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1 Contexte : Bosnie-Herzégovine et Kosovo

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Larousse.fr

http://www.larousse.fr/encyclopedie/pays/Bosnie-Herz%C3%A9govine/109569

BOSNIE-HERZEGOVINE

État de l'Europe balkanique sur la mer Adriatique, la Bosnie-Herzégovine est limitée au sud par le Monténégro, à l'est par la Serbie, au nord et à l'ouest par la Croatie. La Bosnie-Herzégovine est divisée en 2 entités : la Fédération de Bosnie-Herzégovine, comprenant les territoires croate et bosniaque, et la Republika Srpska ou République serbe.

Superficie : 51 100 km2 Nombre d'habitants : 3 767 000 (estimation pour 2009) Nom des habitants : Bosniens Capitale : Sarajevo Langues : bosniaque, croate et serbe Monnaie : mark convertible….

GÉOGRAPHIE

Pays au relief compartimenté, pratiquement sans accès à la mer, la Bosnie-Herzégovine se répartit en quatre ensembles naturels nettement individualisés. Le tiers septentrional se rattache à la plaine pannonienne de l'Europe centrale ; il comprend le couloir de la Posavina, plaine alluviale orientée est-ouest, sur la rive droite de la Save.…

Contrairement à une idée reçue, la population de la Bosnie-Herzégovine est d'une grande homogénéité ethnique : ses habitants descendent des mêmes ancêtres et parlent la même langue (couramment appelée serbe, croate ou bosniaque, et, scientifiquement štokavien). En revanche, trois identités nationales se sont élaborées, qui épousent les clivages religieux (héritage du système ottoman des millet) : Serbes orthodoxes, Croates catholiques, Bosniaques musulmans. Leur proportion est passée, entre 1971 et 1991, de 37 à 31 % pour les Serbes, de 21 à 17 % pour les Croates, de 40 à 44 % pour les Bosniaques. Cette évolution tient au fait que les Serbes et les Croates de Bosnie ont souvent dirigé leur exode rural vers les centres industriels extérieurs à la république, à la différence des musulmans. Territorialement, les trois groupes nationaux étaient très imbriqués jusqu'en 1992. Leur profil démographique est le même : resté longtemps celui d'une société rurale traditionnelle, il se rapproche depuis les années 1960 du modèle occidental. Avec 1,2 enfant par femme, le taux de fécondité du pays est aujourd'hui la plus du monde.

Pays marginalisé pendant des siècles, la Bosnie n'a commencé à être mise en valeur qu'à partir de l'époque habsbourgeoise (1878-1918) : bois, sel gemme (Tuzla), fer (Ljubija). Le régime communiste a développé un combinat sidérurgique en Bosnie centrale (Vareš, Kakanj, Zenica). Quoique faisant partie des républiques pauvres de Yougoslavie, la Bosnie connaît à partir des années 1970 une prospérité unique dans son histoire, dont l'organisation des jeux Olympiques d'hiver à Sarajevo en 1984 est le symbole. La guerre de 1992-1995 l'a ruinée, provoquant destructions, massacres et déplacements massifs de population. Depuis l'arbitrage territorial de Dayton (novembre 1995), qui a entériné une partition de fait de la Bosnie-Herzégovine sur des bases ethnico-religieuses, le pays vit sous perfusion internationale et s'attelle, aujourd'hui, à une difficile reconstruction.

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La Bosnie-Herzégovine dispose de peu de ressources (un peu de fer et de charbon) et l'industrie n'est guère développée. Le pays est pratiquement enclavé et donc largement dépendant des pays voisins pour les nécessaires échanges, essentiels à la vie économique.

En 2008, la Bosnie-Herzégovine a signé un accord de stabilisation et d'association avec l'Union européenne. Cet accord entérine le respect par la Bosnie-Herzégovine de quatre conditions : l'adoption de réformes dans le secteur judiciaire, dans la télévision, dans l'administration publique, et, surtout, dans la police. L'accord de stabilisation et d'association constitue la dernière étape avant une éventuelle reconnaissance du statut de candidat naturel à l'Union européenne.

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HISTOIRE

La Bosnie, centre de la culture de Butmir au néolithique, tire son nom de la Bosna (la Bosante de l'Antiquité), affluent de la Save. Elle fait partie de l'Empire romain puis de l'Empire byzantin. Slavisée dès le VIe s., elle est au Xe s. l'objet des ambitions de la Bulgarie, qui en annexe la frontière orientale (927) et impose sa suzeraineté au reste du pays, constitué en principauté par le Serbe Časlav (928-960). Elle fait partie ensuite de l'État croate. Les rois de Hongrie y établissent entre 1138 et 1463 (avec un intermède byzantin entre 1165 et 1180) une suzeraineté qui reste nominale et doivent respecter l'autonomie que maintiennent le ban Kulin (1180-1204) et Matej Ninoslav (vers 1233-vers 1250). Au XIVe s., malgré la lutte pour le pouvoir opposant les grandes familles, la Bosnie assure son indépendance jusqu'à l'Adriatique grâce à Étienne II Kotromanić (1322-1353) et à son neveu Tvrtko Ier (1353-1391). Ce dernier se fait proclamer roi en 1377 et lutte avec les Serbes contre les Turcs ; sous son règne, le pays connaît une importante activité économique. Mais, après la mort de Tvrtko Ier, une période d'anarchie commence : les grands féodaux, qui soutiennent l'Église bosniaque (apparentée au bogomilisme) s'opposent au souverain, qui est généralement catholique. Contre l'Église bosniaque, le pape suscite des croisades.

La domination ottomane puis austro-hongroise

Les dissensions politiques et religieuses favorisent la conquête de la Bosnie par les Turcs. Malgré les efforts d'opposition de Tvrtko II (1421-1443), d'Étienne Tomaš (1443-1461) et d'Étienne V Tomašević (1461-1463), la Bosnie doit, dès 1435, payer tribut aux Turcs, qui la conquièrent en quelques jours en 1463. Les marches organisées au nord par le roi de Hongrie Mathias Corvin tomberont au début du XVIe s. Formé en 1435 par un noble local, Étienne Vukčić, le duché autonome d'Herzégovine (région de Hum) résistera aux Turcs jusqu'en 1482, mais sera finalement occupé par eux.

Sous les Turcs, la Bosnie a un statut spécial. Les conversions à l'islam de nobles, mais aussi de paysans, sont nombreuses. Conformément à la tradition de l'islam, l'Empire ottoman tolère les autres religions du Livre et ne procède pas à des conversions forcées. Un certain nombre de Juifs, chassés d'Espagne en 1492, s'établissent d'ailleurs en Bosnie. Les non-musulmans sont cependant soumis au versement d'impôts spécifiques, en reconnaissance de la protection octroyée par le sultan, ce qui explique qu'un certain nombre de conversions répondent à des raisons fiscales, économiques et sociales. Des familles d'islamisés accéderont à de hautes fonctions dans l'Empire (Mehmed Sokolović, milieu XVIe s.). L'islam en vigueur en Bosnie, comme dans tout l'Empire ottoman, est un islam sunnite de rite hanafite, mais des confréries soufies sont également actives dans le pays, parfois réprimées par les autorités ottomanes. Depuis, l'islam est devenu une composante majeure de l'identité du pays, marquant l'architecture, le paysage, mais aussi les mœurs et les usages.

Les villes et le commerce se développent. Mais, au cours de la guerre avec l'Autriche (1683-1699), le Prince Eugène incendie Sarajevo (1697) ; après le traité de Požarevac (1718), qui met fin à une nouvelle guerre, l'Autriche occupe une frange au nord de la Bosnie, qu'elle rend aux Turcs en 1739.

À partir du recul des Turcs dans les Balkans au XVIIIe s., l'insubordination se répand parmi les dignitaires musulmans et la situation de la Bosnie se dégrade. Au XIXe s., les réformes entreprises par les sultans suscitent l'hostilité de la noblesse musulmane, menacée dans ses privilèges ; malgré certaines réformes, la situation de la paysannerie reste très rude, d'où de fréquentes révoltes. En 1875, à la suite d'une famine, une insurrection éclate en Herzégovine, s'étend à la Bosnie et provoque l'entrée en guerre des Serbes et des Monténégrins, et une intervention russe contre les Turcs. Pour prix de sa neutralité, l'Autriche-Hongrie, au congrès de Berlin (1878), obtient l'administration de la Bosnie-Herzégovine, tout en maintenant la suzeraineté turque ; elle annexera complètement la Bosnie en 1908. Mais la domination

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autrichienne est mal acceptée des Croates, et surtout des Serbes et des musulmans, dont certains émigrent vers l'Empire ottoman. Le nationalisme se développe ; un mouvement de Jeunes-Bosniaques se forme et aboutit à l'assassinat à Sarajevo de l'archiduc François-Ferdinand (28 juin 1914), cause immédiate de la Première Guerre mondiale.

La Bosnie-Herzégovine dans l'État monarchique yougoslave

Le 1er décembre 1918, les territoires de Bosnie sont intégrés au nouveau « royaume des Serbes, des Croates et des Slovènes ». Mais ce royaume ne reconnaît pas de frontières particulières à la Bosnie, ni de spécificité aux musulmans bosniaques qui doivent se déclarer soit serbes, soit croates. L'Organisation musulmane yougoslave, dirigée par Mehmed Spaho, participe à la plupart des gouvernements de coalition entre 1918 et 1928. L'administration régionale et surtout locale est entre les mains des royalistes serbes. D'autre part, le développement économique du pays reste modeste, malgré l'exploitation de ressources minières. Afin de procéder à une centralisation du pouvoir, le royaume des Serbes, des Croates et des Slovènes se transforme en « Royaume de Yougoslavie ». Ainsi, à partir de 1929, un nouveau découpage administratif du pays est mis en place, ignorant les revendications d'autonomie de l'Organisation musulmane. Ce découpage permet, en outre, de confondre certaines frontières naturelles et historiques entre la Croatie et la Bosnie. Le pouvoir royal, qui manque de moyens financiers, doit affronter la crise économique de 1929-1930. De plus, menant une politique autoritaire, la monarchie ignore les désirs d'indépendance des pays qu'elle gouverne. Dans ces conditions, la Bosnie ne peut pas se développer et reste un pays majoritairement agricole.

La Bosnie-Herzégovine pendant la Seconde Guerre mondiale

Le 6 avril 1941, Belgrade est écrasée par les bombes de la Luftwaffe. La Yougoslavie royale, qui avait maintenu sa neutralité au prix de multiples contorsions diplomatiques, est à son tour envahie par les forces de l'Axe. L'armée yougoslave, mal équipée et peu préparée, cède de toutes parts, 375 000 officiers et soldats yougoslaves sont faits prisonniers. L'agonie du royaume du jeune roi Pierre II Karadjordjević aura duré onze jours. La capitulation est signée le 17 avril 1941, le roi et le gouvernement s'enfuient à Athènes (14 et 15 avril), puis à Londres.

Vaincu militairement, le pays est rapidement dépecé. La Bosnie-Herzégovine est attribuée à l'État croate indépendant, dont Hitler confie le gouvernement à Ante Pavelić, chef du mouvement ultranationaliste Oustacha, qui s'est développé en Croatie depuis 1929 contre l'autorité monarchique serbe. Le parti des Oustachi prône une politique fasciste et tente de gagner la bienveillance des musulmans de Bosnie, qu'il qualifie de « fleurons de la race croate ». Il organise, en revanche, des conversions forcées, des expulsions et des massacres à l'encontre des Serbes. L'indépendance croate s'inscrit dans une spirale de violences et d'extermination des peuples non croates, dont les Serbes de Bosnie-Herzégovine sont les principales victimes ; plusieurs centaines de milliers d'entre eux périssent dans le camp de concentration de Jasenovac. La Bosnie-Herzégovine devient le théâtre d'une guerre entre Tchetniks, Oustachi et partisans communistes. Ces derniers forment les seules forces multi-ethniques et leur nombre augmente progressivement, surtout à partir de 1943. Le territoire de la Bosnie est le champ d'affrontements importants : bataille de la Kozara (juin 1942), de la Neretva (mars 1943), de Drvar (mai 1944). En outre, entre l'automne 1944 et la fin du mois de mai 1945, des combats dévastateurs ont lieu entre les partisans communistes de Tito, soutenus par les Anglais depuis la conférence de Téhéran en 1943, et les forces allemandes, alliées aux Croates. C'est en Bosnie que vont se dessiner les contours et les fondements de la future Yougoslavie, lors des deux Conseils antifascistes de libération nationale (A.V.N.O.J., Antifašističko veće narodnog oslobodjenja Jugoslavije) à Bihać (novembre 1942) et à Jajce (novembre 1943). Le 29 novembre 1943, date de la réunion à Jajce, est retenu comme la date officielle de

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la création de la République socialiste fédérative de Yougoslavie (R.S.F.Y.) et demeurera jour de fête nationale jusqu'en 1992.

La Bosnie-Herzégovine dans la République socialiste fédérative de Yougoslavie

La Constitution yougoslave de 1945 reprend les principes énoncés lors du Conseil antifasciste de libération nationale de Jajce du 29 novembre 1943. La Bosnie-Herzégovine devient une des six républiques de la Fédération yougoslave. Les trois peuples qui la composent, Serbes, Croates et musulmans sont considérés comme bosniaques. Une distinction essentielle est, dès l'origine, inscrite dans la Constitution entre « peuple » ou « nation » (narodnost) et « citoyenneté ». Les « peuples » sont des « peuples constitutifs de la Fédération yougoslave » qui disposent, à ce titre, de « foyers nationaux » dans une ou plusieurs des Républiques. Ainsi, les Serbes disposent de foyers nationaux en Serbie, en Bosnie-Herzégovine et en Croatie. Cinq peuples sont retenus : les Slovènes, les Croates, les Serbes, les Macédoniens et les Monténégrins. À l'inverse, bien que très nombreux, des groupes comme les Italiens d'Istrie, les Hongrois de Vojvodine ou les Albanais du Kosovo et de Macédoine (1,7 million en 1945) ne sont considérés que comme des « nationalités » puisqu'ils possèdent un berceau national hors de Yougoslavie. Et à la différence de la France, où les notions de citoyenneté et de nationalité sont synonymes, en Yougoslavie, la citoyenneté est une notion territoriale (on est citoyen de sa république de résidence) tandis que la nationalité désigne une appartenance ethnique.

Sous Tito, les musulmans de Bosnie jouissent d'une position relativement privilégiée, le régime communiste s'efforçant, sur le plan politique, de faire pièce aux deux « grands » nationalismes, serbe et croate. Les uniques conflits surviennent dans l'immédiat après-guerre après l'interdiction par les autorités du port du voile. Ainsi, une « nationalité musulmane » est-elle reconnue en 1971, tandis que le régime favorise les structures religieuses musulmanes dans le but de se concilier ses alliés arabo-musulmans du Mouvement des non-alignés. Un grand nombre de mosquées sont construites durant l'époque communiste, et l'Université de théologie islamique de Sarajevo poursuit ses activités sans heurts avec les autorités politiques.

Un programme ambitieux de reconstruction et d'industrialisation (sur le modèle soviétique) est mis en place dans le cadre d'un plan quinquennal à partir de 1945. Ce sont par exemple 65 000 personnes, dont de nombreux communistes européens, qui se portent volontaire pour construire la voie ferrée Samac-Sarajevo. Une importante migration s'opère des campagnes vers les nouveaux sites industriels de Zenica ou de Tuzla. Un autre flux migratoire a lieu en direction de la Vojvodine, où se trouvent de grandes propriétés agricoles, nationalisées puis distribuées en petits lots par les communistes.

Le régime titiste prône l'unité et la fraternité entre les peuples et combat toute résurgence du nationalisme. Il instaure aussi un système économique spécifique à partir des années 1950, marqué par l'autogestion et la notion de propriété sociale. Les entreprises n'appartiennent donc plus à l'État, comme dans les autres pays de l'Europe de l'Est, mais à ceux qui y travaillent. Ce modèle spécifique de socialisme sera récusé jusqu'en 1956 par les autres pays de l'Europe de l'Est communiste.

C'est en Bosnie que se trouvent les plus grandes entreprises, sur lesquelles s'appuie l'industrialisation massive. Par ailleurs, à partir des années 1960, d'importantes sociétés de construction bosniaques remportent de nombreux contrats à l'étranger, principalement au Moyen-Orient, concurrençant ainsi les sociétés occidentales. L'essor économique est aussi marqué par la multiplication d'industries chimiques et électrotechniques. Mais, dans les années 1980, après la mort de Tito, des scandales financiers révèlent les faiblesses d'un système économique et politique basé sur le clientélisme. À ce titre, l'exemple de « l'affaire Agrokomerc » est édifiant. Cette entreprise agroalimentaire implantée à Velika Kladuša, en Cazinska Krajina, dans une région musulmane très pauvre, assure un emploi à plus de 10 000 personnes.

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En 1987, une enquête établit qu'Agrokomerc a émis des traites d'une valeur globale proche d'un milliard de dollars, réescomptées par une banque locale, la banque de Bihać, auprès d'autres banques yougoslaves. Fickret Abdić, dit « le notable rouge », directeur de l'entreprise et membre du comité central de la Ligue des communistes yougoslaves, rétribuait largement le vice-président Hamdija Pozderac. Celui-ci, impliqué dans le scandale, est exclu de la présidence collégiale, où il représente la Bosnie-Herzégovine, et du comité central, au grand désarroi d'une grande partie de la population musulmane, qui y voit une machination des Serbes pour éliminer l'étoile montante de la politique musulmane. Symptomatique du malaise de l'économie yougoslave, l'« affaire Agrokomerc » est aussi l'illustration de la faillite de tout un système. Entretenue par des crédits internationaux, la croissance économique des années 1960 et 1970 laisse place, à la fin des années 1980, à une hyperinflation qui influence la vie politique locale.

En 1990, de nouvelles forces politiques nationalistes se développent aux dépens des communistes et des partis « citoyens » (non ethniques). Lors des premières élections libres, les partis nationalistes sortent largement vainqueurs. Au Parlement, le parti d'action démocratique (S.D.A.) du leader musulman Alija Izetbegović obtient 86 députés, le parti démocratique serbe (S.D.S.) de Radovan Karadžić, 70, l'Union démocratique croate de Bosnie-Herzégovine (H.D.Z.) de Stjepan Kljujić, 45, et les partis « citoyens », 37. Animés d'un anticommunisme commun, les partis nationaux avaient fait campagne ensemble. Ainsi A. Izetbegović, le futur président de la République bosniaque, a été invité à prendre la parole lors du congrès de fondation du S.D.S. Par ailleurs, de nombreux électeurs ont voté pour des candidats d'une autre « nationalité » que la leur (à Mostar et à Travnik, communes à majorité musulmane, des députés de la H.D.Z. sont élus ; à Vitez, commune à majorité croate, c'est un député du S.D.A. qui est élu). Le pouvoir est donc partagé, au sein d'une coalition gouvernementale, entre les différents partis nationalistes : le poste de président revient à Alija Izetbegović (S.D.A.), celui de président du Parlement à Momčilo Krajišnik (S.D.S.) et celui de Premier ministre à Jure Pelivan (H.D.Z.).

L'indépendance

L'éclatement de la fédération yougoslave, en juin 1991, pose la question de la survie de la République de Bosnie-Herzégovine. Le président de la présidence collégiale A. Izetbegović apparaît alors, avec le président macédonien Kiro Gligorov, comme l'un des derniers défenseurs de l'État fédéral, et propose un projet de « fédération asymétrique ». Le S.D.S. de R. Karadžić, dont les partisans ont déjà commencé à organiser les communes qu'ils contrôlent en « régions autonomes serbes », réclame soit le maintien de la Bosnie dans une Yougoslavie réduite, soit sa territorialisation sur une base ethnique. Divisés, les Croates de la H.D.Z. souhaitent, les uns, l'indépendance, les autres, leur rattachement à la Croatie (deux « régions autonomes » croates, celle d'Herceg-Bosna et celle de Posavina, seront constituées en novembre 1991). Finalement, après des mois de paralysie, le Parlement bosniaque adopte, le 15 octobre 1991, une déclaration de souveraineté proposée par le S.D.A. et soutenue par la H.D.Z. et par les partis « citoyens ». Mettant à exécution ses menaces de démantèlement, le S.D.S. constitue le 26 octobre 1991 un « parlement de la nation serbe en Bosnie-Herzégovine ». La Commission d'arbitrage de l'Union européenne exigeant un référendum d'autodétermination, celui-ci est organisé les 29 février et 1er mars 1992 : 62 % des inscrits et 98,9 % des suffrages – soit l'électorat musulman et croate – se prononcent en faveur de l'indépendance, les Serbes de Bosnie boycottent le scrutin. Le 3 mars 1992, le Parlement bosniaque proclame l'indépendance de la Bosnie-Herzégovine. Celle-ci est reconnue par la communauté internationale le 6 avril. Le même jour, les Serbes de Bosnie entament le siège de Sarajevo. Le 7, ils proclament une « République serbe de Bosnie », dirigée, depuis Pale, par R. Karadžić, élu président.

La guerre

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Forces serbes en Bosnie-Herzégovine

En quelques semaines, l'armée de la République serbe (Vojska Republike Srpske, V.R.S.) placée sous le commandement du général Ratko Mladić et assistée par les milices de Zeljko Raznatović, alias « Arkan », et celles de Vojislav Šešelj, venues de Serbie, occupent 60 % du territoire bosniaque, à l'est et au nord. Elles se livrent à l'encontre des populations non serbes à de très nombreuses exactions (viols collectifs, exécutions sommaires, camps de détention, déplacements forcés), conférant à cette guerre l'allure d'un « nettoyage ethnique ». L'armée fédérale, désertée par ses cadres croates et bosniaques, combat ainsi au côté des insurgés serbes avant de se retirer, officiellement en mai 1992, sous la pression internationale et face à l'embargo (commercial, pétrolier et aérien) décrété par l'O.N.U. (résolutions 757 et 787 du Conseil de sécurité). En réalité, l'essentiel de l'armement lourd et de nombreux « volontaires » restent sur place et sont incorporés à la V.R.S.

Sarajevo, guerre civile, 1992

Malgré la vive émotion de la communauté internationale aucune intervention n'est lancée pour empêcher ces violences. Il faut attendre le 29 juin 1992 pour que le Conseil de sécurité de l'O.N.U. étende le mandat de la FORPRONU (Force de protection des Nations unies déployée en Croatie) à la Bosnie-Herzégovine afin de permettre l'ouverture de l'aéroport de Sarajevo et l'acheminement de l'aide humanitaire. En mai 1993, le Conseil vote la création de six « zones de sécurité » (Srebrenica, Goražde, Žepa, Tuzla, Bihać et Sarajevo), dans lesquelles la population civile doit, théoriquement, être protégée par la présence de Casques bleus. Mais ces mesures s'avèrent peu efficaces, de même que les cinq plans de paix successifs proposés en trois ans par les médiateurs internationaux successifs et refusés par les belligérants.

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Durant la guerre, le patrimoine islamique est gravement endommagé, les nationalistes serbes et croates détruisant systématiquement les mosquées dans les zones qu'ils contrôlent. La propagande serbe et croate stigmatise le « régime islamiste » en place à Sarajevo. Si ces accusations n'ont jamais eu de fondements, il est vrai que le président A. Izetbegović est lié à des cercles spirituels islamiques professant une idéologie proche de celle des Frères musulmans. Dans sa fameuse Déclaration islamique, publiée en 1970, il tente de définir les principes de fonctionnement d'un État islamique. Durant la guerre, certains réseaux du S.D.A. sont en étroit contact avec différentes organisations islamistes internationales, notamment dans le but d'acheminer des armes en Bosnie. Dans le même temps, des volontaires affluent du monde entier en Bosnie pour participer à un djihad ou pour s'engager dans des organisations humanitaires musulmanes. Au sein de l'armée bosniaque, ces volontaires sans frontières sont regroupés dans la brigade El Moudjahid, très engagée dans les combats en Bosnie centrale contre les forces croates. Ils tentent de modifier les pratiques « laxistes » de l'islam local, voire même d'imposer leur vision de la charia. Jusqu'à la fin des années 1990, y compris après le retour à la paix, de petits « émirats islamiques » subsisteront, notamment en Bosnie centrale. En revanche, cette greffe islamiste ne prend guère dans la société locale.

De part et d'autre, on observe un phénomène de radicalisation. Les Serbes achèvent le nettoyage de la Bosnie orientale, où les Musulmans ne conservent que les enclaves de Goražde, Žepa et Srebrenica. Côté croate, le camp favorable au partage de la Bosnie l'emporte et la proclamation, le 3 juillet 1992, d'une « province autonome d'Herceg-Bosna » dans les régions sous contrôle croate provoque entre armées croate et musulmane, jusque-là alliées, des affrontements meurtriers pendant toute l'année 1993. La diplomatie américaine fait pression sur les deux parties pour mettre fin à cette « guerre dans la guerre ». Des négociations parallèles entre représentants musulmans et croates aboutissent le 18 mars 1994 aux accords de Washington prévoyant la création d'une Fédération croato-musulmane, elle-même confédérée à la Croatie. Dans le même temps, la ville de Mostar, partagée en deux municipalités, l'une croate et l'autre musulmane, est placée pendant deux ans sous l'autorité administrative de l'Union européenne. Constitué en avril, un groupe de contact (Allemagne, États-Unis, France, Royaume-Uni et Russie) avance l'idée d'un partage territorial : 51 % pour la Fédération croato-musulmane, 49 % pour une « entité serbe à définir ». Le plan est accepté par S. Milošević mais rejeté par la « République serbe de Bosnie » malgré les injonctions de Belgrade, qui rompt avec elle.

La fin de la guerre

Arrivée des Casques bleus à Pale, 1994

Après une période de relative accalmie jusqu'au printemps 1995, les Serbes de Bosnie reprennent en mai leurs bombardements sur les villes bosniaques, notamment Sarajevo, et font prisonniers 370 Casques bleus de l'O.N.U. Malgré la création d'une force de réaction rapide pour appuyer la FORPRONU (15 juin), ils parviennent à enlever, le 11 juillet, l'enclave de Srebrenica, où les civils sont abandonnés et plus de 7 000 hommes froidement exécutés par les forces du général Ratko Mladić, puis le 26, l'enclave

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de Žepa, révélant ainsi la tragique impuissance de la communauté internationale à remplir ses engagements.

À partir du mois d'août, toutefois, la situation militaire se renverse. Du 5 au 8, les Croates reconquièrent la quasi-totalité des fragments de leur pays occupés par les Serbes (Krajina) et désenclavent ainsi la poche bosniaque de Bihać. Après le bombardement meurtrier d'un marché de Sarajevo (28 août 1995), les frappes aériennes massives sur les infrastructures bosno-serbes permettent aux armées croate et bosniaque de reprendre 15 à 20 % du territoire. Un cessez-le-feu véritable est signé en octobre, puis les présidents serbe S. Milošević (représentant les Serbes de Bosnie), croate F. Tudjman et bosniaque A. Izetbegović, réunis pendant un mois sur une base militaire aux États-Unis, sont contraints de conclure les « accords de Dayton ».

Les accords de Dayton et la difficile reconstruction du pays

Accords de Dayton

Ratifiés à Paris le 14 décembre 1995, les accords de Dayton entérinent un État de Bosnie-Herzégovine composé de deux entités – la Fédération de Bosnie-Herzégovine (représentant les territoires croate et musulman, soit 51 % du pays), et la Republika Srpska (49 %) – dotées d'institutions communes (présidence collégiale, Parlement, Banque centrale, etc.), mais disposant chacune de leur Constitution, de leurs forces armées et pouvant nouer des rapports privilégiés avec les États voisins, la Croatie et la République fédérale de Yougoslavie.

La nouvelle Constitution de la Bosnie-Herzégovine (et la Fédération croato-musulmane depuis sa création, en 1994), renomme les Musulmans Bosniaques ; la citoyenneté de la Bosnie-Herzégovine, se voit, quant à elle, désignée par le terme Bosanci, en français Bosniens. Des élections doivent être organisées dans les six mois qui suivent la signature des accords. La mise en œuvre du volet militaire est garantie par l'Implementation Force ou IFOR, placée sous commandement de l'O.T.A.N. et déployée pour un an (prenant le relais de la FORPRONU). Celle du volet civil est garantie par une force de police internationale et des observateurs civils, dans le cadre de la Mission des Nations unies en Bosnie-Herzégovine (MINUBH).

Les accords de Dayton mettent fin à une guerre dont le bilan serait de l'ordre de 100 000 à 250 000 morts auxquels s'ajoutent 2,4 millions de réfugiés et de personnes déplacées. Ils définissent des principes tels que le retour des réfugiés et la liberté de circulation entre les diverses entités de la Bosnie. Or, malgré des tentatives pour l'unifier (introduction d'un mark convertible, interdiction de plaques d'immatriculation différenciées), le territoire demeure compartimenté en zones « ethniques ». Selon le Haut-Commissariat aux réfugiés, le nombre de retours effectifs de réfugiés et de personnes déplacées pour 1996 et 1997 serait respectivement de 250 000 et 200 000. En 2006, plus d'un million de personnes sont rentrées. Cependant, le plus souvent, ces réfugiés ne retournent pas dans leur foyer, mais se

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réinstallent dans des régions où leur groupe est majoritaire. Et malgré la Loi sur la propriété, qui stipule que les propriétaires qui ont fuit leur région d'origine peuvent reprendre possession de leurs biens occupés par autrui, lorsqu'il reviennent dans leur région d'origine, c'est souvent pour vendre leur domicile et se réinstaller ailleurs. De plus, le climat d'insécurité et l'instabilité socio-économique contribuent à rendre les retours précaires.

Après trois ans de guerre, le visage de la Bosnie-Herzégovine est profondément modifié. Au recensement de 1991, sur une population de 4 365 000 individus, 43,7 % sont Musulmans, 31,4 % sont Serbes, 17,3 % Croates, 5,5 % se disent « Yougoslaves ». Autrefois étroitement mélangées, ces communautés sont aujourd'hui regroupées dans de larges régions « ethniquement pures ». 96 % de la population de la Republika Srpska est serbe. Des 220 000 Croates présents sur le territoire avant le conflit, il n'en reste plus que 85 000. De même, 72 % des Bosniaques sont installés dans la Fédération croato-musulmane, et Sarajevo – qui se vantait d'être avant la guerre la « Jérusalem des Balkans », multiculturelle et multiconfessionnelle –, concentre désormais 85 % de Musulmans contre 49 % au début des années 1990.

Les élections de septembre 1996 – appelées à désigner les membres de la présidence collégiale de l'État, du Parlement de Bosnie-Herzégovine et des Parlements de chacune des deux entités – renforcent dans chacune des communautés le pouvoir des nationalistes, dont deux au moins (Serbes et Croates) sont hostiles à l'unité du pays. Au terme de ce scrutin, le Bosniaque A. Izetbegović, le Croate Krešimir Zubak et le Serbe Momčilo Krajišnik sont élus à la présidence collégiale de Bosnie-Herzégovine. Arrivé en tête, A. Izetbegović devient président de cette autorité exécutive et donc chef de l'État (pour deux ans). Biljana Plavšić, successeur de R. Karadžić – celui-ci ayant renoncé officiellement à ses mandats en juillet 1996, plus d'un an après son inculpation par le Tribunal pénal international pour l'ex-Yougoslavie (T.P.I.Y.) pour génocide et crimes contre l'humanité –, est élue à la tête de la Republika Srpska.

À la fin de 1996, le mandat du contingent international est renouvelé, l'IFOR laissant la place à la SFOR, force de stabilisation de la paix, investie d'une mission de dix-huit mois.

Un pays profondément divisé

La domination des partis nationalistes

Les élections générales de septembre 1998 aboutissent à des résultats assez contrastés. Même si le succès de représentants plutôt modérés des trois communautés à la présidence collégiale semble encourageant, avec les victoires du Bosniaque A. Izetbegović, du Croate Ante Jelavić et du Serbe Živko Radisić, en revanche, l'élection de l'ultranationaliste Nikola Poplašen à la présidence de la Republika Srpska constitue un grave revers pour l'application des accords de Dayton. Début 2000, Mirko Sarović remplace N. Poplašen, destitué un an plus tôt par le haut représentant civil en Bosnie, alors que la Republika Srpska traverse une sérieuse crise politique et institutionnelle.

Aux élections parlementaires et cantonales de novembre 2000, le parti social-démocrate (S.D.P.)– seule formation en lice revendiquant l'idéal communautaire – devance de justesse le S.D.A. au Parlement de la Fédération de Bosnie-Herzégovine, sans obtenir pour autant la majorité. Pour la première fois depuis dix ans, le pays se dote, en février 2001, d'un gouvernement non nationaliste, élu grâce aux voix des députés de l'Alliance pour le changement, une coalition réformiste et multiethnique. Hormis cette timide évolution, ces élections consacrent la domination des nationalistes et soulignent la division d'un pays profondément marqué par la guerre. Ainsi, en mars 2001, tandis que la Republika Srpska et la République fédérale de Yougoslavie signent un « accord spécial », renforçant les idées séparatistes, les nationalistes

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croates de la Fédération de Bosnie-Herzégovine décident de s'octroyer un statut d'autonomie, avec, à terme, un Parlement et un gouvernement propres.

A. Jelavić, membre de la présidence collégiale, est destitué en raison de son soutien aux projets indépendantistes croates et remplacé par Jozo Križanović (S.D.P.) en avril 2001. Le Bosniaque, Beriz Belkić, un modéré, remplace Halid Genjac, qui assurait l'intérim à la présidence collégiale depuis la démission en octobre 2000 de A. Izetbegović.

Le 27 juin 2001, la Bosnie-Herzégovine signe un accord douanier prévoyant son intégration dans une zone de libre-échange avec l'Albanie, la Bulgarie, la Croatie, la Macédoine et la république fédérale de Yougoslavie. Le 24 avril 2002, elle devient le 44e membre du Conseil de l'Europe.

Après les attentats du 11 septembre 2001, la traque des islamistes s'intensife en Bosnie. Certains d'entre eux sont toujours détenus dans la base de Guantánamo. Parallèlement à ces courants islamistes internationaux, l'islam local de Bosnie doit se réorganiser. Avant la guerre, la plus haute autorité de l'islam était le reisu-l-ulema (chef des ulémas) de Yougoslavie. En 1993, Mustafa Cerić est élu reis de Bosnie-Herzégovine. Très actif sur la scène locale et internationale, il s'applique à renforcer les structures de l'islam (construction de mosquées, ouverture de madrasa). Dans le même temps, il se pose comme le porte-parole d'un « islam européen » à l'identité pourtant incertaine. La pratique religieuse régulière demeure minoritaire, mais se situe à un niveau bien supérieur qu'avant la guerre, tandis que les militants radicaux poursuivent un travail patient d'implantation. Dans le même temps, les différentes formes de soufisme connaissent un renouveau marqué, aussi bien parmi certaines couches intellectuelles que parmi les anciens combattants de l'armée bosniaque.

Les élections générales du 5 octobre 2002 – les premières à être organisées par les Bosniens eux-mêmes et non par les organisations internationales – consacrent, une nouvelle fois, sept ans après la fin de la guerre, la victoire des partis nationalistes : le Bosniaque Sulejman Tihić (S.D.A.), le Croate Dragan Čović (H.D.Z.) et le Serbe Mirko Sarović (S.D.S.) sont élus à la présidence collégiale, M. Sarović étant président de la présidence pour les huit premiers mois, selon le système de rotation en vigueur. Toutefois, mis en cause dans deux scandales, dont l'un est lié à la violation de l'embargo sur les armes vers l'Iraq, il est contraint de démissionner en avril 2003. Borislav Paravac, vice-président du Parlement fédéral, lui succède.

Sanctions internationales contre la Republika Srpska

En janvier 2003, l'Union européenne a pris le relais de la MINUBH et mis en place une mission de 500 hommes chargée de réformer les forces de police et d'aider à la lutte contre la corruption et le crime organisé (European Union Police Mission, EUPM). Lors du Conseil européen de Thessalonique (19-21 juin 2003), est réaffirmée l'idée que les Balkans ont vocation à rejoindre l'Union européenne, dès qu'ils répondront aux critères établis. À ceux exigés de l'ensemble des États ex-yougoslaves s'ajoutent, dans le cas de la Bosnie-Herzégovine, la réforme de son administration et de sa justice et la réunification de son espace économique ; en novembre de la même année, la Bosnie-Herzégovine se voit proposer une étude de faisabilité en 16 points devant déboucher sur un Accord de stabilisation et d'association (A.S.A.), son adhésion à l'Union européenne étant alors envisagée pour 2009. Elle est par ailleurs invitée à unifier ses forces armées pour prétendre adhérer au Partenariat pour la paix de l'O.T.A.N.

Alors que, face à cette perspective, la plupart des acteurs politiques s'engagent à trouver un consensus politique, ne fût-il que formel, les accords de Dayton sont périodiquement remis en question – pour des raisons différentes – tant par la H.D.Z. que par les partis nationalistes de la Republika Srpska. Paddy Ashdown, le nouveau haut représentant de l'O.N.U. depuis le 27 mai 2002, obtient quelques avancées,

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telle la réunification de Mostar promulguée en janvier 2004. Mais devant l'incapacité des hommes politiques bosniens à appliquer les dispositions de Dayton, P. Ashdown utilise massivement les pouvoirs de Bonn, attribués en 1997 au haut représentant pour licencier les politiciens et les fonctionnaires coupables d'obstructionnisme à l'égard du processus de paix et pour imposer, par décret, des décisions et des lois en cas de manque d'accord entre les parties. Peu utilisées auparavant, ces prérogatives deviennent, avec P. Ashdown, un instrument de développement des institutions par « décret ».

Si ces décisions arbitraires ont le mérite de poursuivre la mise en place des dispositions de Dayton, les conséquences négatives de ces pratiques sont nombreuses. Outre une violation évidente de la souveraineté bosnienne, elles ne favorisent pas l'émergence d'une nouvelle génération d'hommes politiques bosniens efficaces et responsables. De plus, si le haut représentant a la capacité de promulguer des décrets, il n'a pas la capacité de les appliquer.

En juin 2004, la Republika Srpska reconnaît – pour la première fois depuis la fin de la guerre – le massacre, par les forces serbes bosniaques, de « plusieurs milliers de musulmans » à Srebrenica en 1995, sans évoquer toutefois la qualification de génocide, retenue par le T.P.I.Y. Devant les tentatives restées infructueuses de capturer R. Karadžić, l'ancien chef politique des Serbes de Bosnie, et son comparse R. Mladić, leur chef militaire, P. Ashdown – dont le but est de réformer les services de police et de sécurité, voire les institutions de l'entité serbe – intensifie sa pression et gèle, en avril, les avoirs du S.D.S. À la suite du « non » de l'O.T.A.N. à l'accession de la Bosnie-Herzégovine au Partenariat pour la paix (sommet d'Istanbul des 28 et 29 juin), il limoge, en juillet et en décembre, une soixantaine de responsables de l'entité serbe et exige de cette dernière un rapport sur les protections dont ont bénéficié les criminels en fuite. Enfin, il fixe à 2005 la création d'une seule armée et d'une seule police au niveau de l'État central et l'abolition des ministères de la Défense et de l'Intérieur dans les deux entités. À son invitation, l'Union européenne – qui, depuis décembre, a pris le relais de l'O.T.A.N. en Bosnie – et Washington interdisent de visas les responsables des principaux partis de la Republika Srpska ou gèlent les avoirs d'individus soupçonnés de liens avec R. Karadžić. Ces sanctions entraînent en Republika Srspka une crise – démission du Premier ministre Dragan Mikerević, suivie de celle de l'ensemble de la représentation serbe au gouvernement central, et collecte de signatures pour réclamer l'indépendance de la Republika Srpska –, qui s'achève avec la nomination de Pero Bukejlović (S.D.S.), à la tête d'un nouveau gouvernement en février 2005.

Les partis changent, les divisions perdurent

Aux élections d'octobre 2006, le leader du parti pour la Bosnie-Herzégovine (S.B.H), ancien Premier ministre et ministre des Affaires étrangères, Haris Silajdzić, remporte le scrutin de la présidence collégiale de la République de Bosnie-Herzégovine avec 62,1 % des suffrages au sein du collège musulman. Nebojša Radmanović (parti des sociaux-démocrates indépendants, S.N.S.D.), avec 54,8 % des voix, est l'élu du collège serbe, tandis que Željko Komšić (parti social-démocrate, S.D.P.), avec 40,8 % des suffrages, remporte l'élection au sein du collège croate, devançant de peu Ivo Miro Jović (H.D.Z.). H. Silajdzić et Ž. Komšić sont des partisans d'une Bosnie-Herzégovine unitaire tandis que la formation de N. Radmanović est favorable à un référendum sur la sécession des territoires serbes.

En Republika Srpska, le S.N.S.D., formation du Premier ministre Milorad Dodik, devance les forces nationalistes traditionnelles, le parti démocratique (S.D.S.) du président sortant de la Republika Srpska, Dragan Čavić, et le parti radical (S.R.S.). Longtemps considéré comme un « modéré », le leader du S.N.S.D. a cependant fait campagne en agitant la menace de l'organisation d'un référendum sur l'indépendance de la Republika Srpska. Milan Jelić (S.N.S.D.) remporte l'élection présidentielle de l'entité serbe et le S.N.S.D. s'impose aux élections de l'Assemblée nationale, chambre unique du Parlement serbe, en recueillant plus de 40 % des suffrages. La domination du S.N.S.D. est confirmée le 9 décembre 2007

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avec l'élection de Rajko Kuzmanović comme président de l'entité serbe, en remplacement de M. Jelić, décédé le 30 septembre 2007. De la sorte, le S.N.S.D. exerce une domination politique totale sur la Republika Srpska.

À l'issue des élections de 2006, bien que de nouvelles formations politiques soient arrivées au pouvoir en lieu et place des formations nationalistes historiques, le débat politique n'a cependant pas évolué et le duel Silajdzić/Dodik se résume, comme toujours à l'alternative entre l'unité et l'éclatement de la Bosnie-Herzégovine.

Alors que le pays est frappé par une redoutable crise économique, fortement affecté par la fuite des cerveaux, et semble privé de perspectives politiques crédibles à court terme, sa classe politique est également affectée par une dérive affairiste. Plusieurs affaires de privatisations douteuses éclatent en Republika Srpska (Télécoms, raffinerie de Brod), mettant directement en cause M. Dodik et son proche entourage, constitué pour l'essentiel de « fidèles », originaires, comme lui, de la petite ville de Laktasi.

La Bosnie-Herzégovine à l'épreuve de l'indépendance du Kosovo

La Bosnie-Herzégovine se trouve à la croisée des chemins. Pour assurer son unité et intégrer les structures européennes, elle doit réformer les institutions de Dayton en donnant la primauté à l'État central face aux pouvoirs des entités. Cependant, ni le Premier ministre de la Republika Srpska, M. Dodik, ni les réseaux extrémistes croates ne semblent prêts à œuvrer à une unification de l'État bosnien. Les Croates réclament au contraire, depuis la signature des accords de Dayton, la création d'une troisième entité et le gouvernement de l'entité serbe agite épisodiquement la menace d'un référendum d'autodétermination qui scellerait la disparition de la Bosnie-Herzégovine.

Depuis la sécession et l'indépendance du Kosovo, le 17 février 2008, M. Dodik dispose de fait d'atouts considérables sur la scène politique bosnienne. L'homme fort de Banja Luka contrôle tous les organes politiques de la Republika Srpska et peut compter sur une population majoritairement favorable à une sécession de l'entité serbe. Le 21 février 2008, le Parlement de Republika Srpska adopte une résolution précisant qu'il se réserve la possibilité d'organiser un référendum d'autodétermination si l'existence de l'entité était mise en danger. Une menace qui suffit à bloquer toute tentative d'unification des structures politiques et administratives de la Bosnie-Herzégovine et tout transfert de compétence des entités vers l'État central.

Au niveau régional, la Bosnie-Herzégovine adopte des positions contradictoires qui reflètent ses divisions internes. La Republika Srpska s'oppose ainsi catégoriquement à toute reconnaissance de l'indépendance du Kosovo par l'État bosnien et soutient les positions de Belgrade, alors que dans le même temps les dirigeants de la fédération entretiennent des relations toujours tendues avec la Serbie. On s'indigne à Sarajevo que la Serbie, considérée comme la principale responsable de la guerre de Bosnie, ait signé le 29 avril 2008 un A.S.A. avec l'Union européenne. Il est vrai que, dans le même temps, le dossier bosnien était retardé par des « problèmes techniques ».

La perspective européenne pour réformer Dayton et préserver l'unité de la Bosnie-Herzégovine

Ces blocages politiques récurrents ont conduit à repousser la fermeture du Bureau du haut représentant international, un temps annoncé pour 2007. L'Union européenne nomme, au contraire, le 30 juin 2007 le diplomate slovaque Miroslav Lajčák, un habitué des Balkans, en remplacement de l'Allemand Christian Schwarz-Schilling, fortement critiqué pour sa passivité.

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Le nouvel homme fort de Sarajevo s'est immédiatement attelé à négocier la réforme de la police, en suspens depuis trois ans. Après plusieurs mois de négociations et de multiples pressions, les deux chambres du Parlement ratifient le 16 avril 2008 les deux lois de la réforme, malgré l'opposition du S.D.S., du S.D.A. et du S.D.P. Dans les faits, cet accord résulte de compromis qui ont vidé la réforme de tout contenu. Les forces de police seront placées sous la responsabilité des deux entités qui constituent la Bosnie-Herzégovine mais des structures de coordination seront créées au niveau de l'État central. De plus, cette réforme ne rentrera en vigueur qu'après l'adoption d'une nouvelle Constitution, ce qui laisse augurer de longs débats. Ce compromis permet cependant à la Bosnie-Herzégovine de signer le 16 juin 2008 un A.S.A. avec l'Union européenne, après tous les autres États issus de l'ex-Yougoslavie.

Depuis quelques années, la Bosnie-Herzégovine cherche en effet à s'intégrer progressivement aux organes de coopération régionaux. Fin novembre 2006, elle est invitée à Riga, avec le Monténégro et la Serbie, à rejoindre le Partenariat pour la paix de l'O.T.A.N. Le 19 décembre 2006, à Bucarest, elle signe avec la Serbie, le Monténégro, l'Albanie et la Moldavie les Accords européens de libre-échange (CEFTA), rejoignant ainsi la zone de libre commerce de l'Europe centrale et orientale qui réunit 30 millions de consommateurs. Des partenariats permettront peut-être d'œuvrer à une consolidation politique de l'État bosnien, en attendant une intégration à l'Union européenne, un objectif qui demeure le seul projet susceptible de transcender, un jour, les divisions nationales.

Nouveaux blocages

Malgré les quelques progrès enregistrés en 2008 (dont l'arrestation, le 21 juillet, de Radovan Karadžić à Belgrade par les autorités serbes après onze années de cavale), les blocages politiques persistent, tandis que Miroslav Lajčák, nommé ministre des Affaires étrangères de son pays, la Slovaquie, quitte la Bosnie le 29 janvier 2009, où il est remplacé par l'Autrichien Valentin Inzko. Les partis politiques échouent à s'entendre sur les réformes les plus urgentes demandées par l'Union européenne, ce qui exclut le pays de la libéralisation du régime des visas Schengen, accordée le 19 décembre 2009 à la Serbie, au Monténégro et à la Macédoine. La réforme du cadre institutionnel de Dayton est désormais un sujet ouvert, mais les propositions de « régionalisation » du pays sont interprétées de manières très différentes : alors que les Bosniaques y voient l'opportunité de dépasser les « entités », les dirigeants de la Republika Srpska veulent au contraire renforcer les compétences de cette entité. Pour essayer de sortir du blocage, les diplomates européens et américains réunissent tous les dirigeants du pays dans la caserne de Butmir, près de Sarajevo, le 20 octobre 2009. Cette « réunion de la dernière chance », présentée comme un « second Dayton », n'aboutit à rien, et la crise politique se poursuit, rythmée par les passes d'armes verbales entre les dirigeants de Republika Srpska et les représentants internationaux. Ce statu quo délétère bloque les réformes et condamne le pays à un dangereux immobilisme, éloignant toujours plus la perspective européenne. Dans le même temps, la crise économique aggrave encore la situation sociale. La Bosnie a conclu un accord avec le F.M.I. en mars 2009, prévoyant le déblocage d'un prêt de 1,3 milliards d'euros, qui devrait sauver les budgets publics de la banqueroute, mais au prix d'une sévère politique d'austérité, d'une réduction du nombre des fonctionnaires et de coupes drastiques dans les budgets sociaux.

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Larousse.fr

http://www.larousse.fr/encyclopedie/pays/Kosovo/127910

KOSOVO

État de l'Europe balkanique, le Kosovo est limité au S.-O. par l'Albanie, à l'O. par le Monténégro, au N. et à l'E. par la Serbie et au S.-E. par la Macédoine.

Superficie : 10 908 km2 Nombre d'habitants : 2 126 708 (estimation pour 2006) Nom des habitants : Kosovars Capitale : Priština

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GÉOGRAPHIE

Priština

Le territoire du Kosovo comprend les bassins tectoniques du Kosovo au sens strict (Kosovo Polje) et de la Metohija, et leurs bordures montagneuses, qui dépassent parfois 2 500 m (Prokletije, Šar Planina). La population d'origine albanaise, en grande partie musulmane, représente environ 85 % de la population totale, avec un taux élevé de fécondité. Une minorité serbe vit dans le nord du pays. Le développement de ce qui était jusqu'à la déclaration unilatérale de l'indépendance, en 2008, une région de la Yougoslavie puis de la Serbie s'est traduit par la création de quelques industries, à Kosovska Mitrovica (extraction et métallurgie du plomb et du zinc) et près de Priština (mines de lignite alimentant des centrales thermiques). L'artisanat (tapis, cuirs, cuivres, filigranes d'argent) est présent à Prizren et à Peć. Le Kosovo dispose d'abondantes réserves de lignite, de bauxite et de nickel, peu exploitées. La guerre de 1999, qui a vu tour à tour la moitié des Albanais puis de nombreux Serbes contraints à l'exil, a aggravé les difficultés économiques (bas niveau de vie, campagnes surpeuplées, chômage considérable) de ce territoire, aujourd'hui le plus pauvre d'Europe, qui dépend de l'aide internationale.

Cinquante-quatre pays, dont la plupart des pays occidentaux, ainsi que la Macédoine et le Monténégro, ont reconnu l'indépendance du Kosovo. Cinq pays membres de l'Union européenne n'ont pas reconnu cette indépendance : il s'agit de Chypre, de l'Espagne, de la Grèce, de la Roumanie et de la Slovaquie.

Plusieurs organisations internationales ont d'importantes responsabilités au Kosovo. La Mission européenne de police et de justice, l'Eulex, doit veiller à l'application de la loi dans trois secteurs, la justice, la police et les douanes. La Mission des Nations unies au Kosovo, la Minuk, a administré le pays depuis 1999 et a été reconfigurée en 2008. Enfin, la Force de maintien de la paix au Kosovo, la KFOR, dispose de 15 000 soldats de l'Otan et a pour mission d'assurer la sécurité, en particulier dans les régions où les Serbes sont majoritaires, comme Mitrovica.

HISTOIRE

Les importants vestiges archéologiques (préhistoriques, illyriens, romains, byzantins) qui se trouvent au Kosovo prouvent l'ancienneté de la présence humaine sur ce territoire. Avant la conquête romaine, les Dardaniens, une population probablement apparentée aux Illyriens, habitent les régions correspondant à l'actuel Kosovo. Ils sont progressivement romanisés à partir du IIe s. avant J.-C.

La terre de plusieurs peuples

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Aujourd'hui encore, des Albanais, des Serbes, des Rom (Tsiganes), des Ashkali, des Turcs, des Bochniaques (Slaves musulmans s'exprimant en serbe), des Gorani (Slaves musulmans habitant les montagnes du Šar, entre le Kosovo et la Macédoine, et parlant une langue de la famille macédo-bulgare), des Croates vivent au Kosovo.

Ces communautés ont vécu de longues périodes en paix, sinon ensemble, du moins en entretenant des relations de bon voisinage. Dans nombre de villages, l'entraide et la solidarité étaient de mise. Dans de grandes villes telles que Prizren, des habitants utilisent encore quotidiennement quatre langues : l'albanais, le serbe, le turc et le romani. Pourtant, la multiethnicité du Kosovo a été gravement mise à mal par les conflits du XXe s.

Au sein de l'Empire ottoman qui, jusqu'en 1912, distingue les différentes populations de la Turquie d'Europe selon des cadres confessionnels et non « nationaux », les appartenances identitaires sont soumises à nombre d'évolutions et de basculements. Durant des siècles, les critères d'identifications communautaires sont moins « nationaux » que socioprofessionnels ou religieux. Sont ainsi qualifiés de « Turcs » l'ensemble des musulmans de la Roumélie, la Turquie d'Europe, qu'ils soient albanais, slaves ou d'une autre origine.

Depuis l'introduction au XIXe s. du concept d'État-nation dans les Balkans et l'émergence de « mythologies nationales », les différentes populations du Kosovo doivent définir leur appartenance nationale. Dans le choc entre les nationalismes albanais et serbe, qui revendiquent de manière exclusive le Kosovo, les « petits peuples » de la région sont sommés de s'intégrer ou de disparaître. Ainsi, les Bochniaques et les Gorani qui vivent encore au Kosovo sont la proie d'une « albanisation » rapide. Pour sa part, Belgrade considère ces populations comme des « Serbes islamisés ».

Des revendications nationales croisées

Afin de s'affranchir de la tutelle ottomane, les États balkaniques affirment progressivement depuis le début du XIXe s. leurs identités nationales. Ces constructions identitaires passent toujours par l'élaboration de « mythologies historiques » opposées à celles des voisins. Elles s'appuient sur l'exhumation de héros « nationaux » et sur l'affirmation de droits « historiques ».

Ainsi, pour Belgrade, le Kosovo est le « berceau de la nation serbe », une terre sacrée où se trouvent les plus prestigieux monastères orthodoxes (la patriarchie de Peć, de Visoki Dečani, de Gračanica …). Les plaines du Kosovo et de Metohija ont été le cœur de la principauté des Nemanjić (XIIe-XIVe s.). En 1209, l'Église orthodoxe serbe obtient de Constantinople l'autocéphalie. Le siège patriarcal de cette Église est toujours fixé à Peć. En 1346, le prince Dušan Nemanjić se proclame tsar, c'est-à-dire empereur de l'Empire byzantin. Sa capitale est fixée à Prizren. Cet âge d'or prend fin le 28 juin 1389, lorsque le roi Lazare, à la tête d'une armée de princes balkaniques coalisés (parmi lesquels se trouvent aussi des Albanais), se sacrifie pour faire face aux armées ottomanes du sultan Murad Ier (bataille du Kosovo).

Dans le cadre de l'Empire ottoman, le Kosovo forme presque toujours un sandjak, une entité administrative distincte. La longue présence ottomane entraîne un phénomène de conversion à l'islam, qui est cependant plus tardif et progressif qu'en Bosnie : d'importantes vagues de conversions interviennent encore au XIXe s. Aujourd'hui, environ 5 % des Albanais du Kosovo sont encore catholiques.

Contrairement aux Slaves arrivés dans la région aux VIe et VIIe s. après J.-C., les Albanais affirment être le seul peuple autochtone des Balkans, puisque descendant des Illyriens – une peuplade antique qui a l'avantage d'être mal connue —, ce qui permet toutes les projections identitaires et toutes les appropriations. Les Albanais considèrent également la Ligue de Prizren (1878-1881) – formée pour

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résister à la cession au Monténégro de territoires peuplés d'Albanais après le congrès de Berlin en 1878 – comme le point de départ de leur mouvement d'affirmation nationale sous l'Empire ottoman.

En 1690, les Serbes, lors de la « Grande Migration », fuient massivement le Kosovo pour échapper aux représailles ottomanes après la défaite serbo-autrichienne de Kačanik, en janvier 1690. Ils se dirigent vers des terres restées sous contrôle autrichien et se fixent sur leurs « frontières militaires » (vojne Krajine), une région de Croatie que l'on appelle aujourd'hui la Krajina. Cet événement contribue à réduire drastiquement la présence serbe au Kosovo.

Les Albanais dénoncent la « colonisation serbe », quand les Serbes évoquent une « invasion » albanaise qui aurait submergé le Kosovo aux XVIIe et XVIIIe s., renversant la balance démographique. Pourtant, un seul fait paraît incontestable : la présence sur ce territoire de ces deux peuples depuis plus d'un millier d'années. On peut également estimer que Serbes et Albanais pesaient encore d'un poids sensiblement égal aux XVIIIe et XIXe s. Encore faut-il souligner que les identités nationales n'étaient pas encore clairement définies à cette époque.

La « question albanaise » en Yougoslavie

Après la première guerre balkanique et la victoire des troupes serbes, grecques, bulgares et monténégrines face aux armées ottomanes, les grandes puissances (France, Angleterre, Russie, Autriche-Hongrie) accordent l'indépendance à l'Albanie lors de la conférence de Londres (30 mai 1913). Le Kosovo, pourtant déjà très majoritairement albanais, est partagé entre la Serbie et le Monténégro, puis finalement intégré, après la Première Guerre mondiale, au nouveau « royaume des Serbes, des Croates et des Slovènes ». La province ne connaît aucun développement économique ou éducatif dans l'entre-deux-guerres et est soumise à une politique de colonisation agraire des autorités serbes. Les Albanais approuvent dans leur majorité la constitution d'une « Grande Albanie » sous domination italienne en 1941.

Les partisans de Tito sont moins implantés au Kosovo que dans les autres régions qui vont former la République socialiste fédérative de Yougoslavie (R.S.F.Y.) en 1945. Pourtant, à la fin de la Seconde Guerre mondiale, le Kosovo obtient le statut de province autonome au sein de la République de Serbie. Bien que plus nombreux que les Macédoniens ou les Monténégrins au sein de la Yougoslavie, les Albanais ne peuvent prétendre obtenir une République fédérée car le pouvoir yougoslave considère qu'ils disposent déjà d'un foyer national en Albanie.

Cette province jouit de prérogatives politiques et économiques élargies. Après le limogeage en 1966 d'Aleksandar Ranković, responsable de la police politique, et l'élaboration d'une nouvelle Constitution en 1974, la province connaît un fort développement culturel avec la création d'une université. Priština devient la principale capitale intellectuelle du monde albanais. En revanche, malgré les apports considérables du Fonds fédéral pour le développement des régions pauvres, principalement alimenté par les républiques les plus riches (la Croatie et la Slovénie), le Kosovo demeure dans une situation de sous-développement chronique. Outre quelques centres industriels comme le combinat minier de Trepča et le complexe thermoélectrique d'Obilić, l'essentiel de la population de la province survit grâce à une agriculture de subsistance et aux contributions financières des travailleurs partis à l'étranger. Dès les années 1960, une forte diaspora albanaise du Kosovo s'établit en Europe occidentale, principalement en Suisse et en Allemagne. La mort de Tito et la crise économique des années 1980 fait basculer le mécontentement social en revendications politiques.

Les manifestations albanaises de 1981, qui réclament la transformation de la province autonome en République fédérée de la Yougoslavie, sont réprimées dans le sang par les forces de sécurité yougoslaves.

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Tout au long des années 1980, le climat entre les deux communautés se dégrade. Les Albanais demandent une égalité sociale, culturelle et politique, tandis que les Serbes dénoncent les pressions et les violences dont ils sont la cible.

Les années Milošević

Slobodan Milošević, Monténégrin d'origine et militant zélé du parti communiste, comprend rapidement qu'il a trouvé dans les revendications des Serbes du Kosovo le sujet fédérateur pour assouvir ses ambitions personnelles. Fort du soutien de l'Académie des sciences et des arts de Belgrade, qui dans un Mémorandum dénonce « le génocide physique, politique, juridique et culturel de la population serbe au Kosovo », S. Milošević prononce lors d'une réunion avec les Serbes du Kosovo, le 25 avril 1987, une phrase devenue célèbre depuis : « personne n'a le droit de frapper ce peuple ». Le tabou de l'ère titiste, qui empêchait d'évoquer publiquement l'existence de contentieux nationaux, vient de tomber. S. Milošević peut ensuite se débarrasser de toute opposition en Serbie en évinçant le 14 décembre 1987 son mentor Ivan Stambolić, l'ancien président de la République de Serbie. Ce dernier est accusé de se désintéresser du sort des Serbes du Kosovo.

Le 23 février 1989, l'autonomie du Kosovo est supprimée, et le Parlement de Serbie annonce triomphalement que la Serbie est « réunifiée ». Le 28 juin 1989, un million de Serbes célèbrent le 600e anniversaire de la défaite de Kosovo Polje, sur les lieux mêmes de la bataille, acclamant S. Milošević comme leur nouveau héros. Progressivement, la censure s'abat sur les journaux albanais et les licenciements politiques se multiplient. Selon des statistiques albanaises datant de 1992, sur 189 000 Albanais travaillant en 1989, 80 000 auraient été licenciés. Les Albanais sont exclus de l'administration, de la télévision, de l'enseignement, et n'ont plus le droit d'acheter des terres. Une violente répression policière s'abat sur la province, les arrestations frappant les élites politiques et culturelles albanaises. Les dirigeants communistes albanais de la province, Azem Vllasi et Kaqusha Jashari, sont également mis sur la touche.

Dans ce contexte troublé, les cercles universitaires et intellectuels de Priština se mobilisent et créent le 23 décembre la Ligue démocratique du Kosovo (L.D.K.), portant à sa tête Ibrahim Rugova, jusqu'alors président de l'Union des écrivains du Kosovo. La L.D.K. développe une stratégie de résistance basée sur une ligne pacifiste et non violente, en créant des institutions parallèles (notamment des écoles clandestines), et dans l'espoir que la communauté internationale se décide à faire pression sur le régime de S. Milošević. Du 26 au 30 septembre 1991, un référendum clandestin proclame l'indépendance de la province. I. Rugova est élu en 1992 président d'une « République de Kosovë », qui n'est reconnue que par la seule l'Albanie. Cependant, cette politique se révéle rapidement inefficace. S. Milošević, en signant les accords de paix de Dayton (paraphés à Paris le 14 décembre 1995) qui mettent un terme à la guerre de Bosnie-Herzégovine, obtient que les Occidentaux n'évoquent pas la « question albanaise ». D'autre part, le boycott des institutions ne perturbe nullement le fonctionnement de l'administration serbe au Kosovo. Devant le blocage de la situation, apparaissent peu à peu des groupes opposés à la politique non violente du « président » Rugova, réclamant par la force l'indépendance de la province.

Dès 1997, les plastiquages et les attaques contre les forces de police serbes se multiplient et assurent la célébrité d'un nouveau groupe armé, l'Armée de libération du Kosovo (Ushtria Çlirimtare e Kosovës, U.Ç.K.), créé par un mouvement clandestin implanté surtout dans la diaspora albanaise, le Mouvement populaire du Kosovo (L.P.K.). Celui-ci s'oppose de plus en plus ouvertement à la politique du « clan » Rugova qu'il accuse de lâcheté et de corruption.

Formé par plusieurs groupes d'origines « envéristes », c'est-à-dire d'inspiration marxiste-léniniste sur le modèle de l'Albanie d'Enver Hoxha, le réseau bénéficie, dès l'origine, du soutien financier de l'importante

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diaspora albanaise de Suisse et d'Allemagne et de puissants réseaux en Albanie. En effet, la guerre civile au printemps 1997, qui suit l'effondrement des sociétés financières de type « pyramidal », précipite l'Albanie dans l'anarchie. Durant les émeutes, les casernes et les dépôts d'armes sont systématiquement pillés, et l'on estime à près d'un million le nombre d'armes automatiques chinoises qui auraient été mises en circulation à cette époque. Le nord du pays, bastion de Sali Berisha, l'ancien président albanais contraint à la démission, devient une base arrière pour les militants de l'U.Ç.K. du Kosovo.

Après quelques succès initiaux (mars-juin 1998), la guérilla de l'U.Ç.K., faute d'avoir pu maintenir son corridor logistique à travers la frontière albanaise et faute d'une coordination suffisante, est rapidement défaite par l'armée yougoslave, plus professionnelle et infiniment mieux équipée. Mais sous la pression de l'O.T.A.N. et de l'émissaire américain dans la région, Richard Holbroocke, S. Milošević finit par s'engager à retirer une partie de ses forces et accepte le déploiement de 2 000 vérificateurs du cessez-le-feu, mandatés par l'O.S.C.E. dans le cadre de la Kosovo Verification Mission (KVM). Devant la menace de nouveaux combats, les Occidentaux tentent durant les pourparlers de Rambouillet (février-mars 1999) d'imposer une solution politique, basée sur l'instauration d'une autonomie substantielle du Kosovo sous contrôle international. Les propositions occidentales incluent le déploiement de soldats de l'O.T.A.N. au Kosovo, une hypothèse inacceptable pour Belgrade. Face au blocage des négociations, l'O.T.A.N. déclenche des frappes sur toutes les infrastructures militaires et économiques de la République fédérale de Yougoslavie. Quelque 850 000 Albanais sont chassés du Kosovo par les forces de sécurité serbes et trouvent refuge en Albanie, en Macédoine et au Monténégro. Après soixante-dix huit jours de bombardements, Belgrade consent enfin au déploiement de forces de l'O.T.A.N. et à la mise de la province sous administration provisoire de l'O.N.U.

Le Kosovo sous protectorat international

Après la signature des accords techniques de Kumanovo le 9 juin 1999, la résolution 1244 du Conseil de sécurité des Nations unies décide l'installation d'une Mission d'administration intérimaire des Nations Unies au Kosovo (MINUK), qui instaure de fait un protectorat provisoire sur la province. Malgré la présence sur le terrain de forces de l'O.T.A.N., la KFOR, la moitié des Serbes et des Rom du Kosovo fuient devant le retour des Albanais ou sont victimes d'un violent nettoyage ethnique. Selon le Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (H.C.R.), en 1999 250 000 non-Albanais quittent le Kosovo, sans espoir de retour jusqu'à présent.

En 2007, la présence serbe au Kosovo est estimée, selon les sources, entre 80 000 et 160 000 personnes. Les Serbes se répartissent entre les communes septentrionales de Zubin Potok, Zvečan, Leposavić et Mitrovica-nord, jouxtant la Serbie, et, au sud de la rivière Ibar, dans des enclaves peuplées parfois de quelques centaines de personnes, entourées de barbelés et gardées par les soldats de la KFOR. Deux sociétés parallèles se sont progressivement mises en place. Belgrade assure les salaires et les services administratifs dans les enclaves, alors que les zones albanaises sont sous l'autorité du gouvernement du Kosovo, lui-même encadré par la MINUK. Le dinar serbe est encore en vigueur dans les zones serbes, alors que partout ailleurs, on utilise l'euro. Les Albanais du Kosovo se désignent comme Kosovars, appellation rejetée par les Serbes et par les autres communautés vivant au Kosovo (Rom, Turcs, etc.)

Les institutions mises en place par la communauté internationale prévoient des élections présidentielle et législatives tous les trois ans. Au sein du Parlement qui compte 120 sièges, 40 députés sont censés représenter les minorités ethniques du Kosovo. Mais, depuis les émeutes anti-serbes de mars 2004, les députés serbes boycottent largement les institutions. Aux élections d'octobre 2004, le taux de participation des Serbes ne dépasse pas 0,3 % des inscrits.

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Au niveau économique, la province est toujours dans une situation catastrophique. Le Kosovo compte la plus jeune population d'Europe, et la forte croissance démographique jette sur le marché du travail des jeunes sans qualifications et sans espoir de pouvoir trouver un jour un emploi. Cette crise économique favorise le travail au noir – qui permet à de larges pans de la société de survivre –, une large émigration vers les pays d'Europe occidentale (Allemagne, Suisse, Belgique), mais aussi le développement de puissants réseaux criminels et d'une corruption galopante.

Michel Steiner, alors chef de la MINUK, avait fixé en 2003 huit standards à atteindre avant que les discussions sur le statut final puissent débuter : retour des réfugiés, liberté de circulation pour tous les résidents du Kosovo, bonne gouvernance, lutte contre le crime organisé et la corruption, égalité des sexes … Malgré les déclarations de la communauté internationale, qui, à l'été 2005, estimait que 70 à 80 % de ces standards avaient été remplis, aucun de ces objectifs ne semble avoir été véritablement atteint. Aucun retour significatif des déplacés chassés du Kosovo n'a été constaté, et les Serbes des enclaves sont toujours privés de liberté de circulation. Depuis 2000, seuls 15 000 Serbes ont pu revenir au Kosovo, le plus souvent pour reprendre possession de leurs biens immobiliers afin de les revendre.

Des négociations dans l'impasse

À partir du début de l'année 2006, l'O.N.U. organise à Vienne des rencontres entre les délégations serbe et albanaise pour définir un statut pour le Kosovo. Cependant, les positions de Belgrade et de Priština sont incompatibles : les Albanais n'acceptent rien d'autre que l'indépendance quand les Serbes sont formellement opposés à toute indépendance.

Aucun dirigeant serbe ne voulait en effet le risque politique de « lâcher » le Kosovo. La nouvelle Constitution serbe, adoptée par référendum le 29 octobre 2006, définit le Kosovo comme une partie intégrante de l'État serbe. Selon l'article 114, le président de la Serbie doit faire le serment de préserver l'intégrité du Kosovo et Metohija.

Pour les dirigeants politiques albanais, dont une bonne partie sont issus des rangs de l'U.Ç.K., après huit ans de protectorat international, il faut en finir au plus vite et proclamer formellement l'indépendance de la province. La présence internationale est de plus en plus mal vécue et tend à être assimilée à une « occupation coloniale ».

Au terme de négociations infructueuses, l'envoyé spécial des Nations unies, le Finlandais Martti Ahtisaari, propose le 2 février 2007 un document qui doit servir de base à une résolution du Conseil de sécurité des Nations unies. D'après celui-ci, le Kosovo pourra rédiger sa Constitution, avoir un hymne et un drapeau et, surtout, adhérer à toutes les organisations internationales, dont les Nations unies. Dans le même temps, les communes serbes pourront jouir d'une décentralisation administrative avancée et entretenir des relations « spéciales » avec la Serbie. La version finale de ce document, remise le 26 mars au Conseil de sécurité, préconise explicitement une « indépendance sous contrôle international » pour le Kosovo.

L'indépendance unilatérale du Kosovo

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Fatmir Sedjiu et Hashim Thaçi

Rejeté par Belgrade, le document de M. Ahtisaari ne parvient pas à convaincre tous les membres du Conseil de sécurité. La Russie appose son veto à la résolution et les négociations retombent dans l'impasse à l'été 2007. Devant le blocage de la situation, le Parlement du Kosovo – en accord avec Washington et de nombreux pays européens tels que la France, la Grande-Bretagne ou la Slovénie, qui préside l'Union européenne depuis le 1er janvier 2008, – proclame l'indépendance de l'ancienne province serbe le 17 février 2008. Le président Fatmir Sejdiu et le Premier ministre Hashim Thaçi déclarent officiellement la naissance du nouvel État, tandis que les rues de Priština sont envahies par des centaines de milliers d'Albanais venus célébrer l'évènement.

La situation est en revanche beaucoup plus tendue dans les zones serbes du Kosovo. Belgrade condamne immédiatement cette « indépendance illégale » et des manifestations de protestation sont convoquées à Mitrovica Nord et dans la capitale serbe. Le 19 février 2008, les postes frontières de Jarinje et Gazi Voda, entre le Kosovo et la Serbie, sont investis et rasés par plusieurs milliers de personnes. Le 21 février, un meeting de solidarité en faveur des « frères serbes du Kosovo et Metohija » dégénère à Belgrade : de nombreuses ambassades sont attaquées, dont celle des États-Unis, où un jeune manifestant trouve la mort.

L'indépendance du Kosovo est rapidement reconnue par la majorité des États de l'Union européenne, à l'exception toutefois de cinq d'entre eux : Chypre, l'Espagne, la Grèce, la Roumanie et la Slovaquie. Dans la région, la Croatie, la Bulgarie et la Hongrie reconnaissent le Kosovo le 19 mars 2008, suivis par Monténégro et la Macédoine, en octobre 2008. Seules s'opposent toujours dans la région la Serbie et la Bosnie-Herzégovine – en raison, dans cette dernière, du refus catégorique de la Republika Srpska, l'entité serbe.

Au total, en novembre 2009, soixante-trois États ont reconnu l'indépendance du Kosovo, un nombre bien insuffisant pour que ce dernier puisse espérer rejoindre les Nations unies. Dans ces conditions, il demeure également à la porte des institutions sportives internationales (C.I.O., U.E.F.A., etc.). Le Kosovo ne peut pas non plus espérer rejoindre l'Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe (O.S.C.E.) ni le Conseil de l'Europe, où l'unanimité des États membres est requise pour admettre un nouvel État. Il a cependant été admis, en juin 2009, au Fonds monétaire international (F.M.I.) et à la Banque mondiale.

Par ailleurs, malgré l'indépendance unilatéralement proclamée du Kosovo, la Serbie reste politiquement et économiquement présente dans les enclaves. Un « plan d'action du ministère de l'Économie et du développement régional » est mis en place dès le 21 février 2008 pour assurer des emplois aux Serbes restés au Kosovo. Les fonctionnaires sont toujours rémunérés par Belgrade, et les élections locales et parlementaires serbes du 11 mai 2008 se tiennent sans violence dans toutes les enclaves. L'indépendance

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du Kosovo met donc fin à un statu quo intenable, mais elle ne permet de rapprocher les différentes communautés. Elle ne clôt pas non plus la tutelle internationale, effective depuis 1999.

Les défis du Kosovo indépendant

Le 13 juin, deux jours avant l'entrée en vigueur de la nouvelle Constitution du Kosovo, le secrétaire général des Nations unies, Ban Ki-moon, adresse aux dirigeants serbes et albanais des lettres qui ouvrent la voie à un déploiement de la mission Eulex mais sans se prononcer sur le statut du Kosovo. En vertu de la résolution 1244, la MINUK demeure en place, en jouant un simple rôle de « coordination » de la présence internationale.

Si le plan de M. Ahtisaari n'est pas officiellement entré en vigueur, un « Bureau civil international » (ICO), dirigé par le Haut représentant de l'U.E. au Kosovo, le Néerlandais Pieter Feith, a néanmoins été ouvert. Faute de mandat accordé par l'O.N.U. et accepté par toutes les parties, il a surtout une fonction de conseil auprès des institutions du Kosovo. En revanche, Belgrade a donné son accord au déploiement de la mission européenne EULEX, qui a pris ses fonctions le 9 décembre 2008. Cette mission doit apporter un « soutien technique » au Kosovo dans les secteurs essentiels de la justice, de la police et des douanes. Présente à travers tout le Kosovo, y compris dans les enclaves serbes, cette mission est supposée rester « neutre » sur la question du statut du pays, ce qui ne va pas sans d'innombrables contradictions sur le terrain.

La mission EULEX a également repris quelque 800 dossiers de crimes de guerre qui étaient autrefois de la compétence de la MINUK ; les premiers procès ont commencé. Elle doit notamment enquêter sur les disparitions de Serbes qui auraient été déportés en Albanie à l'été 1999 et qui auraient pu faire l'objet d'un trafic d'organes. Ce crime – qui impliquerait les plus hauts responsables du Kosovo, notamment l'actuel Premier ministre H. Thaçi – a été évoqué par l'ancien procureur général du T.P.I.Y., Carla Del Ponte, cette dernière déplorant dans ses Mémoires le fait d'avoir été empêchée de poursuivre ses enquêtes sur ce sujet. Une commission d'enquête a été mandatée par le Conseil de l'Europe mais celle-ci s'annonce difficile, les autorités albanaises ayant refusé toute coopération.

Au niveau économique, la situation demeure préoccupante, en dépit de l'ampleur des sommes injectées par la communauté internationale et du milliard d'euros investi par des compagnies étrangères au Kosovo depuis 1999, notamment lors du processus de privatisation des entreprises d'État (secteur bancaire, télécommunications, mines, agriculture, etc.). L'économie kosovare pâtit de plus, depuis l'indépendance du pays, de la chute du commerce transfrontalier avec la Serbie. La crise économique et financière de 2008 a presque totalement tari les investissements étrangers en 2009. En outre, plusieurs questions politiques fragilisent le gouvernement du Premier ministre H. Thaçi. L'opposition reproche à la coalition gouvernementale son incapacité à réformer le système de justice et déplore les sérieux problèmes d'approvisionnement énergétique qui continuent d'entraver le développement du pays.

Le 15 novembre 2009, des élections municipales sont organisées au Kosovo. Il s'agit du premier scrutin depuis la proclamation d'indépendance, alors que des élections parlementaires étaient initialement prévues dans l'année suivant cette proclamation. La participation assez faible (45 % des inscrits) traduit le désenchantement des électeurs albanais. Le scrutin se déroule dans le calme, sans entraîner de changements notables dans le rapport de force entre les partis albanais. Toutefois, d'assez fortes turbulences politiques suivent les élections, d'autant que les deux partis qui forment la coalition gouvernementale depuis l'automne 2007, le P.D.K. du Premier ministre H. Thaçi et la L.D.K. du président F. Sejdiu, sont en rivalité dans la plupart des communes. Côté serbe, la situation est plus contrastée : dans certaines enclaves du Kosovo central, la participation est significative, comme à Gračanica (23 % des inscrits), qui doit devenir une commune réunissant seize villages serbes des alentours de Priština. En

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revanche, le boycott du scrutin est quasi-total (moins de 1 % de participation à Zubin Potok) dans la zone serbe du Nord du Kosovo, où les administrations communales « parallèles » qui ne reconnaissent que l'autorité de Belgrade demeurent toutes puissantes. Le Kosovo semble être durablement entré dans une logique de « reconnaissance partielle » de son indépendance, mais aussi de partition entre zones serbes et albanaises, tandis que sa proclamation d'indépendance n'a pas mis fin à la tutelle internationale. Cette situation est de plus en plus mal ressentie par une partie de l'opinion albanaise. Le mouvement Vetëvendosje (« Autodétermination ») mène ainsi des actions répétées contre toute forme de protectorat, tout en posant de plus en plus ouvertement la question d'une éventuelle unification nationale albanaise.