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 Directeur de la publication : Edwy Plenel Samedi 22 Novembre www.mediapart.fr Ce document est à usage strictement individuel et sa distribution par Internet n’est pas autorisée. Merci de vous adresser à [email protected] si vous souhaitez le diffuser.1/43 Sommaire Le ministre Kader Arif démissionne LE VENDREDI 21 NOVEMBRE 2014 | PAR MATHIEU MAGNAUDEIX ET MICHEL DELÉAN p. 5 Radicalisation religieuse: l’Education nationale dérape PAR LUCIE DELAPORTE p. 6 Philippe Marlière, affligé mais combatif  PAR HUBERT HUERTAS ET MARTINE ORANGE p. 7 Aux Etats-Unis, Obama annonce la régularisation de millions d'immigrés illégaux PAR THOMAS CANTALOUBE p. 8 La société civile africaine se rebelle contre l'accord de libre-échange UE-Afrique  PAR FANNY PIGEAUD p. 11 Grigory Sokolov, le piano fait homme et vice versa PAR ANTOINE PERRAUD p. 13 Le futur congrès sort le PS d'un coma profond PAR STÉPHANE ALLIÈS p. 16 Mort d'Ali Ziri : l'avocat général demande un supplément d'enquête PAR LOUISE FESSARD p. 17 La banque HSBC mise en examen pour « blanchiment de fraude fiscale » PAR DAN ISRAEL p. 18 Expo sur l'Oulipo: la littérature est un sport de combat PAR ANTOINE PERRAUD p. 20 Sivens : nouvelle plainte déposée contre le projet de barrage PAR JADE LINDGAARD p. 21 Prix Interallié. Mathias Menegoz, voyage au bout de la lignée PAR DOMINIQUE CONIL p.22 Le groupe nucléaire Areva est en perdition PAR MARTINE ORANGE p.25 Un oléoduc géant menace le Canada et l’Europe PAR THOMAS CANTALOUBE p. 27 Climat: les lenteurs et contradictions de la politique américaine PAR IRIS DEROEUX p. 30 Navires Mistral: la Lettonie juge l'opération «désastreuse» PAR AMÉLIE POINSSOT p. 32 Les Argentins ne voient toujours pas la fin de la crise PAR JEAN-BAPTISTE MOUTTET p.34 Un enseignant se dit sanctionné pour avoir dénoncé des préjugés islamophobes  PAR LUCIE DELAPORTE p. 36 A Angers, la droite «éduquée» veut redorer le blason UMP PAR ELLEN SALVI p. 40 Pénalités réglées par l’UMP: Sarkozy a-t-il déclaré cette faveur au fisc?  PAR MATHILDE MATHIEU p. 41 Sarkozy-Kadhafi : la vérité qu’ils veulent étouffer PAR EDWY PLENEL

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SommaireLe ministre Kader Arif démissionneLE VENDREDI 21 NOVEMBRE 2014 | PAR MATHIEU MAGNAUDEIX ET MICHEL DELÉAN

p. 5 Radicalisation religieuse: l’Education nationaledérapePAR LUCIE DELAPORTE

p. 6 Philippe Marlière, affligé mais combatif  PAR HUBERT HUERTAS ET MARTINE ORANGE

p. 7 Aux Etats-Unis, Obama annonce la régularisationde millions d'immigrés illégaux PAR THOMAS CANTALOUBE

p. 8 La société civile africaine se rebelle contrel'accord de libre-échange UE-Afrique PAR FANNY PIGEAUD

p. 11 Grigory Sokolov, le piano fait homme et viceversa PAR ANTOINE PERRAUD

p. 13 Le futur congrès sort le PS d'un coma profondPAR STÉPHANE ALLIÈS

p. 16 Mort d'Ali Ziri : l'avocat général demande un

supplément d'enquête PAR LOUISE FESSARD

p. 17 La banque HSBC mise en examen pour «blanchiment de fraude fiscale » PAR DAN ISRAEL

p. 18 Expo sur l'Oulipo: la littérature est un sport decombat PAR ANTOINE PERRAUD

p. 20 Sivens : nouvelle plainte déposée contre le projetde barrage PAR JADE LINDGAARD

p. 21 Prix Interallié. Mathias Menegoz, voyage au boutde la lignée PAR DOMINIQUE CONIL

p. 22 Le groupe nucléaire Areva est en perditionPAR MARTINE ORANGE

p. 25 Un oléoduc géant menace le Canada et l’EuropePAR THOMAS CANTALOUBE

p. 27 Climat: les lenteurs et contradictions de lapolitique américaine PAR IRIS DEROEUX

p. 30 Navires Mistral: la Lettonie juge l'opération«désastreuse» PAR AMÉLIE POINSSOT

p. 32 Les Argentins ne voient toujours pas la fin de lacrise PAR JEAN-BAPTISTE MOUTTET

p. 34 Un enseignant se dit sanctionné pour avoir

dénoncé des préjugés islamophobes PAR LUCIE DELAPORTE

p. 36 A Angers, la droite «éduquée» veut redorer leblason UMP PAR ELLEN SALVI

p. 40 Pénalités réglées par l’UMP: Sarkozy a-t-ildéclaré cette faveur au fisc? PAR MATHILDE MATHIEU

p. 41 Sarkozy-Kadhafi : la vérité qu’ils veulentétouffer PAR EDWY PLENEL

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Le ministre Kader Arif démissionneLE VENDREDI 21 NOVEMBRE 2014 | PAR MATHIEU MAGNAUDEIXET MICHEL DELÉAN

De gauche à droite: Jean-Yves Le Drian (ministre dela défense), François Hollande, Kader Arif © Reuters

Le secrétaire d'État Kader Arif a présenté sa démission cevendredi, au lendemain des révélations de Mediapart. Uneperquisition l'avait visé le 6 novembre, dans une enquête sur desmarchés passés par le conseil régional de Midi-Pyrénées à unesociété dont les associés sont le frère, la belle-sœur ou les neveuxdu secrétaire d'État aux anciens combattants.

Jusqu'ici, Kader Arif disait n'être « absolument pas » concernépar l'enquête judiciaire sur les sociétés de certains de ses proches,enquête préliminaire ouverte le 10 septembre à Toulouse. « Cesont des affaires qui ne me concernent absolument pas » , avait-

il déclaré aux médias le 11 septembre, en marge d'une visiteministérielle dans le Pas-de-Calais. Pourtant, ce vendredi matin,au lendemain de nos révélations, le secrétaire d'État aux ancienscombattants a présenté sa démission à Manuel Valls et à FrançoisHollande.

En tout début d'après-midi, alors même que le ministre n'a pas étémis en examen, l'Elysée a annoncé avoir accepté cette démission« afin d’apporter toutes les précisions visant à l’établissement de la vérité dans le cadre de l’enquête préliminaire menée par le parquet financier dans laquelle son nom est cité ». Uneformulation qui semble indiquer que les enquêteurs ont établiun lien entre Kader Arif et les sociétés en question. « Mon nom

est cité dans le cadre d’une enquête préliminaire », a confirméKader Arif dans un communiqué adressé vendredi à l'AgenceFrance Presse. Kader Arif, qui était chargé des commémorationsdu centenaire de la guerre de 1914-1918, dit avoir démissionné« par respect pour la fonction ministérielle . « Cette décisionest aussi l'expression de ma loyauté totale au président de la République et au Premier ministre », ajoute-t-il. Selon l'AFP,l'entretien entre le chef de l'Etat et son ministre, vendredi matin,se serait mal passé. Sollicité par nos soins sur les conditions dela démission de Kader Arif, l'Elysée ne nous a pas rappelé.

Le sénateur socialiste de Moselle Jean-Marc Todeschini, hommefort du parti en Lorraine, a été nommé pour remplacer Kader Arif – nous l'avions épinglé en 2011, Todeschini employant sa fillecomme collaboratrice.

Au PS, les réactions ne se sont pas bousculées vendredi. « C'est logique avec la culture de la transparence voulue par François Hollande. C'est bien qu'il puisse s'expliquer sans que celainterfère sur le travail du gouvernement », s'est félicité CorineNarassiguin, porte-parole du PS. « Personne n'est au-dessus deslois en France. La justice fait son travail. La démission de Kader  Arif, c'est la République exemplaire », a également commenté ledéputé PS Alexis Bachelay, un des rares à s'exprimer. « Arif était au gouver nement pour la simple raison qu'il est le "factotum" de Hollande qui a rendu des services pendant quinze ans, réagit unautre parlementaire socialiste, proche de l'aile gauche du PS. Onne va pas le pleurer ou le regretter. »

De gauche à droite: Jean-Yves Le Drian (ministre dela défense), François Hollande, Kader Arif © Reuters

Pour François Hollande, cette démission apparaît comme unnouveau coup dur politique. Un de plus. Arif est le troisièmeministre poussé à la démission, après Jérôme Cahuzac – enmars 2013, après l'ouverture d'une information judiciairesur son compte en Suisse  –, Thomas Thévenoud, éphémère

ministre exfiltré du gouvernement en septembre dernier pours'être soustrait au fisc. Soupçonnée d'avoir menti sur sadéclaration de patrimoine, Yamina Benguigui, membre dugouvernement Ayrault, n'avait pas été reconduite par ManuelValls. Le chef de l'Etat a également dû se séparer de sonconseiller spécial, Aquilino Morelle, dont Mediapart avait révéléles conflits d'intérêt avec l'industrie pharmaceutique.

Comme Mediapart l'a révélé jeudi, les bureaux du secrétaired'État aux anciens combattants, placé sous l'autorité du ministrede la défense Jean-Yves Le Drian, ont été perquisitionnés le6 novembre, dans le cadre d'une enquête préliminaire ouverteen septembre sur des marchés publics attribués par le conseil

régional de Midi-Pyrénées à des parents de Kader Arif.De source proche de l'enquête, la perquisition a été menée parl'Office central de lutte contre la corruption et les infractionsfinancières et fiscales (OCLCIFF), service de police judiciairespécialisé dans la lutte anti-corruption. Les bureaux visités sontceux de la sous-direction des achats du ministère. Il s'agissaitpour les enquêteurs de vérifier la passation de marchés avecles sociétés des proches d'Arif. Des documents ont été saisiset sont en cours d'exploitation, a-t-on appris de même source.AWF Music est en effet référencée sur le site recensant lesfournisseurs du ministère de la Défense. Mais le ministère dela Défense, que nous avons sollicité, assure qu'AWF « n'est pas

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 fournisseur » du ministère, et que ce site recense en réalité toutesles entreprises ayant été « candidats à des appels d'offres, qu'ilsaient été remportés ou perdus ».

Le 10 septembre, l'annonce de l'ouverture de cette enquêtepréliminaire par le parquet de Toulouse avait fait du bruit. KaderArif est en effet un très proche de François Hollande. Il fut un despiliers du "club des 3 %", ces quelques soutiens qui ont entouréFrançois Hollande lorsqu'il n'était qu'un outsider dans la course àl'Élysée, au plus bas dans les enquêtes d'opinion.

D'origine modeste et fils de Harki, Arif, 54 ans, arrivé en Franceà l'âge de trois ans, a grandi dans le Tarn, à Castres.  « Je suistotalement français, fils de la République et en même temps, né à Alger, fils d’Algériens analphabètes de culture musulmane »,disait-il en mars dernier à Libération.

La légende veut que Jospin, alors homme fort du PS et élu deCintegabelle, ait fait sa connaissance par hasard, à la fin desannées 1980. « Kader Arif était là dans un café à jouer au flipper, et il a invectivé Jospin », rapporte un socialiste de Haute-Garonne. Les deux hommes ont sympathisé, avant que Kader Arif ne soit embauché comme chauffeur. Le début d'une ascensiondans l'appareil du PS de Haute-Garonne, une des grandes "fédés"du parti: chargé de mission auprès de Jospin en 1988, premiersecrétaire du PS local de 1999 à 2008, député européen en 2004réélu en 2009, député en 2012.

En 2002, après l'élimination de Lionel Jospin au premier tour dela présidentielle, Arif, premier fédéral et fidèle d'entre les fidèles

de Jospin, console des militants abasourdis:« Ça fait des années que Jospin le protège. Grâce à ce soutien, ila longtemps bénéficié d'une quasi-impunité », assure un socialistede Midi-Pyrénées. Au PS de Haute-Garonne, Arif surprendplusieurs de ses camarades par son train de vie. Selon plusieurstémoins, il a même disposé d'un chauffeur personnel, ce qui n'estpas habituel pour les premiers fédéraux socialistes.

Dès 2002, Arif devient secrétaire national du PS, chargé del'international puis des fédérations, un poste clé, de 2005 à 2008.François Hollande est alors le premier secrétaire du parti. KaderArif sera ensuite une des chevilles ouvrières de la campagne desprimaires. Lors de la campagne présidentielle, il pilotait le pôle"coopération" de l'équipe du candidat. Depuis mai 2012, il était unmembre du gouvernement aussi discret qu'inamovible, proximitéavec le chef de l'État oblige. D'ici un mois, il pourra revenir siégerà l'Assemblée nationale.

La justice s'intéresse à une série de marchés passés entre leconseil régional de Midi-Pyrénées, présidé par le socialiste MartinMalvy, et deux sociétés, AWF Music (liquidée en mai 2014)puis AWF, dont les associés sont le frère, la belle-sœur oules neveux du ministre. Elu dès 1999 à la tête de la puissantefédération de Haute-Garonne, eurodéputé de 2004 à 2012, KaderArif n'a jamais été conseiller régional. Mais il est suspecté d'avoiraidé à ces attributions de marchés. L'enquête a été déclenchée

suite à un signalement à la justice de l'opposition UMP-UDI duconseil régional de Midi-Pyrénées, alertée par des concurrentsmalheureux d'AWF.

Depuis la mi-septembre, le dossier avait été dépaysé au Parquetnational financier (PNF), service spécialisé dans la lutte contre ladélinquance financière et la fraude fiscale annoncé fin 2013 etcréé en mars 2014, en réaction à l'affaire Cahuzac.

Ces deux sociétés, spécialisées dans la production de spectacleset la sonorisation, ont été depuis 2009 chargées de l'organisationd'événements pour le compte de la région – 242 prestations entredécembre 2009 et juillet 2014 selon l'opposition, soit environ unefacture par semaine, pour un montant global de 2,046 millionsd'euros.

La société s'est également occupée de certaines prestations

pendant la primaire socialiste puis lors de la campagneprésidentielle de François Hollande. AWF Music était notammentchargée  de la réalisation de certains meetings du candidatFrançois Hollande.Selon le procureur de la République de Toulouse, lesignalement de l'opposition fait état « d'anomalies dans lesrelations contractuelles existant entre la région et certainessociétés ». L'opposition s'interroge sur les modalités de certainsmarchés, soupçonnant d'éventuels favoritismes ou de possiblessurfacturations.

En 2008, un premier marché de sonorisation et de structuresscéniques a été conclu pour deux ans. Le montant prévu (179 000

euros) est atteint en un an. En 2009, un contrat « relatif à la fourniture de concepts visuels, à l'agencement et à la décorationd'événements organisés par la région »  est passé pour 4 ans.Estimé à 340 000 euros, il a finalement atteint plus de 1,7 milliond'euros. En 2013, un autre appel d'offres a dû être annulé pour «insuffisance de concurrence » car deux des sous-missionnaires,AWF et All Access, avaient en fait le même gérant. Finalement,un nouvel appel d'offres a été lancé en 2014, lui aussi remportépar AWF. Le marché est estimé à 2,8 millions d'euros. Selon leconseil régional, ce contrat est toujours en cours.La démission de Kader Arif affaiblit en tout cas Martin Malvy, lepresque octogénaire président du conseil régional (depuis 2004).

Après l'annonce de l'ouverture d'une enquête qui dénonce une« campagne de dénigrement », Malvy avait pris fait et causepour Kader Arif. Il avait contesté que Kader Arif soit « intervenuni directement ni indirectement pour favoriser l’attribution d’unmarché qui concerne la Région et elle seule », réfutant que des « factures fictives » aient été « émises ».

« Les marchés (…) attribués l’ont été au terme d’appelsd’offres qui ont fait l’objet de larges publications d’appels àla concurrence », insistait-il dans son premier communiqué,publié le jour de l'annonce de l'ouverture d'une enquêtepréliminaire. Le 12 septembre, une perquisition a eu lieu au

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conseil régional. À cette occasion, les enquêteurs ont « rencontré la haute administration du conseil régional », confirme un porte-parole.

Boite noireNotre article Marchés publics: le ministre Kader Arif a été

perquisitionnéa été mis en ligne jeudi 20 novembre dans l'après-midi. Cet article, mis à jour en temps réel vendredi après l'annoncede la démission du ministre, en reprend une partie.

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Radicalisation religieuse:l’Education nationale

dérapePAR LUCIE DELAPORTELE VENDREDI 21 NOVEMBRE 2014

Mediapart s'est procuré un stupéfiantdocument envoyé par l'académie dePoitiers à tous les chefs d'établissement.Sous couvert de « prévenir laradicalisation »  religieuse de jeunes, ilmanie clichés et préjugés en ciblant lareligion musulmane. Le ministère admetun certain embarras.

La radicalisation religieuse de jeunesFrançais est, compte tenu de l'actualité,devenue un sujet de préoccupation majeurdes pouvoirs publics. Dans le cadredu «  plan national de lutte contre

la radicalisation »  lancé en avrilpar Bernard Cazeneuve, l’Éducationnationale a décidé de s’atteler au problèmeavec l’objectif de détecter au plus tôt cessituations. Au vu du stupéfiant documentque s’est procuré Mediapart, il n’estpourtant pas certain que le ministère se soitdoté des outils adéquats.

Un Powerpoint de 14 pages, intitulé« Prévention de la radicalisation en milieuscolaire » ( à lire ici en intégralité), aainsi été envoyé par courriel à tous leschefs d’établissements de la Vienne. Ille sera bientôt dans toute l’académie dePoitiers. Le document qui porte l’en-tête du ministère de l’Éducation nationaleet de l’académie de Poitiers se proposed’apporter à ces cadres des indicateurspour repérer les situations potentiellementdangereuses.

Si aucune définition ne vient préciser dequelle « radicalisation »  on parle, c’estpourtant exclusivement de l’extrémisme

musulman qu’il est question tout au long

du document. À croire qu’il n’y a pasde radicaux catholiques, juifs ou autres…Et que la radicalisation politique, àl’extrême droite, par exemple, n’intéressepas l’Éducation nationale.

À la manière d’un petit guidepratique, le Powerpoint offre aux chefsd’établissement une liste de précieuxindices pour repérer les élèves enperdition. En tête de ces « signes extérieursindividuels », la « barbe longue non taillée(moustache rasée) »  doit mettre la puceà l’oreille, tout comme les « cheveuxrasés » et « l’habillement musulman ». Les« jambes couvertes jusqu’à la cheville »,le « refus du tatouage » viennent ensuite, juste avant le « cal sur le front »  (quiapparaît après des années de pratiqueassidue chez les musulmans très religieux)ou la « perte de poids liée à des jeûnes fréquents » – à ne pas confondre, la tâcheest ardue, avec l’anorexie adolescente. Ledocument ne dit pas si un seul de cessignes suffit à tirer la sonnette d’alarmeou s’il faut tous les cumuler pour mériterun signalement. Ni ce que devront faireles chefs d’établissement face à des barbus

maigrichons non tatoués.

Le document pédagogique rappelle quecertains « comportements »  doivent

inciter à la vigilance. Ainsi « le repliidentitaire », la « rhétorique politique »sont particulièrement suspects surtout sil’individu fait référence à « l’injusticeen Palestine », ou à certains paysprécisément listés : « Tchétchénie, Iraq(sic), Syrie, Égypte ». Marquer un « intérêt  pour les débuts de l’Islam »  est aussiun signe inquiétant pour l’Éducationnationale. Enfin, bien qu’on imagineassez mal qu’ils le revendiquent, les jeunes qui raconteraient être soumis

à une « exposition sélective auxmédias (préférences pour les sites websdjihadistes) » sont à surveiller de près.

Le ministère très embarrasséLe document propose aussi dans la

foulée une typologie de la psychologiede ces individus en cours de« basculement ». On trouve ainsi letype « Lancelot » qui « recherche » le «sacrifice », le type « Mère Térésa : départ  pour des raisons humanitaires ». Au vudu contexte, on imagine qu’il s’agit desdéparts vers la Syrie ou l’Irak mais rien nevient le préciser tant tout dans ce documentest frappé au coin du bon sens et du sous-entendu.

Le type « porteur d’eau »  relève,

note doctement le document, de « larecherche d’appartenance à un groupe »– malheureusement très fréquentchez les adolescents, ce qui peutprêter à confusion –, quand letype « GI »  s’apparente plus àla « recherche de l’affrontement et ducombat » et semble donc assez proche dutype « Zeus »  qui est une « volonté de puissance »...

Dans un souci pédagogique, quelquesrepères historiques sont apportés auxchefs d’établissement. Là encore, ledocument ne fait pas trop dans le détail.Pour ne pas encombrer la tête des

enseignants et des chefs d’établissement,

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trois grands repères historiques sontproposés comme des éléments decontexte essentiels pour comprendre laradicalisation musulmane. « Fin desannées 70 : Révolution islamique en Iran », « Fin des années 90 : Création d’AlQaida, appel au djihad » et « Dès 2010 :Explosion des conflits au Moyen-Orient ».Les enseignants d’histoire apprécierontcette pénétrante vision historique.

Enfin, pour étayer par des faits précis lephénomène de radicalisation, islamique,l’académie de Poitiers a élaboré un tableauqui recense, sans donner la source deschiffres présentés, le poids du djihadismefrançais. On apprend ainsi que « 354 »personnes sûrement sont actuellementprésentes « sur place »  – on ne sait pas

où - au « Djihadistan » sans doute, et que« 934 » sont « concernés par le djihad »...Toujours plus éclairant.

Comment et qui a rédigé ce document quicible exclusivement les musulmans,sans jamais distinguer d'ailleurs ce quirelève de la stricte religiosité ou dudangereux extrémisme ? Renseignementpris auprès du rectorat de Poitiers,pas moins de dix agents de l’équipemobile de sécurité (EMS) du rectoratont contribué à son élaboration. Ceséquipes chargées d’assurer la sécuritédans les établissements scolaires, etcréées en 2009, travaillent en étroite

collaboration avec les préfectures. Ce

seraient elles, selon Romain Mudrak,chargé de communication de l’académiede Poitiers, qui auraient demandé à cesfonctionnaires de l’éducation nationale,pour moitié d’anciens gendarmes oupoliciers, de se saisir de ce sujet.

[[lire_aussi]]

Comme mentionné à la fin du document,ces fonctionnaires se sont appuyés surles travaux de la Miviludes (la missioninterministérielle de lutte contre les sectes)et sur les analyses du CPDSI (Centrede prévention contre les dérives sectairesliées à l’islam) dirigé par la très médiatique

Dounia Bouzar.Nicolas Bray, chargé de ces questionsau cabinet de Najat Vallaud-Belkacem,confirme qu'une politique de formationdes cadres a bien commencé et quedes outils sont mis en place enétroite collaboration avec le ministère del'intérieur. Visiblement très embarrassépar la teneur du document que nouspublions, il assure que le cabinet ne l'apas « à (sa) connaissance visé », etqu'il« manque peut-être de nuances »

tout en précisant qu'« un Powerpoint est toujours accompagné de commentairesqui manquent un peu ici ». Sauf queles chefs d'établissement de la Viennel'ont reçu par courriel et donc sansaucun commentaire, comme nous l'aindiqué le rectorat.Pour lui, la politique deprévention qui est en train de se mettre enplace doit « permettre d'aider des jeunesen difficulté et en aucun cas stigmatiser ».Pour le coup, c'est raté.

Philippe Marlière, affligé

mais combatif PAR HUBERT HUERTAS ET MARTINE ORANGE

LE VENDREDI 21 NOVEMBRE 2014

Vidéo dans l'article

Pour le premier entretien enregistré dansles studios flambant neufs de Mediapart,Objections a choisi d'inviter le politologuePhilippe Marlière. Avec l'économisteLiêm Hoang-Ngoc, il publie cette semaineun manifeste,  La gauche ne doit pasmourir .

Philippe Marlière, professeur de sciencespolitiques à University College London,est bien connu des lecteurs de Mediapart,où il tient l'un des blogs les plusrecommandés. Il a longtemps appartenuà l'aile gauche du PS, avant d'en partiren 2009, pour rejoindre le NPA d'OlivierBesancenot, et le quitter à son tour.

Marlière fait partie d'une gauche radicalequi rêve néanmoins d'unité jusqu'aux

sociaux-démocrates, sauf que pour lui lessociaux-démocrates sont représentés enEurope par Syriza en Grèce, ou Podemosen Espagne, et que dans son esprit les« sociaux-libéraux » français, FrançoisHollande ou Manuel Valls en tête, nereprésentent plus « la gauche » mais sontpassés avec armes et bagages dans le campd'en face, celui de la droite...

Avec l'économiste Liêm Hoang-Ngnoc,ancien député européen et toujoursmembre du PS, il a donc entrepris de tracer

le contour idéologique de cette nouvelleunion de la gauche, dans un « Manifestedes socialistes affligés » intitulé La gauchene doit pas mourir  (le blog sur Mediapartdes socialistes affligés est ici).

Un « affligé » combatif, qui critiqueà boulets rouges l'idée selon laquelle ilfaudrait craindre les marchés ou la fuitedes multinationales : « C'est un fantasmeentretenu, comme l'obsession de la dette,qui est un loup-garou. »

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Se défendant de tout excès (« Ce quiest excessif, c'est la politique économiquedu gouvernement ») il qualifie de « putsch idéologique »  la nomination deManuel Valls à Matignon, et la CinquièmeRépublique de « césarisme obscène » oude « bizarrerie en Europe ».

Pour lui, les « sérieux », ceux qui«dispensent les leçons d'austérité en setrompant en permanence », au nom dufameux « Tina » de Margaret Thatcher («There is no alternative »), ne sont pas deséconomistes mais des idéologues.

L'alternative politique, développée par

Philippe Marlière dans Objections, devraitconduire à ne plus s'enfermer dans le refusde toute alliance (il vise Besancenot) età admettre (il pense à Mélenchon) quel'avenir ne passera pas par l'effondrementdes sociaux-démocrates mais au contrairepar leur ancrage à gauche.

À ce titre, il regarde avec intérêt lemouvement des frondeurs, en espérantqu'ils passeront, « avant qu'il ne soit troptard », de l'abstention à un refus clair etnet.

Aux Etats-Unis, Obamaannonce la régularisationde millions d'immigrésillégauxPAR THOMAS CANTALOUBELE VENDREDI 21 NOVEMBRE 2014

Le président des États-Unis, prenant actede l'inaction du Congrès, a décidé derégulariser 4 à 5 millions de sans-

papiers sur un total d'environ 11 millions.Ce faisant, il provoque l'ire mais aussil'inquiétude des républicains.

Dix jours après avoir perdu la majorité auSénat, et se trouvant désormais face à uneopposition requinquée, Barack Obama aréagi en décidant d’agir seul sur un sujetparticulièrement sensible : l’immigrationillégale. Prenant acte du fait que les deuxchambres du Congrès se renvoyaient laballe depuis des années en se montrantincapables d’adopter la moindre loi sur le

sujet, le président des États-Unis a donc

décidé d’agir en usant de son pouvoirexécutif (plus ou moins l’équivalent desdécrets présidentiels en France).

La mesure annoncée jeudi 20 novembre2014 au soir consiste à autoriser lesimmigrés illégaux présents depuis aumoins cinq ans sur le sol américain, etqui ont des enfants nés aux États-Unisou disposant de papiers, à bénéficier d’untitre de séjour. Ils devront pour ce fairecontacter les services du gouvernement,subir une vérification de leur casier judiciaire, et payer leurs impôts (ycompris des amendes pour paiement enretard s’ils ne les ont jamais payés).Une fois ces formalités accomplies,ils pourront bénéficier d’une carte de« Social Security », le sésame pourtoutes les démarches administratives auxÉtats-Unis, et ne courront plus le risqued’être expulsés. Libres à eux ensuitede poursuivre les démarches d’accès àla citoyenneté s’ils le souhaitent. Selonles estimations du gouvernement, cettemesure devrait concerner quatre à cinqmillions de personnes, sur les onzemillions d’illégaux supposés vivre sur le

territoire des États-Unis – en très grandemajorité  des « latinos » originaires duMexique et d’Amérique centrale.

Obama en pleine discussion avec le chef des

républicains au Sénat, le très conservateur MitchMcConnell © Pete Souza/Maison-Blanche

Cette annonce a eu pour effet de fairegrimper les républicains aux rideaux, pourune variété de raisons allant de « l’abusde pouvoir exécutif »  à l’accusationde procéder à « une amnistie quiva encourager l’immigration illégale ».Pourtant, Obama est loin d’être le premieroccupant de la Maison Blanche à prendrece genre de décision. Ronald Reagan, lehéros de la droite républicaine, et GeorgeH.W. Bush (le père) avaient pris desmesures identiques, le premier légalisant

plus de 3 millions de sans-papiers en1986 et le second un peu plus de 1,5million quelques années plus tard. Dansles années 2000, George W. Bush (lefils) avait envisagé de le faire à plusieursreprises sans s’y résoudre, en raison del’opposition des extrémistes dans sonparti. Il avait néanmoins accéléré l’accèsà la citoyenneté des immigrés en situationrégulière engagés dans les forces armées.

En vérité, la plupart des présidentsaméricains depuis Franklin Rooseveltdans les années 1930 prennentrégulièrement des mesures derégularisation afin de « désengorger »les statistiques de l’immigration illégaleet de permettre à des gens qui, de toutemanière, ont fait leur vie aux États-Unis,en y travaillant, en y payant des impôts,en s’engageant dans l’armée, en y élevantleurs enfants nés sur place, d’obtenir despapiers et de ne plus craindre d’êtredéportés au premier contrôle de police. S’ily a onze millions d’illégaux aujourd’huiaux États-Unis, c’est justement parcequ’aucune régularisation massive n’a étéeffectuée depuis une vingtaine d’années,

principalement en raison du climatpolitique.

Jusque dans les années 1990, il yavait suffisamment d’élus républicainset démocrates au Congrès pour formerune majorité et s’entendre sur le sujetafin de voter des lois de régularisation.Aujourd’hui, en raison de la dérivedroitière des républicains, et des craintesde nombreux démocrates qui font face àdes électorats populaires déstabilisés par labaisse de leur niveau de vie, cette majorité

n’existe plus. D’où la décision prisepar Barack Obama d’avancer seul, sansles élus. Dans son allocution télévisée,le président les a renvoyés à leur(ir)responsabilité : « Aux membres duCongrès qui questionnent mon autorité sur le sujet, ou à ceux qui se demandent  pourquoi j’interviens alors que les élus ont échoué, je n’ai qu’une réponse : votez uneloi ! »

Sans surprise, les ténors du partirépublicain ont répondu de manière

outragée, voire véhémente, certains

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appelant à démettre Obama et à l’envoyeren prison. Au-delà de ces gesticulations,les conservateurs sont extrêmementembarrassés face à l’annonce du Président,pour deux raisons. Premièrement, lesrépublicains savent depuis quelquesannées qu’ils ont un « problème latino » :élection après élection, les Hispaniquesqui représentent environ 17 % de lapopulation et le quart des naissancesdans le pays, votent majoritairement enfaveur des démocrates. Les raisons sontsimples : les démocrates sont plus souplessur les questions d’immigration et plusfavorables aux programmes sociaux aidant

les plus faibles, alors que la plupartdes républicains emploient une rhétoriqueanti-immigrés comparable à celle duFront national en France, alors mêmeque, selon de nombreux sociologues, lapopulation « latino » pourrait facilementvoter pour les conservateurs si ceux-cine les stigmatisaient pas sans arrêt (lesHispaniques sont plus religieux et sontfréquemment de petits entrepreneurs).

Pour comprendre la portée de l’annonced’Obama, il suffisait de regarder la

télévision : alors qu’aucune des chaîneshertziennes n’a retransmis l’allocutiond’Obama en direct, la grande chaînehispanophone Univision a interrompu sacouverture des « Latin Grammys »,la grande cérémonie de récompensesde l’industrie musicale hispanique,pour diffuser l’annonce présidentielle.Selon les spécialistes électoraux, cetterégularisation n’aura pas nécessairementun grand impact sur les prochains scrutins,mais elle pourrait en avoir sur le long

terme, surtout si le parti républicainpersiste dans sa rhétorique anti-immigrés:« Si les républicains se coupent deslatinos, ils resteront dans l’opposition pour longtemps », affirme Nate Cohn dansle New York Times.

L’autre aspect de cette annonce quiinquiète les conservateurs tient à lamanière dont Obama entend mener la finde son mandat pendant les deux ans qui luirestent, alors qu’il doit affronter un Sénatet un Chambre des représentants qui lui

sont hostiles. Si le Président s’engage dans

la voie des « executive orders », les élusvont avoir bien du mal à le contrer car,notamment sous Bush, ils ont grandementtoléré ce mode de gouvernance et ilsn’ont que peu de recours pour s’opposerà lui – hormis la Cour suprême. Quantau vote des lois, la Maison Blanchepossède un pouvoir de veto difficilementcontournable (sauf à rassembler les deuxtiers des voix du Congrès).

Tout cela laisse entrevoir la possibilitéd’un affrontement très musclé entre lePrésident et la majorité républicaineau Congrès. Derrière la main tendued’Obama au lendemain des électionsde début novembre, celui-ci pourraitdécider d’engager seul un certain nombrede réformes qui ne nécessitent nifinancement ni autorisation spécifique desélus – notamment les questions liées àl’environnement. Certains progressistes semettent d’ores et déjà à rêver d’un Obamaqui ne serait plus limité par la perspectived’une prochaine élection à remporter, oupar des négociations à n’en plus finir avecles élus de son camp et de l’opposition, etqui mènerait enfin une vraie politique de

gauche. Mais on n’en est pas encore là…

La société civile africaine serebelle contre l'accord delibre-échange UE-AfriquePAR FANNY PIGEAUDLE VENDREDI 21 NOVEMBRE 2014

Après douze années de bataille, laCommission européenne a fait signer auxpays africains un accord de libre-échangequi leur est très défavorable. Sur place, desorganisations de la société civile semobilisent pour demander aux parlementsnationaux de refuser sa ratification.

La nouvelle est passée inaperçue enEurope, et pourtant, le commissaireeuropéen au commerce, Karel De Gucht,

a dû jubiler ce jour-là : le 16

octobre, cinq pays d’Afrique de l’Est ontsigné avec l’Union européenne (UE) unaccord de partenariat économique (APE).Quelques mois plus tôt, c’était toutel’Afrique de l’Ouest et plusieurs Étatsd’Afrique australe qui disaient oui à l’UE.L’événement a été à la mesure des effortsdéployés par la Commission européenne :elle a bataillé pendant douze ans pour faireaccepter cet accord de libre-échange. Sauf que… ce n’est peut-être pas terminé ! EnAfrique, des organisations de la sociétécivile se mobilisent depuis plusieurssemaines pour demander aux parlementsnationaux de refuser la ratification de ces

APE, ultime étape avant leur mise enœuvre.

Chefs d’entreprise, ONG, hommespolitiques, économistes, monde paysan :beaucoup ont été en effet consternés parla signature des APE. « Trahison »,« suicide », « mise à mort », « erreur historique », entend-on ainsi en Afriquede l’Ouest. Pour ceux qui ont suivil’histoire des APE depuis le début, rien desurprenant : tout au long du processus denégociation entre Européens et Africains,

les tensions ont été fortes.Au départ, il s’agissait de trouver unesolution pour remplacer la conventionde Lomé et les accords de Cotonou.Ces derniers permettaient depuis 1975 àcertains produits des pays ACP (AfriqueCaraïbes Pacifique) d’entrer sans taxeen Europe, prenant ainsi en compteles différences de développement entreles deux zones. Mais parce que nonréciproques et discriminatoires, Lomé etCotonou ont été jugés non conformes

aux règles de l’Organisation mondialedu commerce (OMC). En 2002, laCommission européenne a donc proposéde nouveaux accords à signer avec sixblocs (Afrique orientale, Afrique australe,Afrique de l’Ouest, Afrique centrale,région des Caraïbes et région Pacifique).

L’idée principale de ces APE, qui vontbien au-delà des demandes de l’OMC, peutse résumer en une phrase : « On permet à 100 % de vos produits d’entrer sansdroits de douane en Europe et vous faites

la même chose pour au moins 80 % des

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nôtres. »  Très tôt, les régions Caraïbeset Pacifique ont accepté le deal. Pour lesautres, il a été pendant longtemps hors dequestion d’y adhérer. D’ailleurs, l’Afriquecentrale, le Cameroun excepté, résisteencore. Et pour cause : toutes les étudesindiquent que l’ouverture des marchésaux produits européens va plomber leséconomies africaines, très vulnérables.

Sur mediapart.fr, un objet graphiqueest disponible à cet endroit.

« Les produits fortement subventionnéseuropéens vont déstabiliser notreagriculture et induire une baisse des

 prix », a ainsi rappelé en août le Roppa,une plate-forme regroupant les principalesorganisations paysannes d’Afrique del’Ouest. La Chambre des communesbritannique avait dit la même chose dansun rapport publié en 2005. Qui dit baissedes prix, dit évidemment appauvrissementdes paysans mais aussi « un exoderural massif qui se traduira, fauted’opportunités, en émigration illégale endirection de l’Europe », prévient le Roppa.Le scénario risque d’être le même pourle tissu industriel : il va se trouverlui aussi concurrencé par des produitsvenus d’Europe, plus compétitifs. En juillet, le président d’une organisationpatronale du Cameroun, Protais Ayangma,a expliqué à ses concitoyens que l’APEallait déstructurer l’industrie, déjà faible,de leur pays et  « détruire les emplois,qui vont se transporter vers les paysdu Nord, nous réduisant au statut deconsommateurs ».

Autre grand motif d’inquiétude : labaisse des revenus douaniers qu’impliquel’ouverture des marchés. « Aprèsla suppression des recettes fiscalesdouanières qui constituent parfois prèsde 40 % des ressources budgétaires desÉtats, les APE vont procéder durablement sinon définitivement au désarmement des États », a estimé en 2008 laparlementaire et aujourd’hui ministre dela justice, Christiane Taubira, dans unrapport commandé par Nicolas Sarkozy(lire ici notre article  de l'époque, etlà le rapport lui-même). Ces pertes

financières ne seront pas compensées par

les exportations vers l’UE, essentiellementconstituées de produits primaires : les APEconçus par l’UE interdisent la hausse destaxes à l’exportation.

L’UE a certes promis des financementspour aider ses partenaires à s’adapterà ce nouveau contexte, mais ils sont jugés largement insuffisants et contre-productifs. « Nous refusons d’ad mettrecette politique  de la main tend ue. Notreavenir ne dépendra pas de l’assistancemais de la possibilité qu’auront nos peuples de créer par eux-mêmes de larichesse et de vivre ensemble sur leur terredans la paix et la dignité », s’indigne, auSénégal, une Coalition nationale contre lesAPE.

La clause de la « Nation la plus favorisée »  (NFP) figure aussi parmiles nombreux points jugés scandaleuxpar la partie africaine : elle impose auxACP l’obligation d’étendre à l’Europe lesavantages commerciaux plus favorablesqu’ils accorderaient à un autre grospartenaire commercial… Les APE signéspar l’Afrique de l’Ouest « confinent davantage la région dans un rôle de fournisseur de matières premières et declient des produits (…)  subventionnéseuropéens », résume le Roppa.

Alassane Ouattara a pesé detout son poids pour faire plierl’Afrique de l’OuestÀ travers les APE, se lit surtout la volontéde l’Europe de contrer d’autres grandespuissances comme la Chine, de plus enplus présente sur le continent africain,alors que ce dernier va être, selon toutes

les prévisions, le prochain gisement decroissance de la planète. C’est d’ailleursla direction générale du commerce dela Commission européenne, et non ladirection générale du développement, quia géré de bout en bout le dossier APE.Pas étonnant, donc, que personne necroie à la sincérité de la Commissionquand elle affirme que les APE vontassurer à l’Afrique « prospérité »  et« croissance ». « Il n’y a pas d’exemple

d’ouverture de marché qui ait conduit au développement », soulignait le rapportTaubira.

Au cours des derniers mois, laCommission européenne a certes revu, à lademande de plusieurs États européens (laFrance, le Danemark, la Grande-Bretagne,

l'Irlande et les Pays-Bas), quelques-unesde ses exigences : elle a accepté de fairedescendre sous la barre des 80 % le niveaude libéralisation demandé à l’Afriquede l’Ouest. Elle lui donne aujourd’huivingt ans pour ouvrir progressivementson marché à 75 %. Mais c’est encorebeaucoup par rapport à ce que voulaientles Africains : ils avaient prévenu au débutdu processus qu’ils ne pourraient allerau-delà de 60 %, au risque de devenirtotalement perdants. Surtout, « les chiffresavancés aujourd’hui ne correspondent pasà la réalité. L’ouverture à 75 % dont on parle, s’appuie sur des données de2002-2004. Si on les actualise, on se rend compte qu’on va en réalité libéraliser nos marchés à 82 % », souligne CheikhTidiane Dieye, membre du comité régionalde négociations de l’APE Afrique del’Ouest et responsable de l’ONG Enda-Cacid, à Dakar.

Pourquoi, alors, la plupart des paysafricains ont-ils finalement adhéré auxAPE ? Premier élément de réponse :leurs négociateurs n’ont pas toujours étéà la hauteur. La société civile d’Afriquecentrale leur a ainsi reproché de « manquer de détermination dans la préservationdes intérêts » des Africains. Un anciendirecteur de la Banque centrale du Nigeria,Chukwuma Soludo, lui, s'interrogeait, en2012 : « Les pays africains ont-ils lacapacité de négocier un APE bénéfique pour eux alors que certains de leursconseillers et consultants sur les APE sont européens ? »

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Deuxième élément de réponse : l’arrivéeau pouvoir de certains chefs d’État a joué,et en particulier celle d’Alassane Ouattaraen Côte d’Ivoire, en 2011. Ancien du FMI,très favorable au marché, sans doute aussiredevable à l’UE pour l’aide qu’elle luia apportée pour accéder à la présidence,il a pesé de tout son poids pour faireplier l’Afrique de l’Ouest. Macky Sall,élu en 2012 au Sénégal, s’est montré luiaussi favorable aux APE, contrairementà son prédécesseur Abdoulaye Wade,qui dénonçait une « recolonisation ducontinent » et demandait un « accord tenant dûment compte de l’asymétrie des

économies africaines et européennes ».Au Cameroun, les autorités ont fait mieuxque partout ailleurs : elles ont empêchépendant douze ans toute tentative dedébat public sur les APE, menaçant aubesoin les journalistes de représailles. Etc’est en catimini, le 9 juillet, que leParlement, dominé par le parti du présidentPaul Biya, a donné son accord à laratification de l’APE. L’Acdic, la seuleONG camerounaise qui se soit intéresséede près à ces accords, a parlé à cette

occasion de « complot contre les intérêtsdu peuple camerounais ».

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Troisième élément de réponse : desmultinationales installées sur le continentet exportant vers l’Europe ont menéun lobbying intense. Ce sont elles quiont pour l’instant le plus intérêt àvoir le niveau des barrières tarifaireseuropéennes rester faible. Les entrepriseshorticoles implantées au Kenya ont

ainsi tout particulièrement insisté auprèsdes autorités de Nairobi pour qu’ellessignent un APE, menaçant de quitter lepays. « Elles sont allées jusqu’à avancer de faux chiffres, majorant largement les pertes qu’elles subiraient en cas d’APE non signé », explique Jacques Berthelot,économiste spécialiste des politiquesagricoles et membre de l’associationSolidarité.

En Afrique de l’Ouest et au Cameroun, cesont les producteurs français de bananes

qui ont fait pression. La Compagnie

fruitière, basée à Marseille et qui a desplantations de bananes au Cameroun,au Ghana, en Côte d’Ivoire, a eu,selon plusieurs observateurs, un rôledéterminant. Le cas du Cameroun estparticulièrement parlant : lorsque le paysa signé, en 2007, un APE, le principalnégociateur de la partie camerounaise étaità la fois ministre du commerce et présidentdu conseil d’administration de… la filialecamerounaise de la Compagnie fruitière !Le plus haut sommet de l’État pourraitavoir été mêlé à ce conflit d’intérêts.Mais l’APE ne résoudra qu’à court termeles problèmes de la banane française,

relève Jacques Berthelot : d’autres accordsde libre-échange ont été, ou sont entrain d’être signés entre l’UE et desÉtats latino-américains et asiatiques, trèsgros producteurs de bananes. Face àleurs productions très compétitives, labanane de la Compagnie fruitière ne ferapas le poids, même si elle bénéficieaujourd’hui de subventions européennespour « s’adapter » à cette concurrence.

La partie européenne a fait duchantageEnfin, quatrième élément de réponse :la Commission européenne a usé denombreux moyens de pression. En 2007,un collectif d'ONG, la Plate-forme desacteurs non étatiques d’Afrique centrale(Paneac), l’a accusée de « bloquer lesnégociations au niveau des experts afin derecourir aux instances politiques », touten utilisant des méthodes « paternalisteset humiliantes ». À la même époque,les ministres du commerce d’Afriquede l’Ouest ont  « déploré les pressionsexercées par la Commission européenne(…)  qui sont de nature à diviser larégion et à compromettre le processusd’intégration régionale ».

Face à la réticence des blocs régionaux,la Commission a en effet changé destratégie en cours de route et a initiédes négociations bilatérales. Elle a ainsiréussi à briser les solidarités régionales : leCameroun s’est désolidarisé dès 2007 del’Afrique centrale (huit pays) en acceptantde signer un APE « intérimaire ». LeGhana et la Côte d’Ivoire ont fait de

même, contre l’avis du reste de l’Afriquede l’Ouest (seize pays). La manœuvreeuropéenne était bien pensée : tous lespays n’ont pas le même niveau dedéveloppement et certains ont plus àperdre que d’autres avec un APE. Ainsiles « pays les moins avancés » (PMA),majoritaires, ont tout intérêt à ne pas signerd’APE : ils bénéficient déjà d’un accèslibre de droits et de quotas au marchéeuropéen dans le cadre de l’initiative« Tout sauf les armes ». À l’inverse, lespays « à bas revenu ou à revenu moyeninférieur »  (dont le Cameroun, la Côted’Ivoire, le Ghana et le Kenya) vont, s’ils

n’adhèrent pas aux APE, devoir payerdes droits d’entrée : ils vont rejoindrele régime du système généralisé depréférences (SGP), qui offre aux produitsdes pays en voie de développementdes tarifs privilégiés, mais est moinsintéressant qu’un APE.

La partie européenne a aussi faitdu chantage. Elle a imposé à sesinterlocuteurs plusieurs ultimatums. Ledernier en date les menaçait, s’ils ne se

soumettaient pas avant le 1er octobre 2014,de supprimer immédiatement le libre accèsau marché européen autorisé par lesaccords de Cotonou. C’est ainsi qu’unegrande partie du continent a cédé. Lapression et la crainte de voir imploser lesensembles régionaux étaient trop fortes :afin que les bananes du Ghana et deCôte d’Ivoire puissent continuer à entrersans frais en Europe, toute l’Afrique del’Ouest a capitulé. L’Afrique de l’Est, elle,a craqué un peu plus tard, mi-octobre, l’UEayant mis à exécution sa menace, au grand

dam des horticulteurs. La région s’est alorsengagée à ouvrir son marché, à partir de janvier 2015, à 82,6 % d’ici à 2033.

[[lire_aussi]]

Toutefois, la Commission européenne n’apour autant pas totalement gagné : ilfaut encore que les parlements nationauxratifient les APE. Ibrahima Coulibaly,président de la coordination nationale desorganisations paysannes du Mali (Cnop),ne se fait pas d’illusions : « Nous savonsque nos parlements sont là juste pour 

amuser la galerie. Il y a peu à attendre

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de leur côté.»  Mais au Sénégal, desdéputés ont déjà prévenu qu’ils voteraientcontre. L’un d’eux, Cheikhou Oumar Sy,a récemment déclaré : « Je refuse de participer à la trahison. Je refuse de participer à la mise à mort de l’avenir denos petites et moyennes entreprises. (…) Je refuse de participer à une reconquêtecoloniale de l’Afrique de l’Ouest àtravers des accords suicidaires. »  Il aajouté : « L’APE de l’Afrique de l’Ouest ne profite qu’aux intérêts (…) d’une poignéede pays et d’acteurs congénitalement reliés à des intérêts européens, et plus particulièrement français. »

Le Nigeria, qui représente plus de la moitiédu PIB de l’Afrique de l’Ouest, pourraitfaire capoter l’édifice construit par l’UE.Sachant qu’il a tout à perdre avec un APE,c’est sans conviction, et sans doute pourgagner du temps, qu’il a joint sa signatureà celles de ses voisins. « Le Nigeria adit lui-même qu’il ne peut pas accepter les APE et on ne veut pas l’écouter :ce n’est pas raisonnable. On ne peut imposer aux autres des accords conçus pour régler les problèmes de deux pays,

la Côte d’Ivoire et le Ghana », commenteCheikh Tidiane Dieye. Ce dernier aentrepris avec d’autres de sensibiliserl’opinion publique ouest-africaine : « Nousallons démontrer, arguments documentésà l’appui, que nous faisons fausse routeavec ces APE. Et montrer qu’avant de nous engager dans de tels accords,nous devons bâtir de bonnes politiquesagricoles et industrielles régionales. » Lacoalition nationale contre les APE, quis’est constituée au Sénégal il y a quelques

semaines, pourrait bien passer par la ruepour se faire entendre.

L’avenir des APE va aussi se jouer enEurope : le Parlement européen et celuide chaque pays membre de l’UE vontdevoir donner leur consentement, avantune ratification par le Conseil européen. Ilreste là aussi une inconnue : l’impact de lamobilisation des anti-APE. Pour l’instant,cette dernière est faible : les grandesONG s’intéressent plus au Traité delibre-échange transatlantique (TAFTA).

« Pourtant, il s’agit du même combat 

contre des accords de libre-échange »,souligne Jacques Berthelot. Le TAFTAaura d’ailleurs des retombées négatives surles pays ACP, encore plus si ces derniersappliquent les APE. Une pétition vienttout de même d’être lancée pour demanderaux députés européens de ne pas ratifierles APE, déplorant que la Commissioneuropéenne ait « refusé d’examiner toutesles options alternatives proposées par la société civile, qui auraient permisde maintenir les avantages commerciauxaccordés aux pays africains sans pour autant les contraindre à libéraliser leursmarchés ».  Deux anciens rapporteurs

spéciaux des Nations unies pour le droità l’alimentation, Jean Ziegler et Olivierde Schutter, l’écrivain Pierre Rhabi, lesociologue Jean Baubérot ou l’économisteJacques Généreux, José Bové, Eva Joly,font partie des premiers signataires.

Grigory Sokolov, le pianofait homme et vice versaPAR ANTOINE PERRAUDLE SAMEDI 22 NOVEMBRE 2014

Vidéos dans l'article

Le pianiste russe Grigory Sokolov, 64 ans,a donné son concert annuel au Théâtredes Champs-Élysées à Paris, vendredi21 novembre 2014. Une expériencecosmique. Retour sur un génie caché quel'univers a fini par découvrir. Il se cantonneà l'Europe, fuit la presse et joue comme unange...

En dépit d'une douzaine d'exhibitionnistesenrhumés venus cracher leurs poumonsau Théâtre des Champs-Élysées plein àcraquer vendredi 21 novembre 2014, lepianiste Grigory Sokolov, né à Léningraden 1950 et vivant à Vérone (Italie), offritune merveille de récital. La gigue finale dela première Partita de Bach, le  Largo de

la 7e Sonate de Beethoven, l'arpège initial

de la 3e Sonate de Chopin, donnèrent la

chair de poule. Et puis il y eut les bis, dontSokolov a le génie.

Le 20 novembre 2013, l'artiste avait annuléson immuable concert annuel prévu dansce même Théâtre des Champs-Élysées.Sa femme se mourait. Officiellement, lemaître avait la grippe. Tout est ritualiséchez Grigory Sokolov. Il fait le même

nombre de pas pour gagner le piano,salue du même air presque renfrogné,s'assoit de façon mécanique et joue alorscomme un ange. Douze mois durant, ilpropose les mêmes morceaux de musiqueau cours de tournées codifiées, limitéesà l'Europe – l'Amérique le réclame avecinsistance, désormais en vain. Puis ilabandonne à jamais le répertoire dontil a fait le tour face à ses différentspublics, pour entamer un nouveau cycle.Paris n'avait donc pas entendu les piècesde Schubert à son programme durantl'automne 2013 (4 Impromptus, op. 90,D 899, 3 Klavierstücke, D 946). Parconséquent, le pianiste offrit, en guise delongs bis, une partie de ce que nous avionsmanqué ; un an et un jour plus tard ; avecune émotion décuplée, comme si planaitsur cette soirée la compagne disparue.

De toute façon, quelles que soient lescirconstances, Sokolov surprend, émeut,sidère. Son agent depuis trente ans,Franco Panozzo, explique à Mediapart :« Tout en restant dans les limites dece que voulait le compositeur, sans

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transgression provocante ou inutile, lemaestro veut expérimenter toutes lesnuances ou les approches possiblesde l'interprétation d'un chef-d'œuvre, en fonction de l'acoustique, de l'instrument,de l'atmosphère de la salle et desdispositions du public. » Comme ClaudeMonnet avec la cathédrale de Rouen, saisieselon différentes lumières, ni tout à fait lamême, ni tout à fait une autre...

Le 21 novembre 2012, voilà doncexactement deux ans, le Théâtredes Champs-Élysées connut, dans unrecueillement et des larmes dignes dupublic russe, l'un des plus beaux concertsde son histoire. Le récital de Grigory

Sokolov comportait la 29e  Sonate deBeethoven, dite Hammerklavier . L' Adagiofameux de cet opus 106 devint, l'espaced'une soirée, un moment hypnotique infini.Bruno Monsaingeon avait filmé Sokolovà Paris lors de son récital annuel en 2002,dix années auparavant – permettant ainside garder un témoignage de l'interprétationahurissante, avant évanouissement du

répertoire, de la 7e Sonate de Prokoviev.

Le réalisateur – à qui l'on doit desdocumentaires somptueux sur Menuhin,Oistrakh, Gould ou Richter – a vouluque restât une trace patrimoniale dela  Hammerklavier   par Sokolov. Ce futpossible à Berlin, le 5 juin 2013. Il suffitde quelques secondes pour être gagné parla magie :

Le pianiste Mikhaïl Rudy  déclare àMediapart : « Sokolov est le plus grand. J'en avais entendu parler, trois ansavant qu'il ne remporte le concoursinternational Tchaïkovski en 1966, par mon professeur de Donetsk, qui était lacousine de son professeur à Léningrad. La musique était le secteur artistique lemoins bridé par le régime soviétique. Les esprits créatifs s’y épanouissaient,donnant libre cours à une émotion virant à la communion et relevant de la religion – interdite alors. Une telle atmosphère, quidevait donc tant à la demande du public,est en train de disparaître. Du coup,Sokolov impose ce qu’on ne lui réclame plus. Il impose son univers. C’est tout sauf 

une partie de plaisir, un récital de Sokolov.

C’est une expérience existentielle, aumême titre qu’un film de Tarkovski. Au-delà de la simple performance, un concert de Sokolov s'avère d'ordre spirituel et peut donc changer la vie. Imaginez la chargeémotionnelle que cela implique : il met tout se vie dans chaque note qu'il joue. Il est le dernier d'une espèce en voie dedisparition. Il m'offre ce que j'ai perdu et que je trouvais en écoutant Gilels, Richter,ou Michelangeli. »

Pour comprendre la comète Sokolov,voici une petite démonstration avec lesolo  initial (conçu à l'origine pour unpiano-pédalier) du premier mouvement, Andante, du concerto n° 2 en sol mineurde Saint-Saëns. Comparons l'ultimeenregistrement d'une gloire absolue quis'apprête à quitter la scène, ArthurRubinstein (1887-1982, filmé en 1975 :orchestre symphonique de Londres dirigépar André Prévin), avec la premièregravure d'une jeune pousse enregistrantdans la foulée de l'épreuve du concoursTchaïkovski : Grigory Sokolov, donc– Neeme Järvi (père de l'actuel directeurmusical de l'orchestre de Paris Paavo

Järvi) est à la tête de l'orchestresymphonique de l'URSS (disque Melodya,1967) :

Ci-dessus, Sokolov parvient à suggérer lasonorité de l'orgue, dont s'inspirait Saint-Saëns, de même qu'il donne l'impressionde restituer le timbre du clavecin lorsqu'il joue Rameau (voir et entendre ici  soninterprétation des Tendres plaintes). Il aune connaissance intime de l'instrument,comme nous le raconte le réalisateurBruno Monsaingeon : « Il se trouve que j'ai

chez moi, en plus du Yamaha de concert de Richter, un Steinway que Sokolov, de passage, s'est empressé d'examiner soustoutes les coutures avec une petite lampede poche qu'il avait sur lui. Je me suiséclipsé pour le laisser examiner puis jouer. N'entendant plus rien depuis de longuesminutes, je suis revenu et l'ai trouvé abîmé dans mes disques de Glenn Gould, qui,visiblement, le fascine. »

Grigory Sokolov sait tout sur tout, selonson agent, qui le compare à un ordinateur

vorace et pudique : l'artiste intègre et

accumule des données dans tous lesdomaines, mais n'éprouve aucun besoind'en faire état – même sous prétexte departage. Il ne se trouve jamais que dansla musique : « Sokolov n'est ni triste ni joyeux, Sokolov est tout le temps Sokolov. Rien ne le conditionne. La fatigue, lamauvaise humeur, ou les contrariétésn'ont aucune prise sur lui. Du moment qu'ilapproche un piano, il est cent pour cent Sokolov, même si vous le trouverez, aprèsle concert, disert et souriant comme unenfant », nous affirme Franco Panozzo.

L'organisatrice de concert Jeanine Roze,active depuis 40 ans dans le domaineclassique, a misé sur un Grigory Sokolovalors quasiment inconnu. Il joua dansun Théâtre des Champs-Élysées à moitiévide, avant que les places ne s'arrachassentd'année en année. La dame refuse des'épancher sur cet artiste si singulier,histoire de ne pas créer de jalousieparmi tous ceux qu'elle produit. On sentnéanmoins chez elle un tendre intérêt pourcet homme hanté par l'ombre et tourmentépar la lumière, qui ne grave plus de disqueen studio depuis 1990, qui ne joue plusavec orchestre, qui laisse enregistrer sesrécitals mais refuse toute diffusion avantsa mort.

Franco Panozzo vient pourtant de réussir

à le convaincre de laisser éditer, parDeutsche Grammophon, l'enregistrementd'un concert donné en 2008 au festivalde Salzbourg : « Je gardais la captationde ce moment, deux sonates de Mozart et les 24 Préludes  de Chopin, en espérant qu'un jour le maestro dirait oui. Ce jour vient d'arriver, le disque sera disponibleen janvier 2015. »

Quand Grigory Sokolov accordera-t-il,enfin, le moindre entretien à la presse ?« Avec lui, plaide son agent,  il faudrait 

entrer dans une autre dimension. Il

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 faudrait un ou une journaliste qui ne fasse pas que recueillir des propos,mais qui devienne comme l'interprètede l'interprète. Est-ce possible et mêmenécessaire ? Il suffit de l'écouter jouer,il raconte tout du monde et de lui-même.C'est son moyen d'expression. Pourquoi prétendre lui en imposer un autre ?... »

Le futur congrès sort le PSd'un coma profondPAR STÉPHANE ALLIÈSLE VENDREDI 21 NOVEMBRE 2014

Les socialistes ont entériné la date deleur prochain congrès, en juin 2015.Deux blocs, l’un soutenant l’orientationgouvernementale, l’autre la critiquant,devraient s'affronter. Reste à connaître lerôle des protagonistes ainsi que l'impactdes élections départementales de marsannoncées comme calamiteuses.

Éléphants dans la brume. Entraînédans un délitement paraissant jusqu’iciinéluctable, le parti socialiste voit sonappareil déliquescent s’ébranler de façon

inattendue. Samedi, son conseil national(en tout cas, un peu moins de 200 deses membres, sur 330) a bouleversé ladonne de son épuisement programmé. Endécidant de façon inattendue d’organiserun congrès début juin 2015, le PS tente dese replacer au centre du jeu politique d’unegauche de gouvernement à la dérive, sansautre cap que celui d’une hypothétiqueamélioration de la situation économique.

Signe de sagesse ou de faiblesse, selon lespoints de vue, l’exécutif s’est finalement

laissé imposer un calendrier plus rapidequ’il ne le souhaitait. Les prochesde Manuel Valls et François Hollandeplaidaient pour un congrès en 2016, maisla haute autorité du PS a réaffirmé lanécessité pour un parti démocratique derespecter ses statuts (lire ici).

Désormais, chez les récalcitrants d’hier,on s’accommode tant bien que mal dela situation d’aujourd’hui. « C’est dé cidé,alors il  faut faire avec », explique leministre Stéphane Le Foll. Quitte à choisir

l'année 2015 et non 2016, il regrette

même que le congrès n’ait pas lieu dèsfévrier prochain! Pour ce fidèle de longuedate du président, qui anime le courant“hollandais” au sein du PS, il s’agitdésormais de se lancer dans un exercice de« clarification, mais sans se déchirer ». Ilestime que le parti doit avant tout éviter «de se retrouver comme à Liévin (en 1994) ,quand le parti s’est marqué à gauche pour appeler dans le même temps Jacques Delors à se présenter à la présidentielle ».

Pour le député Carlos Da Silva, suppléantet proche du premier ministre, « il faut espérer que la tonalité de ces derniersmois change, que la responsabilité et le respect permettent d’arriver aurassemblement à la fin des débats ducongrès ». Lui, comme d’autres dans lamajorité actuelle du parti, se dit « rassuré », mettant en avant les états-générauxportés par Jean-Christophe Cambadélis.« Ça a apaisé les esprits, la discussions’est libérée, les militants se sont remis auboulot », dit Da Silva.

Pour autant, si la remobilisation de la basemilitante fait l’unanimité dans le parti, laproposition de charte issue de ces états-généraux, qui semble « ancrée à gauche »,« bien écrite » ou « généreuse » aux diresmêmes des responsables les plus critiquesde l’orientation gouvernementale, suscitedéjà des réserves. « Cela pose tout demême un sérieux problème entre le dire, enl’occurrence l’écrit, et le faire », souligneEmmanuel Maurel, chef de file de l’ailegauche du parti. D’autres redoutent que le« molletisme ne gagne le PS », claironnantà gauche quand sa pratique du pouvoir necesse de dériver à droite.

Ce projet de charte, écrit par le n°2 du partiGuillaume Bachelay (également député etsuppléant de Laurent Fabius), ne définitfinalement pas le « nouveau progressisme»  souhaité par Cambadélis (termeabandonné devant l'hostilité majoritaire auBN). Il a été adopté par le bureau nationaldu PS par 24 voix et 9 abstentions, mardisoir. Le texte (lire ici), qui doit être adoptépar les militants le 3 décembre, affirmele « primat du politique sur l'économisme», souligne « l’objectif du plein emploi

»  et considère que « la fiscalité doit 

 favoriser le réinvestissement des bénéfices plutôt que la distribution de dividendesaux actionnaires... ».« C'est le cadre dudébat du congrès, juge Carlos Da Silva,porte-parole du parti. On peut avoir unconsensus sur les frontières de ce cadre. »

Le congrès doit justement permettrede lever ces ambiguïtés, même si saperspective enfin claire semble avoirrefroidi les ardeurs de chacun. Il y ades rites à respecter à nouveau, aprèsdes initiatives critiques tous azimuts etles désirs de ruptures relatives qui sesont exprimés à l’assemblée ou sur lestréteaux des universités d’été. Se réunirentre diverses sous-sensibilités d’ici lafin de l’année, envisager le dépôt d’unecontribution commune, tout en faisantcampagne pour les départementales demars... Puis envisager le grand saut dudépôt d’une motion, peu après ce scrutinlocal qui a tout du grain de sable potentieldans la mécanique graissée d’un congrèsdu PS. Voilà le nouvel horizon desresponsables socialistes.• Les élections départementales comme

préalable

D’ores et déjà, les prévisionscatastrophiques circulent à Solférino, àpropos du futur scrutin départemental,sans que l’on ne sache si ellesrelèvent de l’intox, afin de relativiserla déroute à venir, ou de réelles étudesapprofondies. La perte d’une quarantainede départements et un score national entre10 et 13 % sont évoqués.

Une telle sanction électorale pourraitdéboucher sur un congrès cathartique, oùpour la première fois de son histoire, unexécutif socialiste ne serait pas soutenupar son parti. Cette hypothèse n'est pasévidente, tant elle dépend aussi de la réalitéde l’effectif militant du PS, comme dela capacité de son appareil en ruines àcontrôler encore les votes internes. « Celadépendra de l’état d’esprit des militantsencore présents, explique le député PascalCherki. Soit ils sont tétanisés, se replient sur eux-mêmes et font bloc comme dansun congrès de crise du PCF. Soit ilsexpriment leur colère et se révoltent. »

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Des départementales aux airs dedébandade – ce qui apparaîtrait commeune victoire pour Nicolas Sarkozychef de parti – pourraient provoquerun « troisième temps inattendu duquinquennat », pronostiquent certains.Ceux-là imaginent alors un changement depremier ministre, plus compatible avec unretour à gauche, comme Martine Aubryou Claude Bartolone. « Dans un tel cas,ça changerait tout et il faudrait repartir à zéro, d’un point de vue stratégique», explique un député PS critique. «Ce congrès devient le levier principal pour faire pression sur le président de

la République, estime le député critiqueLaurent Baumel. La question de l’inflexionà gauche du gouvernement redevient centrale, là où le débat est devenu difficileau parlement. »

Cette incertitude face aux événementsest clairement à l’avantage de Jean-Christophe Cambadélis, expert-tacticiendans la maîtrise des circonstancesaléatoires depuis qu’il a pris la tête duparti. Mais son leadership est tout aussifragile que le pouvoir aux pieds d’argile

qu’il tente, bon an mal an, d’accompagner.

Jean-Christophe Cambadélis, Martin Schulzet Manuel Valls, lors de la campagneeuropéenne, en mai 2014 © Reuters

• Cambadélis, haut, bas, fragile

Il a aujourd’hui autant de chances dese succéder à lui-même que de rejoindreHarlem Désir, Michel Rocard ou HenriEmmanuelli au panthéon des premierssecrétaires éphémères du PS. Pour l’heure,« Camba » la joue à mi-distance de Valls etde l’aile gauche. « Son attitude dépendrade Valls, s’il reste ou s’il part, ou de quelle façon il part », croit savoir un de ses amis.

Si le premier ministre reste à Matignonaprès les départementales, il saura le tenir

à l’écart du congrès, tout en espérant

réunir ses proches avec les hollandais, eten profitant au maximum de son amitiéparfois surjouée avec Martine Aubry.En équilibriste d’un PS sur le fil,il entend rester le seul dénominateurcommun possible entre première gauche,deuxième gauche et après-gauche… « Mon objectif n’est pas de faire un congrèssur la politique gouvernementale, maisde faire en sorte qu’il soit utile àla fin du quinquennat , se contente-t-ilpour l’heure d’affirmer. On doit montrer que les socialistes sont capables de serassembler sur une position. Certes en faisant l’inventaire de ce qui a fonctionné 

ou pas, mais surtout en faisant des propositions. »

Cambadélis se fait stratège avant tout, pourconserver la direction d’un parti qu’il amis tant de temps à conquérir (il étaitdéjà le n°2 de Lionel Jospin en 1995). Ilne répond pas aux questions sur la lignepolitique, mais souligne que « la clé dela vie politique française passe, aux yeuxde nos adversaires ou concurrents, par un éclatement du PS ». Or, estime-t-il,les militants ne feront pas ce cadeau aux

autres forces politiques, et il appelle dèsmaintenant ses « camarades »  à « avoir en tête la radicalisation de la droite et la façon dont l’extrême droite affine sonmodèle ».

Sa position centrale dans un partiaussi démonétisé n’est toutefois pas siconfortable qu’elle en a l’air. L’hommen’a pas vraiment de troupes à lui, en dehorsde son réseau militant essentiellementparisien et francilien, issu de l’Unef et de laMnef des années 1990. « Il est soutenu par 

qui, en vrai ?!, relativise ainsi un cadre ducourant hollandais “Répondre à gauche”. Il n’est là que parce qu’il est connaisseur du parti, qu’il est disponible et qu’il ne pouvait pas faire pire que Harlem. »  Iln'est d'ailleurs pas sûr que le choix dela date de juin 2015 pour le congrès aitremonté sa cote auprès de l’exécutif. Deuxconcurrents se sont pour l’instant dressésface à lui, Benoît Hamon et EmmanuelMaurel. « Pourquoi faudrait-il sauver 

le soldat Camba ?  s’interroge ce mêmecadre hollandais. C’est une des questionsà trancher dans ce congrès… »

Du côté de l’opposition interne à lapolitique gouvernementale, on s’interrogeaussi sur l’avenir du premier secrétaire.« Ses efforts et ses critiques ne sont audibles que pour les journalistes et une partie de l’appareil du parti, explique unresponsable des “frondeurs” du collectif Vive la gauche. S’il veut s’imposer, il faudrait qu’il parvienne à vraiment faire plier le gouvernement sur un sujet fort d’ici le congrès. Mais est-il capable de le faire ? »

Pour l’heure, l’intéressé fait comme si derien n’était, bien décidé à s’avancer dansle congrès comme un sortant souhaitantêtre reconduit sans discuter. Samedi, il aannoncé qu’« il y aura une contribution et une motion Cambadélis », sur l’air du quim’aime me suive, et en plus vous n’avezpas le choix. Réplique, « à titre personnel», du député Christian Paul, proche deMartine Aubry et l’un des meneurs de lacontestation au parlement : « Il n’y a pasd’hostilité vis-à-vis de Cambadélis, mais iln’y a pas d’automaticité à le soutenir non plus. » À ses yeux, « le parti a plus que jamais besoin de vitalité démocratique, et surtout pas de voir le débat tué avant decommencer : on n’est pas condamné àdevoir choisir entre Manuel et Valls ».• Aubry, combien de divisions ?

Au début de l’été, à la buvettede l’Assemblée, François Lamy avaitannoncé la couleur à Bruno Le Roux,président du groupe PS et fidèle deFrançois Hollande : « J’ai reçu une lettreme demandant d’ouvrir le placard et desortir les fusils. »  La saynète, rapportéepar une députée présente à proximité del’échange, illustre la volonté de la mairede Lille de ne plus se tenir à distancedes débats internes socialistes. Après unesuccession de « cartes postales » adresséesà l’exécutif, puis une « sortie du bois »fracassante il y a un mois (lire ici), Aubryest de retour.

Nouveau signe inquiétant pour sescontempteurs : l’annonce samedi – le

même jour que le conseil national –

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de l’implantation militante de FrançoisLamy, son plus fidèle lieutenant, sousle beffroi nordiste. Si une place sur laliste aux prochaines régionales, ou lasuccession de Bernard Roman, députéhollandais et meilleur ennemi d’Aubry àLille, sont évoquées à son sujet, c’est aussila perspective du congrès qui se cachederrière ce rapprochement géographique.Dans le même temps, d’autres de sesfidèles, comme les députés ChristianPaul ou Jean-Marc Germain, participent àl’animation du collectif “Vive la gauche”,qui entend, lui, s’adresser aux autres partisen rupture avec le pouvoir.

Depuis septembre, Martine Aubry a déjàréuni deux fois en un mois ses relaisdans le parti. « Plus que durant lesdeux dernières années », note un députéaubryste de longue date, pour qui « il faut arriver à tracer un chemin entre lesvallsistes et les frondeurs, pour réoccuper le cœur du parti ». Alors, elle inciteclairement ses proches à se structurer envue du congrès, pour y peser de façondécisive.

Car Aubry est bien l’une des clés ducongrès qui s’ouvre, dont on saura endécembre dans quelle ville il se tiendra(Avignon, Nantes, Metz, Lourdes ouDouai sont évoqués). Soutiendra-t-elleun candidat, ou mettra-t-elle « ses œufsdans divers paniers », comme l’imaginentbeaucoup ?

Un soutien à son ami Cambadélis, qui l’aaidée à prendre le parti lors du congrèsde Reims, lui ferait courir le risque d’être« débordée sur sa gauche », commel’estime un pilier de sa sensibilité : « La base des élus est dans la logiqued’en découdre, et les militants ne suivront  pas pour se ranger derrière Camba… »Un soutien à son ancien protégé BenoîtHamon est aussi envisagé. Plus procheidéologiquement, elle entretient avec luides relations complexes et parfois tendues,comme chien et chat, héritées de leur

collaboration au ministère du travail, oùl’ancien président du MJS était conseillerde la ministre des 35 heures.

Benoît Hamon et Martine Aubry © Reuters

• Hamon, un boulevard seméd’embûches

Il se veut éloigné des stratégies àplusieurs bandes, oscille entre la tablerenversée (comme quand il évoque la« menace pour la République »  queconstitue l’orientation gouvernementale)et le recentrage par rapport à une ailegauche qu’il a patiemment reconstruitepuis délaissée (lire notre reportage).

Au conseil national de samedi, BenoîtHamon est arrivé et reparti par une portedérobée, évitant les médias désireux deparler congrès. Et à la tribune, il a choisi

de ne parler que de la reconnaissancede la Palestine, lui qui a été l'un desinstigateurs de la proposition de résolutionde reconnaissance de l'Etat palestinien àl'Assemblée (lire ici). C'est un symbole,à ses yeux, de l’utilité dont peuvent fairepreuve les parlementaires socialistes pouraider à être de gauche malgré lui cegouvernement, qu’il a quitté avec fracasà la fin du mois d’août. C'est une façonde « se placer au-dessus de la mêlée »pour les uns, le signe qu’« il ne sait pasencore quoi raconter » pour les autres... Lenouveau député prend le temps et se gardebien d’attaquer bille en tête le quartiergénéral.

Au congrès de Reims, Martine Aubryl’avait un temps soutenu comme solutionde sortie de crise, alors que la nuitdes résolutions était bloquée. Il a étéfinalement porte-parole du PS, après avoirrecueilli 25 % du vote militant. Puisen 2012, Hollande l’avait nommé augouvernement, à la surprise générale,façon de l’empêcher de lorgner la directiondu parti. Il va désormais devoir cheminer

 jusqu’au vote du congrès, montrer qu’ilpeut être l’alternative à Cambadélis. Sur lepapier, un boulevard s’offre à lui. Dans laréalité, il est semé d’embûches.

En premier lieu, il voit se dresserdevant lui Emmanuel Maurel. Hérautde l’aile gauche du parti, dont il acontribué à entretenir la flamme quandHamon et les siens s’étaient rangés augouvernement et dans la majorité deHarlem Désir, Emmanuel Maurel entendpouvoir « poser toutes les questions qui fâchent lors de ce congrès ». Peu désireuxde se mettre en retrait après deux anspassés à structurer “à l’ancienne” soncourant “Maintenant la gauche” (avecMarie-Noëlle Lienemann, Jérôme Guedjet Gérard Filoche), il ne pardonne pasencore vraiment à Hamon d’avoir joué,avec Montebourg, le marchepied deManuel Valls à Matignon (lire ici).

« Les hommes parfaits sont des hommesmorts », relativise Pascal Cherki, l’un deses proches, qui estime que “Benoît” « aune meilleure force de pénétration dans le parti ». Un autre ami, plus cash, avance deson côté : « On a mis des années à faireémerger un leader crédible à la gauchedu parti, qui en plus est devenu ministre,ce n’est pas pour se ranger derrière unnostalgique de Jean Poperen. »

Dans un premier temps, Hamon espèrerassembler au centre du parti. « L’idée,ce serait de retrouver le socle de NPS (le courant Nouveau parti socialiste crééen 2002 par Vincent Peillon, ArnaudMontebourg et lui), même si tout lemonde a roulé sa bosse depuis »,explique un jeune député aubryste. Envertu de leur amitié gouvernementale,Montebourg pourrait soutenir son collègueco-démissionnaire, en attendant MartineAubry. « Tout est possible dans cecongrès, dit un hamoniste. On peut gagner sans Aubry, comme perdre avec. »

Cette opposition interne débouchera-t-ellesur un scénario à deux grosses motionsconcurrentes, entre un « pôle gauche »et un « pôle droit », sur plusieurs petitesmotions à côté d'une grosse (hypothèsela moins probable, même si beaucoup

imaginent que « Cambadélis va sûrement 

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“inventer” ») ? S'agira-t-il d'une rééditiondu congrès de Metz de 1979, théâtre del’affrontement entre première et deuxièmegauche, où François Mitterrand avait faitalliance en deux temps avec l’aile gauchedu Cérès de Jean-Pierre Chevènement,face à Michel Rocard ? Le congrès ne faitque commencer.

Boite noireTous les propos cités dans cet article ontété recueillis en marge du conseil nationalà huis clos (comme toutes les réunions duPS sous l’ère Cambadélis) et lors d’uneconférence de presse du premier secrétaire

samedi, ainsi que par téléphone ces lundiet mardi.

Mort d'Ali Ziri : l'avocatgénéral demande unsupplément d'enquêtePAR LOUISE FESSARDLE VENDREDI 21 NOVEMBRE 2014

Ali Ziri, 69 ans, est décédé, asphyxié,le 11 juin 2009, deux jours après

son interpellation par la police àArgenteuil. Le parquet général de Rennesa demandé jeudi 19 novembre à relancerl’information judiciaire qui s’était concluepar un non-lieu.

Connaîtra-t-on enfin un jour la véritésur la mort d’Ali Ziri, un chibanide 69 ans, décédé par suffocation, le11 juin 2009, deux jours après soninterpellation par la police à Argenteuil ?L’affaire s’était d’abord conclue parun non-lieu prononcé le 15 octobre

2012 par un juge d’instruction qui,pas plus  que ses prédécesseurs, n’avaitpris la peine d’entendre lui-même lespoliciers interpellateurs. Mais début 2014,la Cour de cassation avait estimé  queles juges auraient dû « rechercher siles contraintes exercées »  sur le retraitéalgérien « n'avaient pas été excessivesau regard du comportement de l'intéressé »  et « si l'assistance fournie (par les policiers, ndlr) avait été appropriée ». Elleavait dépaysé l’affaire devant la chambre

de l’instruction de la cour d’appel deRennes. Laquelle doit désormais déciderde l’annulation ou non de ce non-lieu.

Sur mediapart.fr, un objet graphiqueest disponible à cet endroit.

Lors de l'audience, jeudi 19 novembre2014, l’avocat général, qui représentele parquet devant la cour d’appel deRennes, a demandé l’infirmation de cenon-lieu et un supplément d’enquête.Il s’est cependant opposé, à ce stadede l'enquête, à la mise en examendes trois policiers interpellateurs. Selon

Me  Stéphane Maugendre, l’avocat de la

famille d’Ali Ziri, le parquet générala estimé que l’instruction avait étésérieuse mais avait eu deux défauts. « Le premier, de ne pas avoir vérifié si latechnique du pliage avait été utilisée et siune autre méthode pouvait être utilisée,

détaille Me  Maugendre.  Le second était qu’elle n’avait pas été attentive à latransparence vis-à-vis des parties civileset pas assez contradictoire, notamment auregard des demandes d’actes formulées par les parties civiles. » Celles-ci étaient

pourtant basiques : la famille a demandéune reconstitution, ainsi que l’accès auxbandes de vidéosurveillance montrantl’arrivée d’Ali Ziri au commissariat.

Selon feu la commission nationale dedéontologie de la sécurité (CNDS) quia pu les visionner, ces bandes montrentqu'Ali Ziri a été « littéralement expulsé du véhicule » puis « saisi par les quatremembres, la tête pendante, sans réactionapparente, et emmené dans cette position jusqu'à l'intérieur du commissariat ».

Mais aucun des trois juges d’instructionqui se sont succédé sur cette affaire n’a jamais jugé utile de visionner ces vidéos.

Arrêté avec un ami lors d'un contrôleroutier, Ali Ziri avait été transportéà l'hôpital une heure et demie aprèsson arrivée au commissariat. Les deuxhommes de 69 ans et 61 ans, étaientfortement alcoolisés. Ali Ziri était revenupasser quelques jours en France pour

effectuer des achats avant le mariage deson fils et les deux amis avaient descenduplusieurs verres dans l'après-midi.

Schéma montrant les multiples hématomes découverts surle corps d'Ali Ziri lors de la deuxième autopsie.

Dans son avis de mai 2010, la CNDS avaitdénoncé comme « inhumain et dégradant 

» le fait de les avoir laissés, lui et son amiinterpellé en même temps, « allongés sur le sol du commissariat, mains menottéesdans le dos, dans leur vomi, à la vue detous les fonctionnaires de police présentsqui ont constaté leur situation de détresse, pendant environ une heure ».

Les rapports médicaux avaient donnélieu à une bataille d'experts. Alors qu’unpremier cardiologue avait pointé une biencommode « cardiomyopathie méconnue »,deux expertises ont ensuite mis en cause

la technique du pliage. Un procédé queles policiers d’Argenteuil, trois jeunesgardiens de la paix, ont reconnu avoirutilisé pour maintenir le vieil hommedurant le trajet vers le commissariat.

Dans son rapport de juillet 2009,l'ancienne directrice de l'institut médico-légal de Paris indiquait ainsi qu'Ali Ziri,fortement alcoolisé ce soir-là, est décédé« d'un arrêt cardio-circulatoire d'originehypoxique par suffocation multifactorielle(appui postérieur dorsal, de la face et 

notion de vomissements) ».  L’autopsieavait en effet montré une vingtained'hématomes sur le corps d'Ali Ziri,pouvant « correspondre à des lésions demaintien », ainsi que des signes d'asphyxiemécanique des poumons.

Malgré cela, les juges d’instructionn’ont jamais auditionné les policiersconcernés, ni les témoins présents cesoir-là au commissariat. Ils n'ont pasnon plus visionné la bande des camérasde la cour du commissariat. Aucune

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reconstitution n’a été réalisée. La chambrede l’instruction doit rendre sa décision le12 décembre 2014.

La banque HSBC mise enexamen pour « blanchimentde fraude fiscale »PAR DAN ISRAELLE VENDREDI 21 NOVEMBRE 2014

D'après  Le Monde, la branche suisse degestion de fortune de la banque a été miseen examen pour « démarchage illicite »et « blanchiment de fraude fiscale ».

Exactement comme UBS. L'avancéede l'enquête conforte les informationsfournies dès 2008 par Hervé Falciani.

Après UBS, HSBC. La filiale suisse degestion de fortune de la banque, HSBCPrivate Bank, a été mise en examen àParis pour « démarchage illicite » et« blanchiment de fraude fiscale ».Selondes informations du  Monde, la miseen examen date du mardi 18 novembre.C’est une étape cruciale dans le travaildes juges d’instruction Guillaume Daïeff 

et Charlotte Bilger, qui enquêtent depuisavril 2013 pour établir si la banque aorganisé en toute connaissance de cause lafraude fiscale massive de ses riches clientsvers la Suisse. Une semaine auparavant,c'est en Belgique que la banque avait étémis en examen.

Selon  LeMonde, HSBC devra payer unecaution de 50 millions d’euros. La banquea confirmé au quotidien avoir « été mise enexamen par les magistrats qui examinent si la banque a eu un comportement 

approprié en 2006-2007 vis-à-vis decertains clients ayant des obligations fiscales en France et de la façon dont labanque a proposé ses services dans ce pays (…) Nous continuerons de coopérer avec les autorités françaises autant qu’ilsera possible ».

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 Début novembre, l'information selonlaquelle la banque allait être mise enexamen sous peu avait été confirmée à

 Mediapart. Cet article est une reprisede celui que nous avions publié le 4novembre.

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Pour expliquer l'avancée de l'enquête, Le Monde  s’appuie notamment sur unrapport de synthèse de la gendarmeriedu 30 juillet 2014, la réponse est sansambiguïté : au cours de l’enquête, oùils ont auditionné plus de 80 témoins,clients ou gestionnaires de fortuneconfondus, les enquêteurs ont acquis laconviction que l’établissement financierabritait en Suisse des dizaines, voire

des centaines de milliers d’euros de sesclients importants, principalement abritésderrière des sociétés-écrans permettant dedissimuler leurs bénéficiaires réels.

Les éléments dévoilés jusqu’à présentressemblent beaucoup à ceux quiconcernent UBS, dont la maison-mèrea été mise en examen  pour lesmêmes motifs que HSBC en juilletpar le même juge Daïeff, qui aexigé le versement d’une caution deun milliard cent millions d’euros.

Mais pour HSBC, le volume desopérations est largement supérieur. Les juges d’instruction estiment, en fourchettebasse, que UBS accueillait environ 10milliards d’euros occultes dans ses coffres,dont au moins 80 % appartenant àdes Français. Côté HSBC , « plus de5 milliards d’euros, dernier décompte fiscal en date, auraient été cachés par des contribuables français », selon  Le Monde. Cette somme est proche decelle calculée à l’été 2013  par ChristianEckert, alors rapporteur général de lacommission des finances de l’Assembléeet aujourd’hui secrétaire d’État aubudget. Mais elle ne concerne que lescontribuables hexagonaux. L’ensembledes sommes cachées sur les comptes deHSBC Private Bank en 2006 et 2007dépasserait les 180 milliards d’euros,« appartenant à 106 682 personnes physiques et 20 129 personnes morales » !

Ces conclusions, et la mise en examende la banque, viennent conforter lesinformations et les données fournies

dès 2008 à la justice par Hervé

Falciani. Cet ex-informaticien de HSBC àGenève s’est mué en lanceur d’alerte depremier plan lorsqu’il a communiqué auxautorités françaises plus de 65 gigaoctetsde données, regroupés sur cinq DVD,formant un gigantesque et complexepuzzle de la fraude fiscale internationale,concernant des milliers de contribuables.Mediapart lui a longuement donné laparole, et l’a invité lors d’un récent live,en compagnie d’autres lanceurs d’alerte dusecteur bancaire.

Parmi les quelque 3 000 noms présents surles listings prioritaires établis par le fiscet les gendarmes à partir des données deFalciani, on trouve des célébrités, commeMediapart l’a déjà détaillé  : le célèbrepatron de salons de coiffure JacquesDessange, deux monstres sacrés du cinémafrançais, les comédiens Michel Piccoliet Jeanne Moreau, ou encore un ancienreprésentant permanent de la France àl’ONU, Luc de Nanteuil. Tous ont indiquéavoir régularisé leur situation fiscaleces dernières années. Même situationpour le réalisateur Cédric Klapisch, lepsychanalyste Gérard Miller ou l’ex-

président du CRIF Richard Prasquier. Lechef cuisinier Paul Bocuse aurait quant àlui « oublié »  qu’il détenait 2,2 millionsd’euros non déclarés, avant qu’il ne rentredans les clous.

L'importance des sociétés-écrans biencomprise par Dugarry

De nombreux comptes étaient établis viades sociétés-écrans basées au Panama ouaux îles Vierges britanniques. Autant desociétés créées à partir de 2005 pourcontourner la mise en place d’une directiveeuropéenne prévoyant de taxer les revenusd’épargne des comptes à l’étranger, pourpeu qu’ils appartiennent à des personnes

physiques. Depuis le 1er  juillet 2005,ces comptes basés en Suisse peuventrester anonymes, mais les intérêts qu’ilsrapportent subissent une retenue à lasource (passée de 15 % en 2005 à 35 %aujourd’hui).

Selon Le Monde, les enquêteurs détiennentune lettre datant de 2005 et signée dedeux dirigeants de HSBC, prévenant leursclients de la mise en application de la

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nouvelle taxe européenne, tout en leurassurant que de « nombreux instruments et structures existent » pour y échapper.

Parmi les clients qui ont été sensiblesà cet argument, on trouve notamment leconsultant sportif et ancien footballeurinternational Christophe Dugarry. Dansun procès-verbal de gendarmerie de juillet 2010 obtenu par Mediapart,les enquêteurs indiquent qu’il est lebénéficiaire économique d’un compteouvert au nom de Faroe Capital Ltd enmars 2005, et créditeur de 67 731,97 eurosau moment de sa découverte par la justice.

En Suisse, la justice française peuconsidérée

La future mise en examen de la banquene tombe pas bien pour elle, alors qu’ellea déjà été (légèrement) sanctionnéeen avril 2013, pour avoir géré lesfonds douteux du clan du présidenttunisien déchu Ben Ali pendant desannées, et qu’elle a versé fin 2012 1,9milliard de dollars (1,5 milliard d'euros)pour mettre fin à des poursuites desautorités américaines dans une affaire

de blanchiment en faveur de cartels dela drogue et de fonds iraniens, interditsd'accès au système financier américain.

Mais la décision des juges Daïeff etBilger ne devrait pas non plus améliorerles relations franco-suisses, alors queFrançois Hollande vient d’annoncer qu’ileffectuera l’an prochain une visited’État  chez son voisin helvète, unepremière en plus de trente ans.  Le Monde révèle que le ministère de la justice suisse avait signalé par courrier

le 1er

  août ne pas apprécier que sesbanquiers soient convoqués directementpar la justice française, sans passer « par lavoie ministérielle ». Les juges hexagonauxont opposé une fin de non-recevoir à cettedemande, rallumant la guerre judiciaireque Mediapart évoquait l’an dernier.

Les activités de la justice française nesemblent cependant guère impressionnerde l’autre côté du Rhône : dans son éditiondu 3 novembre, le prestigieux quotidien Le Temps, traditionnellement proche de la

place bancaire genevoise, offre une belle

tribune à François Reyl, le banquier quiavait accueilli le compte caché de l’ancienministre du budget Jérôme Cahuzac dansses livres de comptes. Reyl y développeune brillante analyse des recours desbanques suisses pour continuer à gagnerde l’argent, maintenant que l’« exceptionculturelle »  de la fraude fiscale massivedevient difficile à défendre. Mais FrançoisReyl ne rappelle nulle part qu’il est lui-même  justement mis en examen  enFrance pour « blanchiment de fraude fiscale ». Et le quotidien n’a pas non pluscru bon de préciser ce détail éclairant.

Lire ci-dessous nos principaux articlesconsacrés à l'affaire HSBC :• Scandale HSBC: Falciani, le témoin-

clé, raconte• Affaire HSBC: de nouvelles

personnalités apparaissent dans leslistings

• Les zones d'ombre de la liste Falciani• Derrière l'affaire Reyl, une guerre

 judiciaire oppose la France à la Suisse• Liste HSBC: « Rien, ou presque, ne

 s’est p assé sur le front judiciaire »

Expo sur l'Oulipo: lalittérature est un sport decombatPAR ANTOINE PERRAUDLE JEUDI 20 NOVEMBRE 2014

Sur mediapart.fr, un objet graphiqueest disponible à cet endroit.

L'Oulipo (Ouvroir de littératurepotentielle), vétéran des mouvementslittéraires modernes (54 ans d'existence),

s'expose jusqu'au 15 février 2015 à laBibliothèque de l'Arsenal (Paris IVe). Sousla marrade nasillarde, le refus du marasmenazi ? Tentative d'outing...

Tout se tient. Nous sommes dans l’ancienappartement de fonction de CharlesNodier  (1780-1844). Conservateur de labibliothèque de l’Arsenal à Paris, Nodiertenait ici salon, recevant Hugo, Dumaset tant d’autres. C’est en ces lieux, oùgrincent les parquets à caissons sous lespieds du visiteur, que fut lu pour la

première fois le Sonnet d’Arvers, qui

devait tenir le XIXe  siècle en haleine.Quelle est donc la femme aimée par

l’auteur d’une telle énigme nichée dans lesrimes (« Mon âme a son secret, ma vie ason mystère ») ?

Une exposition, sous des coursiveschargées d’histoire, retrace la naissancepuis l’existence réglée comme dupapier à musique d’un autre cénacle,ami des mystères, des devinettes,ou plutôt des contraintes formellesstimulant l'imagination, la création etl'affranchissement : l’Oulipo  (Ouvroirde littérature potentielle). Ce groupe de

recherche en littérature expérimentale,initialement au confluent de lapataphysique, forme une étrange confrérieà la fois scientifique et littéraire, qui seperpétue depuis plus de cinquante ans parl’injection de sang neuf coopté avec unsens du dosage définitif – on ne peutdémissionner qu’en se suicidant devanthuissier.

Les morts de  toute autre forme detrépas répertoriée sont « excusés »  :de Georges Perec à Luc Étienne ( Le

Canard enchaîné   lui doit “l’album de lacomtesse” et ses contrepets), en passantpar Marcel Duchamp, Italo Calvino, ouFrançois Caradec. Quant aux vivants,ils se supportent : le benjamin, DanielLevin Becker, né en 1984, sua en portant jusqu’à une réunion haut perchée le doyen,Jacques Duchateau, voix durant trente ansdu “Panorama” de France Culture, né en1924 – mais sa coquetterie l’oblige àdéclarer 1929 (l’exposition hésite entrela légende et l’état civil, au gré desvitrines…).

Sur mediapart.fr, une vidéoest disponible à cet endroit.

L’Oulipo fut créé en 1960 par deux« fraisidents-pondateurs » : RaymondQueneau (1903-1976) et FrançoisLe Lionnais  (1901-1984). Ce dernier,selon Olivier Salon, oulipien venantd’achever une biographie de FLL (lesmembres du groupe se désignent parleurs initiales) , « avait moins d’aura»  que RQ, dont la position était établiechez Gallimard et qui connut en 1959

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le succès avec son roman  Zazie dans lemétro, devenu film de Louis Malle l’annéesuivante.

« Moins d’aura », dit donc àMediapart Olivier Salon à proposde François Le Lionnais, dont untexte admirable accueille le visiteur del'exposition : «  La peinture à Dora

». Paru en 1946 dans Confluences,revue de l’ancien résistant lyonnaisRené Tavernier, ce témoignage contrela déchéance évoque la place d’appelde Dora. L’occupant nazi avait déportédans ce camp, près de Buchenwald,au centre de l’Allemagne, l’activistecommuniste François Le Lionnais. Etcelui-ci, au milieu des milliers debagnards attendant, deux fois par jour,le dénombrement vétilleux des mortseffectué par leurs bourreaux bureaucrates,avait décidé de dispenser sa scienceà ses camarades, malgré l’interdictiond’ouvrir la bouche. Il murmurait donc desformules mathématiques, des lambeaux delittérature, ou des analyses picturales, en sesouvenant du moindre détail de centainesde tableaux : « FLL était incroyablement 

hypermnésique », nous confirme OlivierSalon.

Voici le début de son texte publié ausortir de l'horreur : « Mon regard se porta machinalement sur la colline quis'élevait du côté de l'infirmerie. L'automne y achevait son établissement. Alors cesgrands arbres dépouillés fondirent sur moisans crier gare et m'emportèrent aveceux. L'Enfer de Dora se métamorphosasubitement en un Breughel dont jedevins l'hôte. Favorisée sans doute par 

l'affaiblissement physique et mental danslequel nous nous trouvions, une viveexaltation s'empara de moi : l'impressionde m'être évadé, comme aurait pu le faireune fumée, sous l’œil de mes gardiensimbéciles. »

En voici la fin : « J'ajouterai pourtant que ces exercices étaient souvent liés àune activité musicale et littéraire aussiintense. Où êtes-vous souvenirs de laPassacaille de Bach jouée au cours d'unedésinfection particulièrement redoutable,

du Quintette pour clarinette  de Mozart,

dont les volutes argentées s'enlaçaient au thème infect de la dysenterie, du

XIe

  Quatuor  de Beethoven, grondant sarévolte au lendemain d'une série de pendaisons particulièrement bien réussie,et de toutes ces angéliques visitations de poètes – Shelley, Rimbaud ou Eluard – quise firent plus pressantes au moment de lagrande faim ? »

Les contraintes menant à la liberté,instituées quinze ans après sa libérationpar François Le Lionnais – élément moteurde la fondation de l’Oulipo – ne sont-ellespas une façon de retourner comme un gant

le legs concentrationnaire ? N’est-ce pasainsi qu’il faut comprendre la définition(attribuée à RQ mais peut-être due à FLL)de cette congrégation de travailleurs de lalangue : « Des rats qui construisent eux-mêmes le labyrinthe dont ils se proposent de sortir » ?

Oulipolitique !Olivier Salon n’est pas prêt à nous suivre jusqu’au bout d’une telle piste, qu’iln’ignore pas cependant. Il a fait le voyagede Dora pour tenter de comprendre ce

qui avait constitué FLL sans qu’il enparlât jamais. Olivier Salon est même allé jusqu’à visiter la bourgade allemande deSeesen, libérée par François Le Lionnais etdeux ou trois déportés en costumes rayés,ne pesant pas plus de 40 kg en mai 1945.Ils y avaient publié un journal intitulé Revivre !, avec une grille de mots croisésencore marquée par l'horreur infligée.

Quand Le Lionnais se lance dans lethéâtre, il s'oblige à ce que chaque acte soitcomme le premier d'une pièce dont on ne

verrait pas les autres. Sa poésie sonne telleune séance d'appel cryptée : les vivantssoutiennent les morts pour que l'absencedonne le change. Pas étonnant que l'Oulipoait abrité ce merveilleux chat écorché deGeorges Perec, l'auteur de La Disparition.« Ce repère Perec », palindrome (qui selit de gauche à droite comme de droiteà gauche) inventé par les oulipiens LucÉtienne et Italo Calvino. Georges Perec,hanté par les disparus d'Auschwitz, dansUn cabinet d'amateur (1979), pochade

tordante mais préoccupante sur des œuvres

parfaitement controuvées attribuées à despeintres célèbres, GP, donc, tendait lamain au FLL revenu de Dora...

François Le Lionnais, maître d'œuvreinconnu du grand public mais dont cetteexposition permet de saisir l'importancefondatrice, édictait ceci : « Lorsqu'ils sont le fait de poètes, divertissements, farceset supercheries appartiennent encore àla poésie. La littérature potentielle restedonc la chose la plus sérieuse du monde.C.Q.F.D. »  L'apparente gaudriole d'unJacques Jouet (né en 1947), ou d'unHervé Le Tellier (né en 1957), ne doivent jamais faire oublier la gravité originelle.Ce dernier oulipien le confirme par l'unde ses titres en forme de clin d'œilréférentiel :  Les amnésiques n'ont rienvécu d'inoubliable.

Derrière les mots-valises (l'un finit parun son par lequel l'autre commence),tels « sardinosaure »  ou « taurossignol», se cache une quête de solidarité :Oulipolitique ! L'inquiétude d'un mondebarbare et sens dessus dessous perce,par-delà les combinatoires des “proverbesgreffés” : « Prendre le taureau dans sabouche », « tirer le diable à deux mains »,« tourner sept fois sa langue par les cornes», « prendre ses jambes dans la tombe»,« prendre son courage par la queue», «avoir un pied à son cou »...

L'Oulipo garde en lui la mémoire dela sortie du chaos nazi, qui avaitproduit, en réaction, le programme duCNR. Claire Lesage, conservatrice àla BNF et commissaire de l'exposition(avec Camille Bloomfield), insiste surla hardiesse régénératrice qui sous-tendle jeu sur la langue : « Il y adès l'origine un sens civique développé,une générosité, qui consiste à mettreà disposition des techniques et desrecherches langagières, dont se servent aujourd'hui les ateliers d'écriture. Onretrouve cette idée avec le champd'expérimentation et l'action vers les publics que mène actuellement l' Oumupo

(Ouvroir de musique potentielle). Lelien l'emporte sur la rupture. Dès ledépart, l'Oulipo a refusé la table rase

en se désignant, de Lewis Carrol à

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 Raymond Roussel sans oublier Alfred  Jarry, des ancêtres appelés “plagiaires par anticipation”. »

Ni effacement, ni dégommage permanent.François Le Lionnais avait faitl'expérience des purges stalinienneset Raymond Queneau des exclusionspropres aux surréalistes. Si bien quel'Oulipo rêve d'une démocratie discutantemais pacifiée, nous confirme ClaireLesage : « Contrairement aux avant-gardes traditionnelles, il y a une volonté d'inventer sans avoir la prétention desupprimer le passé. Jacques Roubaud atravaillé à une anthologie du sonnet. Aucun pape possible à l'Oulipo, où se forment plutôt des attelages, histoired'éviter le surgissement d'un André Bretonchargé d'excommunications – c'était unehantise pour le poète Noël Arnaud (1919-2003), par exemple. » D'où, àl'Oulipo, un duumvirat de secrétairesgénéraux, l'un « provisoirement définitif »et l'autre « définitivement provisoire ».

Ne pas s'imposer, ne pas se cramponnerau détriment d'autrui, savoir laisser saplace aux autres dans et avec la langue,par et avec la science, telle pourraitêtre la morale oulipienne. Le meilleurtémoignage de cette dignité empathiqueest apporté par MA. Ces initiales en formede pronom possessif signalent MichèleAudin, mathématicienne comme son père,Maurice Audin, mort sous la torturede l'armée française pendant la guerred'Algérie. Cette professeure d'universiténée en 1954, dans sa lettre extraordinaireannonçant cette année son départ à laretraite, offre le plus bel exemple de

 jeu vivifiant et bienveillant face à lacontrainte.

« Y'a pas que la rigolade, y'a aussi l'art ! »pouffait sérieusement Raymond Queneau.Non seulement l'exposition de l'Arsenalpermet de découvrir ce qu'échafaudèrentdepuis 1960 quarante oulipiens – dontdix-huit encore en activité –, c'est-à-direles possibilités créatrices d'une certaineidée du ludisme jubilant, mais encorel'exposition offre à retenir la morale del'histoire. Elle gît dans cette citation de

François Le Lionnais :

« On peut se demander ce qui arriverait sil'Oulipo n'existait pas ou s'il disparaissait subitement. À court terme on pourrait leregretter. À terme plus long tout rentrerait dans l'ordre, l'humanité finissant par trouver, en tâtonnant, ce que l'Oulipos'efforce de promouvoir consciemment. Ilen résulterait cependant dans le destin dela civilisation un certain retard que nousestimons de notre devoir d'atténuer. »

Jusqu'au 15 février 2015, du mardi audimanche de 12 h à 19 h (entrée libre).Bibliothèque de l'Arsenal 1, rue Sully,75004 Paris.

Catalogue  sous la direction de CamilleBloomfield et Claire Lesage (Gallimard,208 pages, 123 ill., 39 €).

À lire également :  L'Abécédaire

 provisoirement définitif de l'Oulipo

(Larousse, 320 p., 29,90 €).

Les activités, séances, animations,colloques, rencontres sérieuses etpoilantes de l'Oulipo (les jeudis del'Oulipo, l'Oulipo chasse la langue auRond-Point, etc.) sont détaillés sur cesite.

Olivier Salon fera une causerie surFrançois Le Lionnais le mercredi 3décembre 2014 à 19 h 30, en la Maison dela poésie sise à Paris (détails ici).

Hervé Le Tellier, oulipien suractif (pléonasme), vient de publier  Demande

 au muet. 115 dialogues socratiques dequalité  (Éd. Nous, 128 p., 12 €).

Sivens : nouvelle plaintedéposée contre le projet debarragePAR JADE LINDGAARDLE JEUDI 20 NOVEMBRE 2014

Alors que plus aucun engin de chantiern’a pénétré le site du projet de barrage deSivens depuis la mort de Rémi Fraisse, une

nouvelle plainte doit être déposée vendredi21 novembre pour infraction au code del’environnement et au code forestier.

Alors que plus aucun engin de chantiern’a pénétré le site du projet de barragede Sivens (Tarn) depuis la mort deRémi Fraisse, dans la nuit du 25 au26 octobre, une nouvelle plainte doitêtre déposée vendredi 21 novembre pourinfraction au code de l’environnementet au code forestier. L’ONG Francenature environnement (FNE), dont le jeune

botaniste tué par les gendarmes étaitadhérent, porte plainte contre X devantle procureur de la République d’Albipour plusieurs infractions commises lorsdes travaux d’aménagement du maîtred’ouvrage, la Compagnie d’aménagementdes coteaux de Gascogne (CACG), et deson donneur d’ordre, le conseil général :la destruction d’une partie de la zonehumide qui devait servir aux mesurescompensatoires, le non-respect de l’arrêté

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portant sur la loi sur l’eau, le non-respectdes engagements du maître d’ouvrage, ledéfaut de signalement de l’incident.

Une salamandre "occupante"de la zonehumide du Testet (©Tant qu'il y aura des bouilles).

« Détruire une zone humide sansautorisation est un délit», explique AliceTerrasse, avocate de FNE. L’associationsouhaite l’ouverture d’une enquêtepréliminaire et la venue sur place de lapolice de l’eau afin de dresser le procès-

verbal des infractions. Pour FNE, le non-respect de ses obligations par le maîtred’ouvrage devrait entraîner la déchéancede l’autorisation des travaux. D’autresassociations se joignent à son action en justice : le collectif pour la sauvegardede la zone humide du Testet, FNEMidi-Pyrénées et Nature Midi-Pyrénées(membres du réseau de FNE).

La zone humide du Testet s’étendait sur 13hectares. Elle a été entièrement déboisée

– mais non décapée – à partir du 1er

septembre, malgré l’occupation du site etles actions de résistance par les opposantsau projet. L’arrêté autorisant la CACG à ladétruire l’obligeait aussi à préserver troishectares de terrain, en aval de la digue,destinés à accueillir les espèces protégéesdans l’attente de la création de troismares artificielles. Or Jacques Thomas,le responsable du bureau d’études ScopSagne, spécialiste en compensation, a eu lamauvaise surprise de découvrir sur placeque non seulement 1,5 hectare de la zone

protégée était en réalité détruit, mais queles fonctionnalités de la moitié restanteétaient menacées.

Le site héberge au moins 94 espècesprotégées (dont le campagnol amphibieet plusieurs reptiles amphibiens, commela salamandre). « Elles ne sont pasnécessairement exceptionnelles mais dansce contexte local dégradé, elles prennent de la valeur », explique Laurent Pelozuelo,enseignant-chercheur à Toulouse. La zonehumide du Testet était précieuse par sataille (une vingtaine d’hectares en tout),dans un département où en moyenne, cetype de milieu n’excède pas les deuxhectares.

FNE porte aussi devant la justice lesconditions des travaux de défrichement,démarrés avant la publication de l’arrêtéles autorisant. « C’est illégal : ilsn’auraient dû commencer que quinze jours après la parution », explique AliceTerrasse. C’est la sixième procédureenclenchée contre le projet de barrage deSivens par des associations, qui mènentune bataille juridique pied à pied.

Par ailleurs, la Commission européennepourrait enclencher une procédured’infraction contre le barrage deSivens, pour violation des directivesenvironnementales (sur les habitats, enmatière de protection des forêts etdes zones humides, et sur les règleseuropéennes de financement). Le collègedes commissaires, l'organe politique del'institution, devrait en discuter lorsd'une réunion plénière le 27 novembre.L’Europe finance 30% des travaux. Encas de suspension de cette aide, c’est toutl’équilibre financier du projet qui serait àrevoir.

Prix Interallié. MathiasMenegoz, voyage au boutde la lignéePAR DOMINIQUE CONIL

LE JEUDI 20 NOVEMBRE 2014

Sept cents pages de sombre châteauau bord d’un lac, de forêts profondes,d’aristocratie partie aux confinsde l’empire austro-hongrois, d'amours

sanglantes et de luttes communautaires.Mathias Menegoz semble à contre-courant. Pas tant que ça. Extrait en fin.

Vraiment, cela ne se fait pas. Écrireun roman de sept cents pages, alorsqu’en moyenne, le primo-romancier s’entient à un honnête cent soixante pages.Écrire une fresque historique qui s’affirmetranquillement en tant que telle. Et publierchez POL, dont l’éclectisme est souventréjouissant, mais quand même. MathiasMenegoz, 46 ans, chercheur en neuro-

biochimie, qui, soudain, abandonne lacarrière, parle très simplement de son livreaux libraires (voir la vidéo ci-dessous).Il en a eu assez de la recherche, il aeu envie d’écrire un roman d’aventures,voilà. Voilà (et pas mal de travail).

Si l’on recherche la part intime, lasource cachée du livre, on peut viteimaginer que ce fils d’un père normand etd’une mère souabe du Danube – minoritéallemande expédiée repeupler Hongrie etRoumanie après la défaite et le retrait

des Ottomans – s’en est allé explorerles racines maternelles avant d’inventerComte Alexander Korvyani, baronne CaraVon Amprecht avec Valaques, Saxons etMagyars, en Transylvanie. Passant desmois à exploiter les archives de l’empireaustro-hongrois – le livre évite parfoisde justesse le syndrome pas-un-bouton-ne-manque-à-l’uniforme, on pardonne –et arpentant ce qui est aujourd’hui laRoumanie, en ces régions reculées oùl’on croise encore davantage de charrettesà foin que d’engins géants. D’où,d’ailleurs, de somptueuses variations sur

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les paysages, un bonheur sensuel etpresque cinématographique, des lueurs.Rigueur historique donc, et d’autant plusde liberté. Carrez-vous dans le fauteuil,lisez en abandon, ce qui a parfois du bon.

Le comte Alexander Korvyani esthongrois. Ses terres, le château de lafamille se trouvent aux confins de l’empireaustro-hongrois, il n’y a jamais misles pieds. Une révolte sanglante desserfs valaques (futurs Roumains, pourrésumer), en effet, avec massacre del’ancêtre, a amené la famille à s’établiren des endroits plus civilisés, soit Vienneet alentours. Le comte Korvyani, purproduit de l’éducation militaire d’alors,de la fidélité absolue à l'empire, avecconception particulière de l’honneur etd’un système social qui paraît encoresolide voire éternel en ces années 1830, nerêve que de retrouver ce château de familleet les confins inconnus de cet empire.

Sa rencontre et son amour pourCara Von Amprecht, allure de délicateporcelaine autrichienne mais tempéramentd’acier, cavalière émérite et chasseresseconfirmée, l’amènent à démissionner del’armée au terme d’un duel-prétexte. Etles voici partis, ce qui n’est d’ailleurs pasune mince affaire : on commence en trainet dans un paysage familier, on finit envoiture à bras, sérieusement dépaysé. Et onattend longtemps les malles avec le résuméd'une civilisation.

L’intendant Lànnfy, jusque là adeptede l’arrangement, sent le vent tourner.L’équilibre est plus qu’instable, sur lesterres Korvyani, et à une encabluredu château en bordure de lac. Uncamaïeu de peuples, les Valaques, lesTziganes, les Magyars, les Saxons, autantde situations diverses et de hainescommunautaires promptes à l’allumage.Avec le tempérament pour le moinsaffirmé du comte, le mélange est explosif.Tout en bas de la hiérarchie sociale, lesTziganes, qui ont néanmoins pour eux laliberté de déplacement et deux atouts ; onne peut se passer d’eux ni pour les récoltes,ni pour les fêtes. Ni pour les fantasmes.

Les Valaques, dont la révolte a été noyéedans le sang, sont encore plus misérablesque les Magyars, et en servage. Mais dansla forêt, presque à la frontière moldave,avec, en fond discret, la police secrètedu tsar, des rebelles clandestins entendentprovoquer un soulèvement. Les Saxonsfuient vers des contrées où leur peuple estlibre, à la première occasion. Les Magyarssont prompts à voir des réincarnationsde vampires. Et Carla de galoper enterres nouvelles, avec courage mais sansdistinguer les uns des autres, sauf le gibier.

Il y a de la candeur, presque, dansce livre, et c’est une force que peut-être vous pourrez comparer à, disons…Dumas ? Non, plutôt Game of Thrones(pardon, POL !), une finesse européenneen plus : Mathias Menegoz croit à sespersonnages, aux événements qu’il crée,révolte inévitable et bombe à retardementen milieu agricole, revival des légendes devampires, viol d’une jeune fille si bellequ’elle sème le trouble, loup dévorant,mise à sac et massacre dément, survivantscachés dans les douves, de la  Jadfest ,chasse géante réunissant hobereaux et

soldats, à l'enlèvement et soulèvement,tandis que monte la brume au-dessus dufleuve Maros.

Le récit est en lui-même : l’écrivains’est employé à restituer et consignerles logiques internes à l’œuvre, qu’ils’agisse d’Alexander, tout entier dansl’appartenance à sa lignée, des hainescommunautaires qui se substituent à touteconscience de classe (lecture personnelle,rappelons que le servage ne sera aboliqu’en 1864). On partage des sorts

misérables, mais ni religion parfois, nilangue commune, la plupart du temps : là,au cœur d'une Europe condamnée, fragileBabel. Avec le pas des chevaux et le luxeinouï de très peu.

Seul un jeune médecin hongrois frété pourla chasse – et qui va avoir l’occasiond’utiliser son savoir, ô combien –, petitpassé contestataire et regard humain,annoncerait un futur. L’écrivain, lui,s’en garde bien : « Dans ces momentsd’intimité, tout, autour d’eux, évoquait la

douceur et la chaleur : les draps froissés,

les lourdes fourrures, le ronflement du poêle. Mais ils n’échappaient pas ausoupçon indélébile d’un odeur d’incendiequi hantait la maison. » Pas plus, « un solgorgé de sang et de haine par la force detout ce qui s’y acharne à vivre et à aimer ».1830 dans les Carpates, sans immixtion du jugement contemporain ; et ainsi passe-t-on de l’historique à l’intemporel…

Sur mediapart.fr, un objet graphiqueest disponible à cet endroit.

Karpathia, de Mathias Menegoz, 697pages, éditions POL, 23,90 €. Extrait ici.

Le groupe nucléaire Arevaest en perditionPAR MARTINE ORANGELE MERCREDI 19 NOVEMBRE 2014

Derrière la chronique de cour sur lechangement de président à la tête dugroupe nucléaire, se joue un drame :Areva prend l’eau de toutes parts. Unerecapitalisation de l’ordre de 1,5 à 2milliards d’euros s’impose. Des coupessombres s’annoncent. Même le sort du

réacteur EPR paraît menacé.En apparence, cela se résume à cettechronique de cour qu’est devenu lepouvoir, dont les échos nous sont infligésdésormais chaque semaine. Vendredi 14novembre au matin, Matignon a convoquéPierre Blayau pour lui annoncer qu’ilne serait pas renouvelé à la présidenced’Areva. Bien que sans aucune expertisedans le nucléaire, mais avec la chauderecommandation d’Alain Minc dont ilest client depuis des années, il avait

été nommé en mai 2013 par FrançoisHollande à la présidence du conseil desurveillance du groupe nucléaire. PierreBlayau demandait à être reconduit, alorsqu’Areva s’apprête à abandonner sonorganisation en directoire et conseil desurveillance pour revenir à un schémaplus simple avec un président du conseild’administration et directeur général.

Pierre Blayau, qui militait pour cechangement afin de renforcer le pouvoir decontrôle des administrateurs, notamment

sur les comptes et les grands contrats

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Ce document est à usage strictement individuel et sa distribution par Internet n’est pas autorisée. Merci de vous adresser à [email protected] si vous souhaitez le diffuser.23/43

signés par le groupe, espérait bienobtenir son maintien. Il pensait avoird’autant plus de chances que, dans laprécipitation, le gouvernement a dûnommer Philippe Knoche, fin octobre,pour assurer l’intérim de Luc Oursel,président du directoire, qui s’est retiré pourraisons de santé. Imposer un changementcomplet de direction au moment oùAreva rencontre de grandes difficultés luisemblait presque impossible.

Matignon en a décidé autrement. Dansla foulée, le ministre de l’économie,Emmanuel Macron, annonçait sonintention de nommer Philippe Varin,ancien président de PSA, à la présidencedu conseil d’administration. Le corps desMines, dont il est membre, soutient cettenomination à la tête de l’entreprise, quiest un de ses prés carrés. Philippe Varina aussi pour lui d’avoir été nommé parl’État administrateur d’EDF : il est censéfaire la liaison entre les deux groupesqui entretiennent des relations orageusesdepuis des années.

« Pierre Blayau a été la victime collatéralede la guéguerre entre Hollande et Valls »,dit un proche du dossier « François Hollande a décidé de ne pas renouveler  Henri Proglio à la tête d’EDF contrel’avis de Manuel Valls qui souhaitait le maintenir. Manuel Valls a profité del’absence de François Hollande (alors ausommet du G20 en Australie, ndlr) et del’affaiblissement de Jouyet pour marquer son territoire », explique-t-il.

Philippe Knoche, président dudirectoire d'Areva © Reuters

Ces petits jeux de pouvoir, cependant,ne doivent pas cacher l’essentiel. Lechangement complet de direction à latête d’Areva répond à une autre urgenceque l’État et les responsables du groupe,soutenus par le corps des Mines etl’inspection des finances, très impliqués

dans ce dossier, ont tenté de cacher depuisdes mois voire des années : Areva est enperdition.

Les aveux de cette situation catastrophiquecommencent. Dans un communiqué publiéce mardi 18 novembre après la clôturede la Bourse, le groupe a annoncé qu’il« suspendait l'ensemble des perspectives financières qu'il s'était fixées pour l’exercice 2015 et 2016 ». Il précisaitégalement ne plus pouvoir garantir sonobjectif d'un cash flow opérationnel libre« proche de l'équilibre ».

Au premier semestre, Areva a annoncé

une perte de 694 millions d’euros. Seloncertaines informations, la perte pourraità nouveau dépasser le milliard d’euros àla fin de l’année. À l’exception de sonactivité minière, toutes les autres branchessont en perte. Le groupe ne disposed’aucune marge de manœuvre financière.Son free cash flow est négatif. Il n’a doncaucune ressource propre pour assurer sesinvestissements. Son endettement atteint4,7 milliards d’euros pour 4 milliards defonds propres. Pourtant, le groupe a déjàcédé quelque 7 milliards d’euros d’actifsen quelques années, notamment sa filialeT&D et ses participations dans Eramet etdans ST Microelectronics, et a bénéficiéd'une première augmentation de capitalde 600 millions C’est dire l’ampleur dudésastre, que beaucoup se sont évertuésà nier pendant des années (lire notrearticle : Areva, l’ardoise d’une gestiondésastreuse).

« Si Areva était une société privée,elle aurait déposé son bilan », dit unconnaisseur du dossier. L’analyse rejointcelle de l’agence de notation Standard &Poor’s. Au début de l’automne, celle-cia mis Areva sous surveillance négative.Bercy a beaucoup bataillé pour que legroupe nucléaire ne soit pas classé dansla catégorie infamante de  junk bonds.En échange, l’Agence des participationsde l’État (APE), principal actionnaire dugroupe avec le CEA, et la directiond’Areva ont promis de remédier très viteà la situation. Une émission obligatairehybride de quelque 800 millions d’euros

devait être lancée début novembre. Malgré

un taux de 8 %, très supérieur auxconditions de financement actuelles, lesinvestisseurs n’ont pas suivi, selon nosinformations. Areva a annoncé qu’ilrepoussait son opération, en attendant destemps plus favorables.

Sous pression, la direction d’Areva n’aplus le choix : il lui faut faire la véritédes comptes. Ce que le groupe a besoin desolder, ce ne sont pas ses rêves d'expansiondétruits dans l'explosion de Fukushimamais les erreurs de gestion passées. Illui faut dresser le véritable bilan de laprésidence d’Anne Lauvergeon. Ce bilanque les administrateurs, les autorités detutelle, les commissaires aux comptes,les experts extérieurs ont refusé de faire jusqu’à présent, parce qu’ils y avaienttous une part de responsabilité, préférantfermer les yeux plutôt que de bousculer lesréseaux de pouvoir.

À son arrivée à la présidence du directoire,en 2011, Luc Oursel avait opéré unpremier nettoyage : une dépréciation de1,4 milliard d’euros avait été passée pourramener la valeur d’Uramin, ce désastreuxachat minier (lire notre enquête), à zéro.Mais tout ceci est très loin du compte,selon nombre de connaisseurs du dossier.Depuis 2006, Areva ne cesse de présenterune image flatteuse, bien éloignée de laréalité, que ce soit sur le réacteur EPR ouses autres activités.

Depuis le début de l’année, cette questionde la vérité des comptes empoisonnel’atmosphère au sein du groupe nucléaire.Luc Oursel, alors président du directoire,était partisan de la transparence, mais jusqu’à un certain point, afin de nepas porter un coup fatal au groupe. Savision, jugée trop optimiste, a beaucoupénervé l’APE et les autorités de tutelle,au point qu’elles envisageaient de ne pasle reconduire à la présidence, avant qu’ilne tombe malade. En face, Pierre Blayauprônait un nettoyage sans concession,quitte à abandonner des activités, voireà pousser au démantèlement du groupe.Son agressivité a aussi beaucoup énervéles autorités de tutelle, qui préféraienttemporiser.

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La réalité est en train de rattraper toutle monde. Fin septembre, un comitéd’audit du groupe a pris des alluresdramatiques, selon nos informations. Déjàsous la menace d’une dégradation parStandard & Poor’s, le comité d’audit a dûconstater que l’hémorragie financière necessait de s’aggraver, et qu’Areva avaitun besoin urgent d’être recapitalisé pouréviter l’effondrement financier.

L'avenir de l'EPR en questionL’augmentation de capital d’Areva estestimée à moins 1,5 milliard d’euros, voire2 milliards, d’après les connaisseurs du

dossier. Les sources de perte du groupesont en effet multiples.

 © Reuters

D’abord, il y a le chantier de l’EPRfinlandais. Alors que le réacteur nucléairedevait à l’origine entrer en fonctionnementen 2009, son démarrage ne cesse d’êtrerepoussé, d’abord en 2016, puis 2017.Le groupe parle maintenant de 2018.« Chaque année de retard coûte 400millions d’euros de plus au groupe », ditun salarié. Areva a déjà avoué un surcoûtde 4 milliards d’euros par rapport aux 3,5milliards d’euros prévus dans le contratsigné avec l’électricien finlandais TVO.Mais le coût pourrait être encore plusélevé, le groupe ayant, semble-t-il, pris encompte des remboursements et des déditsliés à des contentieux qui ne sont pas

encore réglés avec son client.

La situation dans l’activité minière esttout aussi sinistre. Il y a d’abord ledossier Uramin, qui devrait conduire àla mise en examen prochaine de certainsresponsables, et qui n’est pas totalementpurgé. Il reste notamment le milliardd’euros de travaux réalisés en Namibie quin’a jamais été provisionné.

Mais il faut aussi compter maintenantavec le dossier Imouraren. Areva aobtenu le permis d’exploitation de cettemine d’uranium au Niger début 2009. Àl’époque, le groupe parlait à nouveaud’une mine exceptionnelle : le gisementdevait produire 5 000 tonnes de mineraiau moins par an avec un permisd’exploitation pendant 35 ans. Des travauxont été commencés. La piste d’atterrissagea été ref aite deux fois. Des équipementsd’usine et des camions pour exploiter lamine ont été commandés.

Au début de l’année, le groupe a décidéde tout arrêter. La mine semble être aussiinexploitable que les gisements d’Uramin.Toutes les références aux réserves ontdisparu dans les documents de référence.Des moteurs commandés par Areva pourcette mine sont toujours en attente delivraison à Tokyo, des châssis à Cotonou,des bennes à Anvers. Coût total de cetteacquisition : 800 millions d’euros. Mais laperte est encore à inscrire en partie dans lescomptes.

L’activité enrichissement connaît elleaussi des déboires. En 2008, Areva adécidé de construire une nouvelle usinede gazéification pour l’uranium sur le sitede Tricastin, en remplacement de cellede Lodève. Le prix de cette nouvelleconstruction s’élève à un milliard d’eurosenviron. Elle devrait fonctionner à partirde 2016 mais n’a toujours pas de client. Demême, l’usine d’enrichissement Georges-Besse 2, toujours sur le site de Tricastin,peine à monter en puissance, alors qu’ellea coûté elle aussi plus d'un milliard d’eurosà réaliser.

Enfin, les énergies renouvelables netiennent pas les promesses attendues.Au milieu des années 2000, AnneLauvergeon avait décidé de repeindre

Areva en vert et de le présenter comme

le groupe spécialisé dans les énergiessans CO2. Le groupe avait alors choisi

de se développer très rapidement dansles énergies renouvelables. D’importantsinvestissements, de l’ordre de plusieurscentaines de millions d’euros, ont étéréalisés pour croître rapidement dans cesactivités, notamment dans l’éolien en mer.

Les efforts consentis ne sont pas payés deretour. La branche énergies renouvelablesa réalisé un chiffre d’affaires de 32millions d’euros au premier semestre, enbaisse de 18 % par rapport à la mêmepériode de l’an dernier. Surtout, elle amultiplié ces pertes par deux sur la mêmepériode pour les porter à 19 millions,soit près des deux tiers de son chiffred’affaires. « Personne ne peut reprocher à Areva d’avoir tenté le pari des énergiesrenouvelables. Beaucoup d’autres l’ont  fait. À l’exception des Chinois, jusqu’à présent, aucun groupe ne gagne del’argent dans les énergies renouvelables.S’il n’y avait eu que ces contretemps, Areva aurait largement pu faire face. Malheureusement, il y a tout le reste »,relève un connaisseur du dossier.

Le renflouement d’Areva sembleinévitable, si le groupe veut éviterla faillite. Mais qui va payer ?Plusieurs scénarios paraissent avoir étémis à l’étude, pour aboutir aux mêmesconclusions : « Il n’y a que l’État qui puisse renflouer Areva. Le CEA(Commissariat à l'énergie atomique) quiest actionnaire va être dessaisi et vasortir. L’État aura alors les manettes pour reprendre en main le dossier  Areva », dit un proche du gouvernement.

Selon le magazine Challenges,  Bercyenvisagerait, parallèlement à cetteaugmentation de capital, de créer unesociété de défaisance pour y placer lesactifs risqués ou à vendre. Une structuresemblable avait été créée lors de la faillitedu Crédit lyonnais. 10 milliards d’actifspourraient y être placés.

Si un tel projet voit le jour, le périmètrechoisi donnera les premières indicationssur les intentions du gouvernement quantà l’avenir d’Areva. Le long conflit qui

a opposé Luc Oursel, Pierre Blayau et

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les autorités de tutelle depuis le débutde l’année, portait notamment sur cesquestions. D’un côté Luc Oursel tentait depréserver Areva comme un groupe intégrédans le nucléaire, de l’autre Pierre Blayauprônait la mise à l’encan de nombred’activités, quitte à démanteler le groupe.

De nombreuses activités, de toutefaçon, semblent appelées à êtresacrifiées. La sortie d’Areva desénergies renouvelables s’impose, selonde nombreux observateurs. D’autressemblent condamnées à nettementdiminuer.

Mais la question la plus sensiblepolitiquement, qui va déterminer l’avenirdu groupe, est celle de l’arrêt ou nonde l’EPR. Le réacteur nucléaire estun fiasco industriel et commercial. Ilse révèle trop compliqué et trop cher àconstruire. EDF vient de le confirmer : legroupe public a annoncé le 18 novembreque le démarrage du réacteur était reportéà 2017.

L’État, qui a longtemps fermé les yeux surcette situation au nom de « l’excellence

 française », ne peut plus se permettred’ignorer le sujet. Beaucoup de conseillerspensent qu’il vaut mieux tirer un trait surcette coûteuse et malheureuse aventure.Soucieux, toutefois, de montrer que laFrance ne se retire pas du nucléaire,certains recommandent que les bureauxd’ingénierie d’Areva soient rapprochés deceux d’EDF afin de concevoir un nouveauréacteur, plus petit et surtout moins cherà construire. Mais c’en serait alors finid’Areva.

« Anne Lauvergeon aura beaucoup plus fait que les écolos pour détruire lenucléaire. Areva est en train de sombrer.Ces gens des Mines ont réussi à mettreune entreprise qui gagnait des centainesde millions par an par terre, en touteimpunité », s’énerve un salarié du groupe.De fait, la question des responsabilités àtous les niveaux de cette faillite n’a jamaisété posée. Anne Lauvergeon est mêmepartie avec une indemnité de 1,5 milliond’euros pour la dédommager de ne pasavoir été renouvelée une troisième fois à la

présidence d’Areva en 2011.

À l’intérieur du groupe, la colère et lapeur se mêlent à la stupeur. Jamais lessalariés n’auraient cru en arriver là. Maisils savent que ce sont eux qui vont payerle prix des folies passées. Plus de 1 500suppressions de poste sont déjà annoncésen Allemagne, 200 aux États-Unis. EnFrance, le chiffre n’est pas encore connu.Mais les suppressions d’emploi pourraientse compter en milliers.

Un oléoduc géant menace leCanada et l’EuropePAR THOMAS CANTALOUBE

LE JEUDI 20 NOVEMBRE 2014

L'exploitation à ciel ouvert dessables bitumineux dans l'Alberta

L'entreprise TransCanada vient de déposerofficiellement sa demande de constructiond’Énergie Est, un pipeline de 4 600 kmpour acheminer les sables bitumineux del'Alberta vers l'est du pays. Au mêmemoment, l'Union européenne facilite, parune directive et le traité de libre-échangeavec le Canada, l'importation de ce pétrolehautement polluant.

Les pétroliers canadiens, appuyéspar leur gouvernement, ont de lasuite dans les idées. Malgré lesdégâts environnementaux causés parl’exploitation des sables bitumineux,malgré les oppositions citoyennes à leuracheminement à l’intérieur du pays ouaux États-Unis, malgré la suspension (pourl’instant temporaire) du pipeline KeystoneXL par la Maison Blanche, malgré lesaccidents industriels, ils continuent àpréparer de nouveaux projets visant àtrouver des débouchés commerciaux pource pétrole hautement polluant. Et, cettefois-ci, ils le font avec la bienveillantecomplicité de l’Union européenne.

TransCanada, la même entreprisecanadienne que celle qui est derrière lepipeline Keystone XL, entend désormaisconstruire un autre oléoduc géant, ÉnergieEst, qui traverserait le Canada d’ouest en

est sur 4 600 kilomètres pour véhiculer1,1 million de barils de pétrole par jour.Annoncé pour la première fois en 2013, ceprojet est désormais entré dans sa phaseactive avec le dépôt, le 30 octobre, dudossier de TransCanada auprès de l’Officenational de l’énergie (ONE, l’institutioncanadienne chargée de la régulation desénergies).

Au même moment, presque jour pour jour,la Commission européenne a publié lamise en application de sa Directive sur laqualité des carburants (DQC), qui traînaitdepuis 2011, et qui renonce à étiqueterles sables bitumineux comme du «pétrolesale ». Cette décision ouvre donc lavoie à l’importation de sables bitumineuxcanadiens en Europe sans pénalité pourleurs utilisateurs, alors que l’Unioneuropéenne reconnaît explicitement, dansla même DQC, que ce type de carburant estune menace en raison de son «fort impact climatique », selon les scientifiques.

Le récent voyage de François Hollandeau Canada a merveilleusement illustré cedouble discours européen. Le présidentfrançais, qui n’est pas à une contradictionprès, a ainsi pu déclarer, en évoquantnommément le pétrolier Total : «Jesouhaite que la France puisse continuer à mettre en valeur les immensesrichesses de l’Ouest canadien, que cesoit dans les techniques d’exploitation,de transformation, d’acheminement deshydrocarbures ou dans la constructiond’infrastructures. » Dans le même temps,selon  Le Monde, « il s’est efforcé deconvaincre le Canada de s’impliquer activement dans la lutte contre le

réchauffement climatique, à l’instar des pays de l’Union européenne. »  Commesi les deux choses n’étaient aucunementliées…

Depuis la hausse des prix du pétrole dansles années 2000, les immenses réservesde sables bitumineux de l’Alberta,au Canada, qui coûtent très cherà exploiter, sont devenues rentables.Pourtant, en dépit de cette nouvelleéquation économique, ces réserves posentun double problème aux pétroliers. Primo,

elles sont situées au fin fond du Canada,

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loin des consommateurs et des grandsports. Secundo, les sables bitumineuxnécessitent un raffinage particulièrementintense avant de pouvoir s’en servir.

C’est pour cette raison que le projetKeystone XL (voir notre série d’articles

 sur Mediapart), visant à acheminer lessables bitumineux de l’Alberta jusqu’auxraffineries texanes du golfe du Mexique,est crucial pour l’industrie pétrolière etle gouvernement canadien, qui entendprofiter au maximum des ressources deson sous-sol.

L'exploitation à ciel ouvert des sablesbitumineux dans l'Alberta © Jean-Marc Giboux

Mais, au vu des difficultés politiquesrencontrées dans la construction duKeystone XL, et du caractère très coûteuxdes alternatives (transport par route, trainet barges, ou construction d’un oléoducvers l’océan Pacifique en traversant lesmontagnes Rocheuses), TransCanada aimaginé une alternative : transporter lessables bitumineux vers l’est du paysen recyclant un vieux gazoduc desannées 1970, auquel viendraient s’ajouterenviron 1 000 kilomètres de nouveauxtuyaux, principalement dans la provincedu Québec, et un nouveau port pétrolier.Chiffré à 12 milliards de dollars canadiens(10,5 milliards d’euros), c’est «le projet de

la décennie » pour l’Amérique du Nord !De nombreuses associations citoyennesont entrepris de se mobiliser au Canada,notamment au Québec qui risque d’êtrele plus « impacté » par le projet ÉnergieEst. La bataille s’annonce difficile, carle gouvernement canadien – dirigé parle conservateur Stephen Harper depuis2006 – est à fond derrière le projet. Idemau Québec, où le parti Libéral au pouvoiry est favorable. Pourtant, les risques liésau projet sont considérables. Tout d’abord,

TransCanada envisage d’utiliser en grande

partie un vieux gazoduc construit dansles années 1970. Or le transportdes sables bitumineux nécessite qu’ysoient incorporés de nombreux produitschimiques, ce qui rend les conséquencesd’une fuite bien plus dommageables pourl’environnement. Une fuite de gaz n’estpas bien grave ; celle de pétrole lourdmêlé à des solvants inconnus (pour causede secret industriel) coûte des dizaines demillions d’euros à nettoyer.

Au Québec, «le nouvel oléoduc devratraverser 900 cours d’eau ou bassinsaquatiques, dont le fleuve Saint-Laurent »,souligne Jean Léger, de la CoalitionVigilance Oléoduc (CoVO). Autant derisques de contamination, sachant queles sables bitumineux ne flottent pas àla surface de l’eau comme les autrespétroles, mais coulent au fond. Quant aupoint final d’acheminement, il reste encoreflou. TransCanada envisage plusieursterminaux, dont un nouveau port àCacouna dans l’estuaire du Saint-Laurent,en face d’une zone maritime protégée,ce qui suscite une franche hostilité deshabitants.

« Nous avons le sentiment queTransCanada a proposé un lieud’exportation inacceptable afin de focaliser les énergies et les financesdes opposants, pour ensuite proposer une solution de "compromis", quiserait tout aussi dommageable pour l’environnement », suggère Simon Côté,de l’association Stop Oléoduc.

«On n’a jamais vu une telleactivité de lobbying»

En déposant son projet de 30 000 pagesdevant l’Office national de l’énergie(quasiment toutes en anglais, ce quiest anormal dans un pays officiellementbilingue), TransCanada joue sur duvelours. « Le document est extrêmement technique et quasiment incompréhensible pour le commun des mortels », affirmeJean Léger. «Il va donc être très difficileà combattre. » De plus, « les gaz à effet de serre et les changements climatiquesne feront pas partie de l’évaluation qu’on

va faire », a expliqué  un porte-parole

de l’ONE au journal  Le Devoir . ÉnergieEst sera donc jugé purement sur sonaspect technique. Enfin, l’ONE, qui adix-huit mois pour rendre son rapport,se contentera de recommandations. C’estle premier ministre qui, au bout ducompte, tranchera. Or celui-ci est d’ores etdéjà favorable au projet.

Concernant l’éventuelle opposition despropriétaires terriens au passage d’unpipeline sur leurs terres (qui est lacause des problèmes rencontrés parKeystone XL), TransCanada a prisles devants. Pour négocier avec lescommunautés amérindiennes sur le trajet,l’entreprise a embauché une firme delobbying appartenant à l'ancien chef desPremières Nations, Phil Fontaine. Lesarguments sont sonnants et trébuchants,comme l’explique  sans détour le porte-parole de TransCanada, Tim Duboyce :«Il y a plusieurs avantages pour toutesles communautés qui sont sur le tracé. Le droit de passage vient avec certainsavantages monétaires. On ne passe pas par le territoire d'une communauté sanscompenser pour ça.»

Pour les négociations avec les agriculteurs,c’est le syndicat unique, l’Union desproducteurs agricoles (UPA), qui discuteavec TransCanada pour l’ensemble deses membres. Même si l’UPA possèdeune puissance de frappe importante, lepétrolier a intérêt à n’avoir face à lui qu’unseul interlocuteur plutôt que des centainesde fermiers…

Malgré ce paysage très favorable àÉnergie Est, les associations citoyennesau Canada ont commencé à semobiliser : une trentaine d’entre elles,au Québec, ont réclamé la créationd’un Bureau d’audiences publiques surl’environnement (BAPE), un mécanismede consultation, afin d’« étudier l’ensemble du projet Énergie Est ». Cettedemande vient dans la foulée d’une motionadoptée à l’unanimité par l’Assembléenationale du Québec qui réclame un BAPEet refuse de déléguer ses compétencesenvironnementales à l’ONE.

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7/24/2019 Mediapart Du 22 Novembre 2014

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Même si les Canadiens pris dans leurensemble sont encore hésitants quantau projet Énergie Est, l’argument deTransCanada selon lequel ce projet feraitbaisser les coûts de l’essence et dufuel domestique ne prend pas. En effet,l’oléoduc et le nouveau port pétroliersignifient clairement la volonté d’exporterles sables bitumineux. « TransCanada promettait que les exportations nedépasseraient pas 50 %, mais tous lesspécialistes jugent que c’est impossiblecar toutes les raffineries canadiennes fonctionnent à pleine capacité et il n’ya pas de place ici pour 1 million de

barils par jour », estime Simon Côté. «Auminimum, 80 % des sables bitumineuxseront exportés. »

Vers où ? Vers l’Europe si l’on jugele lobbying intense mené par le Canada,et dans une moindre mesure par lesÉtats-Unis, auprès de la Commissioneuropéenne ces dernières années. « Onn’a jamais vu une telle activité delobbying de la part d’un gouvernement,en l’occurrence celui de Stephen Harper,auprès des instances européennes », juge

Natacha Cingotti, de la confédérationenvironnementale Friends of the EarthEurope.

La plupart des efforts ont visé à retarder lamise en application de la Directive sur laqualité des carburants (DQC), adoptée en2011 et qui attribue une valeur d'émissionsde gaz à effet de serre à chaque sourcede carburant dans le but de réduire desémissions de 6 % pour les transports d'ici2020. Alors que la mise en applicationde la directive aurait dû être publiée dès

2011 ou 2012, le Canada a tout fait pourla retarder. «Plus il y avait de discussionset de délais, plus la mesure était affaiblie.C’était une tactique délibérée », affirmeNatacha Cingotti. En définitive, la DQCreconnaît que les sables bitumineux sontplus polluants que les autres carburants (ilsémettent 23 % de gaz à effet de serre deplus que le pétrole ordinaire), mais elle neprend pas en compte leur spécificité pourle calcul des émissions de gaz à effet deserre des industries qui s’en servent. Une

aberration !

[[lire_aussi]]

Le gouvernement de Stephen Harper

a menacé d’aller devant l’Organisationmondiale du commerce (OMC) pourdiscrimination de ses produits, et il aégalement utilisé la perspective de l'accordde libre-échange entre l'Europe et leCanada (CETA) comme levier pour faireavaler la couleuvre des sables bitumineux.Les lobbyistes des États-Unis ont jouéla même partition dans la perspective del’accord TTIP (libre-échange entre l’UEet les États-Unis). L’industrie pétrolièrese sent d’ailleurs tellement en confiancequ’ExxonMobil a annoncé  cet été uninvestissement d’un milliard de dollars(800 millions d’euros) dans une raffinerieà Anvers, en Belgique, capable de traiterles sables bitumineux. Car, aujourd’hui,il n’y a que deux raffineries européennescapables de transformer ce type de pétrolelourd (une en Espagne et une en Italie).

Selon une étude  du Natural ResourcesDefense Council, reprise par Greenpeaceet Friends of the Earth Europe, si leprojet Énergie Est aboutit, cela signifieque la consommation européenne depétrole issu des sables bitumineux passerade 4 000 barils par jour à plus de700 000 barils en 2020, pour représenterde 5 % à 7 % de la consommationtotale. En prenant en compte le fait queles sables bitumineux sont plus polluants,cela reviendrait à mettre 6 millions devéhicules supplémentaires sur les routesde l’UE ! Autant dire que les bellespromesses de réduction des émissionsde gaz à effet de serre s’envoleront enfumée…

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Lire également sous l'onglet Prolonger decet article.

Boite noireJ'ai corrigé une erreur dans l'articlemercredi 19/11/2014 à 13h. Le premierministre Stephen Harper appartient auParti conservateur et non au Parti libéral.

Climat: les lenteurs etcontradictions de lapolitique américainePAR IRIS DEROEUXLE MERCREDI 19 NOVEMBRE 2014

La politique environnementale est au cœurdu débat aux États-Unis, de l’accordbilatéral signé avec la Chine, jusqu’auvote du Congrès sur la construction dupipeline Keystone XL. Un débat marquépar de vives oppositions, qui a tendance ausurplace.

New York, de notrecorrespondante.- Depuis une semaine, lapolitique environnementale et énergétiqueaméricaine connaît de nombreuxrebondissements. Il y eut l’annoncesurprise d’un accord bilatéral entre lesÉtats-Unis et la Chine, mercredi dernier.Les deux plus gros pollueurs de la planètese sont fixé des objectifs historiques ;les États-Unis promettent de réduire leursémissions de gaz à effet de serre de 26à 28 % en 2025 par rapport au niveau

de 2005 (lire l'article de Mediapart ici).Sauf qu’au même moment, les acteurs dela scène politique nationale fixent plutôtleur attention sur le pipeline Keystone XL,revenu au cœur du débat.

Le président américain Barack Obama et son

homologue chinois Xi Jinping © Reuters

Pour rappel, ce projet d’oléoduc de lacompagnie canadienne TransCanada doitpermettre d’acheminer le pétrole issudes sables bitumineux du grand nordcanadien jusqu’aux raffineries du Texas.Il suscite de vives polémiques depuisplusieurs années déjà. Ses défenseurs, del’industrie pétrolière jusqu’aux syndicatsde camionneurs américains, soutiennentque sa construction créera de l’emploiet qu’il deviendra une pièce majeure de

l’infrastructure énergétique moderne. Ses

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opposants, dont les groupes écologistesaméricains, considèrent que c’est un projetnéfaste pour l’environnement, un symbolede ces énergies fossiles dont il faudraits’éloigner. En outre, ils citent plusieursétudes montrant que sa construction necréerait tout au plus qu’une centained’emplois temporaires (lire ici la série deThomas Cantaloube sur cet oléoduc.)

Puisque c’est un projet transfrontalier,la décision finale revient aux autoritésfédérales et donc à Barack Obamaqui a, jusque-là, choisi de jouer lamontre. Il refuse de trancher tant qu’uneprocédure judiciaire est en cours dans leNebraska, où la Cour suprême doit seprononcer sur la construction de l’oléoduccourant janvier. Il veut encore attendreles conclusions d’une étude fédérale surl’impact de l’oléoduc. Sauf qu’il pourraitse retrouver au pied du mur plus tôt queprévu, puisque Keystone KL est revenu aucœur du débat politique.

Cette fois-ci, les raisons sont moinsenvironnementales qu’électorales. Desélus ont décidé de soumettre le projetd’oléoduc au vote du Congrès enespérant ainsi augmenter leurs chancesaux élections. Bill Cassidy et MaryLandrieu sont en effet au coude àcoude pour le siège de sénateur deLouisiane, où le premier tour n’a passuffi à les départager, le 4 novembre.Un second tour est donc organisé le 6décembre et en attendant, Bill Cassidy, unrépublicain actuellement élu à la Chambre,et Mary Landrieu, la sénatrice démocratedont le siège est en jeu, déploient lesgrands moyens. Les deux clament haut

et fort leur soutien au pipeline afin deséduire les électeurs de Louisiane censésapprécier ce projet puisque l’État comptede nombreuses raffineries.

Bill Cassidy est allé jusqu'à prendrel'initiative d'un vote à la Chambre desreprésentants, vendredi dernier, afin demontrer à quel point le projet lui tenait àcœur. Sans surprise, la Chambre à majoritérépublicaine a voté pour. Puis ce fut le tourde la démocrate Mary Landrieu, connuepour son soutien à l’industrie pétrolière,

de parrainer une loi sur le sujet au Sénat,

où les démocrates disposent encore d’unemajorité jusqu’à fin décembre. Le votes’est soldé par un échec dans la nuit demardi à mercredi, à une voix démocrateprès. Il faut dire que cette initiative laissaitles démocrates perplexes, à la fois prêts àsoutenir Mary Landrieu, mais divisés surle projet d’oléoduc.

Au bout du compte, seuls les républicainssavourent cet étrange épisode. Ce futl’occasion de rappeler qu’ils soutiennent à100 % la construction de l’oléoduc. Quantà l’élection sénatoriale, elle ne les inquiètepas beaucoup, Bill Cassidy est en tête dessondages. Et ce fut en quelque sorte untour de chauffe avant la rentrée de janvier,quand ils disposeront d’une majorité dessièges non seulement à la Chambre maisaussi au Sénat (suite aux élections quise sont déroulées en début de mois). Ilscomptent bien, à ce moment-là, montrerqu’une majorité d’élus soutiennent laconstruction du pipeline et ainsi forcer leprésident à agir.

Que fera alors Barack Obama ? Mettra-t-il son veto, ou acceptera-t-il de donnerson aval à la construction de KeystoneXL ? Les experts estiment qu’il n’estpas fondamentalement opposé au projet,et qu’il pourrait bien finir par l’accepter.« S’il met d’abord son veto, car le Congrèsvote trop tôt selon lui, ça ne veut pas direqu’il s’y oppose catégoriquement et qu’ilne l’autorisera pas plus tard », estimeRobert Stavins, politologue rattaché auHarvard Environment Project.

Sur mediapart.fr, un objet graphiqueest disponible à cet endroit.

Le pipeline pourrait en effet devenirun objet de marchandage quand lestensions entre la branche exécutivedémocrate et la branche législativerépublicaine s’intensifieront. BarackObama pourrait ainsi accorder cetoléoduc aux républicains en échange deconcessions de leur part, par exemple surles lois budgétaires.

Ce calcul purement politique pourraitsurprendre de la part d’un président venantde s’engager à réduire les émissions de

gaz à ef fet de serre. Il donne à réfléchir

sur la complexité et les incohérences dela politique environnementale américaine,faite de petits pas, d’avancées fragiles et decontradictions ; le résultat de compromisbancals et de tensions vives entre les partisse partageant le pouvoir.

Les avancées d'ObamaDes avancées, il y en a eu. Au pointque s’il y a un sujet sur lequel BarackObama ne fait pas l’objet de critiquestrop sévères de la part de ceux quil’ont élu ces derniers temps, c’est celuide l’environnement. « Bien sûr queles États-Unis pourraient faire mieux,

mais Barack Obama a su se montrer ambitieux et offensif », résume DavidVictor, politologue et expert des politiquesenvironnementales à l’université de SanDiego.

Dans les grandes lignes, il y eut d’abordla promesse faite à Copenhague en 2009de réduire les émissions de gaz à effet deserre aux États-Unis de 17 % en 2020 parrapport aux niveaux de 2005 ; à la suite dequoi les républicains prenant l’avantage auCongrès ont tout fait pour tailler en pièces

les efforts présidentiels (par exemple lamise en place d’un marché national ducarbone, dit « cap and trade »).

Un panneau d'opposition au pipeline dans les

champs de maïs du Nebraska © Jean-Marc GibouxEn juin dernier, Barack Obama a reprisl’avantage en adoptant une ambitieuserégulation, nommée le Clean Power Plan.Il s’agit d’un cadre légal défini parl’agence environnementale américaine,l’EPA, visant à réduire de 30 % les rejetsde dioxyde de carbone des centrales àcharbon du pays d’ici à 2030. Un objectif inédit et indispensable quand on sait que lecharbon représente autour de 40 % de la

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production électrique américaine, et 74 %des émissions de CO2  venant de cette

même production.Concrètement, ce plan fixe un objectif plusou moins ambitieux à chaque État selonleur dépendance au charbon. Ensuite,libre à chacun de choisir comment yparvenir, en favorisant des centrales plus« propres », en optant pour d’autressources d’énergies comme les énergiesrenouvelables, et surtout en misant sur legaz. Depuis quelques années, les autoritésont en effet développé un goût prononcépour le gaz de schiste, considéré par ellescomme moins polluant que le charbon, deplus en plus accessible grâce à la techniquedu  fracking, et faisant donc l’objet d’unevéritable ruée vers l’or aux États-Unis.

Inutile de dire que cet emballement pourle  fracking  n’est pas du goût de toutle monde, en particulier des associationsécologistes qui s’inquiètent des fuiteset émissions de méthane liées à cetteexploitation gazière. Ilana Solomon faisaitainsi part de ses inquiétudes à Mediaparten juin dernier (lire ici), suite à l’annoncedu Clean Power Plan.« Il est impossibled’affirmer que c’est une énergie propre.C’est une énergie fossile incroyablement  polluante », expliquait-elle, puis ellerappelait que Barack Obama restait « très favorable au libre-échange »  et donc àl’extraction et aux exportations de pétrole,de gaz, de charbon. Autrement dit, lapolitique environnementale du présidentdémocrate a ses limites, celle des intérêtscommerciaux.

Le plus surprenant est de constaterque même en agissant ainsi, BarackObama reste violemment critiqué par lesrépublicains qui l’accusent de gouvernertrop à gauche. Gail Collins, éditorialisteau New York Times, s’en amusait le moisdernier en analysant le débat sur l’oléoducKeystone et la politique environnementaleaméricaine (ici). « C’est l’histoire de la vied’Obama. Il trotte au centre, irrite sa baseélectorale (dont les écologistes - ndlr), et les républicains lui crient dessus en luireprochant de ne pas faire précisément cequ’il est en train de faire », écrivait-elle.

Quand il s’agit de changement climatique,le camp républicain a en effet tendance à sedistinguer par sa démesure. Entre climato-scepticisme, refus de la science et allianceaveugle avec l’industrie pétrolière, onserait tenté d’écrire qu’ils évoluent dansune autre dimension. Cela en inquiète plusd’un aux États-Unis, puisque le parti vientde remporter les élections de mi-mandat etdisposera donc de la majorité des sièges

à la Chambre et au Sénat à partir du 1er

 janvier 2015.

Pour mieux comprendre leur posture,il suffit d’écouter Mitch McConnell, le

futur chef de la majorité républicaineau Sénat, qui vient de faire campagneaux élections en dénonçant la « guerrecontre le charbon »  menée par BarackObama, et qui a tendance à balayer lesquestions sur le changement climatiqued’un « je ne suis pas scientifique ». Ilfaut encore lire les écrits du sénateurJim Inhofe, auteur de l’ouvrage TheGreatest Hoax : how the global warmingconspiracy threatens your future (« Legrand canular : comment la conspirationsur le réchauffement climatique menace

votre futur »), pressenti pour prendrela tête de la commission du Sénat surl’environnement.

Concrètement, à partir de janvier, lesélus républicains et surtout sa frangeTea Party ont pour objectif d’affaibliret d’appauvrir l’agence environnementaleaméricaine, l’EPA, afin qu’elle ne soitpas en mesure de faire appliquer lefameux Clean Power Plan mentionné plushaut. Ils veulent ensuite multiplier lespermis d’extraction de gaz de schiste et

accélérer la construction d’infrastructuresportuaires permettant d’exporter cetteproduction gazière. Et on l’aura compris,ils souhaitent que l’oléoduc Keystone XLsoit construit.

Entêtement républicainPour cerner cet entêtement républicain, ilest bien sûr utile de se pencher sur lesliens du parti avec les groupes industrielsayant des intérêts dans l’énergie fossile.Le plus connu est le groupe des frères

Koch, multimilliardaires qui semblent

avoir construit leur empire en misant surtout ce qui est susceptible de salir laplanète (lire ici l’enquête  fouillée quele magazine  Rolling Stone dédiait à cetteentreprise en septembre, et ici la réponsedu groupe à cet article).

Les sites d'exploitation de gaz de schiste dansle nord de l'Oklahoma. © Jean-Marc Giboux

Les frères Koch sont ainsi parmi lesplus gros donateurs du comité d’actionpolitique  Americans for prosperity,principal groupe de financement decandidats républicains lors d’élections,dont l'objectif principal est de s’opposerà toute intervention étatique, aux loisqui accentueraient cette présence étatique,et donc aux efforts fédéraux de luttecontre le changement climatique. Nier lechangement climatique revient à nier le

débat sur les solutions pour y remédier, surla place de l’État, sur les investissements etéventuellement les taxes nécessaires pourréduire la dépendance des Américains auxénergies fossiles.

« Les entreprises liées aux énergies fossiles telles que le groupe des frèresKoch dépenseront toujours bien plus quenous… Le seul moyen de les surpasser est de se montrer plus intelligents, plusconvaincants », lâche Daniel Weiss, dulobby écologiste  League of conservation

voters, avant de nous rappeler les chiffres.Lors des dernières élections, la LCV adépensé 30 millions de dollars en faveurde candidats démocrates soutenant la luttecontre le changement climatique, tandisque les Koch Brothers ont investi 290millions dans les campagnes de candidatsn’ayant aucun objectif en la matière.

Cela pose la question du financement de lavie politique, mais pas seulement. « Pour  progresser, il faudrait réformer leslois électorales, le découpage des

circonscriptions (devenant des chasses

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gardées pour les partis - ndlr) et le systèmedes primaires qui favorisent l’élection decandidats extrémistes, constamment dansla surenchère », estime Robert Stavins,du Harvard Environment Project. Il ajouteque « le milieu des entreprises n’est pasaussi fermé qu’on voudrait le croire àde nouvelles normes environnementales,elles ont seulement besoin que celles-cisoient claires ».

[[lire_aussi]]

En témoigne un projet de loi datant de2013, proposé par des élus démocrateset républicains. Cette dernière  est

surnommée « loi Shaheen-Portman », dunom des élus l’ayant initiée, et viseà améliorer l’efficacité énergétique desbâtiments, qu’ils soient résidentiels oucommerciaux. Certes, la loi n’est toujourspas passée, bloquée par des élus Teaparty. Mais elle est soutenue par desélus et des lobbies des deux bords,autant par la grande association écologisteNatural Ressources Defense Council quela Chambre américaine du commerce.

Pour trouver une autre petite source

d’optimisme, il faut enfin se raccrocheraux études indiquant que la populationaméricaine se montre de plus en plussensible aux questions environnementales.L’enquête récente du Pew ResearchCenter (ici) indique ainsi qu’une majoritéd’Américains ne sont pas en faveur durecours accru au fracking et que le soutienau pipeline Keystone XL diminue. Uneautre étude très complète réalisée parl’université du MIT (résumée ici) révèlequ’ils souhaitent plus d’énergies vertes etrenouvelables, à partir du moment où leurfacture n’augmente pas. Les chercheursconcluent : « Et s’il faut choisir entre laqualité et le prix, ils sont prêts à payer plus pour avoir accès à des énergies propres. »

Navires Mistral: laLettonie juge l'opération«désastreuse»PAR AMÉLIE POINSSOT

LE JEUDI 20 NOVEMBRE 2014

Les pays baltes sont très offensifs contre

l'engagement du Kremlin en Ukraine.Membres de l'UE et de l'Otan depuis 2004,ces anciennes républiques de l'Unionsoviétique regardent avec inquiétudeMoscou. Et elles s'inquiètent aussi d'uneéventuelle livraison à la Russie des naviresmilitaires français. Rencontre à Riga avecle ministre des affaires étrangères de laLettonie.

Riga (Lettonie), de notre envoyéespéciale.- Valdemara Iela 3. À quelquesencablures de la vieille ville, entre deux

vastes parcs aux couleurs d'automne età deux pas de la Daugava, le fleuvequi traverse Riga pour se jeter dansla mer Baltique, le ministère lettondes affaires étrangères campe dans uneimposante bâtisse néoclassique. Nulleprésence policière visible alentour, leministre Edgars Rinkevics reçoit sans uneminute de retard… et il donne à entendreun tout autre son de cloche que le Quaid'Orsay sur la situation en Ukraine et lesréponses à apporter à Moscou.

Mediapart. La politique européenne desanctions vis-à-vis de la Russie a unimpact direct sur l'économie des paysbaltes, qui ont gagné leur indépendanceen 1991 seulement, au moment del'effondrement de l'Union soviétique.Restez-vous partisans de ces sanctionsmalgré tout ?

Edgars Rinkevics, ministre letton desaffaires étrangères.  L’ordre mondial del’après-guerre froide a été brisé en ce débutd'année. Cela pose un défi majeur non

seulement pour le respect des principesdu droit international, mais aussi pourl’indépendance des pays de la région.Nous sommes notamment préoccupés parle sort de la Moldavie. Les événementssurvenus en Ukraine ressemblent en effet àce qui s’est passé dans les années 1940 enLettonie, en Estonie et en Lettonie avec ledébut de l’occupation soviétique : certainsscénarios sont vraiment similaires…

C’est pourquoi nous avons pensé, ainsique d’autres pays de la région comme

l’Estonie, la Lituanie et nos amis suédois

et polonais, que l’Union européenne devaitréagir fermement et rapidement. Bienévidemment, à 28, nous sommes toujoursconfrontés à des débats sans fin quel quesoit le sujet mis sur la table – que cesoit le processus de paix au Moyen-Orient,la Russie ou bien l’Ukraine... Mais nousfaisions partie de ceux qui considéraientque l’UE devait faire pression avec tousles outils politiques et diplomatiques à sadisposition.

Rinkevics (à droite) rencontre le président ukrainien àKiev, Petro Porochenko, le 15 juillet 2014 © Reuters

Depuis, nous n’avons observé aucunprogrès du côté de la Russie, toutau contraire. La Crimée a étéannexée, contrairement à la résolutionde l’assemblée générale de l’ONU ;

les événements dans l’est de l’Ukraineont été délibérément provoqués del’extérieur ; la pression politique etdiplomatique n’était donc pas suffisante.Nous avons alors soutenu l’idée demesures restrictives et je suis aujourd'huiconvaincu que cette approche faited’engagement diplomatique combiné avecune pression nécessaire – certainsl’appellent sanctions, d’autres mesuresrestrictives – est la bonne.

Car ces sanctions ont fonctionné : siaucune sanction n’avait été prise, lasituation serait bien pire aujourd’hui enUkraine. Un territoire beaucoup plus vasteserait passé sous contrôle des troupes« terroristes » ou « rebelles » suivant lenom qu’on leur donne – pour ma part,depuis l’attaque en  juillet contre l’avionde la Malaysia Airlines, je préfère leterme de terroriste. Cette zone dépasseraitlargement Donetsk et Lougansk, elle seserait étendue jusqu’aux portes de laMoldavie. Des villes comme Marioupol ouOdessa auraient été conquises.

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Je suis donc satisfait de cette approche,même si j’aurais voulu voir plus tôt desprises de position actives. Mais ce quiétait important, c'était d’avoir une Unioneuropéenne agissant de manière unie dansune même direction. Nous avons doncrenoncé à quelques-unes de nos idéestandis que les pays les plus réticents à agirface à Moscou ont accepté d’avancer, etnous avons trouvé un compromis.

Comment qualifier vos relations avec laFédération de Russie aujourd’hui ?

Vous savez, nous sommes voisins. Nousavons donc une coopération sur des

questions pratiques – ce qui touche auxfrontières, aux échanges économiques,au transport : nos réseaux de cheminsde fer par exemple sont connectés. Desconsultations diplomatiques bilatéralesont par ailleurs eu lieu à Riga cette année,le deuxième tour de ces consultationsdevrait se tenir à Moscou. Ce qui a été geléen revanche, ce sont les contacts politiquesde haut niveau.

Croyez-vous à un risque de séparatismeici en Lettonie, où vit une importante

communauté russophone, dont presquela moitié n’a pas la citoyenneté de cepays ?

Non. Mais bien entendu, si du côté dela Russie il y avait une volonté délibéréede provoquer et d’envoyer des patriotescomme cela a été fait en Ukraine, onne peut pas complètement balayer cerisque…

ProvocationsCela dit, regardons les faits. En 1996,

on avait environ 700 000 « non-citoyens » (russophones - ndlr) ; ils sontà présent moins de 300 000, leur nombrea considérablement diminué. Le nombrede naturalisations a d'ailleurs connu unpic lorsque la Lettonie a rejoint l’Unioneuropéenne en 2004. L’an dernier, nousavons en outre adopté un amendementà la loi sur la citoyenneté qui donne lapossibilité aux parents non citoyens dedemander pour leur enfant la citoyennetélettone dès sa naissance. D’après lesdonnées dont je dispose, 85 % des parents

non citoyens font cette démarche.

J’aurais aimé que le nombre de non-citoyens diminue plus rapidement, c'estvrai, mais les gens ont leur libre choix. Àvrai dire, c’est un sujet qui est énormémentexploité par la Russie elle-même, mais je ne le considère pas comme source detroubles pour le pays.

Est-ce que la Lettonie est aujourd'huimenacée par la Russie ?

Si l’on parle d’attaque militaire directe,non, je ne crois pas. Nous sommescouverts par l’article 5 du traité de l’Otanet les décisions prises lors du derniersommet de l'organisation au pays de

Galles en septembre ont été adéquates :de nouvelles assurances nous ont étédonnées et je pense que la Russie l’avu. Il a été décidé de mettre en placedes exercices permanents, de renforcerla surveillance des airs tout comme laforce de réaction européenne. La régionbaltique me semble à présent correctementprotégée, si toutefois les décisions prisessont bien mises en application.

Mais je reste évidemment inquiet, et je suis

inquiet du fait qu’au XXIe siècle, on n’a

pas nécessairement besoin d’envoyer destanks pour provoquer une guerre… On l'avu en Ukraine : dès lors que les forces desécurité ukrainiennes avançaient et que lesséparatistes allaient perdre du terrain, dusoutien arrivait et permettait de renverserla situation, avec des équipements et dessoldats venant de la Fédération de Russie !Nous devons donc faire attention à cephénomène des « petits hommes verts »,même s’il est très improbable que celasurvienne ici dans la mesure où nous

faisons partie des structures de l’Otan.Cela n'empêche pas les provocations. EnEstonie, un garde-frontière a été enlevé parles services russes, et il y a eu d’étrangestentatives en Lituanie : des procureursrusses ont demandé à leurs homologueslituaniens de coopérer dans une enquêtesur des Lituaniens qui n’auraient pas servidans l’armée soviétique il y a vingt-cinq ans… Nous voyons également lestélévisions se lancer dans une guerre del’information…

Le prochain défi va se jouer selon moiautour de la cybersécurité. De manièregénérale, ce sont probablement plutôt desoutils non conventionnels qui vont êtreutilisés, davantage pour provoquer quepour influencer réellement les choses. Dece point de vue, si l’UE et l’Otan ontprocédé aux bonnes étapes, il faut qu’ilscomprennent aussi qu’on ne va pas revenirau « business as usual » de 2012 et 2013.Nous devons avoir notre stratégie face àla Russie, avec ses éléments d’engagementlà où il faut s’engager et ses élémentsd’endiguement là où il faut endiguer. Nousdevons être cohérents sur tout un ensemble

de sujets : la propagande dans les médias,la non-reconnaissance de la Crimée, lasécurité énergétique, nos relations avecnos partenaires de l’Est…

Un navire Mistral. Ils devraient êtrelivrés à la Russie ce mois-ci. © Reuters

… Et la livraison par la France desporte-hélicoptères Mistral ?

(Soupir.)  Cela fait partie des sujets que je dois aborder avec mon homologuefrançais lorsque nous nous verrons – parmid’autres dossiers, puisque la Lettonieprend la présidence tournante de l’UE aumois de janvier. Nous en avons d'ailleursdéjà parlé avec Harlem Désir, le secrétaired’État aux affaires européennes qui était àRiga ce 10 novembre. Très franchement,le transfert des porte-hélicoptères Mistral

n’est pas acceptable dans les conditionsactuelles. Il ne s’agit pas seulement desanctions contre la Russie, il en va aussi dela sécurité au sein de l’UE et de l’Otan.

On me dit que la France est prise pardes obligations contractuelles… ce à quoi je réponds que la Russie aussi étaitsoumise à un certain nombre d’accordset d’obligations concernant l’intégritéterritoriale de l’Ukraine, notammentl’accord de Budapest de 1994, la chartedes Nations unies, etc. Ces accords ont été

brisés, il faut bien l’avoir en tête.

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7/24/2019 Mediapart Du 22 Novembre 2014

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[[lire_aussi]]

Je comprends que cette question en France

touche à l’emploi et à l’économie mais jeserais plus qu’heureux de voir commentl’on pourrait résoudre ce problème dans lecadre de l’UE ou de l’Otan. La livraisonde ces navires – a fortiori l'apparition del'un des deux en mer Baltique, tandis quel'autre sera stationné dans la mer Noire –pose des questions de sécurité. Je penseque cela va envoyer un très mauvais signalà l’international, et symboliquement ceserait désastreux si un navire construitpar les Français entrait dans le port deSébastopol. Ce serait pour le moins…embarrassant, pour nous tous.

Boite noireL'entretien a été réalisé mardi 11novembre 2014, au lendemain d'une visiteà Riga du secrétaire d'État français auxaffaires européennes, Harlem Désir.

À suivre, sur Mediapart : reportages surune société écartelée entre des Lettons trèsattachés à l'appartenance européenne et àl'Otan et une communauté russophone quiregarde vers Moscou.

Les Argentins ne voienttoujours pas la fin de lacrisePAR JEAN-BAPTISTE MOUTTETLE MERCREDI 19 NOVEMBRE 2014

Inflation, remboursement de la dette :les fantômes de la crise de 2001sont toujours présents à Buenos Aires.Même si la gravité des difficultés

actuelles n'est pas comparable à la criseprécédente, les habitants des quartierspauvres de la capitale évoquent un éternelrecommencement.

 De notre envoyé spécial à Buenos

 Aires. « Patrie ou vautours », est-ilécrit en blanc et bleu ciel, les couleursnationales, sur tout un pan de mur décrépide Buenos Aires. Les fonds « vautours » ?Juana Canteros hausse les épaules. « On parle beaucoup des fonds “vautours”,mais la réalité, elle est ici.» De la main,

elle désigne la grande pièce bondée de

l'accueil du secrétariat du renforcementfamilial et communautaire de la ville-Étatde Buenos Aires, tout en s'énervant contrele peu de respect des fonctionnaires envers« les gens dans le besoin ». « Moi, jen'ai pas de logement, et sans logement, je ne peux trouver du travail. Je viens icitous les jours », raconte cette femme de59 ans. L'accueil est ouvert de 9 heures à15 heures, et dès 7 heures du matin, unefile d'attente commence à se former.

Juana Canteros est sans emploi depuisquatre ans. Elle a travaillé en Europe.« Ici, il n'y a pas de sortie, on retombede nouveau dans la misère. Si je pouvaisretourner en France ou en Espagne, jele ferais… », soupire-t-elle alors qu'auguichet, un homme gronde. « Je n'avais jamais vu autant de violence, autant de gens dormir dans les rues, desenfants aussi. » Comme Juana Canteros,16 353 personnes vivraient dans la rue àBuenos Aires, selon Médecins du monde(chiffres de 2012).

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Depuis qu'en août 2013, la courd'appel de New York a condamnél'Argentine à rembourser 1,3 milliardde dollars à NML Capital et AureliusManagement, deux fonds spéculatifs dits« vautours », puis qu'en juin 2014, laCour suprême américaine a rejeté lerecours de l'Argentine, le remboursementde la dette du pays alimente le débatpolitique et médiatique. Au total, lafacture de l’ensemble de la dette qu’elledoit rembourser pourrait s'élever à 120milliards de dollars (96,5 milliardsd'euros). La banqueroute assurée. Laprésidente péroniste Cristina Kirchner(parti justicialiste) a décidé de jouerla montre et a engagé un bras de fercontre les « vautours », en faisant unelutte contre l'impérialisme nord-américain.Dernier épisode : le 31 octobre, laprésidente dénonçait le conflit d’intérêtsd'une haute fonctionnaire étatsunienne,membre d'un lobby qui défend les fondsspéculatifs.

Cette politique offensive semble porter sesfruits. Malgré les déboires économiques,Cristina Kirchner jouit encore d'une« image positive » pour 40 % dela population alors que les électionsprésidentielles se dérouleront dans unan, le 25 octobre 2015. Cette relativepopularité peut l'aider à passer le flambeauplus sereinement. La Constitution luiinterdit en effet de se présenter pour untroisième mandat.

« Le discours du gouvernement contreles fonds vautours n'est que du marketing politique, un nouveau moyen de fustiger le soi-disant impérialisme », s'énerveSantiago Lopez Medrano, le secrétairedu renforcement familial (autonome parrapport au gouvernement central argentin,la ville-État de Buenos Aires y estpolitiquement opposée - ndlr ). Au rez-de-chaussée, le calme du bureau du secrétaireest un lointain souvenir. Une centainede personnes attendent, assises pour lesplus chanceuses, adossées au mur pourcertaines ou prêtes à bondir au guichetpour les plus pressées. Elles viennent icipour obtenir des aides aux logements,

des crédits pour une micro-entreprise etd’autres programmes sociaux.

Les fonds « vautours » ne sont que lacerise putride sur un gâteau déjà rance.Les années de croissance sont révolues.La récession est bien là. Entre 2003 et2011, le pays pouvait s'enorgueillir d'unecroissance de 7,5 % en moyenne. Mais en2012, brutal coup de frein : 0,9 % en 2012,puis 3 % en 2013 et 0 % estimé en 2014,selon la Banque mondiale.

Pour parler de leurs difficultés,les Porteños  évoquent spontanémentl'inflation. Selon l'Institut national desstatistiques (Indec), le gouvernementannonce déjà 20 % d'inflation de janvier àseptembre. Plutôt 27 %, à en croire l'indice

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Congrés, utilisé par les parlementairesd'opposition. Pour les instituts privés, elleaurait déjà atteint de 25 % à 30 % en 2013.

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« Regarde, hier, je faisais mes courseset la brique de lait était à 8 pesos  (75centimes d'euros – ndlr).  Aujourd'hui, jeretourne à l'épicerie et elle est à 10(pesos, soit 95 centimes d'euros – ndlr) »,explique Blanca Bajo, 44 ans. « Alors,quand je peux, j'achète dès que les prix me paraissent bas et je fais des provisions »,poursuit-elle. Comme chaque midi, elle

vient en famille déjeuner gratuitementdans ce centre communautaire géré parune association. Deux grandes tablesaux nappes en plastique fleuries, avecune centaine de couverts, accueillent deshabitants de la « villa de emergencia »(quartiers d'urgence) du sud de la ville.Chaque jour, 350 plats y sont servis.

Rares sont les rues asphaltées dans lequartier. Un nuage de poussière se soulèvedès qu'une voiture s'engouffre dans lesrues animées. À cinquante mètres du local

où les repas sont servis, les maisons demoellons rouges, peintes uniquement surle premier étage, laissent place à uneallée rectiligne sans fin, bordée de cabanesde tôles et de cartons. Blanca, mère dehuit enfants, commence son repas : « En2001, je me levais le matin sans savoir ce que j'allais donner à manger à mesenfants. Aujourd'hui, c'est quand mêmedifférent. Mais nous ne parvenons pas pour autant à nous en sortir, à avoir unevie plus facile. J'ai fait des études decommerce, je voulais quitter ce quartier,mais je me retrouve comme ma mère,sans emploi, à me débrouiller. »  Selonle gouvernement, la pauvreté toucheraitmoins de 5 % de la population, maisdes organisations évoquent plutôt le quartdes Argentins, et même 27,5 %, selonl'Université catholique argentine. Maisquel qu'il soit, le chiffre est en baissedepuis 2001, quand plus de la moitié de lapopulation avait sombré dans la pauvreté.

Face aux fermetures d'usines,les employés renouent avec la

tradition de l'autogestionBlanca Bajo estime que la sociétéargentine ne lui a pas donné sa chance :« Quand tu viens d'ici, c'est difficilede trouver un emploi. Les entreprises préfèrent embaucher des personnes dequartiers plus aisés », assure-t-elle. Cequi la préoccupe aujourd'hui, c'est le prixdu kilo de carton. À un peso le kilo(moins de 10 centimes d'euros), il pourraitbaisser à 25 centimes (moins de 2 centimesd'euros). Dans le quartier, beaucoup de

familles dépendent du ramassage decartons usagés. Dans la capitale, onaperçoit les cartoneros, parfois aux rênesd'une charrette tirée par un cheval,d'autres la tirant eux-mêmes. Ils trient lespoubelles des particuliers, des magasinsou des entreprises pour en retirer lesemballages qu'ils revendront afin qu'ilssoient recyclés.

Le discours pessimiste de Blanca Bajo nefait pas l'unanimité parmi les habitants desquartiers pauvres. À quelques kilomètres

de là, dans le quartier Villa 20, toujoursdans le sud de Buenos Aires, ManuelGrites sirote son maté à l'ombre de ladevanture d'une épicerie : « Avant, il n'yavait aucune possibilité. Aujourd'hui, situ veux un travail, tu peux en trouver »,dit le jeune homme de 29 ans avant delouer les efforts du couple Kirchner et sesaides sociales. Mais comme Blanca Bajo,il s'inquiète de l'« augmentation des prix »,avant de faire rouler la conversation,comme à chaque rencontre, sur le  paco  :« Il y a toujours plus de jeunes qui en prennent, mais attention, pas que cheznous, les quartiers pauvres, mais mêmedans les quartiers plus riches », soutient-il.

Apparue pendant la faillite de l'État, en2001, cette « drogue du pauvre » (unedose coûte un peso), résidu de cocaïnequi se fume comme du crack et provoqueune dépendance quasi immédiate, ravagela jeunesse du pays. Dans une des ruellesdésertes de Villa 20, un jeune, vêtud'un ample sweat-shirt à capuche blanc,range sa pipe à l'approche d'étrangers.

Plus loin, une porte se referme. Dansl’entrebâillement, ils sont trois à fumer.Diego Toledo, chauffeur, raconte que lequartier est devenu bien plus dangereuxdepuis la fin des années 1990. Depuis,il n'y a jamais eu d'amélioration. « Dèsque j'ai pu, je suis parti pour m'établir dans un quartier plus classe moyenne. Jene voulais pas élever mes enfants ici »,précise-t-il. Il revient régulièrement dansle quartier où ses parents habitent toujours.Dans l'agglomération de Buenos Aires,selon la police, en 2013, 161 personnes ontété tuées lors de vols.

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Dans ces quartiers, c'est la fatalitéqui domine. Pourtant, les Argentins semobilisent. Le pays a connu deux grèvesgénérales cette année. Face aux fermeturesd'usines, les employés renouent avec latradition de l'autogestion. Le matin du11 août, les employés de l'entreprised'impression Donnelley découvrent uneaffiche placardée à l'entrée. Les mots sontfroids et cinglants : « Nous déplorons profondément de devoir vous informer qu'affrontant une crise insurmontable, et ayant considéré toutes les alternativesviables, nous arrêtons nos opérationsen Argentine et sollicitons la fermeturede l'entreprise, après vingt-deux ansd'activité dans le pays. »

Du jour au lendemain, quatre centsemployés se retrouvent sans emploi.Donnelley, basée à Chicago, emploie58 000 personnes dans le monde.Le gouvernement, via l'Administrationfédérale des revenus publics (AFIP),souligne, lui, que les résultats del'entreprise sont positifs – en décembredernier, le passif de l'entreprise étaitde 140 millions de pesos (13 millionsd'euros) alors que l'actif s'élevait à 180millions –, et poursuit la multinationale en justice pour fermeture frauduleuse. « Nousétions venus au travail comme les autres jours. Dès que nous avons vu l'affiche,nous avons décidé de nous réunir enassemblée devant l'usine. Nous avons tout de suite décidé de continuer de travailler 

dès le lendemain », raconte Falundo

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Gomez. La coopérative MadyGraf étaitnée. Aujourd'hui, ils sont deux cents à fairefonctionner les machines de l'imprimerie.Les rotatives continuent de tourner sousl'œil bienveillant des ouvriers. Des clientssont restés, comme Editorial Atlantidaqui publie différents titres de magazinescomme Gente, un Paris Match local.

[[lire_aussi]]

« Pour l'instant, nous n'avons pasencore obtenu le droit de facturer nosclients. Nous attendons aussi que legouvernement exproprie Donnelley et donne les clés aux employés après avoir 

nationalisé », explique le machinisteLeonardo Grosso, qui arbore de nombreuxtatouages aux bras. Une seule personnede l'administration a rejoint la coopérative.Melanie Mencia tapote sur un clavierd'ordinateur. Elle établit un devis :« J'ai hésité, mais j'ai finalement décidé de franchir le pas. J'étais proche des“garçons”. Les autres employés del'administration ont peur. J'ai tenté de lesconvaincre, mais ils préfèrent se battre pour obtenir leurs indemnités », dit-elle.Des étudiants viennent parfois donner uncoup de main et forment les ouvriers.« Maintenant, nous sommes dans un autrestress. Nous n'avons plus peur de lahiérarchie, mais nous voulons réussir pour nous-mêmes. »« Nous ne nous battons passeulement pour sauver nos postes mais pour une société plus juste », rebonditLeonardo Grosso, qui cite comme exemplela distribution à des écoliers de dizaines demilliers de cahiers réalisés par MadyGraf.

Les plus âgés sont plus pragmatiques :« J'avais 60 ans, je ne pourrai pastrouver un autre emploi et je suisconvaincu du travail que je fais »,raconte Carlos Primitiva Balbontin ensurveillant la rotative qui crache desmagazines pour enfants. Lueur d'espoir :le 6 novembre, les députés de la provincede Buenos Aires ont approuvé tantl'expropriation de l'entreprise que sagestion par une commission désignée parles employés. La proposition doit encorepasser devant le Sénat.

Un enseignant se ditsanctionné pour avoirdénoncé des préjugésislamophobesPAR LUCIE DELAPORTELE MERCREDI 19 NOVEMBRE 2014

Très bien noté par sa hiérarchiependant des années, un enseignantcontractuel du Mans s’est vu refusersa titularisation après avoir dénoncé lespréjugés islamophobes d’une inspectrice.Son dossier pédagogique, qu’a puconsulter Mediapart, met à mal la décisionrendue par l’inspection de l’éducation.

Et si, ce jour-là, il n’avait rien dit ?Baissé la tête devant un comportementqui le blesse, qu’il n’a cessé decombattre mais qu’il connaît au fondsi bien… Aujourd’hui en arrêt maladie,avec une tension de 22, Kamel Mezitirumine. L’histoire de ce professeurd’anglais de l’académie de Nantesressemble à celle d'un homme pris dans unengrenage un peu fou.

Tout commence le 16 octobre 2013.Ce jour-là, Kamel Meziti, qui a réussile concours réservé du Capes d’anglaisquelques mois plus tôt et se trouve doncen année de stage avant sa titularisationdéfinitive au lycée Montesquieu du Mans,reçoit la visite d’une inspectrice pour une« visite-conseil ». Jusque-là, rien quede très normal. Sauf que l’entretien quisuit l’observation de son cours prend unetournure étrange.

Les questions de l’inspectrice sont pourle moins curieuses. Combien d’enfantsa-t-il ? Sont-ils scolarisés ? Dansquel établissement ? Elle lui demandeégalement avec insistance ce qu’il pensede la laïcité. Comme il marque quelqueétonnement devant ce qu’il ressent commeun étrange interrogatoire, l’inspectrice se justifie en précisant un peu plus les choses.« Vous savez, Kamel Meziti, il y ena des choses sur vous, il suffit d’aller sur Internet. »  Avant de conclure, aprèsavoir entendu les réponses modérées de

ce défenseur de la laïcité, par un « Ouf !

me voilà rassurée ». « Il s’agit quand même de vous titulariser et de vous rendre fonctionnaire »… « Il faut être vigilant, j’ai déjà viré un professeur pédophile.» Ces propos, tenus devant son tuteurM. Galloux qui les a confirmés, n’ont jamais été contestés par l’inspection (voirla boîte noire de cet article).

Kamel Meziti

« Je suis sorti très mal à l’aise », raconteKamel Meziti lorsque nous le rencontronsavec sa femme, militante associative etféministe engagée, qui ne décolère pas :« Elle croyait quoi, que j’étais enfermée ?Que je portais une burqa ? Qu’est-ce queça veut dire, demander si mes enfants sont scolarisés ? »

Quelques semaines plus tôt, KamelMeziti a fait paraître un livre intitulé Dictionnaire de l’islamophobie qui traitedes crispations actuelles autour de lareligion musulmane. La presse locale s’enest d’ailleurs fait l’écho, interrogeant àpropos des départs de jeunes vers laSyrie et l’Irak celui qu’elle présentecomme un historien des religions. À justetitre puisque, parallèlement à ses postes,contractuels, de professeur d'anglais,Kamel Meziti a obtenu une thèse enhistoire des religions.

Il est également une figure, bienconnue localement, de la communautémusulmane. Il a d’ailleurs exercé deuxans comme aumônier musulman dans laMarine nationale. Un poste pour lequelle ministère de la défense veille àsélectionner des personnalités ouvertes etmodérées.

Ce jour d’octobre 2013, alors qu'il atoujours combattu les préjugés racistes ouliés à la religion, voilà qu'il se retrouveen position d’accusé. Après plusieurs joursde réflexion, Kamel Meziti décide de

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demander à cette inspectrice un entretienpour obtenir des « éclaircissements » surson comportement qui l’a profondémentchoqué.

Dans un courriel, que Mediapart a puconsulter, elle lui répond rapidement qu’iln’y avait rien d’anormal à parler de lalaïcité qui « relève de la compétence 1que nous devons évaluer et est un point d’actualité, comme (elle l'a) précisé ». Ellene se souvient pas d’avoir parlé de « prof  pédophile ».  Cependant, « la confiancen’étant pas gagnée », elle lui indiquequ’un nouvel inspecteur viendra le voir.

À partir de là, tout se met à déraillerpour Kamel Meziti. Dans les mois quisuivent, il reçoit trois visites d’inspecteurs.Au cours de cette année de stage, il a donceu quatre entretiens avec trois inspecteursdifférents. « Un record ! », souligneironiquement son délégué syndical, Jean-Marc Guérécheau. « C’est d’autant plus

bizarre qu’ils n’arrivent pas à inspecter tout le monde et que des stagiaires sont régulièrement titularisés sans avoir vu unseul inspecteur.»

Mais Kamel Meziti semble être devenu uncas sur lequel l’inspection de l’éducationnationale a décidé de se pencher avecla plus grande attention. Alors qu'ilexerçait depuis treize ans en étant toujourstrès bien noté par ses tuteurs et chefsd’établissement, qu'il vient de passer

avec succès l’écrit du Capes, il devientsubitement un enseignant très médiocre.Voire gravement insuffisant.

M. C., le nouvel inspecteur, qui lerencontre à deux reprises, émet finalementun avis défavorable à sa titularisation. Surles dix compétences professionnelles àmaîtriser, il ne lui en reconnaît que deuxrelatives à l’éthique du fonctionnaire et àla connaissance de la langue française…Autant dire que c’est un peu court pourenseigner, à quelque niveau que ce soit.Mais au moins, M. Meziti ne pourra pasdire qu’il a été discriminé en raison deses réflexions sur la laïcité puisque cettecompétence («Agir en fonctionnaire del’État et de façon éthique et responsable»,compétence 1) est validée.

« Une administration qui apréféré sortir le parapluie »En l’attaquant sur ses compétencespédagogiques, l’inspection a-t-ellecherché à couvrir le dérapage d’une deses inspectrices ? « Il y a peut-être euun réflexe corporatiste dans cette affaire,avec une administration qui a préféré 

sortir le parapluie », s'interroge Jean-MarcGuérécheau, le délégué syndical.

Rapport d'inspection de M. C.

Au vu du dossier complet de cetenseignant contractuel, difficile en effet dene pas s’interroger. De 2000 à 2012, leschefs d’établissement qui l’emploient sontunanimes sur ses qualités d’enseignant etce dans des contextes variés et parfoisdifficiles. Collège, lycée général, lycéeprofessionnel, établissement régionald’enseignement adapté… À chaque fois,

il donne entière satisfaction, comme a pule constater Mediapart qui a eu accès àl’ensemble de ses rapports d’évaluation.Tous louent son « engagement », son« sérieux », son souci « de l’intérêt et des progrès de ses élèves ».

L’année où l’inspection décrète qu’il nemaîtrise pas les huit compétences sur dixnécessaires pour être professeur – notant,par exemple, que cet enseignant, parailleurs chargé de cours à l’université duMaine et docteur en histoire, manque « deculture générale » – son tuteur, enseignantd’anglais expérimenté, a quant à luivalidé 9 compétences sur 10, précisantqu’il devait améliorer l’organisation deses cours (compétence 4). Son chef d’établissement, le proviseur M. Gateau,salue, lui, un « professeur sérieux, qui ala volonté de parfaire ses méthodes detravail et qui tient compte des conseils prodigués ».

 Avis du chef d'établissement :

rapport du tuteur pour l'année 2013-2014

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 Avis du tuteur :

Contrairement aux inspecteurs del’éducation nationale, ceux qui le voienttravailler au quotidien émettent donc lemême avis favorable à sa titularisation.

Las, fin juin, l’inspection lui indique qu’iln’est pas titularisé mais – tout n’est pasperdu – admis à redoubler.

Ironie d’une administration qui vient de

le juger incapable d’évaluer les élèves(compétence 7, jugée « insuffisante »par l’inspection), l’éducation nationalen’hésitera pas à le convoquer quelquessemaines plus tard pour corriger lesépreuves du bac, tâche dont il s’acquittedepuis des années.

Malgré ses sollicitations, Kamel Mezitine pourra jamais obtenir d’explicationsauprès de l’inspection sur ce fameux jourd’octobre 2013. Contacté, le rectorat nousa tout d'abord indiqué ne pas s’exprimersur des dossiers individuels. Toutefois, enraison peut-être de l’intérêt médiatique etassociatif suscité par son cas – le MRAPet la LDH ainsi que l'Observatoire nationalcontre l'islamophobie ont tous deux faitdes démarches auprès du ministère del'éducation nationale –, le rectorat luia enfin proposé un rendez-vous, le 13novembre dernier. Rendez-vous purementformel puisque le recours hiérarchiquequ’il avait adressé au recteur avait de toutefaçon déjà été rejeté.

Oralement, les responsables du rectoratont simplement admis que des« maladresses » avaient pu être commises,mais rejettent tout lien entre le fait qu’il aitdénoncé des préjugés inacceptables et sanon-titularisation. On lui a également faitcomprendre qu’agiter la presse n’était pasle meilleur moyen d’apaiser les choses…

[[lire_aussi]]

Rue de Grenelle, l’affaire semble susciterplus d’embarras. L’entourage de laministre Najat Vallaud-Belkacem indiqueainsi « regarder cette situation de très près », tout en précisant, lorsqu’on pose

la question d’une possible discrimination,que « pour l’instant, l’enchaînement des faits ne révèle pas cela ». Confronté auxcontradictions de l’inspection qui rend desavis favorables pendant treize ans sur ceprofesseur et le trouve soudain incapabled’enseigner, le cabinet de la ministreaffirme ainsi qu’il est normal d’être « plusexigeant pour une titularisation » que pourun enseignant contractuel.

Bien que physiquement et moralementtrès affaibli, Kamel Meziti est aujourd’hui

bien décidé à ne pas céder devant cequ’il considère comme des intimidationsde l’institution. Il a d’ores et déjà saisi ledéfenseur des droits et va porter l’affairedevant le tribunal administratif. Pour fairereconnaître son préjudice personnel, maisaussi et surtout parce qu’il en est persuadé,ce combat n’est pas que le sien. Pour uncomme lui qui a osé dénoncer des préjugésinacceptables, beaucoup peut-être les ontsubis sans rien dire.

Boite noire

Le rectorat nous a répondu par courrielqu'il ne s'exprimerait pas sur les dossiersindividuels. Les deux inspecteurs citésdans l'article, contactés par courrierélectronique, ne nous ont pas répondu.

Au cabinet de Najat Vallaud-Belkacem, lecas, comme indiqué dans l'article, est suivide près. Sans doute plus parce que KamelMeziti a commencé à alerter la presseque parce que l'intéressé connaît BertrandGaume, l'actuel directeur de cabinet de

la ministre de l'éducation nationale, qui adirigé le bureau des cultes au ministère del'intérieur.

Les propos tenus lors de l'inspection de

Mme R. ont été retranscrits dans cet articlecar ils ont été confirmés par le tuteurprésent ce jour-là. L'inspectrice ne les apar ailleurs jamais contestés, hormis laréférence à un « prof pédophile », commeelle l'indique dans un mail que nous avonspu consulter.

Suite à une conférence de presse, lesaccusations portées par M. Meziti ont étérelayées par divers organes de presse : la

quotidien algérien  El Watan, un blog du Point ou encore le site Bella Ciao.

Cet article a été modifié mardi à 10H carc'est l'ONCI et non le CFCM qui a faitdes démarches auprès du ministère. J'aiégalement ajouté la LDH que j'avais omisde mentionner.

A Angers, la droite«éduquée» veut redorer le

blason UMPPAR ELLEN SALVILE MERCREDI 19 NOVEMBRE 2014

Christophe Béchu, sénateur etmaire d'Angers. © (ES)

Loin des coulisses de la machine UMP,la droite angevine regarde l’élection pourla présidence du parti avec le reculdes 300 kilomètres qui la séparent des« magouilles » parisiennes.

Angers (Maine-et-Loire), de notreenvoyée spéciale.  C’est un deces moments gênants qu’offrentrégulièrement les échanges entre élus etmilitants, et qui révèlent le décalage decertains responsables politiques avec unepartie de leur base. Jeudi 13 novembre, àla tombée de la nuit, Hervé Mariton vient

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d’entamer un questions-réponses avec lapetite centaine de personnes agglutinéesdans la permanence UMP d’Angers, quandun sexagénaire prend la parole depuis lefond de la salle.

Réunion d'Hervé Mariton à Angers, le13 novembre. Derrière le candidat, de gauche à

droite : Marc Laffineur et Christophe Béchu. © ES 

L’homme brandit un courrier de la CAF– visiblement “tombé” d’une poche –illustrant le scandale que représente à sesyeux le fait que « ceux qui ne veulent  pas travailler touchent plus d’aides »que son fils et sa belle-fille, tous deuxouvriers. Applaudissements des militants.Des « merci ! », « bien dit ! », « enfin ! »,fusent à travers l’assistance. Après unedemi-heure de monologue de Maritonsur la machine UMP dont il brigue la

présidence, le public, jusqu'alors assommépar le verbiage du député de la Drôme, seréveille avec le sentiment de pouvoir enfinaborder « les vrais sujets ».

« L’assistanat » en fait partie. Et Maritonne se fait pas prier pour rebondir sur cequi s’annonce déjà comme une discussionde zinc sur « ces gens qui profitent dela France ». « Il y a ceux de nationalité  française, mais qui ne parlent pas unmot de français et qui s’inscrivent àPôle emploi juste pour avoir le bus

gratuit », lance-t-il aux militants qui rientde bon cœur. Assis derrière le candidat,le sénateur et maire UMP d’Angers,Christophe Béchu, semble mortifié par cequ’il est en train d’entendre. Il porte sesmains à son visage.

Quelques heures plus tôt, dans sonbureau de la mairie, l’élu nous expliquaitcomment l’Anjou, qu’il aime décrirecomme « une terre sociale-démocrate-chrétienne », a vu émerger ces cinqdernières années « une forme de

radicalisation », « très atténuée par 

rapport à ce qu’on peut vivre dans lereste de la France », mais tout demême perceptible au travers de « faitsdivers » : l’accueil « dans des conditionsinqualifiables » de Christiane Taubira enoctobre 2013 – la garde des Sceaux avaitété traitée de « guenon » par une poignéede manifestants issus de la “Manif pourtous”  –, ou encore l’arbre de la laïcité,coupé trois fois sur la place Lorraine, nonloin de l'hôtel de ville.

Des épisodes somme toute « marginaux »,mais au travers desquels le maire aperçoit« les marqueurs d’une exaspération quine correspondait pas à des choses dont on avait l’habitude ». Car d’ordinaire,Angers ne raffole pas des excès. Troisièmecommune la plus peuplée du GrandOuest, coincée entre Nantes et Le Mans,c’est « une ville “du milieu” où l’ons’arrête rarement », souligne EmmanuelCaloyanni, ex-rédacteur en chef duCourrier de l’Ouest   devenu conseillerde Christophe Béchu, avant d’ajouter ensouriant : « Ce n’est pas pour rien que noussommes centristes ! »

« La droite angevine est modérée,confirme Emmanuel Capus, deuxièmeadjoint UMP d’Angers en charge desfinances.  La gauche l’est aussi du reste.Elle a toujours été rocardienne », àl’image de Jean Monnier, qui a dirigéla ville de 1977 à 1998 et qui avait étéexclu du PS en 1983 pour avoir refuséde s’allier aux communistes. « Le jour où Angers basculera à gauche, je serai élu président de la République », aurait claméFrançois Mitterrand peu de temps avantque celui que l’on surnomme encore le

« roi Jean »  ne s’empare de la ville. Ladroite angevine, qui a reconquis le pouvoir

aux dernières élections municipales après37 ans de gestion socialiste, se répète cettephrase, comme un mantra pour 2017.

L'Hôtel de Ville d'Angers. © ES 

En mars dernier, le basculement d’Angersà droite a fait de la ville l’un des symboles

de la fameuse “vague bleue” vantée parJean-François Copé. Pourtant, l'ex-patronde l’opposition et l’UMP n’ont pas grand-chose à voir dans la victoire de ChristopheBéchu, qui avait pris soin de mener unecampagne sans logo et de composer uneliste « diversifiée », composée pour moitiéde personnes issues de la société civile.De façon plus générale, les douze élusUMP de l’actuelle équipe municipale ne sesentent pas vraiment liés à la machine deleur parti.

« Je suis assez attaché à monindépendance et du coup assez allergiqueaux structures partisanes », explique lemaire, rappelant qu’il n’a jamais occupéde responsabilités dans l’organigrammede l’UMP « ni à Paris, ni à Angers »,à l’exception de sa présence au seinde la commission nationale d’investiture,« lieu stratégique qui permet , selonlui,  de favoriser un renouvellement et d’organiser l’avenir de notre famille politique ». Cela tombe bien, le devenirde l’UMP est une question centrale dansl’élection pour la présidence du parti.Et c’est précisément le sujet que noussouhaitons aborder avec l’édile.

Nicolas Sarkozy, ni pour 2014,ni pour 2017Comme Arnaud Robinet à Reims, ÉdouardPhilippe au Havre ou encore GéraldDarmanin à Tourcoing, Christophe Béchufait partie de cette nouvelle générationd’élus  qui ont toutes les chancesd’occuper des fonctions ministérielles en

cas d’alternance en 2017. Les ténors de la

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droite en sont pleinement conscients. Et ilsn’ont pas attendu la primaire de 2016 pourleur faire les yeux doux. Dans la campagnepour la présidence de l’UMP, les deuxpremiers soutiennent officiellement BrunoLe Maire, tandis que le troisième a étépropulsé porte-parole de Nicolas Sarkozy.Quid du quatrième ?

La question le fait sourire. D’abord, parceque Mediapart n’est évidemment pas lepremier journal à la lui poser. Jamaisles faits  et gestes du sénateur et maired’Angers n’auront été autant scrutés,commentés, interprétés qu’au cours desdernières semaines. Reçu fin octobre etpar Alain Juppé et par Nicolas Sarkozy enl’espace de 24 heures, présent à la réunionpublique angevine d’Hervé Mariton le13 novembre, probablement retenu enconseil municipal le 24 novembre, jouroù l’ex-chef de l’État tiendra son meetingà Andard, à 15 kilomètres d’Angers…Christophe Béchu brouille les pistes, maisse défend de le faire exprès.

Le sénateur et maire UMP, Christophe Béchu,dans son bureau à Angers, le 13 novembre. © ES 

S’il ne veut pas prendre partiofficiellement pour l’un des trois candidatsà la présidence de l’UMP, c’est d’abordparce que sa « perspective est au-delàde cette élection de fin novembre ». « À

 partir du moment où je considère qu’iln’y a pas beaucoup de suspense, je meconcentre moins sur ce sujet que sur lesuivant , poursuit-il.  Notez que si j’avaisété totalement silencieux, cela aurait été interprété comme un soutien au favori… »Or, Béchu n’a pas été « totalement silencieux »  sur le sujet, expliquant de-ci de-là  qu’il n’était pas « indifférent »à la candidature de Bruno Le Maire,sans pour autant rejoindre la liste des 53parlementaires qui soutiennent le député

de l’Eure.

« À partir du moment où chacun sait que je suis membre de cette famille politique, mais que c’est une implicationqui s’est toujours faite avec une forme dedistance, je trouve qu’il y aurait une formed’incohérence que tout à coup je sois pris d’une frénésie militante à l’occasiond’une élection interne », affirme-t-il. Cequi l’intéresse vraiment en revanche, c’estla primaire ouverte de 2016 et le travailque l’UMP devra effectuer d’ici là pourproposer un vrai projet aux Français. « Le problème de l’op position au sens large et de l’UMP en particulier, c’est que l’oncritique le gouvernement, mais que l’on

ne propose rien en retour. C’est illogiquequ’au milieu du quinquennat, on soit siavancé sur les ambitions personnelles desuns et des autres et qu’on ne le soit pas sur le programme, les idées. »

Lui souhaite montrer, à travers unancrage local, « comment expérimenter denouvelles pratiques » et éviter ainsi la « fracture » qui s'annonce entre la nouvellegénération et celle « en responsabilité,qui a commencé à travailler durant lesTrente Glorieuses, a bénéficié de niveaux

de protection sociale très élevés et prépareaujourd'hui des lois sur la dépendance parce que c’est le prochain défi quil’attend » au lieu de s'occuper de la dettequ'elle a laissée derrière elle.

Pour changer cette donne, le sénateuret maire d'Angers plaide pour unrenouvellement des méthodes, mais aussides hommes. Que pense-t-il de cet ancienprésident qui ne parvient pas à passer lamain ?

Christophe Béchu n'apprécie guère leretour de Nicolas Sarkozy. Certes, il ne ledit pas aussi clairement que cela, mais lesespaces entre les lignes de son propos sonttellement gros qu’il n’est guère difficile delire au travers. Lors de sa récente entrevueavec l’ancien président, il lui a d’ailleursfait part de ses « interrogations sur unretour par l’UMP et sur le sentiment que pourraient avoir un certain nombre deFrançais d’avoir le même casting à la présidentielle de 2017 qu’à celle de 2012,avec le risque que cela puisse profiter à

une candidate qui dirait “il y en a deux qui

ont été présidents, la seule qui ne l’a pasété, c’est moi” ». On l’aura compris, l’ex-chef de l'État semble mal parti pour être lecandidat de Béchu. Ni pour 2014. Ni pour2017.

La ville d'Angers, vue depuis son château. © ES 

« La gauche angevine l’a traité de “bébé Sarkozy” pendant six ans, mais c’est ungarçon trop bien élevé pour se reconnaîtredans un Sarkozy faisant feu de tout bois »,analyse Alain Machefer, ancien directeurdépartemental de Ouest-France à Angerset auteur du livre  Angers, la machine à perdre (Éd. L'Apart). « J’ai été candidat àde multiples élections quand le président me l’a demandé , rappelle ChristopheBéchu quand on lui demande les raisonspour lesquelles un tel sobriquet lui a étéaffublé.  Mais à chaque fois que j’ai dit “non”, cela s’est fait dans le cadre privé,sans publicité. » Ce fut notamment lecas à l’été 2011, lorsque Nicolas Sarkozylui proposa d’intégrer son gouvernementcomme secrétaire d’État à l’aménagementdu territoire. La proposition, aussi « belle »était-elle, arrivait trop tard. Béchu larefusa.

Comme beaucoup de communes duGrand Ouest, Angers n’a jamais ététrès sarkozyste. « Jusqu’au début desannées 2000, les candidats de la droiteet du centre à la présidentielle faisaient toujours un meilleur score dans l’Ouest que leur score national, note son maire.Cela a cessé en 2007… » Ici, NicolasSarkozy est arrivé en deuxième position aupremier tour de 2007 (avec 29,17 % contre23,49 % pour François Bayrou). Idem en2012. « À l’époque, l’identité nationale et l’immigration n’étaient pas des priorités pour les Angevins, poursuit l’élu. Cediscours a été davantage perçu comme une posture que comme une réalité. »

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L’autre problème de Sarkozy ? Soncomportement, « surtout en début demandat ». « Carla, le yacht de Bolloré…Cela nous a desservi sur le terrain »,glisse Caroline Fel, adjointe à la familleet à la petite enfance. Angers souffred’une excellente éducation, ce qui lui faitdétester toute forme de bling bling etde m’as-tu-vu, jugés bien trop vulgaires.« Une des caractéristiques de l’Anjou,c’est d’être marqué par une certainehumilité des gens, explique ChristopheBéchu. Celui qui roule des mécaniquesest rarement perçu de façon positive. »Les élus et militants UMP croisés par

Mediapart à Angers n’ont en effet riendes fans sarkozystes  qui remplissentactuellement les salles de meeting del’ancien président. Ils n’attendent pas unhomme, mais des solutions.

«Ici, tout se passe derrière lestentures»Attablés dans un café de la placedu Ralliement, épicentre de la ville,Annie, Philippe et Baptiste expliquentles raisons pour lesquelles ils se sentent

particulièrement motivés par l’élection du29 novembre. Encartés à eux trois depuisplus de cinquante ans, ils font partie desquelque 1 900 militants de la fédérationUMP du Maine-et-Loire appelés à voterpour le futur patron de leur parti. Baptiste,24 ans, avait fait une pause avec l'UMP,avant d’être rattrapé par le militantismedébut 2013. Contrairement à beaucoupd’autres militants du département quin’ont pas renouvelé leur adhésion après

l’épisode Fillon-Copé, la guerre des chefslui a « donné envie d’y retourner pour  (se)battre ».

Philippe, Baptiste et Annie sur la place duRalliement à Angers, le 12 novembre. © ES 

Le jeune homme ne sait pas encore pour

qui il votera fin novembre. La seule chosequ’il souhaite, c’est que les ténors de ladroite ne reproduisent pas le spectacle dela dernière élection pour la présidence del’UMP. « Il va falloir que ça se passe biencette fois-ci, parce que c’est la dernièrechance », renchérit Annie. Secrétairedéléguée de la fédération départementale,cette retraitée de 67 ans tient à insistersur la bonne organisation mise en placecette année. Rien à voir, selon elle, avecle scrutin interne de 2012 où Fillon,originaire de la Sarthe voisine, était arrivé

en tête à Angers. Mais qu’importent lesrésultats de cette élection fiasco, pourPhilippe, qui préside les Jeunes Pops du49, « Fillon a autant perdu que Copé danscette histoire, les deux se sont sali lesmains ».

Les querelles d’égos, les « magouilles »de Bygmalion, les fuites qui s’en sontsuivies, la récente histoire Jouyet-Fillon…Aucune des affaires qui ont émaillé lavie de l’UMP depuis deux ans ne sembleavoir ébranlé la détermination des trois

compères. « Cela dénote simplement le fossé entre Paris et le reste de laFrance », souffle Annie, rejointe sur cepoint par Philippe qui parle de « cours derécréation »  en levant les yeux au ciel.« Là-haut, il y a beaucoup de vent… »,regrette celui qui est également directeurde cabinet du président de la fédérationUMP 49, le député et maire d’Avrillé,Marc Laffineur.

« Ce n’est pas le corps qu’il faut changer, c’est la tête. »  À 24 ans,

Constance Nebbula a déjà une idée bien

précise de ce qu’elle souhaite pour sonparti. Conseillère municipale déléguée àl’économie numérique et à l’innovation,celle qui se surnomme @LaPlanneusesur Twitter a les pieds bien ancrés dansle terrain, qui constitue à ses yeux levecteur principal du renouvellement despratiques politiques. Son candidat pour le29 novembre s’appelle Bruno Le Maireet elle n'a pas hésité à lui donner unsérieux « coup de main » sur les réseauxsociaux. « Il faut quelqu’un de clean à latête de l’UMP, dit-elle.  La droite a pleinde talents, elle ne peut pas se résumer à Nicolas Sarkozy. Son nom traîne dans

trop d’histoires. Si on vit au rythme des“Sarkothons”, on ne s’en sortira pas. »

Constance Nebbula soutient lacandidature de Bruno Le Maire. © ES 

Constance n’a pas donné un centimepour rembourser les frais de campagnede l’ancien président. « L'UMP avait déjà beaucoup demandé aux militants, j’estimais que ce n’était pas à nous de payer une fois de plus les dégâts. » Unequestion de principe, qui va de pair, unefois de plus, avec une certaine idée de“ce qui se fait” et de “ce qui ne se faitpas”. Les grands déballages ne sont pas legenre de la maison angevine. « Ici, tout se passe derrière les tentures. On garde

les poignards derrière le dos… », aimerépéter Alain Machefer, l’auteur d’ Angers,la machine à perdre.

[[lire_aussi]]

« Les affaires de famille doivent serégler en famille, ajoute le deuxièmeadjoint du maire, Emmanuel Capus. Nousavons vécu l’épisode Fillon/Copé commeun psychodrame. La seule chose quenous souhaitons, c’est que le cirque dela dernière fois ne recommence pas. »Cet état d’esprit joue beaucoup dansl’apparente distance que semblent parfois

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avoir les élus et les militants UMP avecl’élection de fin novembre. « Il y aun vrai traumatisme silencieux, expliqueChristophe Béchu. Tous ces spectaclesde déchirements font que de manièrespontanée et naturelle, tout le monde évitede dire du mal des uns et des autres.On a eu notre dose. Rester discret danscette élection, est aussi une façon pour moi de ne pas rajouter de la division à ladivision. »

De l’avis de tous, le casting de l’électionpour la présidence du parti n’est pasun sujet en soi. « Quand on se voit,on ne se demande pas pour qui on vavoter, mais comment on peut changer leschoses », souligne Constance Nebbula.Partir du terrain, ne pas se mêler desbisbilles de la machine, parler et agirde façon concrète, tenir chaque promesseengagée… Bref, changer du tout autout la façon d’envisager et de fairede la politique. La droite angevineaimerait que l’UMP s’inspire davantagede son exemple local pour opérer samétamorphose. Sans hystérie, mais avecdes idées.

Boite noireSauf mention contraire, toutes lespersonnes citées dans cet article ont été jointes par téléphone ou rencontrées àAngers les 12 et 13 novembre. Merciaux journalistes Yves Boiteau ( Angers Mag) et Arnaud Wajdzik (Ouest-France)pour leurs éclairages sur la vie politiqueangevine.

Pénalités réglées parl’UMP: Sarkozy a-t-ildéclaré cette faveur au fisc?PAR MATHILDE MATHIEULE MARDI 18 NOVEMBRE 2014

Après le règlement de sa pénalité parl'UMP, Nicolas Sarkozy devait-il déclarercette faveur aux impôts en tant que« donation » ? À ce stade, l'ancien candidatne répond pas. Dans une « note blanche» que Mediapart a consultée, l'avocat

de l'UMP estimait en 2013 que NicolasSarkozy n'avait rien à déclarer au fisc, nirien à payer.

Les deux avis du fisc sont arrivés le 18septembre 2013 à l’hôtel particulier de

Carla Bruni dans le XVIe arrondissementde Paris, adressés à Nicolas Sarkozy enpersonne. Le premier réclamait 363 615euros à l’ancien chef de l’État, le second153 000 euros. Mais plutôt que de réglerlui-même ses pénalités financières, quisanctionnaient le rejet de son compte decampagne présidentielle, l’ancien chef del’État a prié l’UMP de sortir le carnet de

chèques.Comme on le sait (surtout depuisla polémique Jouyet-Fillon), cetarrangement fait désormais l’objet d’uneinformation judiciaire  ouverte sur dessoupçons d’« abus de confiance »,« complicité »  et « recel » (le partialors présidé par Jean-François Copéavait-il le droit de payer à la place ducandidat ?). Mais une seconde questiondoit aujourd’hui se poser, d’ordre fiscalcelle-là : Nicolas Sarkozy a-t-il déclaré

au fisc ce cadeau de 516 615 euros ?Faut-il considérer qu’il a bénéficié d’une« donation » de la part de l'UMP ? S’est-il acquitté de « droits de mutation » ? Ledevait-il ? L’administration lui en a-t-elleréclamé ?

Nicolas Sarkozy mène campagne pour laprésidence de l'UMP © Reuters

Sollicité à plusieurs reprises ces derniersmois, l’attachée de presse de NicolasSarkozy n’a pas répondu à nossollicitations. Pas plus que la directiongénérale des finances publiques, chargéedu recouvrement de l'impôt à Bercy (secretfiscal oblige).

La question, en tout cas, n’a rien

d’iconoclaste puisque l’UMP se l’estsecrètement posée, avant même de

débourser les 516 615 euros. En effet,dans une « note blanche » remise àl’automne 2013 à sa direction, désormaisentre les mains de la justice comme de laCommission nationale des financements

politiques, l’avocat du parti, Me PhilippeBlanchetier, estime non seulement quel’UMP a le droit de régler les pénalitésfinancières du candidat, mais il analyse, enprime, « les incidences fiscales » qu’auraitun tel geste pour le contribuable Sarkozy.

Et il conclut, en tandem avec un fiscalistedu cabinet Ernst & Young, à la possibilitépour l’ancien chef de l’État d’échapper à

toute imposition. La démonstration, queMediapart a pu consulter, peut toutefoissurprendre.

L'un des avis adressés par le fisc à N. Sarkozy pourréclamer le paiement de ses pénalités financières © DR

En effet, Me  Blanchetier commence parreconnaître qu’en cas de prise en chargede la sanction financière de NicolasSarkozy par l’UMP, « l’administration fiscale pourrait considérer qu’il s’agit d’un don et réclamer le paiement desdroits correspondants ».  « En l’absencede lien familial »  entre le parti et sonchampion, « le tarif applicable serait de60 % », poursuit l’avocat, citant l’article777 du code général des impôts sur lesdroits de mutation.

Mais ensuite, il semble trouver une astuce.Il rappelle en effet qu’une donationinférieure à 1 594 euros est dispensée de« droits de mutation » – c’est-à-dire queson bénéficiaire ne paie aucun impôt. Ilsuffirait donc de considérer que la pénalité

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financière de Nicolas Sarkozy a été régléepar une addition de dons inférieurs à 1 594euros !

Il se trouve, justement, que le "Sarkothon"a donné lieu à « 120 680 dons inférieursà 1 594 euros », d’après des chiffres

confidentiels visiblement obtenus par Me

Blanchetier (sur 132 925 au total). Dequoi, selon lui, couvrir largement les516 615 euros de pénalités dues parNicolas Sarkozy au Trésor public, sansexposer celui-ci à aucun droit de mutation.

Au téléphone, quand on oppose à Me

Blanchetier le fait que les donateurs ont

adressé leur argent à l’UMP lors duSarkothon, et non pas à Nicolas Sarkozy,l’avocat balaie : « La collecte a été organisée par l’UMP, mais c’est NicolasSarkozy qui l’a lancée, qui a écrit auxFrançais. Il n’allait pas l’organiser lui-même, recevoir directement les chèques,les ouvrir, aller les déposer au Trésor  public… Mais il est clair pour tout le monde que la collecte avait pour objet d’apurer toutes les conséquences financières de la décision du Conseil 

 constitutionnel », y compris la pénalitéfinancière infligée au candidat.

Il faudrait donc considérer que leversement des 516 615 euros de l’UMPau Trésor public ne constitue pas « undon direct de l’UMP » à Nicolas Sarkozy,mais une multitude de  micro-dons departiculiers à l’ancien président, qui ont juste transité par l’UMP…

Une analyse juridique tirée par lescheveux ? « Ce n’est pas mon analyse,c’est le code général des impôts ! » nous

répond aujourd’hui Me  Blanchetier, encontrat avec l'UMP jusqu'en décembre,également défenseur de Nicolas Sarkozyen 2013 devant le Conseil constitutionnel(ce que des proches de François Fillon ontqualifié de « conflit d'intérêts »).

Quand on lui demande si sa démonstrationa convaincu Nicolas Sarkozy, au point quel’ancien chef de l’État l’aurait suivie etqu’il n’aurait rien déclaré au fisc, l’avocats’agace : « Je n’en sais rien, je ne suis pas

le conseiller fiscal de l'ancien président. Mais selon moi, Nicolas Sarkozy n’avait rien à déclarer, pas d’impôt à payer. »

Pour rappel (voir notre analyse), sile Conseil constitutionnel avait euconnaissance des 17 millions d’eurosde frais de meeting dissimulés  pendantla campagne présidentielle de NicolasSarkozy, réglés à Bygmalion par l’UMPdans le plus grand secret, la pénalitéfinancière de Nicolas Sarkozy n’aurait pasété fixée à quelques centaines de milliersd’euros, mais bien à 17 millions.

Sarkozy-Kadhafi : la véritéqu’ils veulent étoufferPAR EDWY PLENELLE MARDI 18 NOVEMBRE 2014

Le 10 décembre 2007, à Paris. © Reuters

La confirmation judiciaire des soupçonsde financement de l’ancien président de laRépublique française Nicolas Sarkozy parla dictature libyenne du défunt MouammarKadhafi est une nouvelle d’importance.Révélée par Mediapart il y a trois jours,elle est pourtant absente des fils d’agenceet de toutes les chaînes d’information encontinu. Afin de secouer cette injustifiableindifférence, nous publions l’intégralité du

document ignoré par la plupart des médias.C’est sans doute l’enquête la plusemblématique de Mediapart. Par sonenjeu, par sa durée, par sa difficulté.Et c’est pourtant la moins relayée dansl’espace public, que ce soit par les journalistes ou par les politiques. Les unset les autres auraient-ils peur d’affronterla vérité qu’elle recèle, tant elle estexplosive, redoutable et accablante ?

Car quand l’affaire Bettencourtdocumentait l’illégalisme oligarchique et

l’affaire Cahuzac l’imposture politicienne,

dans les deux cas la fraude et l’évasionfiscales, le dossier libyen nous meten présence d’une réalité autrementspectaculaire et ravageuse : la corruptiond’un clan politique français par l’argentd’un pays étranger, alors sous un régimedictatorial.

Une corruption qui, de plus, a accompagnéla mainmise de ce clan sur l’appareild’État, jusqu’en son sommet, par lefinancement occulte de la campagneprésidentielle de Nicolas Sarkozy en2007. Une corruption, enfin, dont onne peut pas exclure que ses secretsinavouables aient joué un rôle en 2011dans l’interventionnisme militaire françaisen Libye, précipitant la chute et la mortd’un dictateur qui avait été reçu en grandepompe à Paris.

Depuis l’été 2011, donc plus de trois ans,Fabrice Arfi et Karl Laske mènent cetteenquête au long cours avec cette exigencepropre à Mediapart : chercher de notrepropre initiative, sans dépendre d’agendaspolitiques ou judiciaires, sans se faire lerelais d’intérêts partisans, en dévoilantdes faits ignorés afin d’imposer la réalitéqu’ils révèlent dans le débat public. Desdizaines de documents et des témoignagesrecoupés font la matière de cette enquêtelibyenne qui conclut au financement deNicolas Sarkozy par Mouammar Kadhaf i(lire ici notre dossier : L’argent libyende Sarkozy).

Ayant le souvenir de leur proximitéaffichée lors de la spectaculaire réception,fin 2007, du second par le premier, nosdeux enquêteurs ont patiemment remontéle fil secret qui permet d’en comprendre laraison occulte : des liens financiers tissésà partir de 2005, quand Nicolas Sarkozyétait ministre de l’intérieur, en marge de

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Ce document est à usage strictement individuel et sa distribution par Internet n’est pas autorisée. Merci de vous adresser à [email protected] si vous souhaitez le diffuser.42/43

voyages et de contrats dont les principauxprotagonistes furent Ziad Takieddine,Claude Guéant et Brice Hortefeux.

Le 10 décembre 2007, à Paris. © Reuters

Obtenues par Mediapart avant que la justice ne les exploite, les archives

de l’intermédiaire Takieddine, déjàprotagoniste du dossier Karachi, entémoignent abondamment (les retrouverici). Leur contenu est corroboré parplusieurs témoignages d’anciens et denouveaux officiels libyens recueillis parFabrice Arfi et Karl Laske. En franchissantbien des obstacles, dans le climat derèglements de comptes de la chutedu dictateur, où nombre de témoinsdisparaissent, assassinés ou mis au secret,nos deux journalistes ont fini par trouver

une trace officielle de cette corruptionfranco-libyenne scellée au plus hautniveau.

Révélé par Mediapart le 28 avril2012, ce document provient de cesarchives qui font la longue mémoiredes régimes autoritaires (voir ici notrearticle). Daté du 10 décembre 2006,signé par Moussa Koussa, l’un des plusproches collaborateurs de Kadhafi, chef de ses services secrets extérieurs, ilacte « l’accord de principe »  conclu

afin « d’appuyer la campagne électoraledu candidat aux élections présidentielles Nicolas Sarkozy pour un montant d’unevaleur de cinquante millions d’euros ».

Nous n’avons publié ce document qu’avecla certitude de son authenticité, liée aucontexte de son obtention, à sa formeet à son style, à son contenu enfinque confirmaient d’autres informationsdéjà révélées par Mediapart (notammentici). Or c’est la contestation de sonauthenticité qui, depuis, est au cœur

de la contre-attaque de Nicolas Sarkozy

et de son entourage afin d’étouffer cescandale franco-libyen alors même que la justice prenait le relais de nos révélationsen les jugeant suffisamment crédiblespour ouvrir, au printemps 2013, uneinformation judiciaire pour « corruption »confiée aux juges Serge Tournaire et RenéGrouman.

Nicolas Sarkozy ne nous a jamaispoursuivis en diffamation dans cetteaffaire, ce qui aurait été sinon de bonneguerre, du moins de guerre loyale surle terrain du droit de la presse. Il apréféré construire un écran de fumée ennous accusant d’avoir publié un faux,d’abord auprès du parquet, déclenchantune enquête préliminaire qui ne lui aévidemment pas donné raison, puis, face àcet échec, déposant à l’été 2013 une plainteavec constitution de partie civile visantexplicitement Mediapart, son directeur etles deux journalistes concernés.

Témoins assistés dans ce dossier, seulstatut juridique dans lequel nous pouvonsêtre légalement entendus, nous avonscontesté cette procédure de diversion qui,en contournant le droit de la presse quiprotège le droit de savoir des citoyens,prenait le risque de porter atteinte à unprincipe fondamental, le secret des sourcesdes journalistes (lire ici, là, là aussi  etencore là les épisodes précédents). Mais,loin de conforter le soupçon calomnieuxrépandu par M. Sarkozy et son clan,l’instruction confiée aux juges René Croset Emmanuelle Legrand a tout au contrairerecueilli des témoignages abondant dansle sens de notre enquête et, notamment,accréditant la véracité du contenu du

document en cause (lire ici notre article).Hélas, pendant tout ce temps – etparfois avec les mêmes relais que dansl’affaire Cahuzac –, la contre-attaquesarkozyste fonctionnait médiatiquement,reléguant au second plan l’affaire libyenneavec des remarques suspicieuses sinondésobligeantes de la plupart des confrèressur notre travail. Du  Monde  à VanityFair , sans compter les indifférents quipréféraient s’abstenir, au premier rangdesquels l’Agence France-Presse, le bruit

dominant était donc au doute sur

l’authenticité du document publié en avril2012. Et il y a fort à parier que si la justice avait, contre toute vraisemblance,pris cette direction, les médias dominantsse seraient empressés de le crier haut etfort.

Or c’est l’inverse qui vient de se produire,et c’est cette nouvelle qu’ils ont choisi detaire.

Une corruption étrangèreau plus haut niveau de laRépubliquePour étouffer une information, il suffit de

ne pas la reprendre. Et le degré d’intensitéd’une démocratie se donne à voir dans cesrenoncements où des journalistes oublientqu’ils en sont aussi les acteurs et lesgardiens, par leur respect sans concessiondu droit de savoir des citoyens. Il faut doncque la démocratie française soit bien malen point pour que soit tue la révélationqu’un collège d’experts a authentifié sansaucune réserve un document planifiant unecorruption étrangère au plus haut niveaude la République.

Comme nous l’expliquions dans notrearticle du 14 novembre (le retrouver ici),les trois experts judiciaires mandatés parles juges Cros et Legrand, renforcés parl’expertise d’une arabisante, ont comparéà celle du document en cause plusieurssignatures de l’ancien chef des serviceslibyens qui avait été entendu par lesmagistrats au Qatar où il s’est réfugié.Leur conclusion est sans appel : toutes cessignatures sont de la même main, cellede Moussa Koussa. Ce document dont cedernier confiait déjà, sur procès-verbal,

que « son origine, son contenu » n’étaient« pas faux », ne l’est donc pas non plus parsa signature qui est authentique.

Autrement dit, l’un de ceux dont NicolasSarkozy et son entourage brandissaient ledémenti lors de la révélation du document(c’est à retrouver ici) est aujourd’huiconfondu par la justice française commeétant bien le signataire de cette attestationde l’accord secret franco-libyen.

Bref, la procédure calomnieuse lancéepar l’ancien président contre Mediapartse retourne brutalement contre lui :

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7/24/2019 Mediapart Du 22 Novembre 2014

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le faux qu’il évoquait, de meeting enmeeting, pour se présenter en persécuté demédias fraudeurs et de juges inquisiteurs,se révèle tout simplement vrai commenous l’affirmions, attestant ainsi d'un desplus gros scandales qu’ait connus laRépublique au niveau de responsabilitéqui fut le sien.

Dans une démocratie vivante, une telleinformation s’imposerait évidemment àtoute notre vie publique. Les agences depresse, et notamment l’AFP qui remplitune mission de service public auprèsde ses abonnés parmi lesquels la presserégionale, l’auraient relayée, faisant savoirqu’une expertise judiciaire confirmel’authenticité d’un document accablantpour l’ex-président de la République. Lesautres médias auraient suivi, assaillantde questions Nicolas Sarkozy et sonentourage. Et le monde politique, dans sadiversité, aurait été invité à réagir et àcommenter.

[[lire_aussi]]

Au lieu de cela, rien. Rien de rien. Lelourd silence des démocraties affaissées et

affaiblies, ayant renoncé à être exigeantesavec elles-mêmes. Sauf à lire Mediapartou à suivre les réseaux sociaux (voir sousl’onglet « Prolonger » la protestationde Fabrice Arfi, plébiscitée par lesinternautes), nos concitoyens ne saurontpas que le long feuilleton de l’affairelibyenne a connu un épisode judiciaire

décisif qui donne crédit à notre enquête etconforte les faits de corruption qu’elle amis au jour.

Il faut parfois se battre pour qu’uneinformation qui dérange des intérêts etdes pouvoirs fasse son chemin dansl’espace public. C’est dans cet espritque, destinataire à mon domicile, parcourrier recommandé des deux jugesd’instruction, d’une « notification desconclusions d’expertise », j’ai choisi d’enrendre public in extenso le contenu (allégédes annexes).

C’est une information d’intérêt public sur

un scandale d’État. La voici :Boite noireMediapart est à l’origine des révélationssur les soupçons d’un financement occultelibyen sous le règne de MouammarKadhafi à l’occasion de la campagneprésidentielle de Nicolas Sarkozy de 2007,lesquels soupçons sont aujourd’hui aucentre des investigations judiciaires visantle premier cercle de l’ancien président dela République (lire notre dossier).

Après plusieurs mois d’une enquêtecommencée à l’été 2011 et ayant donnélieu à de nombreux articles sur lesrelations entre les proches entouragesde Nicolas Sarkozy et de MouammarKadhafi, Mediapart a ainsi publié, le 28avril 2012, un document officiel libyenévoquant ce soutien financier du régime deTripoli au candidat Sarkozy au moment del’élection présidentielle de 2007.

L’ancien chef de l’État français, qui n’apas poursuivi une seule fois Mediaparten diffamation, a contourné le droit dela presse en nous attaquant pour « fauxet usage de faux »  au printemps 2012,tandis que nous ripostions en l’accusantde « dénonciation calomnieuse »  (lireici). L’enquête préliminaire menée par lapolice judiciaire ne lui ayant évidemmentpas donné raison, Nicolas Sarkozy adéposé plainte avec constitution de partiecivile à l’été 2013, procédure qui donneautomatiquement lieu à l’ouverture d’uneinformation judiciaire pour « faux et usagede faux ».

Mediapart, à travers son directeur dela publication Edwy Plenel et les deuxauteurs de cette enquête, Fabrice Arfi etKarl Laske, a été placé fin 2013 sous lestatut de témoin assisté dans ce dossier.Nous n’avons pas manqué de contesterune procédure attentatoire au droit dela presse et de faire valoir le sérieux,la consistance et la bonne foi de notreenquête (lire ici et là).

De fait, nos révélations sont au cœur del’information judiciaire ouverte un an plustard, en avril 2013, pour «corruption» surle fond des faits de cette affaire franco-libyenne qui inquiète grandement NicolasSarkozy et ses proches. L'instruction a étéconfiée aux juges Serge Tournaire et RenéGrouman.

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