement activées et périclitent.Marie-Christine Laznik fait pour cela référence à des études récentes de neu-rosciences et de physiologie. Un possible abord thérapeutique, consiste àchercher à entrer en relation avec l’enfant susceptible de devenir un enfantautiste, en jouant sur cette dimension de la voix dans le lien à la mère.

Il y a une autre entrée sur la question de l’autisme autour de la questiondu corps, que Lacan avait reprise notamment à partir de son commentaire declôture du colloque sur l’autisme organisé par M. Mannoni en 1967. Le corpsne produisant pas le sujet, comment s’approprier un corps, son corps ? Pré-cisons que E. Laurent fait résonner ce point en écrivant : « Il s’agit de faire deces données, y compris des données biologiques éventuelles, un instrumentde l’interprétation et non de considérer que cela n’a aucune conséquencepour la constitution du sujet lui-même » (Laurent, 1997, p. 44). De même,avec quel organe le sujet autiste peut-il s’approprier la « lalangue » qui luiservirait d’entrée dans le langage ? Présence réelle de tout ce qui s’entendalors. E. Laurent précise de son côté que cette présence ne répond à aucunordre pouvant en régler l’organisation, par l’absence d’une construction dusymbolique qui pourrait organiser un espace.

En 1992, E. Laurent avait pris la question différentielle du côté de lajouissance. Sa thèse était que dans la paranoïa il y a retour de la jouissancedans l’Autre, dans la schizophrénie retour de la jouissance sur le corps etalors, dans l’autisme ce serait le retour de la jouissance sur le bord (Décou-verte freudienne, 1992, p. 156). Il y a donc de l’Autre, un Autre non barré, etl’orientation du travail doit viser la stabilisation. E. Laurent parle ainsi d’état,état parfois transitoire qui peut être une psychotisation si l’Autre finit pars’incarner dans un partenaire. Il n’y aurait donc pas intérêt pour lui à déta-cher l’enfant autiste de la schizophrénie.

Toujours dans le fil des remarques que Lacan proposa sur la question del’autisme, et prenant en compte combien l’enfant autiste n’entend pas cequ’on lui dit (en tant que l’on s’adresse à lui, précise Lacan), P. Naveau saisitsa non-réponse comme tentative de traitement, et propose une définition del’autisme : « L’enfant autiste est l’enfant qui, bien que n’étant pas sourd ausens propre, fait la sourde oreille et fait de l’Autre aussi bien un être sourd »(Naveau, 2004, p. 121).

QUELLE ACTION METTRE EN ŒUVRE ?

La déségrégation répond E. Laurent, déségrégation du signifiantautisme qui tienne compte des transformations possibles. C’est là unedémarche différente de celle de Golse et Delion qui veulent démembrer l’au-

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tisme. E. Laurent continue en proposant de ne pas hésiter à dire non à lajouissance, en s’interposant si besoin est (Laurent, 1997, p. 44). Pas de mater-nage, pas de voie éducative, mais, et il précise qu’il reprend une propositionde B. Nominé, « accepter le transfert tout en faisant barrière à la jouissance »(Découverte freudienne, 1992, p. 92). C’est également la position qu’illustreVirginio Baio dans sa présentation de 1992, et nous retrouvons la voieouverte par les institutions du RI3.

A. Di Ciaccia prend ses marques avec Lacan : l’autiste est aussi dans lelangage, mais pas dans le discours. Donc sans possibilités de se débrouillerdes liens sociaux qui s’instaurent entre les êtres parlants (Di Ciaccia, 2005,p. 107). Ainsi, là encore, la parole n’est plus que jouissance intrusive. L’enfantautiste a ainsi affaire au UN tout seul de la jouissance. Il y a alors un monderégit par la structure élémentaire du symbolique et il s’agit pour le sujet deproduire une régulation minimale de la jouissance, par la répétition sanschute, sans conclusion. Pour Di Ciaccia, dans l’autisme non seulement lesymbolique est réel mais l’imaginaire aussi. La question que tire Di Ciacciade l’enseignement de Lacan et de l’expérience des institutions qui se sontintéressées aux autistes, est de trouver « des modalités de se faire partenairede l’enfant autiste pour permettre à la parole de passer et d’être écoutée » (DiCiaccia, 2005, p. 111).

Les institutions qui accueillent ainsi ces enfants doivent pouvoir mettreen valeur les trouvailles des enfants autistes, les partenaires, dans la mêmeoptique que celle soutenue par E. Laurent, se mettant éventuellement entrel’enfant autiste et son Autre de jouissance. Di Ciaccia cite V. Baio : « Êtredocile avec le sujet, intraitable avec l’Autre ».

A. Di Ciaccia dégage ainsi une série de conditions pour le travail, pourse faire partenaire de l’enfant autiste, et il présente les modalités du travailinstitutionnel qu’il en déduit. C’est alors la tentative de mettre en œuvre ceque J. A. Miller a nommé « pratique à plusieurs », « bricolage qui sert à cou-vrir des trous de la structure et permet à l’enfant autiste de dire non à l’Autresur le versant de la jouissance mortifère, et de dire oui à l’Autre de la chaînesignifiante » (Di Ciaccia, 2005, p. 117). Offre faite à l’enfant d’une possibilitéde s’inscrire dans le lien social, de s’humaniser.

Voilà une position qui ne se pose pas comme thèse irréductible, maiscomme discours permettant d’orienter une pratique qui vise à civiliser ethumaniser ces sujets tout seuls que sont les autistes. Dans l’ambiance difficilede ce XXIe siècle, défendre de telles conceptions relève de l’éthique fonda-mentale de la psychanalyse, et ne nécessite aucune collaboration intrusive.Le travail avec les familles s’y fait sans difficulté, comme l’ont illustré desjournées de travail du RI3 sur le travail avec les familles. Je vais maintenant

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vous présenter un cas, rencontre et mise au travail d’un jeune autiste au seinde notre hôpital de jour 6.

DONALD

Arrivée

Donald a passé quelques années loin de la métropole et ses parents ontanticipé leur retour en recherchant une institution qui pourrait accueillir leurenfant dans les meilleures conditions. Leur choix se porta sur une institutionbordelaise connue pour ses travaux dans la lignée de Frances Tustin. L’insti-tution en question l’accueillit et mit en place des soins à partir de travaux enpataugeoire, enveloppement humide, conte et accompagnement individua-lisé. Pour cet enfant sans parole, mais qui prononce parfois des semblants dephrases, agité parfois à l’extrême, toujours absent à l’autre, l’équipe s’étaitinvestie. C’est ainsi qu’elle a permis aux parents d’anticiper les échéances etde choisir une autre institution pour poursuivre l’accueil.

Pour ses 10 ans, les parents déménagèrent donc et, conseillé par l’équipe,prirent contact avec nous. En effet, même si les références théoriques diver-gent, le respect du travail et d’une orientation décidée favorise nos échanges.

Donald fit ainsi son entrée dans notre hôpital de jour à 10 ans. Enfant enerrance, ne fixant rien, il se heurtait aux murs et un accompagnement futnécessaire pour découvrir les seuils et passages qui permettaient de circulerdans ce lieu.

Inscription

Donald eut d’abord des difficultés avec les toilettes. S’y rendre présen-tait une difficulté particulière nécessitant là encore un accompagnement. Il yavait de multiples tergiversations, moult cris et grimaces, des difficultés à sedévêtir et finalement d’énormes difficultés à conclure. Il restait ainsi de longsmoments, non rhabillé devant les toilettes, fixant son œuvre et retardant ens’opposant et criant à la disparition de celle-ci. J’accompagnais alors cestemps en prêtant mes mots pour parler cette séparation, m’adressant à cesdéchets pour les inviter à s’engager dans leur chemin et laisser ainsi Donaldpouvoir sortir. À la troisième séance, Donald accepta avec facilité cette ponc-tuation et la chasse d’eau put être plus rapidement tirée. Assez vite il put trai-ter seul ce temps.

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6. H. J. de Podensac, 9 rue du Dr Compans, 33700 Podensac, intersecteur 33I05, Dr Maryse Roy.

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Une période vint plus tard autour du pipi, avec des tentatives de se faireaccompagner d’une dame aux toilettes, ce qui fut refusé régulièrement. Parla suite il manifesta une urgence du « pipi » lorsqu’une demande pressantelui était adressée, retour de cette difficile expérience mais dans une tentativede limiter le rythme du monde en le centrant sur le temps de son corps.

Un troisième temps viendra autour du même espace avec le lavage desmains et la fascination du filet d’eau, dirigé vers le trou de la bonde oudétourné sur les bras, sur les mains et les doigts pour tomber sur le pourtourdu lavabo. Ce moment fut commenté pour lui, avec mon étonnement àconstater combien l’eau tentait toujours de filer vers le fond du lavabo en ins-crivant des chemins plus ou moins longs. Cet exercice reste néanmoins trèspeignant pour lui.

Objets

Ce temps du lavage fait lien avec une autre rencontre qui est celle descailloux. Dans la cour, il y a un espace rempli de gravier, et ces cailloux occu-pent énormément Donald. Il les saisit et les fait couler entre ses doigts, les fai-sant résonner contre une tuile ou un objet en plastique ou même seschaussures, obtenant ainsi un bruit saccadé et répétitif. La réalisation à sescôtés d’un bruit semblable et parasite est insupportable pour lui. C’est à cetteoccasion, alors que je l’invite à participer à un autre travail (que j’évoqueraiplus loin) qu’il énonça à plusieurs reprises, fortement, « je te laisse. » C’est làun énoncé qu’il inscrivait avec virulence dans le monde avec l’espoir quecesse l’intrusion que je constituais. Il reprenait là, je le repérai ensuite, le motde l’éducateur qui l’accompagne dans ses déplacements et qui le salue ainsien partant. Cet énoncé n’inclut pas le sujet de l’énonciation et c’est souventle cas des énoncés de Donald. Tel « au revoir Donald » lorsqu’il part lui-même et que d’autres le saluent. Énoncé différent des réponses en écholaliequ’il donne aussi parfois. Il produit ainsi dans le monde des « phrases » quisont autant d’objets du langage et qui tentent de faire signe d’une certaineprésence. Par ailleurs, les cailloux restent l’objet qu’il a élu dans le mondecomme partenaire de son corps, et imposent une tyrannie absolue sur sa pré-sence, mais apparemment en le pacifiant.

Un autre type d’objet nous a arrêtés dans le travail avec Donald, ce sontles crayons. D’emblée Donald s’appareille de crayons qui prolongent sesdoigts et qu’il ne peut quitter, plutôt qui ne peuvent se séparer ou être sépa-rés de lui, au prix de cris ou de la projection de son corps sur les murs ou lesol. De ces crayons, nous obtenons trace en glissant des feuilles dessous,feuilles dont il acceptera l’usage par la suite. Ces traces sont elles aussi prises

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dans un rythme répétitif : il frappait la feuille ou le doigt de façon saccadé,produisant des œuvres pointillistes qui remplissent l’espace de la feuille.

Face à des demandes précises, dans le cadre d’atelier où d’autres enfantsdessinent, Donald peut accuser réception de demandes spécifiques que nouspouvons lui soumettre. Si je dis « et Donald, il peut faire un bonhomme ? »Le bonhomme est là, à notre surprise, un bonhomme pas si mal faitd’ailleurs. Car parfois, Donald se saisit d’un énoncé qui circule pour produireune phrase ou une graphie, de la même façon qu’il peut l’ignorer voir pro-tester contre son insistance. Je finis d’ailleurs par me fâcher contre cescrayons qui imposent à Donald leur rythme effréné l’empêchant de produireles traits qu’il pourrait faire, et je l’encourage à s’en faire le maître. Il produiraalors de nouveaux travaux, mélangeant traits et points.

Partenaires

Mais Donald a aussi un partenaire exigeant en la personne du soleil. Ilparaît fasciné par celui-ci et passe beaucoup de temps selon les saisons à lemasquer par de la buée, de la poussière, des branches, recherchant toujoursle bord, la limite de cette présence. Le seul décollement que nous pouvonsintroduire est de s’en prendre à ce soleil, moi et quelques autres. En ce qui meconcerne, je traiterai le soleil comme un de mes partenaires s’occupant bientrop de Donald. Ces manifestations ont diminué, Donald se centre alors surles cailloux et les stylos. Je note à ce moment que, dans la poussière, Donaldfait des traces. Il est intéressé par ce qui s’élève dans l’air faisant rideau maislaissant des marques régulières. Je m’y intéresse et me propose alors d’intro-duire un nouveau partenaire civilisateur, un partenaire que Donald a déjàrencontré, les lettres.

Donald a bénéficié d’accompagnement pédagogique par le passé, etlorsqu’il est arrivé à Podensac, il pouvait tracer sur le papier un ensemble delettres capitales, parfois approximatives, qui le représentaient en écrivant sonprénom. Mais quant à lui, il ne faisait aucun usage de ces traces, produitespar l’exigence qu’il repérait de laisser cette marque. J’introduis donc à nou-veau les lettres, mais comme des petites choses dont il pourrait se saisir pourtraiter le monde : ça se nomme, ça s’assemble et ça produit la possibilitéd’énoncés nouveaux. J’insiste donc pour que les cailloux le laissent aller,pour que le filet d’eau reste un temps de passage et pour que les stylos accep-tent de respecter ses gestes. J’insiste pour que ce grand expérimentateur dumonde, cet organisateur isolé, trouve un usage de cet objet de notre civilisa-tion que sont les lettres.

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Orientation

C’est alors que j’introduis la nécessité de se séparer des uns pour aller àla rencontre des autres, que surgissent les énoncés du type « je te laisse », « jem’en vais » etc. Qui tentent de faire inexister la demande. Cela nécessite quej’insiste mais avec le surgissement au début de petites crises contre lesquellesje m’élève (il n’est pas question que Donald se jette contre les volets ou sauteen l’air de cette façon), façon de dire non à une jouissance ravageante. C’est àpartir de ce moment que Donald se mit à me regarder. Il me regarde alorsintensément, douloureusement, parfois hésitant, signant dans ce mouvementla prise en compte d’une présence problématique pour lui. Des temps de cetype étaient parfois apparus lors de l’introduction de ruptures, mais étaientvite recouverts par la mise en œuvre de répétition ou de rituels. Ce qui pro-voque ce regard, c’est véritablement l’intrusion que je produis dans ce monde,par les bruits que je copie, par l’insistance souple à soutenir ce que je produis.Ainsi Donald va à la rencontre des lettres auprès de l’enseignant de l’institu-tion et il apprend à les apprivoiser. Le temps de passage des cailloux à laclasse donne toujours lieu à des difficultés, intrusions, regards, passage parl’ensemble des interrupteurs de lumières rencontrés, lavabos, etc. Mais leslettres commencent à se faire partenaire de son histoire et nous tablons qu’unnouveau rapport au monde va pouvoir émerger à partir de cette placed’élève qu’il occupe ainsi.

Traitement(s) ?

Si bien d’autres points auraient mérité éclairage dans le travail avecDonald, comme le temps des repas par exemple et son rapport compliquéavec cette nourriture et son contenant (dont la séparation fait problème), c’està propos des interrupteurs que je vais rajouter un mot. Il les use beaucoup,surtout depuis que j’ai commenté pour lui le lien de cet objet avec cettelumière qui s’allume ou s’éteint en réponse à sa manipulation. Mais le psy-chanalyste de l’institution, Daniel Roy, nous a fait remarquer que contraire-ment à d’autres qui se font maîtres de la lumière ainsi, ce que cherche Donaldc’est l’état intermédiaire, l’instant de la rupture, un petit point d’équilibreimpossible entre deux états univoques. D’où son insistance délétère sur nospauvres interrupteurs. Recherche d’un état qui n’existe pas entre rien et un,état mythique qui abolirait l’écart qui fonde un ordre symbolique minimalavec lequel il tente de fonctionner, quête de l’annulation même de ce symbo-lique immaîtrisable aussi bien dans le rythme du choc des cailloux ou lerebondissement du stylo contre un obstacle. L’orientation que nous avonschoisie de lui soumettre vise à civiliser et contourner cet impossible. Accep-

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ter de se saisir du trait de la lettre serait accepter de participer à notre mondeà sa façon, à condition d’accepter aussi de traiter avec ce symbolique du traitunaire, une autre forme de la trace, qui fonde un lien.

CONCLUSION

Nous avons vu dans ce parcours en quoi, dans ce siècle débutant, le corpsrenouvelle une question clinique. L’autiste pose en effet la question de ce quec’est que d’avoir un corps en tant que c’est ce qui donne à l’être son incarna-tion. Un corps dont les limites sont, dans l’autisme, interrogées, recherchées,dépassées. Nous comprenons ainsi pourquoi le courant neuroscientifique etcomportemental a crû trouver dans le sujet autiste la marque du syndromeorganique qui rendrait enfin compte de ce qui rate. Francès Tustin sut se garan-tir de cette pente dans son long parcours autour de cette question du corps,qu’elle traite comme une illusion avec laquelle l’enfant tente de se protéger :« Je me suis surtout intéressée à la façon dont les enfants autistes protègent leurvulnérabilité en engendrant l’illusion d’avoir une enveloppe extérieure à leurcorps, comme une coquille dure… » (Tustin, 1992, p. 13).

Le rapport étrange au langage qu’entretient le sujet autiste renforce cettepente. Nous avons illustré avec Donald combien celui-ci n’est pas hors lan-gage. Il peut parler, mais il ne parle pas comme sujet de l’énonciation, il neprend pas le langage à son compte. La tentation est grande alors de suivre lesujet sur une pente imaginaire, mais dont il ne nous offre que peu de coor-données. D’où l’écueil rencontré par les travaux qui suivent ce fil.

La question du travail sur le lien à la mère interroge enfin la part quirevient au sujet dans ce qui lui arrive. Toucher au partenaire originel du sujetpeut avoir de l’effet, mais avec la limite de ce que le sujet peut accepter ou non.

Enfin, avec le cas de Donald, nous avons tenté aussi de montrer com-ment il est possible de trouver, en travaillant auprès de l’enfant, une place departenaire avec l’enfant autiste. Cette place d’où nous avons à faire obstacleà la jouissance débridée qui envahit l’enfant. Questionner le statut de l’objetest alors une voie à suivre pour accompagner le jeune autiste, objet qu’onpeut parfois détourner pour viser une forme de contribution a un lien socialhumanisant. Des témoignages, comme celui de Temple Grandin (Grandin,1994), ont montré qu’avec le choix d’un objet qui permet au sujet de se faireun corps, une limite qui fasse corps, et au-delà un objet qui fasse lien, un sujetautiste peut trouver sa place dans notre monde et contribuer a son progrès.Il ne faut donc pas se priver de perspectives optimistes, et donc ne pas céderà la tentation éducative et orthopédique.

Reste la question du diagnostic qui occupe actuellement un certainnombre de chercheurs. La validation française des tests prédictifs comme le

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CHAT ne résout pas entièrement la question et bute sur des questions de réfé-rences théoriques. Le débat entre les références psychodynamiques, qu’onpeut rapprocher des références structurales à la psychose, se révèle difficile,voire impossible, avec les références qui prennent appui sur les troubles ducomportement. Se multiplient alors les guides pour les parents et les témoi-gnages, qui se veulent didactiques, mais qui cherchent aussi à convaincre« les troupes » (parmi les plus sérieux celui de Belhassem et Chaverneff) (Bel-hassem, Chaverneff, 2006). Désormais nous ne pouvons plus faire sans lesassociations d’usagers dont le poids est primordial dans la politique de déve-loppement des lieux de soins et d’accueil des enfants et des adultes autistes.

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RésuméL’autisme est un des tableaux cliniques les plus prégnants en ce début de siècle etcelui qui pose le plus de questions. Il fait l’objet d’un enjeu de politique de santé quise traduit par de multiples textes réglementaires, tout en posant des questionséthiques primordiales. C’est enfin un thème qui renvoie à l’idée même de ce qu’est unêtre humain. Après avoir présenté ce thème et évoqué les multiples thèses qui tententde répondre à l’énigme que nous posent les autistes, je présenterai ce qui oriente unepratique et l’illustrerai par un cas. Faire valoir une orientation, sans ignorer les autres,ne signifiant pas de devoir les mélanger au nom d’une offre qui se devrait d’êtreconsensuelle.

Mots clésAutisme, famille, psychose, orientation, psychanalyse.

THE AUTISM IN THE XXITH CENTURY…

SummaryThe autism is one of the clinical paintings boards most preignant in this beginning ofcentury and the one who asks most questions. It is the object of a stake in politics ofhealth which is translated by multiple statutory texts, while asking essential ethicalquestions. It is finally the subject which dismissal in the idea of what is a human.Having presented this subject and evoked the multiple theses which tries to answerthe enigma that puts us the autistics, I would present what directs a practice and illus-trated it by a case. Exploit an orientation, without ignoring the others, not meaninghaving to mix them in the name of an offer which should be consensual.

KeywordsAutism, family, psychosis, orientation, psychoanalysis.

CLINIQUES MÉDITERRANÉENNES 76-2007286

Cliniques Méd 76 12/07/07 17:50 Page 286

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