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Courrier de Rome Année 2008 • Janvier 2008, n° 307 Hirpinus Le Vacan et les Limbes. Doctrine tradionnelle et opiniones novæ | Les taupes | Supériorité de suffrages et de doctrine | La valeur doctrinale de la Tradion | Comment la voie fut laissée libre aux innovaons. Hirpinus Les Limbes et le jugement universel. Une religieuse nous écrit. | Une opinion écartée et une autre dépassée | Naturel et surnaturel | La troisième catégorie | Un averssement, non pas une révélaon. Don A.M. 1962 - Révoluon dans l’Église. Brève chronique de l’occupaon néo-mo- derniste de l’Église catholique. Jean-Paul II, fauteur de la nouvelle théologie (suite). A.M. La crise générale dans l’Église. Le coup de maître de Satan | La corrupon doctrinale dans les Instuts de formaon du clergé | Les Ordres et les Congré- gaons religieuses féminines | Les mouvements de laïcs | Le Mouvement néocatéchuménal (à suivre). • Février 2008, n° 308 Abbé Gleize À propos de saint Vincent de Lérins 1. La liberté religieuse : un enseignement infaillible du Magistère ordinaire universel ? 2. De Pie IX à Vacan II : rupture ou connuité ? 3. Le canon de saint Vincent de Lérins à la rescousse de Dignitas humanæ. 4. La véritable significaon du canon de saint Vincent de Lérins ; 4.1 La règle du Commonitorium ; 4.2 L’explicaon de Franzelin ; 4.3 Applicaon au cas : la liberté religieuse. 5. Le sophisme de l’abbé Lucien. 6. Le Magistère ordinaire universel, organe de la Tradion ; 6.1 Les deux pro- priétés constuves : unanimité et constance ; 6.2 Le critère de l’unanimité actuelle ; 6.3 Le critère de la constance ; a. Un magistère constant parce que tradionnel ; b. Le critère de la constance, pierre de touche de l’unanimité actuelle ; c. Critère catholique et non pas libre examen protestant ; d. L’intel- ligibilité du dogme ; e. Un critère négaf ; 6.4 Vacan II condamné par le Magistère ordinaire universel. 7. L’argument de Mgr Lefebvre. Ambrosiaster Marche arrière ? Connuité avec le passé... sans passé | Pourquoi évangéli- ser ? | Marche arrière ? Non ! • Mars 2008, n° 309 Maeo D’Amico À propos des deux herméneuques de Vacan II : Mythe ou réalité ?

Courrier de Rome

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Page 1: Courrier de Rome

Courrier de RomeAnnée 2008

• Janvier 2008, n° 307Hirpinus Le Vatican et les Limbes. Doctrine traditionnelle et opiniones novæ | Les

taupes | Supériorité de suffrages et de doctrine | La valeur doctrinale de la Tradition | Comment la voie fut laissée libre aux innovations.

Hirpinus Les Limbes et le jugement universel. Une religieuse nous écrit. | Une opinion écartée et une autre dépassée | Naturel et surnaturel | La troisième catégorie | Un avertissement, non pas une révélation.

Don A.M. 1962 - Révolution dans l’Église. Brève chronique de l’occupation néo-mo-

derniste de l’Église catholique. Jean-Paul II, fauteur de la nouvelle théologie (suite).

A.M. La crise générale dans l’Église. Le coup de maître de Satan | La corruption doctrinale dans les Instituts de formation du clergé | Les Ordres et les Congré-gations religieuses féminines | Les mouvements de laïcs | Le Mouvement néocatéchuménal (à suivre).

• Février 2008, n° 308Abbé Gleize À propos de saint Vincent de Lérins 1. La liberté religieuse : un enseignement infaillible du Magistère ordinaire

universel ? 2. De Pie IX à Vatican II : rupture ou continuité ? 3. Le canon de saint Vincent de Lérins à la rescousse de Dignitatis humanæ. 4. La véritable signification du canon de saint Vincent de Lérins ; 4.1 La règle

du Commonitorium ; 4.2 L’explication de Franzelin ; 4.3 Application au cas : la liberté religieuse.

5. Le sophisme de l’abbé Lucien. 6. Le Magistère ordinaire universel, organe de la Tradition ; 6.1 Les deux pro-

priétés constitutives : unanimité et constance ; 6.2 Le critère de l’unanimité actuelle ; 6.3 Le critère de la constance ; a. Un magistère constant parce que traditionnel ; b. Le critère de la constance, pierre de touche de l’unanimité actuelle ; c. Critère catholique et non pas libre examen protestant ; d. L’intel-ligibilité du dogme ; e. Un critère négatif ; 6.4 Vatican II condamné par le Magistère ordinaire universel.

7. L’argument de Mgr Lefebvre.

Ambrosiaster Marche arrière ? Continuité avec le passé... sans passé | Pourquoi évangéli-ser ? | Marche arrière ? Non !

• Mars 2008, n° 309Matteo D’Amico À propos des deux herméneutiques de Vatican II : Mythe ou réalité ?

Page 2: Courrier de Rome

L’herméneutique de la rupture | L’herméneutique de la continuité | Pour-quoi deux herméneutiques ? | Au-delà du mythe des deux herméneutiques.

Don Davide Pagliarani L’effritement de l’autorité du Concile. La solution | Les notifications du Se-crétaire du Concile | Les affirmations du cardinal Biffi | La nécessité de l’in-tention d’enseigner : point de vue philosophique | La nécessité d’enseigner : piont de vue théologique | Les intentions du Concile | Conclusion.

Don A.M. 1962 - Révolution dans l’Église. Brève chronique de l’occupation néo-mo-derniste de l’Église catholique.

Vers la « solution finale » du catholicisme (suite et fin des articles) | La résis-tance des catholiques : un devoir incontournable.

• Avril 2008, n° 310Canonicus La rébellion de certains évêques contre le pape. Un énième fruit de la col-

légialité réformée par le Concile ? Que penser des évêques qui se rebellent contre le Pape ? | L’effet négatif de

la nouvelle collégialité | La nouveauté introduite par l’art. 22 de Lumen Gen-tium, dangereuse pour le Primat.

Lanterius Observations sur le Compendium du catéchisme de l’Église catholique. Introduction | 1. L’homme et son rapport avec Dieu | 2. Judaïsme | 3. L’Église |

4. L’infaillibilité du Magistère | 5. Oecuménisme | 6. La très Sainte Vierge | 7. Les fins dernières | 8. La liturgie | 9. Les sacrements en général | 10. Les sacrements en particulier : le baptême | 11. Les sacrements en particulier : la confession | 12. Les sacrements en particulier : l’extrême-onction | 14. Les sacrements en particulier : le mariage (à suivre).

• Mai 2008, n° 311Rosangela Barcaro La mort cérébrale est-elle la fin de la vie ? Lettre signée Spe salvi, une encyclique qui laisse perplexe. Un lecteur nous écrit. Quatre observations critiques | Une notion existentielle de la vie éternelle |

Vraie signification de la phrase de saint Ambroise | Une notion surtout phi-losophique de la vie éternelle | Kantisme dans l’encyclique ? | Nature incer-taine des fins dernières dans l’encyclique.

Don A.M. Importante mise en garde contre Medjugorje. De l’homélie de S.E. Mgr Ratco Perić, évêque de Mostar, à Medjugorje, le 15

juin 2006.

Lanterius Observations sur le Compendium du catéchisme de l’Église catholique (suite) 15. Incinération | 16. Liberté religieuse | 17. La société humaine | Conclu-

sion.

Lanterius La messe clansestine. (tiré de Giovannino Guareschi, par Alexandre Gnocchi et Mario Palmaro)

Page 3: Courrier de Rome

• Juin 2008, n° 312Arbogastus La mort encéphalique, en sommes-nous si sûrs ? 1. Préliminiaires : greffes et dons d’organes en général ; 1.1 L’autogreffe ; 1.2

L’homogreffe ; 1.2.1 Avec donneur vivant ; 1.2.2 Avec donneur mort ; 1.3 Hété-rogreffes ; 1.4 Éviter les simplifications réductrices.

2. Données médicales ; 2.1 Définitions ; 2.1.1 Le coma ; 2.1.2 La mort encépha-lique ; 2.2 Critères de constatation de la mort ; 2.3 Définition ou définitions ?

3. Science médicale et morale ; 3.1 Critère légal - critère moral de la mort ; 3.2 Point de vue médical et point de vue moral ; 3.3 Épistémologie des sciences ; 3.4 La fin ne justifie par les moyens.

4. Interventions du Magistère ; 4.1 Pie XII ; 4.2 Jean-Paul II. 5. Mort cérébrale : séparation de l’âme et du corps ? ; 5.1 Explications insuffi-

santes ; 5.1.1 Le rôle du cerveau comme centre de commande des fonctions organiques ; 5.1.2 Le cerveau, siège de la conscience ; 5.1.3 L’âme est dans le cerveau ; 5.1.4 Distinction de l’organisme humain vivant et de la personne humaine ; 5.1.5 L’irréversibilité de l’état de mort cérébrale ; 5.2 Réflexions tho-mistes sur le vivant.

6. Que faut-il faire des malades ?

• Juillet-Août 2008, n° 313Abbé Gleize L’état de nécessité. 1. Les vraies raisons du combat de la Fraternité. 2. L’état de nécessité. 3. Un dilemme qui est resté le même. 4. Une argumentation doublement fausse | 4.1 Une idée fausse du magistère de

l’Église | 4.2 Le refus d’une évidence criante. 5. La nouvelle liturgie et l’état de nécessité ; 5.1 Un examen incontestable ; a. Un

amalgame simpliste ; b. La lettre apocryphe du cardinal Ottaviani ; c. Mgr de Cas-tro-Meyer relu et corrigé ; 5.2 L’illégitimité du nouveau rite ; 5.3 Les préférences de Mgr Rifan ; 5.4 Les limites du Motu proprio de Benoît XVI.

6. La liberté religieuse et l’état de nécessité ; 6.1 Une double erreur condamnée par les papes Grégoire XVI et Pie IX ; 6.2 La liberté religieuse dans la déclaration Dignitatis humanæ ; a. Le texte de Dignitatis humanæ ; b. Le sens du texte ; c. La question des justes limites ; d. Un texte cohérent ; 6.3 La relecture incohérente de Mgr Rifan ; a. Une confusion entre deux erreurs ; b. Une interférence trop rapide ; c. Le droit négatif : une thèse déjà réfutée ; 6.4 La cohérence des textes du Concile ; a. Une apparence traditionnelle ; b. Mais une apparence seulement ; c. Dignitatis humanæ : un texte qui contredit en réalité la Tradition de A jusqu’à Z et du n° 2 au n°1 ; 6.5 Benoît XVI et l’interprétation authentique du Concile Vatican II ; a. Benoît XVI et la liberté religieuse ; b. Benoît XVI et l’œcuménisme.

7. Vingt ans après les sacres : l’opération survie continue.

• Septembre 2008, n° 314Canonicus L’herméneutique de la rupture de Joseph Ratzinger. Introduction 1. L’expert conciliaire Joseph Ratzinger interprétait l’enseignement de l’Église à

la lumière d’une herméneutique de la rupture ; 1.1 La thèse du professeur Rat-zinger ; 1.2 La doctrine de l’Église sur la collégialité : Vatican I, Léon XIII, Pie XII.

Page 4: Courrier de Rome

2. Dans l’encyclique Spe salvi, réapparaît l’herméneutique de la rupture à pro-pos de la notion de salut ; 2.1 L’encyclique s’approche de l’herméneutique de la rupture de Lubac.

3. Le schéma herméneutique de De Lubac ; 3.1 De Lubac déforme saint Paul ; 3.2 De Lubac remet en vogue des doctrines déjà condamnées ; 3.3 L’émer-gence de l’herméneutique de la rupture chez De Lubac.

4. La théologie du salut de Spe salvi reproduit celle de De Lubac ; 4.1 Une notion obscure de péché ; 4.2 Une notion obscure du Jugement ; 4.3 Le seul jugement est celui du salut.

• Octobre 2008, n° 315Maximilianus Rahner est passé, restent les rahnériens. 1. Horizons philosophiques et connaissance théologique. 2. La théologie du salut selon Rahner. 3. Premier corollaire : réduction anthropologique de la théologie. 4. Second corollaire : l’œcuménisme. 5. Ecclésiologie 6. Est-ce fini ? 7. Conclusion. Lector La spectaculaire ascension de Mgr Jean-Louis Brugès.

Stephanus Les Limbes ne sont pas une hypothèse théologique mais une vérité ensei-gnée par le Magistère apostolique.

La voix du Magistère apostolique : 1. Le Concile de Carthage ; 2. Innocent III ; 3. Le Concile de Florence ; 4. Pie VI ; 5. Saint Pie X ; 6. Pie XII.

Une interprétation commode.

• Novembre 2008, n° 316Agostino Piano, forte ! Romantisme théologique | Comment présenter Dieu au monde moderne,

selon Forte | La dissolution de la théologie | Un grave avertissement.

Agostino Sur la mort cérébrale, l’Osservatore romano cède-t-il à l’intolérance média-tique ? Communiqué de Famiglia et Civiltà | Considérations sur la mort céré-brale après l’article de l’Osservatore romano.

Abbé Gleize Actualité de Franzelin. 1. Un ouvrage qui n’a pas vieilli. 2. L’avantage d’une traduction. 3. Bref examen critique du protestantisme. 4. Constance et unanimité de la prédication de l’Église ; 4.1 Un magistère

traditionnel et constant ; 4.2 Un magistère vivant ; 4.3 Aux antipodes de la nouvelle tradition vivante.

5. Magistère hiérarchique et croyance des fidèles. 6. En cas de nécessité : le recours à la doctrine de toujours. 7. L’actualité de Franzelin.

Page 5: Courrier de Rome

• Décembre 2008, n° 317Sì Sì No No « J’endurcirai le coeur du Pharaon ». L’aveuglement des catholiques et la

royauté sociale de Jésus-Christ. Analyse de l’essence du communisme et la solution proposée par le ciel. La

Femme et le Dragon : Fatima et Moscou. Matérialisme historique et dialectique | Le remède | La subversion de l’ordre

social | Pour résumer. Le choix tragique de la voie diplomatique par les autorité ecclésiastiques : Pie

XI et Pie XII | Le cours de l’Ostpolitik | La vision de Tuy | D’autres signes du Ciel | Et Pie XII ?

« La Russie répandra ses erreurs dans le monde ». L’Ostpolitik de Jean XXIII et le principe des nouveaux concordats | Le nouveau cours de l’Ostpolitik vati-cane : Jean XXIII ; 1. L’accord de Metz ; 2. Le Concile Vatican II ; 3. L’encyclique Pacem in terris | Portes ouvertes au communisme international. La laïcité, principe des nouveaux concordats | « Ils ont fermé les yeux ».

Page 6: Courrier de Rome

Les Actes du VIIe Congrès Sì Sì No Nodes 5,6 et 7 janvier 2007

« Les crises dans l’Église ,les causes effets, remèdes »

seront disponibles fin janvier 2008Prix 20 euros.

L’Église connaît une crise depuis denombreuses années. Pour la résoudre ilfaut défendre, maintenir et adapter l’ap-plication des principes fondamentauxaux circonstances concrètes de la situa-tion actuelle. C’est le sens du combatpoursuivi par Sì Sì NoNo et par le Cour-rier de Rome depuis plus de trente ans etla raison pour laquelle le VIIe congrèsthéologique de Sì Sì No No, organiséavec l’Institut Universitaire Saint Pie Xet Documentation Information Catho-liques Internationales (DICI), a choisicomme thème Les crises dans l'Église, etpour être plus exact, et la crise actuelle.

s ì s ì no no« Que votre OUI soit OUI, que votre NON soit NON, tout le reste vient du Malin »

(Mt 5, 37)

Le numéro 3€Janvier 2008Mensuel - Nouvelle SérieAnnée XLII n° 307 (497)

Non seulement le père Dhanis fait ceque la Commission avait refusé de faireparce que contraire à la doctrine tradition-nelle (« quia ipsa Ecclesia hoc numquamfecit »), mais il en appelle à l’universalitéde la volonté salvifique de Dieu et de laRédemption : « Notre mère la sainteÉglise – écrit-il – confie humblement [sic]leur sort [celui des enfants non baptisés],pour lesquels Jésus est mort aussi, à la trèsprofonde justice et miséricorde de Dieu. »Ainsi l’Église, après deux mille ans de fier-té et d’erreur, était rappelée, par le jésuiteDhanis, à l’humilité et à la foi en la volonté

LE VATICAN ET LES LIMBESLa Commission Théologique Internatio-

nale (CTI), dans son récent document surles limbes, affirme que la « question » deslimbes « ne fut pas soumise aux délibéra-tions du Concile, et fut laissée ouverte pourde plus amples recherches ». Et pourtant, ilsuffit de feuilleter les Actes du Concile pourconstater que trois schémas sur les limbesfurent préparés, présentés et discutés par laCommission Centrale préparatoire de Vati-can II.

Le premier schéma fut élaboré par unesous-commission de la Commission théolo-gique, présidée par le cardinal Ottaviani, Pré-fet du Saint Office; le deuxième schéma futpréparé par le jésuite Dhanis, Recteur del’Université Grégorienne; le troisième sché-ma fut préparé par Mgr Carlo Colombo.

DOCTRINE TRADITIONNELLEET « OPINIONES NOVÆ »

Le schéma présenté par la CommissionThéologique expose succinctement la doc-trine traditionnelle sur les limbes, et repous-se tout aussi succinctement les « opinionesnovæ » qui s’étaient manifestées contre elledans les milieux des « novateurs ». À l’ex-ception des martyrs tués par haine de la foi(in odium fidei)–dit le schéma–personne nepeut passer de l’état de fils d’Adam et de« fils de colère », dans lequel nous naissons[en raison du péché originel], à l’état degrâce et d’enfant adoptif, sans le baptêmeou le désir de celui-ci. Étant donné que lesenfants sont incapables de ce désir, et qu’enoutre l’Église a toujours été convaincuequ’ils ne peuvent parvenir à la vie éternellesans le baptême, le Concile déclare vaines etsans fondement (inanes et sine fondamento)toutes les opinions par lesquelles on établitpour les enfants un autre moyen de salut quele baptême réellement reçu (re susceptum).

Les Notes du schéma exposent un peumoins succinctement les données de laSainte Écriture, de la Tradition et du Magis-tère, sur lesquelles se fonde la doctrine tra-ditionnelle des limbes, et font barrage à de

nombreuses erreurs, que nous nous sommesvu reproposer par la Commission Théolo-gique Internationale dans son récent docu-ment.

Dans la note 1, par exemple, relative àl’expression « à l’exception des martyrstués par haine de la foi », il est précisé que« dans la Constitution, c’est volontairementque l’on dit “in odium fidei”, car c’est à tortque toute mort d’enfant, qu’elle soit naturel-le ou violente, est assimilée au martyre ».C’est donc à tort que l’on cherche aujour-d’hui à assimiler à des martyrs les petitesvictimes de l’avortement, celui-ci étantcommis au mépris de la loi divine naturelle,certes, mais pas « in odium fidei ».

Dans la note 4, la sous-commission théo-logique déclare que dans le schéma, « onn’a pas voulu confier les enfants [mortssans baptême] à la miséricorde de Dieuparce que l’Église ne l’a jamais fait ». Maisle nouveau Catéchisme de l’Église catho-lique, ainsi que le récent document de laCTI ont voulu, quant à eux, confier cesenfants à la miséricorde de Dieu, bien quel’Église ne l’ait jamais fait.

Un dernier exemple : dans la note 3, lecardinal Bellarmin, Docteur de l’Église,répond par avance à la CTI qui se pose laquestion rhétorique, qui revient à une néga-tion, de savoir si l’enfant non baptisé « peutêtre privé de la vision béatifique de Dieusans sa coopération » : « Même si lesenfants – écrit Bellarmin – sont privés dubaptême sans faute de leur part, ce n’estpas sans faute qu’ils se perdent, puisqu’ilsont le péché originel » (De Baptismo I,chap. 1). Il a en effet échappé à la CTI quenous naissons tous privés de la grâce, etdonc de la vision béatifique, sans aucunecoopération de notre part.

LES TAUPES

Au schéma préparé par la CommissionThéologique, le jésuite Dhanis opposa sonschéma personnel, dans lequel il ouvrait lavoie aux nouvelles théories sur les limbes.

Page 7: Courrier de Rome

Courrier de Rome2 Janvier 2008salivifique de Dieu et en la satisfaction uni-verselle du Christ!

Comme on le voit, le document lancéquarante ans plus tard par la CTI est déjàsubstantiellement en germe dans ce deuxiè-me schéma. Quant à la « opinatio » contrai-re à la doctrine traditionnelle de l’Église, lepère Dhanis dit dans son schéma qu’ellemanque de « solides arguments » (argu-mentis firmis), et non pas qu’elle manqued’arguments tout court.

De son côté, Mgr Carlo Colombo (le« théologien » de Montini), va même plusloin et, dans son schéma, fait précéder le« manque » d’un « adhuc » : l’opinioncontraire à la doctrine de l’Église manque« encore » de solides arguments ; mais iln’est pas dit que l’on ne puisse pas, un jourou l’autre, en trouver quelques-uns.

Si le travail de « taupe » de Dhanis et deColombo avait été mené à terme, la voieaux innovations doctrinales sur les limbesaurait été ouverte dès alors.

Le cardinal Ottaviani, Préfet du SaintOffice et Président de la Commission Théo-logique, prit conscience du danger, et c’estpourquoi, lorsque les trois schémas furentprésentés pour la discussion à la Commis-sion Centrale préparatoire, il tenta de l’éloi-gner par un avertissement sur la valeur doc-trinale de la Tradition. Toutefois, il voulutque fût suivie la praxis habituelle, et que lecardinal Felici lût la relation officielle aveclaquelle la Commission Théologique illus-trait les trois schémas présentés.

SUPÉRIORITÉ DE SUFFRAGES ET DE DOCTRINE

La relation de la Commission Théolo-gique souligne que, des trois schémas pré-sentés, « le premier [élaboré par la sous-commission théologique] jouit des suffragesde 19 membres de la Commission Théolo-gique, le deuxième [celui du père Dhanis]des suffrages de 5 membres, et le troisième[celui de Mgr Colombo] du suffrage du seulrédacteur ». La relation illustre non seule-ment la disparité significative des suffrages,mais aussi la supériorité doctrinale (præs-tantiam theologicam) du premier schémapar rapport aux deux autres.

Voici les points principaux de l’argumen-tation :

« 1) L’Église, dans sa pratique séculaire, arefusé la sépulture ecclésiastique auxenfants morts sans baptême, et n’a jamaisprié pour eux publiquement.

2) Les anciens, qui niaient aux enfantsmorts sans baptême la récompense de lavie éternelle, n’ont en aucune façon doutéde la volonté salvif ique universelle deDieu et de la satisfaction universelle duChrist [comme semblent l’insinuer Dhaniset Colombo–ndr].

3) Selon le deuxième Concile de Baltimo-re, en 1866, [...] le Christ, en répandant sonsang, a procuré à tous les enfants le droit derecevoir le baptême, afin qu’ils puissentvoir le visage de Dieu, source de la béatitu-de céleste; mais les enfants sont privés de lajouissance de ce droit par tous ceux qui per-

mettent qu’ils meurent sans baptême. Il estclair, par conséquent, que la doctrine du pre-mier schéma ne porte aucun préjudice à lavaleur universelle de la mort salvifique duChrist, mais qu’elle ne fait qu’en demanderavec insistance l’application, par les moyensque le Christ lui-même a établis, c’est-à-direles sacrements de l’Église, reçus de fait ouau moins de désir.

Il faut enfin noter que le troisième schéman’est étayé par aucun argument solide duMagistère de l’Église ni des Pères, si bienqu’il est permis de douter que, même àl’avenir [en italique dans le texte], l’opinioncontraire pourra jouir de solidesarguments ».

LA VALEUR DOCTRINALE DE LA TRADITION

Le cardinal Ottaviani souhaita ajouter, àcette relation officielle, un grave avertisse-ment aux membres de la Commission Cen-trale Préparatoire.

« Je considère opportun–dit-il –de faireprécéder [la discussion] d’un avertissement.Il s’agit ici d’énoncer la vérité, non de ceque le cœur, avec pitié, pourrait suggérer[...]. En effet, si nous faisions appel à lapitié, nous devrions sans aucun douteprendre une voie différente, mais nousdevons considérer la chose telle qu’elle a étéétablie dans l’économie actuelle du salutéternel voulue par le Christ.

Il ne fait aucun doute que le baptême estnécessaire de nécessité de moyen, et,comme nous l’avons déjà dit, la Traditionest constante à ce sujet. La praxis même del’Église de ne pas prier pour les enfantsmorts sans baptême et de ne pas célébrerleurs obsèques, alors que celles-ci sont célé-brées pour les enfants baptisés, est le signeextérieur de la praxis ecclésiale, et accom-pagne la Tradition. La Tradition à ce sujetest unanime et l’a toujours été, et si nousméprisions l’argument d’une Tradition aussiconstante, aussi unanime, il pourrait enrésulter un affaiblissement du principe rela-tif au dépôt de la foi, qui est énoncé nonseulement par les Saintes Écritures, maisaussi au moyen de la Tradition. Par ailleurs,en ce qui concerne l’aspect de la pitiéqu’inspirent les enfants morts sans baptême,la sous-commission qui a préparé le décretévoque un certain bonheur, dont jouirontces enfants. Il est vrai qu’ils sont privés dela vision béatifique, mais, comme le ditsaint Thomas, ce n’est pas une grande peinepour eux, dans la mesure où la privation dela vision béatifique est le plus grand mal-heur, la plus grande douleur pour ceux qui yfurent ordonnés parce qu’ils sont entrésdans l’état de grâce au moyen du baptême etdes autres sacrements [...].

En ce qui concerne le côté pratique, nousdevons considérer la tendance qui prévautaujourd’hui partout de différer le baptêmedes enfants. Si nous laissons sans réponsecette question alors qu’elle a déjà été traitéepar les auteurs, et si nous laissons la porteouverte à l’espérance que les enfants nonbaptisés se sauveront, nous favorisons lapratique de ne pas les baptiser, qui commen-ce déjà à envahir le monde chrétien [...].

La volonté salvifique de Dieu n’est pas enquestion; elle n’est pas mise en doute pourles enfants [...], parce que c’est aussi poureux qu’est mort le Christ, et l’applicationsuffisante [de ses mérites] était prête aussipour eux, mais elle n’a pas pu être efficaceen raison des circonstances, surtout lorsquecelles-ci dépendent des hommes [...]. MgrColombo a été le seul à soutenir qu’il fautmodifier la doctrine de l’Église pour sauverla volonté salvifique de Dieu. Celle-ci n’estpas mise en doute par le fait que l’on sou-tient ce que la Tradition a toujours soutenu,et qui a son fondement dans le principe quele sacrement de baptême est nécessaire denécessité de moyen.

Le premier schéma diffère du deuxième,présenté par le professeur Dhanis, Recteurde l’Université Grégorienne, et la différenceréside dans le fait que Dhanis affirme queles théories contraires ne sont pas encoreétayées par de solides arguments. Par consé-quent, il admet la possibilité que ces argu-ments existent, et Colombo s’appuie luiaussi sur cette possibilité [...]. Ils laissentdonc la porte ouverte, comme s’ils disaient :“Nous verrons ensuite s’il y a des argu-ments”. Mais il me semble que la Traditionest un argument dont l’autorité est suffisan-te pour que l’on ne s’éloigne pas de la doc-trine définie jusqu’à présent. [...] Ce sontdonc de véritables innovations que l’oncherche d’une certaine façon à introduire. »

COMMENT LA VOIE FUT LAISSÉE LIBREAUX INNOVATIONS

On le sait, tout le travail préparatoire duConcile, qui avait coûté trois ans d’étude etde fatigues, fut rejeté dès le départ : lesvingt schémas préparés (excepté celui sur laliturgie, qui fut ensuite remanié par lesnovateurs) furent rejetés en bloc et sans exa-men par l’aile néomoderniste. C’est ainsique la CTI peut dire que la « question » deslimbes « ne fut pas soumise aux délibéra-tions du Concile ». Mais ce qu’elle ne ditpas, c’est que cette question n’y fut pas sou-mise en raison du coup de force qui déter-mina la rupture du Concile avec sa prépara-tion ou, plus exactement, la rupture del’orientation conciliaire (et postconciliaire)avec la doctrine traditionnelle.

Il est totalement faux que la « question »des limbes « fut laissée ouverte pour de plusamples recherches », puisqu’il n’y a aucunetrace de ces plus amples recherches dans lerécent document de la CTI, qui se limite àreproposer, en les amplifiant, les innova-tions déjà avancées dans leurs schémas parle père Dhanis et par Mgr Colombo. Innova-tions qui ne sont étayées par aucun argu-ment, ni dans la Sainte Écriture, ni dans laTradition, ni dans le Magistère, et aux-quelles s’applique parfaitement le jugementdu cardinal Bellarmin : « Et ceux qui imagi-nent [pour les enfants non baptisés] un autreremède que le baptême [réel] sont ouverte-ment en contradiction avec l’Évangile, lesConciles, les Pères et l’accord de l’Égliseuniverselle » (Saint R. Bellarmin, De Bap-tismo I, chap. I).

Hirpinus

Page 8: Courrier de Rome

Courrier de RomeJanvier 2008 3

Une religieuse nous écrit« J’ai lu avec intérêt le dernier numéro du

Courrier de Rome sur les Limbes. Il est siimportant de défendre cette vérité, souspeine de nuire au mystère insondable de laRédemption.

Je m’intéresse à la doctrine des limbesdepuis mon enfance parce que ma mère afait une fausse couche, mais surtout parceque j’ai été frappée par l’arrestation de lamère d’une de mes camarades de classe qui,étant sage-femme, s’était enrichie de façonillégale en pratiquant clandestinement ungrand nombre d’avortements. Son belimmeuble fut mis en vente, mais aucunacheteur ne put y habiter plus de quelquesmois, jusqu’à ce qu’un jour (vers 1975),l’un d’eux explique à mon père, qui étaitalors chauffeur, que cette maison étaitensorcelée. En effet, à une certaine heure dela nuit, on entendait des cris d’enfants, etcela rendait les nuits insupportables ! Monpère conseilla à cet homme, qui n’étaitd’ailleurs pas croyant, de faire exorciser lamaison par un bon prêtre qu’il lui indiqua.Les cris cessèrent et la famille se conver-tit… Cela me fit beaucoup réfléchir, car jen’arrivais pas à comprendre comment, pri-vés de la vision de Dieu, ces enfants pou-vaient être heureux naturellement. Puisquel’Église n’a pas tranché la question, je pré-fère l’opinion de saint Augustin (jugée sévè-re!), qui pensait que ces enfants souffrent laplus légère des peines (non pas celle dessens, mais la privation de la vision de Dieu).De plus, où se trouveront ces enfants aujugement dernier? Est-il pensable qu’ils nesoient pas présents? Voilà une question surlaquelle les théologiens devraient réfléchir.

Lettre signée

UNE OPINION ÉCARTÉEET UNE AUTRE DÉPASSÉE

Il est vrai que l’Église n’a pas encore tran-ché la question, non pas de l’existence deslimbes (an sit), jamais mise en doute, maisde leurs caractéristiques spécifiques (quo-modo sit). Et même le schéma préparé pourle dernier Concile par la Commission Théo-logique présidée par le cardinal Ottavianin’entendait pas la trancher. À la note 5, eneffet, on peut lire que l’expression généraledu schéma « Les raisons ne manquent pasde penser que ceux-ci [les enfants mortssans baptême] jouissent éternellement d’unbonheur propre à leur état » avait été étu-diée de façon à pouvoir obtenir l’accord detous les théologiens des différentes écoles,étant donné qu’elle laisse intactes les« questions discutées, c’est-à-dire la naturedes limbes, si on y éprouve une légère souf-france, en quel sens la condition de cesenfants est surnaturelle, etc. » (Acta etDocumenta Concilio Œcumenico VaticanoII apparando 2, 2 pp. 392-393).

En réalité, ce qui intéressait la Commis-

sion Théologique, plus que de résoudre lesquestiones disputatæ, c’était de fermer défi-nitivement la voie à ces hypothèses, pieusespour certaines, mais dépourvues de fonde-ment et surtout dangereuses pour le dogme,qui avaient déjà été repoussées par le Moni-tum du Saint Office du 18 février 1958(AAS 50/1958, 114). « On écarte partielle-ment le mystère des limbes. Et de cettefaçon, on commence à revoir les enseigne-ments constants du Magistère et à réinter-préter la révélation scripturale primitive »avait prévenu le futur cardinal Journet (Lavolonté divine salvifique sur les petitsenfants, p. 131).

Toutefois, s’il est vrai que l’Église n’a pasencore tranché la question, il est tout aussivrai qu’elle a montré clairement qu’elle pré-fère l’opinion plus clémente de saint-Tho-mas à celle de saint Augustin et des théolo-giens qui subirent son influence.

Pour être précis, dans l’opinion de saintAugustin, manifestée dans l’ardeur de lapolémique antipélagienne, nous devons dis-tinguer, comme notre lectrice religieuse,deux points :

1) dans les limbes, les enfants souffrent,même s’il s’agit de la souffrance la pluslégère de toutes (damnatio omnium levissi-ma), de la privation de Dieu;

2) ils souffrent aussi une peine du sens,bien que « très clémente ».

Or, ce second point est hors de question,ayant déjà été écarté par le Magistère : « lapeine du péché originel est la privation dela vision de Dieu, tandis que la peine dupéché actuel est le tourment de la géhenneperpétuelle », et il serait incompatible avecla justice divine que le péché originel« contracté sans consentement » soit punicomme le péché personnel « commis avec leconsentement » (Innocent III, Denz. 410).

Reste donc le premier point : la souffrancepar la privation de la vision de Dieu. Sur cepoint, la question est encore controversée ;saint Augustin, le cardinal Bellarmin etd’autres grands théologiens considèrent queles enfants qui sont aux limbes éprouventune légère tristesse pour la privation de lavision béatifique; saint Thomas et d’autresthéologiens affirment au contraire qu’ils nesouffrent pas et qu’ils jouissent d’uneconnaissance et d’un amour naturels deDieu. « Aucun homme sage–écrit le Doc-teur Angélique–ne s’afflige de ne pas pou-voir voler comme un oiseau, ou bien de nepas être roi ni empereur, puisque cela ne luiest pas dû, mais il s’affligerait s’il étaitprivé de ce à quoi il était préparé. Or tousles hommes dotés de libre arbitre sont pré-parés à parvenir à la vie éternelle, parcequ’ils sont en mesure de se préparer à lagrâce, par laquelle on obtient la vie éternel-le. Si donc ils ne l’obtiennent pas, ils doi-vent en éprouver une très grande douleur,parce qu’ils perdent ce qu’ils auraient puavoir [c’est la condition des damnés]. Les

LES LIMBES ET LE JUGEMENT UNIVERSELenfants, au contraire, n’ont jamais été pré-parés à obtenir la vie éternelle, puisqu’ellene leur était pas due pour des principesnaturels, dépassant toute capacité de lanature; et ils n’eurent jamais la possibilitéd’accomplir des actes propres par lesquelsobtenir un si grand bien. C’est pourquoi ilsne s’affligeront pas de l’absence de lavision de Dieu : ils jouiront même de parti-ciper en beaucoup de choses de la bontédivine et des perfections naturelles »(Summa Theologiæ Suppl. App. II a. 2).

Suarez, à son tour, dit que les enfantsmorts sans baptême aiment Dieu, d’unamour naturel, par-dessus toute chose etjouissent d’être à l’abri de tout péché et detoute souffrance (De peccatis et vitiis disp.IX sect. VI). Lessius dit qu’ils possèdentune connaissance naturelle parfaite deschoses matérielles et spirituelles qui les rendcapables d’aimer Dieu, même s’il s’agitd’un amour naturel, de le bénir et de le louerpour l’éternité, entre autres parce qu’Il leura épargné le combat terrestre, à l’issue tou-jours incertaine (De perfect. Divin. L. XII c.XXII, n. 144 ss).

Ce jugement est par la suite devenu com-mun parmi les théologiens, tant en raison del’autorité de saint Thomas que, surtout, enraison de la préférence que le Magistère del’Église lui a de plus en plus manifestée.L’opinion « sévère » de saint Augustin, surlaquelle il manifesta d’ailleurs lui-même àplusieurs reprises sa perplexité, peut doncêtre certainement considérée comme dépas-sée (cf. Pier Carlo Landucci, Les limbespour les enfants non baptisés in Palestra delClero, 15 sept. 1971, p. 1096). En fait foi leCatéchisme de saint Pie X, qui au n. 100enseigne de façon absolue que « les enfantsmorts sans baptême vont aux limbes, où ilsne jouissent pas de Dieu [comme les bien-heureux], mais où ils ne souffrent pas ».

NATUREL ET SURNATUREL

Pour comprendre comment les enfantsnon baptisés–bien que privés de la vision« face à face » de Dieu–puissent être natu-rellement heureux, il faut considérer que ledestin surnaturel de l’homme est un donabsolument gratuit parce qu’il dépassetoutes les capacités et toutes les exigencesde la nature humaine. Comme le rappellentsaint Pie X contre les modernistes(Pascendi) et Pie XII contre les néomoder-nistes (Humani Generis), Dieu aurait pu,sans lui faire aucun tort, ne pas éleverl’homme à l’état surnaturel, en le laissantdans l’état naturel et avec le destin naturelde « jouir de Lui au moyen de la connais-sance et de l’amour naturels » (Saint Tho-mas In IV Sent. L. II, dist XXX, q. 2 a.2 ad.5). Cette jouissance naturelle de Dieu estjustement la condition des enfants auxlimbes, qui, n’étant plus enfants, mais dansle plein développement de leur intelligenceet de leur volonté, « bien que séparés deDieu quant à l’union par la gloire [vision

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Courrier de Rome4 Janvier 2008béatifique directe] ne sont toutefois pastotalement séparés de Lui » (ibid.).

Telle est la raison principale pour laquellele modernisme et le néomodernisme nientl’existence des limbes : Dieu–d’après euxet contre la doctrine de l’Église–ne pourraitpas créer des êtres intelligents sans les desti-ner à la vision béatifique. Mais si cela étaitvrai, la vision « face à face » de Dieu seraitdue à la nature humaine, elle ne serait plusgratuite (grâce), mais un droit de l’homme,et elle ne serait plus surnaturelle, mais natu-relle. Ce serait ainsi la chute de l’une descolonnes du Christianisme : la distinctionentre ordre « naturel » et ordre « surnatu-rel », ce dernier terme n’apparaissantpas – et ce n’est pas un hasard – dans ledocument de Vatican II.

Au contraire, les limbes, avec leur jouis-sance naturelle de Dieu, « rappelleront tou-jours la sublime transcendance et gratuitéde la vie surnaturelle et de sa récompensedivine (Mgr Pier Carlo Landucci, art. cit.).Comme l’enfer rendra gloire à Dieu enmanifestant éternellement la justice divineet la laideur du péché, les limbes lui ren-dront gloire en manifestant dans l’éternité labonté de Dieu qui a élevé l’homme à un étatet à une fin incommensurablement supé-rieurs à son état et à sa fin naturelle.

LA TROISIÈME CATÉGORIE

Quant au jugement universel, les théolo-giens « sûrs », auxquels nous devons surtoutnous référer aujourd’hui, y ont déjà réfléchi,et depuis longtemps.

C’est vrai, l’Évangile sur le jugement der-nier parle seulement de ceux qui auront agiet ceux qui n’ont pas agi en fonction de leurvolonté libre et éclairée, et il ne dit rien deceux qui n’eurent pas la possibilité de lefaire, mais il n’est pas permis pour autantd’en déduire que cette troisième catégorien’existe pas. En attestent les documents duMagistère infaillible de l’Église, à quirevient le devoir d’expliquer le véritablesens des Écritures. Ces documents, en effet,placent toujours dans une catégorie à part,distincte des bienheureux et des damnés, lesâmes qui meurent « avec le seul péché ori-ginel », c’est-à-dire ceux qui, comme lesenfants ou les déments, n’ont pas eu la pos-sibilité d’agir ou de ne pas agir en fonctionde leur volonté libre et éclairée.

Si l’on ne fait pas mention de ces âmes aujugement universel, c’est simplement parceque ce jugement ne les concerne pas : ellesn’y seront pas jugées, parce qu’il n’y a rienà juger, n’ayant pas eu la possibilité demériter ou de démériter. Par conséquent,selon certains théologiens, les âmes deslimbes n’assisteront même pas au jugementuniversel et, ignorant le bonheur des élus,elles n’en auront aucun regret, leur volontéétant parfaitement conforme à la volontédivine, dont elles savent qu’elle est sage,juste et bonne. Tous les théologiens, en toutcas, tombent d’accord sur ceci : le texteévangélique du jugement dernier ne fait pasobstacle à la doctrine catholique sur leslimbes.

UN AVERTISSEMENT, NON PASUNE RÉVÉLATION

En conclusion, nous voulons réaffirmerque l’adoucissement progressif de la doctri-ne catholique sur les limbes concerne nonpas leur existence, mais seulement leurscaractéristiques spécifiques. En effet, l’ex-clusion de la vision béatifique des âmes quimeurent avec le seul péché originel (exclu-sion à laquelle est liée l’existence deslimbes) est professée tant par l’école la plus« sévère » (saint Augustin, saint Bellarmin,etc.) que par l’école la moins « sévère »(saint Thomas, Suarez, etc.). Il ne pouvaitpas en être autrement, car cette exclusion estune vérité de foi fondée sur la Sainte Écritu-re, sur la Tradition et sur le Magistère.

Enfin, l’épisode dont témoigne notre lec-trice religieuse, bien qu’il soit d’origine dia-bolique (puisqu’il a été vaincu par les exor-cismes), a néanmoins été permis par Dieupour un bien, c’est-à-dire, à notre avis, pouravertir les vivants de la gravité, pour l’au-delà, de l’avortement, et non pour révéler lasouffrance des enfants avortés se trouvantdans les limbes. En effet, même si subjecti-vement ils ne souffrent pas et jouissent d’unbonheur purement naturel, il n’en reste pasmoins vrai qu’objectivement, ils ont subi undommage réel par la faute de ceux qui, parl’avortement, les ont privés tant de la vieterrestre que de la possibilité de mériter parelle le bonheur surnaturel de la vision « faceà face » de Dieu.

Hirpinus Romain

1962 - RÉVOLUTION DANS L’ÉGLISEBRÈVE CHRONIQUE DE L’OCCUPATION NÉOMODERNISTE

DE L’ÉGLISE CATHOLIQUE

11 mars 2000Au cours de l’Année Sainte 2000, Jean-

Paul II félicite et bénit les participants aupèlerinage officiel du Rotary Club Inter-national pour le Jubilée, rassemblés sur leparvis de la Basilique Saint Pierre, appe-lant les rotariens « très chers frères etsœurs » 1.

Mais il se trouve que le Rotary (institu-tion fondée, comme nous l’avons déjà dit,au début du XXe siècle aux USA parl’avocat franc-maçon Paul Harris, et quiest considérée comme un vivier de nou-velles recrues pour les Loges maçon-niques) professe la laïcité absolue, l’indif-férence religieuse, et prétend moraliser lasociété, en faisant complètement abstrac-tion de l’Église, malgré ses tentatives deséduction auprès des catholiques aumoyen de rassemblements, de généreusesdonations, etc., dans un but manifeste decaptatio benevolentiæ, qui a conquis unepartie des évêques conciliaires, dont beau-coup participent aux rassemblements rota-riens.

Il s’agit donc d’une association manifes-

tement para-maçonnique qui se nourrit –etnourrit copieusement ses membres – dumême principe fondamental que celui dela franc-maçonnerie : le naturalisme, avecl’indifférence religieuse qui en découle :une « franc-maçonnerie en miniature »,pourrions-nous dire, si l’on excepte l’obli-gation du secret et les degrés d’initiation.L’Église, par le décret du Saint Office du11 janvier 1951, avait établi qu’« il n’estpas permis aux membres du clergé des’inscrire à l’Association “Rotary Club”ni de participer à ses réunions ; lesf idèles laïcs doivent être exhortés àobserver ce qui est prescrit par le canon684 du code de droit canonique » 2.

Après toutes ces années, le Rotary Clubn’a pas changé. Ce qui a changé, c’estnotre Hiérarchie.

12 mars 2000Jean-Paul II, dans la Basilique Vaticane,

demande publiquement pardon, et en mon-

1. Oss. Rom. 12 mars 2000.2. XLIII, 1951.

dovision, pour les présumées « fautes descatholiques » – qui en dernière analyse setrouvent en grande partie imputées à l’É-glise –au cours des siècles.

Toutes les calomnies déversées par vaguessuccessives sur l’Épouse mystique du Christpar ses ennemis jurés–des juifs aux protes-tants, des Lumières aux francs-maçons, deslaïcistes aux communistes – reçoivent unereconnaissance de « vérité » de la part deJean-Paul II et des cardinaux et évêques quise sont prêtés à collaborer à ce « rite ».

Les « demandes de pardon » se succè-dent de la façon suivante :

1) Confession des péchés en général ; 2)confession des fautes dans le service de lavérité ; 3) confession des péchés qui ontcompromis l’unité du Corps du Christ ; 4)confession des fautes dans les rapportsavec Israël ; 5) confession des fautes com-mises dans les comportements contrel’amour, la paix, les droits des peuples, lerespect des cultures et des religions ; 6)confession des péchés qui ont blessé ladignité de la femme et l’unité du genrehumain ; 7) confession des péchés dans le

JEAN-PAUL II, FAUTEUR DE LA « NOUVELLE THÉOLOGIE» (Suite)

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Courrier de RomeJanvier 2008 5domaine des droits fondamentaux de lapersonne.

Certains, avec une légitime ironie, sesont demandés si ce n’était pas le momentde demander aussi pardon pour le naufra-ge du Titanic et pour la défaite de l’équipeitalienne de football en Corée dans lesannées 60…

Il n’est bien sûr pas possible d’apporterici, en quelques lignes, une réfutationdétaillée de ces accusations. Il ne manquepas de textes spécifiques à cet égard, aux-quels on pourra se référer.

Nous nous contenterons de rapporter iciles remarques de Léo Moulin « professeurd’histoire et de sociologie à l’université deBruxelles pendant un demi-siècle », et« l’un des intellectuels les plus prestigieuxd’Europe », comme le déf init VittorioMessori ; mais aussi ouvertement agnos-tique (et autrefois affilié à la franc-maçon-nerie), ce qui rend ses paroles, rapportéespar Messori dans son livre Penser l’histoi-re, encore plus significatives :

« Je voudrais– lui demande Messori–quevous répétiez aux croyants une de vosconvictions, mûrie au cours d’une vie d’étu-de et d’expérience :

“Croyez-moi– répond Moulin– je suis unvieil incrédule qui sait de quoi il parle : lechef-d’œuvre de la propagande antichré-tienne est d’avoir réussi à créer chez leschrétiens, chez les catholiques surtout,une mauvaise conscience ; à leur instillerde l’embarras, quand ce n’est pas de lahonte, pour leur histoire. À force d’insis-ter, de la Réforme jusqu’à nos jours, ilsont réussi à vous convaincre d’être lesresponsables de tous les maux du monde,ou presque. Ils vous ont paralysés dansl’autocritique masochiste, pour neutrali-ser la critique de ce qui a pris votre place.

Féministes, homosexuels, tiers-mon-distes, pacifistes, représentants de toutesles minorités, contestataires et mécontentsde tous bords, scientifiques, humanistes,philosophes, écologistes, moralisteslaïques :

Vous avez accepté de payer la facture,souvent surévaluée, pour tous, presquesans discuter. Il n’y a pas de problème,d’erreur ou de souffrance de l’histoirequi ne vous aient été imputés.

Et vous, si souvent ignorants de votrepassé, vous avez fini par y croire, peut-être pour leur venir en aide. Moi aucontraire (agnostique, mais historien quicherche à être objectif) je vous dis quevous devez réagir, au nom de la vérité. Eneffet, souvent, ce n’est pas vrai. Et s’il y a

parfois du vrai, il est aussi vrai que dansun bilan de 20 siècles de christianisme, leslumières l’emportent largement sur lesombres.

Et puis : pourquoi ne pas présenter àvotre tour la facture à ceux qui vous laprésentent ? Les résultats de ce qu’il y aeu après ont-ils été meilleurs? De quelleschaires viennent les sermons que vousécoutez, tout contrits?”

Il me parle – poursuit Messori – de ceMoyen-Âge auquel il s’intéresse depuistoujours en tant qu’historien :

“Ce honteux mensonge des siècles obs-curs, parce qu’inspirés par la foi de l’É-vangile ! Pourquoi, alors, tout ce qui restede cette époque est-il d’une si fascinantebeauté et sagesse ? En histoire aussi, s’ap-plique le principe de cause et d’effet…”. »

Tout commentaire supplémentaire noussemble superflu.

En guise de conclusion sur le sujet, uneseule remarque : pendant ce « rite » papal,à chaque « demande de pardon » était allu-mée une bougie sur un grand chandelier.Sept « demandes de pardon », sept bou-gies allumées au grand chandelier.

Un chandelier à sept branches. Commela Menorah juive.

Intelligenti pauca.

Année Sainte 2000« Jubilée des jeunes » : Jean-Paul II

rencontre à Tor Vergata (Rome) des cen-taines de milliers de jeunes venant dumonde entier, qu’il appelle « l’avenir del’Église ».

C’est Ferdinand Camon, dans le quoti-dien La Nazione de Florence, qui nousexplique sans détour de quelle « Église » ils’agit véritablement, dans un article autitre plus que significatif : « Nous sommesà un virage : Dieu a changé » :

« Il ne s’agit pas ici de “nouveauxjeunes” – écrit l’éditorialiste – [...] il y abien autre chose, et c’est là-dessus qu’ilfaut porter le regard pour comprendre legrand virage que l’histoire est en train depréparer : lorsqu’on voit le genre de joiequ’ils manifestent, comment ils se confes-sent, quels sont leurs péchés, et commentils obtiennent l’absolution, on en conclutque le Catholicisme a changé lui aussi, lanotion de grâce et de péché que l’Églisetransmet, et en somme – il n’existe pasd’autre expression – le Dieu catholique achangé, par rapport à la génération pré-cédente, et encore davantage par rapportà celle d’avant. Ces jeunes catholiquesfréquentent un Dieu joyeux, compréhensif,

attentif aux vertus au sens large (payer sesimpôts, ne pas polluer, bien traiter lesétrangers, respecter le code pénal, le codecivil et le code de la route, faire carrièresans corruption, honorer son père et samère même lorsqu’on désobéit sansméchanceté, n’avoir de relations sexuellesque s’il y a de l’amour). Sur cette base,des dizaines de milliers de jeunes dumonde entier, s’approchant de l’un des 24confessionnaux installés dans chacun des13 chapiteaux, demandent et obtiennentrapidement l’absolution.

Cela n’a pas toujours été comme ça.Cela n’a jamais été comme ça. Quandétaient jeunes ceux qui maintenant sontparents, et ceux qui sont grands-parents,l’Église catholique insistait sur les vertusau sens strict, la fidélité conjugale, lachasteté personnelle, l’obéissance auxautorités religieuses et politiques [...].

[...] « On appelle “catéchèse” lesdébats sur les thèmes de la foi et sur lesdevoirs de l’Église, qui ont lieu les après-midi ou au cours des soirées de ce Jubiléedes jeunes. Le Dieu qui émerge de cettecatéchèse et le Dieu qui émergeait ducatéchisme de saint Pie X, qui est resté envigueur jusqu’au début du pontificat dePaul VI, sont deux Dieux différents parbeaucoup d’aspects inconciliables : leurdifférence, ce sont les deux notions clésde la pratique catholique, c’est-à-dire lanotion de “grâce” et la notion de“péché”.

Le Catholicisme d’hier était tragique,menaçant, inquisiteur [...] Le catholiquetendait à une plénitude des règles qu’iln’atteignait jamais. Ces jeunes catho-liques d’aujourd’hui l’ont atteinte : maisparce que ce sont d’autres règles, plussimples, plus commodes. »

Il est clair que l’on ne parle pas ici dejeunes catholiques, mais de pauvres mal-heureux dévoyés par le clergé néomoder-niste conciliaire, qui cherche à leur faireprendre pour du « catholicisme » la « reli-gion » naturaliste teilhardienne, destinée àdissoudre progressivement tous lesdogmes et la morale, à étouffer tout espritsurnaturel, et qui n’exige de ses adeptes niascèse ni pénitence.

Si ses pauvres jeunes étaient vraiment« l’avenir de l’Église », l’Église n’auraitpas d’avenir. Mais comme Dieu a assuréque « les portes de l’enfer ne prévaudrontpas », que ces messieurs modernistes fas-sent attention : s’ils continuent ainsi, cesont eux qui n’auront plus d’avenir.

Deus non irridetur.

LA CRISE GÉNÉRALE DANS L’ÉGLISENous avons, vu dans les précédents

numéros comment les adeptes de la « nou-velle théologie » avaient envahi, commeune gangrène, tous les centres du pouvoir,en marginalisant et – lorsque c’était pos-sible – en « excommuniant » les vraiscatholiques fidèles.

Nous avons vu comment, en manœu-vrant plus ou moins prudemment depuisles postes-clés de la Hiérarchie (les autressont laissés à des carriéristes, à des « équi-libristes » ou à des ingénus, dociles instru-ments entre leurs mains), ces mêmes« nouveaux théologiens », profitant de la

confiance du « peuple de Dieu », sont entrain d’installer progressivement une véri-table nouvelle religion, prétendumentcatholique, qui constituerait le « vraichristianisme » redécouvert par Vatican II.

À chaque pas en avant, on fait de grandsdiscours pour rassurer les fidèles, en sou-

Page 11: Courrier de Rome

Courrier de Rome6 Janvier 2008tenant que les nouveautés actuelles vien-nent d’un « développement » supplémen-taire et d’une « meilleure compréhension »de la doctrine d’hier, développement etcompréhension qui se sont produits – rienque ça – sous l’inspiration du « SaintEsprit » ; qu’il s’agit d’un légitime etenthousiasmant « retour aux origines » duchristianisme primitif, etc.

Le piège est encore plus difficile à déce-ler dans la mesure où l’apparat extérieurde l’Église a été intelligemment laissé àpeu près inchangé, et dans les discours desPasteurs résonnent encore des motscomme « Christ », « Évangile », « Foi »,« Eucharistie », « Charité », « Église »,« Pape », « Sacrements », etc., qui rassu-rent les auditeurs ignorants.

Mais de fait, les néomodernistes confè-rent à touts ces réalités – comme nousavons essayé de le démontrer – un senscomplètement différent du senscatholique :

- Jésus-Christ, pour, eux, n’est pas leDieu fait homme mais un simple hommequi, arrivé à la perfection, est devenuDieu ;

- les Évangiles sont des écrits de rédac-teurs anonymes qui se sont limités àrecueillir non pas ce qui s’est réellementpassé, mais les développements de ce quepensait la communauté chrétienne primiti-ve au sujet de Jésus ;

- la Foi n’est plus la vertu théologaledécrite par « l’ancien » catéchisme, maisun simple sentiment de confiance en Dieu(la « foi fiduciale » de Luther), susceptibledes modes d’expression les plus divers auniveau des doctrines et des rites religieux,continuellement variables et privés devérités fixes et immuables ;

- l’Eucharistie n’est plus le vrai Corpsdu Seigneur sous les espèces du pain et duvin consacrés pendant la messe, renouvel-lement non sanglant mais réel du Sacrificede la Croix en expiation de nos péchés,mais le symbole de la présence spirituelledu Christ parmi son peuple réuni enassemblée pour célébrer, avec son « pas-teur-président », la Résurrection (sans laPassion…) du Seigneur en en faisant sim-plement mémoire, et pour participer tousensemble à la même nourriture symbo-lique afin de promouvoir l’esprit commu-nautaire ;

- la Charité n’est plus la troisième desvertus théologales, don surnaturel de Dieuà ses fidèles, mais un simple sentiment debienveillance et de compassion naturelle,une « solidarité » envers tous les hommes,dépourvue de toute sollicitude pour leurconversion et pour leur salut éternel (qui,dans l’optique de la « nouvelle théolo-gie », est déjà garanti à tous) ;

- l’Église n’est plus la seule Églisecatholique romaine, mais ce terme englo-be aussi toutes les sectes hérétiques etschismatiques, et même toute l’humanité,qui pour les « nouveaux théologiens »,qu’elle le veuille ou non, est déjà effecti-

vement rachetée par le Christ ;

- le Pape, par conséquent, n’est plus leVicaire du Christ chargé de paître le trou-peau catholique en exerçant sa primautéde juridiction, mais le simple représentantmoral de la super-église mondiale, sonleader démocratiquement reconnu et leplus représentatif ;

- les Sacrements ne sont plus les signeseff icaces de la grâce divine, mais desimples symboles aptes à stimuler le senti-ment religieux et à souligner les momentsles plus importants de la vie personnelle etcommunautaire des fidèles de la nouvellesuper-église Catholica inaugurée par Vati-can II. Le baptême, en particulier, devientun simple rite d’initiation à la vie commu-nautaire puisque – comme l’affirment denombreux « prêtres conciliaires »– le can-didat au baptême serait en réalité « déjàsauvé », indépendamment de la réceptionde ce sacrement.

Et ainsi de suite, pour toutes les autresvérités de foi.

Le coup de maître de SatanLe « coup de maître » de Satan et des

ennemis du Christ et de son Église a étéindubitablement, comme le rappelait MgrMarcel Lefebvre, de réussir à placer sur letrône de Pierre des Papes imprégnés de« nouvelle théologie ».

Avec des Papes à la doctrine sûre, eneffet, et bien décidés à défendre la véritérévélée et le troupeau qui leur a été confié,fût-ce parfois, si nécessaire, par desmesures draconiennes, les « nouveauxthéologiens » n’auraient jamais réussi às’imposer dans l’Église. Le Concile Vati-can II aurait tout de suite été remis sur lesrails et de la Tradition bimillénaire de l’É-glise, les novateurs auraient subi un écheccuisant, comme autrefois les libéraux etles adversaires de l’infaillibilité pontifica-le au Concile œcuménique Vatican I(1870). En très grande majorité, le clergéet les fidèles auraient suivi le successeurde Pierre, et n’auraient pas été hypnotiséspar les faux prophètes du « renouveauconciliaire » qui les ont conduits à la ruine(pour ne parler que de la période allant de1969 à 1976, c’est-à-dire en seulementsept ans, 70 000 prêtres et 43 000 reli-gieux ont trahi leur vocation) 1.

Placer sur le trône de Pierre des Papesimprégnés d’idées libérales et admirateursde la « nouvelle théologie » : voilà le coupde maître, le cheval de Troie pour introdui-re la révolution dans la Cité de Dieu. Unetrouvaille géniale, après laquelle le clergé,les bonnes religieuses, les simples fidèlesallaient obéir sans broncher et sans mêmes’apercevoir qu’ils entraient dans le grandengrenage révolutionnaire. Et ainsi aujour-d’hui, abreuvée de publications moder-nistes, intoxiquée par des sermons, descatéchèses et des réunions d’aggiorna-mento d’inspiration socialo-oecuménico-

mondialiste, protestantisée par la « nou-velle messe » de Paul VI, la majorité duclergé, des religieux et des fidèles est entrain de glisser sans s’en apercevoir sur lapente du nouveau modernisme, et beau-coup d’entre eux, comme cela était déjàarrivé au XVIe siècle avec la pseudo réfor-me protestante, ont de fait déjà changé defoi, ayant abouti à une nouvelle religionsoi-disant catholique, aussi brumeuse dansla doctrine que laxiste sur la morale.

La corruption doctrinale dansles Instituts de formation du clergéDans les Universités pontificales, dans

les Séminaires et dans les Scolasticats reli-gieux, l’enseignement dispensé en théolo-gie dogmatique aux élèves, en majorité defuturs prêtres, est partout complètement etinvariablement construit sur la base de la« nouvelle théologie » (les « monstressacrés » Henri de Lubac, Hans Urs vonBalthasar et Karl Rahner se réservant lapart du lion) c’est-à-dire sur la base durelativisme dogmatique.

La morale étant fondée sur la foi, lathéologie morale enseignée dans ces insti-tuts (et sur laquelle les futurs prêtres sefonderont pour guider les âmes, aussi etsurtout dans le sacrement de pénitence)perd toute consistance en devenant plutôtune théologie immorale vague, fluctuante,laxiste et laissée en dernière analyse à l’ar-bitraire de la « conscience » individuelle,dans le sillage de pseudo-moralistes telsque Bernard Häring et ses épigones.

Dans le domaine des études bibliques, laSainte Écriture est « disséquée » et discu-tée suivant une méthode critique, aumoyen de systèmes rationalistes(méthodes de l’« histoire des formes » etde l’« histoire de la rédaction », élaboréespar des protestants rationalistes), totale-ment infondés et déjà réfutés à plusieursreprises, mais qui instillent chez lesimprudents, conf iants en leurs ensei-gnants, la notion de l’historicité de laSainte Écriture et donc aussi de la véritédes faits surnaturels qui y sont exposés.

Lorsqu’on sait que les Instituts de for-mation « produisent » depuis plus de tren-te ans des prêtres, des religieux et des laïcsprofesseurs de Religion instruits sur cesbases, on peut facilement imaginer dansquel état se trouve aujourd’hui l’Église auniveau mondial.

Les Ordres et les Congrégationsreligieuses fémininesLe même vent infernal (au sens littéral

du mot) de l’aggiornamento conciliaire afrappé aussi les religieuses des différentsordres et congrégations, avec les mêmeseffets désastreux que ceux décrits précé-demment.

Nous nous limiterons à rappeler ici,comme exemple typique de la situationactuelle, la débâcle et la reddition àl’« esprit du Concile » d’une mère Teresa,aux mérites par ailleurs indiscutables, éle-vée pratiquement au rang de symbole de lavie religieuse post-conciliaire, et proposée1. Cf. ROMANO AMERIO, Iota Unum.

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Courrier de RomeJanvier 2008 7

2. CARDINAL LAGHI, in Il Regno, 15/09/1997, p.460.

par la hiérarchie « conciliaire » commemodèle de la vie consacrée de notre temps.

Emportée elle aussi par le néomodernis-me dominant, mère Teresa avait en effetfini par renoncer à convertir et à baptiserles païens moribonds hébergés dans sesrefuges :

« Non. Les baptiser, non – avait-ellerépondu à une question en ce sens que luiavait posée le cardinal Pio Laghi, protec-teur de sa congrégation - Je ne cherchepas à convertir au christianisme mesmalades. Il est essentiel que chacun trou-ve Dieu à travers la pratique de sa reli-gion. Mais je mets un billet dans les mainsde chacun. C’est le billet d’entrée pour leparadis 2. »

Le fait que, pour mère Teresa de Calcut-ta, il n’y eût plus de différence significati-ve entre le catholicisme et fausses reli-gions apparaît clairement dans d’autresdéclarations. « Ici, il y a Dieu – avait-elleexpliqué par exemple à un visiteur quis’émerveillait de l’atmosphère de paix desa maison des mourants à Calcutta – Lescastes et les cultes ne comptent pas. Peuimporte qu’ils ne soient pas de la mêmefoi que moi. » Et encore : « J’espère réus-sir à convertir les gens. Et je n’entendspas par là ce que vous pensez. Ce quej’espère, c’est de réussir à convertir lescœurs [...]. C’est ainsi que doit être com-pris le mot conversion [...]. Si, en étant aucontact de Dieu, nous l’acceptons dansnotre vie, alors nous nous convertissons.Nous devenons de meilleurs hindouistes,de meilleurs musulmans, de meilleurscatholiques, et donc en étant meilleurs,nous nous rapprochons de Dieu. »

Les « mouvements » de laïcsLes différents mouvements de laïcs,

dans cet après-Concile, méritent aussi unaperçu rapide.

Tenus en grande estime par la Hiérarchieconciliaire comme « démonstration » de laprétendue bonté des réformes de VaticanII, à la suite duquel le Saint Esprit auraitsuscité de nouvelles forces et de nouvellesfigures charismatiques dans l’Église, aptesà la rajeunir et à la revigorer en promou-vant justement différents « chemins » devie chrétienne pour des laïcs désireux deplus d’engagement et de perfection, lesmouvements ecclésiaux se sont presquetous répandus rapidement dans le mondeentier.

Dans l’esprit de la Hiérarchie actuelle,ces mouvements sont en outre destinés àremplir une fonction de soutien dansl’œuvre de diffusion du « renouveauconciliaire », dans toutes les couches dumonde catholique. Le nombre de leursadhérents est en général élevé, mais leurétat de santé spirituelle est inquiétant.Examinons-le dans ses grandes lignes.

La glorieuse Action Catholique de

l’époque de Pie XII est désormais mécon-naissable, depuis que le tremblement deterre doctrinal de Vatican II et que le« choix religieux » de l’époque de Paul VIl’ont poussée à se retirer de la scène socia-le et politique (avec une chute impression-nante du nombre d’adhérents), tandisqu’elle s’est complètement alignée dupoint de vue doctrinal et pastoral – ce quiétait prévisible, étant donné ses liensétroits avec la Hiérarchie – sur le « nou-veau Magistère conciliaire ».

L’Opus Dei, de même que son fondateurJose-Maria Escrivà Balaguer, a été dès lecommencement en parfaite harmonie avecle Concile Vatican II, dont il avaitd’ailleurs anticipé de nombreuses « nou-veautés », en particulier en ce qui concer-ne l’esprit œcuménique (ce dont son fon-dateur et ses successeurs se sont toujoursvantés). S’il semble aujourd’hui à certainsassez « traditionaliste », c’est seulementparce qu’il a été « dépassé sur sa gauche »par les tumultueux développements post-conciliaires, mais il demeure en harmonieavec les nouveautés de Vatican II. Avectoutes les conséquences que nous avonsdéjà abondamment décrites.

Le Mouvement des Focolarini (fondépar Chiara Lubich), quant à lui, est entiè-rement fondé sur l’œcuménisme, destiné àdonner aux adhérents de ce mouvementune mentalité indifférentiste (pour laquelleune foi en vaut une autre) et mondialiste(on cherche non pas l’expansion mission-naire de l’Église, mais une union de tousles hommes sur une base philanthropiqueà laquelle on donne abusivement le nomde « charité »), et ce à commencer précisé-ment par la fondatrice, Chiara Lubich. Dansle Mouvement–dit en effet Lubich–ont étéouvertes des « écoles œcuméniques avec leconcours de professeurs de différenteséglises ». Il y a eu aussi la fondation de 19« citadelles de vie œcuménique » commu-nautaire sur les cinq continents, dans les-quelles « évangéliques [= protestants] etcatholiques ont rendu et rendent témoigna-ge par leur vie de cette unité déjà possiblefondée sur l’amour évangélique pratiquéjour après jour », et où « c’est un bonheurunique et fécond de se trouver ensembleentre chrétiens pour vivre tout ce qui déjànous unit » 3, mais où personne ne pense lemoins du monde à essayer de convertir cespauvres hérétiques, alors que tout ce quinous divise (de nombreux dogmes de foi,mais tout à fait négligeables pour les« œcuméniques conciliaires ») est toutd’abord mis au second plan, puis progres-sivement oublié. Dans le Mouvement deLubich, on finit en somme par pratiquerexactement cette « charité sans foi [c’est-à-dire sans foi catholique dogmatique],bienveillante pour les non croyants, et quiouvre à tous, hélas, le voie de l’éternelleruine », que saint Pie X, nous l’avons vu,

dénonçait comme typique des moder-nistes.

Le Mouvement néocatéchuménal,fondé par Kiko Argüello et Carmen Her-nandez, se propose comme un « chemin »de redécouverte des engagements baptis-maux, mais c’est en réalité un « chemin »de protestantisation progressive.

Les « Catéchèses » de Kiko Argüello,rigoureusement tenues secrètes, et quiconstituent la base de formation des seulscatéchistes, chargés de diriger les diffé-rentes communautés, contiennent en faitune série impressionnante d’erreurs etd’hérésies. En voici quelques-unes :

• Négation de la nécessité de l’Églisepour le salut : « Hors de l’Église il n’estpoint de salut… Dans cette phrase, com-prise juridiquement, se reflète la mentalitéde tous ceux qui vous écouteront… D’oùles extrêmes-onctions à tous les infirmes,les confessions au dernier moment, et lesbaptêmes rapides des nouveau-nés, etc.,parce que si l’Église est la seule planchede salut et que celui qui ne lui appartientpas juridiquement est condamné, c’estainsi qu’il faut faire ». Au contraire, pourM. Argüello, « l’Église primitive ne s’estjamais considérée comme la seuleplanche de salut, mais comme une mis-sion dans l’histoire », c’est pourquoi il nefaut pas vouloir ni chercher à ce que« tous y entrent ».

• Salut au sens luthérien par la seule foi,sans les œuvres : « L’homme, s’étant sépa-ré de Dieu, est resté radicalement impuis-sant à faire le bien, esclave du malin » ;« l’homme ne se sauve pas par des pra-tiques » ; « Jésus-Christ n’est aucune-ment un idéal, un modèle de vie, et iln’est pas venu nous donner l’exemple…les sacrements ne constituent pas uneaide à cette fin » ; « L’Esprit vivifiant estbien loin de pousser au perfectionnisme,aux bonnes œuvres » ; « le christianismen’exige rien de personne, il donne tout » ;etc.

Une exhortation, en somme, à péchersans remords (l’homme, pour Kikocomme pour Luther, ne peut pas résisterau péché, mais il suffit de se reconnaîtrepécheur et le Christ pardonne tout…) et àabandonner l’idée même de l’imitation duChrist, c’est-à-dire à renier l’exemple detous les saints.

• Négation de la confession commesacrement : « Dans l’Église primitive, lepardon n’était pas donné avec l’absolu-tion, mais avec la réconciliation avectoute la communauté ; « la valeur du ritene réside pas dans l’absolution, puisquenous sommes déjà pardonnés en Jésus-Christ ».

• Négation de la Messe comme sacrificeexpiatoire, et dénigrement du culte eucha-ristique : « Les discussions médiévales surle sacrifice concernaient des choses quin’existaient pas dans l’Eucharistie primi-tive,... quelqu’un qui se sacrif ie, leChrist, le sacrifice de la Croix, le Calvai-

3. C. LUBICH, relation à l’Assemblée oecumé-nique de Graz , 23-29 juin, in Il Regno,01/09/1997.

Page 13: Courrier de Rome

Courrier de Rome8 Janvier 2008

COURRIER DE ROMEÉdition en Français du Périodique Romain

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re, mais seulement un sacrifice de louan-ge » (exactement ce que disaitLuther–ndr) ; « des processions, des basi-liques grandioses… des offertoires… rem-plissent la liturgie d’idées liées à unementalité païenne ».

• À tout cela s’ajoutent la communiondans la main (et assis), et les profanationsdes fragments eucharistiques, répandussans aucun scrupule. Kiko Argüello, eneffet, tourne en dérision la foi et le cultede l’Église envers la très sainteEucharistie : « L’Église catholique devientobsédée par la présence réelle, au pointque pour elle tout est présence réelle », etque la chute de fragments eucharistiquesne doit pas inquiéter, car « ce n’est pasune question de miettes, ou de choses dece genre ».

• Enfin, l’obligation (à partir d’un cer-tain point du « chemin ») de la pratique du« témoignage », véritable confessionpublique des péchés secrets, avec le scan-dale qui s’ensuit pour les personnes pré-sentes, souvent des proches…

Les groupes du Renouveau de l’Esprit,ou « Renouveau charismatique », sontdirectement issus du protestantisme pente-côtiste.

La date de naissance du Mouvement esten effet le 13 janvier 1967, jour où deuxlaïcs catholiques américains, Ralph Kei-pher et Patrick Bourgeois, professeurs uni-versitaires de théologie, décidèrent d’allerse soumettre au rite d’imposition desmains d’un groupe de protestants de lasecte des pentecôtistes et recevoirainsi – selon leurs dires – le « Baptêmedans l’Esprit », ainsi que le « don deslangues » et autres « charismes ». Ilsconsidéraient manifestement que le sacre-ment de confirmation et l’Église catho-lique elle-même étaient incapables de leurconférer pleinement l’Esprit Saint.

Quant aux pentecôtistes protestants« remplis d’Esprit Saint », ils n’avaient, etn’ont encore, qu’un seul petit défaut : ilsprêchent – toujours sous l’inspirationdirecte de l’« Esprit Saint », bien sûr–unbon nombre d’hérésies, en affirmant parexemple que « la seule règle de foi est laBible ; l’Église doit être rejetée ; le culte dela Vierge et des saints est de l’idolâtrie ;pas de sacrement de pénitence ; pas deprésence de Jésus dans l’Eucharistie ; pasde purgatoire, etc [...], ils admettent lebaptême, mais seulement pour les adultes(comme le soutenaient déjà les anabap-tistes), et en lui niant toutefois le pouvoirde procurer la grâce ; ils acceptent la“Cène”, mais seulement comme acte sym-bolique, qui rappelle aux fidèles la deuxiè-me venue de Jésus sur la terre, avec lemillénaire suivant (comme l’affirment lesadventistes) ; ils admettent que la sainteVierge a conçu de façon virginale, mais ilsnient sa virginité après l’enfantement 4. »

À moins de penser que le même Saint-Esprit puisse révéler des chosses diffé-rentes et opposées à l’Église catholique etaux pentecôtistes–ce qui serait non seule-ment une absurdité mais aussi un blasphè-me – il n’est pas nécessaire d’être théolo-gien pour en conclure que, s’il y a vrai-ment un « esprit » qui guide la secte pen-tecôtiste, il s’agit sans aucun doute d’unesprit… qui sent le soufre.

Le fait est que, revenus à l’Univesitécatholique de Duquesne à Pittsburg, enPennsylvanie, les deux théologiens catho-liques désormais « charismatisés » par lesprotestants convainquirent certains deleurs étudiants de se soumettre au même« rite », et leur imposèrent les mains à leurtour, avec les mêmes effets (extase, « par-ler en langues », etc.). Par la suite, le mou-vement des « pentecôtistes catholiques »se répandit rapidement dans toute l’Église.

N’importe qui est en mesure de com-prendre quel genre d’« esprit » circuleaujourd’hui dans les groupes du « Renou-veau », un mouvement issu d’un péchécontre la foi, d’une insulte à l’Épousemystique du Christ.

Les « pentecôtistes catholiques », parailleurs, reconnaissent pleinement leur ori-gine protestante, si bien que, lors de leurscongrès officiels–nationaux ou internatio-naux – catholiques et protestants prienthabituellement tous ensemble, sans aucunproblème, unis sans aucune distinctiondans cet « esprit » qui finit par relativiserl’Église catholique, ses dogmes et samorale, et qui présente le protestantismecomme une forme pleinement légitime de« Christianisme » ; une forme même supé-rieure au Catholicisme, s’il est vrai quecelui qui donne est supérieur à celui quireçoit. C’est à ces conclusions que l’on nemanquera pas d’arriver, même si celaprend parfois du temps, à cause de l’inco-hérence et de la conscience de la majoritédes fidèles, exaltés par les manifestationssensibles et par l’atmosphère fortementémotive qu’ils connaissent au sein desGroupes du Renouveau (qu’ils trouventd’ailleurs, hélas, comme les autres « nou-veaux mouvements », dans leurs paroisses).

Quant à l’« esprit » (sulfureux), il luisuffit d’avoir semé les premiers germes del’indifférence religieuse (catholicisme= protestantisme). Pour le reste, il suffitd’attendre.

Quant à l’AGESCI, venant de l’unifica-tion post-conciliaire de l’ASCI (sectionmasculine des scouts catholiques d’Italie)avec l’AGI (section féminine correspon-dante), on ne voit pas comment la promis-cuité entre les deux sexes qu’elle promeutpuisse servir à une authentique croissancechrétienne des jeunes dans la chasteté.

Le Pape Pie XI résumait l’enseignementéternel de l’Église en cette matière dansson encyclique « Divini illius Magistri(31 /12 /1929) en condamnant justement la« co-éducation » garçons et des f illes(dans les écoles et ailleurs), en tant queméthode « erronée et pernicieuse pour

l’éducation chrétienne » car fondée « pourbeaucoup, sur le naturalisme négateur dupéché originel, et, pour tous les partisansde cette méthode, sur une déplorableconfusion d’idées qui confond la légitimecohabitation humaine avec la promiscuitéet l’égalité niveleuse » ; toutes « erreurstrès pernicieuses, qui sont en train de serépandre trop largement parmi le peuplechrétien avec un immense dommage pourla jeunesse. » Peu de temps auparavant, leSouverain Pontife avait condamné sévère-ment la soi-disant « éducation sexuelle »qui, comme la « co-éducation », cherchaitdéjà à se répandre dans le monde catho-lique.

Aujourd’hui, comme chacun peut levoir, dans le sillage de Vatican II (lieu dutriomphe du naturalisme des « nouveauxthéologiens ») on fait et on programmelucidement, froidement et – c’est vraimentle cas de le dire – diaboliquement tout lecontraire. La mixité est aujourd’hui unedonnée de fait dans toutes les écoles ditescatholiques, et non seulement dans lesmouvements scouts mais aussi dans ungrand nombre d’autres « Mouvements »,tandis que l’« éducation sexuelle » (ouplutôt la corruption sexuelle) est prônéetranquillement et ouvertement, avec forceimages ad hoc, même par des publicationssoi-disant « catholiques ».

A.M. (à suivre)

4. MGR F. SPADAFORA, Pentecôtistes et Témoinsde Géovah.

Page 14: Courrier de Rome

s ì s ì n o n o« Que votre OUI soit OUI, que votre NON soit NON, tout le reste vient du Malin »

(Mt 5, 37)

Le numéro 3€

Février 2008Mensuel - Nouvelle SérieAnnée XLII n° 308 (498)

seignement unanime de tous les évêquesdispersés, sous l’autorité du Pape, est l’en-seignement du Magistère ordinaire univer-sel.

Il est question de ce Magistère ordinaireuniversel dans la constitution dogmatiqueDei Filius, du Concile Vatican I. Il est ditque « l’on doit croire de foi divine etcatholique tout ce qui est contenu dans laParole de Dieu, écrite ou transmise par laTradition, et que l’Église propose à croirecomme divinement révélé, soit par unjugement solennel, soit par son Magistèreordinaire et universel » (DS 3011). Etdans la Lettre Tuas libenter du 21décembre 1862, le Pape Pie IX parle du« Magistère ordinaire de toute l’Églisedispersée dans tout l’univers » (DS 2879).Lors du Concile Vatican I, dans un dis-cours du 6 avril 1870 2, le représentantoff iciel du Pape, Mgr Martin, donne àpropos du texte de Dei Filius la précisionsuivante : « Ce mot “universel” signifie àpeu près la même chose que le motemployé par le Saint Père dans la lettreapostolique Tuas libenter, à savoir leMagistère de toute l’Église dispersée surla terre. » Il est donc clair que le Magistè-re ordinaire universel s’oppose au Magis-tère du Concile œcuménique comme leMagistère du Pape et des évêques disper-sés s’oppose au Magistère du Pape et desévêques réunis.

Or, d’une part, Vatican II est un Concileœcuménique. Et d’autre part, le Pape PaulVI a dit à deux reprises 3 que ce Concileavait évité de prononcer d’une manièreextraordinaire des dogmes comportant lanote d’infaillibilité ; le Concile a simple-ment voulu munir ses enseignements de

À PROPOS DE SAINT VINCENT DE LÉRINSDans un ouvrage tout récemment paru

en mars 2007, l’abbé Bernard Lucienconsacre six études à la question de l’auto-rité du Magistère et de l’infaillibilité. Ladernière de ces études fait la matière d’unchapitre 6 encore inédit, les cinq étudesprécédentes étant la reprise d’articles déjàpubliés dans la revue Sedes sapientiæ. Il yest dit entre autres : « Ce que nous soute-nons ici et que divers auteurs “traditiona-listes” nient, c’est que l’infaillibilité duMagistère ordinaire universel couvre l’af-firmation centrale de Dignitatis humanæ,affirmation contenue dans le premier para-graphe de DH, 2 et que nous rappelons :“Le Concile du Vatican déclare que la per-sonne humaine a droit à la liberté religieu-se. Cette liberté consiste en ce que tous leshommes doivent être soustraits à toutecontrainte de la part tant des individus quedes groupes sociaux et de quelque pouvoirhumain que ce soit, de telle sorte qu’enmatière religieuse nul ne soit forcé d’agircontre sa conscience ni empêché d’agir,dans de justes limites, selon sa conscience,en privé comme en public, seul ou associéà d’autres. Il déclare, en outre, que le droità la liberté religieuse a son fondementdans la dignité même de la personnehumaine telle que l’ont fait connaître laparole de Dieu et la raison elle-même” 1. »

1) La liberté religieuse :un enseignement infaillible

du Magistère ordinaire universel ?L’abbé Lucien affirme ici que l’ensei-

gnement du Concile Vatican II sur la liber-té religieuse est un enseignementinfaillible parce qu’il équivaut à un ensei-gnement du Magistère ordinaire universel.

Nous savons que le Pape peut exercer leMagistère de manière infaillible et qu’il lefait tantôt seul tantôt avec les évêques.

Cette infaillibilité est une propriété quiconcerne précisément un certain exercicede l’autorité. On peut ainsi distinguer troiscirconstances uniques dans lesquelles l’au-torité suprême jouit de l’infaillibilité. Il ya l’acte de la personne physique du Papequi parle seul ex cathedra ; il y a l’acte dela personne morale du Concile œcumé-nique, qui est la réunion physique du Papeet des évêques ; il y a l’ensemble des actes,unanimes et simultanés, qui émanent detous les pasteurs de l’Église, le Pape et lesévêques, mais dispersés et non plus réunis.L’enseignement du Pape parlant ex cathe-dra et celui du Concile œcuménique cor-respondent à l’infaillibilité du Magistèresolennel ou extraordinaire, tandis que l’en-

1. ABBÉ BERNARD LUCIEN, Les degrés d’autorité duMagistère, La Nef, 2007, p. 160.

2. Mansi, tome 51, colonne 322.3. « Discours de clôture du Concile, le 7 décembre1965 » dans DC n° 1462 (2 janvier 1966), col. 64;« Audience du 12 janvier 1966 » dans DC n° 1466(6 mars 1966), col. 418-420.

LE « COURRIER DE ROME »a la douleur de vous faire part

du rappel à Dieu le19 février 2008de

Monsieur Roger BouletDirecteur du Courrier de Rome

Le Courrier de Rome doit beaucoup àMonsieur Roger Boulet. Il en a été ledirecteur et l’animateur à partir de1992, mais aussi traducteur jusqu’en2002. Monsieur Roger Boulet a parailleurs été à l’origine des publica-tions du Courrier de Rome.

et de

Monsieur Yves Roulleaux DugageCollaborateur du Courrier de Rome

Très dévoué et fidèle collaborateur,Monsieur Roulleaux Dugage assuraitla diffusion du Courrier de Romeauprès de la presse.

Nous recommandons le repos de leursâmes à vos prières

Requiescant in pace !

Page 15: Courrier de Rome

Courrier de Rome2 Février 2008

l’autorité du Magistère ordinaire suprême,manifestement authentique 4. Il est doncclair, là encore, que les enseignements duConcile Vatican II ne correspondent pas àl’enseignement d’un Magistère infaillible :bien que Vatican II, comme tout Concileœcuménique légitimement convoqué, aitpu représenter l’organe d’un enseigne-ment du Magistère solennel, il n’a pasvoulu s’exercer comme tel et c’est pour-quoi, comme l’affirme Paul VI, ses ensei-gnements n’ont pas la portée des dogmessolennellement définis ; ce ne sont pasnon plus les enseignements du Magistèreordinaire universel puisque par définition leConcile œcuménique ne correspond pas àcette catégorie de Magistère.

L’abbé Lucien prétend le contraire :selon lui, le Magistère ordinaire universelinfaillible peut s’exercer aussi bienlorsque les évêques et le Pape sont disper-sés que lorsqu’ils sont réunis en Concile.Dans cette hypothèse, un Concile œcumé-nique pourrait donc exercer les deuxsortes d’enseignement magistérielinfaillible : celui du Magistère solennel etcelui du Magistère ordinaire universel.Puisque les déclarations de Paul VIexcluent la possibilité d’un enseignementdu Magistère solennel à Vatican II, si l’ontient à ce que ces enseignements soientinfaillibles, il ne reste plus qu’à y voirl’enseignement du Magistère ordinaireuniversel.

2) De Pie IX à Vatican II :rupture ou continuité ?

Nous pourrions déjà contester la thèsede l’abbé Lucien sur ce point, car lesdéclarations du Concile Vatican I et duPape Pie IX montrent bien qu’il existe unedifférence radicale entre l’infaillibilité duConcile et celle du Magistère ordinaireuniversel. Mais il y a plus grave.

L’abbé Lucien ne nous dit pas s’il voitaujourd’hui 5 une contradiction avéréeentre le texte de Dignitatis humanæ etQuanta cura, entre Vatican II et l’ensei-gnement de la doctrine traditionnelle.L’actuel successeur de saint Pierre, le PapeBenoît XVI, ne lui reprocherait sans doutepas de voir cette opposition entre VaticanII et Pie IX, puisque tel était le constatqu’il faisait lui-même, dans l’épilogue deson livre paru en 1982, Les Principes dela théologie catholique 6. Alors encore

cardinal, Joseph Ratzinger affirmait eneffet, « avec la vigueur et la clarté théolo-gique qu’on lui connaît » 7, cette opposi-tion formelle et irrémédiable. Expliquantcomment la constitution pastorale sur l’É-glise dans le monde de ce temps (Gau-dium et spes) « a été considérée de plus enplus après le Concile comme le véritabletestament » de Vatican II 8, le futur PapeBenoît XVI faisait observer que « si l’oncherche un diagnostic global du texte, onpourrait dire qu’il est (en liaison avec lestextes sur la liberté religieuse et sur lesreligions du monde) une révision du Sylla-bus de Pie IX, une sorte de contre-Sylla-bus » 9. En effet, « le texte joue le rôled’un contre-Syllabus dans la mesure où ilreprésente une tentative pour une réconci-liation officielle de l’Église avec le mondetel qu’il était devenu depuis 1789 » 10.

Mais même s’il ne nie pas explicitementcette contradiction, l’abbé Lucienconstruit tout son raisonnement pour affir-mer, à l’opposé de la rupture, la continuitéla plus entière entre Vatican II et Pie IX,entre l’enseignement du Concile sur laliberté religieuse et la Tradition antérieure.

3) Le canon de saint Vincent deLérins à la rescousse de

Dignitatis humanæ?En effet, si l’on veut aff irmer cette

continuité, il devient nécessaire de voirdans les enseignements de Vatican II uneexplicitation des vérités qui auraient étéjusqu’ici contenues à l’état confus etimplicite dans la prédication de l’Église 11.Or, nous le voyons bien, c’est cette derniè-re démarche qui inspire d’un bout à l’autretoute l’étude de 2007 : l’abbé Lucieninsiste longuement sur cette question dupassage de l’implicite à l’explicite dans laprédication de l’Église. On peut s’enrendre compte en voyant le soin et le luxede références, qu’il emploie pendant unevingtaine de pages 12, afin d’établir la véri-table portée du canon de saint Vincent deLérins. Nous retrouvons là presque motpour mot l’étude déjà publiée 26 ans aupa-ravant 13. Et c’est justement bien là lenœud du problème que notre auteur s’est

donné à résoudre : pour nier la contradic-tion entre Quanta cura de Pie IX et Digni-tatis humanæ de Vatican II, il lui est indis-pensable de voir dans ce dernier documentune explicitation du premier. Vatican IIaurait ainsi enseigné, pour reprendre l’ex-pression de saint Vincent de Lérins, « nonnova sed nove », non pas des vérités diffé-rentes, mais la même vérité présentée endes termes différents, c’est-à-dire de façonplus précise. L’abbé Lucien veut prouverque l’enseignement de Vatican II sur laliberté religieuse est une explicitation dog-matique de l’enseignement de Pie IX, unenseignement parfaitement homogène à laTradition.

4) La véritable signification ducanon de saint Vincent de Lérins

Mais c’est en pure perte… Le canon desaint Vincent de Lérins est sans aucundoute digne d’un grand intérêt. Ce n’estd’ailleurs pas pour rien que le cardinalJean-Baptiste Franzelin a consacré lesdeux thèses 23 et 24 de son célèbre traitéSur la tradition divine à cette exégèse ducanon lérinien. Il est vrai que l’on peut seméprendre sur sa véritable portée : la lec-ture n’en est pas aussi facile qu’on pour-rait le penser. L’abbé Lucien pense que lestraditionalistes ont fait de ce texte unemauvaise lecture, et que la bonne lecturecondamnerait leur refus du Concile. Rienn’est plus faux. Même si on a bien saisi laportée du Commonitorium, on n’y trouverien qui autorise à voir dans Vatican II uneexplicitation légitime des données de laTradition. Tout au contraire, le critère du« ubique et semper » justifie parfaitementl’attitude de Mgr Lefebvre et de tous ceuxqui ont cru bon de refuser les enseigne-ments du Concile. La question n’est doncpas là ; il suffirait de rétorquer à l’abbéLucien en invoquant l’adage bien connu :magni passus sed extra viam.

4.1) La règle du CommonitoriumSaint Vincent de Lérins énonce sa

fameuse règle en ces termes : « Dans l’É-glise catholique elle-même, il faut veillersoigneusement à s’en tenir à ce qui a étécru partout, toujours, et par tous. Car c’estcela qui est véritablement et proprementcatholique. […] Et il en sera ainsi si noussuivons l’universalité, l’antiquité, l’accordunanime » 14. Comme le remarque Franze-lin 15, cette règle pourrait s’entendre dansun sens à la fois affirmatif et exclusif detoute la vérité - et seulement de la vérité -crue, partout, toujours, et par tous. Maisdans l’esprit de saint Vincent de Lérins,cet adage doit s’entendre dans un sensseulement affirmatif, et non pas exclusif,des vérités crues explicitement. Toutes lesvérités qui réclament aujourd’hui unecroyance explicite de la part des membres

4. Par cette expression de « Magistère authen-tique », les théologiens entendent aujourd’hui com-munément l’enseignement d’un Magistère noninfaillible.5. Dans une étude précédente de 1988, l’abbé Ber-nard Lucien voyait la contradiction : « Nous ne pou-vons que conclure à la réalité de la contradictionentre Dignitatis humanæ et Quanta cura. […] Larupture de Vatican II par rapport à la doctrine tradi-tionnelle sur la question de la liberté religieuse estdonc avérée » (ABBÉ BERNARD LUCIEN, GrégoireXVI, Pie IX et Vatican II-Études sur la liberté reli-gieuse dans la doctrine catholique, Éd. « Forts dansla foi », 1990, p. 295 et 296).6. CARDINAL JOSEPH RATZINGER, Les Principes de la

théologie catholique. Esquisse et matériaux, Téqui,1982, p. 423-440.7. ABBÉ BERNARD LUCIEN, Les degrés d’autorité duMagistère, La Nef, 2007, p. 178.8. CARDINAL JOSEPH RATZINGER, Les Principes de lathéologie catholique. Esquisse et matériaux, Téqui,1982, p. 423.9. Ibidem, p. 426-427.10. Ibidem, p. 427.11. La thèse du PÈRE BASILE du Barroux va elleaussi dans ce sens.12. ABBÉ BERNARD LUCIEN, Les degrés d’autoritédu Magistère, La Nef, 2007, p. 137-158.13. Abbé Bernard Lucien, « Le canon de saint Vin-cent de Lérins » dans Cahiers de Cassiciacum, n° 6(mai 1981), p. 83-96. L’auteur ne fait d’ailleurs en2007 aucun mystère de cette reprise : voir la note 1du chapitre 6 dans Les degrés d’autorité du Magis-tère, p. 213.

14. SAINT VINCENT DE LÉRINS, Commonitorium,livre 1, n° 2 dans la Patrologie latine de Migne, t.50, col. 640.15. CARDINAL JEAN-BAPTISTE FRANZELIN, De divinaTraditione, Rome (4e édition), 1896, thèse 24, p.267-269.

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Courrier de RomeFévrier 2008 3

de l’Église ont toutes été crues partout,toujours, et par tous ; mais elles l’ont étéd’une manière ou d’une autre, explicite-ment ou implicitement. Il ne s’ensuitdonc pas que seules les vérités qui ont étécrues, partout, toujours, et par tous demanière explicite peuvent et doivents’imposer aujourd’hui à la croyance expli-cite dans l’Église. D’autres vérités ontd’abord été crues de façon seulementimplicite, et pas toujours - ni partout ni partous - de manière explicite, avant de fairel’objet d’une croyance explicite et unani-me. C’est par exemple le cas de la véritéde l’Immaculée Conception : cette vérité atoujours été professée implicitement avecla plénitude de grâce dont il est questionen Lc, 1 /28 et on peut dire à ce titre qu’el-le a toujours été retenue dans la foi de l’É-glise ; mais son explicitation a connu lespéripéties que l’on sait, jusqu’à l’actedécisif de Pie IX, avec la bulle IneffabilisDeus de 1854.

4.2) L’explication de FranzelinFranzelin explique en détails cette diffé-

rence entre la croyance explicite ou impli-cite, dans la thèse 23 16. « Il y a une diffé-rence entre les vérités révélées, et celamontre qu’il n’est ni nécessaire ni souhai-table que toutes les vérités révélées soientcontenues d’une seule et même manièredans la prédication des apôtres et dans toutle cours de la tradition. » Les vérités dontla croyance explicite s’imposait tout desuite à tous furent prêchées et transmisesdès les origines apostoliques de manièreexplicite. Ce sont les principaux mystèresde la foi catholique, qui correspondent auxdouze articles du Credo. Mais, remarqueFranzelin, ces vérités révélées explicite-ment possèdent une grande fécondité :« Elles peuvent correspondre d’une infini-té de manières aux exigences des diffé-rentes époques. Elles s’opposent auxerreurs fort diverses, que la faiblesse ou laperversité humaines peuvent inventer. Lachose est donc claire : aucun des dogmesrévélés ne fut ni proposé ni énoncé par lesapôtres de façon à expliciter toutes ces dif-férentes virtualités, et c’eût été morale-ment impossible. Cela était d’autant moinsnécessaire que, comme le Christ l’avaitpromis et institué, les successeurs desapôtres devaient recevoir, en même tempsque le dogme, le charisme de l’infaillibili-té, pour pouvoir répondre aux exigencesde chaque époque en proposant et expli-quant les vérités révélées. »

Toute la prédication de l’Église est déjàen germe dans la prédication des apôtres ;mais de même que le germe n’est pasencore le fruit mûr, ainsi la prédication desapôtres n’a pas proposé à l’état explicitetoutes les vérités nécessaires à la croyancede l’Église. Comme le remarque aussi lecardinal Billot, « l’infaillibilité de la Tra-dition n’exige pas le moins du monde que,

sans distinction, toutes et chacune desvérités qui font objectivement partie dudépôt de la foi doivent à chaque époquebriller de tout leur éclat sur le chandelierde l’Église enseignante, au point que touspourraient voir distinctement et explicite-ment les marques de telle ou telle vérité.Et donc il ne s’ensuit pas non plus qu’iln’y ait jamais pu se rencontrer quelquevérité au sujet de laquelle ait pu exister àun moment ou à un autre une diversitéd’interprétation ou d’opinion à l’intérieurmême du bercail de l’unité et de la com-munion catholique » 17.

Dans la thèse 9, Franzelin résume ainsicette règle de saint Vincent de Lérins :« Les enseignements de la Tradition quetous doivent croire explicitement ont tou-jours rencontré une adhésion parfaitementunanime 18. Cependant, la révélationobjective peut renfermer des points dedoctrine qui, à un moment ou à un autre,n’aient pas suscité une unanimité assezparlante ou qui en réalité n’aient mêmepas fait l’unanimité 19. C’est pourquoi, ilest impossible qu’une doctrine révélée,après avoir été unanimement défendue etexplicitement professée parmi les succes-seurs des apôtres, en vienne à être niée àl’intérieur de l’Église. Et réciproquement,il est impossible qu’une doctrine, aprèsavoir été niée et condamnée à l’unanimité,soit défendue. Mais il peut arriver quel’unanimité la plus parfaite se produiseaprès qu’une doctrine a suscité des avisdifférents 20. » Nous avons un critère néga-tif : la prédication actuelle explicite del’Église ne peut pas nier la prédicationpassée explicite.

4.3) Application au cas :la liberté religieuse

Pour ne donner qu’un seul exemple, lacondamnation de la liberté de conscienceet de culte n’apparaîtra de manière explici-te dans les textes du Magistère qu’à partirdu moment où, pour reprendre l’expres-sion de Franzelin, la faiblesse et la perver-sité humaines auront mis au point cetteerreur pernicieuse. Le Pape Grégoire XVIsera quasiment 21 le premier à dénoncercette erreur dans l’encyclique Mirari vos,le 15 août 1832. Dès lors, la réprobations’imposera à l’adhésion explicite de tousles fidèles catholiques. Les successeurs deGrégoire XVI au XIXe siècle, de Pie IX

(avec Quanta Cura) à Léon XIII (avecl’encyclique Immortale Dei) se ferontl’écho constant de cet enseignement 22. Enparticulier, l’encyclique Quanta cura du 8décembre 1864 (DS 2896) correspond àun acte du Magistère solennel, revêtu desnotes de l’infaillibilité ex cathedra 23. Àpartir de ce moment où le Magistère pro-pose une vérité avec toute la précisionrequise, remarque encore Franzelin, « laquestion étant clarif iée, ce dogme faitdésormais partie de la croyance catho-lique explicite et de la prédication ouvertede l’Église. Avec ce consensus avéré etcette prédication explicite, le dogme nepeut plus faire l’objet d’un désaccord oud’un obscurcissement à l’intérieur de l’É-glise. C’est pourquoi, dans la bulle Aucto-rem fidei, le Pape Pie VI a condamnécomme hérétique la première propositiondu synode de Pistoie, disant : “Dans cesderniers siècles un obscurcissement géné-ral a été répandu sur des vérités de grandeimportance relatives à la religion et quisont la base de la foi et de la doctrine

16. CARDINAL JEAN-BAPTISTE FRANZELIN, De divinaTraditione, Rome (4e édition), 1896, thèse 23, p.259-260.

17. CARDINAL LOUIS BILLOT, Tradition et modernis-me - De l’immuable tradition contre la nouvellehérésie de l’évolutionnisme, Courrier de Rome,2007, n° 55, p. 4118. SAINT AUGUSTIN, Contre Julien, livre 1, chapitre7, n° 31 dans PL, 44/662.19. SAINT AUGUSTIN, Contre Julien, livre 1, chapitre6, n° 22 dans PL, 44/655-656.20. CARDINAL JEAN-BAPTISTE FRANZELIN, De divinaTraditione, Rome (4e édition), 1896, thèse 9, 2e

corollaire, p. 82.21. Le PAPE PIE VII avait déjà condamné la mêmeerreur dans sa Lettre apostolique Post tam diuturni-tas du 29 avril 1814.

22. Voir MGR LEFEBVRE, Mes doutes sur la libertéreligieuse, Clovis, 2000, p. 47-54.23. Voir CARDINAL LOUIS BILLOT, De Ecclesia,Rome (4e édition), 1921, question 14, thèse 31, § 1,n° 2, p. 635; RÉVÉREND PÈRE DUBLANCHY, « Infailli-bilité » dans le Dictionnaire de théologie catholique,t. 7, col. 1703-1704; MGR LEFEBVRE, Mes doutessur la liberté religieuse, Clovis, 2000, p. 54-56.

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Courrier de Rome4 Février 2008

morale de Jésus Christ” 24. » 25

Aucun consensus opposé à cette croyan-ce devenue explicite ne saurait désormaisprévaloir. Nous pouvons appliquer ici larègle énoncée plus haut par Franzelin :« Il est impossible qu’une doctrine, aprèsavoir été niée et condamnée à l’unanimité,soit défendue 26. » Cela se vérifie à pro-pos de la vérité prêchée par les Papesdepuis le XIXe siècle : dans leurs ensei-gnements, la liberté religieuse est explici-tement et déf initivement condamnéecomme une erreur contraire au dépôt de larévélation divine. Il est désormais impos-sible d’enseigner la liberté religieuse sansse mettre en contradiction formelle avecle dépôt de la foi.

5) Le sophisme de l’abbé LucienNous avons donné cet exemple à des-

sein. Il montre pourquoi nous ne pouvonspas suivre l’abbé Lucien dans son analyse.L’explication qu’il donne du canon desaint Vincent de Lérins est reprise du traitéde Franzelin, elle est hors de conteste.Mais loin d’entamer l’argumentation de laFraternité Saint Pie X, elle vient plutôt laconfirmer. L’enseignement de Vatican IIsur la liberté religieuse, tel qu’il figuredans la déclaration Dignitatis humanæ, esten opposition formelle avec la prédicationconstante et explicite de l’Église, depuisles Papes Grégoire XVI et Pie IX. Elle nesaurait en aucune manière fonder unconsensus légitime ni prévaloir contrecette doctrine traditionnelle. Le consensusactuel et unanime de la prédication expli-cite de l’Église est bien ce qui définit l’ac-te d’enseignement du Magistère ordinaireuniversel. Mais la prédication issue deVatican II ne peut y prétendre, puisqu’ellecontredit ce qui a été cru de manière expli-cite toujours, partout et par tous, depuis lemilieu du XIXe siècle.

6) Le Magistère ordinaire universel,organe de la Tradition

On pourrait cependant objecter quedepuis maintenant quarante ans, l’en-semble du corps épiscopal enseignant dis-persé, comprenant le Pape et les évêquesrésidentiels - ordinaires d’un diocèse -enseigne à l’unanimité le principe de laliberté religieuse. N’y aurait-il pas là, endehors du Concile Vatican II proprementdit mais en continuité avec lui, l’expres-sion du Magistère ordinaire universelinfaillible ? L’enseignement infaillible dupost-Concile ferait ainsi écho à l’enseigne-ment authentique du Concile.

Pour répondre complètement à l’objec-tion, remarquons encore ceci. Pour être

universel, l’enseignement du Magistèreordinaire du corps épiscopal dispersé doitremplir deux conditions. Il doit y avoiruniversalité actuelle dans l’espace ou una-nimité ; il doit y avoir universalité dans letemps ou constance. Les deux, l’unanimitéet la constance, sont requis à l’universalitéqui déf init formellement ce Magistèreordinaire.

6.1) Les deux propriétés constitutives :unanimité et constance

L’universalité actuelle dans l’espaceconcerne le sujet enseignant : c’est pour-quoi c’est une universalité qui a lieu dansl’espace seulement et non dans le temps.Le Magistère ordinaire universel est de cepoint de vue l’enseignement du corps épis-copal prêchant de vive voix ; l’unanimitédont il résulte est l’unanimité des évêquesde l’instant présent de l’histoire, hic etnunc. Si en se plaçant du point de vue dusujet, on dit que ce Magistère est l’unani-mité de tous les évêques et de tous lesPapes depuis saint Pierre et les apôtres, ondétruit ipso facto la notion même deMagistère ordinaire, prêchant de vive voix.

La constance, en revanche, concernel’objet enseigné : c’est une universalitéqui est non seulement dans l’espace maisaussi dans le temps. Le Magistère ordinai-re universel est la proposition de la doctri-ne révélée. Or, cette doctrine estimmuable substantiellement, ce qui veutdire qu’elle demeure inchangée à la foisdans le temps et dans l’espace, non seule-ment d’un bout à l’autre de la planète,mais aussi d’un bout à l’autre de l’histoi-re. Le Magistère ordinaire est par défini-tion un Magistère traditionnel : c’est unMagistère qui prêche aujourd’hui et quine peut pas être en désaccord avec leMagistère d’hier, comme le dit saint Pauldans l’épître aux Galates, chapitre 1, ver-sets 8-9 : « S’il arrivait que nous-mêmesou un ange venu du ciel vous enseignionsautre chose que ce que je vous ai ensei-gné, qu’il soit anathème. » Saint Paul ditici trois choses. Premièrement, il dis-tingue entre deux prédications explicites,la prédication passée du Magistère d’hieret la prédication actuelle du Magistèred’aujourd’hui. Deuxièmement, il préciseque ces deux prédications explicites sontaccomplies par ceux qui remplissent lamême fonction du même Magistère ecclé-siastique, saint Paul lui-même et tous sessuccesseurs dans l’épiscopat. Troisième-ment, saint Paul ajoute que ces deux pré-dications explicites ne peuvent pas secontredire ; s’il y a une contradiction entrela prédication actuelle et la prédicationpassée, on doit en conclure que la prédi-cation actuelle n’est pas la prédication duMagistère ecclésiastique. Et l’enseigne-ment du Concile Vatican I, dans la consti-tution Dei Filius, ne fait que répéter ceque dit saint Paul : « Si quelqu’un dit qu’ilest possible que les dogmes proposés parl’Église se voient donner parfois, par suitedu progrès de la science, un sens diffé-rent de celui que l’Église a compris etcomprend encore, qu’il soit anathème 27. »

Ces deux propriétés constitutives sontobservables dans la réalité : elles parlentaux yeux des fidèles et leur permettent dereconnaître l’infaillibilité d’une prédica-tion. C’est pourquoi l’unanimité actuelleet la constance ne sont pas seulement deséléments qui rentrent dans la définition decette prédication ; ce sont aussi des critèresde visibilité. Mais il y a un ordre entreles deux. Car le critère de l’unanimitéactuelle dépend du critère de la constance.Si les pasteurs son actuellement unanimes,c’est parce que leur enseignement est l’en-seignement constant d’un seul et mêmedépôt de la foi, inaltérable.

6.2) Le critère de l’unanimité actuelleIl est vrai que par rapport à nous, l’una-

nimité actuelle dans l’espace, au niveau dusujet enseignant, constitue un critère devisibilité. Franzelin l’explique d’ailleursdans la thèse 9 de son De Traditione :« Lorsqu’on est certain qu’existe, avecson autorité, le Magistère toujours vivantqui est l’organe établi pour conserver laTradition, il suff it de démontrer quel’unanimité de la foi se réalise à uneépoque ou à une autre chez les succes-seurs des apôtres pour pouvoir établirsolidement qu’un point de doctrine faitpartie de la révélation divine et de la tra-dition apostolique 28. »

Nous avons un exemple de l’utilisationde ce critère chez le Pape Pie XII. Dans labulle Magnificentissimus Deus du 1er

novembre 1950, définissant le dogme del’Assomption, le Pape fait allusion à laconsultation qui avait eu lieu précédem-ment, le 1er mai 1946, et où il s’était effor-cé de vérifier que la vérité de l’Assomp-tion faisait l’objet de la prédication actuel-le unanime des pasteurs dans l’Église.« Cet accord remarquable des évêques etdes f idèles catholiques », dit Pie XII,« nous offre l’accord de l’enseignement duMagistère ordinaire de l’Église et de la foiconcordante du peuple chrétien, que lemême Magistère soutient et dirige, etmanifeste donc par lui même et d’unefaçon tout à fait certaine et exempte detoute erreur, que ce privilège est une véritérévélée par Dieu et contenue dans le dépôtdivin confié par le Christ à son Épousepour qu’elle le garde fidèlement et le fasseconnaître d’une façon infaillible. »

Ce critère est d’abord négatif : la doctri-ne n’est contestée par personne à l’inté-rieur de l’Église et il n’y a pas de divergen-ce entre les évêques. Mais ce critère estaussi positif : les pasteurs utilisent tous lesmêmes expressions (par exemple, en 1946,lorsque Pie XII les consulte ils parlent tousde l’« Assomption de la Mère de Dieu »ou bien ils disent tous que « la Mère deDieu a été élevée en son corps et en sonâme dans la gloire »), ils citent tous lesmêmes lieux apodictiques d’autorité (Écri-

24. PIE VI, bulle Auctorem fidei du 28 août 1794dans DS 2601.25. CARDINAL JEAN-BAPTISTE FRANZELIN, De divinaTraditione, Rome (4e édition), 1896, thèse 23, p.264-265.26. CARDINAL JEAN-BAPTISTE FRANZELIN, De divinaTraditione, Rome (4e édition), 1896, thèse 9, 2e

corollaire, p. 82. Voir aussi la thèse 23, p. 266.

27. Canon 3 du chapitre 4 dans DS 3043.28. CARDINAL JEAN-BAPTISTE FRANZELIN, De divinaTraditione, Rome (4e édition), 1896, thèse 9, 1er

corollaire, p. 82.

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Courrier de RomeFévrier 2008 5

ture, Tradition), ils se citent mutuellementet en particulier ils font tous référence aumême enseignement du souverain pontifedonné dans un texte de référence. Moyen-nant tous ces signes, on constate l’unani-mité et on en conclut à la prédicationinfaillible du Magistère ordinaire universel

6.3) Le critère de la constancea) Un Magistère constant parce que

traditionnel

Cependant, la prédication du Magistèreordinaire universel ne se réduit pas à unsujet enseignant ; c’est un acte d’ensei-gnement, qui suppose à la fois un sujetenseignant et un objet enseigné. Et cetobjet enseigné obéit à des règles très pré-cises. Car l’acte d’enseignement duMagistère ecclésiastique a pour propriétéessentielle d’être celui d’un Magistère tra-ditionnel : c’est un enseignement dont lesujet doit proposer toujours le mêmeobjet substantiel. C’est pourquoi, si onprend les choses non seulement par rap-port à nous mais aussi en soi, l’universali-té au niveau de l’objet, la constance dansle temps, précède et règle l’universalité auniveau du sujet, l’unanimité dans l’espace,car c’est d’abord l’objet enseigné qui défi-nit un acte d’enseignement. Or, le Magis-tère ecclésiastique est une fonction d’en-seignement très particulière, car elle apour objet de conserver et de transmettresans aucun changement substantiel ledépôt inaltérable des vérités déjà révéléeset attestées par Jésus-Christ.

Et cela entraîne deux conséquences. Pre-mièrement, ce Magistère traditionnel del’Église se distingue du Magistère scienti-fique, car ce dernier procède par voie derecherche, et a pour objet de découvrir denouvelles vérités, tandis que le premiern’a pas pour objet de découvrir de nou-velles vérités et doit à l’inverse trans-mettre la vérité définitivement révélée,sans changement substantiel possible.Mais deuxièmement, le Magistère tradi-tionnel de l’Église se distingue aussi duMagistère fondateur du Christ et desapôtres. Ce dernier atteste la vérité pour latoute première fois, car il la révèle et c’estpourquoi sa parole vaut par elle-même,sans que l’on puisse la juger en fonctiond’une parole précédente. À l’inverse, leMagistère ecclésiastique atteste la véritédéjà attestée par le Christ et les apôtres, iltémoigne d’un témoignage, et c’est pour-quoi sa parole vaut si et seulement si ellereste fidèle à la parole du Christ et desapôtres, déjà bien connue de tous, neserait-ce qu’avec le symbole des apôtres etla substance du catéchisme. La parole duMagistère vaut si elle propose avecconstance le même dépôt de la révélationdivine et apostolique.

b) Le critère de la constance, pierre detouche de l’unanimité actuelle

C’est pourquoi les évêques ne peuventpas être actuellement unanimes, en accordformel d’évêques, c’est-à-dire de façon àconstituer le corps enseignant infaillibledu Magistère ordinaire universel, s’ils nesont pas d’abord en accord avec toute la

Tradition explicite qui a précédé dans lepassé, en continuant à transmettre lemême dépôt révélé. C’est encore Franzelinqui le remarque, toujours dans la thèse 9de son De Traditione. Si l’on observe quedans la prédication des hommes d’Église« un changement s’est introduit dans laprofession de foi qui faisait jusqu’ici l’ob-jet d’une adhésion unanime, le oui rempla-çant le non ou réciproquement », par lefait même cette prédication « n’est pluscelle de l’Église du Christ » 29. Laconstance de l’enseignement est à la basede l’unanimité des enseignants. Et nousvoyons bien qu’au moment même duConcile Vatican II (et depuis) le décret surla liberté religieuse n’a pas fait l’unanimi-té chez les pasteurs 30…

Cette continuité dans un même ensei-gnement substantiellement immuable estconstatable, même par la simple raisonnaturelle. À plus forte raison serait aussiconstatable par la raison une éventuellediscontinuité dans cet enseignement. Ilsuffit pour cela d’user des simples règlesde la logique : un journaliste (même noncatholique) est parfaitement capable de serendre compte si le Pape innove, encontredisant ses prédécesseurs. De fait,bien des observateurs, pourtant acatho-liques, ont saisi la portée de l’aggiorna-mento de Vatican II, ne serait-ce qu’ensaluant la déclaration sur la liberté reli-gieuse comme une nouveauté sans précé-dent : enfin, disait-on, l’Église sortait deson obscurantisme rétrograde et donnaitdroit aux revendications du monde moder-ne. N’est-ce pas d’ailleurs le constat quefit le cardinal Ratzinger dans son livre de1982, comme nous l’avons rappelé plushaut, en employant l’expression de« contre-Syllabus »?… À plus forte raisonun f idèle catholique dont la raison estéclairée par la foi est-il en mesure lui ausside constater la rupture. En effet, dit encorele Concile Vatican I, les vérités révéléesque le Magistère a la charge de trans-mettre, ne peuvent pas contredire lesrègles rationnelles de la logique humaine,même si elles les dépassent : « Bien que lafoi soit au-dessus de la raison, il ne peutjamais y avoir de vrai désaccord entre lafoi et la raison, étant donné que c’est lemême Dieu qui révèle les mystères etcommunique la foi, et qui a fait descendredans l’esprit humain la lumière de la rai-son : Dieu ne pourrait se nier lui-même, ni

le vrai jamais contredire le vrai 31. »c) Critère catholique et non pas libre

examen protestant

Et qu’on ne nous dise pas que ce seraitlà réintroduire le principe du libre examen.Le libre examen protestant établit un anta-gonisme entre le jugement actuel du fidè-le et le jugement actuel du Magistère :renversant l’ordre, le protestantisme vou-drait qu’à chaque époque de l’histoire lejugement privé du croyant soit la règle dujugement magistériel. Mais il en va toutautrement avec ce que nous disons : l’an-tagonisme que nous observons (et qui estcelui dont parle saint Paul) se produitentre le passé et le présent, entre leMagistère d’hier et le nouveau Magistèred’aujourd’hui. Il y a alors une rupturedans la prédication du Magistère, et lefidèle ne fait qu’en prendre acte : contrafactum non fit argumentum.

Il est vrai que l’objet attesté ne sauraitêtre en tant que tel le critère faisantconnaître la validité du témoignage quil’atteste. Mais l’objet qui est proposé parle Magistère ecclésiastique n’est pas unobjet attesté comme les autres, car ce n’estpas un objet purement attesté pour la pre-mière fois par le Magistère. C’est un objetdéjà attesté par le Christ et les apôtres, etune fois pour toutes, car c’est un objetdivinement révélé. Le Magistère ne peutpas changer ce premier témoignage fonda-mental du Verbe incarné. C’est pourquoi,l’objet déjà attesté pour la première foispar le Christ et les apôtres est la règle à lalumière de laquelle on doit juger l’objetproposé par le Magistère ecclésiastique.Un catholique peut parfaitement juger laprédication du présent, et il le peut parceque, s’il juge le présent, ce n’est jamaiscomme le ferait un protestant, par sespropres lumières ; le catholique peut etdoit même juger la prédication du présent,parce qu’il le fait à la lumière de la prédi-cation passée. C’est le passé qui juge leprésent, parce que c’est la vérité déjà révé-lée par le Christ et transmise par le Magis-tère d’hier qui règle le Magistère d’aujour-d’hui. Saint Paul résume cela en disant :« Tradidi quod et accepi - J’ai transmis ceque j’ai reçu 32. »

d) L’intelligibilité du dogme

Autrement dit, même s’il est incompré-hensible et obscur (parce qu’il est attestéet non évident), le dogme est intelligible.Il se présente comme une propositionlogique où on attribue un prédicat à unsujet. Bien que le fidèle n’ait pas l’éviden-ce du lien qui relie les deux, il sait que sice lien existe, la proposition est vraie etdonc que la proposition contraire est faus-se ; il sait aussi que le Magistère ne peutpas se contredire en affirmant tantôt quece lien existe, tantôt qu’il n’existe pas. Sion refuse aux fidèles catholiques la capa-

29. CARDINAL JEAN-BAPTISTE FRANZELIN, De divinaTraditione, Rome (4e édition), 1896, thèse 9, 1er

corollaire, p. 82.30. On ne peut quand même pas fermer les yeux surla prédication de MGR LEFEBVRE et des quatreévêques « excommuniés » de la Tradition. Qu’on leveuille ou non, leur résistance face aux erreursconciliaires est la persévérance d’une non-unanimi-té dont les origines se trouvent au moment duConcile Vatican II. Les ruptures de 1976 et 1988 nesont que l’explicitation logique de celle survenue en1965. On peut dire que la Fraternité Saint-Pie Xcontinue et maintient le Cœtus.

31. CONCILE VATICAN I, Constitution dogmatique

Dei Filius dans DS 3017.

32. 1 Cor, 15/3.

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Courrier de Rome6 Février 2008

cité de comparer la doctrine actuelle à ladoctrine de toujours, et de vérif ier laconstance de l’enseignement de l’Église,on leur interdit de comprendre ce qu’ilsdisent quand ils professent leur foi, et onréclame de leur part une obéissanceaveugle à de pures formules vides designification. Mais l’Église catholique n’ajamais professé un pareil nominalisme.

e) Un critère négatif

Nous pouvons donc dire qu’il y a ici uncritère négatif : l’absence de constancedans la prédication explicite est un critèregrâce auquel on peut conclure que la prédi-cation actuelle n’est pas celle du dépôt dela foi, et n’est donc pas non plus l’exerciced’un véritable Magistère ecclésiastique,fidèle à sa fonction. Ce critère négatif estbien résumé par les expressions de saintPaul. Comme le remarque le cardinalBillot, « saint Paul parle de la fausse doc-trine comme d’une autre doctrine étran-gère ». « Je t’ai demandé », dit-il à Timo-thée 33, « de rester à Éphèse […] pour quetu donnes comme principe à certains de nepas donner un autre enseignementétranger ». Autre exemple : « Je m’étonneque si vite vous vous laissiez détourner decelui qui vous a appelés en la grâce deJésus-Christ, pour passer à un autre Évan-gile ; non certes qu’il y en ait un autre ;seulement il y a des gens qui vous trou-blent et qui veulent changer l’Évangile duChrist 34. » Si à une époque ou à une autreon donne du dogme de la foi une explica-tion étrangère à celle que l’on donnaitjusqu’ici, cette explication sera considéréecomme hétérodoxe, par opposition à l’or-thodoxie, et on pourra reconnaître facile-ment et sans examen comme hérétiqueune affirmation, du simple fait qu’elle estabsolument nouvelle, c’est-à-dire si elleintroduit une signification différente de lasignification reçue dans la Tradition 35. »

6.4) Vatican II condamné parle Magistère ordinaire universel

Nous retrouvons avec ce critère négatif

la règle énoncée par saint Vincent deLérins, telle que l’explique le cardinalFranzelin - et à sa suite l’abbé Lucien lui-même : ce qui a été cru de manière expli-cite, avec constance dans le temps, partoutet par tous est une vérité de foi catholique,contre laquelle aucun consensus actuel nesaurait plus prévaloir. Or, la liberté reli-gieuse prônée depuis Vatican II va à l’en-contre de la prédication explicite, constan-te et unanime, de l’Église ; elle est biendavantage qu’une petite erreur dans la foi :c’est la principale manifestation de cettenouvelle « hérésie du XXe siècle », l’héré-sie moderniste. Ceux qui s’en font les pro-pagandistes ne sauraient donc exerceraucun Magistère digne de ce nom.

7) L’argument de Mgr LefebvreDans une conférence du 10 avril 198136,

Mgr Lefebvre résumait ainsi le bien-fondéde son attitude :

« Ils disent : “Mais il n’y a pas deuxMagistères, il n’y a qu’un Magistère, c’estcelui d’aujourd’hui. Il ne faut pas vousréférer au passé”. C’est absolumentcontraire à la définition même du Magis-tère de l’Église. Le Magistère de l’Égliseest essentiellement un Magistère tradition-nel, qui porte une Tradition, qui transmetune Tradition. C’est le rôle propre de l’É-glise, de transmettre le dépôt de la foi. Ledépôt de la foi étant terminé à partir de lamort du dernier des apôtres. Ils ne fontque transmettre, expliquer, c’est entendu ;donc ça ne peut jamais être en oppositionavec ce qui s’est dit précédemment. C’estla parole de saint Paul disant : “Si moi-même ou un ange descendu du ciel venaitvous dire quelque chose de contraire à cequi vous a été enseigné primitivement…”.Voilà la chose essentielle, capitale : “À cequi vous a été enseigné primitivement”.Donc il se réfère, lui, pour la vérité de sapropre parole et de la parole d’un ange duciel, il se réfère à ce qui a été enseigné pri-mitivement. Nous aussi nous nous réfé-rons à ce qui a été enseigné primitivement.

Or, il se trouve dans le Concile des docu-ments, comme celui de la liberté religieu-se, qui enseignent quelque chose decontraire à ce qui a été enseigné primitive-ment. On n’y peut rien, ce n’est pas nous,ce n’est pas de notre faute, c’est commeça, c’est un fait !

Alors qu’est-ce qu’il faut faire ? Alorsils nous disent : “Vous n’acceptez pas ceConcile, vous n’acceptez pas ce Magistè-re”. Oui, parce que ce Magistère est unMagistère infidèle. Si le Magistère étaitfidèle à la Tradition, il n’y aurait pas deproblème. Et c’est parce qu’il n’est pasf idèle au Magistère pour lequel nousavons justement une estime profonde quenous nous disons : ce n’est pas possible,un Magistère qui a été proclamé et définipendant des siècles ne peut pas se tromper.Alors nous sommes fidèles à ce Magistè-re, et si un Magistère nouveau vient direquelque chose qui est contraire à ce qui aété enseigné primitivement, il est anathè-me. C’est saint Paul qui le dit, il ne fautpas l’accepter. C’est tout. La questionn’est pas diff icile. Alors il ne faut pasqu’ils nous accusent d’être contre leMagistère de l’Église, quand ils vontcontre le Magistère des Papes, contre leMagistère des Conciles. Ce n’est pas vrai,c’est le contraire. Nous sommes persécu-tés parce que nous sommes f idèles auMagistère de toujours ».

Et dans la « Préface » au livre J’accuse leConcile, Mgr Lefebvre constatait encoreque « le Concile a été détourné de sa fin parun groupe de conjurés » 37. Ces conjurésétaient pour la plupart ceux dont la nouvellethéologie avait été condamnée durant lepontificat du Pape Pie XII : les dominicainsChenu et Congar, les jésuites de Lubac etRahner. Le Concile Vatican II n’a pas pupublier les actes d’un véritable Magistère ;détourné de sa fin, pris en otage par les néo-modernistes, il a été pour ceux-ci l’occasiond’imposer leur théologie fausse.

C’est cette théologie que nous devonsrefuser, au nom du Magistère de l’Égliseet en nous appuyant sur vingt siècles deTradition divine, constante et unanime.

Abbé Jean-Michel Gleize

apporter une réponse à ceux qui se deman-dent s’il s’agit véritablement d’une correc-tion des erreurs de Vatican II. Que penserde ces documents?

CONTINUITÉ AVEC LE PASSÉ… SANS PASSÉ !Même lorsque l’on ne jette qu’un coup

d’œil rapide aux responsa, on ne peutqu’être frappé par un fait : ce documentsouligne nettement que l’ecclésiologie deVatican II ne constituerait pas une ruptureavec le Magistère précédent, puisque « leConcile n’a pas voulu changer et n’a defait pas changé la doctrine en question,

La Congrégation pour la Doctrine de laFoi a publié, ces derniers mois, deux docu-ments intéressants qui ont été considéréspar beaucoup comme une sorte de demi-tour après les « délires conciliaires ».Nous voulons parler du documentRéponses à des questions concernant cer-tains aspects de la doctrine sur l’Église(10 juillet 2007), et de la Note doctrinalesur certains aspects de l’évangélisation,publiée le 3 décembre 2007.

Sans entrer dans une analyse détaillée deces documents, nous voudrions néanmoins

mais a bien plutôt entendu la développer,la formuler de manière plus adéquate eten approfondir l’intelligence ». On s’at-tend donc, à la lecture de cette phrase, àtrouver la démonstration de cette continui-té par une comparaison entre l’ecclésiolo-gie exprimée dans les documents pré-Vati-can II et celle présente dans les documentsdu Concile. Mais le document le plus« ancien » auquel il est fait référence estdaté du 11 octobre 1962 (Allocution deJean XXIII) ! Résultat : tous les problèmesnés des documents de Vatican II demeu-

MARCHE ARRIÈRE ?

33. 1 Tm, 1/3.34. Gal, 1/7.35. CARDINAL LOUIS BILLOT, Tradition et modernis-me - De l’immuable tradition contre la nouvellehérésie de l’évolutionnisme, Courrier de Rome,2007, n° 61, p. 45.

36. On en trouvera le texte intégral, avec l’ensembledes textes de MGR LEFEBVRE sur cette question del’autorité du Concile Vatican II, dans la revue del’Institut universitaire Saint-Pie X, Vu de haut, J’ac-cuse le Concile 37. MGR LEFEBVRE, J'accuse le Concile, p. 10.

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Courrier de RomeFévrier 2008 7

rent sans solution, puisque la continuitéévoquée n’est que présumée, sans êtrejamais prouvée.

Une preuve? Il suffit de lire la deuxièmequestion, relative à la juste interprétationdu fameux « subsistit in », présent dansLumen gentium 8. Le doute serait levé si ledocument affirmait finalement que l’ex-pression « l’Église du Christ subsiste dansl’Église catholique » ne signifie pas autrechose que : “l’Église du Christ est l’Églisecatholique”. » Mais au contraire, voici quele texte, au lieu de l’éclaircir, compliqueencore davantage la siutation : « Dans lenuméro 8 de la Constitution DogmatiqueLumen gentium, “subsister” signifie laperpétuelle continuité historique et la per-manence de tous les éléments institués parle Christ dans l’Église catholique, danslaquelle on trouve concrètement l’Églisedu Christ sur cette terre. » C’est clair,non ? En réalité, le texte laisse entendreque le Christ n’a pas fondé l’Église catho-lique, mais une Église qui se trouve ensui-te pleinement réalisée dans l’Église catho-lique et partiellement dans les autres ;autrement dit, l’habituelle logique absurdede la communion pleine et non pleine.

Le pauvre catholique moyen (qui grâce àDieu ne lit pas ces documents…), aprèsavoir médité et remédité cette « réponse »reste avec son doute, celui de savoir si l’É-glise du Christ et l’Église catholique coïn-cident ou non, c’est-à-dire si Notre-Sei-gneur a fondé l’Église catholique, ce quisignifie qu’orthodoxes et protestants nesont pas l’Église fondée par Jésus. Enbref, que doit-on penser des autres« églises » présumées?

La réponse de la Congrégation pour laDoctrine de la Foi n’éclaircit rien, maisreprend mot pour mot le Concile : « l’É-glise du Christ est présente et agissantedans les Églises et les Communautésecclésiales qui ne sont pas encore en plei-ne communion avec l’Église catholique,grâce aux éléments de sanctification et devérité qu’on y trouve. » Je ne sais pas s’ilvous est déjà arrivé de rencontrer ces pro-fesseurs qui, lorsqu’on leur demande deréexpliquer un point obscur, répètent l’ex-plication précédente telle quelle… Nousnous trouvons ici face à un cas semblable.

Le Saint Père lui-même, dans sa récenteaudience accordée aux participants à lasession plénière de la Congrégation pourla Doctrine de la Foi (31 janvier 2008), aexpressément aff irmé que le document« repropose, même dans les formulationset dans le langage, l’enseignement de Vati-can II ». Voilà précisément ce qui estabsurde : que l’on explique un Concile qui- de l’aveu de tous ou presque - n’a tou-jours pas, quarante ans après, été compriscorrectement, en utilisant les formules etle langage de ce même Concile, et quel’activité « magistérielle » s’épuise dans laproduction de documents qui expliquentnon pas la foi, la doctrine ou la morale,mais… le Concile !

Le fait est que les autorités ecclésias-tiques se trouvent hélas placées face à un

choix « forcé », parce qu’elles se rendentcompte que l’on ne peut pas expliquer leConcile en ayant recours aux documentsdu Magistère traditionnel.

En effet, là où le Concile, la Congréga-tion pour la Doctrine de la Foi et le SaintPère continuent d’affirmer la communionpartielle ou non pleine, par exemple, desorthodoxes, la réponse traditionnelle est aucontraire que ces « églises » sont schisma-tiques, c’est-à-dire hors de la communionavec l’Église catholique : « celui quil’abandonne [le siège de Pierre] ne peutespérer demeurer dans l’Église. Celui quimange de l’Agneau sans lui appartenirn’a rien à voir avec Dieu. » (Pie IX, Enc.Amantissimus). Ce texte exclut donc clai-rement toute communion de ces« églises » avec l’Église catholique, touten laissant ouverte la possibilité que lesindividus (nombreux ou non, Dieu seul lesait) de bonne foi puissent appartenir àl’âme de l’Église catholique, bien qu’ilsn’appartiennent pas visiblement à soncorps. Il suffirait donc de réaffirmer cequi a déjà été dit : il est possible que desindividus visiblement hors de l’Églisecatholique (c’est-à-dire qui n’appartien-nent pas au corps de l’Église) soient toute-fois en communion avec elle (en apparte-nant à son âme). Le dogme œcuménique,en revanche, prétend que ces « églises » etcommunautés schismatiques sont dans unecertaine communion avec l’Église catho-lique, et qu’elles sont même des instru-ments de salut pour leurs membres (cf. UR3, 4).

Le mécanisme de l’« interprétation del’interprétation du Concile » semble nepas avoir de fin ; en effet, au cours de l’au-dience citée ci-dessus, le Pape a cru de sondevoir de fournir l’exacte interprétation dudocument qui devait donner l’exacte inter-prétation du Concile ! Il ne s’agit pas d’unexercice de diction, mais de la réalité d’un« magistère » qui ne garde plus la Foi maisse replie sur Vatican II. Écoutons le Pape :« le document repropose l’emploi linguis-tique correct de certaines expressionsecclésiologiques, qui risquent d’être malcomprises, et à cette fin, il attire l’atten-tion sur la différence qui demeure encoreentre les différentes confessions chré-tiennes à l’égard de la compréhension del’être Église, au sens proprement théolo-gique. Loin d’empêcher l’engagementœcuménique authentique, ce sera une inci-tation à ce que le débat sur les questionsdoctrinales ait toujours lieu avec réalismeet conscience des aspects qui séparentencore les confessions chrétiennes, et dansla reconnaissance joyeuse des vérités defoi professées en commun, et de la nécessi-té de prier sans cesse pour un chemine-ment plus actif vers une plus grande - etfinalement pleine -unité des chrétiens. »

Essayez d’analyser ces deux phrasescomplexes. Premier point : le documentmentionné par le Saint Père n’affirme pasque les différentes confessions chrétiennessont séparées de l’Église catholique, maissimplement qu’il existe des divergences

sur la « compréhension de l’être Eglise ».Mais il apparaît alors encore plus claire-ment que la fameuse expression « l’Églisedu Christ subsiste dans l’Églisecatholique » n’a pas la signification tradi-tionnelle « est », qui entend l’identité del’Église du Christ et de l’Église catholiqueau sens exclusif (littéralement : à l’exclu-sion des autres églises présumées), commele redit aussi l’exhortation à cheminer nonpas vers la communion, mais vers « uneplus grande - et finalement pleine - unitédes chrétiens ». Second point : s’il existe« des aspects qui séparent encore lesconfessions chrétiennes », comment peut-on ensuite affirmer que le cheminementœcuménique doit conduire à une plusgrande et pleine unité ? Si les confessionschrétiennes sont séparées, elles doiventavancer vers une communion qui n’existepas ; et si cette communion existe déjà,alors elles ne sont pas séparées ; tertiumnon datur !

La seule chose claire dans ces responsaest que si l’on a cherché d’un côté à mettreun frein à certaines dérives excessives, del’autre côté on n’a donné aucun « coup debarre » traditionnel aux textes du Concile.Les « églises » et les communautés schis-matiques continuent d’être considérées encommunion, fût-ce non pleine, avec l’É-glise catholique (cf. réponse à la deuxièmequestion) ; elles sont positivement considé-rées comme des moyens de salut utiliséspar le Saint-Esprit (cf. réponse à la troisiè-me question) ; on continue de seméprendre sur le fait que se trouveraienten elles « de nombreux éléments de sancti-fication et de vérité » (ibidem), etc.

POURQUOI ÉVANGÉLISER ?Il est clair que si la structure ecclésiolo-

gique prend eau de toutes parts, les idéesd’évangélisation et de mission ne pourrontqu’en subir des conséquences néfastes.C’est ce que l’on peut constater dans laNote sur l’évangélisation. Sur ce pointaussi, on constate une tentative de freinerdes dérives flagrantes décrites dans laNote : « On note de nos jours une confu-sion sans cesse grandissante, qui induitbeaucoup de personnes à ne pas écouteret à laisser sans suite le commandementmissionnaire du Seigneur (cf. Mt 28, 19).Toute tentative de convaincre d’autres per-sonnes sur des questions religieuses estsouvent perçue comme une entrave à laliberté. Il serait seulement licite d’exposerses idées et d’inviter les personnes à agirselon leur conscience, sans favoriser leurconversion au Christ et à la foicatholique : on affirme qu’il suffit d’aiderles hommes à être plus hommes, ou plusfidèles à leur religion, ou encore qu’il suf-fit de former des communautés capablesd’œuvrer pour la justice, la liberté, lapaix, la solidarité. En outre, certains sou-tiennent qu’on ne devrait pas annoncer leChrist à celui qui ne le connaît pas, nifavoriser son adhésion à l’Église, puis-qu’il serait possible d’être sauvé mêmesans une connaissance explicite du Christet sans une incorporation formelle à l’É-

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Courrier de Rome8 Février 2008

COURRIER DE ROMEÉdition en Français du Périodique Romain

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Rédacteur : Abbé de TaveauAdresse : B.P. 156 — 78001 Versailles Cedex

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glise. » (§ 3)On reconnaît donc qu’il y a un problè-

me, et que ce problème vient d’une déso-béissance au commandement de Notre-Seigneur. Il s’agit sans aucun doute d’unpas en avant par rapport à ces dernièresannées. Mais les ennuis commencentlorsque l’on cherche à donner la bonneconception de l’évangélisation et de lamission.

Si nous voulions résumer le problèmeclé de la Note, nous pourrions dire qu’il setrouve dans cette affirmation : « Même siles non chrétiens peuvent se sauver aumoyen de la grâce que Dieu donne “pardes voies connues de lui” l’Église ne peutpas ne pas tenir compte du fait qu’en cemonde, il leur manque un très grand bien :connaître le vrai visage de Dieu et l’amitiéavec Jésus-Christ, Dieu avec nous. Eneffet, “il n’y a rien de plus beau que d’êtrerejoints, surpris par l’Évangile, par leChrist. Il n’y a rien de plus beau que deLe connaître et de communiquer auxautres l’amitié avec lui”. Pour touthomme, la révélation des vérités fonda-mentales sur Dieu, sur soi-même et sur lemonde est un grand bien ; en revanche,vivre dans l’obscurité, sans la vérité surles questions ultimes, est un mal, souventà l’origine de souffrances et d’esclavagesparfois dramatiques. » (§ 7)

Une affirmation de ce genre peut sem-bler sans danger, mais elle révèle en réalitéun aspect incroyablement grave. En effet,à quoi la mission est-elle réduite, danscette perspective? À une sorte de commu-nication de quelque chose de beau, degrand, qui manque aux non chrétiens « ence monde », et qui provoque des pro-blèmes « en ce monde », mais dont l’ab-sence, somme toute, ne les prive pas dusalut.

C’est le renversement de la vision tradi-tionnelle, selon laquelle la fin de la mis-sion est essentiellement d’arracher lesâmes au pouvoir du démon et du péché.Cela ne signifie certes pas que ceux qui nesont pas visiblement catholiques ne peu-vent que se damner ; mais l’Église a tou-jours souligné qu’ils se trouvent dans unesituation de sérieux danger de se damnerpour l’éternité, puisque l’on ne peut pas,sans l’aide des sacrements, espérer positi-vement le salut. D’où l’urgence et lanécessité de la mission. Or, il semble aucontraire que le grand problème de l’igno-rance de la foi catholique se résume à« des souffrances et des esclavages parfoisdramatiques ». Ce n’est certes pas faux,mais c’est réducteur, dans un sens natura-liste, et cela change l’aspect de la missioncatholique.

Dans quelle mesure, alors, la Note consi-dère-t-elle comme vraies les paroles deNotre-Seigneur, selon lesquelles « quicroira et sera baptisé sera sauvé ; qui necroira pas sera condamné » (Mc 16, 16)?

La Note est complètement imprégnée dece faux optimisme au sujet du salut éterneldes non chrétiens, oubliant que les faussesreligions sont l’œuvre par laquelle le

malin entrave ou empêche la possibilitépour les âmes de connaître la religion fon-dée par Dieu lui-même et d’y adhérer.

Les « implications œcuméniques » del’évangélisation, présentes dans le docu-ment, sont tout aussi problématiques. Miseà part la phobie que l’évangélisation puis-se être prise pour du prosélytisme, de laconcurrence, de la coercition, etc., oncontinue de faire croire que les ortho-doxes, les protestants, et les non catho-liques en général se trouvent dans unesituation de communion partielle avec l’É-glise catholique, et qu’il ne leur manque-rait, à différents degrés, que la marque dela plénitude de la communion. Résultat : lesaint zèle à convertir les hérétiques et lesschismatiques est rendu inutile.

Il y a ensuite un passage qui laisse vrai-ment pantois : « il convient de noter que siun chrétien non catholique, pour des rai-sons de conscience et dans la convictionde la vérité catholique, demande à entrerdans la pleine communion de l’Églisecatholique, il faudra respecter sa requêtecomme œuvre de l’Esprit Saint et commeexpression de la liberté de conscience etde religion. Dans ce cas, il ne s’agit pasde prosélytisme, dans le sens négatif attri-bué à ce terme. Comme l’a explicitementreconnu le Décret sur l’œcuménisme duConcile Vatican II, “il est évident quel’œuvre de préparation et de réconcilia-tion des personnes individuelles qui dési-rent la pleine communion avec l’Églisecatholique, se distingue, par sa nature, dudessein œcuménique ; mais il n’y a, entreelles, aucune opposition puisque l’une etl’autre procèdent d’une disposition admi-rable de Dieu”. » (§ 12)

Il est probable que, face à certains casdans lesquels, par un trop grand « zèleœcuménique », on en était arrivé à empê-cher des conversions au catholicisme, laCongrégation pour la Doctrine de la Foi apensé à tirer quelques oreilles. Mais à quoien est-on arrivé ? La conversion, comprisecomme le retour à l’unique bercail dePierre, ne doit pas être l’objectif de l’acti-vité œcuménique, et l’on déclare apertisverbis - au cas où vous en auriez douté -que l’unité œcuménique n’est pas l’unitécatholique ; mais s’il arrive à quelqu’un dele penser, il faut avoir la magnanimité dene pas l’en empêcher, et de respecter ainsila « liberté de conscience et de religion » !Donc, au nom de deux libertés condam-nées par le Magistère de l’Église, on peutaccepter les conversions… Le critère defond n’est donc pas la vérité, qui fonde undroit réel à la liberté (autrement dit : unhomme a le droit d’être laissé libre de seconvertir à la foi catholique, en vertu de labonté et de la vérité de celle-ci), maisl’axe se déplace dans une direction anthro-pocentriste. La Note reconnaît le droit dese convertir au catholicisme, bien sûr,mais un droit fondé sur un critère subjec-tif, c’est-à-dire la liberté de conscience etde religion. Bref, en pratique, un droit quin’est pas un droit. En effet un droit est cequi se fonde sur la bonté et sur les vérités

objectives. Le précédent sophisme de laNote ne peut aboutir qu’à une conclusion :si un homme a le droit de se convertir aucatholicisme (vrai droit) en vertu de laliberté de conscience et de religion, alorson peut en dire autant pour un homme quivoudrait abandonner le catholicisme ; enpratique, la Note fonderait un faux droit àl’apostasie et à l’abandon de l’Église !

Cerise sur le gâteau : « Une telle initiati-ve [œcuménique] ne prive donc pas dudroit, ni ne dispense de la responsabilitéd’annoncer en plénitude la foi catholiqueaux autres chrétiens qui librement accep-tent de l’accueillir. » Question : et à ceuxqui n’acceptent pas de l’accueillir, la foicatholique ne doit pas être annoncée?

MARCHE ARRIÈRE ? NON !Il faut donc prendre acte que les deux

documents étudiés, s’ils apparaissent cer-tainement comme une tentative de rac-commoder des accrocs trop évidents, nerésolvent toutefois aucunement le problè-me de fond. On ne peut pas réparer unvêtement en lambeaux en mettant ça et làdes pièces neuves…

Nous prenons acte, par conséquent, de lavolonté de la Congrégation pour la Doctri-ne de la Foi de mettre un frein à certainescourses folles post-conciliaires, mais nousne pouvons pas affirmer qu’il s’agit d’unevraie correction de direction. Coup defrein, oui ; marche arrière, non.

Ambrosiaster

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s ì s ì no no« Que votre OUI soit OUI, que votre NON soit NON, tout le reste vient du Malin »

(Mt 5, 37)

Le numéro 3€Mars 2008Mensuel - Nouvelle SérieAnnée XLII n° 309 (499)

LE VIIIe CONGRÈS de

Sì SÌ NO NO - COURRIER DE ROME

« L'Eglise aujourd'hui:

rupture ou continuité? »

se tiendra à Paris

les 2, 3 et 4 janvier 2009

À PROPOS DES DEUX HERMÉNEUTIQUES DE VATICAN II ?MYTHE OU RÉALITÉ

Le paradoxe d’un Concile qui aurait dû« parler » un langage nouveau pour êtreplus compréhensible pour l’hommemoderne, et qui au contraire, après plusde quarante ans, est encore l’objet de dis-cussions sur sa juste interprétation. Noussommes tout habitués, désormais, àentendre parler des « deux herméneutiquesde Vatican II », c’est-à-dire des deux inter-prétations des textes conciliaires qui sesont affrontées dans la période tourmentéede l’après-Concile, avec la tentative d’im-poser deux lectures très différentes, sinonopposées, des mêmes documents.

L’HERMÉNEUTIQUE DE LA RUPTURE

La première lecture serait la lecture pro-gressiste, incarnée en Italie particulière-ment par l’École de Bologne, héritière dela tradition dossettienne (don GiuseppeDossetti, fondateur et maître de l’École deBologne). Il s’agit de la perspective quenous pourrions conventionnellement défi-nir comme révolutionnaire. Cette perspec-tive met l’accent sur les points de ruptureentre Vatican II et l’Église préconciliaire,ou plus simplement avec l’Église de PieXII, sur quelques points clés (primat duPape, pouvoirs de l’évêque, sacerdoce,liberté religieuse, œcuménisme, rôle dupeuple de Dieu, mariage et morale sexuel-le, liturgie), mais en déf initive, sur legrand sujet qui les synthétise et les résumetous – l’ecclésiologie – le Concile auraitpermis une « nouvelle Pentecôte », unerefondation radicale de l’Église, en lapurifiant de toutes les taches qui défigu-raient son visage et entravaient son aposto-lat. La nouvelle Église serait une Égliseplus spirituelle, plus pneumatique, déjàtout entière comprise dans le célèbre dis-cours de clôture du Concile prononcé parPaul VI, et dans la « sympathie » que cediscours exprime pour le monde moderneet sa culture négatrice de Dieu. L’ecclésio-logie sous-tendue par l’herméneutique de

la rupture adopte comme axe stratégiquece que j’appellerai la laïcisation du clergéet la cléricalisation du laïcat catholique, àla lumière d’une utopie (funeste, à monavis) : penser que le chemin pour unregain de ferveur et d’intensité dans la viede foi consisterait à confondre toutd’abord, puis à briser les frontières entreclergé, religieux et laïcs, jusqu’à superpo-ser les deux mondes et à en faire finale-ment une indistincte réalité sans hiérar-chie, égalitariste et gnostiquement hyper-démocratique. Dans cette perspective, setrouvaient et se trouvent mis en questioncertains aspects théologiquement centrauxet symboliquement décisifs de l’« ancien-ne » Église : le célibat des prêtres et lepouvoir de Pierre et des évêques. Mais ilest également évident que dans cette her-méneutique, la nouvelle idée de « peuplede Dieu » n’aurait pu s’imposer sans pas-ser aussi par la désacralisation de la saintemesse, qui évoquait beaucoup trop, dans lemissel de saint Pie V, la majesté de Dieu etla royauté de Notre-Seigneur Jésus-Christ.Dans la perspective dossettienne, que nousévoquons schématiquement, la nouvelleÉglise post-conciliaire est pensée commevraie dans la mesure où elle trouve sarègle de sens dans les valeurs apparuesavec l’Illuminisme, avec la Révolutionfrançaise et avec les instances politiquessocialistes et démocratico-libéralesmodernes. Le salut n’est plus pensécomme réalité surnaturelle, en dernièreinstance, c’est-à-dire comme le résultat del’action de la grâce et de la libre coopéra-tion du baptisé à celle-ci ; mais à la lumiè-re d’un processus – peu importe qu’il nesoit qu’implicite – d’immanentisation del’eschaton chrétien, comme praxis politi-co-sociale terrestre de rédemption de l’hu-manité, visant à la libérer de la guerre, desinjustices, de la pauvreté, des divisions, del’absence de droits ou de travail. Le salutdevient ainsi le résultat de la praxis de

l’homme, dont Jésus devient seulement lesymbole parfait ou l’archétype humain, etl’Église est pensée comme l’avant-gardeconsciente et la plus éclairée de ce proces-sus. Mais ce messianisme séculariséconstitue, on ne peut pas ne pas le souli-gner, une forme violente et très insidieusede judaïsation du christianisme, et c’est cequi explique la subordination théologiqueet théorétique, en particulier à partir dupontificat de Jean-Paul II, de l’Église à laSynagogue, et la grotesque centralitéd’Auschwitz dans la réflexion théologiquecatholique de ces quarante dernièresannées. Pour l’herméneutique de la ruptu-re (ou de la révolution), la crise de l’Églisedans l’après-Concile n’est pas inquiétante,et ce pour deux raisons : comme toutevision révolutionnaire de l’histoire, elle sefonde sur la conviction que la destructiondu passé et de tout signe s’y référant est lacondition indispensable à l’instauration duMonde Nouveau et à la pleine incarnationdu Bien dans l’histoire, et que cette des-truction coïncide même avec l’avènementdu monde révolutionnaire rêvé par l’uto-

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Courrier de Rome2 Mars 2008piste. En second lieu, les formes qui sonten train de s’affaiblir ou de s’éteindre(sacerdoce ministériel, clôture et mona-chisme, liturgie, confession, autorité desévêques, écoles catholiques, etc.) étaientlourdement imparfaites, et empêcheraient,si elles demeuraient, l’éclosion de la nou-velle Église pneumatique renfermée defaçon ésotérique dans les textes de VaticanII. Si l’Église était malade, sa crise actuel-le est en réalité un signe de guérison et derenaissance, et ce n’est pas par mauvaisefoi que l’on choisit de ne pas s’en plaindreet de ne pas en parler (on sait qu’il y a unecrise, mais on choisit tactiquement de nepas le dire), mais parce que l’on penseréellement qu’il ne se passe rien de néga-tif. Résister dans la défense des« anciennes formes », devenues pathé-tiques, de manifestation de la foi, ce n’estpas faire katechon, c’est-à-dire contenir ladiffusion de l’erreur et de l’iniquité, maisempêcher l’avènement chiliastique del’âge de l’Esprit Saint. Ceux qui deman-dent, dans le sillage du cardinal Martini,un Concile Vatican III, demandent précisé-ment que l’on ratifie de façon exotérique,c’est-à-dire publique, la « nouvelleÉglise » annoncée de façon encore obscu-re et équivoque – par les initiés et pourles initiés – dans les textes de Vatican II.L’herméneutique de la rupture est fondée,inévitablement, sur une théologie d’inspi-ration pleinement moderniste, c’est-à-diresoumise à la philosophie, à l’anthropolo-gie et à la philosophie de la politiquemodernes, par conséquent elle ne voitaucun inconvénient à parler de rupture, dedépassement, de révolution, de change-ment au niveau magistériel, théologique,dogmatique ou moral : l’essence de la cul-ture moderne, en effet, est la négation del’idée même d’immuabilité et d’éternité dela Vérité, et donc le refus, en général, dufait que les problèmes puissent être posésen termes de vérité ou de fausseté, c’est-à-dire de non contradiction. Mais si l’essen-ce de la modernité est la négation de lavérité en général (qui, si elle est, estimmuablement et éternellement égale àelle-même), alors son essence est la néga-tion du Verbe, la négation de Dieu :l’athéisme. Or il est évident, sur le planthéologique, que l’herméneutique de larupture est indéfendable, car dans le cascontraire, cela signif ierait que pendantpresque deux mille ans, l’Église a ensei-gné l’erreur – ce qui est impossible, étantdonné sa sainteté et son infaillibilité – ouqu’une vérité de foi, un dogme, peut chan-ger, ce qui est tout simplement absurde surle plan logique. La « rupture » signifieraitde fait que l’Église n’est pas une institu-tion divinement fondée, et que la foi chré-tienne est donc fausse. Soutenir formelle-ment une herméneutique de la ruptureimplique la perte de la foi, et signifie defacto être en dehors de l’Église.

L’HERMÉNEUTIQUE DE LA CONTINUITÉ

Ce qui nous est présenté comme hermé-neutique de la continuité vise au contraireà nous proposer la thèse selon laquelle

entre la grande Tradition, le Magistèreantérieur au Concile Vatican II, et les doc-trines défendues pendant et après leConcile, il n’y aurait aucune fracture,aucune discontinuité. Au contraire, leConcile devrait être entièrement lu etinterprété à la lumière de la Tradition,comme un développement homogène dudogme, comme modernisation et repropo-sition des mêmes vérités dans un langageet selon des modalités culturelles adaptés àl’homme moderne. Dans cette perspective,il n’y a eu aucun saut, aucune fracturequalitative décisive entre le Magistère pré-conciliaire et le Magistère conciliaire etpost-conciliaire. Dans cette perspective, eneffet, il y a eu seulement, de la part dequelques théologiens ou hommes d’Église,l’application d’une mauvaise herméneu-tique, qui a déformé l’esprit de Vatican IIet qui a désorienté les fidèles, en leur fai-sant croire que l’on se trouvait face à uneÉglise nouvelle, et non pas simplementune Église renouvelée. L’herméneutiquede la rupture est ici abstraitement condam-née comme erronée, sans toutefois – ilest important de le souligner – que soientprises, par l’épiscopat et les autoritésromaines, des dispositions disciplinaires àl’encontre de ses défenseurs. Le choix del’adhésion à l’herméneutique de la conti-nuité est le propre, principalement, de per-sonnes pieuses et objectivement désireusesde faire le bien de l’Église, et même sou-vent animées d’un zèle religieux sincère etpar une intense vie de piété. Mais un prixtrès élevé devra nécessairement être payépar ceux qui adoptent cette stratégie d’in-terprétation, lorsque la destruction de l’É-glise passe surtout par les hommes d’Égli-se eux-mêmes. En effet dans cette pers-pective, lentement, jour après jour, serontacceptées mêmes les doctrines ou les pra-tiques qui répugnent le plus à un sentimentvraiment catholique : on commencera parles tolérer à contrecœur, puis on s’y habi-tuera, et enf in on les acceptera avecconviction, en diminuant le combat contreles nouveautés qui détruisent la foi, encédant intérieurement sur le plan desformes culturelles et des modalités de pen-sée philosophique qui sous-tendent la nou-velle théologie hétérodoxe ; enfin, on seconvaincra qu’il n’y a vraiment rien denégatif dans la doctrine moderniste profes-sée maintenant universellement par desépiscopats entiers et des multitudes deprêtres. Face à de véritables hérésies ou àdes positions extrêmes, on ne se scandali-sera pas, en refusant de voir dans ces posi-tions le résultat du Concile, son aboutisse-ment inévitable, mais en se réfugiant dansle mythe d’interprétations qui en ontdéformé le sens et qui en ont mal interpré-té la mens. Il est facile de repérer lesdomaines doctrinaux dans lesquels, lente-ment, le défenseur de cette herméneutiques’aligne avec conviction sur la nouvelledoctrine : œcuménisme, liberté religieuseet conception libérale du rapportÉglise / État, morale conjugale. De cettefaçon, la charité se refroidit inévitable-ment. Si, dans le cas de l’herméneutique

de la rupture, le risque est la perte de lafoi, dans le cas de l’herméneutique de lacontinuité, le danger est de renoncer auprincipe de non contradiction, à touterigueur logique, à une pensée correcte,parce que l’on doit se convaincre que deuxchoses placées dans un rapport de contra-diction sont en fait la même chose, commel’œcuménisme post-conciliaire et lacondamnation de l’œcuménisme par lesPapes précédents, la vision traditionnelledu rapport avec le judaïsme et la nouvelleconception hétérodoxe du « dialogue »judéo-chrétien, la condamnation de laliberté religieuse et du libéralisme par leSyllabus et la nouvelle conception catholi-co-libérale de la politique. Cette détériora-tion de la pensée ne peut pas, à longterme, ne pas avoir d’incidence sur la viede foi. De plus dans cette perspective onrenonce, ou mieux, on évite de mettrel’accent sur la crise de l’Église ; on laminimise, on n’en parle pas, pour lasimple raison que l’on exclut, par hypothè-se, que la crise ait pu être causée par Vati-can II. Dans les (rares) revues catholiquesles plus « à droite », secrètement opposéesaux nouveautés conciliaires, mais liées àl’herméneutique de la continuité, on trou-vera de magnifiques articles (d’ailleurslouables et nécessaires) contre le commu-nisme ou l’avortement, mais à aucun prixl’on n’osera parler des limites du Concile,de l’hétérodoxie de nombreuses prises deposition de la hiérarchie qui ont suivi leConcile, des positions parfois ouvertementhérétiques de prêtres ou de théologienscatholiques, et l’on ne trouvera jamais lacondamnation d’une prise de position oud’une déclaration gravement erronée d’unévêque ou d’un cardinal. La crise sera pro-jetée sur le monde, sur la sécularisation,sur le laïcisme, sur la culture de gauche,en oubliant que le triomphe de ces posi-tions antichrétiennes dans des pays catho-liques depuis quinze ou seize siècles estl’effet, et non pas la cause, de la crise, etque dans le mécanisme d’horlogerie misau point dans les loges maçonniques etdans les cercles de pouvoir les plus fer-més, les lois en faveur du divorce, del’avortement, de la pornographie, de l’ho-mosexualité, et contre tout principed’ordre et d’autorité ont été mises en placedans les pays de tradition chrétienne aucours de la décennie qui a suivi Vatican II.En effet pour les ennemis de l’Église, il estclair qu’avec le Concile, l’Église – ouplutôt les hommes d’Église qui la repré-sentaient à ce moment-là – renonçait àcombattre contre le monde et sa perversi-té. Dans cette perspective, pour ne pasdémentir le mythe absurde de la continuitéentre Tradition et Concile, on fait, de tousles documents du Concile et des docu-ments suivants, des exégèses visant àmettre en valeur de toutes les façons pos-sibles la cohérence entre l’enseignementde toujours et les nouvelles doctrines pro-fessées, en extrapolant sur des élémentscommuns, et sans mettre jamais l’accentsur les différences essentielles, tant dans lalettre que dans l’esprit, qui divisent et par-

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Courrier de RomeMars 2008 3

Les Actes du VIIe Congrès Sì Sì No Nodes 5,6 et 7 janvier 2007

« Les crises dans l’Église ,les causes effets, remèdes » sont disponibles au prix de 20 euros

(hors frais d’envoi)

L’Église connaît une crise depuis denombreuses années. Pour la résoudre ilfaut défendre, maintenir et adapter l’ap-plication des principes fondamentauxaux circonstances concrètes de la situa-tion actuelle. C’est le sens du combatpoursuivi par Sì Sì NoNo et par le Cour-rier de Rome depuis plus de trente ans etla raison pour laquelle le VIIe congrèsthéologique de Sì Sì No No, organiséavec l’Institut Universitaire Saint Pie Xet Documentation Information Catho-liques Internationales (DICI), a choisicomme thème Les crises dans l'Église, etpour être plus exact, et la crise actuelle.

tagent irrémédiablement la Tradition etVatican II. La crise embarrasse, car c’estelle qui est la preuve que le Concile nonseulement n’a pas été fécond, mais qu’il acausé un effondrement sans précédentdans la vie de la foi, dans la pratique dessacrements, dans les vocations, dans lesordres religieux, dans la pratique litur-gique. Admettre ou souligner la crisereviendrait à s’interroger sur la continuitéprésumée entre Vatican II et le Magistèreprécédent. On se place ainsi dans uneimpasse : d’un côté on minimise ou on niela crise, de l’autre, quand on l’admet, onrenonce à l’expliquer de la seule façonsensée, c’est-à-dire en la reliant au Conci-le et à sa subtile mais envahissante hétéro-doxie. En somme, soit on renonce à la foi,soit on renonce à la raison.

POURQUOI DEUX HERMÉNEUTIQUES ?Nous voilà prêts à ébaucher une premiè-

re synthèse, et nous le ferons en nousinterrogeant sur les conditions qui ontrendu possible l’existence au sein de l’É-glise, pendant quarante ans, de deux her-méneutiques radicalement différentes. Ilest normal, après un Concile, de passer parune phase d’application, au cours delaquelle des commissions créées spéciale-ment sont chargées de résoudre les pointsd’interprétation les plus difficiles, et d’ap-porter des réponses aux doutes et auxquestions qu’une partie de l’épiscopat oudu clergé peut manifester. Ainsi, bien vite,l’exercice du magistère, à tous ses niveauxd’autorité, concourt à donner uneclaire – et univoque – interprétation destextes conciliaires : Roma locuta… LeMagistère papal, comme norme premièrede la Révélation (Écriture Sainte et Tradi-tion), doit remplir précisément et avanttout ce rôle : empêcher que ne s’intro-duisent des éléments hétérodoxes, erro-nés ou hérétiques dans l’interprétationthéologique des textes de la Tradition, ycompris de celle que constitue éventuel-lement un récent ou dernier Concile.Mais la stabilisation théologique des inter-prétations d’un Concile ne peut pas durerquarante ans et être encore en plein dérou-lement (il semble en effet que l’on se trou-ve face à une herméneutique infinie et àun conflit insoluble entre interprétationsopposées dans le cas de l’après-Concile).Ce qui se passe est clairement l’un dessignes – et l’un des plus importants – dela crise actuelle de l’Église ; en effet, leMagistère, norme proche de la Révélation,est en train de devenir « norme proche dela norme proche » : il s’exerce désormaisstérilement sur lui-même ; il n’interprèteplus la Révélation, mais sa propre inter-prétation, sur fond de doute sceptique ausujet de sa propre compétence en la matiè-re. Mais un Magistère ainsi compris n’estplus Magistère : en se repliant transcen-dentalement, dubitativement, de façoninterlocutoire, dialogique et circulaire surlui-même, et non pas sur la grande Tradi-tion tout entière, il se transforme progres-sivement en un geste vague et incertain,peut-être fascinant sur le plan culturel,

mais incapable de guider et d’orienter lesf idèles. Il faut de plus remarquer que,puisqu’il existe deux visions opposées deVatican II, s’excluant réciproquement,l’une des deux, au moins, devrait appa-raître à l’autorité pontificale non seule-ment comme différente de la seule visionorthodoxe, mais aussi erronée et dangereu-se pour la foi. Or on ne peut pas opposer àune erreur uniquement une interprétationcorrecte, car cela ne suffit pas à déracinerl’erreur elle-même. Si ceux qui se trom-pent refusent de renoncer à leur erreur, ildoit être nécessaire de les frapper des dis-positions et des sanctions prévues par lecode de droit canonique. L’antinaturalité etl’anormalité pour l’Église de deux hermé-neutiques coexistant joyeusement depuisquarante ans nous poussent donc à faire unautre pas en avant.

AU-DELÀ DU MYTHEDES DEUX HERMÉNEUTIQUES

Nous avons jusqu’à présent considéré defaçon abstraite le thème de l’herméneu-tique du Concile Vatican II, en acceptantde poser le problème en termes de conflitd’interprétations, d’opposition entre desécoles de pensée opposées. Mais certainesprécisions sont nécessaires. En premierlieu, s’il est vrai d’un point de vue « aca-démique » qu’il existe deux herméneu-tiques, il est surtout vrai que l’herméneu-tique qui a dominé jusqu’à présent estcelle de la rupture. En effet, au niveau dusentiment ecclésial moyen et vague, desopinions majoritaires au sein du peupledes f idèles, des convictions de plus enplus enracinées dans le corps sacerdotal,nous sommes – c’est douloureux dedevoir le reconnaître – face à une nouvel-le Église, dans laquelle s’est répandu unensemble de doctrines de moins en moinsidentifiables comme catholiques. L’hétéro-doxie dans tous les domaines et à tous lesniveaux est désormais si répandue qu’elleest vécue par tous comme l’état normal, etnon pas gravement pathologique, de la viede l’Église. Sur des sujets décisifs par leurimportance doctrinale, comme parexemple la théologie du mariage et lamorale sexuelle, la grande majorité desfidèles (et une partie du clergé) n’est pasen accord avec l’enseignement catholique,et agit selon des visions personnelles ethétérodoxes, sans se soucier de l’autorité,convaincue que c’est précisément l’Églisequi est « en retard » et qui devra fatale-ment changer sa doctrine. Cela signifieque la notion luthérienne de sacerdoceuniversel et l’anarchisme sectaire protes-tant sont devenus un habitus de la majoritédes catholiques. Tandis que disparaît lepetit nombre de ceux qui se font plaisiravec l’herméneutique de la continuité,c’est l’herméneutique de la rupture qui,dans le cœur du peuple catholique, est defait matériellement triomphante. Ce n’estdonc pas l’« École de Bologne » qui est lacause de la dérive doctrinale : elle se limi-te à la dominer idéologiquement et àsuivre la vague néomoderniste qui a bou-leversé, en réalité, la majorité des hommes

d’Église, jusqu’au sommet. Ce n’est pasen dissertant sur des herméneutiques et surleur valeur que l’on sortira de la crise sansprécédent qui tourmente l’Église, mais endénonçant les interprétations fausses ouhérétiques, en excluant leurs auteurs detout rôle ecclésial ou activité d’enseigne-ment, en abrogeant les textes à l’origine decette confusion, comme DignitatisHumanæ, ou Gaudium et Spes, et surtoutNostra Ætate. L’infaillibilité en matière defoi ou de morale n’est pas une prérogativedes théologiens de Tubingue, des éditoria-listes de La Repubblica ou de Avvenire, oude quelques « historiens » de l’École deBologne, mais du Souverain Pontiferomain, qui est le Vicaire de Notre-Sei-gneur Jésus-Christ sur la Terre, et qui seula le pouvoir, l’autorité, les moyens, ledevoir – et l’assistance du Saint-Esprit – de détruire infailliblement l’hé-résie et l’erreur, et d’éclairer comme unphare le peuple de Dieu, la nouvelle Israël,la sainte Église catholique. Le faitqu’après quarante ans, on soit encore entrain de débattre pour savoir quelle est labonne herméneutique de Vatican II est lapreuve que, pendant ces quarante ans, iln’y a eu que l’apparence d’une activitémagistérielle, mais pas de véritables actesde Magistère. En effet, s’il est vrai qu’il ya deux herméneutiques en opposition, et sinous admettons – comme nous sommescontraints de le faire – qu’au moins l’une

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Courrier de Rome4 Mars 2008des deux est totalement erronée, il ne peutpas y avoir d’acte de Magistère authen-tique si celui-ci n’est pas accompagné oun’implique pas la condamnation de l’er-reur qu’il est nécessaire de réfuter. Maisles erreurs – à partir, symboliquement, del’absence scandaleuse de dénonciation dela tyrannie communiste pendant VaticanII – se sont vues accorder, à partir duConcile, droit de cité aux côtés de l’ensei-

gnement de Rome : cela suffit à falsifiercet enseignement et à en révéler le visageinterlocutoire et non authentique, incertainet dépourvu d’une vraie volonté de s’im-poser par des moyens de coercition, avecune autorité indiscutée et universelle, àtoute l’Église militante et à tout homme.Que Pierre, qui depuis le Concile a été etcontinue d’être Pierre, bien qu’il n’agissepas en tant que Pierre, ne se limite pas

désormais – tel est notre souhait et notreespérance la plus vive – à être Pierre,mais qu’il agisse en tant que Pierre : ences heures d’incertitude et d’espérance,nous avons tous le devoir de prier à cetteintention avec une ferveur renouvelée.

Matteo D’AmicoTraduit de « La Tradizione Cattolica »

n° 1/2008

L’EFFRITEMENT DE L’AUTORITÉ DU CONCILEPlus de quarante ans après sa clôture, le

débat sur l’herméneutique du Concile esttoujours d’une grande actualité : c’est à ceproblème et à ses différents aspects quenous avons consacré l’étude précédente.Mais une question cruciale doit encore êtreprise sérieusement en considération : quellepeut être l’autorité d’un Concile dont l’in-terprétation incertaine implique l’Église endes termes qui vont bien au-delà des étudesacadémiques de l’École de Bologne ? Eneffet, si la thèse de la rupture avec le magis-tère précédent (École de Bologne) étaitvraie, nous nous trouverions face à deuxmagistères légitimes, mais sans continuitéentre ceux-ci, ce qui signifierait la naissanced’un nouveau magistère et donc d’une nou-velle Église. Si au contraire la thèse« conservatrice », typiquement ratzingerien-ne, de la continuité entre l’Église tradition-nelle et l’Église issue du Concile était vraie,nous devrions concilier l’inconciliable : l’œ-cuménisme, la collégialité, la liberté reli-gieuse, l’ecclésiologie moderne, avec leMagistère traditionnel ; la teneur dogma-tique de la messe tridentine avec la teneurdogmatique de la messe de Paul VI, et ainside suite. Dans le premier cas, l’Église detoujours serait finie pour toujours, cédant laplace à une église nouvelle; dans le secondcas, l’Église catholique continuerait d’exis-ter, fût-ce en enseignant légitimement etsurtout magistériellement le contraire de cequ’elle enseigne par le Magistère tradition-nel. La première thèse affirme la véritéquant à la « rupture » entre les deux magis-tères, mais elle détruirait l’indéfectibilité del’Église, qui serait finie et recommenceraitsous une nouvelle identité; la seconde sauvecertainement l’indéfectibilité de l’Église,mais – malgré des efforts considérables – elleest forcée de renoncer au principe de noncontradiction.

LA SOLUTION

Pour sortir de cette impasse, la solutionest seulement (c’est le cas de le dire)lefébvrienne : ce magistère conciliaire quia réussi à s’imposer comme unique pierreangulaire de tout le complexe théologique,liturgique et pastoral de l’après-Concile,n’a pas eu recours aux garanties surnatu-relles qui rendent le magistère de l’Égliseréellement tel, en le distinguant de simplesaffirmations ayant une autre valeur, uneautre portée et d’autres objectifs. Cetteexplication n’est certainement pas nouvel-le ; ce qui est nouveau, ce sont les aveuxhonnêtes et importants d’un prélat de

poids, ancien Archevêque de Bologne etancien papabile : le cardinal Biffi. C’est àla lumière de ses récentes affirmations surl’autorité du Concile que nous voudrionsréfléchir sur ce problème crucial. Toute-fois, avant d’examiner les affirmations ducardinal Biffi, il est nécessaire de reveniren arrière pour voir ce que le Concile lui-même avait affirmé au sujet de l’autoritéet de la portée de ses décrets.

LES NOTIFICATIONSDU SECRÉTAIRE DU CONCILE

À plusieurs reprises, le Concile avait dûs’interroger et s’exprimer au sujet de lavaleur dogmatique de ses décrets, signeévident d’un doute et d’un malaise dontles Pères conciliaires ne faisaient pas mys-tère, bien conscients du caractère résolu-ment atypique de l’assise conciliaire. Unepremière déclaration officielle de la Com-mission doctrinale sur ce point, datée du 6mars 1964, fut reprise plusieurs fois par leSecrétaire général du Concile, Mgr PericleFelici ; en particulier le 16 novembre 1964(à propos d’une question sur la valeur dog-matique de Lumen gentium) et le 15novembre 1965 (à l’occasion d’une ques-tion semblable sur Dei verbum). Nous rap-portons le texte intégral de cette dernièrenotification, équivalente aux autres : « Il aété demandé quelle doit être la qualifica-tion théologique de la doctrine exposéedans le schéma de la constitution dogma-tique sur la divine Révélation et soumiseau vote. À cette question, la Commissionsur la doctrine de la foi et des mœurs adonné cette réponse selon sa Déclarationdu 6 mars 1964 : “Conformément à lacoutume des Conciles et à la finalité pas-torale du présent Concile, ce saint Synodedéfinit comme obligatoire pour l’Égliseuniquement ce que, en matière de foi et demorale, il aura expressément déclaré tel.”“Les autres choses que le saint Synodepropose, en tant que doctrine du Magistèresuprême de l’Église, les fidèles chrétiens,ensemble et individuellement, doivent lesaccepter et le considérer selon l’esprit dece même saint Synode, esprit qui se mani-feste soit par la matière traitée, soit par lateneur de l’expression verbale, conformeaux règles d’interprétation théologique”. »Les questions réitérées des évêques, ainsique les réponses réitérées sur la qualifica-tion théologique des textes conciliairesindiquent clairement que les Pères eux-mêmes étaient conscients qu’ils se trou-vaient face à un magistère sui generis, sur

le caractère obligatoire duquel ils nepurent pas ne pas s’interroger, bien avantla Fraternité Saint Pie X. On se rend toutde suite compte que l’on est bien loin del’acceptation acritique et enthousiaste quia fait du Concile un super-dogme, obliga-toire au point de faire taire non seulementtoute objection, mais même le magistèreprécédent de l’Église. Si l’on s’avancedans un examen détaillé des textes conci-liaires, en se demandant ce que le Concilea « explicitement déclaré obligatoire pourl’Église », la réponse est, en pratique :rien, sinon ce qui avait déjà été déclaré telpar le Magistère précédent. Et il ne pou-vait pas en être autrement, « selon l’espritdu saint Synode ». La finalité même duConcile, en effet convoqué avec l’inten-tion explicite 1 de ne pas définir de véritéde foi et de ne pas condamner d’erreur (cf.Gaudet Mater Ecclesia), inaugurait unmagistère nouveau dans sa méthode etdans son approche, avant même que dansson contenu : un magistère qui, en derniè-re analyse, ne voulait plus être un acted’enseignement, mais un comportementnouveau envers le monde, une façon deprésenter l’Église sous un profil non plusstrictement doctrinal mais plutôt existen-tiel, calé dans le concret, dans la vie, dansle quotidien. Il s’agissait en fait de com-muniquer un esprit complètement nou-veau, plutôt que des contenus dogma-tiques : l’esprit du Concile. Le ConcileVatican II convoqué, selon l’intentionexplicite du Pontife qui en fut à l’origine,non pas pour définir des dogmes, pourcorriger des erreurs ou pour condamnerdes déviations doctrinales, comme par lepassé, mais pour se lier au monde moder-ne, fait abstraction de l’intention d’impo-ser certaines vérités de fide ou dérivant dela foi elle-même : mais ceci signif ies’abstenir de l’enseignement au sensobjectif, traditionnel et magistériel duterme. C’est précisément par cette intentionrésolument originale pour un Concile etétrangère à la Tradition, que le Concile s’estprivé – à notre avis – de l’assistance duSaint-Esprit, qui aurait garanti l’infaillibilitéde ses aff irmations, lesquelles – defait – ne sont plus des enseignements. Ilfaut bien remarquer que dans cette pers-

1. Il faut en effet distinguer l’intention explicite,en tant que déclarée, et l’intention secrète, dontDieu seul est juge. Nous ne pouvons bien sûrparler que de la première.

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Courrier de RomeMars 2008 5pective, ce n’est pas a posteriori que Vati-can II apparaît dépourvu de l’infaillibilité,c’est-à-dire par le fait que l’on y trouvedes erreurs ; c’est plutôt le fait qu’il se soita priori privé de cette infaillibilité, à caused’une intention objectivement non confor-me à l’intention d’un Concile de l’Église,qui permet la présence de ces erreurs.Autrement dit, notre argumentation neconsiste pas en un examen des erreurs duConcile, à travers lequel nous voulonsmettre en discussion son autorité, dans lamesure où il n’est pas possible qu’il y aitdes contradictions dans le Magistèreinfailliblement assisté : nous ne voulonspas adopter, à l’égard du Magistère, uncomportement équivalent à celui des pro-testants envers l’Écriture Sainte, c’est-à-dire une sorte de libre examen ; nous vou-lons simplement vérif ier si le Concileconstitue effectivement un acte du Magis-tère infaillible, ou s’il s’agit d’autre chose.

LES AFFIRMATIONS DU CARDINAL BIFFI

Dans son récent ouvrage autobiogra-phique, le cardinal Biffi, à travers un juge-ment extrêmement lucide et équilibré surle Concile, confirme avec autorité cettelecture qui – nous le répétons – noussemble être la seule possible. « Jean XXIIIaspirait à un Concile qui obtiendrait lerenouveau de l’Église non par les condam-nations, mais par le “remède de la miséri-corde”. En s’abstenant de réprouver leserreurs, le Concile par là même auraitévité de formuler des enseignements défi-nitifs, obligatoires pour tous. Et de fait, onse conforma toujours à cette indication dedépart 2. » Nous ne pouvons pas ne pasnous féliciter avec le cardinal de cette luci-de affirmation, qui n’est d’ailleurs pas laseule, parmi toutes celles contenues dansson autobiographie, à attirer notre atten-tion. Il s’agit d’une remarque fondamenta-le, surtout par le poids de ce « par làmême » contenu dans l’affirmation. Pourquelle raison ? Parce qu’aff irmer unenotion en refusant catégoriquement de nierla notion opposée exclut toute volonté deconsidérer la notion énoncée comme défi-nitive et obligatoire pour les intelligences.Cela n’exclut pas que, par la suite, unetelle notion puisse être imposée aux volon-tés d’une façon qui n’admet pas de discus-sion (comme c’est le cas pour les docu-ments conciliaires, depuis quarante ans),mais cette imposition n’est pas la consé-quence de la vérité intrinsèque et absoluede la notion, qui impliquerait « par làmême » (c’est-à-dire par une exigencelogique) la condamnation du contradictoi-re, mais elle est due à d’autres motifscontingents, plus ou moins valides : le dia-logue avec le monde moderne, les rapportsœcuméniques, les relations internationales(cf. le cas du « silence » sur le communis-me), le politiquement correct, etc. Il estdonc clair que cette perspective est étran-gère à celle présente traditionnellement

dans les Concile œcuméniques de l’Églisecatholique, qui consistait clairement à« formuler des enseignements définitifs,obligatoires pour tous », et que le Pape quiconvoqua Vatican II n’eut pas l’intentionexplicite de poursuivre. Pour exprimer cecaractère étranger aux intentions tradition-nelles de l’Église, on inventa l’appellation« concile pastoral », que le cardinal Bifficommente de la façon suivante : « Mais,dans mon petit coin (il était alors dans laparoisse Santi Martiri Anauniani deLegnano – nda), je sentais naître en moi,malgré moi, quelques diff icultés. Lanotion me paraissait ambiguë, et l’empha-se avec laquelle la “pastoralité” était attri-buée au Concile en acte, un peu suspecte :voulait-on dire implicitement que les pré-cédents conciles n’avaient pas l’intentiond’être “pastoraux”, ou qu’ils ne l’étaientpas assez ? Cela n’avait-il pas d’importan-ce pastorale que d’affirmer clairement queJésus de Nazareth était Dieu et consub-stantiel au Père, comme on l’avait défini àNicée ? Cela n’avait-il pas d’importancepastorale que de préciser la réalité de laprésence eucharistique et la nature sacrifi-cielle de la Messe, comme on l’avait fait àTrente ? Cela n’avait-il pas d’importancepastorale que de présenter dans toute savaleur et dans toutes ses implications leprimat de Pierre, comme l’avait enseignéle Concile Vatican I 3 ? » Il est évident quel’explication de la vérité et la condamna-tion de l’erreur ne peuvent être que pasto-rales, dans la mesure où elles confirmentles f idèles dans la foi et les mettent àl’abri de l’hérésie et de toutes les sortesd’erreur. Donc, comme le fait remarquerle cardinal, tout Concile est pastoral. Pourquelle raison a-t-on voulu définir VaticanII comme un concile pastoral ? « On com-prend – continue le cardinal Biffi – quel’intention déclarée était d’étudier lesmeilleures façons et les moyens les plusefficaces pour atteindre le cœur de l’hom-me, sans pour autant diminuer la considé-ration positive pour le magistère tradition-nel de l’Église 4. » Il y a deux élémentsfondamentaux dans cette dernière affirma-tion : 1. l’intention déclarée du Concileaurait été « originale », étrangère à la sau-vegarde du depositum et à la condamna-tion des erreurs ; 2. l’aveu que Vatican II(et en l’espèce Jean XXIII, qui le convo-qua) ne voulait pas « diminuer la considé-ration positive pour le magistère tradition-nel de l’Église » signifie que ce Conciles’est situé à côté de la tradition des diffé-rents conciles œcuméniques, et non néces-sairement en continuité avec eux. VaticanII s’est en effet limité à ne pas les dimi-nuer, plutôt que de se placer en parfaitecontinuité avec eux. Tant des notificationsde Pericle Felici que des affirmations ducardinal Biffi, on déduit clairement qu’uneintention particulière, différente de lavolonté d’imposer un enseignement, acaractérisé le Concile : par conséquent,

nos considérations pourraient s’arrêter là.Mais avant de conclure, il nous sembleintéressant d’analyser en quels termes l’in-tention détermine la nature d’un actehumain, et comment – paradoxalement –Dieu même est le premier à en tenir compte.

LA NÉCESSITÉ DE L’INTENTION D’ENSEIGNER :POINT DE VUE PHILOSOPHIQUE

Lorsque l’on s’interroge sur la valeurd’un document, il faut vérifier quelle a étél’intention du Pape ou du Concile dansl’acte d’enseigner, intention qui peut semanifester à travers des formules trèsclaires (« Nous déf inissons », « Nousdéclarons »,...), mais aussi sans elles. Lefait que cette intention soit un élémentfondamental et déterminant la valeur dudocument a toujours été implicitementadmis et aussi explicitement enseigné.Quel est le fondement de cette vérité ?Pourquoi cette référence insistante à l’in-tention d’enseigner ? Il est évident que laquestion est d’une importance capitale : decette intention dépend le type d’enseigne-ment et, en dernière analyse, l’existencemême d’un enseignement. La réponse àces questions est donc d’une importancecruciale pour pouvoir s’orienter dans lacrise actuelle. Disons tout d’abord quelorsque Dieu se sert d’une créature pourfaire quelque chose, il la laisse toujoursaccomplir un acte qui lui est propre, sur labase de la nature de la créature elle-même.De cette façon, Dieu dirige la créature,dans le sens où Il l’ordonne à une fin quilui est conforme, et Il l’assiste, liant ainsison action à l’action propre de la créature ;cette dernière est donc appelée « causeseconde ». C’est ce qui se passe avecl’agriculteur qui plante un verger. Il lesoigne, l’arrose, lui donne de l’engrais, leprotège des intempéries, l’observe, attend.Pendant ce temps les arbres du vergerbourgeonnent puis produisent, à traversune action qui leur est propre, des fruitsparticuliers, chaque arbre selon son espè-ce. À qui doit être attribuée la productiondes fruits ? Cette action revient tant àl’agriculteur qu’au verger, dans la mesureoù tous les deux accomplissent une actionpropre, bien que sous des rapports diffé-rents : le premier agent, c’est-à-dire l’agri-culteur, est cause principale, l’autre – leverger – est cause seconde. Dans le gou-vernement de toutes choses, Dieu agit tou-jours d’une manière analogue – sauf dansun cas particulier 5 – dans la mesure où Ilfait ainsi davantage ressortir sa sagesse quiutilise les potentialités intrinsèques dont Ila Lui-même doté certaines créatures pourgouverner d’autres créatures en quelquesorte dépendantes des premières : c’estDieu qui a créé le soleil pour qu’il chauffeet qu’il éclaire la terre par son action

2. G. BIFFI, Memoires et digressions d’un cardi-nal italien, Sienne, 2007.

3. Ibidem.4. Ibidem.

5. C’est le cas de la création. Dans cette circons-tance, Dieu ne peut pas se servir d’une causeseconde, car la création étant la production dequelque chose à partir de rien, il manquerait à lacause seconde une matière préexistante surlaquelle exercer l’action qui lui est propre.

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Courrier de Rome6 Mars 2008propre selon la volonté de Dieu lui-même ;Dieu en effet veut la lumière et la chaleur,mais Il n’éclaire ni ne réchauffe directe-ment personne : il laisse simplementaccomplir ces actions par une créatureordonnée à celles-ci. La physique, les éco-systèmes, etc., ne sont pas autre chose quel’étude de ces rapports que Dieu a misentre les créatures, et à travers lesquels Ilgouverne l’univers, laissant chacune deses créatures accomplir l’action qui lui estpropre. Le même discours doit être appli-qué à cette causalité particulière qu’est laliberté humaine. Dans ce cas aussi, nonseulement Dieu ne sacrifie pas, mais Il esttoujours à l’origine des choix libres del’homme, étant donné que c’est Lui qui l’acréé libre. Saint Thomas souligne à telpoint cette vérité qu’il n’hésite pas à affir-mer : « Il convient davantage à la divineprovidence de conserver la liberté de lavolonté que la contingence dans les causesnaturelles 6. » Ce qu’il faut retenir, c’estdonc que la causalité universelle de Dieu(cause première), tant dans l’ordre naturelque dans l’ordre surnaturel, ne mortifiejamais mais fonde la causalité créée (causeseconde), et conserve ses caractéristiques :la causalité des êtres physiques est conser-vée comme physique, celle des êtres libresest conservée comme libre. Or, l’êtrehumain est un être libre, caractérisé pardeux facultés clés, l’intelligence et lavolonté, qui lui permettent d’accomplirdes actes humains, c’est-à-dire des actesdans lesquels il agit volontairement etlibrement. L’acte humain est toujourscaractérisé par trois composantes : l’objetqui spécifie l’acte ; l’intention de celui quiagit ; les circonstances dans lesquelles ilagit. De ces trois éléments, celui quiconstitue l’aspect formel est l’intention(ou finalité), et c’est par conséquent l’élé-ment fondamental pour juger de la natured’un acte, puisque c’est l’intention quiindique la tension vers la f in (motusvoluntatis in finem) 7. D’où il apparaît clai-rement que là où il n’y a pas d’intention, iln’y a pas proprement un acte humain.Quand l’intention est présente, elle déter-mine la nature de l’acte humain. Quandl’intention varie, la nature de l’actehumain varie aussi : cette liberté d’avoirou non une intention déterminée, ou de lafaire varier suivant des f ins différentesvaut pour toutes les créatures rationnelles,y compris les membres de l’Église ensei-gnante. Dieu respecte en effet la libertéde chacun, y compris le Pape, aumoment où celui-ci décide de dialoguerplutôt que d’enseigner. Dans les deuxcas, nous avons deux actes réellementhumains et libres, mais auxquels ne sontpas liées les mêmes promesses et lesmêmes garanties surnaturelles. Pour envenir à notre question, Dieu a promis àl’Église enseignante son assistance lors-qu’elle enseigne, c’est-à-dire au moment

où elle décide d’imposer d’autorité descontenus doctrinaux aux intelligences ;mais l’Église enseignante est faited’hommes libres : si Dieu obligeait l’Égli-se enseignante à enseigner dans le sens oùIl oblige le soleil à réchauffer la terre, Iln’agirait pas conformément à la naturerationnelle et libre des créatures dont Il sesert dans ce cas.

LA NÉCESSITÉ D’ENSEIGNER :POINT DE VUE THÉOLOGIQUE

En appliquant ces considérations audomaine théologique, on peut en tirerd’utiles réflexions. Prenons, par exemple,le cas de l’inspiration de l’Écriture Sainte.On sait que ce qui distingue particulière-ment la perspective catholique de la pers-pective islamique est le fait que l’inspira-tion divine ne se substitue en aucune façonaux facultés des saints Écrivains, commece serait le cas si l’on considérait qu’ils’agit d’une sorte de dictée. Au contraire,l’intervention divine suppose et utilise lescapacités humaines des hagiographes.Nous retrouvons ici le principe thomisteselon lequel la cause première (l’inspira-tion divine) conserve toutes les caractéris-tiques propres à la cause seconde (l’auteurhumain), si bien que celui-ci est, dans sonordre propre, vraie cause. Pensons mainte-nant à l’action sacramentelle. L’Égliseenseigne que le ministre du sacrement doitavoir l’intention, même si elle n’est pasactuelle, de faire ce que fait l’Église, c’est-à-dire d’ordonner son action à la fin pourlaquelle Jésus-Christ l’a instituée, si bienque sans cette intention, le sacrement estinvalide. Si ce principe vaut pour lessacrements (munus sanctificandi), il vaut àplus forte raison pour le magistère (munusdocendi). En effet, tandis que dans le casde l’inspiration ou de l’économie sacra-mentelle, l’homme n’est qu’un simple ins-trument, dans le cas du magistère, la Hié-rarchie catholique agit de façon à être sim-plement « assistée » pour être préservée del’erreur. En d’autres termes, la hiérarchien’est pas « inspirée », comme dans le casde l’hagiographe ; cela signifie que dans lecas de la Hiérarchie, Dieu laisse à l’hom-me une sphère de liberté bien plus largeque celle qui existe dans le cas de l’inspi-ration scripturale ou de l’administrationdes sacrements. L’enseignement de la foiest fait par des ministres ordonnés à cettef in ; or ces ministres sont des êtreshumains et conservent leurs propres carac-téristiques humaines. Si donc le Pape ouun Concile, dans l’acte de présenter descontenus, n’ont pas l’intention d’enseignerquelque chose comme révélé par Jésus-Christ, comme toujours enseigné par l’É-glise, ou qu’ils n’ont pas l’intention de lierdogmatiquement les consciences, on nevoit pas pourquoi l’assistance divinedevrait se substituer à la médiation humai-ne, c’est-à-dire qu’on ne voit pas pourquoiDieu devrait garantir l’assistance promiseà l’Église enseignante lorsqu’il n’y a pasde volonté d’enseigner. Cette volontéhumaine est une condition à la fois néces-saire et suffisante pour garantir la préser-

vation de l’erreur par l’Esprit Saint. Onretrouve donc le principe thomiste clé,selon lequel la grâce ne détruit pas lanature mais la perfectionne. Dans sonassistance à l’Église, Dieu ne se substituepas aux médiations mais les suppose dansl’intégrité de leurs facultés et les utilise,en les élevant au-dessus des simples possi-bilités humaines. Les textes que le Magis-tère nous livre se situent dans cette pers-pective. Prenons par exemple le texte duConcile Vatican I qui définit l’infaillibilitédu Souverain Pontife. Ce texte affirme :« Le Pontife Romain, quand il parle excathedra, c’est-à-dire quand il exerce sonsuprême office de Pasteur et de Docteurde tous les chrétiens, et quand il définit,en vertu de son suprême pouvoir aposto-lique, une doctrine concernant la foi et lesmœurs, lie toute l’Église, par la divineassistance qui lui a été promise en la per-sonne du bienheureux Pierre, jouit de cetteinfaillibilité dont le divin Rédempteur avoulu que son Église fût munie dans ladéfinition de la doctrine concernant la foiet les mœurs : ces définitions du PontifeRomain sont donc immuables en elles-mêmes, et non par l’accord de l’Église 8.»On déduit clairement de ce texte que l’in-faillibilité présuppose la volonté libre duPape d’exercer sa fonction de Docteursuprême en liant l’Église, c’est-à-dire enimposant à chaque intelligence les conte-nus de ses définitions : c’est ce que nousappelons enseignement ; lorsque le Papen’entend pas exercer cette fonction, l’as-sistance qui lui a été promise n’entre pasen jeu. Un autre texte, extrait cette fois duMagistère ordinaire, affirme : « Que sidans leurs Actes, les Souverains Pontifesportent à dessein un jugement sur unequestion jusqu’alors disputée, il apparaîtdonc à tous que, conformément à l’espritet à la volonté de ces mêmes Pontifes,cette question ne peut plus être tenue pourune question libre entre théologiens 9. »On retrouve encore une fois la référence àl’intention exprimée dans le document ; sil’on n’a pas l’intention de définir, d’éclair-cir définitivement, ni de condamner quoique ce soit, l’infaillibilité n’est pas garantie.

LES INTENTIONS DU CONCILE

Le professeur Paolo Pasqualucci aconsacré des études d’une grande profon-deur et d’une grande valeur à l’orientationque Jean XXIII a voulu donner auConcile ; il ne nous est pas possible derevenir sur ce sujet dans cet article. Maisrésumons les intentions déclarées (qui nesont donc pas le fruit de notre interpréta-tion) du Concile, pour comprendrequ’elles sont objectivement différentes decelles de l’Église. Voici les intentions deJean XXIII :a) L’aggiornamento : « Le but de ceConcile n’est pas la discussion de tel outel thème de la doctrine fondamentale de

6. Summa contra gentiles, III, c. LXXIII.7. Pour une analyse détaillée de l’intentio, cf.Summa Theologiæ, I-II, q. 12.

8. Concile Vatican I, Pastor Æternus, 18 juillet1870.9. PIE XII, Humani generis, 12 août 1950.

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Courrier de RomeMars 2008 7

l’intérieur : l’« autodémolition » dont par-lait Paul VI. L’éditorialiste, en effet, obser-ve que « le Pape demande pardon pourdes fautes qu’aucun de ses prédécesseursn’a jamais commises (pour le sac deConstantinople, le Pape de l’époquen’avait pas exprimé de satisfaction, maislancé des excommunications), et pourtantles bases orthodoxes et musulmanes(même en Italie : le chef de la mosquée deRome) lui en demandent davantage,d’autres pardons et d’autres excuses.

Ainsi, les rencontres avec les autres reli-gions monothéistes ne sont pas une sérieconvergente de mouvements de chacunedes églises vers les deux autres : c’est l’É-glise catholique qui bouge, avant et plusque les autres, en quittant ses positions.Le catholicisme, en bougeant, change, lesautres églises, en l’attendant, restent cequ’elles sont.

Peu de gens s’en souviennent, car lanouvelle est passée inaperçue, mais l’Égli-se de Rome a signé une reddition sur lesprincipes du luthéranisme 1, qui affirment

que l’on peut obtenir le salut par la seulefoi : nier ces principes était le fondementde la résistance catholique au luthéranis-me.

La pensée catholique a pris positionpendant des siècles sur la défense du prin-cipe selon lequel hors de l’Église il n’y apas de salut. Le cardinal Ratzinger l’aréaffirmé récemment. La série de compa-tibilités que ce Pape promeut et réaliseavec les autres églises est autant d’aban-dons de ce principe.

Un principe différent fait son chemin,même s’il n’a jamais été énoncé en cestermes : la vérité se trouve aussi chez lesautres.

Une vérité révélée qui se montre com-patible avec d’autres vérités révélées,contre lesquels elle s’est battue pendantde longs siècles, devient une véritéconstruite. Elle n’est plus révélation, elleest histoire.

Toutes les générations de catholiquesvivants (enfants, pères et pères des pères)ont été construites sur le principe que lavérité avait été dite, elle devait être appri-se et appliquée, et le lieu où elle était gar-dée s’appelait Catholicisme.

Si l’on conclut un accord avec des reli-gions que le catholicisme, jusqu’à hier,jugeait inconciliables, une nouvelle géné-ration de catholiques naîtra, qui n’aura

1. Il s’agit du honteux « compromis historique »de la « Déclaration conjointe sur la doctrine de lajustification » du 31 octobre 1999, qui répudiede fait les définitions du Concile de Trente en lamatière – ndr.

1962 - RÉVOLUTION DANS L’ÉGLISEBRÈVE CHRONIQUE DE L’OCCUPATION NÉOMODERNISTE

DE L’ÉGLISE CONCILIAIRE

(Suite et fin des articles parus dans lesnuméros 302, 303, 304, 305, 306 et 307 )Pour conclure, nous préférons laisser la

parole, encore une fois, à la revue catho-lique Sì Sì No No, à qui nous avonsemprunté ce sous-titre, et qui au mois dejuin 2001 citait et commentait un articlede La Nazione de Florence (08 /05 /2001)signé Ferdinando Camon :

« Sur le changement du catholicisme etson sort futur… [Ferdinando Camon] estrevenu récemment avec d’autres réflexionsqu’il vaut la peine de citer complètement.

Il se demande “ce que sera le catholicis-me, quand il sera arrivé au terme des trèslongues routes sur lesquelles ce Pape[Jean-Paul II – ndr] l’a engagé” et “aubout desquelles il y a la compatibilité avecl’anglicanisme, le luthéranisme, l’ortho-doxie, le judaïsme, et maintenant l’islam”,et il répond : “Ceux qui iront jusqu’aubout auront un Dieu différent de celuique le catholicisme a eu jusqu’àprésent” . »

Mais, manifestement, un catholicismequi change le Dieu qu’il « a eu jusqu’àprésent » – puisque Dieu ne changepas – n’est plus le catholicisme, et donc,au terme du « chemin œcuménique », sicelui-ci était vraiment « irréversible, leCatholicisme n’existerait plus. Et ce neserait pas à cause d’un processus venu de

VERS LA « SOLUTION FINALE » DU CATHOLICISME

l’Église », mais d’étudier et exposer ladoctrine « à travers les formes de l’inves-tigation et de la formulation littéraire dela pensée contemporaine 10. » b) L’unité du genre humain : « Voilà ceque se propose le Concile œcuméniqueVatican II, qui [...] prépare et aplanit lavoie menant à l’unité du genre humain,fondement nécessaire pour faire que lacité terrestre soit à l’image de la citécéleste 11. » c) La non-condamnation des erreurs :« L’épouse du Christ préfère recourir auremède de la miséricorde, Plutôt que debrandir les armes de la sévérité. elle esti-me que, plutôt que de condamner, ellerépond mieux aux besoins de notreépoque en mettant davantage en valeur lesrichesses de sa doctrine 12. » Les déclarations de Paul VI sont tout

aussi claires :a) L’autoconscience de l’Église :« L’heure est venue, nous semble-t-il, où

la vérité concernant l’Église du Christ doitde plus en plus être explorée, ordonnée etexprimée, non pas peut-être dans ces for-mules solennelles qu’on nomme définitionsdogmatiques, mais en des déclarations parlesquelles l’Église se dit à elle-même, dansun enseignement plus explicite est autorisé,ce qu’elle pense d’elle-même 13. »b) L’intention œcuménique : « la convoca-tion de ce Concile [...] tend à une œcuméni-cité qui voudrait être totale, universelle 14. » c) Dialogue avec le monde contemporain :« Que le monde le sache : l’Église le regar-de avec une profonde compréhension, avecune admiration vraie, sincèrement disposéenon à le subjuguer, mais à le servir ; non àle déprécier, mais à accroître sa dignité ;non à le condamner, mais à le soutenir et àle sauver 15. »

CONCLUSION

Dans notre excursus, nous avons montréque l’intention est un élément nécessairepour que soit garantie l’infaillibilité dans

les affirmations. Autrement dit, il faut setrouver face à un acte qui ait l’intentiond’enseigner une vérité de foi ou de morale,ou de condamner une erreur, ou encoredéfinir une controverse, etc. Nous avonsensuite montré, en nous servant aussi de larécente contribution du cardinal Biffi, quel’intention du Concile est étrangère à l’in-tention habituelle des Conciles œcumé-niques de l’Église catholique. Il noussemble que la conclusion vient d’elle-même. Il est possible – et dans notre situa-tion historique il est même nécessaire – demettre en discussion le Concile. Toute lathéologie contemporaine, ainsi que les ency-cliques et dernier Pontife, sont construitessur les sables mouvants du Concile VaticanII. Elles ne sont pas bâties sur le rocher dePierre, parce que Pierre n’a pas voulu ensei-gner mais proposer, il n’a pas voulu obligermais dialoguer, il n’a pas voulu avoirrecours aux garanties que Notre-Seigneurlui avait promises pour confirmer ses frèresau moment où il enseigne. C’est pourtant decela que l’homme d’aujourd’hui a un ter-rible besoin.

Don Davide PagliaraniTraduit de « La Tradizione Cattolica »

n°1/2008

10. JEAN XXIII, Discours d’ouverture de la pre-mière session, 11 octobre 1962.11. Ibidem.12. Ibidem.

13. PAUL VI, Discours d’ouverture de la deuxiè-me session, 29 septembre 1963.14. Ibidem.15. Ibidem.

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Courrier de Rome8 Mars 2008

COURRIER DE ROMEÉdition en Français du Périodique Romain

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rien à voir avec les générations vivantaujourd’hui. »

L’« irréversible chemin œcuménique »,donc – et cette fois-ci ce n’est pas nousqui le disons – est un chemin vers l’apo-stasie, qui comporte la négation del’unique Révélation divine, rabaissée aurang de construction humaine, au mêmetitre que les sectes et les fausses religions.

Mais nous savons que Dieu interviendrapour empêcher la ruine de son Eglise : ilest de foi que « portæ inferi prævale-bunt ». Et elles ne prévaudront pas, demême qu’elles n’ont pas prévalu pendantdeux mille ans, même lorsque les puis-sances infernales ont trouvé leursmeilleurs complices parmi les hommesd’Église.

Le « commentateur » de La Nazione neprend pas en compte cette certitude de foi,pour la simple raison qu’il n’a pas la foi.Au contraire, pour lui, « la grandeur (siimportante qu’elle ne peut pas même êtremesurée) de ce Pape réside dans le faitd’avoir commencé le chemin vers ces mul-tiples et lointaines destinations » ; « gran-deur », donc, pour avoir commencé ce« grand virage que l’histoire est en trainde préparer » (La Nazione, cit.) au termeduquel l’humanité se sera « libérée » deDieu et de sa Révélation. Mais si l’édito-rialiste a la foi, il est indéniable que, dansses conclusions sur l’œcuménisme, ilmanifeste plus de logique et de bon sensque beaucoup de membres de notre hiérar-chie [qui devraient justement avoir cettefoi] 2. »

LA RÉSISTANCE DES CATHOLIQUES :UN DEVOIR INCONTOURNABLE

La nouvelle théologie et ses adeptes, quicroient avoir gagné, sont donc destinés àune défaite certaine. Ils passeront, demême que sont passés toutes les hérésieset tous les hérétiques qui, au cours dessiècles, ont attaqué l’Église – qui de pro-messe divine est indéfectible – dans laprésomption de la « réformer » selon leursdoctrines malsaines.

Dans le même temps, il est nécessaire dene pas déposer les armes, mais de se pré-parer plus que jamais à l’inévitable com-bat, sans se laisser effrayer par le grandnombre de ceux qui, par ingénuité, incons-cience, ou pire, par intérêt, ont suivi lecourant de la Révolution dans l’Église. Lenombre n’a jamais fait la vérité ; vérité quipeut être approfondie, développée, maistoujours « in eodem sensu eadelque sen-tentia », « dans le même sens et suivant lamême doctrine », et qui ne pourra jamaischanger, ni être contredite par des « nou-veautés » de quelque genre que ce soit, etsous aucun prétexte d’« aggiornamento »ou de « progrès » : « Le sens des saintsdogmes qui doit toujours être conservé estcelui que notre sainte Mère l’Église adéterminé une fois pour toutes et il ne faut

jamais s’en éloigner sous le prétexte et aunom d’une compréhension plusprofonde 3. »

« Je laisserai en Israël sept millehommes, tous ceux qui n’ont pas fléchi legenou devant Baal, tous ceux dont labouche ne l’a point baisé » (1 Rois 19,18), disait Dieu au prophète Élie découra-gé parce qu’il croyait être le dernier pro-phète du Seigneur au milieu de l’apostasiegénérale. Il en est de même aujourd’hui :nombreux sont ceux, même si nous ne lesconnaissons pas, qui souffrent, prient, lut-tent avec nous pour la sainte Eglise deDieu.

Dans cette situation, rappelons le devoirimpératif de prier pour le Souverain Ponti-fe. Lui seul, en effet, ici-bas, peut impri-mer la virée de bord nécessaire pour que labarque de Pierre suive à nouveau le boncap, jusqu’au port du salut.

Notre prière doit donc se concentrer parti-culièrement sur cette demande : que leVicaire du Christ – si ce n’est pas l’actuel,au moins un de ses successeurs – abandon-ne le mauvais chemin pris avec Vatican II ;qu’il renouvelle avec force la condamnationdu modernisme et de toutes les ouvertures àl’esprit du monde, et qu’il réaffirme aveccourage surnaturel les vérités éternelles dela Foi catholique, qu’il réaffirme le dogmede l’Église catholique romaine commeunique vraie Église du Christ, fondée surPierre et sur ses successeurs; qu’il condam-ne la fausse « collégialité » et l’esprit démo-cratique qui rongent l’Église et la primautéde juridiction; qu’il interdise le faux œcu-ménisme, à commencer par les réunionsinterreligieuses de prière – ruine des catho-liques et piège des non catholiques – enexhortant les membres de l’Église, commecelle-ci l’a toujours fait, à l’apostolat pour laconversion et le salut de ceux qui sont enco-re hors du catholicisme; qu’il rétablisse uneliturgie fidèle à la Tradition, sans ambiguïténi compromis œcuméniques avec l’erreur, etune discipline liturgico-pastorale en ligneavec cette liturgie, en éradiquant les abuscontinuels et les sacrilèges généralisés; qu’ilgarantisse une formation du clergé et desreligieux qui soit conforme à la foi catho-lique et non au néomodernisme ; qu’ilgarantisse la transmission de la vraie foi,déformée par la prédication actuelle, aupeuple catholique et surtout aux nouvellesgénérations, qu’il rappelle et souligne ledevoir des États de se conformer en touteschoses à la loi du Christ, Roi et Seigneur del’univers, et de son Église, en la reconnais-sant pour ce qu’elle est, c’est-à-dire commeunique vraie religion source du salut.

Les événements de la vie de Notre-Sei-gneur Jésus-Christ sont aussi une prophé-tie de ce qui allait arriver au cours dessiècles à son Corps mystique, qui est l’É-glise. Celle-ci est maintenant en train derevivre les moments de Gethsémani et dela Passion, dans l’attente de la résurrec-

tion. Et de même que la faiblesse de Pierrele poussa alors à dire à ceux qui le persé-cutaient : « Je ne connais pas cethomme », de même aujourd’hui son suc-cesseur, mû par le désir d’un impossibleaccord avec le monde ennemi du Christ,s’essouffle à répéter : je ne connais pas leCorps mystique de cet homme ; l’Églisedu passé, séparée du monde, hiérarchique,intolérante, antilibérale et anti-œcumé-nique, est une réalité finie ; désormais etnous sommes en accord avec vous, repré-sentants des démocraties maçonniquesmodernes ; avec votre indifférentisme quine veut plus distinguer entre la vérité etl’erreur, entre la véritable Église et lesfausses religions ; avec votre humanitaris-me qui, avec la « solidarité », tue la charitésurnaturelle ; avec vos « droits del’homme », négation flagrante des droitsde Dieu sur les hommes et sur les sociétés.Mais, comme alors, aujourd’hui aussi lavoix du Seigneur Jésus s’élève pour luidire :

« Simon, Simon, voici que Satan a obte-nu de vous passer au crible comme du fro-ment. Mais j’ai prié pour toi, afin que lafoi ne défaille pas ; et toi, une fois revenu,affermis tes frères » (Lc. 22, 31-32).

A. M.(fin)

2. Sì Sì No No (édition italienne) du 15 juin2001. 3. Concile Œcuménique Vatican I, Denz. 3020.

Page 30: Courrier de Rome

s ì s ì no no« Que votre OUI soit OUI, que votre NON soit NON, tout le reste vient du Malin »

(Mt 5, 37)

Le numéro 3€Avril 2008Mensuel - Nouvelle SérieAnnée XLII n° 310 (500)

LE VIIIe CONGRÈS de

SÌ SÌ NO NO - COURRIER DE ROME

« L'Église aujourd'hui:

rupture ou continuité? »

se tiendra à Parisles 2, 3 et 4 janvier 2009

LA RÉBELLION DE CERTAINS ÉVÊQUES CONTRE LE PAPEUN ÉNIÈME FRUIT DE LA COLLÉGIALITÉ RÉFORMÉE

PAR LE CONCILE ?Que penser des évêques

qui se rebellent contre le Pape?Un de nos lecteurs s’est posé cette ques-

tion, à propos de la rébellion ouverted’une partie de l’épiscopat contre le MotuProprio du Pontife actuel (SummorumPontificum, du 7 juillet 2007), qui « libéra-lise », comme l’on dit, la célébration de lasainte messe selon l’ancien rite romain,messe dite tridentine, ainsi que des sacre-ments, également dans l’ancien rite.

Voici ce que nous en pensons : lesmodernisateurs ne lâchent pas prise. Cesont d’ailleurs toujours les mêmes. Parmiles évêques rebelles, on remarque en effetles noms des cardinaux Martini et Tetta-manzi. Le premier est, depuis des années,considéré comme le principal représentantde la faction progressiste (c’est-à-dire néo-moderniste) au sein de la Hiérarchie. Lesecond, de la même tendance, a récem-ment fait la une des journaux lorsque,dans la cathédrale de Milan, il a célébrél’Épiphanie par des rites « multiethniques »,qui incluaient la participation de dan-seuses asiatiques (du Sri-Lanka) en costu-me moulant qui laissait découverte unepartie de leur ventre. Mais cela fait desannées que les rites œcuméniques duNovus Ordo célèbrent partout une soi-disant « fête des peuples » en même tempsque l’Épiphanie. Les fidèles s’y sont habi-tués. Ce qui a suscité le scandale, à Milan,plus que la cérémonie en elle-même, c’estle genre de participation que le cardinal aconsidéré devoir y admettre. Mais il estclair qu’abstraction faite du costume plusou moins scandaleux revêtu par les partici-pantes, le scandale est constitué par le riteœcuménique en tant que tel, qui rend pos-sibles des mélanges sacrilèges de sacré etde profane, grâce à la « créativité litur-

gique » ratif iée par le Concile œcumé-nique Vatican II.

L’effet négatifde la nouvelle collégialité

Par cette dernière référence, nous élar-gissons la réponse à la question soulevéepar notre lecteur. Nous pensons en effetque si Vatican II n’avait pas brouillé lasignification traditionnelle de la collégiali-té, en compliquant de façon ambiguë lerapport institutionnel entre les évêques etle Pape, jamais les évêques opposés auxdirectives papales n’auraient osé défierouvertement l’autorité du Pontife. Le faitest, que cela plaise ou non, qu’après cetteréforme, les évêques, compris commecœtus réuni en Collège avec le Pape, peu-vent se considérer à l’égal du Pape, quantà la titularité de la summa potestas surl’Église.

En effet, quelle est la notion essentiellede la réforme ? Romano Amerio l’a expo-sée de façon claire et concise dans IotaUnum :

« La Nota prævia rejette l’interprétationclassique de la collégialité, selon laquellele sujet du pouvoir suprême dans l’Égliseest le Pape seul, qui le partage, lorsqu’il leveut, avec l’universalité des évêquesréunis en Concile par lui. Le pouvoirsuprême ne devient collégial que commu-niqué par le Pape à son gré (ad nutum) [ilne l’est pas en soi, mais seulement à lasuite d’un ordre du Pape, par lequel celui-ci convoque les évêques en un Concileœcuménique, pour exercer ce pouvoir aveclui et sous ses ordres]. La Nota præviarejette pareillement le sentiment des nova-teurs selon lequel le sujet du pouvoirsuprême dans l’Église est le Collège épis-copal uni au Pape et non sans le Pape qui

en est le chef, mais en telle sorte quelorsque le Pape exerce, même à lui seul, lepouvoir suprême, il le fait précisément entant que chef dudit Collège, et donccomme représentant ce Collège qu’il estobligé de consulter pour en exprimer lesentiment. C’est la théorie calquée surcelle qui veut que toute autorité doive sonpouvoir à la multitude : théorie difficile àconcilier avec la constitution divine de l’É-glise. En réfutant les deux théories, la Notaprævia maintient fermement que le pou-voir suprême appartient en effet au Collègedes évêques unis à leur chef, mais que lechef peut l’exercer indépendamment duCollège, tandis que le Collège ne peutl’exercer indépendamment du chef 1. »

1. ROMANO AMERIO, Iota Unum. Étude des varia-tions de l’Église catholique au XXe siècle, NEL,1987, pp. 82-83. La nouvelle collégialité futintroduite par la constitution conciliaire Lumengentium, à l’art. 22. Mais puisqu’elle semblaitambiguë à beaucoup, on ajouta à la constitutionune nota prævia (en réalité postérieure) qui don-

Page 31: Courrier de Rome

Courrier de Rome2 Avril 2008

La nouveauté, introduitepar l’art. 22 de Lumen Gentium,

dangereuse pour le PrimatTelle est donc la nouveauté qui s’est

introduite dans l’enseignement de la Hié-rarchie, nouveauté qui semble se situer àmi-chemin entre la doctrine traditionnelleet les théories les plus révolutionnaires. Eneffet, un pouvoir suprême du « Collègedes évêques unis à leur chef » n’existaitpas dans la constitution de l’Église avantl’art. 22 de Lumen Gentium. Dans le Codede droit canonique de 1917, qui était alorsencore en vigueur, il n’y en a pas trace(voir les c. 218 et 219, qui définissent lafigure du Pontife Romain, et 329, consa-cré à celle de l’évêque). Il s’agit d’unenouveauté indubitablement importante.Auparavant, le pouvoir suprême de gou-vernement et d’enseignement dans l’Égli-se avait toujours été reconnu iure divino auSouverain Pontife seul, et non au Collègedes évêques, même avec le Pape à sa tête.

Mais le fait que, dans l’exercice de cepouvoir, le Pape soit supérieur au Collège,puisque le Collège ne peut pas exercerindépendamment du chef, ayant toujoursbesoin de son autorisation, alors que lechef l’exerce indépendamment du Collège,ce fait ne maintient-t-il pas le primat duPontife, évitant ainsi une rupture (dogma-tique) avec la tradition? C’est précisémentce qu’il faut établir. Le Concile a manifes-tement affirmé vouloir conserver le Primat.Cela ressort explicitement des déclarationscontenues dans l’art. 18 de Lumen Gen-tium. Mais cela ne suffit pas, bien évidem-ment. Dans cette matière délicate, lesdéclarations d’intention, fussent-elles sin-cères, ne suffisent pas. Il faut voir com-ment le primat a été effectivement conser-vé, s’il est intact ou non, et s’il a étéconservé d’une façon conceptuellement

claire, qui ne contredise pas (même en par-tie) la doctrine précédemment enseignée.

La suprématie du Pape par rapport auCollège des évêques concerne-t-elle seule-ment l’exercice de la summa potestas, ouaussi (ce qui serait logique) la titularité decelle-ci ? En effet, s’il n’a pas la supréma-tie dans la titularité de la summa potestas,en vertu de quoi le Pontife peut-il exercersa suprématie sur les évêques dans l’exer-cice de celle-ci ? Mais comment cettesuprématie peut-elle inclure aussi (commeelle le devrait) la titularité de ce pouvoir, sice dernier est maintenant aussi attribué àl’ordre des évêques en union avec lePape ? « L’ordre des évêques - aff irmel’art. 22 de Lumen Gentium - uni à sonchef le Pontife romain, et jamais sans cechef, est également sujet du pouvoirsuprême et plénier sur toute l’Église, pou-voir qui ne peut être exercé qu’avec leconsentement du Pontife romain. » L’art.22 précise ici « également » parce qu’ilvient de rappeler la notion traditionnelledu Primat : « En effet, le Pontife romain,en vertu de son off ice qui est celui deVicaire du Christ et de Pasteur de toutel’Église, a sur celle-ci un pouvoir plénier,suprême et universel, qu’il peut toujoursexercer en toute liberté. »

L’extension au Collège des évêques(avec son chef) de la titularité de la summapotestas n’implique-t-elle pas la diminu-tion de la supériorité du Pape à l’égard desévêques, introduisant une sorte de fissuredans le Primat ? Et c’est même plusqu’une f issure, nous semble-t-il. Cetteextension semble attribuer la summapotestas à deux sujets distincts, en tantqu’organes de la constitution de l’Église :au Pape uti singulus et au Collège desévêques avec le Pape, en tant que cœtusavec le Pontife comme chef. Mais unesumma potestas, qui est en soi d’originedivine, peut-elle être attribuée à deuxsujets, constitutionnellement distincts etde plus hiérarchiquement subordonnés,étant donné que c’est le Pape qui nomme

et dirige les évêques, et non pas le contrai-re ? Non, bien évidemment. Cela créeraitune inacceptable diarchie, source deconfusion, conceptuelle et pratique, dansl’Église.

Ces aspects ambigus et en même tempsessentiels des « réformes » introduites parVatican II devraient être clarifiés une foispour toutes, pour le bien des âmes. Lanécessité d’ouvrir dans l’Église le débatsur Vatican II se fait toujours plus urgente.Il ne nous semble pas sage de continuer àl’empêcher en se retranchant derrière laconviction que tout va bien, puisque lePape n’a pas été subordonné au Collègeépiscopal, comme le voulaient les révolu-tionnaires, les nouveaux théologiens, etqu’il a conservé le Primat, qui lui permetd’exercer seul la summa potestas, à l’in-verse du Collège épiscopal. En réalité, lasupériorité du Pape n’est plus la mêmeque par le passé, elle est même devenuemoins claire dans son fondement, si latitularité de la summa potestas est désor-mais attribuée aussi au Collège avec lePape.

En raison de la nouvelle position consti-tutionnelle garantie au cœtus épiscopal,s’est estompée dans la mentalité généralel’image du Souverain Pontife commevicaire du Christ, exerçant unilatéralementle Primat, sans devoir rendre de comptes àpersonne, comme le lui permettent sesprérogatives souveraines, de monarque dedroit divin, limitées seulement par la loinaturelle et divine. C’est pourquoi unMotu Proprio comme Summorum Pontifi-cum, par lequel le Pontife a exercé le pri-mat en ordonnant en substance auxévêques de ne pas s’opposer à ceux quidemandent la célébration de la saintemesse suivant l’ancien rite romain, a étéaccueilli avec la froideur et l’attitude derésistance passive qui sont sous les yeuxde tous, et causant même, chez les plusaudacieux, une véritable rébellion.

Canonicusnait l’interprétation authentique de cet article,pour lever tous les doutes.

OBSERVATIONS SUR LE COMPENDIUMDU CATÉCHISME DE L’ÉGLISE CATHOLIQUE

INTRODUCTION

Le premier acte important du pontificatde S.S. Benoît XVI a été la promulgationdu Compendium du Catéchisme de l’Égli-se Catholique. Le Pape actuel avait jouéun rôle de premier plan dans la prépara-tion de ce Compendium, puisqu’il étaitprésident, en qualité de Préfet de laCongrégation pour la Doctrine de la Foi,de la Commission spéciale de cardinauxauxquels Jean-Paul II avait confié cettetâche.

Voici le processus de formation du Com-pendium selon les paroles du cardinal Rat-zinger : « Après deux années de travail, futpréparé un projet de compendium, qui futenvoyé pour consultation aux Cardinaux et

aux Présidents des Conférences épisco-pales. Dans son ensemble, le projet a obte-nu un avis positif de la part de la majoritéabsolue de ceux qui ont répondu. La Com-mission a donc procédé à la révision duditprojet et, compte tenu des propositionsd’amélioration qui étaient parvenues, apréparé le texte définitif du document 1. »

Il faut donc considérer le texte f inalcomme le résultat d’un long et méticuleuxtravail, porté à la connaissance d’une par-tie considérable de la hiérarchie catho-lique.

Les autres aspects à considérer dansl’analyse du Compendium sont ses troiscaractéristiques principales.

Tout d’abord, « l’étroite dépendanceavec le Catéchisme de l’Église catholique[...] Le Compendium y renvoie continuel-lement [... et] il entend en outre un renou-veau d’intérêt et de ferveur pour le Caté-chisme qui, par sa sage présentation etpar sa profondeur spirituelle, reste tou-jours le texte de base de la catéchèseecclésiale actuelle 2. »

En second lieu, « le genre dialogique[...] qui contribue aussi à abréger notable-

1. CARD. J. RATZINGER, Introduction au compen-dium du Catéchisme de l’Église Catholique,,§ 2. 2. Ibidem, § 3.

Page 32: Courrier de Rome

Courrier de RomeAvril 2008 3

Les Actes du VIIe Congrès Sì Sì No Nodes 5,6 et 7 janvier 2007

« Les crises dans l’Église ,les causes effets, remèdes » sont disponibles au prix de 20 euros

(hors frais d’envoi)

L’Église connaît une crise depuis denombreuses années. Pour la résoudre ilfaut défendre, maintenir et adapter l’ap-plication des principes fondamentauxaux circonstances concrètes de la situa-tion actuelle. C’est le sens du combatpoursuivi par Sì Sì NoNo et par le Cour-rier de Rome depuis plus de trente ans etla raison pour laquelle le VIIe congrèsthéologique de Sì Sì No No, organiséavec l’Institut Universitaire Saint Pie Xet Documentation Information Catho-liques Internationales (DICI), a choisicomme thème Les crises dans l'Église, etpour être plus exact, et la crise actuelle.

ment le texte, le réduisant à l’essentiel 3. »Enfin, « la présence de quelques images,

qui [...] proviennent d’un très riche patri-moine de l’iconographie chrétienne. Nousapprenons par la tradition séculaire desconciles que l’image est aussi une prédica-tion évangélique 4. »

Le Compendium se présente donccomme un texte précis, essentiel et didac-tique.

En gardant à l’esprit ces critères, nousallons procéder à son examen critique. Àcette fin, il nous a semblé utile et éclairantde regrouper des articles éparpillés ça et làdans le Compendium en noyaux théma-tiques ; nous mettrons ces articles en paral-lèle avec des passages extraits du Grandcatéchisme de saint Pie X ou du SaintÉvangile, ou d’autres sources de la Tradi-tion de l’Église, qui permettront de saisird’un seul coup d’œil la différence ; diffé-rence que nous commenterons brièvementdans notre conclusion.

1. L’HOMME ET SON RAPPORT AVEC DIEU

Compendium du Catéchisme de l’Églisecatholique (que nous désignerons parl’abréviation suivante : CCEC)

CCEC Art. 2 : « Par nature et par voca-tion, l’homme est donc un être religieux,capable d’entrer en communion avecDieu. »

CCEC Art. 66 : « [L’homme] est la seulecréature que Dieu a voulue pour elle-même [...]. Parce qu’il est créé à l’imagede Dieu, l’homme a la dignité d’une per-sonne ; il n’est pas quelque chose, maisquelqu’un, capable de se connaître, de sedonner librement et d’entrer en commu-nion avec Dieu et avec autrui. »

OBJECTIONGrand catéchisme de saint Pie X § 55 :

« On dit que l’homme a été créé à l’imageet à la ressemblance de Dieu, parce quel’âme humaine est spirituelle et raison-nable, libre d’agir, capable de connaître etd’aimer Dieu, et de jouir de lui éternelle-ment. »

Les articles du CCEC ne sont corrects quesi le terme « capable » est compris correcte-ment. En effet l’homme, par sa seule dispo-sition naturelle, sans le secours de la grâce,n’est pas capable d’« entrer en communionavec Dieu ». On peut en revanche affirmerqu’il est capable de connaître et d’aimerDieu naturellement comme son créateur, etqu’il est prédisposé à le connaître et à l’ai-mer surnaturellement comme son Père envertu de la grâce.

Le texte de saint Pie X est plus précis,car il spécifie que c’est parce qu’il a uneâme rationnelle et spirituelle que l’hommea cette capacité et cette prédisposition, quen’ont pas, par exemple, les animaux.

De plus, l’art. 66 « [L’homme] est laseule créature que Dieu a voulue pourelle-même » repropose littéralement l’in-

version de finalité de la constitution Gau-dium et Spes, puisque la Sainte Écriture ditque le Seigneur a fait toutes choses pourLui-même (Prov. 16, 4) et que même lapassion du Christ eut comme fin premièrela gloire de Dieu (cf. Jn 14, 30-3 : « il fautque le monde sache que j’aime le Père, etque j’agis conformément aux ordres qu’Ilm’a donnés »), et comme fin secondaireou subordonnée notre salut. Gaudium etSpes est une évidente concession à l’an-thropocentrisme de l’« homme moderne »,qui ordonne à lui-même, et non à Dieu, lacréation, y compris lui-même. Le Com-pendium repropose cette inversion de fina-lité, bien qu’elle soit en contradictionpatente avec l’art. 67, qui dit que « l’hom-me a été créé pour connaître, servir etaimer Dieu ».

2. JUDAÏSME

CCEC Art. 113 : « Certains chefs d’Is-raël ont accusé Jésus… »

OBJECTION« Ils emmenèrent Jésus chez le Grand

Prêtre. Il s’y rassemble tous les grandsprêtres, les anciens et les scribes [...] Ettous prononcèrent qu’il méritait la mort »(Mc 14, 53-64). « Tout le peuple répondit :“Que son sang retombe sur nous et surnos enfants !” (Mt. 27, 25). »

L’Évangile ne dit pas que seuls « cer-tains chefs » accusèrent Jésus, mais quec’est tout le Sanhédrin qui le condamna (àl’exception de Nicodème et de Josephd’Arimatie) ; la plus grande partie de lafoule (poussée par le Sanhédrin), puis lagrande foule, qui se rassembla d’aborddans la cour de Caïphe puis devant Pilate,approuva la condamnation de ses chefs endemandant à grands cris que Jésus soitcrucifié et que son sang retombe sur elleet sur ses enfants.

CCEC. Art. 116 : « La demande de Jésusde croire en lui et de se convertir permetde saisir la tragique incompréhension duSanhédrin, qui a jugé qu’il méritait la mortpour cause de blasphème. »

OBJECTION« Si vous étiez aveugles, vous n’auriez

pas de péché. Mais maintenant que vousdites : nous voyons clair, votre péchédemeure » (Jn 9, 41) ; « Si je n’étais pasvenu et si je ne leur avais pas parlé, ilsn’auraient pas de péché, mais maintenantils n’ont pas d’excuse pour leur péché »(Jn 15, 22) : « Si je n’avais pas fait parmieux des œuvres qu’aucun autre n’a faites,ils n’auraient pas de péché ; mais mainte-nant après les avoir vues, ils nous ont prisen haine, moi et mon Père. Mais c’est afinque s’accomplisse la parole écrite dansleur Loi : ils m’ont haï sans raison (Jn 15,24-25). » Ce n’est donc pas d’incompré-hension qu’il s’agit, mais d’un véritablepéché d’incrédulité, qui attira sur eux lechâtiment de Dieu. L’« incompréhension »serait dans ce cas la faute de Dieu, quin’aurait pas préparé le peuple juif à la mis-sion pour laquelle il l’avait choisi. C’est enréalité le contraire qui est vrai : tout l’an-cien Testament illustre par des prophéties

de paroles et d’actions et par des person-nages préfigurateurs les caractéristiquesdu Roi-Messie. L’incompréhension duSanhédrin fut donc volontaire et coupable.

CCEC Art. 117 : « La passion et la mortde Jésus ne peuvent être imputées indistinc-tement ni à tous les Juifs alors vivants, niaux Juifs venus ensuite [...]. Tout pécheurindividuel, c’est-à-dire tout homme, est réel-lement la cause et l’instrument des souf-frances du Rédempteur. Sont plus grave-ment coupables ceux qui, surtout s’ils sontchrétiens, retombent souvent dans le péchéet se complaisent dans les vices. »

OBJECTIONSaint Pierre devant le Sanhédrin : « Le

Dieu de nos pères a ressuscité Jésus, quevous avez mis à mort en le suspendant aubois » (Actes, 5, 30), et au peuple : « Pourvous, vous avez renié le Saint et le Juste, etvous avez demandé que l’on fît grâce à unassassin (ibid. 3, 14). »

Le texte du Compendium ne dit rien desdifférents niveaux de responsabilité quecomporte la question de la mort de Jésus ;il finit ainsi par éclipser la responsabilitéhistorique des Juifs, que saint Pierre affir-me clairement devant le Sanhédrin, quivoulait le condamner.

Si nous procédons par ordre :Historiquement :- cause efficiente physique de la mort

3. Ibidem, § 4.4. Ibidem, § 5.

Page 33: Courrier de Rome

Courrier de Rome4 Avril 2008de Jésus : les Juifs de cette époque ; leschefs, qui le livrèrent par haine et parjalousie, et qui poussèrent le peuple àdemander sa crucifixion ;- cause instrumentale : les soldatsromains ;- cause finale : chaque homme (mêmeisraélite), suivant les péchés commis.

CCEC Art. 169 : « À la différence desautres religions non chrétiennes, la foijuive est déjà réponse à la Révélation duDieu de l’Ancienne Alliance. »

OBJECTION« Vous ne connaissez ni moi ni mon

Père ; si vous me connaissiez, vousconnaîtriez aussi mon Père (Jn, 8, 19). »

On ne peut pas ne pas affirmer que si lareligion juive était avant la venue de Jésusune authentique réponse à Dieu, elle nel’était plus après. Mais ce n’est pas tout.Ceux qui refusent de croire en Jésus tra-hissent l’essence et la fin de la religionjuive et la pervertissent. Jésus lui-même adit : « si vous croyiez Moïse, vous mecroiriez aussi, parce que c’est de moi qu’ila écrit. Mais si vous ne croyez pas cequ’il a écrit comment croiriez-vous à mesparoles? (Jn 5, 46-47). » Qui ne croit pasen Lui ne croit pas non plus à Moïse ni àAbraham, car « Abraham a tressailli dejoie dans l’espérance de voir mon jour, etil l’a vu et il s’est réjoui (Jn 8, 56). »Désormais ce qui compte c’est la foi enJésus-Christ (voir par exemple l’épître auxGalates) ; qui ne croit pas en Jésus-Christn’honore pas non plus le Père et n’est pasenfant de Dieu.

3. L’ÉGLISE

CCEC Art. 161 : « L’Église est une,parce qu’[...] elle a une seule foi, une seulevie sacramentelle, une seule successionapostolique, une espérance commune et lamême charité. »

OBJECTIONGrand catéchisme de saint Pie X, § 156 :

« On dit que la véritable Église est Uneparce que ses enfants, de quelque temps etde quelque lieu que ce soit, sont unis dansla même foi, dans le même lieu, dans lemême culte, dans la même loi et dans laparticipation aux mêmes sacrements sousun même chef visible, le Pontife Romain. »

Dans le Compendium, la mention de lasubordination au Pape a disparu.

CCEC Art. 165 : « L’Église est sainteparce que le Dieu très saint en est l’auteur[...]. En elle réside la plénitude desmoyens du salut. La sainteté est la voca-tion de chacun de ses membres et le but detoute son action. »

OBJECTIONGrand catéchisme de saint Pie X, § 156 :

« On dit que la véritable Église est sainteparce que sa foi, sa loi et ses sacrementssont saints, et qu’en dehors de l’Église iln’y a ni ne peut y avoir de vraie sainteté. »

Il faut tout d’abord remarquer que l’af-firmation de la sainteté (et donc de l’intan-gibilité) de la foi, de la loi et des sacre-

ments de l’Église a disparu du Compen-dium. On a aussi retiré l’affirmation selonlaquelle il ne peut y avoir de vraie saintetéque dans l’Église catholique, probable-ment parce que cela s’opposait à la célé-bration des « martyrs » appartenant auxcommunautés hérétiques et / ou schisma-tiques… Dans l’Église, il n’y aurait que laplénitude des moyens de salut, qui peuventexister moins pleinement même dans lessectes hérétiques et / ou schismatiques.

CCEC Art. 162 : « Comme sociétéconstituée et organisée dans le monde,l’unique Église du Christ subsiste (subsis-tit in) dans l’Église catholique [...] C’estseulement par elle que l’on peut atteindrela plénitude des moyens de salut [...]. »

Nous ne reviendrons pas sur les considé-rations faites tant de fois au sujet du sub-sistit in. Nous nous limitons à demanderpour quelle raison, si l’expression « sub-siste dans » doit être interprétée comme unsynonyme de est, elle a été reprise dans unCompendium (avec en outre la mention dela formule latine entre parenthèses), quidevrait être simple et essentiel. Pourquoine pas dire simplement, au moins dans leCompendium, « l’unique Église du Christest l’Église catholique ? »

Aux quatre caractéristiques de l’Église(unité, sainteté, catholicité, apostolicité),les catéchismes traditionnels ont toujoursajouté la romanité, parce que ces « quatrecaractères ne se rencontrent que dans l’É-glise qui reconnaît pour chef l’évêque deRome, successeur de saint Pierre » (Grandcatéchisme de saint Pie X, § 162). La« romanité » de l’Église ne se trouve pasdans le Compendium.

CCEC Art. 15 : « Depuis les Apôtres, ledépôt de la foi est confié à l’ensemble del’Église. »

OBJECTIONGrand catéchisme de saint Pie X, § 180 :

« Parmi les membres qui composent l’É-glise il y a une distinction primordiale, caril y a ceux qui commandent et ceux quiobéissent, ceux qui enseignent et ceux quisont enseignés. »

L’article du Compendium aurait dû pré-ciser que le depositum fidei est confié àl’Église enseignante pour qu’elle l’en-seigne, et aux fidèles pour qu’ils l’appren-nent.

CCEC Art. 52 : « [L’Église] est signe etinstrument de la réconciliation et de lacommunion de toute l’humanité avec Dieuet de l’unité de tout le genre humain. »

OBJECTIONPie XII, Mystici Corporis : « Il y faut

[dans l’Église] une union de tous lesmembres qui leur permette de conspirer àune même fin [...] Et précisément, la fin estici très haute : c’est la sanctification conti-nuelle des membres de ce Corps, à la gloirede Dieu et de l’Agneau qui a été immolé [...]Il faut que cet accord de tous les membresse manifeste aussi extérieurement, par laprofession d’une même foi, mais aussi parla communion des mêmes mystères, par laparticipation au même sacrifice, enfin par

la mise en pratique et l’observance desmêmes lois. Il est, en outre, absolumentnécessaire qu’il y ait, manifeste aux yeux detous, un Chef suprême, par qui la collabora-tion de tous en faveur de tous soit dirigéeefficacement pour atteindre le but proposé :Nous avons nommé le Vicaire de Jésus-Christ sur la terre. »

Puisque la mission de l’Église diffèreessentiellement de celle de toute organisa-tion mondialiste, il est indispensable despécif ier que l’unité entre les hommesqu’elle apporte est l’unité en l’unique foi,en l’unique culte, en l’unique Églisecatholique, en son unique chef, le PontifeRomain. En dehors de quoi il ne peut yavoir aucune véritable unité. Bannissanttout humanisme « horizontal », l’Église ala mission de sauver et sanctif ier leshommes, pour la gloire de Dieu ; le reflet,en quelque sorte, de cette œuvre de portéesurnaturelle est aussi l’union des hommesentre eux comme membres de l’uniqueCorps mystique. L’Église ne se donne pourfinalité aucune autre unité.

CCEC Art. 180 : « Tout Évêque exerceson ministère comme membre du collègeépiscopal, en communion avec le Pape,ayant avec lui à prendre part à la sollicitu-de de l’Église universelle. »

OBJECTIONGrand catéchisme de saint Pie X, § 206 :

« Les évêques sont les pasteurs desfidèles, placés par le Saint Esprit au gou-vernement de l’Église dans les sièges quileurs sont confiés, sous la dépendance duPontife Romain. »

Il n’est donc pas suffisant d’être cumPetro ; il faut être aussi sub Petro, comme leréaffirma le bienheureux Pie IX : « Suffit-ild’être en communion de foi avec ce Siègesans lui être soumis dans l’obéissance ?C’est une chose que l’on ne peut pas soute-nir sans manquer à la foi catholique (Ency-clique Quæ in Patriarchatu, 1er sept.1876). »

CCEC Art. 182-183 : « Le Pape [...] a,par institution divine, un pouvoir plénier,suprême, immédiat et universel » ; « LeCollège des Évêques, en communion avecle Pape et jamais sans lui, exerce aussi surl’Église un pouvoir suprême et plénier. »

OBJECTIONC’est une contradiction dans les termes

que d’aff irmer le pouvoir suprême dedeux sujets distincts, c’est-à-dire le Papeet le Collège des évêques avec le Pape.Seul le Pape a un pouvoir suprême,comme l’aff irme Léon XIII : « Jésus-Christ a donc donné Pierre à l’Église poursouverain chef, et Il a établi que cettepuissance [...] passerait par héritage auxsuccesseurs de Pierre [...] Assurément,c’est au bienheureux Pierre, et en dehorsde lui à aucun autre, qu’Il a fait cette pro-messe insigne. » (Enc. Satis cognitum). Cepouvoir s’exerce aussi directement sur lesévêques, qu’ils soient pris individuelle-ment ou collégialement, comme l’indiquesaint Pie X dans le passage du catéchismecité.

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Courrier de RomeAvril 2008 5CCEC Art. 326 : « L’ordination épisco-

pale confère la plénitude du sacrement del’Ordre. Elle fait de l’Évêque le succes-seur légitime des Apôtres [...]. »

OBJECTIONGrand catéchisme de saint Pie X, § 208 :

« L’évêque est appelé Pasteur légitimeparce que la juridiction, c’est-à-dire lepouvoir qu’il a de gouverner les fidèles deson diocèse lui a été conférée selon lesrègles et les lois de l’Église. »

La légitimité de l’évêque n’est pas don-née par la simple ordination épiscopale,comme l’affirme le Compendium, maispar le Pape qui confère à l’évêque le pou-voir sur le diocèse selon les lois ecclésias-tiques : « Le successeur de Pierre, par leseul fait qu’il occupe la place de Pierre, sevoit confier, de droit divin, la garde detoutes les brebis de Jésus-Christ, de sortequ’avec l’épiscopat [dans le diocèse deRome] il reçoit le pouvoir du gouverne-ment universel [sur toute l’Église] ; tandisque pour les autres évêques, il est néces-saire que leur soit confiée une partie déter-minée du troupeau, afin qu’ils puissentexercer sur cette partie la juridiction ordi-naire (Pie IX, Encyclique. Quartus supravigesimus, 6 janvier 1873). »

La grave affirmation selon laquelle laseule ordination épiscopale suff it pourfaire d’un évêque un « légitime » succes-seur des Apôtres ne peut que favoriser leschisme.

4. L’INFAILLIBILITÉ DU MAGISTÈRE

CCEC Art. 185 : « L’infaillibilité s’exer-ce quand le Souverain Pontife, en vertu deson autorité de suprême Pasteur de l’Égli-se, ou le Collège des Évêques en commu-nion avec le Pape, surtout lorsqu’ils sontrassemblés en Concile œcuménique,déclarent par un acte définitif une doctrinerelative à la foi ou à la morale, ou encorequand le Pape et les Évêques, dans leurmagistère ordinaire, sont unanimes àdéclarer une doctrine comme définitive. »

OBJECTIONPour que le Magistère ordinaire, pontifi-

cal ou épiscopal, soit infaillible, il ne suffitpas que le Pape et les évêques soient« unanimes à déclarer une doctrinecomme définitive », mais il est surtoutnécessaire qu’ils la proposent soit commedéjà définie, soit comme depuis toujourscrue et admise dans l’Église. Dans cecas - comme le précisa le card. Felici àpropos d’Humanæ Vitæ - la source del’infaillibilité est l’infaillibilité même del’Église.

Il ne suffit donc pas de dire « Magistèreordinaire », comme dans le Compendium,mais il faut ajouter « universel [etconstant] ». Telles sont les caractéristiquesqui confèrent au Magistère ordinaire l’in-faillibilité propre de l’Église.

5. ŒCUMÉNISME

CCEC Art. 163 : « Dans les Églises etCommunautés ecclésiales, qui se sontséparées de la pleine communion de l’É-glise catholique, se rencontrent de nom-

breux éléments de sanctif ication et devérité. Tous ces éléments de bien provien-nent du Christ et tendent vers l’unitécatholique. Les membres de ces Églises etCommunautés sont incorporés au Christpar le Baptême ; nous les reconnaissonsdonc comme des frères. »

OBJECTIONPie XI, Encyclique Mortalium animos, 6

janvier 1928 : « Quiconque ne lui est pasuni [au Corps mystique du Christ, c’est-à-dire à l’Église] n’est pas un de sesmembres et n’est pas attaché à sa tête quiest le Christ. »

Ceux qui sont séparés de l’Église ne sonten aucune façon en communion avec le Sei-gneur Jésus, parce qu’il n’existe pas d’autrefaçon d’entrer en communion avec le Filsde Dieu que d’être incorporé dans sonCorps mystique, non seulement par le bap-tême, mais aussi par la vraie foi et l’obéis-sance aux Pasteurs légitimes. C’est pourcette raison que Pie XII, précisément dansl’encyclique consacrée à l’Église, dut affir-mer : « Ceux-là se trompent donc dangereu-sement qui croient pouvoir s’attacher auChrist Tête de l’Église sans adhérer fidèle-ment à son Vicaire sur la terre (Pie XII,Encyclique Mystici Corporis, 29 juin1943). »

Et quant aux « éléments de bien » qui setrouvent en dehors de l’Église catholique,il faut être précis ; le Compendium établitune concordance suivant laquelle lesmoyens de salut, présents matériellementdans les différentes religions chrétiennes,ordonneraient par eux-mêmes les diffé-rentes confessions à l’unité catholique.Mais cette position est très différente decelle exprimée dans la lettre du Saint Offi-ce à l’archevêque de Boston : « Dans soninf inie miséricorde, Dieu a voulu que,s’agissant de moyens de salut ordonnés àla fin dernière de l’homme non par néces-sité intrinsèque mais seulement par divineinstitution, on puisse également obtenirleur effet salutaire, dans certaines cir-constances, alors que ces moyens sont seu-lement objet de “désir” ou de “vœu”(Lettre à l’archevêque de Boston, 8 août1949). » L’Église catholique, seul moyende salut, hors de laquelle personne ne peutse sauver, est la seule à posséder mesmoyens salvifiques, dont les effets salu-taires peuvent toutefois se répandre mêmeen dehors d’elle. Ce sont donc seulementles effets salutaires qui peuvent se trouveren dehors de l’Église, et non les moyenssalvifiques, qui appartiennent en propreuniquement à l’Église catholique, et sontusurpés dans différentes mesures par lessectes hérétiques et / ou schismatiques.

CCEC Art. 164 : « Le désir de rétablirl’union entre tous les chrétiens est un dondu Christ et un appel de l’Esprit Saint. Ilconcerne toute l’Église et il s’accomplitpar la conversion du cœur, la prière, laconnaissance fraternelle réciproque, ledialogue théologique. »

OBJECTIONPie XI, Encyclique Mortalium animos, 6

janvier 1928 : « Il n’est pas permis [...] deprocurer la réunion des chrétiens autre-ment qu’en poussant au retour des dissi-dents à la seule véritable Église duChrist. »

Ce qui, dans l’enseignement de toujoursde l’Église, constitue la seule voie possiblepour l’unité des chrétiens, et simplementpassé sous silence dans le Compendium,confirmant ainsi ce que le cardinal Kaspera affirmé : « Le but de l’œcuménisme nepeut être conçu comme un simple retourdes autres dans le sein de l’Église catho-lique (cf. L’Osservatore Romano, 12 nov.2004, pp. 8-9). » Cet article du Compen-dium semble « baptiser » cette position,contraire à celle de l’Église ; en effet : « Ilne faudra aucunement passer sous silenceou couvrir de paroles ambiguës ce que lavérité catholique enseigne… sur la seulevraie union qui se réalise par le retour desdissidents à l’unique vraie Église du Christ(Pie XII, Instr. Ecclesia Catholica, 20 déc.1949). »

CCEC Art. 168 : « Tous les hommes,sous diverses formes, appartiennent ousont ordonnés à l’unité catholique dupeuple de Dieu. Est pleinement incorporéà l’Église catholique celui qui, ayant l’Es-prit du Christ, est uni à elle par les liens dela profession de foi, des sacrements, dugouvernement ecclésiastique et de la com-munion. Les baptisés qui ne réalisent paspleinement cette unité catholique sontdans une certaine communion, bienqu’imparfaite, avec l’Église catholique. »

OBJECTIONGrand catéchisme de saint Pie X, § 151 :

« Pour être membre de l’Église, il estnécessaire d’être baptisé, de croire et deprofesser la doctrine de Jésus-Christ, departiciper aux mêmes sacrements, dereconnaître le Pape et les autres Pasteurslégitimes de l’Église. »

Nous sommes face à deux conceptionsopposées : pour le Compendium, tout lemonde appartient à l’Église, bien qu’à desdegrés différents de plénitude, ou dumoins tout le monde est ordonné àl’Église ; pour la doctrine traditionnelle, aucontraire, celui qui ne répond pas à cer-taines conditions n’appartient pas à l’Égli-se : « Ces sociétés, ni individuellement nitoutes ensemble, ne constituent en aucunefaçon ni ne sont cette unique Église catho-lique que Jésus-Christ édifia, constitua etdont Il voulut l’existence ; on ne peut nonplus dire, en aucune façon, qu’elles sontmembres ou parties de cette même Égli-se, puisqu’elles sont visiblement séparéesde l’unité catholique (Pie IX, Iam vosomnes, 13 sept. 1868). »

Une conciliation entre ces deux posi-tions est impossible dans la mesure où laliste de ceux qui sont « en dehors de l’É-glise » a disparu du Compendium.

CCEC Art. 171 : « Grâce au Christ et àson Église, peuvent parvenir au salut éter-nel ceux qui, sans faute de leur part, igno-rent l’Évangile du Christ et son Église,mais recherchent Dieu sincèrement et,

Page 35: Courrier de Rome

Courrier de Rome6 Avril 2008sous l’influence de la grâce, s’efforcent defaire sa volonté, reconnue à travers ce queleur dicte leur conscience. »

OBJECTIONLettre du Saint Office à l’archevêque de

Boston, 8 août 1949 : « Toutefois, il nefaut pas croire que n’importe quelle sortede désir d’entrer dans l’Église suffise à sesauver. Le désir par lequel quelqu’unadhère à l’Église doit être vivifié par lacharité parfaite. Un désir implicite ne peutpas produire son effet si l’on ne possèdepas la foi surnaturelle, “car pour s’appro-cher de Dieu, il faut croire qu’il existe etqu’il récompense ceux qui le cherchent”(Hébr. 11, 6). »

Il est bon de rappeler ce qu’enseigne leSaint Office, pour ne pas s’imaginer qu’unquelconque désir de Dieu et de l’Égliseserait suffisant pour se sauver.

6. LA TRÈS SAINTE VIERGE MARIE

CCEC Art. 196 : « La bienheureuseVierge Marie est Mère de l’Église dansl’ordre de la grâce parce qu’elle a donnénaissance à Jésus, le Fils de Dieu, Tête deson Corps qui est l’Église. En mourant surla croix, Jésus l’a donnée comme mère àson disciple, par ces mots : “Voici tamère” (Jn 19,27). »

Il faut préciser que sur la croix, Jésus afait de Marie la mère de tous les hommes,et non pas seulement de saint Jean. C’estpourquoi, dans ce passage évangélique, estsignif iée la maternité universelle deMarie.

CCEC Art. 198 : [Quel type de culteconvient-il à la Sainte Vierge?] « C’est unculte particulier, mais qui diffère essentiel-lement du culte d’adoration, réservé uni-quement à la Sainte Trinité. Ce culte devénération spéciale trouve une expressionparticulière dans les fêtes liturgiquesdédiées à la Mère de Dieu ainsi que dansles prières mariales, comme le Rosaire,résumé de tout l’Évangile. »

Il vaut mieux préciser que le culte adres-sé à la très sainte Vierge Marie est appeléhyperdulie, pour le distinguer du culte delatrie dû à Dieu seul, et pour le placer au-dessus du culte adressé aux autres saints(dulie), comme l’exprime le Grand caté-chisme de saint Pie X, § 371 : « Le culteparticulier que nous rendons à la très sain-te Vierge Marie s’appelle hyperdulie,c’est-à-dire vénération spéciale commemère de Dieu. »

7. LES FINS DERNIÈRES

CCEC Art. 212 : « La peine principalede l’enfer est la séparation éternelle deDieu. C’est en Dieu seul que l’hommepossède la vie et le bonheur pour lesquelsil a été créé et auxquels il aspire. Le Christexprime cette réalité par ces mots : “Allez-vous-en loin de moi, maudits, dans le feuéternel” (Mt 25,41). »

OBJECTIONLa phrase évangélique que cite le Com-

pendium ne se réfère pas uniquement à lapeine de la privation de Dieu (peine du

dam) mais aussi à celle du sens, c’est-à-dire au feu éternel, qui n’est pas mention-né dans le Compendium. Les paroles del’Évangile citées doivent être comprises ausens littéral. Il faut le souligner, caraujourd’hui nombreux sont ceux quicroient que les flammes de l’enfer sontseulement un symbole, ce qui a étécondamné par le Synode d’Arles (473).

CCEC Art. 262 : « Quant aux petitsenfants morts sans Baptême, l’Église danssa liturgie les confie à la miséricorde deDieu. »

OBJECTIONCatéchisme de la doctrine chrétienne de

saint Pie X (1914), § 100 : « Les enfantsmorts sans baptême vont aux Limbes, oùils ne jouissent pas de Dieu, mais ne souf-frent pas ; car ayant le péché originel, etcelui-là seulement, ils ne méritent pas leparadis, mais ils ne méritent pas non plusl’enfer ni le purgatoire. »

Le Compendium ne dit rien des Limbes,que la Révélation, le Magistère, laréflexion théologique et la foi populaireont affirmés pendant des siècles par unaccord constant, et qui sont entrés de droitdans le catéchisme. La doctrine desLimbes n’est pas une simple opinion théo-logique. Elle est fondée sur une vérité defoi définie : le péché originel qui se trans-met par génération, et sur la nécessité demoyen du baptême pour enlever cettetache et aller au ciel (baptême au moins dedésir qui requiert toutefois l’usage de laraison, que les enfants n’ont pas encore).Il reste seulement à définir si les enfantsqui sont aux Limbes souffrent (peine dusens / peine du dam) ou non. La secondehypothèse est la doctrine la plus communedans l’Église. Saint Augustin, repris parsaint Robert Bellarmin, a considéréqu’aux Limbes, il y avait une « peine trèsclémente » à purger. Toutefois, la quasi-totalité des Pères (grecs et latins), les Sco-lastiques (avec saint Thomas, « DocteurCommun » de l’Église), jusqu’au Caté-chisme de saint Pie X, affirment qu’il n’ya aucune peine aux Limbes. Cette notiondevrait être définie, même si elle est déjàcommunément enseignée et crue.

8. LA LITURGIE

CCEC Art. 248 : [Le critère qui garantitl’unité dans la pluralité] « est la fidélité àla Tradition apostolique, à savoir la com-munion dans la foi et dans les sacrementsreçus des Apôtres, communion signifiée etgarantie par la succession apostolique.L’Église est catholique : elle peut doncintégrer dans son unité toutes les véri-tables richesses des différentes cultures. »

OBJECTIONGrégoire XVI, Lett. Studium pio, 6 août

1842 : « Rien ne serait plus désirable quede voir observer parmi vous, en tous lieux,les constitutions de saint Pie V [...], quivoulait que l’on ne puisse dispenser per-sonne de l’obligation d’adopter le Bréviai-re et le Missel publiés, selon les intentionsdu Concile de Trente, pour l’usage desÉglises de rite romain, à l’exception de

ceux qui se servaient habituellement,depuis plus de deux siècles, d’un Bréviaireet d’un Missel différents. Il voulait toute-fois que même ceux-là ne puissent paschanger et rechanger, selon leur caprice,ces livres, mais qu’ils puissent seulementconserver, s’ils le voulaient, les livres dontils faisaient usage. »

S’il est vrai que l’Église a toujoursreconnu une légitime variété de rites, il estégalement vrai qu’elle n’a jamais autorisél’idée d’introduire de nouveaux rites ou demodifier arbitrairement les rites légitimes.L’article du Compendium est en revancheplutôt vague, et il fournit un prétexte auprincipe d’une réforme permanente de laliturgie. Le critère défini par saint Pie Vest bien différent, comme on le voit dansle texte de Grégoire XVI. Sont légitimes lavariété des rites déjà existants, de pra-tiques locales, à condition qu’ils soientexempts de toute dérive superstitieuse,idolâtre ou profane, ou encore la modifi-cation ou l’enrichissement, approuvés parle Saint Siège, de certains éléments desrubriques. N’est pas suffisant, par consé-quent, le critère de la fidélité à une Tradi-tion apostolique (qui n’est pas mieux défi-nie), critère qui, seul, pourrait facilementjustif ier la tendance archéologiste,condamnée par Pie XII dans MediatorDei.

CCEC Art. 249 : « Dans la liturgie, sur-tout dans la liturgie des sacrements, il y ades éléments immuables, parce qu’ils sontd’institution divine, dont l’Église est lafidèle gardienne. Il y a aussi des élémentssusceptibles de changement, qu’elle a lepouvoir et parfois le devoir d’adapter auxcultures des différents peuples. »

OBJECTIONPie XII, Encyclique Mediator Dei, 20

novembre 1947 : « La sainte liturgie estformée d’éléments humains et d’élémentsdivins ; ceux-ci, évidemment, ayant étéétablis par le divin Rédempteur, ne peu-vent en aucune façon être changés par leshommes ; les premiers, au contraire, peu-vent subir des modifications diverses,selon que les nécessités des temps, deschoses et des âmes les demandent, et quela hiérarchie ecclésiastique [...] les auraapprouvées. »

Les deux textes peuvent à première vuesembler identiques ; ils comportent aucontraire deux différences très impor-tantes. Le texte de Pie XII s’accorde augenre des réformes faites jusqu’au NovusOrdo exclu. Ces réformes visaient à enle-ver quelques éléments qui s’étaient intro-duits avec le temps, mais qui ne corres-pondaient pas à l’esprit liturgique (par ex.la réforme de la musique sacrée, de saintPie X), ou à restaurer des pratiques tom-bées en désuétude (par ex. la réintroduc-tion de la communion fréquente, toujourspar saint Pie X), ou encore la modificationde rites pour des raisons vraiment pasto-rales (par ex. le déplacement des officesdu Triduum pascal dans l’après-midi, sousPie XII). Dans le Compendium, aucontraire, on affirme que l’Église devrait

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Courrier de RomeAvril 2008 7réformer sa liturgie pour l’adapter aux cul-tures des différents peuples ! De plus, onintroduit le principe que certains aspectsde la liturgie non seulement peuvent, maisdoivent être changés. Avec ces critères, laliturgie se trouve exposée à un change-ment continuel selon des paramètres exté-rieurs à la foi (les cultures des peuples).C’est précisément ce qu’aff irmaitBugnini : la réforme devrait être « sanslimites de temps, d’espace, d’initiativeset de personnes, de modalités et de rites,afin que la liturgie soit vivante pour tousles hommes de tous les temps et de toutesles générations. » (Notitiæ 61, février1971, p. 52).

9. LES SACREMENTS EN GÉNÉRAL

CCEC Art. 230 : « Même s’ils ne sontpas tous donnés à chaque croyant, lessacrements sont nécessaires à ceux quicroient au Christ, parce qu’ils confèrentles grâces sacramentelles, le pardon despéchés, l’adoption comme fils de Dieu, laconformation au Christ Seigneur et l’ap-partenance à l’Église. L’Esprit Saint guéritet transforme ceux qui les reçoivent. »

OBJECTIONGrand catéchisme de saint Pie X, § 545 :

« Le baptême est nécessaire à tous et lapénitence est nécessaire à tous ceux qui ontpéché mortellement après le baptême. »

La nécessité des sacrements (baptême etpénitence, en particulier, suivant la dis-tinction du catéchisme) pour le salut et laraison de cette nécessité valent pour touset non seulement pour « ceux qui croientau Christ ». Les chrétiens ont la grâce d’encomprendre la raison. L’article du Com-pendium, au contraire, laisse entendre queceux qui ne sont pas chrétiens peuvent sesauver aussi d’autres façons, sans sacre-ments, et même sans le désir de les rece-voir. Mais cela est manifestement faux,d’après l’anathème du Concile de Trente(Decretum de sacramentis) : « Si quel-qu’un affirme que les sacrements de lanouvelle loi ne sont pas nécessaires ausalut, mais superflus, et que sans ceux-ciou sans le désir de les recevoir, leshommes obtiennent de Dieu, par la seulefoi, la grâce de la justification [...], qu’ilsoit anathème. »

10. LES SACREMENTS EN PARTICULIER :LE BAPTÊME

CCEC Art. 256 : « Le rite essentiel de cesacrement [le baptême] consiste à plongerdans l’eau le candidat ou à verser de l’eausur sa tête, en prononçant l’invocation : aunom du Père, et du Fils, et du SaintEsprit. »

OBJECTIONGrand catéchisme de saint Pie X, § 554 :

« La forme du baptême est celle-ci : Je tebaptise au nom du Père et du Fils et duSaint-Esprit. »

Il ne suffit pas que soit invoqué le nomdu Père et du Fils et du Saint-Esprit : ilfaut expressément prononcer la formule :Je te baptise…, sinon le baptême n’est pasvalide. Cette imprécision dans un catéchis-

me est très grave !

LES SACREMENTS EN PARTICULIER :L’EUCHARISTIE

CCEC Art. 277 : « [La célébration del’eucharistie] se déroule en deux grandesparties, qui forment un seul acte cultuel :la liturgie de la Parole, qui comprend laproclamation et l’écoute de la Parole deDieu, et la liturgie eucharistique, qui com-prend la présentation du pain et du vin, laprière ou anaphore comportant les parolesde la consécration, et la communion. »

OBJECTIONGrand catéchisme de saint Pie X, § 654 :

« La sainte Messe est le sacrif ice duCorps et du Sang de Jésus-Christ offertsur nos autels sous les espèces du pain etdu vin, en mémoire du sacrifice de laCroix. »

L’Église n’a jamais considéré « deuxgrandes parties » dans la sainte Messe,mais un seul grand moment, dont tout cequi le précède constitue la préparation, ettout ce qui le suit constitue le fruit et leremerciement. Cela ne signifie en aucunefaçon un manque de considération pour lapartie didactique de la Messe, comme onl’a souvent dit à tort. Accorder une valeuret une importance égales à des réalitésdont l’une est en réalité subordonnée àl’autre, signifie bouleverser la vérité.

De plus, il faut corriger la notionimpropre de l’offertoire, qui n’est pas unesimple « présentation du pain et du vin »,mais qui exprime la valeur de satisfactionet de propitiation du sacrifice.

CCEC Art. 283 : « La transsubstantia-tion signifie la conversion de toute la sub-stance du pain en la substance du Corpsdu Christ et de toute la substance du vinen la substance de son Sang. Cette conver-sion se réalise au cours de la prière eucha-ristique, par l’efficacité de la parole duChrist et de l’action de l’Esprit Saint. »

OBJECTIONGrand catéchisme de saint Pie X, § 605 :

« Le changement du pain en le Corps etdu vin en le Sang de Jésus-Christ se faitdans l’acte même dans lequel le prêtre,dans la sainte Messe, prononce les parolesde la consécration. »

La définition du Compendium est incor-recte. En effet, ce n’est pas dans la « prièreeucharistique » générale qu’a lieu la trans-substantiation, mais exactement aumoment où le prêtre prononce les parolesde la consécration ; pas un instant avant,pas un instant après. On constate parailleurs clairement l’influence de l’épiclè-se des orthodoxes, qui attribuent l’effica-cité de consécration non aux paroles duChrist, mais à l’invocation du Saint-Esprit.

Une autre précision est également utile :par la transsubstantiation, le pain et le vindeviennent intégralement le Corps, leSang, l’âme et la divinité de Notre-Sei-gneur Jésus-Christ, comme le précise leGrand catéchisme, répondant à laquestion ; « Sous les espèces du pain, y a-t-il seulement le Corps de Jésus-christ, et

sous les espèces du vin, y a-t-il seulementson Sang? (§ 162) ». Autrement, on pour-rait prêter le flanc à ceux qui soutiennentla nécessité de la communion sous lesdeux espèces.

CCEC Art. 293 : « Les ministres catho-liques administrent licitement la Commu-nion aux membres des Églises orientalesqui ne sont pas en pleine communion avecl’Église catholique, mais qui la demandentde leur plein gré, avec les dispositionsrequises. Quant aux membres des autresCommunautés ecclésiales, les ministrescatholiques administrent licitement laCommunion aux f idèles qui, en raisond’une nécessité grave, la demandent deleur plein gré, qui sont bien disposés et quimanifestent la foi catholique à l’égard dusacrement. »

OBJECTIONCodex Iuris Canonici de Benoît XV, can.

731, § 2 : « Il est interdit d’administrer lessacrements de l’Église aux hérétiques ouaux schismatiques, même s’ils sont dansl’erreur en étant de bonne foi et s’ils ledemandent, s’ils ne se sont pas d’abordréconciliés avec l’Église, après avoir reje-té leurs erreurs. »

Encore une fois nous nous trouvons faceà deux règles opposées, qui découlent dedeux conceptions contradictoires de l’ap-partenance à l’Église. Pour le Compen-dium, l’élément déterminant est la disposi-tion subjective, qui suppléerait au désordreobjectif ; mais il s’agit d’une nouveautédans la tradition bimillénaire de l’Église,qui a au contraire toujours interdit la com-municatio in sacris sous peine de péchémortel, suspect d’hérésie et, en cas de per-sévérance, après six mois, sous peined’hérésie chaque fois que les éléments deséparation d’avec l’Église catholique sub-sistent objectivement. Même s’il est endanger de mort, il n’est pas permis dedonner la communion à un schismatiqueou à un hérétique (il est en revanche per-mis, sous certaines conditions, de leconfesser et de lui administrer l’extrême-onction).

Les affirmations de cet article du Com-pendium sont par conséquent très graves.

11. LES SACREMENTS EN PARTICULIER :LA CONFESSION

CCEC Art. 302 : [Les éléments essen-tiels du sacrement de la Réconciliation]« sont au nombre de deux : les actesaccomplis par l’homme qui se convertitsous l’action de l’Esprit Saint et l’absolu-tion du prêtre qui, au nom de Christ,accorde le pardon et précise les modalitésde la satisfaction. »

OBJECTIONCatéchisme de la doctrine chrétienne de

saint Pie X (1914), § 380 : « L’absolutionest la sentence par laquelle le prêtre, aunom de Jésus-Christ, remet les péchés aupénitent en disant : Je t’absous de tespéchés au nom du Père et du Fils et duSaint-Esprit. Ainsi soit-il. »

Encore une fois, le Compendium est trop

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Courrier de Rome8 Avril 2008

COURRIER DE ROMEÉdition en Français du Périodique Romain

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vague. Il n’est pas suffisant, en effet, quele prêtre « accorde le pardon » au nom deJésus, mais il faut qu’il prononce lesparoles qui constituent la forme du sacre-ment. Autrement, la confession est invali-de. Il n’est pas superflu de rappeler cesvérités dans un catéchisme ; d’autant plusqu’aujourd’hui beaucoup de prêtres inven-tent des formules d’absolution invalides.

13. LES SACREMENTS EN PARTICULIER :L’EXTRÊME-ONCTION

CCEC Art. 316 : « Tout fidèle peut rece-voir [le sacrement de l’Onction desmalades] lorsqu’il commence à se trouveren danger de mort en raison de la maladieou de son âge. »

OBJECTIONCatéchisme de la doctrine chrétienne de

saint Pie X (1914), § 396 : « On peut don-ner l’Huile sainte quand la maladie estdangereuse. »

La vieillesse ne constitue pas un motifpour recevoir ce sacrement. Ce n’est quele cas de la vieillesse décrépite, qui com-porte le probable danger de mort « abintrinseco ».

14. LES SACREMENTS EN PARTICULIER :LE MARIAGE

CCEC Art. 338 : « L’union matrimonialede l’homme et de la femme, fondée etstructurée par les lois du Créateur, estordonnée par nature à la communion et aubien des conjoints, à la génération et àl’éducation des enfants. »

OBJECTIONPie XII, Allocution aux sages-femmes

(29 octobre 1951) : « La vérité est que lemariage, comme institution naturelle, envertu de la volonté du Créateur, n’a pascomme fin première et intime le perfec-tionnement des époux, mais la procréationet l’éducation de la nouvelle vie. Lesautres fins [...] ne se trouvent pas au mêmeniveau que la première, et ne lui sont passupérieures, mais lui sont essentiellementsubordonnées. »

Dans cet article et dans d’autres sem-blables (cf. § 456, 495, 496), le Compen-dium n’aff irme jamais que les f ins dumariage ont une hiérarchie : la fin pre-mière est la procréation et l’éducation desenfants ; la fin secondaire est l’union desépoux. De plus, on ne trouve jamais l’as-pect du mariage comme remedium concu-piscentiæ.

CCEC Art. 341 : « Jésus-Christ a nonseulement restauré l’ordre initial voulu parDieu, mais il donne la grâce pour vivre leMariage dans sa dignité nouvelle de sacre-ment, qui est le signe de son amour spon-sal pour l’Église : “Vous, les hommes,aimez votre femme à l’exemple du Christ :il a aimé l’Église” (Ep 5,25). »

OBJECTIONPie XI, Encyclique Casti connubii, 31

décembre 1930 : [L’ordre de l’amour]« implique et la primauté du mari sur safemme et ses enfants, et la soumissionempressée de la femme ainsi que son

obéissance spontanée, ce que l’Apôtrerecommande en ces termes : “que lesfemmes soient soumises à leurs mariscomme au Seigneur ; parce que l’hommeest le chef de la femme comme le Christest le Chef de l’Eglise”. »

L’article du Compendium « censure » lasuite du passage de l’épître aux Éphésiens,mis en lumière par Pie XI qui, un peu plusloin, après avoir précisé en quoi consiste lasoumission de la femme au mari, réaffir-me : « La soumission de la femme à sonmari peut varier de degré, elle peut varierdans ses modalités, suivant les conditionsdiverses des personnes, des lieux et destemps [...]. Mais, pour ce qui regarde lastructure même de la famille et sa loi fon-damentale, établie et fixée par Dieu, iln’est jamais ni nulle part permis de lesbouleverser ou d’y porter atteinte. »

CCEC Art. 345 : « Pour être licites, lesmariages mixtes (entre un catholique et unbaptisé non catholique) requièrent la per-mission de l’autorité ecclésiastique. Lesmariages avec disparité de culte (entre uncatholique et un non baptisé) ont besoind’une dispense pour être valides. Danstous les cas, il est indispensable que lesconjoints n’excluent pas la reconnaissancedes fins et des propriétés essentielles dumariage, et que la partie catholique accep-te les engagements, connus aussi del’autre conjoint, de garder sa foi et d’assu-rer le Baptême et l’éducation catholiquedes enfants. »

OBJECTIONCodex Iuris Canonici de Benoît XV, can.

1060 : « L’Église interdit toujours et sévè-rement qu’un mariage soit contracté entredeux personnes baptisées dont une seraitcatholique et l’autre appartiendrait à unesecte hérétique ou schismatique ; s’il y adanger de perversion du conjoint catho-lique et des enfants, le mariage est interditpar la loi divine elle-même. »

De plus :Ibidem, can. 1070 : « Le mariage

contracté entre une personne non baptiséeet une personne baptisée dans l’Églisecatholique [...] est nul. »

La teneur des deux articles (le secondest cité aussi par pie XI dans Casti connu-bii) est manifestement différente. L’Églisea toujours interdit les mariages mixtes,parce qu’ils « fournissent l’occasion departiciper à des pratiques religieusesdéfendues. Ils créent un péril pour la foide l’époux catholique. Ils sont un empê-chement à la bonne éducation des enfants,et très souvent ils accoutument les espritsà tenir pour équivalentes toutes les reli-gions » (Léon XIII, Encyclique Arcanumdivinæ Sapientiæ, 10 février 1880). Dansle Compendium, en revanche, il est ditexplicitement qu’il faut une permission ouune dispense et, fait encore plus grave, onse limite à affirmer que le conjoint noncatholique soit simplement « connaître »les engagements du conjoint catholique.Celui-ci, au contraire, doit s’engager à lesrespecter par une déclaration écrite, autre-

ment le conjoint catholique et les enfantssont exposés à la perte de la foi, ce qui estinterdit non seulement par les dispositionsecclésiastiques, mais aussi divines !

CCEC Art. 497 : « La régulation desnaissances, qui représente un des aspectsde la paternité et de la maternité respon-sables, est objectivement conforme à lamorale quand elle se vit entre les épouxsans contrainte extérieure, ni par égoïsme,mais pour des motifs sérieux et par desméthodes conformes aux critères objectifsde moralité, à savoir par la continencepériodique et le recours aux périodes infé-condes. »

OBJECTIONPie XII, Allocution aux sages-femmes,

29 octobre 1951 : « S’il n’y a pas, selonun jugement raisonnable et juste, degraves raisons personnelles ou venant decirconstances extérieures, la volonté [desépoux] d’éviter habituellement la fécondi-té de leur union ne peut découler qued’une fausse appréciation de la vie, et demotifs étrangers aux justes règleséthiques. »

L’adjectif « grave », plus fort, soulignemieux que l’acte conjugal est voué en lui-même à la procréation, fin première dumariage.

Lanterius(à suivre)

Page 38: Courrier de Rome

s ì s ì no no« Que votre OUI soit OUI, que votre NON soit NON, tout le reste vient du Malin »

(Mt 5, 37)

Le numéro 3€Mai 2008Mensuel - Nouvelle SérieAnnée XLII n° 311 (501)

Le secrétariat de

Sì Sì No No sera fermé en juillet et août

LAMORT CÉRÉBRALE EST-ELLE LA FIN DE LA VIE ?La demande d’un moratoire sur la question

de l’avortement, qui a récemment animé ledébat dans l’opinion publique en Italie, aremis en avant la question du respect de lavie humaine. Cette initiative a réuni de nom-breux défenseurs de l’embryon, qui deman-dent de soustraire à la manipulation destruc-trice de l’homme les phases initiales del’existence de l’être vivant. Mais on n’appor-te pas autant d’attention aux problèmeséthiques soulevés par la vie qui arrive à safin, en particulier aux problèmes qu’entraî-nent les méthodes de vérification du décèspar le recours à des critères liés à la fonc-tionnalité de l’encéphale.

Il existe trois types de critères pour véri-fier le décès de l’être humain : les critèresanatomiques, fondés sur la constatation dela destruction corporelle; les critères cardio-vasculaires, fondées sur l’évidence cliniqueet instrumentale de l’absence prolongée depulsations cardiaques et de circulation san-guine ; les critères neurologiques. Ces der-niers critères s’appliquent dans le cas depatients qui meurent alors qu’ils sont encorereliés aux appareils de réanimation et derespiration; les médecins qui doivent véri-fier la mort doivent démontrer un état quel’art. 1 de la loi italienne n. 578 / 1993(Règles pour la vérification et la certifica-tion de la mort) identifie au décès de l’êtrehumain : « la cessation irréversible de toutesles fonctions de l’encéphale. »

Le législateur italien a fondé sa décisionsur une série d’études internationales,menées pour la plupart au cours des annéessoixante-dix et quatre-vingt, selon les-quelles l’encéphale, y compris le troncencéphalique, est responsable du contrôle,de l’intégration et du fonctionnement coor-

donné de l’organisme. L’encéphale toutentier serait, en d’autres termes, « l’intégra-teur central », et la cessation de ses fonc-tions transformerait l’organisme en unesimple collection d’organes, dont les activi-tés seraient vouées à s’éteindre rapidement.

Des études plus récentes, conduites depuisles années quatre-vingt-dix par des neuro-logues principalement américains et britan-niques, ont toutefois mis en doute cettethéorie et ont contribué à susciter un largedébat international sur l’emploi et la fiabili-té des critères neurologiques pour détermi-ner la mort.

Il ne s’agit pas, comme on pourrait lecroire à première vue, d’une question pure-ment médico-biologique, dont l’analysedevrait être laissée aux spécialistes. C’est unproblème bien plus vaste, dans la mesure oùles critères neurologiques de la « mort céré-brale totale » sont entrés dans la pratiquemédicale, ont été pris en compte dans lajurisprudence, et représentent un prérequiséthique fondamental pour permettre le pré-lèvement d’organes vitaux uniques (commele cœur) destinés à la transplantation. Mettreen doute la théorie de l’intégrateur centralcomporte une remise en question radicaledes modalités de déclaration du décès et dela découverte d’organes à transplanter.

Il est significatif que le Conseil National[italien – ndt] de la Recherche ait décidé definancer une publication intitulée Finis Vitæ.La mort cérébrale est-elle encore la vie ?(C.N.R. – Rubettino, Soveria Manelli2007), dans laquelle sont rassemblées, entreautres, les opinions de neurologues, juristes,philosophes et théologiens européens etaméricains, qui s’interrogent depuis de nom-breuses années sur la mort cérébrale. La

publication, qui est la traduction italienne del’édition anglaise de 2006, a été présentée aupublic italien pendant une conférence quis’est tenue à Rome le 27 février 2008.

Les interventions rassemblées dans lapublication, et la discussion dont elles ontfait l’objet pendant la présentation, mon-trent qu’il n’est plus possible, ni sous l’as-pect scientifique, ni sous l’aspect éthico-philosophique, de considérer commecadavres des patients ayant subi d’impor-tantes lésions cérébrales : bien qu’ils soientprivés de la conscience et qu’ils nécessitentune assistance respiratoire, leur organismeconserve des fonctions, comme le contrôleneuro-hormonal, l’équilibre hydrosalin, lacicatrisation des plaies, qui sont l’expres-sion d’une intégration corporelle. Laconclusion à laquelle sont arrivés lesauteurs des essais est simple et bouleversan-te : la condition dénommée mort cérébraleest encore la vie, et le patient qui se trouvedans cet état, bien qu’il présente des lésionsirréversibles et fatales, est encore vivant. Laconséquence la plus immédiate de cettereconnaissance est que prélever des organessur ces sujets entraîne leur décès. Les spé-cialistes en bioéthique sont ainsi appelés, enItalie aussi, à relever un défi, qu’ils ne peu-vent pas éluder en faisant simplement appelà la loi en vigueur.

Rosangela Barcaro, Chercheur

SPE SALVI, UNE ENCYCLIQUE QUI LAISSE PERPLEXEUn lecteur nous écrit :

Très chère Rédaction,

En tant que fidèle lecteur du Courrier deRome, je voudrais vous demander de bien

vouloir me laisser exprimer dans voscolonnes mes perplexités quant à la récenteEncyclique de l’actuel Pontife, Spe Salvi,datée du 30 novembre 2007.

Cette Encyclique traite le sujet fondamen-

tal de l’« espérance chrétienne », qui estespérance en la vie éternelle, promise par leChrist à ceux qui l’aiment et suivent sesenseignements. L’Encyclique tire son titred’un célèbre passage de saint Paul : « Spe

Page 39: Courrier de Rome

Courrier de Rome2 Mai 2008salvi facti sumus » : « c’est en espéranceque nous avons été sauvés » (Rom. 8, 24).

Dans ce document, beaucoup ont été frap-pés par le fait, indubitablement positif, quele Pape n’a pas cité une seule fois le Concileœcuménique Vatican II, et aussi par le faitqu’il a critiqué différents aspects de la pen-sée moderne et contemporaine. J’ajouterai àcela le fait qu’il a abondamment utilisé lesépîtres de saint Paul et les Pères de l’Églisedans son discours; saint Paul, en particulier,qui avait été mis de côté ou déformé parVatican II, car clairement incompatible avecle « dialogue œcuménique ».

Du point de vue de l’emploi des sources,il me semble donc que l’Encyclique marqueun retour à la Tradition. Mais tous cesaspects ne sont pas suffisants, à mon avis,pour en donner un jugement globalementpositif. En ce qui concerne l’absence deréférences à Vatican II, dont certains sem-blent tirer d’optimistes auspices pour ledébut d’un « dépassement » de ce fatalConcile, je ferai remarquer que les textes deces assises n’accordent pas beaucoup deplace à l’« espérance chrétienne », car rem-plis du désir de « dialoguer » avec lesvaleurs du monde.

Quatre observations critiquesJ’en viens à la première observation cri-

tique à l’égard de l’Encyclique : il mesemble que la dimension surnaturelle del’authentique espérance chrétienne lui faitdéfaut. Deuxième observation : le documentpontifical semble accepter l’idée absurde(de Lubac et de ses camarades) selonlaquelle la conception catholique du salutaurait été, chez saint Paul et les Pères del’Église, « communautaire », pour êtreensuite progressivement transformée en uneconception « individualiste », qui l’auraitégoïstement réduite à un simple salut « indi-viduel » (Spe Salvi, § 13-15). Au § 14, l’En-cyclique loue ouvertement l’interprétationde Lubac, en s’efforçant ensuite de corrigerde façon opportune cet « individualisme »supposé, c’est-à-dire en cherchant à trouver(il me semble) le juste équilibre entreconception communautaire et individuelledu salut ! Autrement dit : entre la nouvellethéologie et le dogme de la foi!

Troisièmement, il me semble que l’espé-rance du salut est vue par le Pape du côté del’espérance intérieure du sujet (en tantqu’elle correspond à un besoin existentieldu sujet lui-même), plus que du côté de laVérité révélée, qui nous enseigne que lesalut de notre âme individuelle est une réali-té objective, établie par Dieu, qui se réalise-ra dans la vision béatifique, mais unique-ment pour qui aura cru en Notre Seigneur etsera mort dans la grâce de Dieu.

Le discours sur l’« espérance chrétienne »implique l’exposition de la doctrine des finsdernières. Et cette exposition – ce sera maquatrième observation – me semble, dansl’Encyclique, plutôt ambiguë. Ni le paradis,ni l’enfer, n’y apparaissent comme ils appa-raissent dans l’Écriture, dans la Tradition, endéfinitive dans la doctrine de l’Église, quiles a toujours représentés comme des lieux

surnaturels concrets, prédisposés par lePère, où l’âme est envoyée pour être jugéepar Notre Seigneur aussitôt après la mort,en attendant d’être réunie au corps, après leJugement Universel, qui confirmera le juge-ment imparti individuellement à chacun.

Pour Benoît XVI, l’espérance de notre foiest surtout l’espérance d’être « attendus parl’Amour de Dieu » (§ 3). Notion certaine-ment orthodoxe. Mais il faut voir commentelle est utilisée. Cette « rencontre » avecl’amour de Dieu, qui nous attend, devrait« transformer notre vie de manière que nousnous sentions rachetés par l’espérancequ’elle [cette rencontre] exprime » (§ 4). Onremarque tout de suite que la« rédemption » est présentée en fonctiond’un besoin intérieur de rédemption de lapart de l’individu, plus que comme une réa-lité objective, d’origine surnaturelle, parcequ’elle résulte de la croix et de la résurrec-tion de Notre Seigneur. En réalité, peuimporte que nous nous sentions « rachetés »ou non. D’ailleurs, quel catholique peuteffectivement se sentir « racheté »? Ce quicompte, ce n’est pas notre disposition per-sonnelle envers l’idée de la rédemption,mais bien le fait d’être effectivement rache-tés, c’est-à-dire de parvenir au salut à la finde notre vie terrestre. Mais la Révélation, etdonc la doctrine de l’Église, nous disentqu’il n’est pas possible de réaliser cet objec-tif si nous n’avons pas la foi en Notre Sei-gneur et si nous ne vivons pas selon sescommandements. En somme, la rédemptioncomme salut effectif de notre âme n’est paspossible en-dehors de l’Église, dépositairede la Révélation divine et des moyens desalut. Mais il ne me semble pas que larédemption soit présentée de cette façondans l’Encyclique.

Une notion existentiellede la « vie éternelle »

Quelle notion de la « vie éternelle » l’En-cyclique donne-t-elle?

Aux § 10-12, le Pape pose la question :« La vie éternelle – qu’est-ce que c’est? »On attend en vain une réponse claire et pré-cise, conforme à la doctrine de toujours :c’est la vie dans laquelle les élus sontcomme les Anges du Seigneurs, plongéspour toujours dans la béatitude de la visionbéatifique. La Pape commence le discoursen partant de ce que l’individu croit au sujetde la vie éternelle, s’il la veut vraiment, s’ilne la veut pas… Nous savons que la vie detous les jours est insuffisante et nous sen-tons qu’il doit, d’une certaine façon, y avoirune autre vie, mais nous ne savons paslaquelle (§ 10-11). Ces réflexions sontmenées sur des textes de saint Ambroise etde saint Augustin, dans lesquels les deuxPères de l’Église décrivent l’incertitude aveclaquelle les enfants du Siècle se représententun au-delà dont ils sentent confusémentl’exigence, sans toutefois y croire. Mais àcette incertitude, les Pères répliquaient parla certitude de la vie éternelle promise etgarantie par le Christ ressuscité, et attei-gnable (uniquement) par la foi et les œuvresen lui. Mais ce dernier aspect n’apparaît pasdans la reconstruction du Pape. Comment

commente-t-il, en effet, la phrase suivantede saint Ambroise, dans le discours funèbrepour son frère Saturus : « La mort ne doitpas être pleurée, puisqu’elle est cause desalut » (§ 10)? De cette façon singulière :« Quel que soit ce que saint Ambroise enten-dait dire précisément par ces paroles – ilest vrai que l’élimination de la mort oumême son renvoi presque illimité mettrait laterre et l’humanité dans une conditionimpossible et ne serait même pas un bénéfi-ce pour l’individu lui-même » (§ 11).

Vraie signification de la phrasede saint Ambroise

« Quel que soit » ce que saint Ambroiseentendait dire précisément? Mais ce qu’ilentendait dire est extrêmement clair : lamort est « cause de salut » pour nouscroyants, puisque c’est par la mort que nousquittons finalement les tribulations de cemonde et que nous entrons dans la vie éter-nelle, dans laquelle nous contempleronspour toujours Dieu « face à face », commedit saint Paul. C’est pour cette raison que leschrétiens appelaient justement la mort« dies natalis », jour de notre (vraie) nais-sance, car naissance à la vie éternelle, laseule vraie vie, pour l’homme. Notre« salut », au sens concret, matériel, com-mence donc par notre mort, qui nous sous-trait au prince de ce monde. Pour le pécheurimpénitent, la mort est au contraire cause deperdition, puisqu’il va vers la damnationéternelle.

Cette signification objectivement salvi-fique de notre mort, qui nous aide à vaincrela peur de la mort (résultat de la fragilitéhumaine, causée par le péché originel), nousla retrouvons déjà chez saint Paul. Il suffitde penser au fameux passage de la deuxiè-me épître à Timothée, dans laquelle ilannonce son martyre, et considère la mortcomme la libération des chaînes de cemonde, pour pouvoir finalement accéder àla récompense éternelle : « Car pour moi jesuis déjà répandu en libation et le temps demon départ est arrivé (tempus resolutionismeæ instat). J’ai combattu le bon combat ;j’ai achevé la course : j’ai gardé la foi. Aureste est préparée pour moi la couronne dejustice que me rendra le Seigneur en ce jour,le juste juge, et non seulement à moi, mais àtous ceux qui ont aimé sa manifestation » (2Tim. 4, 6-7). Non seulement pour saint Paul,bien évidemment, mais pour tous lescroyants, qui auront persévéré jusqu’à la findans le « bon combat » contre eux-mêmeset le monde, la mort est « cause de salut »,« libération » qui les introduit dans la vieéternelle. Non seulement pour saint Paul,mais pour tous les croyants, « le Christ est lavie, et la mort est un gain » (Phil. 1, 21).C’est à ce « gain » impérissable que faisaitréférence saint Ambroise, dans le passagecité par le Pape.

Une notion surtout philosophiquede la vie éternelle

Ces notions sont très claires. Commentapparaît, au contraire, la « vie éternelle »dans l’Encyclique, toujours comprise selonles méditations existentielles de l’individu?

Page 40: Courrier de Rome

Courrier de RomeMai 2008 3« L’expression “vie éternelle” cherche àdonner un nom à cette réalité connue [ausens où nous savons qu’elle doit exister]inconnue. Il s’agit nécessairement d’uneexpression insuffisante, qui crée la confu-sion. En effet, “éternel” suscite en nousl’idée de l’interminable, et cela nous faitpeur ; “vie” nous fait penser à la vie quenous connaissons, que nous aimons et quenous ne voulons pas perdre et qui est cepen-dant, en même temps, plus faite de fatigueque de satisfaction, de sorte que, tandis qued’un côté nous la désirons, de l’autre nousne la voulons pas » (§ 12). Alors commentarriver à une notion qui ne soit pas contra-dictoire ? En comprenant la vie éternellecomme « le moment de l’immersion dansl’océan de l’amour infini, dans lequel letemps – l’avant et l’après – n’existe plus.Nous pouvons seulement chercher à penserque ce moment est la vie au sens plénier,une immersion toujours nouvelle dans l’im-mensité de l’être, tandis que nous sommessimplement comblés de joie. C’est ainsi queJésus l’exprime dans Jean : “Je vous rever-rai, et votre cœur se réjouira; et votre joie,personne ne vous l’enlèvera” (16, 22). Nousdevons penser dans ce sens… » (§ 12). Ils’agit à mon avis d’une notion philoso-phique de la vie éternelle, dans laquelle pré-vaut l’idée de la « joie » que nous éprouve-rons dans « l’immersion toujours nouvelledans l’immensité de l’être » : de l’être, engénéral, et non de Dieu. La citation de saintJean est utilisée à l’appui de cette concep-tion, qui me semble plus plotinienne quechrétienne. Et cette « immersion toujoursnouvelle dans l’immensité de l’être » sera-t-elle accordée à tous, même aux pécheursimpénitents?

« Kantisme » dans l’Encyclique?Par cette dernière question, je veux dire :

comme s’accorde l’invitation du Pape à« penser dans ce sens » avec la conceptionvraiment catholique de la vie éternelle ?Sont-elles vraiment conciliables?

La « grande espérance de l’homme »,écrit Benoît XVI, « ne peut être que Dieuseul, qui embrasse l’univers et qui peut nousproposer et nous donner ce que, seuls, nousne pouvons atteindre ». Dieu est donc « lefondement de l’espérance – non pas n’im-porte quel dieu, mais le Dieu qui possède unvisage humain et qui nous a aimés jusqu’aubout – chacun individuellement et l’huma-nité tout entière » (§ 31). Avons-nous icil’affirmation nette de la nature surnaturelledu Royaume de Dieu et donc du salut ?Mais le Pape poursuit : « Son règne n’estpas un au-delà imaginaire, placé dans unavenir qui ne se réalise jamais; son règne estprésent là où il est aimé et où son amournous atteint » (§ 31). Le Royaume de Dieuest donc « présent ». Où? « là où il est aiméet où son amour nous atteint. » Dans notreconscience, alors? Le Pape semble vouloirrendre ainsi la notion exprimée dans lafameuse phrase évangélique « Le Royaumede Dieu est au-dedans de vous ». Il poursuiten effet ainsi : « Seul son amour nous donnela possibilité de persévérer avec sobriétéjour après jour, sans perdre l’élan de l’espé-

rance, dans un monde qui, par nature, estimparfait » (§ 31). Mais il ajoute aussitôtaprès : « Et, en même temps, son amour estpour nous la garantie qu’existe ce que nouspressentons vaguement [la vie éternelle] etque, cependant, nous attendons au plus pro-fond de nous-mêmes : la vie qui est “vrai-ment” vie » (§ 31).

La « garantie » de l’existence de la vieéternelle au-delà de la vague intuition quenotre esprit peut en avoir, est donc donnéepar l’Amour de Dieu pour nous. Par la révé-lation, donc? Mais le Pape ne dit pas claire-ment que cet « Amour de Dieu » est certainpour nous sur la base de la Révélation,exclusivement. À mon avis, il ne le dit pas.L’espérance du salut, ainsi décrite, restealors un fait de l’expérience intérieure del’individu, qui postule comme nécessairel’existence de l’Amour de Dieu pour croireà la réalité de l’objet de cette espérance.

Peut-être ma conclusion est-elle trop« kantienne »? Peut-être force-t-elle la pen-sée du Pape ? Pourquoi dis-je :« kantienne »? Parce que, dans le discoursdu Pape, l’Amour de Dieu semble êtreconçu comme idée nécessaire pour croire àl’existence de la vie éternelle, qui donc nerésulterait pas de façon autonome de laRévélation. De la même façon, pour Kant,l’existence de Dieu est une idée que la rai-son demande pour pouvoir légitimer l’exis-tence de la morale. Le Dieu de Kant n’estpas le Dieu vivant, c’est une idée de la rai-son. Mais pouvons-nous dire que l’idée deDieu présente dans l’Encyclique n’est pascelle du Dieu vivant? Au § 26, le Pape nedit-il pas que, par Jésus-Christ, « noussommes devenus certains de Dieu – d’unDieu qui ne constitue pas une lointaine“cause première” du monde – parce queson Fils unique s’est fait homme et de luichacun peut dire : “Ma vie aujourd’hui dansla condition humaine, je la vis dans la foi auFils de Dieu qui m’a aimé et qui s’est livrépour moi” (Gal 2, 20) »?

Et toutefois, à côté de la représentation deDieu, qui apparaît comme Dieu vivant, ontrouve dans l’Encyclique, à mon avis, l’idéedu dieu des philosophes – je ne vois pascomment l’appeler autrement – c’est-à-dire l’idée de Dieu que l’expérience inté-rieure de l’homme postule comme nécessai-re pour satisfaire ses exigences spirituelles,d’amour, de bonheur, de justice.

Nature incertaine des fins dernièresdans l’Encyclique

Cela résulte également, toujours selonmoi, de la partie finale du document, danslaquelle le Pontife nous explique le sens dequelques « “lieux” d’apprentissage pratiqueet d’exercice de l’espérance ». Je passe surla « prière » et sur « l’agir et souffrir »comme école de l’espérance, et je m’arrêtesur « le Jugement comme lieu d’apprentis-sage et d’exercice de l’espérance », qui estla partie dans laquelle sont forcément abor-dées les fins dernières.

Le « Jugement », donc. L’espérance chré-tienne est aussi « espérance dans la justicede Dieu » (§ 41). Dans le jugement, il y a

donc la « splendeur de l’espérance ». Lejugement final est « image de la responsabi-lité pour notre existence » (§ 41). Phraseobscure, à mon avis, entre autres parce quele Jugement n’est pas une simple « imagede notre responsabilité », mais la décisioninfaillible du juste Juge qui établit pour tou-jours nos responsabilités, c’est-à-dire nosfautes et nos mérites. Mais, poursuit lePape, l’iconographie a donné, dans letemps, « toujours plus d’importance à l’as-pect menaçant et lugubre du Jugement »,cachant l’aspect de l’espérance (§ 41). Lesens authentique du Jugement serait alors, àce qu’il semble, celui de l’espérance, et nonle sens « menaçant et lugubre ». Pourquoimenaçant et lugubre? Le Pape ne le dit pas.Mais on comprend qu’il fait allusion aujugement des damnés.

Dans le jugement final se réalise quoiqu’il en soit la justice divine : « Oui, larésurrection de la chair existe. Une justiceexiste. La “révocation” de la souffrance pas-sée, la réparation qui rétablit le droit exis-tent. C’est pourquoi la foi dans le Jugementfinal est avant tout et surtout espérance [...].Je suis convaincu que la question de la justi-ce constitue l’argument essentiel, en tout casl’argument le plus fort, en faveur de la foidans la vie éternelle. Le besoin seulementindividuel d’une satisfaction qui dans cettevie nous est refusée, de l’immortalité del’amour que nous attendons, est certaine-ment un motif important pour croire quel’homme est fait pour l’éternité, mais seule-ment en liaison avec le fait qu’il est impos-sible que l’injustice de l’histoire soit laparole ultime, la nécessité du retour duChrist et de la vie nouvelle devient totale-ment convaincante » (§ 43).

La parousie de Notre Seigneur et le Juge-ment universel ne doivent donc pas êtreconsidérés comme « pleinement convain-cants » sur la base de l’Écriture, de la doc-trine de l’Église? Et c’est dans une Ency-clique qu’il nous faut trouver une telle affir-mation ? Et quel est l’argument « pleine-ment convaincant » pour les enfants duSiècle ? Toujours celui qui est capable desatisfaire l’exigence intérieure de l’individu,qui, aux dires du Pape, souffrirait de voirtriompher l’injustice dans l’histoire. Pourempêcher ce triomphe, il faut croire en lajustice qui « révoquera » la souffrance pas-sée et rétablira le droit, à la résurrection desmorts. Bien sût, c’est un argument en faveurde l’existence de Dieu : étant donné l’injus-tice qui existe toujours dans le monde, ildoit bien y avoir un Dieu qui remettra touten ordre un jour. Mais que ce soit l’argu-ment sur lequel fonder, de façon « pleine-ment convaincante », la vraie « espérancechrétienne », c’est à mon avis pour le moinsdouteux, étant donné que « l’espérancechrétienne » du salut se fonde sur des faitsattestés par l’Écriture Sainte et par la Tradi-tion de l’Église, et sur les enseignements del’Église. Notre espérance a un fondementobjectif, sur la Vérité révélée, gardée dans le« dépôt de la foi ». Un fondement surnatu-rel, donc. Elle ne se fonde pas sur lesbesoins spirituels de l’individu, sur sonexpérience intérieure subjective, toujours à

Page 41: Courrier de Rome

Courrier de Rome4 Mai 2008

S.E. Mgr Alessandro Plotti, Archevêquede Pise, a diffusé le communiqué suivant :« Pendant la visite “ad limina Apostolorum”des évêques de la région toscane, du 16 au20 avril 2007, nous avons rencontré leSecrétaire de la Sacrée Congrégation pourla Doctrine de la Foi, Mgr Angelo Amato,qui, parlant avec nous des apparitions deMedjugorje, nous a invités à rendrepublique l’homélie de l’évêque de Mostar,pour faire la lumière sur le phénomène reli-gieux lié à ce lieu.

Conformément à cette invitation, je publiele texte et je prie surtout les prêtres de le lireattentivement et d’en tirer les conséquencesnécessaires, pour que nos fidèles soient cor-rectement éclairés à ce sujet. »

DE L’HOMÉLIE DE S.E. MGR RATCO PERIC,ÉVÊQUE DE MOSTAR, À MEDJUGORJE LE

15 JUIN 2006 (FÊTE DU CORPUS DOMINI)« Les apparitions »Avant tout, le fait que quelqu’un, lorsqu’il

se confesse sincèrement et reçoit dévote-ment la sainte communion dans cette égliseparoissiale, sente la joie en son âme, grâceau pardon de Dieu, ce fait est constatablepar tout fidèle, et il l’attribuera à Dieu, sour-ce de toute grâce. Mais il devra faire atten-tion à ne pas passer, de façon illogique etinconséquente, de ce fait à la conclusion :« Je me suis confessé, je le sens bien, à pré-sent je suis converti, donc la Sainte Viergeapparaît à Medjugorje! » Ce fidèle pénitenta de toute façon l’obligation de se confesser,de fréquenter les autres sacrements et d’ob-server tous les commandements, indépen-damment du fait que les apparitions privéessoient reconnues ou non.

Deuxièmement, je ne serais pas unministre responsable du Mystère du Corpset du Sang du Christ si je n’avertissais pas,même publiquement aujourd’hui, en ce lieuet en cette occasion, qu’en cette église loca-le de Mostar-Duvno, il existe quelque chosecomme un schisme : un groupe de prêtres,démis par le Gouvernement général desFrères mineurs de l’Ordre franciscain àcause de leur désobéissance au Saint Père ily a déjà plusieurs années, occupent de façonviolente plusieurs églises et salles parois-siales. Dans ces paroisses, non seulement ils

agissent illégalement, mais ils administrentles sacrements de façon sacrilège, et mêmepour certains de façon invalide, comme laconfession et la confirmation, ou bien ilsassistent à des mariages invalides. Cette pra-tique anti-ecclésiastique doit choquer cha-cun de nous. De même le scandale causépar le sacrilège quant aux sacrements, enparticulier celui de l’Eucharistie, doit êtrechoquant pour les fidèles qui se confessentinvalidement et assistent aux messes sacri-lèges. Prions le Seigneur de faire cesser auplutôt ce scandale et ce schisme.

Troisièmement, je suis reconnaissant auxSaints Pères, tant à Jean-Paul II qu’à BenoîtXVI, glorieusement régnant, qui ont tou-jours respecté la position des évêques deMostar-Duvno, en ce qui concerne les pré-sumées « apparitions » et « messages » deMedjugorje, le plein droit du SouverainPontife à prononcer le dernier jugementdemeurant toujours. Et cette position desévêques, après toutes les enquêtes cano-niques, peut être ainsi résumée :

1. Medjugorje est une paroisse catholiquedans laquelle s’accomplit la vie liturgique etpastorale comme dans les autres paroissesde ce diocèse de Mostar-Duvno. Et person-ne n’est autorisé à attribuer le titre officielde « sanctuaire » à ce lieu, excepté l’Église.

2. Sur la base des enquêtes ecclésiastiquessur les événements de Medjugorje, on nepeut pas affirmer qu’il s’agisse d’appari-tions ou de révélations surnaturelles. Celasignifie que l’Église, jusqu’à présent, n’aaccepté aucune apparition ni comme surna-turelle, ni comme mariale.

3. Aucun prêtre agissant canoniquementdans cette paroisse de Medjugorje ou depassage n’est autorisé à présenter son opi-nion privée, contraire à la position officiellede l’Église sur les « apparitions etmessages », ni à l’occasion des célébrationsdes sacrements, ni pendant les actes de pié-tés habituels, ni par les moyens de commu-nication catholiques.

4. Les fidèles catholiques non seulementsont libres de l’obligation de croire en lavéracité des « apparitions », mais doiventsavoir que ne sont pas autorisés les pèleri-nages ecclésiastiques, ni officiels ni privés,ni personnels ni en commun, des autres

paroisses, s’ils présupposent l’authenticitédes « apparitions », où s’ils authentifient parlà ces « apparitions ». Quiconque agit etenseigne différemment n’agit pas et n’en-seigne pas selon l’esprit de l’Église.

5. Sur la base des enquêtes et des pra-tiques qui ont eu lieu jusqu’à présent, jeconsidère, en tant qu’évêque du lieu, q’ence qui concerne les événements de Medju-gorje au cours de ces 25 dernières années,aucune « apparition » de la sainte viergen’est confirmée au niveau ecclésiastiquecomme authentique. Le fait qu’au cours deces 25 années on parle de dizaines de mil-liers d’« apparitions » n’attribue aucuneauthenticité à ces événements, selon lesparoles de l’actuel Saint Père, que j’aientendues au cours de l’audience qu’il m’aaccordée le 24 février dernier, à la Congré-gation pour la Doctrine de la Foi [...]. Enparticulier, elles ne nous apparaissent pascomme authentiques si l’on sait déjà àl’avance que les présumées « apparitions »arriveront :- à une personne tous les ans le 18 mars,mais aussi le 2 de chaque mois, avec les« messages » que l’on peut attendre selonla procédure habituelle;- à une autre chaque jour de l’année,mais – comme si cela ne suff isaitpas – aussi le 25 de chaque mois avec une« apparition » particulière et une espèce decommuniqué au public;- à une troisième personne tous les 25décembre, pour Noël, avec communiquésemblable;- à une quatrième personne tous les 25juin, et ce avec un communiquéparticulier;- à deux autres personnes chaque jour avecles « messages » que l’on peut prévoirparce qu’ils sont des variantes des autres.Une telle accumulation de présuméesapparitions, messages, secrets et signes neconfirment pas la foi, mais nous convain-quent encore davantage qu’il n’y a en toutceci rien d’authentique ni de véridique.C’est pourquoi j’invite ceux qui disent

être « voyants » ainsi que ceux qui formu-lent les « messages » à faire preuve d’obéis-sance ecclésiastique et de cesser ces appari-tions publiques et ces communiqués dans

IMPORTANTE MISE EN GARDE CONTRE MEDJUGORJE

la recherche de quelque chose qu’elle netrouve pas.

Mais si dans le Jugement se réalise « l’es-pérance de la justice », sera-t-il juste ou nonque les mauvais (les pécheurs impénitents)aillent à la damnation éternelle ? L’Ency-clique n’aurait-elle pas dû réaffirmer la doc-trine traditionnelle sur l’enfer, justementpour conclure de façon cohérente l’explica-tion de l’idée de « l’espérance de lajustice » ? Mais rien. Le texte du Papesemble proposer l’image du Jugementcomme celle d’une « espérance » si possibledépouillée de l’aspect « menaçant etlugubre », c’est-à-dire des condamnations àla damnation éternelle ! En effet, l’Ency-clique interprète la parabole du riche bon

vivant comme si elle nous manifestaitl’existence du purgatoire, et non de l’enfer(§ 44). Qu’il existe des hommes pécheurs,le document ne le dit pas. La notion depéché, comme notion spécifique, n’y appa-raît même pas. L’enfer non plus n’y apparaîtpas, l’enfer qui n’est pas le lieu de la dam-nation éternelle (« Abandonnez tout espoir,vous qui entrez » - Dante, La Divine Comé-die – L’enfer, III, 8), mais la façon d’êtrede « personnes en qui tout est devenu men-songe; des personnes qui ont vécu pour lahaine et qui en elles-mêmes ont piétinél’amour. C’est une perspective terrible, maiscertains personnages de notre histoire lais-sent entrevoir de façon effroyable des pro-fils de ce genre. Dans de semblables indivi-

dus, il n’y aurait plus rien de remédiable etla destruction du bien serait irrévocable :c’est cela qu’on indique par le mot“enfer” » (§ 45).

Tous sauvés, alors? Nous lisons en effetque « notre saleté ne nous tache pas éternel-lement, si du moins nous sommes demeuréstendus vers le Christ, vers la vérité et versl’amour [tendus comment ? Dansl’intention?]. En fin de compte, cette saletéa déjà été brûlée dans la Passion du Christ.Au moment du Jugement, nous expérimen-tons et nous accueillons cette domination deson amour sur tout le mal dans le monde eten nous » (§ 47).

Lettre signée

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Courrier de RomeMai 2008 5

(Suite et fin du numéro 500)15. INCINÉRATION

CCEC Art. 479 : « Les corps desdéfunts doivent être traités avec respect etcharité. L’incinération est permise à condi-tion qu’elle soit réalisée sans mettre encause la foi en la résurrection des corps. »

OBJECTIONInstruction du Saint Office, 19

juin 1926 : « Bien que l’incinération descadavres, qui n’est pas une chose mauvai-se de façon absolue, puisse, dans des cir-constances extraordinaires, pour unegrave raison de bien public, être autoriséede fait, chacun peut voir que l’effectuer oula favoriser ordinairement, de façon géné-rale et comme une règle, est une choseimpie et scandaleuse, et pour cette raisongravement illicite. »

Ce n’est donc que dans des cas graves etexceptionnels, comme par exemple dansle cas d’hécatombes dues à des inonda-tions, qu’il est permis (dans ce cas pouréviter des épidémies) d’incinérer descorps. L’incinération ne peut toutefois enaucune façon être ordinairement permise;la condition finale exprimée par l’articledu Compendium ne sert donc à rien.

16. LIBERTÉ RELIGIEUSE

CCEC Art. 365 : « À tout homme appar-tient le droit d’exercer sa liberté, car celle-ci est inséparable de sa dignité de person-ne humaine. Un tel droit doit donc tou-jours être respecté, notamment en matièremorale et religieuse. Il doit être civilementreconnu et protégé, dans les limites dubien commun et de l’ordre public juste. »

OBJECTIONPie XII, Allocution aux juristes catho-

liques italiens, 6 déc. 1953 : « Ce qui nerépond pas à la vérité et à la règle moralen’a objectivement aucun droit ni à l’exis-tence, ni à la propagande, ni à l’action. »

Le principe ignoré par l’article du Com-pendium est que le droit est indissoluble-ment lié à la vérité et donc à la conscienceobjective. C’est uniquement pour éviterdes dommages plus grands à l’Église ou àl’État que ce dernier peut élaborer des loisqui s’orientent vers la tolérance à l’égarddes fausses religions, comme l’enseigneLéon XIII : « pour éviter de plus grandsmaux, comme le scandale ou le désordrecivil, un obstacle à la conversion à la vraiefoi… » (Enc. Immortale Dei, 1er nov.1885).

CCEC Art 373 : « Au titre de cettedignité personnelle, l’homme ne doit pas

être contraint d’agir contre sa conscience,et on ne doit même pas l’empêcher, dansles limites du bien commun, d’agir enconformité avec sa conscience, surtout enmatière religieuse. »

CCEC Art 444 : « La dignité de la per-sonne humaine requiert qu’en matièrereligieuse nul ne soit forcé d’agir contre saconscience, ni, dans les limites de l’ordrepublic, empêché d’agir selon sa conscien-ce, en privé comme en public, seul ouassocié à d’autres. »

OBJECTIONPie IX, Enc. Quanta cura, 8 déc. 1864 :

« La meilleure condition de la société estcelle où on ne reconnaît pas au pouvoir ledevoir de réprimer par des peines légalesles violations de la loi catholique, si cen’est dans la mesure où la tranquillitépublique le demande. »

L’autorité civile n’a pas seulement undevoir « matériel »; elle doit protéger lescitoyens de ce qui menace leur bien suprê-me, et favoriser ce qui y conduit ; c’estpourquoi elle peut et doit régler et modé-rer les manifestations publiques des autrescultes et défendre ses citoyens de la diffu-sion de fausses doctrines qui mettent endanger leur salut éternel. L’évaluation deces doctrines n’est d’ailleurs pas laissée àl’arbitraire permanent de ceux qui exer-cent l’autorité, mais donnée par le juge-ment de l’Église. C’est pourquoi, si l’Égli-se a toujours refusé le principe de lacontrainte des consciences dans le forintérieur, spécialement dans le domainereligieux, elle n’en a pas moins repousséavec vigueur le principe suivant lequel laconscience subjective pourrait réclamerdes droits extérieurs.

17. LA SOCIÉTÉ HUMAINE

CCEC Art. 402 : « Le principe, le sujetet la fin de toutes les institutions socialessont et doivent être la personne. »

OBJECTIONLéon XIII, Enc. Tametsi futura, 1er nov.

1900 : « La fin établie par Dieu lorsqu’ilinstitua la société civile [..] consiste for-mellement à aider les citoyens à pour-suivre le bien naturel ; mais d’une façonque cela s’accorde pleinement avec lapoursuite de ce bien suprême, parfait etéternel, qui transcende tous les ordres dela nature. »

La personne est bien le sujet des institu-tions sociales; pour ce qui est d’en être leprincipe et la fin, cela reste à préciser. Eneffet le principe premier est Dieu, qui acréé l’être humain de sorte que ce soit« une exigence naturelle de l’homme que

de vivre en société avec beaucoup d’autrespersonnes » (Saint Thomas d’Aquin, Deregimine principum, I, 1). En ce quiconcerne la finalité, c’est le bien commun,c’est-à-dire le bien naturel de la collectivi-té en tant qu’il favorise la réalisation de lafin dernière éternelle.

CCEC Art. 405 : « Toute communautéhumaine a besoin d’une autorité légitimequi assure l’ordre et contribue à la réalisa-tion du bien commun. Cette autorité trou-ve son fondement dans la nature humaine,parce qu’elle correspond à l’ordre établipar Dieu. »

OBJECTIONLéon XIII, Enc. Diuturnum illud, 29

juin 1881 : « Que si l’on veut déterminerla source du pouvoir dans l’État, l’Égliseenseigne avec raison qu’il la faut chercheren Dieu. »

L’autorité n’a pas d’autre fondement,immédiat ou éloigné, que Dieu; elle trou-ve dans la nature humaine sa correspon-dance, ou fondement prochain et médiat,puisque cette nature a été faite pour vivreen société.

CCEC Art. 406 : « L’autorité s’exerce demanière légitime quand elle agit pour lebien commun et qu’elle utilise pour l’at-teindre des moyens moralement licites.C’est pourquoi les régimes politiques doi-vent être déterminés par la libre décisiondes citoyens et ils doivent respecter leprincipe de l’“État de droit”, dans lequelest souveraine la loi et non pas la volontéarbitraire des hommes. Les lois injustes etles mesures contraires à l’ordre moraln’obligent pas les consciences. »

OBJECTIONLéon XIII Enc. Diuturnum illud, 29 juin

1881 : « Ceux qui sont sur le point d’êtreplacés au gouvernement de la société peu-vent dans certaines circonstances être éluspar volonté et délibération de la multitu-de. »

Une chose est « pouvoir », une autre est« devoir ». Pie XII, en effet, réaffirma quel’Église « n’a jamais défendu de préférerles gouvernements modérés de formepopulaire, à condition toutefois que l’onrespecte la doctrine catholique sur l’origi-ne et l’exercice de la puissance publique »(Message radio-diffusé au monde, 24 déc.1944). Le « dogme » démocratique n’ap-partient pas à l’enseignement de l’Église.Il y a trois formes de gouvernement(monarchie, aristocratie et démocratie),dont la troisième (démocratie) est lamoins noble. Elle est licite si elle respectele droit naturel et divin et si elle reconnaît

OBSERVATIONS SUR LE COMPENDIUMDU CATÉCHISME DE L’ÉGLISE CATHOLIQUE

cette paroisse. Ils manifesteront ainsi leursens ecclésiastique, en ne mettant pas les« apparitions » privées et les communica-tions privées sous la position officielle del’Église. La foi est une chose sérieuse et res-ponsable. L’Église est une institution sérieu-se et responsable.

Par l’intercession de la bienheureuse Vier-

ge Marie, la plus grande porteuse des donsde l’Esprit de Dieu, et qui par l’action del’Esprit Saint en son sein a conçu et donnéau monde la deuxième Personne divineJésus-Christ, qui nous donne son très saintCorps et sont très saint Sang pour la vieéternelle, qu’il veuille – lui qui est Voie,Vérité et Vie – nous aider afin que la vérité

sur la bienheureuse Vierge, sa Mère et Mèrede l’Église, siège de la sagesse et miroir dejustice, resplendisse de tout son éclat dansnotre paroisse et dans notre diocèse, sansaucun mélange avec des choses indignes dela foi, et tout en conformité avec l’im-muable doctrine et pratique de l’Église.Amen.

Page 43: Courrier de Rome

Courrier de Rome6 Mai 2008en Dieu la source première (ou lointaine)de tout pouvoir, et si elle ne voit dans lepeuple que l’instrument (proche etmédiat) à travers lequel le pouvoir passe,comme à travers un canal («transeunter »), sans y demeurer, et arrivejusqu’à la (ou aux) personne (s) choisie (s)pour exercer l’autorité. La démocratiemoderne n’est donc pas une forme licitede pouvoir, puisqu’elle fait du peuple lasource première de l’autorité.

Quant à l’État de droit et à la souverai-neté de la loi, il faut ajouter que la loin’est souveraine que si elle est conforme àla loi divine, non seulement naturelle maisaussi positive, car « la société civile, entant que société, doit nécessairementreconnaître Dieu comme son principe etson auteur et, par conséquent, rendre à sapuissance et à son autorité l’hommage deson culte » (Léon XIII, enc. Libertaspræstantissimum, 20 juin 1888).

CCEC Art. 438 : « Fidèle à l’Écriture età l’exemple du Christ, l’Église reconnaîtau Décalogue une importance et unesignification primordiales. Les chrétienssont tenus de l’observer. »

OBJECTIONGrand catéchisme de saint Pie X,

§ 347 : « Nous sommes tous tenus d’ob-server les commandements, parce quenous devons tous vivre selon la volonté deDieu qui nous a créés [...]. »

L’obligation d’observer le Décalogue neconcerne pas seulement les chrétiens,mais tous les hommes, car « les comman-dements de Dieu portent ce nom parceque Dieu les a gravés dans l’âme dechaque homme [...] » (Grand catéchismede saint Pie X, § 344). Ils sont le droitnaturel qui règle tous les hommes, indivi-duellement et socialement.

CCEC Art. 454 : [La reconnaissancecivile du dimanche comme jour festif estimportante] « pour que soit donnée à tousla possibilité effective de jouir d’un repossuffisant et d’un temps libre permettant decultiver la vie religieuse, familiale, cultu-relle et sociale ; de disposer d’un tempspropice à la méditation, à la réflexion, ausilence et à l’étude ; de se consacrer auxbonnes œuvres, en particulier au profitdes malades et des personnes âgées. »

Les raisons données par le Compendiumpourraient être valables pour n’importequel autre jour de la semaine que ledimanche ! La véritable raison est aucontraire la reconnaissance de la royautésociale de Notre Seigneur Jésus-Christ.C’est pourquoi les obligations dues àDieu – parmi lesquelles la sanctificationdu dimanche – doivent être rendues à ladivine Majesté non seulement par lescitoyens individuellement, mais aussi parle pouvoir civil, comme l’Église l’a tou-jours enseigné.

CCEC Art. 464 : « Ceux qui sont sou-mis à l’autorité doivent considérer leurssupérieurs comme des représentants deDieu, offrant leur collaboration loyalepour le bon fonctionnement de la viepublique et sociale. Cela comportel’amour et le service de la patrie, le droitet le devoir de voter, le paiement des

impôts, la défense du pays et le droit à unecritique constructive. »

OBJECTIONEn ce qui concerne le « droit » de vote,

on se reportera aux considérations faitesau sujet du principe démocratique. Quantau « devoir », celui-ci est relatif. En effet,si l’exercice du droit de vote implique deslois dommageables à l’ordre moral et reli-gieux, il devient nécessaire de s’abstenir.Si les référendums portent sur l’abroga-tion totale d’une loi mauvaise (par ex.l’avortement), ils obligent en conscience.S’ils portent sur une abrogation partielle,il est licite de voter dans la mesure oùl’électeur veut supprimer la partie mauvai-se de la loi qu’il lui est permis d’abroger,alors qu’il tolère qu’une autre partie mau-vaise demeure, de même que Dieu tolèrel’existence du mal physique et moral sansen être la cause ou le responsable. L’hom-me ne peut pas prétendre éliminer tout lemal, mais comme Dieu, il doit parfoistolérer l’existence de quelque chose demauvais.

CCEC Art. 469 : « La peine infligée doitêtre proportionnée à la gravité du délit.Aujourd’hui, étant donné les possibilitésdont l’État dispose pour réprimer le crimeen rendant inoffensif le coupable, les casd’absolue nécessité de la peine de mort« sont désormais très rares, sinon mêmepratiquement inexistants » (Evangeliumvitæ). Quand les moyens non sanglantssont suffisants, l’autorité se limitera à cesmoyens, parce qu’ils correspondent mieuxaux conditions concrètes du bien com-mun, ils sont plus conformes à la dignitéde la personne et n’enlèvent pas définiti-vement, pour le coupable, la possibilité dese racheter. »

Si la peine de mort n’est pas contraire àla loi divine, elle n’est pas non plus néces-sairement requise par cette même loi.Mais il ne suffit pas qu’il existe d’autresmoyens qui rendent inoffensif le coupablepour affirmer que la peine de mort n’estplus nécessaire. Dans le Compendium nesont pris en considération ni le principe dejuste proportion de la peine (bien qu’il soitmentionné au début), ni l’efficacité pré-ventive de la peine de mort, ni son effica-cité à pousser au repentir et à la conver-sion, ni le fait que la peine « vindicative »ait la primauté sur la peine correctrice ou« médicinale ».

CCEC Art. 482 : « La paix dans lemonde réclame une distribution équitableet la protection des biens des personnes, lalibre communication entre les êtreshumains, le respect de la dignité des per-sonnes et des peuples, la pratique assiduede la justice et de la fraternité. »

OBJECTIONPie XII, Allocution aux sénateurs améri-

cains, 17 nov. 1949 : « Combien les prin-cipes chrétiens de justice et de charitésont indispensables pour un monde quicherche la paix! Fondés, comme ils doi-vent l’être, sur la religion, ils constituentde solides piliers sur lesquels repose lasociété civile. Enlevez la religion de cesdeux principes et vous verrez dans quelmisérable désordre un État transforme sa

noble fonction! »Il n’est pas admissible qu’un catéchisme

néglige le seul vrai fondement de la paix,à savoir l’obéissance à l’ordre voulu parDieu! Saint Augustin enseigne : « La paixde l’homme mortel et de Dieu est l’obéis-sance ordonnée dans la foi, à la loi éter-nelle… La paix de toutes les choses est latranquillité de l’ordre. L’ordre, c’est dispo-ser les choses semblables et dissemblablesen attribuant à chacune sa place. »

Donc, à Dieu la place de Dieu, et àl’homme, individuellement ou sociale-ment, la position de l’honorer et de luiobéir.

CCEC Art. 512 : « L’Église réfute lesidéologies associées au cours de la pério-de moderne au “communisme” ou auxautres formes athées et totalitaires de“socialisme”. En outre, dans la pratiquedu “capitalisme”, elle réfute l’individualis-me et le primat absolu de la loi du marchésur le travail humain. »

OBJECTIONPie XI, Enc. Quadragesimo anno, 15

mai 1931 : « Qu’on le considère soitcomme doctrine, soit comme fait histo-rique, soit comme “action”, le socialisme[...], même après avoir concédé à la véritéet à la justice ce que Nous venons de dire,ne peut pas se concilier avec les principesde l’Église catholique, car sa conceptionde la société est on ne peut plus contraireà la vérité chrétienne. »

L’Église ne condamne pas seulementcertaines formes de socialisme, comme ledit le Compendium, mais le socialisme enlui-même, sous quelque forme qu’il semanifeste. Pour supprimer toute possibili-té de conciliation, Pie XI, dans cettemême encyclique, affirme que « socialis-me religieux et socialisme chrétien sontdes termes contradictoires », parce que lesocialisme est faux et antichrétien paressence.

CCEC Art. 517 : « Le recours à la grèvenon violente est moralement légitimequand il se présente comme un élémentnécessaire en vue d’un bénéfice propor-tionné, tout en tenant compte du biencommun. »

OBJECTIONLa grève « doit être considérée comme

une arme extrême, qui ne peut être licite-ment utilisée que lorsque tout autre moyens’est révélé inefficace » (Cf. Roberti-Palazzini, Dictionnaire de théologie mora-le, éd. Studium, Rome, 1955). Elle ne peutdonc pas être utilisée lorsqu’elle n’estqu’un instrument « nécessaire », mais nonextrême.

CONCLUSION

Tels sont les points sur lesquels leCCEC s’éloigne de la saine doctrine,admirablement résumée dans le Grandcatéchisme de saint Pie X. Il y a dans leCompendium, en plus de certaines gravesomissions, de graves imprécisions etmême des erreurs qui contredisent l’ensei-gnement constant et traditionnel de l’Égli-se romaine.

Lanterius

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Courrier de RomeMai 2008 7

LA MESSE CLANDESTINEGiovannino Guareschi (1908-1968),

connu dans le monde entier pour les filmsde don Camillo, était journaliste, dessina-teur humoristique, et écrivain. Un hommetotalement libre qui a écrit seulement pourses lecteurs et non pour les critiques litté-raires. Un homme vraiment libre pour obéirseulement à sa conscience, qui obéissait auseul Père éternel.

Nous offrons à nos lecteurs la traductiondes extraits d’un chapitre intitulé « LaMesse clandestine », tirés de « GiovanninoGuareschi », par Alessandro Gnocchi etMario Palmaro, éd. Piemme (2008), pp.215-224.

Guareschi n’était pas un prophète, grâce àDieu. C’était un catholique ordinaire : trèsordinaire, sans rentrer dans un débat linguis-tique et conceptuel. C’est pourquoi il com-prit très vite comment cela finirait, une foisles portes grandes ouvertes au vent d’inno-vation qui se mit à souffler dans l’Égliseavec le Concile Vatican II. En fait, il ne lecomprit pas très vite : en tant que catholique,il le savait depuis toujours, car il n’y a riende plus objectif que la doctrine enseignéependant deux mille ans par l’Église deRome. Nul besoin d’être un génie ou un pro-phète pour l’appliquer, il suffit d’avoir uncerveau normal, un de ces cerveaux fonc-tionnant normalement, que le bon Dieufabrique tous les jours à l’usage de ses créa-tures. Avec un tel cerveau, on arrive à toutesles conclusions nécessaires que la foi, unie àla raison, ne manque pas de confirmer, etdonc on ne se trompe jamais [...].

Une fois terminé le Concile Vatican II, queGuareschi appelait conciliabule, les bureau-crates du sacré se mirent aussitôt à l’ouvragepour décatholiciser la messe de saintt Pie V.Voyant cela, l’écrivain envoya depuis lespages du « Borghese », le 11 mars 1965, uneéloquente Lettre à don Camillo. Le curé deMondo piccolo, pour cause d’excès anticon-ciliaires, avait été envoyé dans un petit villa-ge de montagne, et Guareschi lui reprochaitd’avoir été imprudent : « Don Camillo, vousaviez pourtant vu à la télévision le “LercaroShow” et la concélébration de la messe enRite Bolognais. Vous aviez bien vu la pau-vreté suggestive de l’endroit et la touchantesimplicité de l’autel, réduit à une table prolé-taire. Comment pouviez-vous prétendreplanter au milieu de cette humble table unustensile haut de trois mètres comme lefameux (et tristement célèbre) Christ encroix auquel vous êtes tant attaché?

Vous aviez pourtant bien vu à la télévision,quelques jours plus tard, comment était dres-sée la sainte Table autour de laquelle le Papeet les nouveaux Cardinaux ont concélébré leBanquet eucharistique.

Ne vous étiez-vous pas aperçu que le Cru-cifix situé au centre de la table était si petitet discret qu’il se confondait avec lesmicros?

N’aviez-vous pas compris, en somme, quetout dans la Maison de Dieu doit êtrehumble et pauvre, de façon à faire ressortirau maximum le caractère communautaire del’Assemblée Liturgique dont le prêtre n’estqu’un concélébrant, faisant office de prési-

dent? [...]C’est que l’Église, qui jusqu’à hier était

simplement Catholique et Apostolique,devient aujourd’hui (rappelez-vous Lercaro)Église de Dieu. Et vous, don Camillo, vousêtes en retard de quelques siècles, vous enêtes resté au dernier Pape médiéval, à ce PieXII qui est aujourd’hui insulté publiquementsur les scènes de théâtre avecl’approbation – voir les représentations duVicaire à Florence – des étudiants universi-taires catholiques, et qui, lorsque le produc-teur aura obtenu la subvention d’État, seraaussi insulté sur les écrans de cinéma et detélévision. »

Écrite en 1965, cette lettre montre unelucidité d’analyse dont beaucoup d’hommesd’Église auraient eu besoin. Guareschi avaitdeviné que cette révolution, comme toutesles autres, était elle aussi l’œuvre d’uneminorité capable de se poser en représentan-te des volontés du peuple. Mis à part cedétail que le peuple, comme cela est tou-jours arrivé dans l’histoire, n’a jamais vouluentendre parler de révolution.

C’est pourquoi l’écrivain, dans la deuxiè-me partie de sa Lettre, donne la parole àceux qui furent contraints de subir ces chan-gements révolutionnaires. Ainsi don Camil-lo, dans son exil, tente d’appliquer la réfor-me liturgique et de l’expliquer à ses fidèles.Avec peu de conviction, le pauvre prêtre estobligé de dire aux vieux, désemparés par lesincompréhensibles nouveautés, que le latinn’est plus à la mode : on ne s’en sert plus,parce qu’avec cette langue vieille et morteon ne comprenait rien, et maintenant leschrétiens doivent participer au saint rite avecle prêtre.

« “Quel monde”, a ricané Antonio, “lesprêtres n’arrivent plus à dire la messe toutseuls et ils veulent que nous les aidions !Mais nous, nous devons prier, pendant lamesse!”

“Justement, comme ça vous priez tousensemble, avec le prêtre”, avez-vous tentéd’expliquer. Mais le vieil Antonio a secouéla tête : “Révérend, chacun prie de son côté.On ne peut pas prier Dieu en comuniorum.Chacun a ses affaires personnelles à confierà Dieu. Et on vient à l’Église justementparce que le Christ est présent dans l’Hostieconsacrée, et donc on se sent plus proche deLui. Faites votre métier, Révérend, et nousferons le nôtre. Sinon, si vous êtes commenous, à quoi sert le prêtre? Tout le mondeest capable de présider une assemblée. Moi,ne suis-je pas le président de la coopérativedes bûcherons?”. »

Combien de douleur et combien de bonsens spirituel dans les paroles du vieil Anto-nio. Quel tourment de devoir les coucher surle papier. Et pourtant, l’écrivain de la Bassan’abandonna jamais le goût de la bataille etla certitude d’être du bon côté : « DonCamillo, je suis certain que lorsque vousreviendrez (et on vous fera revenir bientôtparce qu’à présent il n’y a plus que Peppone,le Smilzo, le Brusco et le Bigio qui aillent àl’Église, pour vous ennuyer), vous trouvereztoutes vos chères babioles parfaitement ran-gées dans la petite église du notaire.

Et vous pourrez célébrer une messe clan-destine pour vos rares amis sûrs. Messe enlatin, s’entend, avec beaucoup d’oremus etde kirieleison.

Une messe à l’ancienne, pour consolertous nos morts qui, même sans connaître lelatin, se sentaient proches de Dieu pendantla messe, et n’avaient pas honte si, en enten-dant s’élever les anciens cantiques, leursyeux s’emplissaient de larmes. Peut-êtreparce qu’alors, le sentiment et la poésien’étaient pas des péchés, et que personne nepensait que le doux et éternellement jeune“visage de l’Épouse du Christ” pût montrerdes taches ou des rides.

Aujourd’hui, elle se présente à nous sur unécran profane, sous le visage désagréable etantipathique du Cardinal Rouge de Bologneet de ses fidèles activistes, gentiment admisà la Curie par la fédération communistelocale.

Don Camillo, tenez bon : quand les géné-raux trahissent, nous avons plus que jamaisbesoin de la fidélité des soldats… »

Mais les soldats demeurés fidèles étaientdésormais obligés de se cacher. Guareschil’avait raconté dans « Il Borghese », hélassans exagération, dans un petit tableaudépeignant la famille Bianchi, au titre sanséquivoque, La messe clandestine : « “Autantque tu sois au courant, papa” explique Gypoà son père, fervent catholique lercaromonti-noroncallien, “dimanche, je n’irai pas à lacorvée”

“Quelle corvée?”“La messe en italien”.“Tant que je serai le chef de cette famille,

jusqu’à présent honorable, ce genre de chosen’arrivera jamais. Dimanche, tu viendras àla messe avec nous!”

“Non, pater ! Je ne veux pas courir lerisque de trouver en chaire un fonctionnairede la fédération socialiste. J’irai à la messe,oui, mais là où je voudrai, et là où ça meplaît. Je suis l’un des fondateurs de l’ACP!”

“ACP? Qu’est-ce que cela signifie?”“Association des Catholiques Pacelliens.

[...] Nous avons trouvé dans un petit villageun prêtre non “réformé“, qui célèbre lamesse en latin. Il enseigne que tous leshommes sont égaux devant Dieu, et doncqu’il n’y a pas des bons seulement dans leprolétariat, mais aussi parmi les bourgeois.Et il explique qu’il ne suffit pas d’être laid,stupide et pauvre pour avoir droit au Royau-me des Cieux, mais qu’il faut aussi être bonet honnête. C’est un vieux curé qui croitencore en Dieu, aux saints, au paradis et àl’enfer [...]. Et il a une petite église commecelles d’autrefois, avec beaucoup de fleurs,beaucoup de cierges allumés et pendant lamesse, il y a la chorale qui chante lesanciens cantiques traditionnels. On peut brû-ler un cierge à la Sainte Vierge ou à unsaint : il ne dit pas, comme ce fameux curésocial que l’on a nommé cardinal, que lesplateaux avec des lumignons allumés sontun spectacle de rôtisserie [...].

Ce pauvre vieux curé ne sera jamais cardi-nal, ni évêque, ni monsignore ; il aura de lachance si on ne le suspend pas a divinis pour

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Courrier de Rome8 Mai 2008

COURRIER DE ROMEÉdition en Français du Périodique Romain

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catholicisme antisocial. Nous avons toutorganisé : presque tout le monde a une voi-ture, nous partons tôt le matin, en prenantdes routes différentes. Il faut éviter de sefaire remarquer pour ne pas causer d’ennuisà ce pauvre curé”. »

Il fut tout de suite clair, pour Guareschi,que la liturgie, comme la doctrine, ne doitpas céder aux flatteries d’un monde qui ne laconnaît pas. Beaucoup de pages de DonCamillo et don Chichì, publié tout d’aborden épisodes en 1966 dans le journal Oggi,furent écrites à la lumière de cette conscien-ce. Les dialogues entre le vieux curé fidèle àl’Église de toujours et le petit curé progres-siste en sont la démonstration la plus éviden-te. Et au cas où le petit prêtre révolutionnairene suffirait pas, on voit aussi apparaître dansce livre le pédant secrétaire de l’évêque.Dans le chapitre Les vieux prêtres sont desdurs à cuire, par exemple, don Camillo amaille à partir avec le jeune bureaucrateparce qu’il ne veut pas céder à la communeune partie du parvis de l’église, pour laconstruction d’un parking. Le secrétaires’écrie : « “[...] Ne comprenez-vous pas quec’est un avantage aussi pour vous? Vous nevous rendez pas compte que beaucoup degens ne vont pas à la messe parce qu’ils nepeuvent pas garer leurs voitures?”

“Oui, hélas, je le sais” répondit calmementdon Camillo. “Mais je considère que la mis-sion d’un pasteur d’âme n’est pas d’organi-ser des parkings ou des messes yé-yé pouroffrir aux fidèles une religion munie de tousles conforts modernes. La religion du Christn’est et ne peut être ni confortable ni amu-sante”.

C’était un raisonnement banal de prêtre, etle secrétaire explosa : “Révérend, vous mon-trez que vous n’avez pas compris que l’Égli-se doit se moderniser et doit aider le progrès,et non pas l’entraver!”. »

Don Camillo et ses fidèles avaient com-pris, bien mieux que beaucoup d’intellec-tuels, les exigences du mystère qui, à traversla liturgie, arrive jusqu’aux hommes depuisl’éternité. L’amour de ce prêtre pour l’an-cienne messe naît sur un sol qui n’est plushumain, puisque réservé au Seigneur, et senourrit de charité. Il déborde d’affectionofferte aux pauvres vieux que les nouveauxprêtres jettent hors de leurs églises démythi-fiées. Le prêtre de Mondo piccolo, commeles restes de la vieille garde, porte gravé auplus profond de son être ce que les petitsprêtres progressistes comme Chichì s’obsti-nent à nier : le fait que la messe est l’actionoù Jésus se rend de nouveau présent, parceque par les mains du prêtre s’accomplit lesacrifice.

« “Votre campagne contre la guerre”, ditdon Camillo au petit curé, “par exemple, estjuste : mais on ne peut pas traiter de crimi-nels ceux qui l’ont combattue, et qui y ontparfois laissé leur vie ou leur santé”.

“Celui qui tue est un assassin”, cria donChichì. “Il n’existe pas de guerre juste, ni deguerre sainte : toute guerre est injuste oudiabolique! La loi de Dieu dit : ‘tu ne tueraspas’, ‘tu aimeras ton ennemi’. Révérend :c’est l’heure de la vérité, et il faut appelerpain le pain, et vin le vin!”

“Il est dangereux d’appeler pain le pain et

vin le vin, là où le pain et le vin sont le corpset le sang de Jésus!”, grommela don Camil-lo, têtu. »

Une crise de foi : voilà donc ce qui est à laracine du cataclysme provoqué par la prê-taille socialoprogressiste. La pauvreté et lelaisser-aller du rite, explique l’écrivain de laBassa, sont le symptôme de l’éloignementde Jésus-Christ et de son enseignement.

Par son œuvre, Guareschi dénonça un faitque bien peu eurent le courage de montrer etque beaucoup, des années plus tard, cher-chent encore à cacher : la division en actedans l’Église. Il en parla dans « IlBorghese », dans une autre lettre à donCamillo, intitulée cette fois Le Pape s’appel-le Joseph. Sans ambiguïté, il disait à soncuré : « Vous avez en effet une sainte terreurde la division entre catholiques.

Mais hélas, cette division existe déjà.Je sais que vous en serez horrifié, mais je

le dis quand même. Pensez, révérend,comme cela aurait été merveilleux, et quelleforce nouvelle en aurait tiré l’Église si, à lamort du Curé du Monde (qui par sa bonté etson ingénuité a donné tant d’avantages auxsans-Dieu), le Conclave avait eu le couraged’élire comme nouveau Pape le cardinalMindszenty! »

L’écrivain faisait allusion à Josef Mind-szenty, le primat hongrois réduit au silencepar le pouvoir communiste sans que lemonde occidental, dit libre, fît quoi que cefût de sérieux pour le libérer. C’est pourquoiil disait que pour lui, et pour beaucoupd’autres comme lui, le nouveau Pape s’appe-lait Joseph et non Paul.

« Josef Mindszenty, le Pape des catho-liques qui éprouvent du dégoût devant lesmachines à distribuer des Hosties, devant le“snack-bar” qui a détruit les autels et chasséle Christ, devant les messes “yé-yé”, devantles négociations avec les excommuniés sansDieu.

Don Camillo, si j’ai blasphémé, je m’enrepens. En pénitence, j’écouterai six fois lePater Noster chanté par Claudio Villa. »

Mais même au plus fort de la tempête,Guareschi ne se laissa pas accabler par ledésespoir. La lucidité de l’analyse eut tou-jours l’espérance pour contrepoids. En fait,l’analyse était elle-même alimentée par l’es-pérance. Il n’y eut jamais une note de hainedans ses écrits, même dans les plus virulentset les plus polémiques, même lorsqu’en évo-quant la possibilité de l’institution de l’Or-ganisation des Religions Unies, sa sagacitéde catholique ordinaire l’amena à com-prendre avec horreur jusqu’où irait le zèled’un communisme miséreux et défaitiste : àl’autodissolution du christianisme en unemélasse conformiste et politiquement cor-recte. L’écrivain laissa partout des traces decette foi qui était la sienne, de la certitudeque le Christ n’abandonnerait jamais sonÉglise. L’une des plus émouvantes est la find’un chapitre de Don Camillo et don Chichì.

Malgré les interventions du petit prêtreprogressiste et du secrétaire de l’évêque, donCamillo réussit à rapporter sur le maître-autel le grand Crucifix écarté par le zèleinnovateur. Le jour où le Christ retrouve saplace est une vraie fête populaire, ce quel’on peut imaginer de plus catholique. Et

personne ne manque à l’appel, pas même lesans-dieu Peppone.

« La fanfare passa la grille et la voix descuivres emplit les champs dorés. Derrière lafanfare, un milliard d’enfants, derrière lesenfants, don Camillo qui tenait le grandChrist crucifié et avançait d’un pas lent etsûr. Derrière, l’étendard de la commune,puis Peppone et son écharpe tricolore, suivide toute l’administration communale.

Au fur et à mesure que le cortège avançait,la foule massée sur les côtés s’y joignait.

Le grand Crucifix de bois était lourd, et lacourroie de la poche de cuir qui soutenait lepied de la croix sciait les épaules de donCamillo. Et la route était longue.

“Seigneur”, murmura don Camillo, “avantque mon cœur ne lâche, je voudrais arriver àl’église et vous revoir, là, sur l’autel”.

“Nous y arriverons, don Camillo, nous yarriverons”, répondit le Christ, qui semblaitmaintenant plus beau à tous.

Et ils y arrivèrent.Les vieux curés, même ceux qui ont le

cœur tendre, sont des durs à cuire, et c’estpourquoi l’Église, qui repose principalementsur leurs épaules, résiste à toutes les tem-pêtes.

Deo gratias ».

Page 46: Courrier de Rome

s ì s ì no no« Que votre OUI soit OUI, que votre NON soit NON, tout le reste vient du Malin »

(Mt 5, 37)

Le numéro 3€Juin 2008Mensuel - Nouvelle SérieAnnée XLII n° 312 (502)

Le secrétariat de

Sì Sì No No sera fermé en juillet et août

LA MORT ENCÉPHALIQUE, EN SOMMES-NOUS SI SÛRS ?Le printemps dernier a vu la parution d’une

revue médicale catholique consacrée aux donsd’organes 1. Du moins, telle était l’étiquettequ’il y avait sur le produit. Car, à la lecture, ledossier principal ne concernait pas les donsd’organes en général, mais exclusivement lecritère de la mort cérébrale qui permet de pro-céder légalement à l’ablation d’organes vitauxen vue d’une transplantation.

La simple lecture de la revue a de quoi lais-ser le lecteur perplexe et appelle deux obser-vations générales.

Tout d’abord, l’usage du critère cérébralpour définir la mort et permettre l’ablationd’organes vitaux en vue de leur transplanta-tion semble n’appeler aucune réserve d’ordremoral. Mis à part les quelques réflexions duDr Perrel, qu’on sent plus réticent, les auteursde la revue s’en tiennent à la définition légalede la mort. Nous serions donc en présenced’un cas unique où la pratique médicale neposerait aucun problème moral ! La contra-ception, l’avortement, l’euthanasie, les cel-lules souches, la psychanalyse : tout cela estdiscutable et discuté, seul le critère de la mortcérébrale 2 est admis sans plus.

Ensuite, et en continuité avec notre premièreobservation, on ne peut manquer de noterqu’aucun philosophe et/ou théologien n’a étéinvité par la revue à se prononcer sur l’aspectmoral de la question. Autant publier le manus-crit de Suicide, mode d’emploi dans unerevue médicale catholique sans demanderl’avis d’un moraliste!

Mais, comme la revue s’affiche commecatholique, elle se devait de recourir à uneautorité catholique en la matière. C’est là oùnotre revue entre en piste. Elle est citée denombreuses fois 3 pour laisser entendre que le

magistère n’a rien dit sur la question et que lesmédecins sont donc laissés à leur conscience.

Il est vrai que notre revue a déjà évoqué plu-sieurs fois ce thème, en publiant trois articlesdu Professeur Paolo Becchi :

• Des embryons in vitro aux morts encoma dépassé en avril 2004 (p. 5);• Les morts sont-ils vraiment morts lors-qu’on prélève leurs organes? en septembre2004 (p. 1- 4);• La position de l’Église catholique sur latransplantation d’organes à partir decadavre en décembre 2006 (p. 1- 4).Mais, la simple (re) lecture de ces trois

articles persuadera tout lecteur de bonne foique notre revue n’a jamais pris position enfaveur du critère de la mort cérébrale et qu’el-le s’est efforcée d’éclairer les intelligences surcette question délicate.

Apparemment, ce qui a été écrit et lu n’apas été suffisamment clair ou n’a pas été plei-nement compris. C’est pourquoi, nous revien-drons pour nos lecteurs assez longuement surce point de morale.

1. PRÉLIMINAIRES : GREFFES ETDONS D’ORGANES EN GÉNÉRALLorsqu’on parle de greffes et dons d’or-

ganes dans une revue catholique, il est de bonton de multiplier les citations de l’Écriture oudes Papes pour illustrer qu’un catholique nesaurait être que favorable aux greffes, les-quelles seraient une manifestation de la chari-té envers le prochain.

Quant à nous, nous voudrions brièvementmontrer que, d’un point de vue moral, il estimpossible de répondre à une question sur lesgreffes et les dons d’organe simplement paroui ou par non et en recourant à un principeunique 4.

Pour sérier les problèmes liés aux greffes etdons d’organes, le pape Pie XII distinguait 5 :

• l’autogreffe (donneur et receveur sont iden-tiques);• l’homogreffe (donneur et receveur sont dif-férents, mais appartiennent à la même espè-ce), laquelle se subdivise selon que le don-neur est vivant ou mort;• l’hétérogreffe (donneur et receveur appar-tiennent à des espèces différentes).Reprenons rapidement ces différents cas

pour montrer les divers principes moraux quisont concernés dans chaque cas.

1.1 L’autogreffeL’autogreffe, qui ne concerne bien sûr que

des tissus, est régie par le principe de totalité.L’homme, créature de Dieu, n’est pas pro-

priétaire de son corps. Celui-ci lui a été confiépar le Créateur pour qu’il en use pour le bien.Étant usufruitier de son corps, l’homme esttenu de le protéger, de le conserver et de ledéfendre contre les agressions extérieures.

Cette sage administration peut amenerl’homme à sacrifier une partie de son corpspour sauver le tout. C’est là le principe detotalité que le pape Pie XII énonçait ainsi :« [Le principe de totalité] affirme que la par-tie existe pour le tout, et que par conséquentle bien de la partie reste subordonné au biende l’ensemble ; que le tout est déterminantpour la partie et peut en disposer dans sonintérêt. Le principe découle de l’essence desnotions et des choses et doit par là avoirvaleur absolue. (…) Le principe de totalitélui-même n’affirme rien que ceci : là où sevérifie la relation de tout à partie, dans la

1. Cahiers Saint Raphaël, Dons d’organes, n° 90,mars 2008.2. À l’imitation des auteurs de la revue visée, nousutiliserons indifféremment le terme de mort cérébra-le (plus commun) ou de mort encéphalique (plustechnique).3. Cahiers Saint Raphaël, op. cit., p. 3-7, 19-25,

45, 57.4. À titre de comparaison, l’énoncé du 5e comman-dement est simple : « Tu ne tueras pas », mais sacompréhension est plus compliquée dès lors qu’onenvisage les cas de la légitime défense, de la guerreet de la peine de mort.

5. PIE XII, Discours à des Spécialistes de la Chirur-gie de l’Œil, 14 mai 1956.

Page 47: Courrier de Rome

Courrier de Rome2 Juin 2008mesure exacte où elle se vérifie, la partie estsubordonnée au tout, et celui-ci peut, dans sonintérêt propre, disposer de la partie 6. »

Le principe de totalité s’applique au cas desautogreffes dans la mesure où des tissus sontretirés d’un endroit du corps humain pour soi-gner un autre endroit endommagé.

Quelques exemples d’autogreffes : retirerdes lamelles de peau dans le dos pour les gref-fer sur les parties brûlées du même individu,utiliser des veines du pied pour un pontagecoronarien, prendre de l’os du tibia pourreconstituer une tête de fémur, etc.

1.2 L’homogreffeDans l’autogreffe, le sacrifice d’une partie

du corps au bénéfice du tout se justifiait par leprincipe de totalité qui régit les relations desubordination des parties au tout. Dans l’ho-mogreffe, une telle relation de tout à partien’existe pas, puisqu’il s’agit de deux individusdistincts (le transplant est une partie du don-neur et le tout qui est favorisé par la transplan-tation est celui du receveur).

D’autre part, il faut ici considérer la ques-tion du donneur. Selon qu’il est vivant oumort, la question morale change. Si le don-neur est vivant, il a des devoirs envers sonpropre corps ; s’il est mort, de tels devoirsn’existent plus. Il y a donc lieu de distinguerles homogreffes, selon que le donneur estvivant ou mort.

1.2.1 Avec donneur vivantQue les homogreffes avec donneur vivant

soient en principe moralement licites, on peutl’inférer :• des considérations que fait le pape Pie XIIsur le don de sang : « Modèle de toute chari-té, [Jésus] est le vôtre d’une manière touteparticulière. (…) Donner son propre sangpour la santé d’inconnus ou même d’in-grats, qui oublieront peut-être ou ne cher-cheront même pas à connaître le nom et lestraits du visage de leur sauveur; faire donde sa propre vigueur uniquement pour com-muniquer ou rendre à d’autres celle qu’ilsont perdue; ne rétablir ses forces épuiséesque pour recommencer et renouveler lemême don et le même sacrifice : telle estl’œuvre à laquelle vous vous êtes généreuse-ment voués 7. »• du décret du Saint - Office sur la césarien-ne : « Lorsque l’étroitesse du bassin mater-nel est telle qu’il n’est même pas possible derecourir à l’accouchement prématuré, est-ilpermis de recourir à l’avortement ou à lacésarienne au moment opportun? À la pre-mière partie : Non, conformément au décretdu 14 juillet 1895 touchant l’interdiction del’avortement. À la seconde partie : rienn’empêche la femme de subir l’opérationcésarienne en temps opportun 8. »Dans ces deux exemples, un homme sacrifie

une partie de son corps (en donnant son sang)ou de son intégrité corporelle (en se soumet-tant à la césarienne) pour le bien du prochain

(respectivement, le transfusé et l’enfant ànaître).

Permises en principe en vertu du principe decharité 9, les homogreffes doivent cependants’inscrire dans certaines limites pour êtremoralement licites, à savoir le respect de la vieet de l’intégrité fonctionnelle du donneur.Autrement dit : en se portant au secours dureceveur, le donneur ne peut volontairementporter atteinte à sa vie ou à l’intégrité de sesfonctions vitales.

Dès lors, sont immorales les donations d’or-ganes vitaux, simples ou doubles, qui sontnécessaires à la vie et à l’intégrité fonctionnel-le du donneur (ex. : cœur, foie, poumon).

1.2.2 Avec donneur mortLorsque l’homogreffe se fait à partir d’un

donneur mort, le cas est moralement distinct.En effet, comme le rappelait Pie XII au sujetdu prélèvement de cornée sur un cadavre :

« À l’égard du défunt dont on enlève la cor-née, on ne l’atteint dans aucun des biensauxquels il a droit, ni dans son droit à cesbiens :• Le cadavre n’est plus, au sens propre dumot, un sujet de droit; car il est privé de lapersonnalité qui seule peut être sujet dedroit.• L’extirpation n’est pas non plus l’enlève-ment d’un bien; les organes visuels, en effet,(leur présence, leur intégrité) n’ont plusdans le cadavre le caractère de biens, parcequ’ils ne lui servent plus et n’ont plus aucu-ne relation à aucune fin 10. »Est-ce à dire qu’il n’y a aucune obligation

morale à l’égard du cadavre d’un homme?Certainement pas. D’ailleurs, le même Pontiferappelait que les prélèvements d’organe sur uncadavre pouvaient devenir immoraux dès lorsque le cadavre était considéré comme unechose ou un animal 11, qu’étaient lésés lesdroits ou la sensibilité des proches du défuntou négligée l’opposition antérieurement for-mulée de l’intéressé 12.

Dans le débat qui nous occupe aujourd’hui,toute la question est de savoir si le critère de lamort cérébrale est suffisant pour parler d’uncadavre, si la séparation de l’âme et du corpsest due à la destruction du cerveau ou à l’abla-tion des organes vitaux en vue de leur greffe.Nous y reviendrons.

1.3 HétérogreffesLe cas des hétérogreffes, où le donneur est

un animal et le receveur un homme, ne relèvebien sûr ni du principe de totalité, ni du princi-pe de charité.

La moralité de principe des hétérogreffes sefonde sur la domination sur la nature qu’areçue l’homme du Créateur.

Les hétérogreffes deviendraient immoraleslorsque la transplantation porte atteinte à

l’identité psychologique ou génétique du rece-veur.

1.4 Éviter les simplificationsréductrices

Nous avions évoqué au début l’affirmationgénérale et confuse selon laquelle les donsd’organes étaient à encourager en vertu de lacharité. La brève description des greffes, quenous venons de faire, aura permis au lecteur des’apercevoir que les choses sont moins simplesqu’il n’y paraît et qu’une réponse unique pourtous les cas de figure est impossible.

Penchons-nous maintenant sur le cas spéci-fique de l’homogreffe avec donneur mort, ennous concentrant sur le critère cérébral utiliséde nos jours pour déclarer la mort d’unpatient.

2. DONNÉES MÉDICALESSuivant l’exemple de Pie XII, commençons

par présenter un résumé des données que lascience médicale offre sur la question du comaet de la mort cérébrale, puis une descriptiondes différents critères de la mort et des moyensdiagnostiques qu’ils mettent en œuvre.

2.1 DéfinitionsPour éviter toute méprise, il importe de bien

distinguer le coma et la mort encéphalique 13.

2.1.1 Le comaLe coma est une abolition plus ou moins

complète des fonctions de la vie de relation(conscience, motilité, sensibilité) alors que lesfonctions de la vie végétative sont relative-ment conservées. Le patient, inconscient, estcouché sans bouger et ne sent rien.

L’examen neurologique complet (motilité,sensibilité, réflexes, tonus, pupilles, contrôlesphinctérien), l’évaluation des fonctions végé-tatives (respiration, pouls, tension artérielle,température) permettent de classer le comaselon la profondeur :

• Coma stade 1 : c’est le stade de l’obnubila-tion. La possibilité de communication avecle malade est réduite : le patient grognelorsque le médecin lui pose des questions.Les stimuli douloureux provoquent uneréponse correcte : le patient repousse plus oumoins bien la main du médecin qui le pince.L’électroencéphalogramme (EEG) montre unrythme alpha ralenti avec quelques ondestéta ou delta.• Coma stade 2 : c’est le stade de la dispari-tion de la capacité d’éveil du sujet. Il n’y apas de contact possible avec le malade. Laréaction aux stimuli douloureux est toujoursprésente, mais plus ou moins inappropriée.L’EEG montre des ondes lentes diffusesavec réactivité aux stimuli extérieursréduits.• Coma stade 3 : c’est le coma profond oucoma carus. Il n’y a plus aucune réaction auxstimuli douloureux. Les troubles oculaires etvégétatifs sont apparus, par exemple respira-toires avec encombrement pulmonaire.L’EEG montre des ondes delta diffuses sansréactivité aux stimuli extérieurs.• Coma stade 4 ou coma dépassé : la vien’est maintenue que par des moyens artifi-

6. PIE XII, Discours au Congrès d’Histopatologie,14 septembre 1952.7. PIE XII, Discours aux Donneurs de Sang, 9 sep-tembre 1948.8. Décret du Saint-Office, 4 mai 1898 (D.S. 3337).

9. Ou du principe de solidarité au plan strictementnaturel.10. PIE XII, Discours à des Spécialistes de la Chi-rurgie de l’Œil, 14 mai 1956.11. PIE XII, Discours à la VIIIe Assemblée de l’Asso-ciation Médicale Mondiale, 30 septembre 1954.12. PIE XII, Discours à des Spécialistes de la Chi-rurgie de l’Œil, 14 mai 1956. 13. Renseignements tirés de doctissimo. fr.

Page 48: Courrier de Rome

Courrier de RomeJuin 2008 3ciels. L’EEG montre un rythme plus oumoins ralenti. Au pire, il est plat. C’est unélément primordial pour la surveillance d’uncoma prolongé.

2.1.2 La mort encéphaliqueLa mort encéphalique ou mort cérébrale

désigne l’arrêt brutal, définitif et irrémédiablede toutes les fonctions du cerveau. Le cerveaun’étant plus irrigué, les fonctions neuronalessont détruites. La respiration et les battementsdu cœur peuvent être maintenus artificielle-ment par des techniques de réanimation.

La mort encéphalique ne doit pas êtreconfondue avec un état comateux, dans lequelle sang irrigue et oxygène le cerveau.

Les tests cliniques analysent les réflexes dutronc cérébral et la capacité du patient à respi-rer spontanément ou non. Le médecin devraainsi rechercher l’absence totale de conscien-ce et d’activité motrice spontanée, l’absencede tous les réflexes du tronc cérébral et l’ab-sence de respiration spontanée.

Les médecins doivent constater sans ambi-guïté : la non-contraction des pupilles devantla lumière brillante, l’absence de clignementdes paupières lorsque la cornée est touchée,pas de réaction aux stimuli douloureux, pas deréflexe de toux ou de nausée suite à l’intro-duction d’un cathéter dans la trachée, etc.

Deux types d’examen complémentaire sontdisponibles :

• Deux EEG à 4 heures d’intervalle. D’unedurée de 30 minutes chacun, ces examensenregistrent l’activité cérébrale. Un tracé platatteste d’une destruction encéphalique, endehors de toute intoxication médicamenteuseou en dehors de toute baisse de la températu-re du corps;• Une angiographie cérébrale qui consiste àinjecter du produit de contraste dans les vais-seaux, pour montrer l’absence de vasculari-sation du cerveau, témoignant ainsi de l’étatde mort encéphalique.

2.2 Critères de constatationde la mort

Le progrès des sciences médicales, en parti-culier en matière de réanimation, s’est accom-pagné d’une évolution des critères de détermi-nation de la mort.

Pour le commun des mortels, le médecinappelé à délivrer le certificat de décès s’entient toujours à l’observation clinique ducadavre (circulation, respiration et activitécérébrale).

C’est la première réussite en matière degreffe de cœur en décembre 1967 14 qui aconduit à redéfinir les critères légaux de lamort. Nul n’ignore que les organes tels que lecœur, le foie, le poumon et, à un degrémoindre, les reins deviennent inutilisablespour les greffes dès lors que la circulation san-guine cesse et que leur oxygénation est com-promise.

En août 1968, un comité ad hoc de l’Uni-versité Médicale de Harvard publiait une nou-velle définition de la mort basée sur un critèreexclusivement neurologique : la cessationdéfinitive de toute activité cérébrale, appelée

coma irréversible.Cette nouvelle définition de la mort était

justifiée dans les termes suivants :« Notre premier objectif est de définir lecoma irréversible comme un nouveau critèrede la mort. Il y a deux raisons qui rendentcette définition nécessaire. (1) Les progrèsdes techniques de réanimation et de soutienont conduit à des efforts supplémentairespour sauver ceux dont l’état était désespéré.Parfois, ces efforts n’ont obtenu qu’un suc-cès partiel avec pour résultat un individudont le cœur continue de battre, mais dont lecerveau est irrémédiablement endommagé.Lourde est la charge pour les patients quisouffrent d’une perte définitive de l’intelli-gence, pour leurs familles, pour les hôpitauxet pour ceux qui auraient besoin des litsoccupés par ces patients comateux. (2) Lescritères obsolètes de détermination de lamort peuvent être source de controverse lors-qu’il s’agit d’obtenir des organes en vue desgreffes 15. »Cette nouvelle définition de la mort fut

adoptée le même mois d’août 1968 par l’As-sociation médicale mondiale 16.

Les faits que nous venons de rappeler appel-lent quelques commentaires.

Dès l’annonce de la première réussite enmatière de greffe de cœur, le comité ad hoc del’Université de médecine de Harvard, chargé dese pencher sur une nouvelle définition de lamort, s’est réuni. Quelle compétence avait cecomité. Quelle était son autorité? Nul ne le sait.

Les motivations du comité étaient stricte-ment utilitaires et ce à un double titre. Ils’agissait d’abord de résoudre le cas pratiquede ces patients réanimés, mais incapables devivre sans une assistance technique lourde. Ils’agissait ensuite de se protéger de toutecontroverse dans l’obtention d’organes pourles greffes.

Remarquons que le premier problème men-tionné pouvait se régler aisément sans donnerune nouvelle définition de la mort, en recou-rant à la distinction classique entre moyensordinaires et moyens extraordinaires pourconserver la vie 17.

En réalité, le deuxième motif est le seulvéritable pour justifier une nouvelle définitionde la mort. Il s’agissait de protéger les méde-cins et les transplantés potentiels de touteaccusation d’homicide. Indépendamment ducontenu de cette nouvelle définition, que nousanalyserons ultérieurement, on ne peut queconsidérer comme suspecte une définitionbasée sur des critères aussi utilitaristes.

Ensuite, il est étonnant que sur une questionaussi délicate et dont la portée vitale n’échap-pe à personne, l’assemblée médicale mondialeait emboîté le pas immédiatement à la nouvel-le définition élaborée par un comité bidule. Laprécipitation n’est-elle pas mère de l’impru-dence?

Enfin, peut-on résoudre un problème médi-cal ou moral en changeant de définition ?C’est ce que l’Organisation Mondiale de laSanté a fait pour la grossesse qui a été définieà partir du moment de l’implantation de l’ovu-le fécondé dans la matrice, ce qui permet d’af-firmer la main sur le cœur que le stérilet et lespilules du lendemain ne sont pas des abortifs.Le moyen est certes efficace, mais le problè-me est-il pour autant résolu? On peut légiti-mement en douter.

2.3 Définition ou définitions ?Les considérations médicales que nous

avons faites jusqu’ici pourraient donner àcroire que la définition de la mort sur le seulcritère neurologique, même adoptée dans lescirconstances que nous venons de rappeler, estmonolithique et qu’il ne vient à l’esprit depersonne de s’opposer à une telle évidencemédicale.

En réalité, la mort cérébrale peut être miseen évidence médicalement par plusieursniveaux de diagnostic, utilisés séparément ouconjointement :

• Le premier niveau est simplementclinique : il consiste à mettre en évidence pardes signes cliniques le coma profond, la dila-tation de la pupille ou mydriase, les pausescardiaques et l’arrêt de la respiration sponta-née.• Le second niveau est un examen fonction-nel de l’activité cérébrale en utilisant l’EEGpour démontrer l’absence d’activité cérébra-le par deux tracés plats de 30 minutes à 4heures d’intervalle 18.• Un troisième niveau a été mis en œuvrerécemment, suite aux progrès de l’imageriemédicale, avec l’usage de l’angiographie 19,de l’angioscanner 20 et de l’IRM 21. Ces dif-

14. DR CHRISTIAN BARNARD en Afrique du Sud.

15. « Our primary purpose is to define irreversiblecoma as a new criterion for death. There are tworeasons why there is a need for a definition. (1)Improvements in resuscitative and supportive mea-sures have led to increased efforts to save those whoare desperately injured. Sometimes efforts have onlya partial success so that the result is an invididualwhose heart continues to beat but whose brain isirreversibly damaged. The burden is great onpatients who suffer permanent loss of intellect, ontheir families, on the hospitals, and on those in needfor hospital beds already occupied by these comato-se patients. (2) Obsolete criteria for the definition ofdeath can lead to controversy in obtaining organsfor transplantations. » (A definition of irreversiblecoma. Report of the ad hoc committee of the Har-vard Mediacl School to examine the definition ofbrain death in Journal of the American MedicalAssociation, 205, 1968, p. 337).16. WORLD MEDICAL ASSOCIATION, Declaration onDeath, adoptée par l’Assemblée médicale mondialede Sydney en août 1968.17. Nous y reviendrons dans la conclusion de notrearticle.

18. Un tracé plat ne permet pas de conclure à lamort cérébrale dans les cas d’extrême jeunesse dupatient, d’hypothermie, d’absorption de sédatifs oude coma d’origine métabolique.19. Angiographie : technique échographique qui faitappel à l’effet Doppler (utilisant les ultra-sons etnon les rayons X) et qui permet l’examen du fluxsanguin.20. Scanner : série de clichés aux rayons X d’unepartie du corps visualisée sur ordinateur. Ces clichéssont pris selon des angles légèrement différents etpermettent d’obtenir des coupes transversales de larégion observée.21. IRM (imagerie à résonnance magnétique) : ana-lyse de la réaction des différents tissus du corps àdes champs magnétiques; les données traitées infor-

Page 49: Courrier de Rome

Courrier de Rome4 Juin 2008férents moyens techniques permettent dedémontrer l’absence de circulation sanguinedans le cerveau et rendent compte de lésionsanatomiques (destruction cellulaire).Ces différents niveaux de diagnostic ne sont

pas mis en œuvre de manière identique danstous les pays du monde. Une étude comparati-ve des législations des différents pays montre-rait que le concept de mort cérébral ne jouitpas, même dans le monde médical, d’unedéfinition uniforme 22.

Certains pays, comme l’Angleterre, permet-tent au praticien de s’en tenir aux seuls indicescliniques. D’autres, comme la France, exigentla confirmation des indices cliniques parl’EEG ou l’angiographie cérébrale. D’autresencore, aimeraient voir introduit dans la légis-lation l’usage de l’imagerie tridimensionnelle.

3. SCIENCE MÉDICALE ET MORALENous avons décrit dans la partie précédente

la mise en œuvre du diagnostic de mort céré-brale. Lorsque sont combinés les examens cli-niques, fonctionnels et anatomiques, la méde-cine en conclut que le cerveau est irrémédia-blement détruit, sans espoir de récupération.

Pour pouvoir utiliser les données de la scien-ce médicale sur le diagnostic de mort cérébraledans le cadre des greffes d’organes, il nous fautd’abord cerner les rapports entre la science (ici,la science médicale) et la morale.

3.1 Critère légal – critère moral dela mort

Le fait que les médecins s’en tiennent aucritère légal de la mort, déterminé par la légis-lation de leurs pays respectifs, ne nous ditqu’une chose : en faisant cela, ils n’enfrei-gnent pas la loi. Que le respect de cette normelégale soit équivalent au respect de la normemorale doit être prouvé. Et c’est une autrepaire de manches.

Qu’on songe aux lois permettant l’avorte-ment, la cessation de l’alimentation desmalades en état de coma, la fécondation artifi-cielle, le clonage thérapeutique et la créationd’hybrides, et l’on verra que légalité et morali-té ne coïncident pas nécessairement. Aujour-d’hui, moins que jamais. Malheureusement.

3.2 Point de vue médicalet point de vue moral

D’un autre côté, il faut aussi distinguer lepoint de vue de la médecine et celui de lamorale. S’il est souhaitable que ces deuxdomaines parlent des mêmes choses dans lesmêmes termes, ce n’est pas toujours le cas.

J’en veux pour preuve les précisions don-nées par Pie XII au sujet de l’impuissance.Pour certains, l’impuissance commenceraitavec la stérilité. Pour le magistère, la stériliténe rend pas invalide un mariage, alors quec’est le cas de l’impuissance antécédente etperpétuelle 23.

Autre exemple : celui de la contraceptionqui est considérée ou non comme une stérili-sation. Certains médecins ne considèrent pasla contraception comme une stérilisationmédicamenteuse, car ils y voient un processusréversible 24. Le magistère de l’Église aucontraire considère la contraception commeune stérilisation, dans la mesure où elle frustrel’acte conjugal de sa fin naturelle.

Il est donc tout à fait possible qu’une défini-tion de la mort donnée par le corps médical(eu égard à l’irréversibilité d’un processusmorbide et pour permettre l’ablation desorganes vitaux en vue de leur greffe) ne satis-fasse pas les critères moraux de l’Église qui sepréoccupe de l’observation intégrale du 5e

commandement.

3.3 Épistémologie des sciencesS’agissant des rapports entre la science

médicale et la science morale, on entend sou-vent dire : « Chacun chez soi et les vachesseront bien gardées », « À chacun sonmétier ». Il existerait de la sorte un divorceentre la science médicale et la science moraleet tout regard jeté par le moraliste sur les pra-tiques de la science médicale serait indu et àrejeter.

Une telle posture a déjà fait l’objet d’unemise au point sous le pontificat du PasteurAngélique :

« On peut donc affirmer que la féconditéhumaine, au-delà du plan physique, revêt desaspects moraux essentiels, qu’il faut néces-sairement considérer, même lorsqu’on traitele sujet du point de vue médical 25. »Ce qui était affirmé de la fécondité humaine

peut être étendu sans difficulté à la constata-tion de la mort.

Pourquoi ce positivisme médical est-il fauxet dangereux? Parce que la médecine est pra-tiquée :

• Par des hommes : les médecins, qui doiventse sanctifier dans l’état de vie où la Provi-dence les a placés;• Pour des hommes : les patients, qui doiventeux aussi adhérer au plan divin dans leur vie.Que science médicale et science morale

(naturelle ou surnaturelle, c’est-à-dire philoso-phique ou théologique) soient distinctes, nul

ne songerait à le nier. En effet, à chaque scien-ce correspond :

• Un objet spécifique : la médecine a pourobjet le corps humain, les maladies qui l’ac-cablent, les traitements qui l’en préserventou l’en guérissent; la science morale s’occu-pe des actes humains dans leur relation avecla fin ultime.• Une méthode spécifique : la médecine estbasée sur l’observation des phénomènesvitaux humains par divers examens qui, per-mettant d’aboutir à un diagnostic, mènent àl’application d’une thérapie ; la sciencemorale considère les actes humains selonleur objet, leur finalité et leurs circonstancespour juger de leur conformité ou difformitépar rapport à la fin ultime.Mais, qui dit distinction, ne dit pas nécessai-

rement séparation. En effet, c’est le mêmesujet humain qui, objet de la science morale,est aussi médecin ou patient. Le rapport actif(chez le médecin) ou passif (chez le patient) àla médecine s’intègre dans le cadre plus vastede la moralité générale de la vie humaine.

Il y a donc des sciences qui sont appeléesarchitectoniques par rapport à d’autres, dansla mesure où elles les englobent et sont ame-nées à juger de leurs résultats par rapport àune fin supérieure ou plus générale.

La science morale (philosophique ou théo-logique) est une science architectonique. Sonobjet dépasse celui de la médecine. Elle estdonc amenée à juger de l’extérieur 26 desméthodes et des conclusions auxquelles abou-tit la médecine. Comprenons-nous bien : cen’est pas à la science morale de déterminer laposologie d’un médicament ou le calibraged’un EEG, mais elle pourra juger de la mora-lité de l’expérimentation d’un nouveau médi-cament ou de l’application de la théorie psy-chanalytique aux névrosés.

S’agissant de la détermination de la vie etde la mort, le jugement de la science moralesur les critères médicaux en usage est doncpleinement justifié et nécessaire.

3.4 La fin ne justifie pas les moyensLa science médicale, au fur et à mesure de

ses avancées dans l’ordre du savoir et du faire,doit affronter des défis croissants. On attendd’elle la solution à toutes les détresses corpo-relles. Ceux et celles qui se sont engagés dansla carrière médicale par amour pour leursfrères qui souffrent ont du mal à rester impuis-sant face à la maladie. Sauver une vie, quellerécompense pour celui qui veut faire du bien àses frères souffrants!

La tentation est alors grande de regarderplus au résultat qu’au moyen pour y parvenir.Ce qui compte, c’est le résultat : c’est le souri-re d’une famille rassurée sur le sort d’un êtrecher, hier encore en danger; c’est le retour àl’activité de celui qui était cloué au lit; c’estl’autonomie recouvrée pour celui que l’infir-mité avait rendu dépendant.

Or, dans l’examen de la moralité, il ne fautpas regarder qu’à l’excellence du résultat,mais aussi à la moralité des moyens utilisés.« Bonum ex integra causa, malum ex quo-

matiquement permettent de restituer la zone étudiéeen deux ou trois dimensions.22. L’ouvrage Finis vitæ. Is brain death still life?édité par ROBERTO DE MATTEI chez Rubbettino Edi-tore à Soveria Mannelli (Italie) en 2006 l’illustreparfaitement.23. « Il peut être utile avant tout de dissiper les mal-entendus autour du concept d’impotentia generandi. Potentia generandi revêt parfois un sens si large

qu’il comprend tout ce que doivent posséder lesdeux partenaires pour procréer une nouvelle vie :les organes internes et externes, ainsi que l’aptitudeaux fonctions qui répondent à leur finalité. L’expres-sion est prise aussi en un sens plus étroit et ne com-prend alors que ce qui est exigé en marge de l’acti-vité personnelle des époux, pour que cette activitépuisse réellement engendrer la vie sinon dans tousles cas, au moins par elle-même et d’une façongénérale. En ce sens, la “potentia generandi” s’op-pose à la “potentia cæundi”. » (PIE XII, Discoursau XXVIe congrès d’urologie, 8 octobre 1953).24. « Empruntant aux idées largement répanduesdu Dr John Rock et du chanoine Janssens, [le Drvon Rossum] soutient que la pilule (…) ne devraitpas être considérée comme un agent de stérilisationcar ses effets sont temporaires et contrôlables. »(ROBERT MCGLORY, Rome et la contraception, LesÉditions de l’Atelier, Paris, 1998, p. 53).25. PIE XII, Discours à des Médecins du IIe CongrèsMondial pour la Fécondité et la Stérilité, 19 mai1956.

26. On dirait théologiquement qu’il s’agit d’un juge-ment ratione peccati.

Page 50: Courrier de Rome

Courrier de RomeJuin 2008 5cumque defectu », dit l’adage, « le bien pro-vient d’une cause intègre, le mal de n’importequel défaut ». Ce que saint Paul traduisait :« Ne faisons pas le mal pour qu’il en advienneun bien » (Rom 3, 8).

À ne voir que la joie des parents d’enfantsengendrés par procréation médicale assistée,on pourrait oublier que le moyen utilisé estimmoral. Juger le problème posé par leshomogreffes avec donneur mort du seul pointde vue du résultat obtenu, sans regarder aumoyen d’obtenir les organes à greffer, n’estpas moralement acceptable.

4. INTERVENTIONS DU MAGISTÈREJetons maintenant un regard vers le magistè-

re de l’Église qui enseigne ce qu’il faut croireet ce qu’il faut faire pour parvenir à la vieéternelle. L’enseignement du magistère sur lafoi et les mœurs concerne non seulement lesréalités surnaturelles, mais aussi certaines réa-lités naturelles.

En effet, ces vérités naturelles, qui ne sontpas de soi inaccessibles à la seule raison,requièrent souvent l’intervention du magistèreen raison de la condition présente de l’huma-nité, à savoir les blessures du péché originelqui affaiblissent l’intelligence (dans laconnaissance du vrai) et la volonté (dans laréalisation du bien).

Or, l’extension du 5e commandement, quiregarde le respect de la vie humaine innocen-te, relève bien de la loi naturelle.

4.1 Pie XIIAu temps de Pie XII, la question de la déter-

mination de la mort par le critère de la mortcérébrale en vue de procurer des organes àtransplanter ne se posait pas, puisque ces tech-niques médicales n’avaient pas encore étémises au point.

En revanche, le problème qui commençait àse poser à la fin des années 1950 était celui dela réanimation. Dans quelles conditions fal-lait-il réanimer une personne? Fallait-il pour-suivre la réanimation, lorsqu’il n’y avait aucunespoir de rétablissement du patient ? Tellesétaient les questions auxquelles Pie XII s’estefforcé de répondre dans son discours du 24novembre 1957 sur les problèmes de la réani-mation.

Voici en résumé les enseignements du Pas-teur Angélique :

1) L’homme est tenu d’user des moyensordinaires pour conserver la vie et la santé :

« Mais [le devoir, en cas de maladie grave,de prendre les soins nécessaires pourconserver la vie et la santé] n’oblige habi-tuellement qu’à l’emploi des moyens ordi-naires (suivant les circonstances de per-sonnes, de lieux, d’époques, de culture),c’est-à-dire des moyens qui n’imposentaucune charge extraordinaire pour soi-même ou pour un autre. Une obligation plussévère serait trop lourde pour la plupart deshommes, et rendrait trop difficile l’acquisi-tion de biens supérieurs plus importants. »2) L’usage des moyens extraordinaires pour

conserver la vie et la santé est permis, maispas obligatoire :

« La technique de réanimation, dont il s’agitici, ne contient en soi rien d’immoral; aussile patient - s’il était capable de décision per-

sonnelle - pourrait-il l’utiliser licitement et,par conséquent, en donner l’autorisation aumédecin. Par ailleurs, comme ces formes detraitement dépassent les moyens ordinaires,auxquels on est obligé de recourir, on nepeut soutenir qu’il soit obligatoire de lesemployer et, par conséquent, d’y autoriser lemédecin. »« Quant au devoir propre et indépendant dela famille, il n’oblige habituellement qu’àl’emploi des moyens ordinaires. Par consé-quent, s’il apparaît que la tentative de réani-mation constitue en réalité pour la familleune telle charge qu’on ne puisse pas enconscience la lui imposer, elle peut licite-ment insister pour que le médecin interrom-pe ses tentatives, et le médecin peut licite-ment lui obtempérer. »3) Le critère technique pour déterminer le

moment de la mort relève de l’art médical :« Il appartient au médecin, et particulière-ment à l’anesthésiologue, de donner unedéfinition claire et précise de la “mort” et du“moment de la mort” d’un patient, qui décè-de en état d’inconscience. Pour cela, on peutreprendre le concept usuel de séparationcomplète et définitive de l’âme et du corps;mais en pratique on tiendra compte de l’im-précision des termes de “corps” et de “sépa-ration”. »« En ce qui concerne la constatation du faitdans les cas particuliers, la réponse ne peutse déduire d’aucun principe religieux etmoral et, sous cet aspect, n’appartient pas àla compétence de l’Église. En attendant, ellerestera donc ouverte. »4) L’utilisation de procédés artificiels pour

aider les fonctions vitales n’équivaut pas desoi à la mort :

« Mais des considérations d’ordre généralpermettent de croire que la vie humainecontinue aussi longtemps que ses fonctionsvitales - à la différence de la simple vie desorganes - se manifestent spontanément oumême à l’aide de procédés artificiels. »5) En cas de doute, la faveur est à la vie :

« En cas de doute insoluble, on peut aussirecourir aux présomptions de droit et de fait.En général, on s’arrêtera à celle de la per-manence de la vie, parce qu’il s’agit d’undroit fondamental reçu du Créateur et dont ilfaut prouver avec certitude qu’il est perdu. »

La bonne compréhension de ce discoursrequiert de distinguer deux problèmes dis-tincts :

a) les règles qui s’appliquent à la réanimation;b) les règles pour déterminer le moment dela mort.a) Pie XII affirme que le patient, sa famille

et son médecin sont tenus à l’usage desmoyens ordinaires pour conserver la vie et lasanté du patient. Les moyens extraordinairessont permis, mais non obligatoires. Il est doncpermis de suspendre l’application des moyensextraordinaires sans faute morale (et doncsans tomber dans l’euthanasie).

Certes, le patient mourra de cette suspen-sion des moyens extraordinaires, mais par l’ef-fet de causes naturelles, non par suite d’uneaction positive de l’homme pour le faire mou-rir. Nous disons bien « le patient en mourra »,

c’est-à-dire qu’au moment d’arrêter l’usagedes moyens extraordinaires, il n’est pas encoremort!

Des règles qui régissent la réanimation, onne peut donc rien inférer quant à l’ablationd’organes vitaux pour une greffe.

b) Ce qui peut être plus intéressant pour lesproblèmes posés par les donations d’organesd’un mort à un vivant, ce sont les explicationsque donne Pie XII au sujet de la déterminationdu moment de la mort.

La mort, c’est-à-dire philosophiquement laséparation de l’âme et du corps, n’étant pasune évidence, elle devra être déterminée pardes signes extérieurs adéquats. Selon les prin-cipes d’une saine épistémologie, c’est à l’artmédical que revient cette démonstration (cf.supra n° 3.3).

Cela ne signifie pas que toute définition dela mort donnée par l’art médical soit adéquate(cf. les différences de point de vue entre lamédecine et la science morale mentionnés ci-dessus, n° 3.2)!

D’autre part, le seul fait d’user de moyensartificiels pour maintenir la respiration ou lacirculation n’est pas de soi un signe de mort(cf. le cas des patients en état végétatif dontcertains requièrent une telle assistance).

Enfin, en cas de doute insoluble, faveur esttoujours donnée à la vie, car dans le cascontraire on s’exposerait à disposer directe-ment d’une vie innocente en contradictionavec le 5e commandement.

4.2 Jean-Paul IISi Pie XII avait dû répondre aux questions

des réanimateurs dans les années 1950, lepape Jean-Paul II a dû affronter directement laquestion qui nous intéresse aujourd’hui : celledes dons et des greffes d’organes.

Voici une brève synthèse de son enseigne-ment au sujet des homogreffes avec donneurmort :

1) Le don d’organes vitaux présuppose lamort du donneur :

« Il ne nous est pas permis de nous taire faceà d’autres formes d’euthanasie plus sour-noises, mais non moins graves et réelles.Celles-ci pourraient se présenter, parexemple, si, pour obtenir davantage d’or-ganes à transplanter, on procédait à l’extrac-tion de ces organes sans respecter les cri-tères objectifs appropriés pour vérifier lamort du donneur 27. »2) La détermination du moment de la mort

est un grave problème :« La reconnaissance de la dignité unique dela personne humaine a une autre conséquen-ce inhérente : les organes vitaux individuelsdans le corps ne peuvent être prélevésqu’après la mort, c’est-à-dire à partir ducorps d’une personne dont la mort est avé-rée. Cette exigence va de soi, puisqu’agirdifféremment signifierait provoquer inten-tionnellement la mort du donneur en préle-vant ses organes. Cela soulève l’une desquestions les plus débattues aujourd’huidans le monde de la bioéthique et suscitebeaucoup d’inquiétude au sein de l’opinion

27. JEAN-PAUL II, Encylique Evangelium vitæ, 25

Page 51: Courrier de Rome

Courrier de Rome6 Juin 2008publique. Je me réfère au problème de lavérification de la mort. Quand peut-onconsidérer avec certitude qu’une personneest morte 28? »3) Le moment de la mort n’est pas l’objet

d’une perception directe :« La mort de la personne, selon cette signifi-cation fondamentale, est un événementqu’aucune technique scientifique ou empi-rique ne peut directement identifier. Pour-tant, l’expérience humaine montre quelorsque la mort survient, certains signes bio-logiques suivent inévitablement, signes quela médecine a appris à reconnaître avec deplus en plus de précision. En ce sens, les“critères” permettant de constater la mort etqui sont utilisés par la médecine aujourd’huine devraient pas être compris comme ladétermination technique et scientifique dumoment exact de la mort d’une personne,mais comme un moyen scientifique solided’identifier les signes biologiques qui mon-trent qu’une personne est effectivementmorte 29. »4) Le critère technique pour déterminer le

moment de la mort relève de l’art médical :« En ce qui concerne les paramètres utilisésaujourd’hui pour établir la mort avec certi-tude - qu’il s’agisse des signes “encépha-liques” ou des signes cardio-respiratoiresplus traditionnels - l’Église ne prend pas dedécisions techniques. Elle se limite au devoirévangélique qui consiste à comparer lesdonnées proposées par les sciences médi-cales avec la conception chrétienne de l’uni-té de la personne, en relevant les similitudeset les conflits éventuels qui risqueraient demettre en danger le respect de la dignitéhumaine 30. »5) Ni la vie ni la mort ne peuvent être jugées

d’un point de vue utilitariste :« On ne saurait faire du corps humain unsimple objet, instrument d’expériences, sansautres normes que les impératifs de larecherche scientifique et des possibilitéstechniques. Si intéressantes et même utilesque puissent paraître certaines sortes d’ex-périences que l’état actuel de la technique

rend possibles, quiconque a vraiment le sensdes valeurs et de la dignité humaine admetspontanément qu’il faut abandonner cettepiste apparemment prometteuse, si elle passepar la dégradation de l’homme ou par l’in-terruption volontaire de son existence ter-restre. Le bien auquel elle semblerait menerne serait, en fin de compte, qu’un bien illu-soire (cf. ibid., n° 27, 51) 31. »6) En cas de doute, la faveur est à la vie :

« D’ailleurs, on reconnaît le principe moralselon lequel même le simple soupçon d’êtreen présence d’une personne vivante entraî-ne, dès lors, l’obligation de son plein respectet de l’abstention de toute action visant àanticiper sa mort 32. »7) Les différents critères pour déterminer le

moment de la mort doivent faire l’objet d’unexamen philosophique et théologique :

« Chacun sait que, depuis quelque temps,certaines approches scientifiques relativesau constat de la mort ont mis l’accent sur cequ’on appelle le critère “neurologique” plu-tôt que sur les signes cardio-respiratoirestraditionnels. Cela consiste en fait à établir,selon des paramètres clairement déterminéset reconnus par la communauté scientifiqueinternationale, la cessation complète et irré-versible de toute activité cérébrale (dans lecerveau, le cervelet, et le tronc cérébral).C’est alors, dit-on, le signe que l’organismea perdu sa capacité d’intégration. En ce quiconcerne les paramètres utilisés aujourd’huipour établir la mort avec certitude - qu’ils’agisse des signes “encéphaliques” ou dessignes cardio-respiratoires plus tradi-tionnels - l’Église ne prend pas dedécisions techniques. Elle se limite au devoirévangélique qui consiste à comparer lesdonnées proposées par les sciences médi-cales avec la conception chrétienne de l’uni-té de la personne, en relevant les similitudeset les conflits éventuels qui risqueraient demettre en danger le respect de la dignitéhumaine 33. »L’enseignement de Jean-Paul II coïncide

explicitement avec celui de Pie XII sur lespoints suivants : le critère technique pourdéterminer le moment de la mort relève del’art médical; le moment de la mort n’est pasl’objet d’une perception directe ; en cas dedoute, la faveur est à la vie.

L’enseignement de Jean-Paul II explicitecelui de Pie XII dans la mesure où il affrontedes problèmes qui ne se posaient pas dans les

années 50.Quels sont ces problèmes nouveaux? Les

greffes réalisées à partir d’un donneur mort.Jean-Paul II insiste donc sur la nécessité deconstater la mort avant de procéder à l’abla-tion d’organes vitaux sous peine de tuer unhomme pour en sauver un autre, ce qui fait dela détermination du moment de la mort ungrave problème de conscience.

Jean-Paul II stigmatise une approche utilita-riste du problème qui voudrait que tout ce quiest techniquement possible soit concrètementmis en pratique, en faisant abstraction des cri-tères moraux.

Néanmoins, Jean-Paul II a semblé inclinervers le critère neurologique pour déterminer lemoment de la mort, ce qui ouvrirait la porte àcertaines transplantations :

« On peut dire ici que le critère récemmentadopté pour établir avec certitude la mort,c’est-à-dire la cessation complète et irréver-sible de toute activité cérébrale, s’il estrigoureusement appliqué, ne semble pas êtreen conflit avec les éléments essentiels d’uneanthropologie sérieuse. La personne respon-sable, en milieu médical, d’établir le momentde la mort peut donc se fonder au cas parcas sur ces critères pour atteindre ce degréd’assurance dans le jugement éthique que ladoctrine morale qualifie de “certitude mora-le”. Cette certitude morale est considéréecomme la base nécessaire et suffisante pouragir de façon éthiquement correcte 34. »Les affirmations du Pontife sur ce dernier

point ne sont toutefois pas aussi absoluesqu’une lecture superficielle pourrait le laissercroire :

« On peut dire ici que le critère récemmentadopté pour établir avec certitude la mort,c’est-à-dire la cessation complète et irréver-sible de toute activité cérébrale, s’il estrigoureusement appliqué, ne semble pas êtreen conflit avec les éléments essentiels d’uneanthropologie sérieuse 35. »« Chacun sait que, depuis quelque temps,certaines approches scientifiques relativesau constat de la mort ont mis l’accent sur cequ’on appelle le critère “neurologique” plu-tôt que sur les signes cardio-respiratoirestraditionnels. Cela consiste en fait à établir,selon des paramètres clairement déterminéset reconnus par la communauté scientifiqueinternationale, la cessation complète et irré-versible de toute activité cérébrale (dans lecerveau, le cervelet, et le tronc cérébral) 36. »Nous avons déjà rappelé qu’un tel critère

neurologique ne fait pas l’objet d’une recon-naissance unanime de la communauté médi-cale (cf. supra n° 2.3) : ce qui justifie pleine-ment les réserves du discours pontifical («s’il est rigoureusement appliqué », « nesemble pas être en conflit »).

Cette prudence dans les affirmations deJean-Paul II est doublement confirmée :

• dans le même discours, il ne se prononcepas entre le critère traditionnel et le critèreneurologique : « En ce qui concerne les para-

mars 1995, n° 15 (DC, n° 2114, p. 358). Voir aussiDiscours à l’Académie pontificale des sciences, 14décembre 1989, n° 3 (DC, n° 2002, p. 284) et n° 5(DC, n° 2002, p. 285), Discours à un congrès surles transplantations d’organes, 20 juin 1991, n° 4(DC, n° 2051, p. 527), Discours au XVIIIe congrèsmédical international sur les transplantations, 24août 2000, n° 4 (DC, n° 2234, p. 853).28. JEAN-PAUL II, Discours au XVIIIe congrès médi-cal international sur les transplantations, 24 août2000, n° 4 (DC, n° 2234, p. 853). Voir aussi Dis-cours à deux groupes de travail de l’Académie pon-tificale des sciences, 21 octobre 1985, n° 6 (DC, n°1907, p. 1103), Discours à l’Académie pontificaledes sciences, 14 décembre 1989, n° 1, 4 et 5 (DC,n° 2002, p. 284-285).29. JEAN-PAUL II, Discours au XVIIIe congrès médi-cal international sur les transplantations, 24 août2000, n° 4 (DC, n° 2234, p. 853). Voir aussi Lettre àl’Académie pontificale pour la Vie, 1er février 2005,n° 4 (DC, n° 2333, p. 306).30. JEAN-PAUL II, Discours au XVIIIe congrès médi-cal international sur les transplantations, 24 août2000, n° 5 (DC, n° 2234, p. 853). Voir aussi Dis-

cours à l’Académie pontificale des sciences, 14décembre 1989, n° 1 et 6 (DC, n° 2002, p. 284-285), Lettre à l’Académie pontificale pour la Vie, 1er

février 2005, n° 4 (DC, n° 2333, p. 306).31. JEAN-PAUL II, Discours à l’Académie pontificaledes sciences, 14 décembre 1989, n°3 (DC, n° 2002,p. 284). Voir aussi Discours à un congrès sur lestransplantations d’organes, 20 juin 1991, n° 4 (DC,n° 2051, p. 527), Message au président de l’Acadé-mie pontificale pour la vie, 19 février 2005, n° 5(DC, n° 2333, p. 303).32. JEAN-PAUL II, Discours à un congrès de méde-cins catholiques, 20 mars 2004, n° 4 (DC, n° 2313,p. 409).33. JEAN-PAUL II, Discours au XVIIIe congrès médi-cal international sur les transplantations, 24 août2000, n° 5 (DC, n° 2234, p. 853).

34. Ibid.35. Ibid.36. Ibid.

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Courrier de RomeJuin 2008 7mètres utilisés aujourd’hui pour établir lamort avec certitude - qu’il s’agisse dessignes “encéphaliques” ou des signes cardio-respiratoires plus traditionnels - l’Église neprend pas de décisions techniques 37. »• Jean-Paul II a convoqué trois fois un grou-pe de travail pluridisciplinaire sur ce thème :en octobre 1985 38 et en décembre 1989 39

sous l’égide de l’Académie Pontificale desSciences, et en février 2005 dans le cadre del’Académie pontificale pour la vie 40.Une telle insistance montre bien que la

question n’est pas close. Si le discours d’août2000 était le fin mot de l’histoire, on ne com-prend pas qu’une nouvelle réunion sur cethème ait été convoquée en février 2005, àdeux mois de la mort du Pontife.

Faut-il reprocher au magistère de l’Église salenteur et l’incertitude dans laquelle il laisse-rait patients et personnels de santé? Un pro-verbe polonais dit que « l’Église avance enprocessionnant ».

À titre de comparaison, rappelons que lapremière intervention du magistère concer-nant la procréation médicalement assistée datede 1897 41, que le pape Pie XII est revenu surle thème au cours des années 1950 42 et quel’Instruction Donum vitæ, qui traite ex pro-fesso de ces diverses techniques, est de 1987.

Lorsque la réponse à une question n’est pasmûre, il n’y a qu’une seule attitude possible :attendre et continuer à creuser la question.Une décision précipitée, voire aventurée, nerassurera à terme ni le personnel médical, niles patients, ni les moralistes. Tout arrive àpoint pour qui sait attendre.

5. MORT CÉRÉBRALE : SÉPARATIONDE L’ÂME ET DU CORPS ?

Au terme de la présentation médicale de lamort cérébrale (selon les critères légaux enusage en France), nous en étions arrivés à laconclusion que la mort encéphalique coïnci-dait avec la destruction totale du cerveau. Or,on le sait les cellules nerveuses ne repoussentpas. Le temps qui passe ne changera donc rienà cette réalité médicale. Si nous nous arrêtionslà ou si nous posions simplement la questiondu maintien en vie de ces patients par l’usagede moyens extraordinaires, tout serait clair.

Mais, le problème actuel est ailleurs. Ils’agit de savoir si l’on peut définir la mortcomme la cessation irréversible et définitivedes opérations cérébrales. Dire qu’un patientest en état de mort cérébrale, est-ce la mêmechose que de dire que l’union entre l’âme et le

corps a cessé? Lorsqu’un ouvrage de médeci-ne, destiné aux étudiants qui préparent leconcours de l’Internat en France, affirme :« L’autopsie pour prélèvement d’organes envue de greffe ne peut s’effectuer que sur unsujet à la fois juridiquement mort et biologi-quement vivant » 43, on peut en douter.

Essayons d’examiner successivement lesdifférentes explications qui ont été donnéespour justifier que l’état de mort cérébrales’identifie à la séparation de l’âme et ducorps, avant de jeter un peu de lumière tho-miste sur la question.

5.1 Explications insuffisantes5.1.1 Le rôle du cerveau comme centrede commande des fonctions organiquesLa première explication qui est donnée par

les médecins pour identifier le critère de lamort cérébrale avec la mort de l’individuhumain repose sur la constatation suivante : lecerveau a un rôle particulier pour commanderet organiser les autres fonctions organiques.C’est lui qui permet, entre autres, la respira-tion spontanée et l’activité cardiaque.

Le rôle indispensable du cerveau dans l’or-ganisation de la vie humaine semble confirmépar le fait que de nombreuses fonctions peu-vent être suppléées par des machines (pou-mon d’acier, dialyse pour la fonction rénale,stimulateur cardiaque), ce qui n’est pas le caspour le cerveau.

Il est indéniable que le cerveau, siège del’activité neurologique, joue un rôle crucialdans la coordination des fonctions organiqueset que sa destruction met la santé du patientdans un état de grande instabilité et de grandpéril. Encore faudrait-il se demander si chezces patients en état de mort encéphalique l’in-stabilité provient uniquement de la destructionde son cerveau ou des autres dommages orga-niques qui ont conduit à la mort encéphalique.

Étant donné que les patients en état de mortcérébrale n’ont concrètement que deux issuespossibles aujourd’hui : la mort par débranche-ment des appareils soutenant les fonctionsvitales ou l’autopsie en vue de la greffe d’or-ganes, les connaissances médicales spécifiquessur l’état de mort cérébrale sont plutôt minces.

D’autre part, l’utilisation de machines n’ex-plique pas à elle seule le maintien des fonc-tions organiques. Si la respiration artificiellepermet au poumon d’insuffler et d’exsufflermécaniquement, en revanche l’échangegazeux entre oxygène et carbone au niveaucellulaire ne trouve pas dans la machine sonexplication. Il y a là un phénomène spontanéque la machine n’assure pas et que le corps,même après la nécrose du centre de comman-de neurologique, continue à assurer.

Enfin, le fait qu’il n’existe pas aujourd’huide machine pour suppléer le rôle du cerveaune signifie pas qu’un tel instrument ne puisseêtre mis au point un jour. Il y a un siècle, lerespirateur artificiel et le stimulateur car-diaque relevaient de la science-fiction et sontdevenus réalité depuis lors.

5.1.2 Le cerveau, siège de la conscience

D’autres explications rappellent que le cer-veau est le siège de la conscience. Le cerveauétant détruit, le sujet perd toute possibilitéd’avoir ou de regagner une conscience de soiou de son environnement. En perdant laconscience, le sujet perdrait totalement et defaçon définitive son caractère de personnehumaine.

C’est le propre de la philosophie modernede définir la personne et la vie humaines àpartir de la conscience. « Je pense donc jesuis » écrivait Descartes. « Je ne pense pas,donc je ne suis pas » affirment les défenseursde l’état de mort cérébrale.

Sans entrer ici dans le débat sur les dangersdu subjectivisme dont le cartésianisme estgros, qu’on nous permette de demanderquelles conclusions il faudrait tirer de ces pré-misses pour les embryons dont le cerveaun’est pas encore formé, pour les foetus anen-céphales ou pour les malades en état végétatif.

5.1.3 L’âme est dans le cerveauÀ l’explication précédente est souvent liée

une vision de l’homme qui localise l’âmedans le cerveau. Celui-ci étant détruit, l’âmedisparaîtrait et il ne resterait plus qu’unensemble de tissus humains, dont il serait per-mis d’user pour satisfaire les nécessités desvivants en attente de greffes.

Ce qui distingue les êtres inanimés des êtresanimés, c’est la présence d’un principe de vieappelé l’âme. Tout être animé a une âme,même si les caractéristiques de cette âmevarient selon qu’on parle d’un végétal, d’unanimal ou d’un homme. Dans la mesure oùl’âme humaine anime l’ensemble du corps,elle est présente partout dans le corps humain.

Les facultés de l’âme sont diverses et ellesutilisent les différentes parties du corpshumain comme instruments. On peut penserque le cerveau a une relation privilégiée avecl’exercice de la faculté intellectuelle 44.

Mais, de la destruction de l’instrument cor-porel on ne peut induire la disparition de lafaculté spirituelle, encore moins la disparitionde l’âme. Le pianiste qui n’a plus de piano(perte de l’instrument) ne perd pas pour autantsa capacité radicale à jouer du piano. Sil’exemple vaut pour une capacité acquise(savoir jouer du piano), à combien plus forteraison pour une faculté naturelle (l’intelligen-ce).

L’identification du cerveau avec l’intelligen-ce est donc fausse, a fortiori l’identificationdu cerveau avec l’âme. Le cerveau est unorgane corporel et il ne se confond ni totale-ment ni partiellement avec l’âme spirituelle.

5.1.4 Distinction de l’organisme humainvivant et de la personne humaine

D’autres encore diagnostiquent dans lepatient en état de mort cérébrale une perte del’humanité. Le malade serait encore un orga-nisme humain, mais plus une personnehumaine, car ce qui fait la personne humainec’est son cerveau.

Cette conception de l’homme s’appuie surune dichotomie entre le corps et l’âme commes’il s’agissait de deux substances accidentelle-ment reliées. Par la destruction de son cer-

37. Ibid.38. « La prolongation artificielle de la vie et ladétermination du moment exact de la mort » (DC,n° 1907, p. 1102).39. « La détermination du moment exact de lamort » (DC, n° 2002, p. 284).40. « Les signes de la mort » (DC, n° 2333, p. 305).41. « La fécondation artificielle de la femme est-ellepermise? Non. » (SAINT OFFICE, Décret du 17 mars1897, DS 3323)42. Discours au Congrès des MédecinsCatholiques, 29 septembre 1949; Discours à desMédecins du IIe Congrès Mondial pour la Féconditéet la Stérilité, 19 mai 1956 ; Discours au VIIe

Congrès International d’Hématologie, 12 sep-tembre 1958.

43. PAUL FORNES, Médecine légale, toxologie, méde-cine du travail, Éditions du concours médical, Paris,1997, p. 45. 44. L’intelligence comme faculté spirituelle del’âme

Page 53: Courrier de Rome

Courrier de Rome8 Juin 2008

COURRIER DE ROMEÉdition en Français du Périodique Romain

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veau, l’homme serait privé de sa personnalitéhumaine, même si son corps restait spécifi-quement humain.

Or, l’union entre le corps et l’âme est sub-stantielle. Le corps est humain parce qu’il estuni à une âme humaine, et il est vivant parceque l’âme l’habite actuellement.

De même qu’on ne saurait parler de person-ne potentielle en parlant de l’embryon sousprétexte qu’il n’a pas encore fait acte deconscience personnelle, ainsi ne saurait-ondissocier le corps humain de la personnehumaine lorsque certaines fonctions supé-rieures (intelligence, conscience, etc.) ne peu-vent plus être exercées.

5.1.5 L’irréversibilité de l’état de mortcérébrale

Finalement, certains croient suffisants des’appuyer sur le caractère irréversible de l’étatde mort cérébrale pour pouvoir procéder auxablations d’organe en vue de leur greffe.Puisque le processus qui est enclenché estirréversible, cela devrait être suffisant pourdisposer des organes en vue d’une greffe.

Basée sur l’expérience des médecins et lesstatistiques, l’irréversibilité est un pronosticquant à l’issue fatale de la maladie ou de l’étatdu patient.

Cette prédiction, avérée ou non, ne nous ditrien sur la permanence de l’âme dans un corps.Suffit-il de déclarer le caractère irréversibled’une maladie ou d’un état du patient pour ledéclarer mort? Caroline Aigle, dont le cancerqui devait l’emporter a été diagnostiqué débutavril 2007 avec un pronostic fatal à courtterme, était-elle morte ou vivante lorsqu’elle aaccouché par césarienne de son fils Gabriel enaoût 2007? La réponse est évidente.

L’irréversibilité d’un pronostic fatal ne nousdit rien sur l’union actuelle de l’âme et ducorps.

5.2 Réflexions thomistes sur levivant

Lorsque saint Thomas définit la vie et donccorrélativement la mort, il reprend la défini-tion (analogique) d’Aristote : « Vita est motusab intrinseco - La vie est un mouvement quivient de l’intérieur 45. »

Ce qui distingue les êtres inanimés des êtresanimés, c’est que le principe de leur mouve-ment vient de l’intérieur et ne leur est pasimposé de l’extérieur. Lorsqu’une pierrebouge, c’est parce qu’elle a été bougée parquelqu’un ou quelque chose (force d’attrac-tion). Par contre, le vivant a en lui-même lasource de son mouvement (déplacement,nutrition, croissance, reproduction).

Les instruments mis en œuvre dans les tech-niques de réanimation ne contreviennent nul-lement à ce principe. En effet, comme nousl’avons vu, ces instruments n’expliquent pasle caractère spontané de certaines opérationsphysiologiques (échange gazeux au niveaupulmonaire). D’autre part, personne ne dénie-ra la qualité de vivant au porteur d’un pace-maker ou d’une pompe à insuline, dont cer-

taines activités sont pourtant soutenues artifi-ciellement.

L’affirmation de Pie XII selon laquelle « lavie humaine continue aussi longtemps que sesfonctions vitales- à la différence de la simplevie des organes- se manifestent spontanémentou même à l’aide de procédés artificiels » 46

est donc parfaitement justifiée.Passant de la définition de la vie à celle de

l’âme, qui en est le principe, et dont la sépara-tion du corps signe la mort, saint Thomas ditque « anima est actus primus corporis vitamhabentis in potentia - L’âme est l’acte premierd’un corps en puissance à avoir la vie » 47.

C’est par l’âme que le corps existe et vit :elle en est l’acte premier. À cet acte premier,viennent s’ajouter ensuite toute une séried’actes seconds que seront les facultés del’âme et l’exercice de ces mêmes facultés.

Pour que l’âme informe le corps et constitueavec lui une unité substantielle, il faut qu’exis-te une certaine proportion entre l’âme et lecorps. La matière doit être suffisamment dis-posée pour être et pour rester informée parl’âme. La mort est précisément le moment oùle corps est tellement désorganisé que l’âmene peut plus l’informer et s’en sépare. Il nes’agit pas alors d’une simple incapacité àexercer certaines fonctions, mais pour le corpsd’une perte radicale du principe d’animation.

La mort est la séparation de l’âme et ducorps. Cette séparation ne fait l’objet d’aucu-ne connaissance directe, ni d’aucune éviden-ce. Elle doit donc être manifestée par dessignes extérieurs que la science médicalecherche à cerner de mieux en mieux au fur età mesure de ses progrès. L’instant précis de lamort restera certainement toujours un mystèrepour l’homme. Il ne lui restera que la possibi-lité de constater la mort une fois effectuée.

Tant que les signes non équivoques de lamort ne seront pas connus, la présomptionrestera toujours à la vie : « In dubio pro vita -dans le doute, il faut tenir pour la vie ».

6. QUE FAUT-IL FAIRE DES MALADES?En conclusion de ce travail, penchons-nous

sur les malades dont la pensée ne nous ajamais quittés.

Que faut-il faire des malades en état de mortencéphalique?

Suivant la distinction classique entremoyens ordinaires et moyens extraordinaires,nul n’est obligé d’user de moyens extraordi-naires pour conserver la vie et la santé. L’ap-préciation du caractère ordinaire ou extraordi-naire des moyens peut varier selon lesépoques, les pays, les cultures et les per-sonnes. Mais si, dans une situation donnée, lavie du patient ne peut être conservée que pardes moyens extraordinaires, il est licite d’ensuspendre l’usage.

En faisant cela, en abandonnant un traite-ment disproportionné, le patient, sa famille oule personnel médical ne commettent aucunefaute morale. Ils laissent simplement la nature,arrivée au terme de sa course mortelle, faireson œuvre. « Tu es poussière et tu retourneras

en poussière » (Gen 3, 19). Cette impuissancedevant la maladie et la mort mettent en lumiè-re les limites de la science médicale, même sices limites sont amenées à toujours reculer.

L’usage des moyens ordinaires et l’abandondes moyens extraordinaires situent l’honnêtehomme et le vrai chrétien sur un sommet ver-tueux entre l’homicide ou le suicide par omis-sion (lorsque les moyens ordinaires ne sontpas utilisés) et l’acharnement thérapeutique(lorsque les moyens extraordinaires sont misen œuvre sans espoir raisonnable de rétablis-sement pour le patient). In medio stat virtus.

Que faut-il faire des malades en attented’une greffe?

Lorsque la greffe est moralement licite,selon les principes rappelés plus haut (n° 1), ilest permis d’y recourir.

Lorsque la greffe suppose une atteinte graveà l’intégrité fonctionnelle du donneur, voire àsa vie (ce qui est le cas des malades en état demort cérébrale), rien ne saurait la légitimermoralement.

Que les patients pour lesquels n’existeaucun traitement moralement licite se prépa-rent à leur éternité, sûrs d’avoir fait ce qui esthumainement possible pour conserver le corpsque le Créateur leur avait donné en usufruit.

Que les hommes de l’art continuent à cher-cher les moyens licites de sauver les patientsconfiés à leurs soins par le divin Médecin.

Arbogastus

ne saurait se fatiguer, mais le surmenage intellectuelexiste par abus de l’instrument de la réflexion qu’estle cerveau.45. Cf. I, 18, 1, c.

46. PIE XII, Discours sur les problèmes de la réani-mation. 47. De anima, lib. II, lect. 1, n° 221 et 229.

Page 54: Courrier de Rome

s ì s ì no no« Que votre OUI soit OUI, que votre NON soit NON, tout le reste vient du Malin »

(Mt 5, 37)

Le numéro 3€Juillet - Août 2008Mensuel - Nouvelle SérieAnnée XLII n° 313 (503)

Le secrétariat de

Sì Sì No No sera fermé en juillet et août

L’ÉTAT DE NÉCESSITÉDans une lettre datée du 8 juillet 1987, Mgr

Lefebvre écrivait au cardinal Ratzinger : « Unevolonté permanente d’anéantissement de laTradition est une volonté suicidaire qui autori-se, par le fait même, les vrais et fidèles catho-liques à prendre toutes les initiatives néces-saires à la survie et au salut des âmes. » Et lejour des sacres, 30 juin 1988, Monseigneurrevenait sur ce constat, pour en conclure la légi-timité des consécrations épiscopales : « Nousnous trouvons », expliquait-il, « dans un cas denécessité. […] Nous sommes persuadé qu’enfaisant cette consécration aujourd’hui, nousobéissons à l’appel de Dieu 1. »

1 - LES VRAIES RAISONS DU COMBATDE LA FRATERNITÉ

Ce qui explique l’attitude de Mgr Lefebvre etde la Fraternité Saint Pie X, ce n’est donc pasd’abord un certain attachement personnel à laTradition de l’Église. S’il n’y avait que cet atta-chement personnel, nous aurions dû accepterdepuis longtemps déjà (comme l’ont fait endernier lieu les prêtres de Campos en 2002 etles prêtres de l’Institut du Bon Pasteur en 2006)le principe de l’administration apostolique per-sonnelle ou de la paroisse personnelle, qui sontdes cadres juridiques particuliers et restreints, àl’intérieur desquels peut légitimementprévaloir - plus ou moins, selon les termes desaccords - l’expression d’un attachement per-sonnel à la Tradition de l’Église. Attachementqui, parce qu’il n’est justement que personnel,ne doit pas remettre foncièrement en cause lesacquis du concile Vatican II, auquel il faut bongré mal gré prêter allégeance, ne serait-cequ’en signant la Nouvelle Profession de foi de1989 2. Mgr Lefebvre n’a jamais refusé parprincipe la main tendue par Rome, et, à la suitede son fondateur, la Fraternité Saint Pie X restetoujours prête à répondre favorablement à l’op-

portunité de ces discussions avec les autoritéshiérarchiques. Mais ces contacts n’ont qu’unseul but : faire entendre à Rome la voix pure etintègre de la Tradition catholique, pour qu’ellepuisse retrouver ses droits dans toute l’Église.Les discussions resteront vaines aussi long-temps que Rome maintiendra en principe lesenseignements faussés du concile Vatican II.

Il en va ainsi parce que la Tradition liturgiqueet doctrinale antérieure au concile Vatican IIn’est pas dans l’Église une forme d’expressioncatholique parmi d’autres. On ne saurait ladéfendre en plaidant seulement la cause des« fidèles catholiques qui se sentent attachés àdes formes liturgiques et disciplinaires antécé-dentes dans la tradition latine » 3. Défendrecette Tradition, ce n’est ni plus ni moins quedéfendre l’intégrité de la foi catholique, qui estle bien commun de l’Église; et c’est donc parle fait même combattre les réformes issues duconcile Vatican II, qui remettent en cause lesvérités fondamentales de la foi et mettent ainsien péril le bien commun de l’Église. Lorsquece bien commun de la foi catholique n’est plusconsidéré par les autorités que comme l’objetd’un simple attachement personnel, il y a unétat de nécessité.

2 - L’ÉTAT DE NÉCESSITÉ 4

L’état de nécessité est une situation extraordi-naire dans laquelle les biens nécessaires à la vienaturelle ou surnaturelle se trouvent menacés,de telle sorte que l’on se trouve habituellementobligé, pour les sauvegarder, d’enfreindre la loi.La loi est en effet essentiellement destinée,dans l’intention du législateur, à procurer auxsujets ces biens nécessaires. Dans l’Église, toutl’ensemble de la loi ecclésiastique est ordonnépar définition à la prédication de la doctrine dela foi et à l’administration des sacrements 5. Si

l’application de la loi en vient à s’opposer à lafin de la loi, voulue par le législateur, elle n’estplus légitime, car elle se met en contradictionavec elle-même. Les sujets peuvent et doiventpasser outre, afin d’obtenir la fin de la loi, endépit des autorités qui appliquent la loi aurebours de la loi.

Or, il est clair que depuis le concile Vatican IIl’Église se trouve dans une telle situation. Lebien commun de l’Église est la transmission dela foi catholique et si le pape a reçu du Christune autorité, c’est uniquement pour garder laTradition. Or, depuis le Concile, au lieu decontinuer à transmettre le dépôt de la foi,comme tous leurs prédécesseurs l’ont faitdepuis deux mille ans, les hommes d’Église sesont mis à imposer aux fidèles les principalesthèses de la nouvelle théologie condamnée parPie XII dans Humani generis et entérinées lorsdu concile Vatican II et des réformes qui ontsuivi, nouveautés absolument contraires à toutce que Notre Seigneur a enseigné. Depuis1965, les autorités de l’Église nous imposentun nouveau Credo en trois articles, avec laliberté religieuse, l’œcuménisme et la collégia-lité ; et depuis 1969, ils nous imposent aussiune liturgie réformée, avec une nouvelle messed’esprit protestant et des sacrements rénovésdans un sens œcuménique. Ces papes imposentles erreurs graves du néo-modernisme, déjàcondamnées par leurs prédécesseurs. Face àcette protestantisation généralisée, l’Église doitréagir. Il y a un état de nécessité qui rend légiti-me la résistance : c’est cette résistance quiexplique l’œuvre de Mgr Lefebvre et de la Fra-ternité Saint Pie X.

1. MGR LEFEBVRE, « Homélie à Écône le 30 juin 1988à l’occasion des consécrations épiscopales » dans Vude haut n° 13 (automne 2006), p. 64.2. Voir MGR LEFEBVRE, « Homélie à Écône le 14 mai1989 » dans Vu de haut n° 13 - automne 2006 - p. 70.

3. JEAN-PAUL II, « Motu proprio Ecclesia Dei afflicta,n° 5 » dans DC n° 1967 (7-21 août 1988), p. 789.4. Voir les anciens numéros du présent Courrier deRome, septembre 1988, mai et juin 1999.5. Code de Droit canonique de 1917, canon 682 etNouveau Code de 1983, canon 213 : « Les fidèles ont

le droit de recevoir de la part des pasteurs sacrés l’aide

provenant des biens spirituels de l’Église, surtout de la

parole de Dieu et des sacrements. »

Page 55: Courrier de Rome

Courrier de Rome2 Juillet - Août 2008

3 - UN DILEMME QUI EST RESTÉ LE MÊME

Mgr Lefebvre a bien vu le dilemme : ou biencapituler devant la tyrannie sous prétexted’obéir, ou bien résister à la tyrannie en refu-sant une fausse obéissance : « Si ce gouverne-ment [de l’Église conciliaire] abandonne safonction et se retourne contre la foi, qu’est-ceque nous devons faire? Demeurer attachés augouvernement ou attachés à la foi? Nous avonsle choix. Est-ce la foi qui prime? Ou est-ce legouvernement qui prime ? Nous sommesdevant un dilemme et nous sommes bien obli-gés de faire un choix 6. » Le choix a été fait etla défense de la foi l’a emporté sur la fausseobéissance : « Nous ne récusons pas l’autoritédu pape, mais ce qu’il fait. Nous reconnaissonsbien au pape son autorité, mais lorsqu’il s’ensert pour faire le contraire de ce pourquoi ellelui a été donnée, il est évident qu’on ne peutpas le suivre 7. »

Ces paroles datent de 20 ans. Aujourd’hui,tout dépend encore de cet état de nécessité. Sion croit qu’il n’existe plus, parce qu’on estimeque le pape Benoît XVI s’est mis à corrigernon seulement les abus mais aussi les fauxprincipes du Concile, il faut cesser une résis-tance qui n’a plus de raison d’être, il fautaccepter le statut canonique proposé parRome : c’est ce qu’ont fait les prêtres de Cam-pos et ceux de l’Institut du Bon Pasteur. Mais sion continue à ouvrir les yeux, on voit que l’étatde nécessité existe toujours, et c’est pourquoi ilfaut continuer la résistance. De même qu’enjuin 1988 Mgr Lefebvre aurait fait « l’opéra-tion suicide » 8 en renonçant à sacrer les quatreévêques, de même aujourd’hui encore, obtenirde la part de Rome une solution purementcanonique pour la Fraternité Saint Pie X serait« très imprudent et précipité », ainsi que l’aréaffirmé tout récemment Mgr Fellay 9. Eneffet, il se peut bien que les circonstances aientévolué sur tel ou tel point, puisque les autoritésromaines cherchent un nouvel équilibre, loindes abus éhontés qui ont suivi la mise en appli-cation du Concile. Mais malgré tout, les cir-constances n’ont pas fondamentalement chan-gé, dans la mesure où ces mêmes autoritésromaines, qui réforment les abus, sont toujoursimbues des mêmes faux principes issus de Vati-can II, lesquels sont la source profonde de cesabus.

Cette analyse est d’ailleurs confirmée par lesfaits survenus depuis 20 ans, et qui correspon-dent à une aggravation de la crise. L’écart quis’est creusé entre les deux liturgies correspondà un abîme, qui sépare deux conceptions del’Église et de la foi 10. On peut mesurer l’éten-

due de cet écart en voyant avec quelle force lesépiscopats s’opposent à l’initiative du Motuproprio Summorum pontificum : même si le ritetraditionnel de l’Église n’est pas censé exclurele nouveau rite, son élargissement est malperçu. On a pu observer les mêmes opposi-tions, lorsque le Vatican a voulu corriger lestraductions erronées du « pro multis », qui faitpartie des paroles de la consécration de lamesse. Ces deux exemples montrent que Romen’est pas suivie lorsqu’il s’agit de mettre uncertain frein à des abus. D’autre part, Romepoursuit plus que jamais le dialogue œcumé-nique et prêche toujours le principe de la laïcitédes États. Un autre résultat bien tangible de lacrise est la chute accélérée des vocations,depuis les deux dernières décennies 11.

4 - UNE ARGUMENTATIONDOUBLEMENT FAUSSE

Dans un petit livre publié l’année dernièreaux Éditions Sainte Madeleine du monastèredu Barroux, Mgr Fernando Arêas Rifan raison-ne exactement comme si l’état de nécessité nonseulement n’existait plus 20 ans après lessacres d’Écône, mais n’avait même jamaisexisté. Ce livre intitulé Tradition et magistèrevivant est la reprise d’une Orientation pastora-le destinée aux prêtres de l’Administrationapostolique Saint Jean-Marie Vianney de Cam-pos. Il se compose de trois chapitres. Le pre-mier prétend rappeler les données élémentairesde la théologie traditionnelle sur le magistère.Les deux chapitres suivants font l’applicationde ces principes, le deuxième à la question dela messe et le troisième aux enseignements duconcile Vatican II.

Le vice fondamental de cette réflexion estdouble : elle présente une idée faussée dumagistère et elle nie l’état de nécessité.

4.1 - Une idée fausse du magistèrede l’Église

Mgr Rifan se fait une idée fausse du magistè-re. Le premier chapitre de son livre Tradition etmagistère vivant passe en effet sous silence lespoints fondamentaux de la véritable doctrine del’Église sur le pouvoir du pape et le magistèrede l’Église. Mgr de Castro Mayer avait pour-

tant souligné ces points dans une lumineuseétude que publia le mensuel Heri et hodie desprêtres de Campos (n° 3 de mai 1983). Cetteétude fut d’ailleurs reprise dans la brochureparue en français en juin 2000 et intituléeCatholiques apostoliques romains - Notreposition dans l’actuelle situation de l’Église(pages 23 à 25).

L’évêque émérite de Campos y insistait surcette vérité de base : « Le pape est essentielle-ment le vicaire de Jésus-Christ ». Et d’en tirerquelques conséquences : « Cet aspect est del’essence même de la papauté. Il ne peut êtremis de côté. Son oubli aurait les pires consé-quences, pouvant conduire les personnes à pen-ser que le pape est le maître de l’Église, qu’ilpeut faire ce qu’il veut, ordonner et révoquerselon ce qui lui paraît le mieux, les fidèles étanttoujours et simplement obligés de lui obéir.Réfléchissant un peu, on voit que cette concep-tion attribue au pape l’omniscience et la toute-puissance, attributs exclusifs de Dieu. Ce seraitde l’idolâtrie, qui transfère à la créature ce quiest propre à la divinité. C’est pourquoi, le pre-mier concile du Vatican, pour définir les pou-voirs du pape, prit soin d’en préciser aussi lafin et les limites. Le pape doit conserver intactel’Église du Christ, à travers laquelle le divinSauveur perpétue son œuvre de salut. Il a àmaintenir, en effet, la structure de la sainteÉglise, telle que le Seigneur l’a constituée etdoit veiller à conserver et transmettre intègresla foi et la morale reçues de la Tradition aposto-lique. » Si le pape est infidèle à cette mission,le devoir grave des catholiques est de lui résis-ter, afin de rester fidèles à Jésus-Christ, dont lepape n’est que le vicaire : « D’où il suit »,continuait Mgr de Castro Mayer, « que lesprêtres de Campos, en refusant la nouvellemesse, ne récusent pas Jean-Paul II ni la com-munion avec l’Église entière, du moment quela nouvelle messe est préjudiciable à la foi. »

Au rebours de ces lumineuses considéra-tions, Mgr Rifan prêche l’obéissan ce aveugle àun pseudo-magistère, à une règle absolue, indé-pendante de la tradition objective des sièclespassés. « Ce ne serait pas avoir un bon espritcatholique », prétend-il, « que de se contenterde citer seulement des papes antérieurs, commes’ils étaient le pape actuel ou seulement desévêques antérieurs, comme s’ils étaientl’évêque actuel. Ce serait la négation du magis-tère vivant et l’institution du magistère posthu-me dans le style protestant. » C’est oublier unpeu vite que le magistère de l’Église est unmagistère essentiellement traditionnel : à toutesles époques de l’histoire, les enseignementsactuels de la hiérarchie catholique s’appuienttoujours sur ceux du passé, conformément à laparole de saint Paul : « Tradidi quod et accepi -Je vous ai transmis ce que j’ai reçu. » L’ensei-

gnement de l’Église est un enseignementconstant, car il réalise la transmission intègredu dépôt inaltérable de la révélation divine.C’est pourquoi, si le fidèle catholique constateune rupture dans la prédication de l’Église,celle-ci s’explique parce que les hommes char-gés de faire entendre cette prédication sont infi-dèles à la mission reçue de Dieu; le fidèle doitalors demeurer constant comme la Traditiondivine elle-même, et ne pas se laisser aller auxvents des nouvelles doctrines. En agissant ainsi,

6. MGR LEFEBVRE, Homélie à Écône pour la messechrismale du Jeudi-Saint, 27 mars 1986.7. MGR LEFEBVRE dans Fideliter 66, de novembre-décembre 1988, p. 27-31.8. « Aujourd’hui, cette journée, c’est l’opération sur-vie et si j’avais fait cette opération avec Rome encontinuant les accords que nous avions signés et enpoursuivant la mise en pratique de ces accords, je fai-sais l’opération suicide » (MGR LEFEBVRE, Homélie du30 juin 1988 à Écône).9. MGR FELLAY, « Éditorial du 14 avril 2008 » dansLettre aux amis et bienfaiteurs n° 72. 10. « La liturgie est un lieu théologique. L’Ordo missæ

de 1969 met en œuvre en particulier la théologie de laconstitution dogmatique sur l’Église. Lumen gentiumprésente l’Église à la fois comme Corps mystique duChrist et comme Peuple de Dieu réuni au nom duChrist. […] Vouloir encourager dans l’Église latine leretour à un autre accent théologique par extension del’Ordo de 1962, c’est générer un trouble très profonddans le peuple de Dieu » (DOM JEAN-PIERRE LONGEAT,« L’Unité de la liturgie romaine en question » dans lejournal La Croix du lundi 23 octobre 2006, p. 25).11. D’après les chiffres donnés par le journal La Croixdu vendredi 11 avril 2008, p. 17, la France, fille aînéede l’Église, compte en 2007 20 523 prêtres (diocésainset religieux), contre 28 780 en 1995. Le nombre totalde séminaristes y est passé de 1155 en 1995 à 756 en2007. Le nombre d’entrées en première année deséminaire est passé de 247 en 1995 à 133 en 2007. Lemême journal des samedis 29, dimanche 30 et lundi31 mai 2004 précise (p. 13) que la France reste quandmême bien favorisée par rapport à l’Afrique (un prêtrepour 4700 habitants) ou à l’Amérique du sud (unprêtre pour 7100 habitants).

Page 56: Courrier de Rome

Courrier de RomeJuillet - Août 2008 3le fidèle ne se met pas au dessus du magistère :au contraire, il ne fait que manifester sa sou-mission au magistère d’hier, qui est la condam-nation toujours vivante - et indéfectible commela révélation divine - du pseudo-magistèred’aujourd’hui, devenu infidèle 12.

4.2 - Le refus d’une évidence crianteNon content de fausser la notion catholique

du magistère de l’Église, Mgr Rifan nie aussil’état de nécessité, qui est pourtant un fait tan-gible. Quand on est un peu habitué à entendrela prédication de Mgr Lefebvre, on ne peut pasne pas être frappé par une expression quirevient sans cesse, chaque fois que l’ancienarchevêque de Dakar évoque les raisons pro-fondes du combat de la Fraternité Saint Pie X :« Nous sommes bien obligés de constater… »C’est une expression décisive, car elle indiquequel est le point de départ de toute notre analy-se : ce sont des faits, qui n’ont pas besoin d’êtredémontrés parce qu’ils s’imposent d’eux-mêmes à la conscience des catholiques tant soitpeu lucides et bien disposés. Au point de départdu combat de la Fraternité, il y a cette attitudeévidente des hommes d’Église, qui abusent deleur pouvoir en imposant aux catholiques leserreurs déjà condamnées par tout le magistèreprécédent, spécialement par le pape saint Pie Xet ses successeurs, jusqu’au vénéré Pie XII.L’apostasie conciliaire est un fait, contre lequelaucun argument théorique ne saurait prévaloir.On voit ou on ne voit pas. Ou on ne voit plus 13.Et une fois qu’on est devenu aveugle, on nesupporte plus la vivacité de la lumière : alors,« c’est être libertin que d’avoir de bons yeux. »

Mgr Rifan nie l’évidence. Et la négation decette évidence est déjà contenue dans l’idéefausse qu’il se fait du magistère. Si on attribueau magistère les attributs exclusifs de Dieu, nile pape ni les évêques ne pourront jamais êtreinfidèles à leur fonction, pas même en dehorsdes limites strictes de leur infaillibilité. Le fidè-le devra toujours prêter à ses pasteurs uneobéissance absolue. L’état de nécessité est pardéfinition une chose impossible. Avec un telpostulat, il ne reste plus qu’à nier le fait de lacrise de l’Église, à minimiser puis à réduire à

néant les graves préjudices causés par les ensei-gnements et les réformes du concile Vatican II :la liberté religieuse, l’œcuménisme, la nouvelleecclésiologie et la nouvelle messe. C’est lapente naturelle de la mouvance Ecclesia Dei.Les chapitres 2 et 3 du livre de Mgr Rifan ensont l’éclatante illustration.

5 - LA NOUVELLE LITURGIEET L’ÉTAT DE NÉCESSITÉ

Il suffit d’examiner le texte normatif du nou-vel ordo de 1969 14 pour se rendre compte quela réforme liturgique constitue en tant que telleet dans son principe un grave préjudice pour lebien commun de l’unité de foi et de culte dansl’Église. La conclusion du Bref examen cri-tique présenté le 25 septembre 1969 au papePaul VI par les cardinaux Ottaviani et Bacci estbien connue : le Novus ordo missæ « s’éloignede manière impressionnante, dans l’ensemblecomme dans le détail, de la théologie catho-lique de la sainte messe telle qu’elle a été for-mulée à la 20e session du concile de Trente 15. »Ce constat s’impose indépendamment de tousles abus qui ont pu s’ensuivre lors de la mise enapplication du nouveau rite (traductions défec-tueuses, innovations et gloses dépassant lalettre du texte, etc). La critique s’exerce ici auniveau non des abus mais du rite lui-même, telqu’il s’exprime dans le texte normatif de l’Edi-tio typica de 1969.

5.1 - Un examen incontestableComme il fallait s’y attendre, Mgr Rifan

essaye de remettre en cause la valeur du Brefexamen critique; mais faute de véritables argu-ments, il est bien obligé de se rabattre sur desraisonnements faux, que le lecteur tant soit peuaverti n’aura aucune peine à démonter.

a - Un amalgame simplistePassons rapidement sur la plus flagrante de

ces contrevérités : le Bref examen critique neserait pas fiable, parce que « la majorité descritiques radicales contre le Novus Ordo pro-vient de personnes inclinées au sédévacantis-me » 16. Beaucoup de communistes pensentque deux et deux font quatre. Parce qu’ils sontcommunistes, faut-il penser que deux et deuxne font pas quatre ? Mgr Rifan se doute-t-ilque, parmi les personnes qui sont attachées,comme lui, au rite traditionnel de la messe de

saint Pie V, il y a aussi bon nombre de « per-sonnes inclinées au sédévacantisme ? » Enconclurait-il à l’illégitimité du rite traditionnel?Il se peut que l’un des principaux rédacteurs duBref examen critique, le père Guérard des Lau-riers, ait fini dans le sédévacantisme 17, mais cefut en 1977, bien après la rédaction et la publi-cation de l’analyse de la nouvelle messe. Fau-drait-il mettre à l’Index tous les ouvrages deTertullien antérieurs à son adhésion au monta-nisme? Au fait, les prêtres de Campos utilisent-ils toujours la Catéchèse catholique du mariagedu père Barbara, sédévacantiste de la premièreheure, comme le père Guérard des Lauriers?

b - La lettre apocryphedu cardinal Ottaviani

Le deuxième sophisme est plus sournois.Mgr Rifan l’expose au § 8 de son chapitre 2, enfaisant état de la fameuse lettre du 17 février1970, que le cardinal Ottaviani aurait adresséeà Dom Marie-Gérard Lafond, osb, et danslaquelle l’éminent prélat prétendrait n’avoirjamais autorisé quiconque à publier le Bref exa-men critique 18. Or cette lettre est un faux. Dansune étude déjà ancienne 19, Jean Madiran aréduit cette imposture à néant. Il lui suffit pourcela de rappeler simplement quelques faits,dont il fut le témoin direct. En octobre 1969 lecardinal Ottaviani en personne avait donnél’autorisation de publier le Bref examen cri-tique à l’abbé Raymond Dulac, un des princi-paux collaborateurs de la revue Itinéraires. Unmois après la lettre à Dom Laffond, Jean Madi-ran s’était assuré personnellement auprès ducardinal Ottaviani que l’autorisation étaitauthentique. Il était donc admis jusqu’ici, etdepuis longtemps, que l’objection déduite de laprétendue lettre à Dom Laffond était dénuée detout fondement. En y recourant à nouveau, 35ans après la réfutation de Jean Madiran, MgrRifan retire à la cause ecclésiadéiste une partimportante de sa crédibilité.

c - Mgr de Castro-Mayer relu et corrigéLe chapitre 2 se termine enfin avec un § 9,

où, pour les besoins de sa cause, Mgr Rifan citela lettre adressée le 12 septembre 1969 au papePaul VI par Mgr de Castro-Mayer. Ce courtextrait 20 pourrait faire croire que Dom Antoniosollicitait seulement de l’indulgence papale leprivilège de continuer à utiliser la liturgie tri-dentine. Mais quand on lit l’intégralité de cettesupplique 21, on s’aperçoit qu’il s’agit d’unréquisitoire sans concession contre la nouvellemesse 22. Contrairement à ce que tente de faire

12. Ayant expliqué cela en détail dans les colonnes dece journal, à l’occasion d’un précédent article parudans le numéro de février 2008, nous n’insisteronspas. Le lecteur qui souhaiterait obtenir davantage deprécisions pourra se reporter à cette étude intitulée« À propos de saint Vincent de Lérins ».13. « Il semble bien que si l’on exclut d’Assise toutepensée de syncrétisme religieux, cette réunion se situealors au niveau de la religion naturelle ; et que, ayantpour but la paix dans le monde, elle devrait être com-prise comme un acte diplomatique hautement et saine-ment politique » (JEAN MADIRAN, Editorial du JournalPrésent, n° 5001 du 26 janvier 2002, p. 1). Citant cesréflexions, le PÈRE LOUIS-MARIE DE BLIGNIÈRES, OP

commente : « Malheureusement, l’interprétation deMadiran est passée presque inaperçue dans le grandpublic et n’a pas été mise en grand relief par les com-mentateurs chrétiens. Elle présente cependant l’avan-tage de montrer qu’Assise peut grâce à Dieu êtreconsidéré autrement que comme « un péché publiccontre l’unicité de Dieu » comme l’avait affirmé en1986 Mgr Lefebvre ou un « blasphème » comme lesoutient en 2002 son successeur à la tête de la Frater-

nité Saint Pie X » (« Réflexions sur Assise » dansSedes sapientiae n° 80, été 2002, p. 23). Il suffiraitpourtant à Jean Madiran et au père de Blignières derelire l’encyclique Mortalium animos du PAPE PIE XI(6 janvier 1928) pour se rappeler que la religion natu-relle n’existe jamais à l’état pur. En effet, Dieu a pro-mulgué une révélation surnaturelle, qui oblige tous leshommes à pratiquer la religion telle qu’elle est établiedans la seule et unique Église catholique romaine. Pré-tendre s’en tenir aux seuls préceptes de la loi naturel-le, c’est déjà admettre le syncrétisme religieux. Lescandale des réunions œcuméniques d’Assise 1 (1986)et 2 (2002) et de Naples (2007) ne fait que renouvelerl’erreur des panchrétiens, condamnée par Pie XI.14. CARDINAUX OTTAVIANI ET BACCI Bref examen cri-tique du Novus ordo Missæ, 1969.15. CARDINAUX OTTAVIANI ET BACCI, « Préface au papePaul VI » dans Bref examen critique du Novus ordomissæ.16. MGR RIFAN, ibidem, p. 54.

17. MGR RIFAN, ibidem, note 71 de la p. 54.18. MGR RIFAN, ibidem, p. 65-66, avec la note 97 de lap. 66.19. JEAN MADIRAN, « Sur la lettre du cardinal Ottavia-ni à Paul VI » dans Supplément au n° 142 d’Itinéraires,avril 1970. À la page 6, cette étude montre que cettelettre a été publiée à l’instigation de Mgr GilbertoAgustoni, secrétaire du cardinal Ottaviani. Comme cedernier était déjà aveugle, il était facile à son secrétaired’abuser de sa confiance, en lui faisant signer destextes sans lui en indiquer la teneur exacte.20. MGR RIFAN, ibidem, p. 67.21. Reproduite dans la revue Le Sel de la terre, n° 37(été 2001), p. 29.22. « Le Novus Ordo Missæ, par les omissions et lesmutations qu’il introduit dans l’Ordinaire de la messe

Page 57: Courrier de Rome

Courrier de Rome4 Juillet - Août 2008croire Mgr Rifan, Mgr de Castro-Mayer récla-mait donc de la part de Paul VI le maintien durite traditionnel, à l’exclusion du nouveau rite.Mgr Rifan cite 23 encore un court extrait d’unedeuxième lettre envoyée par Mgr de Castro-Mayer, le 25 janvier 1974 au pape Paul VI. Cepassage exprime une protestation d’obéissancevis-à-vis du pape, en tout ce qu’il pourrait déci-der de conforme à la Tradition de l’Église.Mais Mgr Rifan se garde bien de préciser lateneur exacte de ce courrier. Cette lettre accom-pagne trois études documentées 24, par les-quelles l’évêque de Campos explique au papequels sont les actes du magistère pontifical quisont inacceptables : l’œcuménisme, la libertéreligieuse et la nouvelle messe. La troisième deces études est précisément celle de l’avocat bré-silien Xavier da Silveira, qui fut ensuitepubliée, sous le titre La Nouvelle messe de PaulVI, qu’en penser ? 25 Mgr Rifan en parled’ailleurs, mais dans un autre endroit que ce§ 9 26, pour lui dénier toute crédibilité, sous pré-texte que l’auteur s’y est penché sur la question(toute théorique) d’une éventuelle hérésie duSouverain Pontife. Pourtant, la lettre du 25 jan-vier 1974, citée - en partie seulement - par MgrRifan en ce § 9, loue sans réserve - dans unpassage que Mgr Rifan ne cite pas - cette étudesur la nouvelle messe, en précisant que lesarguments utilisés par Xavier da Silveira expri-ment la propre pensée de l’évêque de Campos27. Quatorze ans après, Dom Antonio n’avaitpas changé d’avis, puisque, ayant tenu à veniren personne à Écône pour assister à la consé-cration épiscopale du 30 juin 1988, il protestapubliquement contre « les erreurs pernicieusesdont [les fidèles catholiques] sont victimes,trompés qu’ils sont pas beaucoup de personnesqui ont reçu la plénitude du Saint-Esprit » 28.

Les contrevérités de Mgr Rifan n’y peuventrien. Deux faits demeurent incontestables : leBref examen critique a toujours conservé toutesa valeur aux yeux du cardinal Ottaviani et Mgrde Castro-Mayer, se fondant sur cette étude, etsur celle de Xavier da Silveira, a toujourscontesté le bien-fondé de la réforme liturgiquede Paul VI.

5.2 - L’illégitimité du nouveau riteIl apparaît clairement, à la lumière de ces

deux études que le nouveau rite réformé dePaul VI est illégitime. Certes, le pape Paul VI avoulu imposer cette réforme, mais cela ne suf-fit pas pour qu’il y ait de sa part un exercice del’autorité légitime 29. Le pape peut abuser deson pouvoir, et nul doute que Paul VI soitquand même sorti des limites de ses attribu-tions en promouvant un rite si éloigné de ladéfinition catholique de la messe. Un tel rite nepeut pas être mis sur le même rang que le ritetraditionnel de saint Pie V. « Comparer la réfor-me actuelle à la réforme ou plutôt à l’acte parlequel saint Pie V a canonisé le rite latin de lamesse dans le but de protéger la foi contrel’idéologie protestante est faire preuve d’uneignorance grave de l’histoire tant du concile deTrente que de l’histoire du concile Vatican II etde sa réforme liturgique. D’un côté tout est misen œuvre pour protéger l’expression tradition-nelle de la vraie foi; de l’autre l’idée œcumé-niste a tellement atténué cette expression que ledoute envahit l’esprit des fidèles et celui desprêtres 30. » Le rite réformé de Paul VI est unintrus, il n’est pas seulement moins bon que lerite traditionnel et ce dernier n’est pas seule-ment préférable. Le rite de saint Pie V est bonet légitime; le rite de Paul VI est mauvais etillégitime. À moins d’affirmer cela, nul nepourra refuser en principe de célébrer la nou-velle messe 31.

5.3 - Les préférences de Mgr RifanOr, en faveur du rite traditionnel de saint Pie

V, Mgr Rifan affiche désormais une simplepréférence : « Nous conservons le rite de laMesse dans sa forme traditionnelle, c’est-à-direl’antique forme du rite romain. […] Nous l’ai-mons, nous la préférons et la conservons parcequ’elle est, pour nous, la meilleure expressionliturgique des dogmes eucharistiques et un soli-de aliment spirituel, pour sa richesse, sa beauté,son élévation, sa noblesse et la solennité de sescérémonies, pour son sens du sacré et de larévérence, pour son sens du mystère, pour saplus grande précision et rigueur dans lesrubriques, ce qui représente une plus grande

sécurité et protection contre les abus, en nedonnant pas d’espace aux “ambiguïtés, libertés,créativités, adaptations, réductions et instru-mentalisations”, dont s’était plaint le papeJean-Paul II 32. »

Le rite traditionnel de la messe n’est pluspour Mgr Rifan l’expression achevée de la foide l’Église, par opposition à un nouveau ritequi s’en éloigne de manière impressionnantedans l’ensemble comme dans le détail. Ce ritetraditionnel est objet d’une préférence person-nelle, pour des motifs extrinsèques à la profes-sion de la foi catholique, ce qui n’exclut pas lalégitimité et la bonté intrinsèque du nouveaurite de Paul VI : « Bien que nous ayons commerite propre de notre Administration apostoliquela Messe dans le rite romain traditionnel, laparticipation d’un fidèle, ou la concélébrationde l’un de nos prêtres ou de son Évêque, à uneMesse dans le rite promulgué officiellementpar la hiérarchie de l’Église, déterminé par ellecomme légitime, et adopté par elle, commec’est le cas de la Messe célébrée dans le riteromain actuel, ne peut pas être considéréecomme étant une action mauvaise ou passiblede la moindre critique 33. » […] « Notre pro-pos, assurément, est de combattre ici l’erreurdoctrinale de ceux qui considèrent la nouvelleMesse, telle qu’elle fut promulguée officielle-ment par la hiérarchie de l’Église, comme étantpeccamineuse, et, par conséquent, qui pensentimpossible qu’on y assiste sans commettre unpéché, attaquant violemment ceux qui, en descirconstances déterminées, y participent,comme s’ils avaient commis une offense àDieu 34. »

5.4 - Les limites du Motu propriode Benoît XVI

Dans ces lignes qui furent rédigées avant laparution du Motu proprio Summorum pontifi-cum, Mgr Rifan manifeste déjà un accueilenthousiaste à l’élargissement de la liturgie tra-ditionnelle : « Tous nos applaudissements sontacquis au Motu Proprio tellement souhaité dupape Benoît XVI qui concédera la liberté uni-verselle pour la Messe dans le rite romain tradi-tionnel, ce qui sera au bénéfice de toute l’Égli-se 35. »

Il est indéniable que le récent Motu propriodu 7 juillet 2007 représente un élargissementsans précédent depuis 1969. Mais cet élargisse-ment ne va pas jusqu’à faire du rite traditionnell’expression ordinaire et commune de la loi dela prière ; l’expression ordinaire de cette loireste en effet celle du Novus Ordo Missæ dePaul VI. Dans le texte même du Motu proprio,on lit à l’article 1 des décisions prises : « LeMissel romain promulgué par Paul VI est l’ex-pression ordinaire de la “lex orandi” de l’É-glise catholique de rite latin. Le Missel romain

et par beaucoup de ses normes générales qui indiquentla conception et la nature du nouveau missel dans despoints essentiels, n’exprime pas, comme il le devrait,la théologie du saint sacrifice de la messe établie parle saint concile de Trente sans sa session 22e. Fait quela simple catéchèse n’arrive pas à contrebalancer. »[…] « Le Novus Ordo non seulement ne porte pas à laferveur mais au contraire diminue la foi dans les véri-tés centrales de la vie catholique, comme la présenceréelle de Jésus dans la sainte eucharistie, la réalité dusacrifice propitiatoire, le sacerdoce hiérarchique. »23. MGR RIFAN, ibidem, p. 68.24. Voir la revue Le Sel de la terre, n° 37 (été 2001), p.33 et suivantes.25. Voir la note 11 du présent article.26. MGR RIFAN, ibidem, p. 54, note 70.27. Le Sel de la terre, n° 37 (été 2001), p. 34. Mgr deCastro-Mayer prenait également soin de préciser que les considérations sur une éventuelle hérésie du Sou-verain Pontife restaient purement théoriques et n’im-pliquaient aucune intention d’analyser dans le concretla situation présente de l’Église.28. « Déclaration » dans Fideliter n° 64 (juillet-août1988), p. 9.

29. On peut entendre la notion de légitimité en deuxsens. Il y a la légitimité morale lorsque la loi contientl’expression d’un ordre objectif nécessaire, la réalitévraie et bonne des moyens à prendre pour sauvegarderle bien commun. Il y a la légitimité légale lorsque laloi découle de la volonté du chef qui la promulgue enfaisant acte d’autorité. Sans doute, les deux sens sontdistincts, mais le 2e sens est inséparable du 1er, car il leprésuppose toujours. On ne peut pas rencontrer la légi-timité légale sans la légitimité morale puisque l’auto-rité doit s’exercer en tant que telle pour promouvoirles moyens adéquats au bien commun, faute de quoielle ne saurait s’exercer en tant que telle.30. MGR LEFEBVRE, Courrier de Rome de juillet 1974.31. « La messe nouvelle n’est pas bonne ! Si elleétait bonne, demain nous devrions la prendre, c’est évident ! […] Tandis que si nous disons : “Cette messeest empoisonnée. Cette messe est mauvaise, elle faitperdre peu à peu la foi”, alors on est bien obligé de larefuser » (MGR LEFEBVRE, Conférence spirituelle àÉcône le 21 janvier 1982, citée dans le livre réalisésous la direction de monsieur l’abbé Troadec, LaMesse de toujours, Clovis, p. 378-379).

32. MGR RIFAN, Tradition et magistère vivant, p. 38-39.33. MGR RIFAN, ibidem, p. 47.34. MGR RIFAN, ibidem, p. 49. Mgr Lefebvre disait exac-tement le contraire : « La nouvelle messe conduit aupéché contre la foi, et c’est un des péchés les plus graves,les plus dangereux, parce que c’est la perte de la foi »(MGR LEFEBVRE, La messe de toujours, textes réunis parmonsieur l’abbé Troadec, Clovis, 2005, p. 396-397).35. MGR RIFAN, ibidem, p. 37.

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Courrier de RomeJuillet - Août 2008 5promulgué par saint Pie V et réédité par lebienheureux Jean XXIII doit être considérécomme l’expression extraordinaire de lamême “lex orandi” de l’Église et être honoréen raison de son usage vénérable et antique. »Pour une même « lex orandi », nous dit-on, il ya deux expressions, dont l’une est extraordinai-re par rapport à l’autre.

Le Motu proprio de juillet 2007 introduitdonc la cohabitation des deux missels, à ceciprès que les deux ne sont pas sur le mêmeplan : on réserve une place à la messe catho-lique : honorable en raison de l’ancienneté deson usage, elle n’a jamais été abrogée et restel’expression extraordinaire de la loi liturgique.Mais la messe catholique doit prendre place àcôté du Novus Ordo Missæ, qui demeure l’ex-pression ordinaire de la loi liturgique. Certes,du côté des fidèles et des prêtres qui veulentcontinuer à défendre le culte catholique, unepetite place, ce n’est pas rien, et c’est mêmemieux que rien du tout. Mais du côté des auto-rités romaines, qui veulent continuer à imposerla réforme liturgique de 1969 comme l’expres-sion ordinaire de la loi, cette petite place doits’inscrire dans le panthéon liturgique, qui va depair avec le panthéon catéchétique et dogma-tique. Panthéon ou caravansérail : telle est l’É-glise conciliaire, à l’image du modernisme.Celui-ci reconnaît leur part d’expression àtoutes les religions, à tous les cultes et à toutesles liturgies, pourvu qu’elles soient vivantes,qu’elles soient le fruit spontané de la conscien-ce et de la sensibilité, sensibilité traditionnelle ycompris, pourquoi pas ? Mais avec MgrLefebvre, nous persistons à croire que la messecatholique mérite beaucoup mieux qu’une peti-te place à côté de la messe réformée de PaulVI.

La conclusion qui nous intéresse ici est lasuivante 36 : le Motu proprio de Benoît XVI nemet pas fin à l’état de nécessité et rend toujoursnécessaire la résistance des fidèles catholiquesen faveur du rite catholique de la messe, quidoit être reconnu comme l’expression ordinairede la loi de la prière (« lex orandi ») de l’Égli-se catholique, à l’exclusion du nouveau riteréformé de 1969. En effet, la loi de la croyancedépend de la loi de la prière. S’il y a deuxexpressions, l’une bonne et l’autre mauvaise,de la « lex orandi », il y aura pareillement deuxcroyances, l’une bonne et l’autre mauvaise. Onretrouve toujours le même principe : « lexorandi statuat legem credendi ». Il faut (c’estune conséquence nécessaire) que la croyancedu peuple chrétien se règle sur l’expression dela liturgie. C’est le Missel qui conditionne laprofession de foi des fidèles. À mauvais missel,mauvaise croyance. Pour rétablir la bonnecroyance dans sa totalité, il ne suffit pas derétablir le bon Missel à côté du mauvais; il fautrétablir le Missel traditionnel de 1962 commel’expression ordinaire de la loi de la prière, àl’exclusion du missel de Paul VI.

En dépit de certains aspects indéniablementpositifs, l’acte de Benoît XVI n’apporte doncrien qui puisse justifier l’attitude de Mgr Rifan.

Il a de quoi justifier au contraire l’attitude de laFraternité Saint Pie X 37.

6 - LA LIBERTÉ RELIGIEUSEET L’ÉTAT DE NÉCESSITÉ

La déclaration Dignitatis humanæ sur laliberté religieuse contredit explicitement l’en-seignement de la Tradition antérieure.

6.1 - Une double erreur condamnéepar les papes Grégoire XVI et Pie IXLa liberté religieuse fut condamnée par le

pape Grégoire XVI (1830-1846) dans l’ency-clique Mirari vos du 15 août 1832, puis par lepape Pie IX (1846-1878) dans l’encycliqueQuanta cura du 8 décembre 1864. Cette erreurpeut s’énoncer en deux points. Premier point :« le meilleur régime politique et le progrès dela vie civile exigent absolument que la sociétéhumaine soit constituée et gouvernée sans faireaucune différence entre la vraie et les faussesreligions » et par conséquent « la meilleurecondition de la société est celle où on ne recon-naît pas au pouvoir le devoir de réprimer pardes peines légales les violateurs de la loi catho-lique, si ce n’est dans la mesure où la tranquilli-té publique le demande. » Deuxième point :« la liberté de conscience et des cultes est undroit propre à chaque homme; ce droit doit êtreproclamé et garanti par la loi dans toute sociétébien organisée; les citoyens ont droit à l’entièreliberté de manifester hautement et publique-ment leurs opinions quelles qu’elles soient, parles moyens de la parole, de l’imprimé ou touteautre méthode sans que l’autorité civile niecclésiastique puisse lui imposer une limite. »

Cette double condamnation porte sur deuxexpressions différentes d’une seule et mêmeerreur, l’erreur de l’indifférentisme religieuxdes pouvoirs publics. 1ère expression : les autori-tés civiles ne doivent pas intervenir pour répri-mer les manifestations extérieures des religionsfausses dans le cadre de la vie en société. 2e

expression : les individus ont le droit ne pasêtre empêchés par les autorités civiles d’exercerau for externe de la vie en société les actesexternes de leur religion, vraie ou fausse. Cetteerreur condamnée est aujourd’hui à la base detoutes les démocraties modernes. Dans sonrécent discours à l’ONU 38, le pape Benoît XVI,loin de remettre en cause cet état de fait, y voitl’aboutissement logique des réformes entre-prises par le concile Vatican II. Le faux princi-pe condamné par Grégoire XVI et Pie IX estdevenu la charte de la nouvelle doctrine socialede l’Église conciliaire.

6.2 - La liberté religieuse dans ladéclaration Dignitatis humanæ

a - Le texte de Dignitatis humanæLe passage essentiel est au n° 2 : « Le Conci-

le du Vatican déclare que la personne humainea droit à la liberté religieuse. Cette liberté

consiste en ce que tous les hommes doiventêtre soustraits à toute contrainte de la part tantdes individus que des groupes sociaux et dequelque pouvoir humain que ce soit, de tellesorte qu’en matière religieuse nul ne soit forcéd’agir contre sa conscience ni empêché d’agir,dans de justes limites, selon sa conscience, enprivé comme en public, seul ou associé àd’autres. Il déclare, en outre, que le droit à laliberté religieuse a son fondement dans ladignité même de la personne humaine telle quel’ont fait connaître la parole de Dieu et la rai-son elle-même. Ce droit de la personne humai-ne à la liberté religieuse dans l’ordre juridiquede la société doit être reconnu de telle manièrequ’il constitue un droit civil. » Ce passage équi-vaut aux trois propositions suivantes. 1ère propo-sition : « La liberté religieuse est un droitpropre à la personne humaine » ; 2e

proposition : « Ce droit doit être reconnu etgaranti par la loi dans toute société »; 3e propo-sition : « Ce droit consiste en ce que tous leshommes doivent être soustraits à toutecontrainte de la part tant des individus que desgroupes sociaux et de quelque pouvoir humainque ce soit, de telle sorte qu’en matière reli-gieuse nul ne soit forcé d’agir contre saconscience ni empêché d’agir, dans de justeslimites, selon sa conscience, en privé commeen public, seul ou associé à d’autres. »

b - Le sens du texteLe texte n’enseigne pas (du moins dans ce n°

2) la liberté des consciences individuelles enmatière religieuse, au sens de l’indifférentismereligieux des individus, c’est-à-dire au sens oùchaque homme aurait le droit de choisir la reli-gion qui lui plaît (qu’elle soit objectivementvraie ou fausse), sans tenir compte d’aucunerègle morale objective 39. Le texte enseigne laliberté des actions externes individuelles enmatière religieuse, au sens où chaque homme ale droit de ne pas être empêché par les autoritésciviles d’exercer, au for externe de la vie ensociété, les actes religieux qu’il se sent enconscience tenu d’accomplir, pour autant queces actes ne troublent pas l’ordre public; ce quirevient à énoncer l’indifférentisme religieuxdes autorités civiles. En effet, le droit ainsi défi-ni implique que les autorités civiles ne doiventpas intervenir, au for externe de la vie en socié-té, ni en faveur de la religion vraie ni en défa-veur des religions fausses, sauf si l’ordre publicest menacé, c’est-à-dire par accident.

L’indifférentisme religieux en général corres-pond à deux erreurs distinctes : il y a l’indiffé-rentisme religieux des individus; il y a l’indif-férentisme religieux des pouvoirs publics. Cen° 2 de Dignitatis humanæ enseigne la deuxiè-me erreur, sans pour autant enseigner la pre-mière. Mais les enseignements antérieurs àVatican II condamnent la deuxième erreur toutaussi bien que la première, car il y a un lien decause à effet entre la deuxième erreur et la pre-mière : l’homme étant un animal politique, s’ilvit dans une société où les pouvoirs publicsprofessent l’indifférentisme, il finira par profes-ser lui-même l’indifférentisme. C’est pourquoi,

36. Pour avoir plus de détails sur la question précisedu Motu proprio, le lecteur peut se reporter à l’articleparu dans le numéro de septembre 2007 du présentCourrier de Rome.

37. Pour plus de détails, le lecteur pourra se reporter à

l’entretien exclusif avec MGR BERNARD FELLAY, « Le

bilan du Motu proprio sur la messe traditionnelle, un

an après » paru dans Nouvelles de chrétienté, n° 111

(mai-juin 2008), p. 4-5.

38. BENOÎT XVI, « Discours à l’assemblée générale

des Nations unies, le 18 avril 2008 » dans L’Osserva-

tore romano n° 16 (22 avril 2008), p. 7.

39. Cet indifférentisme religieux des individus estcondamné dans la proposition 15 du Syllabus du papePie IX (DS 2915).

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Courrier de Rome6 Juillet - Août 2008passage de Dignitatis humanæ est biencondamné comme tel par le magistère anté-rieur. Ce passage enseigne la deuxième erreur,qui est la négation même de Royauté sociale deNotre Seigneur Jésus-Christ.

c - La question des justes limitesCet indifférentisme des autorités civiles est

décrit lorsque le n° 2 de Dignitatis humanæindique quels sont les actes externes que leshommes peuvent, en conséquence de cetteliberté de contrainte, accomplir ou non. Letexte parle alors de « justes limites ». Maiscette mention ne vise pas à restreindre ledomaine spécifiquement religieux de la libertéen question. L’exercice d’un droit peut en effetcomporter des limites extrinsèques, lorsquel’exercice concret d’un droit, proprement définipar une propriété (ici le domaine « religieux »),déborde de ce domaine en vertu d’autres pro-priétés connexes. Il y aura des matières mixtes,où certaines limites vont restreindre l’exerciced’un droit, non en raison de la matière proprede ce droit, mais en raison d’une autre matièrequi coïncide de fait avec la matière propre dece droit.

Par exemple, une procession religieuse sur lavoie publique relève en tant que telle du domai-ne religieux, mais se rattache aussi au domainede la circulation réglementée. Les deux faitscoïncident, mais demeurent pourtant distincts.Si la procession est limitée parce qu’on imposeune certaine réglementation au parcours suivi,la limite en question est extrinsèque au domai-ne religieux. D’autre part, le fait d’exercer unereligion vraie ou fausse est une action intrin-sèque au domaine religieux et si cette action estlimitée (par exemple si on permet le cortègedes funérailles du baron James de Rothschildau Père-Lachaise, alors qu’on interdit la pro-cession de la Fête-Dieu), la limite en questionest intrinsèque au domaine religieux. En tantque tel, le domaine proprement religieux dudroit reconnu par Dignitatis humanæ est sanslimites intrinsèques, parce qu’il vaut pourtoutes les religions, vraies ou fausses. Il y auratout au plus des limites extrinsèques, si on tientcompte des circonstances dans lesquelles on vaexercer le droit en faveur de la religion (vraieou fausse).

d - Un texte cohérentCette mention des « justes limites » doit donc

s’entendre non pas en fonction de l’ordreobjectif de la vraie religion, mais en fonctionde l’ordre objectif de la société civile et signifieque l’exercice d’une religion, vraie ou fausse,doit respecter le bon ordre de la tranquillitétemporelle. Voilà pourquoi cette précision n’en-lève absolument rien à la perversité foncière dufaux principe de la liberté religieuse. Même s’ilimpose à l’exercice de la religion des limitesrequises par le bon ordre de la paix sociale, l’É-tat reste absolument indifférent à la vérité ou àla fausseté de la religion 40.

6.3 - La relecture incohérentede Mgr Rifan

a - Une confusion entre deux erreursPour Mgr Rifan « il n’y aurait pas de réelle

contradiction entre ce qu’enseignait le bienheu-reux pape Pie IX et ce qu’enseigne Dignitatishumanæ » 41. Selon lui en effet, Pie IX auraitcondamné la liberté religieuse au sens d’absen-ce d’obligation morale pour la conscience indi-viduelle vis-à-vis de la vraie religion, c’est-à-dire la 1ère erreur de l’indifférentisme religieuxdes individus, tandis que Dignitatis humanæenseignerait la liberté religieuse au sens d’ab-sence de contrainte au for civil en matière reli-gieuse, de la part des autorités humaines. Maisl’enseignement de Vatican II correspond à la 2e

erreur de l’indifférentisme religieux des autori-tés civiles, également condamné par Pie IX. Ilsuffit de confronter les textes pour se rendrecompte que l’interprétation de Mgr Rifan estdépourvue de tout fondement. Pie IX acondamné non seulement l’erreur de l’indiffé-rentisme des individus, mais aussi et plus préci-sément l’erreur de l’indifférentisme de l’État,où on part du principe que les autorités civilesne doivent pas empêcher l’exercice des reli-gions fausses au for externe, ce qui revient ànier la Royauté sociale de Notre SeigneurJésus-Christ.

Les deux erreurs également condamnées(l’indifférentisme des individus et celui de l’É-tat) sont bien distinctes. En théorie, on peutdonc professer la deuxième sans professer lapremière, bien qu’il y ait un lien de cause àeffet entre celle-là et celle-ci. C’est d’ailleurs lepropre du catholicisme libéral et du modernis-me, qui insinuent (indirectement) l’indifféren-tisme de la conscience individuelle en com-mençant par restreindre l’obligation morale auxlimites de cette conscience individuelle. Mêmesi apparemment le § 1 de Dignitatis humanærejette la première erreur de l’indifférentismedes individus, même si apparemment le § 2 dece texte ne l’enseigne pas, même si des déclara-tions expresses et diversement autorisées ontaffirmé, au moment du Concile 42 et depuis 43,que les textes de Vatican II n’enseignaient pascette première erreur, il reste que le § 2 deDignitatis humanæ entérine la deuxième erreurde l’indifférentisme de l’État. C’est pourquoi,tous les textes cités par Mgr Rifan passent àcôté de la véritable question.

b - Une inférence trop rapideMgr Rifan se méprend même sur la véritable

portée du texte de Dignitatis humanæ, car lalecture qu’il en fait n’établit aucune distinctionentre le for interne des actes de la conscience etle for externe des actes accomplis en société.« Le concile », dit-il, « enseigne au point devue naturel un droit à ne pas être, par l’État,forcé ni empêché d’agir dans de justes limitesen matière religieuse. C’est-à-dire que le conci-

le affirme que dans ce domaine de la conscien-ce il existe une absence de juridiction, une rela-tive incompétence du pouvoir civil 44. » Si l’onveut s’en tenir au sens exact du texte de Digni-tatis humanæ, l’inférence que fait Mgr Rifanen reliant ces deux phrases par le moyen del’expression « c’est-à-dire » est absolumentillégitime. Il est vrai que (2e phrase) l’État n’apas le pouvoir d’agir directement sur les actesinternes de la conscience. Mais le texte deDignitatis humanæ dit bien davantage que cela.Il dit que (1ère phrase) l’État n’a pas le pouvoird’agir sur les actes externes qui sont accomplisdans le cadre de la vie en société. La 1ère phraseimplique logiquement la 2e, car si l’on n’a pasle pouvoir d’agir sur les actes externes, à plusforte raison n’a-t-on pas le pouvoir d’agir surles actes internes. Mais la 2e phrase n’impliquepas nécessairement la 1ère, car l’on peut ne pasavoir le pouvoir d’agir sur les actes internestout en ayant le pouvoir d’agir sur les actesexternes. C’est pourquoi, les deux phrases nesont pas strictement équivalentes, la 1ère disantdavantage que la 2e.

c - Le droit négatif : une thèse déjà réfutéeEnfin, Mgr Rifan reprend à son compte l’ar-

gument déjà utilisé par le père Basile du Bar-roux 45 et pourtant réfuté par le père Jehan deBelleville 46, également du Barroux. D’aprèscet argument, « le concile affirme seulement undroit négatif, sans concéder aucun droit affir-matif aux personnes, relativement aux actesnon-conformes à la vérité et au bien dans ledomaine religieux 47. » La distinction entredroit négatif et droit affirmatif équivaut ici àdistinguer entre le droit à ne pas être empêchéd’agir et le droit d’agir. Cependant, c’est unedistinction sophistique, car, comme dit saintThomas 48, toute négation se fonde sur uneaffirmation : si on a le droit à ne pas être empê-ché d’agir (négation) c’est parce qu’on a ledroit d’agir (affirmation). Précisons quandmême, pour être équitable, que l’argumentationdu père Basile est en réalité plus subtile que nele laisserait penser le bref raccourci qu’endonne Mgr Rifan. D’après le père bénédictin,Dignitatis humanæ proclame non le droitd’agir mais le droit à ne pas être empêchéd’agir, au sens où, même si une action objecti-vement mauvaise comme telle n’a aucun droitobjectif, la personne qui l’accomplit a le droitsubjectif (ou personnel) de ne pas être empê-chée, si elle est de bonne foi. Mais il suffit dese reporter à la notion du droit définie par Aris-tote et saint Thomas pour apercevoir tout desuite le sophisme sous-jacent à cette position.

40. Cette lecture du n° 2 de Dignitatis humanæ estconfirmée par les lieux parallèles du texte : fin du n°

3, n° 7, n° 10 et n° 12.41. MGR RIFAN, ibidem, p. 96. Voir aussi p. 92, note130 : Mgr Rifan emprunte cette explication à l’abbéLucien, au père Basile du Barroux et au père Louis-Marie de Blignières. Pour plus de détails sur cettequestion, voir Le Sel de la terre n° 56 (printemps2006), p. 183-187.42. MGR RIFAN, ibidem, p. 94-95, cite en ce sens le Rap-port officiel prononcé sur le texte de Dignitatis humanæpar MGR ÉMILE DE SMEDT, le 19 novembre 1963.43. MGR RIFAN, ibidem, p. 99-103 cite de larges extraitsdu Catéchisme de l’Église catholique de 1992 qui vontdans le même sens que le Rapport de MGR DE SMEDT.

44. MGR RIFAN, ibidem, p. 96.45. La thèse du PÈRE BASILE, La Liberté religieuse etla tradition catholique, Le Barroux, 1998 (recenséedans Le Sel de la terre n° 30, p. 202 et sq) en 6 grosvolumes totalisant 2960 pages et 9154 notes ne possè-de qu’un avantage très matériel, car si on a la patiencede la lire jusqu’au bout, on s’aperçoit qu’il y a beau-coup de vent. Une nouvelle édition résumée en 1 volu-me n’est pas plus convaincante.46. JEHAN DE BELLEVILLE, OSB, Droit objectif dansDignitatis humanæ - la liberté religieuse à la lumièrede la doctrine juridique d’Aristote et de saint Thomasd’Aquin, Rome, 2004.47. MGR RIFAN, ibidem, p. 96.48. Question disputée De malo, q. 2, art. 1, ad 9.

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Courrier de RomeJuillet - Août 2008 7En effet, le droit est en tant que tel objectif etnon subjectif; le droit à agir et le droit à ne pasêtre empêché d’agir sont identiques et ils sedisent l’un et l’autre non de la personne qui agitmais de l’action avec son objet. Car c’est essen-tiellement l’objet d’une action qui est à la raci-ne du droit, c’est-à-dire de la justice et donc dela bonté morale d’une action 49. Les disposi-tions de la personne qui accomplit l’acte (igno-rance invincible, bonne foi, bonne intention) nepeuvent remédier à la malice intrinsèque d’uneaction. C’est pourquoi, l’État doit empêcher lesactions intrinsèquement mauvaises, au forexterne de la vie en société, même si ceux quiles accomplissent sont de bonne foi. En pra-tique, certes, les chefs d’État ne peuvent pasempêcher le mal, toujours et partout. Le gou-vernement humain imite en cela celui de Dieu,qui permet le mal pour ne pas mettre obstacle àun plus grand bien ou éviter un mal pire. Maiscet exercice de la tolérance est affaire de pru-dence et non de justice : cela n’implique aucundroit strict, ni positif ni négatif, en faveur dumal.

Et c’est ce droit négatif « à ne pas être empê-ché » qui est explicitement condamné commetel par le pape Pie IX dans Quanta cura. Lepape condamne en effet la propositionsuivante : « Les citoyens ont droit à l’entièreliberté de manifester hautement et publique-ment leurs opinions quelles qu’elles soient […]sans que l’autorité civile ni ecclésiastique puis-se lui imposer une limite. » C’est la condamna-tion de l’indifférentisme religieux des pouvoirspublics, au sens où ces derniers « ne doiventpas empêcher », erreur enseignée par le n° 2 deDignitatis humanæ, en contradiction avec laTradition antérieure au concile Vatican II, encontradiction avec la doctrine de la royautésociale de Notre Seigneur Jésus-Christ.

6.4 - La cohérence des textesdu Concile

Nous avons montré jusqu’ici que, pour êtrerestreint à l’indifférentisme de l’État, l’ensei-gnement de la liberté religieuse dans Dignitatishumanæ tombe sous le coup de la condamna-tion de Pie IX. Encore faudrait-il prouver cetterestriction et vérifier si le § 1 de Dignitatishumanæ rejette vraiment, et pas seulement enapparence, la première erreur de l’indifférentis-me des individus.

a - Une apparence traditionnelleIl est vrai que ce texte commence par donner

une affirmation apparemment contraire à cetteerreur de l’indifférentisme des individuscondamnée par les papes Grégoire XVI et PieIX : « C’est pourquoi, tout d’abord, le Conciledéclare que Dieu a lui-même fait connaîtreau genre humain la voie par laquelle, en leservant, les hommes peuvent obtenir le salutet parvenir à la béatitude. Cette unique vraiereligion, nous croyons qu’elle subsiste dansl’Église catholique et apostolique à qui le Sei-gneur Jésus a confié le mandat de la faireconnaître à tous les hommes, lorsqu’il dit auxapôtres : “Allez donc, de toutes les nationsfaites des disciples, les baptisant au nom duPère, et du Fils, et du Saint-Esprit, et leur

apprenant à observer tout ce que je vous aiprescrit” (Mt, 28 /19-20). Tous les hommes,d’autre part, sont tenus de chercher la vérité,surtout en ce qui concerne Dieu et son Église;et, quand ils l’ont connue, de l’embrasser et delui être fidèles. De même encore, le Conciledéclare que ce double devoir concerne laconscience de l’homme et l’oblige, et que lavérité ne s’impose que par la force de la véritéelle-même qui pénètre l’esprit avec autant dedouceur que de puissance. Or, puisque la liber-té religieuse que revendique l’homme dansl’accomplissement de son devoir de rendre unculte à Dieu concerne son immunité de toutecontrainte dans la société civile, elle ne porteaucun préjudice à la doctrine catholique tra-ditionnelle sur le devoir moral de l’hommeet des associations à l’égard de la vraie reli-gion et de l’unique Eglise du Christ. »

b - Mais une apparence seulementApparemment donc, ou de manière directe,

le texte de Dignitatis humanæ semble ne pass’opposer aux textes de Grégoire XVI et de PieIX, sur ce point précis de la condamnation del’indifférentisme des individus. Mais en réalité,les choses ne sont pas si simples, car ce n° 1 deDignitatis humanæ comporte l’ambiguïté del’expression du « subsistit in », qui réapparaîtici, reprise du n° 8 de Lumen gentium. Cetteexpression fraye la voie à une nouvelle forme,beaucoup plus subtile, d’indifférentisme indivi-duel et conduit toujours - quoique d’une maniè-re différente, c’est-à-dire indirectement - à laconclusion, condamnée par Grégoire XVI dansMirari vos et par Pie IX dans Quanta cura etle Syllabus : on peut bien espérer du salutailleurs que dans l’unique vraie religion,puisque les communautés religieuses autresque l’Église catholique ne sont pas dépourvuesde signification dans le mystère du salut et quele Saint-Esprit ne refuse pas de s’en servircomme moyens de salut (Unitatis redintegratio,n° 3).

La fin du texte est à cet égard remarquable :il est dit que la liberté religieuse dont il va êtrequestion ensuite « ne porte aucun préjudice à ladoctrine catholique traditionnelle sur le devoirmoral de l’homme et des associations à l’égardde la vraie religion et de l’unique Église duChrist ». Il est question non pas de « l’Églisecatholique » dont on a parlé quelques lignesplus haut en disant que l’unique vraie religionsubsiste en elle; il est précisément question de« l’unique Église du Christ ». C’est encore lepiège de Lumen gentium n° 8. La vraie religionest celle que l’on n’exerce que dans l’uniqueÉglise du Christ. Mais l’Église catholique estseulement la communauté dans laquelle subsis-tent cette unique vraie religion et cette uniqueÉglise du Christ. Or, nous savons (grâce audocument de la Sacrée congrégation pour ladoctrine de la foi du 29 juin 2007 50) ce quesignifie cette expression du « subsistit » : sub-sister, c’est exister en plénitude, par oppositionà exister à l’état d’éléments. Le texte de ce n° 1affirme donc que la religion qui oblige tous leshommes est celle que l’on exerce non seule-ment en plénitude dans l’Église catholique,

mais aussi plus ou moins dans les autres reli-gions, qui sont autant d’éléments partiels del’unique Église du Christ.

c - Dignitatis humanæ : un texte quicontredit en réalité la Tradition,

de A jusqu’à Z et du n° 2 au n° 1Par conséquent, dire que « la liberté religieu-

se ne porte aucun préjudice à la doctrine catho-lique traditionnelle sur le devoir moral del’homme et des associations à l’égard de lavraie religion et de l’unique Église du Christ »,c’est de toute façon nier la vérité. En effet, soitle texte de Dignitatis humanæ entend lesexpressions « vraie religion » et « unique Égli-se du Christ » au sens que suggère le contextedes lieux parallèles de Lumen gentium et deUnitatis redintegratio, et dans ce cas, la doctri-ne à laquelle la liberté religieuse ne porte aucunpréjudice n’est pas la doctrine catholique tradi-tionnelle ; soit le texte entend ces mêmesexpressions au sens catholique traditionnel, etdans ce cas, la liberté religieuse porte préjudiceà la doctrine qu’elles expriment.

Contrairement aux apparences, ce n° 1 deDignitatis humanæ est en parfaite cohérenceavec le n° 2 : l’obligation morale qui s’imposeaux individus ne concerne pas l’unique vraiereligion telle qu’elle est prêchée par l’uniquevraie Église catholique; elle concerne la reli-gion telle qu’elle est prêchée non seulementdans l’Église catholique mais aussi dans lesfausses religions considérées en tant que telles.L’indifférentisme de l’État dont il est questionau n° 2 s’enracine dans une nouvelle formeplus subtile d’indifférentisme des individus,dont il est question au n° 1.

6.5 - Benoît XVI et l’interprétationauthentique du concile Vatican II

Nous voyons bien aussi que les différentesdéclarations du pape Benoît XVI n’apportentaucun crédit à la relecture de Mgr Rifan 51. Jus-qu’ici, le successeur de Jean-Paul II n’a encorerien fait pour corriger les enseignements lesplus gravement fautifs du Concile, bien aucontraire.

a) Benoît XVI et la liberté religieuseDans son Discours à la curie du 22

décembre 2005 52, le pape Benoît XVI fait unedistinction entre les deux sens possibles pourl’expression « liberté de religion ». Au sens oùelle équivaudrait à une indépendance de laconscience par rapport à l’autorité divine fixantla règle objective des mœurs (donc au sens del’indifférentisme des individus) l’expression estselon lui à réprouver 53. Mais au sens où elleéquivaudrait à une absence de toute contrainte

49. Voir Le Sel de la terre, n° 56 (printemps 2006), p.180-182.

50. « Réponse de la Sacrée congrégation pour la doc-trine de la foi » du 29 juin 2007, dans DC, n° 2385 (5-19 août 2007), p. 719.

51. MGR RIFAN (ibidem, p. 103) prétend pourtant s’ap-puyer sur le Discours du 22 décembre 2005.52. BENOÎT XVI, « Discours à la curie romaine du 22décembre 2005 » dans DC n° 2350 (15 janvier 2006),p. 61-62.53. « Si la liberté de religion est considérée commeune expression de l’incapacité de l’homme à trouver lavérité et devient par conséquent une canonisation durelativisme, alors de nécessité sociale et historique elleest élevée de manière impropre au niveau métaphy-sique et elle est ainsi privée de son vrai sens, avecpour conséquence qu’elle ne peut pas être acceptée parcelui qui croit que l’homme est capable de connaître

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Courrier de Rome8 Juillet - Août 2008

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au for externe de la part des autorités civiles,l’expression est, toujours selon lui, juste 54. Plusloin, le pape ajoute : « Les martyrs de l’Égliseprimitive sont morts pour la liberté deconscience et pour la liberté de professer sapropre foi : une profession de foi qui ne peutêtre imposée par aucun État mais qui aucontraire ne peut être faite que par la grâce deDieu, dans la liberté de conscience 55. » Cepassage pourrait tout au plus prêter à équi-voque, car il est vrai que la profession de foi nepeut être imposée par aucun État au for internede la conscience, tandis qu’il est faux que laprofession de foi ne puisse pas être imposée parl’État au for externe de la société. Et d’autrepart, le pape ne parle pas ici de la profession dela vraie et unique foi; il parle simplement desmartyrs qui ont revendiqué la liberté de profes-ser leur propre foi, ce qui peut s’entendre dansun sens subjectif.

Mais par la suite, les autres discours du papeont dissipé cette ambiguïté et prouvé queBenoît XVI parle de la liberté entendue au senscondamné par Grégoire XVI dans Mirari vos etpar Pie IX dans Quanta cura. En effet, le paperevendique le droit pour tous les croyants deprofesser leur religion au for externe de lasociété, sans que l’État puisse intervenir enquoi que ce soit. Dans son Discours de 2005,Benoît XVI disait d’ailleurs déjà que le concileVatican II avait voulu entériner « un principeessentiel de l’État moderne ». Cette remarquepouvait nous mettre la puce à l’oreille, car on ydevine comme un écho des réflexionsanciennes du cardinal Ratzinger, qui présentaitles enseignements du concile Vatican II sur laliberté religieuse comme un « contre-Syllabus » 56.

Un an après son fameux discours sur l’her-méneutique du Concile, le pape Benoît XVIindique sans équivoque quel est le sens de cetteliberté religieuse dans le Discours du 28novembre 2006, adressé au Corps diploma-tique auprès de la république de Turquie 57 :« C’est le devoir des autorités civiles dans toutpays démocratique », dit-il, « de garantir laliberté effective de tous les croyants et de leurpermettre d’organiser librement la vie de leurcommunauté religieuse. » Surtout, lors de sonrécent voyage aux États-Unis, Benoît XVI arépété avec force les mêmes idées, dans sonDiscours du 18 avril 2008, adressé à l’assem-

blée de l’ONU. « Les droits de l’homme », dit-il, « doivent évidemment inclure le droit à laliberté religieuse » […] La pleine garantie de laliberté religieuse ne peut pas être limitée aulibre exercice du culte, mais doit prendre enconsidération la dimension publique de la reli-gion et donc la possibilité pour les croyants departiciper à la construction de l’ordre social. »Et il ajoute que ce principe de la liberté reli-gieuse vise « à obtenir la liberté pour toutcroyant » 58.

b - Benoît XVI et l’œcuménismeBien loin de corriger l’enseignement fautif

de Dignitatis humanae sur la liberté religieuse,ces discours du pape Benoît XVI le confirmentavec force et clarté. Et on voit bien, d’autrepart, que le pape Benoît XVI ne recule pas plusque son prédécesseur Jean-Paul II devant lesconséquences de cet enseignement. En effet, laconséquence de la liberté religieuse, c’est l’œ-cuménisme. Sans revenir sur la visite à la syna-gogue de Cologne en 2005 ou sur le voyage auMoyen-Orient en 2006, nous voyons bien que,lors de la réunion œcuménique tenue à Naplesle 21 octobre 2007 59, Benoît XVI n’a pas cachéses intentions. Cette réunion, expliquait-il,« nous ramène en esprit en 1986, lorsque monvénéré Prédécesseur Jean-Paul II invita sur lacolline de saint François les hauts Représen-tants religieux à prier pour la paix, soulignanten cette circonstance le lien intrinsèque qui unitune authentique attitude religieuse avec unevive sensibilité pour ce bien fondamental del’humanité ». Et d’ajouter : « Dans le respectdes différences des diverses religions, noussommes tous appelés à travailler pour la paix. »Il est donc clair que l’esprit de Benoît XVIc’est toujours l’esprit d’Assise.

La conclusion qui nous intéresse est la sui-vante : les déclarations du pape Benoît XVI surla liberté religieuse et ses démarches œcumé-niques ne mettent pas fin à l’état de nécessité.L’interprétation authentique du concile VaticanII que donne le pape actuel maintient toujoursen principe les mêmes erreurs jadis dénoncéespar Mgr Lefebvre et Mgr de Castro-Mayerdans leur Lettre ouverte au pape Jean-Paul II 60.À lui seul, ce dernier document réduit à néanttoute la sophistique de Mgr Rifan.

7 - VINGT ANS APRÈS LES SACRES :L’OPÉRATION SURVIE CONTINUE

Vingt ans ont passé depuis les consécrationsépiscopales du 30 juin 1988. Le pape BenoîtXVI dénonce les abus qui ont cru se prévaloirde l’esprit du Concile, mais il prêche la fidélitéà la lettre empoisonnée de ce Concile. Il décla-re que le missel traditionnel n’a jamais étéabrogé, mais il y voit l’expression seulementextraordinaire de la loi liturgique, en concur-rence avec le Novus Ordo protestantisé, quidemeure à ses yeux l’expression ordinaire decette même loi.

Cette dualité qui départage le gouvernementde Benoît XVI entre une fidélité sans faillesaux principes erronés du Concile et un sem-blant de retour à l’ordre s’explique parfaitementdans la logique du système moderniste. Lemodernisme, qui est la religion en progrès et enévolution incessante, résulte, dit saint Pie X 61,« du conflit de deux forces, dont l’une pousseau progrès, tandis que l’autre tend à la conser-vation ». La force qui pousse à la conservation,c’est l’autorité qui réprime les abus; la forcequi pousse au progrès, ce sont les impératifs duConcile. Et nous voyons bien comment lesautorités conciliaires sont toujours à larecherche d’un équilibre, et tâchent de contre-balancer l’une par l’autre les deux tendancescontradictoires, celle du progressisme et celledes éléments conservateurs.

La tendance conservatrice ira tout au plusjusqu’à autoriser un certain attachement per-sonnel d’une partie des fidèles pour la Traditiond’avant le Concile. Mais cela ne suffit pas pourque l’on puisse conclure à la fin de l’état denécessité. Le dilemme reste toujours le même,entre une fausse obéissance aveugle et unerésistance légitime en faveur de la perpétuité dela foi catholique. Aujourd’hui encore, c’estcette dernière qui s’impose à l’évidence.

Abbé Jean-Michel Gleize

la vérité de Dieu et que, sur la base de la dignité inté-rieure de la vérité, il est lié à cette connaissance »(BENOÎT XVI, ibidem).54. « Une chose complètement différente est aucontraire la liberté de religion comme une nécessitédécoulant de la convivance humaine et même commeune conséquence de la vérité qui ne peut être imposéede l’extérieur mais doit devenir le fait propre del’homme seulement par un processus de conviction.Le concile Vatican II, en reconnaissant et en faisantsien par le décret sur la liberté religieuse un principeessentiel de l’État moderne, a repris d’une manièrenouvelle le patrimoine le plus profond de l’Église »(BENOÎT XVI, ibidem).55. BENOÎT XVI, ibidem.56. CARDINAL JOSEPH RATZINGER, Les Principes de lathéologie catholique. Esquisse et matériaux, Téqui,1982, p. 426-427.57. DC n° 2371 (7 janvier 2007), p. 13-14.

58. BENOÎT XVI, « Discours à l’assemblée généraledes Nations-Unies, le 18 avril 2008 » dans L’Osserva-tore romano n° 16 (22 avril 2008), p. 7.59 Benoît XVI, 59. « Discours aux chefs religieux participants à larencontre internationale pour la paix, le 21 octobre2007 » dans DC, n° 2391 (2 décembre 2007), p. 1037-1038.60. Fideliter n° 36 de novembre-décembre 1983, p. 3-12.

61. Pascendi, n° 36.

Page 62: Courrier de Rome

s ì s ì no no« Que votre OUI soit OUI, que votre NON soit NON, tout le reste vient du Malin »

(Mt 5, 37)

Le numéro 3€Septembre 2008Mensuel - Nouvelle SérieAnnée XLII n° 314 (504)

« L’HERMÉNEUTIQUE DE LA RUPTURE » DE JOSEPH RATZINGERINTRODUCTION

Le Pontife actuel, Benoît XVI, dans un discoursprononcé devant la Curie le 22 décembre 2005, ainvité tous les catholiques à interpréter le Concileœcuménique Vatican II à la lumière d’une « her-méneutique de la continuité » et non « de la rup-ture » avec l’enseignement précédent.

Nous nous demandons si le terme « hermé- neu-tique », typique de la pensée moderne, est lemieux adapté pour exprimer l’interprétation de ladoctrine multiséculaire de l’Église. Mais ce n’estpas de cela que nous souhaitons parler ici. Nousassimilerons donc le terme d’« herméneutique » àcelui d’« interprétation », en général, en faisantabstraction de la connotation spéculative inhéren-te au premier terme, et qui penche vers uneconception subjective de l’interprétation elle-même.

Selon Benoît XVI, les catholiques doivent doncinterpréter la doctrine proposée par le concile nondogmatique mais innovateur Vatican II comme sielle était en tout point en parfaite continuité avecla doctrine du Magistère précédent. Ils doiventtoujours avoir à l’esprit le fait que le Concile« n’a pas voulu changer et n’a de fait pas changéla doctrine en question, mais a bien plutôt enten-du la développer, la formuler de manière plusadéquate et en approfondir l’intelligence ». C’estce qu’énonce en effet la première des Réponses àdes questions concernant certains aspects de ladoctrine sur l’Église, publiée par la Congrégationpour la Doctrine de la Foi le 9 août 2007. Cetteaffirmation péremptoire est étayée par des cita-tions ad hoc, extraites de la célèbre Allocutiod’ouverture du Concile Vatican II prononcée parJean XXIII le 11 octobre 1962, d’allocutionsconciliaires de Paul VI, et du débat conciliaire. Dece débat sont rapportées des déclarations d’ortho-doxie doctrinale à l’égard de certains textesconcernant l’élaboration de la « doctrine sur l’É-glise », discutés par de nombreux Pères conci-liaires; déclarations émises à l’époque par l’ambi-gu Secrétariat pour l’unité des Chrétiens, présidépar le cardinal Bea 1.

Pour ne parler ici que de la célèbre Allocutiond’ouverture du Concile, les citations de la Congré-gation pour la Doctrine de la Foi ignorent tous lespassages dans lesquels le Pape propose un ensei-

gnement totalement nouveau par rapport à la Tra-dition de l’Église et même opposé à celle-ci :

1. La doctrine de toujours devait désormais êtreenseignée selon les exigences de notre temps etdonc (dans la version italienne, utilisée ensuitepar le Pontife lui-même, puisqu’elle correspondaità ce qu’il avait personnellement écrit dans lemanuscrit original de l’allocution) « étudiée etexposée à travers les formes de l’enquête et de laformation littéraire de la pensée contemporaine »;

2. Cela était possible parce que l’on devait tenircompte de la distinction entre « l’ancienne sub-stance du depositum fidei et la formulation de saforme »;

3. L’Église ne se trouvait plus dans la nécessitéde devoir condamner les erreurs du Siècle parceque désormais les hommes « semblent enclins àles condamner par eux-mêmes »;

4. Le but ultime et essentiel du Concile devaitêtre celui de réaliser « l’unité du genre humain »comme « fondement nécessaire pour que la Citéterrestre se compose à la ressemblance de la Citécéleste » 2.

Nous ne voulons pas nous arrêter ici sur le pro-blème de la cohérence à attribuer aux déclarationsofficielles défendant l’orthodoxie de Vatican II.Nous voulons contraire proposer à nos lecteurs lesconsidérations suivantes.

La doctrine avec laquelle l’enseignement de Vati-can II serait en harmonie est évidemment celle del’Église de toujours : la doctrine que Jean XXIII,dans l’allocution, appelait respectueusement« doctrina certa et immutabilis, cui fidele obse-quium est præstandum ». Mais précisément,dans cette doctrine multiséculaire et même bimil-lénaire de l’Église, dont on suppose toujoursqu’elle est assistée par l’Esprit Saint dans sonMagistère universel et constant, le consultant ouexpert conciliaire Joseph Ratzinger, à l’instar de

tous les innovateurs de l’époque, décelait unerupture avec l’enseignement de l’Église primitive,celle des Pères ; rupture à laquelle Vatican IIaurait finalement remédié, après tant de siècles,par exemple à propos de la notion de la collégiali-té épiscopale. Que reste-t-il de l’expert conciliaired’autrefois chez l’actuel Pontife, Benoît XVI?Nous voulons dire : son « herméneutique » est-elle restée sur la même ligne que celle du consul-tant Joseph Ratzinger, théologien personnel ducardinal rénovateur Frings, à l’époque archevêquede Cologne? Si elle semble avoir subi des chan-gements (chez le cardinal Ratzinger, préfet de laCongrégation pour la Doctrine de la Foi) en cequi concerne la notion de la collégialité, il noussemble toutefois retrouver cette herméneutiquedans l’exposition de la notion du salut telle qu’el-le apparaît dans les articles 13 et suivants de l’En-cyclique Spe Salvi, dans lesquels on attribue à deLubac le mérite d’en avoir rétabli le sens (suppo-sé) original, celui d’un salut « commu- nautaire »ou collectif.

Dans ces conditions, lorsque le Pape exige denous une « herméneutique de la continuité » àl’égard des textes de Vatican II, n’est-il pas légiti-me que nous demandions tout d’abord à quellecontinuité Sa Sainteté se réfère exactement,puisque de fait son herméneutique personnelle neconsidère pas l’enseignement préconciliaire enharmonie avec celui des Pères sur certains pointsessentiels de la doctrine catholique?

Ceci posé, exposons à présent notre argumen-tation.

1. L’EXPERT CONCILIAIRE JOSEPH RATZINGERINTERPRÉTAIT L’ENSEIGNEMENT DE L’ÉGLISE ÀLA LUMIÈRE D’UNE « HERMÉNEUTIQUE DE LA

RUPTURE »En décembre 1965, concomitamment à la fin

1. Congregatio pro doctrina fidei, Responsa ad quæstiones dealiquibus sententiis ad doctrinam de Ecclesia pertinentibus.

2. Les notions exprimées aux points 1 et 3 avaient déjà étéjugées comme erronées par Pie XII et Pie IX (cf. DS 3881-3882 et DS 2861), tandis que le millénarisme qui imprégnaitla vision évoquée au point 4 avait été condamné par l’Églisedès le Moyen-Âge. La distinction douteuse entre « subs-tance » et « formulation de la forme » de la doctrine étaittotalement nouvelle, dans l’enseignement magistériel, etd’origine non catholique mais protestante. Et néanmoins, les Responsa la citent à l’appui de l’orthodoxie de l’Allocutionde Jean XXIII, comme si cette distinction avait toujours étépartie intégrante de l’enseignement de l’Église!

LE VIIIe CONGRÈS de

SÌ SÌ NO NO - COURRIER DE ROME

« L'Église aujourd'hui:

rupture ou continuité? »

se tiendra à Paris les 2, 3 et 4 janvier 2009

septembre 2008 compressØ tnr ps.qxp 19/09/2008 12:08 Page 1

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Courrier de Rome2 Septembre 2008du Concile Vatican II, fut publié en sept languesun imposant ouvrage (dont peu sans doute gar-dent aujourd’hui le souvenir) d’« études et com-mentaires autour de la Constitution dogmatiqueLumen Gentium ». Cinquante-sept spécialistes ycollaborèrent, dont le Gotha de la théologie pro-gressiste de l’époque : Daniélou, Chenu, Congar,de Lubac, Grillmeier, Smulders, Rahner, Sem-melroth, De Smedt et compagnie, y compris éga-lement quelques spécialistes protestants et unmembre de l’« Église orthodoxe ». Le jeune Jose-ph Ratzinger y participa aussi, car étant « profes-seur de dogmatique et d’histoire des dogmes à laFaculté de Théologie catholique de Münster », ilappartenait indubitablement à ce Gotha, bien quede façon plus discrète, entre autres à cause de sonjeune âge.

Le titre de sa contribution à l’ouvrage était lesuivant : La collégialité épiscopale : explicationthéologique du texte conciliaire. Nous souhaite-rions mettre en lumière un aspect particulier decette intervention, celui qui fait apparaître uneinterprétation selon une « herméneutique de larupture » 3.

1.1 La thèse du professeur RatzingerAprès avoir relevé que, selon Lumen Gentium

(LG), le pouvoir de juridiction de l’évêque netrouvait plus son origine dans la seule institutioncanonique par le Pape, mais dans l’acte même deconsécration de l’évêque, modifiant ainsi le sché-ma traditionnel suivant lequel « la collégialité[épiscopale] était complètement séparée de la réa-lité sacramentelle [de la Consécration del’évêque] et transférée sur le plan de la seule réali-té juridique », parce qu’« attribuée aux évêquespar le Pape » et non inhérente à la consécration, leprofesseur Ratzinger poursuivait ainsi : « Tant lanotion de sacrement que celle de juridictionentrent [avec LG] dans une nouvelle lumière, ouplutôt : toutes les deux réapparaissent dans lalumière originelle de la théologie patristique, quiavait été temporairement obscurcie par les déve-loppements modernes 4. »

À l’appui de cette affirmation, l’auteur citait ennote un passage d’un article de Mgr Parente :« Ceci a été particulièrement mis en évidence parMgr l’archevêque Parente dans un importantarticle publié dans le journal “L’Avvenire d’Italia”du 21/01/1965 : “Ce fut une influence excessivedu Droit sur la Théologie [écrivait Mgr Parente]qui peu à peu conduisit à concevoir le pouvoir dejuridiction comme distinct du pouvoir d’Ordre, ensoutenant que le premier vient à l’évêque d’uneconcession extrinsèque du Pape, tandis que lesecond viendrait de la consécration elle-même. LeConcile revient à la conception primitive” 5. »

Il y aurait donc eu un « obscurcissement de lathéologie patristique » par les « développementsmodernes », qui auraient entraîné une prédomi-nance non justifiée « du droit sur la théologie ». Ils’agissait, comme chacun peut le voir, de notionsexprimées dans un langage assez hermétique pourle commun des croyants, typique du style de lanouvelle théologie. Mais la suite de l’essai du futurcardinal et Pontife nous apprenait que le principalresponsable de cette conception trop « juridique »de la figure de l’évêque était saint Thomas, quenotre auteur citait expressément en note 6. « Trop

juridique », car elle aurait fait dépendre l’existencede la juridiction épiscopale non du « sacrement »(de l’Ordination) mais d’une concession pontifi-cale supérieure à celui-ci et indépendante de lui, àn’envisager par conséquent qu’en termes de rap-port juridique (de droit canonique) entre le Papequi l’accordait et l’évêque qui la recevait.

Nous ne suivrons pas ici les raisonnements del’auteur (dont la terminologie n’est pas facile àpénétrer) pour démontrer la validité de son affir-mation et de celle de Mgr Parente. Cette affirma-tion nous semble totalement inacceptable, toutd’abord parce que contraire au point de vue del’enseignement traditionnel multiséculaire duMagistère, qui ne peut pas s’être trompé sur unequestion qui implique le dogme car elle est inhé-rente au Primat et à la constitution divine de l’É-glise ; enseignement fondé sur l’opinion d’unegrande majorité de théologiens de doctrine ortho-doxe. Le point que nous voudrions mettre enrelief est autre : c’est le fait que l’on puisse soute-nir que l’enseignement de l’Église, au moins àpartir de l’époque de saint Thomas, c’est-à-dirependant presque sept siècles ait pu « obscurcir lalumière originelle de la théologie patristique »,qui plus est sur des aspects fondamentaux de lafoi; que l’on puisse laisser entendre, de fait, quependant tous ces siècles, des Papes, des évêqueset des théologiens parfaitement orthodoxesn’aient pas compris l’enseignement des Pères !Comme si, pendant tout ce temps, le Magistèren’avait pas été assisté par le Saint-Esprit, quiaurait donc permis que se produise une ruptureentre l’enseignement des Pères et celui de la Hié-rarchie, rupture qui aurait été finalement résoluepar le Concile pastoral Vatican II, présenté parJean XXIII et par tous les novateurs comme unenouvelle Pentecôte, comme le début de l’époquede l’Église de l’Esprit, dont le devoir (cf. l’Allo-cution citée plus haut) consistait en l’unificationdu genre humain pour réaliser le Royaume deDieu sur terre!

À la vérité, le professeur Ratzinger n’attaquaitpas directement l’enseignement du Magistère. Ilne l’aurait pas pu. Sa façon de s’exprimer indi-quait qu’il s’agissait plutôt d’une question concer-nant une simple opinion théologique, dont onavait fini par se débarrasser avec le Concile. Tou-tefois, il était obligé d’admettre que cette opinionétait partagée par les Papes, en rappelant la doctri-ne antérieure, rigoureusement exposée dans leschéma préparatoire initial de la constitutionconciliaire sur l’Église, celui qui avait été élaborésous la conduite du cardinal Ottaviani, et de MgrTremp, présenté en 1962 au début du Concile,supprimé ensuite par les coups de main des pro-gressistes, soutenus par Jean XXIII, et remplacépar le schéma qui allait devenir la constitutionLumen Gentium :

« En ce qui concerne l’appartenance au collègedes évêques, le schéma de 1962 avait déclaré que“suo iure”, étaient membres de ce collège lesévêques résidentiels qui vivaient en paix avec lesiège apostolique. Il apparaissait ainsi quel’unique et véritable racine de la collégialité étaitla juridiction épiscopale sur un diocèse déterminé.Par conséquent, la collégialité était complètementséparée de la réalité sacramentelle, et transféréesut le plan de la seule réalité juridique; puisquedans l’actuelle pratique de l’Église latine la juri-diction est en attribuée par le Pape aux évêques, ilétait naturel de conclure en considérant le collègedes évêques comme une pure création du droitpontifical ». Pour illustrer cette situation, l’auteurcitait en note un passage de Mystici Corporis(1943) de la façon suivante : « Cf. la célèbreobservation de Pie XII dans l’Enc. Mystici Cor-poris, DS 3804 : “episcopi… non plane sui iuris

sunt, sed sub debita Romani Pontificis auctoritatepositi, quamvis ordinaria iurisdictionis potestatefruantur, immediate sibi ab eodem PontificeSummo impertita” 7. »

1.2 La doctrine de l’Église sur la collégia-lité : Vatican I, Léon XIII, Pie XII

En réalité, dans l’Encyclique Mystici Corporis,après avoir expliqué que les évêques sont « lesmembres les plus éminents de l’Égliseuniverselle », qu’ils sont unis au Pape par « unlien véritablement singulier », qu’« en ce quiconcerne son propre diocèse, chacun, en vrai Pas-teur, fait paître et gouverne au nom du Christ letroupeau qui lui est assigné », comme l’avait réaf-firmé Vatican I (cf. infra, note 11), Pie XII préci-sait : « Pourtant, dans leur gouvernement, ils nesont pas pleinement indépendants, mais ils sontsoumis à l’autorité légitime du Pontife de Rome,et s’ils jouissent du pouvoir ordinaire de juridic-tion, ce pouvoir leur est immédiatement commu-niqué par le Souverain Pontife 8. »

La « célèbre observation » de Pie XII ne devaitdonc pas être comprise comme une simple« observation », comme s’il s’était agi d’une opi-nion personnelle de ce Pape. Il s’agissait aucontraire de la doctrine officielle de l’Église, déjàexposée (sur ce point) de façon plus large parLéon XIII, le 29 juin 1896, dans sa fameuseEncyclique Satis cognitum sur l’unité de l’Église,qui elle aussi se fondait sur l’enseignement précé-dent : parmi les plus proche, celui de Vatican I.Léon XIII, en s’arrêtant longuement sur le sensdu Primat, mentionnait à plusieurs reprises le rôledes évêques. Ceux-ci, dispersés dans le mondecatholique, constituent un « ordo », qui n’est pascompris par le Pape – notons-le – comme un col-lège au sens juridique propre, doté, toujours avecle Pape à sa tête, de pouvoir de juridiction surtoute l’Église, comme voudra le représenterLumen Gentium dans son fameux article 29 9. Lesévêques, dispersés dans le monde catholique,constituent un « collège » au sens seulement spiri-tuel, moral, à moins qu’ils ne soient réunis enConcile œcuménique par le Pape, sous son autori-té et par mandat de ce dernier, devenant ainsi protempore un sujet unitaire même du point de vuejuridique. Le Pape exerce son gouvernement sureux. Leur pouvoir de gouvernement et d’ensei-gnement est individuel et limité à leur diocèse.Seul le Pape a uti singulus pouvoir de juridictionsur toute l’Église. « De même qu’il est nécessaire– enseignait Léon XIII – que l’autorité de Pierrese perpétue chez l’évêque de Rome, de même lesévêques, en tant que successeurs des apôtres, héri-tent de leur extraordinaire pouvoir, et donc l’ordreépiscopal touche nécessairement l’intime consti-tution de l’Église. Bien qu’ils n’aient pas unesuprême, pleine et universelle autorité, ils ne doi-vent pas néanmoins être considérés comme desimples “vicaires” des évêques de Rome, puis-qu’ils ont un pouvoir propre, et que c’est en véritéqu’on les appelle prélats “ordinaires” des peuplesqu’ils dirigent 10. » Toutefois, poursuivait le Ponti-fe, « le pouvoir de l’évêque de Rome est suprême,universel et indépendant, alors que celui desévêques est contenu entre certaines limites [cellesdu diocèse], et n’est pas du tout indépendant ». Et

3. L’Église de Vatican II. Études et commentaires autour dela Constitution dogmatique « Lumen Gentium ». Ouvragecollectif dirigé par Guilherme Baraúna, OFM.4. RATZINGER, op. cit.5. Op. cit.6. Textes cités : Saint Thomas, In IV Sent., d. 24, q. 3, a. 2, q.1a2 (Somme théologique, Suppl. q. 40, a. 5); Somme théolo-gique 3, q. 82, a. 1 ad. 4.

7. RATZINGER, op. cit. Pour le passage de l’Encyclique de PieXII, voir DS 3804.8. PIE XII, Encyclique Mystici Corporis.9. « D’autre part, l’ordre des évêques, qui succède au collègedes Apôtres dans le magistère et le gouvernement pastoral,en qui même se perpétue le corps apostolique, uni à son Chefle Pontife romain, et jamais sans ce Chef, est également sujetdu pouvoir suprême et plénier sur toute l’Église, pouvoir quine peut être exercé qu’avec le consentement du PontifeRomain » (Lumen Gentium, art. 22).10. DS, 3307.

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Page 64: Courrier de Rome

Courrier de RomeSeptembre 2008 3Léon XIII insérait ici, précisément, un passage dece texte de saint Thomas que le professeur Ratzin-ger et Mgr Parente auraient au contraire désap-prouvé. « Il n’est pas convenable que deux soientétablis sur le même troupeau avec des pouvoirségaux; mais il est possible que deux, dont l’un estsupérieur à l’autre [comme l’est le Pape par rap-port à l’évêque et l’évêque par rapport au curé],soient établis sur le même peuple; ainsi au-dessusdu même peuple se trouvent immédiatement et lecuré, et l’évêque, et le Pape 11. »

Des principes doctrinaux établis depuis dessiècles étaient au contraire présentés dans l’essaidu prof. Ratzinger non pas comme un enseigne-ment faisant autorité, mais comme de simples« observations » des Souverains Pontifes. Dans lebut de justifier en quelque sorte le schéma hermé-neutique que l’on voulait superposer à la doctrinede l’Église, et pouvoir ainsi présenter les nou-veautés de Vatican II comme un retour de la doc-trine de l’Église à la théologie des Pères : retour etdonc renaissance, sous le signe (supposé) de l’Es-prit. Mais cela, sans compter d’autres considéra-tions, ne signifie-t-il pas appliquer une herméneu-tique de la rupture à la doctrine de l’Église, absur-dement accusée d’avoir navigué pendant dessiècles dans l’obscurité, au sujet de la vraie naturede la collégialité épiscopale, par la faute de saintThomas?

En réalité, la pensée de saint Thomas saisit defaçon limpide le point essentiel, dans le rapportentre les évêques et le Pape : « Il n’est pas conve-nable que deux soient établis sur le même trou-peau avec des pouvoirs égaux ». C’est-à-dire : il nepeut pas y avoir de dualité dans le pouvoir suprê-me de juridiction sur l’Église. Le pouvoir d’ensei-gner et de gouverner à l’égard du troupeau toutentier ne peut être attribué au même titre à deuxsujets distincts : le Pape d’un côté, le collège desévêques avec le Pape qui en est le chef, de l’autre.Le fait que l’on veuille attribuer ce pouvoir à unsujet qui est un collège toujours entendu avec sonchef naturel, qui est le Pape, ne change pas la sub-stance de la question, à partir du moment où lePape jouit de la Summa Potestas sur l’Église toutentière non comme chef du collège des évêques,mais uti singulus, c’est-à-dire en tant que Souve-rain Pontife. Le pouvoir attribué au collège est,quant à sa titularité, juridiquement distinct decelui qui est exercé par le Pape, même s’il s’agitdu même pouvoir, à savoir la summa potestas.

Le titulaire du pouvoir suprême de juridictiondoit être un seul, si l’on ne veut pas que l’Églisetout entière tombe dans l’anarchie. C’est aussipour éviter cela que Notre-Seigneur a établi unehiérarchie entre Pierre et les apôtres, lorsqu’il adonné à Pierre seul le rôle de « confirmer sesfrères [dans la foi] » (Lc 22, 32 : « confirmafratres tuos »), et lorsque, ressuscité, il a donné àPierre, parce qu’il l’aimait plus que les autres dis-ciples, le rôle de « paître ses agneaux, ses brebis »(Jn 21, 15ss) c’est-à-dire de gouverner le trou-peau, car c’est ce que fait le berger qui prend soindu troupeau qui lui est confié. La conception dua-liste (qui est celle introduite par l’art. 22 de LG)est aberrante à tous points de vue, même le pointde vue purement logique, car elle attribue au

corps des évêques avec leur chef (au « collège »avec le « président » du collège) la titularité d’unpouvoir de juridiction qui est, dans la mesure où ils’exerce sur toute l’Église, en soi égal à celui duPape, lequel toutefois jouit de pouvoirs, dont lepouvoir disciplinaire vis-à-vis des évêques, dontces derniers sont évidemment privés. Et il en jouitprécisément parce que lui revient uti singulus lepouvoir suprême de juridiction sur toute l’Église,évêques compris. L’attribution de la summa potes-tas au collège équivaut à reconnaître au collège(composé de sujets dotés de pouvoirs moinsimportants que ceux qui reviennent au Chef ducollège) le même pouvoir suprême de juridictionattribué à un sujet hiérarchiquement supérieur tantau collège qu’aux évêques individuellement, sujet(le Pape) qui est aussi le Chef du collège. Unenchevêtrement inextricable.

2. DANS L’ENCYCLIQUE SPE SALVI RÉAPPARAÎT« L’HERMÉNEUTIQUE DE LA RUPTURE »

À PROPOS DE LA NOTION DE SALUT

L’espérance chrétienne dans le salut a été« durement critiquée » par la pensée moderne –rappelle Benoît XVI – parce qu’« il s’agirait d’unpur individualisme, qui aurait abandonné lemonde à sa misère et qui se serait réfugié dans unsalut éternel uniquement privé », dont le symboleserait la vie monastique 12.

Il s’agit d’une critique manifestement infondée,fruit de l’incompréhension acrimonieuse de lapensée moderne à l’égard du Christianisme.Puisque notre religion – divinement révélée – pré-suppose que, malgré le péché originel, le librearbitre existe et agit toujours en l’homme, ce quirend chacun responsable de ses actions, le salutd’un homme ne peut pas se réaliser collective-ment, c’est-à-dire par des absolutions ou descondamnations collectives; il doit obligatoirementpasser par le jugement individuel, au cours duquella responsabilité doit être évaluée par Celui quiconnaît parfaitement ce qui se trouve dans le cœurde chacun (chacun, car il n’y a pas de cœur col-lectif, pas plus qu’il n’existe de cerveau collectifou d’âme collective).

Mais comment le Pape répond-il à cette accusa-tion absurde? En réaffirmant la notion tradition-nelle de la morale chrétienne, de la responsabilitétoujours et nécessairement individuelle de nosactes? Cela ne semble pas être le cas. Ou bien enfaisant remarquer que, dans tous les cas, ce salutpromis par Notre-Seigneur à chacun de nous (s’ilsuit ses enseignements, en persévérant jusqu’à lafin) est impossible à atteindre si chacun de nous,par amour de Dieu, n’aime pas le prochaincomme soi-même (Mt. 25, 31 ss)? Que nous nedevons jamais oublier que la vraie vie chrétiennen’est telle que si elle réalise en soi le respect duprochain, qui ne doit jamais être haï, dont on nedoit jamais se venger, et pour le salut duquel nousdevons toujours prier? Que la vraie vie chrétiennemet en œuvre les vertus civiles nécessaires à laréalisation de ce bien social qui est le bien com-mun 13? Que la vie conventuelle d’obéissance, de

renoncement et de mortification, tellement mépri-sée par les modernes, consacrée à la prière et auservice de Dieu, plaît immensément à Dieu etobtient de lui les grâces nécessaires au salut debeaucoup d’âmes, et même de l’aide pour lesbesoins matériels d’un grand nombre?

Du reste, les fils du Siècle eux-mêmes saventtrès bien que cette accusation est absurde. Quevoulons-nous dire par là ? Que les principalescaractéristiques de l’éthique et de l’eschatologiechrétienne sont plutôt connues. Tout le monde saitque les bienheureux vont au paradis, où ils consti-tuent une communauté, et qu’ils y vont après unjugement individuel, dit jugement particulier, quia lieu immédiatement après la mort de chacun.Par conséquent, le sens authentique de l’accusa-tion d’égoïsme et d’individualisme ne peut êtreque le suivant : le salut chrétien n’est pas commu-nautaire au sens où l’entend la mentalité duSiècle, qui prétend un salut accordé à tous, à toutle genre humain en bloc, abstraction faite des foisreligieuses et des œuvres de chacun! Abstractionfaite, en somme, de l’inévitable jugement final deNotre-Seigneur sur les intentions et les œuvres dechacun de nous!

2.1 L’Encyclique s’approche de l’« hermé-neutique de la rupture » de Lubac

Mais dans l’Encyclique, le Pape ne réaffirmeaucun des arguments traditionnels en réponse auxcritiques injustes, et il n’en dévoile pas le véri-table objectif. Au contraire, il semble même lesconsidérer comme substantiellement valables :« La science peut contribuer beaucoup à l’huma-nisation du monde et de l’humanité. Cependant,elle peut aussi détruire l’homme et le monde sielle n’est pas orientée par des forces qui se trou-vent hors d’elle. D’autre part, nous devons aussiconstater que le christianisme moderne, face auxsuccès de la science dans la structuration progres-sive du monde, ne s’était en grande partie concen-tré que sur l’individu et sur son salut. Par là, il arestreint l’horizon de son espérance et n’a mêmepas reconnu suffisamment la grandeur de satâche, même si ce qu’il a continué à faire pour laformation de l’homme et pour le soin des plusfaibles et des personnes qui souffrent reste impor-tant 14. » La notion est répétée dans la dernièrepartie du document. « À l’époque moderne, lapréoccupation du Jugement final s’estompe : lafoi chrétienne est individualisée et elle est orien-tée surtout vers le salut personnel de l’âme. »

Mais quel christianisme, « à l’époquemoderne », a orienté la foi « surtout vers le salutpersonnel de l’âme »? Au Moyen Âge, on croyaitpeut-être à une idée « communautaire », plutôtque « personnelle », du salut? Et que signifie,exactement, idée « communautaire » du salut? LePape lui attribue-t-il un sens différent de celui quelui attribue le Siècle?

Quoi qu’il en soit, comment le Pape défend-ilici le Christianisme? En soutenant, sous l’autoritéde Lubac, que la vraie notion chrétienne du salutest communautaire, raison pour laquelle c’estcette (supposée) authentique notion chrétienne dusalut que l’on doit opposer à la notion erronée(utopiste révolutionnaire) de la pensée modernecontemporaine. À la notion d’un salut collectif dugenre humain prôné par les utopies révolution-naires de la pensée moderne, les catholiquesdevraient opposer une notion du salut collectiveou communautaire au sens juste, qui serait le senschrétien.

11. LÉON XIII, Satis cognitum Le texte de SAINT THOMAS rap-pelé par le Pape est le suivant : in IV Sent. dist XVII, a. 4, adq. 4, ad 3. Le Concile œcuménique Vatican I, en expliquantque le primat du Pontife romain n’entraînait aucune diminu-tion du « pouvoir ordinaire et immédiat de la juridiction épi-copale », réaffirmait que les évêques, successeurs desApôtres en vertu de l’Esprit Saint, « comme de vrais pasteurspaissent et gouvernent le troupeau confié à chacun d’entreeux (tamquam veri pastores assignatos sibi greges singulisingulos pascunt et regunt) » (DS 3061).

12. BENOÎT XVI, Spe salvi, Lettre encyclique sur l’espérancechrétienne.13. Même au temps des persécutions, l’Église n’a jamais niéla valeur de l’État, en tant que tel, bien compris. « Enversl’État romain, les apologistes furent presque tous explicitesen offrant une loyale collaboration pour le bien général de lasociété, faisant remarquer que les biens dont souffrait l’Em-pire étaient surtout de nature éthique et que, par conséquent,une injection de vertus privées et familiales [comme celleprêchées et pratiquées par les chrétiens, à commencer par lasaine vie de famille] profiterait à la vie publique ; enrevanche ils étaient inflexibles dans leur refus du culte divindû à l’empereur [parce qu’il les obligeait à violer le premiercommandement et à entrer en contradiction avec le dogme de

l’Incarnation] ». (PAOLO BREZZI, Les origines du Christianis-me, ERI, Turin, 1967).14. Spe Salvi (art. 25). Que signifie, ici, « formation del’homme »? Quel « homme »?

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Courrier de Rome4 Septembre 2008« De Lubac, en se fondant sur la théologie des

Pères dans toute son ampleur, a pu montrer que lesalut a toujours été considéré comme une réalitécommunautaire. La Lettre aux Hébreux parled’une “cité” (cf. 11, 10.16 ; 12, 22 ; 13, 14) etdonc d’un salut communautaire. De manièrecohérente, le péché est compris par les Pèrescomme destruction de l’unité du genre humain,comme fragmentation et division. Babel, le lieude la confusion des langues et de la séparation, serévèle comme expression de ce qu’est fondamen-talement le péché. Et ainsi, la “rédemption” appa-raît vraiment comme le rétablissement de l’unité,où nous nous retrouvons de nouveau ensemble,dans une union qui se profile dans la communau-té mondiale des croyants 15. »

L’Encyclique s’aligne donc sur la conceptionpersonnelle qu’avait de Lubac du salut. Et c’estprécisément pour cela que nous affirmons quel’on voit réapparaître dans l’Encyclique une« herméneutique de la rupture ».

La « rupture » se serait produite de cette façon :en faisant prévaloir – dans l’enseignement de l’É-glise – une conception « individualiste » (et égoïs-te) du salut contrairement à la conception origi-nelle, qui aurait été au contraire « communautai-re ». L’enseignement de l’Église (comme dans lecas de la collégialité) aurait donc dévié de la sainethéologie des Pères, à laquelle il faut revenir,conformément aux enseignements de la théologiecontemporaine, représentée par des personnalitéscomme de Lubac!

Nous avouons ne pas réussir à comprendre lanotion d’un salut « communautaire », qui plus estopposée à une notion dite « individualiste » entant qu’« orientée surtout vers le salut personnelde l’âme ». La façon dont s’exprime le Papeinduit à penser qu’il y aurait deux façons de com-prendre le salut chrétien : une bonne façon,« communautaire », et une mauvaise façon celleorientée vers le salut personnel. Deux façons, oudeux saluts? Deux façons, car il n’y peut y avoirqu’un seul salut.

Et, de nouveau, il nous faut nous demander :que signifie « salut communautaire ». Ce pointest-il éclairci par la phrase de l’Encyclique qui,dans le sillage de de Lubac, renvoie à trois pas-sages de la Lettre aux Hébreux? Le sens « com-munautaire » originel du salut serait-il attesté parle fait que la Lettre aux Hébreux nous montre lavie éternelle comme une « cité »? En réalité, ils’agit de la « Cité du Dieu vivant, de la Jérusalemcéleste », comme l’explique Hébr. 12, 22, l’un destrois passages cités par le Pape. La « Jérusalemcéleste », qui « descend du Ciel d’auprès deDieu », et dont la vision transmise dans Ap. 21-22est, comme chacun sait, le Royaume de Dieu. Etle Royaume de Dieu, cela aussi nous le savons,n’est autre que « le Royaume de mon Père » men-tionné à plusieurs reprises par Notre-Seigneur,royaume dans lequel les justes resplendirontcomme le soleil, tandis que les réprouvés serontjetés « dans la fournaise ardente », où ils brûlerontpour l’éternité (Mt. 13, 43 et 42; 18, 18). Dans leRoyaume de Dieu, que Jésus appelle aussi « mai-son (oikia, domus) de mon Père », il y a « denombreuses demeures », préparées par Dieu pourles élus, et Notre-Seigneur annonce aux apôtresqu’il ira leur préparer « une place » dans ces« demeures » célestes (Jn 14, 1-2).

« Cité » au sens de « Jérusalem céleste »,« Royaume » ou « Maison du Père » : dans cesimages, la Révélation nous communique l’exis-tence de cette réalité surnaturelle, constituée de laSainte Trinité, qui s’offrira pour toujours en

récompense aux élus dans la vision béatifique. Etdans la « Maison du Père », l’âme des justes,après l’éventuelle période de purification au pur-gatoire, sera admise aussitôt après le jugementindividuel, qui a lieu immédiatement après lamort du corps; et ce jugement sera confirmé à larésurrection des corps, au temps du jugement uni-versel, qui réaffirmera le jugement individueldevant tous 16.

Telle est la doctrine constante de l’Église. Enelle, la perspective individuelle et la perspective« communautaire » (si nous voulons employer ceterme) s’intègrent parfaitement. Étant donné quele genre humain n’est pas constitué par un seulhomme mais par un grand nombre d’hommes etde femmes, les élus iront par la force des chosesconstituer une « societas » ou « consortium » ou« congregatio » ou « civitas », dans laquelle seréalisera « une union pleine et parfaite », commele disaient les Pères à ce propos, en employantune terminologie variée afin d’indiquer toujoursla même vérité révélée, c’est-à-dire celle qui nousannonce et nous démontre l’existence d’une réali-té surnaturelle, éternelle, préétablie par Dieu, quiun jour accueillera tous les Justes dans ses « nom-breuses demeures » 17.

La terminologie que nous venons de rappeler estutilisée par de Lubac pour en tirer l’idée qu’il yaurait toujours eu, dans l’Église, la foi en un salutsocial ou « communautaire », qu’il faut com-prendre comme « condition » du salut individuel 18.Mais un tel lien entre l’un et l’autre ne ressortaucunement des textes des Pères et des Docteursrassemblés par le même de Lubac, textes qui selimitent à souligner, avec des accents parfoislyriques, l’aspect « communautaire » du Paradis,ainsi qu’il a été révélé par Notre-Seigneur. Rien deplus. Le fait que cet aspect « communautaire » soitcompris comme « condition » de notre salut indivi-duel est en réalité un ajout personnel de de Lubac,et révèle un trait typique de son néomodernisme.

Le fait est que, depuis les premiers temps del’Église, la societas surnaturelle n’est pas lacondition du salut individuel de ses membres,mais la conséquence logique de ce dernier : cen’est qu’après s’être sauvée, en raison des méritesque Notre-Seigneur lui aura reconnus en lajugeant selon ses œuvres, tels qu’ils apparaîtrontau « livre de la vie » (Ap. 20, 12), que l’âme del’élu viendra faire partie du consortium de ceuxqui se sont sauvés, des bienheureux. Dans laLettre de Barnabé, qui date des premières décen-nies du deuxième siècle, nous lisons : « Il estdonc bon d’apprendre les dispositions du Sei-gneur, telles qu’elles sont écrites, et de marcher enelles. En effet celui qui exécutera ces choses seraglorifié dans le royaume de Dieu; celui qui aucontraire choisit celle-là (la voie des ténèbres, quel’auteur vient de décrire par le récit de tous sespéchés) périra avec ses œuvres. Pour cela il y aune résurrection, pour cela il y a unerécompense 19. »

À quoi bon, alors, disserter sur une conception« communautaire » originelle du salut en opposi-tion à une conception « individualiste » ultérieure,et qu’il faudrait réfuter? Cette opposition n’a enréalité aucun fondement, ni dans les textes ni dansla Tradition de l’Église. En outre cette oppositionsemble fumeuse car la notion de salut « commu-nautaire » demeure obscure. À moins que l’on neveuille reproposer l’erreur millénariste, adaptée àla mentalité moderne, et introduire ainsi l’idéed’un salut collectif du genre humain, déjà rachetéen bloc par l’Incarnation du Christ, salut qui (évi-demment) ne passerait plus par le crible du juge-ment. Que l’exégèse de de Lubac, influencé parBlondel et Teilhard de Chardin, aille dans cettedirection, il ne nous semble pas possible de lemettre en doute. En effet, quel est le schéma her-méneutique qu’il prépare? Voyons-le rapidement,tel qu’il apparaît dans Catholicisme, l’œuvre de1937 qui enquêtait sur « les aspects sociaux dudogme » et qui encourut justement les censuresde l’autorité ecclésiastique de l’époque en raisondes thèses hétérodoxes qu’il y professait.

3. LE SCHÉMA HERMÉNEUTIQUE DE DE LUBAC

De Lubac soutient donc que l’authentique espé-rance chrétienne a toujours consisté en une foi enun « salut social », en un « salut de la communau-té, condition du salut des individus », en un salut« collectif et défini ». Il formule sa thèse entreautres pour répondre aux critiques de la penséemoderne qui, on l’a vu, voulait nier tout caractère« social » au christianisme. « Comment peut-onencore parler du caractère social d’une doctrinequi enseigne, avec la survivance de l’âme indivi-duelle, sa rémunération immédiate et son accès,une fois les purifications nécessaires terminées, àla vision de l’Essence divine20 ? »

Mais d’où sortirait-elle, cette foi en un salut quiserait surtout « social », « communautaire, », col-lectif », et même « condition du salut des indivi-dus »? De Lubac s’empare de saint Paul, qui,d’après lui, aurait prêché un « salut cosmique » etaurait même compris le Christ « comme un envi-ronnement, une atmosphère, un monde danslequel l’homme et Dieu, l’homme et l’hommecommuniquent et s’unissent. Il est “Celui quiaccomplit tout en tous” ». Mais quand doncl’Apôtre des Gentils a-t-il compris le Christ« comme un environnement, une atmosphère, unmonde », presque à la manière d’un Éon gnos-tique? Quand a-t-il prêché un « salut cosmique »et donc « collectif », « condition du salut des indi-vidus »?

Ce n’est certainement pas là la façon dont l’É-glise a compris l’enseignement de saint Paul.Avec quelle autorité de Lubac nous propose-t-ilun saint Paul panthéiste et presque gnostique?

3.1 De Lubac déforme saint PaulL’attribution à saint Paul d’une notion « cos-

mique » du salut, incluant non seulement tous leshommes, mais aussi toute la création et doncaussi la nature, vient d’une évidente déformationde Rom. 8, 15ss, célèbre texte dans lequell’Apôtre des Gentils nous explique la notion sui-vante : « Nous savons en effet que jusqu’à ce jourle monde tout entier gémit et souffre des douleursde l’enfantement. Bien plus, nous aussi qui possé-dons les prémices de l’Esprit, nous gémissons aufond de nous-mêmes dans l’attente de l’adoption,de la délivrance de notre corps » (Rom. 8, 22-23).Le « monde tout entier » dont on parle ici (littéra-lement : « pâsa he ktisis, omnis creatura ») n’est

15. Op. Cit. (art. 42).

16. Mt. 10, 33; 12, 36-37; 16, 27; 25, 31ss; Lc. 12, 17-21;16, 19-31; 20, 45-47; 2 Cor. 5, 10; Hébr. 9, 27-28.17. Cette « union pleine et parfaite » est une union avecDieu, et elle n’exprime pas la réalisation finale (ou cos-mique) de l’unité du genre humain en tant que tel : elle expri-me l’unité de l’Église, qui est accomplie dans la vision béati-fique.18. HENRI DE LUBAC, Catholicisme. Les aspects sociaux dudogme. Il s’agit du chap. III de la 1ère partie de l’ouvrage,chapitre intitulé Vie éternelle.19. La lettre de Barnabé, introduction, traduction [italienne]et notes de Omero Soffritti, Ed. Paoline, 1974. La vie éter-nelle est la « récompense » que recevra celui qui aura obser-vé les « dispositions » divines, au cours de sa vie terrestre. Lesalut individuel n’est conditionné par aucun salut « commu-nautaire ».

20. DE LUBAC, Catholicisme. « C’était donc [la foi de l’Égli-se primitive] l’espérance en un salut social. C’était l’espéran-ce du salut de la communauté, condition du salut des indivi-dus ».

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Page 66: Courrier de Rome

Courrier de RomeSeptembre 2008 5pas (Origène le remarquait déjà) la nature dans satotalité (homme, animaux, plantes) mais « la créa-ture rationnelle, qui comprend tant les hommesque les anges » 21. Toutes les créatures, c’est-à-dire tous les hommes, même ceux qui ont « lesprémices de l’Esprit », comme les chrétiens, souf-frent spirituellement. Nous « gémissons », c’est-à-dire nous souffrons en ce monde « soumis à lavanité (ibid. 20), « dans l’attente de l’adoption, dela délivrance de notre corps ». De notre corpsindividuel, évidemment. Délivrance de quoi? De« l’esclavage de la corruption » (ibid. 21) auquelest soumise toute créature (à cause du péché ori-ginel). Et cette délivrance ne peut être obtenueque par la vie éternelle qui nous a été promise parle Christ, et que nous « attendons avec patience »,par foi sans la voir encore (ibid. 23-25). La « déli-vrance de notre corps » n’indique pas une « déli-vrance » de la nature en général, qui ne peut évi-demment pas jouir des « prémices de l’Esprit »;elle exprime au contraire la notion de notre salutindividuel, qui ne nous délivre pas en corps maisdélivre notre corps (notre = de chacun, selon lesens grammatical) de la corruption de la mort etle fait entrer dans la gloire de la vie éternelle, à larésurrection des morts 22.

Et d’où de Lubac tire-t-il cette idée singulièreque saint Paul aurait compris le Christ « commeun environnement, une atmosphère, un monde »?De l’affirmation qu’Il est « Celui qui accomplittout en tous » ? L’auteur ne cite pas d’autrestextes, et il ne donne aucune autre indication. Ils’agit toutefois d’un célèbre passage de la Lettreaux Éphésiens (Éph. 1, 23), dans le cadre del’illustration paulinienne du primat de Notre-Sei-gneur sur tous les êtres vivants, au ciel et sur laterre, et la nature de l’Église comme Corps mys-tique du Christ. Référence un peu sommaire,donc que celle de de Lubac. Et complètementerronée, pourrions-nous ajouter, en ce qui concer-ne ce qu’il veut démontrer : le fait que la doctrinepaulinienne du « Corps du Christ » contiendraitcomme idée fondamentale celle d’un salut collec-tif du genre humain dans le cadre d’un salut« cosmique ».

Le fait est que le passage de saint Paul est citépar de Lubac de façon incomplète, en négligeantd’expliquer que le Christ « accomplit », c’est-à-dire « complète tout en tous » au moyen de l’Égli-se qu’il a fondée, et non pas grâce à une être-monde ou environnement générique et panthéiste,dans lequel homme et divinité « s’unissent ». Lepassage complet dit en effet : « Il [Dieu] a toutmis sous ses pieds [de Notre-Seigneur] et il l’adonné comme chef à toute l’Église, qui est soncorps et la plénitude de celui qui n’est complète-ment parfait qu’en tous 23. » Et le Père a vouluque « toutes les choses » fussent placées sous lasouveraineté du Fils, parce que le Père avait déci-dé ab æterno, dans son insondable dessein,d’« instaurare omnia un Christo », quand arrive-rait « la plénitude des temps » qu’il avait établis(Éph. 1, 10). Le Christ qui « complète tout entous » agit par conséquent en sa qualité de souve-rain de l’univers visible et invisible, de « premier-

né de toute création » (ante-genito, engendréavant toute créature, selon l’interprétation tradi-tionnelle) puisque toutes les choses visibles etinvisibles ont été créées « en Lui », « par Lui »,« pour Lui » (Col. 1, 15 ss). C’est en vertu decette « primauté en toutes choses » qu’il est le« chef du corps, c’est-à-dire de l’Église » (ibid.).L’Église est donc la « plénitude » (le plérome) duChrist, son corps, corps mystique, parce que com-prenant tant la réalité visible que l’invisible.

Et dans cette « plénitude » qui est l’Église, nousne retrouvons pas toute l’humanité en tant quetelle, « l’homme » en général, mais seulementceux qui, par la grâce de Dieu, se sont convertisau Christ. Ceux-ci obtiennent individuellement lesalut précisément parce qu’ils appartiennent à l’É-glise et (toujours individuellement) persévèrentjusqu’à la fin dans les enseignements du Christ,soutenus par l’Église (par les apôtres, dans le casde l’Église naissante), qui nous soutient dans cettepersévérance, surtout par l’administration dessacrements, indispensables pour obtenir (toujoursindividuellement) l’aide déterminante de la grâce.

« Et vous [chrétiens de Colosse] qui étiez autre-fois éloignés de lui et ses ennemis par vos penséeset vos mauvaises actions, maintenant il vous aréconciliés par la mort de son corps de chair, pourvous rendre saints, sans tache et irréprochables àses yeux, si du moins vous demeurez fondés etfermement établis dans la foi et inébranlablesdans l’espérance apportée par l’Évangile, quevous avez entendu, qui a été prêché à toute créatu-re sous le ciel et dont moi, Paul, je suis devenu leministre » (Col. 1, 21-23).

3.2 De Lubac remet en vogue des doctrinesdéjà condamnées

Pour développer complètement sa thèse hétéro-doxe, de Lubac doit éclipser un autre dogme defoi : celui du jugement individuel qui a lieuimmédiatement après la mort. Pour cela, ilcherche à démontrer que l’idée d’un salut « com-munautaire », condition du salut individuel, peutêtre tirée de la doctrine selon laquelle l’âme indi-viduelle ne serait pas jugée aussitôt après la mort,mais devrait attendre en quelque lieu intermédiai-re jusqu’au jour du jugement universel. Cette doc-trine fut professée par certains des Pères, autre-fois, et reprise publiquement par le Pape JeanXXII dans les années 1331-1334, dans trois ser-mons et un opuscule. Mais il la retira en 1334,avec la bulle Ne super his, du 3 décembre 1334.Son successeur, Benoît XII, la condamna formel-lement comme erronée, dans la constitution apos-tolique Benedictus Deus, du 29 janvier 1336, quicommence par ces mots : « Par la présenteConstitution, valide pour l’éternité, nous définis-sons avec autorité apostolique, etc. ».

De Lubac ne rend pas justice à Jean XXII, puis-qu’il ne parle pas de son repentir. Il se contente dedire : « Le prédécesseur de Benoît XII sur leSiège de Pierre, Jean XXII, l’avait lui-même prê-chée avec chaleur [la doctrine en question] dansune série de sermons au peuple d’Avignon en1331 et 1332, et soutenue encore dans les der-nières années de sa longue vie, en particulier auConsistoire du 3 janvier 1334 24. » Cette façon deprésenter les arguments, typique de de Lubac,induit en erreur : si l’on ne connaît pas les faits,on ne peut pas savoir, en lisant ce récit, que lePape a ensuite publiquement reconnu le caractère

erroné de cette doctrine, et l’a complètementdésavouée.

Mais de Lubac tient à rappeler que l’opinionprofessée (à tort) pro tempore par Jean XXII« avait en sa faveur une longue série de témoins,dont certains faisaient partie les plus grands nomsde la tradition tant latine que grecque » 25. Mais sinous vérifions quelle est cette « longue série detémoins », que trouvons-nous?

Qu’il ne s’est pas agi d’une opinion de l’Église,mais d’une opinion soutenue dans l’Église parquelques-uns, combattue par d’autres, qui ont finipar s’imposer, étant donné la cohérence manifestede leur opinion avec les données de la Révélation.

L’opinion ensuite réprouvée par la Prima Sedesa été soutenue, entre autres, par saint Augustin(mais de façon « hésitante », doit reconnaître deLubac), par Origène (mais dans un passage ambi-gu, à cause de son fort symbolisme) ; par saintAthanase, par saint Ambroise (mais qui, doit pré-ciser de Lubac en note, dans le commentaire del’Évangile de saint Luc, 1, 10, n. 92, « croit quePierre est déjà au ciel »), par saint Bernard et parquelques auteurs mineurs. L’opinion confirméeensuite comme orthodoxe est au contraire soute-nue par saint Grégoire le Grand, saint Isidore etdes auteurs mineurs 26.

L’énumération des témoins les plus importantsen faveur de cette doctrine (du moins dans l’Égli-se latine) semble assez maigre, et qui plus estincertaine, étant donné les hésitations que l’onretrouve à son propos chez un saint Augustin etun saint Ambroise. De plus, chose bien plusimportante, la Prima Sedes a résolu la question endéfinissant comme vérité de foi la doctrine dujugement individuel aussitôt après la mort, en tantque seule doctrine vraiment conforme aux Textes.Mais cela n’empêche pas du tout de Lubac dechercher à tirer « le bienfait caché » qui se trouve-rait dans cette doctrine erronée. « Même en fai-sant la mise au point qui s’impose, ne serait-il paspossible de conserver le bénéfice caché de cettedoctrine? Elle s’est égarée dans des rêves, qu’ilfaut laisser au passé. Mais si au-delà de ces rêves,son inspiration profonde était juste, il ne doit pasêtre impossible d’y trouver un enseignementencore actuel. Par exemple, n’y aurait-il pasmoyen de prêter une plus grande attention à ceconsortium que doit être la béatitude, selon lesformules insistantes de la liturgie romaine 27 ? »

De Lubac cherche alors à enrôler aussi saintThomas parmi les partisans d’un « salut commu-nautaire ». Saint Thomas traduirait « dans sonlangage de docteur » l’idée de la béatitude éter-nelle comme consortium, tel qu’il ressort desanciennes formules liturgiques rapportées à la p.113 n. 63 de Catholicisme. Mais, comme on l’adit, ce terme, et d’autres semblables, n’indiquentpas autre chose que le royaume de Dieu, avec uneterminologie propre à exprimer pour nous le faitqu’il inclura, dans une unité surnaturelle avecDieu, toute cette partie du genre humain qui auraobtenu le salut, partie qui coïncidera avec l’Églisecatholique, y compris ceux qui lui appartiennentpar le baptême de désir, implicite ou explicite.Donc : société, consortium, cité des bienheureux.C’est une terminologie à la signification symbo-lique manifeste, puisque l’ubi consistam de cette« cité » ou « société » est représenté par la trèssainte Trinité dans toute son ineffable et glorieusesplendeur, et non par des liens de caractère socié-taire ou social entre les bienheureux 28.

21. Le vocable ktisis est employé dans les Textes saints ausens de « création », « ensemble des choses créées », « créa-tures », au sens d’« hommes ».22. Sur la fausse interprétation de ces textes de saint Paul,présente aussi dans la constitution Gaudium et spes, à l’art.39, cf. PAOLO PASQUALUCCI, L’altération de l’idée du surnatu-rel dans les textes de Vatican II, in Pour une restauration del’Église, Actes du IVème Congrès théologique de Sì Sì NoNo, 3-5 août 2005.23. Éph. 1, 22-23. « Et omnia subjecit sub pedibus ejus : etipsum dedit caput supra omnem Ecclesiam, quæ est corpusipsius, et plenitudo (pléroma) eius, qui omnia in omnibusadimpletur ».

24. DE LUBAC, op. cit. Une note renvoie à une célèbre Histoi-re littéraire de la France (de 1914, t. 34, art. Jacques Duèse(Pape Jean XXII), pp. 551-627, pour qui voudrait connaître« tous les détails de cette histoire », sans toutefois daignerrévéler au commun des lecteurs le détail retentissant de larétractation publique de Jean XXII.

25. Op. cit.26. Op. cit.27. Op. cit.28. Cela est exprimé, à notre avis, aussi par SAINT BONAVEN-

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Page 67: Courrier de Rome

Courrier de Rome6 Septembre 2008Donc lorsque saint Thomas, cité par de Lubac,

écrit que « la fin de toute créature raisonnable estd’arriver à la béatitude, qui ne peut consister enautre chose que le royaume de Dieu, qui à sontour n’est autre chose que la société ordonnée deceux qui jouissent de la vision divine », devons-nous penser qu’il professe une conception « com-munautaire » du salut, présupposé du salut pure-ment « individuel », parce qu’il emploie le terme« société ordonnée » en parlant des bienheureux?Ce serait absurde. La « société ordonnée » estcelle de la hiérarchie céleste, telle qu’elle apparaîtdans la vision de la Cité céleste dont témoigne laSainte Écriture.

3.3 L’émergence de « l’herméneutique de larupture » chez de Lubac

Mais une doctrine erronée et condamnée for-mellement par l’Église peut-elle conserver un« bienfait caché »? Peut-elle contenir une juste« inspiration profonde », qu’il faudrait récupérerpour « y trouver un enseignement encoreactuel »? Selon le sensus fidei et la recta ratio,c’est impossible. Mais pas d’après le nouveauthéologien qu’était de Lubac. Et quelle aurait été« l’inspiration profonde » de cette erreur, à récu-pérer pour la traduire en un « enseignement enco-re actuel »? Évidemment, celle de l’idée commu-nautaire ou sociale du salut, de la béatitudecomme consortium, compris à la manière de deLubac, et non de la liturgie traditionnelle ni desaint Thomas.

« Si l’on a pu croire, à tort, que pour l’âme iln’y avait pas de vision béatif ique avant laconsommation de l’univers, n’est-ce pas parceque, au moins en partie, on croyait, à juste titre,qu’il n’y a pas de salut individuel sinon dans lesalut de l’ensemble? La perspective était d’abordsociale, et seulement ensuite individuelle 29. »Mais où sont les preuves de ce qui reste une pureextrapolation, selon laquelle la « perspective étaitd’abord sociale, et seulement ensuiteindividuelle »? Comme on l’a vu, de l’existenced’une « perspective sociale » du salut, présupposéou condition du salut individuel, de Lubac nedonne en réalité aucune démonstration. Comme ilmanque de preuves authentiques, il imagine alorsque l’erreur de la vision béatifique reportée à lafin des temps est l’expression déformée d’unecroyance qui aurait existé dans l’Église primitive,la croyance en le caractère éminemment « social »ou « communautaire » du salut.

Voilà donc comment est construite l’« hermé-neutique de la rupture ». On suppose (bien évi-demment sans pouvoir la prouver) l’existenced’une foi qui aurait existé dans l’Église initiale etqui aurait ensuite été abandonnée, entre autres àcause de la condamnation d’une erreur liée à cettedoctrine. On affirme que cette ancienne doctrinepeut être objet d’un « enseignement encoreactuel » parce qu’elle contient l’idée (qui serait labonne) d’un salut surtout « social », « condition »du salut individuel, à opposer par conséquent àl’idée du caractère exclusivement individuel dusalut, enseignée par le Magistère. De cette façon,la doctrine enseignée par le Magistère est présen-tée comme si elle était « en rupture » avec la doc-trine plus ancienne abandonnée, qui contiendrait

la notion authentique du salut. Il faut donc reveniraux origines, à la (supposée) foi de l’Église primi-tive.

Tel est le schéma caractéristique de l’« hermé-neutique de la rupture », professée par les nova-teurs.

Et pour quelle raison, est-on en droit de sedemander ? Dans quel but chercher à troublerainsi les eaux limpides de la doctrine de toujours,fondée avec certitude sur les Textes et sur la tradi-tion de l’Église? Autrement dit : que visait deLubac, quelle était la fin dernière de toute cette« herméneutique » à la fois désinvolte etembrouillée? Cette fin dernière, elle apparaît defaçon assez claire dans Catholicisme : c’est la dis-parition de l’idée de jugement de la conception dusalut. Du jugement, et donc de l’enfer. Le caractè-re « communautaire » du salut est étendu à tout legenre humain, au mépris de l’évidente vérité defoi qu’hors de l’Église catholique il n’y a pas desalut (sinon dans des cas individuels de baptêmede désir, explicite ou implicite). L’obligation quipèse sur l’Église (sa mission) de sauver le genrehumain doit surtout tenir compte, dans la perspec-tive de de Lubac, du fait que celui-ci, constituanten soi une unité, doit maintenir l’unité dans lesalut. C’est pourquoi il ne réaffirme jamais que laconversion individuelle (Mc 16, 16) a toujoursconstitué la règle, pour l’Église, puisque touteconversion présuppose l’adhésion de notre librearbitre, de la volonté de chacun.

Par de fumeuses argumentations, de Lubac pro-pose en réalité la théorie des « chrétiens ano-nymes » (chapitre. VII de l’ouvrage) de façon àfaire coïncider l’Église avec l’humanité (chap.VIII). Le devoir de l’Église serait de réaliser l’uni-té du genre humain. C’est en cela que consisteraitle « salut », parfaitement « communautaire ». Ladélirante vision finale de de Lubac, dans laquellese réaliserait le parfait « catholicisme », est celled’un royaume de Dieu qui se résout dans l’éterni-té du monde, dans le triomphe cosmique del’homme : « L’univers tout entier assumé parl’homme et solidaire de son destin - l’homme,dans la prodigieuse complexité de son histoire, àson tour assumé par l’Église - l’univers spirituali-sé par l’homme et l’homme consacré parl’Église; l’Église enfin, univers spirituel et sacré,comme un grand vaisseau chargé de tous lesfruits de la Terre, entreront dans l’éternité 30. »

4. LA « THÉOLOGIE DU SALUT » DE SPE SALVI

REPRODUIT CELLE DE DE LUBAC

Après avoir vu les traits essentiels de la très per-sonnelle « théologie du salut communautaire » dede Lubac, revenons à Spe Salvi, qui la remet àl’honneur et semble la reproduire.

Nous avons vu, en effet, dans les passages citésau § 2.1 de cet essai, que l’Encyclique sembleaccepter le principe que ce « salutcommunautaire » exprime l’idée d’un salut éten-du au genre humain tout entier ut sic, compriscomme unité, sans jamais parler (au moins) d’unepréliminaire conversion au Christ (c’est-à-dire aucatholicisme) comme condition indispensable dusalut lui-même.

4.1 Une notion obscure de péchéUne conception de ce genre a une influence sur

la notion de péché. Ce n’est pas sans raison que ledocument pontifical, dans les passages cités,affirme que pour les Pères, le péché est surtout« destruction de l’unité du genre humain », « frac-tionnement et division », raison pour laquellec’est la tour de Babel qui nous montrerait « à laracine » ce qu’est le péché. Et pourquoi précisé-ment l’épisode de la tour de Babel? Parce qu’ilmontre la naissance « de la confusion des langueset de la séparation ». Il s’ensuit que la « rédemp-tion », qui nous sauve du péché, en nous procu-rant le salut, « apparaît comme le rétablissementde l’unité », perdue à Babylone. Et cette unité « seprof ile dans la communauté mondiale descroyants ». Le Pape ne dit pas qu’elle se profiledans l’Église catholique. Il affirme qu’elle « seprofile » dans la « communauté mondiale descroyants ». De quels « croyants » s’agit-il? Danstous les cas ils constituent une « communautémondiale » qui se « profile ». Il semble permisd’en déduire que cette « communauté » est celledes « croyants » dans le sens de l’œcuménismeactuellement dominant, la « communauté » detoutes les dénominations chrétiennes et, en pers-pective, de toutes les fois, de toute l’humanité.

Mais le raisonnement papal se fonde sur unenotion du péché qui remonte justement à deLubac, et non aux Pères de l’Église. Ou mieux,aux Pères comme les interprétait de Lubac.

« “Ubi peccata, ibi multitudo”. Fidèle à cetteindication d’Origène, Maxime le Confesseurconsidère le péché originel comme une sépara-tion, une fragmentation; on pourrait dire, au senspéjoratif du mot, une individualisation. Tandis queDieu agit sans cesse dans le monde pour faire toutconcourir à l’unité, par ce péché, qui est l’œuvrede l’homme, “la nature fut brisée en mille mor-ceaux”, et l’humanité, qui devait constituer untout harmonieux, où le moi et le toi ne se seraientpas opposés, devint une fourmilière d’individusaux tendances violemment opposées. “Et à pré-sent, conclut Maxime, nous nous déchirons lesuns les autres comme des bêtes féroces…”.“Satan nous a dispersés”, disait de son côté Cyril-le d’Alexandrie, pour expliquer la chute originelleet le besoin d’un Rédempteur 31. »

Ces considérations des Pères, et quelques autressemblables, poursuit de Lubac, nous montreraient« le mal dans son essence intime, dont il est peut-être dommage que la théologie postérieure n’aitpas tiré un plus grand parti »; le mal, et donc lepéché, dans sa nature de « déchirement social ».La théologie s’est au contraire surtout concentréesur le péché comme « déchirement interne »,c’est-à-dire sur l’origine du péché « de l’intérieurde chaque nature individuelle ». Selon l’auteur, il

TURE, Breviloquium, VII, 7, 8, paragraphe que de Lubac tented’attribuer à la doctrine du salut « communautaire ».29. Op. cit. Persévérant dans l’erreur, de Lubac soutient aussique le Christianisme aurait hérité de la notion « sociale » desalut typique du Judaïsme, et que la figure du Serviteur deJahvé dans le célèbre passage d’Isaïe, fait « également pen-ser, d’ailleurs, à une collectivité », qui serait celle du « Christtotal et complet ». Il s’agit, en réalité, du « Christ total etcomplet » teilhardien, qui serait en substance constitué parl’humanité, transfigurée en une perspective « cosmique ».

30. Op. cit. Tout Catholicisme est imprégné d’un espritvisionnaire, millénariste teilhardien. Il est presque superflude rappeler que dans les textes de Vatican II, auxquels deLubac put collaborer en tant qu’expert conciliaire grâce aux« ouvertures » de Jean XXIII, nous retrouvons cette concep-tion millénariste de l’Église, en particulier dans Lumen Gen-tium (1, 2-4, 8, 9, 13, 36) et dans Gaudium et spes (2, 3, 11,22, 24, 32, 33-39, 41-43, 82, 92, 93).

31. Catholicisme. Il s’agit du paragraphe intitulé Péché etrédemption, qui se trouve au chap. I de l’ouvrage. La suite dutexte d’Origène (In Ézech., hom. 9, n. 1), cité en note par deLubac montre en réalité qu’Origène parle des conséquencesdu péché : « multiplicité [multitudo – d’opinions], schismes,hérésies, disputes. Là où domine la vertu, on a au contrairel’uniformité [singularitas – d’opinions], l’union, dont pro-vient à tous les croyants un sentiment [cor] unique, une âmeunique. Et pour parler encore plus clairement, la multiplicité[des opinions] est le commencement de tous les maux, tandisque les diminuer [en nombre] et les réduire à l’uniformité estcause de tous les biens… ». Il s’agit d’affirmations de carac-tère général sur la nécessité de l’union et de la concorde spi-rituelle entre croyants, auxquelles chacun peut certainementadhérer, mais qui n’identifient pas la nature même du péché àla multiplicité, à la division et à la dissolution de l’unité,comme voudrait le faire croire de Lubac. En ce qui concernela « dispersion » mentionnée par un passage tiré de Cyrilled’Alexandrie, il semble évident qu’elle n’explique pas tant lepéché originel que l’une de ses conséquences, qui fut préci-sément le bannissement du Paradis terrestre, par lequel com-mença la dispersion du genre humain sue la terre.

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Page 68: Courrier de Rome

Courrier de RomeSeptembre 2008 7est temps de réunifier les deux perspectives.« Maintenons-nous dans la perspective unique :œuvre de restauration, la Rédemption nous appa-raîtra par cela même comme le rétablissement del’unité perdue. Rétablissement de l’unité surnatu-relle de l’homme avec Dieu, mais aussi de l’unitédes hommes entre eux 32. » Ici le « rétablissementde l’unité perdue » par la Rédemption c’est-à-direpar Notre-Seigneur, est conçu sous le signe d’unedouble notion d’unité : celle de l’homme avecDieu et celle des hommes entre eux. Et le contex-te de Catholicisme nous montre que cela signifieune seule chose : la Rédemption a comme véri-table but la reconstitution de l’unité originelle dugenre humain, sans le soumettre à aucun juge-ment.

L’assonance avec ce qui est affirmé dans SpeSalvi nous semble assez évidente. Mais la vérité,c’est que les Pères ne voyaient pas l’essence dupéché dans la « fragmentation et division », dansla destruction de l’unité du genre humain, qui enétait au contraire une des conséquences : consé-quence mortelle, puisque l’unité du genre humainn’allait plus se reconstituer. Non seulement dansla vie future, où les justes seront séparés pourl’éternité des damnés; mais aussi dans la vie pré-sente, qui est dominé par le Prince de ce monde,« père du mensonge » et « homicide depuis lecommencement », ennemi de tout authentiqueesprit de concorde et de fraternité.

Il ne faut pas confondre la nature ou essenced’une chose (ici un acte de la volonté humaine)avec ses conséquences. Les apologistes et lesPères de l’Église ont toujours maintenu l’existen-ce du libre arbitre en l’homme, d’où la polémiqueavec le fatalisme des stoïciens et des épicuriens.Ils voyaient l’essence du péché dans l’orgueil, quidévoyait l’âme et influençait sa volonté, en la ren-dant mauvaise, ce qui poussait l’homme à s’éloi-gner de Dieu et de ses commandements poursuivre l’incitation du Tentateur. Par sa nature, l’ac-tion de pécher est individuelle comme la volontélibre et mauvaise qui la provoque. Comme l’écritsaint Athanase, le grand défenseur de la foi contreles Ariens, « quand l’âme s’éloigne de la contem-plation du bien et de l’inclination qui la conduit àDieu, elle se dévoie, se mettant dans une directiontotalement opposée ». Il s’ensuit que « la maliceet le péché de l’âme ont comme seule causel’éloignement des réalités surnaturelles » 33. Defaçon plus approfondie mais concomitante, saintAugustin écrit : « Nos premiers parents commen-cèrent certainement à être mauvais à l’intérieuravant de tomber dans la désobéissance ouverte.Parce que l’on ne peut arriver à commettre unacte mauvais s’il n’y a pas d’abord la mauvaisevolonté. Et qu’elle put être le principe de la mau-vaise volonté sinon l’orgueil? Nous lisons en effetque le principe de tout péché est l’orgueil [Eccl.10, 15]. Et qu’est-ce que l’orgueil sinon le désirdésordonné d’une grandeur perverse? Et la gran-deur perverse consiste à abandonner le principeauquel l’âme doit toujours adhérer, pour s’éleveren quelque sorte elle-même en principe. Et l’âmefinit par se complaire démesurément en elle-même quand elle se détache du bien immuable[Dieu] dans lequel elle doit se complaire plusqu’en elle-même. Mais ce détachement est voulupar elle, car si la volonté était restée ferme dansl’amour du bien suprême et immuable [Dieu] quiéclaire pour faire voir et enflamme pour faireaimer, elle ne s’en serait pas éloignée pour se plai-re à elle-même et rester ainsi obscurcie et engour-

die. La femme n’aurait pas cru aux paroles duserpent et l’homme n’aurait pas préféré l’invita-tion de sa femme au commandement de Dieu » 34.

Le péché consiste donc en la volonté du sujetd’agir contre le Commandement, de violer unordre établi par Dieu. L’élément subjectif (l’inten-tion, la volonté) et l’élément objectif (le vulnus, laviolation de l’ordre) se rencontrent. Mais il s’agitde la violation consciente d’un ordre moral, établipar Dieu. D’un ordre moral, et non de la violationde l’unité du genre humain 35. Cette unité consti-tue peut-être une donnée de fait, puisque nousavons tous été créés par Dieu, mais elle ne consti-tue pas une valeur, capable d’absorber en soit lanotion même du péché, jusqu’à faire considérerque le but même de la Rédemption serait « lerétablissement de l’unité perdue », parce que lepéché, « à la racine », aurait consisté en son« fractionnement », en la « division » deshommes.

Un tel point de vue, en plus d’être contradictoi-re en lui-même parce qu’il confond la nature dupéché avec ses conséquences, apparaît aussicontraire au dogme de la foi. En effet, il est de foiqu’une partie de l’humanité ne se sauvera pas etira par sa faute à la damnation éternelle (Mt. 13,30; 24, 40-41; 25, 31ss; Rom. 9, 15ss; Ap. 20,15). Cela démontre que Notre-Seigneur ne s’estpas incarné pour rétablir l’unité perdue originelledu genre humain. Il est venu au monde pour sau-ver les pécheurs, en les convertissant grâce àl’œuvre de l’Église fondée par lui, seule arche dusalut, au sein de laquelle uniquement peut êtreréalisée cette unité qui fournit à chacun les instru-ments indispensables pour son salut personnel.Dans la Sainte Église, et non dans le genrehumain. Le jour du jugement, le bon grain seraséparé de l’ivraie, et dans la vie éternelle les deuxCités se sépareront : l’humanité restera diviséepour toujours, entre élus et réprouvés, paradis etenfer.

Ces simples vérités de foi, qui semblent aujour-d’hui oubliées, ou que l’on veut en tout cas tou-jours passer sous silence au nom du faux œcumé-nisme dominant, démontrent sans équivoquequ’attribuer à la Rédemption et donc à l’Église lafin de « rétablir l’unité du genre humain », en tantque tel, sans même le convertir au Christ, nesignifie pas autre chose que prôner une versionmise à jour de l’utopie millénariste.

4.2 Une notion obscure du JugementLe fait que Spe Salvi dépende de l’herméneu-

tique de de Lubac est également confirmé, à notreavis, par le fait que dans l’Encyclique aussi, lejugement final et la division éternelle entre bien-heureux et damnés disparaissent de fait.

En effet, comment l’Encyclique nous représen-te-t-elle le jugement? Du jugement individuel,aussitôt après la mort, elle ne dit rien. Sur le juge-ment universel, elle s’exprime ainsi : « L’imagedu Jugement final est en premier lieu non pas uneimage terrifiante, mais une image d’espérance;pour nous peut-être même l’image décisive del’espérance. Mais n’est-ce pas aussi une image decrainte? Je dirais : c’est une image qui appelle àla responsabilité. Une image, donc, de cette crain-te dont saint Hilaire dit que chacune de noscraintes a sa place dans l’amour 36. »

Que cette explication du Jugement nous donneune claire notion de ce qu’il est, nous n’osonsl’affirmer, sans vouloir offenser le saint Père, qui

du reste, plus qu’enseigner une doctrine certaineet immuable – la chose a été remarquée – semblevouloir proposer ses interprétations personnelles.Il semble vouloir éliminer du Jugement touteimage « de crainte », en se servant même d’uneréférence à saint Hilaire qui, pour le commun deslecteurs, semble assez obscure. Quoi qu’il en soit,il semble que l’« image » que nous devons avoirdu Jugement ne doit pas être une image de crain-te, si le Jugement est « peut-être même l’imagedécisive de l’espérance ». Mais comment fait-onpour ne pas avoir une image « de crainte » duJugement ? Même les saints craignaient lemoment où ils allaient se trouver face à face avecNotre-Seigneur, juste après leur dernier soupir,pour lui rendre compte de toute leur vie. Et ceuxqui meurent dans le péché, comment feront-ilspour ne pas avoir une image « de crainte » duJugement? Et combien de fois est-il arrivé quedes personnes proches de la mort, surtout si ellesétaient incroyantes, aient été assaillies par la ter-reur de la mort précisément parce qu’elles sen-taient tout à coup – et il était tard pour y remédier– qu’elles allaient bientôt rencontrer ce Jugeinfaillible qui allait décider pour toujours de leurdestin?

Mais en plus de l’espérance, le jugement est« une image qui appelle à la responsabilité ». Onsuppose qu’il s’agit de notre responsabilité. Etc’est pour cette raison qu’il serait « l’image déci-sive de l’espérance »? De l’espérance en le salut,évidemment. L’Encyclique établit ici un lien entre« espérance » et « responsabilité », et elle l’établità propos de l’image du jugement. Image ounotion? Derrière l’image, il doit bien y avoir unenotion, une idée. Et en effet, il y en a une, depuistoujours. Le jugement est l’acte par lequel uneautorité, souveraine par rapport à celui qui estjugé, décide des biens matériels ou spirituels dece dernier ou de sa vie. Le Jugement de Notre-Seigneur se distingue des jugements terrestresparce qu’il a lieu pour l’âme juste après la mortdu corps et à la résurrection, qu’il est irrévocable,et que ses effets durent pour toujours. Sa sentenceest juste par définition, irrévocable définitive,éternelle. Comment peut-on appeler à notre res-ponsabilité? Selon la logique inhérente à la notionmême de jugement, en tant que responsabilitépour nos actions, si bien que l’éventuel jugementde condamnation ne peut s’attribuer qu’à nosfautes.

Mais cela ne semble pas être le sens du discoursdu Pape. Comme dans l’Encyclique on ne parle nide péché ni de pécheurs au sens traditionnel, demême il n’est pas rappelé que c’est justement lefait d’imputer nos actions à nous-mêmes, en tantqu’êtres dotés de libre arbitre, qui nous rend res-ponsables de leurs éventuelles conséquencesnégatives, y compris la condamnation éternelle.La notion de l’enfer est même très diminuée parle Pape, au point de la faire pratiquement dispa-raître. L’enfer ne serait même pas un lieu (surna-turel, s’entend), mais la façon d’être de certainespersonnalités terribles de l’histoire en qui « toutest devenu mensonge », qui ont « vécu pour lahaine et qui en elles-mêmes ont piétinél’amour » 37. Mais de cette façon, l’enfer ne perd-il pas complètement sa dimension eschatologique.Qu’en reste-t-il? Quel est alors le sens du dis-cours du Pape? Celui-ci veut nous donner l’imagedu jugement comme de « ce qui appelle à la res-ponsabilité », sans toutefois indiquer commentcette responsabilité doit être comprise, étantdonné que l’on ne parle plus du jugement decondamnation.

En réalité, il faut bien le dire, on n’arrive pas à32. Op. cit.33. ATHANASE D’ALEXANDRIE, Contre les païens, in Id.,Contre les païens et sur l’Incarnation du Verbe, intr., tr. fr. etnotes du P. Th. Camelot, o.p., Les éditions du Cerf, Paris,1947, pp. 116-117.

34. SAINT AUGUSTIN, Cité de Dieu, XIV, 13, 1.35. Cf. HÉRIBERT JONE, Précis de théologie morale catholi-que, Salvator, Mulhouse, 1941, n. 96 : « Le péché est unetransgression volontaire d’une loi divine ».36. Spe Salvi, art. 44. 37. Spe Salvi, art. 45.

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Courrier de Rome8 Septembre 2008

COURRIER DE ROMEÉdition en Français du Périodique Romain

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comprendre quelle est la logique qui sous-tend lesnotions utilisées ici dans l’Encyclique. Le Juge-ment (tout jugement) n’est ni image, ni responsa-bilité : c’est l’acte d’un juge qui applique unerègle. Dans notre cas, c’est la sentence définitived’un Souverain qui est la deuxième Personne dela très sainte Trinité 38. Quoi qu’il en soit, faired’un jugement « l’image qui appelle à la respon-sabilité », cela semble pour le moins obscur.

4.3 Le seul jugement est celui du salutUne fois disparu l’enfer comme lieu de l’éter-

nelle damnation consécutive au jugement, quereste-t-il ? Seulement le Paradis, c’est-à-dire lesalut « communautaire » du genre humain en tantque tel, après purification au purgatoire. L’Ency-clique semble en effet proposer à la fin cette idéedu salut.

Le Pape reprend le passage de 1Cor. 3, 12-15,considéré depuis toujours comme un des textesrévélés qui démontrent l’existence du purgatoire.Dans ce texte, saint Paul (selon l’interprétationtraditionnelle) affirme que les mauvais prédica-teurs de l’Évangile, ceux qui recourent aux petitsmoyens du savoir humain, au « jour du Seigneur »(qui est le jour du Jugement), verront « brûler »leur « œuvre » (construite par leur mauvaise pré-dication), car celle-ci est composée de matériauxvils comme le bois, le foin, la paille; tandis quel’œuvre construite avec des matériaux précieuxrésistera au crible. Toutefois ceux-là seront sauvésmais « à travers le feu », c’est-à-dire après avoirété purifiés dans le purgatoire. Le Pape interprètede façon plus étendue, en ce sens qu’il attribue lesens de ces péricopes à l’homme en général.« Dans ce texte, en tout cas, il devient évident quele sauvetage des hommes peut avoir des formesdiverses; que certaines choses édifiées peuventbrûler totalement; que pour se sauver il faut tra-verser soi-même le “feu” afin de devenir définiti-vement capable de Dieu et de pouvoir prendreplace à la table du banquet nuptial éternel 39. »

Le « feu » dont parle le texte, est-ce le feu puri-ficateur du purgatoire? Il devrait l’être. Toutefois,nous sommes étonnés d’apprendre que ce « feu »serait le Christ lui-même! Le texte, en effet, pour-suit : « Certains théologiens récents sont de l’avisque le feu qui brûle et en même temps sauve estle Christ lui-même, le Juge et Sauveur. La ren-contre avec Lui est l’acte décisif du Jugement.Devant son regard s’évanouit toute fausseté. C’estla rencontre avec Lui qui, en nous brûlant, noustransforme et nous libère pour nous faire devenirvraiment nous-mêmes. Les choses édifiées durantla vie peuvent alors se révéler paille sèche, vantar-dise vide et s’écrouler 40. »

Le Pape semble adopter l’opinion de certainsthéologiens, dont il ne donne pas le nom, selonlesquels le « feu » dont parle saint Paul serait leChrist lui-même. Pas de purgatoire, donc ? Le« feu » est de toute façon le feu de la rencontreavec le Christ, qui « nous brûle », faisant s’éva-nouir toute fausseté, et nous faisant devenir« vraiment nous-mêmes ». Il s’agit alors d’unnouveau feu idéal. Et cette rencontre « est l’actedécisif du jugement ». Nous avons ici une nouvel-le définition du jugement : c’est la rencontre avecle Christ. Définition insuffisante, nous semble-t-il, puisqu’on ne peut dire d’aucun jugement queson acte décisif soit constitué par la simple ren-

contre entre l’accusé et le juge. L’acte décisif d’unjugement reste la sentence, qui est l’aboutisse-ment de ce que nous appelons « jugement ».

Mais, à part les insuffisances sur le plan de lalogique, ce que le texte veut dire semble clair : lejugement est la rencontre finale avec le Christ qui,comme un feu libérateur, nous transforme et nouslibère, en nous faisant devenir vraiment nous-mêmes. Le Christ qui nous « juge » ici ne rappel-le-t-il pas le Christ à fond gnostique de l’art. 22 deGaudium et spes, qui s’est incarné pour « révélerl’homme à lui-même » et pour manifester « satrès haute vocation »? Il est clair qu’un « juge-ment » de ce genre ne condamnera jamais person-ne. On comprend alors pourquoi le Pape a dit, audébut de son raisonnement, que le jugement « estl’image décisive de l’espérance ».

Et le fait que ce jugement ne soit pas et ne puis-se pas être un jugement de condamnation apparaîtde façon évidente, à notre avis, dans la suite dutexte. Dans notre rencontre avec le Christ, il y aaussi de la « douleur » parce que « l’impur et lemalsain de notre être nous apparaissent évi-dents ». Douleur, non pas parce qu’il y a une sen-tence irrévocable de condamnation à notre égard,mais douleur, parce que le regard du Christ nousdévoile nos impuretés. Et il ne nous condamnepas ? Mais c’est précisément dans cette« douleur », affirme le Pape, que « se trouve lesalut ». Et comment? Parce que le « regard » duChrist, « le battement de son cœur, nous guéris-sent grâce à une transformation assurément dou-loureuse, comme “par le feu” [le Pape reprendl’image de 1Cor. 3, 12-15] ». Cependant, « c’estune heureuse souffrance, dans laquelle le saintpouvoir de son amour nous pénètre comme uneflamme, nous permettant à la fin d’être totalementnous-mêmes et par là totalement de Dieu » 41.

L’interprétation la plus évidente de ce passagenous semble être la suivante : en nous libérant denos impuretés par son regard qui pénètre en nouscomme une flamme ardente, Notre-Seigneur,dans l’acte « décisif » du jugement, nous rend ànous-mêmes et par cela même nous permet d’être« totalement de Dieu » c’est-à-dire sauvés. Pas decondamnation, donc.

Il nous permet d’être totalement nous-mêmes, ilnous révèle à nous-mêmes, dans le sens d’uneprise de possession de ce qui doit être considérécomme la nature originelle de l’homme, tel queDieu l’avait créé, une fois notre impureté dissoutepar la flamme ardente du « regard » du Christ?C’est ce qu’il semble. Si telle est l’interprétationexacte, alors il faut dire que le Magistère actuel amis définitivement entre parenthèses le dogme dupéché originel.

Cette interprétation, qui exclut du Jugement lanotion même de condamnation, est sans aucundoute la plus probable, et ceci nous sembleconfirmé par ce que le Pape ajoute tout de suiteaprès : « Ainsi se rend évidente aussi la compéné-tration de la justice et de la grâce : notre façon devivre n’est pas insignifiante, mais notre saleté nenous tache pas éternellement, si du moins noussommes demeurés tendus vers le Christ, vers lavérité et vers l’amour. En fin de compte, cettesaleté a déjà été brûlée dans la Passion duChrist » 42. La Passion de Notre-Seigneur, en« brûlant » notre saleté morale, nous a déjà toussauvés? Le salut a déjà été réalisé pour tous sur laCroix? Introduit-on ici de fait l’erreur du salutobjectif, déjà garanti par l’Incarnation et donc parla Croix, à tous, au genre humain dans sa totalité,puisqu’il constitue une unité?

Cette inquiétante question nous semble justifiéepar la teneur de tout le discours papal. Et le faitque l’Encyclique semble identifier la « brûlure »de notre âme sous le « regard » du Christ avec lepurgatoire, à la doctrine duquel il renvoie en note,vient le confirmer. « Il est clair que la “durée” decette brûlure qui transforme, nous ne pouvons lacalculer avec les mesures chronométriques de cemonde. Le “moment” transformant de cette ren-contre échappe au chronométrage terrestre – c’estle temps du cœur, le temps du “passage” à lacommunion avec Dieu dans le Corps du Christ(cf. CEC, n. 1030-1032) 43. »

Si le Jugement final est le seul qui purifie toutesles âmes de leur « saleté », nous permettant fina-lement d’« être totalement nous-mêmes et par làtotalement de Dieu », nous permettant, comme onl’a dit, de nous sauver, cela signifie que le seuljugement final maintenu par l’Encyclique estcelui qui sauve et non celui qui condamne. Celasignifie aussi que l’image même du Christ juge adisparu de l’enseignement de la Hiérarchie actuel-le, et que la justice n’est plus considérée commel’un des attributs essentiels de la divinité, usurpéepar une miséricorde sentimentale et humanitaire,qui n’a que peu de rapport avec le Catholicisme.

Cette doctrine personnelle de Joseph Ratzingersur les fins dernières, découlant de l’herméneu-tique de la rupture d’un de Lubac, ne conduit-ellepas à une herméneutique en rupture avec l’ensei-gnement de l’Église de toujours, avec l’authen-tique Tradition de l’Église?

Canonicus

38. P. JEAN-DOMINIQUE, O.P., Spe Salvi à la lumière de la Tra-dition, in Le Chardonnet, avril 2008, pp. 7-9; p. 9. Cet articlemet bien en relief le caractère personnel des enseignementsproposés dans Spe Salvi : la confusion entre foi et espérance,entre naturel et surnaturel, les définitions particulières duJugement, la mise de côté de l’idée de l’enfer.39. Spe Salvi, art. 46.40. Spe Salvi, art. 46.

41. Spe Salvi, art. 47.42. Ibid.

43. Ibid. Les numéros du CEC indiqués concernent précisé-ment “La Purification finale ou Purgatoire”.

septembre 2008 compressØ tnr ps.qxp 19/09/2008 12:08 Page 8

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s ì s ì n o n o« Que votre OUI soit OUI, que votre NON soit NON, tout le reste vient du Malin »

(Mt 5, 37)

Le numéro 3€

Octobre 2008Mensuel - Nouvelle SérieAnnée XLII n° 315 (505)

VIIIe CONGRÈS THÉOLOGIQUE de SÌ SÌ NO NO

En partenariat avec l'Institut Universitaire Saint Pie X et D.I.C.I.L'ÉGLISE AUJOURD'HUI : CONTINUITÉ OU RUPTURE ?

SOUS LA PRÉSIDENCE DE S.E. MGR BERNARD FELLAYSUPÉRIEUR GÉNÉRAL DE LA FRATERNITÉ SACERDOTALES SAINT PIE X

2 Janvier 2009, église Saint-Nicolas du Chardonnet, salle des catéchismes3 et 4 Janvier 2009, Palais de la Mutualité, salle Jussieu

(Inscriptions possibles chaque matin sur place à partir de 8h30)

1) PRINCIPES ET MÉTHODE D’UN NOUVEAU DISCOURS (Vendredi 2 janvier 2009 de 14h00 à 17h30)• Joseph Ratzinger. Théologien, Cardinal, Pape : rupture ou continuité ? Abbé François. Knittel• Pour une critique de l'herméneutique philosophique. Prof. Paolo Pasqualucci• Comprendre la crise. Le tournant herméneutique de la théologie contemporaine. Dott.sa Luisella Scrosati

2) LES POINTS NÉVRALGIQUES DE CE NOUVEAU DISCOURS (Samedi 3 janvier de 9h00 à 12h00)• La définition et l'unicité de l'Église - À propos de la Note doctrinale sur le subsistit in du 11juillet 2007. Abbé PhilippeBourrat • La mission de l'Église - À propos de la Note doctrinale sur quelque aspects de l'évangélisation du 3 décembre 2007. Abbé AlvaroCalderon• La royauté sociale de Notre Seigneur - À propos des discours de Benoît XVI, du contresyllabus à la laïcité positive. Abbé Jean-MichelGleize

3) L'ÉGLISE AUJOURD'HUI (Samedi 3 janvier de 14h00 à 17h00)• Un Pape pour deux Églises ? Abbé Alain Lorans•De l'humilité chretienne à une Église humiliée. Prof. Matteo D'Amico• Pricipe et fondement de notre combat. Abbé Niklaus Pfluger

4) CONCLUSION ET SYNTHÈSE (Dimanche 4 janvier de 14h00 à 17h00)• Témoignage. Abbé G. Castelain• Situation de la Messe dans l'Église après le Motu Proprio. Abbé Emmanuel du Chalard• Conclusion. S.E. Mgr. Bernard Fellay

RAHNER EST PASSÉ, RESTENT LES RAHNÉRIENSLe jésuite allemand Karl Rahner (Fribourg

1904 – Innsbrück 1984) a été la figure domi-nante de la nouvelle théologie et de tout lescénario de réélaboration théologique du XXe

siècle : avant, pendant et après le ConcileVatican II. En effet Rahner, bien qu’il soit unépigone de Lubac, est toujours la source àlaquelle les auteurs actuels puisent, sinontoutes leurs affirmations, du moins leurs prin-cipes d’inspiration ; c’est pourquoi il estacclamé tel un nouveau « princeps theologo-rum et doctor communis 1 » un nouveau saintThomas, en somme.

Nous parlons de « pensée théologique »parce que le système monolithique rahnérienne touche pas seulement les contenus doctri-naux, mais la façon même de concevoir et defaire de la théologie, qui, si elle est altérée,conduit à revoir complètement le Depositum

Fidei à la lumière des nouveaux présupposés.Ceux-ci impliquent :

a) le rejet idéologique des présupposés tra-ditionnels, parce que « dépassés », ne répon-dant plus aux « exigences de l’hommecontemporain » et n’étant plus conformesaux principes adoptés par les philosophies

1. D. BERGER, Abschied von einem gefährlichenMythos. Neue Studien zu Karl Rahner, in « Divini-tas. Revue internationale de recherche et de critiquethéologique », 46 (2003) 1, pp. 68-69. Berger, parle principe de correspondance entre la doctrine d’un

théologien et sa conduite morale, met en lumièredes aspect négatifs entre autres sur la figure humai-ne et personnelle de Rahner.

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Courrier de Rome2 Octobre 2008

modernes avec leurs différentes conceptionsdu réel 2 ;

b) une notion évolutive de la foi et de lavérité, comme si celles-ci étaient une conquê-te progressive de la pensée humaine, chan-geables comme un vêtement ;

c) le résultat qui s’ensuit en toute logiqueest la fondation, de fait, d’une nouvelle reli-gion sur des bases rationalistes et anthropo-centriques, dans laquelle la notion de Révéla-tion semble vaine et inutile, comme le spectreflottant d’un cadavre gênant.

Pour comprendre à quel point le systèmede Rahner est étendu et ramifié, ne laissantintacte aucune partie du Saint Dépôt, il suffitde jeter un coup d’oeil à la masse de l’ency-clopédie théologique qu’il prépara et àlaquelle il donna le nom de « Sacramentummundi », à ses nombreuses contributions àune autre encyclopédie du même genre, «Mysterium salutis », ainsi qu’à ses « ÉcritsThéologiques », ses « Nouveaux Essais », etau « Cours fondamental sur la foi ».

Notre revue s’est déjà occupée à plusieursreprises de Lubac ; mais elle a rarementconcentré son attention directement sur Rah-ner, malgré son énorme influence. C’est ceque nous souhaitons faire à présent.

Pourquoi considérons-nous que la théologierahnérienne est extrêmement dangereuse dansle contexte de la dévastation sauvage que lafoi catholique subit depuis quarante ans ?

Première réponse : parce que le courantdont Rahner fut le plus grand champion estplus sournois, apparaissant aux yeux de laHiérarchie comme presque « modéré », com-

paré à d’autres courants plus extrémistes (parexemple la théologie de la libération, lapensée de Hans Küng et celle de Enzo Bian-chi, « prieur » du « monastère » œcumé-nique de Bose, ou encore les théologies pen-tecôtistes auxquelles se réfèrent les mouve-ments charismatiques), et qu’elle peut doncrépandre ses erreurs avec plus de facilité.Cette opinion était entre autres, en sontemps, celle du cardinal Giuseppe Siri, quiconfia à son biographe, le journaliste BennyLai :

« Je crois qu’avec le Synode (ndr : le Syno-de des évêques de 1985 convoqué pour réflé-chir sur vingt ans d’application de Vatican II)le Pape essaiera de mettre de l’ordre. Je pensequ’il est convaincu que les malheurs de l’É-glise viennent de ce qu’ont dit et fait, après leConcile, de nombreuses personnes. [...] Leplus dangereux des théologiens - je le lui aidit - n’est pas Hans Küng, car il soutient desthèses tellement extravagantes que personnen’y croit. Le plus dangereux est le jésuiteKarl Rahner, qui écrit très bien et qui a l’aird’être orthodoxe, mais qui a toujours soutenuqu’il faut une nouvelle théologie. C’est-à-direune théologie qui mette Jésus de côté et quiconvienne à notre siècle 3. »

D’autres spécialistes se font l’écho du car-dinal Siri, expliquant les raisons de sa phrase« [Rahner] a l’air d’être orthodoxe » :

« Beaucoup de passages rahnériens, sortisde leur contexte, peuvent indubitablementêtre interprétés de façon orthodoxe ; mais sinous les replaçons dans le contexte général desa pensée, ils montrent leur charge destructri-ce. Il a en effet l’habitude de maintenirpresque tous les termes du langage tradition-nel, mais en leur donnant dans d’autres cir-constances un sens gnostico-idéaliste, si bienqu’en lisant un passage donné et en y trou-vant ces termes, on a l’impression de se trou-ver face à une proposition correcte, mais si onvérifie ce que Rahner entend réellement parces termes, on découvre sa véritable pensée.Une façon habile de nuire sans se faire remar-quer. Dans la mesure où la pensée rahnérien-ne est vraiment comprise et mise en pratique,ses fruits ne peuvent être qu’empoisonnés[...]. En outre, bien que Rahner passe pourun innovateur et un pionnier, en réalité l’É-glise a déjà condamné ses erreurs lorsqu’ellea condamné l’ontologisme, le panthéisme etce mélange de rationalisme hégélien et dechristianisme qui fut l’œuvre, dans l’Alle-

magne du XIXe siècle, de théologiens catho-liques comme Hermes, Günter et Froh-schammer 4 » ;

« La méthode de Rahner doit être comparéeà une instillation de substances corrosives :attaquer la foi authentique en la Vérité révélée,instillant progressivement, goutte après goutte,de petits doutes insidieux, mélangés à unemasse substantiellement bonne en soi 5. »

Deuxième réponse : parce qu’en réalité lathéologie de Rahner a été officialisée etconsacrée par le concile Vatican II lui-même,dont il fut, avec d’autres, l’un des principauxartisans, travaillant dans les coulisses, cachépar l’autorité des Pères conciliaires 6.

Enfin, nous trouvons la troisième réponsedans l’exhaustivité systématique de cet auteurprolifique, dont nous allons maintenantesquisser un rapide résumé 7 de la pensée,avec pour prémisse le fait que l’importancede la production de Rahner ne permet pasfacilement de définir un centre unitaire autourduquel puissent être reliés les contenus, maisqu’elle est plutôt polycentrique, si bien qu’ilsera préférable de n’en développer que

2. Ici apparaît le « virage copernicien » effectué,avant la nouvelle théologie, par le modernisme clas-sique et par la théologie libérale qui fleurit au seindu protestantisme entre la fin du XVIIIe siècle et lesannées 50. D’après ce virage, que nous pourrions, àla lumière de ce qui l’a suivi, appeler « existentialis-te », la Vérité Révélée n’est plus un Corpus défini,extrinsèque à l’homme, communiqué par Dieu dansson Verbe Incarné et transmis dans la TraditionApostolique, à laquelle l’homme est tenu de prêterson « plenum intellectus et voluntatis obsequium »(Conc. Vat. I, Const. Dogm. « Dei Filius », D.3008), mais elle serait plutôt l’aboutissement d’unerecherche vitale qui fait adhérer l’intelligence à desmotions diverses (selon le courant philosophico-théologique de référence) : expérience intérieure,sentiment religieux, exigences contingentes àcaractère social, etc., bien évidemment décon-nectées de toute objectivité et donc, en dernière ana-lyse, de l’être, de la chose en soi, de Dieu qui révèleet de sa volonté éternelle, créatrice et ordonnatricetant de l’ordre ontologique que de l’ordre gnoséolo-gique. La vérité est à l’intérieur de l’homme, maisnous sommes ici au pôle opposé par rapport au «Maître intérieur » de saint Augustin. Celui-ci étaitl’action de Dieu dans l’âme (Dieu source de lavérité), celles-là sont les élucubrations de l’hommeavec sa raison et sa volonté faussées par les effets dupéché originel (l’homme mesure de toutes choses).L’idée que la Scolastique soit « dépassée » etinadaptée trouve déjà sa condamnation dans le Syl-labus, d. 2913, et dans Humani Generis, D. 3883 et3894.

3. B. LAI, le Pape non élu. Giuseppe Siri, Cardinalde la Sainte Église Romaine, Laterza, Bari 1993, p.291 note 20. Hélas toutefois, les illusions que Siri sefaisait sur Jean-Paul II ne se sont jamais réalisées.Le cardinal archevêque de Gênes consacra à Rahnerun chapitre entier dans son ouvrage Gethsémani.Réflexions sur le Mouvement Théologique Contem-porain, Ed. Fraternité de la Bienheureuse ViergeMarie, Rome 1980, pp. 67-86, ouvrage que BennyLai, bien qu’il fût « un journaliste laïc qui ne prove-nait pas des milieux catholiques », comme il sequalifiait lui-même, définissait, dans la page d’oùest extrait le passage cité ci-dessus, comme « uneétude sur les tentations hérétiques de la penséethéologique contemporaine ».

4. D. BERGER, Abschied von einem gefährlichenMythos…, cit.5. A. M. APOLLONIO, Remarques critiques sur lamariologie de Karl Rahner », in Fides Catholica 2(2007) p. 424.6. Paroles d’un vétéran du progressisme extrême, lecardinal Lehmann, non suspect de « factiosité » àl’égard de Rahner (bien au contraire) : « Le Concileconvoqué par le Pape Jean XXIII était désormaissur le point de commencer ses travaux. L’esprit deKarl Rahner et sa voix reconnaissable entre toutesétaient craints dans les milieux ultraconservateurs[...] L’histoire de l’influence exercée par Karl Rah-ner sur le Concile Vatican II est encore à écrire. Sonimportance ne vient pas seulement du type de colla-boration qu’il apporta au cours des débats conci-liaires, mais bien plus de la très large diffusion desa pensée théologique qui dès avant le Concilecontribua à préparer l’esprit de ces assises de l’É-glise. En vertu de cette « autorité », il réussit plu-sieurs fois, avec Y. Congar, E. Schillebeeckx, J. Rat-zinger, H Küng et d’autres, à faire sauter certainsschémas soigneusement préfabriqués et à présenterdes perspectives théologiques plus libres. Les cardi-naux F. König et J. Dopfner les comptaient parmileurs conseillers. Les nombreuses interventionsqu’il fit devant les différentes conférences épisco-pales sur la thématique conciliaire l’accréditèrentcomme consultant discret de très nombreux pères. »K. LEHMANN, Karl Rahner, in R. Vande Gucht – H.Vorgrimler, Bilan de la théologie du XXe siècle. IV.Portraits de théologiens, Città Nuova, Rome 1972,pp. 151-152.7. Un opuscule de vulgarisation utile : L. VILLA,Karl Rahner, éd. Civiltà, Brescia. Pour uneensemble de vues plus purement théologiques, lireles pages de « Gethsémani » rappelées précédem-ment, et le numéro 2/2007 de la revue « FidesCatholica » éditée par le Séminaire théologique «Immacolata Mediatrice » (qui publie les actes ducongrès « Karl Rahner : une analyse critique »,qui s’est tenu à Florence la même année) aux pp.261-458. Pour ne pas abuser de l’espace que laRédaction met à notre disposition, nous renvoyons à

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Courrier de RomeOctobre 2008 3

quelques points fondamentaux.

1. HORIZONS PHILOSOPHIQUES ET

CONNAISSANCE THÉOLOGIQUE

Dans le sillage de P. Rousselot et M. Hei-degger, Rahner, tout en affirmant vouloirrester éloigné des conclusions extrêmes dukantisme et de l’idéalisme, avec le refus dela tradition scolastique « objectiviste »,essaie de trouver une voie médiane entrecette dernière et la philosophie transcendan-tale immanentiste moderne (donc avec lacentralité, dans le processus cognitif, nonplus de la res extérieure au sujet, mais dusujet et de son Moi transcendantal a priori) 8.Et, comme instrument de la connaissancethéologique, elle écarte l’analogia entiis dela métaphysique classique, lui substituantl’analogia fidei du calviniste K. Barth, soncontemporain et ami. Rahner ne se déclarepas antimétaphysique, mais il voudraitsimplement « moderniser » la métaphy-sique en la plaçant dans une perspectiveidéaliste et historiciste, sans se rendre comp-te, ou feignant de ne pas se rendre compte,que ce faisant il nie à la racine la métaphy-sique elle-même. La métaphysique, en effet,puisqu’elle a pour objet dernier l’être et enparticulier les essences, le nécessaire, estdénaturée quand elle est enfermée dans lesméandres de la conscience et de l’histoire ;par un malheureux paradoxe, l’histoire finitpar être presque, en un certain sens, l’ «absolu » de Rahner, dans la mesure où ellefournit à la conscience les grilles mentalespour conceptualiser l’expérience et laconnaissance transcendantales ; aussi et sur-tout sur le versant théologique qui resteratoujours « ouvert à l’ultérieur », c’est-à-direexposé à toutes les intempéries culturellespossibles à la pensée humaine nous laissantcomme « des enfants ballottés par les flotset emportés çà et là à tout vent de doctrineau gré de la fourberie des hommes et de leurastuce à machiner l’erreur » selon l’avertis-sement de saint Paul (Éph. 4, 14).

Le philosophe Cornelio Fabro, dans unouvrage qui démasque les ascendants idéa-listes et existentialistes de Rahner, identifie entrois points les distorsions que celui-ci pré-tend imposer à la pensée thomiste : « 1)l’identité entre [l’acte de] comprendre, lachose comprise et l’acte de “esse” [être], 2)l’unité de sensibilité et intelligence, et enfin 3)l’unité-identité d’objet-sujet. » Rahner « ade plus déformé les textes thomistes etdéformé les contextes en en renversant lesens. Ainsi, à ce prix, il pense avoir démontréla priorité du verum sur l’ens, c’est-à-dire lasubordination du transcendant absolu de lamétaphysique de l’être au transcendantal derelation de l’a priori de connaissance » etveut « accorder Kant et saint Thomas lui-même avec Heidegger, et faire confluer l’ac-tus essendi thomiste avec la “présence deconscience” du Dasein heideggerien » ; « ilopère la réduction de la philosophie et mêmede la métaphysique à l’anthropologie trans-cendantale 9. »

L’histoire est le contenant où « advient »,en plusieurs étapes, ce qui pour Rahner seraitl’essence même de la Révélation : « l’expé-rience transcendantale du salut ». L’histoireest ainsi une intrication de verba et facta Deiqui porteraient l’homme vers un vague « salut», sans autre précision ; c’est ensuite à l’hom-me de réélaborer cette expérience transcen-dantale avec les catégories conceptuelles tou-jours contextualisées à sa sensibilité culturel-le. Rien d’objectif, donc, sauf le fait que Dieunous aime et s’emploie à nous sauver ; tout lereste, c’est-à-dire dogmes, sacrements, règlesmorales, ne sont que le pompeux apparat quisert d’ornement à la réponse de l’homme,apparat variable suivant que cette réponse estmodulée sur de nouveaux registres culturels :Rahner, en bon moderniste, les déclare facul-tatifs, n’ayant qu’une valeur indicative : enchangeant les registres, les formes ancréesdans les registres précédents n’auraient plusde raison de demeurer 10 ; et, pour se débar-rasser des dogmes, Rahner a recours à l’es-camotage habituel qui consiste à distinguerun « contenu » présumé de son « habillagelinguistique » 11 (en effet, il propose unelibre « recherche théologique », faisant abs-traction des dogmes et du Magistère, et quiservirait même de « magistère » au Magistè-re). De là procède toute sa façon de faire dela théologie : c’est une « théologie de l’his-

toire et par l’histoire », qui réfléchit surl’expérience salvifique à la lumière des« exigences » du temps 12 ; la théologie doitseulement donner une réponse à ces exi-gences, une réponse positive, mais jamaisdéfinitive parce que toujours in fieri, qui lais-se toujours la possibilité de bien espérer. LaRévélation « historique » devient seulementune ligne d’interprétation (heureusement« importante ») de la transcendantalité del’expérience salvifique. La grande faute de laScolastique consiste, pour Rahner, à avoir aucontraire « inventé » un « système objective-ment préconstitué », « scellé hermétiquement», qui, en rognant les ailes à la libre pensée,rend l’homme esclave des catégories concep-tuelles obsolètes, en vogue pendant le basMoyen-Âge. C’est ce que les nouveaux théo-logiens, y compris leurs précurseurs protes-tants, contestent au Magistère de l’Église,d’Érasme et Luther à nos jours.

Rahner repousse aussi la fondation de la foiselon l’apologétique classique, vision trop« extrinsèque » et pas assez existentielle à songoût. Ainsi, la crédibilité de la Révélation estdue à une synthèse, c’est-à-dire au fait deconstater la correspondance entre l’événementhistorique et l’espérance transcendantale, pré-sente depuis toujours en chaque homme. Ilvoudrait même que l’on renonce au langagearistotélico-thomiste traditionnel, qu’ilconsidère comme falsifiant la Révélation,pour revenir au langage biblique, auquel ilattribue une contiguïté avec le langage exis-tentialiste (en réalité, comme chacun sait, laBible sans la Tradition et le Magistère est faci-lement manipulable par n’importe qui) : «Dans le système théologique de Rahner, onobserve un clair relativisme théologique,c’est-à-dire un net éloignement de l’unique“sujet-Église” [...] pour laisser la place auseul sujet croyant comme auditeur et interprè-te isolé de la Parole 13. » Il déclare que l’Égli-se doit se rendre au pluralisme séculariste et sel’approprier 14, chose qui hélas est réellementen train d’arriver dans l’enseignement acadé-mique de la théologie dans les séminaires,dans les Universités Pontificales, et dans lesdifférents Instituts théologiques, où le systèmethomiste est ridiculisé lorsqu’il n’est pasignoré, et où le dogme est enseigné en lui attri-buant l’importance d’une... opinion.

Évidemment, tandis que la Scolastique,avec ses instruments philosophiques réalistes,utilise les notions qui adhèrent au vrai, dans lamesure où les termes peuvent servir à expri-mer les réalités divines (analogia entis), laperspective rahnérienne renverse la perspecti-ve catholique 15, à savoir le fait que Dieu crée

ces ouvrages les lecteurs souhaitant trouver de nom-breuses citations littérales, dont nous ne pouvonsdonner qu’un résumé. Les lignes généralementcommunes de la nouvelle théologie, et son arrière-plan gnostique, millénariste, pélagien et new age,pourront être approfondies dans le magistral ouvra-ge de P. PASQUALUCCI, Jena XXIII et le Concileœcuménique Vatican II », éd. Ichthys, AlbanoLaziale 2008.8. Chose bien évidemment impossible, étant donnél’incompatibilité des deux philosophies : la philoso-phie moderne naît avec l’intention explicite demettre la métaphysique de côté. Voir le simple titred’une des œuvres les plus indicatives de Kant :« Rêves d’un visionnaire éclaircis par les rêves dela métaphysique. » (1766). Mais Kant abusera par lasuite du mot « métaphysique », lui retirant sonsens classique pour indiquer sa gnoséologie man-chote et boiteuse. La chimère visant à concilier laphilosophie scolastique et la philosophie moderne adéjà été condamnée par l’Autorité ecclésiastiquedans le rationalisme, chez Möhler et l’école deTubinge, chez Blondel, Rousselot, dans le moder-nisme (Saint Pie X, Pascendi) et dans le néomder-nisme (Pie II, Humani Generis).

9. C. FABRO, Le virage anthropologique de KarlRahner, Rusconi, Milan 1974 pp. 5-6 et 9.10. Par exemple, dans une société comme la sociétéactuelle, caractérisée par l’hédonisme le pluseffréné, parler de « sacrifice » devient insignifiant,ou pire, contre-productif sur le plan « pastoral »...donc... Changeons la théologie de la Messe ! Lemot « pénitence » est-il aussi désagréable aux déli-cates oreilles de nos contemporains ? Aucun pro-blème : il suffira de redéfinir comme « réconcilia-tion » le sacrement du même nom, si nous ne pou-vons vraiment pas l’abroger (mais puisque le sensdu péché a à peu près disparu, on pourrait aussi ten-ter ce coup de main).11. Expédient déjà condamné par Humani Generisde Pie XII (D. 3881-3883).

12. Les hommes médiévaux étaient peut-être depauvres malheureux obsédés par le sens de la faute :voilà donc expliquée toute cette théologie du péchéet de la réparation, assaisonnée de spiritualité péni-tentielle...13. S. M. LANZETTA, Karl Rahner : une analysecritique, in Fides catholica 2 (2007), p. 267.14. Cf. ROMANO AMERIO, Iota unum. Études desvariations de l’Église catholique au XXe siècle, NELParis, 1987.15. Il semble que même Fabro se soit impatienté,

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Courrier de Rome4 Octobre 2008

et, après le péché, rachète l’homme pour sapropre gloire (qui en seconde instance coïnci-de avec le salut éternel de l’homme lui-même), et décide librement de lui révéler lesvérités éternelles et les règles morales incon-tournables pour la poursuite du bien, véritéset règles immuables auxquelles, de toustemps, l’homme doit docilement plier sonintelligence et sa volonté.

Dans la philosophie catholique, la véritévient de l’être par la conformité de l’intelli-gence à la chose (adæquatio intellectus adrem, réalisme métaphysique), de Dieu créateuret révélateur, et de l’ordre dans lequel il a dis-posé la création et la rédemption. La vérité estdonc objective est immuable, indépendam-ment de ses destinataires, qui peuvent s’yconformer ou non, dans le cas de l’erreur.Dans la philosophie rahnérienne, au contraire,la vérité est le fruit de la conscience dansl’histoire (historicisme idéaliste), et, dans lecas de la foi, de l’expérience salvifique trans-cendantale et de la réélaboration que l’hommeen fait avec ses instruments gnoséologiques(philosophie transcendantale dans le sens queKant donna à ce terme). La vérité est doncsubjective et existentielle, mise en être par lesujet et finalisée à sa situation contingente.

2. LA THÉOLOGIE DU SALUT SELON RAHNER

Selon la theologia perennis, le centre de laRédemption est toujours le sacrifice de laCroix. Dans l’Ancienne Alliance, Dieu pres-crivait des sacrifices d’animaux et de végé-taux pour qu’ils préfigurent, dans l’ombre del’Ancien Testament, l’unique Sacrifice quiapaiserait validement sa juste indignation etqui conquérrait le trésor de mérites dont pour-raient jouir les élus de tous les siècles. EnDieu, substance simple et infinie, la justice etla miséricorde étant deux attributs coïncidantavec la substance et eux aussi infinis, sansque l’un ne puisse annuler l’autre, il fallait unsacrifice d’une valeur illimitée pour réparerl’outrage fait à l’honneur de la divineMajesté. L’homme, misérable créature, n’au-rait jamais pu compenser une distance siabyssale, le degré de l’offense étant propor-tionné au rang de la personne offensée. C’estpourquoi seul Dieu, la deuxième personne dela Sainte Trinité, était en mesure d’offrir laréparation infinie nécessaire, et elle le fitpoussée par son ardente charité. Toutel’œuvre de la rédemption est finalisée ausacrifice du Christ : par l’Incarnation, Dieuse prépara la matière sacrificielle, c’est-à-dire la très sainte Humanité de Notre-Sei-gneur, par l’Immaculée Conception il préparaune demeure digne de son Verbe, les sacre-ments puisent leur efficacité dans le très pré-cieux Sang répandu sur l’autel de la Croix, latrès sainte Eucharistie renouvelle de façonnon sanglante ce Sacrifice sur nos autels afinque ses mérites nous soient appliqués, et nosmérites eux-mêmes et ceux des saints, en par-ticulier le suprême sacrifice des martyrs,

prennent leur valeur uniquement dans lamesure de leur union au sacrifice de la Croix.

Chez Rahner, tout cela est régulièrementabsent. Étant convenu que l’on ne parle pastant de Rédemption que de salut 16 - il redi-mensionne le péché originel jusqu’à le nier -dans sa pensée théologique, le nouveau centreest l’humanité du Christ, dont la Croix nedevient qu’un épilogue marginal, vite oubliégrâce à la Résurrection (« christologie par lebas », la christologie réduite au superlatif del’anthropologie : c’est pourquoi nousécrivons ici « humanité » avec un h minus-cule, parce que l’idée rahnérienne n’a rien àvoir avec la véritable Humanité de Notre-Sei-gneur, revêtue par le Verbe et unie hypostati-quement à ce dernier) 17. D’après Rahner, leChrist aurait automatiquement sauvé tousceux qui partagent avec lui la nature humaine.

Le problème renvoie à une question pluslarge que nous ne pouvons pas approfondirici, mais que nous ne faisons qu’évoquer : s’iln’y avait pas eu le péché originel, le Christ seserait-il incarné 18 ? Il y a deux courants théo-logiques :

1) le courant classique de saint Anselme etde saint Thomas, qui constatent que l’incarna-tion est un « préliminaire » au Sacrifice, etdonc qu’elle a avec lui une fonction rédemp-trice du péché ;

2) le courant propre à la tradition dogma-tique orientale, corroboré par différents Pères,proposé au Moyen-Âge et aussi par DunsScoto, et remis à la mode avec des orienta-tions hétérodoxes par Lubac et Teilhard deChardin, selon lequel la création de l’hommeaurait été finalisée à l’incarnation du Verbe 19,

et le péché aurait été un incident de parcoursqui l’aurait rendue urgente, et qui aurait renduplus dramatique l’aventure humaine du Christ.

Rahner penche résolument pour le secondcourant, mais avec ses variantes personnelles.En effet, dans ce second courant, la réflexioncatholique n’arrive pas à la conséquence dusalut automatique pour tous. Dans la concep-tion rahnérienne, en revanche, le malheureuxqui déciderait de se damner devrait poser unrefus explicite et déclaré à Dieu, une vie pec-camineuse ne suffisant pas pour se damner,puisqu’il est déjà sauvé au départ (voilà pour-quoi les rahnériens refusent la distinctionentre péché véniel et péché mortel, et préfè-rent à ce dernier l’idée de péché grave nonmortel, c’est-à-dire dans tous les cas insuffi-sant pour se damner ; d’autres plus partagésproposent au contraire le « péché grave »comme troisième voie entre le péché véniel etle péché mortel, mais l’idée a même étédésapprouvée par Jean-Paul II, qui a réaf-firmé un enseignement plutôt traditionnel 20).S’il en était ainsi, tous ceux qui vivent utDeus non detur, c’est-à-dire dans la piretransgression des commandements divins etdes préceptes ecclésiastiques, qui - deman-dons-nous - recevrait sa juste rétribution ?Peut-être seulement les satanistes, qui sont« du côté de l’ennemi » sans équivoque pos-sible. En effet, l’une des conséquences indi-rectes de cette théologie dans le domainemoral est l’assimilation du péché à la seulenotion d’ « égoïsme », c’est-à-dire àl’orientation négative de l’option fondamen-tale 21 (en supprimant l’idée d’offense faite àDieu). Et la conséquence la plus catastro-phique de ce changement est certainement laperte du sens du péché qui désintègre lasociété chrétienne comme la société civile, encausant l’indubitable perdition d’un nombreincalculable d’âmes.

3. PREMIER COROLLAIRE : RÉDUCTION

ANTHROPOLOGIQUE DE LA THÉOLOGIE

De cette finalisation de la création à l’Incar-nation, Rahner tire arbitrairement la déduc-tion extrême que l’homme n’existerait pas etn’aurait jamais existé à l’état purement« naturel », et que ce que la théologie tradi-tionnelle a appelé « surnaturel » serait en réa-lité une ouverture inhérente à la nature del’homme, qui tendrait en soi vers le surnaturel(« existentiel surnaturel », une potentiaobœdentialis non comprise dans le sens tho-miste) ; donc la grâce et l’appel à être sauvéne seraient absolument pas gratuits, maiscomme « dus » à l’homme en vertu de laréceptivité surnaturelle appartenant à la

définissant Rahner « trois fois adhérent et mystifi-cateur : avec Kant, saint Thomas et Heidegger lui- même » et son oeuvre, « contamination ou dépra-vation herméneutique du thomisme », C. FABRO, op.cit. pp. 6 et 10.

16. Des éléments de l’eschatologie rahnérienne peu-vent être trouvés dans K. RAHNER, Théologie del’expérience et de l’Esprit, in Id., Nouveaux Essais,éd. Paoline, Rome 1978.17. Il faut noter que Rahner a une conception moda-liste et adoptioniste de l’Incarnation, il nie la préexis-tence du Christ-Logos, puisque les personnes divinesne seraient pas autre chose que les formes de l’ «exprimabilité de Dieu » (p. ex. son grundaxiom « laTrinité économique et la trinité immanente et vice-versa ») : cf. D. BERGER, Abschied von einemgef¨hrlichem... cit., pp. 97-102 ; P. M. FEHLNER, DeDeo uno et Trino ad mentem Caroli Rahner, in «Fides Catholica » 2 (2007), pp. 389-422. Dieu etl’homme sont thèse et antithèse, et le ChristHomme-Dieu est la synthèse d’un processus qui voitDieu devenir monde et l’homme se diviniser, le toutdans l’histoire élevée et transcendantale (est-ce oun’est-ce pas un prodrome de panthéisme ?). Jésusest l’Homme pleinement « habité » par Dieu, lesLogos n’est pas la Personne de Jésus, mais l’auto-communication du Père en Lui.18. Une étude récapitulative mais complète de cettequestion se trouve dans G. CASALI, Somme de Théo-logie dogmatique, éd. Regnum Christi, Lucca 1964,pp. 436-440.19. Dans la création ad imaginem et similitudinem(Gen. 1, 27), le texte grec des LXX « mcv)gkmÐpc »est traduit par certains auteurs ecclésiastiques «selon l’image », cf. l’écrit très ancien (IIe siècle) « ADiogneto » X..2. Cette image archétypique ne peutêtre que le Logos divin, qui devient ainsi cause exemplaire de l’homme, en plus d’être, comme l’af-

firme la tradition universelle, cause instrumentale.Donc Dieu le Père, dont l’acte créateur est appropriéselon la modalité de la cause efficiente, crée l’hom-me en observant le modèle parfait du Logos (commeun artiste réalise son œuvre en observant son modè-le), dont il prévoit déjà l’Incarnation, et il le crée pré-cisément en vue de l’Incarnation, puisque ce qu’ilobserve dans sa prescience est le Logos incarné.20. Au n. 17 de l’Adh. Ap. « Reconciliatio et pæni-tentia », in AAS 77 (1985) n. 1.21. Au même n. de la citation précédente, Jean-PaulII désapprouve aussi cette interprétation.

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la Révélation formulée thématiquement neferait que « réveiller » en l’homme laconscience, latente au plus profond de sonhumanité, de tendre vers le salut divin 24, etd’être - volontairement ou non, juste oupécheur, croyant ou incrédule, comme l’affir-me Rahner lui-même - englobé dans unedimension supplémentaire à laquelle il nepeut pas se soustraire.

En conséquence, la nécessité du baptêmesaute, puisque cette théologie ne coïncideaucunement avec la problématique du baptê-me de désir, pour lequel sont présupposésl’ignorance invincible de la foi de la part dusujet, et sa volonté de connaître et aimer Dieuconformément au vrai (au moins de croirequ’Il existe et qu’Il juge), et un acte de contri-tion ou de charité parfaite (acte d’amour deDieu et d’obéissance, donc, avec le vœu oudésir, au moins implicite, de recevoir lebaptême, puisque Dieu nous l’ordonne pournous sauver). Chez Rahner, c’est la naturehumaine qui garantit le salut ; dans la doctrinecatholique, c’est la miséricorde gratuite deDieu qui vient à la rencontre de celui qui,sans responsabilité de sa part, est aveuglé parles ténèbres de l’ignorance non coupable.

Il est inutile de parler de la doctrine deslimbes, dans lesquelles se trouvent les âmesdes enfants non baptisés qui, privés de la viesurnaturelle, n’étant donc pas ontologique-ment capables de la vision béatifique, jouis-sent d’un bonheur uniquement naturel (étantdonné qu’ils ne remplissent pas les conditionsdu baptême de désir) : dans le système rahné-rien, les limbes n’ont ni place ni signification.

5. ECCLÉSIOLOGIE

Déçu par le fait que le Magistère et le gou-vernement ecclésiastique n’aient pas suivi sesorientations, Rahner se mit à appeler dédai-gneusement « Église Officielle » l’Église-ins-titution. Probablement pour la distinguer del’Église officieuse, c’est-à-dire la bande dethéologiens modernistes et de prêtres soixan-te-huitards déchaînés qui ignoraient déjà àcette époque toute directive de l’Autorité,parce qu’ils étaient en train de créer une réa-lité ecclésiastique parallèle à l’intérieur del’Église officielle.

Pour Rahner, et pour pratiquement tous lesthéologiens modernistes, l’économie de l’É-glise échappe pour ainsi dire à la compétencede Notre-Seigneur : c’est l’affaire de l’Esprit-Saint. Le Christ s’est limité à la fonder et àl’assister d’une certaine façon, mais saconduite effective est le devoir du Paraclet 25,dont les interprètes légitimes sont tous lesfidèles opérant collégialement avec les Pas-teurs, porte-parole de la Communauté (avec

un « C » majuscule, ce « Directoire » futinstitué par le Concile sous la forme deConseil Pastoral 26) ; ici la vox populi nerévèle pas la vox Dei comme le veut l’adage,mais l’établit et l’interprète. Ce phénomène, àsavoir celui du « charismatisme prophétique» et de la prétention des laïcs à avoir un rôleactif, soit détaché de l’Autorité, soit au mêmeniveau qu’elle, Pie XII s’en inquiétait déjà 27.

Nous devons nous arrêter ici. Il seraitimpossible, dans ces colonnes, de faire ungros plan sur toutes les inventions théolo-giques de Rahner : il nous faudrait ouvrirune rubrique spéciale à cet effet, et nousaurions matière à commentaires usque adconsummationem sæculorum ! H. J. Vogelsen énumère quelques-unes parmi les princi-pales : « modalisme dans la doctrine trini-taire et adoptionisme dans la christologie ;refus du caractère de personne du Saint-Esprit et du titre de Fils de Dieu, monoéner-gisme et monothélisme, venant d’une néga-tion implicite de la maternité divine deMarie, et de l’affirmation de la possibilité del’autorédemption de l’homme 28. » Mais ilest clair que cela fonctionne comme desdominos : si l’un des points clés tombe, tousles autres tombent aussi. Par exemple, univer-saliser la grâce en la considérant commetranscendantale signifie nier l’utilité de laRédemption, et cela, à son tour, signifie natu-raliser les sacrements, minimiser l’ImmaculéeConception et la réalité de l’enfer, nier lanécessité de l’Église, rendre la nature humai-ne autosuffisante, etc., toutes conséquences,en effet, auxquelles Rahner parvient.

6. EST-CE FINI ?Non, hélas, ce n’est pas fini. Les théolo-

giens ultraprogressistes ont déjà, depuis desannées, laissé Rahner derrière eux, mais encontinuant à puiser à pleines mains dans sapensée. Le cardinal Lehmann (en 1970 !)parle d’une évolution vertigineuse dans lathéologie et dans l’Église actuelle, au pointque « depuis quelque temps, Karl Rahnerdoit sentir qu’on lui reproche d’être passédans le camp des “conservateurs” », puisque

constitution naturelle avec laquelle il a étécréé en tant qu’être rationnel. La grâce,donnée en même temps que l’être, constituenotre essence et en est l’accomplissement, etla nature est orientée à s’auto-transcenderdans un sens évolutionniste. Les définitionsclassiques sont rabaissées par Rahner au rangde « verbalisme vide, mythologie ». Ce n’estplus le baptême qui fait rentrer le seul croyantdans la vie surnaturelle, en lui infusant lestrois vertus théologales. C’est la reformula-tion, en termes différents mais avec desconséquences similaires, de la pensée déjàcondamnée du « Surnaturel » de H. deLubac 22, avec de notables influences de Teil-hard de Chardin.

Dans le sacramentaire rahnérien, il n’y apas de place pour la transmission de la grâcepar les sacrements. Ceux-ci deviennent plutôtdes moments de célébration de la commu-nauté ou des étapes de l’individu dans lacommunauté, par lesquelles celle-ci secélèbre elle-même. Et la « christologie par lebas » trouvera son pendant dans une « mario-logie par le bas » qui s’emploie à dépouillerla très sainte Mère de Dieu de toutes ses pré-rogatives, en la réduisant à une simple « figu-re paradigmatique du chrétien » », l’honnêtefemme qui mieux que tout autre être humainréalisa en soi l’espérance salvifique. Consti-tuée non au-dessus, mais parmi les hommes.

4. SECOND COROLLAIRE :L’OECUMÉNISME

La grâce serait donc une « déterminationintérieure universelle », appartenant à touspar la transcendantalité de l’expérience salvi-fique qui est contenue dans le « kit nature-humaine » même si cette expérience n’estpas conceptualisée selon la Révélation : celuiqui n’en est pas conscient est tout de mêmeun chrétien (sauvé par l’humanité du Christ),un « chrétien anonyme ». Et cette « détermi-nation », comme « lumière », nous rendcapables de l’écoute de la Révélation divine,Révélation que Rahner appelle « parole caté-gorielle révélée dans l’histoire » ou « média-tion historique de l’autocommunication trans-cendantale de Dieu ». Jésus devient la« manifestation historique » de cette grâcedonnée indistinctement à tous les hommes, samédiation est donc relativisée à un « fait his-torique » ou mieux, à un enchaînement defaits historiques 23. Dieu s’autocommuniqueen révélant le Verbe, mais en révélant leVerbe, Dieu révèle à l’homme... la nature inti-me de l’homme lui-même. Venir au contact de

22. Humani Generis (second paragraphe de D.3891) qui, sans nommer l’œuvre ni son auteur, enrésume la pensée. D’après SIRI, cit. de « Gethséma-ni », Rahner arrive à dépasser Lubac.23. Soulignons le fait que la Révélation, ensembledes vérités les plus objectives et les plus certaines,au-delà des quelles il n’est pas permis d’aller, estrabaissée car « catégorielle » et historicisée ; etque le Christ passe pour une simple « médiationhistorique » d’une grâce plus étendue. Mais Rahner n’avait pas une grande foi en la divinité de Notre-Seigneur : il la taxait de « mythologisme », qui,s’il était réaffirmé, « ferait perdre au christianismetoute sa crédibilité » (cf. M. SCHULZ, Karl Rahner

begegnen, Augsburg 999, p. 42, cité dans D. BER-GER, Abschied..., cit., pp. 92 et 98).24. L’arrière-plan gnostique est plus qu’évident. Ilest éclatant. Cf. P. PASQUALUCCI, op. cit., pp. 187-191 et 329-337, où il est décrit chez Lubac, qui futinspirateur de Rahner.25. Paraclet qui, revenu de ses vacances bimillé-naires, a provoqué avec Vatican II une « nouvellePentecôte » pour remettre en ordre les choses bou-leversées par cette Hiérarchie incompétente. Quand

le chat n’est pas là, les souris dansent, nous connais-sons l’histoire réécrite par les modernistes. Il estcurieux qu’ils reprennent la théorie de la tripartitioncondamnée chez Gioacchino da Fiore, cf. P. PASQUA

LUCCI op. cit. pp. 232-234 et 351-359 (l’anathèmesur cette théorie, la bulle Libellum quendamd’ALEXANDRE IV, 1255, n’a malheureusement pasété rapportée dans l’Enchiridion de H. Denzinger).26. Dans « Apostolicam Actuositatem » n. 26, cf.aussi Can. 511-514 et 536 du Code de Droit Cano-nique de 1983. Bien qu’il ait un « rôle de consulta-tion », nous savons qu’en réalité il réussit souventtrès bien à imposer ses diktats aux prêtres qui, endémocrates convaincus et cohérents, se retrouventles mains liées. La collégialité inaugurée par« Lumen Gentium » se répand à tous les niveaux !27. PIUS PP. XII, Allocutio Eminentissimis PP. DD.Cardinalibus atque Excellentissimis PP. DD. Sacro-rum Antistitibus qui Romæ solemni Canonizationi S.Pii X interfuerunt, in AAS 46 (1954) n. 8.28. D. BERGER, Abschied… cit., p. 95, où l’on éxa-mine un ouvrage de Vogels qui concerne seulementle domaine trinitaire et christologique.

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Courrier de Rome6 Octobre 2008

29. K. LEHMANN, op. cit., pp. 148.30. C. FABRO, L’aventure de la théologie progressis-te, Rusconi, Milan 1974, pp. 19-22. Italique utilisépour mieux identifier les citations rapportées parFabro.31. NDR: si Jaspers et Heidegger sont parmi lesreprésentants principaux de l’existentialisme philo-sophique, le pasteur luthérien Rudolf Bultlann(Wiefelstede 1884 - Marbourg 1976) est certaine-ment le porte-parole le plus radical de la théologielibérale protture - à laquelle il n’attribuait pas devéridicité historique - et de la foi, qu'il voulait, aprèsles avoir dépouillées de leurs fondements surnatu-rels, reconstruire sur des bases purement humaines :philologiques, rationalistes, et historico-culturelles. 32. P. M. FEHLNER, op. cit., p. 421.

« lui-même a déclaré à plusieurs reprisesque, si la situation a changé, si la place qu’il aoccupée dans le domaine de la théologie asubi des modifications, sa position est restéela même ». Et ainsi, au terme des pages danslesquelles il fait le panégyrique du théologiendu « combat rapproché contre les formesobjectives dans l’Église, dans la théologie etdans les façons dépassées de vivre le Christia-nisme », du théologien qui, lorsqu’il n’étaitencore qu’un jeune étudiant, couvait déjà« une révolte secrète [...] contre ce type dephilosophie et de théologie, devenue désor-mais stupide et dépassée, que l’on continuaitd’enseigner dans les écoles », Lehmann sedemande si la théologie de Rahner peut désor-mais être considérée comme une « théologiede transition », « déjà dépassée », qui« sert à un moment historique bien déterminé,tant de l’Église que de la théologie » ; etconcernant le passage de la période postconci-liaire, il déclare avec bienveillance : « KarlRahner est déjà aujourd’hui une sorte dethéologien classique 29. »

7. CONCLUSION

Nous pouvons conclure par deux citationssignificatives. La première, tirée d’un autreouvrage de Fabro 30, évalue bien la situation eten tire les conclusions :

« La gravité de la situation saute aux yeuxde tous. La prise de conscience est doncurgente. Un philosophe laïque allemand [B.Lakebrink] déclarait : “Après Jaspers, Hei-degger et dans le domaine théologique sur-tout avec Rudolf Bultmann 31 et Karl Rahner,cet idéalisme transcendantal subjectif del’historicité [en théologie] est devenu un dan-ger mortel qui, puisqu’il vient de l’intérieurde notre pays, sera beaucoup plus destructeurque le communisme, qui nous presse plus del’extérieur. L’Église catholique en Allemagne,et sa théologie, ont été précipitées par la nou-

velle pensée de l’existentialisme antimétaphy-sique, inspiré purement par l’historicismeimmanentiste, dans une des crises les plusgraves qu’elles aient jamais connues depuisla Réforme.” Un distingué juriste et prélat [G.May] lui fait écho : “Je ne trahis aucunsecret en attirant l’attention sur le fait que lacrise atteignant la foi de nombreux catho-liques est presque entièrement l’œuvre dethéologiens non éclairés. Il en a été ainsi autemps de la Réforme. Bien avant Luther,Érasme de Rotterdam s’est moqué de la théo-logie scolastique ; bien avant Luther Érasmea ébranlé l’autorité de la Papauté par desaccusations excessives ; bien avant Luther,Érasme a mis en doute la structure hiérar-chique de l’Église et s’est exprimé de façonambiguë sur de nombreux dogmes de l’Église[...].” Mais ce n’est pas tout. Le jésuite sep-tuagénaire Karl Rahner est désigné commel’un des principaux responsables du désastre.Ce dernier a en effet proclamé le “virageanthropologique” dans la théologie, forgé desslogans à répétition - l’Église du ghetto, leschrétiens anonymes... - et dénoncé “HumanæVitæ”, en accusant le Pape lui-même avec unaccent qui rappelle l’ “Écoute-moi, Pape !”de Luther : “Si le magistère de l’Église n’apas aujourd’hui le courage et l’audace derétracter ses erreurs passées, il ne restera pasdigne de foi ni de confiance.” Cela ne semblepas être le style d’un fils de saint Ignace, etpas même celui d’un médiocre chrétien [...].Rahner... ne proclame-t-il pas de tous côtésque, quelque thèse ou formule qu’il avance, ilfaut laisser au théologien une pleine liberté ?[...] L’intention principale du programme deRahner est de mettre ensemble, dans l’Églisedu futur, “réelle spiritualisation” et “décléri-calisation”, “démoralisation”, “ouverture” et“démocratisation”. Une telle Église du futurne peut se réaliser que par le bas, par l’inter-médiaire des “communautés de base”, à laconduite desquelles les femmes sont pré-posées à l’égal des hommes, et dans les-quelles l’obligation du célibat des prêtres n’aconcrètement plus de sens. La spiritualitédevient sans aucun doute synonyme d’enga-gement social de groupe, qui a le droit d’agiret de se développer de façon autonome parrapport à l’autorité : toutes erreurs de Rahner,observe l’auteur [le journaliste catholique W.Siebel], qui sont aujourd’hui très répandues.Tout aussi répandue est la peur face à l’épou-vantail du « ghetto » brandi par Rahner etd’autres. »

Il est manifeste qu’il n’y a rien de plus pro-fondément anticatholique et diabolique quecette pernicieuse subversion qui pousse jus-qu’à vouloir tuer tant l’âme de l’Église (le

surnaturel) que son corps (la Hiérarchie,l’Autorité et la constitution de la nature ecclé-siastique). En revanche, nous faisons nôtre lapensée exprimée par la seconde citation denotre conclusion :

« Qui accepte le système de Rahner nepeut pas ne pas finir par être éternellementfrustré. Ceci parce que panthéisme, pélagia-nisme et gnosticisme sont les composantesmétaphysiques, éthiques et épistémologiquesde la fraude théologique présentée pour lapremière fois par le serpent à Adam et Ève(cf. Gen. 3, 1). On est dans un système frau-duleux parce qu’à la place d’une théologiecomplètement centrée sur le “Je suis celui quisuis” (Ex. 3, 14), on a une théologie centréesur l’autoscience pour justifier un Dieu quiest autocommunication infinie, égalementconnue sous le nom d’ “orgueil sans limites”.C’est une des raisons déterminantes pour les-quelles il faudrait donner plus de publicité àla critique de Rahner, à l’intérieur comme àl’extérieur de l’Église, et en même tempsfaire place à la Femme qui a détruit toutes leshérésies dans le monde entier 32. »

Bien sûr, ce n’est pas à Rahner individuelle-ment qu’il faut imputer tout le mal qui a agipour faire couler à pic la « barque de saintPierre » et ruiner les âmes : s’il a été l’un desesprits, de plus grandes responsabilités sont àattribuer aux Pontifes et aux évêques qui ontavalisé et réalisé un Concile perverti dans lalettre et dans l’esprit. Le vrai Concile VaticanII, à notre avis, reste celui qui a coulé avec lesschémas préparatoires qui avaient été pré-parés sous la direction avisée du cardinalOttaviani, schémas qui contenaient et expri-maient la doctrine catholique et qui, commeun phare, auraient éclairé la Chrétienté contrede nombreuses erreurs modernes comme lerelativisme moral, etc. Aux vrais catholiques,il ne reste, selon l’exhortation adressée parsaint Paul au bien-aimé évêque Timothée,que les armes de la prière et de lapersévérance : « car il y aura un temps oùils ne supporteront plus la saine doctrine,mais selon leurs propres convoitises, ils ras-sembleront autour d’eux des docteurs, carl’oreille leur démange ; ils détournerontl’oreille de la vérité et ils se tourneront versles mythes. [...] Car moi [...] j’ai combattu lebon combat ; j’ai achevé la course : j’aigardé la foi » (2Tim. 4, 3-4, 7).

Maximilianus

LA SPECTACULAIRE ASCENSION DE MGR JEAN-LOUIS BRUGUÈS

La troisième édition, revue et augme-mentée, de La trahison des commissaires deJean Madiran vient de paraître (éd. ViaRomana, Paris).

La première édition vit le jour en novembre2004, lorsque le Président de la Commissiondoctrinale de l’épiscopat français, Mgr Jean-Louis Bruguès, fut contraint, après quatre

critiques du quotidien Présent, de faire, àcontre-cœur, une « mise au point » enAssemblée plénière sur deux ouvrages sur laBienheureuse Vierge Marie, publiés par ledominicain Dominique Cerbelaud (Marie, unparcours dogmatique), et par le journalisteJacques Duquesne (Marie).

La Croix se limita à en parler de façon

générique, mais La Documentation Catho-lique du 19 décembre 2004 rapportatextuellement le « communiqué » du com-missaire-président Mgr Bruguès : « dans lestyle de la théologie scientifique [une litote?] le livre du p. Cerbelaud ne fait, en réalité,que fournir le gros des arguments de lathèse de M. Duquesne : les dogmes sur

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Courrier de RomeOctobre 2008 7

Marie seraient des inventions, nées dansl’Église pour des motifs repérables de psy-chologie collective ».

Le 25 novembre 2004, Mgr Bruguès avaitaffirmé dans La vie : « Ce livre important[celui du dominicain Cerbelaud], publié dansune collection réputée pour son sérieux,contient des affirmations qui méritent dis-cussion. L’auteur se trompe sur quelquespoints. Mais nous ne sommes pas Rome et lesaint-Office. La note que nous préparonsn’est pas une condamnation. C’est uneréflexion critique. Pas plus, pas moins. »Mais la Commission doctrinale de l’épisco-pat français ne pouvait-elle pas être au moins« critique » (et cela aurait été la moindre deschoses) avec le dominicain Cerbelaud et avecson vulgarisateur Duquesne ? Non. Si ce der-nier, en effet, sur les traces du premier, avaitlancé la formule sans équivoque « Marie,mère de famille nombreuse », la Commissiondoctrinale, de son côté, dans la note du 23mars 1004, avait invité à une meilleure com-préhension des dogmes et avait assuré entreautres que l’existence de frères et de soeursde Jésus devait faire mettre en question lacompréhension du dogme de la virginitéperpétuelle de Marie !

Pourquoi un tel « révisionnisme » théolo-gique ? se demande Madiran (p.81). À caused’une conception irénique du « dialogue derecherche », dont le but n’est pas d’établir lavérité, mais d’obtenir l’accord de la contre-partie non catholique, mettant entre paren-thèses les certitudes de la Foi révélée parDieu. D’où « les équivoques déstabilisanteset subversives » de la Commission doctrinalede l’épiscopat français et de son commissaireprincipal Mgr Jean-Louis Bruguès. Celui-cifut réélu Président en novembre 2004, mal-gré l’approbation scandaleuse de l’ « apparatcritique » de la Bible Bayard (introduction,notes et glossaire), « apparat critique » selonlequel, dans l’Évangile, aucune des parolesde Jésus n’est authentique, et malgré l’affir-mation absurde et incohérente que, sur lepoint de savoir si Jésus est oui ou non le

Messie, « la lecture chrétienne [de la SainteÉcriture] ne conteste pas la lecture juive,chacun ayant son propre registre d’interpré-tation ; le fait que l’une soit vraie n’impliquepas que l’autre ait tort ».

Il s’agit d’une violation manifeste du prin-cipe de non-contradiction, qui, s’il était res-pecté, mettrait rapidement fin au dialogueoecuménique. Donc, pour pouvoir continuerà « dialoguer », il est nécessaire de ne mêmepas arrêter à la plus élémentaire contradictionlogique : Jésus est et n’est pas le Messie toutà la fois ; c’est seulement une question de« registre » interprétatif !

Quant à la Bienheureuse Vierge Marie, lecommissaire-président Bruguès, dans une« note doctrinale » jointe au susmentionné «communiqué » sur le dominicain Cerbelaudet son vulgarisateur Duquesne, trouvait lemoyen d’exercer sa « critique » contre lapiété mariale, en appelant à la « sobriétédans les énoncés concernant Marie », cartelle était la volonté expresse du ConcileVatican II !

En novembre 2004 parut la première édi-tion de La trahison des commissaires. Aus-sitôt après, en janvier 2005, commença l’in-croyable ascension du commissaire-présidentJean-Louis Bruguès, qui en trois ans collec-tionna trois promotions romaines : le 25 jan-vier 2005 il fut nommé « consultant » de laCongrégation pontificale pour l’éducationcatholique, le 13 juin il fut nommé consultantde la Congrégation pontificale pour les insti-tuts de vie consacrée et les sociétés de vieapostolique ; et en novembre 2007, enfin, ilfut nommé secrétaire (c’est-à-dire numérodeux) de la Congrégation pour l’éducationcatholique (pour remplir cette fonction, ilabandonna son diocèse d’Angers et s’installaà Rome).

Il était de longue date en contact avecRome : de 1986 à 2002 Jean-Louis Bruguèsavait été membre de la Commission Théolo-gique Internationale (CTI), celle qui a entreautres revu récemment la doctrine catholique

LES LIMBES NE SONT PAS UNE HYPOTHÈSE THÉOLOGIQUE,MAIS UNE VÉRITÉ ENSEIGNÉE PAR LE MAGISTÈRE APOSTOLIQUE

sion détaillée, démontre la fausseté doctri-nale de l’affirmation selon laquelle lesLimbes seraient une simple « hypothèsethéologique ». En effet, il ne s’agit ni d’unehypothèse ni d’une fable, dont la « Nouvel-le Évangélisation » (sic) pourrait faire tablerase, ouvrant toutes grandes les portes duParadis à tous les enfants non baptisés.

Nous rappellerons ici l’enseignement duMagistère Apostolique (antérieur à VaticanII) en précisant que si une évolution doctrina-le bien comprise et homogène est certaine-ment possible, l’involution et la contradictionde vérités déjà affirmées légitimement doi-vent être tout simplement rejetées. Il est cer-tainement possible qu’une vérité moins claireatteigne une plus grande clarté ; mais lecontraire est faux, étant donné qu’une véritéclairement explicitée et pacifiquement ensei-gnée en théologie et par le Magistère

constant et universel de l’Église ne peut passubir d’involution, et encore moins d’annula-tion. En effet le Saint-Esprit, qui conduit l’É-glise, ne commence pas par enseigner unevérité pour ensuite autoriser à la mettre aupanier.

LA VOIX DU MAGISTÈRE APOSTOLIQUE

1. Le Concile de Carthage (418) défendénergiquement la nécessité du baptême desenfants (et donc la doctrine des Limbes) dansles articles suivants :

A) « Quiconque nie qu’il faut baptiser lesenfants nouveau-nés ou dit qu’ils sont bap-tisés en rémission des péchés, mais ne tien-nent pas d’Adam le péché originel, expié parle bain de la régénération... qu’il soit anathè-me. En effet, on ne peut comprendre autre-ment ce que dit l’Apôtre : “Par un seulhomme le péché est entré dans le monde, et

LA DÉMOLITION DE L’ORTHODOXIE

Le néomodernisme est en train de démolir,pierre après pierre, notre orthodoxie. À coupsrépétés, coups que, par une inqualifiable tolé-rance et parfois par une véritable complicité,les responsables laissent donner, se lavant lesmains à la façon de Pilate. De nombreux« maîtres en Israël » rivalisent pour se créerune scène médiatique ; il y a tout un cortègede disciples improvisés : néo-exégètes, néo-théologiens... néo-tout, disposés à piétinerjoyeusement la foi pour la fée morgane de laglobalisation d’une religion finalement a-dog-matique.

Un exemple de cette démolition continuedes vérités les plus certaines est l’attaqueportée à la doctrine des Limbes.

Le Courrier de Rome de Juillet-Août 2007a publié une intervention qui, avec une préci-

sur les Limbes (cf. Le Courrier de Rome deJuillet-Août 2007). « J’ai connu Rome enqualité de théologien » a-t-il en effet déclaré,et La Documentation Catholique dedécembre 2007 ajouta que, en qualité demembre de la CTI, Mgr Bruguès avait fré-quenté « régulièrement la Congrégation pourla Doctrine de la Foi et son prélat d’alors, lecardinal Joseph Ratzinger ».

Les membres de la CTI, rappelons-le, sontélus sur proposition du Préfet pro tempore dela Congrégation pour la Doctrine de la Foi,lequel est aussi Président de cette Commis-sion. Jean Madiran se demande par consé-quent si Mgr Bruguès avait alors exposé aucardinal Ratzinger sa théorie selon laquelle« la croyance chrétienne en la divinité deJésus-Christ et la négation juive de cettedivinité sont également fondées », ce quisignifierait que nous autres catholiquesdevrions désormais professer que christianis-me et judaïsme sont deux façons différentes,mais toutes deux légitimes, d’appropriationdes prophéties de l’Ancien Testament (il suf-fit de changer de « registre », et le tour estjoué).

Laissons les faits apporter une réponse àcette question. Le 29 novembre 2000 (L’Os-servatore Romano, 1ère page, Abaraham, undon pour Noël), le cardinal Ratzinger préci-sait que, si dans l’encyclique Dominus Iesus,on parlait du Christ comme sauveur uniqueet universel, cela n’était valable - en ce quiconcerne les religions monothéistes - quepour l’Islam. Le judaïsme, en revanche,ayant reçu la Révélation de Dieu et ayantcontracté un Pacte (ou Alliance) avec Lui,peut suivre sa propre voie de salut dans l’An-cienne Alliance, de même que les chrétiens lasuivent dans la Nouvelle Alliance avec leChrist ! Donc Mgr Bruguès n’avait et n’aencore rien à craindre, puisque Joseph Rat-zinger, en disant en substance les mêmeschoses sur le même sujet, a eu une « promo-tion » encore bien plus haute que la sienne.

Lector

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Courrier de Rome8 Octobre 2008

COURRIER DE ROME

Édition en Français du Périodique RomainSì Sì No No

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avec le péché, la mort, et ainsi la mort atteinttous les hommes, parce que tous ont péché”(Rom. 5, 12), si ce n’est dans le sens danslequel l’Église catholique l’a toujours com-pris. En raison de cette “Règle de Foi”,même les enfants, qui n’ont encore pu com-mettre aucun péché, sont vraiment baptiséspour la rémission des péchés, afin que, parla régénération, soit purifié en eux ce qu’ilsont contracté à travers la génération 1. »

C’est une vérité de foi, donc, que lesenfants naissent avec le péché originel (cf.Rom. 5, 12) ; celui-ci ne peut être effacé quepar le baptême (« nisi renatus fuerit ex aquaet Spritu Sancto non potest introire inRegnum Dei »). Le baptême de désir existelui aussi, mais il n’est valable que pour ceuxqui ont l’usage de la raison ; certainementpas dans le cas des enfants.

B) « Quiconque dit que le Seigneur a dit“Dans la maison de mon Père il y a plusieursdemeures” (Jn 14,2) pour qu’on comprennequ’il y a dans le Royaume des cieux un cer-tain lieu, se trouvant au milieu ou ailleurs, oùvivent bienheureux les petits enfants qui ontquitté cette vie sans le baptême sans lequelils ne peuvent pas entrer dans le Royaumedes cieux qui est la vie éternelle, qu’il soitanathème 2. »

Le canon est formel : les enfants mortssans baptême ne peuvent pas entrer dans leRoyaume des cieux, qui est la vie éternelle.

2. Innocent III (début du XIIIe siècle),dans une lettre apostolique à l’archevêqueImbert d’Arles, affirme entre autres :« Nous disons : il faut distinguer qu’il y aun double péché : à savoir le péché originelet le péché actuel, l’originel qu’on contractesans consentement et l’actuel qui est com-mis avec consentement. [...] La peine dupéché originel est la privation de la visionde Dieu, mais la peine du péché actuel est lesupplice de la géhenne éternelle 3. »

3. Le Concile de Florence (1442), dans ledécret « Pro Jacobitis », affirme : « Ausujet des enfants, en raison du péril de mortqui peut souvent se rencontrer, comme iln’est pas possible de leur porter secours parun autre remède que par le sacrement dubaptême, par lequel ils sont arrachés à ladomination du diable et sont adoptés commeenfants de Dieu, elle avertit qu’il ne faut pasdifférer le baptême pendant quarante ouquatre-vingts jours ou une autre durée,comme font certains, mais qu’il doit êtreconféré le plus tôt qu’il sera commodémentpossible 4. »

4. Pie VI (1794). Dans sa ConstitutionApostolique « Auctorem fidei » (1794), ilcondamna 83 propositions du synode jansé-niste de Pistoia, dont la suivante : « La doc-trine qui rejette comme une fable pélagiennece lieu des enfers (que les fidèles appellentcommunément les limbes des enfants) danslequel les âmes de ceux qui sont morts avec

la seule faute originelle sont punis de la peinedu dam, sans la peine du feu, comme si ceuxqui écartent la peine du feu introduisaient parlà ce lieu et cet état intermédiaire, sans fauteet sans peine, entre le Royaume de Dieu et ladamnation éternelle dont fabulaient les péla-giens, (est) fausse, téméraire, injurieuse pourles écoles catholiques 5. »

5. Saint Pie X, dans son Catéchisme de laDoctrine Chrétienne (1912), écrit : « Lesenfants morts sans baptême vont auxLimbes, où ils ne jouissent pas de Dieu, maisne souffrent pas non plus, car ayant le péchéoriginel, et seulement celui-ci, ils ne méritentpas le Paradis, mais ils ne méritent pas nonplus l’enfer ni le purgatoire 6. »

Dans une Lettre Apostolique au cardinalVicaire Pietro Respighi, en parlant de sonCatéchisme, le saint Pape écrivait que lesfidèles « y trouveront une brève somme, trèsprécise, même dans la forme, où ils trouve-ront exposées, avec une grande simplicité, lesvérités divines capitales et les réflexionschrétiennes les plus efficaces »7.

Comment peut-on considérer que lesLimbes sont une simple « hypothèse théolo-gique », que l’on pourrait tranquillementsupprimer ?

6. Pie XII, parlant de la nécessité du baptê-me, confirme : « Dans la présente écono-mie, il n’y a pas d’autre moyen [que lebaptême] pour communiquer cette vie sur-naturelle à l’enfant, qui n’a pas encorel’usage de la raison 8. »

UNE INTERPRÉTATION COMMODE

Cette dernière intervention du Magistèresuprême, qui empêchait d’office l’interpréta-tion de la doctrine des Limbes comme hypo-thèse fantaisiste, ne pouvait pas être passéesous silence par la Commission ThéologiqueInternationale, qui en effet, dans son dernierdocument, visant à supprimer la doctrinecatholique sur les Limbes, en a donné uneinterprétation personnelle, en affirmant quece Pape avait « rappelé les limites entre les-quelles devait se placer le débat [sur lesLimbes] et avait affirmé avec fermeté l’obli-gation d’administrer le baptême aux enfantsen danger de mort » 9. En réalité, la Com-mission n’a pas compris correctement lemessage pontifical : Pie XII n’a autoriséaucun « débat » sur les Limbes, mais il avoulu confirmer que le baptême est absolu-ment nécessaire pour le salut, car s’il existeun baptême de désir pour les adultes en étatd’ignorance invincible, ce n’est pas le caspour les enfants qui n’ont pas encore l’usagede la raison. Et si pour les enfants dépourvusde l’usage de la raison, le baptême est une« conditio sine qua non » pour « obtenir lavie surnaturelle », il l’est aussi pour obtenir

« la vision béatifique » ; d’où l’enseigne-ment traditionnel sur les Limbes commeconclusion strictement théologique,confirmée par des interventions précises etrépétées du Magistère, que personne ne peutsupprimer sous prétexte qu’elle serait unepure imagination bonne à jeter auxoubliettes.

La Commission Théologique Internationa-le ne peut pas sortir des rails de la vérité bibi-lique, qui est de foi divine : « Nul, s’il nenaît de l’eau et de l’Esprit, ne peut voir leRoyaume des cieux 10. » C’est pourquoi le p.Michel, auteur de différents articles sur lesujet, parus dans L’Ami du clergé, écrit : « Ilest indubitable que la doctrine catholiquesous-entendue dans le dogme de la nécessitédu baptême pour la rémission du péché origi-nel est que les enfants morts sans baptême nepeuvent pas jouir de la vision béatifique. Sicette conclusion ne peut pas encore êtreconsidérée comme un dogme de foi, dans lamesure où elle n’a pas encore été proposéedirectement comme telle par le Magistère del’Église, elle est pour le moins une véritéimmédiate de la Foi, susceptible d’une défi-nition dogmatique 11. »

Stephanus

1. Denz., 224.2. Denz., 224.3. Denz., 780.4. Denz., 1349.

5. Denz., 2626.6. SAINT PIE X, Catéchisme de la Doctrine Chré-tienne, § 100.7. AAS, 2 décembre 1912, pp. 690-692.8. PIE XII, Allocution aux sages-femmes italiennes,29 novembre 1951.9. CTI, L’espérance du salut pour les enfants mortssans baptême, § 3.

10. Jn, 3, 5.

11. A. MICHEL, « Salut des enfants morts sansbaptême », in L’Ami du Clergé.

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s ì s ì no no« Que votre OUI soit OUI, que votre NON soit NON, tout le reste vient du Malin »

(Mt 5, 37)

Le numéro 3€

Novembre 2008Mensuel - Nouvelle SérieAnnée XLI n° 316 (506)

son diplôme en philosophie à l’Université deNaples. En tant que théologien, il a présidé lacommission préparatoire au documentMémoire et réconciliation qui a accompagnéle « mea culpa », ou plutôt le « sua culpa »(Ecclesiæ preconciliaris) de Jean-Paul II, àl’occasion du Jubilée de l’an 2000. Le 26 juin2004, il a été nommé Archevêque de Chieti-Vasto, et sacré par le cardinal Joseph Ratzin-ger. Il est président de la Commission Épisco-pale pour la Doctrine de la Foi.

Les maîtres de Forte sont Heidegger(†1976) 1, Bultmann (†1976) 2, Rahner(†1984) 3, Jasper (†1969) 4, Lévinas et Mou-nier (†1950) 5. De « tels pères » ne pouvait

Mgr Giuseppe De Rosa, ancien professeurde théologie dogmatique à la Faculté Pontifi-cale d’Italie méridionale, a écrit un essai sur lapensée de Bruno Forte (actuellementarchevêque de Chieti) dans « Divus Thomas» (1986-87), republié en 1988 par le « Colle-gio Alberoni » de Piacenza. Dans cet essai,l’auteur se fonde essentiellement sur le livrede Forte Jésus de Nazareth, Histoire de Dieu,Dieu de l’Histoire (1981). Forte avait étél’élève de Mgr De Rosa et lui avait ensuitesuccédé à son poste de professeur, lorsque DeRosa avait pris sa retraite.

Mgr De Rosa va droit au but et écrit que« le contenu doctrinal du livre [...] du point devue de l’orthodoxie catholique, se révèle trèsdiscutable et non sans danger », avec « deserreurs et des déviations [...], des interpréta-tions témérairement personnelles et anti-tra-ditionnelles des principaux mystères chré-tiens » (p. 4). Cet « incipit » nous fait com-prendre la gravité du « problème Forte ».Mgr De Rosa avoue qu’en qualité d’ex-pro-fesseur et prédécesseur de Forte à la chaire dethéologie dogmatique de la Faculté Pontificaled’Italie méridionale, il avait longtemps espéréque d’autres que lui prendraient l’initiative demettre en évidence ses erreurs et ses dévia-tions. Mais comme personne ne disait rien, etque les erreurs philosophiques et théologiquesde cette dangereuse « théologie » se répan-daient dans différents milieux, il avaitconsidéré devoir surmonter son hésitation «dans l’intérêt de la vérité » (p. 4). Vérité dontnous devons constater, à la lecture de cetessai, qu’elle n’a pas tenu à cœur à ceux quin’ont tenu aucun compte des critiquesmotivées et sereines de Mgr De Rosa (etd’autres), en promouvant de façon irrespon-sable Bruno Forte à des postes aux responsa-bilités de plus en plus grandes.

ROMANTISME THÉOLOGIQUE

Bruno Forte, né à Naples le 1er août 1949, aété ordonné prêtre le 18 avril 1973, et a obte-nu en 1974 son doctorat en théologie à laFaculté de théologie de Naples. Il a poursuivides études à Tubingue et à Paris, et a obtenu

descendre qu’un « tel fils » hétérodoxe,comme le démontre De Rosa, si bien que sonsystème de pensée pourrait être défini commeune « fantapoétologie », ce que Mgr UgoEmilio Lattanzi, de l’Université Pontificale duLatran appelait justement « romantisme théo-logique ». Le premier livre de Forte paraît en1981 (et c’est celui que De Rosa prend enconsidération), le dernier remonte à 1996 (Laparole de la foi). La ligne (pour ainsi dire) esttoujours la même.

COMMENT PRÉSENTER DIEU AU MONDEMODERNE, SELON FORTE

Comment parler de Dieu et du Christ aumonde moderne est la préoccupation « pasto-rale » de Forte, qui le conduit – écrit Mgr DeRosa – à « un esprit équivoque d’irénismedoctrinal » (p. 5). En effet, selon Forte, à unmonde sécularisé comme le monde d’aujour-d’hui, il faut présenter Jésus comme « unDieu subversif (p. 7). De plus cette conceptiondu Christ, très sociale et horizontale, et trèspeu transcendante et surnaturelle, pousseForte à parler (comme Moltmann, né en

1. « La difficulté et l’obscurité de la philosophie deHeidegger, son caractère fluctuant et insaisissable,sont en partie l’image même de sa façon de com-prendre la réalité et la vérité, puisque l’être s’exprimeet se révèle dans une fragilité et une ambiguïté designes qu’il est difficile de saisir » (Dictionnaire dephilosophie, Milan, Rizzoli, 1976).2. Théologien protestant 1°) paladin de la « théoriedes formes » (formgeschichte), selon laquellel’exégèse du Texte Sacré doit être menée philoso-phiquement par l’étude des formes littérairespropres à l’Auteur sacré, abstraction faite de l’inter-prétation spirituelle donnée par les Pères de l’Égli-se, comme si le Livre saint était un écrit humain, etnon divinement inspiré ; 2°) inventeur de la« démythisation », c’est-à-dire la réinterprétation duchristianisme pour le libérer du revêtement mytholo-gique et le ramener à l’annonce originale et originelle(Kerygma) de la communauté des premiers chrétiens.« La base de cette récupération d’authenticité estconstituée par l’existentialisme de Heidegger »(Encyclopédie de philosophie, Milan, Garzanti,1981).3. Cf. Le Courrier de Rome d’octobre 2008.4. « Toute tentative d’embrasser l’être [...], pourJasper, est vouée à l’échec. L’être est toujours au-delà, et l’horizon est inaccessible » (Dictionnairede philosophie, Milan, Rizzoli, 1976). L’hommese replie alors sur lui-même, sur son existence(existentialisme), mais cela aussi est transcendan-ce, puisqu’il en appelle essentiellement à un autreque soi.

PIANO, FORTE !VIIIe CONGRÈS

deSÌ SÌ NO NO - COURRIER DE ROME

Voir le détail du congès p. 3

5. « Formé sous l’influence de C. Péguy et de J.Maritain, il fonda en 1932 la revue « Esprit » quidevait devenir l’une des principales expressions ducatholicisme engagé en France [...]. Il anticipa denombreux thèmes du dialogue ultérieur entre chré-tiens et marxistes » (Encyclopédie de philosophie,Mila,, Garzanti, 1981). Mounier a cherché à conci-lier Marx et Kierkegaard, à travers le « personna-lisme », une sorte de « paradis sur terre ou d’églisedes humbles », qui évite tant l’individualismebourgeois que le collectivisme communiste. Plusqu’un philosophe, Mounier fut un idéologue quiexerça une forte influence sur le renouveau de lafaçon de se sentir « chrétiens » dans le mondemoderne.

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Courrier de Rome2 Novembre 2008

1926) 6 de souffrance dans la Trinité, c’est-à-dire en Dieu, et non seulement dans le Christ(vrai Dieu et vrai homme et donc passibledans son humanité), renouvelant la vieillehérésie des « Patripaschistes » et du « mono-physisme théopaschiste » 7. De Rosa cite despassages sans équivoque de Forte : « Si leFils souffre, c’est parce que le Père souffre enle précédant sur la via dolorosa » (p. 11) ; leChrist a subi un « un réel abandon » de lapart du Père. Hypothèse inconciliable avecl’orthodoxie catholique – commente De Rosa(p. 13) – parce que le Verbe est « insépara-blement » uni à la nature humaine individuel-le du Christ, et de plus les trois Personnesdivines sont inséparablement unies entreelles, comme l’a défini le Concile de Florencedans le Decreto pro Jacobitis (Denz. 704). Ensomme, pour J. Moltmann et pour les théolo-giens de la « souffrance de Dieu », suivis parForte, ce n’est pas seulement le Christ en tantqu’homme qui a souffert, mais aussi le Christen tant que Verbe divin, avec le Père et leSaint-Esprit. Cette hypothèse est hétérodoxe,puisqu’il est divinement révélé que Dieu estpur esprit, acte pur, transcendant, et parconséquent non sujet à changements ni àsouffrance. En revanche le « Dieu » de Forte

est « un “Dieu” in fieri, sujet à devenir, et un“Dieu” immanent qui, loin de transcender lemonde, s’identifie à lui et en fait partie » (p.14). Le « Dieu » de Forte est celui de Giorda-no Bruno, de Spinoza et de Teilhard de Char-din, ce n’est pas celui de l’Évangile ni de lafoi catholique (Denz. 254, 316, 428, 703,1782), qui professe l’absolue immutabilité deDieu : « Ego sum Dominus et non mutor » 8.

Forte, observe De Rosa, « s’emmêle dansune véritable antinomie, en proclamant latranscendance de Dieu et en lui attribuant enmême temps une réelle passibilité, qui à sontour implique [en Dieu] un réel devenir, uneréelle mutabilité et une réelle histoire. Antino-mie à laquelle il ne serait possible de se sous-traire que si l’une des deux réalités [...]– transcendance et passibilité – était comprisenon au sens rigoureusement propre, mais dansun sens métaphorique, ou, quoi qu’il en soit,impropre » (pp. 15-16). Mais Forte, en allant– hégéliennement – dialectiquement trop vite,attribue à Dieu une véritable souffrance ; il nepeut donc pas lui attribuer une véritable trans-cendance, mais seulement une transcendanceau sens relatif et impropre, comme la « trans-cendantalité » dont parle la philosophiemoderne, et qui n’est pas la vraie transcendan-ce attribuée à Dieu par la philosophie et lathéologie catholiques. Donc Forte : piano !Sinon vous risquez de tomber (si ce n’est déjàfait) dans L’aventure de la théologie progres-siste (Milan, Rusconi 1974), et dans le Virageanthropologique de Karl Rahner (Milan, Rus-coni 1974), décrits par le p. Cornelio Fabro.Or « aventures » et « virages » à grandevitesse sont fatals pour l’intégrité de la foi. Sitout est devenir, évolution, la « Théologieéternelle » est dépassée par la « Théologierapide », alors que dans le domaine de la divi-ne Révélation, il faut avancer avec des piedsde plomb pour ne pas être victime d’excès devitesse et de frénésie (plus encore que d’héré-sie) de l’action.

LA DISSOLUTION DE LA THÉOLOGIE

Forte, dans l’ivresse de la vitesse, se heurteà la Révélation, qui, contrairement à ce qu’ilsemble penser, n’est pas imparfaite, n’est pasen devenir, n’a aucune lacune, est immuable,homogène, et peut uniquement être approfon-die (Denz. 2021, 1705, 1800, 1819, 1656) ; il

se heurte à l’enseignement constant duMagistère ecclésiastique, mais aussi à la natu-re même de la théologie, qui d’une prémissede foi, à travers une prémisse mineure de rai-son, tire une conclusion théologiquement cer-taine. En revanche, « le caractère subversif[...] que Forte manifeste dans le domaine de lascience théologique [conduit à la]... dissolu-tion de la théologie en anthropologie » (p.25) : si dans le devenir constant, universel etincessant, Dieu et homme se confondent ets’identifient, la théologie devient anthropolo-gie et réciproquement, en conciliant (hégélien-nement) l’inconciliable : théocentrisme etanthropocentrisme.

La « théologie » de Forte, en plus d’êtreantimétaphysique, est aussi illogique, dans lamesure où elle refuse la méthode de raisonne-ment par syllogisme pour un certain romantis-me théo-poétique, et elle tombe donc dans lacontradiction, comme nous l’avons vu, enaffirmant que Dieu change, alors qu’il est enréalité acte pur, dans lequel rien n’est en puis-sance, n’est transcendant et immanent à la foiset sous le même rapport. De plus, comme tousles antimétaphysiciens, Forte se répète jusqu’àl’ennui, sans rien dire de compréhensible,pour cacher ses propres contradictions ; sondiscours est pur flatus vocis, paroles vides quin’expriment pas d’idées, lesquelles consti-tuent l’essence des choses réelles. Mgr DeRosa, en effet, lui reproche « un amas deparoles et de digressions répétitives, qui ren-dent extrêmement difficile la compréhensiondu noyau de sa pensée » (p. 54) influencéepar Teilhard de Chardin et par les nouveauxthéologiens. Ceux-ci, plus que des théolo-giens, sont des « bavards », car la théologieest une science exacte et rigoureuse, alors queleur discours est un pur « bavardage » à vide.

UN GRAVE AVERTISSEMENT

Mgr De Rosa termine son essai enécrivant : « La modernité et le renouveauthéologique [...] ne peuvent faire abstractionde la fidélité doctrinale [...], l’authentiquemodernité et l’authentique renouveau de laréflexion théologique ne peuvent se réaliserque dans la fidélité à la Tradition, suivant larègle d’or de saint Vincent de Lérins, pourlaquelle le vrai progrès théologique se réali-se “in eodem sensu et in eadem sententia”afin de dire “de façon nouvelle la véritéancienne, et de nous sauver des erreursanciennes et nouvelles”. »

Agostino

6. Théologien protestant, influencé par E. Bloch. Sefonde sur l’eschatologie du Noveau Testament parrapport à l’espérance en la résurrection du Christ,qui doit influencer la vie des croyants, les poussantà l’engagement, à marche continuelle vers la libertéabsolue. Selon lui, la théologie, plus que science dela foi, doit être étude de l’espérance, entendue ausens protestant.7. De « theos » (Dieu) et « pasco » (souffrir) :hérésie d’origine monophysite (une seule nature enChrist), apparue au Ve siècle par l’intermédiaire dumoine Pietro Fullone, qui reprenait chez Eutychèsla doctrine de l’absorption de la nature humaine duChrist par la nature divine, qui était donc la seule àsouffrir pendant la Passion de Jésus. L’eutychianis-me (d’Eutychès, Archimandrite de Constantinople,Ve siècle), appelé aussi monophysisme, défend tel-lement l’unité substantielle du Christ qu’il voit enLui non seulement une seule personne, mais aussiune seule nature (divine), ou la fusion de la naturehumaine et de la nature divine dans le Christ, sibien qu’il ne reste que la nature divine qui, étant laplus puissante, absorbe la nature humaine. LeConcile de Calcédoine (451) condamna cette héré-sie. À Chieti, dans le diocèse de Forte, il y a unesecte patripaschiste qui adore le « Cœur physiqueet réel de Dieu le Père ». « Qui se ressemble s’as-semble », dit le proverbe.

8. Sur l’historicisme de Forte en théologie, sur lestraces de Gioacchino da Fiore, G.B. Vico et B.Croce, cf. G.B. MONDIN Histoire de la théologie,BO, DSD, 1997, IV vol.

SUR LA « MORT CÉRÉBRALE » « L’OSSERVATORE ROMANO »CÈDE-T-IL À « L’INTOLÉRANCE MÉDIATIQUE » ?

Nous avons reçu de Famiglia & Civiltà(Gènes) le communiqué de presse

suivant :Notre Association, à la suite de l’article

publié par L’Osservatore Romano, exprime sasatisfaction au sujet de l’éclairage finalementapporté sur la tragique fiction de la « mortcérébrale », hélas aujourd’hui encore soutenue

officiellement par certains scientifiques et parla hiérarchie ecclésiastique.

Après des années de dur combat, entre l’in-compréhension et l’hostilité d’une majorité, lavérité est en train de se faire jour progressive-ment, laissant entrevoir un monde d’horreurset d’intérêts sordides (que l’on pense, parexemple, à l’incitation massive et étatique aux

« dons » d’organes qui est faite en particulierauprès des jeunes).

La ferme opposition de notre association à lanouvelle définition de la mort, à des fins utilita-ristes, a ainsi été confirmée avec autorité.

Merci pour votre hospitalité.Gènes, le 03/09/2008.

Le président (Carlo Barbieri)

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Courrier de RomeNovembre 2008 3

ment classés en végétaux, animaux ethumains. La vie de la plante, de l’animal et del’homme, bien que de nature différente, pré-suppose dans tous les cas un système intégréanimé par un principe actif et unificateur. Lamort de l’individu vivant, sur le plan biolo-gique, est le moment où cessent les fonctionsdu principe vital qui lui est propre. Laissonsde côté le fait que, pour l’être humain, ce prin-cipe vital, appelé âme, soit de nature spirituel-le et incorruptible. Arrêtons-nous à la notion,unanimement admise, que l’homme peut êtredit cliniquement mort quand le principe qui levivifie s’est éteint et que l’organisme, privé deson centre ordonnateur, commence un proces-sus de dissolution qui mènera à la décomposi-tion progressive du corps.

La science, jusqu’à présent, n’a pas étécapable de démontrer que le principe vital del’organisme humain se trouve dans tel ou telorgane du corps. En effet, le système intégra-teur du corps, considéré comme un « tout »,n’est pas localisable dans un organe déter-miné, fût-il important, comme le cœur oul’encéphale. Les activités cérébrales et car-diaques présupposent la vie, mais ce n’est pasà proprement parler en elles que se trouve lacause de la vie. Il ne faut pas confondre lesactivités avec leur principe. La vie est quelquechose d’insaisissable qui transcende lesorganes matériels de l’être animé, et qui nepeut pas être mesuré matériellement, et encoremoins créé : c’est un mystère de la nature, surlequel il est juste que la science travaille, maisdont la science n’est pas maîtresse. Lorsque lascience prétend créer ou manipuler la vie, elle

Hélas, on le sait, ce même 3 septembre2008, le jésuite Federico Lombardi, directeurdu service de presse du Vatican, s’estempressé de préciser que l’article paru dansL’Osservatore Romano « ne peut pas êtreconsidéré comme une position du magistèrede l’Église » (ce n’était pas la question), et le« Conseil pontifical pour la pastorale de lasanté » a pris ses distances en ajoutant que,pour compétent que soit son auteur (LucettaScaraffia, membre du Comité national debioéthique), l’article ne faisait qu’exprimerson « opinion personnelle ».

Ces mises au point immédiates ressemblentfort à un repli face aux réactions enflamméesdes partisans de la « mort cérébrale », dont iln’aurait pas été difficile de réfuter les argu-ments, comme les a réfutés CorrispondenzaRomana dans la mise au point que nouspublions intégralement ci-dessous.

Considérations sur la « mort cérébrale »après l’article de L’Osservatore RomanoL’intolérance médiatique contre l’éditorial

de Lucetta Scaraffia, Les signes de la mort,paru dans L’Osservatore Romano du 3 sep-tembre 2008, conduit à quelques considéra-tions sur le sujet délicat et crucial de la mortcérébrale.

Tout le monde peut s’accorder sur la défini-tion, en négatif, de la mort comme « fin de lavie ». Mais qu’est-ce que la vie ? La biologiequalifie de vivant un organisme qui porte ensoi un principe unitaire et intégrateur qui encoordonne les parties et en dirige l’activité.Les organismes vivants sont traditionnelle-

VIIIe CONGRÈS THÉOLOGIQUE de SÌ SÌ NO NO En partenariat avec l'Institut Universitaire Saint Pie X et D.I.C.I.

L'ÉGLISE D’AUJOURD'HUI : CONTINUITÉ OU RUPTURE ? SOUS LA PRÉSIDENCE DE S.E. MGR BERNARD FELLAY

SUPÉRIEUR GÉNÉRAL DE LA FRATERNITÉ SACERDOTALE SAINT PIE X

2 Janvier 2009, église Saint-Nicolas du Chardonnet, salle des catéchismes3 et 4 Janvier 2009, Palais de la Mutualité, salle Jussieu

Inscriptions possibles chaque matin sur place à partir de 8h30 ;participation aux frais : 3 jours 25 !, 2 jours 20 !, 1 jour 10 !, étudiants 8 !.

Pour toute correspondance spécifier : secrétariat du congrès : 15 rue Pierre Corneille 78000 Versailles,tel 01 39 51 08 73, [email protected]

1) LES PRINCIPES ET LA MÉTHODE D’UN NOUVEAU DISCOURS (Vendredi 2 janvier 2009 de 14h00 à 17h00)• Joseph Ratzinger. Théologien, Cardinal, Pape : rupture ou continuité ? Abbé F. Knittel• Pour une critique de l'herméneutique philosophique. Prof. P. Pasqualucci• Comprendre la crise. Le tournant herméneutique de la théologie contemporaine. Dott.sa L. Scrosati

2) LES POINTS NÉVRALGIQUES DE CE NOUVEAU DISCOURS (Samedi 3 janvier de 9h00 à 12h00)• La définition et l'unicité de l'Église - À propos de la Note doctrinale sur le subsistit in du 11juillet 2007. Abbé P. Bourrat • La mission de l'Église - À propos de la Note doctrinale sur quelque aspects de l'évangélisation du 3 décembre 2007. Abbé A.Calderón• La royauté sociale de Notre Seigneur - À propos des discours de Benoît XVI, du contresyllabus à la laïcité positive. Abbé J.M. Gleize

3) L'ÉGLISE AUJOURD'HUI (Samedi 3 janvier de 14h00 à 17h00)• Un Pape pour deux Églises ? Abbé A. Lorans• De l'humilité chretienne à une Église humiliée. Prof. M. D'Amico• Principe et fondement de notre combat. Abbé N. Pfluger

4) CONCLUSION ET SYNTHÈSE (Dimanche 4 janvier de 14h00 à 17h00)(Le matin est réservé aux messes des prêtres)• Situation de la Messe dans l'Église après le Motu Proprio. Abbé E. du Chalard• Situation actuelle à Rome. S.E. Mgr. B. Fellay

se fait philosophie et religion, glissant vers le« scientisme ».

L’ouvrage Finis Vitæ. La mort cérébraleest-elle encore la vie ?, publié en coéditionpar le Conseil National [italien-ndt] de laRecherche et par Rubettino (Soveria Mannelli2008), avec la participation de dix-huit spécia-listes internationaux, démontre ces notions enpresque cinq cents pages. Non seulement onne peut pas accepter le critère neurologiquequi fait référence à la « mort corticale » carune partie de l’encéphale reste intacte, et lacapacité de régulation centrale des fonctionshoméostatiques et végétatives demeure ; nonseulement on ne peut pas accepter le critèrequi fait référence à la mort du tronc-encéphalecar il n’est pas démontré que les structures au-dessus du tronc aient perdu la possibilité defonctionner si elles sont stimulées d’une autrefaçon ; mais on ne peut pas non plus accepterle critère de la « mort cérébrale », comprisecomme cessation permanente de toutes lesfonctions de l’encéphale (cerveau, cervelet ettronc cérébral) avec pour conséquence un étatde coma irréversible. Le professeur CarloAlberto De Fanti lui-même, neurologue parti-san de l’euthanasie, auteur d’un livre consacréà ce sujet (Soglie, Bollati Boringhieri, Turin,2007), a admis que la mort cérébrale peut êtredéfinie comme un « point de non-retour »,mais qu’elle « ne coïncide pas avec la mort del’organisme comme un tout (qui n’est vérifiéequ’après l’arrêt cardiocirculatoire) »(« L’Unità », 3 septembre 2008). Il est clairque le « point de non retour », à supposerqu’il en soit vraiment un, est une situation de

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Courrier de Rome4 Novembre 2008

très grave infirmité, mais qu’il n’est pas lamort de l’individu.

L’irréversibilité de la perte des fonctionscérébrales, confirmée par l’ « électroencépha-logramme plat », ne démontre pas la mort del’individu. En effet, la perte totale de l’unitéde l’organisme, comprise comme la capacitéd’intégrer et de coordonner l’ensemble de sesfonctions, ne dépend pas de l’encéphale, ni ducœur. La confirmation de l’arrêt de la respira-tion et des battements du cœur ne signifie pasque la source de la vie se trouve dans le cœurou dans les poumons. Si la tradition juridiqueet médicale, en Occident comme ailleurs, atoujours considéré que la mort devait êtreconfirmée à travers l’arrêt des activités cardio-circulatoires, c’est parce que l’expériencemontre que l’arrêt de ces activités est suivi,après quelques heures, du rigor mortis, etdonc du début de la désagrégation du corps.Cela n’est aucunement le cas après la cessa-tion des activités cérébrales. Aujourd’hui, lascience permet qu’une femme présentant unélectroencéphalogramme plat mène à termeune grossesse, et mette au monde un enfantsain. Un individu en état de « coma irréver-sible » peut être maintenu en vie, avec l’aidede moyens artificiels ; un cadavre ne pourrajamais être réanimé, même si on le brancheaux appareils les plus sophistiqués.

Il nous reste à ajouter quelques considéra-tions. Le directeur du Centre National [italien-ndt] des greffes d’organes, Alessandro NanniCosta, a déclaré que les critères de Harvard« n’ont jamais été mis en discussion par lacommunauté scientifique » (« La Repubbli-ca », 3 septembre 2008). Si cela était vrai(mais ce n’est pas le cas) il serait facile derépondre que ce qui caractérise la science,c’est justement sa capacité à toujours mettreen discussion les résultats obtenus. Toutépistémologue sait que la finalité de la sciencen’est pas de produire des certitudes, mais deréduire les incertitudes. D’autres, comme leprofesseur Francesco D’Agostino, présidenthonoraire du Comité National [italien-ndt] deBioéthique, soutiennent que, sur le plan scien-tifique, la thèse contraire à la mort cérébrale

« est largement minoritaire » (« Il Giornale »,3 septembre 2008). Le professeur D’Agostinoa écrit de belles pages pour la défense du droitnaturel, et il ne peut pas ignorer que le critèrede la majorité peut avoir une importance sousl’aspect politique et social, mais certainementpas lorsqu’il s’agit de vérités philosophiquesou scientifiques. Intervenant dans le débat,une spécialiste « laïque » comme LuisellaBattaglia observe que « la valeur des argu-ments ne se mesure pas au nombre de per-sonnes qui les défendent », et que « le fait queles doutes soient avancés par des frangesminoritaires n’a aucune importance du pointde vue de la validité des thèses soutenues »(« Il Secolo XIX », 4 septembre 2008). Parailleurs, sur le plan moral, l’existence mêmed’une possibilité de vie exige que l’on s’abs-tienne d’un acte potentiellement homicide.S’il n’existe que dix pour cent de possibilitéqu’un homme se trouve derrière un buisson,personne n’est autorisé à ouvrir le feu dans sadirection. Dans le domaine de la bioéthique, leprincipe in dubio pro vita reste central.

La vérité est que la définition de la mortcérébrale fut proposée par la Harvard MedicalSchool, au cours de l’été 1968, quelques moisaprès la première greffe de cœur de Chris Bar-nard (décembre 1967), pour justifier au planéthique les greffes de cœur, qui prévoyaientque le cœur prélevé batte encore, c’est-à-direque le « donneur », selon les canons de lamédecine traditionnelle, soit encore vivant. Leprélèvement, dans ce cas, équivaut à un homi-cide, même s’il est réalisé « pour un bien ».La science plaçait la morale face à unequestion tragique : est-il permis de supprimerun malade, fût-il condamné ou dans un étatirréversible, pour sauver une autre viehumaine, de « qualité » supérieure ?

Face à ce dilemme, qui aurait dû entraînerune confrontation entre des théories moralesopposées, l’Université de Harvard prit la res-ponsabilité d’une « redéfinition » de la notionde mort, qui permettait d’ouvrir la voie auxgreffes, tout en contournant les écueils dudébat éthique. Il n’était pas nécessaire de per-mettre de tuer un patient vivant ; il suffisait de

le déclarer cliniquement mort. Après le rap-port scientifique de Harvard, la définition dela mort fut changée dans presque tous les étatsaméricains et, par la suite, aussi dans la majo-rité des pays dits développés (en Italie, le vira-ge fut marqué par la loi du 29 décembre 1993,n. 578, dont l’art. 1 affirme : « La morts’identifie à la cessation irréversible de toutesles fonctions du cerveau. »).

La nature du débat n’est donc pas scienti-fique, mais éthique. Cela est confirmé par lesénateur Ignazio Marino, qui dans un articlede « La Repubblica » du 3 septembre, qualifiel’article de L’Osservatore Romano d’ « acteirresponsable qui risque de mettre en danger lapossibilité de sauver des centaines de milliersde vies grâce aux dons d’organes ». Cesparoles insinuent avant tout un mensonge : lerisque que le refus de la mort cérébrale mèneà l’arrêt de tous les types de dons, alors que leproblème éthique ne concerne pas la majoritédes greffes, mais ne se pose que lorsque leprélèvement d’organes vitaux entraîne la mortdu donneur, comme c’est le cas pour le prélè-vement du cœur. Ceci explique pourquoiBenoît XVI, qui a toujours émis des réserves àl’égard de la notion de mort cérébrale, s’est diten son temps favorable au don d’organes (cf.Sandro Magister, Greffes et mort cérébrales,« L’Osservatore Romano » a brisé le tabou,www.chiesa). Le véritable problème est que letragique prix à payer pour sauver ces vies estqu’il faut en supprimer d’autres. On veut sub-stituer le principe utilitariste, selon lequel onpeut faire le mal pour obtenir un bien, au prin-cipe occidental et chrétien selon lequel il n’estpas permis de faire le mal, même pour obtenirun bien supérieur. Si autrefois, les « signes »traditionnels de la mort devaient assurerqu’une personne vivante ne puisse pas êtreconsidérée comme morte, aujourd’hui le nou-veau concept de Harvard prétend pouvoir trai-ter un vivant comme un cadavre, pour pouvoirprélever ses organes. En amont de tout cela setrouve ce même mépris pour la vie humainequi, après avoir imposé la législation surl’avortement, veut ouvrir les portes à la légis-lation sur l’euthanasie.

TRAITÉ SUR LA TRADITION DIVINEDU CARDINAL FRANZELIN

C a r d i n a l J e a n - B a p t i s t eC a r d i n a l J e a n - B a p t i s t eF R A N Z E L I NF R A N Z E L I N

LA TRADITIONCourrier de Rome

Après la publication, l'an dernier, de Tradition et modernisme du cardinal Billot, le Courrier deRome a fait paraître la première traduction française du Traité sur la Tradition divine du cardinalFranzelin (400 pages, 21 € ou 24 €, port inclus).

L'abbé Jean-Michel Gleize, professeur d'ecclésiologie au Séminaire International Saint-Pie X à Écônea assuré la traduction du traité du cardinal Franzelin, avec une présentation et des notes substantiellesqui en facilitent grandement la lecture.

Élevé au cardinalat par le pape Pie IX en 1876, Jean-Baptiste Franzelin (1816-1886) enseigna pendant vingtans la théologie dogmatique, au collège jésuite de Rome. Théologien écouté lors du premier concile du Vaticanen 1870, il publia cette même année un traité sur la tradition, le De traditione divina, qui l'a rendu célèbre etque l'on considère à juste titre comme l'ouvrage de référence sur la question. Franzelin ne se contente pas d'ydéployer, avec une érudition parfaitement maîtrisée, toutes les ressources de la patrologie grecque et latine.Son traité est construit comme doit l'être une œuvre proprement scientifique. Les deux fonctions, positive etspéculative, de la théologie y sont mises à contribution pour définir avec précision le concept de tradition, dansla dépendance la plus étroite des sources de la révélation. L'ouvrage de Franzelin met ainsi le doigt sur le viceradical du système protestant, qui repose en grande partie sur le refus de ce dogme catholique de la Traditiondivine. Il garde surtout toute son actualité, à l'heure où la fausse notion de tradition vivante, qui est au centredes enseignements du concile Vatican II, est à l'origine des confusions doctrinales dont pâtissent bien desfidèles de l'Église catholique.

En couverture, La chaire desaint Pierre au Vatican, parLe Bernin (1657-1666).

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Courrier de RomeNovembre 2008 5

1- UN OUVRAGE QUI N’A PAS VIEILLI

Le cardinal Jean-Baptiste Franzelin, dela compagnie de Jésus, mourut le 11décembre 1886, à Rome, laissant le souve-nir d’un religieux exemplaire. Il est sur-tout resté célèbre pour son maître ouvrage,le De traditione divina, le grand traitéthéologique sur la Tradition, paru en 1870.C’est le chef d’œuvre du maître, et commetous les chefs d’œuvre, c’est un ouvragequi n’a pas vieilli. Dès que l’on veut sepencher un peu sérieusement sur les textesdu concile Vatican II, pour analyser lesdifficultés qu’ils posent à la consciencedes catholiques, on ne peut pas ignorerl’étude de Franzelin ; car la pierre d’anglesur laquelle repose pour une bonne part lanouvelle ecclésiologie, la nouvelle théolo-gie du magistère et de la foi, est l’idéemoderniste de la tradition vivante. Et defait, nous voyons bien comment le traitéde Franzelin est aujourd’hui largementmis à contribution, dans un sens ou dansl’autre, par tous ceux qui veulent donnerune réponse un peu argumentée aux pro-blèmes soulevés par le dernier concile.

2 - L’AVANTAGE D’UNE TRADUCTION

On ne prête qu’aux riches, d’autant plusfacilement, que le commun des mortels estmoins bien placé pour faire la part de l’au-thentique. Dans un passage resté célèbre,saint Jérôme a démasqué, non sans une cer-taine sévérité, cette tactique de la poudreaux yeux : « Rien de plus facile », dit-il,« que de séduire une plèbe vulgaire etignorante par un discours volubile, carmoins elle comprend, plus elle admire 1. »Aujourd’hui, nous faisons tous plus oumoins partie de cette plèbe vulgaire etignorante, parce que la méconnaissance dulatin tend à se généraliser. Les ouvragesdes grands théologiens d’avant le dernierconcile en deviennent de moins en moinsfaciles d’accès. Aura beau mentir, ous’abuser, qui vient de loin … L’avantaged’une traduction 2 est de donner accès à lavéritable pensée de l’auteur : chacun peutjuger sur pièces, sans gloses ni oracles.C’est Franzelin qui parle.

Le traité de Franzelin comporte quatregrandes parties, qui totalisent 26 thèses(ou chapitres). La première partie (thèses1-12) étudie en détail la notion de Tradi-tion divine. C’est la partie la plus impor-tante et donc la plus longue, qui représenteà elle seule la moitié de l’ouvrage. Ladeuxième partie (thèses 13-17) est consa-crée aux monuments de la Tradition, c’est-à-dire aux sources grâce auxquelles la Tra-dition est conservée et parvient jusqu’ànous. La troisième partie (thèses 18-21)examine la nature des rapports qui existententre la Tradition et l’Écriture. Enfin, la

quatrième partie (thèses 22-26) porte surl’explicitation du dogme, et montre enquel sens on peut admettre un certain pro-grès de la Tradition.

3 - BREF EXAMEN CRITIQUEDU PROTESTANTISME

Le premier souci de Franzelin est deporter le coup de grâce au protestantisme.Et il le fait avec méthode, en indiquanttout de suite le point central du débat :« Existe-t-il, en dehors des Écritures, unautre organe grâce auquel se conserve entoute sécurité la doctrine pure et intègretransmise à l’origine par le Christ et parles apôtres ? Les protestants sont bienobligés de le nier, s’ils veulent sauvegar-der leur hérésie 3. »

L’essentiel de la réfutation se trouvedans la thèse 20, lorsque Franzelinexplique l’existence de la Tradition divine,telle que le magistère de l’Église la trans-met et la propose de vive voix, et quipasse avant les Écritures inspirées 4. Leprincipe sur lequel repose tout le protes-tantisme est en effet la négation même dela Tradition. Il s’énonce ainsi : « Nouscroyons, nous confessons et nous ensei-gnons qu’il y a une seule règle et uneunique norme d’après laquelle on doit esti-mer et juger tous les dogmes et tous lesdocteurs, il n’y en a pas d’autre que lesécrits des prophètes et des apôtres, dansl’Ancien et dans le Nouveau Testament. »Mais c’est là un principe qui ne se trouvenulle part dans les écrits inspirés, ni dansl’Ancien, ni dans le Nouveau Testament.« C’est pourquoi », conclut Franzelin,« si les protestants partent du principequ’on ne doit rien croire en dehors de l’É-criture, par le fait même ils croient etimposent à croire en guise de principe pre-mier […] un postulat qui n’est pas dansl’Écriture et qu’ils présentent comme leurdogme à eux. En énonçant ce principed’après lequel ils nient qu’on doive croireautre chose que l’Écriture, il affirment parle fait même qu’il faut croire ce qui n’estpas dans l’Écriture et il y a là une contra-diction manifeste. »

Ce n’est pas tout. « Toutes les sectesprotestantes tiennent encore, dans leurprofession de foi comme en pratique, cer-taines positions, qu’ils n’ont pu qu’em-prunter à la tradition de l’Église catho-lique, puisqu’elle ne sont consignées nullepart dans les Écritures ». Par exemple,l’inspiration des livres saints ou encore lasanctification non plus du sabbat mais dudimanche. « Ces croyances », remarquejustement Franzelin, « reposent unique-ment sur la tradition et l’autorité dumagistère de l’Église catholique, on n’entrouve nulle trace écrite. »

La conclusion s’impose : « Voilà pour-quoi ce principe de base du protestantis-me, tel qu’ils l’énoncent dans leurs sym-

boles de foi, implique en lui-même contra-diction et contredit tout le reste de leurdoctrine. » C’est la contradiction où ons’enferme dès que l’on rejette l’institutiondivine du magistère ecclésiastique, qui est« l’institution fondamentale établie par leChrist ». L’Écriture est seulement « unesource partielle et un instrument au servicede la doctrine ». C’est pourquoi, « leChrist et les apôtres déclarent explicite-ment et de mille manières cette institutionfondamentale du magistère ; mais il n’enva pas de même pour ce qui est de mettrela doctrine par écrit : le Christ n’a jamaisdonné un tel précepte à ses apôtres. […]Ces derniers n’ont pas tous composé desécrits, et encore moins ont-ils pensé qu’ilsdevaient renfermer dans des livres toute ladoctrine qu’ils prêchaient 5. »

4 - CONSTANCE ET UNANIMITÉDE LA PRÉDICATION DE L’ÉGLISE

4.1 - Un magistère traditionnelet constant

Franzelin montre ensuite que le magistè-re de l’Église doit se définir dans un senstrès particulier, car c’est un magistèreessentiellement traditionnel 6. Il y a eneffet une différence essentielle entre letout premier magistère des apôtres et celuide leurs successeurs. « L’apostolat fut ins-titué pour fonder l’Église, en prêchanttoute la vérité révélée. Par le fait même,les successeurs des apôtres ne peuventavoir pour fonction de révéler encore uneautre vérité ; ils doivent au contraireconserver et prêcher dans son intégrité etsa signification authentique toute la véritéque les apôtres ont reçue. » Le magistèreapostolique est l’organe de la révélation,tandis que le magistère ecclésiastique estl’organe de la tradition, et la traditiondépend de la révélation comme de sa règleet de son principe fondamental. « Lemagistère appartient aux apôtres comme àceux qui vont promulguer pour la premiè-re fois toute la révélation de la foi catho-lique […] tandis que chez leurs succes-seurs, c’est un magistère qui doit prêcherdans sa totalité cette doctrine, dont la révé-lation est désormais achevée. »

Si le magistère ecclésiastique dépend dumagistère apostolique comme de sa règle,la prédication de ce magistère ecclésias-tique doit rester conforme à celle desapôtres : cette prédication traditionnellereste constante : « Les successeurs desapôtres apparaissent toujours comme lestémoins et les docteurs chargés de propo-ser uniquement ce qu’ils ont reçu desapôtres. Car leur charge et leur office apour objet de demeurer fidèles à l’ensei-gnement qu’ils ont reçu et aux vérités quileur ont été confiées par les apôtres,comme des disciples qui reconnaissentleur maîtres. »

3. Thèse 3, n° 26.4. Thèse 20, n° 436-438.

ACTUALITÉ DE FRANZELIN

1. SAINT JÉRÔME, Lettre 52 à Népotien, n° 8 dansPL, 22/534.2. La première traduction française du traitéde Franzelin vient d’être publiée aux Édi-tions du Courrier de Rome.

5. Thèse 4, n° 40.6. Thèse 22, n° 470-472.

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Courrier de Rome6 Novembre 2008

4.2 - Un magistère vivantIl est vrai que l’Église explicite l’expres-

sion des vérités révélées et procure ainsiaux fidèles une intelligence plus pénétran-te du dépôt de la foi. C’est en ce sens quel’on a pu dire que le magistère traditionnelétait aussi un magistère vivant.

En effet, « il est clair que des véritésobjectives peuvent faire partie du dépôt dela foi, sans que pour autant la prédicationpublique de l’Église les ait toujours pro-posées de façon suffisante pour que l’onsoit tenu d’y adhérer par un acte de foicatholique explicite. Et on peut démontrerqu’il en fut bien ainsi de fait. Il suffit des’appuyer sur toutes les définitions desconciles et des papes, qui déclarentcomme étant de foi des vérités à proposdesquelles les théologiens catholiques sui-vaient jusque là des avis différents, sanspréjudice de la foi et de leur appartenanceà l’Église. Et ils étaient tous d’accord pourreconnaître que ces vérités ne faisaient pasencore partie du dépôt de la foi, tel quel’Église l’avait suffisamment déclaré etimposé à croire. On peut aussi établir lamême conclusion en observant qu’il y aencore aujourd’hui plusieurs questionsthéologiques qui ne sont pas définies, queles papes et les conciles ont laisséessciemment et volontairement sans solutionet qui concernent pourtant le sens de cer-tains points de la révélation 7. »

Cela s’explique aisément 8. « Lesdogmes révélés par Dieu sont d’autantplus féconds qu’ils sont plus profonds. Ilspeuvent correspondre d’une infinité demanières aux exigences des différentesépoques. Ils s’opposent à des erreurs fortdiverses, telles que la faiblesse ou la per-versité humaines peuvent les inventer. »C’est seulement lorsque ces erreurs fontleur apparition que l’explicitation s’avèrenécessaire. En effet, ces erreurs remettenten cause la vérité implicite qui jouissaitjusque là d’une possession pacifique. Pourmaintenir la tranquillité de l’ordre au seinde la croyance et éviter les divisions ausein de l’Église, le magistère doit se pro-noncer et affirmer sur le ton solennel quilui appartient la vérité qui est désormaismise en doute. « Il pouvait donc y avoirdans cette prédication des apôtres desvérités énoncées sans trop de précisions età cause des hérésies qui survinrent par lasuite, il devint nécessaire d’en donner uneexplication plus précise, pour réfuterdirectement une certaine forme d’erreur.Ainsi, les Pères et les conciles ont définides expressions et l’Église a consacré desformules qui prirent la valeur de profes-sions de foi. »

Cette prédication devient plus préciselorsque le magistère de l’Église donne uneintelligence plus profonde du dogme. Il ya progrès non du dogme mais de l’intelli-gence du dogme chez les fidèles, qui sont

davantage protégés contre les attaques del’erreur. C’est le passage d’une connais-sance implicite à une connaissance expli-cite ; le changement affecte le mode selonlequel va s’exercer l’adhésion de l’intel-lect du fidèle à l’objet de foi. L’objet defoi reste inchangé, et il est formellementrévélé avant comme après la définition dupape.

Le fidèle croyait par exemple jusqu’iciimplicitement à l’Immaculée Conceptionen croyant explicitement que la Très Sain-te Vierge possédait la plénitude de grâce(Lc, 1/28). Cette plénitude de grâceimplique beaucoup de choses, et en parti-culier la conception indemne du péché ori-ginel. Cette conséquence particulière a étéexplicitée par la définition du pape Pie IX(tandis qu’une autre conséquence particu-lière sera explicitée par Pie XII lorsqu’ilproclamera le dogme de l’Assomption).Depuis lors, le fidèle est tenu de croirenon plus seulement implicitement maisencore explicitement la vérité de l’Imma-culée Conception. L’évolution porte doncprécisément et exclusivement sur le modede la croyance : la façon dont le croyantexerce son acte, de façon implicite etexplicite et non sur l’objet de la croyance.

4.3 - Aux antipodes de la nouvelletradition vivante

Ainsi donc, d’une part le progrès decette intelligence doit s’accomplir « dansla même croyance, dans le même sens etdans la même pensée » 9, sans remettre enquestion la teneur objective du dépôtrévélé. D’autre part, c’est le magistèreinfaillible et constant, le magistère tradi-tionnel de l’Église, et lui seul, qui doitdonner cette intelligence, non la simpleraison naturelle ni la seule philosophie.C’est pourquoi, Franzelin rappelle encore 10

la définition solennelle de la constitutionDei Filius, avec laquelle le concile VaticanI, a consacré de son autorité cette propriétéessentielle du magistère ecclésiastique, quiest d’être un magistère constant. « La doc-trine de foi que Dieu a révélée n’a pas étéproposée comme une découverte philoso-phique à faire progresser par la réflexionde l’homme, mais comme un dépôt divinconfié à l’Épouse du Christ pour qu’elle legarde fidèlement et le présente infaillible-ment. En conséquence, le sens des dogmessacrés qui doit être conservé à perpétuitéest celui que notre Mère la sainte Église aprésenté une fois pour toutes et jamais iln’est loisible de s’en écarter sous le pré-texte ou au nom d’une compréhensionplus poussée 11. » À cette définition, cor-respond le canon suivant : « Si quelqu’undit qu’il est possible que les dogmes pro-posés par l’Église se voient donner par-fois, par suite du progrès de la science, unsens différent de celui que l’Église a com-

pris et comprend encore, qu’il soit anathè-me 12. »

Cette définition est importante, car ellecondamne à l’avance la notion fausse de latradition vivante. L’ancêtre de cette notionest le prêtre allemand Antoine Günther(1783-1863), qui fut condamné en 1857par le pape Pie IX, réaffirmant « lecaractère constamment immuable de la foi» 13. Pour Günther, au contraire, l’intelli-gence de la foi se développe et évolue aucours du temps, grâce au simple apport dela philosophie et de la raison naturelle, etnon pas grâce au Saint-Esprit qui assiste lemagistère infaillible de l’Église. Selon lui,« il fallut attendre la découverte de cettevraie philosophie pour ouvrir la voie àl’intelligence parfaite de toute larévélation » 14 et dans ce développementde la vérité au cours du temps, le seul rôledu magistère de l’Église est « de déciderquel est, parmi les différentes manièressuccessives de comprendre le dogme, cellequi est la plus adaptée au moment présent» 15. C’est pourquoi « on doit considérerces définitions que l’Église promulgue auxdifférentes époques de son histoire commesi elles contenaient une certaine part devérité, sans y voir la vérité tout court et lavéritable intelligence proprement dite dudogme 16. »

Il suffira de faire dépendre le développe-ment de la vérité non plus du développe-ment de la raison naturelle ou de la philo-sophie mais de l’évolution de la conscien-ce individuelle ou du sentiment religieuxpour aboutir à la conception rénovée de latradition vivante, telle qu’elle sévit aujour-d’hui avec le néo-modernisme. Mais pourêtre revue et corrigée par la philosophieimmanentiste, qui sert de base à ce moder-nisme, cette nouvelle conception procèdeen droite ligne de Günther, et mérite tou-jours la condamnation du pape Pie IX.

5 - MAGISTÈRE HIÉRARCHIQUEET CROYANCE DES FIDÈLES

La tâche du magistère est de conserverintacte la foi de l’Église. Comme l’expliqueFranzelin 17, cela implique deux vérités. «D’une part le Saint-Esprit conserve dans lasociété des fidèles l’intégrité de la foi tou-jours intacte. D’autre part, le Saint-Espritobtient un tel résultat non seulement enagissant directement et sans recourir à unministère visible, mais aussi à traversl’exercice du magistère authentique des suc-cesseurs des apôtres 18. »

Bien sûr le Saint-Esprit peut toujoursagir à l’intime des âmes, par la grâce.Cependant, cette action mystique est insé-parable de l’action sociale du magistère.Le Saint-Esprit agit dans les âmes dans la

9. Concile Vatican I, constitution Dei Filius,chapitre 4 dans DS 3020.10. Thèse 25, n° 529.11. Concile Vatican I, constitution Dei Filius,chapitre 4 dans DS 3020.

12. Concile Vatican I, constitution Dei Filius,canon 3 du chapitre 4 dans DS 3043.13. PIE IX, Bref Eximiam tuam à l’archevêquede Cologne, du 15 juin 1857 dans DS 2829.14. Thèse 25, n° 525.15. Thèse 25, n° 525.16. Thèse 25, n° 525.17. Thèse 12, n° 193-209.

7. Thèse 23, n° 490.8. Thèse 23, n° 485 et 489.

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Courrier de RomeNovembre 2008 7

mesure où les âmes restent dans la dépen-dance de la hiérarchie de l’Église. « Lors-qu’on parle de cette grâce intérieure enl’appelant doctrine, révélation, témoigna-ge, on ne doit pas entendre les expressionsde ce genre au sens où elles excluraient lagrâce extérieure et la prédication authen-tique. On doit au contraire les prendrecomme si elles signifiaient en mêmetemps cette deuxième notion 19. » Tous lespassages de l’Écriture sur lesquels les pro-testants ont voulu se baser pour défendreleur postulat du libre examen ou d’uneinspiration individuelle directe (1 Jn, 2/18-21 et 2/24-27 ; Isaïe, 54/13 ; Jér, 31/31-34) ne peuvent pas s’entendre à l’exclu-sion de l’activité du magistère, mais sup-posent au contraire cette activité 20.

Il y a donc une dépendance essentiellede l’Église enseignée vis-à-vis de l’Égliseenseignante. Et plutôt que de parler, à pro-pos des fidèles, d’une « infaillibilité pas-sive de l’Église », Franzelin estime qu’ilvaudrait mieux « distinguer l’infaillibilitédans la croyance et l’infaillibilité dansl’enseignement, ou encore l’infaillibilitéde l’obéissance de la foi et celle de la pré-dication et de la définition de la foi 21. »

Sans doute, saint Hilaire a-t-il pu direque « les oreilles du peuple sont plussaintes que les cœurs des prêtres » 22. Maiscette expression doit s’entendre dans unsens bien précis. « Le peuple », dit Franze-lin, « préfère demeurer dans l’unité et enaccord de pensée avec les prêtres quidemeurent eux-mêmes dans l’unité et enaccord de pensée avec l’Église, plutôt quede suivre la doctrine des prêtres qui sesont détachés de l’unité et de la foi com-mune. Il serait parfaitement absurde d’en-tendre ici les cœurs des prêtres sans préci-sion, ou de penser que le peuple soit établijuge des prêtres. Car l’ordre est exacte-ment inverse et les cœurs des prêtres, laconscience de leur foi et l’intelligencecatholique des pasteurs demeurant dansl’unité de l’Église sont la cause ministé-rielle et l’organe grâce auquel l’Esprit devérité modèle les saintes oreilles dupeuple, en formant le sens et l’intelligencecatholique de ceux auxquels il revient d’é-couter, d’apprendre et de rendre l’obéis-sance de la foi 23. » Le sens de la foi («sensus fidei ») est donc l’effet, non la

cause, de l’activité du magistère ecclésias-tique.

6 - EN CAS DE NÉCESSITÉ :LE RECOURS À LA DOCTRINE DE TOUJOURS

Pour le prouver, Franzelin envisagemême un cas limite (dont on pourrait pen-ser aujourd’hui qu’il n’est rien moins quethéorique). « Il peut sans doute arriver quedes évêques, même nombreux, même ceuxde provinces entières, perdent la foi et quepourtant la plus grande partie du troupeaudes fidèles demeure dans la profession defoi catholique et préfère se rattacher dansl’unité et l’accord de pensée aux succes-seurs des apôtres, qui demeurent eux-mêmes attachés dans l’unité et l’accord depensée au centre de l’unité, c’est-à-dire ausiège de Pierre 24. »

Dans une pareille situation critique, l’É-glise enseignée aura toujours le moyen dereconnaître l’authentique prédication del’Église enseignante, car celle-ci doit tou-jours demeurer comme telle, d’unemanière ou d’une autre, chez une partie aumoins des pasteurs, demeurés fidèles. Et ily aura toujours un signe indubitable pourreconnaître cette prédication. Mais Fran-zelin ne dit pas que c’est d’abord et avanttout la prédication des pasteurs qui obéis-sent au successeur de Pierre. C’est la pré-dication des pasteurs qui obéissent au suc-cesseur de Pierre, en tant que celui-ci obéitlui-même au Christ, en continuant à trans-mettre le dépôt. Le véritable magistère doittoujours rester un magistère constant et tra-ditionnel. Il suffit « qu’il soit constant àtransmettre la doctrine déjà reçue une foispour toutes, et c’est moyennant cetteconstance qu’il demeure pour le peuplecatholique une norme vivante qui règle safoi et le lien qui établit son unité » 25.

La constance de l’enseignement tradi-tionnel est donc le critère par excellence,nécessaire et suffisant, de la prédicationauthentique de la foi catholique. « Il estimpossible qu’une doctrine révélée, aprèsavoir été unanimement défendue et expli-citement professée parmi les successeursdes apôtres, en vienne à être niée à l’inté-rieur de l’Église. Et réciproquement, il estimpossible qu’une doctrine, après avoirété niée et condamnée à l’unanimité, soitdéfendue 26. »

7 - L’ACTUALITÉ DE FRANZELIN

Mgr Lefebvre a toujours invoqué ce

critère de la constance, l’argument des 20siècles de Tradition, pour justifier la résis-tance des catholiques, face aux erreurs duconcile Vatican II. En particulier, il estclair que les enseignements de la déclara-tion Dignitatis humanæ sur la liberté reli-gieuse (spécialement au n° 2) qui sontl’expression même des erreurs solennelle-ment condamnées par le magistèreinfaillible du pape Pie IX dans l’ency-clique Quanta cura de 1864. Il est doncimpossible d’accepter ce texte du concileVatican II.

« Nous sommes obligés de constaterque l’orientation que prend l’Égliseactuellement se trouve en contradictionavec ce que vos prédécesseurs ont dit. Etnous voilà obligés de choisir. C’est undrame pour nous. Choisir entre l’Églised’aujourd’hui, l’orientation de l’Églised’aujourd’hui et ce que l’Église a enseignépendant deux mille ans.

Que pouvons-nous faire ? Nous ne pou-vons que nous rapporter à deux mille ansde Tradition. Ce n’est pas possible de nousdétacher de l’Église. Ce serait faire unschisme. Nous détacher de l’Église dedeux mille ans ! […]. Nous voyons leserreurs qui sont enseignées actuellement,les pratiques contraires à la tradition del’Église ; des choses qui sont contraires ànotre foi. Nous devons dire : non. Nous nepouvons pas accepter ce qui va à l’en-contre de notre foi. Qui que ce soit quinous l’enseigne. Même si c’est un angevenu du Ciel, disait saint Paul, nous nepouvons pas abandonner notre foi.[...] Etc’est pourquoi nous nous attachons à laTradition de l’Église. Parce que, en restantfidèle à ce que l’Eglise a toujours enseignépendant deux mille ans, nous sommes sûrset certains de ne pas nous tromper 27. »

En invoquant cet argument des 20siècles de Tradition, Mgr Lefebvre n’a faitque suivre les enseignements jadis reçusde ses maîtres au Séminaire Français deRome, enseignements qui étaient et restenttoujours l’expression de la doctrine catho-lique de l’Église. C’est le mérite de Fran-zelin d’en avoir donné la formulationthéologique la plus achevée. C’est pour-quoi, la lecture de son ouvrage peut utile-ment éclairer les esprits, en leur faisantmieux comprendre le bien-fondé et lanécessité de cette résistance aux erreurs dudernier Concile.

Abbé Jean-Michel GLEIZE

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27. MGR LEFEBVRE, Homélie à Ecône, le 19 sep-tembre 1976 dans Vu de haut.

23. Thèse 12, n° 209.24. Thèse 12, n° 209.25. Thèse 12, n° 209.26. Thèse 9, n° 158.

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Courrier de Rome8 Novembre 2008

COURRIER DE ROMEEdition en Français du Périodique

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Novembre 2008_Octobre 2006.qxd 24/03/2015 11:23 Page 8

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s ì s ì no no« Que votre OUI soit OUI, que votre NON soit NON, tout le reste vient du Malin »

(Mt 5, 37)

Le numéro 3€

Décembre 2008Mensuel - Nouvelle SérieAnnée XLI n° 317 (507)

Au début du XXe siècle, la Grande guerreentre la Femme vêtue de soleil et le dragon(cf. Apoc. 12) - une guerre qui traverse toutehistoire sans exception - devient de plus enplus radicale et atteint son sommet en «s’incarnant » d’une certaine façon dans deuxévénements : à une extrémité du continenteuropéen, berceau de la Chrétienté, dans lepetit village inconnu de Fatima, cette Femmeapparaît dans toute sa splendeur et sa sollici-tude maternelle ; à l’autre extrémité, dans lagrande nation russe, la plus étendue et la pluspeuplée d’Europe, l’attaque du diable la plusperverse la plus délétère se présente aumonde, avec pour caractéristiques le menson-ge, le blasphème et la mort. Ce sont lescaractéristiques de la première bête dontparle saint Jean dans l’Apocalypse (ch. 13),qui reçoit toute sa puissance et son autoritédu dragon ; elle « ouvre la bouche en blas-phèmes contre Dieu » et provoque emprison-nement et martyre.

C’est parce que le pouvoir de cette bête, decette « créature » du diable, vient du dragonlui-même, qu’elle ne peut pas être affrontéeavec des moyens humains, et même les

S’il y a une vérité que la Tradition nouslivre, et qui est aujourd’hui à peu près igno-rée et ouvertement refusée par la presquetotalité des catholiques, c’est la Royautésociale de Notre-Seigneur Jésus-Christ.Quand on parle des rapports entre l’État etl’Église, le « gâteau » est partagé entre leslaïcistes « à la française », les athées « à lasoviétique » et la « saine laïcité ». À la doc-trine de l’Église - car c’est de cela qu’ils’agit - ne restent même pas des miettes.

Mais comment cela a-t-il pu arriver ? Et ensi peu de temps ? En effet, si nous jetons uncoup d’œil aux encycliques papales, nous

moyens ordinaires de la grâce ne sont passuffisants. C’est pourquoi Dieu miséricor-dieux a envoyé en personne Celle qui depuisle commencement a été prédestinée à écraserla tête du malin, et il nous a donné un moyensimple concret pour combattre les pièges denotre temps ; c’est la dévotion au CœurImmaculé de Marie, à mettre en œuvre dedeux façons très précises : les cinq premierssamedis du mois, et la consécration solennel-le de la Russie au Cœur Immaculé de Marie.

Mais pourquoi Dieu choisit-il de fairedépendre le salut du monde entier de moyenssi petits et, d’une certaine façon, si insigni-fiants ? Et pourquoi justement ces moyens etnon pas d’autres ?

La réponse à ces questions résonne avecdouceur aux oreilles catholiques, elle estdonc motif de scandale, de colère, de déri-sion et d’incrédulité pour les autres. La sim-plicité de Dieu bat en brèche l’astuce dumalin, et sa faiblesse, comme l’écrit saintPaul, est plus forte que toute puissancehumaine ou diabolique. Il est clair qu’il fautici un acte de foi, sans lequel le remède pro-posé à Fatima semble une pure folie ; et c’est

« J’ENDURCIRAI LE CŒUR DU PHARAON » (EX. 7, 3)L’AVEUGLEMENT DES CATHOLIQUES ET LA ROYAUTÉ

SOCIALE DE JÉSUS-CHRISTnous apercevons que, jusqu’à il y a cinquanteans, les enseignements sur l’État confession-nel, la supériorité du pouvoir spirituel sur lepouvoir temporel, le pouvoir indirect del’Église, etc. étaient encore reconnus et pré-sents, bien que déjà objets d’une critiquesévère.

Les réponses à ces questions oriententnotre recherche vers deux événements clésdu siècle dernier : la montée du communismeavec ses influences létales sur le mondecatholique, et les grandes apparitions de latrès Sainte Vierge aux trois pastoureaux deFatima le 13 juillet 1917, apparitions célèbres

à cause du grand secret confié aux troisenfants, et l’apparition du 13 juin 1929 à Tuy.

Nous proposons une réflexion développéeen trois phases, correspondant à troisarticles :

1) L’analyse de l’essence du communismeet la solution proposée par le ciel.2) Le choix tragique de la voie diploma-tique par les autorités ecclésiastiques :Pie XI et Pie XII.3) « La Russie répandra ses erreurs dans lemonde ». L’Ostpolitik de Jean XXIII est leprincipe des nouveaux concordats.

ANALYSE DE L’ESSENCE DU COMMUNISME ET LA SOLUTION PROPOSÉE PAR LE CIELLA FEMME ET LE DRAGON : FATIMA ET MOSCOU

précisément ce que la Vierge demande, lors-qu’elle demande que le Saint Père et tous lesévêques lui consacrent la Russie.

L’histoire du siècle dernier est l’histoire dela bienveillance de Dieu et de la résistancedes hommes d’Église à la grâce ; ceux-ci ontpréféré suivre une autre voie, plus « raison-nable et concrète » : la voie du compromisdiplomatique avec le communisme. Là où leSeigneur demandait que la Russie soit consa-crée, manifestant ainsi la centralité de laRoyauté sociale de Jésus-Christ par le CœurImmaculé de Marie, les hommes d’Égliseont répondu par le refus de la consécration etpar le compromis. La conséquence est sousles yeux de tous : l’aveuglement des Autori-tés ecclésiales, la dissolution de la Chrétientéet les erreurs de la Russie qui envahissent lemonde.

MATÉRIALISME HISTORIQUE ET DIALECTIQUE

Avant tout, il est nécessaire de comprendrel’essence du communisme, pour ne pas laconfondre avec certains éléments passagersd’opportunisme historique.

La caractéristique essentielle du commu-

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Courrier de Rome2 Décembre 2008

nisme est le matérialisme ; mais il ne s’agitpas d’un matérialisme à quatre sous, inter-changeable avec le consumérisme. Il s’agitau contraire d’une conception totalisante dela réalité ; Lénine l’expliquait très bien : « laphilosophie du marxisme est le matérialis-me... La philosophie de Marx est le matéria-lisme philosophique intégral 1. » Il n’y a doncrien qui transcende l’homme, réduit à êtrepurement matériel. Mais il faut préciser, pourne pas tomber dans une erreur répandue, quele matérialisme scientifique ou marxisten’affirme pas que la matière est absolue : « ilest impossible de montrer une incompréhen-sion plus complète du marxisme, puisque leprincipe du marxisme est précisément qu’iln’y a aucun absolu, qu’il n’y a rien qui puis-se être posé comme ayant une existence quise suffise à elle-même et qui dure, il y a seu-lement des forces en lutte, lesquelles ne lais-seront jamais rien durer ni exister 2. »

En effet, ce matérialisme se distingue desmatérialismes « traditionnels » par soncaractère historique et dialectique. Pourceux qui ne sont pas familiarisés avec la phi-losophie moderne, le matérialisme dialec-tique conçoit la réalité non seulement commepure matière (qui ensuite se manifeste denombreuses façons, y compris celles quenous définissons comme réalités spirituelles,mais qui en réalité, d’après le matérialisme,ne sont pas autre chose que le produit del’évolution de la matière), mais aussi commematière infiniment en mouvement. Et cemouvement n’est pas fortuit, mais il se réali-se toujours comme opposition entre deuxcontraires (thèse et antithèse), qui produit unesituation nouvelle (synthèse) ; à son tour lasynthèse devient thèse, qui doit être dépassépar une autre antithèse, et ainsi de suite.

Un dernier passage : le matérialisme dia-lectique est la loi n’ont pas des « choses »mais de l’histoire, de la société : « le mondene doit pas être conçu comme un ensemblede choses accomplies, mais comme unensemble de processus, dans lesquels leschoses en apparence stables, et leur refletintellectuel dans notre tête, les concepts, tra-versent un processus ininterrompu de deve-nir et de déchéance 3. » Donc toute la réali-té n’est rien d’autre que matière et mouve-ment dialectique. Les conséquences de cettethéorie sont évidentes, comme l’affirme clai-rement Engels : « Si, dans les recherches, onpart toujours de cette façon de voir, alorsfinit une fois pour toutes l’exigence de solu-tions et de vérités définitives : on est tou-jours conscient que toute connaissanceacquise est nécessairement limitée, qu’elleest conditionnée par les circonstances danslesquelles on l’a acquise ; de même on ne selaisse plus imposer les vieilles antinomiesentre vrai et faux, bon et mauvais, identiqueet différent, nécessaire et fortuit 4. »

Il est par trop évident qu’une telle concep-tion de la réalité n’est pas seulement lanégation de la perspective chrétienne, maisqu’elle en est en quelque sorte la dissolu-tion. En effet, le communisme n’est pas àproprement parler une alternative au chris-tianisme, car de fait, le communisme nepropose pas d’alternative. On ne peut pasaffirmer : « ce type de société est l’idéal ducommunisme », ou « ce type d’homme estl’objectif du communisme ». Beaucoup ontinterprété ainsi le communisme et ont com-mis d’incroyables bévues. En plaçant lacontradiction au cœur même de l’être, l’issuedu communisme ne peut être que le nihilis-me. Il n’y a ni but, ni finalité dans le commu-nisme : cela exigerait un ordre, une valeurstable, au-dessus des autres. Mais tout celaest nié dès le départ. Le communisme n’a pasd’autre « but » que la négation même, larévolution pour la révolution.

« Marx n’est pas parti du prolétariat, deses besoins et de ses souffrances, de la néces-sité de le libérer, pour trouver ensuite,comme seule voie de salut du prolétariat, laRévolution. Au contraire, il a fait le chemininverse... En cherchant la possibilité de laRévolution, Marx a trouvé le prolétariat 5. »Clair. Et bouleversant. Nous nous trouvonspour ainsi dire face à une « révolution de larévolution ». En effet, pour le sens commun,une révolution peut être un moyen pouratteindre une fin : conformément à cettecompréhension, le marxisme a généralementété identifié à la cause du prolétariat. Maisrien n’est plus faux : « L’action révolution-naire n’est pas pour lui [le marxiste] unmoyen : elle a été voulue comme l’œuvregigantesque dans laquelle l’homme nouveause créera lui-même, il s’agit de trouver lesmoyens de cette action révolutionnaire. Or àl’époque de Marx, un excellent moyen seprésente : l’extrême misère et la totale insa-tisfaction de la classe prolétaire. Le bonheurdu prolétariat ne constitue pas une fin pourle marxiste, comme on le croit communé-ment, mais c’est la misère du prolétariat quiest un moyen pour l’action révolutionnaire...Pour développer une volonté révolutionnairetotale, qui ne veuille rien conserver, danslaquelle ne subsiste rien de conservateur, quiveuille tout transformer, créer une sociétécomplètement nouvelle [pour ensuite la révo-lutionner à nouveau – nda], il fallait deshommes qui n’aient absolument rien, quisoient dépourvus de tout 6. » C’était précisé-ment le cas du prolétariat, qui vivait dans unecondition de déracinement affectif, culturel,spirituel. C’est le cas aujourd’hui de lamajeure partie des personnes, volontairementexposés aux perversions les plus délétères.Réfléchissez : pourquoi faciliter la rupture del’union conjugale, en légalisant le divorce, ladéstabilisation de la famille, à travers la faus-se émancipation de la femme, les unions defait, etc. ? Pourquoi encourager la destructionde la jeunesse, en dépénalisant toujours

1. V. I. LÉNINE, Trois sources et trois partiesintégrantes du marxisme.2. J. DAUJAT, Connaître le communisme.3. F. ENGELS, Hegel, Feuerbach et la dialectique, inMatérialisme dialectique et matérialisme historique,par C. Fabro, Brescia, 1962, p. 212.4. Ibidem.

5. A. ROSENBERG, Storia du bolchevisme, Florence,1969, p. 3. L’auteur fut membre de la Trilatérale.6. J. DAUJAT, Connaître le communisme, cit., pp. 51-52.

davantage les drogues, en favorisant lesdivertissements délétères, en jetant en pâtureles jeunes et les enfants à des sociétés immo-rales ? Pourquoi le déracinement del’homme par rapport à sa civilisation et à saculture au nom de la multiculturalité ? Toutcela sert à la cause révolutionnaire, carlorsque l’homme est faible et instable, alorsseulement il est facilement manipulable etexploitable.

LE REMÈDE

Face à cette « matérialisation » du spirituelet du surnaturel, Dieu pose comme remèdeun acte de consécration. C’est justementdans la disproportion entre l’énorme machi-ne de la révolution et le petit remède indiquépar le Ciel qu’est renfermée la sagesse deDieu. Il veut que tous reconnaissent (et c’estpourquoi il demande une consécration offi-cielle et publique) la conversion de la Russiecomme l’effet exclusif de l’action décisivedu surnaturel dans l’histoire, si ouvertementliquidée par le communisme. Et en particu-lier en passant par Celle qui non seulement avécu en plénitude la dimension surnaturelle,mais a porté dans son sein l’Auteur mêmede la grâce, acquérant ainsi une dignitépresque infinie, selon la célèbre expressionde saint Thomas. La consécration publiquemanifesterait en outre clairement la natureessentiellement mauvaise et diabolique ducommunisme.

Nous insistons sur ce point : la consécra-tion demande un acte de foi surnaturel de lapart du Souverain Pontife, c’est-à-dire duchef de l’Église, laquelle régénère et nourritles âmes par la grâce divine.

D’un côté donc se dresse le communisme,comme réalisation sociale du naturalisme ;de l’autre, Dieu exalte la vie surnaturelle etCelle qui est Médiatrice de toutes les grâces.

Dieu offre donc un moyen surnaturel etdemande un acte surnaturel pour sauver laRussie et le monde de la peste du communis-me, promettant une issue également surnatu-relle, c’est-à-dire la conversion de la Russie.La très Sainte Vierge Marie ne promet pas ledéveloppement économique, l’ouverture desrelations, des accords diplomatiques, etc. ;elle promet la conversion de la Russie et parconséquent la paix, comme fruit de l’ordrerétabli entre l’homme et Dieu.

Face aux grands mensonges du commu-nisme, qui devient système, conception tota-lisante de la réalité ; face au communismequi s’incarne dans une société, la sociétérusse, et de là étend son « progrès » révolu-tionnaire, embrassant tout ce qui existe etengloutissant tout dans ce processus dialec-tique et nihiliste ; face à cela on ne peut pasdéployer les armes ordinaires de la diploma-tie et de la médiation, « car nous n’avonspas à lutter contre des êtres de chair et desang, mais contre les Principautés et lesPuissances, contre les maîtres de ce mondedes ténèbres, contre les mauvais espritsrépandus dans les régions célestes » (Éph,5, 11-12). Pie XI, après l’échec total del’action diplomatique (que nous verrons parla suite), reconnut cette caractéristique dia-bolique du communisme, en le définissant

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Courrier de RomeDécembre 2008 3

dans l’encyclique Divini Redemptoriscomme « intrinsèquement pervers ». Ce nesont pas un ou plusieurs aspects du commu-nisme qui sont erronés ; il ne s’agit pas nonplus, comme certains l’ont laissé entendre, debons idéaux réalisés avec de mauvaismoyens. Non. C’est l’âme même du commu-nisme qui est perverse.

LA SUBVERSION DE L’ORDRE SOCIAL

Un dernier aspect mérite d’être souligné ;d’après ce que nous avons vu, il est clair quela révolution communiste, n’ayant pasd’idéal à poursuivre si ce n’est celui de larévolution elle-même, ne connaît de limitesni dans le temps ni dans l’espace. Elle visedonc la société humaine tout entière, laquelleest précisément cette matière sujette au mou-vement dialectique. Donc, le communismetend par nature à détruire tout ce qui, dans lasociété, est ordonné et stable ; Pie XI sou-ligne explicitement cet aspect, en qualifiantle communisme de « système plein d’erreurset de sophismes, opposé tant à la raisonqu’à la révélation divine ; destructeur del’ordre social, car il équivaut à la destruc-tion de ses bases fondamentales, en mécon-naissant la vraie origine de la nature et lafin de l’État » 7. Voilà pourquoi la Viergene se contente pas de demander la conver-

sion personnelle, qui est nécessaire, maisdemande la conversion d’une nation toutentière. Ce n’est pas seulement à l’individude correspondre au plan de Dieu, maisaussi à la société avec ses structures et sonorganisation.

Le principe de l’État confessionnel n’estpas une thèse théologique discutée et dépas-sée, mais une vérité que « Léon XIII procla-me comme une exigence d’organisation poli-tico-religieuse selon les principes de la pen-sée catholique, en particulier dans les étatsqui ont l’unité de la foi chrétienne » 8.

Le jésuite p. Messineo indique explicite-ment que le principe de confessionnalité del’État est nécessaire parce qu’ « il se fondesur deux prémisses révélées : la vraie reli-gion ne peut être qu’une et unique, et celle-ciest exclusivement la religion catholique, verslaquelle convergent toutes les preuves histo-riques et dogmatiques. À ces prémissess’ajoute un principe d’ordre rationnel, àsavoir que le droit se connecte ontologique-ment seulement à la vérité... On en conclut...que l’on ne peut pas soutenir la thèse de lalaïcité de l’État et sa séparation d’avecl’Église, avec pour conséquence la neutralitéenvers toutes les confessions religieuses sansdistinction, sans d’abord renverser ce solide

7. PIE XI, encyclique Divini Redemptoris, 19 mars1937.

8. A. MESSINEO, Démocratie et liberté religieuse, inLa Civiltà Cattolica, 1951, c. 2420, p. 135.

Dans le précédent article, nous avonsdonné un rapide mais essentiel « diagnostic »du mal qui a envahi le monde au début duXXe siècle et de la « thérapie » offerte par leCiel. La Vierge à Fatima est venue nousouvrir les yeux sur l’histoire contemporaineet nous offrir la seule porte de sortie pouréchapper aux maux qui allaient se déchaîner.La Vierge n’a pas donné plusieurs options,mais une seule voie, obligatoire : celle de laconsécration de la Russie à son Cœur Imma-culé et la communion réparatrice des cinqpremiers samedis du mois.

LE COURS DE L’OSTPOLITIK DU VATICAN :PIE XI

Il faut maintenant vérifier quelle a été laréponse des hommes d’Église aux demandesdu Ciel, en considérant le comportementconcret du Saint-Siège à l’égard du commu-nisme qui s’est imposé dans les pays de l’Est,à partir du pontificat de Pie XI.

La première phase de la politique du pon-tife milanais envers les pays communistesfut une phase de compromis. L’intention duSouverain Pontife était évidemment devenir en aide aux populations frappées parle froid et la faim, à cause de la catastro-phique politique léniniste. Mais ce faisant,le Saint-Siège ouvrait au gouvernementbolchevique les portes d’une reconnaissan-ce internationale de jure. Non seulement,mais ce « sauf-conduit » coûta au Pape lesilence sur les incroyables oppressions aux-quelles les bolcheviques soumettaient cepeuple dont ils se déclaraient les libéra-

teurs. Les réfugiés russes, ayant eu connais-sance de ces contacts, manifestèrent publi-quement au Pape leur désaccord, à traversune lettre ouverte de leur Comité National :« Les journaux prévoient la conclusion deconcordat entre le Saint-Siège et les bol-cheviques. Peu importe que les nouvellessoient vraies ou non, car la formule del’accord avec les bolcheviques ne changeaucunement nos relations avec eux. C’est lefait réel de l’existence de ces relations quinous afflige 1. »

Ils connaissaient très bien l’intention véri-table des autorités soviétiques : ils allaienttout utiliser pour leurs fins perverses, mêmeles œuvres de charité de l’Église. Le PèreWalsh, responsable de la mission du Saint-Siège en Russie, réalisa bien vite que la pré-sence officielle de l’Église en Russie n’allaitprofiter à personne si ce n’est au gouverne-ment bolchevique, qui lui faisait jouer sonpropre jeu. Le Père Walsh s’aperçut rapide-ment de la perversité de la stratégie commu-niste, c’est pourquoi il fut accusé par lescommunistes d’être la cause des obstacles audialogue entre Rome et Moscou. Il en référaexplicitement au Cardinal Gasparri, Secrétai-re d’État de Pie XI : « Ils veulent, en général,que nous commencions à travailler, que nousassumions de grosses dépenses et que nousapportions en territoire russe la plus grandequantité possible de matériaux ; puis, quand,

inévitablement, commenceront les difficul-tés... alors nous n’aurons plus aucune garan-tie de protection si ce n’est les droits nor-maux accordés au citoyen russe. Ceuxd’entre nous qui connaissent la condamna-tion à mort, à la prison, à l’exil, les confisca-tions de biens et autres féroces manifesta-tions de vengeance et de haine de classes quiont eu lieu en Russie, savent et se permettentde vous informer que, dans ces conditions,notre travail est impossible. Par conséquent,si je ne réussis pas à obtenir un accord écritprécis qui soit acceptable, je ne vois pasd’autre alternative que le retrait digne etimmédiat de la mission de secours 2. »

Le Saint Siège décida d’ignorer cet appeldu Père Walsh, et non seulement de continuerla mission, mais aussi d’engager des rapportsdiplomatiques avec Moscou, en la personnedu jésuite le père d’Herbigny, diplomate trèsapprécié par les bolcheviques, mais que lecardinal Pacelli, alors Nonce à Berlin, regar-dait avec suspicion.

LA VISION DE TUY

Le bon Dieu regarda avec miséricordeson Église « utilisée » par les bolche-viques, qui exploitèrent tant les missionsd’aide du Saint-Père envers le peuple russemartyrisé que l’imprudence des diplomatesdu Vatican ; c’est pourquoi il daigna don-ner à sœur Lucie, qui se trouvait alors au

bastion que l’on appelle dogme » 9.Précisons, pour éviter toute équivoque, que

l’Église ne condamne pas le fait que, danscertaines situations, un ou plusieurs Étatspuissent maintenir une certaine neutralitéentre les différents cultes, ou que l’on puissechercher un accord pratique avec un État quis’affirme laïc ; ce que l’Église refuse, c’estla laïcité de l’État comme principe régulateurdes rapports entre l’État et l’Église, commeidéal vers lequel il faudrait tendre.

POUR RÉSUMER

1) Le communisme se pose comme essen-tiellement révolutionnaire (son principe cléest le matérialisme historique et dialectique) ;il tend à la négation théorique et à la destruc-tion pratique (puisque le communisme estprincipalement praxis) de tout ce qui eststable. Il est intrinsèquement pervers.

2) Il a une valeur éminemment sociale.3) La Vierge à Fatima offre comme

remèdes des moyens éminemment surnatu-rels, les seuls qui permettent de faire face àun système réellement diabolique.

4) La Vierge, par la demande de consécra-tion d’une nation, la Russie, exprime avecvigueur la nécessité d’un ordre social catho-lique pour le bien des âmes et la vraie paixmondiale ; et l’on a vu quel était cet ordre.

9. A. Messineo, Démocratie et laïcisme de l’État, inLa Civiltà Cattolica, 1951, c. 2424, p. 588.

LE CHOIX TRAGIQUE DE LA VOIE DIPLOMATIQUE PAR LES AUTORITÉS ECCLÉSIASTIQUES :PIE XI ET PIE XII

1. Cit. in FRÈRE MICHEL DE LA S. TRINITÉ, The wholetruth about Fatima, vol. II, The secret and theChurch, New York, 1989, p. 564.

2. A. U. FLORIDI, Moscou et le Vatican. Les dissi -dents soviétiques face au “dialogue”, Milan, 1976,p. 20.

Page 89: Courrier de Rome

Courrier de Rome4 Décembre 2008

Noviciat des Sœurs Dorothées à Tuy, unsigne clair sur la voie à suivre.

Tandis que la voyante se trouvait à la cha-pelle pour l’heure sainte, le 13 juin 1929,elle eut une merveilleuse apparition. Au-dessus de l’autel, elle vit Jésus crucifié, etau-dessus de lui une colombe et le visaged’un homme ; il s’agissait de la théophaniede la Sainte Trinité. Puis elle vit, suspendusdevant le Crucifié, un calice et une hostie, etsur cette hostie tombaient, du visage et ducôté de Jésus, des gouttes de son précieuxSang, pour arriver enfin dans le calice. Sousle bras droit de la croix (donc à gauche desœur Lucie) se trouvait la sainte Vierge avecson Cœur Immaculé dans la main droite.Sous l’autre bras de la croix, des lettres for-maient ces mots : GRÂCE ET MISÉRI-CORDE.

Écoutons avec attention le récit fait parsœur Lucie elle-même au p. Gonçalves :« Notre Dame me dit : “Le moment est arri-vé où Dieu demande au Saint-Père de faire,en union avec tous les évêques du monde, laconsécration de la Russie à mon Cœurimmaculé, promettant de le sauver par cemoyen...”. Puis, par une communication inté-rieure, Notre-Seigneur me dit, affligé : “Ilsn’ont pas voulu prêter attention à mesdemandes ! Comme le roi de France, ils serepentiront et le feront, mais il sera tard. LaRussie aura déjà répandu ses erreurs dans lemonde, provoquant des guerres et des persé-cutions contre l’Église : le Saint Père aurabeaucoup à souffrir” 3. »

Dans ce message, nous trouvons unimmense don du Ciel : Dieu voit que sonÉglise s’est engagé sur un mauvais chemin,un chemin qui non seulement n’arrêtera pasla révolution communiste, mais qui permettraaux communistes eux-mêmes de s’infiltrerdans l’Église. Et ainsi, la Sainte-Trinité mani-feste encore une fois son dessein de« GRÂCE ET MISÉRICORDE » sur lemonde, à travers la très Sainte Vierge, et soncœur Immaculé : « Face à l’enfer éternel[montré aux petits bergers de Fatima le 13juillet 1917, dans la première partie du Secret– nda], face à l’enfer sur terre des goulagsbolcheviques, Dieu nous présente le CœurImmaculé de Marie comme le recours défini-tif, la dernière espérance de salut pour unmonde sur la voie de la perdition 4. » SœurLucie, se conf iant au père Fuentes,s’exprimera de la même façon, affirmant quec’est la dernière planche de salut offerte parle Ciel, après laquelle, si elle est refusée, nerestera que le châtiment.

Le salut du monde dépend donc de laconversion de la Russie, à travers la consé-cration de cette nation au Cœur immaculéde Marie par le Saint-Père et tous lesévêques en communion avec lui. Le desseinde Dieu est très clair, sans équivoque : il estnécessaire de revenir à l’ordre social chré-tien, en affirmant apertis verbis la royautésociale de Notre-Seigneur, dans le triomphedu Cœur de sa très sainte Mère. À la révolu-

tion, il faut opposer l’ordre divin ; au maté-rialisme naturaliste, le surnaturel ; à la laïci-sation de l’ordre temporel, sa subordinationau surnaturel.

D’AUTRES SIGNES DU CIEL

Nous savons avec certitude que le Pape eutconnaissance du message de Tuy par le p.Gonçalves et par l’évêque de Leiria, Mgr daSilva, entre juillet 1930 et août de l’annéesuivante. Toutefois, il ne voulut pas accéder àla requête du Ciel de consacrer la Russie auCœur Immaculé de Marie.

En août 1931, sœur Lucie eut encore unerévélation de Notre-Seigneur. Jésus lui ditqu’elle le consolait beaucoup en lui deman-dant la conversion de la Russie, del’Espagne et du Portugal ; il lui demanda desupplier souvent sa Mère pour obtenir cetteconsécration, et de la demander aussi pourl’Europe et pour le monde entier. Puis il dità sœur Lucie : « Fais savoir à mesministres, puisqu’ils suivent l’exemple du roide France en retardant l’exécution de mademande ; qu’ils le suivront aussi dans lemalheur. Il ne sera jamais trop tard pourrecourir à Jésus et à Marie 5. »

On voit revenir la référence au roi de Fran-ce ; il s’agit de Louis XIV, à qui le Sacré-Cœur demanda, en 1689, par l’intermédiairede sainte Marguerite-Marie Alacoque, de seconsacrer lui-même et de consacrer sa courau Sacré-Cœur, et de lui construire un édifi-ce contenant l’image du Sacré-Cœur, imagequi devait aussi être représentée surl’étendard royal. Jésus demanda à l’ordredes Jésuites d’êtres les hérauts de la dévotionau Sacré-Cœur, et en particulier de soutenirsa demande spécifique. Ni le roi ni lesJésuites n’écoutèrent la demande du Ciel ;la dynastie royale française finit tragique-ment exactement un siècle plus tard, par ladécapitation de Louis XVI, tandis quel’ordre des Jésuites fut supprimé dans diffé-rentes nations européennes dans la secondemoitié du XVIIIe siècle, pour être enfin dis-sout par le Pape en 1773 !

Après cette sévère réprobation, Notre-Sei-gneur ajouta qu’il était encore temps derecourir à lui et à sa très sainte Mère. C’estpourquoi il envoya deux autres signauxforts : la triste issue de l’Ostpolitik et larévolution bolchevique en Espagne.

En effet, en 1933, le secrétaire de confian-ce du père d’Herbigny, devenu évêque,comme le père Deubner, disparut sans laisserde traces. On sait seulement qu’il fut vu pourla dernière fois à Berlin en compagnie deClara Zetkin, agent international de Moscou,et dont on apprit – seulement plus tard –qu’elle était la tante du père Deubner ! Lanouvelle bouleversa le Secrétariat d’État et lePape lui-même, lesquels décidèrent dedemander la démission de Mgr d’Herbigny,démission qui fut reçue le 30 mars 1934, dateà laquelle fut également supprimée la Com-mission « Pro Russia » qu’il avait fondée.

Nous ne pouvons pas ici traiter de la guerred’Espagne ; il nous suffira de souligner un

aspect clé : la révolution en Espagne échouaparce que l’épiscopat espagnol et le Saint-Père soutinrent sans demi-mesures les forcesanti-révolutionnaires et dénoncèrent les men-songes et les injustices des communistes. Ilsuffit de penser au Cardinal Goma, arche-vêque de Tolède, qui prêcha ouvertement lajuste croisade anti-communiste, conduite parle général Franco. Ce ne sont pas des motifspolitiques, au sens partisan du terme, quipoussèrent l’Église dans cette direction, maisla prise de conscience que les droits de Dieuet de l’Église doivent être défendus, si néces-saire, même par le glaive. Ce fut Pie XI lui-même, pendant une audience accordée auxréfugiés espagnols à Castel Gandolfo (14septembre 1936) qui bénit cette légitime croi-sade : « Notre bénédiction va tout spéciale-ment à ceux qui ont assumé la charge dan-gereuse et difficile de défendre et restaurerles droits et l’honneur de Dieu et de la reli-gion 6.» Face à cette diabolique révolution quisemait la mort, surtout parmi le clergé et lesreligieux, dans l’une des nations les pluscatholiques du monde, le Saint-Père changearésolument d’attitude à l’égard du commu-nisme, et il publia le 19 mars 1937 la célèbreencyclique Divini Redemptoris, dans laquelleil appela le communisme par son nom, en lequalifiant de « barbare », « diabolique »,« intrinsèquement pervers », et affirmantqu’ « il ne faut collaborer en rien avec celui-ci 7. » Ce virage énergique de Pie XI étaitconforme aux indications du bon Dieu ; tou-tefois il ne s’agissait que de la partie négativedes demandes du Ciel ; il fallait aussi réali-ser l’autre aspect, la consécration de la Rus-sie au Cœur Immaculé, acte que Pie XI,hélas, n’eut pas le courage d’accomplir.

ET PIE XII ?Il n’est évidemment pas possible

d’analyser dans cet article les rapports entrel’Église catholique et le communisme de1917 à nos jours. Nous nous sommes arrêtéssur la première phase, celle conduite parPie XI, car c’est pendant cette phase que sontapparus avec clarté les signes de la volontéde Dieu et les conséquences désastreuses dela désobéissance à cette volonté. Le PapeRatti ne répondit qu’à moitié aux demandesdu Ciel.

Sous Pie XII fut maintenue, d’une façongénérale, une ligne de non collaboration avecle communisme ; mais ce Pontife non plusne consacra pas la Russie de la façon deman-dée par la Sainte Vierge.

À cet égard, il faut ouvrir une parenthèse.Devant le Saint Sacrement exposé, sœurLucie entendit Jésus lui adresser cesparoles : « Prie pour le Saint Père, sacri-fie-toi afin que son courage ne succombepas sous les amertumes qui l’oppriment. Latribulation continuera et augmentera. Jepunirai les nations de leurs crimes par laguerre, la famine et la persécution de monÉglise, et ceci pèsera spécialement sur monvicaire sur terre. Sa Sainteté obtiendra une

3. Cit. in FRÈRE MICHEL DE LA S. TRINITÉ, The wholetruth about Fatima, vol. II, cit., pp. 464-465.4. Ibidem, p. 493. 5. Cit. in Ibidem, pp. 543-544.

6. Cit. in Ibidem, p. 639.7. PIE XI, encyclique Divini Redemptoris, 19 mars1937.

Page 90: Courrier de Rome

Courrier de RomeDécembre 2008 5abréviation de ces jours de tribulation s’ilaccède à mes désirs, en promulguant l’actede consécration du monde entier au CœurImmaculé de Marie, avec une mention spé-ciale de la Russie 8. »

Remarquons que Notre-Seigneur demandeexplicitement que la Russie soit mentionnéed’une façon, spéciale, qui la distingue dureste du monde ; il est plus que jamaisopportun de revenir sur ce détail, car il s’agitd’une preuve solaire que la consécration dumonde qui sera faite presque quarante ansplus tard par Jean-Paul II ne répondra pasaux demandes du Ciel, puisque la mentionexplicite de la nation russe n’y figurera pas.

Sœur Lucie, muée intérieurement par lagrâce, deux jours après cette communicationcéleste, décida d’écrire au Saint-Père. Avecl’autorisation du p. Gonçalves, sœur Lucieadressa sa lettre à ses supérieurs, afin queceux-ci la fassent parvenir à l’évêque Mgr daSilva, qui à son tour devait la remettre àl’évêque du Gurza.

Vers la fin de novembre ou le début dedécembre de cette année, Mgr da Silvarépondit à sœur Lucie, en lui ordonnantd’apporter certaines modifications à sa lettre.Voyons tout de suite les modifications lesplus importantes :

1. Le secret. Dans la version écrite le2 décembre 1940, sœur Lucie doit omettredeux parties fondamentales du secret : lapremière est l’explicitation que la secondeguerre mondiale allait commencer sous lerègne de Pie XI ; la seconde est l’in-croyable suppression de ces paroles de laVierge : « À la fin mon Cœur Immaculétriomphera. Le saint Père me consacrera laRussie, qui se convertira et une période depaix sera garantie aux monde. »

2. Le message de Tuy. Mgr da Silva faitenlever les paroles explicites de la Vierge : «Le moment est arrivé où Dieu demande quele Saint-Père, en union avec tous les évêquesdu monde, fasse la consécration de la Russieà mon cœur Immaculé. Il a promis de le sau-ver par ce moyen », et les remplace par unrésumé de cette demande, qui toutefois nementionne pas la nécessité que tous lesévêques du monde soient unis au Saint- Pèreau moment de la consécration !

Pie XII lut donc un message mutilé dansses parties fondamentales ; peut-être cecipeut-il aider à comprendre le caractèreincomplet de la consécration faite par leSaint-Père le 31 octobre 1942, qui ne répon-dait qu’en partie aux demandes de Notre-Seigneur, comme sœur Lucie aura soin del’expliquer à ses supérieurs l’année suivan-te. Pendant ce temps, le Pape Pacelli bénis-sait et favorisait toute initiative publique liéeà Fatima.

Au mois de mai 1952, la Vierge apparut denouveau à sœur Lucie, lui disant : « Faissavoir au Saint-Père que j’attends encore laconsécration de la Russie à mon CœurImmaculé. Sans cette consécration, la Russiene peut pas être convertie, et le monde nepeut pas avoir la paix 9. » Et de fait, le 7juillet 1952, le Saint Père consacra explicite-ment la Russie, mais cette fois c’était l’autrecondition qui n’était pas présente, c’est-à-direl’union de tous les évêques du monde.

Ce fut la dernière grande action que PieXIIfit en faveur des demandes de la Vierge deFatima ; à partir de là se produisit une sorted’affaiblissement de la ferveur du SouverainPontife à l’égard du message de Fatima. Il estprobable qu’il ait subi la forte influenced’une série d’articles « scientifiques »,

parus dans la Nouvelle Revue Théologiquesous la plume du jésuite p. Dhanis (qui,comme par hasard, est cité dans le documentpublié par le Vatican en 2000), dans lesquelson diminuait d’un côté la portée du messagede Fatima, réduit à une simple « révélationprivée », qui ne devait donc en aucun casinfluer sur les décisions publiques del’Église, et de l’autre on soulevait des doutessur la crédibilité des révélations continuellesque recevait sœur Lucie, et sur les visions destrois bergers.

Un autre facteur qui pesa beaucoup sur ladétermination de Pie XII fut la présence auSecrétariat d’État de Mgr Montini, quicroyait à la solution diplomatique à l’égarddu communisme.

Certes Pie XII opta au contraire pour uneorientation intransigeante, entre autres grâceaux rapports avec le primat de Hongrie, lecardinal Mindszenty 10. Le Pape Pacelli étaitconsidéré comme « antidémocratique » àcause de son hostilité à l’égard du commu-nisme, « 1. approuvant, le 1er juillet 1949, ledécret du Saint-Office d’excommunicationcontre les catholiques qui soutenaient le com-munisme athée ; 2. mettant en garde lescatholiques qui, de leur propre initiative, vou-laient instaurer un “dialogue” avec les com-munistes... ; 3. protestant vivement contre lasanglante répression de la révolution hon-groise ordonnée par Khrouchtchev » 11. Tou-tefois, dans les dernières années de son ponti-ficat, Pie XII finit d’une certaine façon parappuyer l’expansion mondiale du communis-me, car il ne se rendait pas compte que lapoussée « anti-coloniale » qui se répandaitn’était pas autre chose qu’une stratégie pourfaire exploser le communisme dans le Tiers-monde, ce qui de fait arriva, provoquantrévolutions et massacres.

9. Cit. In FRÈRE MICHEL, The whole truth aboutFatima, vol. III, The third secret, New York, 1990, p.327.

8. Cit. In FRÈRE MICHEL, The whole truth aboutFatima, vol. II, cit., p. 732.

10. Cf. J. MINDSZENTY, Mémoires, Milan, 1975.11. A. U. FLORIDI, Moscou et le Vatican.

« LA RUSSIE RÉPANDRA SES ERREURS DANS LE MONDE »L’OSTPOLITIK DE JEAN XXIII ET LE PRINCIPE DES NOUVEAUX CONCORDATS

Le parcours décrit dans les deux précédentsarticles nous a permis de prendre consciencede la distance qui s’est progressivement creu-sée entre deux voies : la voie de la miséricor-de de Dieu, et la voie empruntée par la diplo-matie vaticane. Non pas que les deux voiessoient inconciliables en théorie, mais lorsquel’homme pense avoir une prudence supérieu-re à la prudence manifestée et confirmée partoutes sortes de preuves par Celle que l’onappelle Virgo prudentissima, alors les deuxroutes se séparent. Et elles conduisent mani-festement à des issues différentes. La voie duCiel aurait conduit à une paix stable (bienque non définitive : elle ne le sera qu’auparadis), fondée sur la reconnaissance desdroits de Dieu et de sa très sainte Mère ; lavoie humaine a au contraire conduit à laconstruction d’une paix inconsistante, prête às’écrouler d’un moment à l’autre, une paixqui ressemble beaucoup à cette atmosphèresinistre qui précède les plus violentes tem-pêtes.

C’est avec le pontificat de Jean XXIII que

l’utopie d’une paix hors de l’ordre établi parDieu devient réalité.

LE NOUVEAU COURS DE L’OSTPOLITIK VATICANE :JEAN XXIII

« On peut affirmer qu’avec l’avènementde Jean XXIII est apparue la tendance à unecompréhension différente du phénomènecommuniste, même là où il était devenu unrégime, et qu’en même temps on a commencéà prendre conscience de la profondeur deschangements qui étaient en train de mûrir etqui allaient aussi affecter par la suite la poli-tique du Saint-Siège. Mais nous pensons quel’un des éléments d’une importance fonda-mentale a été l’idée du Pape Roncalli de lapaix internationale comme priorité pourl’Église 1. »

Que l’on nous permette de faire remarquerque c’est dans cette nouvelle priorité qu’est

contenue l’erreur capitale de l’Ostpolitik deJean XXIII. La paix internationale, en effet,est certainement une valeur pour laquellel’Église a toujours déployé ses armes diplo-matiques ; toutefois c’est une valeur subor-donnée aux droits de Dieu et de l’Église.Cette hiérarchie des valeurs a été littérale-ment subvertie par Jean XXIII, comme nousallons le voir, en tentant de présenter synthé-tiquement les trois points clés de sa politiqueà l’égard des pays de l’Est : 1. L’accord deMetz ; 2. Vatican II ; 3. L’encyclique Pacemin terris.

1. L’accord de MetzEn 1959, Jean XXIII annonça au monde

son intention de convoquer un Concile œcu-ménique ; il manifesta sa volonté que desreprésentants des autres confessions chré-tiennes participent aussi à ce Concile.L’extension de cette « invitation » à l’égliseorthodoxe ne pouvait certainement pas exclu-re le Patriarcat de Moscou, qui constitue laplus grande partie du monde orthodoxe. Il fut

1. G. BARBERINI, L’Ostpolitik du Saint Siège. Undialogue long et fatigant, Bologne, 2007, p. 56.

Page 91: Courrier de Rome

Courrier de Rome6 Décembre 2008

tout de suite évident que ceci impliquait leproblème des relations avec l’État soviétique.L’ambassadeur de l’église orthodoxe russe -et donc du parti communiste, puisque selonl’article 126 de la Constitution de l’URSS,promulguée en 1936 par Staline, toutes lesorganisations professionnelles et sociales, ycompris celles à caractère religieux, étaientdirigées et contrôlées par le parti 2 - fut MgrNikodim. Il obtint de rencontrer en 1962 àMetz le cardinal Tisserant. Ce n’est quel’année suivante que l’on eut des nouvellesde cette rencontre, grâce à une conférenceque Mgr Schmitt, évêque de Metz, accordaaux journalistes : « C’est à Metz que le car-dinal Tisserant a rencontré Mgr Nikodim,archevêque chargé des relations extérieuresde l’église russe, et c’est là qu’a été préparéle message que Mgr Willebrands a porté àMoscou. Mgr Nikodim, qui est venu à Parisdans la première quinzaine du mois d’août[1962], avait en effet manifesté le désir derencontrer le cardinal... Mgr Nikodim aaccepté que quelqu’un se rendre à Moscoupour porter une invitation [de participation ouConcile - nda], à condition que des garantiessoient données en ce qui concerne l’attitudeapolitique du concile 3. » La signification deces garanties sur l’attitude apolitique duConcile est évidente : on ne devait pas parlerdu communisme, comme cela fut effective-ment le cas, et comme nous le confirme lepère Wenger : « Au cours de la réunion desévêques français à Saint-Louis, le cardinalFeltin fit une intervention confidentielle. LePape lui demanda de dire aux évêques qu’ilne voulait pas d’allusions politiques dansleurs interventions... On ne devait pas nonplus parler du communisme 4. »

2. Le Concile Vatican IIPendant le Concile, on suivit à la lettre

l’ordre de ne pas parler du communisme.Jean XXIII prépara le terrain avec le célèbrediscours d’ouverture, dans lequel il annonçaitque l’Église ne se servirait plus de l’arme dela condamnation, mais qu’elle préférait leremède de la miséricorde... « On comprendbien qu’il s’agit de développer, dans lesbrumes abstraites d’une stratégie générale[erronée – nda], le cas particulier d’une sou-daine interdiction de l’anticommunismedéclaré 5. » Et en effet, à partir de cemoment, toutes les tentatives d’obtenir duConcile une condamnation du communismeseront repoussées en ayant recours àl’orientation que le Pape voulut donner àl’Assise œcuménique, orientation que le Pon-tife suivant, Paul VI, avalisera pleinement.Pendant le Concile furent respectivementrepoussées, ou plutôt - ce qui est pire - lais-sées tomber dans l’oubli : la pétition de MgrSigaud, signée par 213 Pères, pour un sché-ma sur la doctrine sociale catholique et lacondamnation du marxisme, du socialisme,

du communisme ; une seconde pétition dumême évêque, signée par 510 prélats pourobtenir la consécration de la Russie au CœurImmaculé de Marie, comme l’avait demandéla Vierge apparue à Fatima ; une lettre rédi-gée par Mgr Carli avec 332 signatures (puis454) pour demander la condamnation ducommunisme.

Cette dernière initiative connut des vicissi-tudes incroyables : « La pétition et les 332signatures furent remises le 9 novembre, entemps voulu, au secrétariat du Concile parMgr Lefebvre en personne, qui en eut le récé-pissé signé. Mais que se passa-t-il donc ? Le13 novembre, la nouvelle mouture du schéma[concernant l'Église dans le monde - nda] netient nul compte des vœux des pétitionnaires :le communisme n'est toujours pas évoqué.Aussi Mgr Carli proteste-t-il le même jourdevant la présidence du Concile, et il déposeun recours auprès du tribunal administratif.En outre, il décide de présenter à nouveau larequête sous forme d'un amendement, enmême temps qu'il propose un débat clair etprécis sur le thème... Le 15, une vigoureuseprotestation de Mgr Sigaud secoue le Conci-le : en vain.

Tout de même, le cardinal Tisserant ordon-ne une enquête qui va révéler... que la péti-tion s'est malencontreusement "égarée" dansun tiroir : en fait c'est Mgr Achille Glorieux,secrétaire de la commission compétente, qui,ayant reçu la pétition, ne l'a pas transmise àla Commission. L' "oubli" de Mgr Glorieuxfera l'objet des excuses publiques de MgrGarrone, mais, que voulez-vous, les délaisétablis pour introduire un paragraphe sur lecommunisme étaient maintenant passés » 6!

Et ainsi le Concile, qui aurait dû être pasto-ral, attentif à l’homme et à la société contem-poraine... scandaleusement, ne parla pas ducommunisme : « Le communisme a sansaucun doute été le phénomène historique leplus imposant, le plus durable, le plus débor-dant du XX e siècle ; et le Concile, qui avaitpourtant proposé une Constitution surl’Église et le monde contemporain, n’enparle pas. Le communisme... à la moitié dusiècle, avait déjà réussi à provoquer desdizaines de millions de morts, victimes de laterreur de masse et de la répression la plusinhumaine ; et le Concile n’en parle pas. Lecommunisme... avait en pratique imposé auxpopulations assujetties l’athéisme... ; et leConcile, qui pourtant se répand sur le casdes athées, n’en parle pas. Pendant lesannées où se déroulait l’assise œcuménique,les prisons communistes étaient encore deslieux d’indicibles souffrances etd’humiliations infligées aux nombreux“témoins de la foi” (évêques, prêtres, laïcsconvaincus croyant au Christ) ; et le Concilen’en parle pas 7. »

3. L’encyclique Pacem in terrisLe 11 avril 1963, en plein déroulement du

Concile, Jean XXIII publia l’encyclique

Pacem in terris, qui « se révèlera une sourceprécieuse pour l’élaboration du documentGaudium et Spes », et en effet cette ency-clique détermina la ligne du Concile àl’égard du communisme, ligne qui fut, on l’avu, celle d’un scandaleux silence.

Pacem in terris renversa littéralement DivinRedemptoris de Pie XI, en particulier sur lesprincipes énoncés aux paragraphes 83-85 :« § 83. C’est justice de distinguer toujoursentre l’erreur et ceux qui la commettent,même s’il s’agit d’hommes dont les idéesfausses ou l’insuffisance des notions concer-nent la religion ou la morale ». Principeexact, mais dangereusement incomplet : « Jene pouvais pas oublier – écrit le cardinalBiffi – en réfléchissant sur cette affirmation,que la sagesse historique de l’Église n’ajamais réduit la condamnation de l’erreur àune pure et inefficace abstraction. Le peuplechrétien doit être mis en garde et défendu decelui qui de fait sème l’erreur, sans que l’oncesse pour autant de chercher son véritablebien... Jésus à ce propos a donné aux chefsde l’Église une directive précise : celui quiscandalise par son comportement et sa doc-trine, et ne se laisse persuader ni par lesadmonestations personnelles, ni par la plussolennelle réprobation de l’ecclesia, “qu’ilsoit pour toi comme un publicain” (cf. Mt.18, 17) ; prévoyant et prescrivant ainsil’institution de l’excommunication 8. »

« § 84. De même, on ne peut identifier defausses théories philosophiques sur la nature,l’origine et la finalité du monde et del’homme, avec des mouvements historiquesfondés dans un but économique, social, cul-turel ou politique, même si ces derniers ontdû leur origine et puisent encore leur inspira-tion dans ces théories. Une doctrine, une foisfixée et formulée, ne change plus, tandis quedes mouvements ayant pour objet les condi-tions concrètes et changeantes de la vie nepeuvent pas ne pas être largement influencéspar cette évolution. Du reste, dans la mesureoù ces mouvements sont d’accord avec lessains principes de la raison et répondent auxjustes aspirations de la personne humaine,qui refuserait d’y reconnaître des élémentspositifs et dignes d’approbation ? » Noussommes ici à l’opposé du bon sens communet des affirmations de Pie XI : étant donnél’intrinsèque perversité du communisme, onne doit collaborer en rien avec lui

« § 85. Il peut arriver, par conséquent, quecertaines rencontres au plan des réalisationspratiques qui jusqu’ici avaient paru inoppor-tunes ou stériles, puissent maintenant présen-ter des avantages réels ou en promettre pourl’avenir. »

Voilà l’Église prise dans le filet bolche-vique : Lénine et Cie n’attendaient pas autrechose. Jean XXIII a méconnu la vraie naturedu communisme, qui – nous l’avons vu –réside entièrement non pas dans sa théoriemais dans la praxis ; la première est au servi-ce de la seconde, et non l’inverse. La réalitén’est que matière et mouvement dialectique.Madiran saisit en profondeur le problème :6. B. T. DE MALLERAIS, Mgr Marcel Lefebvre. Une

vie.7. G. BIFFI, Mémoires et digressions d’un cardinalitalien, Sienne, 2007, pp. 184-185. 8. Ibidem, p. 179.

2. Cf. JEAN MADIRAN, La vieillesse du monde. Essaisur le communisme, Jarzé, 1975, pp. 5 ss.3. J. MADIRAN, L’accord de Metz ou pourquoi notreMère fut muette, Versailles, 2006, pp. 28-29.4. Ibidem, p. 31.5. Ibidem, p. 34.

Page 92: Courrier de Rome

Courrier de RomeDécembre 2008 7

« Le marxisme-léninisme n’attend doncpas de l’Église qu’elle s’aligne doctrinale-ment sur lui, mais qu’elle cesse d’éloignerles croyants de l’action commune avec leparti communiste : il faut donc qu’elles’abstienne de s’opposer au communisme ;et puisqu’elle ne peut pas, lorsqu’elle enparle, éviter de le critiquer, il faut et il suffitqu’elle cesse d’en parler 9. » Pousser l’Égliseau silence et les catholiques à la collabora-tion, même partielle : voilà l’objectif ducommunisme. L’Église se trouve alors de faitengagée dans la cause communiste.

PORTES OUVERTES AU COMMUNISME INTERNA-TIONAL. LA LAÏCITÉ, PRINCIPE DES NOUVEAUX

CONCORDATS

La hiérarchie catholique a opté pour la noncondamnation du communisme, tant en refu-sant de consacrer la Russie au Cœur Imma-culé qu’en repoussant la proposition decondamner le communisme pendant leConcile Vatican II. Face à ces choix plus queconciliants, le communisme a accepté demodérer le ton, mais certainement pas demodifier ses objectifs. Au contraire, le terrainpour la mise en œuvre de la dialectiquemarxiste était, au début des années quatre-vingt, plus prêt que jamais. Le député Longo,successeur de Togliatti, dépeint avec clarté lastratégie du PCI : « Nous affirmons quenous ne sommes pas pour un État effective-ment et absolument laïc ; que, comme noussommes contre l’État confessionnel, de mêmenous sommes contre l’athéisme d’État ; quenous sommes pour l’absolu respect de laliberté religieuse, de la liberté de conscience,pour croyants et non croyants, chrétiens etnon chrétiens. Nous sommes donc opposés àce que l’État attribue un quelconque privilè-ge à une idéologie, une foi religieuse, ou uncourant culturel et artistique au détrimentd’autres 10. »

L’athéisme d’État pratiqué en union sovié-tique n’était pas autre chose que le momentde l’antithèse, à opposer à l’État confession-nel catholique (thèse) ; de même que la per-sécution qui s’y déroulait servait d’ « appât »pour attirer le Saint-Siège dans les tractationset le conduire à accepter une solution qui soiten définitive l’abandon de l’ordre socialcatholique, parce que cet ordre – et seule-ment lui – s’oppose de façon radicale à la

révolution intégrale du communisme. LeConcordat dans la perspective catholiqueconstituait un obstacle infranchissable à laréalisation de la vraie révolution ; Gramsci lecomprit avec lucidité, lorsqu’il écrivit : «Les concordats attaquent de façon essentiellele caractère autonome et souverain de l’Étatmoderne. L’État obtient une contrepartie ?Oui, mais il l’obtient sur son territoire en cequi concerne ses citoyens... voilà en quoiconsiste la capitulation de l’État, parce quede fait il accepte la tutelle d’une souveraine-té extérieure dont il reconnaît en pratique lasupériorité 11. » Dans le Concordat « clas-sique », l’État reconnaît l’Église catholiqueen elle-même, avec sa mission supérieure, etil reconnaît donc son pouvoir indirect sur lapuissance civile. L’Église catholique a doncune importance juridique, et en vertu decette importance sont promulguées des loiscohérentes. Il fallait donc éliminer cette «barrière juridique », sans toutefois tomberdans l’erreur de déclarer une guerre ouverte àl’Église. Voici donc que la solution seconcrétise dans le principe de l’État laïc, aveclui, l’Église n’est prise en considération quephénoménologiquement, en tant qu’elleexiste de facto, comme existent d’autresidéologies, confessions, etc. Elle pourra peut-être jouir d’un plus grand respect dans lamesure où le catholicisme est une religionqui appartient aux racines historiques d’unenation, ou parce qu’elle est encore(quoique...) professée par la majorité descitoyens de l’État. Peu importe. Le point estque l’Église n’est plus considérée pour cequ’elle est réellement. Le sénateur Mancino,qui était en 1984 chef de groupe de la Démo-cratie Chrétienne au Sénat (italien – ndt),affirma explicitement, à propos du nouveauConcordat signé par le cardinal Casaroli etpar Craxi : « ... comme plusieurs juristesreconnus, nous entendons la religioncatholique comme religion de la majoritédu peuple italien, non comme religiond’État 12. » Importance phénoménologique.Un point c’est tout. Tel est le principe de fondque les hommes d’Église adopteront à partirde ce moment ; il ne s’agit pas seulementd’un accord pratique, cherchant à obtenir leplus possible dans une situation défavorableparticulière. Non. Il s’agit ici d’une révolu-tion d’un principe, comme l’admit à l’époquele vice-président de la conférence Episcopale

Italienne, Mgr Fagiolo : « Nous devonsreconnaître qu’il n’était plus possible de sou-tenir ni de faire soutenir le principe selonlequel la religion catholique est la seule reli-gion de l’État italien. Honnêtement, ce prin-cipe ne pouvait plus être défendu 13. »

Les fondements sur lesquels s’est construi-te pendant des siècles la société chrétienne, etle rempart qui l’a toujours défendue du pou-voir politique arrogant ont été définitivementsupprimés. La voie est ouverte au communis-me international, lequel peut librement« répandre ses erreurs dans le monde ».

« ILS ONT FERMÉ LEURS YEUX »Aveuglement : telle est la conséquence ter-

rible pour ceux qui refusent la grâce de Dieu.Il n’y a pas grand-chose à ajouter : la doctri-ne de l’Église sur la royauté sociale de Jésus-Christ, seule et vraie solution aux nombreuxmaux qui affligent notre société, est sous lesyeux de quiconque a des yeux pour voir. Le« premier » Maritain écrivait en 1927 :« Cette doctrine est immuable. Elle a pu seprésenter sous des aspects différents, maispour l’essentiel elle n’a jamais changé aucours des siècles... Pour celui qui observeavec suffisamment d’attention, derrière lespéripéties historiques, la substance deschoses, il y a un seul et même enseignementqui est dispensé par Boniface VIII dans labulle Unam Sanctam et par Léon XIII dansl’encyclique Immortale Dei 14. » L’idéed’État laïc, déclinée de toutes les façons, n’ajamais été acceptée par l’Église ; elle a enrevanche été l’instrument voulu par le com-munisme pour anéantir l’État catholique et lasociété chrétienne. Et les faits le démontrentjour après jour. « Vous entendrez et ne com-prendrez pas ; vous regarderez et ne verrezpas... Et ils entendent difficilement de leursoreilles, et leurs yeux ils les ferment, pour nepas voir de leurs yeux, ne pas entendre deleurs oreilles, ne pas comprendre de leurcœur et ne point se convertir, et pour que jene les guérisse pas » (Mt. 13, 14).

Mais ce n’est pas la seule parole de Notre-Seigneur : il a dit en effet à sœur Lucie :« Il ne sera jamais trop tard pour recourir àJésus et à Marie ». On peut encore réparerles erreurs commises ; le Saint-Père peutencore consacrer publiquement et explicite-ment, avec tous les évêques, la Russie auCœur Immaculé de Marie.

9. J. MADIRAN, L’accord de Metz..., cit. p. 26.10. L. LONGO, Compte-rendu d’introduction au XIe

Congrès national du PCI, cit. in R. DE MATTEI, L’Italie catholique et le Nouveau Concordat, Rome,1985, p. 131.

11. A. GRAMSCI, Cahiers de prison (1929-1935), C.16, § 11.12. Cit. in R. DE MATTEI, L’Italie catholique et leNouveau Concordat, cit. p. 105.

13. Cit. in Ibidem, p. 96.14. J. MARITAIN, Primauté du spirituel, Paris, 1927,pp. 28-29.

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« DISQUISITIO »1 volume 323 p - 160x240 - 23 €

Ce livre est la traduction d’un rapport d’enquête faitlors du procès de canonisation du saint pape àpropos de la manière d’agir de saint Pie X dans lalutte contre le modernisme.Un bon complément aux deux autres ouvrages.

Page 93: Courrier de Rome

Courrier de Rome8 Décembre 2008

CATÉCHISME DE LA DOCTRINECHRÉTIENNE

CATÉCHISME DE SAINT PIE X164 p. - 20 € (cartonné), 10 € (broché)

Reproduction du catéchisme de 1912, fait parordre de saint Pie X qui l’a prescrit à toute laProvince ecclésiastique de Rome. Ce catéchismevoulu par saint Pie X, « plus bref et adapté auxexigences actuelles » a été très répandu en Italie etignoré en France.

TÉMOIGNAGES

LA PETITE HISTOIRE DE MA LONGUEHISTOIRE

MGR LEFEBVRE1 volume 128 p. - 9,9 €

Texte de quelques conférences que donna MgrLefebvre un an avant sa mort aux sœurs de laFraternité Saint Pie X. Il s’intitula « Les voies dela Providence dans le cours de ma vie et comme ilest bon de s’en remettre totalement à Elle pourplaire au Bon Dieu ».

LE MESSAGE DU PADRE PIOKATHARINA TANGARI

1 volume 168 p. - 11 €Fille spirituelle de saint Padre Pio, KatarinaTangari raconte ici ses propres visites et celles deses proches à San Giovanni da Rotondo, lecouvent où vivait le saint moine stigmatisé.

KATHARINA TANGARIYVES CHIRON

1 volume 416 p. - 20 €Parution fin novembre 2006

Yves Chiron retrace la vie exceptionnelle deKatharina Tangari, fille spirituelle de saint PadrePio, membre du Tiers-ordre dominicain, qui aconnu les prisons anglaises en Italie de 1943 à1946, a été emprisonnée en Tchécoslovaquie en1971 et 1972 pour son aide aux catholiques, et estvenue en aide aux prêtres de la Fraternité Saint-PieX. Son itinéraire et la façon dont elle a surmontéses épreuves sont exemplaires pour notre temps.

J'AI TUÉ MES SEPT ENFANTSD'APRÈS UN TÉMOIGNAGE RECUEILLI

PAR LE PÈRE D. MONDRONE S.J.1 volume 57 p. - 3,8 €

Le drame de l'avortement, relaté il y a plus de 50ans, préfigurant une actualité toujours plusbrûlante et montrant l'angoisse et le désespoird'une femme au soir desa vie après avoir avortésept fois.

CRISE DE L'ÉGLISE - THÉOLOGIE

STAT VERITASROMANO AMERICO1 volume 190 p. - 21 €

Ce livre est la suite de « Iota Unum ». C’est unrecueil d'observations faites suite à la lecture de lalettre « Tertio Millenio adveniente » du pape Jean-Paul II. Il se veut un cri d'appel aux plus hautesautorités de l'Église pour le XXe siècle quicommence.

LA TRADITION CATHOLIQUE PEUT-ELLEÊTRE EXCOMMUNIÉE?

1 volume 35 p. - 1,5 €Cette petite plaquette traite de l'invalidité de l'excommu -nication de Mgr Lefebvre suite aux sacres de 1988.

LA TRADITION VIVANTE ET VATICAN Il1 volume 37 p. - 1,5 €

Lorsque Mgr Lefebvre fut condamné par Rome aumoment des sacres de 1988, il fut expliqué qu'ilavait une idée fausse de la Tradition dans soncaractère vivant; c'est de ce concept même quetraite cette petite plaquette la lumière de la doctrinecatholique.

LA TRADITION EXCOMMUNIÉE1 volume 117 p. - 9,15 €

Réédition. Ce volume réunit divers articles du« Courrier de Rome » au sujet des consécrationsépiscopales du 30 juin 1988. Ces étudesdémontrent avec des arguments jusqu'à maintenantnon contestés, que la Fraternité Saint Pie X n'est niexcommuniée, ni schismatique mais qu'elle faitpartie de plein droit de l'Église CatholiqueRomaine.

LA THÉOLOGIE DE JEAN-PAUL Il ETL'ESPRIT D'ASSISE

JOHANNES DORMAN1 volume 225 p. - 18,3 €

Pour comprendre l'idéal que poursuit le papedepuis son élection sur le siège de Pierre, il fautdécouvrir l'étrange signification théologique de laréunion interreligieuse d'Assise et de toutes cellesqui ne cessent de lui succéder.

POLITIQUE ET RELIGIONESSAI DE THÉOLOGIE DE L’HISTOIRE

PR PAOLO PASQUALUCCI1 volume 108 p. - 10 €

L’auteur aborde un thème d’une brûlante actualité,le rapport entre politique et religion, enl’interprétant du point de vue d’une théologie del’histoire conforme aux canons de la penséecatholique la plus orthodoxe et la plustraditionnelle, aujourd’hui non observée par lahiérarchie et par la théologie officielles, quisemblent être imprégnées de l’esprit du monde,ennemi du Christ.

MAÇONNERIE - POLITIQUE

MAÇONNERIE ET SECTES SECRÈTESÉPIPHANIUS

Préface de Monsieur HENRI COSTONRéédition - 800 p. - 39,5 €

Un ouvrage majeur, indispensable à tout vraicatholique. Epiphanius y dénonce lecomplotmondial mené par les organisations secrètes. On ydécouvre « l'histoire : secrète, où se trouvent lesvraies causes des événements, un histoirehonteuse! » (H de Bazac). Epiphanius ne secontente pas de dénoncer, il donne aussilesmoyens de lutter, de ne pas céder audécouragement. Plus de 100 pages de mises à jour.

GUERRE EN YOUGOSLAVIEET EUROPE CHRÉTIENNE

1 volume 57 p. - 3,7 €Une étude qui tente de démontrer que lasituation dans les Balkans ne serait rien d'autrequ'une nouvelle étape sur le chemin de laRépublique universelle, celle des Hauts Initiés.

LA MAÇONNERIE À LA CONQUÊTE DEL'ÉGLISE

CARLO ALBERTO AGNOLI1 volume 52 p. - 6,9 €

Ce petit ouvrage démontre la fiabilité généraled'une liste de prélats maçons publiée! par le jour-naliste Mino Pecorelli le 12 septembre 1978. Laliste Pecorelli fut le symptôme d'une pénétrationmaçonnique des plus hautes hiérarchies écclésias-tiques, pénétration qui conduit à semer un doute :cette secte aurait-elle pratiquement pris la barre del'Église?

LES CONGRÈS THÉOLOGIQUESDE SI SI NO NO

TRADITION ET MODERNISMECARDINAL BILLOT, S.J. (1846-1931)

Édition 2007 - 200 p. - 20 €Ce livre est traduit pour la première fois en françaispar M. l’abbé Jean-Michel Gleize, professeur auséminaire d’Écône. Le cardinal Billot a joué unrôle décisif pour seconder le pape saint Pie X dansl’analyse du modernisme.

COURRIER DE ROME

Édition en Français du Périodique RomainSì Sì No No

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SAINT PIE X RÉFORMATEUR DEL’ÉGLISE

YVES CHIRON1 volume, 346 pages - 21 €

Biographie du seul pape de l’histoire moderne,avec saint Pie V, a avoir été canonisé. Ce livre est leplus complet qui ait jamais paru sur saint Pie X. Eneffet, pour l’écrire, l’auteur a consulté de nombreuxouvrages et les archives secrètes du Vatican.

1. PRINCIPES CATHOLIQUES POUR RES-TER FIDÈLE À L'ÉGLISE EN CES TEMPSEXTRAORDINAIRES DE CRISE, 8 et 10décembre 1994 - 165 pages - 12 €.

2. ÉGLISE ET CONTRE-ÉGLISE AU CONCILEVATICAN Il, 2 et 5 janvier 1996 - 482 pages - 27,4€.

3. LA TENTATION DE L'ŒCUMÉNISME,21 et 24 avri11998 - 518 pages - 22,9 €.

4. BILAN ET PERSPECTIVES POUR UNEVRAIE RESTAURATION DE L'ÉGLISE3, 4 et 5 août 2000 - 347 pages - 23 €.

5. LA MESSE EN QUESTION 12, 13, 14 avril2002 - 505 pages - 25 €.

6. PENSER VATICAN II QUARANTE ANSAPRÈS 2, 3, 4 janvier 2004 - 478 pages - 25 €.

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