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DANIEL HOORNWEG Construire des systèmes urbains Les leçons de la nature Visions ville

Construire des systèmes urbains Les leçons de la nature · chances de vie, tout en étant ancrés, et parfois entravés, par les ligatures et les conventions sociales. Les villes

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DANIEL HOORNWEG

Construire des systèmes urbains

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C onseiller Principal sur les problématiques urbaines auprès du groupe consultatif

central de la Banque Mondiale, il a plus de vingt ans d’expé-rience professionnelle dans le domaine des villes.Il a rejoint la Banque Mondiale en 1993 et a travaillé en Afrique Subsaharienne, en Asie de l’Est et dans les Iles du Pacifi que, en Asie du Sud ainsi qu'en Amérique Latine et dans la région des Caraïbes.Durant cette période, il a colla-boré avec près de 200 villes sur plus de cinquante projets autour du thème du changement clima-tique. La formation universitaire de Daniel Hoornweg comprend des diplômes dans les domaines des Sciences de la Terre ainsi que de l’Ingénierie Civile et Environnementale.En août 2008, il conduit le programme Urbain de la Banque Mondiale au sujet des villes et du changement climatique. Il guide notamment le Colloque de Recherche Urbaine sur les Villes et le Climat à Marseille en 2009 et dirige des études liées à l’impact du changement climatique en ville axées sur l’atténuation et l'adaptation.Il est actuellement Professeur associé de la Chaire Jeff Boyce, à l’Institut de Technologie de l’Université d'Ontario et membre du Conseil de Stratégie et d’Innovation Urbaines de GDF SUEZ.

DanielHoornweg

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Par une chaude journée d’étéde 1948, alors qu’il se promenait avec son chien sur un sentier de montagne suisse, George de Mestral remarqua que son pantalon et la fourrure de son chien étaient couverts de graines de bardane. Une fois rentré chez lui, il courut chercher son microscope pour voir comment les graines s’accrochaient au tissu et à la fourrure.Après avoir percé à jour ce petit mystère de la nature, on dit qu’il déclara : “ Je vais concevoir un dispositif de fixation unique, en deux parties, l’une avec des crochets rigides comme les graines de bardane et l’autre avec des boucles souples comme le tissu de mon pantalon.Je vais appeler mon invention “ velcro ” (combinaison de velours et crochet) 1 . ”

L’invention du velcro est un excellent exemple de biomimétisme, consistant à apprendre de la nature. Le biomimétisme est l’un des outils dont nous aurons besoin plus que jamais, lorsque la taille des

CONSTRUIRE DES SYSTÈMES URBAINS :

LES LEÇONS DE LA NATURE

villes va doubler, au cours des 35 prochaines années.La tâche qui nous attend est énorme : nourrir, loger, fournir de l’eau et de l’assainissement et une croissance économique – tout cela en restant dans la capacité de charge de la planète, qui est déjà mise à mal. Dans le monde, les villes compteront bientôt 2,5 milliards d’habitants supplémentaires.La résilience, la connectivité, l'évolutivité, et les hiérarchies sont autant d'outils d'urbanisme que nous avons à apprendre de la nature.

Dans The Kind of Problem a City Is,Luis Bettencourt affirme que les villes sont “ avant tout de grands réseaux sociaux ” avec des “ agglomérations de liens sociaux ” qui “ permettent aux interactions sociales de se former et de persister ”. Cet “ amalgame social ” remplit le rôle principal d’une ville qui est “ d’étendre la connectivité par personne ” et “ de rechercher l’inclusion sociale ”.

1 Selon inventors library, consulté le 8-3-14: http://inventors.about.com/library/weekly/aa091297.htm

“ Nous construisons nos villes et nos villes, à leur tour, construisent notre bien-être. ”

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Les villes sont des systèmes naturelsqui évoluent spontanément dans lessociétéshumaines,

“ aussinaturelles que les ruches et que les récifs de corail ”.

Les villes “ révèlent à la fois les pires et les meilleurs aspects de l’humanité ”. Elles devraient être “ encouragées à évoluer vers la concrétisation de notre nature collective” afin de mieux

“ réaliser notre potentiel mondial comme la plus sociale de toutes les espèces ”.

L’essence d’une ville est comme une toile construite qui permet à ses résidents de construire les liens sociaux nécessaires pour optimiser leur économie, leur culture et leur utilité personnelle et collective.Nous construisons nos villes et nos villes, à leur tour, construisent notre bien-être. En outre, les villes, de par leur connectivité, sont les formes les plus efficaces pour la distribution de biens. En cela, elle ont des similitudes avec des systèmes naturels évolutifs tels que les récifs coralliens et les ruches. Lorsque nous imitons la nature, cela nous réussit.

Deux idées donnent à réfléchir à cette “ essence de la ville ” : Sigmund Freud et le plaidoyer convaincant qu’il donne dans Malaise dans la Civilisation (1929) et l’économiste Ralph Dahrendorf (1994) qui argue que le développement durable présente un contraste entre les“ chances de vie ” (opportunité de vie ou potentiels de décision) et les “ ligatures ” (les liens établis entre l’individu et la société) 2.

2 Source : Marco Keiner, ed. The Future of Sustainability. Springer, 2006, p 216

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Freud pensait que la civilisation (c’est-à-dire les villes) existait pour “ enrayer la mauvaise volonté irrévocable dans le cœur de l’homme ”. Il affirme de façon convaincante, dans Malaise dans la Civilisation, que celle-ci est paradoxalement notre plus grande source de bonheur et de malheur. L’homme a des “ instincts immuables ” et contrairement aux abeilles et aux poissons, nous avons la possibilité d’agir en fonction de ces instincts.

L’étude que fait Dahrendorf des ligatures et des chances de vie doit être prise en considération lorsque l’on s’interroge sur la durabilité des villes. Les hommes se déplacent toujours vers les villes pour augmenter leurs chances de vie, tout en étant ancrés, et parfois entravés, par les ligatures et les conventions sociales.Les villes échoueront si elles ne sont pas capables de favoriser la connectivité et l’inclusion autant que les opportunités économiques.

Aristote, en particulier, avait fait preuve de préscience en notant dans Politique que l’homme est le plus politique (= urbain) de tous

les animaux 3. Nous sommes peut-être une espèce urbaine, mais à l’échelle mondiale, nous venons tout juste de passer la barre des 50% de personnes vivant en milieu urbain. Un grand nombre de nos concepts politiques et de nos normes sociales conservent encore une influence rurale. À mesure que nous passerons d’une mentalité rurale à une mentalité urbaine et que nous construirons nos villes nouvelles, nous ferons bien de garder à l’esprit ce qui existe dans la nature.

“ Ce qui n'est pas utile à la ruche ne l'est pas non plus à l'abeille. ”Marc Aurèle

3 Bettencourt

I

LA RÉSILIENCE

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d’un impact catastrophique.La façon dont une forêt repousse après un incendie, un récif de corail après une tempête énorme montre que la nature sait perfectionner sa résilience.

Les villes devraient, de par leur nature, être résilientes, semblables en cela aux écosystèmes de la nature. On s’intéresse de plus en plus à la résilience, car les planificateurs et les gestionnaires urbains perçoivent à la fois la vulnérabilité croissante des ensembles urbains et leur nature interconnectée. De même, ils observent des menaces de plus en plus importantes, en particulier celles liées au climat et au terrorisme. La résilience est une mesure indiquant à quel point une ville est capable “ d’encaisser les coups ”, à quelle vitesse elle se relève, se secoue et continue à fournir les services indispensablesà ses résidents. Ces “ coups ” risquent-ils de se produire plus souvent, avec une plus grande sévérité ? Comment une catastrophe se produisant dans une ville à l’autre bout du monde peut-elle affecter d’autres villes ?

" Les villes et trônes et puissances se tiennent dans l’œil du temps,presque aussi longtemps que des fleurs,qui meurent chaque jour :mais quand de nouveaux boutons se forment pour les nouveaux hommes heureux,de la Terre épuisée et maltraitée,les cités s’élèvent de nouveau."Rudyard Kipling

Tout au long de l’histoire, les villes ont été saccagées, pillées, brûlées, battues par les tempêtes et les tremblements de terre, inondées, ravagées par la famine et la sécheresse. Pourtant les villes restent l’héritage le plus durable de l’humanité.Peu de corporations survivent plus de 50 ans.Les frontières de pays sont artificielles, éphémères, la plupart remontent à quelques siècles à peine. Les villes, en revanche, ont une tendance à la résilience, et sont capables de se relever après chaque nouvelle catastrophe.

La résilience est la capacité positive d’un système de s’adapter aux conséquences d’un échec ou

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La résilience est un élément nécessaire mais non suffisant de la durabilité.Les villes durables sont“ des communautés urbaines qui s’engagent à améliorer le bien-être de leurs résidents actuels et futurs, tout en intégrant les conditions économiques, environnementaleset sociales. ” 4 .La “ ville durable ” est un objectif bien plus large que la “ ville résiliente ”. Elle recouvre la vitalité économique, les impacts environnementaux à l’échelle locale et mondiale sous des conditions sociales telles que l’équité et le bien-être.La résilience est cependant un très bon point de départ pour une ville souhaitant s’acheminer vers la durabilité.

Les dirigeants des villes et les gestionnaires urbains doivent, en imitant la nature, développer des réseaux sociaux forts et construire des infrastructures robustes.

4 Building Sustainability in an Urbanizing World: A Partnership Report; Banque mondiale, 2013, Hoornweg and Freire.

II

LA RÉADAPTATION

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Une souris, un chat, un éléphant, une baleine grise, ont tous en commun un même schéma que l’on appelle la loi de Kleiber. Pour la grande majorité des animaux, leurs taux métaboliques sont proportionnels à leur masse élevée à la puissance ¾. Par conséquent, un chat ayant une masse 100 fois supérieure à celle d’une souris aura un métabolisme environ 31 fois supérieur à celui de la souris. Les très grands animaux ont tendance à avoir un métabolisme plus lent.

Il s’avère que les villes obéissent à un système d’échelle similaire en fonction de leur taille : Geoffrey West et Luis Bettencourt nous montrent, sous certaines conditions, que les villes suivent des chemins similaires à ceux que l’on trouve dans la nature.Un doublement de la population entame une création de richesse et d’innovation 1,2 fois supérieure, et seulement une augmentation de 0,8 fois dans les dépenses d’infrastructure (grâce aux rendements des économies d’échelle).

Bettencourt qualifie son argumentation sur l’échelle de fonctionnement des villes en précisant que ses conclusions s’appliquent à la ville dans son ensemble (c’est-à-dire aux zones métropolitaines). Cependant, dans un grand nombre de villes, cette capacité d’agir comme un tout est limitée par nos fragilités et nos

insécurités. Des frontières artificielles et des contraintes peuvent limiter l’essence des villes. Encore une fois, la nature nous donne une leçon importante ; si les biens et les personnes peuvent se déplacer efficacement, cela crée un effet bénéfique, dans le système urbain tout entier.

Les grandes villes sont importantes. Les grandes “ villes durables ” sont plus importantes encore et dans la re-cherche du développement durable, les plus grandes villes ont une importance particulière (Hoornweg and Pope, The World’s 101 Largest Cities this Century). La capacité d’adaptation des villes explique en grande partie cela.

Doubler la taille d’une ville, c'est multiplier par 1,2 ses avantages et par 0,8 ses coûts d'infrastructures.

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Lorsque l’on construira des villes pour 2,5 milliards d’habitants supplémen-taires au cours des 35 prochaines années, ces économies sur les frais d’infrastructure seront énormes (et probablement une condition préalable au développement durable).

Les implications pour la planification urbaine sont considérables. Les villes (dans leur ensemble) doivent être en mesure de favoriser les réseaux publics et les interactions sociales dans la totalité de l’agglomération urbaine. Cela représente un défi énorme mais à l’exception d’une seule (Tokyo), les 26 villes les plus grandes du monde sont des agglomérations métropolitaines ayant des frontières politiques instables et des intérêts parfois égoïstes.

Dans le monde entier, les citadins connaissent un désir plus grand, d’interagir les uns avec les autres. Il est possible que les urbanistes développent un jour les réseaux de transport et de communication dans les villes de manière à réduire les“ heures de pointe ” mais également à encourager les réunions face à face. Ce phénomène apparaît déjà dans les cafés, les bibliothèques et une myriade de lieux de réunion dispersés dans toutes les villes.

La planification de la durabilité urbaine exige que les urbanistes abordent de front le problème des “ démons de la densité ” (Glaeser, 2011), c’est-à-dire la congestion, la pollution et la criminalité.Les urbanistes doivent également prendre garde au fait que “ tout est dans les détails ”. Le caractère vital des “ petits ” détails est évident dans la grande région de Toronto (que l’on appelle Golden Horseshoe). Les urbanistes de l’Ontario ont produit l’une des meilleures mesures législatives du monde avec le“ The Places to Grow Act ”. Cette loi encourage l’excellence dans la structure bâtie de la région et prouve que la densité et les infrastructures urbaines sont cruciales. L’application concrète de cette loi, en revanche, laisse beaucoup à désirer (voir Neptis Report, septembre 2013). Cette “ mort lente ” de ce qui est sans doute l’un des meilleurs efforts en matière d’urbanisme dans l’une des juridictions les plus élevées en fonction donne matière à réflexion à tous les urbanistes.

Bettencourt et Al, en 2007, présentent un plaidoyer convaincant sur la valeur de “ l’infrastructure de tronc ” dans les grandes villes lorsqu’elles s’étendent. Cette infrastructure “ plus grande et meilleure ” n’est en général pas facile à fournir car presque

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toutes les villes s’agrandissent sur place. Elles subissent des contraintes liées à l’utilisation historique des terres et à la forme urbaine. La modernisation des infrastructures de tronc est beaucoup plus difficile que de construire d’abord et de laisser la ville se développer autour des services urbains en place (ce type de croissance est également difficile à financer).

Les grandes villes peuvent continuer avec relativement moins d’infrastructures telles que les routes et les longueurs de câbles (environ 0,8 fois plus à chaque fois que la population double), cependant les services urbains tels que le logement pour tous et le plein emploi, ainsi que la consommation d’eau et d’électricité restent relativement constants (environ 1 fois à chaque fois que la population double). Il est donc normal que l’on mette plus l’accent sur la conservation – utilisation de l’eau et de l’électricité, réduction des déchets – lorsque les villes se développent.

Si les urbanistes veulent tirer parti des lois d’échelle de la nature lorsque les villes se développent, il faut tenir compte de quelques implications clés :(i) les infrastructures de tronc ou cruciales doivent desservir l’agglomération urbaine dans son

intégralité, ou la ville,(ii) les “ pratiques d’ingénierie qui conçoivent la ville comme une machine ” doivent être améliorées en “ considérant la ville comme un ensemble ” et en construisant une infrastructure qui “ avant tout favorise les réseaux sociaux ”,(iii) les réseaux d’infrastructure“ devraient être décentralisés le plus possible ”, (iv) le prix du terrain augmente plus vite avec la taille de la population que les revenus moyens (cette création de richesse devrait être utilisée pour recueillir des fonds pour les infrastructures nécessaires), et (v) “ les politiques qui augmentent la fourniture de terrain par personne ou réduisent le coût des transports auront tendance à créer des villes moins denses et qui exigeront des taux plus élevés de consommation d’énergie. ”

L’espace, l’infrastructure et l’aménagement urbains sont des aspects importants qui favorisent les réseaux et les liens sociaux. L’infrastructure et l’aménagement urbains constituent un facteur clé. De l’avis de Bettencourt, un urbaniste doit “ avant tout promouvoir les réseaux sociaux qui permettent aux interaction sociales de se former et de persister ”. Tous les résidents de la ville devraient pouvoir “ profiter des réseaux sociaux et étendre la connectivité par personne. ”

III

L’ARMATUREURBAINE

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fond de toile qu’est cette armature urbaine, tels des “ tapisseries ” entrelacées qui interagissent dans l’espace et dans le temps. Bejan et Zane ont illustré la manière dont l’émergence de l’armature urbaine est liée à la vision dynamique, menant du fleuve aux affluents, des jeunes pousses aux gros troncs d’arbre, des trottoirs aux autoroutes.

L’émergence de la hiérarchie a des conséquences importantes en ce qui concerne la conception des systèmes urbains. “ La hiérarchie se met en place parce qu’elle est bonne pour chaque composant du système de flux. Les citoyens soutiennent les gouvernements qui les servent, les travailleurs soutiennent les sociétés qui les emploient et qui, à leur tour, les servent ” ibid. L’envie d’organiser est naturelle et individualiste. La conception urbaine évolue autour de ces attributs naturels physiques et humains.Les trottoirs, les rues, les métros et les autoroutes d’une ville, la collecte des déchets, leur transport et leur traitement, l’alimentation en eau, l’approvisionnement alimentaire, l’énergie : tous tendent vers des hiérarchies dynamiques.

La hiérarchie des besoins de Maslow (page 20) explique comment l’homme se déplace en fonction d’une hiérarchie qui commence par la satisfaction de nécessités physiques, suivie par la sécurité, l’amour, l’estime de soi, et se conclue par l’accomplissement personnel. Les villes suivent également un ensemble de besoins et d’ aspirations, qui sont à la réunion de services de base tels que la nourriture, l’eau et l’abri, ainsi que la sécurité, le sentiment d’appartenance et la participation. C’est dans la réalisation de ces impératifs que les villes sont en mesure de croître dans le bon fonctionnement de leurs activités .

Pour Jane Jacobs “ les villes saines sont des systèmes organiques, spontanés, désordonnés et complexes ”. Avec le temps, l’armature urbaine des villes tend vers celle de systèmes naturels tels que les racines, les cours d’eau et les structures organiques comme les ruches et les récifs de corail.

En ce qui concerne les flux dynamiques qui s’opèrent dans la ville – trafics de voitures ou de piétons, l’exploitation de cours d’eau, ou encore les statégies spaciales d’entreprises… – ils évoluent sur

BESOINS LIÉS À LA SÉCURITÉsanté, emploi, famille, propriété et stabilité sociale

BESOINS PHYSIQUESoxygène, nourriture, eau, abri, vêtements, sommeil

AMOUR ET SENTIMENT D’APPARTENANCEamitié, famille, intimité, sentiment de proximité

ESTIME DE SOIconfiance, réussite,respect des autres,

besoin d’être un individu unique

ACCOMPLISSEMENTPERSONNEL

moralité, créativité,spontanéité,acceptation,

expérience, but,signification

et potentiel interne

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Hiérarchie des besoins selon Maslow

IV

LE BIOMIMÉTISME

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Lorsqu’on se tient à un carrefour très passant d’une grande ville, on ne peut s’empêcher de remarquer la ressemblance entre les passants affairés et des fourmis, des abeilles ou encore un banc de poissons. Tout ingénieur devrait imiter la maîtrise de la conception, perfectionnée par la nature sur des milliers d’années d’évolution. Le biomimétisme a commencé par l’imitation de la nature dans la conception de produits tels que les peintures, les pales de turbine et le velcro. Actuellement, la conception et la gestion des villes bénéficient également des leçons de la nature.

Le concept consistant à “ tirer les leçons de la nature ” est aussi ancien que l’humanité elle-même. L’idée du mimétisme (imiter) vient au départ du concept grec de mimos, qui est la représentation des aspects de la nature dans les actions de l’homme (Marshall et Lozeva, 2009). Les ingénieurs ont toujours puisé leur inspiration dans la nature. En 1498, Léonard de Vinci a quitté Florence pour s’installer à Venise afin de se concentrer sur l’ingénierie de sa“ machine volante ”.De nouvelles conceptions inspirées par la nature font leur apparition, et beaucoup rencontrent un grand succès commercial. On peut citer quelques

exemples, tels que les pales d’éolienne de WhalePower, qui s’inspirent des nageoires des baleines 5, deslecteurs d’e-books de Qualcom qui imitent la coloration des ailes de papillons, les finitions de surfaces de Sto Corp inspirées de feuilles de lotus autonettoyantes, la conception de l’Eastgate Centre à Harare qui s’inspire de la conception d’une termitière (pour maintenir la fraîcheur), le train à grande vitesse japonais Shinkansen dont la forme évoque le bec d’un martin-pêcheur et l’adhésif gecko (Feng et Axworthy, 2011 ; Forbes, 2006 ; et Biomimicry Guild 2014).

La nature est forte de caractéristiques issues de l’évolution. La capacité du gecko de s’accrocher au plafond est similaire au velcro : il y un milliard de points de contact sur la patte d’un gecko. On cite succintement : la colonne vertébrale d’un bison (même forme qu’un pont suspendu), la soie des araignées, le ciment formé par les moules, les feuilles de lotus et leur capacité de repousser la saleté et l’eau, l’iridescence d’un oiseau ou d’un papillon, le pliage de la feuille haori, le placement des yeux d’une mouche, la disposition des couches d’une coquille d'haliotide… Elles sont toutes des sources d’inspiration très riches pour les conceptions humaines.

5 Modélisation des tubercules d’une nageoire de baleine, autrement dit “technologie du tubercule”

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“ La nature fonctionne grâce à la lumière du soleil.La nature n’utilise que l’énergie dont elle a besoin.La nature adapte la forme à la fonction.La nature recycle tout.La nature récompense la coopération.La nature mise sur la diversité.La nature exige l’expertise locale.La nature freine les excès de l’intérieur.La nature exploite la puissance des limites. ”

Le “ Canon du biomimétisme ” (Benyus, 1997)

V

L’ÉMERGENCEDU BIOMIMÉTISME

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On peut dire que la notion de biomimétisme est aussi ancienne que la conception technique : les barrages, les avions, les bâtiments ont toujours été inspirés de la nature. Le terme de biomimétisme est attribué plus récemment à Janine Benyus (1997) une biologiste qui plaide en faveur d’une “ approche biologique ”: l’imitation (et l’amélioration) de la nature et des écosystèmes naturels. Ce courant se développe en grande partie autour d’attributs naturels spécifiques intégrés dans la conception de produits :par exemple, la peinture repoussant la saleté ou les pales d’éoliennes imitant les nageoires de baleines.

Un autre courant s’intéresse à des structures plus grandes, telles que les bâtiments. Ce courant de la “ bioforme ”, avec des attributs architecturaux spécialisés, est représenté à travers des bâtiments tels que l’Eastgate Center à Harare, et les tours de Masdar dans les Emirats Arabes Unis (utilisant le vent pour maintenir la fraîcheur).

Un troisième courant, qui se développe rapidement, concerne le biomimétisme dans les villes.

On peut subdiviser ce courant succinctement en trois parties : (i) les attributs d’échelle et la “ loi constructale ”,(ii) la forme urbaine, les flux matériels, les hiérarchies et les améliorations de l’efficacité (par exemple, les flux humains dans la ville de New York), (iii) la planification urbaine (et l’infrastructure) ainsi que l’optimisation des attributs d’une “ville naturelle” (avec une amélioration des liens entre les habitants des villes et les écosystèmes intégrés).

L E N O U V E A U N A T U R A L I S M E - J A N I N E B E N Y U S

LES QUESTIONS À SE POSER :COMMENT PÉRENNISER LA VIE ?

COMMENT LA VIE CRÉE-T-ELLE DES CHOSES ?DE BAS EN HAUT - ÉMERGENCE - APPORTER DE L’INFORMATION

COMMENT LA VIE CRÉE-T-ELLE DES CHOSES QUI SE FONDENT DANS DES SYSTÈMES ?

PERCEPTIONET RÉACTION

RÉSILIENCEET RECONSTRUCTION

TRANSPORT

DÉPLACEMENTOPTIMISANT

LA RÉCUPÉRATIOND’ÉNERGIE

LE SYSTÈMEANTI-COLLISION

DES CRIQUETS

RUBAN ADHÉSIF INSPIRÉ DU GECKO

NETOYAGE SANS DÉTERGENT

COLORATIONSANSPIGMENTS

SPIRALELOGARITHMIQUE- LES CORNES DU BOUC- LE NAUTILLE- L’ÉVACUATION D‘EAU DES TOILETTES

LOTUS

L’ÉLIMINATION DES BIOFILMSET DES MICROBES

L’ANALYSE DES COQUILLESCONTRE LES PROBLÈMESD’ENTARTRAGE DESCANALISATIONS

CRISTAUX À BASE D’IONS

INFLUENCE DE L’ÉVAPORATIONORDINATEURS SANSCOMPOSANTS CANCÉROGÈNES

MICRO-OPTIQUE

LE BLOCAGE DES SIGNAUXDU CRESSON DE MER

PLASTIQUESBIODÉGRADABLES

L’AGRICULTURESUR LE MODÈLE

DES PRAIRIES

ÉCOSYSTÈMES FAVORISANTSLA FERTILITÉ DES CULTURES

RECYCLAGE VALORISANTLES MATÉRIAUX

VIVRE & CRÉER LES CONDITIONSFAVORABLES À LA VIE !

LA SÉLECTION NATURELLEMOTEUR DE L’INNOVATION

L’ÉNERGIE SOLAIRE

LE POUVOIR DESCARACTÉRISTIQUES

ENVISAGER LES MATÉRIAUXEN TANT QUE SYSTÈMES

AUTO-ASSEMBLAGE

CHIMIE DANS L’EAU

BIOMIMÉTISMELES CONCEPTIONS DE MODÈLE DE VIE SIMPLE

LES SOLUTIONS DE CONCEPTION PAR LA NATURE

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Schéma du biomimétismeTiré de : Biomimicry: Innovation Inspired by Nature, 1997 – résumé par la Biomimicry Guild

CONCLUSION

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De telles villes sont plus résilientes, plus hospitalières et plus susceptibles de construire un partenariat solide et durable entre les hommes et la planète.

Une grande partie de l’histoire de la construction de villes par l’homme s’est développée dans l’idée de se protéger des aléas de la nature. Les villes nous protègent souvent des lois naturelles, pourtant, de plus en plus, nous apprenons qu’une bonne ville se doit d’être durable. La ville durable est celle qui nourrit ses habitants, se développe en partenariat avec la nature grâce au biomimétisme.

Elle se doit de présenter dans son armature urbaine les mêmes échelles que la natureet refléterla complexité organique que représenteune ville.

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Bejan, Adrian and J Peder Zane (2012). Design in Nature: How the Constructal Law Governs Evolution in Biology, Physics, Technology and Social Organizations. Doubleday, 296pp

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BIBLIOGRAPHIE

CONSEIL DE STRATÉGIEET D'INNOVATION URBAINES

DE GDF SUEZ

Conseil de Stratégie et d'Innovation Urbaines lors du World Cities Summit 2014 à Singapour

Cet incubateur d'idées lancé en 2012 réunit des experts indépendants afi n de produire une vision intégrée de la ville. Objectif : porter un regard transverse et pluridisciplinaire sur les questions urbaines pour contribuer à la construction des “ villes à vivre de demain ˮ . Le Conseil de Stratégie et d'Innovation Urbaines a vocation à jouer un rôle critique, en débattant de la vision et des méthodologies d'intervention de GDF SUEZ sur la ville. Il a également une mission d'information et d'alerte, au regard des disciplines et des domaines d'expertise représentés. Enfi n, le Conseil est chargé d'animer la réfl exion prospective de moyen et long termes à l'échelle du Groupe.

Brigitte Bariol-Mathais, Architecte urbaniste en chef de l’État, elle est déléguée générale de la Fédération Nationale des Agences d’Urbanisme (FNAU),

Christian Kornevall, Économiste,

Daniel Hoornweg, Conseiller principal sur les problématiques urbaines, coordinateur “ Villes et changement climatique, développement urbain et politiques locales ” à la Banque Mondiale,

Dominique Lorrain, Sociologue, Directeur de recherche au CNRS, Latts/ENPC,

Erik Orsenna, Économiste, écrivain et spécialiste du développement durable, de l’environnement, de l’agriculture et des économies émergentes,Gino van Begin, Secrétaire général de l'ICLEI (Gouvernements locaux pour la durabilité),

Jana Revedin, Docteur en architecture, professeur d’architecture et de design à l’Institut de technologie et de planification Blekinge en Suède,

Joseph Roig, Secrétaire général des “ Cités et Gouvernements Locaux Unis ” (CGLU),

Margie Ruddick, Designer paysagiste,

Marie-Hélène Contal, Architecte, membre du Comité scientifique du “ Global Award for Sustainable ” et du “ Board de la Daw’an Mud Brick Architecture Foundation ”, Secrétaire général de la LOCUS Foundation.

Mario Gandelsonas, Architecte et théoricien spécialisé dans l’urbanisme et la sémiotique. Il est Directeur du Centre d’architecture, urbanisme et infrastructure de l’université de Princeton,

Nicholas You, Président du groupe d’ “ Assurance pour l’initiative d’infrastructure urbaine du Conseil mondial des affaires pour le développement durable (WBCSD) ” ainsi que du Comité de pilotage de la campagne globale urbaine des Nations Unies.

Pablo Vaggione, Urbaniste avec une vaste expérience dans le domaine du développement urbain durable, spécialisé sur le thème des villes à croissance rapide.

Sara Topelson de Grinberg, Sous-secrétaire du développement urbain et régional du gouvernement du Mexique,

Smita Srinivas, Spécialiste dans les domaines du développement économique et de l’industrie, membre du programme de planification urbaine de Columbia University à New York City et Directrice du Technological Change Lab (TCLab),

Teng Chye Khoo, Directeur Exécutif, Centre “ liveable Cities ” à Singapour, et membre de la “ World Future Foundation ”,

Thelma Awori, Professeur, Spécialiste du leadership au féminin et de la place des femmes en Afrique, ex vice ‐secrétaire général de l’ONU.