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Co-créer un vin : c’est désormais possible mais
comment et pour quelle valeur
Karine Garcia Granata*
Doctorante
Laboratoire Montpellier Recherche Management
Philippe Aurier
Professeur des Universités
IAE, Université Montpellier 2
Laboratoire Montpellier Recherche Management
Angélique Rodhain
Maître de Conférences
IUT Béziers, Université Montpellier 2
Laboratoire Montpellier Recherche Management
* CC028, Place Eugène Bataillon, 34095 Montpellier, [email protected], tel. 04 67 14
42 09
Ce travail a été réalisé dans le cadre du Labex « Entreprendre », Axe 2 programme 3 :
« Gouvernance, stratégies de marché et performance durable ».
Co-créer un vin : c’est désormais possible mais
comment et pour quelle valeur
Résumé :
Cette étude tente de comprendre comment un processus de co-création prend forme dans le
cas de la réalisation d’un vin collaboratif et quelles sont les valeurs associées à cette
expérience par le consommateur. Une étude qualitative réalisée à partir du blog mis en œuvre
à cette occasion, des courriers électroniques échangés entre les participants et le producteur,
ainsi que des entretiens soulignent les différentes phases du processus ainsi que la façon dont
les participants vivent l’expérience. Notre étude montre, malgré un engagement financier dans
ce cas spécifique, que tous les participants ne s’impliquent avec la même intensité au sein de
l’expérience.
Mots-clés : co-création, expérience, valeur, vin collaboratif
Co-creating a wine : it is now possible but how and what value ?
Abstract :
In a first part, this study attempts to understand how a process of co-creation takes shape in
the case of a collaborative wine. In a second part, the consumer values of co-creating a wine
are identified. A qualitative study from the blog implemented at that time, e-mails exchanged
between the participants and the producer, as well as interviews highlight the main phases of
the process and the way participants live their experiences. Despite a financial commitment in
this specific case, participants are not involved with the same intensity.
Key-words: co-creation, experience, value, collaborative wine
Co-créer un vin : c’est désormais possible mais comment
et pour quelle valeur
Introduction
Les travaux sur la co-production (Bendapudi et Leone, 2003 ; Etgar, 2008), la
customisation de masse (Merle, Chandon et Roux, 2008 ; Franke, Schreier et Kaiser, 2010 ;
Moreau, Bonney et Herd, 2011), le développement de nouveaux produits (Füller, 2006 ;
Nambisan et Baron, 2009 ; Hoyer et al. 2010) et les communautés de consommateurs (Schau,
Muñiz et Arnould, 2009 ; Pongsakornrungsilp et Schroeder, 2011) soulignent l’intérêt
croissant porté par le marketing à la collaboration entre producteurs et consommateurs.
Faire participer activement le consommateur est un moyen de favoriser l’immersion des
consommateurs dans des expériences uniques et authentiques. Addis et Holbrook (2001)
soulignent qu’une expérience réussie passe désormais par une implication étroite du
consommateur dans le processus de production d’expérience.
Ces multiples formes de collaboration (co-création, co-production, customisation de
masse, etc.) ont largement été investiguées dans le contexte des secteurs innovants (Dell,
Microsoft) ou celui de la grande consommation (Ikea, Nike Id, EDF, etc.). En revanche, les
produits à fortes dimensions symboliques et culturelles tel que le vin n’ont fait l’objet
d’aucune recherche à notre connaissance. Les pratiques entre consommateurs et producteurs
ont pourtant évolué tels que le montrent le développement de l’oenotourisme, l’utilisation du
Web 2.0 ou la multiplication des activités liées à l’apprentissage de la dégustation. Ces
nouvelles approches s’inscrivent bien dans cette tendance collaborative où le consommateur
est considéré comme un individu actif dans sa relation au producteur et plus particulièrement
dans la co-création de valeur (Vargo et Lusch, 2008). A ce titre nous soulevons deux niveaux
de questions :
- Comment un tel processus prend-il forme dans le contexte d’un produit à dimensions
symboliques et culturelles fortes ?
- Comment un consommateur valorise-t-il cette collaboration ? Quels bénéfices retire-t-il
d’une telle participation ?
Afin de répondre à ces questionnements, l’étude appréhende un cas unique de
réalisation d’un vin collectif. Il s’agit de décrire le processus et comprendre les effets d’une
telle expérience sur les participants. Suite à une revue de la littérature nous présentons la
méthodologie mobilisée. Dans une dernière partie, les résultats de l’étude sont présentés.
1. Cadre conceptuel
1.1. Le vin au cœur d’une expérience co-créative
D’un point de vue théorique, la perspective expérientielle de la consommation proposée
par Holbrook et Hirschman (1982) a remis en cause les modèles cognitifs traditionnellement
utilisés pour étudier le comportement du consommateur. Cette approche, aujourd’hui
largement mobilisée tant au plan managérial qu’académique, appréhende la consommation
comme « un état subjectif de conscience accompagné d’une variété de significations
symboliques, de réponses hédonistes, et de critères esthétiques » (p.132). Le consommateur
est alors considéré comme un individu sensible aux éléments subjectifs et symboliques d’une
offre en devenant un co-créateur d’expérience. Au delà des dimensions esthétiques et
hédoniques, soulignées par Holbrook et Hirschman (1982), l’expérience de consommation est
également liée à la recherche de lien social (Debenedetti, 2003) ou à celle de préoccupations
grandissantes à l’égard de l’éthique et de l’écologie (Özçaglar-Toulouse, 2009). Ainsi, en
terme de contenu l’expérience de consommation comporte quatre dimensions soulignées par
Roederer (2012) que sont la dimension praxéologique, la dimension hedonico-sensorielle, la
dimension rhétorique et temporelle.
Si le concept de co-création fait majoritairement référence dans la littérature à
l’implication d’individus dans le processus d’innovation de l’entreprise (von Hippel 2005;
O’Hern et Rindfleisch 2009 ; Hoyer et al. 2010), il peut être envisagé du point de vue du
consommateur comme une expérience (Prahalad et Ramaswamy, 2004). Dans cette
perspective, l’implication du consommateur résulte en l’obtention d’un produit final ou d’une
expérience à laquelle le consommateur a contribué physiquement, mentalement,
temporellement, de façon collaborative (avec l’entreprise) et parfois collective (au sein d’un
groupe de participants). Il s’agit d’une expérience dite co-driven (Carù et Cova, 2007) au
cours de laquelle l’entreprise fournit une plateforme, support de l’interaction avec le
consommateur et à partir de laquelle il va pouvoir co-créer son expérience.
Bien que le vin soit associé à la catégorie des produits dits expérientiels, peu de travaux
en marketing l’appréhendent sous cette perspective. Lacoeuilhe et Amine (2007) soulignent
les dimensions hédoniques, sociales, culturelles, d’affirmation de soi et d’authenticité des
pratiques de consommation de vin tandis que Charters et Pettigrew (2005) l’associent à une
expérience esthétique proche de celle de l’art. Néanmoins, l’intérêt porté à la perspective
expérientielle par la recherche en marketing est finalement très récent. Il semble concomitant
au développement de l’oenotourisme (Bruwer et Alant, 2009), notamment par le biais d’un
point de vente sur l’exploitation (Carlsen, 2011 ; Gill, Byslma et Ouschan, 2007), à celui de la
place des sites Internet dans le maintien d’une relation avec les consommateurs (Nowak et
Newton, 2008) ainsi qu’à l’utilisation accrue par les producteurs des outils web 2.0 (Thach,
2009). En tant que produit culturel, le vin existe au travers de l’interprétation réalisée par le
consommateur ainsi qu’aux pratiques mises en œuvre par celui-ci (Hennion, 2004). Ainsi, les
activités développées par les vignerons au service des consommateurs vont permettre à celui-
ci de dépasser le cadre limitant le vin à un produit final pour devenir une expérience co-créée
par le consommateur par le biais des interactions avec le producteur.
1.2. De la participation à la co-création de valeur
Dès 1980, Toffler a proposé le terme de prosumption pour élargir le champ d’action du
consommateur à celui de producteur soulignant un rôle accru de la part de ce dernier. Par la
suite, un ensemble de courants de littérature soulignent empiriquement ce rapprochement des
sphères de production et de consommation (Firat et Venkatesh, 1995). Le marketing des
services utilisent par exemple le terme de servuction (Eiglier et Langeard, 1987) tandis que
d’autres auteurs s’intéressent à la co-production (Wikström, 1996 ; Bendapudi et Leone,
2003 ; Etgar, 2008). Au delà des actions mises en œuvre par le producteur et le
consommateur, l'interaction devient le lieu de création de valeur (Prahalad et Ramaswamy,
2004). Selon ces auteurs, le terme d’interaction fait référence à tous types de contacts
permettant au client de percevoir une valeur supplémentaire, que ce soit dans le contexte de
l’achat, de la consommation ou plus généralement de la relation à l’entreprise ou la marque.
Ces interactions prennent la forme d’activités mises en œuvre par l’entreprise et permettant au
client de vivre une véritable expérience par le biais d’un dialogue interactif (Ballantyne et
Varey, 2006). L’enjeu se situe donc dans la mise en œuvre d’actions permettant d’interagir
avec le consommateur, que ce soit sous la forme d’un service ou d’un certain mode de
communication. Dans un article conceptuel, Ballantyne et Varey (2006) proposent trois
activités qui permettent de créer de la valeur : le savoir (1) fait référence à l’acquisition de
connaissances tacites et explicites ; la relation (2) constitue la structure par laquelle les
ressources liées aux connaissances sont créées et mobilisées ; le dialogue (3) est le mode de
communication support de la co-création. Bien que ces auteurs se positionnent du point de
vue de l’entreprise, ces activités peuvent permettre aux consommateurs d’acquérir des
connaissances tacites et explicites au sein d’une relation avec un producteur ou d’autres
consommateurs.
Dans le contexte du vin, Hollebeek et Brodie (2009, p. 341), soulignent que « la co-
création de valeur réside en un aller-retour interactif, expérientiel par nature entre un ou
plusieurs agents, qu’ils s’agissent d’interaction physique ou en ligne, ainsi qu’un client qui
ajoute une valeur perçue supplémentaire à l’offre physique du produit. L’interactivité et la
co-création de valeur varieront selon les consommateurs et/ou les segments de
consommateurs ». Ces auteurs distinguent ainsi les deux niveaux de ce concept, l’un relevant
du processus et l’autre du résultat en tant que valeur co-créée.
1.3. Une approche par la valeur à partir de l’expérience vécue de participation
De nombreux travaux ont synthétisé la littérature marketing sur le concept de valeur
(Rivière et Mencarelli, 2012 ; Merle, 2007 ; Aurier, Evrard et N’Goala, 2004) soulignant la
dichotomie entre valeur d’échange (valeur globale) et valeur d’usage (valeur de
consommation). Dans le contexte de cette recherche, nous nous intéressons tout
particulièrement à la valeur que retire le consommateur de sa participation à un processus de
co-création. Selon Holbrook et Corfman (1985, p.40), il s’agit donc de s’intéresser à « une
préférence relative comparative, personnelle et situationnelle caractérisant l’expérience d’un
sujet en interaction avec un objet ». Cette définition souligne le caractère interactif de la
valeur ainsi que sa nature relative, puisqu’un individu détermine la valeur d’un objet à partir
d’une comparaison avec d’autres objets. La valeur est envisagée comme idiosyncratique pour
chaque individu et dépend du contexte dans lequel l’évaluation se déroule. Holbrook (1999)
propose le cadre suivant :
- l’orientation intrinsèque versus extrinsèque de la valeur, inscrite dans la distinction entre une
expérience source de gratification en soi et une expérience qui permet d’atteindre des fins
extérieures ;
- l’orientation active versus réactive de la valeur, illustrée par la manipulation de l’objet
physique ou mentale ou sa réception passive ;
- l’orientation vers soi versus orientée vers les autres de la valeur, appuyée sur la dichotomie
du contexte individuel ou social de consommation.
Cette combinaison de trois critères permet d’identifier huit sources de valorisation d’un objet
de consommation ou d’une expérience. Néanmoins, de multiples critiques adressées à cette
typologie soulignent à la fois le caractère simplificateur et l’articulation complexe de certaines
dimensions (Rivière, 2009).
Tel que souligné par la littérature sur la co-création de valeur, l'implication du consommateur
dans les différentes phases de la chaîne de valeur peut donc lui permettre de percevoir une
valeur perçue supplémentaire :
- une valeur cognitive qui est issue de la composante éducative de l’expérience.
- une valeur hédonique liée à la composante divertissante de l’expérience et au plaisir que
celle-ci procure.
- une valeur symbolique que l’on peut rapprocher du soi idéalisé en appréhendant
l’expérience comme une extension de soi (Belk, 1988), qui est celle du passionné de vin.
- une valeur éthique qui repose sur une relation de partenariat entre le producteur et le
consommateur.
- une valeur sociale qui est liée d’une part à l’expérience en tant que pratique sociale (Evrard
et Aurier, 1996) au sein d’un groupe de participants dans le contexte d’une relation avec le
producteur, et d’autre part qui est associée aux conversations qu’elle suscite pour le
participant au sein de son environnement.
2. Problématique et méthodologie de la recherche
L’étude empirique menée dans le cadre de cette recherche a pour but de mieux délimiter
l’expérience de co-création dans le contexte de « son histoire et de sa fin » (Arnould et Price,
1993). A ce titre, aucune hypothèse n’a été formulée a priori. Nous avons par conséquent eu
recours à une démarche de type exploratoire et plus précisément l’étude de cas (Bonoma,
1985 ; Eisenhardt, 1989 ; Yin, 1994). Celle-ci est particulièrement adaptée lorsque le
chercheur s’interroge sur le comment ou le pourquoi d’un phénomène (Yin, 1994). Elle est en
effet considérée comme une méthode explicative, qui peut être appréhendée dans une
approche exploratoire, quand les frontières entre le phénomène étudié et le contexte ne sont
pas claires (Yin, 1994).
L’objet d’étude choisi est la co-création d’un vin réalisé collectivement par le biais
d’un blog entre un producteur de vin du Gard et vingt-cinq participants. Parmi ces derniers,
cinq sont des professionnels, deux sont des bloggeurs reconnus au sein de la blogosphère du
vin, les autres participants sont des amateurs de vin dont quatre issus du réseau social du
vigneron. L’évolution des modes de consommation du vin ont contribué à modifier les
rapports entre les producteurs et les consommateurs tant dans la rencontre physique que
virtuelle. Le développement d’activités comme les salons du vin ou les rencontres
vigneronnes soulignent cette tendance. Dans le contexte de la relation virtuelle, un récent
baromètre sur Internet et le vin1 montre que l’interaction avec le producteur et les contenus
vidéos sont les éléments les plus plébiscités par les Internautes. Les consommateurs, par le
biais d’Internet, personnalisent leur approche du vin et la relation avec le producteur. En dépit
de ces bouleversements, aucune étude empirique sur le processus de co-création de valeur et
sur la participation du consommateur n’a été réalisée dans ce secteur à notre connaissance.
Cette expérience de co-création de vin, à la fois collective et virtuelle, offre par conséquent
l’opportunité de répondre à deux niveaux de questionnements :
- Comment un tel processus prend-il forme dans le contexte d’un produit à dimensions
symboliques et culturelles fortes ?
- Comment un consommateur valorise-t-il cette collaboration ? Quels bénéfices retire-t-il
d’une telle participation ?
La nature de l’étude exploratoire nous a conduits à collecter des données de nature
qualitative à partir de trois sources. Le blog2 et les courriers électroniques ont permis d’avoir
accès aux expériences spontanées narrées par les participants. Le corpus des données
textuelles contient cent six messages issues du blog et quatre-vingt huit messages issus des
courriers électroniques. Les entretiens semi-directifs ont permis d’avoir accès au vécu de
l’expérience. Suite à un premier entretien semi-directif auprès du producteur, dix entretiens
ont été menés auprès des participants.
D’une durée de trente minutes à deux heures, ils ont été réalisés auprès de deux bloggeurs et
de huit participants « amateurs ». Les répondants sont âgés de 30 à 55 ans avec quatre femmes
et six hommes interviewés. L’entretien individuel semi-directif a été mené autour de trois
thèmes principaux :
1/ La place du vin pour le participant
Les participants ont été interrogés sur leur rapport au vin, leur comportement d’achat et de
consommation ainsi que les activités qu’ils pratiquaient autour de ce sujet.
2/ L’expérience de co-création de vin
Nous avons souhaité comprendre les motivations, le contenu de l’expérience, la façon dont ils
avaient vécu leur implication à la co-création d’un vin.
3/ Les effets de l’expérience
L’objectif était de comprendre quels étaient les effets d’une telle participation au niveau de la
relation avec le producteur et au niveau du produit créé collectivement.
1 Baromètre Sowine/SSI 2012 – L’influence des Nouvelles Technologies sur le comportement des
consommateurs de vin en France 2 Il ne s’agit pas d’une netnographie dans la mesure où les chercheurs n’ont pas été immergés dans
l’expérience de co-création
Suite à la collecte des données, nous avons réalisé une analyse de contenu thématique à
l’aide d’une procédure de catégorisation a posteriori du matériau discursif récolté (Miles et
Huberman, 2003). Ce travail nous a permis d’obtenir une grille thématique, au sein de
laquelle nous avons pu analyser l’ensemble des données textuelles (blogs et courriers
électroniques) et verbales (entretiens semi-directifs). Dans un souci de validité des résultats,
nous avons procédé à une triangulation des données par la mobilisation de plusieurs sources
de données : entretiens semi-directifs, blog dédié au projet, courriers électroniques échangés
au sein du collectif, site Internet du producteur, pages web des bloggeurs, vidéos en ligne sur
le projet et le producteur.
3. Analyse des résultats
Le traitement des données montre comment selon le niveau d’expertise perçue, les
participants mettent en œuvre certaines pratiques. Par la suite, les sources de valorisation sont
identifiées.
3.1. Quand un producteur fait appel à des participants pour co-créer un vin
Le projet, qui a débuté par l’envoi des premiers échantillons en novembre 2009 s’est
conclu par la commercialisation d’un vin collectif en juin 2012. Cette expérience a consisté,
pour les participants, à suivre toutes les étapes de la réalisation d’un vin en exprimant leurs
avis sur les cépages à assembler, la méthode d’élevage du vin, le nom du vin et son packaging
via un blog créé par le vigneron.
La réalisation du vin collectif a été initiée par un vigneron du Gard en septembre 2009.
La propriété viticole en agriculture biologique, d’une surface de cinq hectares a été créée par
celui-ci en 2005. Le domaine propose une gamme constituée, avant le projet, de deux vins
rouges d’assemblage positionnés sur le marché des vins dit natures3. En tant que dirigeant
d’une très petite structure sur un marché hyperconcurrentiel, ce vigneron dispose de
ressources humaines et financières limitées. Il s’intéresse donc à la mise en œuvre d’un projet
qui lui permettrait de mieux comprendre les attentes du marché et de développer des liens
avec des consommateurs en mobilisant peu de ressources. L’idée d’un financement collectif
par des consommateurs avait émergé au démarrage de son activité mais celle-ci s’était révélée
un important risque de dépendance incompatible avec la recherche d’autonomie du vigneron.
Le projet du vin collectif s’inscrit dans la continuité de cette logique collaborative avortée tout
3 Avec un ajout minimum de sulfite voire aucun
en permettant de dépasser ses contraintes de ressources. Un appel au public a été lancé par le
biais d’Internet, auprès des web-cavistes et des bloggeurs passionnés de vin. Un blog
spécialement dédié au projet, reprenant la charte graphique du domaine, a été mis en œuvre
par le vigneron. Une cotisation de 200 euros a été demandée aux participants afin de financer
l’envoi de trois séries d’échantillons brut de cuve à déguster et un carton de six bouteilles du
vin collectif à l’issue de l’expérience.
Le groupe autoproclamé « le collectif » est caractérisé par une hétérogénéité des
profils des participants allant de l’amateur débutant, à l’amateur expert jusqu’au professionnel
(essentiellement des détaillants). Parmi les amateurs experts, deux bloggeurs bénéficiant
d’une certaine reconnaissance au sein de la « bloglouglousphère »4 ont également participé.
Ces derniers se sont montrés particulièrement actifs, notamment sur leurs blogs respectifs en
faisant la promotion de l’expérience, des vins du producteur et en partageant leur expérience
personnelle.
Dans une première phase de l’expérience, les participants se sont présentés
spontanément par courriers électroniques et par le biais du blog. Les messages mis en ligne
leur ont également permis de signifier leurs attentes quant à l’expérience de co-création d’un
vin collectif qu’ils qualifient eux-mêmes de « Projet rassembler ». Une fois les premiers
échantillons de vin brut de cuve reçus, les participants ont pu interagir pour la première fois
avec l’objet central de cette expérience. A ce stade, ils avaient pour mission de faire part de
leurs commentaires de dégustation via le blog ou les courriers électroniques. Tous les
participants ne se sont pas investis avec la même intensité, seulement douze ont été réellement
actifs au cours de l’expérience. Certains, notamment les plus éloignés géographiquement à
l’exception des deux bloggeurs, ne se sont jamais exprimés malgré leur engagement financier.
Les coûts liés aux ressources temporelles expliquent l’absence de participation de certains
comme le souligne une participante, qui s’excusera tout au long du projet pour sa faible
implication.
« Désolée pour mon silence, depuis le début de ce projet, (…), et je n’ai hélas pas eu
une minute pour me présenter ni pour donner des nouvelles. » (J.)
En ce qui concerne les participants « actifs », deux schèmes se dégagent entre ceux qui
bénéficient d’un faible niveau d’expertise perçue à l’égard du vin, soit les « amateurs
débutants », et ceux qui bénéficient d’un niveau d’expertise perçue élevé, soit les « amateurs
experts » et les « professionnels ».
4 La blogosphère du vin
Concernant la première interaction avec les échantillons de vin, l’expérience s’est
avérée une véritable contrainte pour les amateurs débutants.
« Je le regarde le carton mais je ne sais pas comment le prendre. Ce reflexe de l’élève
qui voudrait bien faire, ça m’énerve ! (…), Ouh la la ! Que suis-je venue faire dans
cette galère !! Quel travail que celui de vigneron… Bon allez, je vais me déguster un
verre de déjà tout fait, ça va me calmer l’angoisse… » (E.)
Les individus disposant d’une expertise perçue forte appréhendent l’expérience comme un jeu
et se réjouissent à l’idée de pouvoir procéder à cette première dégustation.
« Passons aux choses sérieuses… En premier lieu, l’arrivée des échantillons peu de
temps avant les fêtes de fin d’année, avait quelque chose de positif » (P.R.)
Des coûts psychologiques engendrés par la participation à une telle expérience apparaissent
donc dès la première interaction des individus avec les échantillons. A l’opposé, le participant
expert5 appréhende cette première étape avec sérieux. Les discours montrent que les
participants se positionnent en fonction de leur expertise à l’égard de l’objet de consommation
et en fonction de l’expertise des autres participants, tel que le souligne cet échange entre un
amateur débutant et un amateur expert :
« Moi j’aime déguster mais je n’ai pas de technicité, ça sera plus une appréciation d’un
nez, d’une texture ou de ce que j’aime trouver dans un vin, tout cela est très subjectif.
Je ne suis absolument pas professionnelle, (…) » (M.)
« L’appréciation finale d’un vin est forcément subjective, même s’il existe un certain
nombre d’éléments objectifs pour le faire (volume, longueur). Ce qui est intéressant,
finalement, c’est que chacun donne son avis sur ce qu’il goûte, de la manière la plus
sincère qui soit. Après, on peut toujours discuter…! » (O.)
La deuxième phase qui a consisté à réaliser des assemblages en mélangeant des
échantillons, a permis d’exprimer son avis sur la composition du vin idéal selon les
perceptions gustatives de chacun. Fort de leur première interaction avec l’objet à co-créer, les
participants ont mis en œuvre des modalités d’appropriation de l’expérience en mobilisant
certains types de ressources selon leur expertise perçue. La plupart des participants identifiés
comme non expert ont ainsi mobilisé des ressources sociales (amis ou famille) afin de
compenser leur niveau de compétence en techniques de dégustation et leur connaissance sur
le vin en général. Les amateurs experts ont quant à eux appréhendé cette phase sur la base de
leurs compétences personnelles. La composante praxéologique liée à l’acte d’assembler, de
5 Bloggeur de la pipette à quatre vins
mélanger donne toute sa dimension à cette étape de l’expérience. Durant cette deuxième
phase d’appropriation du produit en cours de création, certains participants laissent libre court
à leur créativité en formulant spontanément des noms de cuvée en association avec les
caractéristiques organoleptiques des vins qu’ils avaient créés. D’autres, notamment les
bloggeurs qui sont des « amateurs experts », partagent cette dégustation sur leur blog
personnel en l’illustrant de photos.
Une troisième phase de l’expérience a porté sur le packaging de la bouteille et le
nom de la cuvée. Le nom de la cuvée a naturellement émergé à partir de la proposition d’un
des bloggeurs sur laquelle le groupe s’est montré favorable. Malgré les nombreux messages
qu’elle a suscités, cette étape souligne la limite des compétences des participants en matière
de création graphique. Dans ce contexte, les avis des participants ont été sollicités sur la base
d’une proposition d’étiquette faite par le vigneron. En acceptant de s’appuyer sur les choix du
vigneron, les participants font preuve d’une forte empathie à l’égard de celui-ci. Pour
l’ensemble des participants, bien que le vin du projet diffère de ce ceux de la gamme
existante, il s’agissait de ne pas s’éloigner de la charte graphique actuelle du domaine.
« J’aime bien le format actuel des étiquettes du Mazet, ce serait dommage d’en changer
et de ne pas garder l’identité du domaine. » (O.)
La quatrième phase du projet a consisté en un vote des participants entre deux types
de vins qui se sont dégagés de l’étape de dégustation précédente.
Lors de cette phase, il s’agit pour les participants de se projeter « gustativement » sur un vin
qui sera par la suite commercialisé par le producteur.
Au final, de nombreux participants ont ressenti un sentiment de responsabilité à
l’égard du choix réalisé par « le collectif » tant sur la réalisation de l’assemblage que sur le
packaging et le nom de la bouteille. Parallèlement aux échanges liés directement aux étapes
du projet, la communauté virtuelle a été le lieu d’interactions entre ses membres qui ont
partagé des informations culturelles et personnelles autour du vin, ainsi que des informations
techniques liées au fonctionnement du blog. Le producteur a souhaité réunir les participants
lors d’une rencontre physique à l’occasion des vendanges afin de souligner l’aboutissement de
l’expérience. Par ailleurs, la rencontre physique est devenue une attente forte au cours de
l’expérience. Pour les participants qui se sont rendus sur le lieu de production, cette rencontre
s’est révélée une étape indispensable dans l’aboutissement de l’expérience. L’un des
bloggeurs souligne :
« C’était l’aboutissement de pouvoir le faire et de le faire là-bas. Je trouvais sympa de
le déguster là-bas. Je ne dirais pas que c’était émouvant parce ce que cela reste un vin
mais c’était quand même une émotion de voir cette belle étiquette avec son nom
dessus. » (O.)
L’outil Internet qui a été retenu pour sa rapidité d’interaction entre des participants
géographiquement éloignés et permettant d’associer un produit de terroir à un mode de
communication innovant a néanmoins été source d’aspects négatifs pour les participants.
Cette proximité virtuelle s’est avérée difficile à appréhender à deux égards. Au cours du
projet, le vigneron a dû relancer à de nombreuses reprises, notamment par téléphone, les
participants sur leur avis et leurs opinions quant aux décisions à prendre. Malgré l’espace
d’expression cédé par le producteur aux consommateurs, ces derniers ne se sont pas investis
comme prévu par le vigneron :
« En fait c’était moi le moteur et j’espérais que je ne sois pas le seul moteur mais qu’il
y ait un petit peu plus de connexions entre les gens. Ils ne se sont pas rencontrés,
c’était peut-être un peu illusoire ce que je dis mais il fallait vraiment que je sois
derrière pour que ca bouge. Que je sois à la relance en permanence pour que ca
bouge. » (R.)
En effet, le nombre de messages émis sur le blog (cent six) ou par le biais des courriers
électroniques (quatre-vingt huit) soulignent finalement le peu d’échanges au sein de la
communauté.
D’après un bloggeur :
« Le blog a été un outil sous-exploité, (…), Je ne sais pas si tout le monde avait un
agrégateur de flux. C’est vrai qu’une véritable animation du blog aurait dopé le projet.
Cela aurait été plus dynamique. » (O.)
3.2. Source de valorisation de la co-création d’un vin
A partir des verbatim issus des blogs, des courriers électroniques et des entretiens
semi-directifs, les sources de valorisation de l’expérience sont identifiées.
Des valeurs cognitives
- Acquérir des connaissances
Cette composante est l’une des dimensions principales de l’expérience. Le contexte du vin
revêt une dimension culturelle lié à la connaissance des cépages, de la culture de la vigne, de
la vinification ou de la dégustation.
« J’ai pu découvrir la réalisation du vin au cours des différentes étapes en le vivant de
près entre guillemets. » (F.)
- S’amuser à assembler, inventer
L’expérience de co-création, que ce soit dans la phase d’assemblage, dans la recherche du
nom de la cuvée et des mentions présentes sur la bouteille, est assimilée au jeu comme le
suggère les termes utilisés par les participants.
« Gaston Lagaffe, c’était une partie ludique de l’expérience aussi. » (S.)
- Aboutir à un résultat
L’expérience s’étant achevée quelques mois auparavant, elle a donné lieu à un bilan réalisé
par les participants entre les attentes qu’ils avaient de l’expérience et le résultat final.
« Disons que ce qui était bien c’est qu’il s’agissait de voir toutes les étapes
progressivement, (…), C’était le but et je dois dire que l’objectif est atteint pour ma
part. » (O.)
Des valeurs hédoniques
- Prendre plaisir à participer à une expérience originale
« C’était rigolo de faire des choses avec des gens…. Voilà c’est la nouvelle génération
Internet. C’était chouette. » (A.)
Des valeurs éthiques
- Soutenir un producteur, une démarche
Au-delà de la participation au processus de co-création, la participation financière symbolise
un acte de soutien fort au vigneron, une démarche solidaire autour du porteur du projet.
« Du coup j’avais envie de soutenir la démarche. Ce qui avait à la clé c’était aussi de
par nos cotisations de lui permettre de faire ses investissements, (…) une démarche de
solidarité qui me parle avec cette idée de soutenir la structure. » (E.)
- Prendre conscience du métier de vigneron
De nombreux participants soulignent leur prise de conscience à l’égard du métier de vigneron
et des difficultés inhérentes au statut du petit producteur. Ils ont pénétré dans la réalité de ce
métier par le biais de cette expérience.
« C’est la prise de conscience de tout le travail qu’il y a derrière. On peut dire ça me
plait ou ça me plait pas mais il faut respecter tout le travail qu’il y a derrière. » (P.B.)
- Partager le « pouvoir »
Certains participants valorisent la démarche par l’espace d’expression et d’autonomie qui leur
est accordé par le vigneron. Les verbatim suggèrent une admiration à l’égard du vigneron et
plus précisément de la démarche mise en œuvre.
« Je suis impressionné par cette démarche vers le consommateur. On était quand
même un public d’amateur avec certains qui sont assez présents sur Internet, ce n’était
pas la voie la plus facile. » (P.B.)
Des valeurs liées à l’expression de soi
- Renforcer l’estime de soi
Pour l’un des participants, par ailleurs bloggeur reconnu, il était inconcevable de ne pas
participer à une telle expérience. Les deux bloggeurs ont par exemple relayé leur participation
à ce projet sur leur propre blog. Une autre participante souligne :
« Moi j’ai participé à l’élaboration d’un vin, (…), j’ai touché un peu mon rêve, un petit
peu du bout des doigts. » (A.)
- Etre un participant parmi les autres
Cette dimension de l’expérience est tout particulièrement valorisée par les amateurs non
experts qui soulignent que la dimension virtuelle et les interactions par le biais du blog leur
ont permis de s’exprimer librement.
« Pour moi c’était plus simple et c’était une bonne manière de procéder de le faire de
manière virtuelle, cela mettait tout le monde au même niveau, tout à plat ». (S.)
Des valeurs liées à la pratique sociale
- Rencontrer un producteur, d’autres amateurs
La rencontre avec un producteur et des amateurs par Internet apparaît comme source de
valeur. Néanmoins, limiter les interactions à l’outil virtuel dans le temps peut s’avérer
destructeur de valeur. La rencontre physique s’est révélée être une attente forte au cours de
l’expérience. Les sentiments à l’égard de cette dimension sont ainsi très partagés au sein des
verbatim.
« L’idée d’être regroupé avec des gens très différents (…), puisqu’il y avait plusieurs
œnologues dans le projet et à la fois des gens qui ont juste le goût du vin voire l’amour
du vin. » (E.)
- Vivre une expérience aux côtés de son bloggeur favori
La présence de deux bloggeurs « célèbres » du monde virtuel du vin a été appréciée par
certains participants. L’un d’entre eux souligne que sa motivation principale n’était pas la
rencontre d’amateurs mais a apprécié de constater la présence de son bloggeur favori.
« Je suis de nature asociale ! (…) quand j’ai vu que Olif participait mais je ne le savais
pas. C’est une fois inscrit que j’ai vu qu’il était dans la liste des participants. Je suis un
grand fan de son blog depuis longtemps, j’adore son humour, il est énorme et
j’adhère ! » (F.)
Les résultats présentés ci-dessus peuvent être représentés schématiquement de la façon
suivante :
Figure 1. Représentation de l’expérience de co-création d’un vin et
sources de valorisation
L’étude de ce cas permet de distinguer deux niveaux de l’expérience. Le premier est
celui de l’expérience collective. Les interactions au sein du groupe ont donné lieu à des
pratiques sociales et notamment à un partage d’informations culturelles, personnelles en lien
avec l’objet à co-créer, qui était dans ce cas un vin. Le second niveau concerne l’expérience
individuelle des participants en interaction avec le support de communication, soit le blog ou
les messages électroniques. Grâce à celui-ci, les participants ont pu interagir avec le vigneron.
Ces interactions ont été sources de valorisation cognitive, hédonique, éthique tout en
permettant au participant d’exprimer leur passion et leur goût pour le vin.
4. Discussion des résultats
Tous les participants ne se sont pas impliqués avec la même intensité malgré
l’engagement financier propre à cette expérience de co-création. Etgar (2008) s’est intéressé
au processus de décision de s’engager ou non dans un processus de co-production6 dans le
contexte des produits utilitaires. Il souligne le rôle des ressources temporelles et celui de la
compétence comme variable déterminante dans cette prise de décision. Le consommateur
serait ainsi capable d’évaluer ses propres ressources avant de s’engager. Néanmoins, dans
certains cas les participants n’ont pas réellement conscience des ressources nécessaires à
mobiliser lors d’une telle expérience. Des coûts psychologiques et des coûts temporels sont
6 Terme utilisé indifféremment pour co-production et co-création.
apparus lors de la phase de consommation de l’expérience. Au delà des ressources, certains
consommateurs ne semblent pas prêts à s’engager dans des processus où ils peuvent
bénéficier d’un certain espace d’autonomie et finalement de contrôle. Par ailleurs, les
participants ont fait preuve d’empathie à l’égard du métier de vigneron qui bénéficie d’une
certaine aura. Tout au long de l’expérience, ils ont essayé de trouver des compromis entre ce
qui leur plaisait sur un plan gustatif ou esthétique et ce qui pouvait être vendu par le vigneron.
Si la dimension hédonico-sensorielle de l’expérience (Roederer, 2012) est présente à
travers les séries de dégustation, il est à noter que le fait de se rendre sur le lieu de production
est une dimension fondamentale dans ce type de co-création. Tout d’abord, le fait de voir le
lieu de production et de rencontrer personnellement le vigneron est une composante
importante pour tout amateur de vin et ce, quel que soit le niveau de connaissances. Ensuite, il
y a la dimension liée au terroir et au fait d’observer par soi-même les caractéristiques de
l’environnement du vigneron (terroir, lieu de vinification et d’élevage du vin, lieu d’habitation
du producteur). En ce sens, l’interaction offline est une étape nécessaire dans la construction
d’une relation avec le producteur et les autres amateurs.
Les résultats soulignent que la participation à un tel processus comprend de multiples
sources de valorisation, dont celle que nous avons intitulée éthique. Bien que soulignée par
Holbrook (1999), cette dimension peut faire écho dans le contexte de notre étude à la notion
d’ethical surplus mise en lumière par Arvidsson (2011). Selon cet auteur, elle correspond à la
valeur supplémentaire issue de l’implication, de l’engagement et de la mobilisation des
ressources dans le contexte d’une co-production sociale. Sans aller jusqu’à un contrôle sur la
production, les consommateurs ont valorisé l’espace d’autonomie et d’expression accordés
par le producteur. Par ailleurs, les valeurs symboliques liées à l’expression de soi ont été
fortement exprimées. Une telle expérience contribue à légitimer l’identité du participant en
tant qu’amateur de vin. Elle agit comme une consécration en donnant l’illusion au profane de
passer dans le monde sacré des professionnels. Si la cave à vin peut être un objet de
matérialisation de la passion (Belk, 1988), dans ce cas c’est l’expérience qui consacre et qui
se concrétise par le nom du participant sur la bouteille.
Conclusion
L’enjeu de notre étude était double. Il s’agissait d’une part d’investiguer un processus
de co-création dans le cas d’un produit à fortes dimensions culturelles et symboliques et
d’autre part, de comprendre quelles étaient les sources de valeur associées par les participants.
Le champ étudié, jusque là non investigué, nous a conduits à réaliser une étude de type
exploratoire. Le cas a permis de s’intéresser à une expérience spécifique dans la mesure où
celle-ci a été réalisée à partir d’interactions physiques avec l’objet à créer et virtuelles dans les
échanges avec le producteur et au sein de la communauté. L’étude avait donc pour but de
comprendre l’expérience de co-création d’un vin et d’identifier les sources de valorisation du
point de vue des participants.
D’un point de vue théorique, l’étude montre qu’en dépit du pouvoir comme source de
valorisation de l’expérience, les participants se sont en pratique peu engagés sous la contrainte
de leurs ressources temporelles ou cognitives. Les développements récents sur la co-création
de valeur (Prahalad et Ramaswamy, 2004 ; Vargo et Lusch, 2008) ou ceux du customer
engagement (van Doorn et al., 2010) reposent sur le principe d’une participation active du
consommateur. Néanmoins, ce cas précis souligne qu’un engagement financier ne suffit pas à
créer un engagement comportemental de la part de tous les participants. Ainsi la moitié des
participants n’a peu voire pas du tout participé. Tous les consommateurs ne sont pas prêts à
s’engager en dépit de leur connaissance et même de leur goût pour le vin. Finalement, n’est-il
pas plus confortable pour eux de rester des consommateurs lambda ?
D’un point de vue managérial, cette étude souligne que la participation à la co-création
d’une offre constitue une expérience complexe et source de multiples valeurs du point de vue
du consommateur contingente de l’objet à co-créer.
Cette recherche présente néanmoins des limites liées au contexte de l’étude. Il s’avère
indispensable de rappeler la particularité du contexte de l’étude de nature exploratoire. De
nombreuses questions restent en suspends. Si nous avons abordé l’expérience de co-création,
nous n’avons pas traité la valeur issue du produit créé collectivement. Du point de vue du
producteur, il serait intéressant de souligner les effets en terme de performance. La
commercialisation récente des 2000 bouteilles du vin collectif, auprès de cavistes en France
par le vigneron, ne permet pas d’observer à ce jour les effets d’une telle action. Du point de
vue du consommateur, il serait intéressant d’étudier les effets de la participation en termes
d’implication dans la catégorie de produits ainsi qu’en termes d’engagement comportemental
vis-à-vis du producteur.
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