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D’un prof … à l’autre D’un prof … à l’autre D’un prof … à l’autre D’un prof … à l’autre D’un prof … à 5 Comment construire une définition avec les élèves ? Au lendemain de leur premier stage, les étudiants de 1 re année du régendat en français se sont notamment posé cette question essentielle : comment construire des savoirs théoriques avec les élèves et, en particulier, comment élaborer avec eux une définition ? Il s’agit là d’une question vaste, qui relève d’une réflexion sur la méthode (Quels documents vais-je présenter aux élèves ? Comment vais-je les présenter ? Comment vais-je attirer leur regard sur ces documents ?...) et sur la langue (Comment rédiger une définition valide et compréhensible ? Avec quels mots ?). Nous nous attacherons surtout, dans cet article, à travailler sur l’aspect langagier de cette question : la structure syntaxique et le contenu lexical d’une définition. Nous espérons ainsi qu’au terme de cette séquence, les élèves (et leur professeur, la définition étant un genre relativement peu travaillé en formation initiale ou continuée) auront été, partiellement du moins, familiarisés avec cette compétence. Dans un premier temps, confrontons les élèves à une situation-problème plausible : ils doivent expliquer à un allophone des mots que ce dernier ne comprend pas. Il leur est demandé de s’exprimer clairement et le plus correctement possible. Ils réalisent cet exercice individuellement et par écrit. Voici les mots à définir ; ils sont insérés dans des phrases afin de limiter la tâche d’explication à l’une des acceptions des mots qui en comptent plusieurs (attention cependant : la définition doit être générale et ne peut donc s’appuyer sur des mots de l’exemple) : a) Propose une définition écrite pour chacun des mots soulignés. Sois clair(e) : tu t’adresses à quelqu’un qui n’apprend le français que depuis un an ou deux. 1. J’ai pris place sur un tabouret . 2. Ma soeur adore le bricolage . 3. Ma voisine a grondé sévèrement son fils. 4. Il a réussi à surmonter sa timidité . 5. Mon père a acheté un guide sur Munich. 6. Coralie n’arrête pas de chantonner … c’est agaçant ! 7. Ne t’inquiète pas : notre directeur est très concis . Dans 10 minutes, son discours sera fini ! 8. Le robinet fuit encore ! 9. La correction des copies d’examen lui prend toujours un temps fou ! Les mots sont courants, mais l’exercice est difficile. Deux problèmes récurrents se poseront aux élèves : l’amorce (les premiers mots) de la définition et la nécessité d’expliquer le mot à définir sans y recourir dans la définition (« La timidité, c’est quand on est timide »). Les élèves résolvent généralement la première difficulté à grand renfort de c’est quand ou de c’est pour : « La timidité, c’est quand on n’ose pas parler à une fille » ; « Un tabouret, c’est pour s’assoir ». Si le c’est quand s’avère pratique pour expliquer certains mots oralement et « vite fait, bien fait », il ne peut figurer dans un écrit un tant soit peu soutenu, à fortiori dans une synthèse théorique ! Ces formules présentent encore l’inconvénient de ne pas fournir au destinataire d’équivalent qui enrichirait son expression verbale. En effet, si je dis qu’un tabouret est un siège muni de 4 pieds et sans dossier, je contribue à structurer le lexique mental de mon interlocuteur (en l’occurrence, j’établis un rapport dans son esprit entre un hyperonyme, siège, et un hyponyme, tabouret, susceptible de se constituer en classe par

Comment construire une définition avec les élèves

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Comment construire une définition avec les élèves ? Au lendemain de leur premier stage, les étudiants de 1re année du régendat en français se sont notamment posé cette question essentielle : comment construire des savoirs théoriques avec les élèves et, en particulier, comment élaborer avec eux une définition ?

Il s’agit là d’une question vaste, qui relève d’une réflexion sur la méthode (Quels documents vais-je présenter aux élèves ? Comment vais-je les présenter ? Comment vais-je attirer leur regard sur ces documents ?...) et sur la langue (Comment rédiger une définition valide et compréhensible ? Avec quels mots ?).

Nous nous attacherons surtout, dans cet article, à travailler sur l’aspect langagier de cette question : la structure syntaxique et le contenu lexical d’une définition. Nous espérons ainsi qu’au terme de cette séquence, les élèves (et leur professeur, la définition étant un genre relativement peu travaillé en formation initiale ou continuée) auront été, partiellement du moins, familiarisés avec cette compétence.

Dans un premier temps, confrontons les élèves à une situation-problème plausible : ils doivent expliquer à un allophone des mots que ce dernier ne comprend pas. Il leur est demandé de s’exprimer clairement et le plus correctement possible. Ils réalisent cet exercice individuellement et par écrit. Voici les mots à définir ; ils sont insérés dans des phrases afin de limiter la tâche d’explication à l’une des acceptions des mots qui en comptent plusieurs (attention cependant : la définition doit être générale et ne peut donc s’appuyer sur des mots de l’exemple) :

a) Propose une définition écrite pour chacun des mots soulignés. Sois clair(e) : tu t’adresses à quelqu’un qui n’apprend le français que depuis un an ou deux.

1. J’ai pris place sur un tabouret. 2. Ma sœur adore le bricolage. 3. Ma voisine a grondé sévèrement son fils. 4. Il a réussi à surmonter sa timidité. 5. Mon père a acheté un guide sur Munich. 6. Coralie n’arrête pas de chantonner… c’est agaçant ! 7. Ne t’inquiète pas : notre directeur est très concis. Dans 10 minutes, son discours

sera fini ! 8. Le robinet fuit encore ! 9. La correction des copies d’examen lui prend toujours un temps fou !

Les mots sont courants, mais l’exercice est difficile. Deux problèmes récurrents se poseront aux élèves : l’amorce (les premiers mots) de la définition et la nécessité d’expliquer le mot à définir sans y recourir dans la définition (« La timidité, c’est quand on est timide »).

Les élèves résolvent généralement la première difficulté à grand renfort de c’est quand ou de c’est pour : « La timidité, c’est quand on n’ose pas parler à une fille » ; « Un tabouret, c’est pour s’assoir ». Si le c’est quand s’avère pratique pour expliquer certains mots oralement et « vite fait, bien fait », il ne peut figurer dans un écrit un tant soit peu soutenu, à fortiori dans une synthèse théorique ! Ces formules présentent encore l’inconvénient de ne pas fournir au destinataire d’équivalent qui enrichirait son expression verbale. En effet, si je dis qu’un tabouret est un siège muni de 4 pieds et sans dossier, je contribue à structurer le lexique mental de mon interlocuteur (en l’occurrence, j’établis un rapport dans son esprit entre un hyperonyme, siège, et un hyponyme, tabouret, susceptible de se constituer en classe par

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adjonction de co-hyponymes : chaise, fauteuil, pouf, divan, etc.) et lui donne la possibilité de recourir au terme convenant le mieux à telle ou telle situation de communication.

Deuxième étape : analyser une page de dictionnaire pour établir un relevé des amorces possibles de définitions. Les élèves sont invités à repérer dans le document suivant des mots de classes différentes et à recopier le premier mot (ou le premier groupe de mots qui ait un sens) de leur définition.

b) Voici un extrait du Robert Micro :

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Dans ces pages du Robert Micro, recherche et recopie: Recopie le ou les premier(s) mot(s) 1 de leur définition :

jambe partie

jansénisme doctrine

jardin terrain

4 noms

jalonnement action

jardiner cultiver 2 verbes

japper pousser

jamais à aucun moment 2 adverbes

jalousement avec jalousie

jaloux qui éprouve

japonais du Japon

3 adjectifs

janséniste austère

Que constates-tu ?

1. Premier constat :

On définit un nom à l’aide d’un autre nom, un verbe à l’aide d’un autre verbe, un adverbe à l’aide d’un groupe de mots qui a une valeur adverbiale (syntagme nominal prépositionnel, par exemple), un adjectif à l’aide d’un adjectif ou d’un groupe de mots qui a une valeur adjectivale (complément déterminatif du nom, proposition relative…). En somme, ma définition doit pouvoir se substituer dans une phrase au mot défini. Ou encore, ce qui revient au même, le premier mot de ma définition doit appartenir à la même classe de mots que le mot défini2.

2. Deuxième constat :

On définit souvent un terme par un autre terme de sens plus général (jardin : terrain) que l’on précise par la suite (jardin : terrain, généralement clos, où l’on cultive des végétaux…). Ces termes génériques, que l’on appelle hyperonymes, mériteraient à eux seuls une séquence, tant ils sont centraux en lexicographie3. Contentons-nous d’en citer quelques-uns, en guise d’exemples : sentiment (pour jalousie), mois (pour janvier), doctrine (pour jansénisme), vêtement (pour jaquette), personne (pour jardinier)…

On peut également définir un terme par un mot ou groupe de mots de sens équivalent (jamais : à aucun moment) : un synonyme.

1 Précision utile : l’élève recopie la définition jusqu’au premier mot « plein » (nom, adjectif, verbe ou adverbe). 2 On considère que les mots appartiennent à une même classe s’ils peuvent commuter entre eux dans des contextes identiques (Roger GOBBE et Michel TORDOIR. Grammaire française. Bruxelles, Plantyn,1984). 3 Science relative à la rédaction des dictionnaires.

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Un petit exercice à trous permettra d’illustrer ces deux premiers constats :

c) Complète ces définitions. Le premier mot (il peut s’agir d’un groupe de mots) de chacune d’entre elles a été effacé.

1. Instituteur : ___________ qui enseigne dans une école primaire. 2. Langue : ___________ charnu, musculeux, allongé et mobile, placé dans la bouche. 3. Ouragan : forte ___________ caractérisée par un vent très violent. 4. Domestique : ___________ vit auprès de l’homme pour l’aider ou le distraire. 5. Clavier : ___________ de touches de certains instruments de musique. 6. Client : ___________ qui achète ou demande des services moyennant rétribution. 7. Clientèle : ___________ d’acheteurs. 8. Discrètement : ___________ qui n’attire pas l’attention. 9. Déception : ___________ de ne pas être satisfait, comblé. 10. Chasse : ___________ de chasser, de poursuivre les animaux pour les manger ou les

détruire. 11. Cadeau : ___________ qu’on offre à quelqu’un.

Essaie à présent de déterminer la nature des groupes qui suivent ces premiers mots.

Corrigé

1. Instituteur : personne qui enseigne dans une école primaire. (Proposition relative) 2. Langue : organe charnu, musculeux, allongé et mobile, placé dans la bouche. (Adjectifs ou participes

passés employés comme adjectifs [+ complément]) 3. Ouragan : forte tempête caractérisée par un vent très violent. (Participe passé employé comme adjectif

+ complément) 4. Domestique : qui vit auprès de l’homme pour l’aider ou le distraire. (qui + verbe et compléments =

proposition relative) 5. Clavier : ensemble de touches de certains instruments de musique. (Groupe nominal prépositionnel) 6. Client : personne qui achète ou demande des services moyennant rétribution. (Proposition relative) 7. Clientèle : ensemble d’acheteurs. (Groupe nominal prépositionnel) 8. Discrètement : d’une manière qui n’attire pas l’attention. (Proposition relative) 9. Déception : le fait de ne pas être satisfait, comblé. (Groupe infinitif prépositionnel) 10. Chasse : action de chasser, de poursuivre les animaux pour les manger ou les détruire. (Groupe

infinitif prépositionnel) 11. Cadeau : objet qu’on offre à quelqu’un. (Proposition relative)

Que constates-tu ?

3. Troisième constat :

Pour apporter des précisions au premier terme d’une définition, on emploie souvent des adjectifs accompagnés ou non de compléments (jalousie : sentiment douloureux), des participes passés/présents accompagnés ou non de compléments (jambon : cuisse ou épaule de porc préparée pour être conservée), des propositions relatives (jalousie : sentiment douloureux que fait naitre, chez celui qui l’éprouve, le désir de possession…), des groupes nominaux prépositionnels (jaquette : vêtement masculin de cérémonie / à pans ouverts…), des groupes infinitifs prépositionnels (chasse : action de poursuivre les animaux pour les manger ou les détruire), etc.

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d) Maintenant, achève les définitions des mots suivants en t’aidant de ce que tu viens d’apprendre.

1. Quel menteur, ton copain !

Menteur : personne… 2. Je lui chante une berceuse chaque soir.

Berceuse : chanson… 3. Son oisiveté m’irrite.

Oisiveté : état d’une personne… 4. Gilles était un enfant remuant.

Remuant : qui… 5. Son refus m’a étonné.

Refus : action… 6. Tu nous racontes des sornettes.

Sornettes : affirmations… 7. Voici une fable cruelle, intitulée « La Tortue et les deux Canards ».

Fable : petit récit en vers ou en prose…

Corrigé 1. Menteur : personne qui a l’habitude de dire ce qui est contraire à la vérité. 2. Berceuse : chanson pour endormir les enfants. 3. Oisiveté : état d’une personne qui n’a pas d’activité. 4. Remuant : qui a pour habitude de s’agiter. 5. Refus : action de ne pas consentir (à ce qui est demandé, proposé, offert). 6. Sornettes : affirmations mensongères, qui ne reposent sur rien. 7. Fable : petit récit en vers ou en prose destiné à illustrer une vérité générale, un précepte.

Dernière étape : les élèves sont invités à corriger ou compléter les définitions du premier exercice.

e) Et pour finir, essaie de corriger ou d’améliorer les définitions du premier exercice.

Corrigé 1. Tabouret : siège à pied(s), sans accoudoir ni dossier. 2. Bricolage : action de s’occuper chez soi à de petits travaux manuels. 3. Gronder : réprimander. 4. Timidité : manque d’aisance et d’assurance en société. 5. Guide : livre destiné à des touristes et qui contient des renseignements sur un pays, une région, une ville. 6. Chantonner : chanter à mi-voix, fredonner. 7. Robinet : appareil placé sur un tuyau de canalisation et permettant de régler à volonté le passage d’un

fluide. 8. Concis : qui s’exprime en peu de mots. 9. Correction : action d’évaluer des copies d’examen, des devoirs.

N.B. : Les définitions proviennent du Petit Robert et ont parfois subi de légères « retouches ». Le professeur n’exigera bien sûr pas de l’élève qu’il produise exactement les mêmes ! Il veillera avant tout à ce que les définitions créées par les élèves soient complètes sémantiquement et correctes syntaxiquement.

Pierre-Yves DUCHATEAU