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Klein Edward Commentaire de l'arrêt d'Assemblée plénière en date du 29 octobre 2004 La cause en droit français peut-être perçue comme un moyen de réguler et de protéger les valeurs sociales confiant aux juges un rôle d'arbitre des bonnes mœurs. En effet, pour qu'un contrat soit valablement formé, il est nécessaire que celui-ci dispose d'une cause et que celle-ci soit de surcroit licite. Si il est aisé de déterminer ce qui est licite ou non au regard de la loi, il est beaucoup plus délicat de déterminer ce qui doit être considéré comme juste au regard des bonnes mœurs. En l'espèce, un nonagénaire marié depuis plusieurs dizaines d'années avait noué une relation adultérine. A son décès, son épouse découvre qu'il avait institué cette dernière légataire universelle par testament. La légataire réclamant son dû, la femme trompée engage un procédure visant à l'annulation du legs estimant ce dernier contraire aux bonnes mœurs. La Cour d'appel de Paris par un arrêt du 9 janvier 2002 annule le legs au motif que celui-ci n'avait « vocation qu'à rémunérer les faveurs de Mme Y. » opérant ainsi une résistance à la décision préalable de la Cour de cassation. La concubine forme alors un pourvoi devant la Cour de cassation afin d'obtenir le versement des biens convoités. Une libéralité consentie à l'occasion d'une relation adultère peut-elle être annulée car considérée comme contraire aux bonnes mœurs ?

Commentaire de l'arrêt d'Assemblée plénière en date du 29 octobre 2004

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Klein Edward

Commentaire de l'arrêt d'Assemblée plénière en date du 29 octobre 2004

La cause en droit français peut-être perçue comme un moyen de réguler et de protéger les valeurs sociales confiant aux juges un rôle d'arbitre des bonnes mœurs.

En effet, pour qu'un contrat soit valablement formé, il est nécessaire que celui-ci dispose d'une cause et que celle-ci soit de surcroit licite. Si il est aisé de déterminer ce qui est licite ou non au regard de la loi, il est beaucoup plus délicat de déterminer ce qui doit être considéré comme juste au regard des bonnes mœurs.

En l'espèce, un nonagénaire marié depuis plusieurs dizaines d'années avait noué une relation adultérine. A son décès, son épouse découvre qu'il avait institué cette dernière légataire universelle par testament.

La légataire réclamant son dû, la femme trompée engage un procédure visant à l'annulation du legs estimant ce dernier contraire aux bonnes mœurs.

La Cour d'appel de Paris par un arrêt du 9 janvier 2002 annule le legs au motif que celui-ci n'avait « vocation qu'à rémunérer les faveurs de Mme Y. » opérant ainsi une résistance à la décision préalable de la Cour de cassation.

La concubine forme alors un pourvoi devant la Cour de cassation afin d'obtenir le versement des biens convoités.

Une libéralité consentie à l'occasion d'une relation adultère peut-elle être annulée car considérée comme contraire aux bonnes mœurs ?

L'Assemblée plénière censure à son tour, au visa des articles 900, 1131 et 1133 du code civil, la decision des juges du fond en posant qu'une libéralité consentie à l'« occasion » d'une relation adultère n'est pas nulle comme ayant une cause contraire aux bonnes moeurs.

Si la Haute juridiction, dans la plus solennelle de ses formations reconnaît une évolution des mœurs (I), elle ne reste pas sans conséquences dans le domaine du droit de la famille et de l'ordre public (II).

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I- La reconnaissance par la juridiction suprême d'une évolution des mœurs

Le net recul du critère artificiel de conformité des libéralités aux bonnes mœurs (A) entraîne des conséquences immédiates sur le terrain de la cause et de sa licité et comformité aux bonnes mœurs (B).

A- Le recul du critère artificiel de conformité aux « bonnes mœurs » en matière de libéralités

« n'est pas nulle comme ayant une cause contraire aux bonnes mœurs »

Les bonnes mœurs sont définies comme « une conduite morale codifiée par la société ». Il était autrefois facile dans des sociétés primaires ou tribales d'organiser et de « codifier » cette norme imposée par la société. Longtemps considérées comme une source importante du droit, ces bonnes mœurs ou encore coutumes locales ne sont plus si simples à déterminer et observent un net recul.

La mixité ethnique, sociale et culturelle des sociétés modernes a conduit à une profonde évolution de ces bonnes mœurs à tel point aujourd'hui qu'il est de plus en plus délicat de développer un modèle social approuvé par tous.

L'échec du modèle d'intégration républicain a conduit à la multiplication de modèles sociaux sur le même territoire, mettant ainsi à mal la notion pourtant juridique de bonnes mœurs.

C'est pourtant au juge de déterminer in concreto ce qui doit être considéré comme en accord avec les bonnes mœurs ou non. Si sa mision était autrefois facilité par une domination du modèle social apporté par l'église chrétienne, la séparation de cette dernière avec l'Etat au début du Xxème siècle a conduit à une évolution brutale des mœurs. La diminution de l'influence du modèle religieux sur les esprits entraire une plus grande autonomie de l'individu. Pour exemple, la construction ou du moins l'intégration importante de la notion de bonnes mœurs ne peut avoir lieu que dans des nations profondément religieuses ou alors développées sur un modèle tribal.

Le juge en l'espèce consacre une évolution par rapport à la jurisprudence traditionnelle qui ne permettait pas les libéralités entre concubains. Cette approche confirme l'envie du magistrat de se retirer progressivement d'un domaine qui ne fait jour que ses opinions personnelles. Il n'existe pas de sondage d'opinion systématique concernant toutes les questions soumises à la Cour de cassation, il est poutant fort possible que celui-ci aurait donné tort à la Haute juridiction...

En l'espèce le juge ne reconnaît pas le caractère contradictoire entre une libéralité consentie à une maitresse et les bonnes mœurs et confirme nonobstant l'absence de nécessité d'une cause licite pour les libéralités entre concubins.

B- L'absence de nécessité d'une cause licite pour les libéralités entre concubins

« n'est pas nulle comme ayant une cause contraire aux bonnes mœurs »

Le droit français distingue deux types de causes: les causes objectives et les causes subjectives. La différence entre ces deux notions est de taille, si la première vise à protéger l'individu dans son consentement, la seconde vise la protection de l'ordre social.

Ainsi, lorsque la cause est apprécié subjectivement, le juge va considérablement pousser la recherche de la cause de chaque partie.

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Cette détermination subjective de la cause a été appliquée par la Cour d'appel de Paris le 9 janvier 2002. Elle précise notamment que le leg universel avait pour vocation la rémunération de faveurs sexuelles.

La Cour de cassation rejette cette vision subjective de la cause et abandonne sa fonction “moralisatrice” en se limitant à une détermination objective de la cause. Il est en effet indispensable de scruter les causes subjectives afin de prouver l'illécéité d'un libéralité, le juge doit donc se poser en inspecteur des âmes et consciences et scruter le cœur d'autrui...tâche pour le moins difficile !

Il n'est plus possible aujoud'hui de douter de la volonté de la Haute juridiction d'abandonner tout contrôle des mobiles dans les libéralités entre concubins ou partenaires sexuels, fussent-ils adultères, pour n'en retenir que l'intention libérale, cette solution, lourde de conséquences entraîne des conséquences directes en droit de la famille mais aussi en matière d'ordre public.

II- Une solution portant conséquence en droit de la famille et sur l'ordre public

La reconnaissance par la haute juridicition de la validité de la libéralité entre un mari et sa maitresse entraîne de lourdes conséquences en droit de la famille et plus spécialement sur l'institution du mariage (A). De plus, il n'est pas impossible de constater ultérieurement de possibles dérives menaçant l'ordre public (B).

A- La reconnaissance de la licité des relations adultérines et l'affaiblissement de l'instituion du mariage

La validation de la libéralité opérée par la Cour de cassation en la jugeant conforme aux bonnes mœurs et à l'ordre public entraine de nombreux effets et notamment dans le domaine de l'institution du mariage. On a observé lors du Xxème siècle un vaste mouvement d'affaiblissement de cette « insitution ». La solution rendue par la Cour de cassation affaiblit une nouvelle fois la force du mariage.

Pourtant il existe dans le Code civil de nombreuses dispositions visant la protection du mariage.Ainsi il est précisé à l'article 212 du Code civil un devoir de fidélité entre les époux. Cette norme législative s'imposant au juge ne trouve pas d'application en l'espèce. Toutefois, il est possible que la Cour de cassation rende une décision contraire à l'espèce estimant que la cause de la libéralité était manisfestement illicite car encadrant une « activité » favorisant l'adultère. Même après la loi de 1975, ne reconnaissant plus l'adultère comme une faute pénale, il demeure une faute civile...

Il n'y a pas qu'en droit de la famille que cette solution emporte des conséquences, la possibilité de « rémunérer des faveurs sexuelles » ouvre de nouvelle porte au commerce de la chair.

B- Une solution présentant une possible menace pour l'ordre public

La solution rendue par la Cour de cassation dépasse largement le cadre de l'affaire qui lui a été soumise. En se désintéressant de la cause immorale ou illicite dans les libéralités et ce même consenties dans le cadre d'une relation adultérine, il est possible de voir fleurir des relations monnayées, en quelque sorte une nouvelle forme de prostitution basée sur de relations de longue

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durée. On verrait donc fleurir un marché de la relation sentimentale régit uniquement par les lois du commerce.

Le résultat peut être désastreux en matière de grand banditisme et de respect de l'individu, il n'est pas impensable de retrouver des organisations proxénètes mettant en relation des individus en mal d'  « amour ». Sans donner naissance à un phénomène déjà largement rodé aujourd'hui, la décision de la Cour de cassation ne peut que l'encourager !