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Le code de la famille

Perceptionset pratique judiciaire

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Maquette et pré-presse : Diwan 3000Impression : ImprimElite

Dépôt légal : 2007/0583ISBN : 9954-76-026-9

Les opinions et les idées présentes dans cet ouvragen’engagent que leurs propres auteurs-res.

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Le code de la famille

Perceptions

et pratique judiciaire

Malika Benradi • Houria Alami M’chichiAbdellah Ounnir • Mohamed Mouaqit

Fatima Zohra Boukaïssi • Rabha Zeidguy

Janvier 2007

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Remerciements

La Fondation Friedrich-Ebert et l’équipe de recherche remercientparticulièrement le Ministère de la Justice qui a accepté de recevoiret d’écouter les membres de l’équipe et qui a permis que lesentretiens soient menés dans de bonnes conditions.

Nos chaleureux remerciements s’adressent également à tous lesmagistrats et aux avocats qui ont bien voulu donner de leur temps etont accepté volontiers de répondre aux questions de l’entretien.

Que toutes celles et tous ceux qui ont contribué à la réussite de cetteétude trouvent ici l’expression de notre gratitude.

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L’ouvrage Féminin Masculin, qui a fait le bilan de l’évolution del’égalité de 1993 à 2003, avait conclu que la promulgation d’un nouveaucode de la famille figure parmi les acquis majeurs des dernières années.

C’est précisément une lecture de l’impact du nouveau code de lafamille, entré en vigueur en février 2004, que l’étude réaliséeaujourd’hui propose.

La réforme est en marche. Mais comme toute réforme juridique, cetexte ne vaut que par son appropriation par la société et par lesinstances judiciaires et par son application dont le respect incombeessentiellement au corps des magistrats. Ce sont ces terrainsd’investigation que cette recherche a tenté d’explorer.

Certes, les questions qui touchent au nouveau code de la famillesont brûlantes et neuves, et deux ans et demi d’application ne sontpas suffisants pour en faire une évaluation correcte. Comme toutprocessus de changement, particulièrement quand il s’agit dementalités, de comportements et de représentations culturelles, desconclusions nettes sont difficiles à dégager.

Malgré ces limites, cette étude a été jugée nécessaire et menée àtravers la réalisation d’enquêtes par une équipe de chercheurs de profilsdifférents, tous et toutes animés-es par la conviction qu’il fautaccompagner les changements sociaux favorables à l’égalité hommes-femmes et offrir au grand public, aux chercheurs, aux praticiens et auxprincipaux intervenants du droit de la famille quelques élémentsobjectifs de connaissance et de compréhension.

Cet ouvrage en présente les résultats.

Préface

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8 Le Code de la famille

Les réflexions présentées sur cinq chapitres proposent un mode delecture transversale reliant les représentations de la nouvelle réalitépar les citoyens ordinaires, les justiciables et les juges aux pratiquesjuridiques issues des nouvelles règles, à travers l’observation desaudiences et l’examen des jugements.

Conformément à ses objectifs et grâce à la rigueur scientifique del’observation, à la diversité des angles d’attaque et à la comparaisondes différents champs d’analyse, l’étude a permis de noter lesavancées dans les mentalités et dans l’exécution des règles appliquées,et de donner quelques indications sur les résistances.

Elle a ainsi ouvert la voie à de nouvelles interrogations quipeuvent contribuer à faire avancer la question de l’égalité de genre.

Wafa Moussa

Responsable de Programmes Fondation Friedrich Ebert

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Sommaire

IntroductionMalika Benradi . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 13

Chapitre I. Changement social et perceptionsdu nouveau code de la familleHouria Alami M’chichi . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 27

Introduction . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 271. Mutation dans les relations familiales et rôle de la loi . . . . . . . . . 28 2. La problématique générale . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 313. Stratégie de la recherche . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 33

I. L’identification de l’échantillon . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 361. Les caractéristiques socio-démographiques de l’échantillon . 362. Les caractéristiques socio-économiques de l’échantillon . . . . 38

II. La dimension cognitive du nouveau code . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 431. Niveau et sources d’information . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 432. Un fort besoin d’informations . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 47

III. Le principe d’égalité : une conception paradoxale . . . . . . . . . . . . . . . . 481. Une large adhésion au principe de l’égalité . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 482. … Confortée par une opposition massive aux violences

conjugales . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 503. Mais une compréhension incertaine du sens de l’égalité

et de la nouvelle philosophie du code de la famille . . . . . . . . . . . . 534. Une acceptation relativement limitée du nouveau code . . . . . 545. Le partage des tâches familiales comme indicateur de

changement . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 56

IV. Du principe à la réalité : l’égalité juridique homme-femmeau sein de la famille en question . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 601. Les perceptions contrastées de la juridiciarisation . . . . . . . . . . . . . 602. Les appréciations de la disposition relative à la

co-responsabilité . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 613. Les méandres de la redéfinition de la citoyenneté des femmes 624. Les appréciations de la disposition relative à la

co-responsabilité . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 585. Un seuil difficile à dépasser : le partage des biens acquis

tout au long du mariage . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 69

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V. Une vision d’ensemble contrastée . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 721. Des potentialités réelles de changement . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 722. L’appréciation des résistances . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 763. La communauté d’opinions entre générations . . . . . . . . . . . . . . . . . . 81

Conclusions . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 85

Chapitre II. Les justiciables dans le circuit judiciairerelatif au contentieux de la familleAbdellah Ounnir . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 89

Introduction . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 89

I. La fiche d’identification . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 921. L’âge . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 922. L’état civil . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 933. Le niveau d’instruction . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 944. La situation familiale et la profession . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 94

II. L’action en justice . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 951. La date de l’action . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 962. La nature de l’action . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 97

III. Le circuit judiciaire . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 1151. Le temps de réflexion . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 1152. Les autres modes de règlement utilisés pour résoudre

les conflits conjugaux . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 1163. Les personnes ou institutions ayant encouragé l’action en

justice . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 1214. Les frais de justice . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 1225. Le procès . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 1246. L’avis des justiciables sur leur passage devant le juge . . . . . . . . . 1297. Evaluation du jugement prononcé . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 1328. Les modes d’exécution des décisions de justice . . . . . . . . . . . . . . . . 1339. Usage d’autres modes de résolution de conflits . . . . . . . . . . . . . . . . 135

10. Solutions proposées pour la résolution des litiges familiaux . . 135

Conclusion . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 136Recommandations . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 138Bibliographie . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 139

Chapitre III. Disposition culturelle/axiologique du jugeet interprétation du nouveau code de la familleMohamed Mouaqit . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 141

I. Méthodologie et grille d’analyse . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 144

10 Le Code de la famille

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1. Enquête . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 1442. Approche sociologique et approche juridique . . . . . . . . . . . . . . . . . . 146

II. Eléments d’analyse . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 1481. Profil du juge . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 1492. Potentiel herméneutique du nouveau code de la famille

et pouvoir d’interprétation du juge . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 1573. L’opinion judiciaire entre positivisme, fiqhisme et moralisme . . 172

Conclusions générales . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 187

Chapitre IV. Du déroulement des audiences à la Section de laJustice de la famille près les tribunaux de première instancede RabatFatima Zohra Boukaissi . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 189

Introduction . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 189

Section 1. L’enregistrement de l’action . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 190

Section 2. L’accès au tribunal et aux salles d’audience . . . . . . . . . . . . . . . . 191

Section 3. Le déroulement des audiences . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 195

Conclusion . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 215Recommandations . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 216

Chapitre V. Analyse de la jurisprudenceRabha Zeidguy . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 217

Introduction . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 217I. Le juge face au divorce judiciaire . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 217

1. Le juge et le divorce judiciaire pour raison de discorde« chiqaq » . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 221

2. Le juge et le divorce judiciaire pour défaut d’entretien . . . . . . . 2373. Le juge et le divorce judiciaire pour préjudice subi . . . . . . . . . . . . 2414. Le juge et le divorce judiciaire pour absence de l’époux . . . . . 247

II. Le juge et le divorce judiciaire par consentement mutuel . . . . . . 250III. Le juge et les effets de la dissolution du mariage . . . . . . . . . . . . . . . . . . 252IV. Le juge et la répartition des biens acquis pendant le mariage . 260V. Le juge et la représentation légale . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 262VI. Le juge et l’exequatur des jugements étrangers . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 264VII. Le référentiel du juge . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 268Conclusion . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 269

Synthèse généraleHouria Alami M’chichi, Malika Benradi . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 273

11Perceptions et pratique judiciaire

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Dans l’espace culturel arabo-musulman, la famille est considéréecomme l’institution sociale centrale. Toutes les constitutions des Etatsde la région la définissent comme l’unité de base de la société.L’importance accordée à la cellule familiale fait du droit de la famillela discipline juridique la plus sensible. Espace culturel par excellence,il traduit l’identité nationale. C’est en ce sens que S.M. le RoiMohammed VI a affirmé, lors du discours du Trône du 30 juillet 2005 :« …Nous confirmons Notre ferme volonté de conforter et consoliderles avancées majeures, couronnées par le Code de la famille qui aconsacré des droits et des obligations fondés non seulement sur leprincipe d’égalité entre l’homme et la femme, mais également etessentiellement de préserver la cohésion de la famille et de protégerson identité nationale authentique (1). »

L’institution familiale évolue aujourd’hui dans un double dilemme :celui du changement du statut des femmes au sein de la famille et celuide l’éclatement de la famille élargie. Elle traverse une crise profondequi ne l’empêche pourtant pas de continuer à être la cellule de basede la société et le révélateur privilégié de la diversité des cultures. Lesrègles qui la régissent ne peuvent être déterminées et définies par lesseules ressources d’une technique juridique abstraite. Le lien familial,empreint d’affection et de sentiments, est trop essentiel à l’individuet à la société pour que le droit, qui en régit la constitution, les effetset la dissolution, ne soit pas fortement imprégné par la morale, lareligion et par les mœurs dominantes. C’est la raison pour laquelle, la

IntroductionMalika BENRADI *

* Professeure de l’enseignement supérieur à la Faculté de droit de Rabat-Agdal.(1) Cf. Discours du trône du 30 juillet 2005, in Le Matin du Sahara du 31 juillet 2005.

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14 Le Code de la famille

famille n’est jamais laissée à l’anarchie, au désordre ou à la liberté desindividus.

L’Etat s’attache à réglementer les rapports familiaux et à déterminerleur rôle et leurs effets sur l’ensemble des relations sociales. Mais autantcet « interventionnisme » de l’Etat est important dans le domaine dela famille pour la protection et la reconnaissance du statut despersonnes, autant il traduit des enjeux politiques importants qui, dansla sphère culturelle arabo-musulmane, ont depuis longtemps opposéles conservateurs – traditionalistes – aux modernistes, partisans del’égalité. De ce fait, la famille devient un rouage de l’Etat et uninstrument de régulation sociale où se mêlent la tendance versl’émancipation des femmes et le désir de conservation des traditions,le tout confondu dans un dilemme entre l’affectif et le juridique, lesubjectif et l’objectif, l’interdit et le permis.

Plus encore, dans la sphère culturelle musulmane, les droitsfamiliaux étant énoncés sur la base du référent religieux, leurévolution demeure soumise aux lectures faites par les différentes écolesdes préceptes coraniques et de la Sunna. De ce fait, la capacité pourle droit de la famille de prendre en considération les mutations socialesreste hypothéquée par les lectures restrictives qui ont dominél’histoire du droit de la famille dans le monde musulman et les droitsdes femmes s’en trouvent par conséquent limités.

Compte tenu des enjeux de la question, l’ambivalence du systèmejuridique consacrera de ce fait, une certaine schizophrénie juridiquequi opposera les droits reconnus aux femmes dans l’espace public àceux qu’elles exercent dans l’espace privé. Cette opposition alimenteratous les débats et toutes les polémiques sur la spécificité etl’universalité et continuera d’opposer les partisans de la tradition auxpartisans de la modernité.

Au Maroc, l’évolution des indicateurs montre que la situation desfemmes a connu une amélioration très nette à partir des années 90.Le rôle des femmes, dans tous les espaces, est devenu plus visible auniveau de l’éducation, de l’accès au marché de l’emploi, au niveau deschamps politique et religieux et des sphères de décision(2). Si, dans lechamp public, de nombreuses mesures ont vu le jour sans contestation,en revanche, chaque fois que les tentatives d’amélioration ont visé

(2) Cf. Rapport national du Développement humain, 2005.

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15Perceptions et pratique judiciaire

l’espace privé, elles se sont heurtées à de nombreux obstacles et à degrandes résistances. C’est pourquoi la réforme de la Moudawana de2004 a été considérée comme une révolution juridique. En soumettantcertaines institutions, comme la polygamie ou les différentes modalitésde dissolution du lien matrimonial, à de sévères conditions et aucontrôle des juges, en instaurant des dispositions égalitaires et encréant des mécanismes de garantie, le nouveau code constitueindéniablement une avancée et une étape importante dans l’évolutionde la société.

La philosophie égalitaire qui fonde le nouveau code de la familletente de réduire les contradictions entre les droits reconnus auxfemmes dans les espaces public et privé. Son adoption apparaîtd’emblée comme une heureuse initiative qui s’inscrit dans lerapprochement des logiques qui sous-tendent ces deux espaces.Cependant, si l’initiative est heureuse, l’entreprise paraît difficile. Elleoblige à analyser l’impact qu’exercent les nouvelles dispositions dece code sur les rapports hommes – femmes au sein de la famille, surles chances de leur respect, dans une société marquée parl’infériorisation des femmes, et à dégager les moyens à mettre en œuvrepour faire de ce code un véritable projet de société.

Basé sur un triple référentiel et sur une lecture ouverte auxexigences sociales actuelles, le nouveau code de la famille a innovésur le plan du fond et de la forme. Il a adopté une nouvelleterminologie juridique, puisée dans la philosophie des droits humainset dans la culture de l’égalité. Dans le souci de consacrer l’égalité desconjoints en droits, en devoirs et en obligations, d’assurer l’équilibrede la famille et de garantir le respect des droits de l’enfant, le nouveaucode a introduit de nouvelles dispositions dont le respect incombe,certes à toutes les composantes de la société marocaine, maisessentiellement à la responsabilité du corps des magistrats.

Dans la mesure où un code ne vaut que par son application, il estnécessaire d’interroger son appropriation par la société et par lesinstances judiciaires.

1. Problématique

Si la responsabilité du système politique dans la consécration del’Etat de droit est indéniable, il n’en demeure pas moins que la capacité

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du système judiciaire à consacrer l’égalité des conjoints et à opérerles changements qualitatifs attendus s’inscrit dans la logique mêmede l’Etat de droit et en constitue l’aboutissement.

L’application du nouveau code de la famille est au cœur du débatsur la citoyenneté des femmes. A ce titre, elle responsabilise en premierlieu le système judiciaire marocain. Vecteur du changement, il est leprincipal garant de l’application du principe de l’égalité. L’interprétationfaite par les juges est susceptible de montrer leur engagement àtraduire le principe de l’égalité dans la réalité.

Dans quelle mesure le corps des magistrats pourra-t-il jouer ce rôlepour consacrer réellement l’égalité dans les relations conjugales, pourgarantir l’équilibre au sein de la famille et protéger davantage les droitsde l’enfant, dans un pays où l’histoire a consacré l’ambivalence et ladualité du système juridique ?

Ce projet de société interpelle également les attitudes et lescomportements des justiciables et de l’opinion publique en général,acquise depuis longtemps à la dualité du système juridique etconsidérant souvent certaines discriminations comme relevant del’ordre du naturel.

Toutes les interrogations posées, depuis l’entrée en vigueur dunouveau code de la famille, en février 2004, expliquent le besoin deconnaissance afin de saisir les dimensions cachées d’une problématiquefascinante mais difficile :

– difficile par sa sensibilité et sa complexité, dans la mesure où elleimplique tout à la fois le droit de la famille, la procédure civile, lasociologie juridique, la sociologie politique, la psychologie sociale….

– fascinante parce qu’elle pose dans sa globalité le problème desinterrelations entre les droits humains, qui apparaissent de plus en pluscomme l’élément transcendant et fédérateur des sociétés modernespar-delà leur diversité, et le droit de la famille, pilier culturelfondamental de chaque société.

A cette demande persistante qui interroge essentiellementl’application du nouveau Code de la famille par les juges, a corresponduun ensemble d’activités, quantitativement importantes, qui s’inscriventdans un mouvement d’interpellation des instances judiciaires et desensibilisation de l’opinion publique.

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Pour situer la démarche adoptée dans son contexte, en montreréventuellement les lacunes et les insuffisances, il s’est avéré utile dese livrer à une revue cursive des travaux ayant abordé ces questions.

2. Recherche documentaire

Le problème de l’application de la Moudawana n’est pas nouveau.Mais l’étude scientifique de la question est récente, d’autant plus qu’elletouche le nouveau Code de la famille.

Les travaux consacrés à la question de l’application du nouveau Codede la famille peuvent être rangés en trois catégories (3) :

1. Des activités qui visent la connaissance et la sensibilisation :plusieurs rencontres, organisées aussi bien par les instancesuniversitaires (la plupart des facultés de droit) que par les associationsféminines et de droits humains, n’ayant donné lieu à aucunepublication, s’inscrivent dans la logique de la commémoration de ladate d’adoption du texte, pour reprendre souvent l’analyse duprocessus ayant abouti à l’adoption du texte. La question del’application revient uniquement comme une interrogation importantevoire une recommandation incontournable (Amaazone, février 2006,Casablanca).

2. Des activités d’évaluation, initiées sur la base d’enquêtes deterrain, menées auprès de certains tribunaux.

– L’enquête réalisée à Casablanca et à Tétouan par l’ADFM, avec lesoutien de UNIFEM, dont les résultats, attendus pour mars 2006, n’ontété rendus publics qu’en juillet. Elle met en avant les obstacles matérielsauxquels se heurtent les juges (absence de moyens, de ressourceshumaines…), insiste sur le manque de formation et souligne lesrésistances des juges à donner application au principe de l’égalité, dansun contexte où les mentalités n’ont pas suivi les mutations sociétalesimportantes qu’a connues le Maroc.

– La publication, par la LDDF, de deux rapports, évaluant lapremière et la deuxième année de mise en application du nouveaucode de la famille, donne des chiffres largement contestés par le

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(3) Nous laisserons de côté les nombreux articles de journaux posant la question, quiconstituent une revue de la presse consultable sur le site « Réforme de la Moudawana auMaroc », document pdf, 40 pages.

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ministère de la justice. Les rapports, se basant sur des chiffres, ensélectionnant certaines dispositions relatives à l’âge au mariage, à larépudiation ou encore à la polygamie, soulignent la « mentalitérétrograde » des juges, la récurrence des stéréotypes fondés surl’intériorisation des inégalités, et semblent responsabiliser le corps desmagistrats, comme n’étant pas suffisamment imprégné de laphilosophie égalitaire dont le code est porteur. La lecture de ces deuxrapports renvoie à la démarche méthodologique adoptée, elle posepar conséquent la question qu’exige la rigueur scientifique : sur la basede quels outils méthodologiques les chiffres sont-ils présentés ?

– Le Haut Commissariat au Plan, dans le cadre de l’étude surprospective 2030 : « La femme marocaine sous le regard de son statutsocial (4) », souligne l’avancée qualitative opérée par le nouveau codede la famille mais relève de nombreuses résistances qui montrent quela société marocaine semble encore peu réceptive aux mutations degenre.

– Des enquêtes de terrain sur les mêmes questions sont lancées àMarrakech et à Oujda par deux équipes universitaires, avec le soutiende l’ambassade de France ; la présentation des résultats est prévue pourmars 2007.

3. Des activités de vulgarisation

– Au niveau international et particulièrement européen, plusieursrencontres ont répondu essentiellement au besoin de connaissancevulgarisée du contenu du nouveau code pour en montrer les avancéeset parfois les incidences sur les familles immigrées (AMERM, universitésde Bruxelles, Louvain, Liège, Paris, Pau, Metz, Grenade, Madrid,Barcelone, Rome...).

– Au niveau régional arabe, la réforme du code de la famille estperçue essentiellement comme une initiative qui renforce le processusdémocratique engagé (Bahrain, Egypte, Liban, Jordanie, Yémen…) etqui vise l’instauration de l’état de droit.

A cet égard, l’adoption du nouveau code a beaucoup fait parler duMaroc, qui devient l’exemple à suivre ; de nombreux pays musulmansétant invités à s’inspirer de cette réforme.

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(4) Rapport, septembre 2006.

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Au Maroc, les interrogations que soulève l’application du nouveaucode de la famille se multiplient et donnent naissance à uneinquiétude grandissante. Inquiétude exacerbée par certains écrits etrapports publiés évaluant l’application du nouveau code. Peut-on àjuste titre, après deux ans d’application, évaluer véritablement un textedont les dimensions sont multiples et dont certains conflits n’ont pasencore franchi la porte de la Cour suprême, appelée à trancher desquestions de droit très sensibles (recherche de paternité/ADN,répartition des biens acquis pendant l’union conjugale aprèsséparation…), à unifier la jurisprudence marocaine et à alimenter ledébat doctrinal ?

Les aspects positifs de cette réforme, largement médiatisés par ledépartement de la Justice, ont suscité un important débat dans lasociété. Face à l’optimisme exprimé, dans de nombreuses occasions,par le ministère de la Justice, se basant sur des statistiques quiindiquent la chute du nombre des répudiations au profit de laprocédure du Chikak, la baisse des unions polygames et le recul desmariages précoces (cf. rapports du ministère de la Justice), certainesassociations publient des bilans plutôt négatifs qui soulignent lapersistance des mariages avant 15 ans, des autorisations de polygamieet des abus en matière de répudiation. La responsabilité des juges estinterpellée, la réticence voire la résistance des magistrats à laphilosophie égalitaire du nouveau code de la famille étant considéréecomme un obstacle (cf. rapports de la LDDF).

La famille comme lieu de construction démocratique est lepremier espace où l’égalité entre les conjoints pose problème. C’estl’espace où la philosophie des droits humains a le plus de mal à s’ancrer.Selon le premier rapport de la LDDF, malgré l’avènement du nouveaucode, les rapports entre les conjoints au sein de la famille nesemblent guère échapper à l’emprise du pouvoir masculin et à lalogique du système patriarcal, logique qui continue à dominer lesmentalités de certains magistrats.

Cette logique est-t-elle entretenue par les attitudes et lescomportements de l’opinion publique ? Est-elle remise en cause parles justiciables, hommes et femmes, parties aux procès judiciairesfamiliaux ? Est-elle consacrée par les juges, appelés à interpréter et àappliquer les nouvelles dispositions du code de la famille ?

19Perceptions et pratique judiciaire

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3. Objet de l’étude

L’étude initiée par un groupe de chercheurs/res avec le concoursde la fondation Friedrich Ebert, entend répondre à plusieurs questions,se situant à différents niveaux :

Au niveau des perceptions, d’importantes questions se posent :

– Comment les Marocains et les Marocaines ont-ils/elles accueillila réforme du code de la famille ?

– Sont-ils/elles informés-es de son contenu égalitaire ? Comment ?

– Comment est perçu le changement du pouvoir marital ?

– Quelles sont les dispositions égalitaires qui suscitent le plus derésistance, soulèvent le plus de débat, provoquent le plus de rejet ?

Au niveau des instances judiciaires, de nombreuses questions seposent également, elles interpellent d’abord les justiciables dont lesopinions s’inscrivent dans la continuité de l’enquête auprès del’opinion publique, et les juges chargés de l’application du code ensuite.

– Les justiciables

Comment, concrètement, les justiciables perçoivent-ils/elles leschangements et à quel niveau ? Est-ce au niveau du contenu ou dela procédure ? Comment perçoivent-ils/elles le rôle des juges destribunaux de famille dans la résolution des conflits familiaux ?Comment apprécient-ils/elles leurs décisions ? Comment jugent-ils/elles les procédures ? Que pensent-ils/elles des moyens mis à ladisposition des juges ? Comment perçoivent-ils/elles les changementsconsacrés par le code au niveau de la pratique ? Quel sens donnent-ils/elles à l’égalité au sein de la famille ? Quelles sont leurs demandes,leurs attentes et leurs aspirations ?

– Les juges

Comment les juges donnent-ils application à ces nouvellesdispositions ? A travers quelle compréhension, quelle interprétation destextes ? Quel référentiel privilégient-ils dans leur effort d’interprétationen cas de lacunes ou d’insuffisance du texte ?

La socialisation du juge, sa formation, son itinéraire professionnel,son rôle, sa fonction idéologique, ses convictions, les contraintes…

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exercent-ils un impact sur sa vision, sur le conflit conjugal qu’il est tenude résoudre ?

– Les convictions personnelles, en tant que citoyen/citoyenne,peuvent-elles – doivent-elles – s’exprimer dans le pouvoir d’appré-ciation dont les dote le législateur ?

– Quelle est la compréhension des juges des nouvelles dispositionsdu code de la famille ?

– Ont-ils suffisamment saisi le message « politique » du législateur ?Se sont-ils appropriés, dans leur pratique, la philosophie du nouveaucode ? Où se situent les résistances ?

– Le déroulement des audiences :

Il s’agit d’observer le déroulement des audiences, d’analyser soncadre matériel, d’apprécier le cadre juridique et d’appréhender lesrelations des justiciables et des avocats-es avec l’instance du jugement.

Les moyens, les lenteurs de la machine judiciaire, le respect desprocédures, le respect des justiciables… sont-ils les seuls obstacles,ou peut-on en déceler d’autres ?

– Les jugements rendus

Le contenu des jugements prononcés : confirme-t-il ou infirme-t-il le discours des juges, leurs positions à l’égard des nouvellesdispositions du code de la famille ? Comment les juges justifient-ils/ellesles décisions relatives aux différents conflits familiaux ? Sur la base dequel référentiel sont rendus les jugements ? Comment sont justifiéesles nouvelles modalités de dissolution du lien conjugal, le partage desbiens acquis durant l’union conjugale... ?

Certaines dispositions ont-elles facilité le règlement des conflits ouau contraire les ont-elles compliqué davantage ? Par leurs décisions,les juges participent-ils/elles à la déconstruction des rapports sociaux,ou participent-ils/elles au maintien des discriminations ?

Les réponses à ces questions constituent l’objet de cette étude quise situe au confluent de deux courants de pensée :

– le premier est constitué par l’intérêt pour le « sentencing » :processus d’élaboration de la décision judiciaire en matière deconflits familiaux ;

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– le second est représenté par l’application de la sociologie desreprésentations qui s’attache à analyser les attitudes de l’opinionpublique, des justiciables et des juges en tant que citoyens/citoyennesà l’égard du nouveau code, pour en évaluer le degré d’adhésion,comprendre les blocages et démontrer les résistances qui subsistent.

Pareille initiative explique le choix d’aborder l’étude à travers cesdeux courants de pensée.

4. Objectifs et champ de l’étude

L’objectif principal est de voir comment le principe de l’égalité dontle nouveau code de la famille est porteur, fait son chemin dans lesmentalités, les comportements et les attitudes des Marocains et desMarocaines, comment il est vécu par les justiciables, ceux et celles quicirculent dans le système judiciaire et comment il trouve application,au niveau des instances judiciaires.

Il s’agit, à travers l’analyse du droit de l’égalité, dont le code estporteur, de déceler le degré d’acceptation de cette égalité au sein dela famille par les Marocains et les Marocaines, par les justiciables etpar les juges. Autant de questions qui expliquent la pertinence desenquêtes à réaliser qui ont été articulées autour de cinq chapitres, quianalysent :

– les perceptions par les Marocains et les Marocaines du nouveaucode et le sens du changement que cela peut entraîner dans lesrelations familiales ;

– les attitudes des justiciables, en tant que « clients » du systèmejudiciaire ;

– la vision des juges, chargés de l’application du code ;

– le déroulement des audiences ;

– la lecture des décisions judiciaires.

C’est dans le cadre de cette problématique complexe et sensiblede l’égalité au sein de la famille que le projet de mener différentesenquêtes de terrain a été conçu. Facilitées par le ministère de la Justice,ces enquêtes, réalisées dans trois villes : Rabat, Kénitra et Tanger, tendentà répondre non seulement aux multiples interrogations que soulèvel’égalité des conjoints mais également à un ensemble de besoins :

– de connaissance ;

22 Le Code de la famille

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– de compréhension ;

– d’interprétation ;

– d’application ;

– de respect de l’esprit des nouvelles dispositions ;

– et d’action.

Ces besoins sont à saisir au niveau de plusieurs dimensions :

– une dimension qui interroge l’opinion publique,

– une dimension qui interpelle les justiciables, engagés dans lesprocès, depuis l’adoption du nouveau code de la famille,

– une dimension qui interpelle le pouvoir judiciaire, dans toutes sesphases ; depuis la demande exprimée par le/la justiciable, jusqu’auprononcé des jugements et les voies de recours qu’ils suscitent ;

– une dimension qui tente d’observer les audiences ;

– une dimension qui tente une lecture critique des décisionsrendues.

Ces besoins répondent également à un certain nombre d’objectifsque s’est fixés cette étude :

– Pour l’opinion publique, il s’agit de connaître la vision desMarocains et des Marocaines sur les nouvelles dispositions du codede la famille et sur le droit à l’égalité dans l’espace familial, de mesurerle degré d’appropriation et d’identifier les principales résistances auchangement que cela entraîne.

– Pour l’instance judiciaire, il s’agit d’identifier, de manière concrète,les éléments qui, dans la pratique judiciaire, perpétuent l’inégalité etdéceler ceux qui, au contraire, vont dans le sens de l’égalité.

Cette recherche axée sur l’ancrage du principe de l’égalité doitpermettre de cerner et de recouper :

– dans un premier temps, les points de convergence et ou dedivergence entre les opinions exprimées par les Marocains et lesMarocaines, par les justiciables, par les juges et par les avocats-es ;

– dans un second temps, confronter ces opinions exprimées auxjugements rendus et aux audiences observées, à travers une lecturedes sentences et une appréciation du déroulement des audiences.

Le but final est de relever, éventuellement, l’écart entre lediscours/théorie et la pratique/application.

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C’est sur la base de cette logique que les cinq chapitres se suivent.

Les juges apparaissent d’emblée comme étant les maîtres du jeu.Derrière le texte dont ils doivent assurer l’application la plus exacte,la plus juste et la plus proche de l’esprit du législateur se dresseinévitablement l’être humain. Sa formation est mise à l’épreuve devantla complexité de la question humaine et sociale, voire politique qu’estla famille. Redouté par le justiciable, respecté dans les limitesqu’impose le rôle de contrôle social représenté par la défense, qui veutgagner son procès, esclave de la volonté du législateur « politique »,de la logique du système judiciaire et de la hiérarchie administrative,le juge ne se trouve-t-il pas dépassé ? Son effort d’interprétation semblelimité par un texte où s’exprime l’ambivalence la plus significative entrel’identité culturelle et la modernité, où les multiples enjeux lerenvoient constamment au besoin de rester réaliste. De ce fait, le jugepeut paraître comme le simple gardien de normes, son implication dansle changement social fléchit sous le poids des réalités quotidiennes,qui renvoient nécessairement aux comportements et aux attitudes dela population marocaine.

Si la réforme de la Moudawana renouvelle le droit de la famille, lesjuges ont à faire un double effort, celui d’interpréter les nouvellesdispositions, selon la volonté du législateur et celui d’approfondir laconnaissance des institutions qu’ils croyaient connaître totalement etdont ils s’aperçoivent qu’ils n’en avaient peut-être pas encore fait letour complet.

Dès lors, la réflexion porte sur l’institution qui se trouve au cœurdu droit de la famille – le mariage – autour de la grande question :institution ou contrat ? Autrement dit, on est immédiatement aucontact du sacré. Le point de vue de la religion est essentiel, au pleinsens du terme. Toute investigation bien comprise doit mêmecommencer par là : car la religion a non seulement fait de la familleun concept premier, mais elle a encore, en offrant ce cadre, souventdispensé les juges de pousser plus avant leur réflexion.

La nouveauté tient aussi à la place que l’on accorde au droit de lafamille dans le système juridique : relève-t-il du droit privé, comme onl’affirme généralement, ou du droit public ? L’intérêt que porte l’Etatà la famille semble bien la situer à tout le moins aux confins du droitpublic et du droit privé. Querelle d’école ? Ce serait oublier laDéclaration universelle des Droits de l’Homme de 1948 qui proclame

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que la famille est « l’élément naturel et fondamental de la société eta droit à la protection de la société et de l’Etat ».

Pour appréhender toute la nouveauté de ce droit de la famille, ilfaut élargir les horizons. C’est dans cette orientation que s’inscrit laprésente étude.

C’est la première fois qu’une étude de cette dimension est initiéeau Maroc. Les enquêtes dirigées sur la même question ont privilégiél’analyse des positions des juges, elles n’ont pas procédé à des enquêtesauprès de l’opinion publique, des justiciables, des avocats, etnotamment à une lecture critique des décisions rendues par lesjuridictions de famille. C’est là un grand atout de la présente étude,où un nombre important de décisions rendues sur les nouvellesdispositions du code sera soumis à une analyse critique, qui tented’examiner les attendus afin de déceler l’esprit avec lequel les jugesabordent les nouvelles dispositions du code.

Cette étude ne prétend pas procéder à une connaissance exhaustivede l’appropriation du nouveau code et des changements dans lesrelations familiales par l’opinion publique marocaine, ni à uneévaluation de l’application des nouvelles dispositions, d’autant plusque la réforme est trop récente pour pouvoir dégager avec certitudede la jurisprudence des solutions constantes et induire un changementau niveau des comportements ; elle souhaite seulement souligner lespoints essentiels, les grandes tendances et souligner les nuances etles particularités.

La mobilisation politique pour le changement du droit de lafamille doit s’accompagner de la mobilisation des connaissances, cettemobilisation doit être à la mesure de l’ampleur des problèmes posés.Cette étude, limitée dans le temps et l’espace, n’a pas la prétentiond’analyser tous les aspects complexes d’une problématique trèssensible. Elle entend élargir le champ de la réflexion en interrogeantles différents acteurs impliqués dans la problématique de l’égalité. Ilne s’agit pas d’envisager les évolutions ou les consolidations d’un droitde la famille mais de considérer à travers la question de la régulationjuridique de la sphère privée les bases mêmes de l’établissement d’unordre politique particulier : celui qui concerne la démocratie dans tousles espaces et particulièrement dans l’espace privé.

Telle est l’ambition de ce travail.

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Introduction

La loi n’est pas seulement un instrument qui fixe des règles, elle estaussi porteuse de sens. Ce dernier lui-même est le résultat destransformations symboliques et pratiques qui s’opèrent dans lasociété. En même temps, le système juridique, par essence normatif,dicte des comportements qui ne sont pas indissociables des idées, c’est-à-dire des perceptions.

Ce sont là les deux aspects essentiels auxquels sont confrontés lesMarocains et les Marocaines à propos des nouvelles règles quirégissent la famille.

Au Maroc, les relations hommes-femmes ont subi de profondestransformations et la mixité dans tous les espaces est devenue uneréalité. Les femmes ayant investi tous les secteurs – économique,politique, culturel – des mutations importantes en ont résulté dans lescomportements, provoquant un rapprochement relationnel entre leshommes et les femmes. Les relations au sein de la famille n’ont pas étéépargnées par ces bouleversements sociaux. Pourtant, jusqu’à lapromulgation du code de la famille en 2004, ces relations ont continuéà être régies par des règles juridiques qui perpétuaient les hiérarchiestraditionnelles hommes-femmes au sein du foyer. Ce texte a, de fait,consacré les changements de pratiques qui se sont opérés dans lesrelations au sein du foyer. Il est l’aboutissement d’un débat intense etde confrontations de points de vue qui sont apparues comme deséléments révélateurs de la crise des représentations et de la nécessitéde la confirmation de la mutation et de sa reconnaissance juridique.

Chapitre I

Changement social et perceptionsdu nouveau code de la famille

Houria ALAMI M’CHICHI *

* Professeure de l’Enseignement supérieur.

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1. Mutation dans les relations familiales et rôle de la loi

Dans cette phase, le modèle ancien, critiqué par une frange de lasociété, a suscité des réactions de repli contenant le risque de retarderla mutation. Les résistances se sont polarisées sur les traditions et onttenté de restaurer les « valeurs anciennes » en les auréolant de qualitéssûres. Mais si la révision a eu comme objectif de donner une base légaleaux évolutions, elle allait en même temps rendre concrètes lestransformations des idées et des comportements au sein de lacellule familiale. En effet, alors que les mutations se faisaient au jourle jour, de manière empirique, sans que la conscience des changementssoit effective, la révision du droit va jeter une lumière crue sur cetteréalité, lui donner une légitimité et exiger d’une certaine façon savalidation dans les comportements (c’est-à-dire dans les faits) y comprisde ceux et de celles qui pensent ne pas y adhérer.

Or, la sphère privée est perçue comme un espace « protégé »,réfractaire à toute intrusion extérieure, un espace censé pouvoircontinuer à fonctionner sur la base de relations inégalitaires. La loi vientdonc bousculer cette certitude. En introduisant la règle de l’égalitéentre les deux conjoints, elle entraîne un changement qui marque lepassage d’une logique de subordination des femmes dans la familleà une logique de proximité et de respect mutuel entre conjoints surune base moins inégalitaire. Elle remet en cause la suprématiemasculine et bouleverse la hiérarchie traditionnelle qui fonde la famillepatriarcale et qui réduit le rôle des femmes à celui d’épouses et demères soumises légalement à l’autorité des hommes.

Il reste que cela ne signifie pas que les anciennes pratiques onttotalement disparu, tant il est vrai que le changement social n’est passynonyme de rupture entre deux conceptions des relations familialeset qu’une mutation ne chasse jamais complètement une pratiqueancienne. Bien que le processus de maturation de la révision du codeait duré près de quatre ans, il est donc impossible d’exclure l’hypothèseque des séquelles de ces confrontations perdurent et risquent de semanifester dans les perceptions du nouveau code.

L’évaluation de ces perceptions pourrait permettre de comprendrenon seulement le processus d’acceptation des nouvelles dispositions,mais aussi le poids des résistances. Plusieurs niveaux d’analyse sedégagent de ce raisonnement. Certes, la règle de droit marque en

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principe la consécration de pratiques sociales établies, mais, dans cecas, encore faut-il que ces pratiques soient avérées et que le passaged’un état à un autre soit perçu comme conforme aux besoins descitoyen-nes. Il arrive aussi que le droit soit en avance sur les pratiques.Il est alors soit chargé d’entraîner le changement. Un certain nombrede dispositions du nouveau code (comme le chikak) entrent dans cecas de figure. Les citoyen-nes ont alors à s’adapter à la nouvelle donne.

Deux sortes de conséquences en découlent : lorsque les nouvellesrègles sont comprises, acceptées et intériorisées, la société se plie sansgrande résistance à sa situation, et les réactions sont participatives.La règle juridique peut alors contribuer à donner une assise confortableaux modifications des comportements. Mais si ces mutations n’ont pasentraîné une prise de conscience suffisante et si les nouvellesdispositions heurtent les habitudes, l’adhésion peut être incertaine ;la société en est perturbée et peut développer des tendances aucontournement, voire au refus. La loi risque dès lors de ne pas remplirson rôle, au moins pendant une longue phase.

Ainsi, si le passage est « accompli », la société adhère explicitementà la nouvelle règle. En revanche, si la mutation est inachevée, desrésistances peuvent en altérer l’évolution. Tout dépend donc du niveaud’intériorisation des mutations et du niveau atteint par le processus.

La question qui s’impose est de savoir dans quelle mesure la révisiondu code de la famille a été le résultat d’un processus achevé.L’intensité des débats à la veille de la décision royale et l’ampleur desrésistances peuvent accréditer l’idée que la réponse à cette questionest négative. Cette observation peut sembler confirmée par lesrésultats des différentes enquêtes sociologiques existantes quisoulignent le fait que les Marocains et les Marocaines, lorsqu’ils/ellessont interpellé-es sur la question cruciale des rapports sociauxhommes-femmes au sein de la famille et sur leur appréciation dunouveau code, réagissent le plus souvent en manifestant deshésitations et des doutes sur le sens à donner à l’égalité et posent denombreuses questions qui oscillent entre idées anciennes et nouvelles (1).

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(1) Centre pour le leadership, Association démocratique des femmes du Maroc [2000], laPerception du genre et dispositions de la population par rapport à l’accès de la femme àla décision politique, Rabat, Publications de l’ADFM ; voir également : Alami Mchichi Houria &Benradi Malika [2002], les Marocains et les Marocaines face au politique. Quelle place pourles femmes ? Rabat, Ed. Dar El Kalam.

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L’observation empirique peut pourtant laisser croire que lesévolutions sont certaines et s’orientent vers un modèle de famille plusdémocratique.

En diffusant les mêmes règles valables pour tous et pour toutes,la loi socialise les citoyen-nes. La socialisation est un processusdynamique par lequel les hommes et les femmes intériorisent lesdiverses règles légales qui régissent les rapports qu’ils tissent entreeux et qui en font des sujets de droit, aptes à se reconnaître dans leslois de leurs pays, prêts à s’y conformer et à les critiquer si nécessaire.Dans cette optique démocratique, la loi doit être connue par tous etpar toutes. Ce qui implique un effort de vulgarisation important desprincipales dispositions.

Mais le droit n’est pas seulement le résultat des évolutions decomportements. En se donnant comme vocation d’offrir une assisesolide aux changements, il dicte aussi des comportements : il renforceet provoque également des changements. Cette fonction permetd’envisager l’hypothèse que, même si la mutation n’a pas achevé sonparcours, la nouvelle règle de droit peut entraîner des transformationsdans les représentations et dans les comportements. Elle peut ainsicontribuer à accélérer le processus.

L’ensemble de ces interrogations constitue la base de l’enquête.

Deux concepts sont fondamentaux dans cette enquête de l’opinionpublique : l’égalité des sexes et les représentations.

Les représentations sont une forme de connaissance socialementélaborée et partagée concourant à la construction de la réalité sociale.Elles découlent des perceptions, qui sont étroitement « informées »par les cultures, c'est-à-dire par l’ensemble des valeurs et traditionshistoriquement construites d’une société donnée, lesquelles en fontun ensemble singulier ayant une identité particulière.

Les représentations sociales sont organisées autour d’un noyausocioculturel, qui structure et gouverne l’ensemble du champreprésentationnel, et d’un cercle plus dynamique constitué d’unsystème périphérique qui détient un rôle essentiel dans leurstructuration. Les représentations constituent des facteurs importantsdans le processus des changements sociaux et des systèmes designifications qui façonnent les croyances, les valeurs, les normes etles institutions. Elles englobent la façon particulière qu’ont les

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individus d’apprécier leur environnement et l’ensemble des faits quiles concernent. La connaissance des règles juridiques fait partie de cesfaits.

Les perceptions seront analysées comme éléments de cesreprésentations à partir d’une définition de l’égalité fondée sur uneanalyse des rapports sociaux de sexe.

A cet égard, aujourd’hui, deux logiques différentes sont toujoursen tension dans la culture familiale au Maroc : une logique d’asymétriedes positions sexuées propres au système patriarcal et une logiquecontemporaine d’égalisation confortée par le nouveau code, logiquesqui, loin d’être indépendantes l’une de l’autre, s’enchevêtrent ets’interpénètrent. Il reste à savoir cependant quelle est la logique quidomine dans les représentations des Marocains et des Marocaines.

C’est précisément ce processus de transformations qui agissentconcurremment dans le champ privé que cette enquête souhaiteapprofondir, l’objectif étant de mesurer les perceptions et de dégagerles tendances qui se dessinent dans le sens des mutations des relationsde genre au sein de la famille à la faveur de la nouvelle vision égalitaireet des nouvelles dispositions du code de la famille. Pour cela, il a sembléutile d’interroger les manières de penser et de vivre la place respectivedes hommes et des femmes dans la famille qui se perpétuent et cellesqui tendent à se transformer. Il s’agit, autrement dit, de savoircomment réagissent les femmes et les hommes et dans quellemesure la nouvelle loi produit ses effets (ou pas) sur les représentationset les comportements.

2. La problématique générale

La révision du code de la famille a eu pour but de jeter les basesd’une nouvelle approche des relations femmes-hommes plus égalitairesdans l’espace familial. Mais ces dispositions qui sont destinées à unesociété donnée sont dépendantes des perceptions qui sont elles-mêmes le résultat non seulement du niveau de connaissance ducontenu effectif des lois mais aussi de l’interprétation (supposée ouréelle) qui est donnée aux mesures adoptées sur la question.

Il s’agit tout d’abord de savoir si les citoyens et les citoyennesconnaissent le nouveau texte ou si, au contraire, les croyancesempiriques anciennes continuent à dominer les mentalités. Même si

31Perceptions et pratique judiciaire

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32 Le Code de la famille

la connaissance ne suffit pas à elle seule à emporter la conviction, elleest, en effet, un indicateur de changement.

L’hypothèse de départ est donc que les perceptions impriment auxnouvelles dispositions du code de la famille une orientation qui peutsoit stimuler la mise en application soit la freiner, voire la bloquer.

Les perceptions sont étroitement informées par les culturestraditionnelles mais aussi par les évolutions sociétales. C’est dire qu’ellesne sont pas statiques. L’étude a donc projeté de les analyser dans leurmouvement pour déceler les évolutions favorables à l’égalité et cellesqui résistent.

Les objectifs de l’étude

L’objectif général de l’étude est de procéder à un premier bilan desperceptions par les Marocains et les Marocaines du milieu urbain dudroit à l’égalité inscrit dans le nouveau code de la famille et desappréciations des nouvelles dispositions.

Trois niveaux de réflexion ont guidé la formulation des hypothèseset la rédaction du questionnaire : la perception de la nouveauté dutexte et notamment de la consécration du principe de l’égalité, lesconfrontations qui subsistent entre les conceptions anciennes et lesnouvelles et les dynamiques des rapports de genre que cela laisseentrevoir.

De ces orientations, trois objectifs principaux ont été dégagés :

– Le premier objectif s’est proposé d’évaluer la perception del’égalité de manière générale et de manière plus concrète à traverscertaines dispositions.

– Le second objectif a cherché à évaluer le niveau de connaissancegénéral des principales mutations

– Le dernier a porté sur l’évaluation du niveau d’adhésion (ou non)aux nouvelles règles.

Quelles sont les perceptions des changements portés par lesnouvelles dispositions et par la visibilité des écarts hommes-femmesque cela entraîne ? Y a-t-il adhésion à la nouvelle vision de l’égalité ?Quel sens est donné au concept d’égalité ? Quelles sont les différentesinterprétations qui dominent ? Quels sont les mécanismes derésistance mis en œuvre ?

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33Perceptions et pratique judiciaire

Ce sont là les différentes questions qui se sont imposées à larecherche.

3. Stratégie de la recherche

Compte tenu du caractère récent de la promulgation du nouveaucode de la famille qui a connu un délai très limité d’application (février2004), il n’est pas surprenant de constater les limites des recherchesde terrain réalisées sur la question.

Certes, diverses associations ainsi que le ministère de la Justice ontentrepris des études sur la question (2), mais, pour l’heure, les résultatsdes études réalisées sont encore limités et ne permettent pas de tirerdes conclusions suffisamment probantes en termes de changementseffectifs. Ces productions donnent néanmoins certaines indicationssur les principaux problèmes d’application et ont permis de confirmercertaines questions qui ont semblé incontournables dans l’élaborationde l’enquête, d’en infirmer d’autres et de clarifier certainesinterrogations contenues dans la note méthodologique.

La construction du questionnaire

Dans la mesure où l’inclusion de l’égalité constitue la principaleinnovation du nouveau code, les questions relatives aux représentationsde l’égalité dans l’espace privé ont structuré l’enquête.

Pour construire le questionnaire, les innovations les plussignificatives en termes de changement des relations femmes-hommes ont été sélectionnées, comme le fait que l’homme ne soit pluschef de famille, que le mariage soit placé sous la responsabilité desdeux époux, que le mari ne puisse plus prendre une seconde épousesans l’autorisation du juge, etc. D’autres révisions ont été volontai-rement écartées : l’analyse proposée n’a, en effet, pas eu pour objectifd’entreprendre une étude exhaustive des perceptions de l’ensembledu code de la famille à partir d’un listing de toutes les nouvellesdispositions. L’ambition ne consistait donc pas à passer en revue tous

(2) Des études sont en cours de réalisation : c’est la cas de celle engagée par le leadershipféminin qui a lancé une enquête sur « L’état des connaissances des communautés sur lenouveau code de la famille » auprès d’un échantillon d’un millier de personnes sur 14 sitessitués dans les quatre régions d’interventions du projet : Oujda-l’Oriental, Marrakech-Tensift-El Haouz , Tanger-Tétouan, Fès-Boulmane ; une autre par l’UNIFEM…

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les points qui ont été réformés et de poser des questions fermées auxrépondants pour savoir s’ils connaissent les changements juridiquesqui se sont opérés… En particulier, l’enquête n’a pas traité lesdifférentes procédures du mariage et de sa dissolution dont certainsaspects indiscutablement novateurs mériteraient à eux seuls desinvestigations séparées et approfondies.

Même si elle a exclu un certain nombre de mesures, la sélection n’estpas arbitraire : elle correspond à l’objectif général qui était plutôtd’évaluer les tendances générales sur les perceptions de l’égalité quiest centrale dans le texte à partir des dispositions qui ont suscité leplus de controverses et qui ont fait le plus l’objet de rumeurs.

L’ordre des questions a été pris en compte en fonction de latechnique de l’entonnoir : des questions générales sur le principe del’égalité ont d’abord été posées. Progressivement, des questions plusprécises sur le sens et le contenu de l’égalité ont été introduites.

Le questionnaire élaboré combine des questions fermées (oui/non)et des questions qui comportent un éventail de réponses, c’est-à-direqui permettent de faire un choix entre plusieurs réponses possibleset de se positionner sur une échelle d’attitudes.

Comme il s’agit le plus souvent de questions d’opinion, il a fallu tenircompte des nombreux biais possibles pour les éviter. Le vocabulaireutilisé a été simple et aussi précis que possible.

La construction de l’échantillon

Le principe de 600 questionnaires ayant été approuvé, il a été décidéde construire un échantillon sur une base aléatoire à partir du calculde N individu-es par ville et d’une délimitation relative de quartiers.

En fonction de ces données, la construction de l’échantillon s’esteffectuée en deux étapes : la première a consisté à identifier, danschaque ville, des points d’enquête. L’idée était de donner la parole leplus possible aux populations en fonction de leur poids démogra-phique potentiel dans la ville. En ce sens, la répartition géographiquea été réalisée par rapport à la démographie des quartiers. La secondea cherché à sélectionner des quartiers en se fondant sur le typed’habitat selon le standing qui distingue les quartiers à population aiséedes populations disposant de moins de moyens.

34 Le Code de la famille

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Compte tenu du caractère sensible de la problématique et de soncaractère difficile, l’échantillon a été approché selon la méthode ditede face à face : enquêteur face à l’enquêté, y compris pour les personnesinstruites, sauf exception (niveau élevé, susceptibilité…).

De quelques limites de l’étude

En raison des limites propres à la méthode quantitative et de latechnique du questionnaire, il était impossible de comprendre lesmécanismes qui peuvent expliquer les raisons implicites et explicitesdes résistances et de saisir l’évaluation du nouveau code dans sadynamique. L’enquête quantitative oblige à se contenter des outputsdu processus. En effet, les questions relatives aux relations au sein dela famille révèlent de grandes résistances au dévoilement, même si lasuccession des questions a permis, en fonction d’un cheminement longmais fructueux, de recomposer les représentations et les rôles quechaque sexe s’attribue et qu’il attribue à l’autre.

Les limites de l’enquête sont donc celles qui sont inhérentes à latechnique de l’enquête qui ne permet pas d’identifier en profondeurles effets affichés d’une opinion : en interrogeant les hommes et lesfemmes sur leurs perceptions sur des dispositions qui réfèrent à desquestions aussi sensibles que celle de la famille, on occulte lescomportements effectifs. Le risque existe que ce soient les réponsesles plus consensuelles et aussi celles qui sont considérées comme lesplus convenables qui dominent parce qu’elles représentent la sortiela moins problématique pour celui ou celle qui sont interviewés-es.Les réponses obtenues à la question relative aux violences par leshommes sont édifiantes à cet égard : elles marquent véritablement ladissociation entre idées (de ce que l’on veut paraître parce que c’estla norme dominante) et réalité (de ce que l’on est et de ce que l’onpratique). A cet égard, l’enquête ne peut permettre de dégager queles différences existantes entre égalité proclamée par le texte et l’égalitéreconnue par la société dans l’ordre des idées. L’égalité réelle, quantà elle, telle qu’elle est vécue à travers les comportements, est plusdifficile à établir.

Il y a aussi le risque de réponses adaptées à la réforme dans un soucid’ajustement/réajustement par rapport à une réalité nouvelle, mais, dansce cas, les réponses dénotent l’émergence d’un changement, même sice dernier se réalise sous l’effet de la loi et non par choix personnel.

35Perceptions et pratique judiciaire

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Ces constats ne minimisent en rien l’apport des donnéesquantitatives fournies par cette enquête qui offrent tout de mêmel’avantage indéniable de permettre d’identifier les tendances desopinions relatives à certaines dispositions et de pointer tant lesrésistances que les effets positifs de la nouvelle réalité sociale induiteet encouragée par le code de la famille.

I. L’identification de l’échantillon

1. Les caractéristiques socio-démographiques de l’échantillon

1.1. La répartition par sexe

Le nombre de personnes interrogées dont les questionnaires ontpu être traités est de 599 dont 304 femmes et 295 hommes.

Tableau 1

Répartition de l’échantillon selon le sexe

Effectifs %

Féminin 304 50,75

Masculin 294 49,25

Total 598 100,00

1.2. La répartition par âge

Cinq tranches d’âge ont été retenues : 18-24, 25-34,35-4, 45-54 et55 ans et plus. Cette répartition se justifie par le fait qu’il a été jugéindispensable d’isoler la tranche d’âge 18-24, la seule qui ne regroupeque cinq ans, l’idée étant que cela rendait possible une meilleurevisibilité de la catégorie « jeunes ». La notion de jeune est évidemmententendue ici dans un sens restrictif qui renvoie aux grandes définitionsadoptées par certaines institutions internationales. L’étude n’a pas exclupour autant, dans l’analyse, une définition plus large qui englobe, sinécessaire, toutes les personnes âgées de moins de 35 ans, considéréescomme représentatives de la jeunesse parce qu’elles ne font quecommencer leur parcours de vie et qu’elles peuvent, de ce fait, encorelargement influencer les grandes orientations sur l’égalité au Maroc.

La catégorie « jeune » a été ainsi répartie en deux classes d’âge :les moins de 25 ans et les 25-34 ans, 18 ans étant la limite inférieurede l’âge retenu, 34 ans la limite supérieure.

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La catégorie d’âge retenue 18-24, correspond à la définitionclassique de ce que l’on entend par jeune, définition associée à ungrand potentiel de changement.

Le choix de qualifier de jeune la catégorie d’âge 25-34, catégorienon prévue au stade d’élaboration de l’enquête, peut paraîtrequelque peu arbitraire. Mais, dans la mesure où de nos jours, les jeunesvivent plus longtemps dans la famille et se marient plus tardivementet que le concept de jeunesse a évolué en fonction de ces critères, ila été jugée utile d’inclure dans l’analyse la tranche supérieure 25-34 ans. Même si, en termes de socialisation, cette catégorie qui setrouve dans une situation de début d’accès à l’âge adulte, estsupposée avoir perdu de sa capacité de changement. Cette option esttestée pour interroger les comportements des populations adultes lesplus jeunes, celles qui continuent encore à vivre chez les parents parcequ’elles prolongent la période des études et ne sont pas autonomesfinancièrement et celles qui sont dans une phase où, en entrant dansla vie active et en fondant une famille, elles accèdent au statut d’adulteset commencent à adopter des rôles sociaux chargés de prescriptionsnormatives.

Il faut ajouter à cela que l’observation sociologique ne permet pasd’accepter les restrictions qu’une définition par l’âge impose. En effet,l’âge peut revêtir des significations différentes qui peuvent varier selonles individus, selon les contextes et selon les cultures.

Pour toutes ces raisons, dans l’analyse, la jeunesse a été appréhendéedans sa dimension sociale, compte tenu des catégories sociales et enfonction du sexe. En effet, un jeune appartenant aux classes défavorisées,chômeur ou actif et un jeune des classes ayant les possibilités d’offrirà leurs enfants les moyens de poursuivre des études longues necorrespondent pas à des situations que l’on peut superposer...

Au niveau du sexe, ces différences sont encore plus grandes, l'âge,au même âge, n’étant pas le même, du fait du décalage certain entrel'âge biologique et l'âge social des filles et des garçons. Cettedifférenciation permet en partie de mieux comprendre pourquoi, aumême âge que le garçon, la fille jeune est dite “mûre”. Cette maturitésupposée va avoir des conséquences très importantes sur les divisionshiérarchisées qui caractérisent les statuts des hommes et des femmesdans la société. On va alors juger que la fille peut se marier à un âgeprécoce, qu’elle est apte à assumer une famille... Le garçon va, de son

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côté, à un âge différent généralement plus avancé, être enfermé dansle rôle du futur « chef de famille », pourvoyeur de revenu et décideurprincipal.

La prise en compte de ces différents aspects de la jeunesse dansl’enquête vise à rendre compte de la logique sexuée de l'âge qui finitpar emprisonner les filles et les garçons dans des schémas imposéspar les représentations générales des sexes.

L’analyse de la structure par âge de l’échantillon révèle que, au total,55,26% des femmes et 62,93 % d’hommes ont moins de 35ans.

La catégorie « jeunes » ainsi délimitée représente presque 60% del’échantillon.

Tableau 2

Répartition selon le sexe par tranche d’âge (en pourcentage)

38 Le Code de la famille

Féminin Masculin Total

18-24 ans 26,97 23,13 25,08

25-34 ans 28,29 39,8 33,95

35-44 ans 22,37 19,39 20,9

45-54 ans 14,14 11,9 13,04

+ 55 ans 8,22 5,78 7,02

Total % Femmes % Hommes %

Célibataire 299 50,0 138 46,15 161 53,85

Marié-e 255 42,6 131 51,37 124 48,63

Divorcé-e et veuf-ve 44 7,3 35 79,55 9 20,45

2. Les caractéristiques socio-économiques de l’échantillon

2.1. La situation matrimoniale

50 % des personnes interrogées sont célibataires, 42,64 % mariéeset 7,36 % sont divorcées ou veuves. L’importance des célibatairess’explique par le nombre de jeunes âgés de moins de 25 ans dansl’échantillon.

Tableau 3

Répartition de l’échantillon selon le statut matrimonial

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Le nombre de célibataires dans la population totale s’élève à299 personnes, dont 138 femmes et 161 hommes. Il correspond auxpremiers résultats du recensement de 2004 qui a révélé que le tauxglobal de célibat en milieu urbain pour la tranche d’âge 25-29 ans estde 56 % dont 41,6 % sont des femmes et 72,2 % des hommes.

Ce poids démographique croisé avec l’âge est confirmé par leconstat du recul de l’âge au premier mariage qui est passé pour lapopulation totale de 25,6 ans en 1994 à 27,8 en 2004, soit pour lesfemmes de 23,4 ans en 1994 à 25,8 ans en 2004 et de 27,9 ans en 1994à 31 ans en 2004 pour les hommes.

Tableau 4

Répartition par tranche d’âge selon le sexe et le statut matrimonial

Situation matrimoniale Célibataire Marié-e Divorcé-e/veuf-ve

Tranche d’âge H F H F H F

18-24 ans 67 73 1 9 0 0

25-34 ans 79 47 38 31 0 8

35-44 ans 14 17 38 44 5 7

45-54 ans 1 0 31 33 3 10

+ 55 ans 0 1 16 14 1 10

Total 161 138 124 131 9 35

Si l’on isole la catégorie « jeune » âgée de 18 à 24 ans, on constateque seules 9 personnes de cet âge (8 femmes et un homme) sontmariées, 2 sont en activité et que le nombre des étudiants est de 77dont 75 célibataires.

Tableau 5

Répartition en % selon le sexe, le statut matrimonial et l’activité Personnes âgées de 18 à 24 ans

Femmes Hommes Femmes Hommes célibataires célibataires mariées mariés

En activité 25 23 1 1En chômage 5 10 1 0Etudiant-e 43 34 2 0

Femme au foyer – – 4 –

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2.2. Le niveau d’instruction

L’analyse du niveau éducatif des hommes et des femmes del’échantillon montre le faible pourcentage des analphabètes qui estrespectivement de 6,78 % pour les hommes et de 16,45 % pour lesfemmes. Le tiers environ des femmes et des hommes a un niveausecondaire, tandis que 38,82 % de femmes et 47,12 % d’hommes ontun niveau supérieur.

Ces résultats correspondent aux tendances générales observées cesdernières années en ville qui confirment les différences de niveauéducatif entre les hommes et les femmes, malgré une amélioration dela scolarisation des filles.

Tableau 6

Répartition de l’échantillon selon le niveau éducatif

Total % F % H %

Néant 70 11,71 50 71,43 20 28,57

Fondamental 98 16,38 70 46,94 52 53,06

Secondaire 173 29,93 89 51,45 84 48,55

Supérieur 257 42,98 119 46,30 138 53,70

La répartition de l’échantillon selon le niveau éducatif en fonctionde l’âge donne les résultats suivants :

Tableau 7

Répartition de l’échantillon selon le sexe et le niveau éducatifpar catégorie d’âge (%)

Néant Fondamental Secondaire Supérieur

F H F H F H F H

18-24 2,44 2,94 13,41 17,65 32,93 29,41 51,22 50,00

25-34 8,14 2,56 12,79 14,53 33,72 31,62 45,35 51,28

35-44 17,65 12,28 13,24 22,81 30,88 26,32 38,24 38,60

45-54 32,56 11,43 30,23 25,71 18,6 22,86 18,60 40,00

55 et + 60,00 23,53 8,00 5,88 16,00 23,53 16,00 47,06

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2.3. L’activité

Au niveau de l’activité, l’enquête révèle que le taux des personnesen activité des deux sexes est élevé puisqu’il est de 60,20 % pourl’ensemble de l’échantillon, soit 50,99 % pour les femmes et 69,73 %pour les hommes.

Le taux de chômage déclaré est faible ainsi que le nombre defemmes au foyer, qui est de 23,03 % du nombre de femmes del’échantillon.

Tableau 8

Répartition de l’échantillonselon la situation professionnelle

Effectifs %

En activité 360 60,20

En chômage 53 8,86

Etudiant-e 93 15,55

Femme au foyer 70 11,71

Retraité-e 22 3,68

2.4. La nature de l’activité professionnelle

Ventilés selon la nature de l’activité professionnelle et le sexe, lesrésultats de l’investigation se répartissent comme suit :

– 7, 89 % de femmes et 20,75 % d’hommes actifs-ves sont des cadressupérieurS ;

– 13,16 % des femmes et 11,22 % des hommes sont des cadresmoyens ;

– 13,16 % des femmes et 14,97 % des hommes se déclarentemployées.

– Les autres métiers regroupent un faible pourcentage à l’exceptiondu personnel de maison où les femmes sont représentées à uneproportion de 10,86% contre 7,12 % pour les hommes.

41Perceptions et pratique judiciaire

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Tableau 9

Répartition de l’échantillonselon le sexe et l’activité professionnelle

Les deux sexes F e m m e s H o m m e s

Total % Total % Total %

Cadre supérieur 85 23,61 24 7,89 61 20,75

Cadre moyen 73 20,28 40 13,16 33 11,22

Employé-e 84 23,33 40 13,16 44 14,97

Artisan-e 35 9,72 8 2,63 27 9,18

Ouvrier-ère 28 7,78 9 2,96 19 6,46

Autre 55 15,28 34 11,18 21 7,14

Tableau 10

Répartition de l’échantillon selon le sexe,l’activité professionnelle et le niveau d’instruction

Niveau d’instruction Néant Fondamental Secondaire Supérieur Total

Profession H F H F H F H F H F

Cadre supérieur 0 0 1 0 6 5 54 19 61 24

Cadre moyen 0 0 3 1 11 14 19 25 33 40

Employé-e 1 2 13 2 21 21 9 15 44 40

Artisan-e 5 2 11 3 10 3 1 0 27 8

Ouvrier-ère 3 0 5 4 8 5 3 0 19 9

Autre 4 13 8 9 7 6 2 6 21 34

Total 13 17 41 19 63 54 88 65 205 155

Ce tableau confirme la correspondance entre niveau d’instructionet statut professionnel, les personnes ayant un niveau supérieurd’éducation étant concentrées dans les professions « cadres supérieurs »et « cadres moyens », par exemple. Il apporte également un éclairagesur certains déclassements, puisque l’on retrouve dans l’échantilloncinq hommes qui déclarent avoir un niveau supérieur et qui occupentla fonction d’artisan et ouvrier et deux qui déclarent exercer unefonction « autre » et six femmes du même niveau qui exercent de petitsmétiers.

42 Monitoring du Code de la famille

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II. La dimension cognitive du nouveau code

Bien que la réforme ait suscité beaucoup de controverses, un certainnombre de personnes affirme ne pas être au courant (14 femmes et22 hommes). Pour la majorité, la question qui se pose est relative auniveau de l’information.

1. Niveau et sources d’information

Une première question a été posée pour demander aux personnesinterrogées si, globalement, ils-elles pensent savoir quelles sont lesprincipales dispositions qui ont changé et évaluer le degréd’information qu’ils/elles pensent avoir atteint.

La distribution des réponses par sexe selon le niveau d’instructiona permis de constater que les hommes se sentent mieux informés queles femmes, quel que soit leur niveau d’instruction. Les personnesde niveau supérieur sont les plus informées, alors que ceux et cellesqui déclarent connaître « un peu » le nouveau code sont de tous lesniveaux.

Graphe 1

Distribution des réponses par niveau instruction et par sexe

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0

10

20

30

40

50

60

70

F M F M F M F M

Tout à fait Moyennement Un peu Pas du tout

Néant

Fondamental

Secondaire

Supérieur

Tous les canaux classiques d’informations ont été utilisés par lesdifférents acteurs sociaux pour diffuser l’information et sensibiliserle public marocain au contenu du nouveau code. L’Etat et la société

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civile ont organisé, à des degrés divers, quelques campagnes desensibilisation et de vulgarisation des nouvelles dispositions du codede la famille de 2004.

Télévisions et radios ont diffusé des rencontres entre journalistes,juristes et activistes féministes sur le nouveau texte. La deuxième chaînenationale a exposé les nouveaux articles de la loi, à raison de un parjour, lors d'une série de courtes émissions programmées durantquelques semaines.

La presse écrite quotidienne en arabe et en français ainsi que lapresse féminine (3) ont consacré un certain nombre de dossiers à laquestion et ont diffusé l’information au quotidien. Des revues et desjournaux ont livré le texte intégralement ou en sélectionnant ce quia changé. Ils ont présenté les résultats de sondages réalisés dans larue (4). Ils ont débattu du déficit de l’information.

Certaines associations ont organisé dans des villages des réunionspour exposer aux femmes leurs nouveaux droits ; l’associationdémocratique des femmes du Maroc (ADFM) a organisé pendant troissemaines du 2 au 31mai 2004, à travers la radio et la télévision, unecampagne de sensibilisation sur les nouvelles dispositions du code dela famille. La Ligue Démocratique des Droits des Femmes a organisédes caravanes pour les droits à l’égalité. L’association « Leadershipféminin » et le « Réseau des associations de développement » ontélaboré des supports didactiques et pédagogiques destinés aux jeunes,parmi lesquels une collection de bandes dessinées du nouveau code.

La question posée relative à la source d’information la plusutilisée par les marocain-es a pour objectif de délimiter l’impact concretde ces différentes actions.

Comment les Marocains-es se sentent-ils informés-es sur le code ?Ont-ils-elles lu le texte – attitude qui offre les meilleures informations –profité valablement des émissions de radio ou de télévision ? Ont-ils/elles cherché à maîtriser la question en échangeant avec leurentourage familial et amical ? Pour cerner le degré d’information desMarocains et des Marocaines sur le nouveau texte, la question a étéposée sur les différentes sources d’information formelles et informelles

44 Le Code de la famille

(3) Femmes du Maroc, mars 2004, édition spéciale consacrée à la présentation du texte parFatna Serhane(4) Tel Quel, juillet 2004, « Moudouwana : l’opinion de la rue ».

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possibles : les sources audiovisuelles et la presse écrite quotidienneont été considérées ainsi que le poids de la communication verbaledont l’intensité peut être révélatrice d’un débat, d’une démarcheparticipative ou d’incertitudes.

Dans les réponses, une minorité affirme avoir lu le texte et seules9 personnes, soit 6 femmes et 3 hommes, affirment connaître lesdispositions du code de la famille parce qu’elles sont engagées dansune procédure judiciaire.

La télévision apparaît comme la principale source médiatiqued’informations : ce qui confirme les tendances observées à cet égardpar d’autres enquêtes. C’est dire que ce média, fortement « consommé »par les citoyens et citoyennes marocains-es comme le confirmel’enquête, joue un rôle important pour forger une opinion publiqueet informer.

48,36 % des femmes interrogées et 47,12 % des hommes ont eneffet déclaré que la télévision a joué un grand rôle pour leurinformation. Les hommes comme les femmes utilisent cette sourced’information, quels que soient le niveau d’instruction et l’âge.L’écart entre les réponses des uns et des autres est très faible.

La télévision reste toutefois précédée par l’importance desdiscussions et échanges oraux considérés par l’écrasante majorité despersonnes interrogées comme ayant contribué à forger leurs opinions,les femmes et les célibataires étant plus portés vers ce type d’activitésque les personnes mariées.

Les conversations apparaissent donc comme la source d’informationla plus courante. Or, dans la mesure où elles renvoient souvent àl’exposé d’expériences, elles sont susceptibles d’avoir un impactnégatif et d’entretenir la rumeur dans une société particulièrementexposée, du fait du faible niveau d’instruction de la population et dela crise sociale à l’œuvre. La rumeur est en effet un mode d’expressionde la pensée sociale qui sert souvent de palliatif au manqued’information. Elle est mobilisée par les individus-es pour soulager leurstensions émotionnelles et leur permettre de combler un vide deconnaissance.

L’influence des proches, des amis et des membres de la familleinterfère avec les autres sources d’information pour forger uneopinion. Subjective et fondée sur le « on dit » qui se réfère non à une

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connaissance objective du sujet mais sur les peurs, les incertitudeset les appréhensions et sur la diffusion des mauvaises expériences,la rumeur déforme le réel et rend plus compliquées lesméconnaissances.

Les médias écrits et audiovisuels peuvent contribuer à lutter contreles rumeurs fausses susceptibles de circuler, mais ils peuvent aussicontribuer à les alimenter. A travers la télévision, la parole fonctionnesur le modèle de « la conversation à bâtons rompus », elle invite lesgens à participer et à engager des discussions à partir de cetteinformation orale. La télévision, plus que les autres médias, crée desreprésentations lesquelles suscitent des interrogations...

En projetant un spot, un flash sur un élément dissocié d’un contenuglobal, les informations télévisées et radiophoniques peuvent semerla confusion au lieu d’aider les personnes à comprendre. Dans le mêmesens, les débats organisés obligent l’auditeur et le téléspectateur àreconstituer le puzzle, à se situer par rapport à des avis généralementcontradictoires sans qu’il/elles en aient toujours les compétences.

D’où l’importance d’une information correcte et compréhensiblepar tous et par toutes.

La lecture des journaux occupe la troisième position, loin derrièreles sources orales représentées par les médias et par les discussions,sans doute du fait que la presse n’est pas lue par tous et par toutes,probablement à cause du poids des analphabètes dans l’échantillon(70 dont 50 femmes) et du nombre de personnes n’ayant pas dépasséle niveau fondamental (96 dont 46 femmes), notamment parmi lesfemmes qui sont aussi celles qui lisent le moins les journaux, mêmelorsqu’elles ont un niveau d’instruction suffisant.

En effet, 183 personnes ont affirmé avoir obtenu des informationssur le nouveau code en lisant la presse écrite : 24,01 % des femmes et37,41 % des hommes ont utilisé cette source d’information.

Ce média pose également le problème de la distanciation parrapport à l’interprétation qui est donnée par le/la journaliste qui tendà développer son point de vue, se situe immédiatement.

46 Le Code de la famille

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Deux interrogations peuvent être formulées à partir de ceconstat : cette effervescence est-elle le signe d’un profond désarroi oubien au contraire d’un processus d’intériorisation des élémentsd’une réalité juridique ?

2. Un fort besoin d’informations

Les résultats attestent du fait qu'hommes et femmes se sententinterpellés-es par les réformes du code de la famille. La multiplicité desources et l’importance des conversations dans tous les milieuxdénotent en effet des attitudes nouvelles de recherche d’informations.

L’analyse des réponses semble mettre en évidence le souci descitoyens et des citoyennes de maîtriser les évolutions par l’acquisitiond’une meilleure connaissance juridique des nouvelles dispositions quirégissent les rapports familiaux. Elle révèle un fort besoin deconnaissance qui permet de poser l’hypothèse de l’émergence d’uneattitude participative.

Mais des incertitudes et des confusions subsistent dans la mesureoù, si la combinaison de ces différentes sources peut être un supportpour la connaissance, elle peut aussi désorienter et ouvrir la voie àtoutes sortes d’interprétations. Dans une société dont les traditionsorales sont encore une réalité, lesquelles sont amplifiées par les médiasaudiovisuels, le risque d’extension d’une information tronquée existe.

47Perceptions et pratique judiciaire

0

10

20

30

40

50

60

Célibataire Marié Divorcé et Veuf

Hommes

Femmes

Graphe 2

Les principaux moyens de connaissance du nouveau codeselon le sexe

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Le besoin d’information est fortement exprimé par l’ensemble desrépondants, 71,7 % considérant que les campagnes d’explications ontété insuffisantes, les femmes étant plus nombreuses que les hommesà exprimer ce point de vue (soit 77,9 % et 65,3 %). Dans le même sens,78,1% affirment qu’il faut en organiser d’autres.

Cette opinion confirme l’absence constatée par l’ensemble desobservateurs d’une information claire, précise, organisée etméthodique, diffusée dans une langue accessible à la majorité,tenant compte notamment des femmes et des hommes analphabètesou faiblement instruits.

III. Le principe d’égalité : une conception paradoxale

Les Marocains et les Marocaines interrogés-es sont largementfavorables au principe d’égalité, mais lorsqu’ils/elles ont à répondreà des questions qui renvoient à des comportements concrets, leursopinions sont plus ambivalentes. La tendance semble alors s’orientervers une certaine forme de bricolage entre théorie et pratique.

1. Une large adhésion au principe de l’égalité

A la question de savoir si l’interviewé-e est personnellementfavorable au principe de l’égalité au sein de la famille, une majorité(70,9% de l’échantillon) répond positivement, soit 78,62% des femmesinterrogées et 62,93 % des hommes. 25,42 % n’y sont tout de mêmepas favorables : 18,75 % des femmes et 32,31 % des hommes y sontopposés-es. Le principe de l’égalité, en tant que principe politique etsociologique, est d’introduction récente au Maroc et peut sembler ainsitrop abstrait pour une partie des Marocains et des Marocaines. Il peutégalement être mal compris et interprété comme une volonté de« similitudes ». Il peut enfin être refusé au nom de convictionsreligieuses fondées sur la complémentarité des rôles familiaux et/oude pratiques profondément ancrées dans les usages qui établissentune assymétrie de pouvoir entre les hommes et les femmes.

Les réponses ont également montré une différence nette selon lesexe, les femmes étant largement plus nombreuses à se prononcerpositivement.

48 Le Code de la famille

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Tableau 11

Les perceptions générales de l’égalité dans la familleselon le sexe en %

Féminin Masculin

Oui 78,62 62,93

Non 18,75 32,31

Sans opinion 2,63 4,76

Total 100,00 100,00

Par rapport à la profession, les réponses se répartissent de la manièresuivante :

Tableau 12

Distribution des réponses calculées par rapport à l’ensembledes actifs-ves selon la profession en %

Oui Non Sans opinion

H F H F H F

Cadre supérieur 78,69 75,00 21,31 25,00 0 0

Cadre moyen 63,64 72,5 36,36 27,5 0 0

Employé-e 70,45 75,01 20,45 22,5 9,09 2,50

Artisan-e 37,04 87,5 55,56 0 7,41 12,50

Ouvrier-ère 42,11 77,78 52,63 0 5,26 22,22

Autre 23,81 73,53 71,43 23,53 4,76 2,94

Tableau 13

Distribution des réponses calculéesselon le niveau d’éducation et le sexe

Oui Non Sans opinion

H F H F H F

Néant 20,00 72,00 65,00 26,00 15,00 2,00

Fondamental 51,92 80,43 40,38 15,22 7,69 4,35

Secondaire 61,90 78,65 32,14 16,85 5,95 4,49

Supérieur 73,91 80,67 24,64 18,49 1,45 0,84

49Perceptions et pratique judiciaire

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A tous les niveaux d’instruction, et même lorsqu’elles n’ont aucuneinstruction, les femmes sont plus nombreuses que les hommes à sedéclarer favorables à l’égalité, y compris à un niveau d’instructionsupérieur. Le niveau d’instruction élevé ne neutralise donc pascomplètement les réticences à l’égalité puisque sur 257 personnes dece niveau, les femmes représentent 80,67 % des réponses favorables,les hommes 73,91%.

Si l’on considère le statut matrimonial, les femmes mariées (80 %)et les femmes divorcées ou veuves (80 %) sont légèrement plusnombreuses que les célibataires (soit 76,98 % de toutes les femmescélibataires) à se prononcer pour l’égalité. Ce qui pourrait s’expliquerpar le fait que ces dernières – qui ne sont pas encore confrontéesdirectement à la question dans leur vie quotidienne – en ont une visionplus théorique.

Chez les hommes, ces tendances sont légèrement inversées, lesmariés étant moins favorables que les célibataires.

2. ... Confortée par une opposition massive aux violencesconjugales

Femmes et hommes sont massivement opposé-es à la violence(94,95 % de l’échantillon). Ce large consensus est intéressant à plus d’untitre. Il pose d’abord une position de principe : la violence est un malen soi. Il signifie ensuite que les citoyens et citoyennes inscrivent leuropinion dans une pensée qui s’oppose aux références dogmatiquesclassiques, utilisées abondamment par la pensée intégriste etlargement confortées par l’ignorance, qui légitimaient le droit del’époux de « corriger » sa conjointe dans certains cas.

Seule une minorité de femmes et d’hommes, soit respectivement2,96 % de femmes et 7,46 % d’hommes, peuvent être considérés-escomme fidèles à ces conceptions, ce qui représente des pourcentagesrelativement faibles de personnes qui n’ont pas pu transformer leursmentalités ou qui, politiquement, défendent un point de vueréactionnaire.

Les autre variables permettent d’explorer davantage cet unanimismeapparent. Ainsi, comme l’indique le tableau 12, les jeunes âgés-es de18 à 24 ans y sont massivement opposés-es, les femmes de la tranched’âge 35-44 étant celles qui se prononcent le plus nettement en ce sens.

50 Le Code de la famille

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Quel que soit leur statut matrimonial, les femmes sont égalementopposées à la violence.

L’inversion observée dans les opinions des hommes au sujet duprincipe de l’égalité apparaît également au sujet des opinions sur lesviolences : 11,11 % des hommes mariés considèrent que la violenceconjugale est normale.

Tableau 14

Distribution des réponses sur la légitimité de la violence dans lesrelations conjugales en fonction de l’âge et du sexe

Oui Non

H F H F

18-24 1,47 1,23 98,53 98,77

25-34 8,55 4,71 91,45 95,29

35-44 10,53 0,47 89,47 99,53

45-54 2,86 4,65 97,14 95,35

55 et + 17,65 8,00 82,35 92,00

Les femmes ayant le niveau d’éducation « fondamental » sedistinguent par des positions plus franchement affirmées contre lesviolences, sans doute parce que c’est dans ces milieux que la violenceest la plus grande. La dureté des conditions de vie, les effortspermanents de survie quotidienne et d’adaptation à un monde quichange en permanence contribuent en effet à fragiliser davantage lesplus pauvres et les plus vulnérables.

A tous les niveaux, l’opposition est nette, mais les hommes les moinsinstruits sont ceux qui hésitent le plus à ce sujet : 15,1 % des hommesanalphabètes et 9,62 % de ceux qui ont un niveau d’instructionfondamental considèrent que la violence conjugale est normale.

Les hommes en situation de chômage (9,1 %) et les retraités-es(6,7 % des hommes et 14,3 % des femmes) sont aussi ceux et celles quipensent le plus nettement que la violence fait partie de la norme.

Parmi les personnes actives, artisan-es, ouvriers-ères et lespersonnes exerçant des petits métiers sont ceux et celles quiconsidèrent la violence comme normale

51Perceptions et pratique judiciaire

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Au vu de ces résultats, la violence semble quasiment bannie desconceptions, malgré une pratique qui, si elle n’est pas évaluéestatistiquement, est considérée comme très importante non seulementpar les associations féminines mais également par les pouvoirspublics qui ont engagé de vastes programmes de lutte contre laviolence à l’égard des femmes (5). Face aux écarts entre réalité etpratiques, les réponses laissent perplexes.

Si les réactions des femmes sont plus aisées à comprendre, cellesdes hommes mériteraient indéniablement d’être apprfondies pour encerner, d’une part, la part de mutations des idées qui pourraient augurerde transformations des comportements et, d’autre part, la volonté decontournement. Une question inavouable ou une évolution dans lesidées ? La discrétion par rapport à ce fléau social masque une réalitédouloureuse.

Le rejet de la violence peut être interprété comme un élément d’unestratégie, consciente ou inconsciente de la part des hommes pourmontrer leur acceptation de ne plus fonder leur supériorité sur la based’une valeur aujourd’hui très contestée et combattue et leur volontéde modernité. En effet, au niveau du discours, toutes catégories socialesconfondues, la force physique n’est plus affichée par les hommescomme un attribut valorisant et comme une valeur « normale ». Bienau contraire, elle est niée en tant que telle.

Ainsi formulée, cette position pourrait laisser croire à la dévalo-risation par les hommes eux-mêmes d’un attribut traditionnellementmasculin. Culpabilisation ou mutations des instruments de la puissancemasculine ? Dévalorisation de la démonstration de la supériorité parla force physique, ou simple concession d’ordre tactique dans unmonde changeant ? Doit-on interpréter cela comme une volontéd’abandonner un pouvoir qui aurait perdu de sa légitimité ? S’agit-ilde convictions profondes ayant une relation étroite avec le principed’égalité ou simplement d’une concession ou encore d’une marque

52 Le Code de la famille

(5) Cf. La Charte nationale de lutte contre les violences à l’égard des femmes (2002) duSecrétariat d’Etat à la famille, à l’enfance et aux personnes handicapées (SEFEPH). La Directionde la Femme , la Famille et de l’Enfant du SEFEPH, a également organisé le 27 septembre2006 une réunion d’information sur la constitution et la composition d’un Observatoirenational de lutte contre la violence à l’égard des femmes (LCVF). Voir également le rapportdu réseau national des centres d’écoute des femmes victimes de violences Anarouz présentéà Rabat en juin 2006.

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de bonne volonté ? Quoi qu’il en soit, l’enquête montre que lesvariances dans les perceptions sont actives, ce qui pourrait avoir pourconséquence des mutations dans les comportements. Certes la seuleévolution des idées ne permet pas de tirer des conséquencessuffisamment probantes à propos des comportements, mais ellecontribue à leur donner forme et à les construire.

Le sens qui est donné à l’égalité a révélé que cette « limitation »intéressante en elle-même n’en est pas moins réduite par la persistancedes stéréotypes sociaux de la masculinité et de la féminité.

3. Mais une compréhension incertaine du sens de l’égalité etde la nouvelle philosophie du code de la famille

Appelées à donner un contenu concret à ce qu’elles entendent parégalité, les personnes qui se sont déclarées favorables à l’égalité sesont prononcées pour une conception qui fait des relations familialesdes relations de partage total des responsabilités (46,2%), ce quicorrespond à la nouvelle vision de co-responsablité développée parle code de la famille et de respect de la complémentarité des rôles(42,2%). Le partage des tâches du foyer n’a pas convaincu.

Tableau 15

Réponses sur le sens de l’égalité selon le sexe

F H Total

Partage total desresponsabilités et des tâches 62,56 37,44 46,21

Partage des tâchesdu foyer 57,14 42,86 11,61

Respect complémentaritédes rôles 49,44 50,56 42,18

Parmi celles qui se prononcent pour cette responsabilité conjointe,les moins de 35 ans sont majoritaires.

Femmes et hommes adhèrent franchement à la complémentaritédes rôles. Le partage des responsabilités est ainsi dissocié du partagedes tâches dont ils/elles pensent peu qu’elles correspondent à unedéfinition de l’égalité.

53Perceptions et pratique judiciaire

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Il reste que, dans ce cas, les femmes sont nettement plus favorablesau partage que les hommes.

Les réponses à la question suivante séparée, qui a repris laquestion mais qui précise lorsque « les deux époux travaillent »,contredisent ces réponses, la majorité des répondants et desrépondantes se montrant plus favorables à l’éventualité d’un partagedes tâches.

Ainsi, l’analyse des réponses dégage une impression d’ambivalence.On y trouve d’une part une adhésion résolue au principe de l’égalitédes sexes et d’autre part un attachement non négligeable à desconceptions qui continuent à perpétuer l’assignation des femmes auxresponsabilités du foyer et la complémentarité des rôles. L’adhésionfranche à l’égalité est ainsi contrebalancée par la persistanced’opinions relevant de convictions anciennes fortement enracinées etnon remises en cause qui réduisent – voire s’opposent – à laconcrétisation de l’idéal proclamé d’égalité.

4. Une acceptation relativement limitée du nouveau code

Alors qu’ils/elles adhèrent largement au principe de l’égalité, seuls57,3% des répondants-es, sur les 94% des personnes qui savent quela Moudouwana a changé, se déclarent favorables au nouveau codealors que 26% le refusent et que 16,8% n’ont pas d’opinion. Principeet réalité concrète semblent donc dissociés.

Dans l’enquête réalisée par le Haut Commissariat au Plan (6) auprèsd’un échantillon de 3 700 ménages, les chiffres sont légèrement plusfaibles puisque parmi les personnes informées de la promulgation dunouveau code, 48,7 % des répondants évaluent positivement lenouveau texte. Les pourcentages entre les deux enquêtes sont doncrelativement proches et confirment qu’environ la moitié de lapopulation approuve la consécration juridique des changements quise sont opérés au sein de la famille. La différence qui avoisine les 10 %entre les taux d’adhésion de l’enquête du HCP et les résultats de laprésente enquête pourrait être expliquée par le fait que lequestionnaire du HCP a concerné également le monde rural qui est

54 Le Code de la famille

(6) Royaume du Maroc, Haut Commissariat au Plan, Prospective Maroc 2030, « La femmesous le regard de son environnement social », Enquête : Principaux résultats, septembre 2006.

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considérée, de manière générale, comme un milieu plus conservateurque le monde urbain, champ exclusif de la présente enquête. Or, enréalité, la répartition des réponses par milieu de résidence donne 47,5 %de citadins favorables et 51 % de ruraux ! Ces pourcentages suggèrentde tenir compte des débats qui se déroulent en ville et qui sontsusceptibles d’influencer les choix des différentes populations. Il estpossible également de poser la question du caractère « moinscritique » du monde rural, voire plus « soumis » aux décisions centrales.Il faut enfin ne pas exclure l’hypothèse que le milieu rural est plus sereinparce que moins confronté que le monde urbain aux facteurs dedestructuration du monde moderne.

Graphe 3

Réponses à la question « Etes-vous favorable au nouveau codede la famille ? » selon le sexe

55Perceptions et pratique judiciaire

0

5

10

15

20

25

30

35

40

45

18 – 24 25 – 34 35 – 44 45 – 54 55 et plus

H

F

Les deux enquêtes notent une différence sensible entre lesperceptions masculines et les perceptions féminines du nouveau code,les hommes étant plus réticents (40,5 % dans la présente enquête et36,2% dans l’enquête du HCP) que les femmes (respectivement 66,8 %et 62,3 %)

Les motifs sélectionnés à l’appui de ces opinions sont là encore trèsrévélateurs des limites que les Marocains-es établissent aux rôlessociaux de sexe et aux réformes acceptables. Même lorsqu’ils sontfavorables au nouveau texte, les hommes, plus que les femmes, nepensent pas que cela est conforme aux évolutions contemporaines dela société et préfèrent considérer que l’avantage essentiel est relatif

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à l’impact positif sur l’équilibre des relations familiales. 137 personnesseulement, soit environ 23 % de l’échantillon acceptent l’idée que celaouvre la voie à la responsabilité des femmes.

5. Le partage des tâches familiales comme indicateur dechangement

L’idée de partage des tâches familiales et domestiques, point crucialde l’articulation de la problématique de l’égalité et de l’identité de sexe,est apparue comme un bon indicateur des mutations qui s’opèrentdans les relations hommes-femmes au sein du foyer. Le ménage esten effet un marqueur sexuel qui acquiert une visibilité particulièrementimportante lorsque les femmes travaillent.

Ailleurs, dans le monde occidental, la sociologie du couple a permisde constater combien ces conceptions se sont transformées etcombien l’idée d’égalité de genre, très active de nos jours, abouleversé les anciennes références. Au Maroc, l’entrée des femmesdans le monde professionnel a également abouti à des réajustementsdans la vie quotidienne, sans que l’on puisse en déduire des résultatsen termes d’égalité et de partage des tâches.

Dans le cours du cycle conjugal, la détermination des rôlesapparaît comme un processus très complexe qui se joue au croisementdes traditions anciennes et de la force d’imposition des évolutionscontemporaines. Au-delà du caractère propre à chaque couple, enfonction de son contexte particulier, de son environnement, de sonniveau éducatif, de la nature de l’éducation reçue, l’enquête acherché à évaluer les tendances qui se dégagent de ces multiples choixparticuliers qui réalisent un mouvement d’ensemble, lequel confèreun sens à l’évolution. Quelles que soient les résistances – etcontrairement à une opinion répandue – les rapports de dominationqui se jouent au sein de la cellule familiale commencent à êtreinterrogés et à être remis en cause tant par les femmes que par leshommes. C’est ainsi que le postulat de base qui fait des femmes lesresponsables de la gestion du foyer et des tâches domestiques estébranlé puisque hommes et femmes n’excluent pas le partage destâches si la conjointe exerce une activité salariée.

Le travail de l’épouse correspond généralement à un besoinéconomique. Il est donc accepté et géré en tant que tel dans les

56 Le Code de la famille

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relations familiales. C’est sans doute en ce sens qu’il convientd’interpréter le fait que 66,5% des personnes pensent que, dans ce cas,il est possible de partager les tâches. Même si, de manière générale,idées et pratiques ne correspondent pas nécessairement, les opinionsexprimées étant le résultat d’un bricolage constant entre valeursanciennes et valeurs nouvelles, ces observations méritent d’êtreanalysées et replacées dans leur contexte de mutations sociales.

Tableau 16

Les perceptions du partage des tâchesselon le statut matrimonial et le sexe

Oui Non Sans opinion

Situation matrimoniale H F H F H F

Célibataire 56,52 79,14 29,81 10,79 13,66 10,07

Marié-e 56,45 74,62 33,87 19,23 9,68 6,15

Divorcé-e et Veuf-ve 33,33 77,14 55,56 17,14 11,11 5,71

Corrélé avec le statut matrimonial des répondants, le partage destâches est davantage compris et accepté par les femmes (76,6 % d’entreelles ont répondu positivement) que par les hommes (55,8 %), mais cesderniers sont loin de l’exclure, à l’exception des divorcés et des veufs.L’âge différencie peu les personnes interrogées : globalement, lesréponses varient entre 52 % (35-44 et plus de 55 ans) et 58 à 60 % quise sont prononcés favorablement. Par rapport au niveau d'instruction,le partage des tâches est davantage accepté par les personnes deniveau supérieur que par les autres catégories (65,9 et 87,4 %), les plusréticents-es étant les personnes analphabètes.

Tableau 17

Les perceptions du partage des tâches selon le sexe et l'âge

Oui Non Sans opinion

H F H F H F

18 – 24 58,82 78,05 27,94 9,76 13,24 12,2

25 – 34 54,7 80,23 33,33 12,79 11,97 6,98

35 – 44 52,63 77,94 33,33 16,18 14,04 5,88

45 – 54 60 69,77 34,29 23,26 5,71 6,98

55 et plus 52,94 72,00 35,29 24,00 11,76 4,00

57Perceptions et pratique judiciaire

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L’activité professionnelle ne différencie pas les répondants-es :56,6 % d’hommes et 72,9 % de femmes qui ont une activité salariéepensent que les tâches familiales peuvent être partagées. Il importecependant de remarquer que ce sont les femmes actives, c’est-à-direcelles qui ont à assurer la double journée de travail, qui revendiquentle moins ce partage, situation qui mérite indéniablement d’êtredécodée, en termes d’autonomie. Ces femmes se considèrent commeresponsables des tâches ménagères, même lorsqu’elles exercent uneactivité salariée. Certaines enquêtes ont déjà établi ce constat et l’ontanalysé comme un phénomène de concession ayant pour objectifd’éviter les conflits (7).

Ainsi, l’alignement des femmes sur les hommes, qui s’opère par letemps consacré au travail professionnel considéré comme une desconditions de l’égalité, provoque un brouillage dans les relations degenre, notamment dans les couches défavorisées pour lesquelles letravail acquiert une valeur en soi dans la mesure où le besoinéconomique est grand, alors que dans les classes moyennes, il y a plusde tensions (8). Mais ces changements n’entraînent pas, pour autant,une différenciation évidente en matière de prise en charge du travailau foyer.

Tableau 18

Les perceptions du partage des tâchesselon le sexe et la situation professionnelle

Oui Non Sans opinion

H F H F H F

En activité 56,59 72,9 32,68 17,42 10,73 9,68

En chômage 54,55 80,1 30,3 20 15,15 0

Etudiant-e 65,85 86,54 21,95 5,77 12,2 7,69

Femme au foyer - 77,14 0 15,71 0 7,14

Retraité-e 20,09 85,71 60,00 14,29 20,00 0

58 Le Code de la famille

(7) Naciri Rabéa, « L’investissement dans la vie privée », dans Femmes diplômées : despratiques novatrices, 1994, FNUAP/IREP (8) C’est une des conclusions qui est ressortie de la conférence régionale, Femmes et travail.Libertés et contraintes, organisée par le collectif Maghreb-Egalité et la GTZ du 27 au 30avril 2006 à Casablanca.

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Les motifs sélectionnés pour définir l’égalité sont là encore trèsrévélateurs des limites de la conception des relations hommes-femmesau sein du foyer. En effet, la complémentarité des rôles domine dansles conceptions, ce qui dénote la persistance des stéréotypes sociauxde la masculinité et de la féminité. 178 personnes sur les 424favorables à l’égalité (29,7 % de l’échantillon), considèrent que cela enconstitue une définition correcte.

Même lorsqu’ils sont favorables à l’égalité, les hommes ont desdifficultés à associer de manière cohérente l’égalité au partage destâches au sein du foyer... Ils sont d’ailleurs relativement nombreux àrefuser d’envisager que les tâches du foyer puissent être partagées etconsidèrent qu’elles relèvent de la responsabilité des femmes, ce quiconstitue une preuve de la résistance à l’égalité.

Les réponses montrent ainsi le caractère relativement rigide de larépartition des rôles au sein de la cellule familiale. De ce point de vue,la famille, lieu où la transmission de modèles de comportements sexuésest silencieuse, semble continuer à fonctionner sur les mêmesmodèles et perpétue la répartition des tâches. En réalité, le systèmecommence à se fissurer, notamment parce que les femmes exercentune pression sur les relations au sein de la famille et que les hommeseux-mêmes tendent à céder du terrain au moins au niveau des idées.

Dès lors, se pose la question de savoir si les positions à l’égard dutravail des femmes et du partage des tâches sont la conséquence duréalisme ou la manifestation d’une évolution. Dans les faits, cettedernière semble encore dans une phase incertaine dans la mesure oùles positions sont contradictoires : les hommes et les femmesacceptent le principe de l’égalité, mais ils jugent la complémentaritéincontournable. Ce qui, évidemment, est un élément qui renforce lesspécificités de genre : le travail domestique pour l’épouse et le rôle depourvoyeur de revenu pour l’homme.

Certaines enquêtes sociologiques ont fait observer que l’accord surle partage des tâches du foyer est un accord de principe qu’il fautmettre en corrélation avec une traduction concrète du contenu de cettecontribution pour en cerner la validité (9).

59Perceptions et pratique judiciaire

(9) Centre pour le leadership féminin, ADFM, [2002], Perceptions de la femme décideurepublique et acteure politique au Maroc, Casablanca, Publications de l’Associationdémocratique des femmes du Maroc.

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La modernisation de la famille, que le code de la famille a vouluconsacrer, ne semble pas avoir suffisamment ébranlé les certitudes ausujet de la relation étroite entre femmes et tâches ménagères.

Les hommes acceptent du bout des lèvres ces changements. Lesfemmes elles-mêmes sont peu prêtes à céder une part de ce pouvoiracquis au sein de la cellule familiale. Cette injonction morale, vécuecomme naturelle, fonctionne comme un référentiel normatifindiscutable, confirme les identités de sexe et s’impose à tous et àtoutes avec la force de l’évidence. Ces constats permettent demesurer l’écart entre les réalités sociales qui restent rebelles à desformes globales de régulation et l’évolution des idées.

IV. Du principe à la réalité : l’égalité juridique homme-femme au sein de la famille en question

Face à de nouvelles règles juridiques, les citoyens et les citoyennesréagissent en fonction de leur culture, certes, mais aussi par rapportà leur niveau de conscience des enjeux de société à l’œuvre. Denombreux droits nouveaux, qui marquent une évolution vers unemeilleure citoyenneté des femmes, caractérisent le nouveau code.La dimension évaluative des nouvelles règles, telle quelle apparaît dansles perception des Marocains et des Marocaines, permet de cerner ledegré de compréhension et de pointer les difficultés ou les blocagesrelatifs à la réception du nouveau texte.

1. Les perceptions contrastées de la judiciarisation

1.1. Les tribunaux de famille sont perçus positivement par lamajorité des femmes et des hommes. 63,8 % considèrent que cetteinstitution est utile, sans grande différence entre les hommes et lesfemmes. Ceci peut être considéré comme une attitude positive quis’inscrit dans le cadre d’une adhésion à des formes de gestion de conflitmodernes et à une confiance accrue en l’institution judiciaire.

Cette orientation semble confirmée par l’accueil favorable que leshommes et les femmes interrogés-es (72,4 % des répondants)réservent à la procédure de réconciliation, (article 81) acceptée alorsmême que sa mise en œuvre est plus difficile. Les répondants-es àl’enquête considèrent qu’une médiation relevant d’une structure

60 Le Code de la famille

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juridique est plus neutre que celle qui serait asurée par la famille oules amis et peut aboutir à de meilleurs résultats. Il y a là incontesta-blement une attente à l’égard de cette procédure qui souffre, dans lesfaits, de nombreuses déficiences notées par tous les observateurs(manque d’infrastructures et de ressources humaines au tribunal,nombre élevé des dossiers à traiter par jour, l’absence d’un appui socialet psychologique, manque de coopération des familles et absence despécialistes en médiation familiale).

1.2. En revanche, l’autorisation du juge exigée pour que l’hommepuisse prendre une autre épouse est loin d’agréer aux personnesinterrogées. Bien plus, elle constitue un point de focalisation du rejetdu nouveau code, et suscite, paradoxalement, plus de refus de la partdes femmes que des hommes : sur 369 personnes opposées à cettemesure, soit un pourcentage total de rejet de 61,7 %, 221 femmes(72,7 % des femmes) s’insurgent contre cette disposition, alors que leshommes ne représentent que 50,3 % de ceux qui ont répondu non.

Cette position étonnante mériterait indiscutablement d’êtreexplorée pour en déterminer la signification : souci des femmes de nepas « provoquer » des réactions négatives masculines alors que lapolygamie diminue et est réglementée très strictement par lesnouvelles dispositions ? Conformisme ?

2. Les appréciations de la disposition relative à la co-respon-sabilité

La co-responsabilité résulte de la définition même du mariage(article 4). Elle supprime l’institution du chef de famille qui revenaità l’homme auquel la femme devait obéissance.

A la question suivante : « Le code de la famille établit lacoresponsabilité du père et de la mère dans l’exercice de l’autoritéparentale. Etes-vous favorable à cette disposition ? », hommes etfemmes répondent en majorité favorablement.

Quels que soient l’âge, la situation professionnelle ou le niveaud’instruction, les femmes sont globalement plus favorables à cettenouvelle disposition que les hommes. Ce qui semble concorder avecla conception de l’égalité développée par l’ensemble de l’échantillon(cf. supra).

61Perceptions et pratique judiciaire

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L’enquête du leadership féminin déjà citée avait souligné le fait queles mutations des relations familiales déchargent les hommes decertaines tâches, alourdissant par voie de conséquence lesresponsabilités féminines, et entraînent des recompositions de rôleignorées par le droit.

La disposition relative à la coresponsabilité constitue indéniable-ment de ce fait une reconnaissance de cette extension du rôle desfemmes. C’est sans doute là une explication de la plus forteapprobation par les femmes de cette nouvelle norme (86,8 %). Cesrésultats concordent avec les positions relatives à certains élémentsconcrets comme le partage des tâches familiales, telles quedéveloppées plus haut. Il reste que cette « reconnaissance » nes’accompagne pas d’une connaissance suffisante de la significationprofonde des nouveaux droits et obligations que cela implique. Leshommes et les femmes se sont révélés-es ignorants-es du fait quel’époux n’est plus chef de famille. En outre, il faut ajouter à cela le faitque le texte contient un certain nombre de contradictions relativesà cette redistribution de rôles. A titre d’exemple, le fait que l’époux soittenu à l’obligation d’entretien (article 194) peut être vécu par leshommes comme un déni d’égalité !

3. Les méandres de la redéfinition de la citoyenneté desfemmes

Le nouveau code élargit les droits des femmes qui sont désormaisdavantage reconnues comme citoyennes. Les droits analysés dans cechapitre sont ceux relatifs à l’égalisation de l’âge au mariage, le droitattribué aux femmes d’introduire une clause de monogamie dans l’actedu mariage, le droit pour les filles majeures de se marier sans avoirnécessairement recours à la tutelle matrimoniale et enfin le maintiende la famille dans le domicile familial en cas de rupture du mariage.Sur toutes ces questions, le débat est largement engagé et lerapprochement hommes-femmes relativement important. En revanche,une question continue à susciter des résistances masculines : celle dupartage des biens acquis tout au long du mariage.

3.1. L’alignement de l’âge au mariage à 18 ans pour l’homme etpour la femme (art. 19 du code de la famille) ne semble pas poser deproblème aux personnes interrogées qui, globalement, sont favorables

62 Le Code de la famille

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à cette mesure. Il faut cependant noter que cette réforme provoquedes réactions nettement différenciées selon le sexe (soit 55,63% defemmes et 44,37% d’hommes) et l’âge, les plus favorables étant lesfemmes des tranches d’âge allant jusqu’à 45 ans et les hommes âgésde moins de 35 ans. Cette dernière observation doit être nuancée dansla mesure où si les hommes âgés de 25-34 ans sont proportion-nellement les plus favorables, ils sont aussi ceux qui se prononcent leplus nettement contre cette disposition. Ils sont en effet 74 à avoirrépondu qu’il n’était pas nécessaire d’élever l’âge au mariage des fillesà 18 ans, soit 17,1 % de l’ensemble de ceux et de celles qui ont répondunégativement et 43 à refuser cette mesure, soit 26,4% de ceux et cellesqui ont opté pour cette position.

Dans l’analyse, il faut tenir compte du fait que le pourcentage deshommes de cette tranche d’âge dans l’échantillon total est important,ce qui lui donne un poids considérable. On peut donc en conclure quecette partie de la population – que l’on peut qualifier de jeune – estdivisée sur la question et que les hommes plus que les femmes tendentà considérer que les filles peuvent se marier plus tôt et qu’elles sontsuffisamment mûres pour élever des enfants. Les pratiques decontournement de la loi, notées par les associations féminines (10),montrent que les juges continuent à être confrontés à cetteproblématique et accordent un certain nombre d’autorisations demariages de filles mineures.

Ces résultats montrent que les divergences subsistent sur l’âge aumariage.

3.2. La clause de monogamie

Un certain nombre d’enquêtes réalisées ces dernières années (11)

observé que les hommes continuent à revendiquer la polygamiecomme un droit masculin alors que les femmes sont massivementopposées à la polygamie. La clause de monogamie que l’épouse peutintroduire comme condition dans l’acte du mariage, conformémentà la possibilité ouverte par l’article 40 du code de la famille, recoupecet objectif.

63Perceptions et pratique judiciaire

(10) Voir notamment les rapports de la Ligue des Droits des Femmes.(11) Bourquia Rahma (sous la direction de), [2000], les Jeunes et les valeurs religieuses,EDIFF/CODESRIA, pages 14-15.

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Comme le montre le graphe 4, les hommes globalement acceptentpeu cette mesure, à l’exception des tranches d’âge 18-24 ans et45-54 ans, qui expriment des opinions nettement plus favorables queles autres classes d’âge. L’étude réalisée sur les jeunes et les valeursreligieuses avait noté que les jeunes développent des points de vuecontradictoires à ce sujet : s’ils optent dans un premier temps pour lamonogamie, des résistances non négligeables à ce changementsubsistent au niveau des mentalités (plus de 20 % de l’échantillonenquêtée sur les valeurs religieuses ayant déclaré y être tout de mêmefavorable).

Les hommes âgés de 45 à 54 ans qui l’acceptent le fontprobablement parce qu’ils sont pères et qu’ils sont confrontés à unchoix pour l’avenir de leurs filles. Cette orientation pose la questionde l’influence du contexte dans lequel ils ont baigné – qui est celuidu lendemain de l’Indépendance – période marquée par un élan versla modernité et un système éducatif plus ouvert en ce sens.

Les hommes mariés sont les plus réticents (40,3% sont pour lamesure et 59,6 % y sont opposés), alors que 54,7% des célibatairesl’approuvent.

Les femmes, quel que soit leur statut matrimonial, sont largementfavorables à cette disposition.

Graphe 4

Les opinions des hommes et des femmes relatives à la clause demonogamie en fonction de l’âge

64 Le Code de la famille

0

10

20

30

40

50

60

70

80

Employé Artisan Ouvrier Autre

H

F

Cadremoyen

Cadresupérieur

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Par rapport au niveau d’instruction, la courbe est ascendante, lesopinions favorables à la nouvelle disposition progressant régulièrementdu niveau le plus bas au niveau supérieur, pour les femmes et pourles hommes

Par rapport à la situation professionnelle, les hommes en activitésont 44,8% et les femmes 79,4% à être favorables à la clause demonogamie.

Si l’on considère la profession, les femmes sont globalement pourla nouvelle règle, quelle que soit la nature de l’activité, le pourcentagele plus faible étant celui des ouvrières qui ne sont que 50% à approuvercette mesure. Compte tenu du fait que les ouvrières ne sont que 28dans l’échantillon total (soit 6,46 %), ce résultat n’est pas significatif,car il ne représente que 14 personnes. Ces dernières se sententprobablement dans une situation matérielle et psychologique degrande vulnérabilité et ne souhaitent pas entrer en conflit avec leconjoint.

En revanche, les hommes sont moins favorables à la clause demonogamie qui est davantage acceptée par les cadres supérieurs(54,3 %) et par la catégorie « employés-es » (55,6 %) que par les autrescatégories professionnelles. Les hommes cadres moyens (25,8 %) suivispar les artisans (34,8 %) sont les plus défavorables à l’idée que lesfemmes puissent avoir cette possibilité d’inclure dans l’acte dumariage une clause de monogamie.

2.3. La nouvelle réglementation relative à la wilaya : une liberté desfemmes qui suscite des réserves

L’article 24 stipule que « la tutelle matrimoniale (wilaya) est un droitqui appartient à la femme ». Elle peut donc contracter elle-même sonmariage. Mais elle peut aussi décider de « déléguer à cet effet son pèreou l’un de ses proches » comme le précise l’article 25. Malgré cettelatitude, la nouvelle règle ne semble pas recevoir l’agrément desMarocains et des Marocaines de l’échantillon. Cette conclusion estconfirmée par l’enquête du HCP qui a noté un faible taux d’acceptation,autant par les hommes, qui sont 22,4 % à la juger convenable, quepar les femmes, qui sont 24,5 % seulement à avoir répondupositivement.

65Perceptions et pratique judiciaire

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Les avis se sont en effet révélés très partagés entre les deuxcatégories de réponses introduites par cette question : celles quiperpétuent le système ancien et celles qui introduisent des élémentsrelatifs à l’émancipation féminine. Les idées proposées que cettedisposition pourrait avoir comme conséquence une acquisitiond’autonomie par les femmes ne semblent pas véritablementacceptables à une majorité d’hommes et de femmes qui tendent àdévelopper des points de vue proches sur la question.

L’enquête souligne notamment le décalage entre les positionsgénérales favorables à l’égalité et le refus pratique des hommes decéder sur la délimitation de leurs champs de pouvoir. Ces derniers sont47,8 % à penser que cette liberté « porte atteinte aux droits des pères »,pourcentage à peine plus important que celui des femmes qui est de43,42 %. Sur cette question, l’écart entre les sexes est faible. L’idée durespect du pater familias reste très fortement ancrée dans les esprits.

Cette conviction est renforcée par tous ceux et celles (50,6 % desrépondants-es qui pensent que cette mesure « contient le risqued’entraîner les filles à ne plus respecter la famille ». Il y a là expriméela crainte de porter atteinte à la cellule familiale à un moment degrandes tensions, conséquences des profondes mutations à l’œuvre.L’idée sous jacente est relative au besoin de préserver la cellulefamiliale.

Conservatisme ? Crainte de dislocation de la cellule familiale ? Besoinde la structure familiale dans un contexte d’incertitudes et deperturbations sociales, conséquence des mutations à l’œuvre ? Cesdifférentes options peuvent expliquer les attitudes des jeunes.

Nonobstant ce souci partagé, les femmes n’hésitent pas à considérerque la révision de la règle de la tutelle est susceptible de protéger lesfilles contre les décisions arbitraires d’un membre masculin de la famille(42,76 %) alors que les hommes ne sont que 39,1 % à s’inscrire danscette perspective. Elles sont moins nombreuses à considérer que cetteliberté est normale parce qu’elles considèrent les filles comme des êtresresponsables (31 %).

Sur cette question, il est clair que l’incertitude règne.

Il est intéressant de noter que les réponses combinent les risqueset les avantages mais que l’éventualité des risques de porter atteinteà l’équilibre de la famille l’emporte dans les réponses.

66 Le Code de la famille

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Tableau 19

Les perceptions de la révision de la règle de la wilayaselon le sexe

Total Femmes Hommes

Porte atteinte aux droits des pères 46,3 43,4 50,6

Risque de manque de respectà la famille 47,5 42,7 50,6

Protège les filles des mariagesnon désirés 39,2 42,7 34

Fait de la fille un être responsable 28,6 30,9 25,2

2.4. Le maintien de la famille au domicile conjugal et l’intérêt del’enfant

418 répondants pensent que le maintien de la famille dans ledomicile conjugal est une bonne chose. Une majorité écrasante defemmes en est convaincue : 245 femmes sur 304 et 173 hommes sur294. Les hommes sont donc nettement plus réservés à l’égard de cettemesure, à l’exception toutefois de ceux qui appartiennent auxtranches d’âge 45-55 et 55 et + (75 % et 72,2 %). Il faut également noterque les hommes sont plus nombreux que les femmes à se réfugierderrière les réponses sans opinion.

Ceux et celles qui approuvent cette mesure répondent positivementà la question qui associe le maintien dans le domicile conjugal de lafamille à l’intérêt de l’enfant. Les réponses atteignent des pourcentagesinégalés puisqu’ils avoisinent le plus souvent les 100 %. C’est là lapreuve que cet intérêt est placé très haut dans l’échelle des valeursfamiliales, avec un automatisme qui associe l’enfant à la mère, lafonction maternelle servant de référent. La justification de ce choix sesitue plus au service de l’enfant que de la mère. Pour les femmeset pour les hommes, l’intérêt de l’enfant masque celui de la mère,ou en est dépendant, ce qui dénote une distribution des rôlesinchangée…

Par rapport au statut matrimonial, les personnes mariées plus queles célibataires sont favorables à la mesure (66,2 % des hommes et81,5 % des femmes).

67Perceptions et pratique judiciaire

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Le pourcentage des femmes qui sont favorables est élevé et s’accroîten fonction de la progression au fur et à mesure que l’âge, avec un légerfléchissement vers 35-44 ans. Les hommes défendent des opinionsmoins stables, même si on peut observer le même recul à la mêmetranche d’âge. L’accord est en revanche plus franc entre 45 et 55ans.

Graphe 5

Perceptions de la disposition relative au maintien de la familleau domicile conjugal par rapport à l'âge

68 Le Code de la famille

0

10

20

30

40

50

60

70

Néant Fondamental Secondaire Supérieur

H

F

L’analyse par rapport au niveau d’instruction des hommes montreune progression ascendante au fur et à mesure que le niveau s’élève :50 % des analphabètes et un pourcentage équivalent de ceux qui ontun faible niveau d’instruction étant assez réservés à l’égard de lamesure, 66 % des hommes de niveau supérieur l’acceptent. Le taux leplus élevé de ceux qui s’y opposent concerne les hommes ayant unniveau d’instruction fondamental, soit 34,6 %.

Les femmes sont nettement favorables à cette nouvelle disposition,mais il faut noter que 12 % des femmes de niveau secondaire et deniveau supérieur y sont hostiles !

Cette position est confirmée par le fait que les trois quarts (75 %)des femmes qui ont affirmé être défavorables au fait que la famillepuisse être maintenue au domicile conjugal ont un niveauprofessionnel « cadres supérieurs » Ces opinions posent la questionde savoir si l’autonomie financière dont elles bénéficient est un élémentd’explication de ce choix.

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4. Un seuil difficile à dépasser : le partage des biens acquistout au long du mariage

Une frontière semble indépassable, celle relative au partage des biensacquis tout au long du mariage. L’idée du partage des biens acquis toutau long du mariage est apparue officiellement dans le projet PANIFD (12)

dans un souci d’équité par rapport aux femmes qui, ayant largementcontribué à la constitution du patrimoine familial grâce à leur travailau sein du foyer et/ou grâce à leur activité professionnelle, seretrouvent souvent dans une situation de dénuement et de dépendanceen cas de séparation. Cette proposition a suscité de violentes réactionsde la part du mouvement islamiste au Maroc.

Malgré cette opposition, elle a été intégrée dans le nouveau code(article 49) sans effacer les résistances qui sont essentiellementmasculines. En effet, les hommes répondants, qu’ils soient mariés oucélibataires, sont nombreux à désapprouver cette mesure (respective-ment 59,6 % et 45,3 %).

Les femmes sont respectivement 20,3 % et 16,9 % à avoir cetteposition. Ces dernières continuent à considérer qu’elles n’ont pas àréclamer un partage des biens, sans doute parce qu’elles ont desdifficultés à remettre en cause les représentations classiques. Il s’agitessentiellement de femmes au foyer, âgées de plus de 55 ans et peuinstruites.

Tableau 20

La répartition des biens selon le sexe et le statut matrimonial

Oui Non

H F H F

Célibataire 54,74 83,08 45,26 16,92

Marié-e 40,35 79,66 59,65 20,34

Divorcé-e/veuf-ve 50 79,41 50 20,59

Ces perceptions négatives montrent l’intérêt de mieux expliquercette mesure et d’en définir et préciser les critères de répartition entreles époux qui décident de rompre leur mariage.

69Perceptions et pratique judiciaire

(12) Secrétariat d’Etat chargé de la Protection sociale, de la Famille et de l’Enfance, [1999],Plan d’action national pour l’intégration de la femme au développement.

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Les opinions exprimées par les hommes âgés de 18 à 24 ans serépartissent de manière égale entre les « oui » et les « non » (38 %).Ce sont eux aussi qui sont les plus nombreux à se déclarer « sansopinion ».

Les femmes âgées de 35 à 44 ans sont les plus favorables (77,9 %)alors que les hommes de la même tranche d’âge sont ceux dont le tauxd’acceptation est le plus faible (28,1 %). Chez les femmes comme chezles hommes le nombre des réponses « sans opinion » est relativementimportant (de l’ordre de 20 % et plus sauf pour les personnes âgéesde 55 ans et plus).

Graphe 6

Les perceptions de la mesure sur la répartition des biensselon le sexe et l’âge

70 Le Code de la famille

0

10

20

30

40

50

60

70

H F H F H F

Pour l'égalité Contre l'égalité Ne sais pas

Oui

Non

Sansopinion

L’examen du graphe 7 rend compte nettement des différences deperceptions des personnes interrogées selon le niveau éducatif et lesexe. Il y a une quasi-équivalence entre les proportions de femmes quiapprouvent la disposition et celles des hommes qui la refusent. Etmême si la progression des réponses masculines « oui » est ascendanteen partant du niveau éducatif le plus bas vers le plus haut, les réponsespositives à la question posée restent globalement faibles et manifestentune opposition claire.

L’activité n’est pas un critère qui différencie les hommes qui sontglobalement défavorables à cette mesure, qu’ils aient une activitésalariée, qu’ils soient étudiants ou chômeurs.

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Graphe 7

Perceptions relatives à la mesure sur la répartition des biens selonle sexe et le niveau d’instruction

71Perceptions et pratique judiciaire

0

10

20

30

40

50

60

70

80

90

100

18 – 24 25 – 34 35 – 44 45 – 54 55 et plus

H

F

Parmi ceux qui sont actifs, les résultats croisés avec la professionrévèlent des perceptions de la répartition des biens nettementnégatives de la part des hommes. Les employés puis les cadressupérieurs masculins sont ceux qui entretiennent les positions lesmoins hostiles à la mesure (soit respectivement 45,4 % et 42,6 %), maisles pourcentages de refus restent importants, les cadres supérieurs serévélant plus franchement opposés que les employés (41% et 31,8%).Les cadres moyens (24,2), les artisans (26 %) et les ouvriers 21 %) sonthostiles à cette disposition.

Graphe 8

Perceptions de la mesure sur la répartition des biens par rapport àla situation professionnelle

0

5

10

15

20

25

30

35

40

Hommes Femmes

De la lecture du texteDe la lecture des journaux

De la télévisionDe la radioDe conversationsDu fait que vous êtes engagédans une procédurejudiciaire relative à la famille

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Graphique 9

Opinions relatives à la mesure sur la répartition des biensselon le sexe et la profession

72 Le Code de la famille

0

10

20

30

40

50

60

70

80

Oui Non Sans opinion

H

F

V. Une vision d’ensemble contrastée

L’étude révèle des potentialités réelles de changement etd’acceptation des nouvelles règles juridiques. Elle révèle égalementune communauté d’opinions entre générations et interpelle sur leniveau de résistance et de crispation.

Certains points unissent hommes et femmes, d’autres en revancheles divisent, voire les opposent.

1. Des potentialités réelles de changement

L’étude a mis en lumière une tendance générale au rapprochemententre les sexes. Mais si hommes et les femmes sont inscrits dans unedynamique de changement indéniable, les femmes sont nettement plusfavorables aux nouvelles dispositions.

1.1. Le constat du rapprochement des hommes et des femmes dansleurs relations au sein de la sphère privée

Quatre points d’accord semblent incontestables : les répondants-essont contre les violences, hommes et femmes expriment des réservesà l’égard de la possibilité offerte aux femmes de se marier sans avoir

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recours à la tutelle matrimoniale, les tribunaux de famille sontglobalement bien accueillis ainsi que la procédure de conciliation. Lacoresponsabilité et l’âge au mariage, malgré les écarts, peuvent êtreconsidérés comme des mesures consensuelles.

Sur toutes ces dispositions, la convergence de points de vue est uneréalité malgré les écarts des opinions des hommes et des femmes.

Tableau 21

Récapitulatif des tendances générales vis-à-vis de l’égalité et ducode de la famille en fonction des thèmes traités *

%

Principe de l'égalité 70,9

Violence physique 94,9

Partage des tâches du foyer 66,5

Révision de la Moudouwana 57,3

Coresponsabilité 79,1

Age au mariage 72,9

Clause de monogamie 65,5

Tribunaux de la famille 63,8

Autorisation du juge pour le remariage de l'époux 31,2

Procédure de réconciliation 72,4

Domicile conjugal 69,9

Le partage des biens 50,8

* la question de la tutelle matrimoniale n’a pas pu être exposée dans les tableaux

récapitulatifs dans la mesure où les questions posées étaient des questions multiples.

En résumé, l’adhésion à l’égard des tribunaux de famille, les avispositifs exprimés vis-à-vis de la procédure de réconciliation, le refusmassif de la violence, l’acceptation de mesures relatives à l’âgeminimum au mariage des filles fixé à 18 ans et à l’ensemble des autresdispositions examinées dans l’étude sont des indications quipermettent d’accréditer la thèse selon laquelle le changement est àl’œuvre.

Même lorsque la connaissance se révèle insuffisante, la tendanceest au réajustement des comportements en fonction des innovationset aux compositions avec les effets du nouveau texte.

73Perceptions et pratique judiciaire

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La société marocaine semble en effet entrée dans un processusirréversible d’adaptation à la nouvelle donne.

De ce point de vue, le nouveau code signe la fin des certitudes surlesquelles vivaient les sociétés et ouvre la voie à de nouveauxrapports.

1.2. Les femmes plus concernées et aussi… plus motivées

Selon les données de l’enquête, hommes et femmes entretiennentdes positions parallèles sur bien des questions. Comme l’atteste letableau récapitulatif des principales tendances dégagées selon le sexe,sur toutes les questions les écarts sont importants. Quels que soient,l’âge, la situation matrimoniale, le niveau d’instruction ou la profession,la logique sexuée des perceptions est claire. Certes, des proximitésexistent et des rapprochements sont à l’œuvre sur le principe del’égalité, sur l’acceptation de la coresponsabilité mais les femmesse sont davantage écartées que les hommes des conceptionstraditionnelles.

L’analyse de l’ensemble des réponses met en effet en lumière latendance des femmes, constatée dans bon nombre d’enquêtes, àexprimer un point de vue largement favorable à une recompositiondes droits et devoirs au sein du couple,

Même si pour cela les femmes acceptent, consciemment ouinconsciemment encore, que « le dernier mot revienne à l’homme »et qu’elles ne contestent pas certaines normes en vigueur comme lawilaya, elles expriment un idéal égalitaire et une volonté derevendication sensible ; elles apparaissent comme les principales forcesde ce mouvement qui exerce des incidences sur la société dont on n’apas encore mesuré l’ampleur.

74 Le Code de la famille

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Tableau 22

Récapitulatif des principales tendances favorables à l’égalitéselon le sexe en fonction des thèmes traités

H F Ecart

Principe de l'égalité 62,93 78,62 15,69

Violence physique 92,86 95,72 2,86

Partage des tâches du foyer 55,78 76,64 20,86

Révision de la Moudouwana 40,48 66,78 26,30

Coresponsabilité 71,09 86,84 15,75

Age au mariage 64,63 79,61 14,98

Clause de monogamie 42,18 75,33 33,15

Tribunaux de la famille 62,24 65,13 2,89

Autorisation du juge pourle remariage de l'époux 50,34 72,7 22,36

Procédure de réconciliation 74,15 70,72 3,43

Domicile conjugal 58,84 80,59 21,75

Le partage des biens 32,99 68,09 35,10

Les hommes sont aussi globalement engagés dans cette nouvelledynamique. Certes, leurs réticences sont encore importantes sur denombreux points. Pour eux, le changement de représentations resteplus difficile et apparaît encore comme un comportement « àmaîtriser » pour éviter une trop grande perte de pouvoir. Pour cesraisons, ils se montrent en général plus résistants à l’égalité.

Mais la tendance dominante est davantage marquée parl’expectative que par les refus francs et les réponses laissent entrevoirune réalité moins hostile qu’il n’y paraît.

Une phase de reconstruction, de repositionnement, de multiplestentatives d’adaptation est en cours qui confirme que les rôlesrespectifs des hommes et des femmes sont en discussion.

L’égalité en droit au sein de la famille semble donc bien être dansune phase de négociation pour rendre effectives les mutationssociétales reconnues et concrétiser les modifications inscrites dans lenouveau code.

Les résultats de l’enquête suggèrent en effet que si le principe del’égalité est suffisamment accepté dans le couple, l’identification des

75Perceptions et pratique judiciaire

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inégalités au sein de la famille l’est moins et les formes que doit prendrecette égalité sont mal cernées et encore largement en débat.

A ce stade des évolutions, tout se passe comme si lesreconnaissances de l’égalité en tant que valeur et norme juridiquedestinée à régir les rapports hommes/femmes dans la sphère privée,ainsi que les changements formels et informels qui en découlent, sontjugées suffisantes.

2. L’appréciation des résistances

L’étude pose la question de la mesure des résistances et du degréde crispation de la société marocaine par rapport au nouveau code.En effet, si la tendance est à une redistribution moins inégalitaire desrelations de genre, cela ne signifie nullement que les résistances ontdisparu. La complexité de la question du pouvoir au sein de la cellulefamiliale participe à des logiques qui s’enchevêtrent selon les deuxmodèles familiaux dominants : le modèle patriarcal théocratique dontles fondements sont étroitement liés à la religion qui s’appuie sur unedéfinition essentialiste des rôles dans la famille et le modèlecontemporain de la démocratie familiale qui milite pour l’égalité entreles conjoints.

L’examen des résistances permet de dégager les questions dedésaccord et les questions qui divisent les hommes et les femmes.

De manière très schématique, trois sujets de désaccord existent àl’égard du nouveau code et trois questions divisent profondément lesopinions exprimées par les femmes et par les hommes. D’une part, lesMarocains et les Marocaines ne sont pas vraiment d’accord sur lecontenu concret de la coresponsabilité, sur le maintien dans le domicileconjugal et sur la nécessité de l’autorisation du juge lorsque l’épouxsouhaite contracter un autre mariage. D’autre part, la révision de laMoudouwana et la clause de monogamie divisent les hommes et lesfemmes. L’opposition est particulièrement forte à l’égard du partagedes biens acquis pendant le mariage, les hommes étantparticulièrement hostiles à cette mesure.

Sur ces questions, les idées répandues pour s’opposer à cesmesures pendant la longue période de controverses au sujet duPANIFD, ne semblent pas avoir perdu de leur prégnance, ce quinécessite des campagnes de clarification.

76 Le Code de la famille

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L’analyse des positions négatives sur l’égalité doit permettre dedresser le profil de ceux et de celles qui s’opposent à l’égalité.

152 personnes (sur 598) soit 25,42% de l’échantillon, dont57 femmes (18,75 % des femmes) et 95 hommes (soit 32,31 % deshommes), ont affirmé être opposées à l’égalité. Ils /elles sont 17, 76 %à penser que l’égalité n’a pas de sens, mais surtout à considérer quela famille doit continuer à être placée sous l’autorité du mari à qui ilrevient de prendre les décisions dans la famille (52,63 %) auquell’épouse doit obéissance (44,74 %).

Il s’agit essentiellement d’hommes âgés de 25-34 ans et de plus de55ans, divorcés ou veufs, n’ayant aucun niveau d’instruction ou ayantun niveau faible, en activité ou retraité. Lorsqu’ils sont en activité, cesont les artisans, ouvriers et autres qui sont les plus défavorables.

Proportionnellement, même lorsqu’elles ont déclaré être opposéesà l’égalité, les femmes sont toujours moins nombreuses que leshommes à partager ces points de vue. Ainsi, bien que le traditionalismedes classes défavorisées soit confirmé, ce sont les différencesd’opinions entre les hommes et les femmes qui structurent les relationsfamiliales.

D’un point de vue analyse du statut matrimonial, il n’y a pas dedifférences, célibataires, mariées et divorcées développant égalementdes opinions proches.

Graphique 10

Les réponses négativesselon le sexe et le statut matrimonial

77Perceptions et pratique judiciaire

0

10

20

30

40

50

60

Célibataire Marié-e Divorcé-e et veuf-ve

H

F

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Les femmes les plus conservatrices sont des femmes au foyer, âgéesde plus de 55 ans, faiblement instruites, attitude qui correspondgénéralement à l’observation sociologique. Elles sont suivies de prèspar les femmes âgées de 25-34 : 10,5 % de l’ensemble des non et 29,6 %des hommes, suivis par les 35-44 : 11,2 % femmes et 12,5 % hommes.

Graphique 11

Pourcentage des réponses négatives selon l’âge et le sexe

78 Le Code de la famille

0

10

20

30

40

50

60

70

80

18-24 25-34 35-44 45-54 55 et plus

H Non H sans opinionH Oui

0

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30

40

50

60

70

80

90

100

18-24 25-34 35-44 45-54 55 et plus

F Non F sans opinionF Oui

Le plus fort pourcentage de ceux et de celles qui ont répondunégativement sont en activité : 11,2 % femmes et 25,2 % hommes. Parrapport à la profession, il importe de noter que, parmi les femmes, cesont les cadres moyens féminins qui sont les plus nombreuses à nepas adhérer à cette solution, alors que le pourcentage des hommesest inférieur à celui des femmes.

Graphique 12

Les réponses négatives selon le sexe et la profession

0

10

20

30

40

50

60

70

80

90

H F H F H F

Oui Non Sans opinion

18-24

25-34

35-44

45-54

55 etplus

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Par rapport au niveau d’instruction, les résultats donnent unpourcentage d’hommes plus défavorables de manière générale,particulièrement chez les analphabètes. Chez les femmes, celles quiont un niveau d’instruction supérieur sont plus nombreuses às’opposer à l’égalité que celles qui ont un niveau secondaire, niveaude refus confirmé par le pourcentage de femmes cadres qui seprononcent contre l’égalité.

Appelés-es à clarifier les raisons pour lesquelles elles ne sont pasd’accord, les personnes interrogées soulignent surtout deux principestraditionnels : les hommes sont les chefs de famille et les femmes leurdoivent obéissance. Il y a donc là un refus clair d’accepter lesmutations induites par le code.

Dans l’échantillon global, la frange la plus la plus hostile estconstituée par les hommes, principalement ceux n’ayant aucunniveau d’instruction ou qui ont un niveau d’instruction primaire.

Graphique 13

Pourcentage des réponses négatives selonle sexe et le niveau d’éducation

79Perceptions et pratique judiciaire

0

10

20

30

40

50

60

70

80

H F H F H F

Oui Non Sans opinion

Néant

Supérieur

Fondamental

Secondaire

L’hypothèse, généralement admise, qui considère que les catégoriesles moins bien dotées culturellement et socialement sont aussi cellesqui sont les plus opposées à l’égalité – personnes sans instruction ayantun travail en bas d’échelle sociale ou chômeuses – se trouve iciconfirmée.

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L’opposition déclarée au principe de l’égalité ne suffit toutefois paspour cerner le profil des personnes qui le refusent dans les faits.D’autres réponses permettent d’identifier les personnes qui, tout enaffirmant qu’elles sont favorables au principe, se révèlent opposéesà ses conséquences.

Ils/elles sont aussi contre le nouveau code : un pic de ces avisnégatifs est enregistré chez les personnes qui ont déclaré êtreopposées à la révision de la Moudouwana, 37 femmes soit 12,2 % et110 hommes soit 37,3 % des hommes interrogés. Dans l’enquête duHCP, les pourcentages sont radicalement différents puisque les aviscontraires ne rassemblent que 9,9 % du total de l’échantillon, soit 13,9 %des hommes et 5,6 % des femmes. Il est vrai que cette enquête aenvisagé une troisième opinion possible celle des « avis mitigés » selonla formulation choisie, qui révèle que 29,3 % des répondants-es ontdu mal à avoir un avis clair.

Le croisement des réponses relatives au principe de l’égalité et àl’acceptation du nouveau code de la famille (graphe 11) permet dedégager les résultats suivants :

• 39,3 % des hommes qui se sont prononcés pour l’égalité ontrépondu qu’ils sont favorables au nouveau code et 24,3% de ceux quine sont pas favorables à l’égalité y sont opposés ;

• 62,7 % des femmes qui adhèrent au principe de l’égalité adhèrentégalement aux révisions de la Moudouwana alors que 6,5 % de cellesqui refusent le principe égalitaire sont contre les réformes.

Ces résultats indiquent qu’il n’y a pas une concordance claire entreles opinions relatives au principe de l’égalité et acceptation (ou non)du nouveau code de la famille : les personnes qui se sont déclaréesfavorables au principe de l’égalité peuvent être opposées au nouveaucode et inversement. Ainsi, sur les 62,93 % d’hommes qui acceptentle principe égalitaire, seuls 39,3 % d’entre eux sont favorables au codede la famille. Dans les deux cas, le décalage entre les deux options chezles femmes est légèrement moins important.

80 Le Code de la famille

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Graphe 14

Distribution des réponses sur l’adhésion (ou non)au principe de l’égalité et sur l’acceptation (ou non)

du nouveau code de la famille,selon le sexe

81Perceptions et pratique judiciaire

0

10

20

30

40

50

60

70

80

90

H F H F H F

Oui Non Sans opinion

En activité

En chômage

Etudiant

Femme aufoyer

Retraité

Ils-elles sont opposés-es à certaines nouvelles dispositions quiétablissent l’égalité. Ils-elles refusent de croire qu’il était nécessaired’élever l’âge au mariage des filles (37,1% des femmes et 62,9 % deshommes). 22 % des femmes et 40,3 % des hommes pensent quel’homme ne devrait pas avoir à solliciter l’autorisation du juge pourse remarier ; 17,4 % des femmes et 45 % des hommes pensent que ladisposition relative à la clause de monogamie n’est pas intéressante ;11,2 % des femmes et 24,4 % des hommes refusent la mesure relativeau domicile conjugal ; 14,5 % des femmes et 48,8 % des hommes jugentanormale la disposition sur le partage des biens.

3. La communauté d’opinions entre générations

De manière générale, sur les questions de société, les différencesentre générations constituent un trait caractéristique dont il faut tenircompte. C’est en ce sens qu’il a été jugé nécessaire d’examiner lesperceptions de la recomposition des rapports de pouvoir entre les sexesselon l’âge.

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Tableau 23

Tableau récapitulatif des tendances générales dominantesvis-à-vis de l’égalité et du code de la famille

en fonction des thèmes traitésselon la catégorie d’âge

18 – 24 25 – 34 35 – 44 45 – 54 55 et plusH F H F H F H F H F

Principede l'égalité 69,12 82,93 58,97 77,91 59,65 73,53 71,43 88,37 58,82 64

Violencephysique 98,53 98,77 91,45 95,29 89,47 100 97,14 95,35 82,35 92

Partagedes tâchesdu foyer 58,82 78,05 54,7 80,23 52,63 77,94 60,00 69,77 52,94 72

Révisionde laMoudouwana 34,92 65,82 39,64 67,86 49,06 73,13 61,29 79,49 57,1466,67

Corespon-sabilité 73,53 87,8 70,09 89,53 66,67 85,29 80,00 83,72 64,71 84

Age aumariage 66,18 85,37 63,79 80,95 65,45 86,57 68,57 69,77 64,71 64

Clause demonogamie 64,81 86,49 40,19 74,39 40,43 84,38 60,61 84,62 43,75 74

Tribunauxde la famille 58,82 62,2 57,26 67,44 68,42 65,67 77,14 67,44 58,82 64

Autorisationdu juge pourle remariagede l'époux 51,47 78,05 50,43 73,26 56,14 73,53 42,86 67,44 41,18 60

Procédure deréconciliation 70,59 71,95 75,21 67,44 73,68 75 80 65,12 70,59 76

Domicileconjugal 57,35 73,17 57,26 84,88 50,88 77,94 74,29 86,05 70,59 88

Le partagedes biens 38,24 68,29 30,77 61,63 28,07 77,94 37,14 65,12 35,29 68

82 Le Code de la famille

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Alors qu’on aurait pu penser que les jeunes manifesteraientglobalement plus d’enthousiasme à l’égard des révisions, la réalité estplus prosaïque.

Le tableau 23 permet en effet de constater qu’il n’y a pas dedifférences générationnelles à propos de l’égalité hommes-femmeset à propos des perceptions du nouveau code.

Le tableau indique une grande complexité dans les positions. Ilrévèle que les hommes et les femmes les plus conservateurs-trices sontles plus âgés-es, ce qui correspond aux tendances généralementobservées dans les études sociologiques. En revanche, les jeunes 18-24 ne confirment pas la tendance à l’innovation qui leur est attribuéegénéralement.

Les différences selon le sexe s’accentuent dans les autres classesd’âge : les hommes âgés de 45-54 ans sont les plus favorables à l’égalité,suivis par les 18-24 ans et par les 25-34 ans. Cette tendance de latranche d’âge 45-54 pourrait être expliquée par le fait qu’en tant quepères ayant atteint un âge où leurs enfants s’engagent dans leur vied’adultes, ils sont plus attentifs au devenir de la vie de couple de leursfilles.

La catégorisation par groupe d’âge des femmes est moins évidente,à l’exception des plus de 55 ans qui développent des points de vuesimilaires. Pour les autres groupes d’âge, l’examen des positionsdémontre que, selon les questions, les opinions des femmes se croisentet s’entremêlent sans qu’on puisse les caractériser de manièrerigoureuse et sans qu’il y ait une cohérence par groupe d’âge. Lesfemmes semblent chercher à asseoir leurs nouvelles positions enfonction des milieux sociaux, en rangs séparés.

Les positions des jeunes sont aussi traversées par ces écartshommes-femmes dans les perceptions. L’analyse des réponses par sexeconfirme des perceptions par les jeunes de la répartition classique desrôles et de l’égalité. Une véritable communauté d’opinions entre lesmembres de la famille en ressort, structurée uniquement par lesdivergences de sexe :

Les jeunes expriment en effet des opinions très « conformistes »,proches de celles de leurs parents selon le sexe, conservatisme certaindes hommes et au contraire opinions plus engagées des femmes.

83Perceptions et pratique judiciaire

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Les réponses reflètent une grande fidélité à l’égard des valeurspartagées par l’ensemble des membres de la famille. Contrairementà une opinion répandue qui tend à diffuser l’idée que l’égalité, tellequ’elle est développée dans le code est susceptible de porter atteinteà l’institution familiale, la famille confirme sa position centrale.Toutes les enquêtes sur les jeunes ont établi cette conclusion (13). Cetattachement à la famille s’exprime par le fait que les jeunesmanifestent des opinions sur les relations familiales proches desadultes, ce qui signifie que si les adultes évoluent, les jeunes ne vontpas plus vite. Ils se contentent pour l’heure de les rejoindre.

Ces limites des capacités des jeunes à l’innovation et à lacontestation, qualités considérées comme des caractéristiquesclassiques de la jeunesse, interpellent. Elles suggèrent tout d’abord unalignement des jeunes sur les valeurs familiales, faute d’autresrepères ou comme le résultat d’un vide idéologique.

Elles posent aussi la question de savoir si cette communautéd’opinions adultes-jeunes correspond à une réussite et à unepermanence du modèle de socialisation des parents. La corrélationétablie entre ce type de socialisation et la socialisation scolaire, a permis

Graphique 15

Les positions sur le principe de l’égalité selon les générationsselon le sexe

84 Le Code de la famille

(13) Enquête CNJA (1993)/ Les valeurs religieuses (2003)/ L’économiste (2006)

0

10

20

30

40

50

60

70

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H F H F H F

Oui Non Sans opinion

Cadresupérieur

Cadre moyen

Employé

Artisan

Ouvrier

Autre

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de mettre en exergue le rôle de la prédominance des valeursd’autorité traditionnelle diffusées à travers le discours religieux sur lafamille véhiculé par l’école (14). Et ceci même si cela ne signifie pas queles parents continuent à servir de modèle (15). Autrement dit, si la famille,en tant qu’institution continue à être valorisée dans les perceptionsen fonction de valeurs traditionnelles d’obéissance, comme l’aconfirmé l’enquête nationale sur les valeurs, cela n’exclut pas unecertaine construction de l’autonomie des jeunes (16).

L’observation peut être faite que le changement des rapports entregénérations ne s’oriente pas vers l’individualisme des sociétéslibérales. Il conserve la solidité du groupe familial, au moins dans sastructure restreinte, malgré la crise des valeurs et malgré lesmanifestations de révolte et les processus d’individuation en cours.

Conclusions

Peu d’avis négatifs sur la perspective de nouvelles réformesrelatives à l’égalité hommes-femmes dans l’avenir ont été formulés.Une majorité, composée essentiellement par la population la plus activeet la plus jeune, pense que les révisions ne vont pas s’arrêter. La partd’incertitude est cependant largement exprimée à travers les réponses« sans opinion » qui sont, dans toutes les tranches d’âge et quel quesoit le sexe, nombreuses. Une exception non dénuée d’intérêt méritetoutefois d’être notée : celle des hommes âgés de 25-35 ans qui sont32, 98 % à croire qu’il n’y aura pas de réforme (17).

Cette conclusion dénote la fragilité des convictions qui est patente,ainsi qu’un certain pessimisme ambiant, reflet probable des hésitations

85Perceptions et pratique judiciaire

(14) Mohammed El Ayadi, « La Jeunesse et l’islam, tentative d’analyse d’un habitus religieuxcultivé », in les Jeunes et les valeurs religieuses, op.cit. p. 102-103.(15) Mokhtar El Harras, Famille et jeunesse estudiantine : aspirations et enjeux de pouvoir,idem, p. 170. Le quotidien l’Economiste du 31 août 2006, dans une « Analyse des manuelsscolaires » après les révisions intervenues au lendemain des attentats du 16 mai, signaleque beaucoup d’interrogations subsistent sur le contenu des ouvrages qui continuent àvéhiculer une image conservatrice des rôles attribués aux hommes et aux femmes ainsiqu’une vision passéiste de l’autorité dans la famille (16) Le Maroc possible, Rapport du cinquantenaire, perspectives 2025, enquête nationaledes valeurs ENV2004, imprimé aux Editions maghrébines, Casablanca, 2006, p. 53.(17) Le HCP, dans son enquête, a posé une question proche sur les perceptions des résultatsde l’application du nouveau code qui a révélé que 47,5 % des personnes du milieu urbainconsidèrent que le nouveau code aura des répercussions positives sur la société (dont 37,3 %d’hommes et 58 % de femmes).

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générales, constatées tout le long de l’analyse, qui confirment que lesMarocains et les Marocaines n’ont pas encore intériorisé une démarcheauthentiquement participative et démocratique. Habitués-es à ne pasintervenir dans la décision d’élaboration d’une nouvelle loi, ils/ellessubissent, se soumettent et tentent de s’adapter et d’ajuster leursattitudes à la nouvelle donne sans véritablement développer leur espritcritique.

Il n’en reste pas moins que l’intériorisation des nouvelles dispositionsest à l’œuvre. A cet égard, l’enquête a permis d’observer que, sur lesquestions où les changements sont entamés, où l’évolution descomportements est relativement claire, le constat du mouvement versl’égalité et l’acceptation des dispositions qui la rendent concrètessemblent relativement aisés à constater : c’est le cas de la corespon-sabilité, de l’âge au mariage.

D’autres suscitent encore de fortes oppositions, comme le maintiende la famille dans le domicile conjugal et surtout le partage des biensacquis tout au long du mariage, perçu par les hommes comme unedépossession insupportable

En dépit de ces difficultés, globalement, le bilan dégagé parl’enquête semble valider les mutations consacrées par le code d’unpoint de vue relations de genre. La confiance manifestée à l’égard del’institution judiciaire prouve que les Marocains et les Marocainessouhaitent une gestion fondée sur des règles précises pour résoudreles conflits qui peuvent les opposer. Pour cette raison, ils-elles sontfavorables par exemple aux procédures de réconciliation mises enplace. Mais l’acceptation des tribunaux de famille n’entraîne pas uneadhésion à toutes les nouvelles dispositions juridiques. C’est ainsi quel’intervention du juge est assez mal acceptée par les hommes quirefusent que leur autonomie et leur pouvoir soient ainsi contrôlés, etqu’ils s’insurgent contre certaines règles qui restreignent des droitsjugés importants au moins au niveau symbolique.

L’analyse des perceptions a clairement fait ressortir les changementsqui s’opèrent dans les mentalités. Elle a permis également d’apprécierles deux tendances principales en matière d’acceptation qui se sontdessinées. Ces dernières peuvent être structurées autour de deuxoptions : l’adhésion, passive ou affirmée, qui semble représenter unetendance lourde et l’opposition relative qui est plus diffuse et, par voiede conséquence, plus difficile à cerner. Ces deux orientations laissent

86 Le Code de la famille

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entrevoir deux types de scénarios possibles : l’un confirmerait lesoptions générales favorables à l’égalité et aux nouvelles dispositionsdu texte qui se dessinent aujourd’hui ; le second, au contraire, seraitune manifestation des réactions de résistances, voire de rejet desconceptions novatrices du texte. Seule l’analyse approfondie de cesdifférentes configurations, qui ne dépendent pas exclusivement del’impact du code stricto sensu, mais de nombreux paramètres macro-sociaux et politiques, pourrait permettre d’évaluer le processus dechangement à l’œuvre au sein de la cellule familiale. Dans uneconfiguration politique et sociale pessimiste, existe en effet le risqueque la société intègre mal l’esprit de la loi, par méconnaissance et/oupar réaction.

Trop souvent, les études tendent à considérer que la règle de droitconnue se suffit à elle-même pour que l’égalité se réalise. La réalitéest plus prosaïque : de nombreux obstacles contrecarrent laconcrétisation de l’égalité. Ces derniers ne sont pas une conséquencede la méconnaissance seulement, car connaître ne suffit pas àtransformer les convictions. Ils sont surtout le résultat d’un processusinachevé des mutations sociales et du fait que la hiérarchietraditionnelle des rôles sociaux est encore bien ancrée dans lesstructures mentales.

Dans cette perspective, l’Etat et de la société civile ont à poursuivreleurs tâches de diffusion, explication du texte, sensibilisation del’opinion publique, exposé des bénéfices pour l’ensemble de la société.

Les moyens utilisés doivent être largement diversifiés pour éviterl’extension des rumeurs désorganisatrices et pour favoriser l’adhésionaux nouvelles dispositions. Le rôle de la télévision peut largementinfluencer la construction d’une opinion claire, à condition que laméthode, le langage et la langue adoptés soient intelligibles par ceuxet celles qui hésitent et résistent le plus parce que les valeurs anciennes,familières et mieux connues, leur semblent plus rassurantes et plusconfortables. La communication doit viser toute la population, maissur certaines questions particulières, celles qui suscitent le plusd’opposition, elle doit pouvoir atteindre de manière spécifique un sexeou l’autre ; les hommes, par exemple, lorsqu’ils s’insurgent contre laclause de monogamie et contre tout idée de partage de biens parcequ’ils ont mal compris la mesure ou les femmes, lorsqu’elles acceptentla violence et lorsqu’elles sont réticentes au partage des tâches liées

87Perceptions et pratique judiciaire

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à la gestion de la famille, ou lorsqu’elles refusent la mesure qui leuraccorde le droit de ne pas avoir recours à la wilaya par peur de heurterles traditions sociales. Les publics cibles des campagnes à organiserdoivent donc être déterminés avec soin. Une attention particulière doitêtre accordée aux jeunes par l’introduction et le renforcement desvaleurs d’égalité dans les contenus des livres des différentes structuresd’enseignement, par l’introduction de modules qui intègrent les valeursdémocratiques, par la multiplication des rencontres débats.

88 Le Code de la famille

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Chapitre IILes justiciables dans le circuit judiciaire

relatif au contentieux de la familleAbdellah OUNNIR *

Introduction

Au Maroc comme dans le monde arabo-islamique, la famille est lesocle sur lequel reposent les fondements de la société patriarcale. C’estau sein de cette institution que se tissent, se nouent et s'éprouventles relations de l'homme avec la femme et les rapports de ces derniersavec leurs enfants. Si la cellule familiale a connu une grande mutationen Occident (1), dans les sociétés arabo-islamiques, on demeure encoreau stade de la tentative de l’équilibrage des droits et des obligationsdans les sociétés arabo-islamiques.

Le Maroc est la locomotive de ce mouvement (2). En effet, aprèsplusieurs années de débats sur la nécessité de la réforme du droit dela famille (3), notre pays s’est doté d’un réel nouveau code de la famille.Si on a pu dire que « la psychologie d’un peuple se manifeste plusdirectement dans son droit de la famille que dans son droit dupatrimoine (4) » , on peut, nous semble-t-il, affirmer aussi que la volontéréformatrice et politique d’un gouvernement se traduit, notamment,dans la pratique judiciaire de ses tribunaux.

Notre système judiciaire a été très fortement critiqué, particu-lièrement depuis le début des années quatre-vingt-dix, pour sacorruption, son archaïsme, son incompétence et ses lenteurs (5).

* Professeur à la Faculté de droit de Tanger.(1) Passage de la famille nucléaire vers la famille recomposée et la famille monoparentale.(2) A l’exception de la Tunisie qui, sous Bourguiba, a permis aux femmes de s’émanciperbeaucoup plus tôt que dans tous les autres pays arabo-musulmans.(3) Cf. M. BENRADI : « Genre et droit de la famille ». In Féminin Masculin : la marche versl’égalité au Maroc 1993-2003.(4) O. PESLE : la Répudiation chez les malékites de l’Afrique du Nord. Ed. F. Moncho, Rabat, 1937, p. 2.(5) M. SEHIMI : « La justice du bakchich », Maroc-Hebdo International n° 576, 17-23 octobre2003, p. 8.

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90 Le Code de la famille

Ces critiques ont été formulées par des partenaires et desinstitutions étrangers. Leurs conclusions se résument, toutes, au constatselon lequel les maux dont souffre la justice marocaine constituentun obstacle majeur au développement économique (1). Mais,relativement à la dimension politique et sociale du rôle de la justice,ce sont le PNUD (2), le FNUAP (3), l’UNICEF et la commission des droitsde l’homme des Nations Unies qui ont mis en exergue les défaillancesde notre système judiciaire qui pourraient porter atteinte au principedu droit au procès équitable, aux intérêts des franges vulnérables dela population et à la justice familiale (4).

Il est donc important, plus de deux années après l’entrée en vigueurde ce nouveau texte, d’en mesurer l’impact sur les justiciables et ledegré de sa réception par ces derniers, notamment durant leur péripleà travers le circuit judiciaire. Comme on l’a rappelé en introduction,trois villes du royaume ont été choisies pour servir de laboratoire àla réalisation de cette enquête justiciables : Rabat, Kénitra et Tanger.Cette enquête a porté sur un échantillon restreint de 102 personnes :46 hommes et 56 femmes. Ce chiffre s’est imposé de lui-même auxenquêteurs pour plusieurs raisons :

1. La difficulté de rencontrer les justiciables impliquées dans uncontentieux judiciaire relatif à la famille ; l’enquête fut menée à l’entréeet sortie d’audiences, mais aussi dans des cabinets d’avocats et dansles locaux de certaines associations (5).

(1) La Banque mondiale, dans son rapport de 1995, recense le mauvais fonctionnementde la justice et son manque de crédibilité parmi les problèmes importants qu’il y a lieude résoudre pour favoriser la croissance et pour dynamiser le développement Le rapportproduit par la même institution internationale, en 2003, relativement à l’évaluation dusystème juridique et judiciaire aboutit aux mêmes conclusions.(2) Cf. travaux de la conférence organisée avec le concours de ce fonds et de la BM sur «la modernisation de l’administration judiciaire dans les Etats arabes » à Marrakech du au17 mars 2002. éd. du Ministère de la Justice, Fedala, 2002.(3) Des études basées sur les décisions judiciaires ont été réalisées avec le concours dece fonds sur la violence contre la femme et sur le mariage et la répudiation. Cf. Ministèrede la Justice et FNUAP, Violence à l’encontre de la femme, enquête statistique pilote. Publicationsdu Ministère de la Justice, collection Guides et études juridiques, 2000. Cf. Ministère de laJustice et FNUAP. Annuaire statistique des mariages et des divorces (1997-1998). Publicationsdu Ministère de la Justice, collection Guides et études juridiques, 2000.(4) On a constaté, en effet, des difficultés d’accès à la justice, une carte judiciaire encombrée,un personnel malformé, des relations dépourvues de confiance, un manque d’éthiquesévissant à tous les niveaux et l’exécution peu fiable des décisions de justice.(5) Plus particulièrement Amna et la maison de la femme pour ce qui concerne l’enquêtemenée à Tanger.

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2. les personnes interrogées ne se sont pas toutes prêtées au jeude manière spontanée. Les hommes, impliqués dans une procédurejudiciaire, répugnant, plus que les femmes, à répondre où, ce qui a étésouvent le cas, à être patients jusqu’à la fin du questionnaire.

La qualité d’enquêteur n’est pas toujours bien vue. Aux yeux debeaucoup de justiciables, c’est à la fois, une immixtion dans la vie privéeet un travail qui ne sert à rien, tellement l’image de la justice est abîméeaux yeux des gens humbles qui veulent des solutions immédiates etconcrètes à leurs problèmes de pension alimentaire, de violenceconjugale, d’autorisation de mariage avant l’âge de la majorité, del’exequatur d’une décision judiciaire étrangère, etc.

Pratiquement, toutes les femmes interrogées ont formulé la mêmequestion : « votre enquête servira-elle à résoudre mes problèmes ? »

De même, les justiciables rencontrés dans les locaux de la justiceétaient pratiquement dans deux sortes d’états psychologiques (1) :

• l’état d’angoisse d’avant l’audience, lequel est généré parl’attente qui est souvent longue. On se prépare à vivre uneconfrontation qui va se dérouler sous le regard du juge et du public.

• Celui de dépression qui suit la fin de l’audience, résultat del’émotion et peut-être du constat, fait par le justiciable, que sa familleest en train de se disloquer.

Seuls les justiciables (2) rencontrés dans le cadre plus serein d’uncabinet d’avocat (3), bien loin de l’audience et après une préparationpsychologique effectuée par leur conseil, ont accepté de répondre avecfranchise et patience à toutes les questions.

3. Les femmes répugnent à répondre à un questionnaire révélateurde secrets de la vie privée et d’une situation de détresse générée parune violence physique et morale qu’on ne désire pas étaler devant unenquêteur. La curiosité scientifique de l’enquêteur, est mal perçue parles justiciables, qui attendent plutôt des solutions rapides et concrètes.

91Perceptions et pratique judiciaire

(1) Sur le climat dans lequel vit le justiciable avant et pendant l’audience, cf. F.Z. BOUKAISSIdans le présent ouvrage page...(2) Les avocates qui nous ont aidés à organiser ces rencontres ont pu nous obtenir lesréponses uniquement de femmes. Les hommes ont refusé de nous rencontrer.(3) Nous tenons à exprimer notre grande gratitude à Me Najat Chentouf et Me Saïda Belbah,qui ont contribué avec une grande rigueur et une grande abnégation à la réalisation decette enquête.

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4. L’effet du questionnaire, composé de 38 questions.

Les femmes furent plus disponibles et plus attentives aux questionsque les hommes. Ces derniers adoptèrent souvent – et quel que soitleur âge et leur degré d’instruction – une attitude défensive, pour nepas dire négative : « A quoi bon répondre, affirmèrent-ils, puisque lesjeux sont faits et que le nouveau code ne protège que la femme àlaquelle il a donné tous les droits, trop de droits ! »

Par conséquent l’enquête fut également éprouvante, aussi bienphysiquement que nerveusement, pour les enquêteurs, qui ont dûfaire face à des situations de rejet, de crises de larmes et d’émotionsfortes.

Le questionnaire de l’enquête est composé de 5 axes contenant38 questions classées dans un ordre chronologique correspondantau processus du déroulement du contentieux familial soumis à laJustice.

Ces axes ont trait à :

• une fiche d’identification (axe I)

• l’action en justice (axe II)

• le circuit judiciaire (axe III)

• le justiciable en audience (axe IV)

• le jugement (axe V)

Pour des raisons de commodité, l’analyse de cette enquête et lecommentaire de ses résultats seront abordés selon le même ordrechronologique que ci-dessus.

I. La fiche d’identification

Cette rubrique contient les éléments relatifs au sexe, à l’état civil,à l’âge, au niveau d’instruction, à la situation professionnelle et à laprofession.

1. L’âge

Les statistiques relatives aux justiciables interrogés font ressortirla grille d’âge suivante :

92 Le Code de la famille

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Tableau 1

Tranches d’âge

Tranches d’âge Femmes Hommes Total %

moins de 18 ans 1 0 1 0,98

18-24 ans 8 7 15 14,70

25-34 ans 15 15 30 29,41

35- 44 ans 14 14 28 27,45

45-54 ans 12 6 18 17,64

Plus de 55 ans 06 4 10 9,80

Total général 102 100,00

L’âge est un indicateur important de la nature de l’action en justice.En effet, la tranche d’âge la plus basse est en relation avec :

• des actions en justice relatives à la demande d’autorisation demariages de mineurs (cas d’une mineure interrogée),

• les demandes de divorce pour violence et impossibilité desubvenir aux besoins du ménage (pension alimentaire)

• la reconnaissance du mariage.

De même, la tranche d’âge la plus élevée est liée :

• au divorce pour discorde et à la rupture de la vie commune,

• à la polygamie,

• au partage des biens et à la pension alimentaire.

2. L’état civil

Les personnes interrogées étaient en majorité soit en instance dedivorce, soit divorcées agissant pour la mise en application des effetsdu divorce : pension alimentaire, droit de garde et de visite, droit devoyager avec les enfants à l’étranger et partage des biens.

Deux cas seulement intéressent des célibataires agissant pourl’autorisation de mariage de mineurs et d’handicapé mental et uneveuve demandant la garde de ses enfants.

93Perceptions et pratique judiciaire

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Tableau 2

Etat civil

Mariés-es Divorcés-es Veufs-ves Célibataires

Femmes 17 30 01 01

Hommes 14 38 00 01

Total 31 68 01 02

30,39 % 66,66 % 0,98 % 3,92 %

3. Le niveau d’instruction

Tous les niveaux apparaissent dans le questionnaire : les marocainsquelque soit leur niveau d’instruction et d’éducation sont impliquésdans les conflits de famille.

On constate cependant que le niveau secondaire est celui qu’onretrouve le plus en justice de famille : les personnes de cette catégorie,à l’origine de l’action en justice, constituent, en effet, 35% desjusticiables interrogées. Ils sont 28 % à avoir un niveau d’étudessupérieures, 15 % a avoir fréquenté l’école primaire et 24% sans aucunniveau.

Tableau 3

Niveau d’instruction

Niveau d’instruction Femmes Hommes Total Pourcentage

Aucun 12 12 24 23,52%

Primaire 08 07 15 14,70%

Secondaire 18 17 35 34,31%

Supérieur 10 18 28 27,45%

4. La situation familiale et la profession

Toutes les couches sociales sont représentées dans les procéduresdu contentieux familial et plus particulièrement dans celles du divorce.On constate, à la lecture des statistiques, qu’après les actifs les femmesau foyer sont plus nombreuses à ester en justice. Leur action est relativeprincipalement aux demandes d’entretien et de pension alimentaire.Les causes de cet état de fait résident dans deux sortes de facteurs : lechômage subi ou choisi par l’ex-époux et le refus de ce dernier de larévision (dans le sens de l’augmentation) de la pension alimentaire.

94 Le Code de la famille

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Tableau 4

Actifs/inactifs

Situation professionnelle Hommes Femmes Total %

Actifs 26 29 55 53,90

Femmes au foyer 21 21 20,50

Retraités 07 02 09 8,80

Chômeurs 08 08 16 15,60

Autres 00 01 01 0,98

Total général 41 61 102 100

Tableau 5

Classification par profession

Profession Hommes Femmes Total %

Cadre supérieur 14 09 23 22,54

Cadre moyen 08 01 08 7,84

Artisan 07 00 07 6,86

Employés 05 06 11 10,78

Total 34 16 38

Les cadres supérieurs, qu’ils soient dans l’administration ou dansle secteur privé, sont les plus nombreux parmi les actifs à fréquenterles tribunaux pour raison de conflits conjugaux. L’analyse qui suivrarévélera qu’outre le divorce pour discorde, les cadres supérieurs sontégalement à l’origine des actions en justice :

• relatives au partage des biens et à l’exercice du droit de garde,de visite et de voyage à l’étranger avec l’enfant mineur ;

• exercées sous forme d’actions indépendantes ou en parallèle à uneprocédure de divorce.

II. L’action en justice

L’analyse de l’action en justice suppose l’examen du moment dela saisine de la justice en vue de mesurer l’effet du nouveau code dela famille dans le déclenchement du processus judiciaire (A) et la naturemême des actions exercées depuis l’entrée en vigueur du dit code (B).

95Perceptions et pratique judiciaire

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1. La date de l’action

Les personnes interrogées ont, dans leur quasi-totalité, engagé leuraction en justice depuis l’entrée en vigueur du nouveau code de lafamille. Les femmes sont plus nombreuses à saisir la justice de la famille(53,3%) comme le révèle le tableau suivant :

Tableau 6

Demandeurs en justice

Epoux 46,6 %

Epouses 53,3 %

Les statistiques révèlent aussi que les tribunaux des villeséchantillons traitent principalement d’un contentieux post réforme dela famille. En effet, 31,46 % du contentieux dont connaissent lestribunaux de la famille actuellement, leur a été soumis immédiatementaprès l’entrée en vigueur du nouveau code de la famille, en 2004.

Le volume le plus important du contentieux est relatif à la rupturedu lien conjugal (voir tableau : nature de l’action) : c’est, sans doute,l’effet « libérateur » pour les femmes qui n’avaient jamais pu obtenirfacilement leur affranchissement d’une situation de fait de non mariageet de non divorce en raison de l’application conservatrice du code destatut personnel par les juges. Des femmes nous ont affirmé qu’ellesne pouvaient pas obtenir de divorce pour préjudice, cette notion estinterprétée par les juges de manière trop restrictive, à telle enseignequ’il est impossible d’en faire la preuve.

Le divorce par compensation (khoul’) était hors de portée car lessacrifices demandés étaient exorbitants (sommes d’argent tropélevées, abandon de droits de garde et ou de visite des enfants ou dumobilier).

Tableau 7

Date de l’introduction de l’action en justice

Total des demandes

2003 2,26 %2004 31,46 %2005 40,44 %2006 25,84 %

96 Le Code de la famille

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Ce tableau révèle l’évolution de la courbe du contentieux de lafamille engagé par les personnes interrogées, sur presque quatreannées : la publication du nouveau Code de la famille eut pour effetl’augmentation de la saisine des juridictions de la famille de façonsignificative en 2005 (40,44 %) puis une baisse jusqu’au mois de mars2006 (25,84 %).

Le reliquat des actions intentées en 2003 survit encore dans le circuitjudiciaire, principalement en raison des blocages résultant desproblèmes de notification et d’exécution, notamment en matière depension alimentaire.

2. La nature de l’action

2.1. L’action en divorceTableau 8

Action et types de divorce

Types Nombre Rapport au total Rapport au totalde divorce d’actions du contentieux des actions en divorce

Divorce (répudiation) 26 28,8 % 53,06 %Divorce pour discorde 8 8,8 % 16,32 %Divorce pour mésentente surla répartition des biens 8 8,8 % 16,32 %Divorce pour cause de polygamie 6 6,6 % 12,24 %Divorce par compensation (khoul’) 3 3,3 % 6,12 %Divorce pour cause de violence 2 2,2 % 4,08 %Divorce par consentement mutuel 1 1,1 % 2,04 %

L’enquête fait ressortir l’importance du nombre d’actions endivorce sous contrôle judiciaire (talak (1) dans la version arabe du code) :23,88 % par rapport à toutes les autres formes.

Les actions en divorce pour discorde (chiqaq) arrivent en deuxièmeposition (8,88 %) avec les actions en divorce résultant d’un désaccordrelatif au partage des biens (8,88 %).

97Perceptions et pratique judiciaire

(1) Ce mot demeure inchangé quant à sa signification originelle, en ce sens qu’il signifierépudiation. En effet le nouveau code de la famille ne limite pas le droit de l’époux de mettreun terme, unilatéralement et sans aucune justification, au lien matrimonial. La nouveautéréside dans la judiciarisation de la procédure, dans la convocation de l’épouse àl’audience et la garantie de ses droits pécuniaires, lesquels sont évalués en fonction del’existence ou de l’absence de motifs quant à l‘action introduite par le mari. C’est la raisonpour la quelle nous utilisons le terme « divorce-répudiation ».

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L’action en « divorce-répudiation », demeure, à travers ces chiffres,la principale cause de saisine des juridictions de la famille. C’est uneprérogative réservée à l’homme en droit musulman, laquelle, n’a pasété remise en cause par le nouveau code de la famille. Avec, certes, lagarantie d’un contrôle judiciaire, car avant d'autoriser le divorce, le jugedoit s'assurer que la femme divorcée bénéficiera de tous les droits quilui sont reconnus.

La polygamie occulte ou déclarée de l’époux qui souhaite enlégaliser le cadre est à l’origine de 6,66 % des actions en justice.

Quant au divorce khoul’, il ne représente que 3,33 % de l’ensembledes actions pour divorce.

Le divorce par consentement mutuel demeure, quant à lui, unepratique peu courante : 1,11 %. Le peu d’engouement des couplesmarocains pour le divorce par consentement mutuel réside, selon lesdéclarations des justiciables femmes, dans le fait que l’arrangemententre les époux se fait toujours au détriment des femmes. Elles doivent,dans la majorité des cas, renoncer à un ou plusieurs droits pour quel’époux accepte le divorce par consentement mutuel.

Le divorce par consentement mutuel cache souvent, en réalité, undivorce par compensation.

2.2. L’action relative à la pension alimentaire

a. La notion de pension

Le législateur a consacré presque 20 articles à la question del’entretien de certaines personnes par d’autres en raison du mariage,de la parenté ou de l’engagement (art. 187 à 205 du code de la famille).L’entretien (nafaqa), terme plus significatif que celui de pensionalimentaire, est une obligation qui pèse sur les personnes quipeuvent, d’abord, subvenir à leurs propres besoins (art 188). L'entretiencomprend l'alimentation, l'habillement, les soins médicaux, l'instructiondes enfants et tout ce qui est habituellement considéré commeindispensable (art 189). Les frais de logement de l'enfant soumis à lagarde sont distincts de la pension alimentaire (art 168).

b. Pension et action en justice

Notre enquête confirme le constat fait par tous ceux qui s’intéressentà l’application du droit de la famille, selon lequel, la pension

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alimentaire demeure le point faible de la justice de la famille dans notrepays. Le soin que le législateur a attaché à la question de Nafaqa enla réglementant avec beaucoup de précision n’a pas donné de bonsrésultats quant au fonctionnement de son mécanisme en pratique.

La pension alimentaire demeure l’institution qui pose le plus dedifficultés aussi bien aux juges, quant à sa fixation et son exécution,qu’aux avocats et aux justiciables quant à son recouvrement et larévision de son taux.

Les premières victimes du dysfonctionnement du mécanisme derecouvrement de la pension alimentaire sont évidemment les femmeset les enfants.

c. Les chiffres

Il ressort de notre enquête que relativement au nombre desjusticiables interrogés, 13,33 % ont intenté principalement leur actionen justice en vue de l’obtention, du recouvrement ou de la révisiondu taux de la pension alimentaire.

Ce chiffre qui semble bas n’inclut pas toutes les actions pour divorcequi aboutiront, forcément, en cas d’échec de la conciliation, auproblème de la pension alimentaire. En conséquence, en donnéescorrigés, le taux d’actions pour pension alimentaire atteindrait alors67,32 %.

L’exemple du tribunal de famille de Tanger(1) est édifiant à cet égard :le total des actions pour pension alimentaire a atteint 846 actions pourla période allant du 31 janvier au 31 mars 2005.

d. Pension alimentaire et difficultés de son recouvrement

De la question de la mise en application effective des dispositionsrelatives à la pension alimentaire, dépendra, à notre sens, la réalisationde la philosophie égalitaire et protectrice de la famille voulu par lelégislateur.

Les statistiques indiquent que plus des 2/3 des actions en Justiceaboutissent au problème de la pension alimentaire. Les déclarations

99Perceptions et pratique judiciaire

(1) Le tribunal de la famille de Tanger est la seule juridiction dont le greffe a pu nous fournirdes statistiques bien établies au moment opportun. Nous ne disposons pas de celles desjuridictions des autres villes. Cela explique, donc, l’intérêt accordé à cette source uniqueen matière de statistiques.

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des justiciables font ressortir la grande préoccupation des femmes –divorcées ou de celles qui allaient le devenir – quant à la question denafaqa.

Les femmes interrogées ont, sans exception, affirmé le caractèredérisoire du montant de la pension alimentaire et redoutent, toutes,le parcours du combattant qu’elles ont vécu ou vont vivre pourl’obtenir, la recevoir avec régularité et la réévaluer en fonction del’augmentation du coût de la vie.

Notre passage à travers le circuit de la justice et ses institutions, nousa permis de constater que plusieurs facteurs conjugués participent àrendre inefficientes les dispositions de la loi et les décisions de la justiceen la matière.

Il s’agit principalement de l’indigence des débiteurs (d.1), de lacorruption des huissiers (d.2) et de l’inertie du ministère public et dela police (d.3).

d.1. L’indigence des débiteurs

Les ménages qui se retrouvent et s’enlisent dans le circuit judiciairerestent dans leur majorité de classe laborieuse et pauvre : peud’instruction ou sans d’éducation, chômage ou sans revenus réguliers,mariage désastreux et familles nombreuses, alcoolisme et violence.L’époux abandonne le domicile conjugal, parfois dépendant del’alcool ou de la drogue, ne veut ou ne peut travailler.

Le cercle vicieux se déclenche alors : prononcé du divorce pourdéfaut d’entretien de la famille et fixation du montant de la pensionalimentaire dans un délai d’un mois comme le prévoit la loi (1).

Or, dans beaucoup de cas, l’époux condamné est totalementindigent ou sans revenu fixe : chômeur, travailleur saisonnier ou, encore,réfractaire au travail.

Surgit alors le dilemme de la poursuite et de l’incarcération de l’exconjoint pour l’obliger à payer, alors qu’il n’a pas de ressources, ou sonmaintien en liberté avec le risque de rendre ineffectifs les jugementsde condamnation par la perte de leur caractère dissuasif. Le résultatserait alors désastreux : aucun recouvrement de pension, mais, plus

100 Le Code de la famille

(1) Article 190 al. 2 du Code de la famille : « Il est statué, en matière de pension alimentaire,dans un délai maximum d'un mois. »

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grave encore, déclenchement du cycle de violence à l’égard de l’épouseet des enfants.

Outre l’indigence, la mauvaise volonté de l’ex-époux est aussi unfacteur de non paiement. L’enquête révèle aussi, la pratique des épouxcadres moyens et supérieurs qui refusent de s’acquitter de la pensionalimentaire, sous prétexte que l’épouse travaille et dispose derevenus.

d.2. L’inertie du parquet et de la police

La quasi-totalité des femmes justiciables interrogées (90 %) viventavec humiliation et désespoir ce cercle vicieux de la pensionalimentaire. Elles connaissent parfaitement le processus à suivre, ellesle décrivent à la perfection tout en concluant qu’il aboutit à l’impasse.

En effet, lorsque la procédure se transforme en procédure pénalepour abandon de famille, la Justice doit être en mesure d’appréhenderle débiteur qui est toujours l’ex-époux, après que le jugement decondamnation ait acquis l’autorité de la chose jugée. Le procureur signeun mandat d’amener qu’il remet à l’épouse en lui indiquant qu’elle doitle présenter à la police en vue de son exécution.

Le parcours du combattant continue durant la phase policière. Eneffet, les femmes interrogées nous ont affirmé le peu d’intérêt que lapolice accorde à la fois à leur présence et à leur requête. La réponsede la police se limite à justifier son inaction par :

– l’insuffisance de moyens matériels et humains ;

– l’intérêt porté à d’autres questions, qui sont autrement plusimportantes (car il y va de l’intérêt et de la sécurité publics) que deshistoires de famille créées d’ailleurs, souvent, par les plaignantes elles-mêmes. Il s’agit, en réalité, par ce discours, de placer les plaignantesdans un processus d’auto culpabilisation et de stigmatisation sociale (1).

101Perceptions et pratique judiciaire

(1) Plusieurs mères de famille divorcées nous ont affirmé que le policier auquel elles avaientprésenté le mandat d’arrêt leur avait à peine répondu que le véhicule de la police étaithors d’usage et qu’elles n’avaient qu’à chercher leur mari elles-mêmes, qu’une fois trouvé,elles devaient se jeter sur lui en criant de toutes leurs forces ; le policier plus proche viendraitalors vérifier le mandat d’arrêt et procéderait à l’arrestation de l’ex-époux refusant de payerla pension alimentaire !

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d.3. Le problème des huissiers

La profession d’huissier est réglementée par le dahir du 25 décembre1980 (1). Ce texte a “privatisé” (2) le système public de notification etd’exécution des décisions de justice. En effet jusqu’à cette date, c’estun service dépendant du greffe de chaque juridiction et composé defonctionnaires du ministère de la justice qui assurait cette mission,malgré l’insuffisance des moyens, de manière assez efficace et sousle contrôle du ministère public.

L’unanimité est observée quant à la critique du corps des huissiers (3).Elle est formulée par tous les acteurs de la vie judiciaire relative aucontentieux de la famille et plus particulièrement les justiciables.

La profession d’huissier constitue depuis le début des années quatrevingt une profession libérale (4) et le souci de résorber le chômage depersonnes ayant de petits diplômes (baccalauréat ou capacité en droit,voire même la licence en droit) ne semble pas avoir été bénéfique pourle système judiciaire.

Le phénomène de l’inefficacité du système de notification des actesde procédure et d’exécution des décisions de justice caractérise toutle domaine de la justice, tous les contentieux (5) et plus particulièrement,et dramatiquement, le contentieux judiciaire familial.

d. 3.1. La notification des actes de procédure

Selon l’art 2 du dahir 25 décembre 1980 : « Les huissiers de justiceont qualité pour procéder personnellement à toutes les notificationsnécessaires à l’instruction des procédures. (...) Ils peuvent êtrechargés de remettre les convocations en justice… »

Les justiciables interrogés reprochent aux huissiers leur lenteur dansle travail, leur corruption et leur despotisme, notamment à l’égard desfemmes perdues dans le circuit judiciaire, car non assistées d’avocat.

102 Le Code de la famille

(1) Dahir n° 1-80-440 du 25 décembre 1980 portant promulgation de la loi n° 41- 80 portantcréation et organisation d’un corps d’huissiers de justice. B.O. n° 3564 du 18 février 1981,p. 77.(2) L’expression est celle utilisée par un juge pour souligner l’aspect négatif de cette initiativelégale.(3) Cf. tableau p.(4) Article 1 alinéa 2 du dahir du 25 décembre 1980.(5) Celui des assurances demeure le plus important.

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Les juges formulent, avec regret, les mêmes critiques. Ils considèrentque le système postal de la notification en recommandé avec accuséde réception est plus efficace que le recours à un huissier.

Quant aux avocats, ils ont dépassé le stade de la critique : leurmanque de confiance en les huissiers les a poussé à veillerpersonnellement, en sollicitant et accompagnant ces derniers, lors dela notification des actes de procédure.

Le problème de notification est quasiment toujours la cause deslenteurs des procédures et du dépassement du délai de six mois, voulupar le législateur pour achever toute procédure judiciaire en matièrede divorce (1).

Certes, les huissiers ne sont pas responsables de tous les problèmesque connaît le système de notification. L’imprécision de l’adresse del’intéressé notamment dans les quartiers populaires et bidonvilles oùles rues, lorsqu’elles existent, n’ont aucun élément d’identificationpermettant de localiser une personne, est aussi un facteur decomplication du système de notification.

d.3. 2. L’exécution des décisions de justice

Selon le même dahir, les huissiers dressent tous les actes requis pourl’exécution des ordonnances, jugements et arrêts.

Les femmes justiciables interrogées sont toutes hantées par la peurde ne pas pouvoir, malgré une décision devenue définitive, obtenir lapension alimentaire ou de ne pas la recevoir régulièrement. Cet étatpsychologique semble généré par deux sortes de facteur : l’indigencede leurs ex-époux et les stratagèmes qu’ils utilisent pour se soustraireà cette obligation, et l’inertie des huissiers. Dès lors, pour vaincrel’inertie des huissiers, les femmes créancières de pension alimentairepayent à ces derniers les frais de transport, de recherche et de tempsperdu !

Les avocats ne manquent pas d’accuser gravement certainshuissiers d’être en totale collusion avec les débiteurs de la pensionalimentaire. Lesdits huissiers se contentent de dresser un constat de

103Perceptions et pratique judiciaire

(1) L’observation des audiences confirme la gravité de ce problème. La rapidité avec laquelleles dossiers sont traités lors de l’audience trouve aussi une explication dans le fait de lanon réception de la notification ou de la convocation par l’autre partie.

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refus de payer et s’abstiennent de pratiquer toute saisie même lorsquele débiteur était propriétaire d’un fonds de commerce. Nombreusesétaient les justiciables femmes qui étaient scandalisées par cettesituation.

Certains huissiers participent ainsi volontairement, nous ontaffirmé des avocats, au déclenchement de la procédure pénaled’abandon de famille, appelée « cimetière des dossiers », et l’enlisementdu dossier dans le contentieux délictuel pour une durée minimum de4 mois. Une fois le jugement de condamnation obtenu, on retombedans le cercle infernal de l’exécution. Certaines affaires relatives à lapension alimentaire demeuraient non encore définitivement closes aumoment de notre enquête, alors qu’elles dataient de 2004 !

d.3.3. L’échec de la solution-miracle de l’art. 191, alinéa 1er.

Pour contourner tous ces obstacles au recouvrement de la pensionalimentaire, la loi prévoit que « le tribunal détermine les moyensd'exécution du jugement ordonnant la pension alimentaire et les chargesde logement à imputer sur les biens de la personne astreinte à lapension ou ordonne le prélèvement à la source sur ses revenus ou sur sonsalaire. Il détermine, le cas échéant, les garanties à même d'assurer lacontinuité du versement de la pension » (article 191, al. 1er).

Cette disposition est d’une extrême importance, puisque le lecteurde ce texte est vite rassuré par cette possibilité offerte au juged’ordonner le prélèvement du montant de la pension alimentairedirectement à la source sans que le justiciable s’épuise et s’éterniseà rechercher lui même le condamné, situation, aggravée par lestergiversations des huissiers.

Notre enquête fait ressortir également l’inefficience du système deprélèvement à la source, plus particulièrement lorsque le débiteur estfonctionnaire. Les juges ne savent pas le pratiquer.

Le hasard de l’enquête nous a fait rencontrer, au même moment,au sein des locaux d’une association, des femmes demandant de l’aidepour le recouvrement de la pension alimentaire, des avocates et unfonctionnaire des finances.

Les discussions avec toutes ces personnes, nous ont révélél’existence d’un grave dysfonctionnement dans les relations des admi-nistrations publiques de la Justice et des Finances. En effet, le

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jugement condamnant une personne à verser une pension alimentairene stipule pas lui-même le prélèvement à la source. Ce n’est qu’en casde défaillance du débiteur que le juge adresse une note sur un papierordinaire au chef de recouvrement du trésor public, ordonnant leditprélèvement.

Ce dernier, craignant pour sa responsabilité professionnelle, rejettesystématiquement la demande en considérant le document envoyépar le juge, dépourvu de toute valeur juridique.

Le trésor public exige un jugement préliminaire pour procéder auprélèvement à la source lorsque le débiteur est un fonctionnaire.

Les juges, les justiciables et les avocats déplorent ce manque decoordination entre les ministères de la Justice et des Finances.

De même lorsque l’alinéa 2 de l’art 191 dispose que « Le jugementordonnant le service de la pension alimentaire demeure en vigueur jusqu'àce qu'un autre jugement lui soit substitué ou qu'intervienne la déchéancedu bénéficiaire de son droit à pension. ». Cela signifie qu’à chaque foisque le paiement de la pension n’est pas effectué pour quelque raisonque ce soit, la procédure doit être recommencée entièrement : cettesituation est épuisante et inconcevable et les femmes interrogées lavivent dramatiquement!

2.3. L’action relative à la polygamie

Comme chacun sait, la polygamie n’a pas été interdite par lenouveau code de la famille. Le législateur n’en a pas remis le principeen cause du fait qu’elle fait partie des questions régies par le textecoranique. Les exégètes font dégager les deux lectures possibles etconnues, lesquelles permettent à tout observateur d’y retrouver sonpoint de vue.

Le souverain a clairement mis en lumière cette ambivalence entrel’admission du principe et son interdiction en ces termes : « S'agissantde la polygamie, Nous avons veillé à ce qu'il soit tenu compte desdesseins de l'Islam tolérant qui est attaché à la notion de justice…, àtelle enseigne que le Tout-Puissant a assorti la possibilité de polygamied'une série de restrictions sévères… ».

La polygamie ne constitue, selon les statistiques du ministère dela Justice, que 0,4 % du volume global des demandes de mariage, pour

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tout le Royaume, pour la période allant du 5 février 2004 au 31 janvier2005 (1). Les statistiques officielles ont été contestées par des ONG ayantprocédé elles mêmes à leurs propres enquêtes (2).

Lors de notre enquête, 3,33 % des justiciables rencontrés ont déclaréêtre impliqués dans la procédure judiciaire devant la juridiction defamille pour cause de polygamie.

La majorité d’entre eux était des femmes convoquées pour êtreentendues dans le cadre de la procédure d’examen par le juge, dedemandes d’autorisation d’un second mariage formulées par leurépoux.

Ces femmes tentent vainement de donner une image de femmesfortes et dégagent beaucoup de dignité. Cependant, une fois ledialogue entamé, le sentiment d’humiliation fait surface rapidement,même dans le cas où il existerait ce que la loi considère comme une«cause objective et exceptionnelle», comme la stérilité de l’épouse oùson incapacité de s’acquitter de son devoir conjugal (3).

Les femmes interrogées constatent avec fatalisme le détournementqui est fait des dispositions de la loi réglementant la polygamie dansla pratique par les époux en plaçant le problème sur le terrain juridiquede la reconnaissance d’un mariage de fait dans le délai de 5 ans prévupar l’article 16 ! Il faut bien également, diront les juges, « protéger ledroit de l'enfant à naître quant à la reconnaissance de sa paternité (4) ».

Ces manœuvres dolosives faussent les chiffres relatifs à la polygamieet en même temps gonflent ceux ayant trait à la reconnaissance dumariage, lesquels restent, comme le montre notre enquête, sommetoute, peu élevés : 2,22 %.

106 Le Code de la famille

(1) Statistiques du ministère de la Justice publiées dans la revue « justice de la famille».op. cit. 70 et s.(2) Notamment la Ligue démocratique pour les droits des femmes. Rapport annuel surl’application du droit de la famille, 12 mai 2005.(3) L’examen des statistiques fournies par le greffe du tribunal de Tanger, fait ressortir que45 demandes d’autorisation de la polygamie ont été déposées entre le début janvier etle 31 mars 2006. Sur les 14 demandes définitivement examinées par le tribunal, 7 demandesont été acceptées. C’est donc 50 % de rejet ou d’acceptation. Nous ne sommes plus, parconséquent, dans la situation d’ « exceptionnalité » voulue par le législateur dans l’applicationde la polygamie.(4) « Les polygames potentiels, nous affirmait un juge avec humour, disposent encore deplus de 3 années pour agir ! »

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2.4. Les actions en reconnaissance de paternité

Le 9e point du discours royal prévoit la protection du « droit del'enfant à la reconnaissance de sa paternité au cas où le mariage neserait pas formalisé par un acte, pour des raisons de force majeure. Letribunal s'appuie, à cet effet, sur les éléments de preuve tendant àétablir la filiation. Par ailleurs, une période de cinq ans est prévue pourrégler les questions restées en suspens dans ce domaine, et ce, pourépargner les souffrances et les privations aux enfants dans une tellesituation ».

Cette affirmation est reprise par l’article 16 du nouveau Code de lafamille (1) en des termes moins explicites en traitant uniquement dela reconnaissance du mariage tout en prenant en considérationl'existence d'enfants ou de grossesse issus de la relation conjugale

L'action en reconnaissance de mariage, ajoute l’article, « estrecevable pendant une période transitoire ne dépassant pas cinq ans àcompter de la date d'entrée en vigueur de la présente loi ».

Cette action en reconnaissance de mariage, qui fut édifiée pourrésoudre le cas des mariages coutumiers et ceux des Marocains résidantà l’étranger qui n’ont pu être conclus devants des adouls, a ététransformée dans la pratique en une action en reconnaissance depaternité et en légitimation à la fois de relations sexuelles hors mariageet de l’enfant qui en résulte.

Telle est l’explication que l’on peut donner au phénomènegrandissant de demande de reconnaissance de paternité rencontrédans la pratique.

Notre enquête révèle que 3,33 % des actions introduites devant lesjuridictions des trois villes échantillons sont relatives à la recon-naissance de paternité. Les actions concernent des jeunes femmesayant fréquenté des hommes hors de toute relation encadrée par laloi. Il ne s’agit ni de fiançailles, ni de mariage.

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(1) Article 16 : Le document portant acte de mariage constitue le moyen de preuve duditmariage. Lorsque des raisons impérieuses ont empêché l'établissement du document del'acte de mariage en temps opportun, le tribunal admet, lors d'une action en reconnaissancede mariage, tous les moyens de preuve ainsi que le recours à l'expertise. Le tribunal prenden considération, lorsqu'il connaît d'une action en reconnaissance de mariage, l'existenced'enfants ou de grossesse issus de la relation conjugale et que l'action a été introduite duvivant des deux époux.

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Les actions qui sont introduites devant les juridictions de la famillesont faites conjointement par l’homme et la femme en raison de l’étatde grossesse de celle-ci.

Sans l’accord de l’homme, il est quasi impossible d’intenter uneaction en justice au civil, car le pénal en constitue un obstacle légal :les dispositions du code pénal relatives au Zina dissuadent, en effet,les jeunes femmes de s’adresser à la justice sans le consentement del’auteur de la grossesse. Autrement dit, si ce dernier ne reconnaît pasêtre l’auteur de la dite grossesse, la femme peut être poursuivie pourZina (1).

Le chiffre de 3,33 % ne reflète, donc pas, la réalité des situations degrossesses pouvant aboutir à une action en recherche de paternité.Le chiffre noir doit être bien plus important.

2.5. Le mariage de mineurs

Le mariage des mineurs, qui se réduit principalement,dans lapratique, au mariage de jeunes filles n’ayant pas encore atteint l’âgede la capacité légale de 18 ans, suscite beaucoup de critiques,notamment de la part des associations féminines.

a. Le principe dans la loi

L’économie de cette institution juridique est contenue dansl’article 20 du code de la famille qui permet au juge de la famille chargédu mariage d’autoriser le mariage du garçon et de la fille avant l'âgede la capacité matrimoniale de 18 ans.

La loi lui confère un grand pouvoir d’appréciation en la matière.Certes, sa décision doit être motivée en tenant compte de l'intérêt del’enfant et des motifs justifiant ce mariage.

108 Le Code de la famille

(1) Les relations hors mariage (zina ou fornication) sont sévèrement réprimées en droitmusulman. Les peines sont la flagellation si l’auteur des actes sexuels illégitimes n’est pasmarié (non mohsan) et la lapidation dans le cas contraire (mohsan).Le code pénal marocain réprime également le zina dans son article 490, lequel dispose:« Sont punies de l’emprisonnement d’un mois à un an toutes personnes de sexe différentqui, n’étant pas unies par les liens du mariage, ont entre elles des relations sexuelles. »Dansla pratique, comme nous avons pu le constater auprès de justiciables femmes et de certainsprocureurs, les hommes, pour échapper aux effets juridiques de cet acte hors mariage, nientavoir eu des relations avec la plaignante. Il échappe ainsi à toute poursuite, alors que lafemme est condamnée à la peine prévue par l’article 490 du Code pénal !

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La loi fait également obligation au juge d’entendre, au préalable,les parents du mineur ou son représentant légal et de procéder à uneexpertise médicale ou à une enquête sociale.

Enfin, aucun recours n’est possible contre la décision du jugeautorisant le mariage d'un mineur !

b. Le principe dans la pratique

L’évaluation des statistiques disponibles et l’examen des procéduressuivies à travers huit tribunaux permettent à Ligue démocratique desfemmes de constater que l’exception est devenue la règle en matièrede mariage de mineurs : sur 3 730 demandes, 3 603 ont été autorisées,alors que 127 seulement ont été rejetées, soit 3,44 % (1). Quant auxjusticiables rencontrés lors de notre enquête, les demandeursd’autorisation de mariage de mineurs représentaient 2,22%.

Les demandes intéressaient toutes des jeunes filles. La majorité desdemandeurs étaient les pères et exceptionnellement, le fiancé,souvent plus âgé, qui assiste la jeune fille en raison de l’opposition,exceptionnelle, du père au mariage.

La question du mariage en dessous de l’âge de 18 ans n’émeut guèrele Marocain moyen. Les pères rencontrés le jour de la semaine où lesdemandes sont présentées au juge chargé de cette question invoquenttous les mêmes facteurs :

• La pauvreté de la famille qui est nombreuse : marier une fille, c’estune bouche de moins à nourrir et une issue de secours pour la jeunefille elle-même et, par conséquent, pour sa famille.

• L’apparence physique de la jeune fille : la corpulence signifiematurité, capacité à s’occuper convenablement du ménage et surtoutà s’acquitter de son devoir conjugal. Cela explique, croyons-nous, lenombre élevé de demandes d’autorisation de mariage de jeunes fillesmineures d’origine rurale.

• L’effet déterminant de l’attestation de alaânath : c’est l’attestationdélivrée par les adouls, moyennant le paiement d’une sommed’argent, certifiant que le mariage de la mineure est demandé par sonpère ou tuteur légal en vue de la protéger contre la débauche

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(1) LDDF. op. cit.

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• La facilité, due à la corruption, de l’obtention du certificat médicaldélivré par un médecin de la santé publique, généralement, sans avoirexaminé l’intéressée.

• L’absence de toute enquête sociale prévue par l’article 20, enraison, de l’inexistence d’un corps d’assistantes sociales rattaché auxtribunaux de la famille (1).

Les conséquences sont notamment le renversement de l’ordre établipar le nouveau code de la famille, en ce sens que le principe de lamajorité à 18 ans devient l’exception. Le tribunal de la famille, deTanger, par exemple, examine en moyenne 20 demandes par semaine !Les statistiques officielles révèlent 50 % de demandes rejetées : cela,nous semble, bien, en dessous de la réalité.

2.6. Le domicile conjugal

La loi, les études et les commentaires n’accordent pas, à notre sens,la protection et l’intérêt que cette importante institution mérite. Ledomicile conjugal familial véhicule en effet une grande symboliqueà la fois en termes de dignité de la femme et de stabilité du foyer.

a. Domicile conjugal et problème d’obéissance de l’épouse à l’époux

En Islam, le domicile conjugal est le symbole de la famille unie maisaussi de l’obligation qui est faite à l’épouse de vivre chez son mari : c’estbayt azzaoujia. Cette obligation que l’on appelait sous l’anciennemoudouana bayt attaâ, institution qui n’existait selon les juges que dansl’esprit de certaines avocates (militantes) et des femmes en général,permettait à l’époux de faire maintenir l’épouse sous son autorité etla faire revenir, manu militari, si elle quittait le domicile conjugal.

En effet, en pratique, l’époux introduit en référé, devant le tribunal,une demande de réintégration du domicile conjugal. Le jugementobtenu, l’époux, « bafoué » dans son autorité, fait appel à un huissierpour exécuter le jugement. L’huissier informe l’épouse condamnée del’obligation qui pèse sur elle de réintégrer le domicile conjugal commeeffet de la décision de justice et la somme de l’accompagner audomicile conjugal.

110 Le Code de la famille

(1) Conséquence, et à titre d’exemple, le tribunal de la famille de Tanger examine en moyenne20 demandes par semaine, et les statistiques officielles révèlent 50 % de demandes rejetées :c’est bien en dessous de la réalité.

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Lorsque l’épouse refuse, elle tombe dans le statut de nachiz, statutde « femme indigne », lequel lui fait perdre son droit à la pensionalimentaire et le droit de garde des enfants, et peut même êtreécrouée (1).

Cette institution de bayt attaâ semble s’être effilochée sous l’effetdu nouveau code, même si elle reste un terme qui revient souvent dansle langage des femmes justiciables interrogées.

b. La protection du droit à être maintenu dans le domicile conjugal

L’article 53 du nouveau Code de la famille dispose que « lorsque l'undes conjoints expulse abusivement l'autre du foyer conjugal, leministère public intervient pour ramener immédiatement le conjointexpulsé au foyer conjugal, tout en prenant les mesures garantissantsa sécurité et sa protection. »

Ce texte envisage le domicile conjugal selon une vision conformeà l’évolution de la société et à la modernité ; celle de la protection etdu maintien de l’époux, de l’épouse et des enfants dans un abri stableau sein du foyer familial.

Les justiciables impliquées dans une procédure de divorce suite àune expulsion du domicile conjugal représentent, soit 1,11 %seulement de l’ensemble des justiciables interrogés. Il s’agit, presquetoujours, de femmes avec des enfants (2).

Ce chiffre semble bas, eu égard au nombre d’actions en justice.L’explication réside dans le fait du recours des conjoints expulsés à lafamille, d’une part, et aux associations de protection des femmes etdes enfants, d’autre part, lesquelles déclenchent la procédure deprotection et de réintégration dans le domicile conjugal à travers lescellules d’urgence créées dans les grandes villes du pays.

111Perceptions et pratique judiciaire

(1) Pour contourner les effets de la loi, certaines épouses bien informées et ne désirant plusvivre sous le même toit que leurs époux, réintègrent le domicile conjugal en présence del’huissier et le quittent aussitôt après le départ de l’huissier, ce qui oblige le mari àrecommencer toute la procédure de réintégration dès le début !(2) Sur l’ensemble de notre enquête, aussi bien dans les tribunaux que dans les locaux desassociations, 2 cas seulement d’expulsion du domicile conjugal d’époux par leursépouses ont été rencontrés. Dans les deux cas, les épouses ou leurs familles sontpropriétaires du logement familial. Dans un cas, l’épouse nous a avoué « corrigerphysiquement » son mari qui ne veut pas travailler !

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2.7. L’exequatur

a. Position du problème (1)

Lorsqu’un jugement est rendu par une juridiction marocaine, sonexécution ne suscite pas de difficultés particulières. Il suffit qu’il soitpassé en force de chose jugée (décision définitive et/ou épuisementdes voies de recours) pour que cette juridiction procède soit de sonpropre chef, soit à la demande du bénéficiaire à son exécution, car ledit jugement est rendu au nom du Roi représentant la souverainetémarocaine.

En revanche, les données sont complètement différentes lorsqu’ils’agit d’un ressortissant marocain résidant à l’étranger ou d’unétranger qui, en possession d’une décision étrangère, désire en obtenirl’exécution sur le territoire national. En effet, le jugement étranger estrendu au nom d’une souveraineté étrangère, et la force publiquemarocaine ne saurait agir sur un ordre étranger. Par ailleurs, le pouvoirde contrainte dont dispose tout État s’arrête aux limites de sonterritoire.

En conséquence, les jugements étrangers ne peuvent être reconnuset exécutés au Maroc que selon des conditions et une procédureprévue à cet effet par le droit marocain : c’est la procédure d’exequatur.C’est une procédure qui permet la reconnaissance et l’exécution desjugements étrangers au Maroc.

b. L’exequatur dans la pratique

Les demandes d’exequatur étaient très peu nombreuses à l’époquedu déroulement de l’enquête (1,11 %). Bien qu’il n’ y ait pas de momentparticulier pour introduire ce genre de demande, les tribunauxmarocains sont généralement saisis en vue de l’exequatur au début,pendant et à la fin de l’été et les autres vacances où les résidentsmarocains à l’étranger visitent leur pays. Les tribunaux de la familledu Nord, notamment ceux de Tanger, Alhoceima, Nador et Tétouan,traitent un volume important de demandes d’exequatur en raison del’importance de la communauté marocaine issue de cette région etvivant en Europe occidentale (2).

112 Le Code de la famille

(1) Sur la question, cf. A. OUNNIR. Cours de droit international privé, 4e année de droit privé.2005-2006, Faculté des sciences juridiques économiques et sociales, Tanger.(2) En 2005, le tribunal de la famille de Tanger a eu à statuer sur 414 demandes d’exequatur.

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c. Un système en situation de dysfonctionnement

Outre le fait que l’exequatur pose un problème de conflits dejuridictions et que le juge marocain peut refuser l’exequatur en raisonde la contradiction de la décision étrangère avec l’ordre publicmarocain, on a pu constater que sur le plan purement pratique deuxobstacles empêchent le procédure de reconnaissance des jugementsétrangers de fonctionner normalement. Il s’agit de justiciables malinformés et de contradictions dans la conception même de la notiond’exequatur.

c.1. Défaillance des autorités consulaires en matière d’informationjuridique

Plusieurs requêtes d’exequatur ont été rejetées en raison du défautd’un document essentiel qui est le certificat du greffier du tribunalétranger compétent constatant qu’il n’existe contre cette décision niopposition, ni appel, ni pourvoi en cassation.

Les justiciables marocains résidant à l’étranger, s’adressent, d’abord,par réflexe culturel marocain, au makhzen, c'est-à-dire aux autoritésconsulaires pour obtenir les premières informations relatives à lapossibilité d’exécuter le jugement étranger sur le territoire marocain.

C’est ainsi, que les autorités consulaires marocaines résidant dansle pays d’accueil, au lieu de diriger ces justiciables vers le greffe desjuridictions du lieu de résidence à l’étranger, leur délivre au contraire,sans aucun fondement juridique, un document attestant que la décisionétrangère a été notifiée à l’autre partie et qu’elle est devenuedéfinitive. Conséquence : toutes les demandes corroborées parl’attestation du consulat sont rejetées.

C’est ce qui ressort du jugement Tribunal de première Instanced’Alhoceima du 15 mars 2004, et des arrêts de la Cour d’Appel de lamême ville du 26 Avril 2005, 17 mai 2005, et 24 mai 2005 (1). C’est ainsique des femmes marocaines déclarées divorcées aux Pays Bas, enAllemagne et en Belgique (région flamande) se sont retrouvées dansl’impossibilité d’avoir ce statut au Maroc, en raison du défaut de cedocument relatif au caractère exécutoire de la décision étrangère dansleurs dossiers.

113Perceptions et pratique judiciaire

(1) inédits.

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c.2. les dysfonctionnements au sein des services des tribunaux

• Les divergences quant à la notion d’exequatur

Le premier problème est celui de la conception qu’ont certainesjuridictions marocaines de la famille de la procédure-même del’exequatur. Examiner une demande d’exequatur ne signifie point, pourun tribunal, rejuger l’affaire entre les mêmes parties, pour les mêmesmotifs. En effet, l’article 340 du Code de procédure civile se borne àl’exigence de « la régularité des jugements étrangers ».

En disposant in fine qu’ « ... il (le juge) vérifie également si aucunestipulation de cette décision ne porte atteinte à l’ordre publicmarocain », la clarté de ce texte ne permet, nous semble-t-il, aucuneinterprétation !

• La longueur de la procédure

Selon certains procureurs du Roi, les services du greffe participentgravement au ralentissement de la procédure d’exequatur. En effet,systématiquement, semble-t-il, les greffiers rallongent inutilement ledélai nécessaire à l’exécution effective de la décision de l’exequaturmalgré l’absence de tout recours formulé par le ministère public. Onfait attendre ainsi, des justiciables, jusqu’à ce que l’on procède à lanotification du jugement à l’autre partie (1) (ce que la loi ne prévoit pas) :le délai minimum d’attente est, alors, d’un mois. Cela peut s’avérer trèspréjudiciable aux marocains résidant à l’étranger ne disposant pas dutemps nécessaire pour attendre.

2.8. La garde des enfants

Le contentieux relatif à la garde des enfants revêt la mêmeimportance que les questions précédentes. Il représente 13,33 % desactions introduites en justice par les justiciables interrogés (2).

En réalité, dans ce contentieux, on trouve aussi des actionsintentées en vue de l’exercice ou du réaménagement du droit de visite,du droit de voyager avec les enfants à l’étranger et la déchéance dudroit de garde.

114 Le Code de la famille

(1) La pratique judicaire, notamment par le tribunal de la famille de Tanger et de Salé d’unepart, et celui de Rabat, d’autre part, n’est pas uniforme en la matière. Cf , F.Z. BOUKAISSI,op. cit.(2) Le tribunal de la famille de Tanger a eu à traiter 12 cas du 31 janvier au 31 mars 2005.

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Dans l’ensemble, les juges sont très attentifs aux droits desenfants de parents divorcés à voir leur père (puisque la garde desenfants de moins de 15 ans est accordée à la mère en priorité) et aussià voyager avec leur mère à l’étranger.

Aucune plainte particulière ne fut formulée relativement à quelquedysfonctionnement ou mauvaise application des textes régissant cetteinstitution.

Cependant, les pères de famille issus de milieu modeste eninstance de divorce semblent ne pas accepter que la garde des enfantssoit systématiquement confiée à la mère. Ces affirmations dénotentparfois d’une violence latente chez les hommes interrogés.

La débauche de la mère est également souvent utilisée par l’ex-époux ou sa famille, s’il est décédé, pour lui reprendre les enfants dontla justice lui a confié la garde.

Les femmes interrogées considèrent que les juges semblentinterpréter le comportement et la vie de la mère de façon trop sévère,ce qui met cette dernière dans une situation psychologique trèsprécaire. La tentation de l’époux et de sa famille après son décès dereprendre l’enfant à la mère, pour la punir, est très grande.

L’action en vue de la déchéance de la mère de son droit de gardeest souvent motivée par la débauche de celle-ci.

III. Le circuit judiciaire

L’enquête a révélé que les justiciables en matière de contentieuxfamilial dans leur majorité s’inscrivent en faux avec la maxime « lesmarocains sont des procéduriers ou aimant intenter des procès ».

Cela apparaît principalement dans deux sortes d’attitudes : le tempsde la réflexion (A) et l’usage d’autres modes de résolution de conflitsavant de s’adresser à la justice en tant qu’ultime recours.

1. Le temps de réflexion

65,59% des justiciables ont hésité longuement avant de saisir lajustice et la durée moyenne de temps de réflexion est de 6 mois :27,16 % ; (23, 45 % ont attendu 2 ans, 23,45 % - 1 ans, 16,04 % - 3 moiset 9,87 % - 1 mois).

115Perceptions et pratique judiciaire

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Tableau 9

Le délai d’attente avant d’intenter une action en justice

1 mois 9,87 %

3 mois 16,04 %

6 mois 27,16 %

1 an 23,45 %

2 ans 23,45 %

Les femmes, manifestement, hésitent plus et plus longtemps à esteren justice dans le but de mettre un terme au lien conjugal. Elles essaienttous les moyens possibles pour éviter le recours à la justice, en raisonde la pression familiale, des effets de stigmatisation sociale qu’engendrele statut de « femme divorcée », pour des facteurs de dépendanceéconomique à l’égard des époux et, enfin, du souci quant à l’avenir desenfants.

2. Les autre modes de règlement utilisés pour résoudre les conflitsconjugaux

La majorité écrasante des justiciables (84 %) a tenté de résoudre sesconflits familiaux par d’autres moyens, alors que d’autres (15,95 %) sesont directement adressés au tribunal.

Parmi les modes utilisés en vue de trouver une solution auxproblèmes de famille, le recours à la médiation familiale reste le modele plus utilisé (65,59 %), suivi du recours aux amis de la famille : 25,80 %,et de la médiation des voisins : 8,60 %.

Tableau 10

Les modes de règlement de conflits conjugauxautres que la voie contentieuse

Famille 65,59 %

Amis de la famille 25,80 %

Voisins 8,60 %

A la lecture des résultats de l’enquête, on constate que l’échec de cesmodes de résolution des conflits familiaux provient principalementde l’attitude de l’époux et la détermination qui s’en suit pourl’épouse et, secondairement, de l’intervention de la famille.

116 Le Code de la famille

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2.1. L’attitude des époux (les maris)

Les entretiens que nous avons eus avec les justiciables dépassaient,bien, souvent le cadre du questionnaire. Les informations que nousavons récoltées à travers, ce que nous appellerons, propos libres, sonttrès précieuses. On a pu comprendre que les maris, lorsqu’ils sont àl’origine du conflit, pour polygamie notamment, n’acceptent de faireaucune concession : ils maintiennent, contre vents et marées, leurvolonté d’être polygames en raison de ce droit qui leur est reconnupar la charia. Ils rejettent, ainsi, toute médiation relativement à la remiseen cause de leurs décisions. Ils passent, même, outre le refus du juge (1).

Ils ne manifestent aucune disposition, non plus, à la répartition etau partage des biens acquis par le labeur des deux conjoints, ni encoremoins à la révision du taux de la pension alimentaire.

De même dans leur rôle de tuteurs légaux de leurs enfants, leshommes divorcés sont viscéralement attachés au maintien de leurancien statut de chef de famille en refusant par exemple de donnerl’autorisation aux mères de leurs enfants de voyager avec ces derniersà l’étranger, ou en essayant d’obtenir la déchéance de leur garde eninvoquant l’argument, le plus facile pour eux, à savoir, la débauche dela mère !

Les épouses, quant à elles, sont souvent obligées après maintestentatives de réconciliation, de s’adresser à la justice parce qu’ellessombrent dans la précarité. Les époux, sans entretenir leurs familles,persistent dans leur refus de quitter les mauvaises habitudes, l’alcool,l’oisiveté, l’abandon du domicile conjugal et la violence (2).

2.2. L’immixtion de la famille

Les résultats de l’enquête font ressortir que dans l’ensemble lerecours à la famille n’est d’aucune utilité dans la réconciliation desépoux (3).

117Perceptions et pratique judiciaire

(1) Cf. reconnaissance de paternité.(2) A Tanger, certaines épouses travaillant durement pour entretenir leurs enfants sont nonseulement abandonnées par leur époux mais violentées régulièrement par ces dernierspour leur soutirer de l’argent. Pour les détails, cf. F. BAKKIOUI « La violence à l’égard desfemmes à travers l’action de l’association : réseau espace et citoyenneté- maison de la femmede Tanger », mémoire pour l’obtention de la licence en droit privé, 2003-2004.(3) Les cas de réconciliation en raison de l’intervention de la famille n’arrivent, fortlogiquement, pas aux tribunaux.

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Deux situations illustrent ce constat.

a. La première est le degré d’implication de la famille de l’épousedans la situation conflictuelle que vit cette dernière.

L’enquête nous a révélé, en effet, que l’épouse est généralementpeu soutenue par les siens et que, bien souvent, ces derniers, en raisonde l’entourage social, la culpabilisent en lui reprochant sa légèreté, sonmanque de sacrifice et le fait d’être à l’origine du déshonneur de lafamille. La césure est ainsi opérée, et la divorcée est souventabandonnée à son sort.

b. La deuxième est celle du conflit ouvert entre deux familles quise font la guerre directement ou par époux interposés.

Dans ce cas, il n’ y a généralement aucune solution possible. Lafamille exacerbe les sentiments de haine, fait échouer les tentativesde réconciliation et envenime les situations de confrontationnotamment à l’audience (1).

c. L’effet du nouveau code comme « incitateur » au recours à lajustice :

La date de l’introduction de l’action en justice est un indicateurdéterminant dans la réception et le degré de compréhension dumessage de sensibilisation adressé, aux citoyens, par les pouvoirspublics, les medias et la société civile.

En effet, outre le fait de faciliter la distinction entre les actionsintentées sous l’ancien régime et les actions nouvelles, le critère dedate permet de recenser le nombre d’actions stimulées par lenouveau code.

Il est également un indicateur permettant la reconnaissance dufondement juridique et le contenu de l’action dans une approche derecherche du ou des droits qu’on entend défendre : requête classique( divorce, pension,etc.) ou requête facilitée, voire créée par le nouveaucode de la famille (divorce pour discorde, garde des enfants, répartitiondes biens après dissolution du mariage, recherche de paternité par lerecours à l’expertise ADN, etc.).

118 Le Code de la famille

(1) On a pu noter que, bien souvent, la famille de l’époux est massivement présente àl’audience, alors que l’épouse est accompagnée toujours par ses enfants et quelquefoispar sa mère. A l’issue de l’audience, elle est souvent sujette à des violences psychologiqueset physiques.

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Nul ne sera étonné de constater que, dans le cadre d’une enquêteélaborée à cheval entre les années 2005 et 2006, 84 % des actions enjustice aient été mises en mouvement après l’entrée en vigueur dunouveau Code de la famille.

Le reliquat de 16 % datant des années précédant l’entrée en vigueurdu nouveau code a trait principalement à des problèmes denotification et d’exécution des décisions rendues dans le domaine trèsproblématique de la pension alimentaire.

Tableau 11

Date de l’exercice de l’action en justice

Avant entrée en vigueur du nouveau code 16 %

Après entrée en vigueur du nouveau code 84 %

Le nombre de justiciables sachant avec précision les dispositionscontenues dans le nouveau code, lesquelles les auraient encouragésà intenter leur action en justice, est insignifiant :

Tableau 12

Connaissance du fondement de l’action intentée

Nature de l’action Nombre d’actions intentéesen connaissance de cause

Pourcentage

Polygamie 2 1,96

Répartitions des biens 3 2,94

Garde, visite et voyage avec les enfants 3 2,94

Divorce pour discorde 2 1,96

Total 10 9,80

Les résultats de ce tableau font ressortir que le travail desensibilisation et de pédagogie n’a pas encore produit ses fruits et qu’ilreste beaucoup à faire dans ce domaine.

Cette insuffisance dans la connaissance plus ou mois précise desdispositions du nouveau code de la famille ne signifie point que lesjusticiables soient totalement ignorants de l’existence d’un nouveaucode de la famille et du progrès qu’il constitue.

119Perceptions et pratique judiciaire

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Tableau 13

Degré de connaissance des points positifs du Code de la famille

Total Pourcentage

L’intérêt de la famille 11 10,78Protection des enfants 14 13,72Protection de la femme 29 28,43Autres 5 4,90Ne sait pas 43 42,15

En effet, plus de la moitié des justiciables interrogés (52,93 %)considère que le nouveau texte contient des dispositions positives :28,43 % considèrent que ces dispositions sont plutôt favorables auxfemmes et protectrices de leurs droits ; 13,72 % estiment que se sontles intérêts des enfants qui sont le mieux protégés, et 10,78 %relèvent que c’est la cellule famille qui bénéficie le plus de l’intérêtdu législateur. Enfin, 4,90 % relatent divers autres aspects positifs telsque la rapidité de la procédure, le divorce pour discorde notamment.L’autre moitié des personnes interrogées déclare ne pas connaître avecexactitude les points positifs du code.

Quant aux aspects négatifs du code, la grande majorité despersonnes interrogées (76,47 %) avouent ne pas savoir. La minorité quidéclare pouvoir identifier les points de faiblesse du code recense troisprincipaux points négatifs : le premier est relatif au contenu du code :selon 6,86 % des justiciables, principalement des hommes, le code aaccordé trop de droits aux femmes au détriment de ces derniers. Lesdeux autres aspects négatifs, selon les justiciables, sont liés àl’application du code de la famille (7,84 %) et aux lenteurs de laprocédure (3,92 %). Quant aux 4,90 % restants, ils reprochent aunouveau code d’encourager le divorce et de porter atteinte auxprérogatives de l’époux...

Tableau 14

Degré de connaissance des points négatifs du code de la famille

Total Pourcentage

Plus ou trop de droits aux femmes 7 6,86Application du code 8 7,84Lenteurs de la procédure 4 3,92Autres 5 4,90Ne sait pas 78 76,47

120 Le Code de la famille

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En définitive, L’imprécision dans la connaissance des dispositionsdu nouveau code de la famille est le résultat de l’analphabétismetouchant une large frange de la population qui ne peut, enconséquence, ni lire ni comprendre, même lorsque la documentationest rédigée en dialecte (1).

3. Les personnes ou institutions ayant encouragé l’action en justice

La question de savoir si les justiciables ont agi en justice, sponta-nément ou après incitation ou encouragement d’un tiers, nous a sembléd’une grande utilité dans la compréhension du degré de pénétrationde la nouvelle philosophie du nouveau droit de la famille dans le tissusocial de notre pays.

Les résultats sont intéressants, car ils démontrent que presque lamoitié des justiciables interrogés (48,05 %) ont consulté un avocat avantd’introduire leur action en justice. C’est ce dernier, par son conseil, quia été déterminant dans l’exercice de l’action. 22,07 % des justiciablesinterrogés ont déclaré avoir agi en justice suite à une incitation d’unmembre de la famille, 19,48 % ont été encouragé par un ami et 10,38 %seulement reconnaissent que l’action introduite en justice est le résultatde leur propre initiative.

Tableau 15

Les personnes ou institutions ayant encouragé l’action en justice

Justiciables

Avocat 48,05 %

Membre de la famille 22,07%

Ami 19,48 %

Initiative propre 10,38 %

La prééminence du rôle de l’avocat est aisément explicable, en cesens que les justiciables, dans leur majorité, désirent d’abords’informer. Lorsqu’ils ne sont pas totalement démunis économiquementet culturellement, les justiciables s’adressent d’abord à un avocat pours’informer sur leurs droits et sur les chances de réussite de leur action.

121Perceptions et pratique judiciaire

(1) Nous avons personnellement contribué à la « vulgarisation » du nouveau code de lafamille auprès de la population marocaine. V. A. OUNNIR : les Principaux apports dunouveau code de la famille. En dialecte marocain dans la collection « Khbar Bladna ». Ed. Ifzarn,Tanger, 2006.

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L’avocat leur procure le conseil « emballé dans une approchemarketing » : il les rassure d’abord quant au bien fondé de leursprétentions, et ensuite les tranquillise que le paiement de seshonoraires n’est pas immédiatement exigible : « On verra plus tard… »

Aucune des personnes interrogées n’a eu une idée claire etprécise du montant des honoraires de l’avocat dès le début de laprocédure. La loi ne réglemente pas la question des honoraires desavocats et ne prévoit aucun barème.

Enfin, deux justiciables (0,02 %) déclarent avoir eu recours à l’aideet assistance des associations de protection des droits des femmes etdes enfants et de lutte contre la violence. Cela ne signifie pas pourautant que la société civile est absente du domaine de l’assistance desfemmes en détresse et devant s’adresser à la justice pour se voirreconnaître leurs droits et ceux de leurs enfants (1).

Les femmes rencontrées dans les locaux de ces associations, souventdans une détresse totale, obtiennent à la fois le conseil juridique etl’assistance gratuite d’avocat. Cette œuvre louable constitue le débutd’une reconnaissance de leur dignité.

4. Les frais de justice (2)

La question relative aux frais de justice a été formulée et posée dansla perception sociale et non juridique du terme, à savoir tous les fraisoccasionnés par le procès. Il s’agit, des droits fiscaux sur les actes deprocédure, des émoluments des officiers ministériels, les redevancesperçues au profit du Trésor public par les greffiers, des droits deplaidoirie au profit de la caisse du barreau, des honoraires deplaidoirie des avocats, du paiement d’une expertise (ADN parexemple) ou la rémunération de techniciens et des actes adoulaires(attestation de aânath par exemple).

122 Le Code de la famille

(1) A Tanger, par exemple, les associations Amna et la Maison de la femme font un travailremarquable de prise en charge sur le plan juridique des femmes victimes de violence,expulsées du domicile conjugal, abandonnées par l’époux, sans aucune ressource et sansaucun document officiel leur permettant de s’adresser à la Justice. Sur la question cf.F. BAKKIOUI : « La violence à l’égard des femmes à travers l’action de l’association Réseauespace et citoyenneté, la maison de la femme de Tanger ». Mémoire pour l’obtention dela licence en droit privé, 2003-2004.(2) Les frais de justice stricto sensu, appelés également dépens en matière de procédurecivile, sont les frais engendrés par le procès que le gagnant peut se faire rembourser parle perdant, à moins que le tribunal n’en décide autrement.

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4.1. Le principe

Les femmes sont normalement exonérées du paiement des frais dejustice stricto sensu. Ils ne sont redevables que d’une somme de50 dirhams représentant une taxe et 16 dirhams de frais de notification.

L’époux engageant une procédure de divorce, par exemple, doitpayer, quant à lui, 150 dirhams et la taxe de 50 dirhams.

En cas de demande de divorce par consentement mutuel, lesintéressés doivent s’acquitter de la somme de 150 dirhams.

Enfin en cas de demande d’exequatur d’un jugement étranger, lecaissier du tribunal perçoit une taxe de 150 dirhams et 50 dirhams defrais d’huissier et cela quelque soit le demandeur.

En réalité, les justiciables ont une perception extensive du conceptdes frais de justice. Il s’agit de toutes les dépenses, au sens économiquedu terme, naissant du recours à la justice. 29,29 % seulement despersonnes interrogées admettent le caractère non élevé des frais dejustice. 70,70 % des justiciables considèrent que les frais de justice sontélevés.

Tableau 16

Caractères des frais de justice

Total des cas Rapport aucontentieux global

Elevés 70 70,7%

Non élevés 29 29,2%

En réalité la notion de frais de justice, plus particulièrement, pourles justiciables non assistés d’un avocat, englobe un champ très vaste.Cela va des frais de l’écrivain public, des intermédiaires et de diversescrocs (1), en passant par les taxes judiciaires et les honoraires del’avocat.

Le problème des honoraires de l’avocat est au cœur de lapolémique. D’abord parce que, comme il été dit, la loi ne déterminepas les dits honoraires, et ensuite à cause de l’abus de certains avocats.

123Perceptions et pratique judiciaire

(1) En effet, on peut parfaitement être victime d’escroquerie dans le cadre del’environnement de la justice et la famille. Cf. F.-Z. BOUKAISSI, op. cit.

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En effet, les justiciables, certains avocats et magistrats nous ont déclarél’existence de comportements purement mercantilistes chez certainsavocats ayant une conception « alimentaire » de leur profession. Cesderniers, en raison de leur mutisme volontaire quant à leurs honoraireslors de la première rencontre avec leurs clients, réclameraient dessommes élevées une fois la procédure terminée. Les justiciables, et plusparticulièrement les femmes, ne comprennent pas et n’admettent pasque leur avocat leur réclame de l’argent tout au long de la procédure,alors que de l’avis même de certains autres avocats , les honoraires sesituent généralement entre 2 000 et 3 000 dirhams.

Les abus sont visibles à deux niveaux :

• D’abord par la pratique d’honoraires très élevés sans communemesure avec les prestations fournies, notamment durant la périodeestivale à l’égard des Marocains résidant à l’étranger, lesquels nedisposent pas du temps nécessaire pour la recherche d’un bon avocatet ignorent le tarif habituellement pratiqué par la profession.

• Ensuite par la mainmise de l’avocat, de jure, sur les droitspécuniaires reconnus à l’épouse répudiée ou divorcée, y compris lapension alimentaire. En effet, l’épouse reçoit ses droits pécuniaires parl’intermédiaire de l’avocat, seul habilité à retirer les sommes verséespar l’époux à la caisse du tribunal. L’avocat prélèverait, alors, en termesde pourcentage, ce qu’il considère comme son dû, avant de verser lereste à sa cliente.

On nous a donc affirmé l’inadmissibilité de ce mécanisme anormalqu’il faut supprimer car il recèle beaucoup d’abus : l’avocat est plus àmême de défendre ses droits que la justiciable.

5. Le procès

La justice de la famille est une institution où les décisions sontimposées et opposées aux justiciables alors même que le litige, à ellesoumis, relève de la sphère privée, voire intime.

Même si la négociation qu'elle laisse aux justiciables est loin d'êtrenégligeable – tentative de conciliation et possibilité, en pratique, deretrait de l’affaire du circuit judiciaire avant la décision définitive – leprocès en matière de conflits familiaux demeure une épreuveredoutable. Cette phase de la procédure est le lieu et le moment où

124 Le Code de la famille

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les passions se déchaînent et les sentiments s’exacerbent. Les époux,qui jusqu’alors vivaient en un lien affectif, se retrouvent devant le jugeconfrontés l’un à l’autre comme adversaires, essayant chacun deprouver sa propre innocence et en même temps la faute et lesturpitudes de l’autre. La position juridique des époux dans laprocédure de divorce se réduit alors à mobiliser leur énergie pourrelever et rechercher des faits fautifs juridiquement imputables àl’adversaire.

La procédure est un vrai parcours du combattant, tout le mondey perd quelque chose. Les femmes, comme on a pu le constater à lasortie des audiences, vivent douloureusement leur passage devant lejuge qui les a interrogées. Elles semblent être plus éprouvées encoreen présence de leurs enfants qu’elles exhibent devant le juge.

Mais avant l’épreuve de l’audience, il y a celle de l’attente et cellede la tentative de conciliation.

5.1. L’attente avant la convocation

Lorsque la vie en couple devient impossible et que le conflit familialdevient un contentieux judiciaire, les conjoints interrogés, et plusparticulièrement les femmes, sont surpris par la longueur de laprocédure.

50,90 % des justiciables interrogés déclarent avoir attendulongtemps avant d’être convoqués pour la première fois par le tribunal.La lecture des statistiques révèle que plus de la moitié des justiciables(55,55 %) ont dû patienter 3 mois, 26,66 % 1 mois et 17,77 % 6 moisavant d’être convoqués.

Tableau 17

L’attente avant convocation par la justice

Nombre de justiciables Total par rapportayant attendu au contentieux global

6 mois 16 17,70 %

3mois 50 55,55 %

1mois 24 26,66 %

125Perceptions et pratique judiciaire

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Si l’on peut constater une tendance vers le rétrécissement des délaisd’attente, ces derniers demeurent cependant anormalement élevés,plus particulièrement dans l’hypothèse ou l’épouse et les enfants, aprèsavoir été mis à la rue par l’époux, ont réintégré le domicile conjugalsuite à une décision de l’autorité judiciaire, au risque de se retrouverdans un climat de violence physique et psychologique.

5.2. La phase de conciliation

Avant que le procès ne se tienne en audience publique, il estnécessaire de passer, dans le cas du divorce et de l’existence d’enfants,par la phase de tentative conciliation : moment difficile psychologi-quement, car il s’agit d’une confrontation entre les conjoints, durantlaquelle il est fait étalage de tous les secrets, même les plus intimes,devant des étrangers : le juge et son greffier (1).

L’article 81 du code de la famille prévoit que le tribunal convoqueles époux pour une tentative de conciliation. Le législateur, enprévoyant cette phase importante de la procédure judiciaire en matièrede conflits familiaux, exprime le souci de la prééminence du maintiende la cellule familiale garante de la pérennité de la société.

Tableau 18

Le passage par la phase de conciliation

Nombre de justiciables Total par rapportau contentieux global

Oui 65 63,72 %

Non 37 36,27 %

63,72 % des justiciables interrogés déclarent avoir bénéficié de laphase de conciliation. Le chiffre de 36,27 % est composé de personnesn’ayant pas encore été convoquées en vue d’une tentative deconciliation, au moment de l’enquête et de femmes dont les épouxne répondent pas aux convocations émises par le tribunal relativementà cette procédure.

126 Le Code de la famille

(1) Par manque de moyens, le juge chargé de la conciliation partage son bureau avec unautre juge chargé d’autres procédures et recevant le public (cas de tanger), ou dont le bureauest séparée par une cloison qui ne protège guère l’intimité et le secret (cas de …) qui doitcaractériser la procédure du huis clos de la chambre de conseil.

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Tableau 19

Avis sur l’opportunité de la procédure de conciliation

Nombre de Total par rapport aujusticiables contentieux global

Nécessaire 65 63,72 %

D’aucune utilité 37 36,27 %

Conforme à la chariaâ 2 2,8 %

Prolonge inutilement la procédure 1 1,4 %

63,72 % des justiciables interrogés ont déclaré que cette phasedemeure nécessaire, et parmi eux, 2,8 % estiment qu’elle est conformeà la charia. Par contre 36,27% considèrent qu’elle n’est d’aucune utilité.Parmi ces derniers, 1,4 % ajoutent que la procédure de conciliationprolonge inutilement la procédure.

La réconciliation a deux aspects : un aspect intentionnel et un aspectmatériel.

• L’aspect intentionnel réside dans le fait que l'époux contre lequelune faute est retenue se voit pardonné. Cependant, un pardonréciproque est possible lorsque les époux ont chacun quelque choseà se reprocher.

• L’aspect matériel vient corroborer les promesses de l'un et del'autre. Cet élément est la reprise de la vie commune, ou du moins, lamanifestation claire et sans équivoque de la volonté de chacun deretrouver une vie de couple normale.

Tout cela doit se faire dans le cadre d’un cérémonial particulier :c’est la chambre de conseil.

5.3. La chambre de conseil (1)

Aux termes de l’article 82 du code de la famille : « Lorsque les deuxparties comparaissent, les débats ont lieu en chambre de conseil,y compris l'audition des témoins et de toute autre personne que le tribunaljugerait utile d'entendre. »

127Perceptions et pratique judiciaire

(1) Cf. F. Z. Boukaissi : remarques sur le déroulement des audiences à la section de la justicede la famille près les tribunaux de Première Instance de Rabat, Salé, Kénitra, Skhirat et Témara.Dans le présent ouvrage p.

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a. L’environnement de la tentative de conciliation

La chambre de conseil est généralement tenue dans le bureau dujuge chargé de tenter de réconcilier des époux en conflit. En raisonde l’insuffisance des locaux du tribunal, le bureau réservé à laconciliation peut abriter aussi un juge occupé à une autre tâche (letraitement des dossiers de la pension alimentaire, par exemple). C’estle cas au tribunal de la famille de Tanger, au sein duquel nous avonssuivi l’itinéraire de certains justiciables.

La scène est assez kafkaïenne : la conciliation se déroule dans lapromiscuité totale. Le lieu est un bureau minuscule partagé par un jugerecevant des justiciables à propos des problèmes de pensionalimentaire et le juge assisté d’une greffière essayant de réconcilierdes époux, extrêmement tendus et flanqués de leurs avocats,généralement passifs.

Le rendement en est ainsi affecté : la procédure de réconciliationest traitée avec une rapidité excessive. Les statistiques relatives au tauxde réussite des tentatives de conciliation sont très révélatrices à cetégard : sur 185 demandes de divorce pour discorde, seulement6 tentatives de conciliation ont été couronnées de succès (1) !

b. Le travail du juge chargé de la tentative de conciliation

La personnalité et la formation du juge jouent un rôle nonnégligeable, pour ne pas dire déterminant, dans la réussite de laconciliation. Or, outre le fait que les juges chargés de la réconciliationsoient jeunes et sans expérience, ils n’ont suivi aucune formationparticulière (2) leur permettant de mener à bien cette tâche capitalepour l’avenir d’une famille.

De la sorte, la séance de tentative de conciliation se réduittoujours au même rituel : identité des époux, constat de l’étatphysique de l’épouse : enceinte ou non, causes du conflit, existenceou non d’enfants et la formule-clé « le divorce est une mauvaise chose,maudissez Satan et reprenez-vous ! ». La séance aura duré de 10 à

128 Le Code de la famille

(1) Statistiques du tribunal de la famille de Tanger pour la période allant du 1er juin 2005au 3 septembre 2005.(2) En effet, tous les juges rencontrés lors de notre enquête reconnaissent n’avoir ni formationacadémique ni formation ponctuelle en matière de sciences humaines et sociales autreque les sciences juridiques ou la théologie.

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15 minutes, 16 couples reçus en 2 heures, et un seul semble vouloirressouder la relation conjugale.

c. L’avenir de la procédure de conciliation

De l’avis de tous les acteurs de la vie judiciaire et de ceuxtravaillant sur les conflits familiaux (magistrats, avocats, associations,justiciables et chercheurs), le système de conciliation doit être repensé.

6. L’avis des justiciables sur leur passage devant le juge

Les réponses des justiciables relativement à certains aspects dudéroulement de la procédure font ressortir deux points de vue opposéset une satisfaction à l’égard de l’avocat.

6.1. Liberté d’expression devant le juge

67,64 % des justiciables interrogés, majoritairement des femmes,reconnaissent avoir exprimé librement leur point de vue, leursarguments et leur défense devant le juge sans que ce dernier les enait dissuadé ou empêché.

Liberté d’expression Nb de H F Rapport audevant le juge justiciables contentieux global

Oui 69 33 36 67,64 %

Non 31 21 10 30,39 %

Non encore passé 2 1 1 1,96 %devant le juge

Dans une proportion un peu moindre, 50% des personnesinterrogées estiment avoir bénéficié d’une écoute attentive du juge.

Ecoute du juge Nb de H F Rapport aujusticiables contentieux global

Oui 51 33 18 50 %

Non 43 21 22 42,15 %

Pas de passage 8 – – 7,84 %devant le juge

Dans les deux cas (tableaux 1et 2) par conséquent, un peu moinsde 50 % des justiciables expriment leur frustration de ne pas avoir pu

129Perceptions et pratique judiciaire

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tout dire au juge (30,39 %), lequel ne leur a pas donné l’impression deles avoir écoutés attentivement (42,15 %).

Les justiciables critiquant l’attitude du juge sont majoritairementdes femmes et plus particulièrement celles impliquées dans lesprocédures de polygamie, de répudiation et de partage des biens.

Juge égalitaire Total Pourcentage

Oui 71 69,60Non 25 24,50Nsp 6 5,88

Total 102

Cependant, 69,60 % des personnes interrogées considèrent qu’ellesont eu affaire à un juge égalitaire, que le jugement rendu à l’issue deleur procès est conforme à l’esprit et aux dispositions du nouveau droitde la famille (75,26 %).

Jugement conforme Total Pourcentageau droit de la famille

Oui 70 68,62Non 19 18,62Nsp 4 3,92Autres 9 8,82

Total 102

Ces chiffres correspondent dans une certaine mesure à ceux relatifsau degré d’obtention de gain de cause en justice, en ce sens que62,50 % déclarent que le juge a répondu favorablement à leurdemande.

Le juge a-t-il donné Total Pourcentagegain de cause ?

Oui 60 58,82Non 36 35,29Procédure non terminée 6 5,88

Total 102

130 Le Code de la famille

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6.2. Le rôle de l’avocat

L’avocat en tant qu’auxiliaire de la Justice joue un rôle capital dansle procès relatif aux conflits conjugaux et de famille. Il joue un rôle deconseil, de postulation et de plaidoirie. Sans sa présence, la justice neserait qu’un vœu pieux pour les femmes.

En effet, dans notre société, les femmes qui vivent une procédurejudiciaire subissent des pressions sociales et psychologiques énormes.Elles perdent leurs relations amicales, et, souvent, leurs liens familiauxs’effilochent. Certaines justiciables nous ont affirmé qu’elles ont touttenté pour que leur contentieux familial ne soit pas connu par les amis,les proches et la famille. Mais comme la Justice est publique, il estdifficile de maintenir « cette déchéance sociale » dans le secret.

L’assistance d’un avocat est cruciale : il est en effet le conseiller, lebouclier, le confident et l’espoir d’une sortie de la procédure sans tropde dégâts. C’est ce qui explique, sans doute, le recours des femmes,majoritairement, à des avocates pour les représenter et les défendre.C’est dire la responsabilité colossale qui pèse sur la défense.

a. Les avocats ou les avocates ?

Les avocats de sexe masculin sont peu nombreux à faire ducontentieux familial plus qu’une simple procédure, une cause àdéfendre dans une optique moderniste et égalitaire. A l’image de cequi se passe dans la rue, on a pu ressentir du machisme dans lecomportement et la parole et du fondamentalisme dans l’attitude etle discours de certains avocats et avocates. Nombreux sont lesavocats et les avocates qui défendent, tout de même, une cause pourlaquelle ils n’ont aucune sympathie... mais il faut bien gagner sa vie !

b. Les chiffres

Les justiciables interrogés ont dans leur majorité eu recours àl’assistance d’un avocat qu’ils ont choisi. Seule une infime minorité(7,79 %) a eu à assurer elle-même sa défense. 67,53 % des justiciablesdéclarent être satisfaits de la prestation de leurs avocats, alors que24,67 % seulement déclarent ne pas l’être. Dans cette dernièrecatégorie, on trouve celles qui souffrent doublement : à la fois de lastigmatisation sociale et du désintérêt de l’avocat. Il s’agit de femmes,mères de famille nombreuse, vivant dans une situation de précaritésociale, sans entretien de la part du père des enfants, lequel est

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analphabète ou avec un niveau scolaire bas, chômeur, dépendant àl’égard de l’alcool ou du jeu et violent.

Ces femmes, dans leur ensemble, déclarent s’être perdues dans lelabyrinthe judiciaire : l’avocat est commis d’office. Elles ne le voientpratiquement jamais, ou alors en coup de vent dans les couloirs dutribunal. Il ne les informe sur rien, ne leur explique rien, ne leur montreaucun document !

Une fois le jugement rendu par le tribunal (lorsque les problèmesde convocation, de notification et de renvois répétés de l’affaire cessent)commence alors une autre galère : celle de l’exécution du jugement !C’est un cercle vicieux dramatique et une sorte de jeu au chat et à lasouris entre l’époux condamné à assurer l’entretien de sa famille ettout le système judiciaire et entre ce dernier et l’administration (police,finances, etc). On arrive ainsi à un degré d'épuisement et de désespoireffrayant, pendant que les enfants sombrent dans la pauvreté et ladéviance… On est loin de l’efficacité, de l’égalitarisme et dumodernisme voulus par le législateur.

Il nous semble vital pour la justice de la famille que les avocats aientune autre vision de leur profession, en ramenant la pratique du droitde la famille d’abord aux valeurs traditionnelles de conseil et de soutien.

La qualité de la justice de la famille en dépend.

7. Evaluation du jugement prononcé

Dans le prolongement des réponses exprimées relativement à laliberté d’expression laissée aux justiciables, à l’égalitarisme affiché parle juge et à la conformité des décisions au nouveau code de la famille,les justiciables, dans leur ensemble, corroborent cette vision par leurpoint de vue relatif à la question ayant trait aux intérêts que le jugeentend protéger par sa décision.

Les jugements en général Total Pourcentagesont-ils en faveur

Des femmes uniquement 27 26,47

Des enfants 26 25,49

De la famille 25 23,14

Des hommes 15 13,88

Des femmes et des enfants 9 8,33

132 Le Code de la famille

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Les personnes impliquées dans une procédure relative aucontentieux judiciaire, questionnées sur le sens de la justice familialelors de l’enquête, ont affirmé à 26,70 % que les jugements rendus l’ontété en faveur des femmes, 25,49 % en faveur des enfants, 23,14 % enfaveur de la famille et presque 14 % seulement en faveur des hommes.Enfin, les premiers chiffres sont encore renforcés par les 8,33 % deréponses qui considèrent que le jugement prononcé l’était en faveurà la fois des femmes et des enfants.

Ce résultat doit être interprété, à notre sens, à la lumière de plusieurséléments.

• D’abord par le fait que 32 % des demandes en justice sontformulées par des époux (23,88 % pour la répudiation et 8,88 %relativement au partage des biens) et sont susceptibles de leur donnerraison sur le principe de l’allégation elle-même, mais non forcémentsur ses effets : obtenir la répudiation de son épouse ne signifie pas unaffranchissement du paiement des droits reconnus à cette dernièreet aux enfants et les autres droits prévus par les textes (hadana, parexemple).

• Ensuite, les hommes impliquées dans le contentieux familial viventle contrôle judiciaire s’exerçant aujourd’hui sur leurs pouvoirs etprérogatives en matière de répudiation, de polygamie, de partage debiens, de mariage de mineurs, comme une atteinte à leurs droits et unesurprotection des femmes.

8. Les modes d’exécution des décisions de justice

Les problèmes ayant pratiquement surgi dans tous les volets de cegrand travail de recherche et d’enquêtes (juges, justiciables, avocats,et probablement opinion publique) sont celui de la convocation desparties – et plus particulièrement celui de l’époux lorsqu’il n’est pasà l’origine de l’action en justice – et celui de la notification et l’exécutiondes décisions de justice prononcées en matière de contentieux de lafamille et principalement celles ayant trait à la pension alimentaire.

Les chiffres font ressortir une majorité de satisfaits de l’efficacitédes modes d’exécution en général (67,05 %). Au sein de cette majoritéd’opinions favorables, les hommes qui ont obtenu gain de cause etpour qui le problème d’exécution ne se pose pas sont nombreux. Demême, les femmes interrogées qui ont répondu par l’affirmative

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n’avaient pas encore, pour la plupart, vécues les difficultés et lesobstacles quasi insurmontables qui caractérisent l’exécution desdécisions de justice relative à la pension alimentaire et la détressepsychologique qui en résulte (1).

9. Usage d’autres modes de résolution de conflits

Le contentieux familial ne peut être assimilé aux autres contentieux.Il a trait à la solution de situations mettant en jeu la cellule de basede la société que constitue la famille. Il s’agit de gérer des sentiments,des secrets et l’avenir de générations futures.

L’usage d’autres modes de résolution des conflits conjugaux,notamment en vue de limiter les cas de divorce, est l’un des pointsclairement exprimés par le souverain dans l’exposé des motifs du codede la famille en ces termes : « Il s'agit, en effet, de restreindre le droitde divorce reconnu à l'homme, en lui attachant des normes etconditions visant à prévenir un usage abusif de ce droit. Le Prophète– Prière et Salut soient sur Lui – dit à cet égard : « Le plus exécrable(des actes) licites, pour Dieu, est le divorce. » Pour ce faire, il convientde renforcer les mécanismes de conciliation et d'intermédiation, enfaisant intervenir la famille et le juge.

L’un des deux sujets les plus marquants de cette enquête, est celuidu besoin exprimé par les personnes interrogées de recourir àd’autres moyens de règlement de leur conflit familial. En effet,82,35% des personnes interrogées souhaitent trouver une solution àleur conflit familial en dehors de la forme contentieuse et loin de lajustice. 7,84 % seulement, considèrent que la justice demeure le recoursnormal pour ce genre de conflits et 3,92 % sont sans opinion.

Causes de l’option pour d’autres Total Pourcentagemodes de solutions de conflits

Conditions matérielles de l’audience 37 36,27Les conditions matérielles de la procédure 23 22,54Les lenteurs de procédure 15 14,70Les juges 14 13,70Les frais de procédure 8 7,84Les huissiers 4 3,92Les avocats 1 0,98

134 Le Code de la famille

(1) Cf. supra ; pension alimentaire.

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Ces causes sont classées selon l’impact qu’elles ont eu sur lesjusticiables.

En premier lieu, fort logiquement, nous semble-t-il, on trouve l’effetdissuasif des conditions matérielles de l’audience sur les justiciables.

En effet, 36,27 % des justiciables déclarent avoir très mal supportéleur passage en audience publique. Les femmes, plus particulièrement,sortent souvent traumatisée par leur passage devant le juge. La hontesociale reste, psychologiquement invincible, quels que soient laclasse sociale et le degré d’instruction. Le sentiment d’échec et deculpabilité de traîner sa famille dans la boue du prétoire produit uneffet dévastateur de culpabilité et d’auto-stigmatisation : le regarddu public est pesant, la proximité des bancs des avocats est chosegênante.

Il appert à travers toutes les enquêtes effectuées (juges, justiciableset opinion publique) que les femmes ne s’adressent au juge qu’en tantqu’ultime recours. C’est leur dernier espoir de voir cesser leur calvaireet leurs droits reconnus. L’augmentation exponentielle du nombre deprocédure de divorce pour discorde (chiqaq) doit être analysée entenant compte de cette donnée : les femmes ne sont pas moinsresponsables qu’avant ; elles sont, plutôt, moins enchaînées par lestextes.

22,54 % des justiciables ont été exaspérés par les conditionsmatérielles de la procédure. 14,70 % ont critiqué la procédure qu’ilsont vécue comme très lente. 13,70 % n’ont pas apprécié leurs jugeset leur préfèrent un autre système de règlement de conflits.

Enfin, les justiciables considèrent que le recours à des modesalternatifs au système judiciaire de la famille est justifiée par le caractèreélevé des frais de justice (7,84 %), la mauvaise image qu’ils ont deshuissiers (1) (3,92 %) et des avocats (0,98 %).

10. Solutions proposées pour la résolution des litiges familiaux

Dans leur majorité, les justiciables interrogés considèrent que lesconflits naissant de la relation conjugale doivent être traités et résolusdans le cadre d’une solution amiable sans le recours à la justice (58 %).

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(1) Cf. ; pension alimentaire.

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Solutions proposées pour la Total Pourcentagerésolution des litiges familiaux

Solution amiable 59 57,84

Juges hautement compétents 13 12,74

Procédure rapide 23 22,54

Procédure gratuite 7 6,86

Cette solution se limiterait, comme nous avons cru le comprendre,à une sorte de négociation entre les époux et, éventuellement, à l’aidede la famille au sens large du terme.

Le concept de médiation familiale définie comme un modeautonome et alternatif de résolution des conflits familiaux par lequelun couple ou les membres d'une famille acceptent l'interventionindépendante et confidentielle d'un tiers ; le médiateur, neutre etimpartial, ne semble pas encore constituer l’approche que font lesjusticiables marocains de la question de la « solution amiable ».

L’autre proportion des justiciables interrogés reconnaît l’importancedu système judiciaire dans la résolution des conflits familiaux àcondition que ce système soit élaboré dans le cadre d’un procédurerapide (22,54 %), qu’il dispose de juges hautement qualifiés (12,74 %),et que, enfin, la procédure judiciaire soit totalement gratuite (8,86 %).

Enfin, parmi les justiciables interrogés, 16,6 % estiment que lasolution la plus adéquate pour résoudre les conflits familiaux résideà la fois dans un personnel judiciaire très compétent et hautementqualifié et l’adoption de procédures rapides et gratuites.

Conclusion

Au terme de cette réflexion sur une enquête limitée dans le tempset dans l’espace, certains chiffres et les opinions sont révélateurs detendances à la fois d’évolution de la société et de la famillemarocaines, de résistances de la gente masculine aux changementsapportés et voulus par le législateur et une connaissance encoreinsuffisante du contenu du nouveau code de la famille.

Les chiffres révèlent, en effet, l’importance du « divorce-répudiation »(même si les auteurs du code ont, pour des raisons d’environnement

136 Le Code de la famille

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international, préféré l’expression « divorce sous contrôle judiciaire »),mais aussi du divorce pour discorde. Les femmes commencent àréellement s’émanciper du joug de conjoints oppresseurs, violents etoisifs. Elles réclament aussi une véritable équité en ce qui concernela répartition des biens, y compris dans les foyers les plus modestes.Mais les femmes répugnent à s’éterniser ou s’enliser dans la procédurejudiciaire. Elles n’aiment pas l’audience, et le passage obligé devantles juges les marque psychologiquement. On sent leur gêne, et ellesne tirent aucune gloire de l’obtention du divorce, notamment lorsquedes enfants sont au centre du conflit.

Elles sont ou seront toutes confrontées, à un moment ou à un autre,au problème de la pension alimentaire : insignifiance du montant,incapacité de recouvrement.

Elles ne comprennent pas que l’on puisse permettre, avec lenouveau code, aux maris de se remarier facilement et que cesderniers puissent mettre tous les acteurs de la justice au pied du mursous prétexte de donner une paternité à un enfant produit de relationsextraconjugales.

Le système de conciliation ne fonctionne pas efficacement car lesconditions matérielles et les compétences nécessaires à sa réussite fontdéfaut. De même, le problème de notification et d’exécution desdécisions de justice constitue la véritable plaie de la justice de la famille.Les femmes et leurs enfants en sont les principales victimes.

Les auxiliaires de justice au sens large du terme (avocats, huissiers,police) sont également décriés : les justiciables femmes dénoncent lavoracité des uns et la corruption des autres.

On ne peut, non plus imaginer, un système judiciaire destiné àtrouver des solutions les plus humaines possibles sans avoir àrecourir à l’usage de disciplines complémentaires du droit et de lajustice telles que la sociologie, la psychologie et la médecine : ellesjouent toutes un rôle indéniable dans la solution des conflitsdomestiques en essayant de limiter les dégâts.

La justice de la famille doit se moderniser dans tous ses aspects :les locaux, le personnel, les juges, l’administration... Elle doit, noussemble-t-il, d’abord, être une justice de médiation, avant de devenircontentieuse.

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Recommandations

1. Le juge doit contrôler sévèrement les causes du divorce-répudiation. S’il ne peut l’empêcher, il doit compenser le pluséquitablement possible l’épouse qui en est l’objet en vue d’éviter ledécalage entre les garanties prévues par le texte et la pratiqueconcernant les effets pécuniaires du divorce.

2. Les juges doivent utiliser des éléments objectifs dans la fixationdu taux de la pension alimentaire et mettre plus de zèle quant à sonrecouvrement.

3. Coordonner de l’action du ministère de la Justice avec celle duministère des finances pour le prélèvement à la source.

4. Etudier sérieusement l’opportunité de la création d’une caissed’entraide sociale.

5. Les actions en reconnaissance de mariage et de paternité doiventfaire l’objet d’une attention des pouvoirs publics pour l’après périoded’écoulement de la durée de 5 ans prévue par les textes.

6. L’information des justiciables marocains résidant à l’étranger etharmonisation des procédures d’examen de demandes d’exequaturdans toutes les juridictions du royaume.

7. La formation des juges et avocats en matière de disciplinesfondamentales permettant l’appréhension et la compréhension desconflits domestiques en vue de l’élaboration des meilleures solutionspossibles.

8. Mise en œuvre d’une meilleure organisation de la procédure deconciliation.

9. Détachement d’un corps d’assistance sociale auprès desjuridictions de la famille.

10. Envisager la création de locaux réservés à la rencontre familialeen vue de la conciliation, lesquels doivent être indépendants des locauxde la justice pour dédramatiser à la fois la situation et donner unedimension civile à la procédure.

138 Le Code de la famille

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Bibliographie

Le Code de la famille.

Le Guide pratique du code de la famille (ministère de la Justice).

Les dispositions du nouveau code de la famille à travers les réponsesde la justice et le ministre des Affaires islamiques (ministère de laJustice).

Justice de la famille. Revue spécialisée, publication de l’Association dediffusion de l’information juridique et Judiciaire, n° 1, juillet 2005.

Guide pratique du code de la famille (extraits), Traduction et annotationpar Houda El Hamiani Khatat et Yves Rabineau.

Une révolution tranquille : de la moudawwana au code de la famille,éditions Zaman, 2004.

« De la moudawwana au code de la famille : quoi de nouveau ? » Travauxde la journée d’étude organisée par l’association nationale Alhidn.

Les procédures administratives et judiciaires de l’authentification dumariage, M.Chetoui.

Genre en action : portail d’information et de ressources sur genre etdéveloppment. Egalité femme-homme au Maroc.http://www.genreenaction.net

Rapport annuel sur l’application du code de la famille, Liguedémocratique pour les droits de la femme, 12 mai 2005.

139Perceptions et pratique judiciaire

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L’enthousiasme que l’annonce du projet du NCF et, par la suite, sapromulgation ont suscité chez les tenants de la réforme (1) a été, dèsle départ, tempéré par l’appréhension de son application (2). La crainteque l’esprit novateur du nouveau code soit contrarié par uneapplication déphasée du juge de son pouvoir d’interprétation seraitjustifiée par la marge que le législateur lui aurait laissée et, enconséquence, par le risque que cette marge donne au conservatismepatriarcaliste la possibilité de pouvoir se perpétuer et de tenir tête àla volonté de changement imprimée au nouveau code. Une vigilanceparticulière a assorti ce code, qui s’est traduite par une série demanifestations faisant état des premières évaluations de sa mise enœuvre. Ces évaluations, plutôt négatives et alarmistes, donnentcrédit à l’existence réelle d’un risque lié au pouvoir d’interprétationdu juge et à l’inflexion conservatrice susceptible d’en être l’effet.

En mettant en exergue le rôle du juge dans l’application du nouveaucode, la réforme et les réactions qui en résultèrent justifient que l’onse pose la question de savoir si le juge peut accompagner leprocessus de changement impulsé par le législateur. La mise en doutequ’implique inévitablement cette question n’est pas seulement

Chapitre IIIDisposition culturelle/axiologique

du juge et interprétationdu nouveau code de la famille

Mohamed MOUAQIT *

* Professeur à la faculté des sciences juridiques, économiques et sociales,Université Hassan II, Casablanca.

(1) En particulier les féministes qui, par leur mobilisation, ont fini par avoir gain de causeau-delà même de leurs attentes, pourtant mises au diapason du pragmatisme.(2) Dans le guide du NCF élaboré par les soins du ministère de la Justice, l’objectif demodernisation est clairement conditionné par une « bonne » application par le juge desdispositions de ce code ; « […] il s'agit d'une œuvre dont la contribution à la modernisationde notre société serait considérable. Cependant, le texte ne vaut que par son application.L'apport attendu ne saurait être effectif que par l'intervention de la justice en assurant aucode de la famille une bonne application, dans le cadre de l'esprit qui anime ses dispositionset la philosophie qui les gouverne ». Guide pratique du code de la famille. Publication duMinistère de la Justice.

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justifiée théoriquement. Le point de vue critique de certainsreprésentants de la doctrine juridique marocaine, tenants d’une visionqui se voulait, au temps de l’ancienne Moudawana, progressiste, ontfait état de la « créativité fort timide » (3) du juge marocain dans le cadrede l’ancienne législation.

Il n’est donc pas exclu que, dans le cadre de la nouvelle législation,le juge ne réponde pas aux attentes de ceux et de celles qui veulentle changement, et cette appréhension n’a pas été en manque dejustification. L’affaire « Bellakhdim », dont la presse s’est fait l’écho, adonné plus encore de crédit à l’appréhension qui existe à propos dela mise en œuvre du nouveau code de la famille (4). Cette affaire n’a-t-elle pas illustré de manière évidente le parti-pris traditionaliste d’unedécision de la Cour suprême qui a fait prévaloir la doctrine fiqhiste de« l’enfant du lit » contre la preuve par l’ADN, sachant surtout que leNCF a, pour la première fois, admis le recours à des moyensscientifiques d’établissement de la filiation ? Il est vrai que l’affaire« Bellakhdim », dont le contentieux est antérieur à la mise en œuvredu NCF, a été jugée sur la base de l’ancienne Moudawana. Mais n’était-ce pas là une opportunité pour le juge de faire valoir une interprétation

142 Le Code de la famille

(3) L’expression est du Pr Abderrazak Moulay R’chid.Voir l’article de l’auteur : « La magistraturemarocaine et l’évolution de la Moudawwana », in « Femmes et sciences sociales au Maghreb.Traditions, mutations, aspirations », Prologues, revue maghrébine du livre n° 9, mai 1997,p. 45.(4) Franco-marocain, Mohamed Bellakhdim a été pendant plus de 10 ans dans une bataillejuridique. Une petite fille est née en septembre 1996, dont le père a contesté la filiation,le bébé ayant été conçu selon ses dires à un moment où il aurait quitté définitivement ledomicile conjugal. En novembre 1999, une expertise de filiation ordonnée par le tribunalde Mulhouse, pays de résidence des deux ex-époux et de la naissance de la fille, a concluque l’étude des groupes HLA et du polymorphisme de l’ADN exclut la paternité de MohamedBellakhdim vis-à-vis de l’enfant. Le tribunal de Mulhouse a rendu un jugement quelquesmois plus tard dans ce sens. Le mariage et le divorce ayant eu lieu au Maroc, le tribunald’El Jadida a été appelé à trancher définitivement sur cette question. En décembre 2000,Mohamed Bellakhdim s’est prévalu, devant le tribunal marocain, du jugement du tribunalde Mulhouse, sur la base de la Convention franco-marocaine du 10 août 1981 relative austatut des personnes et de la famille et de la coopération judiciaire. La demande du rejetde la filiation sera refusée par le juge marocain. Ledit juge motivera sa décision parl’argument selon lequel le jugement mulhousien de rejet de la paternité est fondé sur desanalyses biologiques non-conformes à la tradition musulmane et la loi marocaine, le sermentd’anathème, prévu par le Coran, étant juridiquement le seul susceptible de rejeter unefiliation imposée par la présomption. Le jugement sera confirmé en appel sous prétexteque la naissance de l’enfant étant intervenue dans l’année du divorce, elle devait êtreattribuée automatiquement à l’ex-époux, conformément à l’article 76 de l’ancienneMoudawwana.

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plus en phase avec l’avancée scientifique, quitte à invalider un modede preuve fiqhiste conçu en des temps où la science faisait défaut ?

La présente étude a pour objectif d’évaluer le risque que le pouvoird’interprétation du juge représente pour le changement postulé etattendu, de comprendre comment ce pouvoir a rendu possible un choixjudiciaire comme celui qui a été illustré par l’affaire « Bellakhdim » etce qui peut être rendu possible par un tel pouvoir. Une telleévaluation pourrait se faire à travers l’analyse de la jurisprudenceaccumulée depuis l’entrée en application du NCF. Le volet consacrédans ce volume à l’examen et à l’analyse du produit jurisprudentiel,pris en charge par une collaboratrice à ce projet, y pourvoiracertainement.

Cependant, une enquête qui porterait sur le produit jurisprudentielen tant que résultat du processus judiciaire ne permet pas d’évaluerla relation entre les dispositions culturelles et le système de valeursdu juge et l’orientation que peut prendre l’opinion judiciaire dansl’application de telle ou telle disposition de la loi ou, d’une manièregénérale, dans l’application d’un dispositif légal dans son ensemble.Ces dispositions culturelles et ces valeurs ne sont certes pas absentesde ce produit jurisprudentiel, mais elles s’y trouvent enrobées dansla neutralité du langage juridique et insérées dans la généralité etl’impersonnalité de la règle de droit, de sorte que la subjectivité dujuge s’y trouve accordée à/et occultée par/l’« objectivité » de la loi.

L’étude qui sera entreprise ici se situe en amont du processusjudiciaire et porte sur ce qui conditionne en filigrane le produitjudiciaire de la jurisprudence, puisqu’il s’agira d’inscrire le pouvoird’interprétation du juge, et ses conséquences sur l’application du NCF,dans le système culturel et de valeurs du juge. L’hypothèse de cetteétude est que l’application de la loi ne peut s’abstraire des dispositionsculturelles et des valeurs du juge, et que la connaissance desdéterminants liés au système culturel et de valeurs du juge pourraitrenseigner sur les orientations possibles du processus judiciaire dedécision. Le juge, comme tout autre acteur, est le produit etl’agent/acteur d’une culture, et cette donnée n’est pas sans effet surle sens qu’il peut donner à la loi qu’il applique. Le juge n’est pas unemachine à produire mécaniquement des jugements, c’est un individuqui adhère à un système culturel et à des valeurs.

143Perceptions et pratique judiciaire

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I. Méthodologie et grille d’analyse

Dans quelle mesure le système culturel et de valeurs du magistratmarocain dispose-t-il celui-ci à aller dans le sens du changement quele législateur a voulu imprimer à la réalité marocaine en réformant ledispositif juridique du statut personnel ? Telle est la problématiqueaxiale de cette étude, et c’est à répondre à ces questions quel’enquête sur les juges devra servir.

1. Enquête

L’objectif de l’étude est d’évaluer le rôle du juge dans l’applicationdu NCF, à travers son pouvoir d’appréciation et d’interprétation. Quellesinterprétations le juge fera-t-il des dispositions du nouveau code, quandcelles-ci lui confèrent une certaine marge de manœuvre, et quelleorientation générale le juge est-il susceptible de donner à l’opinionjudiciaire à travers l’application qu’il fera de ces dispositions ?L’hypothèse est que le système culturel et de valeurs du jugeinfléchira les décisions judiciaires dans un sens ou dans un autre, enn’ignorant pas cependant que la « normativité » du système culturelet de valeurs du juge n’est possible qu’au travers de la normativitéjuridique de la loi.

Pour procéder à une telle évaluation, l’entretien a été choisi commemoyen de sonder les opinions des juges. Trente cinq (35) magistratsont été enquêtés : 21 juges du premier degré (8 de Rabat ; 6 de Kénitra ;7 de Tanger) ; 8 juges d’appel (5 de Rabat ; 3 de Kenitra) ; six conseillersde la Cour suprême. Sur les trente-cinq magistrats, six sont des femmes.Pour les besoins de l’analyse, seulement vingt cinq magistrats serontpris en compte, les juges d’appel et les conseillers étant de moindreimportance dans la mesure où le NCF confère au juge du premier degrédans certains domaines (les éléments clés sur lesquels sera évalué lepouvoir d’interprétation du juge dans le cadre de cette étude) unpouvoir de décision définitif, c’est-à-dire non susceptible de recours,sans pour autant ignorer totalement les points de vue exprimés parles Conseillers et les juges d’appel parce qu’ils participent d’un étatd’esprit général.

Les entretiens avec les magistrats de Rabat et de Kénitra, qui se sontdéroulés dans la période février/avril 2006 (en fonction de ladisponibilité des juges), ont été administrés par une équipe de deux

144 Le Code de la famille

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professeurs (5), tandis que ceux de Tanger l’ont été par un autreprofesseur (6). Les entretiens ont été menés avec les juges séparémentet ont duré, pour chacun d’eux, en moyenne plus d’une heure.L’entretien séparé avec chacun des juges a été préféré à la méthodedu « focus group », pour éviter l’effet de convenance, d’autocensureou de conformisme que peut favoriser le corporatisme des/ ou le« hiérarchisme » entre les/ magistrats, pour laisser à chaque magistratla latitude de mener son raisonnement et de dégager sa perspective.

Un guide d’entretien a été préalablement établi à cet effet, avec unnombre assez important de questions. Trois catégories de questionsont été établies : une première a trait à la situation sociale etprofessionnelle des juges entretenus ; la seconde est constituée dequestions ayant trait aux positions des juges concernant l’ancienneMoudawana, le processus de sa réforme et l’avènement du NCF ; cesquestions ne leur étaient pas adressées en leur qualité de magistrats,mais seulement en leur qualité de « citoyens », avec pour objectif deconnaître leurs partis-pris et les choix d’ordre « philosophique » oureligieux en la matière ; la troisième catégorie est constituée dequestions relatives à l’interprétation de certaines dispositions dunouveau code. Cette dernière catégorie est celle qui permettra de voircomment le système culturel et de valeurs du juge s’articule au dispositiflégal dans le processus de production de l’opinion judiciaire. Commeil est impossible de vérifier cette articulation de manière systématiqueet en sollicitant l’interprétation et la lecture des magistrats à proposde toutes les dispositions du NCF, et comme, en définitive, l’enjeu del’application de la nouvelle législation a été particulièrement centré surcertaines dispositions-phares du NCF, ce sont ces dispositions quiserviront de mise à l’épreuve du pouvoir d’interprétation du juge.

Les diverses questions n’étaient pas classées dans le même ordred’importance. Celles se rapportant au pouvoir d’appréciation etd’interprétation du juge dans le cadre de certaines dispositions du NCFavaient un rôle central dans le dispositif des questions, mais en relationavec celles se rapportant au « système » culturel et de valeurs des juges.

Les résultats attendus de l’enquête sont d’ordre qualitatif, bien quel’aspect quantitatif soit aussi important dans la mesure où la validité

145Perceptions et pratique judiciaire

(5) Moi-même et Mme Malika Benradi.(6) M. Abdallah Ounir.

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de l’analyse qualitative est conditionnée par l’existence d’unetendance ou orientation générale de l’opinion judiciaire. Mais l’objectifde cette étude est surtout, une fois qu’une orientation générale dansl’interprétation de la loi est établie, de comprendre comment le systèmeculturel et de valeurs du juge rend possible une telle interprétationet tend par elle à façonner d’une manière générale le produitjurisprudentiel.

2. Approche sociologique et approche juridique

L’hypothèse selon laquelle le produit judiciaire de la jurisprudencene saurait être intelligible uniquement par la logique et l’économieinternes du référent et de l’énoncé de la loi doit prendre en comptele fait que dans la conception positiviste du droit, le juge applique laloi, il ne légifère pas, ce qui implique qu’il peut éventuellement êtreen contradiction avec ses convictions personnelles s’il applique« normalement » la loi. Si cela n’est pas le cas, l’organisation et lefonctionnement de la justice sont conçus pour empêcher que lafonction d’application de la loi par le juge ne se heurte à la tentationde celui-ci, par excès ou par manque d’interprétation (qu’il soit debonne ou de mauvaise foi), de faire prévaloir une application« anarchique » et trop subjective de la loi. L’organisation et lefonctionnement judiciaires sont conçus pour imposer une cohérencedu travail jurisprudentiel et corriger les « dysfonctionnements » liésà l’application de la loi (l’appel et la cassation).

Par conséquent, l’hypothèse dont il est question ne saurait réduirel’opinion judiciaire à un pur reflet du système de culture et de valeursdu juge (individuel ou collectif ), parce que le dispositif écrit de la lois’interpose entre le juge et son système de culture et de valeurs, desorte que celui-ci ne peut donner une normativité à ses valeurs et àses dispositions culturelles que dans la mesure où ceux-ci ont lapossibilité de se lover dans la normativité « objective » de la loi, et cettepossibilité ne s’offre que lorsque l’énoncé de la loi, par son ambivalence,son ambiguïté, son imprécision, ses lacunes, s’y prête.

Comme il ne s’y prêterait que de manière plutôt secondaire ouaccidentelle, par un défaut de clarté (la clarté est, pour le juriste, lacondition même d’une bonne régulation juridique), ou bien par lavariation, inévitable mais non indéfinie et non arbitraire que favorisentles potentialités d’articulation des dispositions de la loi, ou bien enfin

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par une législation nécessairement non exhaustive, mais qui ne laisseouverte la porte à l’interprétation que dans certaines limites, ce seraitune erreur d’établir une adéquation nécessaire ou une relation decausalité entre l’opinion judiciaire et le système de valeurs et cultureldu juge, ou bien d’attribuer à celui-ci une capacité, par son pouvoird’interprétation et d’appréciation, d’assigner librement etarbitrairement à la loi un sens ou un autre.

L’hypothèse en question, si elle ne prend pas en compte lescontraintes propres au travail de production de l’opinion judiciaire,s’empêcherait de rendre compte de la possibilité d’une non-concordance entre l’opinion judiciaire du juge et son système culturelet de valeurs. La prise en compte de la possibilité de cette discordanceest de nature à rendre l’analyse de l’opinion judiciaire plus délicate,car elle ne pourrait rapporter automatiquement cette opinion àl’attitude du juge : telle opinion judiciaire (« progressiste »,« conservatrice » ou « réactionnaire ») pourrait s’expliquer plus par ceque l’énoncé de la loi ne rendrait pas possible comme opinion contraireque par la disposition culturelle et le système de valeurs propres aujuge. Le travail de « normalisation » de l’opinion judiciaire qui est liéau fonctionnement du système judiciaire (le double degré dejuridiction ; la « doctrine » comme travail d’« ajustement » opéré parla réflexion intellectuelle des praticiens et des théoriciens du droit ;le recours aux travaux préparatoires...) est de nature à faire en sorte quel’opinion judiciaire ne soit pas ou n’apparaisse pas comme déterminéepar les dispositions culturelles et de valeurs propres au juge.

En fait, ceci ne vaut que dans une configuration du système judiciairede type moderne et positiviste, c’est-à-dire un système dans lequel laloi et le juge qui l’applique ne constituent pas une autoritétranscendante à l’Etat et à la volonté politique, et dans lequel le rôledu juge d’application de la loi obéit à une régulation par le systèmejudiciaire. Mais dans un système juridico-judiciaire, comme cela est lecas au Maroc dans le domaine du droit de la famille, qui n’est qu’enpartie de type positiviste, c’est-à-dire qui reste en partie de type« fiqhiste », c’est-à-dire un système fondé sur un système normatifsacralisé et sur une certaine culture issue de l’autorité d’hommes dereligion, la réalité est plus complexe. Dans un tel cas, positivisme etfiqhisme se combinent et favorisent, tantôt un rôle plus étriqué du jugedans l’interprétation de la loi, tantôt un rôle plus « laxiste ».

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Le système culturel et de valeurs n’entre pas seul en jeu. Le pouvoird’interprétation du juge est aussi fonction de son « professionnalisme »et de son expérience dans le domaine où il exerce. D’une part,l’interprétation de la loi par le juge dans un domaine qui ne lui est pasfamilier peut être affectée par le fait que le juge n’est pas formé dansle domaine plus que par le fait qu’il obéit à une conviction d’ordreculturel et de valeurs. D’autre part, le juge évolue dans un systèmejudiciaire qui obéit à une « logique » politique de fonctionnement quine peut permettre de postuler ni son autonomie et son indépendance,ni donc la maîtrise de son pouvoir d’appréciation et d’interprétation.Il a donc fallu tenir compte de ces considérations et de les intégrer dansl’évaluation du rôle du juge.

II. Eléments d’analyse

Quelle application sera elle faite du NCF par le juge, et dans quelsens le système culturel et de valeurs de celui-ci orientera-t-il cetteapplication ? Les données recueillies au moyen des entretienspermettront de répondre à ces questions. Toutefois, il convient deprendre en compte le fait que ces données ne sauraient à elles seulessuffire.

D’une part, elles sont insuffisantes, notamment en raison d’unecertaine retenue des juges à exprimer le fonds de leur pensée surcertaines questions. Ainsi, les juges ont-ils répondu d’une manièreplutôt convenue aux questions du guide d’entretien de la deuxièmecatégorie, à la différence des questions de la troisième catégorieauxquelles ils ont au contraire répondu d’une manière plus motivée(au sens à la fois général et juridique), faisant ainsi mieux ressortir larelation problématique entre la « normativité » du système culturelet de valeurs du juge et la volonté de changement qui anime lanormativité du dispositif législatif qu’il applique.

Les juges ont une compréhension assez extensive de leur obligationde réserve. L’épée de Damoclès de la sanction, suspendue au-dessusde leur tête par l’Administration y contribue largement, ce qui n’estpas sans signification quant à leur rôle dans l’application de la loi.L’attitude de retenue et de réserve est particulièrement tangible chezles magistrats du parquet, dont une illustration à l’extrême nous a étédonnée par l’un des magistrats du parquet que nous avons rencontré,lequel a systématiquement refusé de répondre aux questions faisant

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appel à un point de vue « philosophique » et personnel du magistraten dehors de l’appréciation juridique des textes.

D’autre part, les données de l’enquête s’insèrent entre des donnéesantérieures déjà caractéristiques du système judiciaire marocain dansson ensemble et des données qui se déduisent des premières annéesd’application du NCF, de sorte que les analyses et les interprétationsdes données de l’enquête s’éclairent aussi en rapport avec l’étatantérieur du « fonctionnement » des juges et la pratique judiciaire déjàà l’œuvre dans le cadre du NCF. Il faut aussi parfois, comme on auraà le montrer par la suite, disposer d’informations parallèles pourcomprendre certaines attitudes.

1. Profil du juge

1.1. Profil général du magistrat

Sans avoir cherché à établir une articulation étroite entre le rôle dujuge dans l’application du NCF et des variables liées au profil social,à l’âge, au sexe, à leur éducation, etc., l’enquête a néanmoins visé àdécrire un profil général du magistrat officiant dans les juridictions dela famille et à en tirer quelques conséquences sur le plan del’application du NCF. L’échantillon des magistrats entretenus dans lecadre de cette enquête est représentatif, numériquement parlant,surtout des juges de première instance. Leur rôle est d’autant plusimportant qu’ils sont amenés à prendre des décisions non susceptiblesde recours.

Un trait dominant du profil des magistrats est le fait que, issus d’unmilieu social modeste ou moyen, ils sont placés sur une échelle demobilité sociale valorisante, car menant vers une condition socialemeilleure que celle dont ils sont issus. Par leur parcours social ou/etprofessionnel, ils se trouvent généralement à la jonction entre un milieuet une culture urbains et un milieu et une culture ruraux, c’est-à-diredans une situation qui favorise un rapport problématique des valeursreligieuses aux contraintes sécularisatrices de la vie citadine eturbaine (en partant du postulat que le milieu urbain est porteur decrise des valeurs religieuses et traditionnelles, ou, dit d’une autremanière, que le milieu rural est moins une source de problématisationdes valeurs et des croyances religieuses que le milieu urbain et citadin).Quand ils sont d’un milieu plus citadin et urbain, un milieu lui-même

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« ruralisé » (du fait de l’exode rural et de l’extension des villes), lareligiosité qui imprègne largement leur culture participe de l’ambianced’hybridité et de tension qui résulte de l’état général de la société. Agésen moyenne de 35-40 ans et mariés, ils se trouvent devant un horizonouvert, mais non sans écueils, de promotion professionnelle et demobilité sociale.

La formation des magistrats fait de ceux-ci des magistrats« modernes », en ce sens qu’ils sont le produit d’institutionsd’enseignement et de formation « positivistes ». Diplômés des facultésde droit et formés à l’INEJ (Institut National des Etudes Judiciaires), labase de leur formation est en langue arabe, avec une faible ouverturesur des langues étrangères. Bien que la carrière de la magistrature soitouverte à la maîtrise de chari’â (aux détenteurs de la ’Alimiyyaauparavant), au profil plus traditionnel, le corps de la magistratureassure désormais un profil de base non « fiqhiste ». Le profil positivistedu magistrat s’est renforcé au tournant des années quatre-vingts,lorsque les magistrats diplômés de la ’Alimiyya ont disparu au profitdes magistrats issus des facultés de droit. La quasi-totalité des jugesdes affaires familiales de premier degré n’a pas exercé sous l’ancienneMoudawana.

Un autre élément est d’importance dans la détermination du profildu magistrat. A l’image du corps de la magistrature dans sonensemble, mais de manière encore plus significative, le corps desmagistrats des tribunaux de la famille est peu féminin. Peut-on endéduire qu’il risque d’être peu « féministe » ? Si l’on prend enconsidération, dans une perspective du genre, le fait que les femmessont plus sensibles à leurs intérêts ou à leurs problèmes de femmesplus que ne le sont les hommes à leur égard, on peut présumer quela faible représentation des femmes parmi les magistrats officiant dansles tribunaux de la famille et le fait que la présidence des tribunauxest assurée généralement par des hommes, ce qui leur donne unpouvoir d’influence, sont de nature à favoriser une orientation moins« féministe », ou en tout cas plus androcentriste, de l’application du NCF.

Les données de l’enquête ne peuvent permettre de vérifier de façoncertaine cette hypothèse, mais l’enquête a fourni des indicessignificatifs pouvant aller dans le sens de la vérification de cettehypothèse : une magistrate enquêtée a déclaré avoir voulu, et avoiréchoué, à appliquer rétroactivement les dispositions plus favorables

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(à la femme s’entend) du NCF à des dossiers pendants qui avaient étéengagés dans le cadre de l’ancienne Moudawana ; une autre a voulu,dans le cadre de l’ancienne Moudawana, considérer, en se fondant surla « tûhfa », l’injure infamante comme cause de préjudice pouvantconduire au divorce, anticipant ainsi sur l’innovation du NCF, mais s’estheurtée au refus de la Cour suprême. Abstraction faite du bien fondéjuridique de ces solutions, ou, plus exactement, en raison même ducaractère juridiquement mal fondé de la solution envisagée, commedans le cas de la tentative d’appliquer rétroactivement les dispositionsdu NCF, il n’est pas sans signification que ce soit une femme qui a eula disposition à l’admettre.

En sens inverse, les magistrats-hommes enquêtés ont employé, dansdes entretiens séparés, le terme d’« abus » (ta’assûf) pour jugernégativement l’augmentation du nombre des demandes de divorce.Quand on sait ou quand on peut deviner facilement qu’une telleaugmentation s’explique, ne serait-ce qu’en partie, par la possibilitéofferte aux femmes par le NCF de pouvoir recourir au divorce dans desconditions plus égales avec les hommes, on peut en déduire, sans allerà l’extrême, que les magistrats sont moins disposés que les magistratesà être compréhensifs des intérêts ou problèmes des femmes.

Cela ne signifie pas que les magistrates seraient toujours du côtédes femmes (7) , et quand bien même elles le souhaiteraient, la teneurde la loi peut ne pas toujours le permettre, comme cela a été rappeléà la magistrate qui a voulu appliquer rétroactivement les dispositionsdu NCF. Cela signifie seulement qu’une représentation plus équilibréedes magistrates dans le corps de la magistrature affectée aux tribunauxde la famille tempérerait, pour ne pas dire le parti-pris masculiniste desmagistrats, leur tendance plus plausible à être moins compréhensifsà l’égard des intérêts des femmes. Mais cela suppose que lesmagistrates ne reproduisent pas dans leur attitude les effets de ladomination masculine que la société patriarcale tend à leur transmettre.

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(7) A l’occasion d’une action commémorative de l’entrée en vigueur du NCF organisée en2006 par des étudiants et étudiantes d’une école privée, l’auteur de ces lignes a assistépersonnellement à une virulente « prise de bec » d’une vedette du cinéma marocain avecune magistrate, absente, qui a officié dans l’affaire opposant ladite vedette à son conjoint ;la magistrate, qui a été conviée à la manifestation et qui ignorait la participation de l’actrice,a quitté immédiatement les lieux dès qu’elle s’est rendue compte à son arrivée de saprésence et de sa participation ; l’actrice s’en est prise à la magistrate et a tiré la conclusionde ses déboires en considérant que les femmes contribuaient aux malheurs des femmes.

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On est donc en droit de se demander si les premiers résultats del’application du nouveau code, par exemple en matière d’autorisationde la polygamie, auraient été les mêmes si les femmes avaient étédavantage représentées parmi les magistrats officiant dans lestribunaux de famille. La présente étude permettra de s’en faire une idée.Une étude qui comparerait les décisions judiciaires dans uneperspective du genre, c’est-à-dire qui prendrait en compte le fait queles décisions sont rendues par une instance à composition plus oumoins féminine, serait à cet égard instructive.

1.2. « Progressistes par décret »

Les principales caractérisations du système culturel et de valeurs desmagistrats participent des caractérisations générales du système devaleurs de la société dans sa globalité (prégnance de la religion et dela morale ; clivage entre tradition et modernité ; non-étanchéité entreruralité et urbanité ; culture autoritaire...). Ces caractérisations n’ont pasété dégagées des seules données de l’enquête menée dans le cadrede cette étude, car celle-ci n’aurait pu y prétendre. Il existe, d’autre part,peu d’études consacrées au système de valeurs de la société marocaine,la plus récente étant celle qui a été effectuée par Rahma Bourqia (8).D’autres études peuvent servir à la caractérisation du système culturelet de valeurs de la société marocaine (9). Certaines de ces caractérisationsressortent de la présente enquête. En fonction de l’objet de cette étude,les caractérisations principales sont les suivantes :

– Le système culturel et de valeurs du juge renvoie à un systèmegénéral de convictions sociales et religieuses. En rapport avec cetteétude, le trait principal de ce système de valeurs est la « patriarcalité » ;j’entends par là un système de valeurs fondé sur un modèle généralde relation autoritaire et vertical, dont la manifestation principale estla relation d’inégalité et de discrimination à l’encontre des femmes.La croyance religieuse est le foyer central et la forme dominante delégitimation du modèle patriarcal. Probablement au fondement« archéologique » des systèmes religieux, ce modèle est indépendant

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(8) Rahma Bourqia. « Les valeurs : changements et perspectives », réalisé dans le cadre durapport 50 ans de développement humain. Perspectives 2025.(9) On trouvera plus de caractérisations du modèle patriarcalo-autoritaire dans les systèmessocio-politiques du Maroc et du monde musulman dans le livre de A. Hammoudi : le Maîtreet le disciple.

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de la croyance religieuse du fait qu’il survit à la sécularisation dessociétés et qu’il se maintient dans les systèmes de convictions et devaleurs des idéologies et des pratiques sociales des sociétéssécularisées.

– Le système culturel et de valeurs du juge est un système en criseet en mouvement, d’une part pour une raison générale qui n’est passpécifique au juge, la crise du modèle patriarcal traversant l’ensemblede la société et impliquant dans ses remises en cause idéologiques tousles individus et acteurs sociaux, d’autre part pour une raison spécifiqueau juge, et particulièrement encore le juge de la famille, dont la culturejuridique combine de manière hétérogène et problématique le« positivisme » et le « fiqhisme ».

– Le profil des magistrats, à l’image de l’ensemble de la sociétémarocaine dans l’état actuel de son évolution, est, sous l’angle desvaleurs, un profil « hybride », c’est-à-dire défini ou se définissant commeune combinaison de la tradition et de la modernité. Rahma Bourqia,qui emploie dans une étude récente ce terme pour rendre compte del’évolution actuelle de la société marocaine (10), décrit l’ordre des valeursde la manière suivante : « […] le nouvel ordre de valeurs hybrides estconstamment négocié et se met en avant par rapport aux autres. Ilmarque l’évolution des valeurs dans la société marocaine d’aujourd’hui,et draine ses éléments à la fois de l’ordre traditionnel et de l’ordremoderne tout en procédant à des transformations nécessaires pourque les éléments drainés intègrent le nouvel ordre des valeurs. Cettenégociation qui le caractérise offre la possibilité des allers et retoursou des fixations et des dépassements, selon le contexte sociétal et lesprédispositions des individus et des groupes et selon leurs stratégiesindividuelles et collectives. »

Ce qu’il faut ajouter à cette analyse, c’est que l’hybridité n’est passeulement un état donné de l’ordre social et de valeurs façonnépar la « négociation » et la composition par les individus à partir de

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(10) Dans son étude « Les valeurs : changements et perspectives », réalisée dans le cadredu Rapport « 50 ans de développement humain. Perspectives 2025 », Rahma Bourqia écrit :« La notion de “société composite”, utilisée par Paul Pascon pour qualifier la sociétémarocaine, laisse la place à une société hybride, où l’ordre des valeurs devient de plus enplus un ordre hybride négocié qui draine ses éléments à la fois d’un ordre de valeurstraditionnelles et d’un ordre de valeurs universelles et du répertoire de la modernité. »L’étude est disponible sur internet.

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systèmes de valeurs différents, c’est aussi un état institutionnalisé del’ordre politico-juridique par lequel l’Etat informe/ et donne forme à/la constitution de l’ordre social, et par lequel il trace le champ denégociation des valeurs par les individus. L’hybridité ne se présentepas seulement comme un état donné à un moment donné del’évolution sociale, elle est aussi un cadre institutionnalisé situé enamont de l’ordre social et portant contrainte de l’hybridité, dontl’expression idéologique se reconnaît au discours éclectique etlénifiant qui « fonctionne » au mariage de l’authenticité et la traditionà la modernité, un discours qui, confronté à la contradiction, tend plusà l’occulter qu’il ne parvient à l’éliminer.

L’ambivalence résultant de la combinaison du positivisme et du« fiqhisme » est tout à fait typique de l’hybridité par laquelle l’Etatstructure l’ordre social et l’ordre des valeurs. Le magistrat, participantde cet ordre social et de cet ordre de valeurs, non seulement partagele trait de l’hybridité par lequel se caractérise ces ordres, mais il estappelé à remplir sa fonction et exercer son rôle dans le cadreinstitutionnalisé de cette hybridité et à moduler sa propre hybriditépar et dans celle que lui aménage le législateur.

Le « lieu » juridique et judiciaire du droit de la famille est le « lieu »d’illustration de cette hybridité, en forte congruence avec l’idéologie« fiqhiste » qui, par un travail politiquement orienté, a enveloppé ledispositif positiviste constitutionnel dans son ensemble, de sorte quel’hybridité du dispositif juridique de la famille s’emboîte dans unehybridité plus englobante, celle du système politique lui-même.L’hybridation du système juridico-judiciaire marocain a été uneopération politiquement orientée et menée dans les années soixantedans l’intentionnalité de désamorcer, en faveur du fiqhisme, lapositivisation juridique qui avait été favorisée par le protectorat et surles rails de laquelle l’évolution juridico-politique au lendemain del’indépendance semblait s’être placée.

C’est en droit constitutionnel que l’hybridation du système aopéré sa fondation (11), et c’est ensuite en droit international privé, doncde la famille et du statut personnel, lieu de confrontationjuridique entre culture positiviste et culture fiqhiste, qu’elle s’est

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(11) Sur cette évolution en droit constitutionnel, voir M. Tozy. Monarchie et islampolitique au Maroc. Presses de Sciences Po.1999. 1re édition.p. 87-95.

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cristallisée comme expression de l’ordre juridique marocain dans sonidentité (12).

Quelle attitude un tel système culturel et de valeurs favorise-t-il ouest-il susceptible de favoriser chez le juge ? On verra par la suite, àtravers l’analyse des réponses des magistrats aux questions qui leuront été posées, la manière dont le positivisme et le fiqhismes’articulent entre eux dans le « fonctionnement » intellectuel du jugeet, donc, dans l’opinion judiciaire qu’il est amené à produire. Pourl’instant, voyons, à partir de cette hybridité culturelle et du systèmede valeurs, quelle est l’attitude du juge à l’égard du nouveau Code dela famille.

Cette attitude apparaît de premier abord comme progressiste, aumoins en ce qui concerne l’attitude du juge à l’égard de la réformeen son principe, et donc moins fiqhiste si on identifie (ce qui n’est pastoujours vérifiable, comme cela sera évoqué par la suite) l’attitudefiqhiste à une attitude conservatrice plus ou moins hostile à uneinnovation substantielle en matière de droit de la famille.Tous les jugesont affirmé la nécessité de la réforme intervenue et sa conformité àl’esprit de l’islam, en espérant que les mentalités (des autres, bien sûr)finiront par suivre et en constatant en même temps, à partir del’expérience d’application du NCF encore à ses débuts, leurs résistances.On s’attendrait, à partir de ces réponses, à ce que le pouvoird’interprétation du juge promette de s’ajuster au progressisme dulégislateur, qu’il résiste aux résistances des mentalités, et que, à la faveurde la marge qui lui est laissée, il se fasse audacieux dans l’usage deson pouvoir d’interprétation.

La réalité est plus complexe. Ce qui suscite le doute, c’est d’abordle fait que le progressisme du juge semble toutefois être moinsspontané que l’effet d’un alignement sur la volonté de changementdu pouvoir politique. Il faut en effet reconnaître dans les réponses desjuges à ce sujet un certain degré de convenance. Dans une enquête,on s’attend à ce qu’il y ait ce type de réponses, ce qui peut la rendrepeu fiable pour l’analyse. Le caractère convenu des réponses peutprocéder chez le juge d’une volonté de ne pas passer pour un

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(12) Dans un discours d’orientation prononcé le 5 octobre 1967 à l’occasion de la rentréesolennelle de la Cour suprême, le 1er président de ladite Cour, M. Bahnini, avait appelé àrestituer au droit musulman du statut personnel la part qui doit lui revenir dans les solutionsdes conflits des lois, ce à quoi la jurisprudence a par la suite largement contribué.

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« attardé ». Une autre raison peut également produire cet effet deconvenance, à savoir le fait que le juge peut chercher à éviter de setrouver en contradiction ou en opposition avec le pouvoir politiquequi a rendu possible la réforme du droit de la famille.

En effet, le caractère plutôt convenu des réponses, ou de certainesréponses, des magistrats, peut être favorisé par l’obligation deréserve qui pèse sur les magistrats et qui, comprise à tort et à travers,surtout par l’Administration, conduit ou peut conduire à l’autocensure.Il faut savoir ou se rappeler que le magistrat n’est presque pas uncitoyen ou, s’il peut l’être, c’est avec l’agrément préalable de sonAdministration. Il ne peut s’affilier à un parti politique ni, sauf s’il y estautorisé, s’adonner à une activité associative, ni même publier un écrit,fût-il de caractère académique, s’il n’a pas reçu l’aval de son ministèrede tutelle. On peut donc s’attendre à ce que le juge cherche, par sesréponses, à faire montre plus de sa loyauté que de son opinion intime.

Mais le caractère plutôt convenu des réponses s’expliquecertainement par d’autres raisons. Ce caractère est trahi par leshésitations, les contradictions ou les nuances qui émaillent lesréponses à des questions plus précises et plus « délicates », hésitations,contradictions et nuances qui participent de l’ambivalence et del’hybridité du système culturel et de valeurs du juge. Certaines réservesémises par des magistrats concernant le NCF le prouvent. La réservequi a porté par exemple chez certains sur le changement concernantla wilaya semble motivée soit par des raisons d’ordre idéologique, bienque ces raisons n’aient pas été avouées explicitement, mais déduitesseulement de certaines affirmations de l’enquêté, soit par des raisonsd’ordre moral.

Dans ce dernier cas, le maintien de la wilaya a été jugé par unmagistrat souhaitable dans le cas de la fille, particulièrement dans lecas de la fille rurale. Cette réserve, loin d’émaner d’une personneringarde et « vieux jeu », est au contraire le fait d’un magistrat ouvertet souple d’esprit. Elle est plus motivée par des considérationsmoralistes et paternalistes (protéger la jeune fille contre le risque dufassâd) que par une raison d’ordre religieux. Ce souci moraliste, commeon le verra par la suite, est assez sensible chez le juge et semble avoirson rôle dans la prise des décisions judiciaires.

L’expression « progressiste par décret » permet de rendre comptede cette attitude qui consiste à acquiescer plus facilement à une

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réforme décrétée par l’autorité qu’à être favorable à son initiation. Elles’emploie certainement à bon escient à d’autres qu’aux magistrats. Lesforces politiques qui s’étaient opposées à la réforme de la Moudawanan’ont-elles pas fini par voter le projet qui leur a été soumis par le Roiau parlement (13) ? Elle s’impose également à propos des magistratsparce que la présomption est que le juge adhérera, au moins enapparence, plus facilement à des valeurs modernes qu’il ne contribueraà les installer. La (très) faible créativité dont le juge a fait montre danssa production jurisprudentielle antérieurement au NCF en est unepreuve. On peut en conclure que, sans « décret », le juge (et la sociétédevra-t-on ajouter) se fera difficilement progressiste ou audacieux, ouà tout le moins, se fera hybride dans l’usage de son pouvoird’interprétation, et s’il peut surprendre, ce sera sur fonds d’une attitudeintellectuelle globalement plutôt non audacieuse.

2. Potentiel herméneutique du nouveau Code de la famille etpouvoir d’interprétation du juge

Quelle portée convient-il de reconnaître au juge en matièred’interprétation du NCF ? La réponse à cette question dépend à la foisde la marge que la loi laisse à l’interprétation du juge et, du fait quecette marge ne peut être définie a priori de la teneur objective de laloi, du pouvoir d’interprétation que se donne le juge par la portéeherméneutique qu’il attribue au contenu de la loi. Mais avant de fairereposer le pouvoir d’interprétation du juge sur la portée objective etsubjective du texte à interpréter, encore faut-il que le juge disposed’une autonomie d’interprétation.

2.1. Le pouvoir d’interprétation du juge : un pouvoir autonome ?

Dans les systèmes politiques de type démocratique, le juge exerceson pouvoir d’interprétation avec un degré d’autonomie etd’indépendance réel et crédible. Certes, l’interprétation du juges’exerce en considération de la volonté et de l’intentionnalité dulégislateur (d’où le recours et le retour du juge, en cas de nécessité,aux travaux préparatoires de la loi), mais elle n’est pas « encadrée »

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(13) Le PJD, qui s’était opposé d’une manière virulente au Plan d’action de 1999, a apportéson soutien à la réforme fondée, selon leur communiqué repris par une dépêche de l’agencede presse marocaine, la MAP, du 11/10/2003, « sur des fondements conformes auxprescriptions de notre religion tolérante… ».

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et « orientée », de manière interventionniste, par une autorité ou unpouvoir extérieur. La cohérence et la cohésion de l’opinion judiciairesont obtenues par un travail de régulation juridictionnel (les différentsdegrés du système judiciaire) et doctrinal (les commentaires et autresétudes juridiques).

Au Maroc, l’interventionnisme du pouvoir exécutif ou administratifdans le fonctionnement judiciaire est assez connu (14) pour qu’il ne soitpas difficile de postuler l’absence de l’autonomie du juge et de sonpouvoir d’interprétation ou, à tout le moins, d’en postuler les limiteslorsque le législateur entend donner une certaine orientation, ce quiest tout à fait le cas dans le domaine du droit de la famille. Dans le cadrede l’application du NCF, le rôle du juge a autant été reconnu etinterpellé par les autorités politiques qu’encadré et orienté. Unguide d’application du nouveau code a été rédigé par les soins duministère de la Justice en application des directives royales. Dessessions de formation ont été organisées à l’intention des magistrats,qui ont donné lieu à l’élaboration de plusieurs recommandationspubliées dans la revue Qadaâ al-Oussra. Les circulaires, ici comme dansd’autres domaines, ont constitué et constituent toujours un moyend’intervention de l’exécutif et de l’Administration dans le fonction-nement judiciaire.

Le juge peut ne pas se sentir lié par les « directives » ou les« orientations » qui lui sont communiquées d’une manière ou d’uneautre, ce que laissent entendre en tout cas la plupart des magistratsenquêtés. Mais sa dépendance administrative (promotion et carrière)peut se ressentir d’un comportement non-conformiste. L’effetd’inhibition de cette dépendance administrative sur le rôle du jugeest réel, bien qu’il soit difficile d’en vérifier l’importance. Lesinformations obtenues en parallèle de l’enquête ou certaines réponsesdes magistrats enquêtés permettent d’affirmer, dans une certainemesure, l’existence d’un pouvoir d’inhibition exercé par l’Administrationsur le juge. Tel est le cas de ce juge du tribunal de la famille qui,semble-t-il, s’est fait rappeler à l’ordre à force d’avoir voulu sedémarquer par ses positions. Ledit juge a été appelé par le ministère

158 Le Code de la famille

(14) Voir à cet égard les rapports de la Banque mondiale portant sur le Maroc. On peutégalement se référer à l’étude : La justice dans la région du sud-est de la Méditerranée.Publication du REMEDH (Réseau euro-méditerranéen des droits de l’Homme). Rapport réalisépar Mme Sian Lewis-Anthony et M. Mohamed Mouaqit, 2004.

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à respecter « la tradition de la pratique de la magistrature émanantd’une application rigoureuse des textes de loi » selon les dires d’unde ses collègues. L’interpellation du magistrat par son ministère peutse justifier soit par une position trop audacieuse du juge, soit aucontraire par une position conservatrice ou « réactionnaire », mais dansles deux cas par une position récalcitrante à l’égard des directives oudes orientations officielles ou officieuses.

Cela signifie que le pouvoir politique ou administratif entend restermaître de l’orientation à donner à sa législation, et que le pouvoird’interprétation du juge ne peut que s’inscrire dans les directives etles orientations des autorités politiques et administratives. S’il ne fautpas préjuger trop des limites du pouvoir d’interprétation du juge oune pas trop les exagérer, on pourra d’autant moins les sous-estimerou les méconnaître que l’interprétation du juge tend généralementà cadrer avec les orientations des autorités politiques et administratives.

2.2. Le potentiel d’interprétabilité du NCF

Puisqu’il s’agit, dans le cadre de cette étude, d’évaluer le rôle du jugedans l’application du NCF, à travers son pouvoir d’appréciation etd’interprétation, il y a lieu de connaître le potentiel herméneutiquedont ce code est gros au bénéfice du juge. L’appréhension suscitéechez les tenants de la réforme et la responsabilité assignée au jugepar le Roi lui-même, dans le discours qui a introduit la soumission duprojet du NCF au Parlement, est de nature à faire croire que le sort dunouveau code est entièrement entre les mains du juge. Comme on leverra par la suite, le système politico-juridique marocain favorise enpartie la possibilité d’une lecture déphasée des dispositions de lanouvelle législation, et ce serait trop exagéré ou trop facile d’imputerau juge le risque de contrarier le changement voulu par le législateur.Il convient donc de ne pas surdimensionner le pouvoir du juge. Maisil convient de ne pas non plus le sous-estimer, car le NCF laisse, d’unemanière ou d’une autre, une marge importante de manœuvre.

Le pouvoir d’interprétation du juge ne peut s’exercer que là où lelégislateur rend possible l’interprétation, et le législateur tendgénéralement à ne faire exister cette possibilité que comme une marge,non comme l’état normal de l’exercice de la fonction judiciaire dejugement. Mais si le juge est lié par l’énoncé de la loi, il lui reste unpouvoir d’appréciation et d’interprétation qui est fonction à la fois du

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degré de précision et de clarté de la lettre de la loi et de son « esprit ».Ce pouvoir d’appréciation et d’interprétation est à la fois limité etimportant : limité par la lettre et l’esprit de la loi ; important, parce quela marge d’incertitude que crée l’indétermination du signifiant ou lerapport entre la lettre et l’esprit peut l’augmenter éventuellement. Lepouvoir d’interprétation du juge dans le cadre de l’application de laloi peut lui permettre de ne pas se trouver devant une seule réponsejuridique possible, et d’infléchir, quant au fond, son raisonnement dansun sens ou dans un autre. Il peut parfois faire du juge un quasi« législateur » si ce pouvoir est amené à s’exercer sur fonds d’un « vide »,d’un silence ou d’une lacune législative, volontaire ou non.

Il est évident que le pouvoir d’interprétation laissé au juge ne sauraitêtre circonscrit à l’avance dans toute son étendue et dans sa totalitépar une simple analyse de contenu de l’énoncé législatif, car il peutarriver qu’une disposition apparemment claire s’avère problématiqueau contact de la réalité contentieuse dans sa signification et dans sonapplication. Le NCF, comme tout autre dispositif législatif, se prête etse prêtera inévitablement, à tort ou à raison, à une variation de lecturede ses dispositions (15), de sorte que le potentiel d’interprétation d’undispositif législatif, loin d’être déterminable a priori, sera davantagefonction des lectures qui le solliciteront et des ambivalences,ambiguïtés, imprécisions, lacunes que les lecteurs lui imputeront. Ilserait donc vain de vouloir déterminer par avance le potentielherméneutique dont le NCF serait gros au bénéfice du juge.

Dans l’ensemble donc, l’étendue et la portée du pouvoird’interprétation du juge sera fonction du potentiel herméneutique quela législation favorise et que le juge peut apprécier selon sa subjectivité,et elle le favorisera de plusieurs manières qui détermineront l’étendueet la portée du pouvoir d’interprétation du juge :

– le législateur fixe le principe d’une solution juridique et lesmodalités ou les cas de son application, de sorte que le juge ne fait

160 Le Code de la famille

(15) Fatna Sarehane, spécialiste en droit de la famille, a ainsi relevé par exemple le caractèrelacunaire de la disposition de l’article 49 qui prévoit que « les époux peuvent […] se mettred’accord sur le mode de leur fructification et répartition ». Elle écrit à ce propos : « […]La faiblesse de cette règle réside dans son caractère lacunaire. Etant donné qu’il s’agit d’unenouveauté dans les rapports entre époux, il aurait fallu donner des indications, voire desexemples de types de contrat que les époux peuvent adopter. » Voir son étude : « Le nouveaucode de la famille », Gazette du palais, n° 247 à 248, p. 9.

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qu’appliquer la loi, sans pouvoir faire intervenir un pouvoird’interprétation conséquent ; certes, il y aura toujours une marged’appréciation et d’interprétation du juge, mais celle-ci sera déterminéeseulement par l’économie interne de l’énoncé législatif ou parl’articulation de celui-ci à la réalité à laquelle il s’applique; cettehypothèse se vérifie comme pour n’importe quel autre dispositiflégislatif ; on peut illustrer cette hypothèse, dans le cas du nouveauCode de la famille, par l’exemple suivant : le législateur prévoit leprincipe et les modalités de rupture du lien du mariage, et danschacune des modalités de rupture du lien du mariage, il prévoit lesconditions (de fond et de forme) d’application et les conséquencesparticulières qui s’y attachent; les avantages que peut représenter telleou telle formule de rupture du lien de mariage pour la femmedépendront du choix juridique dans lequel se placera la procédurejudiciaire du divorce, et le choix de ce cadre dépendra davantage duconseil juridique (l’avocat) que du juge, celui-ci se contentant plutôtd’appliquer les dispositions de la loi qui sont propres à chacun descadres juridiques prévus pour la rupture du lien de mariage ;néanmoins, le juge disposera d’une marge d’appréciation etd’interprétation qui variera en fonction du cadre juridique dans lequelil sera placé pour prononcer le divorce ; ainsi sera-t-il amené, dans lecadre du divorce pour préjudice, à apprécier et à interpréter ce qui,dans un acte, est « infamant » et qui fait de cet acte une cause d’unpréjudice matériel ou/et moral justificative d’une rupture du lien demariage ;

– le législateur fixe le principe, mais il laisse au juge le soin d’endéfinir les modalités ou les cas d’application ; ici, la marge d’interventiondu juge est plus importante en comparaison avec l’hypothèseprécédente, mais elle reste limitée dans la mesure où elle n’est pas libred’agir sur le principe ; dans le cadre, du NCF, cette possibilité peut êtreillustrée par l’exemple suivant : le législateur fixe le principe del’exception à la règle de l’âge minimal de mariage (18 ans) etl’assortit de certaines formalités, mais, comme l’exprime le discoursroyal soumettant le projet du NCF au Parlement, placé en préambuledu « Guide pratique du code de la famille » publié par le Ministère dela Justice, il est laissé « à la discrétion du juge la faculté de réduire cetâge dans les cas justifiés » ; un autre exemple peut servir à illustrerencore cette hypothèse : le législateur pose le principe du divorce pourpréjudice et celui de l’indemnisation, mais il laisse au juge le soin

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d’apprécier le préjudice subi et de fixer le montant de l’indemnité enfonction de l’étendue du dommage subi.

– le législateur laisse le soin au juge de définir et le principe et lesmodalités ou les cas de son application ; ici, le pouvoir d’appréciationet d’interprétation du juge est à son maximum, car le juge ne secontente pas d’intervenir seulement sur les modalités ou les casd’application du principe, mais également sur la détermination duprincipe qui commande la solution du problème ; ici, le droit relatif àla famille et au statut personnel se particularise par le fait qu’il laisseau juge le pouvoir d’apporter, par son interprétation, une solution deprincipe à un cas pour lequel le législateur n’a rien prévu, endésignant le fiqh malikite comme la source supplétive où le jugepuisera ses solutions ; en laissant ouverte la possibilité au juge deréférer au rite malikite dans les cas où il n’existe pas dans le dispositifde la loi de disposition applicable, le législateur lui confère un rôled’interprétation qui, pratiquement, équivaut à en faire un « législateur ».

Ainsi, le rôle du juge dans le cadre de l’application de la loi, à traversle pouvoir d’appréciation et d’interprétation qu’il détient, est-ild’importance inégale et est fonction de ce que le législateur lui a laisséou ne lui a pas laissé comme marge de manœuvre. La marge demanœuvre laissé par le législateur au juge peut obéir à diverses raisons.L’une d’elles doit être relevée particulièrement : dans un contextefortement tendu où le législateur entend arbitrer au sein de la sociétéentre une volonté de changement et une volonté de statu quo, commecelui dans lequel le NCF a vu le jour, la marge de manœuvre laisséeau juge peut s’analyser comme une manière pour le législateur de fairereposer sur le juge la responsabilité d’un changement qu’il n’a pasvoulu ou pu assumer.

Ainsi, la marge de manœuvre que le NCF favorise au profit du jugeen matière d’autorisation de la polygamie est la conséquence du choixde non-interdiction pure et simple de la polygamie par le législateur.Une interprétation de la loi en la matière qui viendrait à ne pas rendreeffectivement exceptionnelle la pratique de la polygamie s’analyseraitainsi, à supposer qu’elle procède d’un esprit conservateur du juge,comme la conséquence d’abord du choix du législateur qui a laisséau profit du juge une certaine marge d’interprétation.

En tout état de cause, dès que le législateur a codifié dans unelégislation les principes juridiques qui régissent un domaine donné,

162 Le Code de la famille

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il assigne par là-même au juge un rôle second et secondaired’intervention sur la réalité, soit pour lui imprimer un changement, soitau contraire pour la maintenir dans un certain état d’évolution ou denon-évolution. Mais ce rôle, aussi second et aussi secondaire soit-il, nesignifie pas qu’il est insignifiant, et c’est pour cette raison qu’il convientde prendre au sérieux le rôle que peut jouer le juge dans l’applicationdu NCF. Il est d’autant moins insignifiant que la décision du juge peutêtre prise sans possibilité d’appel. Or c’est le cas de nombreusesdécisions que le juge est amené à prendre dans le cadre du NCF. Ainsi,la décision du juge autorisant le mariage d’un mineur, celle autorisantla polygamie, celle prononçant le divorce, celle qui constate lesconditions requises pour établir l’erreur entraînant l’attribution de lagrossesse au fiancé sont-elles des décisions non susceptibles derecours.

2.3. Dispositions du NCF et opinion des juges

C’est à propos principalement des dispositions relatives à l’âge demariage, à la polygamie et au partage des biens que le pouvoird’interprétation du juge a été mis à l’épreuve. On a ajouté à celles-ciune autre disposition, l’article 400, qui commande d’une manièregénérale au rôle du juge dans les cas pour lesquels la législationpourrait être restée sans principe de solution. Analysons de plus prèsl’enjeu et le « fonctionnement » de l’interprétation chez le juge. Lestableaux ci-dessous donnent une vue générale sur les dispositions-clés du NCF, les potentialités d’interprétation qu’elles recèlent et lesorientations possibles de leur interprétation en fonction del’« environnement » officiel et de l’opinion des magistrats enquêtés.

163Perceptions et pratique judiciaire

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164 Le Code de la famille

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de

l’Isl

am t

olé

ran

t q

ui e

st a

ttac

àla

no

tio

n d

e ju

stic

e,à

telle

en

seig

ne

qu

e le

To

ut

Pu

issa

nt

a as

sort

i la

po

ssib

ilité

de

po

lyg

amie

d’u

ne

séri

ed

e re

stri

ctio

ns

sévè

res.

« Si

vo

us

crai

gn

ez d

’êtr

e in

just

es,n

’en

ép

ou

sez

qu

’un

e se

ule

».M

ais

le t

rès

Hau

t a

écar

té l

’hyp

oth

èse

d’u

ne

par

fait

eéq

uit

é,en

dis

ant

en s

ub

stan

ce «

vou

s n

e p

ou

vez

trai

ter

tou

tes

vos

fem

mes

ave

c ég

alit

é,q

uan

d b

ien

mêm

e vo

us

y ti

end

riez

» c

e q

ui r

end

la

po

lyg

amie

gal

em

en

t q

uas

i-im

po

ssib

le.

De

mêm

e,av

on

s-n

ou

sg

ard

é

à l’

esp

rit

cett

e

sag

ess

ere

mar

qu

able

de

l’Isl

am q

ui a

uto

rise

l’ho

mm

e à

pre

nd

re u

ne

seco

nd

eép

ou

se,e

n t

ou

te l

égal

ité,

po

ur

des

rais

on

s d

e fo

rce

maj

eure

,sel

on

des

crit

ères

str

icts

,dra

con

ien

s,et

ave

c,en

ou

tre,

l’au

tori

sati

on

du

jug

e ».

– G

uid

e :I

l res

sort

des

art

icle

s 40

et

41 q

ue

la p

oss

ibili

té p

ou

r l’h

om

me

d’é

po

use

r p

lus

d’u

ne

seu

le f

emm

ees

t su

bo

rdo

nn

ée à

l'au

tori

sati

on

du

Dér

og

atio

n t

rès

exce

pti

on

nel

le.

Dér

og

atio

nex

cep

tio

nn

elle

,m

ais

reco

urs

àu

n r

aiso

nn

emen

td

’op

po

rtu

nit

é et

reco

urs

à d

esd

éro

gat

ion

sré

tro

acti

ves.

Dér

og

atio

n t

rès

peu

exce

pti

on

nel

le(a

dm

issi

on

de

lap

oss

ibili

té d

e la

dér

og

atio

n p

ou

rp

lus

de

deu

xép

ou

ses)

.

Page 164: code de la famille · Title code de la famille Author emac Created Date 4/2/2007 11:52:01 AM

167Perceptions et pratique judiciaire

Inte

rpré

tati

on

s

Dis

po

siti

on

sIn

terp

réta

bil

ité

Inte

rpré

tati

on

off

icie

lle

Inte

rpré

tati

on

de

s ju

ge

s

Inte

rpré

tati

on

favo

rab

leIn

terp

réta

tio

np

eu

fav

ora

ble

Inte

rpré

tati

on

favo

rab

le

trib

un

al.L

e tr

ibu

nal

n’a

uto

rise

pas

lap

oly

gam

ie d

ans

les

cas

suiv

ants

:1.

lors

qu

e la

fem

me

imp

ose

à s

on

mar

i dan

s l’a

cte

de

mar

iag

e o

u d

ans

un

e co

nve

nti

on

ult

érie

ure

de

ne

pas

con

trac

ter

mar

iag

e av

ec u

ne

autr

eép

ou

se;

2.

si d

es p

réso

mp

tio

ns

po

rten

t à

crai

nd

re

un

e

inju

stic

e

en

tre

le

sép

ou

ses

;3.

lors

qu

e l’é

po

ux

ne

just

ifie

pas

les

rais

on

s et

les

mo

tifs

qu

i l’o

nt

amen

éà

de

man

de

r l’a

uto

risa

tio

n d

’êtr

ep

oly

gam

e;

4.lo

rsq

ue

le m

ari

qu

i d

ésir

e êt

rep

oly

gam

e n

e p

eu

t p

rou

ver

qu

’ild

isp

ose

de

ress

ou

rces

fin

anci

ères

suff

isan

tes

po

ur

assu

mer

les

char

ges

fin

anci

ères

no

rmal

es n

éces

sair

es a

ux

bes

oin

s d

e d

eux

fam

illes

qu

ant

àl’e

ntr

etie

n e

t au

log

emen

t.

Il d

oit

êtr

e ca

pab

le d

’ass

ure

r l’é

gal

ité

entr

e el

les

dan

s to

us

les

asp

ects

de

la v

ie.

Op

inio

n d

es

ma

gis

trat

s–

+–

– (1

8)

(18)

Cet

te p

oss

ibili

té a

été

ad

mis

e p

ar d

es m

agis

trat

s d

u s

eco

nd

deg

ré,c

e q

ui l

a re

nd

mo

ins

déc

isiv

e d

ans

l’éva

luat

ion

de

la t

end

ance

gén

éral

ed

es ju

ges

dan

s la

mes

ure

les

déc

isio

ns

en la

mat

ière

so

nt

du

res

sort

san

s ap

pel

des

jug

es d

u p

rem

ier

deg

ré.

Page 165: code de la famille · Title code de la famille Author emac Created Date 4/2/2007 11:52:01 AM

168 Le Code de la famille

Inte

rpré

tati

on

s

Dis

po

siti

on

sIn

terp

réta

bil

ité

Inte

rpré

tati

on

off

icie

lle

Inte

rpré

tati

on

de

s ju

ge

s

Inte

rpré

tati

on

favo

rab

leIn

terp

réta

tio

nd

éfa

vora

ble

Pa

rta

ge

de

s b

ien

s :

Art

icle

49,

« C

hac

un

des

deu

po

ux

dis

po

se d

’un

pat

ri-

mo

ine

dis

tin

ct d

u p

atri

mo

ine

de

l’

autr

e.To

ute

fois

,il

sp

euve

nt,

dan

s le

cad

re d

e la

ges

tio

n d

es b

ien

s à

acq

uér

irp

end

ant

la r

elat

ion

co

nju

-g

ale,

se m

ettr

e d

’acc

ord

su

r le

mo

de

de

leu

r fr

uct

ific

atio

n e

tré

par

titi

on

.

Cet

acc

ord

est

co

nsi

gn

é d

ans

un

d

ocu

me

nt

sép

aré

d

el’a

cte

de

mar

iag

e.Le

s ad

ou

lsav

isen

t le

s d

eux

par

ties

,lo

rsd

e la

co

ncl

usi

on

du

mar

iag

e,d

es d

isp

osi

tio

ns

pré

céd

ente

s.

A d

éfau

t d

’acc

ord

,il

est

fait

reco

urs

au

x rè

gle

s g

énér

ales

de

pre

uve

,to

ut

en p

ren

ant

enco

nsi

dér

atio

n l

e tr

avai

l d

ech

acu

n

de

s co

njo

ints

,le

sef

fort

s q

u’il

a f

ou

rnis

et

les

char

ge

s q

u’i

l a

assu

es

po

ur

le d

ével

op

pem

ent

des

bie

ns

de

la f

amill

e.»

La

mar

ge

q

ue

ce

tte

dis

po

siti

on

cré

e au

pro

fit d

uju

ge

con

sist

e d

ans

le li

en à

étab

lir e

ntr

e le

pri

nci

pe

de

solu

tio

n q

ue

con

stit

ue

cett

ed

isp

osi

tio

n

lég

ale

e

t le

pri

nci

pe

d

e

solu

tio

nju

risp

rud

enti

el d

u «

kad

wa

si’â

ya »

.

– G

uid

e :

Cet

art

icle

a p

ou

r b

ut

de

con

sacr

erla

sit

uat

ion

an

téri

eure

sel

on

laq

uel

le l

esp

atri

mo

ines

res

pec

tifs

des

co

njo

ints

so

nt

dis

tin

cts

l’un

de

l’au

tre

et q

ue

chaq

ue

con

join

t a

la li

bre

dis

po

siti

on

de

ses

bie

ns.

Néa

nm

oin

s,d

ans

le c

adre

de

la n

ou

velle

visi

on

du

lég

isla

teu

r et

la d

imen

sio

n q

u’il

aso

uh

aité

do

nn

er à

l’e

spri

t d

’en

trai

de

qu

id

oit

rég

ner

au

sei

n d

e la

fam

ille,

il a

con

féré

aux

con

join

ts,a

fin

qu

e ch

acu

n d

’eu

x p

uis

sed

e so

n c

ôté

ass

um

er le

s ch

arg

es fa

mili

ales

,la

po

ssib

ilité

de

se m

ettr

e d

’acc

ord

,en

ver

tud

’un

act

e sé

par

é,su

r la

ges

tio

n d

es b

ien

s à

acq

uér

ir a

prè

s la

co

ncl

usi

on

du

mar

iag

e.Il

s’ag

it d

’un

acc

ord

op

tio

nn

el b

asé

sur

les

acte

s q

ual

ifiés

sel

on

le fi

kh (l

a ju

risp

rud

ence

mu

sulm

ane)

et

la l

oi

d’a

ctes

en

tran

t d

ans

le c

adre

du

pri

nci

pe

de

l’au

ton

om

ie d

e la

volo

nté

qu

i co

nfè

re à

to

ute

per

son

ne

led

roit

de

gér

er s

es a

ffai

res,

d’a

dm

inis

trer

ses

bie

ns

et d

’en

dis

po

ser

de

la m

aniè

re q

ui l

ui

par

aît

con

ven

able

san

s en

frei

nd

re le

s rè

gle

sim

pér

ativ

es,l

’acc

ord

su

svis

é d

evan

t fi

xer

lap

art

de

chac

un

des

co

njo

ints

des

bie

ns

acq

uis

ap

rès

la c

on

clu

sio

n d

u m

aria

ge.

Cet

terè

gle

n’a

au

cun

rap

po

rt a

vec

celle

s p

révu

esp

ar c

erta

ines

lo

is e

n c

e q

ui

con

cern

e la

con

clu

sio

n d

’act

es d

e m

aria

ge

dan

s le

Poss

ibili

téd

’ap

plic

atio

n d

ela

juri

spru

den

ce«

kad

wa

si’â

ya »

.

Pas

de

po

ssib

ilité

d’a

pp

licat

ion

de

la ju

risp

rud

ence

«ka

d w

a si

’âya

».

Page 166: code de la famille · Title code de la famille Author emac Created Date 4/2/2007 11:52:01 AM

169Perceptions et pratique judiciaire

Inte

rpré

tati

on

s

Dis

po

siti

on

sIn

terp

réta

bil

ité

Inte

rpré

tati

on

off

icie

lle

Inte

rpré

tati

on

de

s ju

ge

s

Inte

rpré

tati

on

favo

rab

leIn

terp

réta

tio

nd

éfa

vora

ble

cad

re d

e la

sép

arat

ion

ou

la c

om

mu

nau

téd

es b

ien

s,d

u fa

it q

ue

la n

ou

velle

dis

po

siti

on

dif

fère

to

tale

men

t d

e ce

qu

i p

récè

de.

De

mêm

e q

ue

lad

ite

règ

le n

’a a

ucu

n li

en a

vec

les

règ

les

de

l’hér

itag

e ét

ant

do

nn

é q

u’il

s’ag

it d

e la

dis

po

siti

on

des

bie

ns

du

ran

tto

ute

la v

ie d

e l’i

nd

ivid

u,à

l’in

star

mêm

e d

esau

tres

act

es r

éalis

és à

tit

re o

nér

eux

ou

àti

tre

gra

cieu

x,te

lles

la d

on

atio

n a

um

ôn

ière

(sad

aka)

,la

do

nat

ion

,la

ven

te o

u a

utr

e.Il

arri

ve q

ue

les

con

join

ts n

e p

arvi

enn

ent

pas

à co

ncl

ure

un

acc

ord

à p

rop

os

de

la g

esti

on

des

dit

s b

ien

s et

qu

e l’u

n d

’eu

x p

réte

nd

avo

ir d

roit

su

r le

s b

ien

s ac

qu

is p

ar l

’au

tre

du

ran

t la

pér

iod

e d

e m

aria

ge.

En c

as d

elit

ige,

chac

un

peu

t ap

po

rter

la p

reu

ve d

e sa

par

tici

pat

ion

au

dév

elo

pp

emen

t d

es b

ien

sd

e l’a

utr

e.D

ans

ce c

as,i

l est

fait

ap

plic

atio

nd

es r

ègle

s g

énér

ales

de

la p

reu

ve.

Ain

si,

la d

écis

ion

à p

ren

dre

en

ce

qu

ico

nce

rne

la p

réte

nti

on

ci-

des

sus

ne

po

rter

aja

mai

s su

r le

s b

ien

s q

ue

po

sséd

ait

chac

un

d’e

ux

avan

t la

co

ncl

usi

on

de

l’act

e d

em

aria

ge.

Elle

se

limit

era

un

iqu

emen

t au

xb

ien

s ac

qu

is d

ura

nt

la p

ério

de

du

mar

iag

eet

ce,

à la

lum

ière

du

tra

vail

acco

mp

li,d

esef

fort

s d

éplo

yés

et d

es c

har

ges

ass

um

ées

par

le d

eman

deu

r p

ou

r le

dév

elo

pp

emen

tet

la m

ise

en v

aleu

r d

es b

ien

s.

Page 167: code de la famille · Title code de la famille Author emac Created Date 4/2/2007 11:52:01 AM

170 Le Code de la famille

Inte

rpré

tati

on

s

Dis

po

siti

on

sIn

terp

réta

bil

ité

Inte

rpré

tati

on

off

icie

lle

Inte

rpré

tati

on

de

s ju

ge

s (1

6)

Inte

rpré

tati

on

favo

rab

leIn

terp

réta

tio

nd

éfa

vora

ble

L’é

valu

atio

n

ne

s’

en

ten

d

pas

d

e

laré

par

titi

on

à p

arts

ég

ales

des

bie

ns;

mai

sel

le a

po

ur

ob

jet

de

dét

erm

iner

les

effo

rts

fou

rnis

par

ch

acu

n d

es c

on

join

ts e

t le

ur

effe

t su

r le

s b

ien

s ac

qu

is.

Evid

emm

ent,

l’é

valu

atio

n

de

s e

ffo

rts

et

du

tr

avai

lac

com

plis

ap

par

tien

t au

tri

bu

nal

qu

i do

it e

nap

pré

cier

l’im

po

rtan

ce,

la n

atu

re e

t le

ur

eff

et

sur

les

pro

fits

alis

és

du

ran

t la

pér

iod

e d

u m

aria

ge.

Op

inio

n d

es

ma

gis

trat

s–

+

Page 168: code de la famille · Title code de la famille Author emac Created Date 4/2/2007 11:52:01 AM

171Perceptions et pratique judiciaire

Inte

rpré

tati

on

s

Dis

po

siti

on

sIn

terp

réta

bil

ité

Inte

rpré

tati

on

off

icie

lle

Inte

rpré

tati

on

de

s ju

ge

s

Inte

rpré

tati

on

favo

rab

leIn

terp

réta

tio

nd

éfa

vora

ble

Art

icle

40

0 :

« Po

ur

tou

t ce

qu

i n’a

pas

été

pré

vu p

ar l

e p

rése

nt

cod

e,il

con

vien

dra

de

se r

éfér

er a

uri

te

Mal

ikit

e

et

à l’

eff

ort

juri

spru

den

tiel

(ijt

ihad

) q

ui

tie

nt

com

pte

d

e

laco

ncr

étis

atio

n d

es v

aleu

rs d

el’i

slam

en

mat

ière

de

just

ice,

d’é

gal

ité

et d

es b

on

s ra

pp

ort

sd

e la

vie

co

mm

un

e ».

L’en

jeu

ici e

st d

e sa

voir

si l

a fo

rmu

lati

on

«et

à l’

effo

rt ju

risp

rud

enti

el (i

jtih

ad) q

ui t

ien

tco

mp

te d

e la

co

ncr

étis

atio

n d

es v

aleu

rs d

el’i

slam

en

mat

ière

de

just

ice,

d’é

gal

ité

etd

es b

on

s ra

pp

ort

s d

e la

vie

co

mm

un

e »

jou

e,à

l’ég

ard

de

la r

éfér

ence

au

rit

em

alik

ite,

com

me

u

ne

co

nd

itio

nsu

bo

rdo

nn

ante

(o

n r

éfèr

e au

rit

e m

alik

ite

excl

usi

vem

ent,

à la

co

nd

itio

n q

ue

l’ijt

ihâd

qu

i s’y

exe

rcer

a ti

enn

e co

mp

te «

des

val

eurs

de

l’isl

am e

n m

atiè

re d

e ju

stic

e,d

’ég

alit

é et

des

bo

ns

rap

po

rts

de

la v

ie c

om

mu

ne

») o

uco

mm

e u

ne

réfé

ren

ce q

ui

ou

vre

le r

ite

mal

ikit

e à

d’a

utr

es s

ou

rces

du

fiq

h o

u à

des

sou

rces

plu

s sé

culiè

res

avec

les

qu

elle

s le

rite

mal

ikit

e d

evra

co

mp

ose

r,sa

chan

t q

ue

le d

isco

urs

d’o

rien

tati

on

qu

e le

Ro

i a

adre

ssé

aux

mem

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Si l’on évalue le rôle du juge dans l’interprétation du NCF en fonctiondes réponses aux questions ci-dessus et en fonction de leur orientationfavorable ou défavorable, on peut considérer que dans l’ensemblel’hybridité culturelle et du système de valeurs tend à se traduire chezle juge du premier degré (rappelons que l’orientation de l’opinionjudiciaire peut désormais se déterminer au niveau du premier degréde juridiction de la famille puisque des décisions importantes sontprises par le juge sans possibilité de recours contre elles) par uneorientation jurisprudentielle plutôt défavorable. Cette conclusion nepermet pas cependant, en s’en tenant au rapport majorité/minoritéentre les diverses positions à propos de chacune des questions, de saisirla complexité du « fonctionnement » du juge.

En fait, l’impression générale qui ressort, c’est-à-dire qui prend encompte l’ensemble des questions de l’entretien, est que l’hybriditéculturelle et celle du système de valeurs des magistrats tendent à jouerplutôt dans le sens d’une relativisation du cadre traditionaliste du droitde la famille et du fiqh. Mais ce qui arrive, c’est que le juge tendégalement à faire de ce cadre traditionaliste la base de la résolutiondes problèmes sociaux et moraux liés à l’évolution de la société, oubien il tend à faire de ce cadre traditionaliste plus qu’un simple cadrejuridique de la famille, c’est-à-dire un véritable « lieu » identitaire dela société marocaine, ou bien enfin il tend à se faire plus positivistedans son raisonnement, ce qui amène à une application de la loi moinsfavorable à la femme.Tout ceci donne à l’opinion judiciaire un caractèreambigu. C’est ce qu’il convient de comprendre.

3. L’opinion judiciaire entre positivisme, fiqhisme et moralisme

Il ne suffit pas de donner les tendances dominantes de l’opinionjudiciaire possibles telles qu’elles ressortent des points de vueexprimés par les magistrats enquêtés, il convient également de lesanalyser et de comprendre le « fonctionnement » intellectuel du juge.Deux tendances générales principales à cet égard sont à mettre enexergue : l’interférence entre droit et morale ; l’interférence entrepositivisme et fiqhisme.

3.1. Droit et morale

Examinons certaines des dispositions en jeu composant les tableauxprécédents et voyons comment le juge a cherché à les interpréter.

172 Le Code de la famille

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a. La première est relative à l’âge de mariage ; selon l’article 20, « Lejuge de la famille chargé du mariage peut autoriser le mariage dugarçon et de la fille avant l’âge de la capacité prévu à l’article 19 ci-dessus, par décision motivée précisant l’intérêt et les motifsjustifiant ce mariage, après avoir entendu les parents du mineur ouson représentant légal, et après avoir eu recours à une expertisemédicale ou procédé à une enquête sociale. La décision du jugeautorisant le mariage d’un mineur n’est susceptible d’aucun recours». La marge d’interprétation laissée ici au juge consiste dansl’appréciation de l’exception qui permettra de déroger à l’âge légalqui confère la capacité de mariage. L’appréciation de l’exception, à lafois par la formulation de la loi et sur incitation du législateur, est laisséeà la discrétion du juge.

Si l’on se fonde sur l’opinion des magistrats enquêtés, l’appréciationde l’exception est généralement fondée sur une « évaluation »purement subjective. Le juge évalue du regard (comme on dit dansle langage de tous les jours, « aynak mizanek ») la « dérogeabilité » dela jeune fille à l’âge minimal fixé par la loi, l’expertise du médecin prévuepar la loi étant pratiquement traitée comme secondaire. Une autremanière d’apprécier du juge tente d’introduire un élément d’objectivitédans l’appréciation de l’exception en considérant que la dérogationne peut jouer en dessous d’un certain âge (16 ou 17 ans). La troisièmemanière d’appréciation introduit un élément social ou moral ou socialdans la mise en œuvre de la dérogation ; il s’agit pour le juge de nepas faire rater à la fille ou à sa famille l’opportunité d’un mariage, oubien de faire de la dérogation un moyen de régulariser une relationextraconjugale qui tombe sous l’accusation morale et pénale du fassadsusceptible, si la dérogation n’était pas appliquée, de conséquencessociales et pénales sur les individus et leurs familles.

Dans ce dernier cas, en appliquant le principe de la dérogation, lejuge cherche à désamorcer une situation de « scandale » moral qui,d’un point de vue sociologique, peut être considérée comme unesituation de rupture et d’« anomie ». D’un point de vue sociologique,on peut affirmer que c’est par une telle situation d’« anomie » moraleque s’opèrent et s’expriment l’évolution et le changement de la société ;mais, d’un point de vue social, une telle situation est coûteuse pourles individus et les familles. En cherchant à désamorcer le « scandale »,le juge fait prévaloir la perspective morale sur la perspective

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strictement juridique avec laquelle elle ne se trouve pas enconcordance. On peut considérer que le rôle du juge est d’appliquerla loi, non pas de jouer au « pompier » moral qui éteint le scandale.Mais dans la mesure où la loi lui laisse, même non intentionnellement,la possibilité de faire prévaloir la morale sur le droit, ce qui est le cas,le juge se fait plus moraliste que juriste.

Le premier type et le troisième type d’appréciation du principe del’exception favorisent une large normativité du système culturel et devaleurs du juge. Combinés ensemble, ils risquent de favoriser uneinterprétation de la loi qui est plus en phase avec le conformisme socialqu’avec l’intentionnalité de changement imprimée par le législateurà la loi. C’est précisément ce que font ressortir les opinions expriméespar les magistrats.

b. La deuxième, constituée de plusieurs articles, concerne lapolygamie ; il s’agit des articles 40 à 46 du NCF ; comme pour l’article20, la marge d’interprétation laissée au juge consiste dans l’appréciationde l’exception qui permettra de déroger au principe du mariagemonogamique. Encore plus que dans le cadre de l’article 20, lelégislateur ici a cherché à rendre cette dérogation, pour ainsi dire,« exceptionnellement exceptionnelle ». Pour bien connaître l’esprit quia présidé à l’élaboration de cette disposition, il convient de revenir audiscours royal, placé en préambule du guide du NCF élaboré par leMinistère de la justice.

Le passage du discours royal relatif aux nouvelles dispositions surla polygamie est un véritable exercice alambiqué de justification, oùle raisonnement consiste à établir d’abord le principe absolu del’impossibilité de la polygamie, puis de lui apporter une nuance lerendant seulement quasi impossible, une nuance qui rend possibled’assortir le principe d’une dérogation justifiée par la nécessité deprévenir une polygamie de fait et animée par le souci moraliste dulégislateur d’éviter le « fassad », et, enfin, d’assortir cette dérogationd’une conditionnalité garante de son caractère exceptionnel :« S’agissant de la polygamie, nous avons veillé à ce qu’il soit tenucompte des desseins de l’Islam tolérant qui est attaché à la notion dejustice, à telle enseigne que le Tout-Puissant a assorti la possibilité depolygamie d’une série de restrictions sévères. » « Si vous craignez d’êtreinjustes, n’en épousez qu’une seule ». Mais le Très-Haut a écartél’hypothèse d’une parfaite équité, en disant en substance : « Vous ne

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pouvez traiter toutes vos femmes avec égalité, quand bien même vousy tiendriez », ce qui rend la polygamie légalement quasi impossible.De même, avons-nous gardé à l’esprit cette sagesse remarquable del’Islam qui autorise l’homme à prendre une seconde épouse, en toutelégalité, pour des raisons de force majeure, selon des critères stricts,draconiens, et avec, en outre, l’autorisation du juge. » Toute cetteacrobatie intellectuelle est destinée à signifier le caractère désormaisexceptionnel de la polygamie. Elle trouve son expression dansl’énoncé de la loi. Une lecture logique de la loi devrait impliquer quele statut d’exceptionnalité de la polygamie serait contrarié si ladérogation à la monogamie pouvait aller au-delà de deux épouses (19).

Si l’on se fonde sur les opinions exprimées par les magistratsenquêtés, les éléments d’objectivité déterminés par le législateur envue de la dérogation au principe de la monogamie sont considérésgénéralement comme assez contraignants pour que la dérogation auprincipe de la monogamie n’ait lieu qu’exceptionnellement. Mais lemoralisme, ou le souci social, entre également en considération dansla dérogation au principe de la monogamie par le juge. Il ressort ainside l’enquête que celui-ci autorise la polygamie lorsqu’il comprend,d’une manière ou d’une autre, que la première épouse risque de faireles frais de son refus à accorder au mari le mariage à une secondeépouse, ou bien, mis devant le fait accompli d’une liaisonextraconjugale et adultérine avec grossesse par un mari auquell’autorisation d’une seconde épouse n’avait pas été accordée lors d’unepremière demande, il régularise la situation par une dérogationrétroactive, même si les conditions objectives requises ne sont pasréunies. Là encore, s’illustre chez le juge la prévalence du moralismeou du pragmatisme social sur le juridisme dans l’application de la loi,mais cette orientation est tout à fait en concordance avec le soucimoraliste du législateur.

3.2. Positivisme et fiqhisme

Le système culturel et de valeurs que le juge partage avecl’ensemble des autres membres de la société se combine à la culture

175Perceptions et pratique judiciaire

(19) C’est ce qui ressort d’ailleurs de l'article 41 : « Le tribunal n'autorise pas la polygamie :si le mari ne dispose pas de ressources suffisantes pour entretenir les deux familles et garantirtous les droits, dont la pension alimentaire, le logement et l'égalité dans tous les aspectsde la vie. »

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juridique et à l’idéologie professionnelle qui lui sont plus spécifiques.Dans son ensemble donc, le système culturel et de valeurs du juge estune combinaison et une articulation entre un système de convictionssociales et religieuses et la culture juridique du juge. La culture juridiqueet l’idéologie professionnelle qui constituent la base de formation dujuge et la base de son appartenance au corps professionnel de lamagistrature sont faites d’une part d’une culture « positiviste », d’autrepart d’une culture « fiqhiste ».

a. Trois traits principaux caractérisent la culture fiqhiste

– Elle est, par opposition au positivisme et à la « raison logique »qui le fonde, moins une raison logique que pratique, c’est-à-dire uneraison qui cherche plus à trouver une solution à un problèmeparticulier qu’à l’application logique et universelle d’un principenormatif lui-même de caractère général et universel. La « raison »fiqhiste est moins soucieuse de cohérence juridique que d’incohérencepratique (c’est-à-dire d’une incohérence délibérément voulue pourparvenir à un résultat recherché et éviter certaines conséquencessocialement et moralement non souhaitées), de sorte qu’elle peutappliquer des solutions contradictoires à des cas contentieuxsemblables quant au principe normatif qui les régit.

– La culture fiqhiste procède d’une « raison de la ruse » qui est une« raison » qui contourne les principes, quitte à les vider de leursignification et de leur contenu, mais sans chercher à les mettre encause. Dans le cadre de cette « raison », on cherche à résoudre lescontradictions sans les faire disparaître. La culture fiqhiste préfère ruseravec les principes religieux ou à caractère religieux contraires auxintérêts particuliers ou aux intérêts du groupe et éviter de lesappliquer plutôt que les contrarier ou mettre à l’épreuve leur validiténormative « universelle » en les appliquant.

– La raison fiqhiste est une raison qui privilégie une logique« holiste » (qui privilégie le tout sur la partie) plus qu’elle ne privilégiel’individu, de sorte que la solution à apporter à un cas doit bénéficierplus à la communauté qu’à l’individu, même si la solution estapportée contre la logique de la norme applicable ; c’est ce qu’illustrela décision de la Cour suprême dans l’affaire « Bellakhdim », où, dansune affaire s’inscrivant dans un contentieux de droit international privémettant en rapport deux conceptions de l’ordre public, l’une islamique

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et l’autre laïque et séculière, il était plus important pour le juge de fairevaloir la règle « islamique » de « l’enfant du lit » contre la solution« occidentale » séculière et positiviste de la preuve par l’ADN.

En entrant en rapport avec une culture juridique positiviste, laculture fiqhiste entrera dans une relation dialectique de conflit ou decomposition. L’évolution du système juridique marocain vers un modèlede type positiviste est allée initialement, au moins en principe, dansle sens de la restriction de la culture juridique « fiqhiste ». Le jugemarocain participe de cette évolution. Il est de statut et de rôle« moderne », c’est-à-dire positiviste. Ce n’est que de manière secondaireet au travers particulièrement de l’enseignement dans les facultés dedroit de la matière du « statut personnel » et de quelques autresdisciplines que la culture fiqhiste lui est transmise. La premièreconséquence de cette évolution a affecté le statut et le rôle du jugeen affectant l’étendue et la portée de son pouvoir d’interprétation.

Au Maroc comme dans l’ensemble du monde musulman, lajudicature du qâdî dans le passé, du fait qu’elle était garante del’application d’une législation divine, se trouvait fonctionnellementdans une indépendance vis-à-vis de l’Etat en raison du fait que celui-ci n’était pas législateur, tout au moins dans les matières que la Charî‘âavait réglementées, bien qu’elle s’inscrivît institutionnellement dansla dépendance à l’égard du pouvoir exécutif. Le pouvoir du qâdî s’entrouvait amplifié au point que l’interprétation pouvait équivaloir à unvéritable pouvoir de légiférer.

Le juge au Maroc, dans son statut et rôle actuel, ne possède plusun tel pouvoir, bien qu’il continue à posséder un pouvoir d’inter-prétation. L’évolution de la judicature du qâdî vers le juge de statutet de rôle moderne a pour conséquence de restreindre le pouvoird’appréciation et d’interprétation du juge, du fait que la codificationpar l’Etat de la matière du statut personnel tend à « positiviser » le fiqhet à limiter les possibilités de variation par la codification etl’unification. On ne saurait donc surdimensionner le rôle actuel du jugedans l’application de la loi et attribuer à celui-ci la capacité de faireconcorder librement son système culturel et de valeurs avec lanormativité de la loi, ce qui est en principe exclu dans le cadre d’unsystème juridique et politique qui marque une séparation suffisanteentre la fonction de légiférer et la fonction de juger.

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Cependant, cette évolution a également pour conséquenced’accuser l’hybridité du système culturel et de valeurs du juge dansle cadre du contentieux de la famille. Le magistrat de formationpositiviste affecté au domaine du contentieux de la famille et du statutpersonnel est amené à exercer dans un domaine juridique de sourcefiqhiste qui, bien que « positivisé », c’est-à-dire intégré à la procédureet à la forme de production de la norme étatique, reste d’affiliationfiqhiste puisque son interprétation ou la source supplétive de sonapplication est et reste toujours officiellement le corpus de référencedu fiqh.

N’étant pas initialement formé au fiqh, ou ne l’étant désormais quesuperficiellement, comme cela est le cas des juges officiant dans lesjuridictions de la famille du premier degré, il est conduit à acquérir uneculture fiqhiste pour son besoin professionnel de magistrat ducontentieux familial. Au cours des entretiens avec les juges enquêtés,ceux-ci ont fait largement état de ce besoin de formation spécifiqueen matière de droit de la famille, auquel seules l’expérience et lapratique dans ce domaine du contentieux semblent pouvoir yrépondre, dans la mesure où la formation juridique dans les facultésde Droit et à l’INEJ n’obéissent plus que marginalement à unenseignement de type fiqhiste.

Cette culture fiqhiste, parce que superficielle, devrait normalementse fondre dans une culture juridique positiviste, s’affaiblir au profit decette dernière et conduire à la « positivisation » du fiqh, c’est-à-direà l’intégration de la législation du fiqh dans le moule rationnel du droitpositif, avec ce que cela implique, notamment la relativisation desdispositions « fiqhistes » par les autres dispositions du droit positifet la hiérarchie des règles qui le structure (constitution ; droitinternational...).

En fait, le juge officiant dans le cadre de ce contentieux finit, au boutde plusieurs années d’exercice dans ce domaine, par acquérir un profilhybride de juge moderne positiviste en même temps que de « juge-faqîh », tel ce magistrat d’appel, dans la cinquantaine d’âge, qui a étéapproché dans le cadre de l’enquête, et dont le discours a été émaillélourdement de noms et de références du fiqh. Dans la mesure où, mêmedans ce cadre, le juge peut avoir à exercer un pouvoir d’appréciationet d’interprétation, cette évolution crée une situation qui peutdonner lieu à la « fiqhisation » du juge qui, de formation positiviste,

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devient un fqih-qâdî avec tout ce que cela implique, particulièrementl’idée que le droit positif est transcendé par une législation sacraliséeet divinisée, ce qui est non cohérent avec la conception positiviste dudroit pour laquelle le droit est le produit d’un Etat souverain, c’est-à-dire non transcendé par une autre volonté, surtout divine.

Le risque existe d’une « fiqhisation » du juge, en sens inverse duprocessus de « positivisation » du droit de la famille, risque d’autantplus réel qu’en pratique, la culture fiqhiste se trouve fortementconfortée par sa congruence avec un fonds de culture religieusesocialement très prégnant. Cette congruence confère une légitimitéde référence plus forte à la culture fiqhiste dans son rapport à lalégislation positiviste, bien que cette culture n’occupe qu’une placesecondaire dans le profil de base de formation du magistrat. Il fautajouter à cela que la « culture fiqhiste » est politiquement structurante,conduisant ainsi le système judiciaire et le juge, à la faveur du statutde « délégataire » qui leur est assigné, à être « encadré » dans son rôled’application et d’interprétation de la loi par cette culture.

Le système culturel et de valeurs du juge trouve-t-il confortationou inhibition dans la culture juridique du juge ? L’articulation entre« positivisme » et « fiqhisme » joue-t-elle en faveur de la confortationou de l’inhibition du système culturel et de valeurs du juge ?

b. C’est d’abord en faveur de la fiqhisation du juge que lacombinaison entre positivisme et fiqhisme a joué dans le passé. Dansle cadre de l’ancienne Moudawana, le poids de la culture fiqhiste dansla jurisprudence a été relevé (20). Cela s’est traduit, sur le planjudiciaire, par une absence de créativité jurisprudentielle. Lesévaluations faites par les spécialistes en la matière ont souligné le peude créativité des juges. Cette « pusillanimité » du juge fait cependantomettre à ces spécialistes de relever en contrepartie la « créativité »,parfois « progressiste », du fiqh.

Paradoxalement en effet, lorsque la « créativité » judiciaire se faitprogressiste et féministe, c’est via le fiqhisme qu’elle s’est faite valoir.Le principe jurisprudentiel du « kad wa si’âya » est un principe de la

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(20) Abderrazak My Rchid : « Le référentiel charaïque occupe une place importante. C’estainsi que la jurisprudence se réfère parfois directement au Coran ou à une tradtion duProphète Mohammed. » In « La magistrature marocaine et l’évolution de la Moudawwana ».Prologues n° 9, mai 1997, p. 44.

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raison fiqhiste. Le juge positiviste n’a pas à son compte, dans le droitde la famille et du statut personnel, une créativité jurisprudentielle àla mesure de celle que le fiqh a pu favoriser par le principe de « kadwa si’âya ». Cela tient au fait que la raison fiqhiste est, dans un sens,plus « ouverte » que la raison positiviste, du fait que le pouvoird’interprétation qui s’exerce dans le cadre du fiqh fonctionne demanière « segmentaire », c’est-à-dire en l’absence d’une autoritécentralisée de législation et de régulation de l’opinion fiqhiste, sur labase d’un effort individualisé d’ijtihâd (on sait la variation, sur un mêmecas, des fatwas en fonction de la variété des mûftis) et, enfin, sur une« raison » juridique qui fait place à des considérations d’intérêt social,de morale et d’opportunité. La conclusion à en tirer est que la« positivisation » du droit de la famille a porté le risque, et cela s’esteffectivement vérifié dans le passé, d’une pusillanimité de l’effortjurisprudentiel. Le juge « positiviste » a donc plus de chance de se faire« progressiste » par décret plutôt que par volonté.

Le risque d’une faible créativité dans le cadre du NCF peut êtrepréjugé à partir du caractère plutôt convenu de certaines réponsesqui trahissent une tendance à « caresser dans le sens du poil » plusqu’à entrer en contrariété avec ce qui est établi. Ce caractère est dévoilépar la mise à l’épreuve des magistrats par des questions« provocatrices » se rapportant aux questions de la polygamie (et del’héritage accessoirement). A propos de ces questions, les magistratsont opposé, sans surprise, l’argument du « nass mûhkam ou qat’î »(« texte catégorique ») à la velléité de mise en cause du principe mêmede la polygamie ou du principe de l’héritage inégal de la femme, avecune différence notable concernant les femmes. Celles-ci ontmajoritairement exprimé une certaine réticence et même un rejet deprincipe, notamment concernant l’héritage inégal, mais elles ont toutautant refusé de mettre en cause la règle du « nass mûhkam ou qat’î »comme exclusive de tout ijtihâd.

Il y a là le signe et l’indice, d’un conflit de valeurs latent dans lasociété qui prend la forme de l’inconséquence que constituel’acceptation d’un principe « moderne » (l’égalité en héritage parexemple) et le rejet de ce qui en conditionne la légitimation, savoirla mise en cause de la règle fiqhiste de l’exclusion de l’ijtihâd enprésence d’un « nass mûhkam ou qat’î ». Comme le refus de cette miseen cause signifie le refus de conditionner la légitimation de nouveaux

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principes sur une base purement séculière et positiviste (le droitinternational surtout, mais celui-ci ne peut le permettre que si sesdispositions sont « self-executing »), la seule possibilité d’évolution estcelle qui admettrait l’ijtihâd même en présence d’un « nass mûhkamou qat’î ». Une telle possibilité a été évoquée et admise par un magistratenquêté. Elle est pour le moment largement théorique et, de toutemanière, elle dépend plus du législateur, qui la refuse (21), que du jugequi, lui aussi, la rejette majoritairement, pour ne pas dire presqueunanimement.

c. Si l’on se fonde sur les opinions exprimées par les magistratsenquêtés à propos des dispositions emblématiques du NCF, il en ressortune ambivalence du fonctionnement intellectuel du juge. Celui-ci sefait à l’occasion fiqhiste. Le point de vue, juridiquement aberrant,exprimé par quelques magistrats d’appel selon lequel l’exception à lamonogamie n’est pas limitée à une seconde épouse exclusivement,et que l’exception peut aller jusqu’à quatre épouses puisque lelégislateur n’a pas limité la polygamie à deux épouses exclusivement,montre bien la possibilité de la neutralisation du positivisme par lefiqhisme. Mais à propos d’autres dispositions, le juge se fait plutôtpositiviste. L’illustration en a été faite par l’interprétation des autresdispositions emblématiques du NCF, à savoir l’article 49 et l’article 400.

– L’article 49 est relatif au partage des biens ; selon l’article 49 :« Chacun des deux époux dispose d’un patrimoine distinct dupatrimoine de l’autre. Toutefois, ils peuvent, dans le cadre de la gestiondes biens à acquérir pendant la relation conjugale, se mettre d’accordsur le mode de leur fructification et répartition. Cet accord est consignédans un document séparé de l‘acte mariage. Les adouls avisent les deuxparties, lors de la conclusion du mariage, des dispositions précédentes.A défaut d’accord, il est fait recours aux règles générales de preuve,tout en prenant en considération le travail de chacun des conjoints,les efforts qu’il a fournis et les charges qu’il a assumées pour ledéveloppement des biens de la famille. »

La marge que cette disposition crée au profit du juge consiste dansle lien à établir entre le principe de solution que constitue cette

181Perceptions et pratique judiciaire

(21) Le Roi a affirmé, dans le discours qui a accompagné la soumission au parlement duprojet du NCF : « Je ne peux, en ma qualité d’Amir Al Mouminine, autoriser ce que Dieu aprohibé, ni interdire ce que le Très-haut a autorisé. »

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disposition légale et le principe de solution jurisprudentiel du « kadwa si’âya ». Il convient de noter que le principe jurisprudentiel du « kadwa si’âya » est connu comme une pratique locale dans le Souss, où lestribunaux accordent à la femme le versement d’une partie des biensacquis pendant le mariage, contrepartie qui va souvent jusqu’à la moitié,en se fondant sur la contribution de la femme à l’enrichissement familialdurant la vie conjugale, notamment par le travail qu’elle a accompli.M’hamed Boucetta, deuxième président de la commission de réformede la Moudawana, dans un entretien (22), a opposé la pratique du Soussà celle de Fès, où une telle pratique n’était pas traditionnellementadmise. Cependant, le principe du « kad wa si’âya » n’est pas restéconfiné à la pratique judiciaire du Souss, la jurisprudence attestant del’application de ce principe dans d’autres régions du Maroc.

La formulation de l’article 49 combine de manière problématiquedeux principes de solution : elle fait reposer le partage des biens, enl’absence d’un accord, sur le recours aux règles générales de preuveet sur la prise en considération des « efforts qu’il [le conjoint] a fourniset les charges qu’il a assumées pour le développement des biens dela famille ». Une telle formulation revient à intégrer dans la loi le principejurisprudentiel du « kad wa si’âya », qui en principe n’obéit pas aurégime légal de la preuve tel qu’il est régi par le D.O.C., mais aux règles« char’iyya » de preuve, et à le lier au régime des preuves du D.O.C.,ce qui risque d’en restreindre l’importance et la portée. Sachant quele principe du « kad wa si’âya » est une application de référence fiqhiste,la « positivisation » du droit de la famille aurait ici un effet « régressiste ».

Mais tout dépendra de l’application qui en sera faite. Commentfaudra-t-il donc interpréter l’article 49 ? Les militantes féministes ontcompris la formulation de l’article 49 comme un rejet du principe du« kad wa si’âya » : « Sur ce point précis, la portée du texte est limitée,puisqu’il ne concerne que les femmes qui pourront prouver leurcontribution aux revenus et à l’acquisition des biens du foyer (feuillesde paie, factures, etc.). Contrairement à ce que nous avions défendu,le travail domestique n’a pas été retenu comme une contribution à partentière (23). »

182 Le Code de la famille

(22) Le 11/03/2003, Farida Moha (Libération).(23) Leila Rhiwi. Propos recueillis par Charlotte Cans, Jeune Afrique/l'Intelligent. Paris, n° 2268,27 juin-3 juillet 2004).

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Commentant cette disposition, un commentateur ou une commen-tatrice fait observer : « Tout le problème sera de prouver qui a achetéquoi. Or, l'avant-projet évoque, en l'absence d'accord, le fait derecourir pour le juge « aux moyens généraux de preuve, tout en prenanten considération le travail de chacun des époux et les efforts qu'il aaccomplis en vue du développement des biens de la famille ». Maisqu'est-ce que cela signifie ? A titre d'exemple, le juge considérera-t-ille travail de la femme au foyer comme une contribution àl'enrichissement du couple ? Rien n'est moins sûr, puisqu'en parlantde « moyens généraux de preuve », il est ici clairement fait référenceau dahir des obligations et contrats (DOC). Or, ce dernier ne parle pasde « contribution morale » mais seulement matérielle. La règle étantqu'un justificatif, une facture ou un témoin dovenit être produits pourchaque somme supérieure à 150 Dh [en fait, 250 Dh] (24). »

Une autre lecture est possible, probablement la plus pertinente d’unpoint de vue juridique. Si l’on se rapporte aux intentions desconcepteurs du projet, il semblerait que cet article est unegénéralisation du principe du « kad wa si’âya ». Dans le même entretienévoqué précédemment, M’hamed Boucetta, après avoir fait état de ladifférence de la pratique de Fès et de la pratique du Souss, a ajouté :« Il est normal à l’heure où la femme travaille, s’occupe de son foyer,qu’elle ne soit pas privée d’une partie des biens (25) » . L’affirmation nevaut-elle pas, juste après que la pratique défavorable à la femme deFès eût été rappelée, promesse de généralisation légale du principedu « kad wa si’âya » ? Cette généralisation est en fait à double sens :elle signifierait d’une part que le principe du « kad wa si’âya » n’a plusune portée locale, d’autre part que ce principe, initialement conçucomme une solution pour la reconnaissance de la contribution de lafemme aux biens de la famille, perdra cette signification initiale ens’appliquant désormais aussi bien à la femme qu’à l’homme.

Si l’on se fonde sur les opinions exprimées par les magistrats surcette disposition dans le cadre de l’enquête, la tendance générale estd’interpréter l’article 49 en dehors de l’esprit de la jurisprudence du« kad wa si’âya », et à faire prévaloir un raisonnement plus positivisteque fiqhiste en considérant que les moyens de preuves en la matièresont ceux du D.O.C. Cette interprétation peut paraître moins favorable

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(24) Tel quel. Publié le 17 octobre 2003.(25) Idem.

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à la femme puisqu’elle a pour conséquence de priver l’épouse d’unprincipe jurisprudentiel qui reconnaissait sa contribution àl’enrichissement des biens familiaux, mais il convient de reconnaîtrequ’une lecture positiviste de l’article 49, c’est-à-dire qui s’en tient plusà l’énoncé du texte qu’à son esprit, est tout à fait justifiable d’un pointde vue strictement juridique. Cependant, si l’on présume que la femme-épouse risque plus que l’homme-époux d’être en situation d’avoir àprouver selon les règles du D.O.C. sa contribution à la constitution desbiens familiaux, on peut en conclure que l’interprétation du juge estplutôt défavorable à la femme.

L’interprétation, mise en œuvre généralement par les magistratsenquêtés au sujet de l’article 49, montre bien qu’une lecture de typepositiviste, donc moderne, peut avoir un effet non favorable à la femme,tandis qu’une lecture fiqhiste de cette disposition, donc non moderne,peut au contraire être plus favorable à la femme. En évaluant le rôledu juge en fonction non pas de l’application positiviste de la loi, maisen fonction de l’effet, favorable ou défavorable sur les droits de lafemme, de l’opinion judiciaire qu’il produit, on risque d’imputer à sonsystème culturel et de valeurs ce qui n’est, en fait, que le résultat d’uneapplication positiviste de la loi. L’évaluation aura ici pour effet depostuler l’existence d’une concordance entre l’opinion judiciaire et lesystème et culturel et de valeurs du juge, ce qui n’est pas évident.

La preuve peut en être faite a contrario par l’illustration d’une autreinterprétation positiviste dont l’effet est plutôt en sens inverse de latendance que pourrait favoriser le système culturel et de valeurs dujuge. Concernant le droit de garde et l’éventualité de déchoir la mèrenon musulmane du droit de garde pour le risque qu’elle fait courir àl’identité religieuse islamique de l’enfant, les opinions des juges,excepté les conseillers de la Cour suprême, ont clairement faitprévaloir le principe de l’intérêt de l’enfant sur toute considérationreligieuse, se conformant ainsi à l’intention du législateur, lequel a vouluun NCF explicitement dans l’intérêt de l’enfant. Cela vaut d’autant plusd’être souligné que le juge de la famille a généralement tendance àse faire le défenseur de l’islam.

– Une attitude plutôt positiviste s’est également illustrée à proposdu rôle du malikisme comme source supplétive dans les cas pourlesquels le législateur n’a rien prévu dans le NCF. L’article 400 est peut-être moins important que les autres dispositions précédentes, car

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d’application plutôt rare ; mais le raisonnement interprétatif que le jugepourrait être amené à faire à son propos est au contraire de nature àêtre aussi significatif et aussi révélateur du pouvoir d’interprétationdu juge et de l’orientation qu’il donnerait à l’application du NCF. Selonl’article 400 : « Pour tout ce qui n’a pas été prévu par le présent code,il conviendra de se référer au rite Malikite et à l’effort jurisprudentiel(ijtihad) qui tient compte de la concrétisation des valeurs de l’islamen matière de justice, d’égalité et des bons rapports de la viecommune. »

L’enjeu ici est de savoir si la formulation « et à l’effort jurisprudentiel(ijtihad) qui tient compte de la concrétisation des valeurs de l’islamen matière de justice, d’égalité et des bons rapports de la viecommune » joue, à l’égard de la référence au rite malikite, comme unecondition subordonnante : on réfère au rite malikite exclusivement,à la condition que l’ijtihâd qui s’y exercera tienne compte « des valeursde l’islam en matière de justice, d’égalité et des bons rapports de lavie commune », ou comme une source autonome qui s’ajoute et secombine au rite malikite (référence à d’autres sources du fiqh ou à dessources plus séculières) et avec lesquelles le rite malikite devracomposer, sachant que le discours d’orientation que le Roi a adresséaux membres de la Commission royale qui a été chargée del’élaboration du projet du NCF a appelé à puiser les solutionsadéquates dans d’autres rites que le malikite (ce qui n’est pas inédit,puisque l’élaboration de l’ancienne Moudawana s’est égalementouverte à des solutions d’autres rites).

Dans les deux cas, le rite malikite devra être conditionné par uneinterprétation plus « ouverte » aux valeurs de « justice, d’égalité et desbons rapports de la vie commune ». La différence entre les deux lecturesréside dans le fait que la conditionnalité jouera, dans le premier cas,à l’intérieur du rite malikite, qui devra, au cas où la solution qu’il favorisene sied pas aux valeurs de « justice, d’égalité et des bons rapports dela vie commune », être interprété de telle manière qu’il soit contraintd’y correspondre, tandis que dans le second cas, la conditionnalitésignifiera que si la solution malikite ne sied pas aux valeurs de « justice,d’égalité et des bons rapports de la vie commune », le juge devrachercher une solution plus conforme à ces valeurs dans une autresource, fiqhiste ou positiviste. Les deux interprétations sontdéfendables, mais la seconde est certainement plus favorable à un

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changement « progressiste », non pas tellement parce qu’elle seraitplus favorable aux femmes que parce qu’elle aurait pour conséquencede ne plus faire du malikisme un rite d’Etat et de favoriser une« positivisation » du fiqh par l’intégration de sources juridiquesséculières (surtout le droit international).

Si l’on se fonde sur l’opinion des magistrats enquêtés, c’est laseconde interprétation qui est la plus dominante, mais cette orientationdoit être relativisée. D’une part parce qu’une proportion significativede magistrats est, sur le plan de la conviction, favorable à l’exclusivitédu malikisme, ensuite parce que l’acceptation par le juge de ne pasfaire du malikisme une référence exclusive procède moins d’uneposition de principe philosophico-idéologique que d’un « fonctionne-ment » casuistique qui fait de cette non-exclusivité un effet et uneconséquence de la recherche d’une solution meilleure au cas àrésoudre. Cette orientation n’est cependant devenue possible que parceque l’Etat, dans le NCF, a ouvert la possibilité de contourner le malikismetout en continuant officiellement à en faire un mad’hab d’Etat.

D’autre part, parce que l’invocation, rendue possible par le code deprocédure civile, de « l’ordre public » marocain, substantiellementidentifié à l’islam, contre toute disposition qui lui serait contraire alargement servi (26) et peut largement encore servir, comme l’attestentles opinions exprimées par les magistrats, à faire jouer au juge le rôlede défenseur de l’islam. Il semble néanmoins, à travers l’enquête, queles juges du premier degré sont plutôt disposés à l’égard d’unepositivisation du droit de la famille, mais, comme le montre l’affaire« Bellakhdim », la Cour suprême semble avoir à jouer un rôle de freinà cet égard, et ce rôle obéit à ce que j’ai considéré plus haut commeun cadre politique institutionnalisé et institutionnalisant de l’hybridité.Le NCF, en donnant au juge du premier degré, partiellement, un pouvoirde décision définitif, desserre partiellement et potentiellement ce freinà l’égard de la possibilité d’une positivisation accrue du droit de lafamille.

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(26) Voir à cet égard l’étude de J. Deprez : « Environnement social et droit international privé.Le droit international privé marocain entre la fidélité à l’Umma et l’appartenance à lacommunauté internationale » in Droit et environnement social au Maghreb. Editions duCNRS/Fondation du Roi Abdulaziz Al Saoud. 1989, p. 281-330.

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Conclusions générales

A la question : « Le juge marocain pourra-t-il accompagner la volontéde changement attestée par l’adoption du NCF et sa dispositionculturelle et son système de valeurs sont-ils de nature à favoriser unetelle orientation ? », l’évaluation qui a été entreprise dans le cadre decette étude mène aux conclusions suivantes :

– Le pouvoir du juge, dans le cadre du NCF, d’infléchir, dans un sensou dans un autre, l’application de la législation nouvelle relative à lafamille, est réel, mais ne doit pas être surévalué ; ce pouvoir, qui estimpliqué inévitablement par les dispositions objectives (liées à laformulation du langage et à l’articulation des dispositions du texte)de l’énoncé législatif, est aussi l’effet d’une intentionnalité dulégislateur qui, en grande partie, s’en remet au juge pour l’appréciationdes cas, mais qui aussi, comme dans le cas de la polygamie, se délestesur le juge du soin d’assumer un choix auquel le législateur s’estquelque peu dérobé.

– La disposition culturelle et le système de valeurs du jugetrouvent dans le NCF matière et opportunité à actualisation dans unsens qui ne peut être considéré comme défavorable à la volonté dechangement attribuée au législateur ; d’une manière générale, ladisposition culturelle et le système de valeurs du juge marocain actuelsont, par leur hybridité, plutôt gros d’une orientation de plus en plusmoderne en supposant que l’hybridité est le signe d’une crise qui devradéboucher sur des choix clarifiés, mais dans la mesure où cettehybridité n’est pas seulement un attribut personnel du juge, mais unecaractéristique institutionnelle et institutionnalisée du systèmepolitico-social marocain, elle ne peut être que l’expression « normale »du « fonctionnement » du système, c’est-à-dire le reflet de ses limiteset de ses inconséquences.

Le paradoxe est que l’évaluation de la tendance générale del’opinion des juges à travers leur interprétation des dispositions-clésdu NCF fait ressortir une orientation plutôt défavorable (nonprogressiste) de l’opinion judiciaire. Celle-ci s’explique, d’une part parle fait que le juge, à la faveur d’un pouvoir réel d’interprétation, tendà se faire moraliste dans son application du code en prenant enconsidération davantage les conventions sociales que l’esprit de la loi ;d’autre part, elle s’explique par le profil de plus en plus positiviste du

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juge qui, en allant de pair avec un rôle plus étriqué d’interprétationde la loi (en comparaison avec le rôle de l’ancien qâdî), tend à le rendremoins libre à l’égard de la législation ou, à tout le moins, tout aussiréservé que le législateur, car celui-ci, tout en se faisant réellementprogressiste, se déleste d’un surplus de progressisme sur un juge qui,lui, est lesté de la mauvaise conscience d’être en rupture avec latradition et inhibé par une tutelle politico-administrative qui l’a trophabitué à se faire le défenseur de l’ordre politique et social établi.

– L’imputation au juge d’un pouvoir d’infléchissement, dans un sensou dans un autre, de l’application de la loi suppose un pouvoird’interprétation réel et indépendant, pour ne pas dire autonome ;comme le juge, à l’instar d’autres composantes de la société, a tendanceà être progressiste plus par décret que spontanément, on ne peuts’attendre à ce que ses décisions soient autrement qu’incertaines etambivalentes dans leurs orientations ; pour s’assurer d’une orientationfranchement progressiste du NCF, certains, y compris des associationsféministes, n’hésitent pas à appeler l’Etat à garantir, en tant quequ’auteur d’une législation progressiste, une application progressistede la loi.

On se trouve alors devant le dilemme suivant : si l’on veut uneapplication progressiste du NCF, il faudrait en payer le prix par unedépendance maintenue du pouvoir judiciaire à l’égard du pouvoirexécutif, ce qui va à l’encontre de la revendication par les progressistesd’une indépendance réelle et effective du pouvoir judiciaire ; si, aucontraire, on veut un pouvoir judiciaire réellement et effectivementindépendant, le prix à en payer est inévitablement un pouvoirjudiciaire incertain et ambivalent dans l’expression de l’opinionjudiciaire ; le dilemme ne peut être garanti d’être dépassé parl’invocation de l’instauration de la démocratie parce que celle-ci, à lafois d’une manière générale et en considération du contexte politiqueparticulier, ne va pas de pair nécessairement avec des choixprogressistes ; dans l’état actuel des choses en tout cas, le dilemmeest réel ; il suffit pour s’en convaincre de constater que le féminismeprogressiste (une tautologie ?), sans en être conscient, a fait plutôt lechoix d’un juge progressiste dépendant.

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Introduction

Depuis la promulgation du nouveau code de la famille et sa miseen application le 3 février 2004, les tribunaux ont, dans leur majorité,enregistré des conflits dans leur enceinte, à cause de la transformationdes sections du Statut personnel en sections de la Justice de la familleindépendantes et autonomes, disposant de leurs propres structureset ayant un président et un secrétariat-greffe propres.

Le lecteur se demandera alors s’il existe une procédure pour lemariage. Pour répondre à cette question, nous le renvoyons aux articles49, 65, 66, 67, 68 et 69 du Code de la famille, puisqu'il est maintenantobligatoire pour les époux d'ouvrir, lors de leur mariage, un dossierspécial portant un numéro propre et contenant plusieurs pièces, enplus d'un acte de mariage séparé, rédigé par qui de droit et précisantla méthode de gestion des biens qui seront acquis pendant la vieconjugale et leur mode de fructification et de répartition. Cependant,il convient de rappeler que le patrimoine de chacun des épouxdemeure distinct. Ainsi, en cas de litige, on trouvera dans ce dossierdu mariage les pièces décisives permettant de trancher.

D'autres problèmes ont vu le jour après la mise en application desdispositions du Code de la famille : entre les attributions du ministèrepublic près les tribunaux de première instance et les attributions dessections de la justice de la famille. Pour l’arrestation de celui qui doitverser la pension, par exemple, c’est le ministère public près le tribunalde première instance qui est compétent, ainsi que pour la présentationet le renvoi par-devant la présidence en vue du jugement et ce, en tant

Chapitre IVDu déroulement des audiences à la sectionde la Justice de la famille près les tribunaux

de première instance de Rabat

Maître Fatima Zohra BOUKAISSI *

* Avocate au Barreau de Rabat, agréé près la Cour Suprême.

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qu'organe disposant des moyens d'action tels que le téléphone pourcontacter la police judiciaire, les forces de police et la gendarmerie.

Section 1. De l'enregistrement de l'action

Les procédures de la justice de la famille étant de nature verbale,le législateur a conféré aux parties la faculté d'ester en justice sans sefaire assister d'un avocat. On est ainsi passé du divorce prononcédirectement par l'époux devant deux adouls (notaires de droitmusulman), sans comparution par-devant le juge chargé du notariat,à la comparution des deux conjoints par-devant le juge chargé dunotariat (amendement de 1993), c'est-à-dire à la nécessité deconvoquer l'épouse, celle-ci ne pouvant avoir recours à la procédurede divorce.

Ainsi, à la lumière du nouveau code de la famille, toutes lesdemandes portant sur le divorce, la répudiation et les procéduresconcernant les affaires d'état civil et la kafala (prise en charge) doiventêtre déposées à la caisse du tribunal pour le paiement des dépens ;même les affaires dispensées de taxe judiciaire, comme la pension,doivent également être déposées à la caisse du tribunal pour obtenirun numéro propre.

Cette nouvelle situation a fait que les sections de la justice de lafamille sont devenues autonomes grâce à des guichets de paiementindépendants de ceux des tribunaux de première instance. Lesprésidents de ces sections ont donc installé deux guichets : le premierréservé aux avocats et à leurs collaborateurs, le deuxième guichet aupublic. Toutefois, beaucoup de citoyens n'arrivent pas à comprendrecette distinction et pourquoi la priorité est accordée aux avocats età leurs assistants.

Les gens se bousculent, créant une anarchie qui nécessite souventl'intervention de la police et l'arbitrage des présidents des sections dela justice de la famille. En effet, le ministère public n'intervientmalheureusement pas pour résoudre ces problèmes, ces sections setrouvant souvent loin des tribunaux de première instance, là où setrouve le procureur du Roi, exception faite cependant de la section dela justice de la famille de la préfecture de Skhirat-Témara, où leministère public près le tribunal de première instance se trouve dansle même édifice.

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Les citoyens se sentent alors lésés ; mais au lieu de s'adresser auxcabinets d'avocats, ils se tournent vers des courtiers prétendumentcompétents dans le domaine juridique. Ce qui ouvre la voie auxusurpations et à une multitude d’erreurs dans les demandes et lesrequêtes.

Section 2. De l’accès au tribunal et aux salles d’audience

Depuis que les audiences se déroulent au sein de la section de lafamille de Rabat, Témara, Salé ou Kénitra, les justiciables ont du malà accéder à ces locaux, car ils ignorent tout simplement où ils setrouvent. La promulgation du nouveau code de la famille a ainsi misdans l’embarras beaucoup de citoyens sur le point de prendre desdécisions vitales de mariage ou de divorce. On les remarque dans lestribunaux, à la recherche de conseils et ne sachant à qui s’adresser. Cequi donne l'occasion à de nombreux courtiers de profiter de cesvictimes en leur rédigeant des requêtes qui n'ont aucun rapport avecle droit, d'autant que les procédures de la justice de la famille sontverbales et donnent la possibilité à ceux qui estent en justice deprésenter eux-mêmes leurs requêtes, aussi bien pour le mariage, ledivorce, la répudiation, la kafala ou autres…

Pour le justiciable, le jour de l'audience n'est pas un jour ordinairedans sa vie. En plus de l'embarras et de la peur de l'inconnu, il y a lesformalités judiciaires dont il ignore les tenants et les aboutissants.Surtout s’il n’est pas assisté d’un avocat, ce qui le dispenserait de seprésenter comme c’est le cas des procédures portant sur la pensionalimentaire, les indemnités de garde, les indemnités de logement quin'obligent pas les parties à comparaître. Alors que pour les audiencesd'enquête fixées par les juges rapporteurs, les parties sont obligéesde se présenter. On abordera ce genre d'audiences dans une autrepartie de la présente contribution.

Pour les audiences concernant la pension alimentaire et autres, lesjusticiables ne disposant pas de convocations à comparaîtrerencontrent des problèmes dès la porte du tribunal. Tel est le cas dela section de la justice de la famille de Salé, où les gardiens de la paixont pour instruction de ne laisser entrer personne sans convocation: le bâtiment du tribunal est composé d'un hall et de deux salles quine peuvent accueillir un public nombreux venu uniquement pour lespectacle. Une telle mesure a ses vices, car bon nombre de

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demanderesses et de demandeurs n’ont pas reçu leurs convocationsou les ont perdues pour diverses raisons. Leurs dossiers risquent alorsd'être classés, et, sans avocat, ils perdent l’occasion de répliquer si lapartie adverse, elle, a présenté un mémoire. C'est ainsi que lesjusticiables perdent leurs droits, notamment lorsqu'ils sont appelés àproduire des pièces décisives établissant leur qualité à ester en justice,tels les actes de mariage pour établir les liens matrimoniaux ou les actesde naissance pour établir la filiation.

Les audiences sont publiques, et beaucoup de femmes sontaccompagnées de leurs enfants, nourrissons et bébés. D'où le vacarmeet l'anarchie qui règnent en l'absence de l'intervention des présidentsdes audiences. Prenons par exemple la salle des audiences de la sectionde la justice de la famille de Rabat. C'est une grande salle quiauparavant était affectée au pénal, lorsque la Cour d'appel y étaitcompétente. Celui qui veut y accéder est obligé de passer par le localréservé aux avocats et doit même, en plus, passer devant le corpssiégeant. Parfois, alors que le président de l'audience est absorbé parl'examen du dossier et par les questions qu'il pose aux comparants etalors que les avocats des deux parties se tiennent debout, n’importequelle femme, accompagnée d'un enfant – en train de pleurernaturellement – et tenant un verre de lait, un jus ou un gâteau en main,peut déambuler devant tout le monde.

On soulève par ailleurs le problème des téléphones portables : mêmesi le président émet des remarques et ordonne au policier présent deprendre les mesures nécessaires, leur sonnerie dérange le cours desaudiences.

Tout cela fait que les salles d’audience sont souvent un lieu despectacle, notamment lorsque la porte se trouve tout près de la cour.Parfois, la porte de la salle est obstruée par le public, et les justiciablesou leurs avocats n'arrivent pas à accéder à la salle. Les cris des enfantssont incessants. Les juges et les avocats n’arrivent pas à se concentrer.Une telle situation enlève toute respectabilité à cet endroit où seprennent pourtant des décisions si importantes dans la vie des familles.

Cette situation s'aggrave encore lorsque le juge refuse de prononcerà voix haute les numéros de dossiers et les noms des parties ou de leursdéfenseurs. Il appartiendrait donc à l'agent de le faire, comme c’est lecas dans tous les tribunaux du monde. Pourtant, on s'étonne que leprésident de l'audience n'oblige pas l'agent qui se trouve affecté dans

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la salle à élever la voix pour qu'il soit entendu par l'avocat ou par lecitoyen non assisté d'un avocat. Le résultat est que certains justiciablesrestent des heures dans la salle d’audience, leur dossier leur passantsous les yeux sans qu'ils en sachent rien. Il en est de même des avocatsqui n’arrivent pas à se concentrer pour écouter les numéros de leursdossiers. Lorsqu'ils essaient de protester, des juges répondent : « Vousétiez en train de parler entre vous, et vous n'avez pas entendu lesnuméros de vos dossiers ! » Ainsi se crée une atmosphère desuspicion entre la défense – qui devrait être une assistance à la justice– et le corps siégeant du tribunal.

Quand il a eu la chance d’entendre les références de son dossier,le justiciable se présente par-devant le juge unique ou le corps collégial,selon la nature du dossier. Le président de l'audience commence alorsà examiner les pièces du dossier pour voir si l'autre partie a bel et bienreçu l'assignation à comparaître et si elle a dûment reçu la notification.

Si le justiciable est assisté d’une défense, son avocat lui aura conseilléde veiller sur la notification par courrier recommandé ou sur le retraitde la convocation auprès du secrétariat-greffe et de remettre celle-cidirectement à l'huissier de justice qui se charge de la notification àla partie adverse au cours l'audience suivante. Mais si le justiciable n’apas d’avocat, c’est le juge qui doit attirer l'attention du demandeur oude la demanderesse sur la nécessité de veiller à la notification. Or, ilne peut pas passer tout son temps à expliquer cette mesure pendantl'audience. Il conseille alors au demandeur de prendre contact avecle secrétariat-greffe après l'audience pour faire le nécessaire. Mais letribunal et le secrétaire-greffier, débordés par la quantité de dossiers,terminent tard après les heures de travail : ils se précipitent alors pourtrouver un moyen de transport et n’ont pas le temps de délivrer le plide notification au justiciable, qui sera alors obligé de revenirultérieurement au secrétariat-greffe. Le problème se compliqueencore plus lorsque le justiciable réside hors de la circonscriptionterritoriale du tribunal saisi de son affaire. Ainsi, la notification parcourrier recommandé fait l'objet d'une multitude d'erreurs de la partdes justiciables, surtout chez des gens illettrés.

Si l'autre partie a accusé réception, le juge ou le président del'audience commencent alors l'examen des pièces jointes à la requêtepour en vérifier la validité et pour voir s'il s'agit de pièces originalesou de simples photocopies. S'il manque une seule ou plusieurs des

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pièces nécessaires pour statuer, les dispositions de l'article premier ducode de procédure civile oblige le juge d'aviser le demandeur de lanécessité de rectifier la procédure et ce, en lui accordant un délai pourprésenter ses documents. Si l'intéressé n'accomplit pas ce qui lui a étérequis dans le délai imparti, le juge se prononce alors et ordonne lanon-recevabilité de l'action. Le problème est que, sans avocat, lejusticiable se trouve parfois incapable de comprendre ce que dit leprésident de l'audience.

Même s'ils arrivent à saisir les termes utilisés, les justiciables,particulièrement les femmes illettrées et les personnes âgées, tententd’entrer dans des discussions interminables à tel point que leprésident de l'audience ne peut plus les écouter, car la nature del'audience, l’obligation qu’il a de respecter le temps imparti et lamultitude des dossiers le rendent incapable d'assumer le rôle de jugesocial... L’issue est alors de déclarer la requête irrecevable.

A la citation du nom des parties, beaucoup de justiciables sontgênés, surtout les gens instruits, car le juge ne les appelle pas MonsieurX ou Madame Y, comme il est d’usage dans les pays occidentaux. Demême, la façon dont sont parfois posées les questions est très difficileà supporter par certaines catégories de personnes, qui préfèrent nepas comparaître et chargent alors leur avocat de le faire.

A la fin de l'audience, le président annonce la date du dossier. Or,bon nombre des justiciables n'en saisissent pas les termes. Ceux quiont de la chance reçoivent un petit bout de papier rédigé par lesecrétaire-greffier sur ordre du président de l'audience, dans lequelest notée la date du report.

Cependant, il est regrettable que les justiciables non assistés d’unavocat soient les victimes d'une bande de courtiers qui leur posentdes questions et font semblant de comprendre leur malheur et leursouffrance afin de mieux les fourvoyer dans des labyrinthes d’où ilsne pourront plus sortir.

Je voudrais ici raconter ce qui arriva à une pauvre femme qui étaitdans une situation sociale très difficile. Mariée par ses parents à soncousin maternel, elle avait eu avec lui deux enfants, un garçon et unefille, mais sans avoir fait acte de mariage. Le cousin refusa dereconnaître son mariage ainsi que la paternité des deux enfants.Demeurant à la campagne, dans la banlieue de Rabat, et n’ayant pas

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les moyens de s'adresser à un avocat, la femme préféra rédiger sapropre requête de confirmation de mariage et de filiation auprès d'unécrivain public. Le jour de l'audience, elle comparut par-devant leprésident du tribunal, mais n’ayant rien compris à ce qui s'était passéau sujet de son dossier, elle sortit de la salle désemparée. Un hommesexagénaire s’approcha d'elle et lui dit qu'il connaissait un avocatcompétent qui la défendrait. Effectivement, il lui remit la carte de visited'un avocat au barreau de Rabat. Personnellement, je sais que cetavocat a un cabinet à Salé. La carte de visite porte vraiment le nomde l'avocat mais avec une adresse à Rabat. L'intrus accompagna lafemme dans un café près du tribunal pour rencontrer une personne.Elle n'était pas sûre qu'il s’agissait bien de l'avocat concerné, mais ellerentra chez elle, rassurée, après lui avoir remis la somme de trois centsdirhams et lui avoir donné son adresse à Aïn Aouda. Deux semainesaprès, le sexagénaire se présenta pour l'informer que le père des deuxenfants avait été arrêté, avait reconnu sa paternité et se trouvait enprison. Il lui réclama de l’argent. Insolvable, la femme demanda à sesparents de lui donner tout l’argent qui leur restait pour le mois, soitdeux cents dirhams, et elle emprunta à sa voisine trente-cinqdirhams… Mais la surprise, c'est quand elle apprit que son « époux »vivait normalement avec une autre femme et qu'il n’avait jamais étéarrêté ! Depuis, elle n'a plus jamais revu le sexagénaire qui lui a faitperdre même l'occasion de poursuivre elle-même son dossier.

Section 3. Du déroulement des audiences

Bien que les sections de la justice de la famille soient devenuesautonomes, les audiences ont lieu très longtemps après la dated'enregistrement de l'action. Prenons l’exemple des dossiers relatifsà la pension alimentaire, au sujet de laquelle le dernier paragraphe del'article 190 du code de la famille prévoit ce qui suit : « Il est statué enmatière de pension alimentaire dans un délai maximum d'un mois. »Or, en réalité, les requêtes ne sont enrôlées aux premières audiencesy afférentes qu'à la fin des trente jours prévus. Ainsi, une requêtedemandant d’ordonner le paiement de la pension alimentaire d'uneépouse et de son enfant enregistrée le 26 avril 2005 a été enrôlée enune première audience le 18 mai 2005. Une autre requête d'une autredemanderesse réclamant sa pension alimentaire et celle de ses cinqenfants, enregistrée le 25 décembre 2005, fut inscrite en une premièreaudience le 25 janvier 2006.

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Il est entendu par ailleurs que la majorité des affaires ne sont pasprêtes lors de leur première audience, car le défendeur ou ladéfenderesse n'ont pas encore reçu la convocation à la premièreaudience. Le plus souvent, la notification n'arrive pas à destination carle défendeur est au travail et donc absent de son domicile. La partiedemanderesse serait alors tenue de demander l'autorisation denotification au défendeur en dehors de ses horaires de travail, ou encorepar défaut de bonne adresse de la partie défenderesse. La questionportera par conséquent sur la procédure de curateur et de notificationpar courrier recommandé. Ceci crée alors une multitude de problèmespour les requérantes et parfois les requérants de la pension alimentaire,aussi bien lors les audiences tenues par les tribunaux de la justice dela famille que dans les cabinets des avocats désignés par eux pourintenter l'action de recouvrement de la pension. Cela implique parailleurs un certain nombre de problèmes opposant les clients à leursavocats en raison des entraves induites par les formalités judiciaireset qui n’ont rien à voir avec la défense.

A titre d'exemple, citons le cas d'une affaire de pension alimentaireet d'indemnités de garde dont la requérante a parcouru, parl’entremise de sa défense, toutes les étapes d'enregistrement et deprésence aux premières audiences. Elle réclamait sa pension et cellede ses deux filles, dont l’une souffre d’une maladie chronique.L'époux, lors de l'une des audiences, allégua qu'il déposait la pensionalimentaire sur un compte spécial. Au cours d'une audience ultérieure,l'avocate de la demanderesse fit savoir que ce compte spécial étaitdestiné à l'achat d'un logement que les parties avaient conjointementengagé et que cet argent n'avait aucun rapport avec la pension. Nousétions alors en juillet 2006, le juge décida de tenir une séance d'enquêteentre les deux parties, et l'enrôla… pour l'audience de novembre 2006! Ici, on peut se poser la question de la portée de l'application desdispositions de l'article 190 du Code de la famille, surtout quand onsait que les deux filles avaient besoin de fournitures à pour la rentréescolaire, ainsi que de vêtements et de soins médicaux, surtout cellequi était malade. Cette situation entraîna des problèmes entre la mèredes deux filles et la défense, qui n'était pourtant pas responsable dela décision de report.

Ainsi, l’expérience a montré qu'une année n'est pas suffisante pourrendre un jugement en matière de pension alimentaire, tout comme

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il est évident aussi que la situation critique de beaucoup de ménagesse complique davantage lorsque le responsable de la famille se dérobeou refuse d'assumer ses responsabilités.

En ce qui concerne les affaires de divorce et de divorce judiciaire,les choses ne sont pas différentes. Même pour le divorce parconsentement mutuel dans lequel les deux époux se mettent d'accordsur toute mesure concernant leur vie, la première audience peut êtrefixée à plus d'un mois de la date d'enregistrement de la demande, sanscompter le délai de trente jours pour une tentative de conciliation s'ily a des enfants. Ainsi, pour deux époux dont l'un ou les deux ensemblesont obligés de se rendre à l'étranger ou sont liés par un travail, il estimpossible d'y arriver, à cause des retards dans la fixation des datesdes audiences.

Pour ce qui est du divorce ordinaire sur demande de l'époux ou dudivorce résultant d'un droit d'option consenti par l'époux à son épouseet dans lequel celle-ci se substitue à l'époux pour demander ladissolution des liens matrimoniaux sans recourir aux six procéduresde divorce judiciaire, à savoir l'absence, le préjudice, le défaut depension alimentaire, l’abandon et le défaut d'entretien, le vicerédhibitoire et la discorde, l'écart entre les audiences y afférentes n'estpas préjudiciable, car il reste l’espoir que le requérant se rétracte etrenonce à la demande de séparation.

Quant aux affaires de divorce judiciaire, notamment le divorce pourcause de discorde, elles sont tout à fait différentes quant à la fixationdes dates d’audience des autres affaires de divorce ; l'instancecompétente et la section du divorce sont indépendantes par l'enseigneet la structure de la section du divorce ordinaire, du divorce parconsentement mutuel ou par droit d’option consenti à l'épouse. Le faitd’augmenter les délais entre les dates d’audience et même deretarder la date de la première audience pose des problèmes trèscompliqués, surtout quand l'épouse est obligée de cohabiter avec unépoux autoritaire, parfois violent vis-à-vis d'elle-même et de ses enfants.

Quand l'époux refuse de payer la pension, l'épouse tente de trouverdu travail pour se nourrir et nourrir ses enfants. Elle est alors souventconfrontée à la violence et au refus de l'époux qui lui interdit de sortirpour aller travailler ou qui la menace de l’accuser d'adultère. Mêmesi de telles menaces peuvent difficilement être mises à exécution,beaucoup de femmes restent méfiantes, en raison de leur ignorance

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de la loi et malgré les conseils rassurants de leurs avocats. La mêmesituation, bien qu'à un degré moindre, peut être vécue par un épouxsollicitant le divorce pour discorde, dont les moyens financiers nepermettent pas de payer la pension. Il se trouve alors obligé de vivresous le même toit qu’une épouse qui lui est devenue insupportable.

Sur le déroulement des audiences dans les salles des tribunaux

1. Les formalités de déroulement des audiences relatives à lapension alimentaire, aux indemnités de logement et à une partiedes dossiers d'état civil

Après enregistrement des requêtes à la caisse du tribunal commeindiqué ci-dessus et après fixation de la date de l'audience, lademanderesse ou le demandeur sont le plus souvent avisés de la datede la première audience car tout requérant d'un droit le suit de plusprès et avec prudence.

Pour l'autre partie, la première audience constitue souvent unemesure préliminaire, puisqu'on appelle le numéro du dossier, le nomdu demandeur ou de la demanderesse, ainsi que le nom de l'avocats'il y en a. A la comparution par-devant le tribunal composé selon lescas soit d'un juge unique, soit d'un corps collégial, le président de laséance examine le dossier pour savoir si l'autre partie a bien accuséréception de la convocation et si toutes les pièces requises s'y trouvent.

2. Les formalités dans le déroulement des audiences de divorce etde divorce judiciaire (Chambre de conseil)

Ces audiences sont à présent confidentielles et se déroulent dansune salle appelée Chambre de conseil, conformément aux dispositionsde l'article 82 du Code de la famille.

Mais comment se déroulaient ces audiences avant la promulgationdu Code de la famille en 2004 ? Avant l'amendement de 1993, les locauxaffectés à la section notariale étaient, dans tout le Royaume, des édificestraditionnels, avec un environnement traditionnel. On surnommait ceslieux la « Maison du juge ». C'était une construction de style classiquedans sa décoration et son architecture. L'ensemble du personnel étaitalors constitué d'hommes vêtus de façon traditionnelle, des “djellaba”avec turban. Aucune femme ne travaillait dans cette « maison », àl’exception de certaines fonctionnaires portant le plus souvent une

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tenue traditionnelle. Les audiences se déroulaient différemmentselon les régions. Certains juges chargés du notariat préféraient recevoirles justiciables dans des bureaux fermés afin de respecter l’intimité desconjoints, un agent n'autorisant l’accès qu’aux personnes concernées.D’autres juges organisaient leurs audiences en public. Les épouxcomparaissaient et exprimaient alors leur volonté au vu et au su detous les curieux. On y rencontrait des avocats, sans leur tenueofficielle, en train d'accomplir diverses formalités de retrait de copiesd’acte de mariage ou de divorce, de succession ou d'héritage.

Après la réforme de 1993, les audiences se tenaient en présence desparties à huis-clos dans un bureau appelé "Chambre de conseil", avecl'assistance des avocats des parties, vêtus de leur toge et en présencede deux arbitres. C'est ce qu'il est convenu communément d'appelerle Conseil de famille.

Or, les audiences de la chambre de conseil portant sur les affairesde répudiation – à l’initiative de l'époux puisque l'épouse n'avait pasle droit de demander le divorce – se tenaient par-devant le tribunalnotarial. Mais l'épouse, elle, ne pouvait pas s'adresser au à ce tribunalpour dissoudre les liens matrimoniaux. Même si le divorce par droitd'option lui était conféré par l'article 44 du Code du statut personnelet modifié le 10 septembre 1993 qui stipulait : « La répudiation est ladissolution des liens du mariage prononcée par : l'époux, sonmandataire ou tout autre personne désignée par lui à cet effet ;l'épouse, lorsque la faculté lui a été donnée (en vertu du droit d'option);le juge (divorce judiciaire). » L’épouse était obligée d'introduire lademande de divorce par-devant les tribunaux de Première instance,chambre du statut personnel. Ce divorce ne pouvait alors lui êtreaccordé que s’il répondait à l'un des motifs prévus au chapitre dudivorce des articles 53 à 59 du Code du statut personnel, à savoir : ledéfaut d'entretien, le vice rédhibitoire, les sévices, l’absence del'époux, un serment de continence ou de délaissement. L'audience étaitpublique, sauf si le président de l'audience décidait de tenir une séancepour une enquête en l'étude du juge rapporteur. Dans ce cas,l'audience se tenait à huis-clos et ne pouvaient y assister que les parties,leur défense, le juge et le secrétaire-greffier. Mais cette audience n'étaitpas obligatoire.

Après la promulgation du Code de la Famille et eu égard auxdispositions de son article 82, le législateur a maintenu l'aspect

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confidentiel des audiences de la Chambre de conseil pour le divorceet le divorce par consentement mutuel.

Ainsi au début, dans la section de la justice de la famille de Rabat,la Chambre de conseil était un simple petit bureau pas plus grand queles bureaux du greffe, avec une porte vitrée et, juste à côté, les w.c. !Le couloir devant cette "salle" était trop étroit pour contenir les avocatsdebout en l'attente de leurs dossiers, les justiciables hommes, femmeset enfants et leurs parents en cas de formation du Conseil de famille! La situation se compliquait encore avec le passage des fonctionnairesou autres personnes. Les gens s'entassaient, se bousculaient et sedisputaient, provoquant à chaque fois l'intervention des agents depolice. Sans parler de la gêne que cela procurait pour la cour statuantà l’intérieur… Et les débats s'entendaient de l’extérieur. Ce qui estgênant pour une chambre de conseil où les débats doivent êtreconfidentiels.

Après beaucoup de plaintes déposées par la défense et aprèsintervention du barreau, il a été convenu d'affecter deux sallesdifférentes à la chambre de conseil, selon la nature du divorce. Leshoraires des audiences ont été modifiés pour permettre aux juges dudivorce d'utiliser la salle des audiences publiques comme chambre deconseil non ouverte au public, en plus d'une autre salle réservée auxaffaires du tribunal administratif et se trouvant dans le mêmebâtiment.

Auparavant, il y avait toujours conflit autour d'une salle réservéeau tribunal de commerce car les responsables refusaient d’enremettre les clefs à la justice des référés et à la section de la justicede la famille pour les audiences de la chambre de conseil. Le résultatétait que les justiciables et les avocats couraient d'un tribunal à l'autreet risquaient de rater le début de l'audience, à la recherche de la salle.

De plus, il n’y a aucun lieu d’accueil pour les justiciables quiattendent de prendre connaissance de leur numéro de dossier.Dispersés dans l'enceinte du tribunal, cherchant parfois à se protégerde la pluie, ils ne peuvent entendre ni leur nom ni leur numéro dedossier. Ils ne peuvent donc assister à l’audience, perdant ainsil'occasion de se défendre.

La situation est différente à la section de la justice de la famille deSalé.

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La chambre de conseil de Salé a également lieu dans un bureau,mais les audiences qui s'y tiennent ne sont ni entendues ni visiblesde l'extérieur, car la porte est en bois. Un agent assisté d'un policierveille sur l'organisation des justiciables et leur citation en les invitantà accéder à la grande salle. Après quoi, on les appelle et on les identifiesuccessivement avant de les faire accéder à la salle d’audience.

Avant la promulgation du Code de la famille et lorsque le mêmebâtiment regroupait et le tribunal de première instance et la sectionde la justice de la famille, la cour avait du mal à contenir lesnombreux avocats concernés par les séances de la chambre de conseilet les justiciables en matière correctionnelle. Mais lorsque toutl'édifice fut réservé à la seule section de la justice de la famille, unepartie de l'enceinte du tribunal fut affectée aux avocats, les justiciablesétant alors tenus de rester assis dans la salle dans l'attente de leur tour.La même méthode a été appliquée à d’autres villes du Royaume. Lesjusticiables non assistés s'inscrivent à la fin de l'audience selon l'ordrenumérique ; ainsi, les clients des avocats demeurent avec eux dans lasalle réservée à cet effet, indépendamment de leurs avocats, et sortentà tour de rôle ; car l’expérience a montré que certains citoyenscherchent à écouter les avocats parlant de certains dossiers que lapartie adverse ne devrait pas connaître.

3. Le déroulement de l'audience au sein de la chambre de conseil dela section de justice de la famille de Rabat

1. Les audiences de divorce et de divorce par consentementmutuel, défini par le code 31

A l’appel du numéro de dossier, les deux parties accèdent à lachambre avec leur défense et le tribunal, composé d'un président, dedeux juges et d'un greffier. Cependant, bien que le nouveau Code dela famille insiste sur la présence du ministère public lors de cesaudiences, la chambre de conseil de Rabat ne dispose pas dereprésentant du parquet général. C’est une lacune, que nousaborderons lorsque nous traiterons plus loin de la garantie de lasécurité dans cette section.

A la comparution des parties à l’audience, qui constitue en réalitéune séance d'enquête, on constate qu'il n'y a que deux chaises, on sedemande alors qui va s'asseoir ! Parfois, on n'y trouve qu'une seule

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chaise, et on demeure donc debout, bien que la séance nécessite plusde temps que celui d’une audience ordinaire encadrée lors delaquelle on présente un mémoire de réponse ou de réplique. Mêmedans ce cas, les avocats et les justiciables trouvent où s'asseoir dansla salle ! Donc, pour éviter que les justiciables ne passent des heuresdebout dans l'enceinte du tribunal avant d’accéder enfin à la salled’audience où ils restent encore debout, il est nécessaire de leur trouverun endroit où s'asseoir en attendant de comparaître.

Pour revenir à ce qui se passe au sein de la chambre de conseil, onrappelle qu'après avoir procédé à la vérification de l'identité des deuxparties, le président de l'audience commence à poser des questionsà l'époux : est-ce que vous êtes sûr de votre volonté de demander ledivorce de votre épouse ? Si la réponse est positive, il interrogel'épouse : votre époux veut divorcer d’avec vous, qu'est-ce que vousen dites ? Le plus souvent, les réponses sont les mêmes. L'épousesouvent ne répond pas de manière directe à la question, maiscommence à relater les problèmes du couple. Le président del'audience pose à nouveau sa question : « Est-ce que vous êtes d'accordquant à la demande de votre époux ? » La réponse peut prendre deuxformes. Certaines femmes, peu nombreuses, répondent : « Tant que monépoux a présenté la demande de divorce, que puis-je alors faire ? qu'ilfasse ce qu'il désire !... » Les autres, même si elles sont pour le divorceou y trouvent une solution pour les deux parties, répondent, sur lesconseils des voisins ou de la famille, qu'elles s'attachent à leur vieconjugale et qu'elles ne désirent pas le divorce, croyant ainsi changerla décision du juge quant aux indemnités du divorce.

Ceci ne veut pas dire que beaucoup de femmes s'impliquent dansla procédure de divorce – à leur insu ou avec leur accord – notammentcelles qui ne travaillent pas et qui ne disposent pas de revenus, ni mêmecelles qui, pour une raison ou pour une autre, demeurent attachéesà leur époux et à leur vie conjugale bien qu'elles disposent de revenusleur garantissant leur entretien et celui de leurs enfants. C'est ce quel'on appelle encore divorce abusif, d'autant que la procédure y afférenteest moins longue que celle requise pour la procédure de divorceintroduite par l'épouse pour discorde, absence, défaut de pensionalimentaire ou autre.

On revient alors à ce qui se passe lors de l'audience de divorce dansla chambre de conseil. Le président de l'audience, après audition des

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deux parties, décide de reporter le dossier à une audience ultérieureafin de procéder à une tentative de conciliation. Les avocats, restésdebout, n'ont pour mission d'intervenir ou de plaider que si on le leurdemande. Leur rôle est alors celui d'observateur du respect de laprocédure. Ils peuvent aussi intervenir sur la question de la date dureport de l’audience.

L'intervention de l'avocat lors de cette première audience se limitesouvent à une mesure provisoire quant à la situation de sa cliente oude son mandant concernant l'expulsion du foyer conjugal, le défautde pension alimentaire ou le préjudice subi. Le plus souvent, la réponseest la suivante : « Ceci n'est pas de notre ressort, vous pouvezintroduire une action de pension par-devant le juge du fond, déposerune plainte en matière correctionnelle ou autre. » Les dates de reportdiffèrent d'un cas à l'autre. Ainsi, lorsque les conjoints n'ont pas d'enfant,la date de la deuxième audience est plus proche que s’ils en avaient.

Le texte du deuxième paragraphe de l'article 82 prévoit que le délaide conciliation devrait être fixé à 30 jours au moins. Ses dispositionsprévoient à cet effet ce qui suit : « Le tribunal peut prendre toutes lesmesures, y compris la délégation de deux arbitres, du conseil de lafamille ou de quiconque qu'il estime qualifié pour réconcilier lesconjoints. Quand il y a des enfants, le tribunal entreprend deuxtentatives de réconciliation, espacées d’au moins de trente jours. »

A la fin de l'audience, le président s'adresse aux deux épouxdirectement et leur parle en tant que juge de paix, les invitant às'entendre et à renoncer à la décision de divorce – qui ne peutévidemment être que celle de l'époux – ou qu'ils reviennentaccompagnés de deux arbitres parmi leurs proches dans le but de lescharger de procéder à une conciliation.

Les parties sortent de l'audience devant tous les gens qui sont àl'extérieur. Elles se posent alors beaucoup de questions et les posentà leur avocat, si elles en ont un ; mais dans certains cas, notammentquand les époux sont accompagnés de leur famille, les disputescommencent et dégénèrent en bagarres, insultes et injures, pour finirpar l'intervention de la police, si elle est présente.

Pour ce qui est du divorce par consentement mutuel, la situationest tout à fait différente, car les deux parties sont moins inquiètes,même si elles sont assistées par un avocat. Le président se contente

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donc de les identifier et leur demande si elles sont d'accord. Puis ilordonne au secrétaire-greffier de prendre acte du texte de laconvention par procès-verbal. Le plus souvent, l'accord est verbal. Demême que l'épouse renonce souvent à toutes ses indemnités dedivorce. C'est ce que l'on appelait antérieurement et que l'on appelleencore aujourd'hui le divorce par compensation khol'e. Le concept dekhol'e au Maroc n’est pas le même que dans d’autres pays islamiquescomme l'Egypte et la Jordanie par exemple, où l'épouse présente sademande de divorce par compensation khol'e sans l'accord del'époux. Au Maroc, il faut l'accord de l'époux. Si ce dernier n'est pasd'accord quant au principe du divorce, même si l'épouse renonce à cequi lui revient de droit, elle doit avoir recours à la procédure de divorcepour cause de discorde ou pour l'une des cinq autres causes citées plushaut.

Dans le cadre du divorce par consentement, le président del'audience s'adresse aux deux parties avec la question suivante : « Avez-vous des enfants ? » Si la réponse est oui, le président est alors obligéde reporter le dossier de l'affaire à une audience ultérieure, à 30 joursau moins, dans le but de trouver une entente pour renoncer au divorce,ce qui paraît être, pour législateur, dans l'intérêt des enfants. Dansd'autres cas, la convention est rédigée par acte, signée par les deuxconjoints et dûment légalisée auprès des autorités publiques, surtoutlorsque les deux parties ont des enfants.

Ceci facilite la tâche au tribunal siégeant qui procède alors à sontour à sa consignation dans l'extrait du jugement, tant que sa teneurn'est pas contraire aux dispositions légalement prévues. Là, on fixe lacontre-partie de la pension alimentaire, le mode d’hébergement del'enfant sous garde, l'organisation du droit de visite et les autresconséquences découlant du divorce. Ce genre de divorce reflètel’attitude “civilisée” des deux conjoints qui ne vont pas en justice parmauvaise foi.

Les audiences sont très peu nombreuses. Dans la section de la justicede la famille de Rabat, si les deux époux n'ont pas d'enfant et si ledossier de l'affaire est enrôlé pour une audience lointaine, le tribunalfait preuve de souplesse à leur égard lorsqu’ils viennent de 11 heures 30à 13 heures, quand le président a clôturé les audiences du jour et qu’ila ainsi la possibilité de prendre contact avec le secrétariat-greffe afind'enrôler le dossier en l'audience. Là, on accorde à l'époux l'autorisation

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de prononcer le divorce par-devant deux adouls (notaires de droitmusulman) dûment agréés près le tribunal de première instance deRabat. L'affaire se règle en peu de temps. A notre avis, ceci est positifet facilite la tâche aux époux, notamment ceux qui travaillent ou quidoivent voyager. S'ils ont des enfants, l'autorisation du divorcen'exige pas plus de deux audiences.

Revenons encore une fois à la procédure de divorce ordinaire, c'est-à-dire au code 31 pour la section de la justice de la famille de Rabat,là où le divorce se prononce par l'époux (répudiation). Lors de ladeuxième audience se présentent les deux parties et leur défense,éventuellement, en présence d’un ou deux arbitres, le plus souvent desparents des conjoints. Identification faite des parties, le président del'audience tente de connaître les raisons du divorce et interroge lesarbitres, dont l'intervention est souvent non objective car ils s'alignentnaturellement sur la partie qu'ils accompagnent.

Le président de l'audience repose la question classique à l'époux :« Est-ce que vous tenez au divorce ? » Si la réponse est positive, il l'avisealors que le dossier sera mis en délibéré lors d'une audience qui auralieu dans moins d'une semaine, le plus souvent, et sans la présence desparties, tout comme il l'avise de la date de la dernière audience pourdéposer les indemnités de divorce et prendre acte du divorce oureporter le dossier à 30 jours.

Au cours de ces audiences, le président est assisté de deuxassesseurs (juges femmes et parfois hommes). Cependant, lesreproches formulés par la défense et par certains justiciablesconcernent les retards dans l'ouverture de l'audience : si un seulmembre s'absente ou est en retard, c'est toute la cour qui attend. Pourles avocats par exemple, la dispersion des tribunaux à travers la villede Rabat et sa banlieue les oblige à courir en permanence. Les partiesarrivent par exemple à 9 heures… pour attendre devant la porte dela chambre de conseil jusqu'à 10 heures, voire plus. Ce qui crée unecertaine tension entre le corps de la défense et la présidence de la courlors des audiences.

Dans certains dossiers, l'époux s'étonne de la présence de jugesfemmes. A sa sortie de la chambre de conseil, il exprime à sa défenseou à ses connaissances sa crainte de voir une juge femme sympathiseravec son épouse. Mais l’expérience a montré qu'il existe une certaineobjectivité et une harmonie entre les juges, hommes ou femmes.

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Lorsque l'époux arrive à obtenir l'autorisation de divorce etlorsqu'il est avisé de la somme qu'il doit déposer pour prendre actedu divorce, il est le plus souvent prêt à le faire. Il dépose alors l'argentà la caisse du tribunal et s'adresse à un des adoul qui se trouvent enpermanence au sein des sections de la justice de la famille, bien qu'ilsdisposent de leurs propres cabinets.

L'épouse est mise au courant de la date de consignation de l'acte.Si elle se présente, particulièrement dans la procédure du divorce parconsentement, la situation est très pénible pour elle, surtout si elle aun caractère sensible. Les parties concernées se rencontrent en effetle plus souvent dans de petits bureaux se trouvant au sous-sol dutribunal ou dans de petits bureaux très étroits situés à côté du bureaudes photocopies. On appelle alors l'épouse et l'époux parmi le publicqui est là, face aux adouls, et, devant tout ce monde, on demande àl'époux de prononcer l'expression « vous êtes divorcée ». Puis ondemande aux deux parties de signer ou d'apposer leurs empreintesdigitales après que l’époux ait remis à l'épouse ce qui lui revient enindemnités réelles ou en espèces ou qu’il ait montré le reçu de la caissedu tribunal en vertu duquel il a déjà déposé les indemnités de divorce.

Le problème, c’est que l'épouse souvent ne se présente pas. L’acteest alors rédigé en son absence, le reçu de dépôt de l'argent est verséau dossier que garde l'adel pour une durée déterminée, soit parce quel'époux n'a pas réglé l'intégralité des honoraires des deux adouls, soitparce que l'adel a pris du retard dans la rédaction de l'acte de divorceou pour tout autre raison. Ainsi, le secrétariat-greffe, qui a confié ledossier à l'adel sans enregistrer son nom, ignore pendant longtempsle sort du dossier, malgré les nombreuses réclamations de l'épouse oude sa défense auprès bureau d'ordre.

Même quand l'épouse est présente et bien qu’ayant pris possessiondu reçu des sommes déposées à la caisse du tribunal, elle ne peut paspour autant en disposer. La mesure prise à cet effet au sein de la sectionde la Justice de la famille est que le fonctionnaire chargé de la divisiondu divorce ne peut remettre le bulletin de liquidation à l'épouse ouà sa défense que si l'acte de divorce est prêt, ledit acte demeuranttributaire de son dépôt au secrétariat-greffe par l'adel, qui à son tourattend que l'acte soit signé par le président.

Si le président est empêché pour une raison quelconque, les actesrestent en instance. Ce qui peut être grave, notamment pour la femme

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qui a des enfants et qui se trouve sans ressources. J'ai connu ainsi deuxclientes qui se trouvèrent dans une situation très critique. Elles avaientdes enfants, et la fête du mouton était très proche. Je fus obligée deprendre contact avec le président de la section de la Justice de lafamille, qui heureusement a pu régler le problème. Mais cetterégularisation n’était que conjoncturelle. Aussi faudrait-il revoir cetteprocédure quant au fond.

Lorsque l'épouse ou sa défense obtiennent l'acte de divorce et lebulletin de liquidation, qui n'est rien d’autre qu'une fiche roseportant le numéro du compte, la somme d'argent déposée, la date desa réception et la signature de l'épouse ou de son avocat, ce dernierest tenu de joindre à ce bulletin un reçu de son cabinet portant soncachet et la mention de la somme. Mais cette somme ne peut êtreretirée auprès de la caisse de la section de la Justice de la famille :l’intéressée doit présenter le bulletin à la caisse du tribunal de premièreinstance de Rabat qui lui remet un chèque sur vingt-quatre heures ouquarante-huit heures.

Cela semble facile, mais en réalité, les choses ne sont pas aussisimples, lorsque l'épouse a quitté le domicile conjugal pour s’en allerrejoindre ses proches dans une région lointaine, ou lorsqu'elle n'a pasoù se loger dans l'attente de l’exécution de toutes ces mesures,notamment lorsqu’elle a déclaré au cours de l'audience qu'ellecompte consommer la période de sa retraite légale au foyer conjugal.Le juge ne fixe pas les indemnités de logement lors de la période deretraite légale Al Idda mais immédiatement après la dernière audienceet après le dépôt de l'argent à la caisse du tribunal. L'époux expulsionson épouse du domicile conjugal, la privant de ses effets personnels,qu'elle ne peut plus récupérer naturellement, même devant le juge dufond, pour défaut de preuve.

L'élément nouveau apporté par l'organisation judiciaire dans lecadre du nouveau Code de la famille est que ces procédures s'opèrentpar un jugement de fond prononcé par les tribunaux composés d’unprésident et de deux juges, vêtus de leurs toges lors des audiences,ainsi que du secrétaire-greffier. Auparavant et même aprèsl'amendement de septembre 1993, un juge unique gérait l'audiencesans sa tenue judiciaire officielle, de même pour le secrétaire-greffier.Ceci concerne la forme.

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Pour ce qui concerne les mesures suivantes, on ne se contente plus,après le divorce, d'une seule copie exécutoire de l'ordonnance du jugechargé du notariat, laquelle copie reprend les indemnités de divorcetelles que la consolation, la pension alimentaire lors de la période deretraite légale, l'organisation du droit de visite de l'enfant mis soustutelle, les indemnités de logement lors de la période de retraite légale,le reliquat de la dot. Les choses ont changé. Depuis la promulgationdu nouveau Code de la famille, on dresse deux copies du jugement :une, ordinaire et une, exécutoire, sur laquelle le juge peut ajouter lesindemnités de garde et de logement de l'enfant mineur tel que prévupar le code dans son article 168, indépendamment de la totalité deséléments en échange de la pension.

2. Audiences de divorce et de divorce pour discorde, code 32

Les audiences de divorce sont communément appelées audiencesde divorce pour cause de discorde, car elle sont les plus nombreuses.Les dossiers de divorce pour préjudice de délaissement et abandonet de vices rédhibitoires sont presque inexistants, exception faitecependant des dossiers de divorce pour absence du mari ou pourdéfaut de pension alimentaire, dont la procédure et les formalités sontbeaucoup plus longues. La raison est que l'épouse préfère agir selonla procédure de divorce pour discorde qui la dispense de prouver lepréjudice, le vice ou autre.

Les audiences se déroulent dans la même chambre de conseilaffectée aux audiences de divorce et de divorce par consentement.Cependant, la présidence de la section a organisé les audiences dedivorce le matin et les audiences de divorce judiciaire l'après-midi, saufles dernières audiences de divorce pour discorde qui se tiennent lejeudi matin, en raison de leur aspect de référé et au cours desquellesles avocats se présentent seuls, car les parties sont dispensées decomparaître. Celle-ci comparaissent cependant à titre personnel si ellesne sont pas assistées par un avocat. La différence par rapport auxaudiences de divorce judiciaire est que la procédure est beaucoup pluslongue. L'époux marocain n'a pas encore l'habitude d'être convoquéau tribunal pour divorcer de son épouse contre son gré. Il fait alorsdéfaut aux audiences pour moult raisons.

Même quand les deux parties sont présentes, il y a une certaine peuret une certaine gêne chez les femmes qui demandent le divorce pour

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discorde, notamment lors de la comparution à l'audience. Au début,les femmes renonçaient à leurs indemnités et à leurs droits de divorce,car elles croyaient que, à défaut, elles n'obtiendraient pas leurdivorce.

Il y avait une confusion entre le divorce par compensation et ledivorce pour discorde. De même, les circonstances de l'audience et lefait que juge de paix persistait à essayer de convaincre l'épouse de serétracter avaient pour conséquence qu'elles ne comprenaient pas bienleur droit au divorce, tel qu’édicté par le législateur. J'ai eu l'occasionde constater l'état hystérique de certaines épouses après ou lors del'audience parce que le juge de paix insistait pour qu’elles reviennentsur leur décision. Mais les choses ont changé, et le juge de paix secontente désormais de procéder à une tentative de conciliation entreles deux parties et de les inciter à se faire assister par deux arbitrespour tenter de se réconcilier. On demande par la suite à l'épouse si ellepersiste ou pas. Après quoi, le dossier est mis en délibéré.

Il est à noter que les juges chargés du divorce pour discorde insistentsur la question des deux arbitres, car c’est une mesure essentielle. S’iln’y en a pas, le dossier reste tributaire de multiples retards, à tel pointque la procédure de divorce pour cause de discorde n’est souvent pasclose dans les six mois, comme le prévoit le dernier paragraphe del'article 97 du Code de la famille.

Contrairement à ce qui se faisait auparavant, le juge de paix expliqueà l'épouse qu'elle doit fixer ses exigences en termes d’indemnités dedivorce. Tout comme il l'informe qu'elle a le droit d'obtenir de tellesindemnités, pour elle et ses enfants, même si c’est elle qui demandele divorce. Généralement, celle-ci présente ces demandes avantl’enrôlement du dossier en l'audience du jeudi, où la cour estcomposée du président de la séance, de deux juges et d'un secrétaire-greffier, mais toujours en l'absence du représentant du ministère public.

Il est à remarquer, par ailleurs, que pour le divorce pour discorde,les avocats sont plus nombreux que pour le divorce et le divorce parconsentement mutuel. La raison est probablement qu'il s'agit d'uneprocédure nouvelle nécessitant plusieurs démarches de forme ouencore peut-être parce que l'épouse a besoin d’être rassurée par laprésence d'une personne qui pourra l’aider à réaliser son souhait.Contrairement à ce que croient généralement les femmes, même si ellessont au courant de la procédure de divorce pour discorde, elles ne

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percevront pas leurs indemnités immédiatement après la rédactionde l'acte de divorce. En réalité, après le jugement et l’obtention de lacopie du jugement, elles sont obligées de notifier le jugement à leurépoux, même si celui-ci était présent lors des audiences, contrairementà ce qui se passe pour les audiences de répudiation dont l'initiativerevient à l'homme. Après la notification, elles sont tenues de présenterl'attestation de notification avec une copie exécutoire. L'acte de divorceest établi en l'absence des deux parties, contrairement à la répudiationqui est prononcée par l'époux. L'épouse doit attendre l'expiration dudélai d'appel fixé à 15 jours, conformément aux dispositions du dernierparagraphe de l'article 134 du Code de procédure civile.

Dans le cas de non-appel du jugement en ce qui concerne lesindemnités, parce que le jugement de divorce est définitif, irrévocableet susceptible d'aucun recours de la part de l'époux, les femmes doiventobtenir une attestation de non-opposition ou d’appel pour pouvoirintroduire une demande d'exécution à l'encontre de l'époux. Mais sicelui-ci fait appel du jugement, elles doivent alors attendre la fin dela procédure qui sera engagée par-devant la cour d'appel, dans sachambre de statut personnel. C'est cela justement qui nous amène àdemander l’instauration d’une caisse de solidarité.

En ce qui concerne les audiences de divorce, de divorce parconsentement mutuel et de divorce judiciaire en la chambre de conseildans les autres sections de la Justice de la famille de Kénitra ou Salé,dans l'ensemble, elles se ressemblent quant au fond. Mais dans la forme,la problématique de l'accueil des justiciables et des avocats àl’extérieur de la chambre du conseil est beaucoup plus compliquéequ’à Rabat, à cause de la configuration différente des bâtiments.

3. Les audiences de divorce par procuration

Ce genre d'audience ne se déroule en fait que dans la section dela Justice de la famille de Rabat. C'est d'ailleurs le président de la sectionqui préside et gère cette audience, et personne d'autre. Les audiencesse tiennent dans son bureau, qui devient ainsi une chambre de conseil.N'y assistent que les justiciables en tant que mandataires agissant aunom de leurs mandants se trouvant à l'étranger ainsi que leurdéfense. Le président (assisté du secrétaire-greffier) examineminutieusement toutes les pièces du dossier et vérifie l'existence dela personne concernée à l'étranger, par le biais de la signature de la

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procuration et la légalisation de cette signature auprès du consulatdu Maroc dans le pays où réside le mandant. Il vérifie aussi lalégalisation des documents par les services compétents du ministèremarocain des Affaires étrangères. La procuration doit comporter lesnoms complets des mandants et de leurs mandataires, le numéro deleur carte d'identité nationale ou de leur passeport, ainsi que le motifdu litige, l'existence ou non d'enfants, la déclaration de l'épouseprécisant si elle est enceinte ou pas. En cas d'audience ultérieure, leprésident demande aux mandataires ou aux avocats de produire uneautre attestation, même envoyée par télécopie de l'Etat étranger,signifiant la position définitive des deux parties.

Toutefois, les audiences de divorce par procuration doivent avoirlieu avec l'accord des deux parties, quand il s'agit de divorce parconsentement mutuel. Le président émet la condition que la requêteinitiale présentée à la caisse du tribunal ne soit pas signée seulementpar l’époux ou son mandataire. Ainsi, bien que cette procédure enapplication à la section de la justice de la famille de Rabat soit uneprocédure qui sert l'intérêt de beaucoup de nos ressortissantstravaillant à l'étranger et ne pouvant comparaître aux audiences dedivorce et de divorce judiciaire en raison de la non régularisation deleur situation légale dans les pays d'accueil, le problème reste posépour le divorce pour cause de discorde et pour d'autres causes devantle refus de l'époux à divorcer de son épouse.

Dans le nouveau Code de la famille, le législateur a remédié auproblème du mariage en prenant acte par-devant deux témoinsmusulmans, en cas de défaut d'adouls et de section notariale dans lesrégions ne disposant pas de consulats du Royaume du Maroc. Mais laquestion du divorce a été omise, et les deux parties sont ainsi dansl'obligation de se rendre au Maroc pour la régler. Nul n'ignore que,même lors de venue au Maroc pendant les vacances d'été, les partiesne cessent de rencontrer des difficultés dans l'accomplissement de laprocédure de divorce, même s’il s'agit de divorce par accord mutuel.

4. Les audiences des affaires d'adjonction de la mentiond'exécution aux jugements rendus à l'étranger (Exequatur)

Ces audiences sont publiques au même titre que celles portant surles affaires de la pension alimentaire, de la garde, etc. Mais leproblème, c'est qu'il y a une divergence d'opinion entre les sections

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de la Justice de la famille au sein de la même wilaya. A Salé, cetteprocédure est entravée, et le tribunal exige du requérant d’adjoindrela mention exécutoire (la procédure d’exequatur) et de procéder à lanotification à l'autre partie. Or, il s'avère souvent impossible de notifierà l'étranger. A Rabat, on se contente d'examiner les pièces jointes à lademande et de voir si l'objet du jugement est contraire aux règles dudroit en application au Maroc ou pas.

Ce document soulève également une multitude de problèmesquand on est dans l’impossibilité de trouver le défendeur pour lui fairepart de la notification, à la date de laquelle commence à courir le délaide pourvoi.

5. Le rôle du Ministère public au sein des sections de la Justice dela famille

A la première lecture du Code de la famille, on se rend compte quele ministère public est impliqué dans bon nombre de ses articles,contrairement à l'ancien Code du statut personnel, où le rôle duministère public apparaissait uniquement dans les dispositions del'article 9 du Code de procédure civile qui prévoyait le cas où cettesection était avisée d'affaires concernant les droits des mineurs ou ledivorce pour absence. La mesure n'était que formelle et de routine.Elle ne conférait pas au représentant du ministère public la qualité decontrôleur effectif de telles affaires.

Si l'on se réfère au nouveau Code de la famille, on constate qu'il aété élaboré pour préserver les droits des mineurs et maintenirl'équilibre de la famille. Mais pour autant, on constate qu’en réalité,dans les sections de la Justice de la famille de Rabat et sa banlieue,ce rôle n’est pas mis en application. Le rôle du ministère public est alorslimité aux seuls imprimés établis par le ministère pour émettre desobservations juridiques concernant les affaires qui lui sont notifiées.Or, les articles du Code de la famille attribuent au représentant duministère public un rôle beaucoup plus large.

Il en est ainsi de la question du retour du conjoint expulsé,conformément aux dispositions de l'article 53 qui stipulent : « Lorsquel'un des conjoints expulse l'autre du foyer conjugal sans motif, leministère public intervient pour ramener immédiatement la partieexpulsée au foyer conjugal en prenant les mesures garantissant sasécurité et sa protection. »

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Or, en fait, on ne constate pas une application parfaite de tellesdispositions. Lorsque l'un des deux conjoints – et c'est généralementl'épouse qui se trouve expulsée avec ses enfants – demande le retourau foyer conjugal, le parquet général prend contact avec la policejudiciaire qui accompagne cette épouse à son domicile et demandeà l'époux de lui permettre le retour immédiat au foyer conjugal Si leditépoux refuse, le ministère public n'intervient pas pour l'y obliger.

Mon cabinet a enregistré plusieurs de ces cas dans les sections dela Justice de la famille de Rabat, Salé ou Kénitra, à travers des affairesde femmes qui avaient carrément renoncé à une telle mesure car ellesavaient été victimes, en présence des voisins, d'agression physique etd'injures. Leur époux leur avait même confisqué leur carte d'identitéet d’autres pièces les concernant. En pareil cas, l'épouse se retrouvesans identité, puisque le ministère public n'oblige pas l'époux à luiremettre ses papiers, et vice-versa, quand c’est l’époux qui estexpulsé. Les services administratifs refusent d'établir une nouvelle unecarte d'identité quand il s'agit d'un problème familial ou d’une scènede ménage. « Les parties n'ont qu'à aller régulariser leur situationdevant les tribunaux de la famille » répondent-ils.

De plus, on enregistre beaucoup de cas de disputes en public devantles salles de la section de la Justice de la famille. Or, le bâtiment de lasection de la Justice de la famille de Rabat est le même qui abrite letribunal de commerce et le tribunal administratif. Quelle ne serait pasla surprise de l’investisseur étranger, venu y accomplir des formalitésà caractère commercial, en voyant ces scènes de violence et de disputes! Les agents de police affectés au service de ces tribunaux n'assurentpas leur rôle de protection des audiences. Peut-être n’ont-ils pas reçusuffisamment d'instructions de la part du ministère public ?

Par crainte d'être exposées à la violence de leur époux, beaucoupde femmes préfèrent ne pas se présenter aux audiences de divorcepour discorde, par exemple, ou aux audiences de pension alimentaireet d'attribution de garde, sauf si elles sont assistées par un membremasculin de leur famille. Parfois, les familles des épouses, frères et autresproches, attaquent l'époux. D'autres se lancent contre les avocats etmême contre les juges ! Personnellement, j'ai un jour été agressée dansla salle même des audiences de Rabat par un homme qui tentait defrapper son épouse. J'ai encaissé le coup par erreur, devant le juge quin'a pas réagi, car il y avait là tout près un agent de police… qui n'a rien

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fait pour arrêter l'agresseur ! A ce jour, je suis de nouveau menacéepar un homme dont je représente l'épouse dans une procédure dedivorce pour discorde à la section famille au tribunal de premièreinstance de Skhirat-Témara.

Il y a aussi le problème de la garde et du droit de visite. L'article 177prévoit que « le père, la mère et les proches parents de l'enfant soumisà la garde et tous tiers doivent aviser le ministère public de tous lespréjudices auxquels l'enfant serait exposé, afin qu'il accomplisse sondevoir de protection de l'enfant, y compris la demande de ladéchéance de la garde. » Le législateur a ainsi accordé de largesattributions au ministère public. Mais lorsque, munie des nombreuxprocès-verbaux de constat du refus de droit de visite d’un enfantmineur à son père, je demandai un jour au représentant du ministèrepublic d'accomplir les formalités garantissant ce droit, il refusa derépondre à ma requête.

6. Observations sur le déroulement des audiences réservéesaux affaires de polygamie

Bien que le législateur ait prévu, dans les dispositions de l'article44 du Code de la famille, que les débats doivent se dérouler dans lachambre de conseil, on constate qu'au cours des premières audiencesqui ont suivi la promulgation du Code, ces affaires s'enrôlaient auxaudiences publiques. Mais on s'est rattrapé par la suite. Les audiencesportant sur des affaires de polygamie se tiennent désormais dans lachambre de conseil.

L'époux comparaît, ainsi que son épouse, qui déclare le plus souventrefuser la demande de polygamie. De même que la future épouse seprésente pour être avisée que son fiancé est déjà marié. Cependant,on constate que le juge accorde plus d'intérêt aux ressourcesmatérielles de l'époux et à ses capacités à gérer deux foyers (sinon plus),alors que les dispositions de l'article 41 prévoient que : « Le tribunaln'autorise pas la polygamie dans les cas suivants : lorsque le motifobjectif exceptionnel n'est pas établi ; lorsque le demandeur ne disposepas de ressources suffisantes pour subvenir aux besoins des deuxfamilles et garantir tous les droits tels que l'entretien, le logement etl'égalité dans tous les aspects de la vie. »

Ainsi, une étude a démontré que 85 % des demandes de polygamieprésentées à la section de la Justice de la Famille à Rabat et

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Marrakech ont été reçues favorablement (*). Il en est de même desdemandes de mariage de mineurs, qui sont acceptées bien que neprésentant pas les justificatifs nécessaires. Ce n’est pas ce que voulaitle législateur en fixant l'âge du mariage de la jeune fille à 18 ans. Sonobjectif était de lui permettre de poursuivre son éducation et deparfaire son développement physique en vue de supporter lescharges de la grossesse, de l’accouchement, de l’allaitement, etc. C'estce à quoi aspiraient les diverses associations de défense des droits dela femme.

Conclusion

Cette contribution est le fruit des quelques notes que j'ai pu rédigerlors de mes passages dans les sections de la justice de la famille deRabat, Salé, Kénitra ou Skhirat-Témara. Je tiens à préciser que toutesces observations sont vraiment le reflet de la réalité. Et si j’ai dû évoquercertains responsables exerçant dans ce domaine de la justice de lafamille, c'est vraiment par amour pour ce secteur aussi sensible et aussiimportant, qui devrait faire l'objet de davantage d'intérêt. Car si les gensne se sentent pas à l'aise dans leur vie conjugale et si les liensmatrimoniaux deviennent insupportables, les membres de la famillene peuvent pas s’épanouir. De même, les difficultés matériellesrendent les femmes soumises et les amènent à accepter une vie faited'humiliations, d'insultes et de violence, à leur égard et à l'égard deleurs enfants, ces enfants dont l’avenir est ainsi hypothéqué… Pourlutter contre ce danger, il faudrait créer des centres d'hébergement,une caisse de solidarité sociale et prendre d'autres dispositions pouréviter le phénomène des enfants sans domicile fixe, pour éviter laprostitution, la mendicité et les autres fléaux qui se nourrissentgénéralement du désarroi et de la dislocation de la famille.

Le divorce ne signifie pas fatalement la désunion de la famille. Laséparation peut être un soulagement si l’on arrive à garantir ses droitsà chacun des membres de la famille et à assurer aux enfants mineursune vie stable.

Dans ce sens, nous proposons ci-après quelques recommandations.

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* Etude faite par la Ligue des droits de la femme.

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Recommandations

De l’enregistrement des audiences

Il serait nécessaire que les procédures rendent obligatoirel'intervention de l'avocat lors de l'engagement de l'affaire et pour sapoursuite. Ceci contribuera grandement à instaurer le calme et la sérénitédans la gestion des affaires et dans l'assistance à la justice par des genscompétents, avec la possibilité de solliciter l'assistance judiciaire au profitde ceux qui n’ont pas les moyens de prendre un avocat.

Du déroulement des audiences

Il serait nécessaire de multiplier le nombre de juges et de salles afind’éviter que perdurent des situations comme celles où des conjointssont obligés de partager le même toit après que l’un d’eux ait entaméune procédure de divorce.

Des entrées dans les tribunaux et de l’accès aux salles

Nous proposons d'établir une liste portant les numéros desaudiences, les noms des justiciables, des témoins et des arbitres desdeux conjoints, de remettre cette liste au gardien de la paix à la portedu tribunal ; celui-ci vérifiera l'identité des visiteurs et s’assurera quele justiciable accède bien au tribunal et à la salle des audiences.

Des audiences de divorce et de divorce par consentement mutuel

On a constaté que le ministère public est carrément inexistant dansla section de la justice de la famille. De même que les agents de policen'interviennent pas rapidement et sérieusement. Il serait doncsouhaitable que le rôle du ministère public soit réactivé et qu'il soitsuffisamment doté en agents, téléphones, moyens de communicationrapide avec la police judiciaire.

• Pour ce qui est de l’exéquatur

Il serait souhaitable d'assouplir les procédures d’exequatur quidemeurent sans effet lorsque l'acte de notification se trouve entravé.

• Pour ce qui est de la procédure de retrait du chèque et de l’acte dedivorce à la fin de la procédure

Nous proposons de transcrire le nom de l'adel qui a reçu le dossierau verso de celui-ci sur le registre du tribunal, comme c’est le caslorsqu'on désigne un avocat pour la défense d'une partie : le juge oule secrétaire-greffier inscrivent le nom de l'avocat au verso du dossieret sur le registre du déroulement des audiences.

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Introduction

La promulgation du nouveau code de la famille (NCF) a étéconsidérée comme un signal fort dont la dimension politique n’aéchappé à personne. En effet, le mécontentement engendré par laprécédente tentative de réforme de la Moudouana avait fini par semerle doute dans les esprits quant à l’avancée des droits des femmes dansnotre pays. Il est vrai que l’avènement du nouveau règne, qui s’estdéclaré résolument engagé sur la voie de la démocratie et durespect des droits humains, a suscité à nouveau l’espoir de voir revenirsur les devants de la scène nationale, la grande question du droit dela famille au Maroc. Or, il paraissait évident que l’ancrage du pays à lamodernité et aux valeurs universelles ne pouvait se faire tant que lafamille, pilier de la société, offrait l’image d’un espace marqué parl’inégalité.

En redonnant aux femmes marocaines la considération qui leurrevient et en plaçant la famille au centre de ses préoccupations, lelégislateur a innové en abordant la question sous un angle nouveauqui tente de réduire la hiérarchisation des rapports au sein de la cellulefamiliale. Désormais, cette cellule est considérée dans sa globalité etnon comme une juxtaposition d’individualités. Ceci ressort clairementdu discours prononcé par le Roi à l’occasion de l’ouverture de la7e législature : « Le code ne doit pas être considéré comme une loiédictée à l’intention exclusive de la femme, mais plutôt comme undispositif destiné à toute la famille, père, mère et enfants. » L’appellationmême de « Code de la famille » qui vient remplacer celle plusréductrice de « Code de statut personnel » et successoral,communément appelé « Moudouana », participe de cet esprit.

Chapitre VAnalyse de la jurisprudence

Rabha Zeidguy *

* Professeure à l’Ecole Nationale de l’Administration Publique.

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En outre, en instaurant l’égalité dans les relations conjugales, lelégislateur donne le ton en n’hésitant pas à remettre en cause leprincipe séculaire de la suprématie de l’homme au sein de la famillepatriarcale. Le nouveau code place la famille sous la responsabilitéconjointe des deux époux et met un terme à la dichotomie quicaractérisait le statut des femmes marocaines, déclarées par laconstitution égales aux hommes dans l’espace public, mais enferméesdans un espace privé foncièrement inégalitaire. Conscient du rôle dela famille dans la construction démocratique du pays, le NCF vise à fairedu cercle familial un espace d’épanouissement, marqué par lesvaleurs fondamentales de justice, d’équité, de partage, d’affection etde sérénité.

Cette volonté égalitariste du législateur trouve son expression dansles différentes innovations introduites par le code. C’est ainsi que lacapacité matrimoniale s’acquiert désormais sans distinction entre legarçon et la fille, à l’âge de dix huit ans grégoriens révolus, que la tutellematrimoniale considérée comme un droit qui appartient à la femme,n’est plus une condition de validité du lien matrimonial et estexercée par elle, lorsqu’elle est majeure, selon son choix et son intérêt,que le droit de la femme à demander le divorce judiciaire a été renforcépar l’inclusion de nouveaux motifs : manquement de l’époux à l’unedes conditions stipulées dans l’acte de mariage, préjudice subi, défautd’entretien, abandon du domicile conjugal, violences ou tout autresévice. Dans le même sens, le code retient un nouveau mode de divorcejudiciaire à travers la procédure de « chiqaq », institue le divorce parconsentement mutuel sous le contrôle du juge et prévoit la possibilitépour les époux de convenir du mode de gestion des biens acquis encommun dans un document annexé à l’acte de mariage, tout endonnant au juge le pouvoir d’appréciation en matière de partage debiens acquis pendant l’union.

S’agissant de la protection des droits de l’enfant, le NCF met en avantl’intérêt de celui-ci, notamment en cas de dissolution des liens dumariage, en plaçant la mère à la tête des dévolutaires de la garde del’enfant jusqu’à l’âge de 15 ans, âge où il pourra choisir avec lequelde ses parents il désire vivre et en organisant le droit de visite.

Par ailleurs, concernant les deux points névralgiques, sourcesd’inégalité par excellence au sein du couple, que sont le droit de divorcereconnu à l’époux et la polygamie, force est de constater qu’ils

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représentent un bémol dans ce que d’aucuns n’ont pas hésité à qualifierde « véritable révolution ». Sans aller jusqu’à supprimer ce modeinégalitaire de dissolution des liens du mariage, le législateur s’en tientà la méthode employée lors de la dernière révision de la Moudouanaet qui consiste à enserrer cette prérogative du mari dans un cadreprocédural protecteur des droits des femmes. C’est ainsi que l’époux (1)

qui désire divorcer, doit demander au tribunal l’autorisation de faireconstater l’acte de divorce, de même qu’il doit s’acquitter des droitsdus à l’épouse et à ses enfants auprès du greffe du tribunal,préalablement à l’enregistrement du divorce. Il convient de mentionnerque tout divorce, quelle qu’en soit la cause, ne peut intervenir sans êtreprécédé d’une séance de conciliation. En cas de présence d’enfantset si la première tentative n’a pas abouti, le code exige qu’il y ait uneseconde tentative. Quant à la polygamie, le législateur n’a pas oséfranchir le pas et s’est contenté de la soumettre à l’autorisation du juge,chargé d’apprécier les conditions auxquelles elle est désormaissoumise.

Le rôle central accordé au juge par le législateur entraîne une fortejudiciarisation du droit de la famille au Maroc. Celle-ci fait peser unelourde responsabilité sur les magistrats, dans la mesure où la réussitede la mise en œuvre des dispositions du NCF dépend grandement del’application qu’ils vont en faire. Conscient de l’importance de cet enjeu,le discours royal précité précise que la réussite de cette mise en œuvre« reste tributaire de la création de juridictions de la famille qui soientéquitables, modernes et efficientes ».

Aujourd’hui, un pas important a été fait dans ce sens avec la créationauprès des tribunaux de première instance, de sections dédiées à lafamille. De fait, l’objet de la présente étude consiste à tenter, à traversl’analyse d’un certain nombre de décisions jurisprudentielles relativesaux principales innovations introduites par le NCF, de faire ressortirl’application qui en est faite par les magistrats. Ces derniers s’inscrivent-ils dans la nouvelle dynamique porteuse d’égalité insufflée par lenouveau texte, ou se montrent-ils conservateurs et défenseurs del’ordre ancien ? Le juge de la famille remplit-il son rôle créateur en semontrant innovant dans le cadre de l’Ijtihad ou fait-il montre de frilositéet de conformisme dans ses décisions ?

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(1) L’épouse bénéficie également de cette prérogative si elle s’est réservée le droit d’option.

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Certes, l’on peut facilement arguer que l’on ne dispose pas desuffisamment de recul, après seulement deux années d’application dunouveau texte, pour déceler un changement significatif dans lecomportement des juges. Eux-mêmes auraient besoin de temps pours’approprier un texte avec lequel ils ne sont pas toujours en phase. Ilne fait aucun doute qu’il s’agit là d’un élément important dont il faudratenir compte car, en définitive, le juge n’est que le produit de la sociétédans laquelle il évolue. Il véhicule ses valeurs, mais également sesambivalences, si ce ne sont ses incohérences. C’est donc à une véritableintrospection qu’il doit se livrer, pour s’inscrire dans la logiqueégalitaire prônée par le nouveau code. Et c’est précisément à ce niveauque se situe le nœud du problème. En effet, comment parviendra-t-il à s’adapter à un contexte et à faire siens des principes pour lesquelsni son environnement social, ni souvent sa formation, ne l’ontpréparé ? La chose se complique davantage eu égard à la spécificitédu droit de la famille, au confluent du religieux, du social et du politique.

Sans prétendre donner une réponse catégorique à la questionposée, l’analyse des décisions judiciaires qui constituent le champ dela présente étude permettra néanmoins de déceler l’esprit avec lequelles magistrats abordent les nouvelles dispositions du code etd’apprécier ainsi leur degré d’adhésion au principe de l’égalité,notamment dans des domaines où le législateur leur accorde un largepouvoir d’appréciation tels le divorce judiciaire et ses effets (2).

I. Le juge face au divorce judiciaire

Avant de tenter de dégager l’attitude du juge face au divorcejudiciaire à travers l’analyse de la jurisprudence issue du nouveau codede la famille, il convient de rappeler que la possibilité pour les femmesde recourir au divorce judiciaire existait sous l’ancienne Moudouanaqui lui consacrait ses articles 53 à 58. Les motifs retenus étaient le défautd’entretien de l’épouse par son mari, la découverte d’un vicerédhibitoire chez son conjoint, le fait qu’elle soit sujette à des sévices

220 Le Code de la famille

(2) Les décisions dont nous avons pu disposer portent sur le divorce judiciaire pour raisonde discorde « chiqaq », le divorce judiciaire pour défaut d’entretien, le divorce judiciairepour préjudice subi, le divorce judiciaire pour absence de l’époux, le divorce judiciaire parconsentement mutuel, la répartition des biens acquis pendant le mariage, la représentationlégale, la garde de l’enfant (hadana), la pension alimentaire (nafaqua), l’exequatur desjugements étrangers.

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de la part de celui-ci, l’absence du mari pendant plus d’une année dansun lieu connu et sans motif valable, le serment de continence ou dedélaissement prêté par le mari.

Toutefois, le déclenchement de l’une de ces procédures parl’épouse relevait d’un véritable parcours du combattant, de parl’impossibilité dans laquelle elle se trouvait souvent de rapporter lapreuve de ses allégations et de par la lenteur des procédures dont ladurée se comptaient en années. Ce qui enlevait toute efficacité à cemode de dissolution du mariage censé la protéger contre les abus deson mari.

Afin de palier ces difficultés, le nouveau code propose unrenforcement des droits des femmes dans ce domaine, enréaménageant certaines dispositions existantes, telles celles relativesau défaut d’entretien, mais surtout en introduisant de nouveaux modesde divorce judiciaire et en fixant les délais d’exécution des procéduresde divorce.

C’est ainsi que le législateur introduit le divorce judiciaire pour raisonde discorde ou « chiqaq ». L’une des particularités de ce nouveau mode,sur lequel nous reviendrons plus loin, est qu’il peut être utiliséindifféremment par l’épouse ou par l’époux, alors que les autrespossibilités prévues par le Code ne concernent que les femmes.

Outre la discorde entre les époux, le Code prévoit le manquementdu mari à l’une des conditions stipulées dans l’acte de mariage commenouvelle cause de divorce judiciaire. De fait, le législateur établit un lienentre cette cause et celle de préjudice qui remplace, à juste titre, la notiondégradante de « sévices » qui existait dans l’ancienne Moudouana.

1. Le juge et le divorce judiciaire pour raison de discorde« chiqaq »

S’appuyant sur le verset 35 de la Sourate IV « An nissae » (lesfemmes), le législateur de 2004, a introduit un nouveau mode dedivorce judiciaire dans le droit de la famille au Maroc : le divorcejudiciaire pour raison de discorde ou « chiqaq ».

En effet, le verset 35 précité dit « Si vous craignez qu’il y ait discordeentre les époux, faites alors appel à deux arbitres issus l’un de la familledu mari, l’autre de la famille de l’épouse. Si les deux arbitres veulent

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vraiment les réconcilier, Allah les aidera dans leur tâche et fera aboutirleurs tentatives. Allah est Tout -savant et parfaitement informé (3) ».

Cette nouvelle possibilité qui constitue, pour les femmes, l’une desavancées majeures introduites par le nouveau code, n’est pourtant pasl’apanage des seules épouses. En effet, aussi bien l’intitulé du chapitrepremier du Titre IV qui traite du divorce judiciaire « tatliq », que l’article94 du Code, réservent cette possibilité aux deux époux ou à l’un d’eux (4).

Contrairement à l’ancien texte qui n’offrait au couple en difficultéaucune autre alternative que celle de mettre brutalement fin à l’unionconjugale par la répudiation prononcée unilatéralement par le mariou, de manière plus limitée, par le divorce judiciaire, cette nouvelleprocédure permet à l’un ou l’autre époux de saisir le juge pour luiexposer le différend qui l’oppose à son conjoint et qui risque, si rienn’est fait, de conduire à la dissolution du mariage. Une fois saisi, letribunal entreprend une tentative de conciliation en désignant deuxarbitres ou le conseil de famille ou toute autre personne qualifiée pourrésoudre le différend qui oppose les deux époux. Il convient de noterqu’en cas d’existence d’enfants, le juge est tenu d’entreprendre uneseconde tentative de conciliation, dans un délai de trente jours aprèsla première. Si la conciliation s’avère impossible et si la discorde persiste,le tribunal prononce le divorce.

Il ne fait aucun doute que la procédure de « chiqaq » constitue pourles femmes une arme précieuse, dans la mesure où le législateur leurpermet d’y recourir chaque fois qu’elles se heurtent à des difficultésqui les empêchent de faire aboutir leurs demandes de divorcejudiciaire fondées sur les autres motifs prévus par le Code. Il en est ainsilorsqu’un des conjoints persiste à manquer aux obligations quinaissent des droits et obligations réciproques du couple, tels que prévuspar l’article 51 du Code, ou que l’épouse ne parvient pas à prouver lesfaits constituant le préjudice souffert du fait de son mari (article 100),ou qu’elle persiste dans sa demande de divorce par Khol’

222 Le Code de la famille

(3) Traduction de Mohamed Benchekroun, Coran et traduction, t. II, édité par l’auteur,2e édition, Rabat, 1996, p. 147.(4) Le chapitre 1er parle « du divorce judiciaire sur demande de l’un des époux pour raisonde discorde « chiqaq » et l’article 94 dispose : « Lorsque les deux époux ou l’un d’eux,demandent au tribunal de régler un différend les opposant et qui risquerait d’aboutir àleur discorde, il incombe au tribunal d’entreprendre toutes tentatives en vue de leurconciliation, conformément aux dispositions de l’article 82 ci-dessus. »

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(compensation) et que le mari s’y oppose (article 120), ou encore sielle refuse la reprise de la vie conjugale pendant la période decontinence en cas de divorce révocable (article 124). Le législateur vamême plus loin en permettant au tribunal d’appliquer d’office laprocédure de « chiqaq » en matière de polygamie, lorsque l’épouxpersiste à demander l’autorisation de prendre une autre épouse et quela première refuse, sans pour autant demander le divorce (article 45dernier alinéa ). Cette dernière prérogative accordée par le législateurau juge constitue un progrès indéniable et un frein réel à lapolygamie, dans la mesure où la faculté offerte à l’épouse, tant parl’ancien que par le nouveau texte, de se réserver lors de l’établissementde l’acte de mariage, la possibilité de demander le divorce judiciairesi son mari désire lui adjoindre une coépouse, n’est que très rarementutilisée dans la pratique. En effet, le poids de la tradition empêche deplacer le mariage d’emblée sous le signe de la méfiance.

En montrant à l’épouse la voie à suivre dans des domaines où ellese trouvait, sous l’empire de l’ancien texte, complètement démunie faceau pouvoir discrétionnaire du mari de la répudier, le nouveau Codeétablit une certaine égalité entre les époux face à la dissolution desliens du mariage, même s’il a maintenu la répudiation.

Si les efforts consentis par le législateur en vue de réduire lesinégalités entre les conjoints au sein de la cellule familiale sont louables,ils ne peuvent atteindre leur objectif que si le juge s’inscrit dans lamême logique. Dès lors, l’analyse de la jurisprudence relative au divorcejudiciaire pour raison de « chiqaq » s’avère utile, dans la mesure où elleconstituera un indice révélateur de l’attitude du juge face à un modede dissolution du mariage qui se veut égalitaire. Ceci devra apparaîtranotamment à travers l’appréciation qu’il fera de la notion de « chiqaq »ou discorde (A).

En outre, hormis la manière dont le juge aborde la procédure de« chiqaq », il semble intéressant de s’interroger sur l’utilisation faitepar les femmes de cette nouvelle prérogative légale qui vient élargirson droit de demander le divorce judiciaire ? (B).

A. Comment le juge apprécie-t-il la notion de « chiqaq » ou discorde ?

Contrairement à certaines dispositions relatives aux autres causesde divorce judiciaire, celles traitant du divorce judiciaire pour raison de« chiqaq » ne comportent pas d’indication sur le contenu de cette notion.

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En effet, les rédacteurs du Code prennent bien soin de préciser, dansl’article 99 qui traite du manquement à l’une des conditions stipuléesdans l’acte de mariage ou du préjudice, ce qu’ils entendent parpréjudice justifiant la demande de divorce judiciaire. Il en est de mêmede l’article 107 relatif aux vices rédhibitoires qui énonce que « sontconsidérés comme vices rédhibitoires pouvant compromettre la vieconjugale et permettant de demander d’y mettre fin : 1. Les vicesempêchant les rapports conjugaux ; 2. Les maladies mettant en dangerla vie de l’autre époux ou sa santé et dont on ne peut espérer laguérison dans le délai d’une année ».

En revanche, l’article 94 se contente de parler de « différend » quioppose les époux et qui risquerait d’aboutir à leur discorde, sans donnerde précision sur le ou les caractère (s) que doit revêtir ce différend pourjustifier le divorce judiciaire. Ce faisant, le Code dote le juge d’un largepouvoir d’appréciation en la matière. Dès lors, il s’avère intéressant devoir, à travers la jurisprudence analysée comment se manifeste cepouvoir du juge et quel usage il en fait. Comment appréhende-t-il lanotion de « chiqaq » et quel contenu lui donne-t-il ? Sera-t-il tenté deréduire la portée pratique de la nouvelle procédure en enserrant lanotion de « chiqaq » dans un cadre restreint, ou abondera-t-il dans lesens de l’ouverture insufflée par le nouveau Code, en faisant uneinterprétation extensive de ce vocable.

Il est vrai que le terme « chiqaq », qui renvoie à la notion de « fêlure »de « fracture », revêt une intensité suffisamment forte pour considérerque le différend qui en est la cause doit être caractérisé par une certainegravité. On rappellera que lors des travaux préparatoires du Code, latraduction de ce terme en langue française ne s’est pas faite sansdifficulté et que, en définitive, le choix fut porté sur le vocable« discorde » (5). On rappellera également que l’article 70 du Code préciseque la dissolution du mariage qualifié par l’article 4 de « pacte fondésur le consentement mutuel, en vue d’établir une union légale et

224 Le Code de la famille

(5) Il est significatif de relever que dans les traductions les plus connues du Coran, lesdifférents auteurs ont à chaque fois donné une traduction différente du terme « chiqaq ».C’est ainsi que Cheikh Si Hamza Boubakeur emploie le terme « scission », Le Coran, t. I, Fayard,Paris, 1985, 3e édition , p. 294 ; J. Berque retient le terme « séparation », Le Coran, essai detraduction, Albin Michel, Paris, 1955, p. 101 ; O. Pesle et A. Tidjani emploient unepériphrase : « rompent leur lien », Le Coran, éd. Larose, Paris et F. Moncho à Rabat, p. 50 ;M. Chiadmi, Le Saint Coran, édité par l’auteur, Rabat 1999, p. 62 et M. Benchekroun, précité,qui emploie le terme “discorde”, sur lequel s’est porté le choix des rédacteurs du Code.

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durable, entre un homme et une femme… », doit demeurerexceptionnelle et prendre en considération la règle du moindre mal,étant donné les effets qu’elle produit sur la cohésion familiale et lesintérêts des enfants. D’ailleurs, les magistrats emploient souvent dansleurs motivations la formulation suivante : « Attendu que le butrecherché à travers le mariage est l’affection, la clémence, le respectmutuel et non la discorde, les plaintes et la rétention abusive del’épouse, wa la tamsikouhounna dararan litaâtadou. »

La liste des motifs retenus par les magistrats pour motiver leursdécisions de divorce pour cause de « chiqaq » renseigne sur leurappréciation de ce vocable :

– manquement de l’époux aux obligations nées du mariage ;– mauvais traitement de l’épouse ;– l’époux déclare à son épouse qu’il n’apprécie plus sa compagnie,

qu’elle ne convient plus à son niveau social et qu’il connaît unenouvelle femme ;

– défaut d’entretien ;– manque de respect ;– coup, blessures, injures, menaces, diffamation, violence physique

et morale,– incompatibilité de caractère ;– divergence de pensée, de coutumes et de mode de vie ;– privation de l’épouse de ses droits légitimes ;– but recherché à travers le mariage ne visait pas la vie commune ;– impossibilité de vivre sous le même toit ;– changement radical dans le comportement de l’époux, sans raison

au point où la vie commune est devenue un enfer ;– abandon de famille ;– étrangeté du caractère de l’époux ;– serment de continence (Liân) prononcé à plusieurs reprises ;– enlèvement d’enfants et pression sur la mère pour qu’elle

renonce à ses droits et à ceux de ses enfants ;– épouse laissée chez ses parents sans consommer le mariage ;– épouse chassée du domicile conjugal avec ses enfants en lui

retirant tous ses biens ;– l’épouse donne naissance à son enfant dans sa famille sans que

son mari lui rende visite et sans qu’il débourse les frais dubaptême ;

– adultère ;

225Perceptions et pratique judiciaire

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– délaissement (Hajr) ;– époux alcoolique et drogué ;– époux trafiquant de drogue ;– interdiction faite à l’épouse par son mari de se rendre dans sa

famille ou de recevoir ses proches ;– l’époux prive l’épouse de son salaire et utilise celui-ci pour payer

des crédits sans rapport avec les intérêts de la famille ;– avarice, jalousie, manque de confiance ;– l’épouse découvre que son mari est chômeur ;– le mari exige des rapports contre nature.

La variété des motifs retenus montre que les magistrats font uneappréciation extensive de la notion de « différend » qui conduit au« chiqaq ». Parfois, ils vont même plus loin, puisque certains jugementsse contentent de phrases lapidaires telles que : « le mauvais traitementdont souffre l’épouse rend la vie commune impossible (6) » ou« l’époux ne se conforme pas aux obligations nées du mariage » ouencore « la situation est devenue très compliquée » pour prononcerle divorce pour raison de discorde.

En outre, des jugements, encore assez rares, laissent apparaître unecertaine ouverture d’esprit des juges sur des points sur lesquels ils semontraient généralement plus conservateurs sous l’empire del’ancienne Moudouana, tels l’obligation de cohabitation. Cetteobligation est également reprise par le nouveau texte dans sonarticle 51 qui traite des droits et devoirs réciproques entre conjoints.Toutefois, contrairement à l’ancien texte, qui était très lapidaire et quise contentait de parler de la cohabitation sans l’expliciter, l’article 51,prend soin, pour lui donner plus de poids, de la qualifier de « légale »et de préciser ce qu’elle implique, en termes de rapports au sein ducouple, d’égalité de traitement en cas de polygamie, de pureté, defidélité mutuelle, de vertu et de préservation de l’honneur et de lalignée.

On citera à cet effet, trois décisions du tribunal de 1re instance deRabat : la première en date du 17 février 2005 (7), la deuxième du31mars 2005 (8) et la troisième du 24 janvier 2005 (9).

226 Le Code de la famille

(6) Tribunal de 1re instance de Rabat, 17 février 2005, dossier n° 32/703/04, inédit.(7) Dossier n° 32/277/04, inédit.(8) Dossier n° 32/422/04, inédit.(9) Dossier n° 32/433/04, inédit.

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Dans la première espèce, l’épouse a intenté contre son époux uneaction en divorce judiciaire pour cause de discorde, en faisant valoirque leur cohabitation est rendue impossible du fait qu’elle réside auxEtats-Unis et que lui vit et travaille à Rabat, qu’aucun d’eux ne peutrejoindre l’autre et que cette situation qui leur est imposée empêchetoute cohabitation et tout attachement entre eux, qu’ainsi, la relationconjugale ne répond plus à ses objectifs légitimes et que de ce fait,elle constitue pour chacun d’eux une source de préjudice.

Le mari a déclaré accepter la demande présentée par son épouse.

La tentative de conciliation ayant échoué, le tribunal a déclarérecevable la demande de l’épouse.

La position du tribunal dans cette affaire est assez significative, dansla mesure où le motif du divorce réside dans l’éloignement de l’épouseet non dans celui de l’époux, comme c’est généralement le cas, et dansle fait que c’est elle qui a initié la procédure de divorce. L’attitude desjuges est intéressante, car on aurait pu s’attendre à ce qu’ils refusentle motif avancé par l’épouse pour l’obliger à rejoindre le domicileconjugal. En fait, les magistrats, dans l’un des attendus du jugement,n’ont pas hésité à se référer au mémoire présenté par la défense del’épouse qui précise que « le contenu du terme « chiqaq » est large »qu’ « il inclut toute situation qui rend difficile la continuité de la relationconjugale et qu’« il n’existe pas de « chiqaq » plus grave que l’absencede cohabitation des époux ». Cette référence expresse conforte ce quise dégage de la variété des motifs précités.Toutefois, la portée de cejugement doit être nuancée, car deux éléments importants ontcertainement dû faciliter le travail des magistrats. D’une part, le faitque le mari, dès le départ, ne se soit pas opposé à la demande del’épouse et, d’autre part, le fait que celle-ci ait renoncé à tous ses droitsnés du divorce judiciaire.

Dans la deuxième espèce, l’épouse qui vit en France, intente contreson époux, une action en divorce judiciaire pour raison de discorde,au motif qu’ils s’étaient mis d’accord, lors de leur mariage au Maroc,pour qu’elle lui envoie les documents nécessaires afin qu’il puisse larejoindre. Mais ses démarches étant restées vaines, malgré lessommes importantes qu’elle a engagées et les souffrances moralesqu’elle a endurées. Elle fait en outre valoir que son mari la traite mal,qu’il ne lui a pas préparé de domicile conjugal et qu’il n’assure pas sonentretien.

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Lors de la séance de conciliation, à laquelle le mari ne s’est pasprésenté bien qu’il ait été dûment prévenu, l’épouse maintient saposition en déclarant que la vie commune était devenue impossibledu fait de l’existence de conflits profonds entre elle et son mari et del’absence de reconnaissance de celui-ci à son égard pour tous les effortsqu’elle a entrepris pour le faire venir en France. Elle précise en outrequ’elle renonce à tous ses droits nés du divorce, et qu’elle nesouhaite qu’une chose : mettre un terme à la vie conjugale.

La tentative de conciliation ayant échoué et l’épouse ayant déclaréque la discorde persistait, le tribunal après avoir rappelé que le butrecherché à travers le mariage est l’affection, la clémence, le respectmutuel et non la discorde et le conflit permanent, prononça le divorce.

Dans la troisième espèce, l’épouse qui vit en France, intente contreson mari resté au Maroc après leur mariage, une action en divorcejudiciaire pour cause de « chiqaq », au motif que le couple avaitconvenu que le mari rejoindrait son épouse en France. Or, nonseulement il refuse de le faire, mais il lui demande de rentrer au Maroc.L’épouse fait valoir son refus absolu de s’installer au Maroc, afin depréserver ses droits acquis en France.

La tentative de conciliation ayant échoué et l’épouse ayant déclaréque la discorde persistait et qu’elle renonçait à tous ses droits nés dudivorce, le tribunal prononça le divorce.

Dans la présente affaire, la position des magistrats est encore plusexplicite que dans l’espèce précédente, car le mari enjoint à son épousede s’installer au Maroc. En faisant de ce motif une cause de discordejustifiant le divorce, le tribunal a tenu compte de l’intérêt de l’épousequi, en se soumettant à l’exigence de son mari, allait perdre ses droitsacquis en France. On notera qu’encore une fois, l’épouse a renoncé àtous ses droits nés du divorce.

Dans une autre affaire (10), le mari intente une action en justice àl’encontre de son épouse qui a quitté le domicile conjugal avec sesdeux enfants mineurs, pour rendre visite à famille en France et refusede rentrer avec ses enfants au Maroc, demandant au Tribunal de la

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(10) Tribunal de 1re instance de Rabat, section de la Famille, 31 mars 2003, dossier n°32/400/04, inédit.

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condamner sous une astreinte de 1000 Dh par jour de retard, àrejoindre le domicile conjugal avec ses enfants.

L’épouse fit valoir que depuis quatre ans, la vie conjugale étaitdevenue impossible du fait du comportement de son mari à son égardet à l’égard de sa famille et qu’en outre, celui-ci était incapable de luifournir un domicile et qu’ils habitent, depuis leur mariage, chez sesparents. Elle ajoute que les mauvais traitements dont elle est l’objetde la part de son mari l’ont poussée à trouver un moyen d’échapperà sa nuisance, que toute cette situation lui a causé des dommagesmatériels et moraux, puisque c’est elle qui subvient aux besoins de sesdeux enfants, que la vie commune est devenue impossible et que pourtoutes ces raisons elle demande le divorce pour cause de discorde avectous les droits qui en découlent.

Bien que le mari ait réfuté les dires de son épouse en déclarantnotamment que la procédure de « chiqaq » était infondée, car iln’existait pas de discorde au sein du couple et que la demande dedivorce était en vérité motivée par le désir de son épouse dedemeurer en France où elle travaillait dans un magasin de vented’alcool, les magistrats ont statué en faveur de l’épouse en déclarantson divorce pour cause de « chiqaq ».

Cette décision constitue un indicateur important de la manière dontles magistrats appréhendent le divorce pour cause de « chiqaq ». Eneffet, l’épouse s’étant rendue avec ses enfants mineurs à l’étranger etrefusant de rentrer au Maroc, on aurait pu s’attendre à ce que le tribunalréponde favorablement à la demande du mari. Or, il n’en fit rien et,comme dans les espèces rapportées plus haut, les magistrats ont tenucompte de la situation de l’épouse et du fait que pour elle, la viecommune était devenue impossible.

Un jugement rendu par la même juridiction (11) traite d’un aspectparticulier de la procédure de divorce judiciaire pour cause dediscorde et mérite d’être cité.

L’épouse intente, contre son mari, une action en divorce pour raisonde « chiqaq » avec tous les droits qui s’y attachent, en faisant valoir àl’appui de sa demande, qu’il la traitait mal, qu’elle était l’objet de

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(11) Tribunal de 1re instance de Rabat, section de la Famille, 7 janvier 2005, dossier n°32/987/04 inédit.

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violences et d’injures de sa part, qu’il ne subvenait pas à ses besoinset à ceux de ses trois enfants et que la vie sous le même toit étaitdevenue impossible.

Le mari rejette les prétentions de son épouse qu’il juge être sansfondement, déclare tenir à sa famille et lui demande de regagner ledomicile conjugal.

La tentative de conciliation ayant échoué, le mari introduit contreson épouse, une demande en dommages et intérêts s’élevant à30 000 Dh, pour préjudice subi du fait du divorce pour raison de« chiqaq ».

Le tribunal, après avoir rejeté cette demande au motif que laprocédure de divorce pour cause de discorde a été instituée par le Codeen faveur des deux époux et que l’épouse ne peut être poursuivie pouravoir entrepris une procédure permise et organisée par la loi,prononça le divorce pour cause de discorde et évalua les droitsauxquels, l’épouse et son fils, avaient droit.

En définitive, trois constats peuvent être tirés de l’analyse desjugements relatifs au divorce judiciaire pour cause de discorde.

1. Les femmes n’hésitent pas à recourir à ce nouveau mode dedissolution des liens du mariage.

2. Dans pratiquement un cas sur deux, elles renoncent à leurs droitsnés du divorce.

3. Les magistrats font une application extensive de la notion de« chiqaq ».

B. Comment les femmes utilisent-t-elles le recours au divorce judiciairepour raison de « chiqaq » ?

Sur les 150 décisions objet de la présente étude, 90 sont relativesau divorce judiciaire pour raison de « chiqaq ». Sur les 90 décisionsanalysées, les demandes de divorce judiciaire pour raison de « chiqaq »sont toutes initiées par l’épouse.

Ces décisions laissent apparaître que, dans pratiquement la moitiédes espèces, l’épouse préserve les droits qui lui sont dus du fait dudivorce et que dans l’autre moitié, elle y renonce. Si la premièrecatégorie de décisions n’appelle pas de commentaires particuliers, saufà préciser quels sont les droits auxquels peut prétendre l’épouse, il en

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va autrement de la seconde catégorie dont la proportion interpellesur les motifs qui poussent l’épouse à renoncer à ses droits, alors quejuridiquement rien ne l’y contraint.

1. Les jugements dans lesquels l’épouse préserve les droits qui luisont dus du fait du divorce judiciaire

Il convient de rappeler que, conformément à l’article 84 du Code, cesdroits comportent le reliquat du « Sadaq », si celui-ci n’a pas étéentièrement versé à l’épouse lors de la conclusion du mariage, la pensiondue pour la période de viduité « Idda » et le don de consolation« Mout’â », pour l’évaluation duquel le juge tient notamment comptede la durée du mariage, de la situation financière de l’époux et des motifsdu divorce. A ces droits s’ajoute celui de résider dans le domicile conjugalpendant la période de viduité, ou en cas de nécessité dans unlogement qui convient à l’épouse et en fonction de la situationfinancière de l’époux. Si ces deux solutions s’avèrent impossibles, letribunal fixe le montant des frais de logement. Ce montant est consignéau secrétariat-greffe du tribunal, au même titre que les droits précités.

A propos de ce dernier point, on relève que dans la quasi totalitédes jugements analysés dans lesquels l’épouse déclare conserver sesdroits, c’est cette dernière solution qui est retenue et cela, même enprésence d’enfants. Cette constatation paraît intéressante, car cenouveau droit de la femme est perçu comme un acquis significatif, entermes de protection de l’épouse et des enfants, puisque sousl’ancien texte, il n’était pas rare qu’ils se trouvent exclus du domicileconjugal par l’époux, suite à une répudiation.

Un autre fait relatif au « quantum » des frais de logement mérited’être souligné. En effet, le tribunal de Rabat les fixe à 3 000 Dh pourtoute la période de viduité, dans presque toutes les décisions.L’uniformité de ce taux pousse à s’interroger sur la nature des critèresretenus par les magistrats pour parvenir à ce montant.

Par ailleurs, en présence d’enfants, la mère a droit à unerémunération due au titre de la garde et aux dépenses occasionnéespar celle-ci. Elle a également droit à une rémunération en casd’allaitement. Le divorce pour cause de « chiqaq » étant irrévocable,la mère bénéficie du droit à rémunération pour la garde de ses enfantsmême pendant la période de viduité, contrairement aux dispositionsde l’article 167 alinéa 2 qui l’interdit en cas de divorce révocable.

231Perceptions et pratique judiciaire

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A ces droits viennent s’ajouter ceux liés à la pension alimentaire dueaux enfants. Ces droits sont également précisés par le jugement quiprononce le divorce. Ils sont régis par les articles 168 à 190 du Code (12).

Dans le chapitre relatif à l’entretien de l’épouse, les articles 194 à196, disposent que l’époux doit pourvoir à l’entretien de son épousedès consommation du mariage et, qu’en cas de dissolution des liensdu mariage, la pension alimentaire octroyée à l’épouse par le tribunal,prend effet à compter de la date à laquelle l’époux s’est abstenu deremplir son obligation d’entretien. En outre, en cas de divorceirrévocable, tel le divorce judiciaire pour cause de « chiqaq » et si l’ex-épouse n’est pas enceinte, son droit au logement s’éteint avec la finde la période de viduité.

Par ailleurs, il convient de rappeler que l’un des principaux apportsdu nouveau Code réside dans l’obligation qui est faite à l’époux deconsigner, au secrétariat-greffe , un montant fixé par le tribunal, dansun délai de trente jours, afin qu’il puisse s’acquitter des droits dus à sonépouse et, le cas échéant, à ses enfants envers lesquels il est débiteurd’une obligation d’entretien (article 83). S’il ne s’exécute pas dans ledélai imparti, il est sensé avoir renoncé à son intention de divorcer.

Si tels sont les droits dus à l’épouse du fait du divorce, commentles magistrats les appréhendent-ils ?

Les décisions analysées laissent apparaître que les magistrats fontune application stricte des dispositions du Code sur ce point (13). Il estvrai que dans tous les cas, ils revoient à la baisse les montantsdemandés par l’épouse, mais dans des proportions qui restentgénéralement raisonnables.

2. Les jugements dans lesquels l’épouse renonce à ses droits

Ces jugements représentent près de la moitié de l’ensemble desdemandes de divorce judiciaire pour cause de « chiqaq » initiées parl’épouse. Cette proportion constitue un indicateur important qui

232 Le Code de la famille

(12) Ces droits seront traités dans le cadre des jugement relatifs à la garde des enfants ou« hadana ».(13) Les jugements rendus par le tribunal de première instance et sur lesquels a porté laprésente étude vont également dans ce sens, avec en outre la particularité d’être bienrédigés. Voir notamment : « Tribunal de première instance de Kénitra, 24 novembre 2005 »,dossier n° 2749/05 et 29 décembre 2005, dossier n° 2557/05, inédits.

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demande à être approfondi. Bien que l’échantillon analysé demeuremodeste pour permettre une véritable analyse statistique, il n’endemeure pas moins qu’un constat liminaire peut être dressé. Le faitque, dans pratiquement un cas sur deux, l’épouse renonce à ses droits,ne peut être ignoré.

Trois raisons principales semblent expliquer cette situation. D’unepart, une méconnaissance par la plupart des femmes de leurs droitset, d’autre part, la pression qu’elles subissent, avant d’arriver au tribunal,de la part de leurs époux pour qu’elles renoncent à leurs droits. A cesdeux raisons inhérentes à l’épouse s’ajoute la problématique du rôledes avocats dans ce domaine.

Les espèces analysées montrent que, dans pratiquement un cas surdeux, l’épouse n’aspire qu’à recouvrer sa liberté. Les jugements sontd’ailleurs très explicites à ce sujet, puisque dans tous les cas où l’épouserenonce à ses droits, on retrouve à l’appui de sa demande l’une desdeux formulations suivantes : « Attendu qu’elle renonce à tous ses droitsen contrepartie de son divorce » ou « Attendu que l’épouse déclarequ’elle ne désire rien d’autre que la dissolution des liens du mariage »(la targhabou illa fi fakki al isma).

Comment expliquer cet empressement de l’épouse à renoncer à sesdroits, alors pourtant que rien ne l’y contraint légalement ?

Une première raison peut être recherchée dans la situationpsychologique souvent intenable dont elle souffre, du fait d’une vieconjugale éprouvante et qui la pousse à vouloir se défaire, à n’importequel prix, d’une relation devenue impossible. Les motifs rapportés ci-après montrent le degré de violence morale et physique à laquellel’épouse peut être soumise : coups, blessures graves, injures, menaces,diffamation, époux alcoolique, drogué, défaut d’entretien, etc.

Une deuxième raison revient au fait que, très souvent, l’épouse subitdes pressions de la part de son mari pour qu’elle renonce à ses droitsen contrepartie de son divorce. Les jugements analysés ne font étatque très rarement de ce véritable « chantage » exercé par l’époux. Defait, cette phase intervient, en principe, avant que les époux ne seprésentent devant le juge. Toutefois, certaines décisions s’y réfèrentexplicitement. C’est le cas d’un jugement du tribunal de 1re instancede Rabat en date du 14 juillet 2005 (14).

233Perceptions et pratique judiciaire

(14) Dossier n° 32/494/05, inédit.

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Dans cette affaire, l’épouse a intenté une action en divorcejudiciaire contre son mari, pour cause de discorde, en faisant valoir qu’ill’avait chassée du domicile conjugal sans motif légitime, alors qu’elleétait enceinte ; qu’il s’était abstenu de l’entretenir depuis cette date ;qu’il ne lui avait jamais rendu visite après son accouchement ; qu’ellevivait dans un dénuement total ; que le couple ne disposait pas d’undomicile indépendant et que toutes ces raisons font qu’elle ne tolèreplus la vie commune.

Après avoir déclaré, dans un premier temps, que cette demande étaitinfondée et que son épouse ne cherchait, à travers l’instance qu’ellea engagée, qu’à bénéficier des droits inhérents au divorce, le maridéclare à l’audience, qu’il ne voyait pas d’inconvénient à répondrefavorablement à la demande de divorce de son épouse, à conditionqu’elle renonce à ses droits.

La procédure de conciliation ayant échoué et, l’épouse ayant déclaréque la discorde persistait, le divorce pour « chiqaq » fut prononcé sansque l’épouse bénéficie de ses droits.

Dans un autre jugement du même tribunal (15), on relève un attenduqui déclare explicitement que « l’époux ayant, lors de l’audienceprécédente, exprimé son accord à mettre fin aux liens du mariage, àla condition que l’épouse ne lui demande rien ». L’attendu suivantprécise que « la défense de la demanderesse ayant confirmé que celle-ci renonce à ses droits et ne désire rien d’autre que de mettre un termeà la vie conjugale… ».

Dans une troisième affaire (16), l’épouse a intenté une action endivorce judiciaire sur le fondement de l’article 99 et suivants du code,pour manquement à l’une des conditions stipulées dans l’acte demariage et pour préjudice, à l’encontre de son mari. Elle fait valoir quedepuis leur mariage et sa consommation en décembre 2003, elle acontinué à vivre chez ses parents, sans que son époux parvienne à luiprocurer un logement et à subvenir à ses besoins et, qu’en outre, ilexerce sur elle violences et menaces. Des témoins oculaires confirmentces faits. Pour toutes ces raisons, et en vue de mettre un terme au

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(15) Jugement du tribunal de première instance de Rabat, en date du 17 février 2005, dossiern° 32/866/04, inédit.(16) Jugement du tribunal de première instance de Rabat, en date du 13 janvier 2005, dossiern°32/151/04, inédit.

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préjudice qu’elle subit du fait de cette situation, elle demande ledivorce, conformément aux dispositions des articles 99 et suivants ducode. Elle demande en outre que son mari lui verse une pensionalimentaire de 1 500 Dh par mois à compter de décembre 2003, datede consommation du mariage, 2 000 Dh pour compenser le préjudicequ’elle a subi et qu’il supporte les dépens.

Le mari rejette tous les arguments avancés par son épouse etl’accuse d’avoir abandonné le domicile conjugal, de même qu’il récuseles témoins qu’elle a cités, au motif qu’ils avaient des liens de parentéavec elle.

Dans sa réponse, l’épouse se dit prête à appuyer ses dires parserment et déclare qu’il n’existe aucun lien de parenté entre elle etles personnes qui ont témoigné en sa faveur.

Lors de la tentative de conciliation, l’épouse avait déclaré maintenirsa demande de divorce, mais qu’elle renonçait à ses droits. Toutefois,à l’audience, elle revient sur sa position et déclare vouloir conservertous ses droits.

Après avoir expliqué qu’il ne possédait aucun bien et que lui et sonépouse travaillaient au même endroit et percevaient le même salaire,le mari déclare accepter le divorce, à condition qu’elle renonce à sesdroits. L’épouse finit par acquiescer.

Au cours de la dernière audience, les époux produisirent undocument établissant leur accord sur le principe de mettre fin à leurunion.

La position du tribunal dans cette affaire, où l’on passe de lademande de divorce pour manquement à l’une des conditionsstipulées dans l’acte de mariage ou préjudice, initiée par l’épouse, àla demande de divorce par consentement mutuel sur impulsion dumari, mérite d’être soulignée.

En effet, les arguments avancés par l’épouse, notamment lemauvais traitement dont elle a été l’objet de la part de son mari,appuyés par le témoignage de deux personnes et par le fait qu’elleconsentait à prêter serment pour prouver la véracité de ses dires,étaient suffisamment graves pour constituer un préjudice au sens del’article 99 du code de la famille dont l’alinéa 2 dispose : « Estconsidéré comme préjudice justifiant la demande du divorce judiciaire,

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tout acte ou comportement infamant ou contraire aux bonnesmœurs, émanant de l’époux, portant un dommage matériel ou moralà l’épouse, la mettant dans l’incapacité de maintenir les liensconjugaux. »

L’hésitation manifestée par l’épouse qui, au départ, déclare vouloirbénéficier de ses droits, puis qui y renonce lors de la séance deconciliation, pour ensuite revenir sur sa décision à l’audience et qui,pour finir, se trouve contrainte d’accepter « le marché » proposé parson mari : renonciation contre divorce, constitue, à n’en pas douter, unindicateur de la forte pression qui s’exerce sur elle.

Dans une autre espèce (17), l’épouse demande le divorce judiciairepour cause de « chiqaq » et pour préjudice dû au mauvais traitementqu’elle subit de la part de son époux, en précisant que toutes lestentatives de conciliation entreprises par les membres de leursfamilles sont demeurées infructueuses. Elle fait également valoir qu’ellerenonce à tous ses droits et qu’elle prend entièrement en charge sonfils. Il convient de relever que, dans cette affaire, la tentative deconciliation n’a pu avoir lieu, l’époux ne s’étant pas présenté àl’audience, alors pourtant que la notification lui est dûment parvenueà deux reprises. Le tribunal a accepté la demande de l’épouse.

Dans une autre affaire soumise au tribunal de 1re instance deRabat (18), l’épouse avait avancé à l’appui de sa demande de divorcepour cause de « chiqaq » le fait que son mari, après avoir quitté ledomicile conjugal, avait enlevé ses deux enfants (des jumeaux de moinsd’un an), pour la pousser à renoncer à ses droits et à ceux de cesderniers, en contrepartie de quoi, il consentait à mettre un terme à leurvie conjugale.

Les décisions rapportées laissent apparaître que si, désormais, lesfemmes n’hésitent pas à recourir à ce nouveau moyen de dissolutiondes liens de mariage, il n’en demeure pas moins que l’usage qu’ellesen font ne produit pas son plein effet.

Certes, comme l’attestent les espèces citées, le fait que les femmesrenoncent, dans un cas sur deux, à leurs droits témoigne de la violencemorale et du véritable chantage qui s’exerce sur elles de la part de leurs

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(17) Jugement du tribunal de première instance de Rabat, en date du 24 janvier 2005, dossiern° 32/188/04, inédit.(18) Jugement rendu le 17 février 2005, dossier n° 32/186/04, inédit.

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maris. Mais d’autres raisons peuvent également être recherchées dansl’ignorance de leurs droits inhérents à ce nouveau mode de divorcejudiciaire. Or, c’est précisément à ce niveau qu’intervient le rôle de ladéfense.

La fonction de « conseil juridique » de l’avocat devrait, en principe,trouver ici sa pleine expression, pour faire connaître aux femmes leursdroits. Dans un pays où l’analphabétisme atteint des proportionsinquiétantes, le rôle des avocats est fondamental, si l’on veut que lesnouvelles possibilités de traitement équitable de la femme prévuespar le législateur de 2004 ne restent pas lettres mortes.

Si tel semble être la situation qui se dégage des décisions relativesau divorce judiciaire pour raison de discorde, qu’en est-il en matièrede divorce judiciaire pour défaut d’entretien ?

2. Le juge et le divorce judiciaire pour défaut d’entretien

Le défaut d’entretien figure parmi les causes de divorce judiciaireque tant l’ancienne Moudouana (article 53) que le code de la familleaccordent à l’épouse (articles 102 et 103). Il convient de noter que lenouveau texte maintient le droit de l’épouse à l’entretien (article 194)et ce, bien que le code rende par ailleurs les conjoints responsabilitéde la gestion des affaires du foyer (article 51). Le juge sera-t-il tentéde rapprocher les deux dispositions et permettre au mari d’exiger queson épouse qui exerce un emploi subvienne à son propre entretien ?

Avant d’être renseigné sur la position du juge à travers lesdécisions rapportées ci-après, il importe de préciser que tout enoctroyant à l’épouse la faculté de demander le divorce judiciaire pourdéfaut d’entretien de la part de son époux, l’article 102 précitédistingue suivant que ce dernier dispose de biens permettant d’enprélever la pension alimentaire, qu’il est établi qu’il est indigent ou qu’ilrefuse d’assumer l’entretien de son épouse sans prouver son incapacitéà cet égard.

Dans le premier cas, le législateur prévoit que le tribunal décideradu moyen d’exécution du prélèvement de la pension alimentaire due,sans toutefois donner suite à la demande de divorce judiciaire. Dansle deuxième cas, le tribunal impartit à l’époux un délai ne dépassantpas trente jours pour s’exécuter, sinon et sauf circonstances impérieuseset exceptionnelles, le divorce sera prononcé. On rappellera que ce délai

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dans l’ancienne Moudouana pouvait aller jusqu’à trois mois. Lelégislateur ne précisant pas ce qu’il faut entendre par « circonstancesimpérieuses et exceptionnelles », c’est au juge qu’il appartiendra dedécider, selon les circonstances de chaque cause, si les raisonsinvoquées par le mari pour justifier le défaut d’entretien peuvent êtrequalifiées comme telles.

Dans le troisième cas, le divorce est immédiatement prononcé parle tribunal.

Dans l’ensemble des décisions relatives au divorce judiciaire pourdéfaut d’entretien, le scénario est quasiment le même.

L’épouse commence par intenter une action en justice contre sonmari pour défaut d’entretien. Un premier jugement, confirmé en appel,condamne l’époux à lui verser la pension alimentaire qui lui est due,ainsi que celle de ses enfants, le cas échéant. Le mari n’exécute pas lasentence rendue à son encontre. Dans certains cas, il dépose une plaintecontre son épouse pour abandon de domicile conjugal. A son tour,l’épouse intente contre lui une action en divorce judiciaire pour défautd’entretien.

Dans toutes les décisions analysées, le mari, bien que dûment notifié,s’abstient de se rendre à la séance de conciliation.

Par la suite, on se trouve devant deux cas de figure. Soit que l’épouxs’abstient de déclarer être prêt à subvenir aux besoins de sonépouse, sans prouver son incapacité à cet égard, soit qu’il déclare nepas disposer de moyens pour assumer l’entretien de son épouse.

Dans toutes les espèces analysées, le tribunal, après avoir constatéque l’époux ne dispose pas de biens permettant d’en prélever lapension alimentaire, accepte la demande de l’épouse et prononce ledivorce pour défaut d’entretien (19).

Les décisions ci-après rapportées confirment ce scénario.

238 Le Code de la famille

(19) Tribunal de première instance de Rabat, 14 juillet 2005, dossier n° 32/105/04. Tribunalde Rabat, 14 juillet 2005, dossier n° 32/325/05. Tribunal de première instance de Rabat,13 janvier 2005, dossier n° 32/249/04. Tribunal de première instance de Rabat 13 janvier2005, dossier n° 32/643/04. Tribunal de première instance de Rabat, 27 janvier 2005, dossiern° 32/399/04. Tribunal de première instance de Rabat, 27 janvier 2005, dossier n°32/875/04.Tribunal de première instance de Rabat, 6 janvier 2005, dossier n° 32/812/04. Toutes lesdécisions rapportées sont inédites.

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Dans une affaire jugée par le Tribunal de 1re Instance de Rabat (20),l’épouse a intenté contre son mari, une action en divorce judiciaire pourdéfaut d’entretien. La tentative de conciliation ayant échoué et le mariayant maintenu son refus de remplir son obligation d’entretien, aumotif qu’il était dans l’incapacité de le faire, le tribunal, après avoirconstaté que l’époux ne montrait aucune disposition à s’exécuter,malgré le délai qui lui a été imparti, prononce le divorce révocable pourdéfaut d’entretien.

Dans une autre espèce (21), l’épouse avait intenté une première actioncontre son époux pour défaut d’entretien. Celui-ci fut condamné à luiverser le montant de sa pension alimentaire. Ayant refusé des’exécuter, elle intente contre lui, sans succès, une action pourabandon de famille. Après ce nouvel échec, elle décide de fonder sonaction sur l’article 102 du Code et demande le divorce pour défautd’entretien avec tous les droits qui en découlent, conformément àl’article 84 du code.

Le mari ne s’étant pas présenté à la séance de conciliation bien quela notification lui soit parvenue, l’épouse ayant maintenu sa positionet l’époux s’étant abstenu de se conformer au jugement lui ordonnantde verser la pension qu’il doit à son épouse, le tribunal prononça ledivorce révocable pour défaut d’entretien.

Dans une affaire jugée par le tribunal de première instance deRabat (22), l’épouse, après avoir été chassée par son mari du domicileconjugal, a intenté contre lui une première action pour défautd’entretien. Le tribunal condamna le mari à lui verser une pensionalimentaire de 500 Dh par mois, mais celui-ci fit valoir qu’il étaitindigent. Suite à cela, l’épouse introduisit une demande de divorce pourdéfaut d’entretien.

Le mari ne s’étant pas présenté, bien qu’ayant été dûment notifié,la tentative de conciliation n’a pu avoir lieu. S’appuyant sur ce fait etsur le fait que l’époux n’a pas exécuté le jugement prononcé à sonencontre, qu’il a déclaré qu’il était dans l’incapacité de verser la sommedue à son épouse et le procès-verbal attestant qu’il ne possédait rien

239Perceptions et pratique judiciaire

(20) Jugement n° 541 du 13 janvier 2005, dossier n° 32/643/ 04.(21) Tribunal de première instance de Rabat, Jugement n° 227 du 27 janvier 2005, dossiern° 32/399/04.(22) Jugement n°521 du 13 janvier 2005, dossier n° 32/249/04.

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qui puisse faire l’objet d’une saisie, le tribunal prononça le divorce pourdéfaut d’entretien (23).

Dans une affaire portée devant la Cour d’appel de Rabat (24). L’épousea intenté une action devant le tribunal de 1re instance de Salé, contreson époux pour coups et blessures et défaut d’entretien.

L’époux condamné en première instance à lui verser une pensionalimentaire ne s’est pas conformé à la décision du tribunal et futcondamné pénalement. Toutefois, malgré cette condamnation, ilpersiste dans son refus, l’épouse demande le divorce judiciaire pourdéfaut d’entretien.

Le mari rétorque en faisant valoir qu’il était prêt à subvenir à sonentretien à condition qu’elle réintègre le domicile conjugal et que, parconséquent, il s’opposait au divorce.

Le tribunal trancha en faveur de l’épouse et prononça le divorce(révocable) pour défaut d’entretien et condamna le mari aux dépens.

Celui-ci interjeta appel de cette décision devant la Cour d’appel deRabat, arguant notamment que le jugement intervenu en premièreinstance portait atteinte à ses droits puisqu’il s’est montré prêt àentretenir son épouse.

La Cour confirma la décision du tribunal de Salé, au motif que lemari, depuis le début de l’instance, n’a cessé de prétendre qu’il étaitprêt à entretenir son épouse, sans pour autant s’exécuter et ce, malgréla condamnation pénale prononcée à son encontre ; que son attituderenforce la prétention de son épouse quant au défaut d’entretien etrend valable le jugement de divorce pour défaut d’entretien.

Par ailleurs, il n’est pas rare que l’épouse, malgré le préjudice qu’ellesubit, renonce à ses droits et cherche à tout prix à mettre fin à la relationconjugale (25).

L’impression d’ensemble qui se dégage des décisions judiciaires serapportant à cette question est que les juges font une application

240 Le Code de la famille

(23) Dans le même sens : Tribunal de première instance de Rabat, Section de la famille,27 janvier 2005, dossier n°32/875/04, Tribunal de première instance de Rabat, Section dela famille, 6 janvier 2005, dossier n° 32/812/04. Tribunal de première instance de Kénitra,21 décembre 2005, dossier n° 1488/05. Ces jugements sont inédits.(24) Arrêt n°43 du 14 février 2005, dossier n° 195/2003/10(25) Tribunal de première instance de Rabat, 29 novembre 2004, dossier n° 32/301/04, inédit.

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stricte du principe énoncé par le Code et suivant lequel l’époux doitsubvenir à l’entretien de son épouse dès la consommation dumariage. Il en va de même de la suspension du droit de l’épouse àpension, si elle refuse de réintégrer le domicile conjugal après y êtrecondamnée par le tribunal.

Il convient de noter que contrairement au divorce judiciaire pourraison de discorde ou pour les autres causes prévues par le code, ledivorce judiciaire pour défaut d’entretien est le seul qui soit révocableet qui donc permet à l’époux de reprendre son épouse pendant laretraite de continence « Idda », s’il justifie de moyens de subsistancelui permettant de l’entretenir.

3. Le juge et le divorce judiciaire pour préjudice subi

Outre la possibilité de recourir au divorce judiciaire pour raison dediscorde, le législateur de 2004 a renforcé les droits des femmes dansce domaine en retenant le manquement de l’époux à l’une desconditions stipulées dans l’acte de mariage et le préjudice subi, auxcôtés des causes classiques de demande de divorce judiciaire parl’épouse, qui figuraient dans l’ancienne Moudouana (26).

De fait, la notion de « darar » malencontreusement traduite par« sévices », existait dans l’ancien texte. Le nouveau code innove enoptant pour le terme moins dégradant pour la femme de « préjudice »et surtout, en précisant dans son article 99, ce qu’il faut entendre parce terme.

Il convient de noter que l’alinéa 1er de l’article précité considèrecomme préjudice justifiant la demande de divorce judiciaire, toutmanquement à l’une des conditions stipulées dans l’acte de mariage.

Cette clarification tout en facilitant la tâche du juge assure unemeilleure protection des femmes. En effet, sous l’ancienne Moudouana,les difficultés inhérentes à la mise en œuvre des dispositions de l’article56, notamment en matière de preuve des « sévices », faisaient que cettevoie offrait peu de chance d’aboutir à la demande de divorcejudiciaire initiée par l’épouse. Cette difficulté semble aujourd’hui

241Perceptions et pratique judiciaire

(26) Ces causes sont : le défaut d’entretien, l’absence du conjoint, le vice rédhibitoire chezle conjoint, le serment de continence et le délaissement. Article 98 du Code de la familleet articles 53 à 59 de la Moudouana.

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atténuée par le fait que le code consacre son article 100 à cettequestion. Cette disposition retient le principe de la liberté de preuveen matière de préjudice subi, y compris le témoignage devant letribunal en chambre de conseil. Le texte va même plus loin et indiqueà l’épouse la voie à suivre, en l’occurrence la procédure prévue enmatière de discorde, en cas d’impossibilité pour elle d’établir les faitsconstituant le préjudice.

Ces quelques précisions étant faites, il convient de s’interroger surla manière dont les magistrats mettent en œuvre ces dispositions.

Dans une espèce (27), l’épouse intente, contre son mari, unepremière action en divorce judiciaire pour préjudice subi, en faisantvaloir qu’il la battait, la méprisait et qu’il l’avait chassée du domicileconjugal. Suite à la médiation d’un membre de la famille du mari,l’épouse consent à retirer sa demande.

Toutefois, elle ne tarda pas à être l’objet, de la part de son mari, d’unenouvelle agression qui lui occasionna de graves blessures. Elleintenta contre lui une action au pénal. Le mari ayant reconnu les faits,le tribunal le condamna pour coups et blessures (28). Elle intentaégalement une action en divorce judiciaire pour préjudice subi avecbénéfice de tous les droits qui s’y attachent : 30 000 Dh comme donde consolation, 20 000 Dh pour la pension alimentaire pendant lapériode de « Idda », 15 000 Dh pour le loyer pendant la période de« Idda » et 10 000 Dh en tant que dédommagement du préjudicequ’elle a subi. L’épouse appuya sa demande par la production de deuxtémoins qui attestèrent la véracité de ses dires.

Le mari ne s’étant pas présenté à l’audience, la tentative deconciliation n’a pu avoir lieu.

Après avoir rappelé que le mari avait fait l’objet d’une condamnationau pénal du fait des coups et blessures qu’il a infligés à son épouse,que ces derniers constituent un préjudice au sens de l’article 99 alinéa 2du code de la famille, puisqu’ils sont considérés comme un acteinfamant et un comportement contraire aux bonnes mœurs, qui aoccasionné à l’épouse un dommage matériel et moral la mettant dansl’incapacité de maintenir les liens conjugaux, le tribunal accepte la

242 Le Code de la famille

(27) Tribunal de première instance de Rabat, 29 novembre 2004, dossier n° 32/460/04, inédit.(28) La décision ne précise pas la nature de la sanction pénale.

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partie de la demande de l’épouse visant à mettre un terme à la relationconjugale.

Concernant les droits qui lui sont dus du fait du divorce, le tribunal,après avoir rappelé que l’article 113 du code permet à l’épouse debénéficier de ces droits en cas de divorce judiciaire pour préjudice subiet, après avoir précisé qu’il est tenu compte dans l’évaluation de cesdroits de la durée du mariage et de la situation financière de l’époux,décide de fixer ces droits comme suit : 1 000 Dh pour la pensionalimentaire durant la période de « Idda », 1 000 Dh pour le loyer durantcette même période et 10 000 Dh comme don de consolation.

S’agissant du dédommagement du fait du préjudice subi, demandépar l’épouse et dont le montant s’élève à 10 000 Dh, les magistrats ontestimé que ce dédommagement était compris dans le lot de consolation.

La position du tribunal sur ce point semble peu justifiée dans lamesure où en disposant que « dans le cas où le divorce est prononcépour cause de préjudice, le tribunal peut fixer, dans le mêmejugement le montant du dédommagement dû au titre du préjudice »,l’article 101 du code reconnaît à l’épouse la possibilité de demanderà son mari de la dédommager du préjudice qu’elle a subi, sans lier cedédommagement à la « Mout’â », dont les critères d’évaluation sontprécisés par l’article 84 du code : durée du mariage, situationfinancière de l’époux, motifs du divorce et degré d’abus avéré dansle recours au divorce par l’époux, alors que le dédommagement se faitselon la gravité du dommage subi.

A cela s’ajoute l’écart entre les sommes demandées par l’épouseet celles accordées par le tribunal, au titre des droits qui lui sont dusdu fait du divorce judiciaire pour préjudice subi.

L’impression qui ressort de cette décision est que dans l’esprit desmagistrats, le fait que l’époux ait été condamné au pénal, sans d’ailleurspréciser la nature de cette condamnation, constitue une sanction assezgrave pour considérer qu’il a été suffisamment puni pour ses actes.Or, le juge est avant tout tenu de fonder sa décision sur la règle de droitet non sur l’équité. En agissant ainsi, le juge se départit de l’esprit dutexte qui vise à introduire un traitement égalitaire des époux.

Par ailleurs, trois arrêts de la Cour d’appel de Rabat permettent denous renseigner sur la manière dont les magistrats du second degréappréhendent le divorce judiciaire pour préjudice subi.

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Dans la première espèce (29), l’épouse a introduit une instance endivorce judiciaire contre son mari qui s’adonnait à l’alcool et à l’usagede stupéfiants, pour mauvais traitement contre sa personne et cellede leur enfant âgé de 7 ans, ainsi que pour défaut d’entretien, enprécisant qu’elle avait porté plainte contre lui devant la policeitalienne et qu’il s’est engagé auprès de celle-ci à cesser de lui nuireet à entreprendre les démarches nécessaires en vue de la dissolutionde leur union.

Une fois rentré au Maroc, le mari a renié ses engagements et s’estabstenu de pourvoir à l’entretien de son épouse et de son fils. Cettedernière l’assigne en justice pour défaut d’entretien. Le mari ne s’étantpas conformé à la décision du tribunal le condamnant à assumer sonobligation, l’épouse intente contre lui une action en divorce judiciairepour préjudice et défaut d’entretien.

L’époux fit valoir qu’il s’était acquitté entre les mains de l’huissierdu montant de la pension alimentaire due et que, par conséquent, ildemandait le rejet de la demande de divorce pour défaut d’entretien.

Le tribunal déclara irrecevable sur la forme, la demande de divorcepour préjudice introduite par l’épouse et sur le fond la demande dedivorce pour défaut d’entretien.

L’épouse interjeta appel de cette décision en faisant valoir ques’agissant du premier rejet, le tribunal avait fondé sa décision surl’absence de moyens permettant de prouver l’existence du préjudicesubi, alors que le code de la famille n’exige pas pour établir celui-ci,qu’intervienne un jugement se prononçant sur l’existence d’un telpréjudice. Elle ajoute avoir produit, en première instance, les documentsétablissant l’existence du préjudice qu’elle a subi. Il s’agit, enl’occurrence, du procès verbal établi par la gendarmerie italienne, d’uncertificat médical attestant du mauvais traitement dont elle a été l’objetde la part de son mari, ainsi que du procès verbal relatant l’échec dela tentative de conciliation.

Pour l’ensemble de ces raisons, l’épouse demande à la Cour derejeter la décision du tribunal de première instance et de lui accorderle divorce pour préjudice subi.

244 Le Code de la famille

(29) 17 janvier 2005, arrêt n° 22, dossier n° 58/2004/10, inédit

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La Cour déclare recevable la demande de l’épouse au motif quecette dernière avait rapporté la preuve des préjudices subis en Italie,comme l’atteste les documents produits à l’appui de sa demande ; queles faits ainsi établis constituent un préjudice matériel et moral qui rendimpossible la vie conjugale ; que le code de la famille a élargi le sensdu préjudice qui justifie le divorce et que le tribunal peut déduirel’existence de ce préjudice en recourant à tous les moyens de preuveadmis légalement.

La position de la Cour dans cette affaire est importante car elle restefidèle à l’esprit des articles 99 et suivants du code qui, non seulementretiennent une définition large du terme préjudice, mais, contrairementà l’ancienne Moudouana, tendent à faciliter la tâche de l’épouse enlui permettant d’établir l’existence dudit préjudice par tout moyen. Onne peut donc que saluer la position des magistrats du second degré,qui n’ont pas hésité à censurer la décision rendue en première instancequi faisait une application erronée des dispositions du nouveau codeen se montrant plus exigeant que la loi.

Dans la seconde espèce (30), la Cour statue sur l’appel formé parl’époux contre le jugement du tribunal de première instance de Rabaten date du 29 novembre 2004 précité.

Le mari fait principalement valoir que le tribunal avait fondé sadécision sur un moyen unique, en l’occurrence sa condamnation pénalepour coups et blessures sur la personne de son épouse, alorsqu’aucune décision définitive n’était intervenue sur ce point, puisquel’affaire était encore pendante devant la Cour d’appel. Il ajouta qu’ilrécusait les deux personnes dont le témoignage avait été retenu parle tribunal, du fait des liens qu’ils avaient avec son épouse ; qu’il n’avaitjamais chassé cette dernière du domicile conjugal, et qu’au contraire,il lui demandait de le réintégrer ; que le fait que le divorce soitirrévocable portait atteinte à ses droits et que pour l’ensemble de cesraisons, il demandait à titre principal, le rejet de la demande de divorceinitiée par l’épouse et, à titre accessoire, celui de la partie relative audédommagement du fait du divorce.

Sur le premier moyen, la Cour, s’appuyant sur l’article 128 du codede la famille, déclara que les décisions de justice rendues en matièrede divorce judiciaire, de divorce par « Khol’ » ou de résiliation de

245Perceptions et pratique judiciaire

(30) 30 mai 2005. Arrêt n° 117, dossier 15/2005/10, inédit.

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mariage conformément aux dispositions dudit code, ne sontsusceptibles d’aucun recours dans leur partie mettant fin au lienconjugal. Ce qui rend impossible toute possibilité d’appel sur ce point.

Cet attendu mérite que l’on s’y arrête, car l’un des principaux apportsdu code de la famille réside dans le fait qu’il a mis un terme au véritablecalvaire vécue par les épouses qui s’engageaient dans des instancesde divorce judiciaire, en disposant dans l’article 128 du code, commele rappelle la Cour d’appel de Rabat, que les décisions de justice renduesen matière de divorce judiciaire, ne sont susceptibles d’aucun recoursdans leur partie mettant fin aux liens conjugaux. Cette règle s’appliqueégalement en cas de divorce pour Khol’ ou de résiliation du mariage.

En effet, sous l’ancienne Moudouana ces décisions étaientsusceptibles de recours : appel et pourvoi en cassation. Or, la lenteurdes procédures liées à ces voies de recours ajoutait à la précarité dela situation de l’épouse.

Sur le second moyen, la Cour rejeta la décision du tribunal depremière instance, au motif que l’épouse divorcée judiciairement,bénéficie des droits inhérents au divorce qu’elle se trouve ou non dansle domicile conjugal avant celui-ci, qu’elle en soit chassée ou qu’ellel’ait quitté de son plein gré.

Dans cet arrêt les juges ont fait une stricte application desdispositions du code.

Dans une autre affaire dont a eu à connaître cette mêmejuridiction (31), l’épouse intente une action en divorce judiciaire,contre son mari, pour serment de continence (Ilaâ), délaissement (Hajr)et préjudice, précisant qu’il l’a forcée à quitter le domicile conjugal.

Le mari répond que c’est de son plein gré et sans motif valable queson épouse a quitté le domicile conjugal, pour s’installer à Rabat et ytravailler. Il ajoute qu’elle a précédemment intenté une action en divorcejudiciaire pour préjudice et que cette action n’a pas abouti, faute depreuve, qu’elle a refusé de rejoindre le domicile conjugal en dépit d’unjugement intervenu dans ce sens à son encontre et que, pour tous ces motifs, il lui demande un dédommagement de 10 000 Dh pourpréjudice subi du fait de son refus de réintégrer le domicile conjugal.

246 Le Code de la famille

(31) 4 avril 2005.

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Le tribunal de première instance ayant refusé les deux demandes,l’épouse porte l’affaire devant la Cour d’appel de Rabat. Elle reprocheaux magistrats du premier degré d’avoir rejeté sa demande de divorcepour absence de preuve du préjudice subi, alors que deux témoins ontattesté que son mari ne vit plus avec elle, chose qu’il a lui-mêmeconfirmée à l’audience, ce qui constitue une preuve irréfutable de sonabandon et de son délaissement par celui-ci ; qu’en outre, il a déclarédevant les juges ne plus entretenir avec elle de relations conjugales ;que, de surcroît, il a demandé au tribunal l’autorisation de prendre uneseconde épouse, ce qui en soi constitue un grand préjudice pour elle.

La Cour accepta la demande de divorce judiciaire de l’épouse pourpréjudice subi et rejeta la demande en réparation initiée par le mari.

Par ailleurs, comme l’attestent certaines des décisions rapportées,les magistrats du premier degré ne font pas toujours une stricteapplication des dispositions du code concernant la preuve dupréjudice subi, alors pourtant que le législateur de par la définitionqu’il donne de la notion de préjudice dans l’article 99 alinéa 2 les inviteimplicitement à en faire une interprétation extensive. Comme il a étéprécisé, cet article considère comme préjudice justifiant la demandede divorce judiciaire, tout acte ou comportement infamant oucontraire aux bonnes mœurs émanant de l’époux et portant unpréjudice matériel ou moral à l’épouse, la mettant dans l’incapacitéde maintenir les liens conjugaux.

En revanche les décisions rendues en appel se distinguent par leurrespect de la lettre et de l’esprit des dispositions du code.

4. Le juge et le divorce judiciaire pour absence de l’époux

Le code de la famille dote l’épouse dont le mari s’est absenté dudomicile conjugal pendant plus d’une année, de la faculté dedemander le divorce judiciaire. Ce principe est posé par l’article 104alinéa 1er. Les alinéas 2 et 3 de cet article et l’article 105 fixent laprocédure à suivre.

C’est ainsi que le tribunal est tenu de s’assurer, par tous moyens,de l’absence du mari, de la durée de celle-ci et du lieu où il se trouve.Si l’adresse de l’époux est connue, il lui notifie la requête de l’instanceafin qu’il y réponde et lui précise que si l’absence se poursuit ou s’ilrefuse que son épouse le rejoigne, le tribunal prononcera le divorce.

247Perceptions et pratique judiciaire

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Dans le cas où l’adresse de l’absent est inconnue, le tribunal, avecl’aide du ministère public, engage toute procédure qu’il juge utile pourlui notifier la requête de l’épouse. Généralement, les magistratsprocèdent à cette notification via sa diffusion, trois fois, par la radionationale. Le code prévoit également la possibilité pour le tribunal dedésigner un curateur.

Il convient de rappeler que la possibilité pour l’épouse dedemander le divorce judiciaire pour cause d’absence du mari, existaitdans l’ancienne Moudouana. La principale innovation introduite parle nouveau texte réside dans les dispositions de l’article 106. Celui-cipermet désormais à l’épouse dont le mari purge une peine de réclusionou d’emprisonnement supérieure à trois ans, de demander le divorcejudiciaire après un an de détention. Si sur le principe, la possibilitéprévue par l’article 106, paraît heureuse, dans la mesure où elle permetà l’épouse, notamment en présence d’un crime infamant commis parson mari, de se défaire d’une union qui peut lui être préjudiciable, larédaction de cet article ne paraît pas très judicieuse.

Il convient de rappeler que, conformément aux dispositions del’article 122 du code, « tout divorce prononcé par le tribunal estirrévocable, à l’exception du divorce pour serment de continence etdu divorce pour défaut d’entretien ».

A part un cas dans lequel le tribunal a refusé de donner suite à lademande de l’épouse, au motif qu’elle n’est pas parvenue à établirl’existence du lien de mariage la liant à l’absent (32), le reste des décisionsanalysées respectent toutes la même procédure (33).

Celle-ci se déroule comme suit : introduction de la demande parl’épouse, preuve de l’existence du lien de mariage avec l’absent,vérification que le délai de l’absence a dépassé une année (34),

248 Le Code de la famille

(32) Tribunal de première instance de Rabat, 6 janvier 2005, dossier n° 32/287/04.(33) Tribunal de première instance de Rabat, 6 janvier 2005, dossier n° 32/736/04, Tribunalde première instance de Rabat, 13 janvier 2005, dossier n° 32/581/04, Tribunal de premièreinstance de Rabat, 17 février 2005, dossier n° 32/97/04, Tribunal de première instance deRabat, 3 mars 2005, dossier n° 32/775/04, Tribunal de première instance de Rabat, 3 mars2005, dossier n° 32/19/04, 31 mars 2005, dossier n° 32/938/04, Tribunal de première instancede Rabat, 31 mars 2005, dossier n° 32/141/04, Tribunal de première instance de Rabat,14 juillet 2005, dossier n° 32/299/04, Tribunal de première instance de Rabat, 14 juillet 2005,dossier n° 32/834/04. Tribunal de première instance de Kénitra, 14 décembre 2005, dossiern° 690/05. Tous ces jugements sont inédits.(34) Dans les espèces analysées, ce délai varie entre deux et six ans.

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indication des trois dates de diffusion, par la radio, de la requête del’épouse, souvent production de témoins qui attestent de l’absencedu mari et du fait qu’il n’a rien laissé à l’épouse pour subvenir à sesbesoins.

En principe, les magistrats devraient pouvoir se suffire de la réunionde ces éléments pour prononcer le divorce judiciaire de l’épouse. Maisil n’en est rien, car dans toutes les espèces, ils ajoutent une autrecondition : le serment de l’épouse confirmant l’absence du mari et ce,conformément à la règle qui dit « tout fait dont l’apparence est attestée,ne peut l’être, quant au fond, que par serment » (35). Cette exigence quipuise sa source dans la formule très large utilisée par l’article 104alinéa 2, lequel permet au tribunal de s’assurer de l’absence « par tousmoyens », paraît superfétatoire et peut être interprétée comme unedéfiance à l’égard de l’épouse, alors que dans tous les cas analysés,l’absence du mari est avérée. Bien plus, parfois, il est même établi qu’ilréside à l’étranger et qu’il a été dûment notifié.

On relève toutefois, un arrêt de la Cour d’appel de Rabat (36) qui nementionne pas expressément cette exigence et semble s’en tenir à laproduction de témoins par l’épouse.

Dans cette affaire, l’épouse intente une action en divorce judiciaire,contre son mari, pour absence devant le tribunal de 1re instance deSalé qui refuse sa demande. Elle fait appel devant la Cour de Rabat etréfute la décision des juges de Salé pour violation des dispositions del’article 105 du code de la famille qui dispose que « si l’adresse del’époux est inconnue, le tribunal, engage, avec le concours duministère public, les procédures qu’il juge utiles pour lui faire notifierla requête de l’épouse, y compris la désignatison d’un curateur. A défautde comparution de l’époux, le tribunal prononce le divorce ».

L’épouse fait valoir que le tribunal, dans l’impossibilité de notifierà l’époux absent la requête d’instance, aurait dû charger le ministèrepublic d’engager les procédures de recherche nécessaires et que, pourcette raison, elle demande à la Cour de rejeter la décision du tribunalde 1re instance et de déclarer recevable sa demande de divorce pourabsence de son mari.

249Perceptions et pratique judiciaire

(35) Traduction personnelle.(36) CAR 7 février 2005, dossier n° 156/2004/10 inédit.

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La Cour rejette la demande de l’épouse au motif que celle-ci ayantfondé son action sur l’article 105 du code de la famille, il s’ensuit queles procédures engagées par le tribunal et par le ministère public dansles actions de divorce judiciaire pour absence, n’interviennent qu’unefois que l’épouse a établi l’absence de son époux par des moyens depreuve admis légalement. Sa simple prétention ne suffit pas. Elle doitproduire des témoins parmi ses proches ou ses voisins, qui attestentde l’absence de son époux.

On notera que la Cour ne dit pas expressément que ces preuvesdoivent être appuyées par son serment. Simple inadvertance ouvéritable changement ? Le nombre d’arrêts dont nous avons pudisposer ne permet pas de répondre de façon tranchée à cettequestion. Seule l’étude de la jurisprudence ultérieure de la Cour,permettra de savoir si elle s’en tient aux seules conditions exigées parle code ou si elle va au delà, en continuant à adopter une attitude dedéfiance à l’égard de l’épouse en la soumettant à la procédure duserment, malgré l’existence de preuves matérielles attestant del’absence de son mari.

II. Le juge et le divorce judiciaire par consentement mutuel

Le divorce par consentement mutuel constitue une nouveautéintroduite par le code de la famille. Il permet aux deux époux de mettrefin d’un commun accord à leur union conjugale, avec ou sansconditions. Lorsque celles-ci existent, l’article 114 qui pose, dans sonalinéa 1er, le principe de ce nouveau mode de divorce, l’assortit de deuxexigences : les conditions prévues ne doivent pas être incompatiblesavec les dispositions du Code, de même qu’elles ne doivent pas porterpréjudice aux intérêts des enfants.

Les alinéas 2 et 3 de l’article précité précisent la procédure à suivredans ce type de divorce. Le texte prévoit qu’une demande de divorceaccompagnée d’un document établissant l’accord des deux conjoints,soit présentée au tribunal par ces derniers ou l’un d’eux, aux finsd’obtenir l’autorisation d’instrumenter ledit accord. Une tentative deconciliation est également prévue par le tribunal. Si elle échoue, lesmagistrats autorisent que soit pris acte du divorce et l’instrumentent.

Par ailleurs, l’instauration par le législateur de la possibilité de divorcepar consentement mutuel, laisse entendre que l’on se trouve devant

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un mode « apaisé », permettant de mettre un terme à la vie conjugaletout en préservant les intérêts des deux parties en présence et, le caséchéant, de leurs enfants. La formule « consentement mutuel »empruntée au droit des contrats, suggère que l’accord établi entre lesdeux conjoints est équilibré et que, lorsque des conditions existent,elles ne favorisent pas l’une des partie au détriment de l’autre. L’article114 alinéa 1er du code est topique à cet égard.

Pourtant, les décisions analysées ne vont pas toutes dans ce sens.En effet, si dans la plupart des espèces, les conjoints respectent l’espritde l’article précité, en renonçant mutuellement aux droits de l’un surl’autre et en allant jusqu’à partager les frais de justice (37), il se trouvedes décisions dans lesquelles l’accord auquel sont parvenus les épouxparaît peu équitable à l’égard de l’épouse. Il en est notamment ainsidans les deux espèces ci-après.

Dans la première (38), il ressort de la demande de divorce judiciaireintroduite par l’épouse, que celle-ci faisait l’objet de la part de son maride mépris, d’injures, de scandales devant les voisins ; de répudiationmultiple qu’en outre il la menace de lui créer des problèmes sur sonlieu de travail et n’assure pas son entretien depuis leur mariage.

Les conjoints ont déclaré à l’audience vouloir, d’un communaccord, mettre un terme à leur relation conjugale. Une premièretentative de conciliation avait abouti, mais les époux ne tardèrent pasà y renoncer. Dans une nouvelle audience, l’épouse déclare renoncerà tous ses droits. Le mari, à son tour, déclare qu’il accepte l’accordproposé par son épouse et demande au tribunal de mettre un termeà l’union conjugale.

Dans la seconde espèce (39), l’épouse introduit une demande endivorce par consentement mutuel, au motif que la vie commune étaitdevenue impossible. L’époux fit valoir qu’il acceptait la demande del’épouse à une double condition : qu’elle renonce au reliquat de son

251Perceptions et pratique judiciaire

(37) En ce sens : Tribunal de première instance de Rabat, 6 janvier 2005, dossier n° 32/504/04.Tribunal de première instance de Rabat, 6 janvier 2005, dossier n° 32/795/04. Tribunal depremière instance de Rabat, 13 janvier 2005, dossier n° 32/185/04. Tribunal de premièreinstance de Rabat, 13 janvier 2005, dossier n° 32/809/04. Toutes ces décisions sont inédites.(38) Tribunal de première instance de Rabat, 31 mars 2005, dossier n° 32/915/04, inédit.(39) Tribunal de première instance de Rabat, 23 décembre 2005, dossier n° 32/522/04, inédit.Voir dans le même sens : Tribunal de première instance de Kénitra, 6 octobre 2005, dossiern° 1027/05 ; 27 octobre 2005, jugement n° 2806, inédits.

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« Sadaq », au don de consolation, à la pension alimentaire pendant lapériode de « Idda », au montant du loyer durant cette même périodeet qu’elle renonce également à la garde de leurs deux jumelles.

Les deux décisions rapportées montrent que l’on est loin d’unaccord négocié sur des bases équitables. Le fait que l’épouse ait faitl’objet d’injures, de mépris, de menaces ou qu’elle déclare que la viecommune était devenue impossible laisse supposer qu’une pressiona dû s’exercer sur elle pour accepter un accord aussi désavantageux.En effet, si l’épouse déclare parfois renoncer à ses droits et ne riendésirer d’autre que de mettre un terme à la relation conjugale, ildemeure rare qu’une mère consente à renoncer à la garde de sesenfants. Dans ces deux cas, la procédure de divorce judiciaire pourcause de « Chiqaq », paraît plus adaptée.

En outre, le divorce par consentement mutuel constitue une parfaiteillustration de l’importance du rôle du juge qui doit faire preuve d’unevigilance accrue afin que ce mode de divorce égalitaire, parce que voulupar les deux conjoints, ne se transforme en un marché de dupe, commec’est le cas dans les affaires précitées.

Par ailleurs, après avoir tenté de faire ressortir la position du jugelorsqu’il a à connaître d’affaires portant sur certains modes dedivorce judiciaire, c’est à l’analyse de son attitude face à certains effetsde la dissolution du mariage qu’il convient de s’atteler dans lesdéveloppements qui suivent. Le cadre de la présente étude nepermettant pas d’aborder de manière exhaustive l’ensemble des effetsdu mariage, seuls seront retenus certains jugements relatifs à la gardedes enfants et à la pension alimentaire.

III. Le juge et les effets de la dissolution du mariage

A. Le juge et la garde de l’enfant (hadana)

Une idée majeure sous-tend les dispositions du code relatives à lagarde de l’enfant. Cette idée est clairement exprimée par l’article 186qui dispose qu’« en tout état de cause pour l’application desdispositions du présent chapitre, le tribunal tient compte de l’intérêtde l’enfant soumis à la garde ».

S’appuyant sur les conventions internationales, auxquelles leMaroc est partie, le législateur n’établit plus de distinction entre le

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garçon et la fille (40) dont la garde dure désormais jusqu’à l’âge de lamajorité légale, soit 18 ans grégoriens révolus (article 166 du code).

Afin d’assurer une certaine stabilité à l’enfant, le code, dans sesarticles 168 et 171, oblige désormais le père à lui garantir unlogement décent, d’un niveau semblable à celui où il vivait avant queses parents ne se séparent. De plus, le législateur fait de cette obligationune obligation distincte de celles qui pèsent sur le père au titre de lapension alimentaire. Pour éviter toute éventualité de soustraction dupère à son obligation, le dernier alinéa de l’article précité prévoit quele tribunal fixe, dans le jugement relatif au logement, les mesures quigarantissent la continuité de l’exécution de ce jugement.

En outre, les règles de procédure relatives à la pension alimentaireont été accélérées et ne peuvent dépasser un mois. Il est vrai que lestrict respect de ce délai pose problème, comme le montre la partiede l’étude réservée à l’enquête auprès des justiciables.

S’agissant de la déchéance de la mère de son droit de garde en casde remariage, le Code introduit un important élément de souplesseen la matière. En effet, alors que sous l’ancien texte, la mère quicontracte mariage avec une personne autre qu’un proche parent à undegré prohibé de l’enfant ou le tuteur testamentaire de celui-ci, perdautomatiquement son droit de garde, l’article 175 du code lui permetde continuer à exercer son droit dans les cas suivants :

– si l’enfant n’a pas dépassé l’âge de sept ans ou si sa séparationde sa mère lui cause un préjudice ;

– si l’enfant est atteint d’une maladie ou d’un handicap rendant sagarde difficile à assumer par une personne autre que sa mère ;

– si le nouvel époux est un parent de l’enfant à un degré prohibéou s’il est son représentant légal ;

– si la mère est représentante légale de l’enfant.

253Perceptions et pratique judiciaire

(40) On rappellera que l’article 102 de l’ancienne Moudouana, tel que modifié par le dahirportant loi du 10 septembre 1993, prévoyait que la garde dure pour le garçon jusqu’à l’âgede douze ans et pour la fille jusqu’à l’âge de quinze ans et, qu’au delà, l’enfant pouvait choisirde résider chez la personne de son choix parmi celles mentionnées à l’article 99 du mêmetexte. Il en va de même de la capacité matrimoniale qui s’acquiert désormais à dix-huitans grégoriens révolus aussi bien pour la fille que pour le garçon, contrairement à l’ancientexte qui la fixait à dix-huit ans pour le garçon et à quinze ans pour la fille. On notera toutefoisque tant l’ancien que le nouveau texte prévoient la possibilité pour le juge d’autoriser, souscertaines conditions, le mariage du garçon et de la fille avant l’âge de la capacitématrimoniale. Voir l’article 19 et suivants du code de la famille.

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On citera à cet effet un arrêt de la Cour d’appel de Rabat (41) danslequel les magistrats font une stricte application des dispositions del’article 175 du code relatif au mariage de la mère chargée de la gardede son enfant.

En l’espèce, le mari a introduit une instance auprès du tribunal depremière instance de Rabat en faisant valoir qu’il avait répudié ladéfenderesse le 21 septembre 2001 et que celle-ci avait obtenu la gardede leur fille née le 21 novembre 1998, mais que, s’étant remariée, ellenéglige sa fille et que pour ces raisons, il demande au tribunal de ladéchoir de son droit de garde, de l’obliger, sous astreinte, à lui remettrel’enfant, de la condamner aux dépens et, le cas échéant, de recourirà la contrainte par corps.

S’appuyant sur l’article 175 du code de la famille la mère demandeau tribunal de rejeter les prétentions du père, au motif que l’articleprécité dispose que le remariage de la mère chargée de la garde deson enfant n’entraîne pas la déchéance de son droit de garde si l’enfantn’a pas dépassé l’âge de sept ans. Or, l’enfant sujet du litige n’a pasencore atteint cet âge.

A son tour, le père rétorque que l’article 398 du code de la familleénonce que les actes de procédure effectués dans les affaires de statutpersonnel, avant l’entrée en vigueur dudit code, demeurent valables.Or, il a introduit sa demande en justice antérieurement à cette date. Dèslors, le remariage de la gardienne avec une personne autre qu’un procheparent au degré prohibé de l’enfant, entraîne la déchéance de son droitde garde, conformément aux dispositions de l’ancienne Moudouana.

Le tribunal statua en faveur du père en prononçant la déchéancede la mère de son droit de garde et en la condamnant aux dépens (42).

La mère interjeta appel de cette décision devant la Cour de Rabat,arguant que la décision des magistrats du premier degré étaitinfondée parce qu’elle a appliqué l’ancienne Moudouana malgrél’entrée en vigueur du code de la famille et bien que l’affaire soit encoreen cours ; qu’en outre, l’article 398 précité concerne les règles de formeet non celles de fond et que le motif principal de l’affaire porte sur unequestion de fond et non sur une question de forme.

254 Le Code de la famille

(41) Arrêt n° 42, du 7 février 2005, dossier n° 165/2004/10, inédit.(42) Tribunal de première instance de Rabat, jugement n° 904 du 19/4/2004, dossiern° 1214/03/10, inédit.

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Sur le premier moyen, la Cour rejeta le jugement attaqué au motifque le code de la famille est entré en vigueur le jour suivant la datede sa publication, soit le 6 février 2004 et que ses dispositions de fonds’appliquent à toutes les instances pendantes devant les juridictionset n’ayant pas été revêtues de la force de la chose jugée, que lesdispositions de l’article 398 du code de la famille s’appliquent auxrègles de forme qui demeurent valables, même si elles ont été prisesen application de l’ancienne Moudouana. Ces règles concernent laconvocation, la fixation des dates des audiences et les procédurespréliminaires.

Sur le second moyen, la Cour déclara, « qu’attendu que le litigeporte sur la déchéance de la garde de la mère du fait de son mariageavec une personne autre qu’un proche parent au degré prohibé del’enfant et que le nouveau code qui doit recevoir application, lie cettepossibilité au fait que l’enfant ait atteint l’âge de sept ans, qu’attenduque l’enfant n’a pas encore atteint cet âge, par ces motifs rejette lejugement de première instance ».

Dans une autre affaire (43), l’épouse ayant introduit une demandeen divorce judiciaire pour raison de discorde demandait égalementau tribunal d’ordonner à son mari de lui remettre leurs enfants qu’ila enlevés, pour qu’elle puisse exercer son droit de garde, et de définirle montant de leur pension alimentaire.

La tentative de conciliation ayant échoué et l’épouse ayant déclaréque la discorde persistait, le tribunal prononça le divorce pour causede « chiqaq », de même qu’il ordonna au mari de remettre les deuxenfants à leur mère et qu’il fixa aussi bien le montant de leur pensionalimentaire que le salaire de la mère en tant que gardienne.

Le tribunal ordonna également à la mère de permettre au pèred’exercer son droit de visite tous les dimanches de 10 heures à 18 heures.On relève que la durée de la visite est la même dans toutes les espècesétudiées. Il convient de rappeler que le code organise la visite de l’enfantsoumis à la garde en précisant que le parent qui n’a pas la garde del’enfant a le droit de lui rendre visite et de le recevoir. De fait, le recoursau juge n’intervient qu’en cas de désaccord des parents (44). Deux idées

255Perceptions et pratique judiciaire

(43) Jugement du tribunal de première instance de Rabat.(44) En ce sens : Tribunal de première instance de Kénitra, 14 décembre 2005, dossiern° 2871/05.

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principales ont guidé les rédacteurs du code concernant le droit devisite : éviter les manœuvres frauduleuses dans l’exercice de ce droit etl’intérêt de l’enfant. Les articles 182 et 186 sont explicites à cet égard.

En définitive, les décisions relatives au droit de garde, n’appellentpas de commentaires particuliers, dans la mesure où, dans la quasitotalité des décisions étudiées, les juges se conforment strictementaux dispositions du code. De fait, même lorsqu’il arrive que les jugesde première instance ne se conforment pas aux dispositions du code,les juges du second degré n’hésitent pas à censurer leurs décisions,comme l’a fait la Cour d’appel de Rabat dans l’espèce précitée.

B. Le juge et la pension alimentaire (nafaqua)

Les problèmes liés à la pension alimentaire en cas de dissolutiondes liens du mariage sous l’ancienne Moudouana, figuraient parmi ceuxqui causaient le plus de préjudice aux femmes et aux enfants. En effet,la modicité des sommes allouées par rapport au coût de la vie, ajoutéeà la lenteur, voire à l’inefficacité des procédures en la matière, faisaitque nombre de femmes et d’enfants se trouvaient condamnés à laprécarité.

Afin de remédier à cette situation et préserver les droits des femmesdivorcées et de leurs enfants, le nouveau code a introduit un arsenalde mesures leur permettant, en principe, de vivre dans la dignité.

La première de ces mesures est prévue par l’article 168 et consisteà distinguer les frais de logement soumis à la garde de la pensionalimentaire, de la rémunération due au titre de la garde et des autresfrais. Le nouveau texte marque ainsi un pas important par rapport àl’ancienne Moudouana sous laquelle le juge, faute de base légale,faisant une évaluation globale de la pension alimentaire qui le plussouvent ne suffisait pas à couvrir l’ensemble des frais inhérents à lagarde de l’enfant.

L’article précité fait peser sur le père l’obligation d’assurer à sesenfants un logement, de même qu’il précise que l’enfant soumis à lagarde ne peut être astreint à quitter le domicile conjugal qu’aprèsexécution par le père du jugement relatif à son logement.

Conscient des difficultés liées à l’exécution des jugements, véritableplaie sous l’ancien texte, le législateur exige du tribunal de préciserdans le jugement garantissant le logement à l’enfant, les mesures

256 Le Code de la famille

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permettant de garantir la continuité de l’exécution de ce jugementpar le père, en ordonnant par exemple, le prélèvement à la source surles revenus ou sur le salaire du débiteur de la pension.

Allant dans le sens du renforcement de la protection de l’enfantaprès le divorce, l’article 85 oriente le travail du juge en lui indiquantles critères à respecter lors de la fixation de la pension alimentaire. C’estainsi qu’il doit tenir compte de leurs conditions de vie et de leursituation scolaire avant le divorce.

Une autre innovation importante introduite en la matière par lecode, réside dans la fixation du délai maximum dans lequel doiventintervenir les jugements portant sur la pension alimentaire, à un mois.Ce délai s’explique par l’urgence qui s’attache aux questions relativesà la pension alimentaire. Toute la question est de savoir si lestribunaux arriveront à respecter ce délai.

Toujours est-il que l’étude des jugements relatifs à la pensionalimentaire (45), dont la quasi-totalité provient du tribunal de premièreinstance de Kénitra, laissent apparaître qu’ils se déroulent tous selonle même scénario.

Le mari cesse de pourvoir à l’obligation d’entretien de son épouseou de ses enfants. L’épouse intente contre lui une action en justice pourle contraindre à s’exécuter. Deux cas de figure peuvent alors seprésenter. Soit que l’épouse a quitté le domicile conjugal de son pleingré, auquel cas le tribunal la condamne à réintégrer celui-ci (46), ens’appuyant sur les dispositions de l’article 50 et suivants du code etnotamment sur l’obligation de cohabitation légale visée par l’article51 qui fixe les droits et devoirs des époux. Il convient de rappeler quesi l’épouse refuse, elle perd son droit à la pension alimentaire,conformément aux dispositions de l’article 195.

Soit qu’elle a été chassée du domicile conjugal, auquel ce cas, le maricontre-attaque en disant que c’est elle qui a quitté ledit domicile sansson accord. Dans l’une ou l’autre situation, le tribunal demande au mari,dans la plupart des espèces répertoriées, de prêter serment pourattester qu’il ne s’est jamais soustrait à son obligation d’entretien. S’il

257Perceptions et pratique judiciaire

(45) Dans les espèces analysées les époux sont encore liés par les liens du mariage.(46) En ce sens : Tribunal de première instance de Kénitra, jugement n° 3649, du 14décembre 2005 dossier 2695/2005, Tribunal de première instance de Kénitra, jugementn° 3620 du 14 décembre 2005, dossier n° 2335/2005. Ces jugements sont inédits.

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s’exécute, l’épouse n’a droit à rien. S’il se rétracte, elle bénéficie de sapension et, le cas échéant, de celle de ses enfants pour la périodeconsidérée, à condition qu’elle accepte d’appuyer ses dires parserment (47).

Le recours fréquent du juge à la procédure du serment, qui estgénéralement perçu comme l’argument de dernière chance, revêt uncaractère « brutal » et donne l’impression d’une justice expéditive,dans la mesure où les droits de l’épouse, voire de ses enfants, reposentsur le degré de moralité et de sincérité de l’époux.

Par ailleurs, un arrêt de la Cour d’appel de Rabat (48) apporte uneprécision quant au point de départ de la dissolution des liens dumariage.

Dans cette affaire, l’épouse introduit une instance contre son maripour défaut de versement de pension alimentaire, en faisant valoir qu’ill’avait chassée du domicile conjugal le 1er mai 2003.

Le tribunal de 1re instance condamna le mari au versement de lapension alimentaire, à compter de la date précitée.

Le mari interjeta appel de cette décision en faisant valoir, qu’étantdans l’impossibilité de pourvoir à la fois à l’entretien de sa mère et àcelui de son épouse, il avait convenu avec cette dernière, qu’iln’entretiendrait que sa mère, que par la suite, son épouse était revenuesur sa décision, avait quitté le domicile conjugal et a insisté pour qu’ilmette fin à leur union. Ce qu’il fit en obtenant l’autorisation de divorcesous contrôle judiciaire le 24 juillet 2003. Il précise que son épouse n’aquitté le domicile conjugal que le 18 juin 2003 et non le 1er mai de lamême année et que l’autorisation de divorce est intervenue unesemaine après. Il ajoute que de ce fait, elle ne peut bénéficier que desdroits inhérents au divorce qu’elle a précédemment perçus et qu’ellen’a droit à rien pour la période où elle a quitté le domicile conjugal,c’est-à-dire entre 18 juin 2003 et 9 juillet de la même année.

La Cour confirme partiellement le jugement de première instanceet fixe la pension alimentaire entre la date à laquelle l’épouse a quitté

258 Le Code de la famille

(47) En ce sens notamment : Tribunal de première instance de Kénitra, jugement n°3968,du 30 décembre 2005, dossier n° 3026/05,Tribunal de première instance de Kénitra, jugementn°3608 du 14 décembre 2005, dossier n° 2669/05(48) Dossier n° 208/2004/11, inédit.

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le domicile conjugal et celle de son divorce effectif , au motif que c’estcette date qui constitue le point de départ de la dissolution du lienconjugal et non la date de l’autorisation du divorce ou de laconsignation du montant fixé par le tribunal.

S’agissant du point de départ du calcul de la pension alimentairedue à l’épouse, il convient de noter qu’aux termes de l’article 195 ducode, la pension alimentaire accordée par jugement prend effet àcompter de la date à laquelle l’époux a cessé de pourvoir à l’obligationd’entretien qui lui incombe. Le texte précise que le droit de l’épouseà la pension alimentaire n’est pas prescriptible, mais qu’elle peut leperdre si elle refuse de réintégrer le domicile conjugal après avoir étéinvitée à le faire.

Par ailleurs, s’agissant du moment où s’éteint l’obligation d’entretiendu père, on citera un jugement du tribunal de première instance deKénitra qui fait une stricte application des dispositions de l’article 198du code qui dispose que « le père doit pourvoir à l’entretien de sesenfants jusqu’à leur majorité ou jusqu’à vingt-cinq ans révolus pourceux qui poursuivent leurs études (49) ».

Le 1er décembre 2005, le père introduit une requête devant letribunal de Kénitra, dans laquelle il demande qu’il soit mis fin àl’obligation d’entretien de ses deux enfants qui pèse sur lui. Il fait valoir,à l’appui de sa demande, que sa fille née le 3 août 1983 travaillait depuisdeux ans en tant que professeur du secondaire et que son fils, né le20 février 1986, avait arrêté ses études et travaillait depuis près d’unan avec un salaire mensuel de 2 000 Dh.

La mère présenta un mémoire en réplique dans lequel elledemande au tribunal de rejeter la partie de la demande relative à sonfils, pour absence de preuve.

Fondant sa décision sur l’article 198 du code, le tribunal trancha enfaveur de l’époux.

Comme en matière de garde, les décisions relatives à la pensionalimentaire que nous avons pu analyser laissent apparaître que lesjuges font une application stricte des dispositions du code.

259Perceptions et pratique judiciaire

(49) 30 décembre 2005, dossier n° 3352/2005, inédit.

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IV. Le juge et la répartition des biens acquis pendant le mariage

L’article 49 du code introduit une autre nouveauté dans le droitmarocain de la famille. Sans porter atteinte au principe bien établi endroit musulman de la séparation des patrimoines des époux, lelégislateur intègre une nouvelle possibilité qui tient compte del’évolution de la place de la femme en tant qu’acteur économique etde sa participation à la constitution et à la fructification du patrimoinefamilial.

Cet article vient ainsi combler une importante lacune de l’ancientexte qui, certes abordait cette question dans ses articles 39 et 40, maisuniquement en ce qui concerne la contestation entre époux au sujetde la propriété de biens mobiliers. Or, ces dispositions n’étaient passuffisamment protectrices des droits de l’épouse en cas de dissolutiondu mariage. En effet, dans la pratique, les biens, notamment immobiliersacquis pendant la vie conjugale, le sont souvent avec la participationde l’épouse, mais sont immatriculés au nom du mari, généralementparce que c’est lui qui présente une surface économique lui permettantl’obtention de crédits bancaires.

Un autre cas de figure peut se présenter. Sans participer àl’acquisition du bien immobilier, l’épouse, en contrepartie, prend encharge les frais du ménage, la scolarité des enfants, etc.

Dans les deux cas, et s’il y a contestation entre les époux, sur lapropriété des biens acquis en commun, l’épouse n’arrive pas àétablir le montant de sa contribution, faute de preuves matérielles.

Pour préserver l’équilibre au sein du couple et éviter, en amont, queles droits de l’épouse ne soient sacrifiés, l’article 49 dispose que lesconjoints peuvent convenir du mode de gestion des biens acquis encommun pendant la vie conjugale. L’accord des époux sera formaliséau moyen d’un document distinct de l’acte de mariage.

Toutefois, l’expérience a montré qu’il ne suffit pas de prévoir unedisposition légale pour considérer que son application est acquise. Oncitera à cet effet l’exemple de la possibilité pour la femme de se réserverle droit d’option en cas de polygamie, prévue par l’ancienneMoudouana, mais qui était rarement utilisée dans la pratique. Le poidsde la tradition empêche souvent la mise en œuvre de certaines règles.

260 Le Code de la famille

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Conscient de cette difficulté et de la méconnaissance de leurs droitspar beaucoup de femmes, les rédacteurs du Code obligent à traversl’alinéa 3 de l’article 49 les « adoul » à aviser les futurs conjoints, lorsde la conclusion du mariage, de l’existence de cette possibilité.

Ce souci de protection de l’épouse ressort également à travers lesdispositions de l’alinéa 4 de l’article précité qui indique au juge la voieà suivre en l’absence d’accord entre les époux sur la répartition desbiens acquis pendant leur mariage. Tout en énonçant qu’il est faitrecours aux règles générales de preuve, le texte précise, à bon escient,qu’il est tenu compte du travail de chacun des conjoints, des effortsqu’il a fournis et des charges qu’il a assumées pour fructifier les biensde la famille.

Toutefois, malgré toutes ces précisions la mise en œuvre desdispositions précitées risque, dans certains cas, de s’avérerproblématique. Il en est notamment ainsi en cas d’absence decontrat, pour l’établissement de la preuve de l’acquisition de biensmobiliers pour lesquels il est rare que les intéressés conservent toutesles factures. De même, en cas de communauté de bien, le Coden’exigeant pas la publicité d’un tel contrat, sera-t-il opposable aux tierset, en cas de décès de l’un des conjoints, aux ayants-droit ?

Si telles sont quelques interrogations que soulève cette règle quiconsacre, à n’en pas douter, le rôle économique des femmes dans leMaroc d’aujourd’hui, en leur reconnaissant le droit de bénéficier, aumême titre que leurs époux, du patrimoine acquis pendant la vieconjugale, quelle application le juge en fait-il ?

Le fait de ne disposer, sur la question, que d’une décision du tribunalde première instance de Tétouan (50) limite forcément le champ del’analyse et, partant, la pertinence des conclusions. Toutefois, l’espècerapportée de par son côté « classique », permet d’appréhender,même sommairement, l’application qui est faite par les juges desdispositions de l’article 49 du code.

Suite à son divorce sous contrôle judiciaire, l’épouse intente uneaction en justice devant le tribunal de première instance de Tétouan,contre son époux, en faisant valoir que lors de la vie conjugale, le coupleavait acheté un appartement et que, conformément aux dispositions

261Perceptions et pratique judiciaire

(50) 6 octobre 2004, jugement n° 249, dossier n° 25/04/19, inédit.

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de l’article 49 du code de la famille, elle en réclamait la moitié. Elleproduit un document attestant sa participation à l’achat del’appartement en question, de même qu’un document attestant lavente de sa voiture et la perception du prix par son époux.

Elle fut déboutée au motif que n’ayant produit qu’une attestation« adoulaire » qui ne comporte aucun des cinq éléments de preuve dela propriété et qui donc ne peut servir à établir qu’elle est propriétairede la moitié de l’appartement objet du litige ; que s’agissant d’unimmeuble immatriculé, il lui appartenait d’établir la preuve de sapropriété par la production d’un titre foncier, conformément àl’article 62 du dahir sur l’immatriculation des immeubles du 12 août1913 qui dispose que le titre foncier constitue l’unique moyen depreuve concernant les droits réels relatifs à l’immeuble et les chargesfoncières qui le grèvent au moment de l’immatriculation, à l’exclusionde tous autres droits non inscrits ; que n’ayant pas réussi à rapporterla preuve de son droit de copropriété de l’immeuble selon lesdispositions précitées, sa demande ne peut être recevable.

Par ailleurs, il convient de relever, que les magistrats, tout en fondantleur décision sur l’article 62 du dahir précité, éprouvent néanmoinsle besoin de s’appuyer également sur une citation d’Ibn Assim, pourmotiver leur rejet.

V. Le juge et la représentation légale

Dans une affaire introduite devant le tribunal de première instancede Tiflet, le père demande audit tribunal de prononcer l’interdictionde son fils atteint d’un trouble mental le rendant incapable de gérerses affaires.

De son côté, la mère intente devant la même juridiction une instancepour les mêmes motifs.

Après l’expertise médicale diligentée par le tribunal, celui-cistatua sur les deux demandes, en prononçant l’interdiction del’intéressé (51) pour cause de maladie mentale, tout en désignant le pèrecomme étant son représentant légal.

262 Le Code de la famille

(51) Jugement du 29 mars 2004, dossiers n° 553/02 et 339/03.

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La mère interjeta appel de cette décision devant la Cour de Rabat (52),en faisant valoir que son fils avant d’être atteint de maladie mentaleétait soldat et percevait, à ce titre, un salaire mensuel ; que depuis samaladie il a été réformé de l’armée ; que c’était elle qui subvenait àses besoins ; qu’elle ne vivait pas avec son mari sous le même toit ; quece dernier a abandonné son fils depuis sa maladie et qu’il gérait malla pension de celui-ci.

Elle réfute le fait que malgré tous ces faits, le tribunal ait consentià accorder la représentation légale au père et demande à la Cour decensurer le jugement du tribunal de première instance et de la désignercomme représentante légale de son fils interdit.

Fondant sa décision sur l’article 231 du code de la famille, la Courmaintient le jugement attaqué au motif que l’article 231 du Code dela famille dispose que la représentation légale est assurée par le pèremajeur et ne passe à la mère qu’à défaut du père ou par suite de laperte de la capacité de ce dernier, sans préjudice des dispositions quirégissent la responsabilité du représentant légal et sa déchéance etqui peuvent conduire à une instance conformément aux procéduresprévues à cet effet.

La position de la Cour d’appel de Rabat paraît mitigée, car tout enfaisant une application stricte des dispositions de l’article 231 du codede la famille qui accorde en priorité la représentation légale au pèremajeur, elle précise que la mère majeure ne peut prétendre àreprésenter son enfant incapable qu’à défaut du père ou par suite dela perte de la capacité de ce dernier.

En consentant à désigner le père comme représentant légal de sonfils atteint d’un trouble mental et, par conséquent, à bénéficier de lapension de ce dernier, bien qu’il ressorte nettement des faits de la causeque c’est la mère qui prend en charge le malade et qui semble mieuxhabilitée à veiller sur lui, le juge respecte strictement les dispositionsde l’article 231 précité.

Cet arrêt traduit la position inconfortable dans laquelle peut setrouver le magistrat qui doit appliquer la règle de droit lorsque lestermes de celle-ci sont clairement exprimés, alors pourtant qu’elleheurte son sens de l’équité.

263Perceptions et pratique judiciaire

(52) Arrêt n° 205 du 27 décembre 2004, dossier n° 94/2004/10, inédit.

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La Cour ne semble pas entièrement satisfaite de sa positionpuisqu’elle éprouve le besoin d’indiquer à la mère que rien del’empêche de déclencher à l’encontre du père la procédure dedéchéance.

VI. Le juge et l’exequatur des jugements étrangers

Lorsqu’un jugement rendu par une juridiction étrangère doitproduire ses effets au Maroc, il ne peut être exécutoire que s’il est revêtude l’exequatur. Le juge de l’exequatur est tenu de vérifier que lejugement étranger a été rendu par une juridiction compétente etsurtout qu’il ne comporte rien qui puisse heurter l’ordre publicmarocain. Ce n’est qu’une fois que le jugement d’exequatur est renduque la décision judiciaire étrangère s’applique sur le territoirenational.

L’étude des décisions ci-après rapportées montre que les jugesmarocains du second degré, ainsi que les conseillers de la Coursuprême, font une application stricte de la procédure d’exequatur enn’hésitant pas à censurer les décisions rendues par les juridictions dupremier degré, lorsque celles-ci refusent, sans raison valable de rendreexécutoire les décisions dûment rendues par les tribunaux étrangers.De même, ils n’hésitent pas à refuser l’exequatur à des jugementscontraires à l’ordre public marocain.

C’est ainsi que dans une espèce portée devant le tribunal depremière instance de Rabat, une ex-épouse introduit une demande enexequatur du jugement de son divorce rendu par le tribunal régionalde La Haye (Hollande), en faisant valoir que ce jugement est définitif,qu’il est revêtu de la force de la chose jugée et qu’il ne comporteaucune mention contraire à l’ordre public marocain.

Le tribunal (53) ayant déclaré irrecevable la demande d’exequatur,la demanderesse porte l’affaire devant la Cour d’appel de Rabat (54) quistatue en sa faveur, au motif qu’elle a rapporté la preuve del’enregistrement du jugement du divorce sur les registres de l’état civil,or cette formalité ne peut se faire qu’en présence d’un jugement, lequel

264 Le Code de la famille

(53) Tribunal de première instance de Rabat, jugement n° 796 du 23 mai 2003, dossiern° 1142/02/12, inédit.(54) Arrêt n° 163 du 11 octobre 2004, dossier n° 254/2003/10, inédit.

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ne peut faire l’objet d’aucune voie de recours, comme l’attestel’auxiliaire judiciaire marocain auprès de l’Ambassade du Royaume enHollande ; que le jugement en question provient d’un tribunalcompétent ; qu’il ne comporte rien qui heurte l’ordre public marocainni les règles de la Charia.

Dans une autre espèce, l’ex-épouse introduit devant le tribunal depremière instance de Khemisset une demande en exequatur dujugement de son divorce rendu par le tribunal de première instanced’Orléans (France), en faisant valoir que le ce jugement était définitifet en produisant à l’appui de sa demande les documents qui attestentde la véracité de ses dires.

Le tribunal accepta la demande d’exequatur.

L’ex-mari interjeta appel de cette décision devant la Cour deRabat (55) en faisant valoir qu’il était absent aussi bien lors dujugement de divorce rendu par le tribunal de première instanced’Orléans que lors de celui de Khemisset qui a confirmé leditjugement et que, par conséquent, il n’a pu présenter sa défense ; quela demanderesse avait quitté le domicile conjugal, abandonnant sessix enfants, pour suivre son amant et qu’il avait alerté les autoritéscompétentes, aussi bien en France qu’au Maroc pour établir l’adultère.

La Cour le débouta au motif qu’il était représenté par son avocatpendant la procédure de divorce devant la juridiction française ; quela demande d’exequatur lui a été dûment notifiée, sans pour autantqu’il y réponde ; que le jugement étranger a été prononcé par untribunal compétent ; qu’il est devenu définitif et qu’il ne contrevientni à l’ordre public marocain, ni aux règles de la Charia.

Dans une troisième affaire, l’épouse introduit devant le tribunal depremière instance de Rabat, une demande en exequatur du jugementde son divorce rendu par le tribunal de grande instance de Lyon, le31 mai 1999. Ce même jugement fixe le montant de la pensionalimentaire de sa fille.

Suite au refus de la demande d’exequatur par le tribunal, l’épouseporte l’affaire devant la Cour d’appel de Rabat (56) en faisant valoir queles juges du premier degré ont fondé leur rejet sur le fait que le

265Perceptions et pratique judiciaire

(55) Arrêt n° 8 du 3 janvier 2005, dossier 107/2004/10, inédit.(56) Arrêt n° 81, du 26 avril 2004, dossier n° 147/2002/10, inédit.

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jugement étranger n’a pas qualifié les agressions qu’elle auraitsubies ; que les expressions employées restent vagues et ne permettentpas au tribunal de se prononcer sur la conformité, quant au fond, dujugement étranger avec l’ordre public marocain , alors pourtant quele jugement dont elle demande l’exequatur est d’une part, fondé surles préjudices soufferts du fait des agressions physiques dont elle étaitl’objet et dont les preuves ont été présentées au tribunal et, d’autrepart, sur le défaut d’entretien qui constitue une cause de divorcejudiciaire en droit marocain et un manquement grave à l’une desconditions stipulées dans l’acte de mariage. Pour l’ensemble de cesraisons, il apparaît que le jugement étranger est conforme, quant au fond, à l’ordre public marocain, au Code de la famille et à la Charia.

Le mari présente un mémoire en réplique dans lequel il déclareinfondés les arguments avancés par son ex-épouse au motif que lejugement du TGI de Lyon s’appuie sur les dispositions du code civilfrançais et non sur celles du code de la famille qui doivent recevoirapplication dans les différends relatifs au statut personnel, ce qui aconduit au non-respect de nombreuses procédures qui régissent ledivorce judiciaire pour préjudice subi et qui fixe la pension alimentaire.Il ajoute que le préjudice n’est pas établi selon les règles auxquellesrecourent généralement les magistrats marocains ; que les certificatsmédicaux à eux seuls ne suffisaient pas ; que l’épouse a choisi de porterson action devant les juridictions françaises bien que le domicileconjugal se trouve au Maroc ; qu’elle a quitté celui-ci sans sonassentiment ; qu’une fois installée en France, elle a fait enlever leur filleavec l’aide de son fils d’un autre mariage pour qu’elle vive avec elleen France comme l’atteste l’arrêt rendu contre elle au pénal ; qu’il necomprend pas comment il peut à la fois être privé de sa fille et êtreobligé de lui verser une pension alimentaire selon le niveau de vie d’unpays étranger ; pour tous ces motifs, il demande à la Cour deconfirmer la décision du tribunal de première instance.

La Cour rejette la décision du tribunal de première instance danssa partie relative au divorce pour préjudice subi, aux motifs que lejugement émane d’une juridiction compétente et qu’il ne contrevientni à l’ordre public marocain, ni aux règles de la Charia.

Quant à la partie relative à la pension alimentaire de l’enfant, la Courconfirme la décision du tribunal de première instance et refused’accorder l’exequatur du jugement sur ce point. Elle fonde sa

266 Le Code de la famille

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décision sur le fait que le jugement lui-même affirme que l’enfant aété adoptée et qu’il ressort des pièces du dossier, d’une part, qu’ellen’a pas de lien de filiation avec l’appelante et, d’autre part, quel’appelant ne s’est pas engagé à assurer son entretien lorsqu’elle setrouve sous la garde d’une autre personne, que tous ces éléments sontcontraires à l’ordre public marocain et aux règles de la Charia quiinterdisent l’adoption et en vertu desquelles elle ne produit aucun effetlégal.

Dans une dernière espèce, l’ex-épouse introduit devant le tribunalde première instance de Bruxelles (Belgique) pour contraindre le pèrede ses trois enfants à leur verser la pension alimentaire qu’il leur doit.Le tribunal statue en sa faveur, mais pour être exécutoire au Maroc oùréside le père, le jugement doit être revêtu de l’exequatur. Elle adresseune requête dans ce sens au tribunal de première instance de Nadorqui rejette sa demande.

Elle porte l’affaire devant la Cour d’appel de Nador qui déclarerecevable sa demande d’exequatur rendant ainsi exécutoire lejugement rendu par le tribunal bruxellois.

Cet arrêt fit l’objet d’un pourvoi en cassation de la part du mari. LaCour suprême (57) cassa l’arrêt de la Cour d’appel de Nador, au motifque le jugement dont l’exequatur est demandé a été prononcé par unejuridiction incompétente territorialement et matériellement, étantdonné que le défendeur avait quitté la Belgique pour s’établirdéfinitivement au Maroc ; que les compétences accordées au juge desréférés ne l’autorisent pas à condamner une personne qui réside endehors de l’Etat belge au paiement d’une pension alimentaire au profitde ses enfants ni à lui interdire de leur rendre visite. Or, il s’agit là dequestions de fond, et rien dans les conventions internationalesn’octroie à la mère le droit de priver le père de son droit de visite auprèsde ses enfants. Le fait que je jugement attaqué interdise au père degarder toute relation avec ses filles, de s’enquérir de leurs conditionsde vie et de veiller à leur éducation constitue une atteinte à l’ordrepublic marocain et au code de la famille.

267Perceptions et pratique judiciaire

(57) Arrêt n° 35, du 13 février 2006, dossier n° 20/2005/10, inédit.

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VII. Le référentiel du juge

L’importante marge de manœuvre octroyée par le législateur aujuge, dans le cadre du code de la famille pousse à s’interroger sur leréférentiel sur lequel ce dernier s’appuie pour rendre ses décisions.En effet, l’on est en droit de se demander si le caractère confessionneldu droit de la famille au Maroc, délimite d’emblée au juge lepérimètre dans lequel doit s’inscrire son effort d’interprétation ?

Il ne fait aucun doute que l’Islam et, plus précisément le rite malékite,demeure le référent par excellence. Déjà l’ancienne Moudouana dansson article 297 indiquait au juge la voie à suivre en cas de carence, enlui intimant de « se reporter à l’opinion la plus fondée ou la mieuxconnue du rite malékite, ou à la jurisprudence qui y a cours ». Tout enreprenant la même idée, le législateur de 2004 va plus loin en ouvrantau juge la voie du véritable « ijtihad ».

En effet, autant la rédaction de l’article 297 enserre le pouvoird’interprétation du juge dans un véritable étau en le forçant à resterconfiné dans les limites du rite malékite et de la jurisprudence qui endécoule, ce qui, du reste, a fini par conduire à une véritable sclérosede l’« Ijtihad », autant l’article 400 du nouveau code l’invite à se référerà « l’effort jurisprudentiel qui tient compte de la concrétisation desvaleurs de l’islam en matière de justice, d’égalité et des bons rapportsde la vie commune ». On relève d’une part, que le législateur lie l’effortjurisprudentiel à l’islam et non plus uniquement au rite malékite. Ils’ensuit, que le juge, à l’instar du législateur lui-même, peut puiser dansles autres rites, chaque fois qu’il se trouve devant une situation nonprévue par le code. D’autre part, le législateur indique au juge lescritères dont il doit tenir compte dans son effort d’interprétation oude « création » du droit. Ces critères sont ceux de justice, d’égalité, etde bons rapports au sein du couple, tels qu’ils découlent des valeursvéhiculées par l’islam.

Si telle est la voie tracée par le législateur au juge, osera-t-il élargirson champ d’investigation et intégrer dans son référentiel d’autressources telles les conventions internationales dûment ratifiées par laMaroc ? La réponse à cette question peut être trouvée dans lediscours prononcé par le Roi devant les représentants de la nation le10 octobre 2003. On peut, en effet, y lire que les dispositions du nouveaucode, « ne doivent pas être perçues comme des textes parfaits, ni

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appréhendées avec fanatisme. Il s’agit plutôt de les aborder avecréalisme et perspicacité, dès lors qu’elles sont issues d’un effortd’« ijtihad » valable pour le Maroc d’aujourd’hui, ouvert au progrès quenous poursuivons avec sagesse, de manière progressive, mais résolue ».

Cette volonté d’ouverture apparaît également dans la compositionde la commission royale chargée de l’élaboration du nouveau codeet qui regroupait aux côtés des théologiens, des magistrats, desmédecins, des professeurs de droit et des sociologues, et qui, pour lapremière fois, comptait un certain nombre de femmes.

Par ailleurs, le juge s’en tient-il dans la motivation de ses jugementsaux dispositions du code ou éprouve-t-il encore du mal à se défairede certains réflexes qui le poussent à puiser dans la morale, la religion,voire la réalité sociale, alors pourtant que la référence aux seulesdispositions du code paraît suffisante ?

L’analyse de la jurisprudence objet de la présente étude, laisseapparaître qu’à côté de jugements dans lesquels les magistrats fontpreuve d’une certaine ouverture d’esprit, se trouvent d’autres qui secaractérisent par une surabondance de motifs, donnant ainsil’impression que les juges ne se suffisent pas de la référence auxdispositions du code pour asseoir leurs décisions et qu’ils éprouventle besoin d’y adjoindre d’autres références notamment à caractèrereligieux. En effet, au delà du verset 35 de la Sourate « Les Femmes »,relative au « chiqaq », certains magistrats citent des hadiths. Parfois,ils vont jusqu’à citer l’Imam Malik, ou la Tohfa d’ Ibn Assim, ou encorel’Abrégé de l’Imam Khalil (58). Ce besoin de remonter aux sources, estrévélateur de la place prépondérante que continue d’occuper leréférentiel religieux dans l’esprit de beaucoup de magistrats.

Conclusion

Parvenue au terme de la présente étude, quels enseignements peut-on en tirer ?

Il ne fait aucun doute que les conclusions que nous avons pudégager de l’analyse des décisions jurisprudentielles dont nousavons pu disposer, doivent être considérées avec précaution, dans la

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(58) Voir notamment : tribunal de première instance de Kénitra, 14 décembre 2005, dossiern° 690/05 ; 26 janvier 2006, dossier n°1034/05 ; 26 décembre 2006, dossier n° 333/05, inédits.

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mesure où il n’existe pas suffisamment de recul pour cerner avecexactitude la manière dont les magistrats assument les nouvellesresponsabilités que le législateur de 2004 fait peser sur eux.

Toutefois, l’on ne peut nier certaines grandes tendances qui sedessinent. Il en est notamment ainsi en matière de divorce judiciairepour raison de discorde ou « chiqaq ». La manière avec laquelle lesmagistrats abordent ce nouveau mode de dissolution du mariage, ens’inscrivant totalement dans l’esprit du texte, constitue un indice positifdans la voie du renforcement des droits des femmes au Maroc.

Cet indéniable effort des juges se trouve néanmoins contrecarrépar la tendance de ces dernières à renoncer à leurs droits sous l’effetdes fortes pressions auxquelles elles sont soumises de la part de leursconjoints et, souvent, de la méconnaissance de leurs droits.

En outre, certaines décisions, encore assez rares, laissent apparaître,une attitude novatrice et plus égalitaire des juges, qui tranche avecleur position antérieure. En effet, ils n’hésitent plus à mettre en avantles intérêts de l’épouse, dans des domaines où ils se montraient trèsconservateurs jusque là. C’est notamment le cas des espècesrapportées dans lesquelles les épouses ont initié des demandes endivorce judiciaire pour raison de « chiqaq », en faisant valoir que lacohabitation étaient devenue impossible du fait qu’elles se trouvaientà l’étranger et leur mari au Maroc, ou encore du fait qu’elle ne voulaientpas renoncer aux droits acquis dans le pays d’accueil.

Ces prémisses prometteuses signifient-elles que le juge marocains’est résolument engagé sur la voie de la modernité ? La réponse doitêtre nuancée, d’une part, parce que nous nous trouvons au début d’unlong processus et, d’autre part, parce que le juge demeure soumis aupoids de la tradition, comme l’atteste souvent la surabondance demotifs et son besoin fréquent, même en présence de dispositions claireset qui se suffisent à elles-mêmes, de recourir au référentiel religieuxet aux auteurs classiques du droit musulman.

Par ailleurs, le mécanisme de conciliation des époux qui vise àsauvegarder la cohésion du couple afin d’éviter l’effritement de lacellule familiale, et qui est placé sous l’autorité du juge, risque d’êtrevidé de son sens, vu que l’époux ne se présente que rarement à laséance prévue à cet effet. Il s’avère dès lors nécessaire de repenser cette

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phase cruciale de la procédure de dissolution des liens du mariage etde lui redonner la place qu’elle mérite.

En définitive, s’il est vrai d’affirmer que le code de la famille, qued’aucuns qualifient de « texte juridique fondateur de la sociétédémocratique », introduit une véritable révolution dans les esprits, iln’en demeure pas moins que les grands principes qui le fondent, telcelui de l’égalité au sein du couple, ne se décrètent pas. Ils exigent pourêtre traduits dans les faits un long apprentissage qui implique certesle juge en sa qualité de gardien de l’équilibre au sein de la famille, maiségalement l’ensemble des acteurs de la société, avec à leur tête lafamille elle-même.

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Synthèse généraleHouria ALAMI M’CHICHI

Malika BENRADI

Cette étude s’est fixé comme objectif d’examiner l’application dunouveau code de la famille dans ses multiples facettes, compte tenude l’ensemble des acteurs/trices concernées.

Partant de l’hypothèse que la loi peut contribuer à changer lesmentalités et les comportements des citoyens-nes, qu’ils/elles soientou non confrontés-es au système judiciaire (chap. 1 et 2), l’étude a toutd’abord abordé la problématique relative aux perceptions pourdonner une vue générale de ce que les citoyens-nes pensent dunouveau code et de la vision égalitaire qui en constitue l’ossatureprincipale et pour mesurer le niveau des mutations à l’œuvre sur laquestion. Cette recherche s’est proposé ensuite d’explorer lesréactions à l’intérieur du système judiciaire en interrogeant lesjusticiables pour évaluer dans quelle mesure ces derniers/ères ontl’impression (ou non) que les nouvelles mesures améliorent leursituation et facilitent leur circulation dans le système judiciaireconformément à la volonté du législateur.

Le troisième chapitre s’est penché sur l’analyse de l’impact dupouvoir d’interprétation, accordé aux juges (chap. 3). Dans cetteperspective, les juges ont été approchés, non seulement en tant quepraticiens du droit mais aussi en tant que citoyens, pour cerner le sensqu’ils donnent aux nouvelles dispositions et les conséquences que celapeut avoir sur leur pouvoir d’interprétation.

Ces trois premiers volets ont cherché à rendre compte des effets dela réception du nouveau code au croisement du juridique, dupsychologique et du sociologique. Ils ont eu pour vocation de décelerl’étendue du niveau de connaissance et d’acceptation des nouvellesnormes et de la vision égalitaire qui les anime, et de pointer les

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dispositions qui sont encore vécues dans une relation d’interrogation,de suspicion, voire de rejet.

En dernier ressort, la recherche entreprise a considéré l’applicationconcrète du code de la famille non seulement à travers l’observationdes audiences (chap. 4) pour apprécier les cadres humain et matérieldans lesquels se déroulent les audiences et analyser les rapports des« clients » du système avec les juges et les avocats pour mieuxcomprendre le niveau de respect des nouvelles règles par lesdifférents acteurs. Elle a également procédé à la lecture critique desjugements rendus sur les nouvelles dispositions du code (chap. 5).L’objectif de cette lecture était de cerner les différences qui existententre les opinions exprimées par les juges et l’application effective qu’ilsfont du texte, de déceler l’esprit avec lequel ces derniers appliquentles nouvelles règles et d’évaluer leur degré d’adhésion au principe del’égalité, notamment en ce qui concerne les questions pour lesquellesils jouissent d’un large pouvoir d’appréciation, comme c’est le cas enmatière d’autorisation de la polygamie, du mariage avant l’âge légalou encore concernant les nouvelles modalités de divorce et leurs effets.

Un ensemble de conclusions croisées se sont dégagées de cesdifférentes contributions.

1. Tous les résultats des différents chapitres ont confirmé lebouillonnement d’idées nées et développées à la faveur de lapromulgation du nouveau code de la famille ainsi que les mutationsà l’œuvre dans les représentations et dans les comportements. LesMarocains et les Marocaines, quel que soit leur statut (les citoyens-nesordinaires interrogés-es, les juges et les justiciables), se sententengagé-es dans le processus. Ils-elles s’adaptent, négocient leursrelations au sein de la famille et tentent de se plier aux nouvelles règles.C’est là la preuve qu’une dynamique de changement est à l’œuvre,malgré le contexte de crise de société. Hommes et femmes sontconcernés-es, mais tous les chapitres relatifs aux perceptions l’ont noté :les femmes sont plus favorables au nouveau code que les hommes.Le chapitre relatif aux perceptions de l’opinion publique soulignefortement ce constat. C’est aussi en fonction de cette observation quela question a été posée sur les conséquences de la masculinité du corpsdes magistrats officiant dans les tribunaux de la famille et surl’hypothèse formulée d’une féminisation plus importante de cecorps qui pourrait donner une orientation plus favorable aux femmes

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ou, en tous cas moins défavorable, à l’application du nouveau code dela famille. Dans le même sens, en dévoilant l’élan vers le recours à lajustice que la réforme a entraîné chez les femmes, qui sont plusnombreuses que les hommes depuis la promulgation du nouveau codeà saisir la justice de la famille, le chapitre relatif aux justiciables insistesur l’effet « libérateur » supposé que le nouveau texte a eu sur lesfemmes.

Les conclusions ont également permis de faire le constat del’évolution dans les comportements que cela a entraîné. Il y a affirméle caractère irréversible de la reconnaissance de la nouvelle donne.Citoyens-nes, justiciables et juges acceptent le nouveau texte. Ils partentd’un acquis qu’ils critiquent mais qu’ils ne remettent pas en cause. Lesjuges interrogés en reconnaissent la conformité avec les préceptes dela religion islamique, ce qui est fondamental à leurs yeux. Cetteobservation peut laisser présupposer une application adéquate desnouvelles règles et les prédispositions du juge à ajuster son pouvoird’interprétation à la vision égalitaire du texte et aux nouvellesdispositions qui en constituent l’ossature. Mais, si tous les résultatsconvergent en ce sens, acceptation ne signifie pas nécessairementadhésion. A cet égard, la position du juge, compte tenu de son statutparticulier, peut davantage être interprétée comme un alignement surla volonté de changement du pouvoir politique que comme forme del’expression d’une volonté indépendante. La qualification de «progressiste par décret », utilisée dans le texte sur les juges, a voulurendre compte de cette attitude qui consiste à se déclarer favorableà la réforme décrétée par l’autorité sans approuver nécessairement soninitiation. Cette dénomination pourrait être reprise pour l’ensembledes citoyens qui se déclarent favorables au principe de l’égalité dansle nouveau code et des dispositions qui le concrétisent, tout endéveloppant des points de vue qui contredisent parfois l’égalitépréalablement reconnue.

Ces positions expliquent pourquoi, malgré l’approbation généralede la réforme réalisée, sur de nombreuses questions, hésitations,tergiversations, incertitudes, voire même contradictions traversentl’ensemble des perceptions, du citoyen, du justiciable et même du juge.Ce dernier, en effet, en tant que magistrat est tenu, par le texte qu’ildoit tenter d’appliquer rigoureusement. Mais le juge est égalementun citoyen. A ce titre, il est partie prenante à la culture ambiante,

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laquelle peut réagir sur le pouvoir d’interprétation qui lui est accordéen tant que juge ; elle peut freiner, contribuer à contourner, voire à« dénaturer » le changement attendu par le nouveau texte législatif.Les entretiens réalisés avec les juges ont effectivement mis enexergue le risque existant. En insistant sur les interactions entre cetteculture sociale et la formation juridique spécifique du juge, lechapitre relatif à cet aspect a souligné les empiétements qui existententre les positions du juge en tant que citoyen et celles duprofessionnel de la justice.

L’argumentation part du constat suivant : pour faire face à sesresponsabilités professionnelles de magistrat du contentieux du droitfamilial, le juge doit en effet acquérir une culture dont le fondementse trouve dans le fiqh. Cette dernière, compte tenu du contexte évolutifvers le droit positif qui comporte la reconnaissance des droitsuniversels, devrait normalement s’intégrer dans le moule de ce droit.Or, dans la réalité, un certain nombre de facteurs limitent l’évolution dece processus. En particulier, le contexte sociologique marqué par le poidsaccordé aux valeurs religieuses dans les relations familiales, associé àla culture fiqhiste, contient le risque de renforcer la culture traditionnelledu juge au détriment de la culture juridique positive et de le conduireà privilégier les interprétations qui vont dans ce sens, lesquelles peuventse traduire, dans les jugements, par des solutions susceptibles d’allerà l’encontre de la logique de la norme égalitaire à appliquer.

Cette double référence explique l’ambivalence des réponses faitespar les juges interviewés qui ont, dans certains cas, défendu tour à tourun point de vue positiviste ou fiqhiste, sans nécessairement enpercevoir les incohérences.

Ces observations concordent avec celles qui ont été faites à proposde l’opinion publique et partiellement des justiciables. Dans tous lescas, les perceptions sont marquées par l’ambivalence du systèmeculturel ; ce qui explique les va-et-vient opérés entre les appréciationsfavorables au caractère novateur du code de la famille et l’attachementaux options traditionnelles, les incertitudes, voire l’incohérence de lacompréhension de certaines dispositions. A titre d’exemple, laconclusion sur les fortes réticences de la société à accepter les nouvellesrègles relatives à la wilaya, notée dans l’enquête quantitative réaliséeauprès de l’opinion publique, a été largement confirmée par l’enquêtequalitative sur les juges. L’examen de cette question indique, en effet,

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un consensus général sur la question, l’opinion publique, y compriscelle des filles jeunes, étant très réservée à l’égard de cette libertélaissée aux femmes de se marier sans tutelle. Ce qui exige une analyseapprofondie des raisons de ces formes de distanciation et/ou de rejet.Les réponses des juges à la question n’apportent pas une explicationsuffisante aux résistances. Elles se réfèrent aux traditions et aurespect de la famille, concepts classiques bien connus qui sontégalement évoqués par l’opinion publique.

De même, la répartition des biens acquis tout au long du mariageen cas de séparation a confirmé sa position litigieuse dans l’enquêtesur l’opinion publique. Mal comprise, vécue comme une atteinte à desrègles socialement établies et comme symboliquement représentatived’une puissance masculine en péril, la mesure sur le partage des biensest loin d’adhérer à tous et à toutes. Sur cette question, il existe aussiune concordance entre les opinions des citoyens-nes de manièregénérale et les praticiens du droit qui tendent à privilégier uneinterprétation restrictive de l’application de la disposition, qui neprofiterait pas aux épouses, alors même que le fiqh peut dans ce casoffrir une solution plus progressiste.

Si l’on en croit l’opinion générale, la question de l’alignement dumariage des filles et des garçons à 18 ans ne suscite pas de réprobation.Là encore, malgré le relatif consensus de l’opinion publique nondirectement concernée par le sujet, la réalité semble contredire, aumoins partiellement, ces perceptions. Le chapitre relatif aux justiciables,a noté le faible taux de cas dans l’échantillon, les demandeursd’autorisation de mariage de mineures ne représentant qu’un très faiblepourcentage. Il a cependant noté que cette question ne semble pasémouvoir le Marocain moyen qui a tendance à penser que les fillespeuvent se marier avant l’âge de 18 ans, les raisons invoquées par lespères interrogés étant liées tant à la maturité physique qu’au souciavancé de préserver les filles contre les risques sociaux d’agression (viol)ou de débauche. L’étude souligne le désintérêt manifesté par la sociétéet par l’administration à ce sujet si l’on en croit les tendances observéesdes juges à signer facilement les autorisations de dérogation, du corpsmédical à délivrer aisément des certificats de capacité et du fait dela non-exécution de l’enquête sociale prévue par l’art 20 du code.

Ces conclusions sont confirmées par l’enquête réalisée auprès desjuges. Ces derniers envisagent plusieurs types de solutions pour

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apprécier leur rôle ; certains considèrent que l’exception peut êtrelimitée à une interdiction en dessous de 16 ou 17 ans, d’autres pensentqu’ils peuvent accorder (ou non) la dérogation juridique nécessaireau mariage avant l’âge légal sur la base d’une simple « évaluation »subjective de la maturité de la fille. Enfin, dans cet effort d’appréciation,le juge estime qu’il doit tenir compte des considérations d’ordre socialet de moralité.

L’étude a montré que, nonobstant son caractère limité dans les faits,la polygamie continue à susciter des réactions importantes et à êtrevécue par les hommes comme un élément de pouvoir incontestable.C’est bien sûr dans ce sens que les réticences à l’égard de la clausede monogamie, observées dans l’enquête sur l’opinion publique,peuvent être comprises.

Les magistrats, quant à eux, considèrent que la loi pose desconditions suffisamment contraignantes pour que l’autorisation depolygamie soit exceptionnelle. Ils n’excluent pas, pour autant, desdérogations, non exemptes de moralisme dans des situations où le jugeest confronté à la réalité des faits, comme la grossesse de la femmefuture épouse ou même plus simplement la cohabitation effective desdeux partenaires, cohabitation considérée comme étant « haram » etdevant être par conséquent « légitimée ». Le magistrat introduit parfoisun autre argument qui se veut fondé sur le réalisme pour expliquerl’option en faveur de la polygamie, lorsqu’il argue du fait, qu’en casde refus, il se verrait dans l’obligation de défaire la première union,ce qui peut aller à l’encontre de l’intérêt matériel et psychologique dela première conjointe.

Parce qu’ils-elles sont directement confrontés-es au systèmejudiciaire, les justiciables manifestent une ambivalence différente quise situe surtout entre leurs espérances par rapport à une réforme etla réalité vécue. Les justiciables sont en effet nombreux à considérerque le nouveau texte contient des dispositions positives d’abord pourles femmes, ensuite pour les enfants et enfin pour l’équilibre de la cellulefamiliale.

Paradoxalement, même s’ils-elles se trouvent confrontés-es à lajustice relative aux conflits familiaux, les justiciables perçoivent peu lesaspects négatifs du code, la grande majorité des personnes interrogéesayant des difficultés à les identifier.

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Ils-elles cherchent surtout à se positionner au sein du systèmejudiciaire en usant des nouvelles règles, à comprendre et à optimiser,à titre personnel, les aspects des nouvelles dispositions susceptiblesde leur être favorables. Ayant largement perçu le caractère novateurdu nouveau code de la famille, ils-elles en attendent des changementsdans le comportement des juges et des facilités de circulation dansle système judiciaire. Mais, à leurs yeux, la réalité corresponddavantage aux anciennes pratiques. La lenteur de la procédure leursemble particulièrement préjudiciable

Cette remarque apporte un éclairage sur la distance qui existe entrel’opinion des Marocains et des Marocaines non impliqués-es dans uneaction en justice relevant du droit de la famille et les justiciables quisont confrontés-es directement à l’application du nouveau code. Lespremiers se déclarent en majorité favorables à la création de sectionsde la famille. Les seconds dénoncent les dysfonctionnements dusystème et émettent un certain nombre de critiques à l’égard decertaines institutions. Tout le parcours du circuit judiciaire estconsidéré comme éprouvant et non adapté au nouvel esprit de laréforme. Les résistances du parquet et de la police sont soulignées etle rôle des huissiers est montré du doigt du fait particulièrement dela lenteur dans le travail qui contribue à allonger la durée desprocédures judiciaires en matière de conflits familiaux, contrairementà la volonté du législateur.

Ainsi, les difficultés rencontrées conjuguées aux souffrancessupportées infirment les perceptions générales de l’opinion publiquefavorables aux sections de famille et incitent les justiciables aupessimisme. Ce sentiment est conforté par la tendance à lasurdétermination des pouvoirs du juge entre les mains duquel lesjusticiables pensent que leur sort est totalement livré. Leur manquede confiance dans la justice s’en trouve confirmé, voire mêmerenforcé. Or ce sentiment va à l’encontre des objectifs du nouveau codequi s’est fixé comme but de faciliter la gestion des conflits relatifs àla famille et de rationaliser le fonctionnement de la justice.

Le système judiciaire continue, en effet, à être perçu par lesjusticiables comme un système injuste. Les femmes jeunes se sententparticulièrement vulnérables et davantage lésées. Les justiciablesconsidèrent également que la justice ne remplit pas son rôle derégulation des inégalités sociales. Les personnes appartenant aux

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couches défavorisées pensent en effet que le juge « montre plusd’égard vis-à-vis des justiciables nantis ». Les hommes et les femmesconcernés-es mettent en avant l’inégalité par l’argent et dénoncentle poids des réseaux d’influence et de diverses interventions. Lesrésultats de l’enquête ont également démontré le faible taux deconfiance accordé aux avocats-es qui sont, à quelques exceptions près,perçus-es comme fondamentalement motivés-es par l’argent.

Les citoyens-nes ont manifesté un intérêt marqué pour la procédurede réconcialition. Les justiciables ont également manifesté uneapprobation de la mesure, un nombre très important d’entre eux ayantaffirmé avoir bénéficié de la phase de conciliation et y être favorables

Dans les faits, il reste que cette procédure souffre de nombreuxhandicaps signalés par les justiciables : l’inexpérience des juges, lemoralisme, les limites de l’écoute, du temps accordé aux conjoints,ensemble de faits qui expliquent, au moins en partie, l’échec fréquentobservé et les frustrations des personnes concernées.

Cette situation a conduit de nombreux justiciables à revendiquerune refonte du système, le droit à une justice plus humaine ou unerésolution des conflits familiaux dans le cadre d’une solution amiablesans le recours à la justice, les femmes étant celles qui sont les plusfavorables à cette forme de médiation.

2. S’agissant du second aspect de l’objectif assigné à l’investigationsur les juges – évaluer le rôle du juge, en tant que praticien du droitde la famille, dans l’application des nouvelles dispositions du codede la famille – les résultats de la recherche ont fait apparaître deuxpositions dominantes : 1) d’une part, une unanimité apparente surcertaines questions qui masque, 2) d’autre part, un certain nombre dedivergences, de nuances, voire de réticences par rapport à l’interpré-tation de quelques nouvelles dispositions du code de la famille.

Tous les juges interrogés ont affirmé que la révision du droit de lafamille était nécessaire. Elle s’est inscrite, pour eux, dans une lectureprogressiste de la tradition juridique islamique qui peut, à leurs yeux,garantir l’équilibre au sein de la famille, assurer l’égalité entre lesconjoints et protéger les droits de l’enfant. Ils considèrent que lenouveau code contient un certain nombre d’avantages susceptiblesde corriger les discriminations que subissaient les femmes lorsqu’ellesintentaient une action en séparation.

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Ils approuvent l’instauration des garanties pour l’exécution desjugements. Tous les juges interrogés affirment également que laprésence du ministère public constitue une grande garantie pourl’application des nouvelles dispositions.

Ils reconnaissent, à l’unanimité, qu’il existe encore desdiscriminations dans le nouveau code, traduites par des contradictionsentre certaines dispositions ; ils estiment que le nouveau texte est uneétape, qui probablement sera suivie par d’autres révisions etamendements qui s’imposeront à la lumière de l’application.

Un accord quasi-total existe aussi à propos des principales raisonsqui nuisent à une application correcte du code, que les jugesattribuent au manque de formation des juges, à leur spécialisation, àla faiblesse des moyens dont ils disposent et à l’absenced’indépendance des sections familiales par rapport aux tribunaux depremière instance.

Ces affirmations peuvent laisser croire que les juges, qui voient dansles nouvelles dispositions un grand acquis pour les femmes, défendentune position progressiste qui est contrariée par des obstacles d’ordrematériel et humain.

Les divergences apparaissent quant à certaines nouvellesdispositions et surtout par rapport au pouvoir d’interprétation dontles juges sont dotés.

L’âge au mariage, la tutelle, la répudiation, la polygamie, ladéchéance du droit de garde lorsque l’épouse est de confession nonmusulmane, le partage des biens, le recours à d’autres référents en casde lacunes ou d’insuffisances (art. 400), ne recueillent pas l’adhésiontotale des juges interrogés.

Cette divergence s’exprime concrètement lors du pouvoird’appréciation, les juges progressistes seront plus enclins à uneinterprétation plus large, en faveur de l’égalité, alors que les jugesconservateurs auront tendance à opter plus pour une interprétationrestrictive des droits des femmes, qu’ils expliqueront par l’attachementau référentiel religieux.

Les positions des juges sont conformes aux positions des Marocainset des Marocaines, notamment par rapport à la tutelle au sujet delaquelle la majorité considère que la fille ne peut se marier sans la

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présence de son tuteur matrimonial. Cette position est fondée sur lerite malékite qui constitue le principal référentiel du code de la famille.Les juges ont tous insisté sur la référence à ce rite en cas de lacunesdu texte, certains affirment timidement recourir à d’autres rites etmême éventuellement aux conventions internationales que le Maroca ratifiées sans réserves.

Au cours des entretiens, on a constaté que pour les juges, la normejuridique se mue en norme morale et se traduit par un certainconformisme. Gardiens des normes, les juges sont chargés de fairerespecter les lois ; ils en sont les garants, dans un contexte qui nepermet aucun dépassement et aucune remise en cause du référentielreligieux. Cette réalité sociale constitue un obstacle majeur àl’application stricte du NCF car elle renforce la fonction idéologiquedu juge et consacre plus fortement le référentiel religieux conjuguésouvent à la morale.

Parmi les différentes questions abordées par les juges, certaines sontapparues comme plus significatives : la collégialité, l’insuffisance desmoyens, le manque de temps et la surcharge du travail, l’indépendance,le manque de formation et de spécialisation, le pouvoir d’appréciation.

La collégialité n’a pas été jugée utile dans tous les cas, les jugesenquêtés ayant en général considéré qu’elle est, dans certains casinutile, dans d’autres difficiles à mettre en œuvre dans la mesure oùla prédominance du président, qu’elle favorise, vide de son sens l’espritcollégial qui est à la base de l’institution. Dans un contexte où lahiérarchie pèse très fort et où les habitudes de fonctionnement laissentpeu de place à l’innovation, l’intervention efficace des assesseurs nepeut être que le fait – exceptionnel- de personnes ayant une force decaractère avérée.

C’est au niveau de l’exécution que le problème des moyens surgitavec le plus d’acuité. Les juges sont peu nombreux, n’ont passuffisamment de temps et manquent de moyens tant en personnelqu’en matériel. Un tel argument fait l’objet d’un consensus total.

On peut alors se demander quelle est la part des difficultés réellesrencontrées par les magistrats, et quelle est la part de rationalité. Ouplutôt, il est possible de se demander si en réduisant la crise, que nulne nie – à un manque de moyens – sans se poser la question du sensde ce manque de moyens, et en se bornant à renvoyer la responsabilité

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sur un autrui non identifié, s’il n’y a pas là, également, un moyend’esquiver le problème du contexte et de la structure du systèmejudiciaire.

Le manque de temps et la surcharge de travail reviennent dans tousles entretiens et confirment la vision des justiciables. Ces deux obstaclesau sein des sections de la famille sont dénoncés unanimement, souventavec insistance, aussi bien par les juges que par les justiciables et lesavocats.

La revendication par les juges de l’autonomie par rapport àl’administration est récurrente ainsi que les critiques à l’égard del’action administrative accusée fréquemment de manque detransparence.

On ne peut manquer d’être frappé par l’introduction dans le discoursdes juges du « on » comme moyen de désigner une autorité supérieure,mal définie, qui détient le pouvoir d’accorder au juge son autonomieou de l’en priver.

Tous les entretiens réalisés avec les juges ont posé le problème dela formation, qui reste insuffisante et dont l’attribution, selon lesmagistrats, bénéficie toujours aux mêmes, au détriment d’autres. Cecidépasse la simple revendication pour signifier un désir de reconquêtedu pouvoir perdu au profit d’une technocratie envahissante. Et l’oncomprend que ce sentiment de perte soit plus sensible dans lesjuridictions provinciales où l’on est plus éloigné de la bureaucratiedécisionnelle qu’à Rabat.

L’objectif de l’observation des audiences était de confronter lediscours des juges à la pratique. Les résultats de cette observation fontressortir que, quelle que soit la densité des expériences antérieuresau jugement, l’audience est le moment où le public et le justiciablerencontrent le juge. La force symbolique du juge est telle qu’il finit parreprésenter la justice à lui tout seul, conclusion déjà apparue dansl’enquête sur les justiciables.

L’audience fait intervenir différents acteurs : le justiciable, leministère public, le juge et l’avocat principalement. Elle fait ressortircertaines conclusions relatives au renvoi en délibéré.

L’observation des audiences laisse croire qu’il existe une intentiond’affaiblir la capacité du justiciable à résister aux attentes de

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l’institution : son individualité est fragilisé, il est reconstruit comme unenon personne, présenté comme un cas, sous forme d’un dossier qu’onétale et qu’on discute publiquement.

Tout l’environnement de l’audience contribue à réduire lescapacités de réaction des justiciables. La salle est austère et bondée,la voix du juge est inaudible, le ton est sévère, les appariteurs peurespectueux à l’égard des justiciables, la proximité des juges est faible.De ce fait, le justiciable semble n’avoir aucune prise, ni aucune maîtrisesur le système. Dans l’audience, sa parole semble confisquéeessentiellement par le président, l’avocat se limitant à marquer saprésence par la remise de documents.

Lorsque la parole est donnée au justiciable, elle l’est rapidementet ne lui permet pas d’exposer son point de vue. « Tu demandes ledivorce alors que tu as quatre enfants… », a dit un juge à une femmeou encore un autre à l’époux « … accompagne ton épouse chez lebijoutier et tout se réglera… ».

Lors de l’audience, une relation duelle s’instaure entre le juge et lejusticiable. Le conformisme établi veut que chacun joue son rôle et fassece qu’il a à faire, le juge en tant que magistrat et le justiciable en tantque client du système judiciaire. L’essentiel de l’activité du juge se passeà l’audience, en tant que juge incarnant la fonction de justice. Ou peutêtre est-il plus exact de dire que c’est la portion la plus chargéesymboliquement de son activité, donc celle qui le « signifie » le mieuxen tant que juge, par conséquent celle qui est la plus visible.

A l’audience, la dimension humaine n’est pas toujours présente. Lejusticiable, réduit à un dossier, est contraint d’accepter sa situation etdonc de se soumettre au jugement qui sera prononcé commeémanant d’une autorité garante des normes familiales.

Les déterminations et attentes de rôles doivent être exactementremplies. Dans ce sens on comprend que la non-comparution dujusticiable est vécue comme un manquement à cette règled’acceptation de son rôle, comme une remise en cause de l’autoritédu juge, ce qui entraîne celui - ci à prononcer un jugement qui, souvent,n’est pas en faveur du justiciable non présent à l’audience.

Dans l’enquête sur les juges, ces derniers ont effectivement déploréle manque de temps accordé à l’audience qui ne leur permet pas dedonner un contenu autre que formel à leur relation avec le justiciable.

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L’observation montre également que le ministère public estabsent de la majorité des audiences. Au niveau des cours d’appel, saprésence ne s’exprime pas par une prise de parole, il ne pose aucunproblème. Est-ce parce que le ministère public est tellement procheet intégré qu’on ne l’entend pas intervenir ? Ou parce qu’ il apparaîtcomme un acteur qui a peu à faire lors de l’audience, son rôle essentielétant ailleurs, avant le prononcé du jugement.

Les rapports avec les avocats sont définis en termes d’utilité. Dansles cas où le dossier est incomplet, l’avocat joue un rôle de suppléance.Si l’affaire est compliquée, comme dans le cas d’une demande dedivorce basée sur les violences et dont l’effet, la pension alimentaire,se conjugue avec un abandon de famille, l’avocat peut, soit enrestructurer le champ de compréhension, soit apporter des élémentsnouveaux.

Tout se passe comme si – dans ce réseau complexe de rôles et derelations que constitue l’audience – chaque fois que le juge constatel’existence d’une situation où il risque d’être influencé, de changerd’avis, il s’empresse d’en minimiser la portée.

Dans cette « collaboration » avec le barreau, on trouve un conflitsous-jacent où les oppositions sont exprimées en termes de pouvoiret de perte de pouvoir. Se laisser influencer c’est perdre du pouvoir.Dans la dynamique de l’audience, cela revient même à perdre sa qualitéde « bon » juge.

Le cas spécifique de la chambre de conseil (ghourfat Almachoura),le temps imparti à ce genre « d’audience » ne permet pas au juge d’êtreà l’écoute des justiciables et de leurs avocats. Il demeure le maître dujeu et, trop fréquemment, sa décision est prise sans écoute suffisantedes parties au procès. Dans le cadre de ce genre d’audience, les motifsréels sont remplacés par une simple moralisation : « Crains Dieu, tudemandes le divorce alors que tu as quatre enfants, il ne faut pas quetu sois injuste envers ton mari… ». Les raisons profondes qui ont amenél’épouse à demander le divorce ne sont ni exposées, ni analysées.

L’observation des audiences et les explications des juges obtenueslors des entretiens, montrent que le renvoi en délibéré est laconséquence de l’impossibilité d’examiner tous les tenants et lesaboutissants du contentieux familial séance tenante et de rédiger dansl’instant le jugement.

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En matière de jurisprudence, il ressort globalement de l’investigationque la majorité des actions intentées sont relatives aux effets de laséparation : pension alimentaire, garde des enfants, partage des biens(la question de l’exécution des jugements est soulevée par la quasitotalité des justiciables.)

La lecture des décisions a permis de faire le constat de deuxobservations déjà notées dans le rapport sur les juges. D’une part, lerespect de la morale, entendue dans son sens traditionaliste, ainsi quede l’état des mœurs et de l’opinion publique semble dominer dans lesjugements. D’autre part, elle a également permis d’observer la placeprépondérante du référentiel religieux dans les attendus, ce quiconfirme l’importance accordée par les juges, lors des entretiens, auréférentiel religieux.

A cet égard, seuls apparaissent des ajustements mineurs,conformément à la volonté du législateur qui a voulu adapter le droitde la famille – conçu comme système normatif – aux nouvellesconditions sociales, sans pour autant sortir du cadre de la légitimité,c’est-à-dire de l’observance de la Chariaa. Pour ce faire, le législateura pratiqué un Ijtihad consistant à énoncer des règles acceptables dupoint de vue du Fikh et conformes à l’idée qu’il se faisait dudéveloppement social au sein de la société marocaine.

La décision du juge s’inscrit dans cette logique. C’est ainsi que lesfondements de la famille musulmane constituent les motifs de lamajorité des jugements rendus.

La finalité décisive aux yeux des juges tient dans la protection del’équilibre familial sur des questions où il leur paraît menacé.

Ce réflexe de préservation sociale confirme le rôle du juge qui estserviteur de la loi, d’une morale et de la justice. L’application des textesde loi est rigoureuse, l’observation de l’esprit des textes est souventstricte. Elle s’inscrit dans le respect du référentiel religieux.

En ce qui concerne le pouvoir d’appréciation que lui accorde lelégislateur, la lecture des jugements montre, particulièrement enmatière de divorce pour discorde – chiqaq – que le juge donne uneinterprétation extensive de cette notion, alors même qu’il a lapossibilité de recourir à d’autres modalités de séparation, prévues parle code en matière de divorce judiciaire comme le défaut d’entretien,l’absence du mari, les violences conjugales. Certains jugements

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montrent, en effet, un effort certain d’adaptation à la nouvelle donnede la part des juges chargés du contentieux familial, particulièrementen ce qui concerne les demandes de divorce formulées par des femmesrésidant à l’étranger dont les époux habitent au Maroc. Avant lapromulgation du nouveau code de la famille, le juge aurait justifié lenon-aboutissement de la demande de divorce par l’obligation decohabitation qui pèse sur les conjoints et aurait fait injonction àl’épouse de retourner au domicile conjugal. Dans les jugements rendusrécemment, pour répondre à la demande de divorce formulée parl’épouse, le juge privilégie aujourd’hui nettement le recours à laprocédure du chiqaq. Ceci peut être interprété comme un signe positifde prise en considération du nouveau texte juridique et d’unetendance claire du juge à user de son pouvoir d’appréciation en ce sens.

Il ressort également de la lecture des jugements que, malgré lesgaranties accordées aux femmes en cas de demande de divorce, lapression sociale continue à jouer et les épouses se désistent souventde leurs droits au profit des conjoints.

3. La recherche effectuée a eu l’ambition de contribuer auxefforts, entrepris depuis plus de deux années, de compréhension etde connaissance des effets induits par la promulgation du nouveaucode de la famille et par son application. Un certain nombre de résultatsen sont ressortis qui indiquent de nombreuses pistes de réflexion etorientent vers certaines actions à mettre en place ou à renforcer.

Il faut tout d’abord insister sur le fait que, malgré les limites del’étude, dans le temps, conséquences du court délai d’application etdans l’espace, du fait que les enquêtes entreprises ne peuventrefléter que des résultats circonscrits au monde urbain à traversquelques villes, cette contribution fournit un certain nombred’informations. Ces dernières, présentées dans leurs interactions, ontabouti en effet, à de multiples interrogations susceptibles d’interpelleraussi bien les chercheurs que les praticiens du droit, chacun deschapitres ici abordé soulevant un grand nombre de questions quiméritent indéniablement des développements plus importants et plusapprofondis.

Il importe ensuite de souligner le poids des facteurs de blocage etles difficultés, voire l’incapacité du système à prendre en charge lesévolutions qui ne sont plus systématiquement attribués à la mauvaise

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volonté, mais expliqués dans le cadre des mutations en cours et del’ambivalence du système culturel.

En dernier lieu, ce travail permet d’identifier des actions concrètesà engager qui doivent être envisagées dans une perspective large,intégrée dans une vision globale d’ensemble qui prend enconsidération tous les aspects de la problématique :

• Une meilleure connaissance des nouvelles dispositions et desprocédures juridiques du code de la famille exige l’organisation delarges campagnes d’information et de sensibilisation.

Le renforcement des politiques de sensibilisation est apparucomme point fort de diffusion de l’information et de la formation d’uneopinion publique démocratique. De même plusieurs variables se sontimposées pour assurer une bonne diffusion aux aspects novateurs dutexte : la langue, la culture, le niveau éducatif, les tranches d’âge et lesexe. Ces politiques doivent prendre en considération hommes etfemmes. Les femmes et les jeunes sont apparus comme des publicsayant un grand potentiel mais ayant aussi besoin de politiques desoutien et d’accompagnement. Malgré un élan indéniable qui les portevers le rapprochement avec les hommes, et donc vers l’égalité, lesfemmes ont encore du mal à comprendre les nouvelles règles. Ellescherchent surtout à négocier la mise en application des nouvellesdispositions. Ce qui les conduit dans certains cas à minimiser leurapprobation de certains droits pour éviter les conflits.

Les raisons pour approfondir les cycles de sensibilisation et deformation des jeunes ne sont, quant à elles, plus à démontrer. Leurnombre, leur vulnérabilité dans un monde en tension, mais aussi leurpotentiel en termes de changement et de construction d’un avenirmeilleur que celui de leurs parents, exigent d’orienter une partieconsidérable des efforts à réaliser dans leur direction. Dans cetteperspective, le contenu des ouvrages scolaires mérite une attentionaccrue. Des rencontres plus dynamiques et diversifiées (conférences,séminaires, mais aussi pièces de théâtre, films...) pourraient égalementêtre multipliées. Puissant moyen de formation de l’opinion publique,la télévision est le média le plus adéquat pour « parler » aux gens, pourexpliquer et pour forger une conscience citoyenne forte et sereine.

• Une meilleure application des nouvelles dispositions nécessiteune formation renforcée des juges (i) plus ouverte sur les sciences

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sociales et humaines, (ii) plus neutre, c’est-à-dire orientée vers lerenforcement de l’indépendance de la justice et (iii) s’inscrivant dansla spécialisation des juges de famille.

• La phase de conciliation doit être repensée et améliorée.Ressentie comme une procédure utile par les justiciables, elle resteinsuffisamment attractive pour bon nombre de conjoints qui optentpour la non-comparution lors des séances de conciliation.

• La création des sections de la famille doit se concrétiser par la miseen place de tribunaux de famille indépendants des tribunaux depremière instance. Elle doit se traduire par l’allocation de moyensmatériels et de ressources humaines : juges, psychologues, sociologues,médiateurs/trices, assistance sociale…

• La réforme devait être accompagnée de mesures concrètes,parmi lesquelles : la création du fonds de garantie, la mise en placed’un corps de médiation, l’ouverture des centres d’hébergement pourfemmes victimes de violences conjugales ; l’ouverture d’espaces dedialogue et de médiation…

• La crédibilité du système judiciaire exige notamment de repenserle déroulement des audiences dans le sens du rapprochement de lajustice des usagers, de l’humaniser, de simplifier le langage,d’écourter les délais, d’accorder plus d’écoute et de temps auxjusticiables et réduire les frais de justice.

• La confiance dans le système judiciaire exige la transparence etla proximité. La confiance dans le système le rend crédible et cettecrédibilité constitue le fondement de l’Etat de droit dans un systèmequi aspire à la démocratie. Le citoyen et la citoyenne doivent recourirau système judiciaire sans appréhension ni crainte.

• La médiation, en tant que démarche relationnelle permettantaux couples de gérer les conflits conjugaux, dans un esprit de co-responsabilité, favorise la résolution des litiges, elle leur permet de :

– rétablir une communication perturbée par la situation de rupture,– élaborer par eux-mêmes, dans un esprit de co-responsabilité, les

modalités de vie et les solutions adéquates mutuellementacceptables pour eux et pour les enfants,

– construire un accord durable, qu’ils peuvent présenter au juge desaffaires familiales, pour résoudre le conflit.

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Cette procédure exige la formation de médiateurs et de médiatricescompétents-es pour aider les couples en conflit à résoudre leursproblèmes, soit en dehors des instances judiciaires, soit en facilitantleur circulation dans le système judiciaire.

L’action de ce corps s’inscrit dans un cadre indépendant dusystème judiciaire. Son rôle est de donner aux couples en conflit lapossibilité de puiser en eux-mêmes les ressources qui vont leurpermettre de retrouver la communication interrompue, d’exposer leursconflits et leurs souffrances, afin que puisse être abordée, par la suite,la réorganisation familiale, dans le respect des besoins de chacun etdans l’intérêt du couple et des enfants.

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