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CONSEIL D'ETAT statuant au contentieux N° 382083 __________ COMMISSION NATIONALE DES COMPTES DE CAMPAGNE ET DES FINANCEMENTS POLITIQUES c/ Mme Mathieu et société éditrice de Mediapart __________ Mme Anne Iljic Rapporteur __________ Mme Aurélie Bretonneau Rapporteur public __________ Séance du 13 mars 2015 Lecture du 27 mars 2015 __________ REPUBLIQUE FRANÇAISE AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS Le Conseil d'Etat statuant au contentieux Sur le rapport de la 10ème sous-section de la section du contentieux Vu la procédure suivante : Mme Mathilde Mathieu et la société éditrice de Mediapart ont demandé au tribunal administratif de Paris : - d’enjoindre à la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques (CNCCFP), par une décision avant dire droit, de lui communiquer certains documents relatifs à la procédure de contrôle des comptes de la campagne présidentielle menée par M. Nicolas Sarkozy en 2007, c'est-à-dire, d’une part, le questionnaire adressé par les rapporteurs de la CNCCFP à MM. Sarkozy et Woerth daté du 10 septembre 2007, ainsi que les réponses formulées par ces derniers à ce questionnaire, datées des 2, 23 et 25 octobre 2007 ; d’autre part la lettre d’observations adressée par les rapporteurs de la CNCCFP à MM. Sarkozy et Woerth, datée du 31 octobre 2007, ainsi que la réponse formulée par ces derniers à cette lettre, datée du 12 novembre 2007 ; - d’annuler la décision du 12 juillet 2012 par laquelle le président de la CNCCFP a rejeté leur demande tendant à la communication de ces documents ;

Conseil Etat-Mediapart vs Cnccfp

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Arrêt du conseil d'Etat du 27 mars 2015

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  • CONSEIL D'ETAT statuant au contentieux

    N 382083 __________ COMMISSION NATIONALE DES COMPTES DE CAMPAGNE ET DES FINANCEMENTS POLITIQUES c/ Mme Mathieu et socit ditrice de Mediapart __________ Mme Anne Iljic Rapporteur __________ Mme Aurlie Bretonneau Rapporteur public __________ Sance du 13 mars 2015 Lecture du 27 mars 2015 __________

    REPUBLIQUE FRANAISE

    AU NOM DU PEUPLE FRANAIS

    Le Conseil d'Etat statuant au contentieux

    Sur le rapport de la 10me sous-section

    de la section du contentieux

    Vu la procdure suivante : Mme Mathilde Mathieu et la socit ditrice de Mediapart ont demand au

    tribunal administratif de Paris : - denjoindre la Commission nationale des comptes de campagne et des

    financements politiques (CNCCFP), par une dcision avant dire droit, de lui communiquer certains documents relatifs la procdure de contrle des comptes de la campagne prsidentielle mene par M. Nicolas Sarkozy en 2007, c'est--dire, dune part, le questionnaire adress par les rapporteurs de la CNCCFP MM. Sarkozy et Woerth dat du 10 septembre 2007, ainsi que les rponses formules par ces derniers ce questionnaire, dates des 2, 23 et 25 octobre 2007 ; dautre part la lettre dobservations adresse par les rapporteurs de la CNCCFP MM. Sarkozy et Woerth, date du 31 octobre 2007, ainsi que la rponse formule par ces derniers cette lettre, date du 12 novembre 2007 ;

    - dannuler la dcision du 12 juillet 2012 par laquelle le prsident de la

    CNCCFP a rejet leur demande tendant la communication de ces documents ;

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    - denjoindre la CNCCFP de communiquer Mme Mathieu les documents demands dans un dlai dun mois compter de la notification de son jugement, sous astreinte de 150 euros par jour.

    Par un jugement n 1216457/6-1 du 31 janvier 2014, le tribunal administratif

    de Paris a ordonn, avant dire droit, que la CNCCFP lui communique les documents en litige. Par un jugement n 1216457/6-2 du 3 juin 2014, le tribunal administratif de

    Paris, aprs avoir pris connaissance des documents en litige, a fait droit la demande de Mme Mathieu et de la socit ditrice de Mediapart, condition, sagissant des listes de donateurs et des contrats de travail des cadres et employs de la campagne prsidentielle de M. Sarkozy, que soient occults certains lments permettant lidentification des intresss.

    Par un pourvoi et deux mmoires en rplique, enregistrs les 2 juillet et

    31 octobre 2014 ainsi que le 9 mars 2015 au secrtariat du contentieux du Conseil dEtat, la CNCCFP demande au Conseil dEtat dannuler ce jugement n 1216457/6-2 du 3 juin 2014 du tribunal administratif de Paris.

    Vu les autres pices du dossier ; Vu : - la Constitution ; - la loi organique n 62-1292 du 6 novembre 1962 ; - le code lectoral ; - la loi n 79-753 du 17 juillet 1978 ; - le code de justice administrative ;

    Aprs avoir entendu en sance publique : - le rapport de Mme Anne Iljic, auditeur, - les conclusions de Mme Aurlie Bretonneau, rapporteur public ; La parole ayant t donne, avant et aprs les conclusions, la SCP Monod,

    Colin, Stoclet, avocat de la socit ditrice de Mediapart et de Mme Mathieu ; Vu la note en dlibr, enregistre le 13 mars 2015, prsente pour

    Mme Mathieu et la socit ditrice de Mediapart ;

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    1. Considrant quil ressort des pices du dossier soumis aux juges du fond que Mme Mathilde Mathieu et la socit ditrice de Mediapart ont demand la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques de leur communiquer un certain nombre de documents relatifs la procdure dinstruction du compte de la campagne prsidentielle mene en 2007 par M. Nicolas Sarkozy ; quen labsence de rponse de la CNCCFP, Mme Mathieu et la socit ditrice de Mediapart ont saisi la commission daccs aux documents administratifs, qui sest prononce en faveur de la communication de ces documents par un avis du 7 juin 2012, sous rserve de loccultation des noms et prnoms des personnes physiques autres que le candidat et que les rapporteurs, en particulier ceux des permanents mis disposition des partis politiques et des donateurs ainsi que de loccultation des raisons sociales des entreprises ; qu la suite de la dcision du 12 juillet 2012 par laquelle le prsident de la CNCCFP a rejet leur demande tendant la communication de ces documents, Mme Mathieu et la socit ditrice de Mediapart ont saisi le tribunal administratif de Paris dun recours contre cette dcision ; que la CNCCFP se pourvoit en cassation contre le jugement du 3 juin 2014 par lequel le tribunal administratif de Paris, aprs avoir ordonn la production devant lui des documents en litige par un jugement avant dire droit du 31 janvier 2014 devenu dfinitif, a annul cette dcision du 12 juillet 2012 du prsident de la CNCCFP et enjoint cette dernire de procder la communication des documents en litige condition, sagissant des listes de donateurs et des contrats de travail des cadres et employs de la campagne prsidentielle de M. Sarkozy, que soient occults certains lments permettant lidentification des intresss ;

    Sur lautorit de la chose juge par le jugement avant dire droit du

    31 janvier 2014 : 2. Considrant que lorsquil est saisi dun litige relatif la communication de

    documents, il appartient au juge administratif de requrir le cas chant des administrations comptentes la production de tous les documents ncessaires la solution des litiges qui lui sont soumis, la seule exception de ceux qui sont couverts par un secret garanti par la loi, afin notamment de sassurer de lapplicabilit des dispositions invoques par les parties ou de la communicabilit de ces documents ; que si le caractre contradictoire de la procdure exige la communication chacune des parties de toutes les pices produites au cours de l'instance, cette exigence est ncessairement exclue en ce qui concerne les documents dont le refus de communication constitue l'objet mme du litige ; que lorsque le juge administratif sest ainsi born, par une dcision avant dire droit, prescrire que des documents lui soient communiqus sans les soumettre au dbat contradictoire, les motifs par lesquels il a pu le cas chant examiner, y compris doffice, lapplicabilit des dispositions invoques au soutien de la demande de communication qui lui est soumise ou la communicabilit des documents en cause ne peuvent tre regards comme le soutien ncessaire du dispositif adopt ; quil demeure en consquence dans tous les cas loisible aux parties de discuter, loccasion tant du jugement rglant au fond le litige que du recours ventuellement dirig contre ce dernier, lensemble des moyens soulevs, y compris ceux auxquels il aurait t expressment rpondu dans la dcision avant dire droit devenue dfinitive ;

    3. Considrant quil ressort des termes mme du jugement avant dire droit du

    31 janvier 2014 mentionn au point 1 de la prsente dcision que le tribunal administratif de Paris sest born prescrire que lui soient communiqus les documents relatifs linstruction par la CNCCFP du compte de la campagne prsidentielle mene en 2007 par M. Sarkozy ; quen raison de la nature particulire de la mesure dinstruction ainsi prononce, le caractre dfinitif acquis par ce jugement avant dire droit, faute pour les parties de stre pourvues en cassation, ne fait pas obstacle, contrairement ce qui est soutenu, ce que soit discute devant le juge de cassation lapplicabilit au litige des dispositions invoques par les parties ;

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    Sur la rgularit du jugement attaqu : 4. Considrant quil ressort du sixime considrant du jugement avant dire

    droit du 31 janvier 2014 du tribunal administratif de Paris que ce dernier a expressment examin le moyen tir de ce que la communication des documents en litige porterait atteinte au secret des dlibrations de la CNCCFP ; quil suit de l que le moyen tir de ce que le tribunal administratif de Paris, qui ntait pas tenu dexaminer une nouvelle fois ce moyen, aurait pour ce motif entach le jugement attaqu dinsuffisance de motivation ne peut qutre cart ;

    Sur le bien-fond du jugement attaqu : En ce qui concerne lapplicabilit au litige de la loi du 17 juillet 1978 : 5. Considrant quaux termes de larticle 6 de la Constitution : Le Prsident

    de la Rpublique est lu pour cinq ans au suffrage universel direct. / Nul ne peut exercer plus de deux mandats conscutifs. / Les modalits d'application du prsent article sont fixes par une loi organique. ; quil rsulte de ces dispositions que le constituant a rserv au lgislateur organique la dtermination de lensemble des modalits de llection du Prsident de la Rpublique au suffrage universel ainsi que de son contrle ; que parmi ces modalits figurent les rgles applicables aux dpenses lectorales, leur financement et leur remboursement ainsi que les conditions dans lesquelles l'Etat s'assure de leur respect ; qu cette fin, larticle 3 de la loi organique du 6 novembre 1962 relative llection du Prsident de la Rpublique au suffrage universel confie la CNCCFP, sous le contrle du Conseil constitutionnel, la mission dapprouver, de rejeter ou de rformer les comptes de campagne des candidats cette lection et prcise ses pouvoirs, la procdure applicable ainsi que les obligations des candidats llection prsidentielle pour la mise en uvre de cette mission ; quen revanche ne relve pas des modalits dapplication de larticle 6 de la Constitution, ni par consquent de la loi organique, la dtermination du rgime de communication des documents produits ou reus par la CNCCFP dans le cadre de sa mission de contrle des comptes de campagne des candidats une lection prsidentielle ;

    6. Considrant quaux termes de larticle 1er de la loi du 17 juillet 1978 portant

    diverses mesures damlioration des relations entre ladministration et le public et diverses mesures dordre administratif, fiscal et social : Sont considrs comme documents administratifs () quels que soient leur date, leur lieu de conservation, leur forme et leur support, les documents produits ou reus, dans le cadre de leur mission de service public, par l'Etat, les collectivits territoriales ainsi que par les autres personnes de droit public ou les personnes de droit priv charges d'une telle mission. ; quaux termes de larticle 2 de la loi du 17 juillet 1978 : Le droit communication ne concerne pas les documents prparatoires une dcision administrative tant qu'elle est en cours d'laboration. ; que les I et II de larticle 6 de la mme loi prvoient respectivement les cas dinterdiction de procder la communication de certains documents administratifs, au nombre desquels figurent notamment les documents dont la consultation ou la communication serait susceptible de porter atteinte au droulement des procdures engages devant les juridictions ou d'oprations prliminaires de telles procdures, sauf autorisation donne par l'autorit comptente et les cas dans lesquels cette communication doit tre limite lintress ;

    7. Considrant que l'ensemble des documents qui justifient les critures

    figurant dans le compte de campagne d'un candidat l'lection prsidentielle et permettent la CNCCFP de s'assurer de sa rgularit, sont produits ou reus par cette autorit administrative

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    indpendante dans le cadre de la mission de contrle des comptes de campagne qui lui a t confie par le lgislateur organique en vue de garantir lgalit entre les candidats ; quils sont dpourvus de tout caractre juridictionnel ; que, par consquent, ces pices constituent des documents administratifs qui ne peuvent tre rgis, en labsence de disposition lgislative particulire, que par la loi du 17 juillet 1978 ; quil rsulte de ce qui a t dit au point 6 de la prsente dcision que ces documents sont exclus du droit communication jusqu lexpiration du dlai de recours contre la dcision de la CNCCFP rejetant, approuvant ou rformant le compte de campagne dun candidat llection prsidentielle ou, le cas chant, jusqu lintervention de la dcision rendue par le Conseil constitutionnel sur le recours form contre cette dcision ; quil en va autrement aprs cette date, compter de laquelle il appartient seulement la CNCCFP, saisie dune demande de communication de tels documents, de rechercher si les dispositions qui leur sont applicables permettent dy faire droit ;

    En ce qui concerne les moyens tirs de la mconnaissance de larticle 6 de la

    loi du 17 juillet 1978 : 8. Considrant, en premier lieu, quaux termes du II de larticle 6 de la loi du

    17 juillet 1978, ne sont communicables qu lintress les documents administratifs faisant apparatre le comportement d'une personne, ds lors que la divulgation de ce comportement pourrait lui porter prjudice. ;

    9. Considrant quil ressort des pices du dossier soumis aux juges du fond

    quen excution du jugement avant dire droit du 31 janvier 2014 du tribunal administratif de Paris, la CNCCFP a produit devant ce tribunal les lettres dobservations adresses les 10 septembre et 31 octobre 2007 par les rapporteurs de la Commission M. Sarkozy et M. Woerth en sa qualit de prsident de son association de financement lectorale, ainsi que les rponses de ce dernier dates des 2, 23 et 25 octobre et du 12 novembre 2007, accompagnes dune partie seulement de leurs annexes ; quainsi que lont relev les juges du fond, ces documents, qui contiennent des demandes de justifications purement techniques des rapporteurs de la CNCCFP relatives certaines dpenses ainsi que les rponses apportes ces demandes, accompagnes le cas chant de pices justificatives, ne font pas apparatre un comportement des intresss de nature leur porter prjudice ; quil suit de l que le tribunal administratif de Paris, qui na pas dnatur les pices du dossier, na pas entach son jugement derreur de qualification juridique sur ce point ;

    10. Considrant, en second lieu, quaux termes du III de larticle 6 de la loi du

    17 juillet 1978 : Lorsque la demande porte sur un document comportant des mentions qui ne sont pas communicables en application du prsent article mais qu'il est possible d'occulter ou de disjoindre, le document est communiqu au demandeur aprs occultation ou disjonction de ces mentions. ; que, saisi dun moyen relatif lapplication de ces dispositions, il appartient au juge administratif dapprcier le caractre divisible des mentions couvertes par le secret du reste des mentions contenues dans le document dont la communication est demande ;

    11. Considrant quil ressort des pices du dossier soumis au juges du fond que

    les listes des donateurs de sommes suprieures 3 000 euros annexes aux rponses adresses par M. Woerth la CNCCFP en date des 23 et 25 octobre 2007 sont constitues dune liste de noms auxquels sont associs les lieux de rsidence ainsi que le montant des dons consentis par les intresss au profit de la campagne lectorale de M. Sarkozy ; que, contrairement ce qui est soutenu, loccultation des mentions nominatives contenues dans ces documents, dont la communication serait susceptible de porter atteinte la protection de la vie prive des donateurs et qui sont divisibles du reste des mentions quils contiennent, na pas pour effet den dnaturer

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    le sens ; quil suit de l que le moyen tir de ce que le tribunal administratif de Paris aurait dnatur les pices du dossier et commis une erreur de droit en jugeant que ces listes des donateurs taient communicables moyennant occultation des mentions nominatives quelles comportent doit tre cart ;

    12. Considrant quil rsulte de tout ce qui prcde que la CNCCFP nest pas

    fonde demander lannulation du jugement quelle attaque ; quil y a lieu, dans les circonstances de lespce, de mettre la charge de lEtat une somme de 3 500 euros verser Mme Mathieu et la socit ditrice de Mediapart sur le fondement des dispositions de larticle L. 761-1 du code de justice administrative ;

    D E C I D E : --------------

    Article 1er : Le pourvoi de la CNCCFP est rejet. Article 2 : LEtat versera Mme Mathieu et la socit ditrice de Mediapart une somme de 3 500 euros au titre des dispositions de larticle L. 761-1 du code de justice administrative. Article 3 : La prsente dcision sera notifie la Commission nationale des comptes de campagne, Mme Mathilde Mathieu, la socit ditrice de Mediapart, M. Nicolas Sarkozy et M. Eric Woerth. Copie pour information en sera adresse au Premier ministre.