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Jeudi 17 décembre 2009 Chers Chantal, Claire et Pierre C’est un peu par hasard que j’ai rencontré notre ami James qui m’a conté une étrange histoire; je l’ai intitulée : « une journée de rêve ». Je me réjouis de vous la relater : James désirait visiter le Musée d’art et d’histoire de Genève dont sa maman Mathilde lui parlait si souvent; ils décidèrent de s’y rendre le mercredi 21 octobre 2009. Mathilde connaissait la passion de son enfant pour ses soldats miniatures et autres objets à vocation militaire; aussi, passant dans la première salle, ils jetèrent un regard rapide sur les estampes des Pays-Bas pour arriver dans celle des armures; persuadée qu’il y trouverait facilement son bonheur, elle lui proposa d’y rester car elle allait assister à l’entretien de ce jour, consacré aux « images des iconoclastes », présenté par Marielle Martiniani-Reber. Elle traversa rapidement la pièce garnie d’icônes pour rejoindre la salle dédiée à la généreuse Janet Zakos où un espace aménagé laissait deviner une proche projection. Très intéressée par l’influence de la religion dans le domaine artistique, elle fut très vite absorbée par l’exposé. Le défilé visuel de ces décors aniconiques la faisait rêver; la description des différents motifs représentés par des oiseaux , des arbres fruitiers, des figures géométriques et l‘évocation de lieux mythiques riches en émotions culturelles lui rappelaient d’agréables souvenirs privés ou professionnels: l’église Kyriaki de Naksos, le musée byzantin d’Athènes, la synagogue de Beth Alpha, la basilique d’Heraclea Lyncestis, la mosquée de Damas… Elle était passionnée depuis longtemps par la question de l’aniconisme dans l’art religieux byzantin, l’influence des conquêtes et des restrictions religieuses sur le choix de ces représentations. Aussi elle mit un certain temps avant de réaliser que James l‘avait rejointe; tous les deux terminèrent la visite ensemble, contemplant les fragments de textile égyptien conservés dans une vitrine à proximité. James parut très ému par un décor brodé de trois couples d’oiseaux, symboles de l’amour maternel, représentés face à face. Après avoir déjeuné, ils revinrent dans la salle des armures où elle donna le sentiment d’être très intéressée par ce qu’elle voyait: canons, dagues, arquebuses, pistolets… James préféra retourner discrètement dans la salle des estampes du XVII ème où il avait repéré un dessin qu’il supposait être celui d’une enfant et d’un adulte; il s’agissait , en fait, d’un portrait de Saskia, œuvre que Rembrandt avait dessinée avant d’y ajouter, dans un deuxième temps, son autoportrait en premier plan, d’où une certaine disproportion entre les deux personnages. Cependant, en pensant à la représentation, par l’artiste, de ces deux êtres humains, James ressentit de nouveau une forte émotion. Il arriva dans la salle des icônes où il remarqua la présence d’un livre représentant l‘ensemble des œuvres exposées ici; il fut séduit par le regard du Christ Pantocrator ou par la croix processionnelle ornée d’un pélican nourrissant ses petits avec son sang. Il fut surtout très attiré par les différentes Vierges à l’enfant qui se côtoyaient. Il resta un long moment devant l’image de la passion pour contempler la position de la tête du Christ reposant sur l’épaule gauche d’une Vierge qui lui tient la main droite de sa main gauche . Ainsi, il les examina toutes en comparant les différentes positions qui les unissaient . Il aima beaucoup le sentiment d’affection, de tendresse qui se dégageait et éprouva une sensation très forte quand la mère et

Concours d'écritures 2010

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Dans le cadre des festivités organisées pour les 100 ans du Musée d'art et d'histoire de la ville de Genève, la bibliothèque des Eaux-Vives a organisé un concours d'écriture sur le thème "Une visite au Musée d'art et d'histoire de Genève"

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Jeudi 17 décembre 2009

Chers Chantal, Claire et Pierre

C’est un peu par hasard que j’ai rencontré notre ami James qui m’a conté une étrange histoire; je l’ai intitulée : « une journée de rêve ». Je me réjouis de vous la relater :

James désirait visiter le Musée d’art et d’histoire de Genève dont sa maman Mathilde lui parlait si souvent; ils décidèrent de s’y rendre le mercredi 21 octobre 2009. Mathilde connaissait la passion de son enfant pour ses soldats miniatures et autres objets à vocation militaire; aussi, passant dans la première salle, ils jetèrent un regard rapide sur les estampes des Pays-Bas pour arriver dans celle des armures; persuadée qu’il y trouverait facilement son bonheur, elle lui proposa d’y rester car elle allait assister à l’entretien de ce jour, consacré aux « images des iconoclastes », présenté par Marielle Martiniani-Reber.

Elle traversa rapidement la pièce garnie d’icônes pour rejoindre la salle dédiée à la généreuse Janet Zakos où un espace aménagé laissait deviner une proche projection. Très intéressée par l’influence de la religion dans le domaine artistique, elle fut très vite absorbée par l’exposé. Le défilé visuel de ces décors aniconiques la faisait rêver; la description des différents motifs représentés par des oiseaux , des arbres fruitiers, des figures géométriques et l‘évocation de lieux mythiques riches en émotions culturelles lui rappelaient d’agréables souvenirs privés ou professionnels: l’église Kyriaki de Naksos, le musée byzantin d’Athènes, la synagogue de Beth Alpha, la basilique d’Heraclea Lyncestis, la mosquée de Damas…

Elle était passionnée depuis longtemps par la question de l’aniconisme dans l’art religieux byzantin, l’influence des conquêtes et des restrictions religieuses sur le choix de ces représentations. Aussi elle mit un certain temps avant de réaliser que James l‘avait rejointe; tous les deux terminèrent la visite ensemble, contemplant les fragments de textile égyptien conservés dans une vitrine à proximité. James parut très ému par un décor brodé de trois couples d’oiseaux, symboles de l’amour maternel, représentés face à face.

Après avoir déjeuné, ils revinrent dans la salle des armures où elle donna le sentiment d’être très intéressée par ce qu’elle voyait: canons, dagues, arquebuses, pistolets… James préféra retourner discrètement dans la salle des estampes du XVII ème où il avait repéré un dessin qu’il supposait être celui d’une enfant et d’un adulte; il s’agissait , en fait, d’un portrait de Saskia, œuvre que Rembrandt avait dessinée avant d’y ajouter, dans un deuxième temps, son autoportrait en premier plan, d’où une certaine disproportion entre les deux personnages. Cependant, en pensant à la représentation, par l’artiste, de ces deux êtres humains, James ressentit de nouveau une forte émotion.

Il arriva dans la salle des icônes où il remarqua la présence d’un livre représentant l‘ensemble des œuvres exposées ici; il fut séduit par le regard du Christ Pantocrator ou par la croix processionnelle ornée d’un pélican nourrissant ses petits avec son sang. Il fut surtout très attiré par les différentes Vierges à l’enfant qui se côtoyaient. Il resta un long moment devant l’image de la passion pour contempler la position de la tête du Christ reposant sur l’épaule gauche d’une Vierge qui lui tient la main droite de sa main gauche . Ainsi, il les examina toutes en comparant les différentes positions qui les unissaient . Il aima beaucoup le sentiment d’affection, de tendresse qui se dégageait et éprouva une sensation très forte quand la mère et

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l’enfant étaient représentées joues contre joues plutôt que visages éloignés, comme on pouvait le voir, par exemple, avec la « Madre della Consolation ».

Il feuilleta alors l’ouvrage proposé; il nota une différence de datation avec le texte affiché sur le mur à proximité de l’icône de la Vierge à l’enfant du type « tendresse »: l’année 1557 avait finalement été retenue car la représentation des doigts de la Vierge apparaissait trop rigide pour avoir été réalisée au XVème siècle. Il contempla encore un long moment les icônes pour lesquelles il avait une très grande attirance alors que ces images devenaient floues ; à cet instant, il perçut un écoulement le long de ses joues qu’il tenta d’essuyer d’un mouvement de son bras; une force invisible sembla vouloir prolonger ce moment, l’empêchant d’effacer cette larme inutile; il insista et arriva à passer sa main sur son visage; il sentit alors un contact velu qui ne pouvait pas être la peau d’un enfant mais celle d’un homme barbu; il ouvrit de grands yeux, sentit un goût salé sur sa langue qui tournait lentement autour de ses lèvres et découvrit qu’il était dans sa chambre!

- Toute cette histoire n’était-elle donc rien d’autre qu’un rêve? - Non ! car le matin même, James avait assisté, seul, à l’entretien du mercredi, parcouru la

salle des estampes puis visité celle consacrée à l’art religieux avant de rentrer chez lui. Il continua à caresser sa barbe frisottante, s’assit progressivement dans son lit d’où un

miroir opposé sembla lui dire: « ton inconscient a été marqué du sceau de certaines œuvres… ». Prolongeant sa réflexion sur la signification de ces symboles, il médita longuement sur la citation de Malraux : « la culture … ce qui a fait de l’homme autre chose qu’un accident de l’univers..»

Appréciant beaucoup vos compétences littéraires, j’attends vos critiques et suggestions avant d’adresser ce récit au jury concerné.

Amicalement . Alagos

 

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PREMIER TABLEAU Un acte théâtral d’Alcofibras Salvetas

(Vana a répondu à une petite annonce de rencontre. Vahé, plus âgé qu’elle, lui a donné rendez-vous au Musée d’Art et d’Histoire de la Ville de Genève, devant un tableau précis : « La Fontaine personnifiée » de Jacques-Laurent Agasse. Elle l’a trouvé facilement et depuis un moment elle le regarde, un peu étonnée.) Vana : Elle n’est pas vraiment belle cette fille ! Elle est en train de se laver les cheveux, ou quoi ? Et puis surtout, quel rapport avec moi ? (Elle quitte le tableau pour aller s’asseoir sur la banquette centrale d’où elle peut voir venir. C’est dimanche. Il y a une dizaine de personnes autour d’elle. Vana : Je suis en avance et je suis la première. Je peux le voir venir. (Un temps. Impatiente elle se lève et retourne vers le tableau. Elle le fixe) Vana : Je me demande bien ce qu’il lui trouve à cette femme ? Vahé : Je suis sûr que vous êtes Vana ? Vana : (Sursautant) Vahé, c’est un prénom ? Vahé : Autant que Vana. Vana : J’ai trouvé le tableau ! Vahé : Je vous en félicite. Vana : Vous trouvez que je ressemble à cette fille … toute ruisselante ? Vahé : Je ne vous connaissais pas, je ne pouvais comparer. Vana : Mais je n’ai rien à voir avec cette fille, tout de même ? Vahé : Vous avez les cheveux plus courts. (Elle regarde le tableau) Elle a de beaux cheveux, non ? Vana : Peut-être, mais je ne lui ressemble pas. Elle est laide. Vahé : Je ne trouve pas. Vana : Elle a un gros nez, une petite bouche et des yeux plissés. Vahé : Ça ne suffit pas pour être vilaine ! Vana : Je n’ai rien à voir avec cette fille. Qu’est-ce qu’elle a sur la tête ? Vahé : Des papillons, je crois. Il y a aussi une libellule sur l’eau et un canard volant qui … Vana : (Le coupant) Je suis sûr qu’elle n’a pas de poitrine. (Elle se penche sur le tableau) Vahé : C’est important pour vous ? Vana : Je n’ai rien à voir avec cette fille, je vous dis. Regardez-vous même ! Il n’y a rien qui pointe entre ses cheveux ! Vahé : Moi, je suis sûr que dans sa main gauche elle tient son sein droit. Vana : (Surprise) Vous croyez ? (Elle regarde encore plus attentivement) Quel drôle de lieu pour un rendez-vous : le Musée d’art et d’histoire de la ville de Genève ! Vahé : Vous auriez préféré le musée de la boîte d’allumette ou celui des collectionneurs d’opercules de petits pots de crème ? Vana : C’est vexant ce que vous dites. Vahé : C’est vrai, pardonnez-moi. Je viens ici tous les dimanches. Je suis ravi de vous rencontrer. Vana : Enchantée … comme on dit dans ce genre de situation. (Elle lui tend la main. Il répond. Un temps. Elle le regarde) Je vous imaginais … Vahé : Comment ? Vana : Pas comme ça. … Vahé : Comment ? Vana : Pas tout à fait … Vahé : Un peu plus ? Vana : Plutôt un peu moins … Vahé : Mais avec plus de … Vana : Oui c’est ça, avec plus de …

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Vahé : De carrure ? (Elle fait la moue) De charme ? (Elle fait la moue) De brume (Elle fait oui de la tête) De brouillard ? … De vapeur ? (Elle acquiesce joyeusement) D’humidité ! Vana : Voilà ! (De nouveau sur le tableau) L’eau doit être glaciale. Vahé : Je ne crois pas. Pour moi, elle est au pied d’un geyser, entourée de vapeurs brûlantes. Vana : Et vous croyez qu’elle est heureuse, cette femme fontaine avec ses papillons sur la tête, sa libellule, en train de prendre un bon bain chaud ? Vahé : L’eau caresse et purifie Vana : Je ne la trouve pas du tout détendue. Vahé : Elle nage dans le bonheur. Vana : À quoi peut-elle bien penser ? Vahé : Voulez-vous que je vous le dise. Vana : Vous la connaissez ? Vahé : Je l’ai toujours connue. Vana : C’est votre muse ? Vahé : De ce Musée. Elle pense : « Je suis la pluie, je suis l’eau, je suis la vie ! » Vana : (Encore une fois, elle regarde le tableau) Oui, elle peut penser cela. Elle pense bien. Vahé : Prêtresse des oracles liquides, elle peut prédire ce que sera … notre amour. Vana : Oh la ! Vous piquez ma curiosité. Vahé : Elle dit : « Je suis la nymphe des nuages, des rivières, des fleuves, des océans, de toutes les cascades, de tous les jaillissements ! » Vana : Vous voilà bien empressé, chaleureux et ardent. Vahé : « Tous viennent boire à ma source et telle une fontaine publique, je conçois mes amours de jouvence. » Vana : Est-ce le début d’une histoire d’amour ? Vahé : « Je pleure toujours trop facilement, mes larmes se déversent abondamment. Je suis l'eau et son pouvoir de création. Je suis la vérité sortant du puits. » Vana : L’ardente vérité ! La voluptueuse vérité ! Dites-moi vite, je meurs d’impatience. Vahé : Notre amour commence au fil de l’eau … Vana : Calcaire ! Salée ! Vahé : Distillée ! Bénite ! D’abord, il y a l’eau qui dort, et puis l’eau qui rêve. Vana : Eprise, je suis la petite goutte qui fait déborder le vase. Vahé : Eperdus, nous nous démenons dans des tempêtes d’eaux gazeuses. Vana : Oui ! De la bonne eau qui pique ! Vahé : Puis soulagés, nous reposons comme des amoureux d’eau douce. Vana : Nous repartons pour voguer en eau courante. Vahé : Hélas, soudain tout bascule, et notre amour se noie dans un verre d’eau. Vana : De l’eau de vaisselle ? De l’eau stagnante ? Vahé : Mais je tente tout pour le sauver : désormais, que de l’eau potable dans mon vin. Vana : Au fait, vous faîtes quoi dans la vie ? Vahé : Je suis arroseur. Vana : Alors je serais votre rosée du matin. Vous serez mon arroseur arrosé ! Vahé : Permettez-moi de prendre congé. J’ai oublié de fermer mon robinet d’eau chaude. Vana : Et moi mon arrosage automatique ! On se revoit ? Vahé : Demain puisque l’amour a ouvert ses vannes ! Vana : Mais dans une autre salle du musée et cette fois, c’est moi qui choisis le tableau ! Vahé : Vous n’aurez que l’embarras du choix ! (Ils se séparent. Elle fait quelques pas, puis retourne vers le tableau) Vana : Elle est vraiment étrange votre femme fontaine. Tout à l’heure j’étais persuadé qu’elle avait les yeux fermés, et à présent je les vois ouverts.

A.S. Décembre 2009

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Je me sentais patraque. Je n’avais pas fermé l’œil de la nuit. C’était le dernier jour, je devais effectuer une visite au Musée d’art et d’histoire de Genève dans le but de trouver de trouver un sujet susceptible de plaire… Je me sentais incapable d’escalader les escaliers titanesques sans avoir ingurgité une dose de caféine suffisante. Alors je pris la direction opposée ; je descendis les marches.. Le Café Barocco me semblait vide, ma seule préoccupation était de m’asseoir, ce que je fis, je crois bien… Après avoir ingurgité mon quatrième double espresso, je me suis dit qu’il était temps pour moi de commencer l’ascension. A ma grande surprise mes jambes se sont prises d’une violente excitation, je me sentais si léger, mon corps si atrophié se muait dans celui d’un adolescent, plein de vigueur et d’enthousiasme. Le temps semblait métamorphosé : une malicieuse Vénus au pied délicat me rendit mon sourire. Je fus happé par son corps en apesanteur. Je tournoyais autour d’elle, matant ses fesses avec une rare curiosité. J’étais très épris de cette statut aux attraits envoûtants, si fort que je j’oubliai que je n’étais pas seul. J’avais envie d’aller plus loin, j’avais l’attention de l’inviter à danser. Mais le souci c’est qu’elle était plus grande que moi. De taille petite, je n’aurai pas été à la hauteur. Mais tant pis, m’invectivais-je, on ne vit qu’une fois… Je l’invitai à danser ! Et, contre toute attente, elle descendit de son piédestal, posa son pied droit sur le socle lumineux du parquet et empoigna de sa petite main en pierre la mienne qui resta pendant quelques instants incapable de s’ouvrir devant tant de ferveur et de détermination. Je n’osais la regarder dans les yeux, son statut si altier m’avait donné l’impression qu’elle pourrait m’éconduire. Mais pas du tout, sa plastique particulière me donnait une occasion sublime d’écrire un article sur ma nouvelle et inattendue partenaire. Elle connaissait les pas de danse du Tango. Je lui soufflai que je ne connaissais rien de cet art argentin. Elle me rassura en disant que je n’avais qu’à suivre le rythme naturel de ses pas. J’y prêtais une attention un peu exacerbée jusqu’au moment où elle posa sa main sur mon menton et me signala par un regard que je devais l’embrasser. Sa tête légèrement renversée, elle était suspendue à mon baiser. Mes doigts, qui cherchaient une prise dans le marbre trouvèrent un refuge dans l’ondulation rêvée d’une plante aux abois. Quelque chose d’unique arriva : ses cheveux de marbre se détachèrent. Une torpeur m’envahit, je reculai de plusieurs pas. Aussitôt sa chevelure blanchit. Je n’aurais dû cesser mon étreinte. Bien que j’eusse une indéfectible angoisse à l’idée de lui faire l’amour, je lui délivrai mon être de manière continue et aimante.Je n’ouvrai pas les yeux de peur de m’évanouir. Je me concentrais à lui prodiguer mon meilleur baiser. Tout devint limpide, humide, ruisselant, coulant : mes mains touchaient un corps féminin. Je sentis ses bras prendre possession de moi. Je n’avais plus peur. Je pouvais succomber à l’inconnu. Les yeux encore clos, elle me projeta dans un autre espace, lequel me délivra de mon époque. Bras dessus bras dessous, elle me recommanda de patienter encore, puis gentiment, je sentis tout autour de moi des mains qui essayaient de

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m’attraper. Elle me dit que je ne devais pas avoir peur, que tout allait bien se passer, qu’il fallait simplement continuer de marcher sur le long et sombre sentier romain. Mais, tout autour de moi, des voix juvéniles me donnaient à croire que ma fin serait toute proche, que j’allais incessamment payer ma découverte du bonheur. Mais il n’en était rien, ma Vénus m’avait allongé, déshabillé, m’avait prodigué des soins corporels auxquels je n’aurais sans doute jamais eu droit dans ma vie contemporaine… Mais les yeux fermés, je voulais connaître la maîtresse qui m’avait transportée aussi loin. Mais connaissant mes intentions, elle me susurra qu’il serait bien dommage que de vouloir connaître le monde. Sur ses invectives j’obtempérai. Couché comme un bébé, j’étais nourri par les mains les plus douces qu’il me soit donné de sentir. Ses doigts méticuleux me semblait le parfait substitut aux couverts, l’onctuosité des siens me remplissait de joie. Aux heures les plus chaudes, ma bouche était l’offrande de mille et un bijoux sonores pendant que mes sens olfactifs captaient des effluves marinées d’étoiles, lesquels s’accouplaient aux mélopées sauvageonnes de nymphes musiciennes. Quand la nuit tombait, je restai seul auprès de ma femme.

Mais de fil en aiguille, j’entrai dans un drôle de rêve : des voix humaines dont je discernai difficilement la provenance et l’origine reflétaient mon inquiétude.

Il y a un monsieur par terre tout agité, entendis-je subrepticement en arrière fond. Au début, je ne portai pas d’attentions particulières à ces interférences mais petit à petit et de plus en plus fort, je discernai la raison de ma solitude : j’avais joui en public.

Alinoa

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Une visite au Musée d'art et d'histoire de Genève Prendre le bus 7 direction Hôpital. Descendre à l'arrêt Musée d'art et d'histoire. Rendez-vous à 8h30 devant le musée. Visite de la section Egypte jusqu'à 9h40. Libération des élèves devant le musée d'art et d'histoire de Genève à 9h45. Prendre le bus 9 direction Hôpital. Non, c'est le 8. Non! 7!! Oui, c'est ça, le 7...Descendre à l'arrêt Musée d'art et d'histoire. Rendez-vous à 7h30 devant le musée. Visite de la section Egypte jusqu'à 9h40. Libération des élèves devant le musée d'art et d'histoire de Genève à 8h45. 8h45?! Prendre le bus 8 direction Hôpital. Non, 7! Descendre à l'arrêt Musée d'art et d'histoire. Rendez-vous à 7h30 devant le musée. Visite de la section Egypte jusqu'à 9h40. Libération des élèves devant le musée d'art et d'histoire de Genève à 9h45. Oui, ça doit être ça. De toute façon j'ai perdu la feuille. J'ai appris par coeur le formulaire que le prof nous a donné. Au cas où. Je me perds tout le temps, suis sans arrêt en retard et, comme si ça ne suffisait pas, ma mémoire est calamiteuse. Mes profs disent que j'ai d'énormes problèmes de concentration. Mais ça, ça m'étonnerait: c'est quand même pas de ma faute si ce qu'ils disent ne m'intéresse pas. Moi, tout ce qui me plaît, c'est la musique. D'ailleurs, je sais déjà ce que je veux faire plus tard. Non pas guitariste, batteur ou un truc du genre. ça, je sais que ce sont des utopies. Moi, ce que je veux faire, c'est luthier. Et pour ça, pas besoin de connaître Voltaire, Victor Hugo, Apollinaire et toute cette bande de rigolos. Ni d'ailleurs les maths, l'histoire ou l'allemand. Mais comme il faut que je finisse l'école obligatoire, en attendant, moi, je vais au Musée d'art et d'histoire de Genève. Le prof nous y emmène pour nous faire plaisir, qu'il a dit. C'est plus ludique. Y paraît. Avant de m'endormir, je me suis répété une dernière fois le formulaire: Prendre le bus 7 direction Hôpital. Descendre à l'arrêt Musée d'art et d'histoire. Rendez-vous à 7h30 devant le musée. Visite de la section Egypte jusqu'à 9h40. Libération des élèves devant le musée d'art et d'histoire de Genève à 9h45. Le matin, mon réveil a sonné dix minutes en retard. J'ai juste eu le temps de m'habiller et de partir de chez moi en courant. Dehors, il faisait encore nuit. J'ai sprinté pour choper le bus. Le temps qu'il arrive à l'arrêt Musée d'art et d'histoire, il pleuvait des trombes. C'est bon, je serai pile à l'heure au musée. Quand je suis arrivé, en plus de m'être fait saucer, je n'ai vu personne. La port était fermée. J'ai regardé ma montre: 7h30 pile-poil. Et c'est là que ça a fait tilt. Le rendez-vous, c'était 8h30. Putain! Arsène

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« Une visite au Musée d’art et d’histoire de Genève »

C’est bientôt la fermeture du musée. Je suis tout au fond d’une petite pièce, seul avec le silence et lestableaux qui m’entourent. Je ne sais plus depuis combien de temps j’arpente les couloirs de ce musée, je ne m’y étais plus rendu depuis longtemps. J’avais envie de revoir certaines œuvres, entre autre un paysage de Joachim Patinir,une vue comme je les aime, calme, aux couleurs douces et bleutées, une sorte de paradis terrestre. D’autres toiles représentent des scènes de la vie à la campagne, des métiers de rue, des ambiances familiales situés dans des villes inconnues.

Je viens de quitter, presque avec regret ce fameux tableau qui représente une tour de Babel, un Bruegel? Non il est d’un certain Valkenborch,une merveille à mes yeux, les proportions, les couleurs m’enchantent chaque fois que je me perds à le contempler.

Mes pas se veulent discrets pour ne pas faire craquer le parquet mais cela s’avère tâche difficile ici. La silhouette sombre d’un gardien tout là-bas, je bifurque rapidement et file à l’opposé chez les impressionnistes, puis Hodler et compagnie. Je laisse derrière moi une ribambelle d’œuvres,personnages figés qui me regardent, indifférents à ma brève visite, j’en suis presque gêné.

Une lumière étrange filtre au travers de la vieille verrière qui me surplombe, l’après-midi touche à sa fin.

Je débouche comme prévu dans une grande et vaste piècedédiée à Diday et Calame oùsont accrochés des tableaux aux proportions gigantesques.Je les connais bien ces paysages de montagne, je les ai étudiés étant jeune, m’y suis perdu des heures, assis sur la banquette centrale, un carnet de croquis posé sur mes genoux, m’imaginant arpenter ces sous-bois tourmentés par les éléments naturels à la recherche de champignons, ces pics escarpés, et l’envie soudaine de faire une sieste sous le vénérable chêne au milieu des moissons d’antan et des paysannes épuisées.

Je ne m’attarde pas cette fois-ci, je file, dépasse les Valotton, jette un bref coup d’œil vers des œuvres d’art contemporain et débouche sur l’escalier monumental.Mes pas sont amortis par l’épais tapis rouge qui l’habille. Je descends tel un roi, seul au monde, j’apprécie ce moment, je rêve.

J’arrive dans le hall d’entrée, un groupe de japonais se hâte de sortir dans la nuit, j’en profite pour entrer dans la salle qui se trouve à ma droite, la porte se referme avec fracas derrière moi.Je ne peux résister à l’envie d’aller jeter un regard sur les petites eaux-fortes, elles sont de Rembrandt, c’est merveilleux, il ya plein de détails, d’ambiances différentes. Je reviendrai un jour pour prendre le temps de découvrir les autres.

La voilà, la salle de l’Escalade, la salle des armures, tout aussi baignée de silence et d’ombres. M’aurait-on oublié? Non, je croise soudain une petite femme d’origine nippone, elle me regarde sans me voir et disparaît aussi vite qu’elle m’est apparue.Cet endroit me trouble toujours, j’ai l’impression de remonter le temps plus ici que nulle part ailleurs. Mes doigts se posent sur la surface polie des grandes échelles, sur le fauteuil d’un noble citoyen genevois, mes yeux parcourent lebombé des armures, des cuirasses et des rapières artistement ciselées. Un bruit, un toussotement amplifié par la grandeur des lieux, je me retourne.

Rien, mais je veux continuer encore ma visite en solitaire. Je veux encore me rendre là-bas, à l’autre bout.J’ai envie de me cacher, il y a suffisamment d’endroits pour le faire ici, peut-être derrière la porte du château de Zizers? Je m’arrête un instant encore, mon sang bourdonne

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dans mes oreilles. Les vitrines se succèdent les unes après les autres, chargées d’objets antiques, de bijoux extraordinaires, de vaisselles décorées, de statuettes graciles couvertes d’or ou de pigments oubliés.

Le Moyen-âge, j’y ai aussi passé des heures, fascinépar les coutumesde ces temps disparus. Je cherche la momie, je ne sais plus où elle se trouve, l’a-t-on déplacée? Petit, elle me faisait peur lorsque je passais devant son sarcophage de verre, maintenant encore un peu je l’avoue mais je ne la trouve pas.

Un cri éloigné me parvient, certainement du hall d’entrée, il est suivi presque aussitôt d’un autre son qui nasille au dessus de moi.Un petit haut-parleur vers le plafond, je sais immédiatement ce que je vais entendre et cela ne tarde pas. Les visiteurs sont poliment enjoints à se rendre vers la sortie pour la fermeture du musée. Voilà, on y est, c’est la fin de mon escapade dans cet antre hors du commun.

J’ai encore un peu de temps devant moi, je descends à nouveau le grand escalier, des gens se pressent vers la sortie, moi pas.Je continue vers le sous-sol, m’attendant à recevoir une remarque d’un gardien embusqué. J’y parviens sans que rien ne m’en empêche, je souffle, j’y suis arrivé.

La librairie est plongée dans une semi obscurité, je la traverse, contemplant rapidement les beaux livres étalés de part et autre. A ma gauche la cour s’ouvre devant moi, il fait nuit, je distingue à peine la fontaine et les statues qui s’y trouvent abandonnées. J’approche mon visage de la fenêtre et je sensaussitôt le froid sur mon front qui laisse au passage une auréole de buée humide sur la vitre. Je suis si bien ici, j’aurais dû venir plus tôt. Je profite de passer devant le bar, incognito, une personne range de la vaisselle à grand bruit dans la cuisine attenante.

Me voilà au pied d’un nouvel escalier qui mène me semble-t-il aux tréfonds du musée, partie que je ne connais pas, interdite au public. J’imagine tousces mystères cachés, ces œuvres enfouies dans l’oubli,cestableaux de maîtres non restaurés, ces machines de Tinguely démembrées, et que sais-je encore? Sans doute un aussi vaste musée que celui qui est ouvert auxvisiteurs.

La voix dans le haut-parleur réitère l’évacuation de l’édifice. Je ne m’y résous toujours pas, envahi par une envie terrible de rester une nuit seul dans le musée. J’enjambe le cordon qui barre le passage et commence à descendre les marches, mon cœur bat assez fort, je ne suis pas très courageux il faut le dire, je ne sais pas ce que je veux en cet instant. Je lève la tête vers le haut des marches, toujours rien, ils m’ont oublié.

La porte sur le Boulevard Jacques Dalcroze s’ouvre brutalement, un gardien à l’air jovial m’indique que la sortie est là, ce dont je ne doute pas. Ma visite du Musée d’art et d’histoire s’achève sur ce trottoir humide. La porte claque, c’est fini.

Baldum

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Cœur d’Ange

Sur les marches de l’entrée et de son fronton descendu

Saupoudré de neige, boucles glacées et visage joufflu

M’attendait mon Ange transi et en tenue d’Eve

Pour une visite au Musée d’art et d’histoire de Genève.

« J’ai si froid », me dit-il, « même si je suis depuis un siècle sur le toit »

Faisant face au Léman, front à ses bises, à ses vents, à ses froidures et frimats

Me regardant de ses yeux verts, m’étreignant de ses ailerons et laissant là ses sanglots

Abandonnant renommée et sans tambours ni trompettes,

Nous entrons dans le vénérable bâtiment, illico, sans tirer la chevillette

Pour nous réchauffer, fêter Christmas et notre rencontre de tantôt

Allons, pour commencer, nous faire un vin chaud cannelle au Barocco

« Ooh ! C’est brûlant, mais bon », me dit mon Angelot

Après quelques tasses nos yeux qui brillent et qui scintillent

Voient mille lumières étoilées sur les cartes et livres en devanture à la librairie

Voletant dans l’escalier, mon ange prit le large et me fiant à son sillage subtil

Nous arrivons au péristyle

« Allons trouver l’Abbé Huber » dit dans le noir mon Ange visiteur

Apercevant au loin la lueur d’une chandelle

Absorbé par la lecture des essais de Montaigne, malicieux et souriant, l’Abbé nous accueille de plus belle

Puis il nous fit asseoir, manger et nous récita la lecture et nous chanta des cantiques de Noël

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Continuant notre périple, nous arrivons, aileron dessus et bras dessous, vers une émminente femme de lettres publiant un traité d’éducation

Madame Lalive d’Epinay à la personnalité des plus attachantes, nous parle d’Emilie et ses conversations

Liotard aussi fut visité, riant et farceur, regard complice et l’air entendu, nous invitant dans son atelier

Jaccopo Palma le Jeune n’échappa non plus à notre visite, ni l’adoration des bergers, ainsi que le petit Jésus dans sa crèche, ni le bœuf et l’âne mangeant au même râtelier

Pour terminer, mon Ange se fit joueur et enjoué, passant devant chez Alexandre Calame

Il ne put s’empêcher de frapper à sa porte et aussitôt de s’en aller

Nous descendîmes à l’entrée et une fois sur le perron, mon Ange enfin libre décida de garder sa liberté

De me suivre dans ma vie et dans l’au-delà, puis me montrant sa gratitude, tel un ami sûr

Me promettant et je le crois, de protéger, je m’en assure

Les Beaux-Arts à Genève et sa culture

Le Baron Noir

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VISITE AU MUSEE Montons vite au Musée Une visite s’imposait : Souvenirs de gamins. ELLE nous faisait peur… ELLE nous attirait… Dans son sarcophage transparent. Avec la peur au ventre Rien ne nous intéressait Toujours nous descendions En dégringolant ces grandes marches, Toujours nous étions fascinés Devant la MOMIE aux cheveux roux, Hirsutes et clairsemés. Il fallait se pencher, (nous étions petits.) Sur son visage parcheminé et bronzé Toujours allongée et qui semblait dormir. Oh ! combien de fois sommes-nous venus ? Il faut le dire : en cachette, (après l’école ou le jeudi) Rien que pour LA voir, ELLE, la MOMIE et… les hallebardes de l’Escalade.

CANNELLE

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L’Art par hasard

En me promenant un après-midi d’hiver,

Je l’aperçois. Quoi ? Le Musée d’art et d’histoire.

La bise giflant mon tout petit bonnet vert,

J’entre dans ce vaste refuge, plein d’espoir.

Au cœur de Genève, ce lieu semble sans âmes.

Curieux, j’entreprends une visite hors du temps.

Et je le vois : L’été, d’Alexandre Calame.

Un chêne majestueux noyé dans un champ.

Entouré par l’or, la chaleur m’enveloppant,

Je rejoins les moissonneurs sous l’arbre puissant.

Les nuages se promènent dans le ciel qui rit.

Jaune, Vert, Bleu, Blanc : un doux voyage onirique.

Je sors du tableau, hors de cette mosaïque.

Du jaune blé, le noir profond. Dehors, la nuit.

Caroline London

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Chouette 06 Notre visite au musée d'art et d'histoire de Genève: 1910-2010 te souviens-tu, chère Evangéline de l'époque des crinolines où nous allions, chaque dimanche matin, main dans la main au musée d'art et d »histoire de Genève, rue Charles Galland avant notre promenade hebdomadaire aux Bastions ? Ce monument, érigé en 1910 va fêter à l'aube du 3° millénaire ses cents ans Te rends-tu compte, ma chérie, des transformations et de l'admiration des amateurs d'art éclairés? De toutes ces expositions ? Sur l'histoire, l'Antiquité et les Beaux-Arts De tous ces chefs-d'oeuvre exposés? En réserve et toutes les estampes aussi De tous ces artistes? De Cézanne à Bram van Velde? De notre ami Ferdinand Hodler dont les paysages chargés d'émotion, témoignent d'une grande sensibilité te rappelles-tu sa « rade de Genève à l'aube » qui nous émerveillait et nous plaisait tant ? Que de bons souvenirs à raconter à nos petits-et arrière-petits-enfants? Cent bougies, cent ans, un siècle de rendez-vous, de rencontres, de conférences, les dimanches gratuit où des conférenciers compétents présentent les oeuvres des expositions temporaires sans oublier les fêtes de l'Escalade et de la musique Sais-tu aussi qu'il existe un laboratoire où tout tableau est soumis à une radiographie et microscopie ? on n'arrête plus le progrès, ma tendre petite-fille! et que le grand journal des MAH paraît trois fois dans l'année? quelle chance de fêter un tel événement ! Pour petits et grands quelle diversité! Quelle modernité! Quelle spécificité! Sans oublier la visite incontournable à la librairie et la petite collation au restaurant. Souhaitons bon vent et longue vie au musée d'art et d'histoire de Genève et rendez-vous, en 2110! Alfred, ton grand-père qui t'aime !

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La Rencontre espérée Elle montait les marches en ralentissant le pas au fur et à mesure qu’approchait le dernier étage, où l’attendait une rencontre qu’elle avait ardemment attendue. Comment réagirait-elle ? Allait-elle s’effondrer sous la puissance de l’émotion qu’ « il » provoquerait ? Et les jambes à présent qui lui tremblaient… Depuis qu’elle vivait à Genève, comme par enchantement, chaque fois qu’elle entrait dans les eaux du Grand Lac, elle se retrouvait happée, prise par une musique lancinante, dont il lui semblait parfois qu’elle pouvait distinguer la mélodie avec netteté. Une quinzaine d’années auparavant, elle s’était baignée dans les pages d’un roman-fleuve qui prenait la région pour décor. Dans cette fiction à fond historique, le personnage principal luttait pour la formation de sa conscience adulte et artistique, contre les réticences de son temps et de son milieu bourgeois et banquier. Depuis cette lecture, au fil des ans, elle s’était aperçue que, tel un double fantomatique, ce garçon la hantait. Ainsi, lorsqu’elle se retrouvait à la hauteur du parc de la Perle du Lac, face aux grandioses massifs montagneux des Voirons et, plus loin, des Aravis, puis, encore plus loin, demi-lune tombée bas dans la brume terrestre, le téton immaculé du Mont-Blanc, alors une mélodie se saisissait d’elle et l’emportait, puissante comme une marche qui la lançait vers l’avant. La vue du Môle, bonhomme rond, calme, silencieux, cristallisait l’acmé de cette composition musicale, son apogée pianistique, et faisait chavirer son cœur, lui redonnant vigueur et force pour affronter le monde contemporain, un monde désormais vide, déserté par l’âme. Ainsi descendue dans les eaux calmes de la petite plage du Reposoir, elle s’adonnait à cette sonate qu’on eut jurée de Beethoven, qui délivrait une rythmique silencieuse et faisait entendre des accords subtils. Mais aujourd’hui, alors qu’elle avait plongé après le travail, elle n’avait rien entendu. Sans doute ce rendez-vous avec le tableau qui donne son nom au roman la tétanisait-elle. Pourquoi avoir décidé de monter à pied au Musée ? Pourquoi avoir ajourné la Rencontre à ce jour précis ? Et si la Rencontre ne se produisait pas ? Si le retable peint ne provoquait rien ? La crainte de le manquer, de ne pas l’éprouver à sa juste mesure puis d’avoir honte de sa propre insensibilité lui serinait à l’oreille qu’il fallait renoncer, que l’idée n’était pas bonne, vite, faire marche arrière, descendre l’escalier central du Musée d’art et d’histoire, rentrer chez elle… Cette ville-monde, d’une superficie infime, cette ville cependant prospérissime, dévolue à la finance internationale et aux trusts, ville horlogère, méticuleuse, arrogante, cette ville de glace avait-elle donc eu raison de sa spiritualité, de ses besoins les plus intérieurs ? Un ricanement de son chef résonna dans sa tête. Dieu est mort et sourd, pauvre sotte ! Nous, scientifiques et techniciens, allons à la conquête d’autres mondes, où la vie que nous ne saurons tarder à découvrir démentira la création unique du Créateur. Mais était-ce bien de ce Dieu unique dont elle avait la nostalgie ? Plutôt du dieu des musiciens et des artistes, du dieu des méditatifs et des repliés, du dieu des fors intérieurs. Cette divinité-là soulève des montagnes, elle fait atteindre la cime du Môle en un bond depuis la berge du Léman, elle rassérène les conflits du dedans pour relever les faibles, tous les faibles, sensibles, perdants, dépourvus, effarés.

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Elle reprit courage et pénétra dans la grande salle du dernier étage du Musée. Il était là, sans personne pour l’observer, doucement éclairé. Sans heurt ni trompettes, la rencontre se fit bel et bien. Le peintre Conrad Witz apparut à ses côtés, sur la banquette, face au retable qu’il avait signé quelques siècles auparavant ; il esquissa un sourire dont elle sentit la chaleur inonder son cœur. La Pêche miraculeuse opérait sa magie naturaliste et spirituelle, les teintes, le paysage, le petit port médiéval du Molard, les arbustes, au loin les Alpes et au premier plan, Christ dans la sérénité qui souriait aussi. Essaie la confiance, paraissait-il murmurer à la visiteuse, hiératique, venue pour le rencontrer.

Clinamen

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PAMPHLET

adressé aux dignitaires de cette Ville ainsi qu’aux honorables organisateurs voués à la célébration du centenaire de la construction du bâtiment abritant le Musée d’Art et d’Histoire de Genève.

Messires, Permettez à un Savoyard de bonne lignée prisonnier dans les murs de votre bâtiment et ceci depuis fort longtemps de vous faire part de sa surprise et de son étonnement à l’annonce de cet événement. Oui, grandement surpris, étonné, voir même choqué que vous dérangeassiez les fidèles sujets de la République pour pareille broutille. Car, dites-moi, qu’allez-vous fêter ? Une bâtisse néo-baroque au demeurant pas très gracieuse. En effet, voulant imiter certains temples grecques, elle en a su garder que la démesure : enfilade de lourdes colonnes ioniques... fronton prétentieux... escaliers monumentaux... bref, une verrue au seuil de la Cité et cela à quelques pas de votre vénérable cathédrale. Cette bâtisse vaut-elle donc le peine d’être fêtée pour elle-même ? Messires, réfléchissez un tant soit peu. Pour quelques pierres assemblées par la main de l’homme, que représentent cent ans d’âge ?RIEN ! Osons une comparaison : aujourd’hui, grâce aux savantes avancées des disciples d’Esculape, grâce également au confort facilement accessible à tous, gent dames et moult sieurs atteignent eux aussi cet âge dit respectable. Ce sont là des sujets qu’on arrive à conserver à la limite du raisonnable. Pour autant, les fêtons-nous une année durant ? Non, n’est-ce pas. Et vous, qu’allez-vous honorer ? Quelques cailloux savamment entassés. Voyez donc l’inégalité du traitement. Cependant, et je le confesse volontiers, force est d’admettre que ces cailloux érigés en monument abritent des trésors d’art. Que de richesses éparpillées sur cinq étages. Mais là aussi, combien d’inégalités, combien d’injustices observées quant aux emplacements choisis pour nous abriter, nous les locataires. Voyez plutôt :on m’a installé, moi, à l’étage zéro, aile sud-ouest, salle n°204. Je suis confiné derrière une vitrine située exactement dans un angle . De ma personne, il ne reste que mon armure, celle que j’ai portée en 1602 lors de l’Escalade. Une armure quasi complète, armet, mentonnière, épaulières, cubitières, gantelets sans oublier plastron et cote de maille. Me manque cependant le bas : cuissots, genouillères et autres accessoires sans doute oubliés dans un obscure grenier ou vilainement vendus aux puces ou alors perfidement retirés afin d’empêcher ma fuite. Ainsi, ne reste de moi qu’un peu de mon aspect extérieur. Mais, détrompez-vous. A l’intérieur s’y cache encore l’essentiel : ma pensée. D’ailleurs, je soupçonne le gardien de l’avoir deviné. Un brave gardien. Il fait ses dizaines de pas réglementaires dans un sens, puis dans l’autre, mais ne s’arrête jamais devant les vitrines où sont entassés pistolets à rouet, épées à deux mains, arquebuses, trombones à silex etc. Il ignore également la rangée des six canons parfaitement alignés. Par contre, souvent, il s’approche de moi, ralentit l’allure, me toise et me contemple intensément. Alors dans ses yeux apparaît une lueur de complicité... sans doute, lui aussi , un de ces Savoyards. Des frontaliers comme vous les appelez et qui savent aujourd’hui envahir votre ville sans coup férir ! Parfois il s’assoit sur un canapé, à mes côtés, marmonne quelques mots puis s’assoupit. Oh ! pas de risque qu’il soit surpris ou dérangé mon brave gardien car, à part le temps de l’Escalade où il y a foule, aucun visiteur n’arpente la salle n° 204 sinon pour courir aux vestiaires. - Dis maman, explique-moi, les militaires y z ‘étaient comme ça dans le temps ? Comment y pouvaient voir avec la tête enfermée dans cette ferraille ? Dis-moi, maman.

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-Dépêche-toi mon chéri. Non, nous n’avons pas le temps ... mais où sont donc ces vestiaires ? Nous allons manquer le bus ! Et voilà ! la salle est de nouveau déserte. L’amateur d’art, lui, est ailleurs. Il a commencé logiquement par le sous-sol : préhistoire, archéologie égyptienne, grecque, romaine. Puis, Dieu sait pourquoi, il a sauté directement les millénaires en ascenseur pour découvrir, au deuxième étage, la peinture : école italienne, française, anglaise... s’arrêtera devant les toiles de Corot, savourera les impressionnistes, jettera un oeil sur Hodler et quelques Genevois (Liotard, Calame). Le XXème siècle ?pas le temps ! Reprend l’ascenseur et s’arrête au premier : arts appliqués, argenterie, étains, instruments de musique... Bof ! dit-il en courant vers l’ascenseur pour descendre à l’étage zéro, là où les expositions temporaires sont souvent remarquables. Trop tard ! regrettera-t-il en se dirigeant vers la sortie. Il reviendra certainement ce monsieur mais la salle 204, j’en suis sûr, encore une fois, lui échappera. Voilà, je vous ai tout dit ce que j’avais sur le coeur. Permettez moi cependant une dernière remarque. Dans l’invitation lancée pour les festivités de l’an 2010’ vous énumérez toutes les manifestations prévues à cet effet en soulignant textuellement, je cite : « les propositions ne manqueront pas pour que tous se sentent invités » Tous ? que non point. Nous les locataires de la salle 204 nous ne nous sentons pas invités. Encore si au banquet officiel vous eussiez eu l’idée de remplacer les excès verbaux des discours qu’on place généralement entre la poire et le fromage par nos poires à nous : je veux parler de nos poires à poudre ! Ne croyez-vous pas que cela aurait permis de secouer un tant soit peu la République tout en lui conférant l’éclat dont elle aurait tant besoin. A tous, je vous souhaite néanmoins une belle année 2010. Francis Brunaulieu Capitaine des troupes de Savoie à l’Escalade de 1602 PS Messire le Directeur du Musée d’Art et d’Histoire, je vous sens un peu agacé par mes propos impertinents voir subversifs. Le temps maussade d’aujourd’hui ajouté à l’usure du temps font que mes humeurs avaient besoin d’un exutoire. Cela est fait. De grâce, ne m’en tenez pas rigueur. Et, réflexion faite, je veux bien rester dans mon encoignure. Peut-être vous écrirai-je encore une fois et cela, pourquoi pas, à l’occasion du 500ème anniversaire de l’Escalade. Ce sera en l’an 2102, anniversaire oh ! combien plus important. Une centaine d’années nous en sépare. Cent ans d’attente, savez-vous, c’est très court pour une armure du XVIIème siècle. D’art-d’art

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A Barbara, peintre et professeur, qui nous a appris à regarder et à aimer J.E. Liotard

A Elisabeth, en souvenir de nos déambulations à travers le Musée du Louvre, qui ont inspiré les miennes dans le musée d’Art et d’Histoire de Genève

A Emmalou dont la rigueur des épigrammes vaut celle de mon héroïne

Le lecteur est donc invité à n'y voir que les choses, gestes, paroles, événements,

qui lui sont rapportés, sans chercher à leur donner ni plus ni moins de signification

que dans sa propre vie, ou sa propre mort. A. Robbe-Grillet, Dans le labyrinthe

Sans titre

Je suis seule, ici, maintenant, au bord du lac. Les bruits s'y répercutent. Je sens l’odeur marécageuse de l’eau. Six pêcheurs dans une barque. Quatre relèvent un filet. Abondance: brochets, lottes, truites ? Debout à l'avant et à l'arrière, deux hommes gouvernent avec une gaffe. Le premier m'a vue, me regarde, sur le rivage. Maintenant, un des pêcheurs a sauté dans l'eau peu profonde. Que veut-il ? Il tend les bras vers quelque chose que je ne vois pas. De l’ouest, le soleil éclaire les Alpes.

Dès le deuxième étage, on oublie l’architecture symétrique du musée, sa façade dont les pierres en colonnade donnent à éprouver leur poids et l’escalier solennel: on est envahi par l’espace, baigné par la lumière dorée qui découpe les volumes et les statues. Pas de fenêtre dans la première salle. De la verrière du plafond voûté, le jour tombe sur les murs et les œuvres accrochées. C'est la fin de l'après-midi. Un panneau s’élève au milieu de ce hall. Selon la notice, cette œuvre est « la plus célèbre du musée d'Art et d'Histoire de Genève ». Konrad Witz, La pêche miraculeuse. Harmonie de verts qui contrastent avec des taches de rouges. Lumière blanche trouant l’image. Le ciel, les collines et la campagne se déroulent jusqu’au lac qui déploie un pâle vert de cobalt mêlé d’ocre, moiré de gris. Au premier plan se fige une draperie écarlate dont les plis d’un rouge plus sombre s'évasent jusqu’à la surface de l'eau. Dans une barque, six pêcheurs s’affairent. L’un d’eux patauge maintenant dans l’eau. Une histoire connue, un paysage familier ici. Miracle de la pêche, miracle de cet après-midi paisible et du temps immobile.

Voici un camaïeu bleu-vert, Paysage avec scènes de chasse, par le cercle de Joaquim Patinir: l'homme, en dompteur de cheval, en chasseur, en soldat prenant la citadelle… allusions érotiques à la femme à conquérir. Un couple d'amoureux au premier plan, dans un bosquet. Elle porte une robe bleu nuit, une blouse brodée et un bonnet garni de guipure. Sourit-elle ?

J’entends les chiens, les fusils, et l'eau qui coule. C’est la fin de l’après-midi. Je sens son étreinte et son désir qui me circonscrivent. Comme le cerf acculé par les chiens, comme la ville assiégée. Un jardin d'amour sournois. Seule avec lui sous les hauts arbres, comment savoir quel est mon désir ? Les hommes sont partout en armes.

Maintenant, il n'y a plus ni châteaux ni feuillages. Ils sont nus, hommes et femmes, dehors, dans un paysage d’eau et de terre pelée. Je les distingue par leur coiffure, par la présence ou l'absence de seins, par leur carrure. Hommes et femmes sont athlétiques, les poses sont acrobatiques, les corps s'enlacent, ils ont l'air de glisser. Personne ne me voit. C'est une danse insonore, dans laquelle je pourrais entrer. Mais personne ne m'entraîne.

La grande salle ne possède qu'une ouverture qui débouche sur une enfilade de pièces parquetées,

Concours pour les 100 ans du Musée d’Art et d’Histoire { PAGE }/{ NUMPAGES } 31.12.2009, pseudonyme : DialogueX

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Concours pour les 100 ans du Musée d’Art et d’Histoire { PAGE }/{ NUMPAGES } 31.12.2009, pseudonyme : DialogueX

où l'on descend par trois marches de bois. L'ambiance a changé, les pièces sont plus petites, l'atmosphère est plus confinée. Encore des murs gris, puis on traverse une salle aux parois framboise, ou fuchsia. Une lumière assourdie tombe maintenant du plafond. Les lampes électriques sont indispensables. Voici une autre image de l’érotisme, Bacchanale dans les rochers. Le peintre - Alice Bailly – a lancé des corps, clairs et sombres, dans des postures improbables. Peu de chair, corps presque réduits à des signes, projetés sur une scène de rocs terre de sienne brûlée et de trous d’eau verte. Presque hors de la toile, se tient la même femme, seule habillée, dans sa robe bleue, avec son bonnet, regard perplexe.

Maintenant, je suis perdue. Une gare, des trains, des écriteaux. Paris, boulevard de la gare. Lumières qui raient l’obscurité sans éclairer, carrefours qui mènent à des impasses. Feux rouges et verts, qui m'attirent dans leurs spirales. Grincements. Soir de novembre. On se perd. La grande salle illuminée affiche des toiles monumentales... Elle offre trois sorties. On accède à une chambre carrée. Des stores beiges obstruent les fenêtres. Des spots délimitent les ombres. A droite et à gauche, deux passages ouvrent des perspectives sur d’autres alcôves. Voici à nouveau la salle fuchsia.

Les lumières artificielles sont allumées partout, on a maintenant oublié l’autre vie. On s’égare, On repasse devant les mêmes paysages ou d’autres corps nus. Sans titre, Bram Van Velde, rouges et verts, encore. Bleus, gris, noirs qui refroidissent et pourraient désespérer. Hodler… Vallotton… Vuillard, beiges et roses, éclat argenté d’une théière – La mère de l’artiste servant le thé.

- Je vous demande pardon, je me suis perdue. Oui, je veux bien une tasse de thé. Ce pastel au-dessus de la cheminée ? « Peint par J. E. Liotard agé de 80 ans ». Quelle douceur ! Poires, prunes, figues, la délicatesse de leurs courbes m’enchante. Et le duveté mat de la pêche, un miracle !

Labyrinthe. On débouche dans un salon octogonal. Portraits de notables. Des spots révèlent les pastels de Liotard. La voici. Maintenant elle est assise dans un fauteuil. Grâce des teintes : bleu roi, roses et blancs se détachent sur un fond mordoré. Son visage se penche, interrogateur et bienveillant. Elle a fermé le livre qu’elle était en train de lire mais son pouce en marque la page, où l’on peut lire DIALOGVEX. Anticipation de la dixième conversation d’Emilie ? « J’écoute au moins de toutes mes oreilles », y acquiesce Louise d’Épinay.

Pseudonyme : DialogueX

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Une visite au Musée d’art et d’histoire de Genève C’est une singulière histoire que je m’apprête à vous raconter. Certains diront qu’elle sort tout droit des recoins obscurs de mon imagination, et je serais également tenté de m’accorder à cette pensée. C’était un jour pâle d’octobre, des nuages pendaient lamentablement, comme des chiffons dans un ciel morne, qui s’accordait à mon humeur. J’étais assise à la fenêtre, animée d’un insupportable ennui, que je tentai d’évaporer par la lecture d’un ouvrage fort long et fort peu intéressant. C’est dans cet état d’esprit, que je m’occupais, tantôt à lire tantôt à observer le ciel, dont l’aspect achevait de me rendre horriblement lassée. Au bout d’une demie heure, je décidai qu’il serait bon pour moi de m’aérer l’esprit, et comme le temps ne s’avérait être que très peu attirant, pour toute activité physique s’exerçant en plein air, il me sembla juste de consacrer mon temps dans un endroit clos, qui, aurait au moins le mérite de me faire changer de lieu et donc d’air. Je pensai, d’abord à la bibliothèque, lieu paisible et calme ou je pourrais lire des heures entières des ouvrages divers, mais repoussai cette idée lorsque ma lecture précédente me revint à la mémoire. Le théâtre alors ? Mais la distance colossale qui séparait ma maison de cet endroit me découragea prodigieusement. La bibliothèque et le théâtre étant exclus, il me vint ensuite naturellement à l’esprit le musée. Je m’engageais dans les couloirs de la vieille bâtisse du musée d’art et d’histoire de Genève, et en gravis les marches. C’était une sensation étrange, chaque pas que j’accomplissais semblait me rapprocher de quelque chose ; de quoi ? Je l’ignorais. Je me dirigeais vers la salle qui m’intéressait, la salle des tableaux. Pour ce faire, je dus traverser la salle des antiquités romaines. Lorsque j’entrai, une atmosphère pesante, chargée de mystère se répandit dans la pièce, les vitrines brillèrent d’un éclat sombre, et les objets, semblaient être animés. Les statues en marbre, avec leurs expressions figées dans un masque, et leurs membres coupés, je l’avoue, me glacèrent le sang. Je traversai cette salle silencieuse à la hâte, pour arriver à celle qui suscitait mon intérêt, la salle des tableaux. Elle était vaste ; son plafond haut et ses murs blancs accentuaient sa grandeur et me donnèrent un instant le vertige. Les murs, étaient tapissés de peintures, mais une, particulièrement attira mon attention. Elle était pourtant simple et n’avait rien de bien original, elle représentait un paysage : une plaine d’un vert pâle tendre, quelques nuages mélancoliques flottant dans un ciel limpide, des arbres, caressés par la brise… une scène pathétique en somme, mais qui, par je ne sais quel pouvoir, m’hypnotisa, capta mon attention et me fit fixer intensément cette toile. Je fermai les yeux et sentis une odeur agréable, un parfum exquis ; un air pur et frais, mais chargé d’une légère chaleur me caressa doucement la peau ; j’entendis des murmures, des esquisses de chants d’oiseaux… puis j’ouvris les yeux. Alors, l’illusion se dissipa, et je pris conscience de l’inconcevable, j’étais seule au milieu d’une plaine. Une plaine à l’aspect irréel, qui semblait trop parfaite.

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Je remarquai que je mes souliers étaient empêtrés dans une flaque boueuse et verte, et me penchait pour identifier la texture étrange. Je tendis la main, mais ne cueillis qu’une matière visqueuse qui n’était sûrement pas de l’herbe. Les murmures se dissipèrent, il n’y avait plus aucun bruit, plus aucune sensation, comme si quelqu’un avait appuyé sur la touche pause, et je réalisai alors que j’étais atrocement seule. Plus rien ne bougeait, les arbres immobiles, restaient enracinés dans le sol sans pouvoir se délivrer, les nuages, suspendus dans le ciel, étaient figés, et moi, j’étais comme emprisonnée dans un mauvais rêve. Une bourrasque de vent me gifla soudain en plein visage comme pour me réveiller de ma léthargie. Je commençai à paniquer, cette étendue qui n’en finissait pas, cet infini, cette grandeur qui s’étalait à l’horizon, faisait battre mon cœur à la chamade. Je mis mes mains en visière et finit par apercevoir un point, un minuscule point qui brillait au loin. Je courus vers lui, en économisant mon souffle, me préparant à une longue distance, mais finis par y arriver en quelques secondes. C’était une porte, je l’ouvris et rentrai dans une pièce, qui me frappa par sa familiarité : le parquet en bois, le bureau en chêne, la petite étagère encombrée de livres et de poussière… Un livre était tombé au sol, je le ramassai, le titre lui aussi me troubla, je sentais que je connaissais cette scène, que j’y avais assistée auparavant, j’avais une impression de déjà vu. Mon regard parcouru la salle, à la recherche d’un indice : une fenêtre et une chaise. Je m’assis sur la chaise, je regardai par la fenêtre, c’était un jour pâle d’octobre… Soudain il me vint à l’esprit que j’étais retournée chez moi, que cette pièce était la mienne et que le sol, ciré le matin même, n’avait pas cet aspect boueux et étrange que j’avais vu auparavant. Je ne tenterai ni de comprendre ni d’expliquer cette histoire insensée, il s’agit sûrement d’un rêve, rien de plus…mais ces traces de peinture verte sur mes mains, m’emplissent de doute, je ne me souviens pas avoir fait récemment de la peinture. Tout est flou, mon esprit s’est sans doute égaré. Dorothea

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Le Musée mondial numérique 

Evanaëlle Hisbetz  

- Non, je ne veux pas aller au musée, affirma avec véhémence la petite adolescente effrontée.

- Mais le Musée d’Art et d’Histoire consacre une exposition à la peinture flamande et hollandaise des XVIIe et XVIIIe siècles, objecta sa mère.

A peine eut-elle prononcé ces paroles qu’elle comprit l’incongruité de son propos. Son regard fit le tour de la chambre de la jeune fille.

Au mur, un poster de Twilight côtoyait une toile orange achetée dans un marché artisanal. Quelle est la limite entre l’art et l’artisanat ? Cette peinture était en réalité un collage de serviette agrémenté de pâte relief ornée de couleurs acryliques attractives. L’effet décoratif était indéniable. La marchande pouvait décliner toute une série de tableaux similaires en différentes couleurs et en formats divers. Comme dans l’émission D&Co, le client avait l’assurance de trouver l’œuvre taillée sur mesure pour son intérieur.

L’artiste devrait-il adapter ses réalisations aux exigences du public ?

L’armoire était recouverte de dessins de mangas. Ce choix artistique était loin de convaincre la quadragénaire. Il portait cependant la marque de son temps, la mondialisation ayant sonné le glas de la prédominance des critères occidentaux en matière d’art.

Au milieu de la pièce, trônait un pouf aux motifs exotiques, tel un symbole de cette époque d’engouement pour l’art « ethnique ». Sans vergogne, le monde de la consommation s’était emparé du thème. Et un peu partout, les magasins de bricolage proposaient des impressions montées sur cadres à des prix moins élevés que la toile vierge.

Quelle image le grand public peut-il avoir de l’artiste contemporain ?

Sur le bureau, devant l’ordinateur allumé, traînait une tablette graphique. L’adolescente s’y exerçait depuis quelque temps et elle produisait des dessins numériques plaisants. La graine de peintre maniait avec habileté son stylet qui pouvait tour à tour simuler un bec à encre de Chine, un pinceau à aquarelle, un pastel dur, un feutre, un crayon ou un fusain. Une roue chromatique lui tenait lieu de palette, dans laquelle elle puisait une gamme infinie de couleurs. La jeune fille savait agrémenter ses peintures virtuelles de textures qu’elle composait elle-même grâce à des photos macro. Souvent la petite artiste partait se balader dans la nature pour capturer dans le boîtier de son reflex numérique les minéraux et les végétaux nécessaires à ses créations.

- Je n’ai pas besoin d’aller au musée, je peux tout voir sur internet, argua la photographe en herbe.

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Oui, on trouve beaucoup de choses sur la grande toile d’araignée. Malheureusement de magnifiques œuvres graphiques, souvent signées par de simples pseudonymes, étaient bardées de phrases toutes faites, de poncifs intolérables, de véritables insultes à la pensée. Inversement, les citations des grands auteurs devenaient insipides à force d’être accommodées à toutes les sauces. Les réflexions de Saint Augustin ou Saint-Exupéry avaient perdu toute leur dimension depuis qu’elles étaient ornées de petits cœurs scintillants ou de smileys amoureux.

Comment les internautes osent-ils ainsi massacrer la pensée littéraire et philosophique ?

- Internet est non seulement une galerie pour les vieux maîtres, mais aussi pour toutes sortes de talents non révélés, continua la jeune fille. Tu y trouveras plus de diversité que dans n’importe quel autre musée.

Elle aurait voulu dire à sa fille qu’une visite réelle est plus enrichissante qu’une visite virtuelle, mais elle renonça à exposer des arguments qui auraient été jugés ringards.

Il est vrai qu’il n’y avait jamais eu autant d’artistes, autant de techniques à exploiter, autant d’expositions et autant de lieux consacrés à l’art qu’en ce début de XXIe siècle.

- C’est inutile d’aller au musée, insista l’impertinente.

Pensant que la jeune génération était très certainement trop utilitariste, la mère de l’adolescente tenta une dernière approche :

- Le Musée d’Art et d’Histoire organise un concours pour les jeunes talents …

Sans un mot, la jeune fille saisit son écharpe et la noua autour du cou. C’était une écharpe tricotée à la main; c’était une écharpe aux éclats multicolores ; c’était une belle écharpe soyeuse ; qu’elle était douce pour affronter cette froide journée d’hiver.

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Une envie de tuer l’ennui Ronde de vingt heures, au revoir les visiteurs Ronde de minuit, plus un chat, pas une souris Ronde de trois heures, bonjour les voleurs Et patati, et patata… Et dire que j’ai pu penser que ce séjour à Genève me changerait les idées. Au fond, je m’y ennuie autant qu’à Paris. L’avait pourtant bien commencée, ma petite escapade. Ô ces bellâtres entrevus alors que je descendais les escaliers qui mènent au grand hall d’entrée. Mais comment s’appelait-il, déjà, ce peintre qui a eu le bonheur de les croquer... Quelque chose avec s… ou v… Ah oui ! Adler, non, Holder. Hodler, Ferdinand Hodler ! Moi qui peste tant contre ces sales petites-bourgeoises qui feignent de susurrer à leur commère leurs impressions au sujet de telle ou telle croûte, alors qu’elles étalent leur savoir livresque à toutes les oreilles, j’ai été bien aise de les avoir entendues mentionner ce nom : Ferdinand Hodler. Mmh ! Ô ces créatures aux muscles des cuisses saillants, gonflés comme des vallons ; ah ! ces lances ! fier prolongement d’un corps sculptural ! Je taillerais bien une petite… bavette avec ces fantassins. Oh eh ! Mes soldats, je suis là, youhou, la petite dame aux bras croisés, par ici en bas, à la salle d’exposition temporaire, youhou… Vous ne pouvez pas me manquer : je suis la GRANDE attraction du moment. Du jamais vu au Musée d’art et d’histoire de Genève. Y avait-il plus digne que ma présence en guest star pour fêter les cent ans d’ouverture au public du musée, moi, la femme la plus matée de l’univers, hein ? Mais j’ai beau m’égosiller, pas de soldat en vue. Hep, vous, là-haut, près des escaliers ! Ce n’est pas parce que douze marches nous séparent qu’il faut vous croire supérieurs. Et puis zut ! Allez-vous faire embrocher ailleurs ! De toute façon, vous êtes bien trop jeunes pour moi. Eh ! c’est que je fais allègrement mes cinq siècles, moi, et pratiquement pas une craquelure ; un demi millénaire d’un succès jamais démenti ! Par ici, messieurs, dames, venez m’admirer ! Voyez ce portrait de trois-quart, notez ce paysage brumeux qui m’entoure. Ça vous laisse pantois, hein ? Et bien, vous aussi, si vous me permettez cette confidence, vous me laissez pantois, avec vos flashs qui crépitent dès qu’un surveillant a le dos tourné, avec vos faux airs de ravissement quand vous vous faites une toile, avec vos discussions à deux balles sur mon mystérieux sourire. Vous voulez savoir le pourquoi de mon sourire ? Mais je vais vous le dire sans plus attendre. Ô cher public privilégié, écoute le dévoilement d’un mystère jamais percé, aussi hermétique qu’un coffre-fort helvétique. Si mon bon Maître Léonard m’a peinte ainsi, c’est que… Hep, vous, là, oui, vous, avec le borsalino, ça ne vous ne intéresse pas ce que j’ai à vous dire ? Non, mais non, mais ne me regardez pas comme ça. Monsieur, une lueur dans votre regard me dit que vous êtes malsain. Restez où vous êtes. Ne souriez pas. Ne bougez pas. N’approchez pas. Ne mettez pas la main à votre poche. Rangez, euh, rangez-moi ce couteau. Au secou-ours ! A l’assassin ! De grâce, je ne suis qu’une copie… Ô Soldat, mon héros, tu es venu à mon secours ? Tu t’es jeté sur ce malfrat au péril de ta vie. Est-ce toi qui m’a sauvée ? Beuh… Avec ton pull en cachemire et tes lunettes, tu n’as pas une tête de guerrier, mais venez-là que je vous embrasse quand même. Eh ! Ne partez pas si vite. Oh ! Sécurité, laissez-moi au moins le remercier. Pff, que d’émotions, que d’émotions ! J’ai bien cru que j’allais y laisser ma peau. Somme toute, ma petite visite dans ce musée genevois m’aura valu son lot de surprises. Tiens, je ne me suis plus amusée comme ça depuis… depuis 1974, mon voyage au Japon.

Fullylesvillages, le 31 décembre 2009

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« Une visite au Musée d’art et d’histoire de Genève » Quand le Musée s’éteint et que le dernier visiteur passe la porte, il paraît que les personnages s’animent mais, chut ! Pas un mot… Léon : Il fait un peu noir mais je n’ai pas peur. Les tableaux prennent une autre forme dans la pénombre. Eh oui ! Je me suis fait enfermé ! (Il rit). J’ai dis à papy que je le suivais mais non… Car moi, je veux voir le Musée d’art et d’histoire de Genève, tout seul avec ma propre imagination ! Léon, 10 ans, se dirige vers les peintures, un endroit qu’il le fait rêver. Léon : Moi, je veux devenir peintre, plus tard. Mais tout le monde me dit que ce n’est pas un vrai métier. Alors eux qui sont accrochés sur les murs, ils étaient quoi alors ? (Il décrypte le nom) Me voilà devant une œuvre de Juan de Flandes, son personnage donne un coup d’épée et provoque une décapitation, aie, aie. Le personnage du tableau (Tourne la tête) : Alors petit, c’est comme ça qu’on réglait nos comptes dans les années 1400. Si les gens ne te croient pas et ne te laisse pas vivre comme tu l’entends. Couic. (En faisant un signe au niveau de son cou) Léon (étonné) : Ben, je crois que ce n’est plus aussi radicale, aujourd’hui, salut ! Me voilà, devant une œuvre de l’école italienne, ils s’affairent tous à mettre quelqu’un dans un tombeau. Voix du tableau : Allez, aide-nous ! Au lieu de nous regarder, Ah cette jeunesse ! Léon s’échappe et il arrive tout droit au milieu d’arbres. Il crie : Je suis où, là ? Meindert Hobbema, répond : Bienvenue dans mon paysage de la forêt de Harlem en 1660. Léon : Je veux sortir même si votre œuvre est d’une réalité étonnante. Meindert : Très bien mais pour ta culture, sache que j’étais un paysagiste Hollandais. Léon s’éjecte hors du tableau et se retrouve nez à nez avec Lady Angerstein : Bonjour M’dame Lady Angerstein : Oh quel mignon garçon, tu es perdu mon petit ? Léon : Non ! Je veux juste découvrir la vraie peinture car j’en ai marre de les voir dans les livres. Lady sourit : Alors monte et prend ma main, je te présente mon fils à mes côtés, John. Baladons-nous ensemble dans les années 1920. Léon grimpe et réapparaît un peu plus tard, (les yeux écarquillés) : Ouah, incroyable… (Il avance ahuri). Je vais m’asseoir un petit moment face au lac. (Il lit le titre) La rade de Genève à l’aube, en 1918. Je connais bien l’endroit mais là, il est féerique… Ferdinand Hodler : Heureux que tu l’apprécies. Tu sais, je suis mort dans cette ville, cette même année. Léon : J’en suis désolé (la gorge nouée), je ne sais pas ce qui m’arrive mais je ressens des trucs bizarres. Ferdinand sourit : Moi, je sais…l’émotion des toiles. Léon s’en va, la tête chargée de pensées, il s’installe un instant sur une pelouse avec les « Baigneurs au repos ». Un baigneur : Alors petit, comment tu trouves la pelouse ? Léon : Exquise ! Verte à souhait. Un baigneur : C’est vrai ! (Il s’approche et lui confie) Tu sais nous on est allé à la troisième exposition des impressionnistes en 1977 grâce à Cézanne. Les gens disaient qu’il avait une ambition démesurée. Ce n’était pas rien… Léon s’éclipse et se retrouve dans l’art contemporain (Il se lance dans une tirade) : Bienvenue, ici où l’imagination peut être débordante, où chaque matière est utilisée, où tout n’est que questionnements ?

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Il s’allonge à terre et un instant ferme les yeux afin de se remémorer chaque couleur, chaque peinture, chaque style, chaque artiste que regorge ce lieu. Lady Angerstein : Alors mon petit, que penses-tu des tableaux hors des livres ? Ferdinand Hodler : Je crois qu’il en a eu pleins les yeux et surtout plein le cœur. Un baigneur : C’est flatteur de s’apercevoir que la jeunesse s’intéresse encore à nous ! Finalement, nous ne sommes pas si vieux. Meindert Hobbema : Eh oui, nos œuvres restent dans l’histoire. N’est ce pas le rêve de chaque artiste de marquer les époques… Personnage de Juan de Flandes : Radical mais à l’époque de la renaissance, nous étions moins sentimentales, me semble-t-il ? Les esprits s’échauffent. Meindert : Toi et ta renaissance ? Lady : De toute façon, nous les Anglais… Ferdinand : On ne veut pas la fin, épargne nous tes bonnes manières ! Un baigneur : Avec notre herbe, nous on a été…. L’école Italienne : Pas le temps pour les bavardages, on a du travail. L’école Française et Genevoise : Et nous faudrait voir pour ne pas nous oublier ! L’Art contemporain s’en mêle : Moi, je crois qu’il faut vivre avec son temps, c’est tout ! Léon se lève d’un bond : STOP !!! L’important, ce n’est pas la reconnaissance de soi, de son époque, de son peintre, de ses couleurs, mais le public que vous touchez chaque jour, dont la pensée se perd dans une œuvre, peut-être la vôtre. Chacun de vous, collabore à l’histoire de l’art. Vous êtes un patrimoine, celui de ce musée qui a choisit de vous exposer au regard des autres mais pas pour votre fierté personnelle, pour l’âme que vous dégagez et qui transpire sous vos toiles. Merci, merci, ah oui merci d’être là et de nous offrir une palette de sensations… Lady d’un soupir : Tu as quel âge, déjà ? Chacun applaudit et d’un coup la lumière s’allume ! Tout le monde se fige. Papy : Léon, es-tu là ? Je suis sûr que tu es dans les peintures ! Il les adore ! Surveillante du Musée : Monsieur, nous allons le retrouver, il ne peut pas être loin. Léon cligne des yeux : Papy, je suis là ! Papy : Ah te voilà, petit garnement, tu étais censé me suivre, j’ai eu une peur bleue. Léon : Tu ne devineras jamais Papy ? Les peintures elles parlent, elles m’ont raconté des tas de choses et puis et puis j’ai voyagé avec elles et… Papy : Oui, Léon mais je crois que tu es fatigué. Léon crie : Non, non ! C’est vrai ce que je raconte, Madame, on est quel jour ? Surveillante : Nous sommes la nuit du centième anniversaire du Musée d’art et d’histoire de Genève. Léon doucement : Tu vois papy, tout est permis quand on a 100 ans, même les rêves les plus fous et surtout la vie. Surtout d’être vivant ! Le papy et la surveillante le regardent étonné. Léon observe les murs autour de lui et se mit à chanter avec un clin d’œil complice : JOYEUX ANNIVERSAIRE ! JOYEUX ANNIVERSAIRE ! Et les oeuvres se mirent à esquisser un sourire. Garance

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Une visite au Musée d’art et d’histoire de Genève (G. Sanders) D’abord un bâtiment ; lourd, solide, ancien. Salles immenses aux plafonds hauts ; et dont l’histoire ne nous est pas contée. Au fil des expositions, il accueille et sauvegarde en son sein les objets d’art, portés depuis les contrées, lointaines ou plus proches, où aujourd’hui ils sont conservés, mais qui sont rarement celles qui les ont vus naître, sous les doigts des artisans, dévoués et souvent doués, à qui le monde les doit. Le reflet de civilisations et de gloires éteintes, ou du moins pâlies, ces objets sont aussi celui des fortunes et des puissances qui les ont commanditées. En leur siècle, ils signifiaient le prestige et le pouvoir ; au nôtre, ils ne sont presque plus que curiosités, emblèmes d’autres temps, témoins d’autres usages et d’autres réalités politiques et géographiques. Rassemblées ici sous le nom de « collection », elles qui proviennent d’horizons disparates, ces œuvres, petites ou grandes, trouvent dans le Musée d’art et d’histoire de Genève un écrin, où dévoiler leurs charmes et développer leurs reflets. Pour les y aider, le bâtiment et son personnel, infatigablement, se mettent à leur service, les choyant en les entourant de décors à leur mesure, de vitrines qui les montrent à leur avantage, et en leur offrant la lumière dont ils ont si ample besoin, après les mois passés dans leurs caisses et leurs entrepôts. Puis viennent les visiteurs. Le public, heureux du privilège dont il lui est fait cadeau. (Mais qui, à vrai dire est le plus privilégié ? Celui qui peut poser son regard sur ces merveilles d’un autre temps, ou ces survivants miraculés d’une autre ère, qui peuvent enfin se donner à voir ?) Le visiteur se repaît de la beauté simple et intemporelle de ces objets qu’il lui est donné de voir. Et il les admire. Et les objets se mirent dans sa pupille ou sur le verre de ses lunettes, et rivalisent d’éclat sous ce regard qui les fait revivre. Et le bâtiment, lui, silencieux et à qui ni les objets d’art, ni le public, ne songe, ni ne demande son histoire ? Le bâtiment du Musée d’art et d’histoire de Genève les entoure, les protège ; et pour mieux les laisser resplendir, il se tait.

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Du casque au masque Un soir de décembre, je quittais Genève avec le train de 17h14, pour me rendre à Delémont. Assis dans le train j’essayais de me distraire avec le journal « via » que l’on trouve dans tous les wagons. Comme il faisait déjà nuit et qu’il m’était impossible d’admirer le paysage, je me plongeais dans ma revue, regrettant de ne pas avoir fait une halte dans l’une des nombreuses librairies que l’on trouve dans la cité de Calvin. Arrivé à la dernière page de ladite revue, mon regard tombe sur la réclame d’un magasin de sport, offrant un casque de ski à moitié prix. J’observais de près ce casque noir. Il était équipé d’une petite visière à l’avant et de protections pour les oreilles; une lanière munie d’une boucle pour le fixer pendait de chaque côté. De plus de grosses lunettes à l’armature noire et aux verres jaunes étaient fixé pour protéger le skieur du soleil et de la neige. Tout à coup, j’ai été frappé par la ressemblance de ce casque avec les casques et heaumes exposés dans le musée d’art et d’histoire de Genève, dans lequel j’avais passé tout mon après-midi. Je dois dire que généralement, je ne suis pas très attiré par les armes en général et les armures, les hallebardes, les mousquets et autres armes des temps anciens ne n’éveillent aucunes émotions particulières en moi. Raison de plus pour laquelle cette association qui s’est fait spontanément dans mon esprit m’a amusé. Et j’ai laissé libre cours à mes pensées. Si je me réjouissais de pouvoir admirer les gravures et les eaux-fortes de Rembrandt, si j’avais eu beaucoup plaisir à regarder les quelques objets de l’époque « art nouveau » exposés et que j’avais été impressionné par la belle collection égyptienne qui se trouve dans ce musée, je ne pensais pas que le premier souvenir de cette visite serait pour l’équipement militaire de valeureux soldats. Et en me rappelant les casques exposés, datant de la fin du moyen âge je crois, je me suis souvenu des visages grotesques et de l’expression effrayante de ceux-ci. Les soldats devaient certainement éprouver de l’effroi quand ils se trouvaient tout à coup face à ces visages de fers aux sourires narquois ou à de grand gouffres noirs en guise d’yeux. Puis je me suis plongé dans une réflexion, un de ces soliloques philosophie qui envahissait parfois, sans aucune prémisse mon esprit. Le sujet en était : Où finit le casque et où commence le masque. Je me souvenais tout à coup de quelques cours de littérature ancienne que j’avais suivis à l’université. Je me souvenais que le masque, « persona » servait aux comédiens grecs pour accentuer le caractère du personnage qu’ils devaient jouer. Le masque n’ayant aucune autre fonction que de divertir où d’effrayer le publique, il était

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utilisé comme élément tragique, ornemental et symbolique. On était très loin du casque… Mais en suite, j’ai pensé que certaines tribus africaines utilisaient des masques pour des cultes. Certains masques aux expressions terrifiantes servaient à faire fuir les mauvais esprits. Faire fuir les mauvais esprits ? Pourquoi pas faire fuir de cette manière les ennemis ? Certainement qu’un jour un soldat eu l’idée d’associer l’effrayant du masque à son simple casque de métal. Cela lui permettait de se protéger doublement de son ennemi. D’une part, en se protégeant par une parure métallique, d’autre part, en effrayant son ennemi par des ornements abominables. Mêmes de nos jours, certains gardiens de hockey se servent de ces artifices… ? Et je me disais que l’on pourrait écrire et faire une étude fascinante sur les casques et les masques ? Et toutes leurs interférences. En méditant ainsi, je me trouvais tout à coup en gare de Delémont. J’ai eu un grand sentiment de reconnaissance envers le musée qui m’avait inspiré toutes ces idées. Quelle conclusion tirer de cette journée ? C’est que la visite dans le « Musée d’art et d’histoire » m’avait inspiré et qu’un musée est une chose plus vivante et enrichissante que ce que beaucoup de gens croient. Une visite de musée ? Ennuyante ? Essayez d’y aller sans aucun préjugé et vous verrez qu’en quittant les collections variées du musée, en ayant zappé d’une époque à l’autre et qu’après ce fabuleux voyage à travers le temps des liens intéressants se tisseront entre ce que vous aurez vu et la réalité qui vous entoure. Par Guslik

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La clef du mystère Ils les cherchaient partout depuis des heures déjà. Du deuxième sous-sol au deuxième étage. Sur les vitrines, les tables, les banquettes. Partout et pourtant, impossible de remettre la main dessus. -Comment t’as pu les perdre ? Demanda la jeune fille en se posant une main sur le front. Elle tapait nerveusement du pied et soupirait toutes les deux minutes Face à elle, appuyé à la main courante de l’escalier reliant le premier étage au deuxième, le jeune homme se mordillait l’ongle du pouce. C’était lundi, et comme tout les lundi, le musée d’art et d’histoire de Genève était fermé au public. Cela ne voulait cependant pas dire qu’il n’y avait personne. Les deux jeunes gens, nouveaux au musée, avaient été chargé de surveiller les déménageurs, qui venaient changer l’exposition temporaire, et pour faire la ronde hebdomadaire qui consistait à s’assurer que rien ne manquait et que les femmes de ménages, venus le matin même, avaient tout nettoyé correctement et qu’on ne voyait plus une seule trace de doigts sur les vitrines, ni aucun grain de poussière sur les tableaux. Seulement voilà, au moment de refermer le musée, impossible de remettre la main sur les clefs. Cela faisait maintenant trois heures qu’ils cherchaient et ils avaient déjà fait le tour quatre fois, passant tout le musée au peigne fin. -On ne les retrouvera jamais, le directeur va nous étrangler. Geignit la jeune femme en s’asseyant sur la moquette rouge des escaliers. J’abandonne. -S’il te plait Ashley. Aide moi. Une dernière fois. -C’est la troisième fois que c’est la dernière fois. Le jeune homme lui fit un regard suppliant et la dénommée Ashley soupira une énième fois avant de se relever. -D’accord. On va reprendre depuis le deuxième. Ordonna-t-elle. Ils montèrent les quatre marches qui les menaient au dernier étage et, à nouveau, regardèrent partout. D’un bout à l’autre du XXe siècle en passant par l’art impressionniste et le néo-classique. Par terre, sur les banquettes… Pas de clefs. Une fois l’étage des beaux-arts ratissé, ils descendirent aux arts appliqués. Instruments de musique, argenterie, étains. Toujours rien. Pas plus que dans les salles du château de Zizers. Ils regardèrent même dans la baignoire. Pas l’ombre d’un anneau avec deux clefs dessus. Ashley regarda Tom avec un air désespéré alors qu’il lui faisait un sourire qui se voulait encourageant mais ne l’était pas le moins du monde. Ils dévalèrent les escaliers en direction du rez-de-chaussée et se rendirent vers la salle contenant l’exposition temporaire, certains que si les clefs avaient pu se perdre c’était forcément là. Ils prirent donc plus de temps pour fouiller cette pièce, en vain. Ni là, ni dans la salle des armures ou celle du Moyen Âge.

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Pas de trace dun petit bout de métal qui n’aurait rien à faire là, au milieu des momies ou des dieux grecs. Les romains ne s’étaient pas transformés en voleurs de clefs et la préhistoire ne connaissait pas encore ce matériau. Ashley commençait à en avoir vraiment marre et à se dire que jamais ils ne les retrouveraient. Elle s’assit à même le sol au milieu du hall d’entrer où ils étaient retournés afin que Tom jette un dernier coup d’œil sur les bureaux présents dans la pièce. Il regarda même sur les serrures des portes. En soupirant, il s’adossa à la porte d’entrée et mit ses mains dans ses poches. -On va se faire virer. Souffla la jeune fille. Le regard de Tom brilla soudainement. Il se redressa et glissa la main droite dans la poche arrière de son jean d’où il sortit un trousseau de clef. Au milieu des clefs de chez lui et de celle de sa voiture, deux plus petites clefs reliées a un anneau pendaient au porte-clefs. Ashley le regarda les enlever alors qu’un éclat colérique brillait dans ses yeux. -Mais t’es vraiment stupide ! Tu ne pouvais pas commencer par là ? S’écria-t-elle. -C’était pour ne pas les perdre… mais quand tu me les a demandé je n’y ai plus pensé que je les avais mises là. La jeune fille prit sa veste et son sac à main avant de se diriger vers la sortie. -La prochaine fois, c’est moi qui les gardes ! dit-elle en passant la porte. Elle descendit les marches en secouant la tête. Enfin, elle pouvait rentrer chez elle tandis que derrière elle, le musée d’art et d’histoire fermait ses portes.

Haevenly

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Témoignage centenaire Musée Art et Histoire 20.09.2009 J’ai 65 ans maintenant. Grand âge, qu’on dit de sagesse ! Et depuis toute petite, mon papa, chef de fabrication aux Ateliers de Sécheron, m’emmenait faire une ballade le dimanche. C’était soit en campagne genevoise, soit lors d’une commémoration. Je me rappelle plus particulièrement celle du mois de Novembre au Parc Mont-Repos. Très impressionnée par les autorités, la fanfare, le consul de France, nous restions là, dans un profond respect et mon père m’expliquait que nous avions la chance, en Suisse, de ne pas avoir eu de guerre, même si ce mot n’évoquait pas grand-chose pour moi. J’avais quand même un vague souvenir d’alertes à l’usine où mon père travaillait, car les Allemands n’étaient pas très loin ! Née en 1942, je ne sais pas si mes parents m’en ont parlé ou si j’ai vraiment entendu tout cela. Autre souvenir, oh combien magique, d’un autre dimanche ! J’avais 6 ans, mon papa me prit tendrement la main et me dit fort gravement : «Nous allons aujourd’hui au musée d’Art et d’Histoire ». Ainsi fut fait ! Arrivés tous deux devant ce majestueux bâtiment, mon père commença à m’expliquer la peinture avec des mots tout simples. Il m’expliqua avec un grand respect la vie de la plupart de ces artistes dont les tableaux, tous d’un genre différent, apportaient une note gaie à ce bâtiment austère. Il m’expliqua que souvent, les peintres avaient eu une vie difficile et n’avaient pas été reconnus durant leur pauvre vie. Très touchée par les grandes fresques d’Hodler, je restais longtemps devant ces toiles colorées, mais me dis qu’après tout j’en faisais d’aussi belles à l’école ! La couleur pâle du lac, celle des montagnes, nos chères montagnes suisses, me ravirent ce jour-là. Après avoir visité quelques salles, certainement fatigués, nous arrivâmes dans la Salle égyptienne. Une dame, entourée de bandelettes semblait nous regarder. L’imagination a fait le reste. Nous regardait-elle, ses yeux étaient-ils aussi recouverts de ces bandes blanches qu’on met en général lorsque l’on s’est cassé un pied ? Que de questions. Très sensible à sa vue, je fondis en larmes et pensais qu’on lui avait peut-être fait du mal et qu’elle était vivante sous ces affreux oripeaux ! Mon père m’expliqua du mieux qu’il put. Malheureusement ces explications furent teintées également d’angoisse. Je me demande encore aujourd’hui pourquoi il m’a parlé comme cela, et je ne peux malheureusement plus le lui demander. Il me dit gravement de ne pas regarder sa tête car ça portait malheur. Ma crainte s’intensifia….. et je fis pendant 6 mois des rêves d’une rare noirceur. Je suis retournée depuis au Musée d’Art et d’Histoire pour essayer d’exorciser ce mauvais souvenir. La dame était toujours là, entourée de bandelettes. Mais j’avais compris, après un magnifique voyage en Egypte, ce que les Egyptiens faisaient de leurs morts, afin de les conserver. Il s’agissait presque d’une résurrection, si j’ai bien compris. En tout cas il s’agissait sans doute d’une personne importante qui siégeait dans notre beau musée, et que cette personne avait été offerte par l’Egypte à notre jolie ville, comme cadeau de sympathie. Et j’en fus alors très fière. Voilà, un petit souvenir du Musée d’Art et d’Histoire. Iris

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LE CLOU DU MUSEE Originaire d'Egypte, conçu dans le quartier populaire des ferronniers de Khân Abu Taqiyya au Caire en l'an 1327 de l'Hégire, je pensais passer ma vie au service d'un artisan, d'un fellah ou pire finir sur un trottoir de cette vaste mégalopole, oublié de tous. La chance voulu que je fusse sélectionné avec un groupe de collègues pour accompagner en Suisse un personnage très important de notre pays. A Genève, l'endroit où nous arrivâmes était en plein travaux. Au vu de la majesté et de la grandeur des lieux je crus, dans un premier temps, que nous étions dans une mosquée mais en entendant le nom d'un M. Camoletti, je me souvins avoir entendu ce nom dans les rues du Caire où ce Monsieur était venu proposer ces projets au Khediv pour la construction d'un palace sur l'île de Gezirah, j'en conclu que nous étions dans un palace. Par les hautes fenêtres je pouvais apercevoir à l'extérieur un bâtiment étrange avec un grand dôme. (J’appris plus tard qu'il s'agissait d'un observatoire astronomique.) Je comprenais un tout petit peu de français car à l'époque cette langue était couramment utilisée en Egypte. En écoutant les ouvriers qui travaillaient autour de nous à la préparation d’une exposition dont notre vénérable compatriote était une des pièces maîtresse, je compris que nous étions en fait au Musée d’art et d’histoire de Genève. C'était une grande première pour moi, j'allais pouvoir visiter un Musée! Le Musée d’une surface d’exposition de 10'180 m2 était tout neuf et le samedi après-midi du 15 octobre 1910 je pus assister, caché dans un coin du grand hall, à la cérémonie d’inauguration. Je fus très impressionné par la présence des autorités fédérales, cantonales et municipales. M. Pi guet-Fages, conseiller administratif délégué aux Musées remercia chaleureusement M. Charles Galland pour son don colossal qui avait permis la construction du Musée, il loua le dévouement et le goût éclairé de M. Camille Favre président de la société auxiliaire et remercia évidement M. Marc Camoletti l’architecte du lieu, puis il termina son allocution par un discourt au lyrisme enflammé sur la nécessaire mission du Musée d’éduquer le peuple à la beauté plastique et à l’idéal artistique. Les cérémonies s’achevèrent au son de l’Harmonie Nautique. Après toutes ces émotions je pensais ma visite inopinée du Musée terminée. Mais un artisan qui rangeait son matériel, m'aperçu. Il me regarda attentivement, me trouva costaud et pensant que j'avais une bonne tête, il m'adopta. Comme Prosper (mon père adoptif) travaillait au Musée je le suivis partout et eu le plaisir de découvrir des merveilles du monde entier,. Il travailla d'abord au département des antiquités où je ne me sentis pas trop dépaysé, j’y admirais la statuaire ancienne de mon pays comme la grande statue de Ramsès II ainsi que la déesse Sekhmet. Je fus par contre un peu gêné de voir Dame Tjesmoutpert exposée pratiquement nue aux yeux de tous. Par atavisme j'avais un intérêt pour tous les petits objets en fer et en bronze qu'ils soient préhistoriques, Egyptiens, Grecs ou Romains et en particulier pour de très belles balances byzantines en bronze avec leurs poids à l’effigie d’Athéna. Prosper travailla ensuite au département des armes, là je fus dans mon domaine de prédilection, je pus y apprécier la qualité de fonte des fauconneaux, arquebuses à croc, couleuvrines et autres tromblons mais j’y admirais surtout les armes blanches: Epées, dagues et cinquedea ciselées et damasquinées avec une délicatesse et une maestria impressionnante mais également les espontons à deux mains, hallebardes, pertuisanes, vougues suisse et autres guisarmes moins ouvragées. Je fus très troublé par l'ingéniosité et l'habilité des hommes à fabriquer des objets aussi beaux pour un usage aussi destructeur et néfaste à leur propre espèce. Un jour Prosper me plaqua dos au mur et me donna trois grands coups de marteau sur la tête. Je fus très choqué pensant qu'il était devenu agressif à la suite de son passage dans la salle des armures, puis je vis par-dessus son épaule une grande salle pleine de tableaux aux murs, je restais coi, ébloui par temps de beauté.

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En face de moi se trouvait de grands tableaux de M. A. Calame, dont un somptueux champ de blé avec en son centre un bosquet de chênes où se reposent des moissonneurs, il y fait tellement chaud qu’on peut y entendre le bourdonnement des abeilles, alors que son pendant, l'hiver 1851, avec son chemin enneigé traversant un cimetière parcimonieusement éclairé par une lune à demi cachée me laissait une impression tragique et très angoissante. Je préférais de beaucoup m'imaginer sur la plage de Trouville au milieu des dames à ombrelles et rubans, peintes par M. Boudin ou flânant sur le quai des Pâquis en admirant le lumineux paysage de M. Corot, ou, toujours en compagnie de M. Corot, en train de gravir la butte Montmartre (que les Parisiens d’aujourd’hui ne seraient reconnaître). Et qui ne voudrait pas passer ses vacances dans la cabane de Sainte-Adresse peinte par M. Monet ou cueillir des fleurs dans la campagne dense et touffue du paysage d’été de M. Sisley ? Je voyageais en suisse avec "Le lac Léman et le Grammont" de M Perier, le majestueux "Mont-Rose" de M. Calame, le "Lac de Thoune" avec ses reflets symétriques de M. Hodler, le "Vieux Cerisier" de G. Giacometti, la charmante et romantique "Embarcation pour la noce" de M. A-W. Tœpffer. Je me promenais même loin dans le temps avec la rade de Genève peinte par M. Witz pour sa "Pêche miraculeuse". Une pointe de nostalgie m’envahissait en regardant la "Dame franque et sa servante" de M. Liotard perchées sur leurs kabkabs. J’appréciais aussi beaucoup la peinture du Nord, des tableaux comme "Les plaisirs d’hiver à Isselmuiden" de M. H. Avercamp évoquant avec une minutie et un joyeux réalisme la vie quotidienne de l’époque ou l’intérieur d'auberge à l’ambiance chaleureuse et festive des "Cinq sens" de David Rykaert, étaient très exotiques pour moi qui venait d’un pays où il n’y a ni neige ni alcool. Je fus impressionné par la maitrise de M. van Musscher à reproduire le chatoiement doré du brocart du manteau porté par M. le Fort, le soyeux de la fourrure de son chapeau posé sur le velours du tapis de table, qu’elle virtuosité à rendre ces matières à portée de notre main ! Tous ces voyages m’ayant épuisés je me reposais avec les portraits de M. Liotard qui s’avait si bien retranscrire la personnalité de ses modèles. En voyant le malicieux sourire de Mme. D’Epinay je l’imaginais lisant un pamphlet de M. de Voltaire ou de M. Diderot qu’elle avait l’honneur de compter parmi ces amis et j’écoutais M. l’Abbé Hubert, si bien représenté par Quentin La Tour, me lire un passage de Montaigne. A quel plaisir que de fréquenter tous ces beaux esprits ! Parlant de beaux esprits allez voir le regard suspicieux que jette J.J. Rousseau (buste de M. Houdon) à son meilleur ennemi M. de Voltaire (buste de M. Lemoyne). Au milieu de toutes ces splendeurs, j’avais quelques favoris, en autre l’énigmatique "Marchand de marionnettes" de M. Goya peint un an après sa grave maladie et où contraste l’innocence et la fraicheur des enfants avec l’inquiétante croix et les ruines incendiées à l’arrière plan. J’étais également fasciné par le regard envoutant de la dame peinte par M. Vallotton, dans son tableau "Le retour de la mer" et j’avais une affection particulière pour la petite sculpture "Métamorphose" de M. Raetz qui selon l’angle de vision se transforme d’un homme en chapeau melon en un petit lapin, très astucieux ! Un jour un homme s'approcha de moi et pendit à mon cou le tableau qu'il tenait dans ces mains gantées de coton blanc. Je compris à cet instant que ma vie basculait, je passais du statut de clou de caisse au statut de clou de tableau, quelle promotion ! Ma visite du Musée était terminée, je devais maintenant travailler, mais j'assumais avec fierté cette tâche honorifique. Pensez donc, soutenir les chefs d’œuvres des grands maîtres. Bien sûr depuis je ne vois plus que l'envers du décor, mais j’écoute les commentaires des visiteurs qui s'émeuvent ou s'ébahissent devant les tableaux. J'ai même droit quelques fois à un cours magistral donné par quelques experts en œuvres d'art. Voilà cent ans que je suis (en toute modestie) le clou du Musée d’art et d’histoire de Genève. Iron Carvelle

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C’était une belle matinée de septembre, une lumière dorée baignait la rade de Genève, de légers bancs d’un brouillard laiteux enveloppaient le bord du lac et du sol montait l’odeur sourde et délicieuse des premières feuilles d’automne. Un vol de mouette griffa la surface du lac qui avait des reflets de plomb fondu. Nous avions rendez-vous, mon grand ami et moi-même en un lieu nommé « Jardin anglais » et c’est bien là que je ne mis pas longtemps à le retrouver. Debout devant le panorama, planté comme un i d’une absolue verticalité, il se tenait là, sanglé dans un élégant costume de flanelle grise, un pardessus anthracite jeté sur ses épaules, il arborait un chapeau à la dernière mode de Londres et une petite moustache cirée noire qu’un œil averti identifiait immédiatement : Hercule Marple, le célèbre détective était en ville de Genève. - Aah, enfin, vous voici, Azincourt, mon ami, je vous ai cru égaré pour de bon ! - Moi également, Hercule, je me suis laissé distraire par un charmant petit coupé Hispano-Suiza rouge garé devant l’hôtel Métropole, ce qui m’a retardé ; mais j’apporte de bonnes nouvelles : la comtesse Mawroska est repartie pour sa villégiature du lac de Côme. Nous voici débarrassés d’une suspecte de trop. - Voilà qui m’arrange bien, mon ami, car voyez-vous, en votre absence, mes petites cellules grises m’ont délivré leur doux message : notre affaire est résolue. Et la présence de la comtesse Mawroska venait perturber cette belle harmonie. - Comment !? Déjà ? Mais enfin, nous ne sommes arrivés que jeudi ! - Justement, mon ami, justement, le temps ne fait rien à l’affaire….vous verrez, mais pour le moment, je vous emmène au musée, c’est là que tout m’est apparu aussi net que sur une photographie… - Au musée ? Diantre, c’est bien le diable si je m’imaginais venir jusqu’à Genève pour visiter un musée ! - Pas un musée, Azincourt, mais « le » musée, le Musée d’Art et d’Histoire de Genève, mon cher ami, une sommité, un endroit recélant mille trésors et la somme de toutes les connaissances pour qui sait les regarder….venez, tout va s’éclairer pour vous, faites-moi confiance. Et avant tout, allons convoquer tout notre petit monde pour ce soir, 20 heures tapantes.

De fait, nous nous retrouvâmes dans la grande salle d’égyptologie du musée. Etaient présents Monsieur James Pradier, son épouse lady Agatha, riche héritière britannique, leurs deux fils, Paul et Jean, leurs deux épouses respectives, Monsieur Jacques Bocion, éminent linguiste, son épouse Marina, tous dotés de fortunes diverses et variées, et pour terminer, le professeur Kieran Matter, ingénieur aéronautique germano-irlandais de renom. Le satin bleu nuit et la soie amarante des tenues de soirée brillaient sous la lumière des abats jours, mêlant les perles et les diamants aux étoles de velours. Le bourdonnement des conversations se tu à notre entrée, mon ami prit immédiatement la parole sous les regards perplexes de l’élégante assistance.

-Mes amis, je vous ai demandés d’être ici présent car j’ai résolu cette affaire et je tiens à vous faire savoir comment je m’y suis pris : Il y a dans cette pièce trois personnes qui ont joué à Hercule Marple une jolie comédie et ont cru le berner, en vain, je crois utile de le préciser…. - Pour commencer, vous, Professeur Matter, les plans de l’aéroplane VX-26 n’ont jamais été volés, n’est-ce pas ? Vous et Monsieur Pradier les avez dissimulés dans le jouet du petit

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Patrick, afin de les soustraire à l’appât du gain de Madame Marina, qui avait formé le projet de les vendre à une puissance ennemie et avoir ainsi les moyens de fuir avec James Arundell…. - Maudit petit fouineur de français ! s’exclama le Professeur Matter, esquissant un pas en avant, menaçant.. - Sachez, cher Monsieur, qu’Hercule Marple n’est pas français mais belge, et tenez-vous le pour dit, cela étant, puis-je continuer ?…donc le malheureux James Arundell, a finalement été assassiné au moyen de la fibule allobroge volée au musée par vous, Jean. Sa mort nous a alors lancés, mon ami ici présent et moi-même, sur la piste de la comtesse Wawroska et de ses rubis transylvaniens. Elégante pirouette mais inutile face à la mécanique implacable de mon esprit de déduction.

Arrivé à ce point du récit, Hercule pointa du doigt la monumentale statue de Ramsès II qui leur faisait face. Jean Pradier était blême, toute morgue ayant disparu de son visage aux traits austères.

- C’est lorsque je fus hier devant cette statue que m’apparut l’évidence : l’inscription sur la boucle de ceinture de celui-ci mentionne « Aimé d’Amon » or, cette même inscription figure sur le jouet que le petit Patrick a reçu de votre part pour son anniversaire, Patrick, qui n’est autre que votre fils, Monsieur Bocion et non pas celui de Paul Pradier !

L’assistance était figée, Lady Agatha poussa un cri. James Pradier fixa son épouse puis Jacques Bocion, le faux-col de son smoking lui sciait le cou d’une zébrure lie-de-vin, sa main gauche eut un imperceptible tremblement qu’il dissimula dans sa poche de smoking.

- - Car oui, le meurtre de ce malheureux James Arundell, dans le cabinet des estampes, a été

méticuleusement calculé, afin de brouiller les pistes, car quoi de plus évident que la mort d’un voleur d’estampes dans un tel endroit ? Pris à son propre piège pourrait-on dire car le Daumier qu’il a essayé de vous revendre à vil prix, Monsieur Pradier, il se trouve que c’est votre épouse qui lui en a donné l’idée ! Et pour quelle raison me direz-vous ? Par esprit de revanche tout simplement, ayant appris le remaniement de votre testament par la domestique de votre avoué, elle a ourdi cette machination avec l’intention de vous dénoncer ensuite aux autorités. Or, il s’avère qu’en ce pays, le recel d’objets d’art est très sévèrement puni. Un déshonneur dont vous ne vous seriez pas relevé…..Je vois bien à votre air étonné que vous peinez tous à me suivre, car en effet, devant un tel jeu de piste, il fallait impérativement être un visiteur assidu du musée, et jouir des facultés qui me sont propres cela va sans dire….Mais voilà, il suffisait de rassembler chaque indice et d’en tirer les conclusions adéquates. Le Musée, a été votre scène de théâtre, votre toile vierge et chacun d’entre vous, sans le savoir, a joué sa propre pantomime et pourtant vous voilà ce soir tous réunis devant celui qui a déjoué vos plans. La pièce est terminée, bas les masques, Horatio !

Les forces de l’ordre pénétrèrent dans la pièce et il s’ensuivit une bousculade où je crus distinguer une vaine tentative de fuite du professeur Matter. Voilà qui clôturait en beauté cette peu banale affaire.

-Venez, Azincourt, cette nouvelle victoire sur le mal m’a mis en appétit, connaissez-vous la cuisine genevoise ? J’ai là un excellent petit guide nous recommandant un café fameux pour ses plats du cru, allons, en route mon cher ! La gastronomie, telle le crime, n’attend pas !

Et bras dessus, bras dessous, nous sortîmes dans la froide nuit helvétique.

Jane HASTING

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Rolle, le 14 novembre 1946 Ma chère tante Isa, Je suis particulièrement heureuse de t’écrire ce qui m’est arrivé dimanche : une petite aventure extraordinaire dans ma vie ordinaire, qui fait écho à nos discussions secrètes, nos rires de connivence, nos narrations folles, dans ta cuisine, sans oreilles indiscrètes, sans œil inquisiteur ou pensée malveillante. Voici l’histoire de cette journée magnifique. Je me suis réveillée prise d’un étrange élan de liberté. Bien sûr, j’ai enfilé mes « habits du dimanche », comme d’habitude. Mais au lieu de me rendre au culte, j’ai continué sans m’arrêter à l’église. Comme tu le sais, la gare est juste un peu plus loin, et, complice, le train m’attendait. Etait-ce une inspiration divine ? Ou peut-être le diable lui-même était-il intervenu pour que je me détourne de mes saintes et soumises habitudes ? Je n’ai pas le temps de me perdre en tergiversations inutiles. De toute façon, ma décision était prise, Dieu et diable compris. Lorsque je suis arrivée à Genève, je me suis sentie très déterminée. L’air était frais, et rapicolant. J’ai dû enrouler mon écharpe autour du cou et boutonner ma bonne vieille veste grise. Avec mes chaussures à grosses semelles, on devinait bien un peu ma provenance et mes cheveux n’étaient pas coupés à la mode, comme les autres femmes que je croisais, mais qu’importe. Je n’avais pas peur, j’étais curieuse, un peu amusée, et je t’avouerai que je me sentais aussi fière de moi. Fière d’avoir osé. J’ai demandé mon chemin à une citoyenne genevoise guindée et un peu méprisante, et j’ai pris la direction du musée. J’ai tout d’abord été impressionnée. Le bâtiment était immense, colossal, pour une petite paysanne comme moi, débarquée de sa campagne vaudoise. Dans le village, tout est plus modeste bien sur. Là, je me trouvai face à des colonnes immenses, des fenêtres hautes, des escaliers larges, comme l’entrée d’une cathédrale, quelle impression grandiose ! Dans le hall immense, je me suis sentie un peu perdue. Mais je n’ai pas hésité longtemps: Le panneau indiquant Les Beaux-Arts m’a rassurée. Ce nom trotte dans ma tête depuis longtemps, et tu sais pourquoi , toi, tante adorée, insaisissable et rebelle, aventurière invétérée, qui en dépit de la mentalité familiale austère et étriquée, a fait éclater tous les principes moraux et religieux inculqués. Lorsque je te rendais visite, je buvais tes paroles, tes récits fous, tes histoires d’amour scandaleuses. Tout ce qui a rendu ta vie rebelle, mais si intéressante. Dans ton regard bleu nostalgique, mais toujours passionné, je voyais défiler tes voyages, tes rencontres. Et bien sûr, tu me parlais de l’Art, toi, sensible aux autres, aux « différents », aux artistes, aux marginaux. « l’art, m’as tu dit, c’est l’ouverture à l’intelligence de l’esprit, et à la magnificence de l’ âme, transmises par le moyen du corps. C’est l’expression de notre humanité dans son intégralité ». C’est une phrase que j’ai accueillie en moi et que j’ai médité souvent. Tu m’as parlé si souvent du Musée d’Art et d’Histoire de Genève, que ce fameux dimanche matin, j’ai cédé à l’appel d’une petite fugue dominicale. Je me suis ainsi retrouvée au bas de ces escaliers majestueux recouverts d’un tapis rouge, qui m’incitaient à la visite. J’étais impatiente ! Lorsque j’ai ouvert la porte de la grande salle, sur ma droite, je me suis sentie soudain intimidée. C’était décidément très grand, cet endroit. Mon regard est tombé sur les premières œuvres. Des Saintes Vierges ! Encore des Vierges, des anges, des Christs crucifiés ! Mais non ! J’avais fait l’impasse sur le culte pour voir de l’Art et je me retrouvais dans une salle pleine de Christ et de Marie, de chérubins et d’anges ! Un peu plus loin, des hommes nus… Autant le dire, ma première impression eut un goût indéfinissable de surprise, d’incompréhension, de curiosité déçue, et peut-être aussi un peu de colère. Je ne comprenais pas, Tante Isa, comment était-ce possible que ce soit cela qui te mette dans cet état euphorique ? Je me suis avancée timidement, interloquée, désappointée même. Arrivée dans la deuxième salle, j’ai remarqué une légère différence. Les tableaux étaient immenses. Je me suis assise sur le banc central et j’ai observé. Le plus grand tableau représentait une vestale, avec d’autres personnages, ainsi qu’un enfant. Là, je me suis dit qu’il y avait un peu de sentiment quand même. Le tableau avait été peint par un inconnu, et s’appelait la Vestale

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Ticcia. C’était déjà mieux. Mais l’œuvre suivante représentait un martyr, celui de Saint-Sébastien selon l’étiquette. C’était pas gagné ! J’ai poursuivi néanmoins, le regard curieux, en attente. Là j’ai découvert autre chose ! Des chevaux, des chiens, des paysages ruraux, et même des fleurs. Voilà qui était mieux… Je me suis assise pour observer tranquillement ces oeuvres d’un nouveau genre. Ca commençait à devenir plus intéressant. J’ai pris mon temps. Petit à petit, j’ai commencé à voir. Comme l’œil doit s’habituer à la pénombre dans une pièce grise, j’ai distingué progressivement l’intérêt des nouveaux sujets. J’ai perçu les rais de lumière filtrant dans les feuillages, les rayons du soleil révélant les détails de la musculature des chevaux, les lueurs douces dans la chevelure des dames, le reflet brillant des drapés, les pétales étincelants d’une nature morte, et, imperceptiblement j’ai senti que la vie se reflétait dans ces cadres, grandioses ou minuscules. Des images d’un autre temps, perdu dans les âges, mais qui paraissaient revivre uniquement pour moi. J’ai trouvé ce travail beau et talentueux. Et j’ai pensé très fort à toi, Tante Isa… La salle suivante était lumineuse, car une très belle verrière servait de toit. Et sous ce toit, c’était comme une famille. Des personnages, des portraits, des regards souvent austères, ou même tristes. On aurait dit la nôtre ! Je les ai observés un à un, et d’après leurs atours, leurs expressions et leurs demi sourires, j’ ai inventé à chacun une petite histoire, imaginant pourquoi un jour, ils avaient posé devant un peintre, pour faire leur portrait. Je me disais que sous leur airs sérieux, devaient se cacher peut-être des aventures cachées, sordides, scabreuses ou rocambolesques ! Quel bon moment ! Ah si tu avais été là, nous nous serions bien amusées… Ce fut dans la dernière salle que j’ai ressenti réellement un choc. Sur ma gauche, quatre grands tableaux m’ont saisis, je suis restée bouche bée. Une sensation inconnue m’a saisie. La nature est venue à moi et m’a pénétrée. Sans voyage initiatique. Je me suis sentie chez moi, dans ma campagne, m’imprégnant de toutes les saisons au même instant. Je passais de l’hiver à l’été, de l’automne au printemps, avec l’envie de danser dans les champs, de me lover près de l’âtre, de ramasser des pommes et de cueillir les fleurs printanières. Dans mes entrailles, j’ai senti une vibration nouvelle, j’étais comme enivrée. A cet instant, je me suis retournée et je suis tombée devant un tableau plus petit, mais le sujet et l’atmosphère qu’il dégageait se sont immédiatement et pour toujours gravés dans ma mémoire. Ce tableau, c’était moi. Moi comme je me suis imaginée depuis des années, sans en avoir conscience ... J’ai contemplé cette femme assise à une table, un enfant sur les genoux, un autre collé contre elle. Une femme calme et paisible qui tenait un livre dans ses mains. Etait-ce une histoire, était-ce une discussion sur la vie, des réponses à des questions essentielles, une initiation à l’art ou juste un poème ? Là, devant ce tableau, ma vie a pris un sens. J’ai eu envie de m’instruire encore et encore, de m’enthousiasmer pour ces artistes qui rendent l’existence plus belle. Je me suis sentie libérée de la retenue que je m’étais imposée inconsciemment, en raison de mon éducation, et me suis sentie si émue… Je voulais devenir enceinte de ce savoir intuitif, transmettre cet esprit libre, à mes proches, et bien sûr aux enfants que j’aurais un jour. Je me suis sentie si proche de toi, Tante Isa. Le temps avait passé bien trop vite. L’heure était arrivée. Je me suis retrouvée en haut des marches du grand escalier au tapis rouge. Je me suis sentie grande, légère, émue. Comme une princesse heureuse, un peu ivre, je suis descendue les marches. Je ne portais pas de diadème ou de robe scintillante, mais j’avais dans le cœur le trésor merveilleux dont je n’avais jamais osé rêvé, un florilège de rêves de femme libre, passeuse d’émotion, gardienne de patrimoine, maman passionnée, amoureuse de l’art et de la vie. Lorsque nous nous reverrons, tante Isa, nous aurons tant de choses à nous dire… Je t’embrasse très fort.

Lily Rosine

PS : le tableau qui m’a tant parlé est « La lecture de la Fable » de St-Ours, le connais-tu ?

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Une visite au MUSEE D’ART ET D’HISTOIRE

Telle la muse qui inspire

Tel est l’art sans fard

Histoire de l’inspire et expire

Cette visite qui narre

L’humanite et ses sbires

La Terre est bizarre

Par la sculpture transpire

Par la peinture narre

Abstrait,ou pas, mais le dire

Visages et corps s’en emparent

Des paysages et portraits predire

Les peines et les tourments se parent

La joie et la beaute firent

Le clair et l’obscur s’emparent

Pour une visite au musee d’art et d’histoire

Le passé et le present se visitent

LOLO

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La magie du caillou brun

Il y avait une fois à la route de Malagnou un muséum chargé de magie intrigante. Dans ce muséum il y avait des peintures éclectiques remplies de couleurs qui côtoyaient une quantité infinie d’animaux empaillés, et de statues grecques. A l’accueil, un immense alligator plus imposant qu’une tortue à deux têtes, était posé inerte sur des cailloux bruns. Il contemplait avec science les innombrables visiteurs. Je regardai d’un œil émerveillé et peureux tous ces animaux sauvages empaillés, figés là pour l’éternité. De nervosité, le muscle de mon sourcil droit se mit alors brusquement à bouger plusieurs fois. Au rayon des statues grecques Apollon exhibait sans vergogne son buste musclé et sa large feuille de vigne. J’aimai la magie de cet endroit évoquant pour moi de belles sensations nuageuses d’amour virevoltant. Mon pouls s’accéléra, une douce chaleur m’envahit à la vue de toute cette faune variée. Insaisissable cet amour m’échappait. Cupidon également était toujours vigilant à enflammer le cœur des amoureux visiteurs. Au milieu de toutes ces aventures, les découvertes que je faisais me mettaient en joie, relaxé, apaisé, et prêt à conquérir le domaine des dieux. Léger comme une bulle d’air je restais quoi.

Louis

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Une visite au Musée d’art et d’histoire de Genève…

Je suis arrivée tôt à la gare ce matin, le cœur en fête, je rejoins celui que j’aime. Il est là comme d’habitude, il m’attend sur le quai. Mais je sens instinctivement, à son visage, que quelque chose ne joue pas. Il n’a pas cet air heureux de me retrouver, en venant me chercher à la gare, les dimanches où nous pouvions nous voir. Mon cœur bat fort. Mon intuition me dit, presque comme un coup de poignard dans la poitrine, que c’est la dernière fois. J’arrive lentement à sa hauteur, je le regarde droit dans les yeux et il prononce des mots comme s’il était essoufflé : « elle sait, on arrête là, je te quitte. Je suis désolé, c’est arrivé hier soir, on a eu des mots, je n’ai pas pu nier et je ne peux pas….pour mes enfants, je…..je préférai te dire de vive voix…ce matin….et…..je t’aime mais je…….aujourd’hui, je voulais encore te voir, te prendre dans mes bras, je t’aime…mais je ne peux pas….». Je lui coupe brutalement la parole. Je lui dis que je ne suis pas étonnée, je devais m’y attendre un jour ou l’autre, je lui dis de me laisser, je lui tourne le dos, je descends les escaliers de la gare centrale de Genève. Je sens, derrière mon dos, ses yeux me regarder partir, il ne me retient pas, je ne me retourne pas….

Je suis seule dans les rues de Genève. J’aurai pu reprendre le train, repartir chez moi et ne plus penser, m’enfermer chez moi, m’enrouler dans ma couette, dormir, dormir, oublier, mourir peut-être. Que peut-on faire de tout un dimanche, triste et pluvieux, lorsque l’homme que l’on aime décide de vous quitter pour sa femme ? Bien sûr, je sais, je suis cette femme de l’ombre, l’indésirable dans la vie d’un homme marié avec des enfants. Je suis la femme de l’ombre mais oh combien désirable et dangereuse…..oh si peu dangereuse tout au fond de mon cœur….j’avais tant à donner mais ce n’est pas suffisant. Je ne pleure pas, je ne peux pas encore.

J’arrive dans la vieille ville, je m’arrête à un bistrot, je commande un café-crème, je l’avale, vite, trop vite, je me brûle presque la langue, comme pour me faire mal, j’ai mal, mais je ne pleure pas. Je dois faire quelque chose de ce dimanche dans la ville, seule.

Mes yeux tombent sur une grande affiche, une exposition au Musée d’art et d’histoire de Genève, «Les Tableaux de Karoumine Kotlowsky, un peintre méconnu ». Voilà une bonne occupation, regarder des tableaux d’un peintre que je ne connais pas, m’en imprégner, voilà qui m’empêchera de penser peut-être, je reprendrai le train plus tard ou demain, remplie de couleurs et de lumière, du moins je l’espère. J’arrive au guichet, je prends mon ticket d’entrée et me voilà dans les couloirs du musée, de grands tableaux accompagnent mes pas, les images sont encore imprécises pour moi, quelques larmes commencent à couler sur mes joues, je prends un mouchoir, non, il n’est pas encore temps de pleurer.

Je marche encore quelques pas, mon corps se détendant, petit à petit, devant ces tableaux qui commencent à chatoyer devant mes yeux, les couleurs m’attirent, des paysages dansent devant moi, quelques portraits d’hommes et de femmes d’horizons lointains, me touchent de leur regard. Soudain, une main me saisit et je me retrouve dans une sorte d’alcôve sombre et

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un homme prend ma taille dans ses mains. Il m’embrasse et je me surprends à me laisser faire, je ne résiste pas, je me sens comme enveloppée par une grande tendresse. Mon corps tressaille devant ce désir d’homme que je sens si fort, si présent alors que j’ai l’impression d’avoir été saisie par une ombre. Son souffle sur mon visage m’enivre, ses mains me caressent toute entière, mes seins, mes cheveux, ma bouche, mes hanches, je me sens devenir vivante, comme si j’étais une statue à qui l’on offrait enfin la vie. Tout mon être vibre devant ce désir brut, emprunt d’une grande sensualité que je n’ai jamais connu jusqu’alors. Comment cet inconnu peut-il me connaître aussi bien dans la découverte de mon corps ? Ses mains se font curieuses, comme prêtes à me saisir totalement. J’aime ce don total de moi-même à cet être inconnu, comme un danger qui me frôle. Et pourtant, étrangement, je ne me sens pas en danger, c’est comme si ce moment était à moi, cet instant m’attendait et il n’y avait que moi pour le remplir, le vivre, le saisir dans sa fulgurance. Je caresse ses cheveux légèrement bouclés, je perçois dans la pénombre, par intermittence, les traits de cet homme mystérieux, ses yeux sont verts et brillants, ses cheveux sont bruns, je crois, il semble grand et mon corps est comme aimanté par lui, c’est comme si j’avais toujours été dans ces bras-là. J’ai peur de dire quoi que ce soit, que quelqu’un m’entende. Je devrais pourtant crier, je ne devrais pas accepter cette proximité avec cet étranger. Je ne me sens pourtant pas violentée. Paradoxalement, il ne m’impose rien, je me sens envahie de désir….et tout doucement, ses caresses se font plus lointaines, je me sens repoussée en dehors de l’ombre. Je me retrouve dans le couloir. Je regarde autour de moi, la même salle ou j’étais, les mêmes tableaux autour de moi. La salle est vide, pas un seul visiteur. Je dois me dépêcher, peut-être est-ce la fermeture du musée ? Je regagne l’entrée, un peu comme dans un rêve, j’ai les jambes en coton. Je dis au revoir au gardien qui me dit que je dois être la dernière visiteuse, qu’il va fermer derrière moi. Je me retrouve sur les escaliers du musée. Le vent me souffle au visage, j’ai les joues en feu, je n’ai rien compris de ce qui m’est arrivé. Il faut encore que je trouve où dormir ce soir. Je marche dans la fin de journée qui s’assombrit. Je vais bien trouver une chambre d’hôtel pour dormir ce soir, si j’arrive à dormir…

Epilogue

Le lendemain dans la Tribune de Genève, que j’achète au kiosque avant de prendre mon train pour rentrer chez moi, un article attire mon attention. Un tableau a été volé dans la nuit de dimanche à lundi au Musée d’art et d’histoire. Une représentation du tableau volé, là, devant mes yeux. Je tressaille, un frisson traverse mon corps, je rougis sur ma banquette de train. Sur le tableau, le visage d’un homme ressemblant, trait pour trait, à mon amant de l’ombre. Je crois que je ne retournerai plus jamais à Genève, ni au musée. Je ne sais pas, si c’est pour ne pas recroiser ma relation rompue ou parce que la tentation serait trop forte d’aller à nouveau au musée, retrouver mon amoureux mystérieux mais surtout la déception probable de ne pas le retrouver. Le tableau a disparu, l’homme de l’ombre avec lui, me laissant seule….non pas tout-à-fait seule. Je n’ai pas le cœur à mourir, des larmes coulent sur mes joues, pour de bon cette fois, mais ce n’est pas de la tristesse, mon cœur est passé de l’ombre à la lumière pour toujours. Je n’ai plus le cœur à mourir.

Lucinda Rose

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Une visite au Musée d’art et d’histoire de Genève

En mai dernier, suite à une visite dans le quartier des Eaux-Vives, j’en profitai pour me rendre au Musée d’art et d’histoire de Genève, tout proche. Le soleil resplendissait; c’était une belle journée, trop belle, diraient certains, pour s’enfermer dans un musée ! Toutefois mon désir de découvrir sa collection de peintures était plus fort et, après avoir traversé l’imposante salle des armes, je pris l’ascenseur et me retrouvai à l’étage des Beaux-Arts. Je déambulais dans une enfilade de pièces et de salles où étaient accrochées aux cimaises des œuvres de manière chronologique. Le visiteur pouvait ainsi se rendre compte de l’évolution des techniques et de la représentation, sous l’influence des civilisations et des pays qui les avaient produites. J’arrivai dans une salle consacrée aux paysagistes suisses du XIXe siècle. Des œuvres de grand format offraient une vision magnifique d’une nature alpestre puissante et sauvage. Sur la paroi de gauche, se trouvait une série de quatre paysages peints par Alexandre Calame. Il s’agissait des saisons. L’historien d’art aurait pu discourir sur ce thème, montrant la symbolique qui se cachait derrière le choix des sujets représentés par le peintre. Cependant, ce qui me frappait et me fascinait était d’une part la manière dont l’artiste avait traité la lumière et d’autre part l’atmosphère que dégageait chaque toile. Personnellement, je voyais dans cette approche de Calame une annonce de la recherche impressionniste. Ma prédilection alla pour le tableau intitulé Le printemps. Quelle clarté, quelle douce ambiance aux notes méditerranéennes ! On avait envie de prendre la place des personnes qui avaient bu un verre, assises dans l’herbe sur ce tissu chatoyant, et qui ne devaient pas être bien loin, enivrées par ce paysage enchanteur et plein de promesses... Si j’avais dû choisir un texte pour accompagner ce tableau, j’aurais opté pour les vers de Charles Baudelaire dans L’invitation au voyage : « Là, tout n’est qu’ordre et beauté, Luxe, calme et volupté ». Dans la toile représentant l’été, la lumière avait changé pour devenir plus contrastée, plus violente, avec des jaunes appuyés. On sentait une forte chaleur dont témoignaient les figures qui s’abritaient sous le grand arbre servant de parasol. L’automne était suggéré par un paysage au bord d’un lac dont le bleu était complété par les teintes chaudes des arbres alentour. L’ambiance, plus froide que celle de L’été, ne rivalisait pourtant point avec la légèreté et la luminosité de Le Printemps. Dans L’hiver, comme c’était le soir, la lumière était quasi absente, diffusée seulement par une pleine lune voilée, se reflétant sur une couche de neige. La vie avait quitté les arbres aux branches nues et un cimetière accentuait cette atmosphère de désolation. Je passai beaucoup de temps à regarder ces quatre saisons qui m’intriguaient, puis je continuai ma visite dans les salles suivantes.

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Je retournai plusieurs fois au Musée d’art et d’histoire de Genève pour y voir des expositions temporaires. Je ne manquais jamais de faire un saut à l’étage pour jeter un coup d’œil sur la fameuse série. Cependant je constatai que Le Printemps n’était pas toujours aussi lumineux et que, de façon générale dans les quatre tableaux, de petits changements de perception, de couleurs avaient lieu à chacune de mes visites. En levant la tête vers le plafond, je réalisai que la salle qui les abritait avait un éclairage à la fois zénithal et artificiel. Je compris alors que pour bien saisir cette série de peintures, il fallait fréquenter le musée au minimum quatre fois par an. Ainsi l’on pouvait voir l’influence de la lumière naturelle. propre à chaque saison, sur la perception des saisons imaginées par Alexandre Calame ! Lumen

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« Visites au Musée d’Art et d’Histoire de Genève »

De tous les musées, c’est celui qui emporte sa préférence. La promeneuse solitaire entre dans le Musée d’Art et d’Histoire. Lieu désormais centenaire, sur le milieu du chemin de sa vie. Les portes ornées s’ouvrent avec légèreté, le plâtre des voûtes s’effeuille, le majestueux escalier conduit la visiteuse dans le brouhaha précédant le concert du dimanche. La deuxième fois, les voix des groupes guidés résonnent dans le hall. A quand la quiétude, chère à l’esseulée ? Un mercredi, elle déambule le long des parois de l’exposition. Sa pensée tricote d’un point à l’autre. Comme un coup de poing, la « négresse blanche » de Rembrandt renvoie, à l’histoire de l’immigration en Europe depuis le temps des civilisations primitives. Saint-Jérôme en pénitence happe le regard par son maintien et l’émouvante flaccidité de sa chair. Le duel inextricable entre le corps et l’esprit. La robe noire perlée du « Portrait de femme » invite à l’effleurement fugitif et laisse à méditer sur l’attirance de l’apparence. Le samedi suivant, elle descend au niveau des Antiquités égyptiennes. Là, elle rencontre le portrait au centre du « linceul d’une momie de femme ». Le scarabée ailé et les faucons, apposés à côté du corps enveloppés de bandelettes avec Osiris et Anubis, témoignent de la tradition séculaire égyptienne des rituels funéraires. Le visage, traité à la manière des portraits romains, émotionne la visiteuse par sa rare juxtaposition. Elle a le privilège de voir que les civilisations s’interpénètrent. Les récipients et objets retrouvés défilent devant ses yeux, le long des vitrines, tandis que les termes, les désignant, se sont éloignés du courant de la vie : guttus, aryballe, strigile, kyatos, stamnos, kylix, oenochoé. A l’étage au dessous, l’accueil se conçoit à la manière contemporaine et elle découvre les films des découvertes de la préhistoire genevoise. Le jeune Gaulois sacrifié et enterré rituellement en position assise, aux phalanges démesurées, s’offre et fascine au-delà de sa finitude. Il est 17 heures et une voix signifie qu’il faut quitter le palais. La promeneuse solitaire, dans un temps suspendu, a rejoint le multiple, dans l’humanité fragile des existences. Elle devient transmission vivante de mémoire et en jubile. Il y a quelque grandeur à reconstituer les traces qui identifient le passé, qui marquent encore le présent et que le monde virtuel ne laissera plus ? Marianne Comaletti

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HISTOIRE D’UNE HISTOIRE AU MUSEE D’ART ET D’HISTOIRE DE GENEVE (récit) Me voilà, par ce frais dimanche de novembre, sous une pluie fine qui offre des reflets d’argent aux marches de l’escalier que surplombe l’élégante façade de pierre du Musée. Me voilà, à quelques jours de ton vingt troisième anniversaire poussant une nouvelle fois la lourde porte de fer. Ton père et ta grand-mère me suivent, à peine à l’intérieur ils se renseignent pour savoir où se trouve la nouvelle salle d’archéologie. Je les laisse se renseigner, car moi je sais qu’il s’agit de la salle tout en bas de l’escalier recouvert de velours rouge…. et je te revois. C’était un frais dimanche de novembre, quelques jours avant tes neuf ans. C’est étonnant comme les petites filles ne marchent pas, elles sautillent, je me souviens de toi sautillante, tout en bas de l’escalier, ce jour là tu m’avais dit, « je suis sûre qu’il y a quelque chose, là derrière cette porte » mais la porte était fermée, la salle était sans doute vide à cette époque là. Aujourd’hui je me souviens qu’avec toi, j’ai remonté le temps dans ce musée, dans un ordre pas tout à fait chronologique, mais qui nous convenait. D’un dimanche l’autre nous avons admiré, rêvé, regardé, pensé, dans le ravissant salon XVIII, dans la salle consacrée à l’Egypte ancienne, dans celle de la Grèce antique et devant les hallebardes et les armures. D’un dimanche l’autre nous avons visité admiré, regardé tous les trésors que contenait le musée, nous nous amusions même à dire qu’il était un peu notre deuxième maison. Aujourd’hui, il y a foule de visiteurs en bas de l’escalier, de nous trois je suis la première à te voir, tu es étudiante en archéologie à l’Université de Genève et travaille depuis peu comme guide conférencière pour le Musée. Maintenant, c’est toi qui nous guides, car c’est toi qui connais, l’histoire du Chef allobroge, les détails des fresques romaines de la Villa de Vandoeuvres et les délicates petites statues de dieux romains. Je regarde tes yeux passant d’une vitrine à l’autre joyeusement habités de toutes ces traces, gouttelettes du grand fleuve de l’histoire laissées par ceux qui nous ont précédés. Je te regarde avec attention, tu sautilles toujours dans ma mémoire et maintenant je sais que je viens de remonter le fil de notre histoire qui m’a conduite un jour à pousser la lourde porte de fer pour t’offrir une visite du Musée d’art et d’histoire de Genève.

Marie MARTIN

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Liminaire Lors d’une visite au Musée d’Histoire Naturelle, elle s’arrêta devant la statuette d’un scribe agenouillé. Un papyrus, posé devant lui, espérait le grattement imminent de sa plume. Sur le coin droit du papyrus, une tâche blême reposait. Elle le dévisagea, un trouble indéfinissable s’emparant de son âme. Le scribe, ses paupières mi-closes dans un songe éternel, contemplait des hiéroglyphes pétrifiés par le temps. Son immobilité semblait sonder l’écoulement des siècles, indifférent au brouhaha des visiteurs. Ses yeux paraissaient fixer un espace invisible, le buste penché vers l’avant, comme tendu à l’écoute d’une absence connue de lui seul. Elle voulait le révéler. Le coucher sur le papier vierge et éveiller d’une étreinte troublée son rêve cosmique, lui insuffler une vie pleine de péripéties, répandre l’encre de sa détermination. Elle le nomma Sesh. Elle ressassa ardemment le livret de sa destinée dans les méandres de son esprit impatient. Elle serait l’instrument de sa renaissance, se réjouissant d’avance à l’idée de lui faire prendre corps. Mais elle ne parvenait pas à le cerner, les journées s’emmêlant entre les fibres gazeuses de ses hésitations où son omniscience refusait de poindre. Sa perception, brouillée dans les limbes de sa textualité balbutiante, renâclait à restituer une image nette de sa temporalité inatteignable, chaotique. Ainsi, elle ne sut plus comment le concevoir et dérouler sur le canevas prévu là, le portrait véridique de sa personnalité. Du bouillon séculaire, il ne s’extrayait pas de la façon dont elle avait imaginé. Au contraire, lorsqu’il émergea, excroissance chétive, hors l’ébauche de son monde, il se présenta en travers du temps linéaire, irréalité imminente et diffractée. Alors, elle décida de l’esquisser là, dans la marge, gribouillis informe aplati à l’ombre de la création, pour mieux déployer le récit d’un autre univers. Oui recommencer. Avec un autre. Elle renonça donc à lui. Malgré cela, il ne cessait de ramper vers elle, des pointillés suspendus à son énoncé, tel un appendice sinueux. Au début, à petites touches furtives, elle chercha à éviter la chose informe. Puis, la gêne qu’elle éprouvait se mua en un désir d’annihilation. De ses griffures enragées sur le papier, elle s’attaqua à sa trame à peine commencée. Elle résolut de le fondre dans le paysage. Des annotations acérées fouaillaient ses marges et la proximité des points d’exclamation le terrifiaient. Il devina ses intentions à la manière dont elle éclaboussait les énoncés d’une encre presque noire pour ensuite les ignorer, à l'absence criante d'adjectifs. Il était sans cesse renvoyé vers des passages opaques. Il comprit alors qu’elle œuvrait au dérèglement de sa maigre ossature, à son oblitération pure et simple. Peu à peu, les contours de Sesh commencèrent à se dissiper embrumés par le récit nébuleux et malaisé qu’elle s’entêtait à relater. Pendant ce temps, sa main se posait sur lui. Elle restreignait ainsi la mobilité de Shesh, le forçant à se rencogner dans son monde étréci. Engourdi sous la pesanteur du stylo laborieux, il restait en friche, incapable de se mouvoir. Progressivement, leurs mutiques discours se désagrégèrent dans des reflux énigmatiques. Il n'évoluait pas. Il avait beau se réfugier sur les littoraux altérés de sa mémoire, il était agité et balloté au sein d’une temporalité étrangère. Les mots aliénés le rejetaient peu à peu vers d’autres lignes, des incises coupantes le chevauchaient, indifférentes à sa présence. Elle ne lui avait même pas bâti un semblant de corps. Il n’était qu’un squelette. Pourtant, même ainsi, Sesh lui rappelait une pâle reproduction d’elle, un double immatériel qu’elle avait peur de reconnaître. Sur cette balance déréglée, il s’atrophia peu à peu, membrane ferlée, désespéré de réaliser que, malgré ses efforts pour équilibrer le cœur de son récit, il était sans cesse rejeté sur la frange nue et fragmentée, expression qu’il s’efforçait de tisser frénétiquement. Car désormais, la vie à laquelle il aspirait tant prenait forme hors de lui.

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Cependant, il demeurait dans une âpre suspension. Tendu au souffle de sa génitrice, il tentait de déchiffrer des hiéroglyphes sur la rame rétive. La situation d’énonciation persistait à lui échapper. Elle ne s’occupait plus de lui. Maintenant, de l’autre côté de son monde, la plume reposait sur la balance inhospitalière. Et elle continuait à le réduire à respirer cet air vicié, à le brider au cœur de stances atrophiées, le repoussant sans cesse dans une exiguïté opaque. Il était si limité dans ses actions ! Et si le soupèsement de son âme ne parvenait pas à cet équilibre tant désiré… Il décida alors de tracer coûte que coute les filigranes de ses propres frontières. Il devait tenter de contrarier le dessein de sa muse. Il ne se laisserait pas faire. Il attendit alors de ses nouvelles, tout entier tourné vers l'espoir qu’elle lui accorderait un second souffle. Il tressa ainsi l’espérance toute la nuit, couché sur le papier brut, de toutes les forces de ses ellipses. Il guetta son inspiration dans une hypothétique aube claire. Mais Sesh perçut seulement les frôlements de doigts, les trouées à la pointe d’une plume altérée, la texture hachée d’une voix qu’il ne reconnaissait plus, acculé sur le rivage de sa bouche, ouverture minuscule. Désormais, tout ce dont il était capable, fut d’inhaler le défilement des jours et des nuits blets, sans le moindre repère. Il avait tant besoin du frôlement nerveux du stylo ponctuant, même obscurément, sa respiration arythmique. Pour lui, elle était l’Univers qu’il aspirerait tout entier. Mais elle appréhendait, de ce jour au Musée, la tâche béante qu’elle voulait délébile. Ce n’était pas de sa faute. Non, son verbe à elle devenait impuissant à insuffler une quelconque fulgurance vitale à cette cellule amorphe. Elle devait l’effacer du chapitre de sa vie car, elle le réalisait maintenant, elle ne devait en aucun cas croiser son destin avec son ka. Il représentait une menace de mort. Tandis qu’il se débattait entre les ratures hargneuses, Sesh pressentit son funeste dessein. Elle avait enfin trouvé sa conclusion. Elle le plaça aussitôt à la périphérie de son histoire. Pourquoi ? Il n'allait pas se laisser repousser ainsi, Ah non ! Il n'allait pas la laisser déchirer ces pages qu’elle avait cruellement ployées, livre trituré de sa vie inachevée. De toute sa vie. Elle voulait donc le momifier dans ce manuscrit stérile, ce cimetière de papier ? Il ne disparaitrait pas sans secouer l’ordre des choses établi par elle. Mais comment faire ? De toutes ses forces, il avait invoquée, sa déesse de la justice, sa Maat, la suppliant de continuer à l'engendrer, à l’animer. Il se mit à crier entre les espaces ténus des interstices. Un dernier paragraphe enserrait déjà l’énoncé qui le caractérisait. Il fut emporté, englouti au fond de mises en abymes. Dans un ultime sursaut, il tenta frénétiquement de s'agripper à un saut de page, mais les mots accolés l’entrainaient inéluctablement vers un magma innommable. Bientôt, il ne parvint plus à se différencier au milieu de cette marée de lignes incohérentes. Il tenta vainement d’épeler son nom. Déjà, son encre pâlissait. Dans une infime mesure de temps, les quelques lignes qui le définissaient connaîtraient leur point final. Lorsque soudain, la respiration de la femme fit se soulever la page sur laquelle il demeurait désormais sans résistance, il céda au singulier bercement de ce ressac chaotique. Son cœur, devenu trop lourd, avait fait pencher la balance du mauvais côté. Une goutte tomba sur le coin de la virgule qui le retenait, tout près de là où il demeurait prostré. Elle le submergea tout entier et, avec une lenteur implacable, l’absorba dans l’encre diluée. Et tandis qu’il se dissolvait dans l'eau salée, le personnage inachevé sut. Il sut, à travers la bulle déformée de la larme translucide, qu'elle mourait, elle aussi, d’un silence liquéfié. La même déferlante la balayait dans la marée dilatoire d’un imaginaire éteint. Et sur la page d’un livre avorté, prisonniers figés du pas de deux scriptural qu’ils avaient tenté de déchiffrer, ils gisent encore tous deux.

Matinino

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« Une visite au Musée d’art et d’histoire de Genève »

C’est la première fois. La première fois que j’entre dans ce majestueux bâtiment. Pourtant, j’ai toujours vécu à Genève, depuis ma plus tendre enfance. Il y a bien dû y avoir une ou deux visites scolaires programmées dans ce musée alors que je n’étais qu’un écolier, mais le hasard, un rhume tenace ou une annulation de dernière minute m’avaient sans doute empêché de découvrir ce monument de notre petite République. Aujourd’hui, j’ai vingt-cinq ans. Une affiche à l’entrée du musée m’indique qu’il a quatre fois mon âge ; ou que j’ai le quart du sien, c’est selon. Je devrais être concentré sur l’architecture imposante et sur les vitrines – sans doute captivantes – des collections temporaires et permanentes qui défilent devant mon regard, mais je n’ai d’yeux que pour elle. J’admire ses jolies jambes lorsqu’elle me devance dans les salles – ici la salle d’antiquités grecques, là l’égyptologie, ailleurs la collection d’armes et armures... Je suis captivé par les yeux vifs et intelligents qu’elle pose sur les objets présentés au petit groupe de visiteurs dont je fais partie. Je suis du regard ses mains qui s’agitent dans l’espace alors qu’elle nous décrit le contraposto d’une statue de marbre. Je savoure les sourires amusés mais compréhensifs qu’elle adresse à ceux qui posent une question dont la réponse est évidente… Elle est belle, cela ne fait aucun doute. Les autres personnes du groupe participant à cette visite spéciale, « 100 chefs-d’œuvre du MAH », l’ont remarqué aussi. Un vieil homme guette le regard désapprobateur de sa femme quand il détourne quelques instants le sien des objets pour le laisser errer sur les courbes de notre jolie guide-conférencière. Une petite fille, admirative devant cette jeune femme qui en connaît un rayon sur « les gens qui vivaient avant grand-papa et grand-maman », se demande si elle ne préférerait pas travailler plus tard dans un musée plutôt que d’être vétérinaire, comme sa copine Alicia, qui lui a piqué l’idée, en plus. Un ado qui aurait préféré passer son dimanche après-midi devant son nouvel écran plat trouve un intérêt inattendu à cette visite dominicale où il a pourtant été traîné de force par ses parents…. Malgré tout, aucune des personnes du groupe ne semble aussi peu concentrée que moi sur les objets et œuvres d’art qui nous sont présentés. La plupart des visiteurs écoutent avec attention et se passionnent pour tous ces souvenirs d’un autre temps. Moi, je n’ai d’yeux que pour elle.

--- Au moment où elle nous parlait des styles picturaux présentés dans les galeries dédiées aux Beaux-arts, premier moment inoubliable de cette visite, elle m’a souri. Pas au groupe, juste à moi. Plus tard, dans la salle d’archéologie régionale, je l’ai fait rire en répondant une énorme bêtise à une des questions qu’elle posait à l’auditoire pour tester les connaissances de son

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public. D’autres en connaissaient un rayon, savaient où vivaient les Etrusques, ce que peignait Witz ou encore comment se déroulait une momification chez les Pharaons. Je connaissais parfois les réponses aux questions posées, mais je n’y répondais quasiment jamais, même si j’aurais voulu l’impressionner. J’étais trop occupé à l’admirer et à rassembler mon courage pour oser l’aborder à la fin de la présentation. Après une heure de déambulations dans les salles et couloirs du musée, elle a annoncé que la visite se terminait. Il y eut quelques applaudissements, puis les gens se dispersèrent dans le hall d’entrée. J’avais fini de rassemblé mon courage. Je me suis lancé.

--- A la sortie du musée, j’observe les membres du groupe. Certains, en bons Genevois, râlent contre tel ou tel aspect du musée, d’autres commentent les œuvres découvertes lors des dernières heures écoulées. J’entends quelques touristes établir la suite de leur programme de visites dans une langue que je ne comprends pas. Une dame âgée se colle à l’épaule de son mari pour s’abriter du vent. Elle le taquine, lui qui n’a pas été aussi concentré qu’elle sur le programme proposé. Maintenant que le week-end touche à sa fin, un adolescent se réjouit de retrouver sa console de jeu, mais il est moins déçu de son après-midi qu’il ne l’imaginait à l’heure du déjeuner. Une maman observe en riant sa fille qui brandit fièrement un prospectus dédié à l’histoire du musée dont elle est tombée amoureuse. Moi, je serre dans ma main le même petit prospectus, sur lequel sont griffonnés une série de chiffres et le prénom de celle qui m’a séduit aujourd’hui… Je n’ai pas vu grand-chose de ce musée, ce sera pour la prochaine fois. S’il a déjà vécu un siècle, il tiendra bien encore quelques années… Ménédème

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Une visite au Musée d’Art et d’Histoire de Genève

Jusqu’à ce jour, je n’avais jamais imaginé que voyager à travers les tableaux était possible. Et pourtant, j’étais là : face à un pas de porte qui devait me mener à l’intérieur d’une toile. Je n’avais d’ailleurs jamais imaginé qu’un seuil de porte pouvait rendre tout cela possible. Tout était si fou. Je pouvais déjà apercevoir plusieurs formes humaines, les personnages du tableau. J’avançai d’un pas et pénétrai dans la pièce, le tableau. Un cri de surprise m’échappai et je m’arrêtai, attendant qu’un haut-le-cœur me prenne ou qu’une odeur de mort vienne se balader près de mes narines. Et pour cause : un bœuf dont seul le torse écorché était encore entier se balançait, accroché à une vieille poutre en bois, devant deux enfants qui ne semblaient pas se soucier de l’odeur que le cadavre aurait du répandre. « Sûrement parce que ces gosses ne sont que des personnages peints. Et que ce bœuf dégueulasse aussi. Ce n’est qu’un tableau. » Songeais-je. Je m’avançai dans la pièce, essayant de rester le plus loin possible du corps pourrissant, lorsque je remarquais une dame agenouillée derrière la carcasse. Que faisait-elle ? Je m’approchai d’elle doucement et me baissai. J’étais maintenant à genoux et je me tassai encore plus pour apercevoir son visage tourné vers le sol. J’eus soudain peur. Quelle peur stupide !; Qu’elle se mette à bouger brusquement. Mais ce fut finalement une autre raison qui me fit hoqueter d’effroi : La femme n’avait pas de visage. Il n’y avait rien. Juste du noir. Je ris nerveusement et me ressaisi : « Voyons pauvre fille : C’est juste une peinture, et normalement, sur une peinture, ça ne sert à rien de peindre ce que personne ne verra jamais ! » Je me relevai et époussetai ma veste. Je lançai un dernier regard aux deux enfants joueurs, à cette pauvre femme qui, la tête baissée et le visage inexistant, ne verra jamais rien et au corps dépourvu de peau, moisissant, de cette pauvre bête. Je cherchai des yeux la sortie du tableau et repérai alors un autre pas de porte, menant à une pièce dont seul les ténèbres m’apparaissaient. Je passai le seuil. Mon pouls s’accélérait sous la pression d’un « que vais-je découvrir maintenant ? » et je me retrouvai dans un tout autre univers. Tout était noir autour de moi. Je fus presque prise de vertige face à cette immensité sombre. Ce fut comme si le tableau n’avait jamais eu de fin et que l’on pouvait continuer à avancer jusqu’à plonger dans la folie. Seul un homme pâle se tenait au fond, fièrement. Je crus apercevoir une autre personne à côté de lui mais la silhouette semblait être trop maigre et déformée pour être humaine. Je m’avançai lentement dans la pénombre jusqu’au mystérieux personnage. Plus je m’approchais, plus il me semblait affreux. J’en eus la conviction lorsqu’il ne fut plus qu’à un mètre de moi. Son visage opaque était coupé d’un grand sourire qui semblait exprimer plutôt la folie ou l’horreur qu’une quelconque forme de joie. Il laissait apparaître des dents mal alignées et pourries. Une verrue avait poussé sous ce sourire malsain ce qui ne faisait qu’empirer la laideur de ce personnage. Je fouillai dans ma mémoire et retrouvai le nom de ce tableau. « Le peintre qui l’a fait devait avoir une bien petite idée de la joie pour oser appeler ce tableau « Le Rieur ». Il est terrifiant. Heureusement que ce n’est qu’une peinture. S’il était animé, j’aurais déjà claqué d’effroi. » Puis, je remarquais qu’il tenait en face de lui une marionnette spectrale : les yeux exorbités, la bouche entre-ouverte, elle était encore plus horrible que son propriétaire. Je reculai et contemplai le « couple » pâle. Le peintre ne les avait pas vraiment rendus réalistes, mais cela ne m’empêchait pas frissonner face à leur présence pesante. Ils ne faisaient qu’accentuer l’ambiance lourde du de la scène.

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A tâtons, je palpai le mur du bout des doigts, cherchant une porte qui mènerait à un autre tableau. Ma main butta alors contre une poignée peinte en noir et une vive douleur vrilla mon poing droit. « Quelle idée de se balader dans ces tableaux ! Ils sont tous étranges. Je n’aurais jamais dû venir au Musée. Faut que je sorte d’ici. Au prochain, je ne m’attarde pas et je me barre vite fait. » Mais alors que mes mains s’agrippaient à la poignée, un rire mauvais et menaçant éclata et remplit soudain la pièce. De violents frissons d’effrois parcoururent mon corps et mon cri de terreur couvrit le rire sadique qui emplissait le tableau. Je me retournai, sachant pertinemment ce que j’allais découvrir, même si c’était de l’ordre de la folie. La vérité n’était pas moindre : Le sombre Rieur se balançait d’avant en arrière, riant à gorge déployée et agitant frénétiquement son pantin fantomatique, ce qui créait un balancement entre les deux formes affreuses. « Un tableau ne doit pas bouger. Il ne peut pas être vivant : C’est une peinture. Pourquoi est-qu’il bouge ? Je devais me balader dans ces tableaux sans qu’ils ne s’animent ! » Le Rieur ralentit alors sa cadence, sous sourire malsain s’effaça et il redevint peu à peu immobile. Juste avant qu’il ne retourne à son rôle de tableau figé, il tourna son visage vers moi et, lentement, redessina son sourire funèbre. Je restai immobile quelques instants. Mon cœur battait à une allure folle et ma respiration était encore saccadée de ce moment de peur. Je fixai alors le torse du Rieur et constatais que le tissu de son antique costume se soulevait de temps à autres : Il respirait. « Il respire et a toujours respiré. J’ai même pas fait gaffe, avant. Ce tableau-ci est vraiment vivant. Tout avait l’air si faux, pourtant. » Je frémis. Craignant que le Rieur ne laisse éclater une nouvelle fois son rire monstrueux, je saisi la poignée, l’ouvris et me glissai rapidement dehors. La lumière m’éblouit et je dû m’arrêter quelques instant pour m’habituer à cet éclat aveuglant. Je clignai plusieurs fois des yeux pour identifier la pièce dans laquelle j’étais arrivée. Un grand hall en marbre rempli de personnes se baladant et discutant joyeusement. Je refermai mon manteau et respirai un coup avant de sortir affronter le froid glacial du mois de décembre. Je repartis du Musée d’Art et d’Histoire partagée entre l’admiration et la terreur : cette idée de reconstitution de ces deux tableaux en grandeur nature était vraiment fantastique ! Et le fait d’utiliser un acteur pour incarner le Rieur, de façon à surprendre les visiteurs, tout à fait terrifiante, avouais-je encore tremblante, pressant le pas dans les rues glacées de Genève.

Mlle Songes-assommants Les deux tableaux cités sont exposés au Musée d’Art et d’Histoire de Genève. Il s’agit du « Bœuf écorché » de Jean Victors et du tableau «Le Rieur » qui s’est successivement attribué à Jan Victors, Diego Vélasquez et Giambattista Piazzetta et qui est aujourd’hui considéré comme l’œuvre d’Aert van Gelder.

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Un jour il pleut et je décide d’aller sécher mon errance dans un musée le Musée d’Art et d’Histoire de Genève, celui-là en particulier, parce que figé dans un quartier déteint, parce qu’imposant et ne suggérant rien de son en dedans – et que je m’imagine du dehors que j’y trouverai le temps suspendu qu’il me faut, auquel se retenir l’instant de la journée, d’une visite au pas ralenti, d’une promenade désordonnée de salle en salle, semblable au dédale où se perdent sitôt nées chacune de mes idées. Depuis le boulevard quelques marches montées et déjà j’entre dans le hall de la Maison, tout mon être drapé d’une vague allure désinvolte, pour que s’y noie ma désorientation, cette malfaisante, cet obstacle à tout chemin sensé. Je pensais être seule mais sur le sol bien avant mon passage a poussé une forêt de parapluies, des centaines d’arbres inversés, des centaines d’essences différentes et de propriétaires particuliers que je sais désormais déambuler dans l’édifice. Je ne désire pas m’enfuir malgré la cohabitation promise et je suis le tapis rouge déroulé jusqu’à l’étage des Beaux-Arts. Je ne veux pas de chronologie et je traverse plusieurs pièces en somnambule, un parcours semi éveillé porté par le craquement du parquet, où par endroit des petits bouts carrés plus sombres emprisonnés dans le sol de bois me font l’effet d’une piste à suivre vers un but qui serait un tableau, un message, la première correspondance d’un voyage exalté. Et enfin je le trouve ; c’est l’Orage à la Handeck d’Alexandre Calame, avec cette fois des arbres à l’endroit, mais cassés pour certains par la récurrente tempête qui frappe ceux qui ne vivent pas contre-nature. Comme soumis à un imprévisible cycle, leurs fleuves débordent leurs cieux s’enténèbrent et parfois même faute de s’être assez inclinés leurs espoirs sans mesure se fracturent sous la force libérée du souffle trop retenu. Ce souffle exprimé en rafales, cette bouffée profonde prise par celui qui pensait étouffer et l’ouragan qui s’acharne sur ce en quoi on s’enracine, le futur jeté aux quatre vents ; le cœur en trombe je pleure en cachette face à la peinture. J’ai besoin d’un ami d’un complice d’un amant pour éclaircir mes larmes, me distraire de mes peurs, vite revenir à la distraction, par l’invite espiègle du regard de Georges de la Tour dans son Autoportrait à l’œil de bœuf, par son sourire confondant et ce signe de la main qui m’invite je l’imagine à poursuivre l’histoire. Peut-être jusqu’à son portrait de Jean-Jacques Rousseau, devant lequel je m’arrête étourdie par ce pastel de lumière et de beauté, un Jean-Jacques persuasif qui m’encourage à expérimenter plus et à analyser moins, à qui je voudrais prendre le bras mais qui m’envoie instantanément balader. On ne se promène jamais mieux avec son âme que toute seule. Soit. Je me ranime et m’en vais contempler le reflet des montagnes dans les eaux apaisées du lac de Thoune de Ferdinand Hodler. Personne alentour et je reste longtemps assise sur l’interminable banc. Il y a la surface et les profondeurs, le reflet à fleur d’eau et les images inconscientes vers lesquelles plonger. Et si j’osais ? Des heures se sont écoulées sans que je sache où j’étais. Je me souviens avoir parcouru tous les niveaux de la Maison, de nouveau emportée par la rêverie pérégrine. J’ai croisé du monde mais on m’a laissée tranquille. Je me rappelle être descendue au plus bas, jusqu’aux commencements de l’Homme, Préhistoire. Les yeux avivés par le khôl prélevé dans une petite cuillère à fard en forme de nageuse tout droit sortie du Nouvel Empire, je me suis ensuite parée de colliers de Thèbes en faïence égyptienne. Nul n’a soulevé la moindre objection. On m’a même souri. Enhardie par tant de tolérance, j’ai prélevé un petit échantillon de statères d’or à têtes d’Apollon, et même pour rire et pour la boisson une toute petite pièce à l’effigie de Dionysos, appelée hekté. On m’a alors servi des plats exquis dans de la céramique italiote, avec des pelles à poisson, des cuillères à olives, à sucre et des taste vin en argent à ma seule disposition. Quelle fête, mes amis ! Ivre de joie et de culture, j’ai, pour parler à de grands esprits, fait tourner l’immense table en noyer de l’hôtel de ville puis quelques épées à deux mains au-dessus de la tête, un armet savoyard à gueule d’extra-terrestre en guise de visage. Dieu qu’ils ont eu peur !

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Mais s’il est frais que le luxe et ses excès ont parfois du bon, la simplicité garde ma préférence. J’ai tout remis en place, sauf une petite écritoire portative en ivoire, sa fine cordelette passée autour de mon cou. Et je ne suis jamais partie. Pour me voir, cherchez La Fontaine personnifiée de Jacques Laurent Agasse, une nymphe aux amies libellules et au complice martin-pêcheur, une femme qui se confond aux vertiges de l’onde et vit d’art, d’histoire et de poésie.

Signé : NIVEOLE

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Visite au Musée d’art et d’histoire Quelle chance ! Lorsque mes parents rentraient du « boulot », expression familière dans le milieu ouvrier dont je suis issue, maman ouvrière d’usine pendant 30 années, papa fonctionnaire électricien d’une petite commune Normande, et bien ancré dans son poste, les discussions culturelles ne faisaient pas partie de notre univers familial, et pourtant !.. C’est pourquoi lorsque j’avais atteint l’âge de l’orientation professionnelle, faire carrière dans ce domaine, n’avait effleuré l’esprit d’aucun d’entre nous. Je suis donc passée complètement à côté de ce qui aurait du me passionner, le monde de l’art ! Mais comment me direz-vous, y suis-je parvenue ? Beaucoup plus tard après des études bâclées, c’est lors de nos pèlerinages du dimanche sur la côte Normande en compagnie de ma famille, et notamment à Honfleur, (village de renom pour son port de plaisance inséré entre ses hautes maisons de briques, colombages et colorées, qui faisait le bonheur d’artistes peintres de tous niveaux, dont les célèbres Eugène Boudin et Jean-Baptiste Corot), que mon père et ma mère s’intéressent à la peinture, ils peignent tout deux, sans apprentissage, maman découvre son don, je m’y mets également et j’aime !! Malheureusement la situation financière difficile me rattrape, il faut travailler à faire n’importe quoi, mais il faut travailler, employée de bureau, puis secrétaire dans tous les domaines sauf celui qui m’est destiné, sans même l’imaginer. Dans les années 1985-86, le destin guide mon père dans le grenier d’une maison du vieux Rouen, pour chiner avec un ami brocanteur, ce dernier s’intéresse aux meubles anciens, tandis que mon père reluque un dessin représentant un cheval à l’attache dans une écurie (sans signature d’auteur). L’héritier de tout le contenu de cette vieille maison, a l’air de ne pas vouloir vendre ce dessin, prétextant l’avoir toujours connu ici depuis sa plus petite enfance et qu’il n’est donc pas à vendre, papa insiste par des arguments touchants (cavalier de temps à autres et son fils jockey), finalement l’achète, une très belle affaire à suivre…. C’est seulement 10 ans plus tard, je travaillais à Genève, lorsqu’un jour mon père me dit : « Au fait tu pourrais essayer de te rendre dans une Galerie pour essayer de connaître qui pourrait être l’auteur de ce dessin, peut-être s’agit-il d’un Théodore Géricault » ? Et là, c’est le parcours du combattant, si vous n’avez aucune connaissance dans le milieu de l’art. Je contacte diverses Galeries, sans résultat, découragée, j’abandonne mes recherches. Tout à coup, une idée me vient, un musée, je décide de rendre visite au Musée d’art et d’histoire de Genève, cette grosse bâtisse élevée devant moi, m’impressionne. Mon dessin sous le bras, glissé dans une simple enveloppe A4, je pousse la lourde porte d’entrée et là je me retrouve dans un hall qui me paraît grandiose, dans un univers complètement inconnu pour moi, un silence absolu me laisse bouche bée, je ne sais plus quelles questions poser aux 2 personnes de l’accueil tellement je suis impressionnée par la beauté du lieu, je décide donc de faire la visite des salles tout naturellement, et je m’y sens bien, je m’intéresse, ne regarde ma montre à aucun moment, ça me plait, soudain je me trouve devant une peinture de Géricault. Aubaine pour moi, voilà mon entrée en matière je me décide donc à demander aux huissiers quelle est la personne dans ce musée, qui puisse me renseigner sur ce peintre.

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Enfin, une piste après des mois et des mois de recherches, on me recommande le Conservateur des Beaux-Arts, qui me communique le nom du seul expert de Théodore Géricault, il se trouve aux Etats-Unis, je suis donc ses bons conseils, mais l’étude de la photographie n’aboutit pas, cette personne est âgée et ne souhaite pas donner suite. J’abandonne de nouveau à bout de ressources. En 2002, une proposition unique s’offre à moi, travailler au Musée d’art et d’histoire de Genève, mon cœur bat la chamade lorsque je suis convoquée et admise, c’est à peine croyable, enfin, je découvre immédiatement que depuis toujours ce lieu était l’environnement professionnel dans lequel j’aurai du évoluer depuis ma maturité. Il me permet d’acquérir le fonctionnement des musées, et je relance le Conservateur du secteur des Beaux-Arts, qui examine mon dessin avec plus d’attention, je lui précise que j’ai connu par le biais d’un site Internet, un autre expert du peintre Géricault, à Paris, il le connaît, je m’en inquiète et « bingo » après une étude approfondie, il s’agit bien d’un dessin de Théodore Géricault. Etant maintenant collaboratrice du Musée d’art et d’histoire, je suis certaine qu’un jour il fera partie de l’inventaire des collections de ce musée, mon père souhaite le vendre, pour nous aider financièrement mon frère et moi, je le propose au Directeur et au Conservateur du Cabinet des dessins, mais le budget ne le permets pas, quel dommage ! Toutefois heureuse d’apprendre et de découvrir la culture de l’art dans tous ses domaines, je grandi, je m’impose, je suis comblée dans mon poste auprès de mes collègues spécialisés, et j’accède finalement à collaborer avec le Conservateur des Beaux-Arts, le même personnage que j’avais rencontré en 1995, sans imaginer à ce moment là ce qui m’arrive aujourd’hui. Voilà, l’histoire vécue d’une petite provinciale Normande, qui terminera sa carrière probablement au Musée d’art et d’histoire et fière d’y avoir professé une dizaine d’années. Normandie

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Une visite avec Jean-Etienne, par Odilon R. J’avais rendez-vous, ce jour-là, avec un étudiant en histoire de l’art pour une visite personnalisée au Musée d’art et d’histoire de Genève. Je trouvais cette idée intéressante, le Musée mettais en place une plateforme de discussion afin d’organiser des visites entre des amateurs d’art et des étudiants qui ne demandaient qu’à transmettre leur passion pour l’art. J’avais donc pris rendez-vous avec un certain Jean-Etienne, prénom qui me semblait tellement adéquat avec l’idée que je me faisais d’un étudiant en lettres. J’étais toutefois légèrement gênée et ne savais pas à quoi m’attendre. Telles étaient mes pensées quand j’arrivais enfin devant l’imposant bâtiment donnant sur la promenade de l’Observatoire. Chaque fenêtre surmontée d’un cartouche décoratif évoquait le nom d’un artiste genevois célèbre, et en longeant cette façade principale, je me disais qu’un jour il faudrait que je prenne le temps d’en connaître un peu plus sur ces illustres ancêtres que je côtoyais depuis si longtemps à Genève. Un jeune homme vint à ma rencontre et se présenta, il s’agissait de Jean-Etienne. Je ne compris pas comment il m’avait reconnue et n’eut pas le temps de lui poser la question qu’il m’entraînait déjà à l’intérieur du Musée, un sourire farceur au coin des lèvres, ce qui ne manqua pas de m’étonner. Il avait une apparence insolite et indéfinissable, il portait une sorte de bonnet et une grande blouse bleue. Il m’expliquait en deux mots le concept de ces rencontres qui consistaient à faire confiance à un étudiant et à lui donner carte blanche autour d’une ou de plusieurs œuvres du Musée. J’espèrais sincèrement qu’il allait se diriger vers l’espace d’art contemporain quand nous arrivâmes en-haut des escaliers, devant la statue de Canova « Vénus et Adonis ». Jean-Etienne s’arrêta un instant devant ce couple amoureux et reparti en me lachant : « quelle dommage, cela me fend le cœur à chaque fois que je passe devant eux !», je ne compris pas sa remarque et tenta de lui arracher une explication supplémentaire mais il me rétorqua, toujours avec un sourire en coin que ce n’était pas le sujet du jour et que si je voulais comprendre sa remarque, il fallait que je revienne. En passant devant ce beau couple à l’antique, je me dis qu’ils n’évoquaient pourtant rien de triste, toute au plus une certaine mélancolie à y regarder de plus près. Après tout je me dis que cette mélancolie était peut-être annonciatrice de quelques malheurs futurs et que décidément Jean-Etienne malgré son jeune âge savait y faire pour interpeller mon sens de l’observation. Il avait gagné, je reviendrai percer le mystère de cette mélancolie. Mais Jean-Etienne ne m’avait pas attendue et marchait devant moi d’un pas décidé vers le département des beaux-arts structuré en trois secteurs : l’art ancien, l’art des XX-XXIeme siècles et le Cabinet des dessins. Jean-Etienne attira mon attention sur un tableau, en fait une huile sur bois, qui est une des œuvres les plus célèbres du Musée : « La pêche miraculeuse » de Konrad Witz, datant du Xveme siècle. Il me donna quelques indices sur cette œuvre et me demanda si le paysage évoquait quelque chose pour moi, car il s’agissait d’une des premières œuvres qui reproduisait un paysage existant. J’imaginais qu’il s’agissait de Genève et tentait de reconnaître les quais de Cologny mais n’osais pas avancer de réponses. Il parut encore une fois amusé et me dit : « mais quand-même quel dommage ! ». Ah non ! Il recommençait avec ses énigmes, mais cette fois, pas l’ombre d’une idée de pourquoi il m’avait dit ça. J’essayais d’observer la scène avec attention ; une barque avec des hommes et un saint remontant un filet rempli de poissons, puis le même saint mais dans l’eau et se dirigeant vers le Christ, était-ce St-Pierre ? D’où la relation avec Genève ? Jean-Etienne avait à nouveau gagné, il avait suffisament piqué ma curiostié pour que j’essaye de récolter un maximum d’information sur cette œuvre pour essayer de la percer. A peine m’étais-je fait la remarque qu’il cavallait à nouveau devant moi, déterminer à ne pas répondre à mes questions. Je commançais à me demander où il m’emmenait, comme il ne me disait rien, je me demandais si son but en fait était uniquement

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d’aiguiser ma curiosité. Et je me rendais compte qu’en fait je passais vraiment un moment très agréable, et que le petit était doué. J’étais déjà venue à plusieurs reprises au MAH, mais ni l’œuvre de Canova ni celle de Witz n’avaient suscité un intérêt spontané de ma part et grâce à Jean-Etienne j’avais envie de poursuivre cette découverte et même faire des recherches dans des livres sur ces deux artistes et les sujets traités. Je commençais à me demander quelle œuvre Jean-Etienne avait choisi, je l’imaginais me présenter un artiste Suisse, peut-être Ferdinand Hodler. Il rit à l’évocation de son nom, pendant une fraction de seconde, je reformulais la question que je venais de lui poser dans ma tête et me demandais si je m’étais trompée sur le nom de cet illustre artiste helvète, mais non ! c’était bien Ferdinand Hodler, je ne m’étais pas trompée, et je ne voyais pas ce qu’il y avait de drôle à cette question. Peut-être s’agissait-il de la célèbre « Sabina Poppaea » de l’Ecole de Fontainebleau ? Je la trouvais magnifique et encore plus intéressante, sachant qu’il s’agissait peut-être d’un portrait déguisé de Diane de Poitiers. La transparence de l’étoffe qui laissait paraître un corps divin donnait une luminosité extraordinaire à la composition et ce d’autant plus qu’il contrastait beaucoup avec le fond noir du tableau. Mais comme nous allions en direction de cette œuvre, je vis que Jean-Etienne ne ralentissait pas et il me dit : « nous allons visiter un vieil ami à moi ! Direction le Cabinet des dessins ». Est-ce que quelqu’un allait se joindre à nous ? Un autre étudiant ? Un deuxième visiteur ? Nous rentrâmes dans une salle arrondie et je fus éblouis par les nuances de tous ces pastels. Il me dit : « voilà mon ami ! » Je me trouvais devant une représentation d’un vieil homme édenté et souriant qui semblait m’avoir fait un clin d’œil, illusion de mon imagination certainement. Il portait un cafetan bleu et une sorte de petit chapeau jaune. Le cartel indiquait « Liotard riant, autoportrait ». Il s’agissait donc de Jean-Etienne Liotard, le peintre portraitiste cosmopolite. Il se tenait à mi-corps devant un rideau et pointait quelque chose de sa main ; j’allais demander à mon guide ce que cela voulait dire et au moment où je me tournais vers lui, il avait disparu sans que je m’en sois rendue compte. Je trouvais la démarche étonnante et tandis que j’observais à nouveau l’autoportrait, je vis à nouveau que celui-ci me faisait un clin d’œil. Cette fois j’étais sûre de ce que j’avais vu et en restait sidérée, cela ne pouvait pas être possible, une œuvre d’art ne pouvait être vivante ! Et pourtant celle-ci semblait me faire une farce et j’essayais de comprendre laquelle, quand tout à coup j’eu une idée, est-ce que j’avais imaginé ma rencontre avec Jean-Etienne quelques dizaines de minutes plus tôt devant le Musée d’art et d’histoire ? Est-ce que les vibrations de ce pastel m’avait amené jusqu’à lui ? Etait-ce Jean-Etienne Liotard qui s’amusait avec les visiteurs ? J’étais troublée et décidai de partir quand tout à coup je me rendis compte…. Odilon R.

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Une visite au Musée d’art et d’histoire de Genève… par moi.

Nous sommes partis juste après mon biberon. Je ne me sentais pas très bien, un gros rhume je crois, et, fatiguée et chougneuse. Au fait, bonjour. Je m’appelle Olga et j’ai un an et demi. J’habite avec ma maman et Ernest, mon frère. Oui je sais, ça vous en bouche un coin-coin qu’à cet âge, je fasse preuve d’un langage si châtié… Bref, on me fait sortir. Je précise : « on » c’est ma maman (qu’est-ce qu’elle est belle ma maman !) et ce type là, un certain Cédric, plutôt sympa mais bon des fois il m’empêche carrément de tourner rond. Moi je n’aime pas trop que l’on me contrarie ! Bon, maman n’arrête pas de l’embrasser ; elle a l’air heureuse alors moi je ne suis pas contre, j’attends, j’observe, mais faut pas qu’on m’enlève ma maman, elle est à moi ma maman. Bref, c’est ce type là (son amoureux à ce qu’il paraît) qui m’a dit qu’on allait visiter le Musée d’art et d’histoire de Genève. Et alors dehors, mes aïeux, on avait beau être début octobre (le 4 si je ne m’abuse) quel soleil éclatant, irisé avec cette belle lumière d’automne et les feuilles virevoltantes ! J’en étais toute retournée, au point de me mettre à gazouiller et à baver. Ils ont une petite carriole attachée à un vélo, là, et j’étais bien installée dedans avec mon grand frère de 3 ans (j’adore lui tirer les cheveux). Bon, bref, je ne sais pas, j’ai dû m’endormir, mais toujours est-il que je me suis réveillée sur une petite colline ensoleillée surplombant le bâtiment néo-classique du Musée, avec cette bizarre sculpture en bronze d’Henry Moore (un anglais, paraît-il…). J’ai fait dessus du tam-tam, ça faisait des beaux « Bong ! ». Après, maman m’a emmenée dans ses bras vers l’entrée, entre des piliers immenses, et j’ai senti sa bonne, bonne odeur (le type avait enfin arrêté de l’embrasser). Mon frère, le veinard, on lui laisse tout faire, moi rien : d’abord il actionne la poignée de la gigantesque porte et là magique ! Elle s’ouvre toute seule… Ensuite, maman lui achète des cartes postales (trois !) d’instruments de musique (sûrement exposés quelque part dans cette grande baraque), en particulier une sorte de luth à double jeu de cordes superbement marqueté de nacre. Un peu plus loin, à nouveau une bonne odeur, mais de nourriture cette fois, au milieu de magnifiques tentures en velours rouge et de gros cadres dorés vides (c’est original ça alors). On nous assoie ni une ni deux à ces belles tables du café, et sur des chaises de grand s’il vous plaît ! Je me sens tout de suite un peu princesse, un peu beaucoup même, hop, voilà maman qui sort la boîte magique avec des gourmandises ; j’en balance deux-trois par-dessus bord, normal, il faut aussi s’amuser, et évidemment je me fais gronder. Bon, bref, après, elle me donne une compote à téter, miam, quel délice, mais bien entendu, ça rend Ernest (c’est mon frère, je vous l’ai déjà dit ?) jaloux. Alors, arrive pour lui du gâteau au chocolat et donc moi je crie pour en avoir aussi, et je me retrouve sur les genoux de ma maman à manger sa grosse part non sans avoir au préalable refusé quelques indignes miettes (on dit parfois que les enfants sont versatiles, je ne suis pas d’accord, c’est une question de contexte). Bon après, Cédric (mais si vous savez, le bisou de maman) il nous emmène pour une promenade dans la cour où il y a plein de grosses pierres (en fait des énormes tronçons d’architecture ancienne avec des millions de formes), et au milieu, un gros truc en métal noir qui avait une apparence d’insecte géant (un stabile de Calder, on dirait). Et bien, croyez le ou non, j’ai descendu toute seule cinq marches super hautes (alors que je ne marche que depuis trois mois, notez bien). Bref, après on commence la visite proprement dite. Ce que j’ai vraiment préféré, c’était les vestiaires, oh oui. Pendant que les grands regardaient des eaux-fortes de Rembrandt dont l’aspect sombre, noir intense même, désespoir sublimé par un ultime signe lumineux au cœur

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de l’aveuglement humain, nous, avec Ernest, on s’est bien amusé en se cachant dans les casiers du vestiaire, faits tout juste pour notre taille. Bon après ça il y avait une salle aux dimensions phénoménales pleine d’armes anciennes, arbalètes, arquebuses, mousquets, baïonnettes, armures, canons et tutti quanti, mais là il faut avouer que contrairement à mon frère, qui apprécie ce genre d’engins, ces oripeaux guerriers ne m’émeuvent guère. Et puis ensuite nous sommes remontés par d’imposants escaliers dans les étages supérieurs pour voir la collection de tableaux, avec des centaines et des centaines de salles gigantesques (à moins que ce soit moi qui exagère…). Ici des vaches, là des natures mortes, des scènes mythologiques ou religieuses, ou encore des hommes sérieux drôlement vêtus et des dames dans toutes les positions qui me regardaient avec un air rieur ou fâché, comme le gardien d’ailleurs parce que très vite je me suis mise à hurler. Partout des tableaux de tous formats (mais tous très grands), de toutes couleurs, le tout classé en fonction des périodes et des écoles avec une mention spéciale pour les peintres suisses et français (normal, quoi !). Les portraits se figurent que je les observe, les compositions cubistes me tarabustent mais les paysages impressionnistes ne m’impressionnent pas du tout. Ah oui, il faut aussi que je vous dise, dans une salle j’ai vu de drôles de trucs : des cailloux géants ; un piano avec un miroir à l’intérieur ; une installation avec, sur un portique blanc, un tondo immaculé et une bête chaise à moitié peinte en violet… mais, pas de chance, là non plus on n’avait pas le droit de toucher (c’est vrai, c’est frustrant, non ?) ! Bon, vous vous demandez sûrement si je me suis baladée à pas feutrés comme les autres visiteurs avec cet air inspiré par l’atmosphère spirituelle du lieu, marmonnant vaguement quelques fines remarques au passage… mais comment aurais-je pu le faire (vous demandez-vous) du haut de mes 76 centimètres ? Il me fallait donc des bras pour me hisser à des hauteurs d’où je devenais amatrice d’art… et je voulais que ce soit maman… En fait je veux tout le temps être dans les bras de maman ! Là j’aurais pu apprécier de la belle peinture. Mais il a fallu – c’est tout le drame – que ce type, là, son amoureux, qui à force avait dû se lasser de l’embrasser, me prenne lui dans ses bras, soi-disant pour que ma maman se repose (tu parles si elle s’est reposée, avec la vie d’enfer qu’Ernest lui a fait vivre en courant dans tous les sens, en tapant sur les murs, en se faufilant comme un diable derrière un conférencier imperturbable…). Bref, moi aussi, j’étais fatiguée, et puis malade quand même ! Alors je me suis mise à hurler, à taper des pieds, enfin tout le truc, quoi… Donc je me concentre à fond pour pleurer mais vraiment très fort, genre cris stridents à fendre les cadres dorés en disant « maman, maman », pour lui faire bien honte. Mesdames et Messieurs, comment peut-on tenir ainsi à bout de bras un petit être angélique (moi !) au regard pur brouillé par le désespoir et privé d’affection maternelle ? Même le gardien est venu s’apitoyer sur mon sort : « il ne faut pas pleurer ma petite… ». Il en a de bonnes lui, j’aimerais bien le voir à ma place ! Tenir bon… pleurer encore, surtout ne pas se laisser distraire… A travers mes larmes je vois ce panneau (de Konrad Witz paraît-il), une « Adoration des mages » avec un enfant qui me semble si proche de moi, à la fois tout bébé mais déjà grand… J’ai envie de lui sourire béatement… je ne sais pas pourquoi, mais là, ça me calme… j’ai l’impression de rentrer dans le tableau… Oups, j’ai dû faire dodo, moi… Me voici de nouveau dans la carriole, retour maison je suppose. Je vois maman sur son vélo, qu’est-ce qu’elle est jolie avec sa chemise jaune ! Bon, après tout je le comprends le Cédric, moi aussi je serai amoureuse d’elle à sa place. Tiens, si je tirais les cheveux de mon frère endormi ? Olga

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"Visite au Musée " J'ai toujours le sentiment d'entrer dans un sanctuaire, lorsque la grande porte de fer forgé s'ouvre d'elle même pour mon habituelle visite au Musée d'art et d'histoire de Genève. Je ne me souviens pas qu'elle en ait été la première fois puisqu'il y a toujours un début à toutes histoires d'amour. L'exposition d'aujourd'hui a débuté depuis un bon mois. Habituellement je viens aux vernissages et j'applique une stratégie infaillible, les convives s'agglutinent généralement aux abords des buffets et parlent essentiellement d'autre chose que de ce pourquoi ils se trouvent ici. Lorsque ce petit monde est là dans l'attente d'un premier verre de vin et de quelques canapés saisis au vol, je m'éclipse pour franchir les salles et arriver au coeur de ce qui se donne à voir. C'est un sentiment de griserie indicible, comme si soudainement ce lieu m’appartenait et je croise parfois un autre visiteur friand de ces instants propices qui ne se partagent qu'entre initiés. Je viens pour une oeuvre en particulier, car l'accrochage d'aujourd'hui regroupe un important choix d'artistes qui ont en commun l'usage de la féminité comme sujet de prédilection. L'image a la particularité d'être universelle, de savoir communiquer au delà du langage. Tout le monde occidental se trouve réuni en trois siècles d'histoire pour magnifier la femme, parfois aussi dans sa face la plus obscure car toute médaille a son revers! Ici que des grands classiques parlant de muses, de déesses mythologiques, de reines, de vierges allaitant, jusqu'à cette rupture où l'image photographique a pris possession d'un certain idéal, le mettant à nu décortiqué au delà du réel. Je la sais là, à l'intérieur d'un espace obscur dont les murs ont été peints de gris anthracite. Certains gestes artistiques laissent une trace une sinuosité qui s'impose et qui les rendent inimitables, inoubliables et cette mémoire demeure parfois jusque dans le grain même du papier. En me rapprochant de cet espace privilégié je passe devant un tableau qui me laisse comme un sentiment d'inachevé, de chaque côté d'un paysage romantique deux femme dont la nudité est à peine voilée se regardent. Je le connais peu car habituellement accroché dans les salles supérieures et n'étant pas de ceux auxquels mes goûts me prédisposent. Je ne remarque dans un premier temps rien de particulier je viens d'entrer au coeur du sanctuaire, et l'ambiance tamisée que dispensent l'éclairage zénithal me laisse tout à mon attention. La première fois que je l'ai vu, je n'ai pas eu besoin de regarder l'information usuelle ni la signature de l'artiste. Certains graphisme sont reconnaissables quelque soit les musées du monde où ils sont accrochés, et c'est à chaque fois un peu de sa famille que l'on retrouve. Les premiers visiteurs de la soirée commencent leur périple culturel, le bonheur de ce lieu est de générer une attitude silencieuse, chuchotante, presque recueillie comme si les paroles hautes pouvaient avoir quelque chose d'indécent. J'entend seulement des voix étouffées dont je ne connais pas le sens des paroles, seuls les divers bruits de pas me semblent audibles, glissements, cuir, semelles sportives, parfois le métal d'un talon haut. Je suis là debout personne n'est entré dans ma loge, une intimité inespérée! Le lointain bruit de la sonnerie de fermeture du musée me rappelle qu'il va falloir bientôt retourner à une réalité plus laborieuse et affronter les premières bruines automnales. Je demeure encore accroché quelques instants à la vision qui me bouleverse. Soudain mon attention est troublée par un frémissement l'étrange sensation d'être observé, je regarde dans toutes les directions et en une fraction de seconde il me semble entrevoir comme une étoffe qui se retire, un bruissement soyeux et le bruit léger que font les pieds nus courant sur la pierre.

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Les salles suivantes abritent l'archéologie romaine et grecque ainsi que leur statuaire. Sans réfléchir je me dirige vers ces bruits furtifs, avant de franchir le pas de porte une trace brillante sur le côté accroche mon regard. L'empreinte humide et légère de trois doigts imprimée à auteur de mes yeux, et je la vois peu à peu disparaître comme l'eau s'évapore sous une source de chaleur. La première salle est longée de chaque côté par de grandes et hautes vitrines qui permettent au visiteur de tourner autour des objets, et dont l'organisation change selon les expositions. Tout est vide, mais le reflet à peine esquissé d'une pommette féminine se détache dans le brillant de la vitre. Je me mets à l'arrêt, retenant mon souffle et ne quittant pas des yeux l'image qui peu à peu s'estompe. Le froissement de l'étoffe et le bruit des pas reprennent leur course et lorsque je hâte les miens, au fond du long couloir juste à l'endroit où commence l'escalier central je vois disparaître comme la transparence d'un voile. Tout au long de la distance qui nous sépare, très lisiblement il y a sur le sol de pierres crème l'empreinte humide de pieds nus. Je dois m'adosser au mur pour reprendre mon souffle et essuyer dans un geste machinal la moiteur de mes mains. C'est impossible, et pourtant ils brillent encore juste avant le velours pourpre où l'escalier commence son ascension. Lorsque j'arrive à cet endroit je ne peux m'empêcher de m'accroupir pour en toucher l'étoffe. Là aussi il y a comme de minuscules gouttes qui ne se reconnaissent qu'à leur transparence, mais qui au bout de mon doigts laissent une couleur d'un blanc nacré et un parfum indéfinissable mais qu'il me semble reconnaître. Régulièrement je m'arrête pour partager un vieux Porto chez une de mes amies artiste et je n'ai jamais vraiment su si les premiers début d'ivresse étaient dus aux vins vieux ou aux parfum délétères dont l'atmosphère surchauffée est chargée. Dilution de peinture, d'encre, de nettoyage de pinceaux, une odeur percevable entre toute et c'est elle que je sens maintenant... Je veux savoir si ce rêve éveillé n'est que le fruit de mon imaginaire, devenus l'acteur d'une pièce de théâtre qui se joue à mon insu ou d'une caméra cachée dont je suis tour à tour comédien et spectateur! Je commence l'ascension vers les étages supérieurs, arrivé sur le palier tout est silencieux et soudain je réalise que la nuit est tombée et que ce qui m'entoure n'est plus que le silence opaque d'un musée laissé au passé qui l'habite. Le froid envahit peu à peu mon esprit mais un rire cristallin retenti sur ma droite, j'hésite car je connais ce lieu. La première salle est vaguement éclairée par une verrière, mais après je sais ces pièces qui maintenant doivent être totalement obscures et qui vont se refermer comme un labyrinthe. Dans la poche de mon manteau machinalement je touche mon téléphone portable, la solution est parfois inattendue. Le doigt posé sur une touche je suis cette luciole improbable et je m'engouffre dans l'obscurité. Lorsque les premiers bruits d'une ville qui s'éveille me ramènent à la conscience, j'entends très distinctement des bonjours matinaux, le grincement d'une porte et soudain des lumières qui s'allument, diffuses dans un premier temps et qui peu à peu prennent de l'ampleur. Je suis allongé sur un long tabouret de velours ou habituellement deux à trois spectateurs regardent les œuvres accrochées aux cimaises. Très exactement en face de moi il y a ce tableau qui hier m'avait laissé comme un sentiment étrange d'inachevé. Maintenant elles sont trois, et en son centre il y a la plus belle des muse qui s'éloigne vers le lointain, le visage à peine tourné elle jette au travers de son voile un dernier regard dans ma direction. Phalène

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Il était une fois une visite...

" Chers parents, ...rendez-vous à 11h30, devant le musée d’Art et d’Histoire... Mai 2005 Phirvy

Au jour donné, déposés par le bus à proximité de l’imposant bâtiment, vingt-cinq petites frimousses accompagnées de leurs éducatrices se retrouvent face au grand escalier extérieur du musée d’Art et d’Histoire. La visite commence en observant l’imposant bâtiment. On salue de la main les personnages en escaladant les marches nombreuses et si hautes pour des jambes de trois ans ! En s’ouvrant d’une voix grinçante pour laisser passer la petite troupe, la porte d’entrée déclenche des éclats de rire. Son arrivée ne passe pas inaperçue. Dans le hall, de grands fauteuils rouges sollicitent nos jeunes historiens qui se bousculent pour s’y asseoir. Afin de rétablir l’ordre, une éducatrice lance une question en montrant du doigt le plafond. " Que voyez-vous la haut ? " "Un oiseau ! " répondent plusieurs enfants. - Alors, saluons l’oiseau propose-t-elle. "Bonjour" crient les enfants de toute leur voix ! " Ouou" répond l’écho qui semble faire sourire l’oiseau. - C’est un aigle, précise une petite voix convaincue, il est pas vrai, il est dessiné. - Oui, et il est trop haut ajoute une fillette en sautant le bras levé comme pour le toucher. Tous les enfants imitent leur camarade en témoignant leur joie. Un gardien s’approche. Il ne dit rien : il regarde... - Nous allons enlever les manteaux lance la responsable alliant le geste à la parole. - Il y a un vestiaire dit précipitamment le gardien, venez avec moi. En file indienne et à pas de souris, on suit le guide. Enlever son manteau, c’est une chose, mais le suspendre en est une autre; les crochets sont si hauts ! Alors, sans cérémonie, les vêtements sont jetés sur le sol car les "armoires casiers " sont aussitôt repérées. Une véritable aubaine. Elles ouvrent grand leurs portes pour accueillir les enfants qui s’enfilent dedans de tout leur corps ! Les portes s’ouvrent et se ferment provoquant un bruit soutenu par le rire des enfants. Ce joyeux brouhaha ébranle ce lieu austère. Le gardien passe d’une armoire à l’autre en répétant : - Vous ne pouvez pas aller dans ces armoires, vous ne pouvez pas aller dans ces armoires. - Si, lui répond un enfant, regarde, je peux rentrer, c’est assez grand ! - Oui, mais c’est défendu, sortez de ces armoires. Deux éducatrices lui viennent en aide en faisant asseoir les enfants le long du mur. Un plus petit demande : - Pourquoi y a des soldats au musée ? - Ce n’est pas un soldat, c’est un gardien. Il est responsable de l’ordre. Ici, on ne peut pas faire n’importe quoi, par exemple aller dans les armoires... Les manteaux sont en place. Désinfectées, avec le produit emporté lors de chaque promenade, les toilettes ont été utilisées et appréciées malgré leur hauteur et leurs odeurs. La visite peut commencer. Arrivés devant une grande porte noire, il faut se mettre à plusieurs pour la pousser. Elle s’ouvre. Un silence accompagne l’étonnement ! Impressionnés les enfants se rapprochent instinctivement des adultes puis, petit à petit, ils se détachent et partent à l’aventure. Des espèces de personnages tout en fer suscitent la conversation. Chacun y va de son commentaire : - C’est des hommes qui sont pas vrais. - Y sont pas vrais, ils ont pas de figure. - C’est des robots, moi j’ai vu des robots comme ça à la télé, mais ils marchent ! Phirvy tente d’expliquer les personnages, personne ne l’écoute, chacun sait ce qu’il voit... Un enfant tourne autour de quelques engins qui n’ont pour l’instant pas été nommés. Il réfléchit. - Il y a des grandes échelles remarque une petite fille.

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- Elles appartiennent aux Savoyards, explique une éducatrice. Les Savoyards sont venus pendant la nuit attaquer la ville de Genève, mais la Mère Royaume leur a jeté de la soupe bouillante sur la tête. Ils ont eu si peur qu’ils sont partis en courant. - Alors, iIs ont oublié leurs échelles ! dit-elle. Soudain, celui qui tournait autour de l’engin mystérieux s’écrie d’un ton victorieux : - Mais je sais, c’est un canon ! Et tout le monde de courir vers l’objet identifié. - C’est quoi un canon ? demande l’éducatrice Celui qui sait répond sans hésitation et avec autorité : - C’est pour tuer les gens quand y a la guerre ! Un autre renchérit : - Eh puis quand on tue, ben on est mort ! Une petite fille admirative par tout le savoir de ses copains demande : - Y sont où les morts ?

L’attention est détournée par la très grande table ronde qui occupe toute la pièce suivante. En voyant arriver la petite troupe, le gardien salue par "Eh bien, ils sont petits pour visiter ce musée ! " A la demande d’une fillette, il permet que chacun prenne place sur les bancs autour de la table. Quand ils se retrouvent là, tous en rond, les uns en face des autres, ils se regardent comme s’ils ne s’étaient jamais vus. C’est un moment solennel, comme pour laisser la place à une prière. Un tic-tac donne le rythme au silence. Mais d’où vient donc ce bruit reconnu ? On découvre la vieille pendule qui n’a qu’une aiguille. - Pourquoi elle a qu’une aiguille ? Le "spécialiste du canon" répond aussitôt : - C’est la Mère Royaume qui l’a prise !

On quitte alors ce lieu et son histoire. La nouvelle salle est partagée par une ligne jaune. Une petite curieuse la franchit, une sonnerie se met à geindre. D’abord elle fait peur, ensuite elle amuse. Et chacun s’empresse de passer et repasser la frontière jaune. Surgissent alors de toutes les portes des gardiens qui volent au secours de la sonnette qui n’en peut plus !

On se retrouve dans un endroit au sol de bois bien ciré. Les objets qui sont exposés là ne récoltent aucun suffrage. Les petits pieds des visiteurs ont trouvé une occupation bien plus attrayante : faire chanter ce magnifique plancher. Sa voix nasillarde chantonne à chaque pas une musique si douce qu’elle rétablit le calme. Paisiblement, on arrive dans la chapelle au centre de laquelle trône un majestueux piano à queue avec un miroir à l’intérieur de son aile ouverte. "Il ne faut pas le toucher" recommande le gardien ce qui fait jaillir cette réflexion : - Dans les églises on doit rien toucher, sinon Jésus il est pas content ! La pièce est traversée sans autres commentaires et l’équipe, suivant l’odeur du café, s’engage dans le grand escalier qui la conduit jusqu’à la cafétéria où une pause s’impose.

Puis la petite troupe reprend sa route sous les regards et commentaires des clients étonnés de voir défiler ces tout petits. Ils retrouvent bientôt le grand escalier au tapis rouge. Oh ! là là que les marches sont hautes et nombreuses. Mais tant bien que mal et en rouspétant entre deux éclats de rire, on arrive dans la pièce aux fauteuils rouges et "à la cabane des gardiens" comme le remarque un plus petit. Chacun a retrouvé son bien. Dans un silence religieux on se dirige vers la sortie. "C’est quand qu’on reviendra dans cette église ? " demande une petite fille qui déclenche, cette fois, les rires du côté des gardiens ! Sur le trottoir, une seule maman. Où sont donc les autres ? Un responsable de l’accueil reçoit un appel téléphonique. Toutes sont allées au musée d’Histoire Naturelle. Les idées préconçues ont la vie dure : Que peut apporter le musée d’Art et d’Histoire à un tout petit ? Et pourtant... Phirvy

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Une visite au musée d’art et d’histoire de Genève Je haissais les musées : peut-être, un vieux traumatisme lié à une anecdote de mon enfance. En effet, je conservais un souvenir angoissé de ma visite scolaire obligatoire, alors que j’avais huit ans, au musée d’art et d’histoire de Genève. Des réminiscences obscures et rances me remontaient, alors qu’une pluie battante avait conduit mes pas sur le seuil de cette vénérable institution. Version officielle: pour me mettre à l’abri. Version officieuse: rencontrer celle qui avait hanté mes pires cauchemars de petite fille et lui dire que j’avais grandi ; maintenant je n’avais plus peur que ses mains balaient mon visage lors de nuits d’orage, et qu’elle m’emporte vers des destinées inconnues, hantées par des êtres de la même espèce, loin des gens que j’aime. Je franchis donc au pas de charge la salle d’armes…hallebardes, armures, et autres douceurs guerrières se succédaient, égayées à peine par une estrade sur laquelle était posée de façon incongrue un clavecin…Ah, oui bien sûr ! « la musique adoucit les mœurs ». Ensuite, salon de Cartigny, beauté des meubles, mon cœur battait la chamade, et en même temps j’avais besoin de prendre mon temps pour la retrouver. Je montais pour admirer les magnifiques toiles exposées. Etrange, que je ne n’ai pas gardé la mémoire de ces trésors, mais uniquement l’empreinte bizarre et fugitive de cette dame à l’allure décharnée. Salut, Ferdinand, que dis-je Monsieur Ferdinand Hodler qui nous raconte si bien l’âme suisse, univers rassurant et organisé. Etage par étage, je passais en revue les vestiges de notre passé collectif me séparant encore de ce tête à tête, qui prenait au fil des instants une importance démesurée. Allez, un petit verre au café le Barocco pour réfléchir à toutes ces merveilles que j’avais admirées, et me préparer à ce rendez-vous si particulier. Plus grand-chose ne m’éloignait maintenant du sens ultime de ma visite. Je me plongeais encore dans les livres, et quelques gadgets marrants de la boutique, histoire de me rattacher encore à ce monde consumériste et terre à terre. Je slalommais alors parmi quelques statues grecques et romaines, qui n’avaient plus leur appendice basique? L’esprit de Calvin était-il passé par là? Autant vous dire, j’arrivai en courant sous l’œil réprobateur du gardien des lieux, vers l’endroit où devait se trouver la dame qui avait nourri mes peurs enfantines. J’avais le pouls à cent vingt, et je sentais les émotions monter en moi comme au temps de mes huit ans. A cinquante ans passé, à quoi rimait tout ce cinéma intérieur que je me faisais? Un regard à droite, un à gauche, mais ou était-elle passée ? L’avait-il déplacée, exportée pour une autre exposition à travers le vaste monde? Mais où se trouvait donc la représentante de mes frayeurs oniriques, la momie, ma momie… N’avais-je donc pas rongé mon frein pendant toutes ces années, enfoui toutes ces peurs au fond de moi pour rien? Je me tournai alors vers une boîte colorée qui tenait lieu de sarcophage, et vous me croirez si vous voulez, ils avaient caché Dame Tjesmoutpert (j’appris enfin son nom) à l’intérieur de son cercueil, comme si on voulait préserver le visiteur des ravages de la mort et du spectacle de notre condition humaine. Pourtant, aujourd’hui forte de toutes ces années à affronter les chagrins, la maladie et les bonheurs, j’étais enfin prête à regarder Dame Tjesmoutpert dans les yeux, pour lui dire qu’au fond elle m’avait beaucoup appris… à dompter mes craintes… la solitude… à regarder plus loin… à vivre tout simplement…

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Mais comment parler à une boîte? Je me sentis stupide et en colère. Des pensées désordonnées m’envahissaient; je réfléchissais à tous ces gamins qui ne pourraient s’imprégner de cette vision unique, ce souvenir impressionnant et fort, clou de leur visite au musée d’art et d’Histoire. De quoi voulait-on les protéger ? «Sortez, dame Tjesmoutpert de son cercueil au moins pour Halloween ou la toussaint afin qu’elle puisse respirer… Rendez les morts aux vivants». Avais-je parlé à haute voix? Je vis l’employé du musée s’approcher de moi. Ah, bon ! ce n’était que l’heure de la fermeture. Je quittai le musée avec une indicible nostalgie, une sorte d’état entre deux eaux. Dame Tjesmoupert était vraiment morte aujourd’hui pour moi, et j’étais triste… dehors la pluie avait cessé. POPPEE

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Une visite au musée Venez donc avec nous passer un bon moment Au musée de Genève, c’est tout sauf assommant. Musée d’Art et d’Histoire, y’ en a pour tous les goûts, Visite avec un guide qui a bien du bagout Ou solitairement, à son rythme, c’est selon Que vous souhaitez entendre commentaires éclairés, Ou bien ne rien entendre, partout où vous irez. Cheminant au hasard, de salon en salon, Les passionnés d’histoire y pourront assouvir Leur soif de connaissances dans cet immense navire, Les amateurs d’art, de peinture, de sculpture Pourront y amener même leur progéniture Pour lui faire découvrir Hodler, Valloton Ou une collection de somptueux mousquetons, Des momies, des monnaies, des meubles, des poteries, Qui s’offrent au visiteur et sans afféterie. Allez donc au musée de Genève en courant, De ce pas j’y retourne, y’ a même un restaurant ! Punctum

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Prémonition L’e-mail s’affiche sur l’écran de l’ordinateur « hello », je m’appelle Vlad Bran,un ami de Marina, j’ai vu votre profil dans face-book…. Jolie ! Ceci est une invitation à l’inauguration du nouvel accrochage des peintures au Musée d’Art et d’Histoire de Genève, vendredi 11 octobre à 18 heures. Je vous attendrai devant *la Fontaine* d’Agasse au 4° étage…. « viendrez-vous ? » -Encore un cyber-dragueur ? Marina ! Quel besoin a-t-elle de donner les entrées de mon face book à tout un chacun ? Je vis une existence enfin calme, extirpée à grands pleurs de l’embouteillage de mes multiples amours éphémères, désencombrée des affres de la dépression boursière après un tumulte ravageur chez les traders Cohen et John’s, délivrée de l’urgence des dossiers de mes tailleurs imitation Chanel et des fouilles plus ou moins de bon goût dans des aéroports bondés au petit matin glauque. Retour à la source, campagne, pré fleuri, herbes folles, ciel bleu azur. J’ai un nouveau copain Hirsute qui squatte une bergerie dans la forêt du Salève et qui, d’un fromage blanc, me fait goûter la voluptueuse jouissance de ma nouvelle frugalité- Ma mère, psy, qui sait donc tout ce qui est bon pour moi et généralement aussi tout ce qui est bon pour les autres, prétend que je ne suis qu’une bobo baba cool démodée autant qu’énervante et que mes cours d’Histoire de l’Art en lieu et place de mes diplômes de finance internationale ne me mèneront qu’à rencontrer des barbouilleurs néophytes, décadents et prétentieux, voire hors-la-loi. Bien maman ! Me voici donc au musée d’art et d’Histoire ce 11 octobre à 17h30, en avance, devant le fameux tableau de Jacques-Laurent Agasse, *la Fontaine personnifiée* Le buste d’une pauvre fille émerge de l’eau dans le soir ; une cascade de cheveux roux inonde son visage et ses épaules, la dissimulant presqu’ entièrement derrière ce rideau d’ondulations flamboyantes. C’est une curieuse allégorie . Celui qui regarde un tableau est enclin à réfléchir. Ce qu’il voit est nouveau pour lui, ce qui dérange ses façons habituelles de percevoir, de comprendre et permet alors que des pensées lui viennent ou lui reviennent. Cette jeune fille est étrange. Il semble que toute fraîcheur ait disparu de ce visage blafard. Les cils baissés sont jaunes, délavés, deux plis naso-géniens encadrent d’une ombre ses lèvres minces et serrées. Ses bras mous, croisés sur sa poitrine ont la pause des statues de plâtre de Sainte Thérèse de Lizieux ou celle requise des défunts sur leur lit de mort.

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Cette femme m’apparaît comme la transfiguration de la vie, ce visage blême n’avoue le fait de sa mort que pour la faire surgir dans l’évocation des mondes dont la beauté liquide, limpide n’est évidemment que l’image de l’au-delà…. Devant ce fleuve de cheveux d’or j’imagine un instant ce qui fut peut-être sa vie avec ses chimères, ses précaires instants de paix et cette sorte d’amour difficile et profond qui éveille, en cette résurgence, des échos de grande douceur . En quoi et par quoi suis-je impliquée là où je ne m’attendais nullement à l’être et que signifie cette angoisse qui me vient et que je constate, étouffée ? Y-a-t-il quelque message dans les nappes d’eau trouble du silence, ombres de diverses couleurs sur le ciel noir ? Je sais que les drames les plus fondamentaux de l’être humain se jouent toujours au bord de l’eau : La vie rencontrant la mort qui parle de résurrection à celui qui s’attarde sur le rivage. Le feu des flammes rousses et l’eau qui perle n’est ce pas le symbole de l’homme et de la femme en leur immuable rencontre, celle qui permet d’espérer dans la vie de quoi délivrer de la fascination du non. et pourtant il y a de la douceur dans cet appel J’entre vois quelque chose comme les échos d’un plaisir impalpable dans cette attirance du néant. Comment ne pas être captive de cette lumière ? Comment ne pas glisser au fond de l’eau dans l’abîme pour aborder enfin dans une blancheur boréale l’éblouissement de l’éternité? Mon cœur bat la chamade, ce roulement de tambour qui annonce les catastrophes . C’est même avec une force et une véhémence inconnues que l’angoisse me submerge au point de substituer à la réalité, la tentation brutale de l’opacité de la nuit. L’envie irrépressible de m’inscrire dans ce monde impénétrable; je sens naître en moi un désir amer de cesser de vivre. Cette femme aux cheveux roux me dit que je vais mourir. La mort, la mort un instant visible, cette mort, c’est la mienne, je suis entrain de regarder ma propre mort…… Prémonition, tumulte de l’inconscient. Cligner des yeux, fuir, décider tout de suite de partir, courir…. La maison, le monde dehors, le ciel de la rue, l’arbre devant la fenêtre qui réapparaissent d’un seul coup et vont continuer d’exister dans la nouvelle lumière, cette flamme qu’est la vie, la vie à venir ,ma vie à revivre. Je ne pensais jamais devoir rencontrer celui qui m’avait demandé de l’attendre devant *la Fontaine d’Agasse* jusqu'à cet article paru dans le journal *le temps* d’aujourd’hui. xxxxx Vlad Bram, l’assassin présumé de la jeune Isabelle B a été arrêté hier soir…Après avoir attiré sa proie au musée d’Art et d’Histoire de Genève il l’aurait torturée et violée avant de jeter son corps dans le eaux de l’Arve. Un frisson glacial m’envahit tout entière Je n’ai pas pu regarder la photo Rhodes Saint-Genèse

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« Une visite au Musée d’art et d’histoire de Genève »

Il pleut, un mercredi proche de l’année suivante. 60 Minutes à disposition pour une visite. 11 Marches à gravir pour parvenir aux énormes portes d’entrée. 52 Marches à gravir pour parvenir à l’étage Beaux-Arts en passant au beau milieu du tapis

rouge sur l’escalier de droite. 11 Mûres pas mûres dans La déploration du Christ dans une guirlande de fleurs de Jan

Van Kessel. 16 Perles visibles autour de la taille ronde d’Elisabeth Charlotte de Bavière peinte par

Hyacinthe François Honorat Rigaud. 1 Homme de couleur dans la salle Jean-Etienne Liotard. 411 Le numéro de la salle Ferdinand Hodler. Celle de Van Gogh porte le 412. 10 Nuages placés par Hodler au-dessus du Lac de Thoune aux reflets symétriques. 4 épagneuls 1 pointer 1 Saint-hubert,

Le titre d’un tableau de J.-L. Agasse. 43 Personnages inquiets représentés par Saint-Ours dans Le choix des enfants de Sparthe.

Je n’aurai jamais pu choisir? 8 Bateaux (peut-être plus) comme invisibles, révélés par Pisarro dans Le Port de Rouen,

après-midi, pluie. 29 Capucines rougeoyantes, vibrantes sous les traits de Vallotton. 189 Petits cubes en barrettes de bois dans Wall piece de Sol Lewitt.

Difficiles à dénombrer. 1988 L’année de la réalisation de Orange Failure. 1944 L’année de naissance d’Olivier Mosset, l’auteur de Orange Failure. 1 Reflet incliné de ma personne et des plafonniers grâce au Grand Piano de Marclay. 415 Le chiffre placé au-dessus de l’extincteur rouge, œuvre improbable. 100 L’âge du Musée d’art et d’histoire de Genève.

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1,75 La taille d’un segment de colonne romaine aussi haut que moi. 6 Panneaux explicatifs sur le futur agrandissement du Musée confié au grand Jean

Nouvel. 3 Sesterces datant du 3ème siècle après J.-C. trouvés prés de Vandoeuvres.

Soigneusement alignés dans une vitrine à côté des autres sesterces. 6 Faucons que j’ai pu compter à l’intérieur du cercueil du prêtre d’Amon Ched Khou.

Horus a-t-il été de tous les grands voyages ? 14 Le numéro figurant sur l’épingle placée devant le collier en perles de verre de couleur

corail. Replié en 3 rangs, il met en évidence une autre perle, unique, aux croisillons noirs et blancs. Posé sur le buste d’un défunt, quelque part, durant la période Méroïtique.

5 Guides en français à disposition pour approfondir cette fascinante étape du Kerma et

de l’archéologie nubienne. Et 2 gardiens. 49.90 Le prix de l’œuvre N Budget de Nicolas Noverraz en vente à la librairie.

16.55 5 Minutes avant la fermeture du Musée. J’ai oublié de compter le nombre d’instruments à vents de la section Arts appliqués. Et je n’ai pas eu le temps de chiffrer les calices des salles byzantines, ni le nombre d’œuvres accrochées à l’occasion de l’exposition temporaire sur l’Art et ses marchés, ni le nombre de couple prenant un café à la buvette. Je n’ai pas vu les armures. 10 Minutes suffisent pour retrouver sur le seuil de la porte d’entrée de mon appartement.

17.10 2010

Salamandrine 31.12.2009

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« Une visite au Musée d’art et d’histoire de Genève »

Un jour je fus échouée par un fleuve incandescent devant les portes du MAH. L’onde continua, avec férocité et gourmandise, à m’emporter avec elle dans les salles supérieures du musée. J’avais un sentiment fébrile d’angoisse et de curiosité mêlées. Un bras, levé. Ce n’était pas un geste de tendresse, mais de désespoir. Une femme probablement tombée dans ce liquide avant moi. Elle lutte pour se délivrer de la position à laquelle elle est contrainte. La Muse tragique, avec son regard plongé dans la matière obscure qui l’enchaîne à son éternel destin, noue ses bras autour de mon cou. Elle plonge mon visage dans le liquide moelleux, m’amenant à la limite de la suffocation tandis que ma conscience s’éveille. La statue bouge comme pour se lever, trouver encore de l’espoir pour le futur de sa tragédie, indissolublement liée à celle du monde. Le bronze qui la constitue est si fortement ancré au socle, et pourtant on dirait la mer en tempête… Un bouillonnement intérieur projeté sur la surface, une figure emblématique de la mélancolie de ces jours perdus dans l’attente (improbable) d’un changement. Mais le fleuve qui m’avait emportée jusque-là s’appropria aussi ce corps pour en prendre intégralement possession : phagocytant tout, il nous entremêlait et il nous donnait forme à nouveau. Au cœur du tourbillon, je vis émerger de ce magma une petite figure, les bras tendus vers le ciel, et aussi le regard.

Il est en train de courir, il s’échappe de quelque chose dont je sens la présence opprimante mais qu’on ne peut pas voir. Je regarde sa poitrine. Il est blessé. Je sens alors naître un immense désir de liberté, de quête vers l’inconnu. J’essaie de sortir de cette matière qui me garde par terre, doucement, trop doucement. Comme le petit homme, je tends les mains en l’air. Je cherche dans le vide qui m’entoure un point d’appui, pour m’accrocher. Rien. L’homme blessé s’échappe de la réalité. Mon ombre me suit…Les formes que je distingue dans ce liquide terrestre sont parfaites, mais ce n’est qu’une illusion de surface. Le feu intérieur ne s’arrête jamais, (ni) les blessures cachées.

La fin se rapproche, sans doute.... La lave recouvre tout, et la température augmente. Silence. L’univers se fond à nouveau. Comme dans le bouillon primordial, il y eut un retour aux formes simples, abstraites et universelles. De là une femme jaillit. C’est Daphné aux courbes souples et naturelles, un corail qui naît sur le fond d’une mer nouvelle, un retour aux origines de l’humanité. La femme se « plasme » de ces formes longilignes, comme des grappes d’œufs, fertile mère. Je me laisse transporter tel un coquillage par les ondes de cette mer primordiale. Le berceau de la vie.

Cycliquement, la matière se transforme, évolue, et ainsi les formes, de complexes à simples et abstraites, puis s'en revient encore aux complexités infinies et à la variété de la vie. La femme alors se métamorphose (encore une fois, une dernière fois) en forme géométrique, en cellule. L’organicité la rend immortelle. Daphné devient arbre, l’arbre et la nature deviennent art. Eternel retour à la vie.

The Lady of Shalott

 

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Le rendez-vous

13h30. Dans trente minutes, ils se rencontreraient, comme convenu, à l’entrée du Musée d’art et d’histoire de Genève. Natacha se trouve déjà devant la grande bâtisse, le regard perdu, les mains moites. Elle cherche fiévreusement dans son sac quelques feuillets, ne les trouve pas, cherche plus fébrilement encore. Son cœur bat plus vite. Les aurait-elle oubliés ? C’est impossible, elle a minutieusement vérifié ses affaires avant de partir. Et si ?...Ses doigts dérapent sur un paquet de mouchoirs, glissent sur son téléphone portable, agrippent enfin les feuillets si précieux qui s’étaient cachés tout au fond du sac. Natacha respire. Les feuillets sont recouverts de son écriture ronde, claire, appliquée. Elle relit nerveusement ses notes. La peinture au XVIIème siècle. L’importance du paysage, son essor, Poussin, Le Lorrain. Qu’ont-ils peint déjà ? Je ne me souviens plus. Si. Le Lorrain, beaucoup de, beaucoup de paysages. Comment sont…? Comment sont ces paysages ? Des couchers de soleil. Une peinture brillante, oui, je crois avoir lu ce terme quelque part. Brillante, lumineuse. Et Poussin ? Feuillet trois. Nicolas Poussin. Un grand peintre, reconnu de son vivant. Des plans horizontaux. Je…il me semble qu’il a peint beaucoup de scènes mythologiques... Nous en avons déjà vu quelques-unes lors d’une autre exposition…je ne sais plus où…Tout se mélange. Comment s’appelait cette peinture ? Ma tête va exploser. Je ne sais plus…

- Bonjour Natacha. Vous êtes en avance…. Natacha sursaute, se retourne. Il est là, devant elle, à quelques mètres. Imposant mais svelte, il est vêtu d’un manteau gris, porte une écharpe en cachemire négligemment déposée autour de son cou. Il sourit, d’un sourire pincé, la regarde, d’un regard bleu glacé, l’embrasse, d’un baiser arrogant.

- Bien. Entrons et allons admirer cette magnifique exposition sur les peintres du XVIIème siècle.

Natacha range précipitamment ses feuillets dans son sac, esquisse un pâle sourire et prend le bras que lui offre galamment son compagnon pour entrer dans le musée. Natacha observe Henri, cet homme si cultivé, analyser les œuvres de la première salle du musée. Comment sait-il tout cela ? Comment peut-il avoir emmagasiné toutes ces informations ? Quelle intelligence. Quelle culture. Et ce vouvoiement particulier qu’il a voulu conserver. Quelle délicatesse…Pourquoi me regarde-t-il ainsi ? Il semble contrarié. Ma coupe de cheveux ne lui plaît pas. J’en étais sûre. Ou peut-être est-ce le collier que je porte? Il ne convient pas…Il a tellement de goût…et moi…Moi je fais aussi bien que je peux mais…

- Natacha, est-ce que vous m’écoutez ? Vous devriez prendre des notes et retenir ce que je vous transmets. Ce n’est pas tous les jours que vous avez droit à une conférence gratuite !

Son rire sec claque dans la salle. Natacha essuie ses mains, hoche la tête, réajuste une mèche de ses cheveux. Elle respire mal. Je ne suis pas à la hauteur. Je suis gentille. C’est ainsi qu’il m’a caractérisée lors de notre première rencontre il y a deux ans et demi. Que veut dire gentille ? Qu’a-t-il sous-entendu en utilisant ce mot ? Parfois, il m’appelle ma chère amie, ma tendre Natacha. Mais je ne suis rien d’autre que gentille. Pourtant…

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- Ah ! Nous voici dans la salle consacrée à l’admirable Poussin. Je vois là quelques œuvres que nous avions admirées ensemble à Amsterdam. Les reconnaissez-vous Natacha ?

Nous y étions. Le moment fatidique de la reconnaissance de tableaux. Le ton condescendant d’Henri. Natacha regarde autour d’elle, paniquée. Des toiles du maître accrochées aux quatre murs de cette salle. De petits personnages perdus dans des paysages si vastes. Ils se ressemblent tous. Natacha s’agite, nerveuse, tourne la tête, fait trois pas à droite, en direction d’une toile, hésite, repart en direction d’un autre mur. Les paroles d’Henri résonnent dans la salle.

- Enfin Natacha, ne me dites pas que vous ne vous rappelez déjà plus de ce que nous avions contemplé il y a seulement six mois ! Je vous avais pourtant donné toute une série d’indications précieuses et d’éléments historiques importants à leur sujet!

Le ton se fait sévère, incisif. Mon Dieu, je ne sais plus… Tout se ressemble et se mélange …Enfin Natacha…Enfin Natacha…. L’écho de la déception se fait toujours plus pressant, envahit l’espace. Vous ne vous rappelez déjà plus…Vous ne vous rappelez déjà plus…Je ne serai jamais à la hauteur. Jamais. Désespérée, Natacha lève les yeux, croise le regard perçant d’Henri, son amour au conditionnel. Elle n’y trouve aucune solution, ne voit que le bras de son compagnon qui se lève brusquement à l’horizontale pour accuser d’un doigt agacé plusieurs toiles. N’entend que sa voix pointue lancer dans l’air des « Celle-ci… » rageurs pour accompagner son geste. Soudain, Natacha lâche son sac. Son corps épuisé et menu se fait toujours plus petit, plus fluide. En l’espace d’une seconde, elle se retrouve à l’ombre d’un magnifique arbre. A sa droite, un chemin serpente pour mener à un petit temple juché sur une colline. Le ciel est immense. Natacha respire à pleins poumons l’air de cette campagne apaisante, observe quelques villageois occupés à divers travaux et, devant elle, Henri, beaucoup plus petit, l’air ahuri, tenant dans ses mains son sac et quelques feuillets. Une Ménine

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Pour un homme d’âge avancé, mesurer l’étendue d’une vie à l’occasion de circonstances inattendues est le comble du désarroi. C’est ainsi que pensait confusément, en essayant de rassembler ses idées, le vieil homme assis sur le banc central de la galerie nord-est du musée d’art et d’histoire de Genève. Une minute auparavant, il avait ramassé ses lunettes complètement tordues sur le tapis de velours carmin et, après les avoir sommairement redressées, les avait replacées sur son nez. Le coup avait porté, rude. L’instant suivant il avait cédé à la tentation du banc. Certaines émotions produisent de tels troubles que, dans les premières secondes, l’immobilité totale du corps est requise. Un esprit vacillant réclame un socle, le socle naturel c’est le corps. Et un corps sur un banc est un navire au mouillage à l’abri de la houle. Après quelques secondes, hésitant, il s’était donc assis. Anéanti. Le vieil homme demeura un long moment sur le banc de bois. Les secondes filaient sur lui. Il pouvait sentir son cœur marteler sa poitrine comme le carrossier cogne l’épave sur le marbre. Des minutes s’écoulèrent. Le boutoir du temps corrigeait les plis et les froissements de sa conscience. Peu à peu, elle se redressa. Les soins de cette horlogerie replacèrent l’esprit du vieil homme dans les draps tièdes des heures paisibles. Il se reprenait et il se souvint.

Dès l’aube, cette journée de juillet promettait les plus belles humeurs. Nulle complication dans l’air, nul germe. A huit heures du matin, le soleil déjà haut braquait sur les rues basses des rayons de miel. Cette douce tiédeur incita le vieil homme à profiter d’une terrasse et d’une tasse de café. Le musée n’ouvrait ses portes qu’une heure plus tard, l’heure à venir se consumerait à prendre le temps. C’est un des délices de l’existence que de chavirer dans un sentiment d’appartenance de soi. Une heure passa ainsi, il regarda passer la ville. A neuf heures, le vieil homme quitta la terrasse du café et se mit en route pour se rendre au musée adjacent. Quinze minutes plus tard, il y entra parmi la foule. Il débuta sa visite sans but précis, se pliant de bonne grâce à l’enchainement méthodique de l’exposition. Son intérêt personnel le poussait cependant à accorder une plus grande attention aux peintures. Il négligea ainsi une aile entière présentant des objets de la période byzantine, des poteries, des pièces de monnaies ainsi que des fragments de tombeaux ou d’édifices. Le vieil homme marchait lentement dans les allées, se faufilant patiemment à travers l’affluence du jour. Il constata toutefois avec bonheur que, du fait de son âge avancé, la majeure partie des badauds, par égards pour lui, facilitaient sa visite en s’écartant respectueusement sur son passage. Une jeune femme, tenant par la main le plus jeune de ses deux enfants, s’écarta même ostensiblement dans un grand sourire. Lorsque des tableaux de peintres renommés ornaient les galeries qu’il traversait, il s’attardait ou stoppait même sa progression. Dans la plupart d’entre elles il jaugeait l’atmosphère générale des œuvres par un bref coup d’œil jeté circulairement dès le franchissement du seuil. Il notait les couleurs, les contrastes, la chaleur particulière propagée par chaque œuvre relativement aux autres. De temps à autre, un détail aperçu au hasard sur un des tableaux du périmètre surprenait le vieil homme. Il s’en approchait alors avec une curiosité d’enfant et, en veillant à ce que les abords immédiats de l’œuvre soient vides de tout visiteur, s’accordait avec elle un tête-à-tête. Dans ce jeu d’approche et d’éloignement, il remarqua l’étrange vibration émise par ces œuvres qui, selon la position de l’observateur, communique des impressions changeantes. Quelle magie songea-t-il qu’un ensemble de traits, si nus et désuets sous la proximité du regard, puissent construire une telle harmonie lorsque les yeux les mêlent à une distance convenable. Le vieil homme poursuivit sa visite. Il parcourut la totalité des galeries du rez-de-chaussée et s’engagea dans l’escalier de pierres qui montait aux étages. La vive lumière du jour

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entrait par les larges fenêtres des paliers. Les vitres opacifiées laissaient deviner un ciel d’azur, les marches de l’escalier baignaient dans le soleil. Cette soudaine clarté, succédant à la pénombre des galeries du rez-de-chaussée qu’il quittait, l’aveugla et le troubla. Dès la première volée de marches il chercha la main courante et patienta quelques secondes, immobile, laissant quelques personnes plus jeunes ou plus valides le dépasser sur sa gauche. Après quoi il reprit son ascension et parvint au palier du premier étage où recommençait un enchainement de galeries. Une large double porte de chêne en marquait l’entrée. La porte, ouverte, contrastait par sa beauté avec l’aspect brut de la pierre de l’escalier. Juste avant le seuil, un panneau de bois noir posé à même le sol informait le visiteur de la nature des œuvres présentées sur ce premier étage. Le vieil homme fût heureux de constater que, selon le panneau de bois, l’étage ne contenait que des peintures. Parmi d’autres, des œuvres du début du 20ème siècle et notamment une série entière de paysages d’un artiste qu’il affectionnait particulièrement. Il s’en réjouit intérieurement, passa la porte, et s’engouffra dans la première salle, pénétrant à nouveau dans une semi-obscurité. Le vieil homme atteignit la galerie nord-est. Dès les premiers pas, une tonalité particulière lui apparut. La salle prenait en son centre des reflets d’or qui semblaient venir de la superposition de l’aube et du crépuscule. Confusion sublime des teintes. Dix paysages trouaient de leur lumière les quatre murs de la galerie. Dix tableaux d’un unique peintre. Dans chacun d’eux un ciel, un lac, des montagnes. Le vieil homme gagna le centre de la salle et demeura interloqué dans cette lumière. Trois ou quatre visiteurs croisaient autour de lui, décrivant des cercles dont il était le centre. Un léger vertige vrilla son équilibre. Il le combattit aisément et resta debout. Il regarda tour à tour chacun des paysages qu’il connaissait intimement. Tous se ressemblaient. Seule la lumière vibrante dans chaque scène se distinguait d’un tableau à l’autre. Leur ensemble évoquait toute la palette des lueurs du jour et ramenait à sa mémoire des pans de sa vie d’homme construits entre ce ciel, ce lac et ces montagnes. Dans le jour naissant, dans le jour finissant, dans la nuit, combien de fois ses yeux avaient dragué, le long du lac, les reflets sublimes balancés dans cet espace ? Il se souvint des jours heureux, des jours de peine. Debout, immobile, le vieil homme tournait sur lui-même, lentement, passant en revue chacun des paysages. Aux instants du jour qu’ils décrivaient, il superposait des fragments de sa vie. Son enfance, ses amours, tout était né dans ce cadre là, dans les rouges du levant et dans l’or du couchant. Son âme lui sembla s’écarteler entre ces dix piliers qui étaient ses fondations. Soudainement, sa gorge le fit souffrir, il respira avec gêne. Visiblement étreint par une émotion trop forte. Son cœur s’emballa, ses bras pendaient le long de son corps. Il tourna encore sur lui-même, de plus en plus rapidement, les images successives des tableaux formèrent une unique bande lumineuse. Puis tout se brouilla, il lui sembla que deux ou trois personnes venaient vers lui. Il ferma les yeux et sentit le poids de son corps basculer vers l’arrière, comme si un coup l’avait atteint. Ses lunettes furent arrachées dans la chute, il s’écrasa sur le tapis. Immédiatement, deux visiteurs témoins de l’incident accoururent et l’aidèrent à se relever. Un mot de réconfort et les deux visiteurs disparurent aussitôt, confus. Le vieil homme, debout, les jambes tremblantes, regardait ses lunettes sur le sol et le banc de bois au centre de la salle. Il ramassa ses lunettes. Bien plus tard, lorsqu’il quitta la galerie nord-est, le vieil homme se retourna et mesura une dernière fois, du regard, sa connivence avec les paysages. Il vit qu’au centre de la salle se tenait un homme âgé qui tourbillonnait sur lui-même. Les yeux grands ouverts, l’homme semblait sur le point de s’affaisser.

Utrecht

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Adonis et Venus Adonis avait enfin répondu, un long texte qui décrivait son travail et sa journée dans les moindres détails. Il rédigeait, à ce qu’elle pouvait comprendre, des catalogues raisonnés d’œuvres d’art. « Un catalogue raisonné ? Quelle raison pouvait-il y avoir dans un livre d’art ? » s’interrogeait Edelweiss . Plus elle lisait et relisait les mots d’Adonis , plus elle craignait de le rencontrer. Une pieuvre s’installait dans son ventre alors qu’elle décortiquait des mots savants, des tournures de phrases compliquées, des adjectifs et des noms inconnus. Tous ses messages, signés d’un A majuscule se terminaient par des « Au plaisir de vous rencontrer chère Cassandre » - « Ma belle Aphrodite » ou « Vénus que j’attends ». Dans le dernier texte, aux phrases alambiquées, il lui proposait un rendez-vous au café de la Clémence dans la vieille ville ou au musée d’Art et d’histoire de Genève. Vendredi 13, veneris dies, avait-il ajouté en italique, VOTRE JOUR-LE JOUR DE VENUS, avait-il écrit en majuscule. Ainsi, il avait décidé du jour et du lieu,ne lui laissant que le choix de l’heure. Vendredi était son jour de congé,c’était un signe du destin, elle accepta avec ravissement le rendez-vous et fixa, après avoir vérifié les horaires d’ouverture du musée, l’heure de la rencontre à 16h. Dans sa correspondance, elle ne dévoilait rien de son travail, qu’elle jugeait insipide. Elle disait le vent, la pluie, les bords du lac, l’eau qui se retire, les murs de la ville et à demi-mot, elle écrivait le désir d’un amant, la tendresse qu’elle espérait, la beauté qu’elle imaginait. Cette fois-ci, elle relut avec attention son message, hésita puis, audacieuse, signa : « Votre Vénus » Le jeudi qui précédait leur rencontre, (le jour de Jupiter, elle s’était renseignée sur la signification des jours de la semaine) en buvant son café, qu’elle aimait mousseux et très sucré, elle recevait l’ultime message d’ Adonis qui confirmait l’heure du rendez-vous et lui suggérait de monter l’escalier du musée, de tourner à droite, et de l’attendre près de la sculpture en marbre blanc d’Antonio Canova. Elle se souvenait de ce musée, qu’elle avait visité lorsqu’elle était petite, avec l’école ou avec ses parents. Lui revenaient en mémoire, les marches blanches qui menaient au bâtiment, le silence de grandes salles austères, des statues sans bras, des fresques colorées, des paysages d’orage, des portraits de vieillards qui la surveillaient d’un œil sévère. Vendredi, en début d’après-midi, elle passa une robe légère, mit un peu de mascara et partit tôt. Elle en profiterait pour faire une visite du musée avant de le rencontrer. La lourde porte s’ouvrait automatiquement. Elle tremblait un peu, peut-être à cause de cet homme, peut-être aussi parce que cet imposant musée l’impressionnait. Elle hésita de monter directement l’escalier pour aller voir la statue en marbre blanc. Comme elle avait les jambes flageolantes, le pouls affolé, elle bifurqua sur la gauche et entra dans une salle silencieuse et fraîchement repeinte en gris clair. Elle regarda une première gravure- un homme assis à une table, près d’une fenêtre mais pourtant plongé dans l’ombre semblait la dévisager, l’encourager à découvrir les autres gravures. C’est ce qu’elle fit, fascinée par une négresse blanche et des représentations de la mythologie qu’elle ne connaissait pas, par la luminosité d’une scène religieuse. Happée par les clairs-obscurs, par la finesse des traits utilisés, elle ne vit pas le temps s’écouler. Lorsqu’elle regarda sa montre, il était l’heure de se rendre au premier étage. Elle monta

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lentement la première série de marches, prenant soin de respirer et de calmer son appréhension, à la fois excitée et affolée, elle tourna à droite, continua l’ascension, marches après marches, respiration lente, presque bruyante. Enfin, elle l’aperçu. Il était grand, la regardait en souriant. Il semblait détendu, le bras droit le long du corps. Sa position, ses mains, son regard suscitaient tendresse et sentiment de sécurité. Ils ne se parlaient pas, se regardaient. Tête-à-tête silencieux, regards passionnés. Elle posait délicatement sa main sur sa joue, alors qu’il déposait la sienne sur ses reins. Un frisson parcouru le dos d’Edelweiss, elle lu la légende : « Vénus et Adonis. Antonio Canova (1757-1822) » Un chien se cachait derrière le couple mais l’homme n’était pas là ou était en retard. Elle examinait la feuille de vigne en souriant, le drapé de Vénus en réajustant sa robe. Afin de ne pas avoir l’air de l’attendre, elle passa dans la salle adjacente, où il n’était plus question de mains, de regards amoureux, de promesses sensuelles mais d’anges, de la Vierge, de miracles. Elle s’assit sur le banc, jambes croisées, face à la « pêche miraculeuse » de Konrad Witz. Elle regarda d’abord sa montre -il était vraiment en retard- puis inspecta le retable. Elle reconnu l’eau verte du lac, les Voirons, le Môle, et le Mont-Blanc. St Pierre -ce devait être St Pierre- était à la fois dans l’eau et sur la barque des pêcheurs. Le Christ drapé d’un tissu rouge marchait sur les eaux.Ses souvenirs des cours d’éducation religieuse s’étaient estompés, mais elle s’étonnait que cet épisode biblique fût représenté à Genève, elle demanderait quelques explications à Adonis Alors que ses yeux et son esprit s’évadaient vers les galets que léchait une eau transparente, elle entendit une voix, presque un chuchotement, qui la fit sursauter. -La sculpture de Canova ne vous plaît pas ? Elle détourna son regard du retable, se retourna et, troublée, répondit :

- Si, si … Je ne sais pas…Vous êtes en retard alors je me disais qu’en vous attendant…Vous êtes Adonis?

- Oui mais je ne suis pas de marbre. Je m’appelle Pierre, je ne suis pas un Saint non plus, excusez mon retard.

Il n’y avait plus aucun visiteur, il ne restait que le gardien à demi endormi, qui les observait et guettait une intrigue. Adonis, qui était habillé en noir et qui portait sous le bras un catalogue (peut-être raisonné), chuchota à l’oreille d’ Edelweiss que le musée allait fermer. Ils avaient juste le temps de traverser quelques salles, il allait lui montrer une ou deux peintures de son peintre préféré, Ferdinand Hodler. Vénus

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Il pleut des cordes. Pas envie de mettre le nez dehors. Allumer l’ordinateur. Lancer le moteur de recherche. Dans les tréfonds de la machine Arachné tisse sa toile. Résultat 1 à 10 sur un total d’environ 25 700 000 pour musée (0,25 secondes). Affiner la recherche : résultat 1 à 10 sur un total de 5 050 000 pour musée, Genève (0,29 secondes). Découvrir que « Genève possède plus de quarante musées publics et privés ainsi que de nombreuses galeries d’art ». Parcourir la liste. Se décider pour une visite virtuelle au Musée d’art et d’histoire de Genève. {HYPERLINK "http://www.ville‐ge.ch/mah"}, cliquer sur le lien. Promener rapidement son regard sur la page d’accueil. Apprendre que « Genève est la seule ville suisse disposant d’un musée encyclopédique, réunissant des témoins essentiels de toute la culture occidentale, des origines à nos jours ». S’arrêter sur la dernière ligne de la page qui annonce le nouvel accrochage du département des beaux-arts. Volonté de télécharger les images. Réponse de la machine : misssion impossible. Internet explorer est en cause. Limites du virtuel. Déplacer le regard sur la droite de l’écran, parcourir les actualités. « le Musée d’art et d’histoire fête ses 100 ans », cliquer sur le lien. Visionner la vidéo datant de 1927. Partir pour un voyage dans le temps, durée : 00 :10 :45. Retour au présent avec la lecture de l’actualité : « appel à contribution – concours médaille centenaire – concours d’écriture – concours de dessins – parcours du centenaire », le musée n’a rien d’une belle endormie. Un concours d’écriture, pourquoi pas ? Ouvrir microsoft word, taper quelques lignes, chercher l’inspiration. Visiter à nouveau le site du musée, glâner encore quelques informations. Finalement se décider à sortir malgré la pluie. Consulter les horaires en ligne. Trop tard, l’heure de fermeture approche. Remettre au lendemain la visite sur le terrain. Se réjouir de redécouvrir le musée au travers des festivités du centenaire. xyz

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Il était un peu plus de dix heures lorsque la pluie s'arrêta. Je fermai le parapluie et pu enfin voir la façade du Musée d'art et d'histoire de Genève dans son entier. C'était donc là, bientôt cent ans déjà, que ma mère alors nettoyeuse avait trouvé ça. Ca c'était dans ma main, un bout de doigt en pierre beige et ceint d’une alliance d’or. Je gravis les marches et pénétrait dans l'édifice. Pendant toute notre enfance, à Mantova, pas un jour ou nous n'entendîmess la ritournelle de ma mère "Le musée d'art et d'histoire, cette grande maison où un jour…". A force, le musée était devenu palais, manquait la princesse qui devait m'attendre. Malgré tout, l'entrée me déçut, un grand vide droit devant aspira les histoires et espoirs enfantins et surtout je perdis les repères de ma mission. Le décès de ma mère, la découverte de la lettre posthume où elle nous priait de remettre en place ce doigt, les interminables discussions avec la fratrie éparpillée sur le monde prirent quelques années, et finirent par me désigner. J’étais celui qui habitait le plus prêt du but, le plus disponible, et le plus véloce des retraités. Dans les poches de mon manteau je tâtais les outils emballés dans une vieille chaussette. Je descendis l'escalier de gauche, l'imaginant, elle, son seau, sa brosse et balai, toujours en dehors des heures d'ouverture, effaçant les nouvelles traces sur le sol et épargnant les anciennes suspendues aux murs, ne comprenant pas bien pourquoi ces os en vitrine, ces panneaux colorés sur des chevalets attiraient les foules. Insensible à cette religion nouvelle elle effaçait les empreintes du pèlerinage incessant. Et c’est bien plus que le hasard qui forçat nos destins. Notre père disparu disparu au début de la deuxième guerre, ma mère alors en profita pour échapper à sa belle-famille. Elle parti avec sa bande de petits pour la Suisse. Cette tentative avorta et nous nous réfugiâmes à Mantova. Ce n’est qu’adolescent, que j’ai compris qu'elle s’était trouvée à Genève bien avant la guerre, y avait travaillé et vécu avant de connaître notre père. Sa vie helvétique, pris au fil du temps de plus en plus d’importance dans ses récits. Son testament n’en fut que le point d’orgue explicatif. Des explications, j’en aurais eu bien besoin en ce moment pour retrouver l’escalier après quatre-vingts ans de travaux. Revenons à ma mère, je situe vers mille-neuf-cents quinze ou vingt son épopée. Elle astiquait les escaliers et les balustrades de bas en haut, levait à peine les yeux sur les statues, les tableaux et les autres employés. Elle se sentait chez elle et parfois jetait un coup d’œil interrogatif sur ce Christ flottant sur le Léman, doutant alors de son éducation religieuse, son regard glissait sur le sol. L’eau grise des ses récurages successifs, elle l’envoyait dans les wc dames à la turque du rez-de-chaussée et nourrissait ainsi l’espoir d’une autre vie en Italie. Un soir alors qu’elle allait vider son seau de fer blanc, elle perçut en l’inclinant, un son surprenant. Intriguée elle plongea la main dans l’eau noirâtre et en retira un petit paquet de tissu goudronné fermé par un gros nœud. Voici ce qu’en dit la lettre testimoniale de ma mère: « Ma première réaction fut la colère. Qui a mis ce machin dans mon seau sans que je le voie ? Ensuite la curiosité, je défis facilement le paquet, il contenait une petite enveloppe que j’ouvris. Je découvris une lettre et une clef. Il était écrit : « Chère Admira, voilà des jours que j’essaye en vain de croiser votre regard. J’ai même hésité à me coucher sur les marches pour que vous me remarquiez, mais n’en ai pas eu l’audace, et j’aurais craint que vous me teniez pour fou. Je vous trouve tellement unique et aimerait vous guider, ou tout au moins vous ouvrir la porte sur d’autres beautés que les rondeurs de la main-courante. Essayant de toucher votre âme et votre cœur, j’ose vous proposer un

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parcours nocturne dans cette vaste maison, et pour ce faire, je vous donne cette clef. Elle ouvre la porte latérale, la dernière que vous nettoyez avant de vider votre seau. Je vous y attendrai avec bienveillance ce dimanche à 20h. Votre ami en devenir.» La lecture, ce n’était pas tout à fait ma priorité et surtout en français. Nous étions un mercredi, et ce n’est que le samedi, après avoir demandé à mes amies une traduction de quelques mots par-ci par-là que je compris que ça m’était bien adressé, que c’était gentil et étrange. Etrange comme moi et bon après deux ans à lessiver les escaliers je désirais un peu d’aventure. Vous me comprenez ? Je me trouvai donc à m’introduire à la dérobade dans mon lieu de labeur. Oubliant l’élémentaire prudence, peut-être la première des deux fois ou je fonçai tête baissée, mue par je ne sais quelle passion. A peine le seuil franchi, je me trouvai face à un grand gaillard tenant une lanterne que je n’avais jamais vu. -Shut ! fit-il. Je suis heureux de vous voir. Nous pourrons parler plus tard, le gardien de nuit va commencer sa tournée. Il prit d’autorité mon bras. Nous grimpâmes en silence les étages. Arrivant tout en haut de ce que je connaissais, il me demanda la clef et l’introduisit dans le trou d’une boiserie qui pivotât, libérant un escalier minuscule. Il me fit passer devant lui, referma la porte et me donna la lanterne. Il était encore plus courbé que moi. Après de nombreuses marches je m’arrêtai devant une porte métallique, il me dit de la pousser doucement. Nous débouchâmes sur le toit du Musée. Le ciel était dégagé, paré de myriades d’étoiles. Je n’en finis pas de sentir ma finitude. Durant de longues minutes silencieuses, j’étais prête à accepter l’impossible, je vagabondai sur la Lune et me perdis dans la voie lactée. A la suite d’un bruit sec et sableux, je revins. L’inconnu s’approcha de moi tenant un doigt qu’il avait détaché d’une des statues surplombant la rue. Il sorti une alliance de sa poche, la passa au doigt, me le donna. -Ce sera notre alliance. Quand elle touchera à sa fin, je vous demande juste de tout faire pour la remettre en place. -Mais? -Ne vous inquiétez pas, vous saurez quand le moment sera venu. La visite nocturne se poursuivit, les détails n’ont plus vraiment d’importance, nous évitâmes plusieurs fois le gardien et je découvris, à la lueur d’une lanterne des beautés dans les couleurs, des douceurs dans les marbres qui me bouleversèrent. Il n’y eut pas de lendemain à cette rencontre. Je continuai longtemps à le chercher dans le musée sans jamais le revoir. Mais j’ai gardé jusqu’à présent ce doigt orphelin. Je vous demande, à vous tous ma bien aimée petite fratrie, de le remettre en place afin qu’il touche à nouveau le ciel, et que je me laisse aller à une autre alliance. » Et me voilà à mon tour très chère mère, que je balaye du regard les boiseries à la recherche d’un trou, ou de sa trace. Courageusement, je me dirige vers un surveillant. -Bonjour, pouvez-vous me dire s’il on peut monter sur le toit ? -Dans le temps, il paraît qu’un escalier y menait depuis la salle sur votre droite. Je ne me souviens pas de l’avoir remercié, mais j’aurais dû. Je me senti guidé, j’ai trouvé le panneau, grimpé péniblement les marches et fixé tant bien que mal le doigt qui caresse désormais la voûte céleste où se trouve, j’en suis certain, ma mère. Yabuno

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Visite de l’Homme moderne au musée d’art et d’histoire La brûlure refait surface. Dans la gorge d’abord. C’est profond et tranchant. Elle descend certains jours jusqu’au cœur. A ce stade là, ça le ravage. Elle le consume. Mais quinze à vingt fois par jour, elle s’en tient à la gorge. Il la consume. En mouvement, ou pas. Qu’il soit pressé n’a pas vraiment d’importance. En toile de fond la ville qui défile. Et la vie aussi, qui le talonne de près. Un torrent d’images dans la tête, il est toujours prêt à tout : un orage, un carnage, un ravage. Dans sa tête résonne une phrase qui lui semble vide de sens. Elle fait des vagues à la surface de sa petite tête fatiguée : « On va tous devoir servir quelqu’un. » La tapisserie qui compose sa vie se décolle peu à peu. Quelque chose cloche. Et quand quelque chose cloche, il va faire un tour au musée d’art et d’histoire de Genève. C’est peut-être le seul détail qui le raccroche encore à lui-même. D’autres vont chercher la lumière à l’église ou en haute montagne. Lui, c’est devant un Calame qu’il se calme. Tout petit déjà il se rappelle de cette toile et demande à revenir la voir. Il voudrait être englouti par cette vision apocalyptique. Il rêvait d’être un sauvage, un ermite. Je ne vais pas bien, mais il faut que j’y aille pense t’il tout haut. Une fois sorti du musée, il s’allume une dernière cigarette, descend le boulevard Jacques Dalcroze et disparaît. Pseudonyme : Zoé