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(!4BD64F-eabacj!:N;s La course aux étoiles La Chine, l’Inde, les Emirats et les acteurs privés bouleversent la donne dans l’industrie spatiale FRANCE — ASTÉRIX, UN HÉROS EUROPÉEN BOLIVIE — MOURIR AU NOM DES DIEUX Ebola— Anatomie du virus tueur Etat islamique Les raisons de la terreur N° 1242 du 21 au 27 août 2014 courrierinternational.com Belgique : 3,90 € EDITION BELGIQUE

Courrier 20140821 courrier full 20140821 104625

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Courrier International du 21 août 2014

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La course aux étoiles

La Chine, l’Inde, les Emirats

et les acteurs privés bouleversent la donne dans

l’industrie spatiale

FRANCE — ASTÉRIX, UN

HÉROS EUROPÉENBOLIVIE —

MOURIR AU NOM DES DIEUX

Ebola—Anatomie du

virus tueur

Etat islamiqueLes raisons

de la terreur

N° 1242 du 21 au 27 août 2014courrierinternational.comBelgique : 3,90 €

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ÉDITORIALJEAN-HÉBERTARMENGAUD

Petits pas pour l’humanité

A ux plus froides des heures de la guerre froide, en 1961, les Soviétiques avaient

remporté la première manche en envoyant un homme en orbite dans l’espace. A peine un mois et demi plus tard, vexés, et terrifi és à l’idée de perdre la course à la Lune, les Américains lançaient leur programme Apollo, qui allait leur permettre notamment de poser trois hommes sur le satellite terrestre.La guerre froide est-elle de retour ? Peut-être : après les sanctions américaines prises contre Moscou avec la crise en Ukraine, les Russes menacent de quitter en 2020 la Station spatiale internationale, l’ISS. Ce laboratoire est pourtant l’exemple type de ce qu’était devenue la recherche spatiale il y a quelques années : une collaboration entre pays. L’espace n’appartient plus qu’aux seules ex-superpuissances. De nouveaux acteurs sont apparus, comme la Chine, l’Inde, et même les Emirats. L’orbite terrestre est un territoire convoité et chacun veut son lanceur pour décrocher les juteux marchés des satellites artifi ciels.Plus haut, plus loin, la conquêtede l’espace n’est pas abandonnée pour autant. Plusieurs projets, dont un privé, visent à envoyer des hommes vivre sur Mars. Un voyage de sept mois. Mais relativisons : pour l’humanité, ce ne sera qu’un pas minuscule à l’échelle de l’Univers. Car notre Soleil – avec les planètes qui tournent autour – n’est fi nalement qu’une étoile moyenne, en lointaine banlieue, parmi les centaines de milliards qui peuplent notre Voie Lactée, une galaxie parmi les centaines de milliards d’autres que compte l’Univers. Aller sur Mars, c’est comme frapper à la porte de son voisin de palier. La course aux étoiles a peu de chances de se terminer avant l’extinction de l’humanité.

En couverture : — La course aux étoiles : Photo Brand X Pictures/Getty Images— Irak-Syrie : Illustration Haddad, Royaume-Uni— Virus Ebola : Photo Sia Kambou/AFP

p.26 à la une

LA COURSE AUX ÉTOILES

p.10

Irak-Syrie. Les racines de l’Etat IslamiqueAlors que les combats s’intensifi ent en Irak, la presse arabe se demandecomment l’EIIL a pu émerger.

p.18

Inde. Gouvernement recrute hackers, 18 ans si possibleNew Delhi s’apprête à embaucher des dizaines de milliers de pirates informatiques, jeunes et patriotes,pour sécuriser ses installations stratégiques, raconte l’hebdomadaire Open.

360° p.40

Au bout du monde avec George OrwellUn lieu, un artiste (5/5). C’est sur l’île sauvage de Jura, au large de l’Ecosse, que l’écrivain britannique s’est isolé dans l’immédiat après-guerre pour rédiger 1984, son chef-d’œuvre d’anticipation. Le magazine en ligne Roads and Kingdoms est revenu sur les lieux.

SIGNAUX p.38

Portrait du virus Ebola

Avec plus de 1 200 morts

au 19 août, cette fl ambée

de fi èvre hémorragique

particulièrement létale s’étend

bien plus que toutes

les précédentes. Une infographie

qui fait le tour du sujet.

Face aux nouvelles puissances spatiales, comme la Chine, l’Inde ou même les Emirats arabes unis, de jeunes entreprises privées aux grandes ambitions, comme l’américaine SpaceX, mettent en œuvre leurs propres programmes.C

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SUR NOTRE SITE

www.courrierinternational.comIrak Les djihadistes sous pression : les suites de l’intervention américaine.Ferguson L’Amérique s’embrase. Retrouvez tout le débat de la presse américaine sur la ségrégation, le racisme et la violence policière.Retrouvez-nous aussi sur Facebook, Twitter, Google+ et Pinterest

Sommaire

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Courrier international – n° 1242 du 21 au 27 août 20142.

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Courrier international — no 1242 du 21 au 27 août 2014

Sommaire Edité par Courrier international SA, société anonyme avec directoire et conseil de surveillance au capital de 106 400 €. Actionnaire La Société éditrice du Monde. Président du directoire, directeur de la publication : Arnaud Aubron. Directeur de la rédaction, membre du directoire : Eric Chol. Conseil de surveillance : Louis Dreyfus, président. Dépôt légal Août 2014. Commission paritaire n° 0717c82101. ISSN n°1154-516X Imprimé en France/Printed in France

Rédaction 6-8, rue Jean-Antoine-de-Baïf, 75212 Paris Cedex 13 Accueil 33 (0)1 46 46 16 00 Fax général 33 (0)1 46 46 16 01 Fax rédaction 33 (0)1 46 46 16 02 Site web www.courrierinternational. com Courriel [email protected] Directeur de la rédaction Eric Chol Rédacteurs en chef Jean-Hébert Armengaud (16 57), Claire Carrard (édition, 16 58), Odile Conseil (déléguée 16 27), Rédacteurs en chef adjoints Catherine André (16 78), Raymond Clarinard, Isa-belle Lauze (hors-séries, 16 54) Assistante Dalila Bounekta (16 16) Rédactrice en chef technique Nathalie Pingaud (16 25) Direction artistique Sophie-Anne Delhomme (16 31) Conception graphique Javier Errea Comunicación

Europe Catherine André (coordination générale, 16 78), Danièle Renon (chef de service adjointe Europe, Allemagne, Autriche, Suisse alémanique, 16�22), Gerry Feehily (Royaume-Uni, Irlande, 16 95), Lucie Geff roy (Italie, 16�86), Nathalie Kantt (Espagne, Argentine, 16 68), Hugo dos Santos (Portugal, 16�34)Iwona Ostapkowicz (Pologne, 16 74), Caroline Marcelin (chef de rubrique, France, 17 30), Iulia Badea-Guéritée (Roumanie, Moldavie, 19 76), Wineke de Boer (Pays-Bas), Solveig Gram Jensen (Danemark, Norvège), Alexia Kefalas (Grèce, Chypre), Mehmet Koksal (Belgique), Kristina Rönnqvist (Suède), Agnès Jarfas (Hongrie), Mandi Gueguen (Albanie, Kosovo), Miro Miceski (Macédoine), Kika Curovic (Serbie, Monténégro, Croatie, Bosnie-Herzégovine), Marielle Vitureau (Lituanie), Katerina Kesa (Estonie) Russie, est de l’Europe Laurence Habay (chef de service, 16 36), Alda Engoian (Caucase, Asie cen-trale), Larissa Kotelevets (Ukraine) Amériques Bérangère Cagnat (chef de service, Amérique du Nord, 16 14), Gabriel Hassan (Etats-Unis, 16 32), Anne Proenza (chef de rubrique, Amérique latine, 16 76), Paul Jurgens (Brésil) Asie Agnès Gaudu (chef de service, Chine, Singapour, Taïwan, 16 39), Christine Chaumeau (Asie du Sud-Est, 16 24), Ingrid Therwath (Asie du Sud, 16 51), Ysana Takino (Japon, 16 38), Kazuhiko Yatabe (Japon), Zhang Zhulin (Chine, 17 47), Elisabeth D. Inandiak (Indonésie), Jeong Eun-jin (Corées) Moyen-Orient Marc Saghié (chef de service, 16 69), Ghazal Golshiri (Iran), Pascal Fenaux (Israël), Philippe Mischkowsky (pays du Golfe), Pierre Vanrie (Turquie) Afrique Ousmane Ndiaye (16 29), Hoda Saliby (chef de rubrique Maghreb, 16 35), Chawki Amari (Algérie) Transversales Pascale Boyen (chef des informations, Economie, 16 47), Catherine Guichard (Economie, 16 04), Anh Hoà Truong (chef de rubrique Sciences et Innovation, 16 40), Gerry Feehily (Médias, 16 95), Virginie Lepetit (Signaux) Magazine 360° Marie Béloeil (chef des informations, 17 32), Virginie Lepetit (chef de rubrique Tendances, 16 12), Claire Maupas (chef de rubrique Insolites 16 60), Raymond Clarinard (Histoire), Catherine Guichard Ils et elles ont dit Iwona Ostapkowicz (chef de rubrique, 16 74)

Site Internet Hamdam Mostafavi (chef des informations, responsable du web, 17 33), Carolin Lohrenz (chef d’édition, 19 77), Carole Lyon (rédactrice multimédia, 17 36), Paul Grisot (rédacteur multimédia, 17 48), Pierrick Van-Thé (webmestre, 16 82), Marie-Laëtitia Houradou (responsable marketing web, 1687), Patricia Fernández Perez (marketing) Agence Cour rier Sabine Grandadam (chef de service, 16 97) Traduction Raymond Clarinard (rédacteur en chef adjoint), Isabelle Boudon (anglais, allemand), Françoise Escande-Boggino (japonais, anglais), Caroline Lee (anglais, allemand, coréen), Françoise Lemoine-Minaudier (chinois), Julie Marcot (anglais, espagnol, portugais), Marie-Françoise Monthiers ( japonais), Mikage Nagahama ( japonais), Ngoc-Dung Phan (anglais, italien, vietnamien), Olivier Ragasol (anglais, espagnol), Danièle Renon (allemand), Hélène Rousselot (russe), Mélanie Liff schitz (anglais, espagnol), Leslie Talaga (anglais, espagnol) Révision Jean-Luc Majouret (chef de service, 16 42), Marianne Bonneau, Philippe Czerepak, Fabienne Gérard, Françoise Picon, Philippe Planche, Emmanuel Tronquart (site Internet) Photo graphies, illustrations Pascal Philippe (chef de service, 16 41), Lidwine Kervella (16 10), Stéphanie Saindon (16 53) Maquette Bernadette Dremière (chef de service, 16 67), Catherine Doutey, Nathalie Le Dréau, Gilles de Obaldia, Josiane Petricca, Denis Scudeller, Jonnathan Renaud-Badet, Alexandre Errichiello, Céline Merrien (colorisation) Cartographie Thierry Gauthé (16 70) Infographie Catherine Doutey (16 66) Calligraphie Hélène Ho (Chine), Abdollah Kiaie (Inde), Kyoko Mori (Japon) Informatique Denis Scudeller (16 84) Directeur de la production Olivier Mollé Fabrication Nathalie Communeau (direc trice adjointe), Sarah Tréhin (responsable de fabrication) Impression, brochage Maury, 45330 Malesherbes

Ont participé à ce numéro : Alice Andersen, Jean-Baptiste Bor, Sophie Courtois, Geneviève Deschamps, Rollo Gleeson, Thomas Gragnic, Sabrina Haessler, Sophie Laurent-Lefèvre, Carole Lembezat, Jean-Baptiste Luciani, Pauline Machard, Valentine Morizot, Corentin Pennarguear, Anne Lise Pitre, Alexane Pottier, Diana Prak, Joséphine Raynauld, Mélanie Robaglia, Pierangélique Schouler, Judith Sinnige, Isabelle Taudière, Yuta Yagishita

Secrétaire général Paul Chaine (17 46) Assistantes Frédérique Froissart (16 52), Sophie Jan Gestion Bénédicte�Menault-Lenne�(responsable,�16�13) Comptabilité 01 48 88 45 02 Responsable des droits Dalila Bounekta (16 16) Ventes au numéro Responsable publications Brigitte Billiard Direction des ventes au numéro Hervé Bonnaud Chef de produit Jérôme Pons (0 805 05 01 47, fax : 01 57 28 21 40) Diff usion inter nationale Franck-Olivier Torro (01 57 28 32 22) Promotion Christiane Montillet Marketing Sophie Gerbaud (directrice, 16 18), Véronique Lallemand (16 91), Véronique Saudemont (17 39), Kevin Jolivet (16 89)

Les journalistes de Courrier international sélectionnent et traduisent plus de 1 500 sources du monde entier : journaux, sites, blogs. Ils alimentent l’hebdomadaire et son site courrier interna-tional.com. Les titres et les surtitres accompagnant les articles sont de la rédaction. Voici la liste exhaustive des sources que nous avons utilisées cette semaine :

Algérie-Focus (algerie-focus.com), Algérie, en ligne. Anfi bia (revistaanfi bia.com), Buenos Aires, en ligne. The Conversation (the conver-sation.com) Londres, en ligne. Folha de São Paulo São Paulo, quotidien. The Guardian Londres, quotidien. Al-Hayat Londres, quotidien. Jingji Guancha Bao Pékin, hebdomadaire. Jornal de Angola Luanda, quotidien. La Nación Buenos Aires, quotidien. Los Angeles Times Los Angeles, quotidien. Al-Modon (https ://fr-fr.facebook.com/AlModonNp) Beyrouth, en ligne. Moskovski Komsomolets Moscou, quotidien. New Scientist

Londres, hebdomadaire. Now. (now.mmedia.me/lb/ar) Beyrouth, en ligne. O Observador (observador.pt) Lisbonne, en ligne. Open New Delhi, hebdomadaire. El País Madrid, quotidien. Roads and Kingdoms (roadsandkingdoms.com), New York, en ligne. Sakartvelo da Msoplio Tbilissi, hebdomadaire. Scroll-in (scroll.in), New Delhi, en ligne. Il Sole-24 Ore Milan, quotidien. The Wall Street Journal New York, quotidien. The Washington Post Washington, quotidien.

← Toutes nos sources Chaque fois que vous rencontrez cette vignette, scannez-la et accédez à un contenu multimédia sur notre site courrierinternational.com (ici, la rubrique “Nos sources”).

7 jours dans le monde4. Palestine. Crise humanitaire :

le Hamas critiqué à Gaza

6. Controverse. L’armée américaine

doit-elle revenir en Irak ?

D’un continent à l’autre— MOYEN-ORIENT 8. Irak-Syrie. Les racines de l’Etat

islamique

— AFRIQUE12. Guinée-Equatoriale. Obiang

se met au portugais

14. Algérie. Le bijou kabyle entre

créativité et déclin

— ASIE16. Inde. Gouvernement recrute

hackers, 18 ans si possible

— AMÉRIQUES18. Bolivie. Mourir pour les dieux

— EUROPE20. Ukraine. Mais où sont donc

les convois de l’UE ?

21. Géorgie. La genèse d’un régime

fasciste

22. Royaume-Uni. Cachez

ces pauvres...

— FRANCE 23. Culture. Astérix, un héros

terriblement européen

— BELGIQUE 24. Partis.

La nouvelle donne fl amande

A la une28. La course aux étoiles

Transversales36. Economie. Les loups de Wall Street ont perdu

leurs crocs

38. Environnement.

La politique de la terre polluée

38. Signaux. Portrait du virus Ebola

360°42. Un lieu, un artiste (5/5)

Au bout du monde

avec George Orwell

46. Tendances.

Des critiques et des clics

48. Plein écran.

Les dentiers de la gloire

GEIE COURRIER INTERNATIONAL EBLCOURRIER INTERNATIONAL pour la Belgique et le Grand Duché de Luxembourg est commercialisé par le GEIE COURRIER INTERNATIONAL EBL qui est une association entre la société anonyme de droit français COURRIER INTERNATIONAL et la société anonyme de droit belge IPM qui est l’éditeur de La Libre Belgique et de La Dernière Heure Les Sports. Co-gérant Antoine LaporteCo-gérant et éditeur responsable François le HodeyDirecteur général IPM Denis PierrardCoordination rédactionnelle Pierre Gilissen

+ 32 2 744 44 33Ouvert les jours ouvrables de 8h à 14h.Rue des Francs, 79 — 1040 BruxellesPublicité RGP Marie-France Ravet [email protected] + 32 497 31 39 78Services abonnements [email protected] + 32 2 744 44 33 / Fax + 32 2 744 45 55Libraires + 32 2 744 44 77Impression IPM PrintingDirecteur Eric Bouko + 32 2 793 36 70

Marie Curie

Dans la vie, rien n’est à craindre, tout est à comprendre.

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Courrier international — no 1242 du 21 au 27 août 2014

7 jours dansle monde.

↙ “Nous allons nous battre jusqu’à la mort…” “… la nôtre”. Dessin de Schrank, paru dans The Independent, Londres.

PALESTINE

Crise humanitaire : le Hamas critiqué à GazaSi publiquement les Palestiniens soutiennent encore le mouvement islamiste, des voix s’élèvent pour dénoncer son entêtement.

—The Washington Post (extraits) Washington

Lahiya, bande de Gaza – Ziad Abu Halool est fatigué de voir son quartier dévasté. Fatigué

de ne plus avoir l’eau courante depuis dix jours ni d’électricité depuis plus longtemps encore. Fatigué de voir le Hamas et d’autres militants palesti-niens envoyer des roquettes sur Israël depuis son quartier – et fatigué de prier pour que les représailles israéliennes épargnent sa maison. Après plus d’un mois et demi de guerre et de destruc-tions, Ziad tient donc des propos qui semblaient jusqu’alors impensables : malgré tout le mépris qu’il a pour Israël, il déclare juger le Hamas et les autres groupes armés palestiniens également responsables de ses malheurs.

A l’heure où le bilan humain s’élève à plus de 2 000 morts côté palestinien [d’après le ministère de la Santé de l’en-clave palestinienne], un nombre grandis-sant de Gazaouis contestent les décisions et les stratégies du Hamas qui tient la bande de Gaza sous sa coupe et qui est connu pour intimider – et parfois prendre pour cible – les détracteurs de sa poli-tique. La plupart du temps, la désappro-bation est encore timide et n’émerge que dans les conversations privées. Mais dans les enclaves exsangues comme Beit Lahiya, la révolte gronde ouverte-ment, alimentée par le sentiment d’im-puissance et la fatigue.

Ces critiques ne traduisent pas néces-sairement une perte de soutien pour le Hamas. La plupart des Palestiniens, y compris les principaux détracteurs du Hamas, disent soutenir la guerre en cours contre Israël, voyant en elle le seul moyen de satisfaire la reven-dication palestinienne à court terme, à savoir la levée des embargos écono-miques israéliens et égyptiens de Gaza et l’ouverture des postes-frontières de la région. Aucun habitant de Beit Lahiya n’accuse le Hamas de les utiliser comme boucliers humains, comme le prétend Israël, même s’ils reconnaissent que des militants tirent des roquettes depuis leurs quartiers.

Toutefois, la frustration grandissante dans l’opinion palestinienne porte à croire que, malgré leur nationalisme fervent, beaucoup de Palestiniens tiennent le Hamas pour partiellement responsable de la crise humanitaire actuelle.

Et si les négociateurs palestiniens et israéliens réunis au Caire tombent d’accord sur un traité de paix durable, l’opinion pourrait bien faire pression sur le Hamas pour qu’il reconstruise Gaza et relance une économie en ruine, ou tout au moins qu’il s’abstienne d’en-traver les efforts de reconstruction internationaux.

“Si rien n’est fait avant les prochaines élections palestiniennes, le Hamas se retrou-vera dans une très fâcheuse posture, ana-lyse Mkhamer Abou Saada, politologue à l’université Al-Azhar de Gaza. Oui, les

Palestiniens sont derrière le Hamas et la résistance palestinienne contre Israël. Mais, à vrai dire, ils aimeraient bien que leurs maisons et leurs infrastructures soient réparées… Si rien n’est fait à court terme, cela aura des répercussions fâcheuses sur le Hamas et sa cote de popularité dans les rangs palestiniens.”

Avant l’ouverture du conflit en cours, le 8 juillet, le Hamas était isolé sur la scène politique. Il avait perdu l’appui de ses principaux soutiens, la Syrie et l’Iran, après avoir refusé de prêter main-forte au régime syrien contre la rébellion sunnite. Et le gouvernement égyptien, qui, soutenu par l’armée, a évincé le président islamiste Mohamed Morsi et ses Frères musulmans, consi-dère le Hamas comme une menace. Par ailleurs, la popularité du Hamas souffre des allégations de corruption visant ses fonctionnaires.

Mais l’entrée en guerre contre Israël a redoré le blason du Hamas, qui a vu sa cote de popularité remonter. Dans la rue, la quasi-totalité des Palestiniens inter-rogés pendant les hostilités se sont féli-cités du combat mené par les militants contre Israël.

Aujourd’hui, des voix palestiniennes contestent la décision de rejeter la pre-mière trêve [le 15 juillet]. “Tout le monde demande tout bas pourquoi le Hamas a refusé l’initiative égyptienne au début de la guerre, à l’époque où le bilan humain était encore limité”, observe Hani Habib, jour-naliste et politologue palestinien. Un sen-timent répandu autour de Beit Lahiya, une enclave tentaculaire et vallonnée composée de grandes maisons ados-sées à la frontière israélienne. Beaucoup d’habitants se disent épuisés de subir la guerre de plein fouet, faisant obser-ver que les combats ont fait nettement moins de dégâts en Israël.

“Ils auraient dû accepter le cessez-le-feu”, estime ainsi Hathem Mena, un ensei-gnant de 55 ans, en parlant du Hamas et des autres militants palestiniens. “Cela aurait mis fin au massacre. C’est nous qui sommes sinistrés par la guerre, ce sont nos maisons et nos vies. C’est de ce côté qu’ont lieu les destructions, pas du côté israélien.”

—Sudarsan RaghavanPublié le 12 août

Une candidate écolo à la présidentielle

BRÉSIL — “L’héritage d’Eduardo Campos” titre l’hebdomadaire Istoé, avec un portrait pleine page du candi-dat du parti socia-liste brésilien (PSB) décédé dans un acci-dent d’avion le 13 août.

C’est sa colistière, Marina Silva, qui va lui succéder dans la course à la présidentielle. Entrée au PSB en 2013, cette militante écologiste bénéficiant du soutien des chrétiens évangélistes devait annoncer sa candidature le 20 août. Depuis la mort de Campos, Marina Silva a vu doubler les intentions de vote en sa faveur (16 %) et représente une menace pour le principal candidat de l’opposition, Aécio Neves. Certains sondages la donnent même gagnante face à la présidente sortante Dilma Rousseff. Le premier tour aura lieu le 5 octobre.

L’Inde tourne le dos au Pakistan

DIPLOMATIE — New Delhi a annulé des pourparlers de paix avec Islamabad, prévus pour le 25 août prochain, inter-rompant dix ans de dialogue, annonce The Hindustan Times. La raison officielle ? L’ambassadeur du Pakistan en Inde a ren-contré un leader séparatiste du Cachemire, démarche jugée ouvertement hostile par l’Inde dans cette région que se disputent les deux pays depuis plus de soixante-cinq ans. “Il était illusoire de penser que le Premier ministre Narendra Modi [membre du BJP, parti nationaliste hindou, élu le 16 mai 2014, ouvertement islamophobe] vou-lait vraiment un dialogue approfondi avec le Pakistan”, écrit encore le quotidien. Le site indien Scroll.in donne quant à lui les cinq raisons pour lesquelles cette décision est “épouvantable” et, notamment, le risque de raviver le conflit au Cachemire et de pousser Islamabad à utiliser le terrorisme comme moyen de pression.

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LE DESSIN DE LA SEMAINE

7 JOURS.Courrier international — no 1242 du 21 au 27 août 2014

ILS PARLENTDE NOUS

ANNA MARIA MERLO, correspondante à Paris du quotidien italien Il Manifesto

Economie : Paris n’a aucune visionL’Insee confi rme une situation économique préoccupante pour la France : une croissance qui stagne et un défi cit qui pourrait dépasser 4 % du PIB. Faut-il y voir l’échec de François Hollande ?— S’il y a eu un échec de sa part, c’est de ne pas avoir su, pu ou voulu imposer un autre chemin économique que celui que presque tous les pays européens ont choisi : celui de l’austérité. Et encore, les Français ont été plus épargnés que leurs voisins portugais, italiens ou grecs. Mais les dirigeants français, comme bien d’autres, ont eu peur du spread (diff érence de taux avec l’Allemagne), des marchés,

de l’Allemagne et ont imposé une politique qui a montré

son ineffi cacité.

Manuel Valls a annoncé que la France ne

changerait pas de politique et que l’objectif

de 50 milliards d’économies serait maintenu. Qu’en pensez-vous ?— C’est ridicule. Les plans d’économie se calent sur la temporalité électorale : ça n’a aucun sens, trois ans, c’est bien trop court. Il faut faire des programmes sur dix ou vingt ans. Et surtout le discours qui consiste à dire “on ne change rien” ne peut que faire le lit du populisme. Le Front national aura beau jeu de dire : “Si vous voulez du changement, essayez-nous !”

Des observateurs estiment que si la France veut un changement de la politique européenne, elle doit faire alliance avec d’autres pays européens. Avec l’Italie ?— Je ne pense pas qu’une alliance des pays qui ne respectent pas les critères de convergence soit une bonne idée. La France a plutôt intérêt à chercher des alliances avec les Pays-Bas, la Suède ou le Danemark et à s’engager sur un projet à long terme. François Hollande et son gouvernement donnent toujours l’impression de gesticuler et de n’avoir aucune vision. Il faut sortir de la logique selon laquelle il y aurait des bons et des mauvais élèves. L’Allemagne seule n’ira nulle part. Dans le passé, Berlin n’a pas toujours respecté les critères. Quant à la Commission européenne, j’espère qu’elle saura sortir de son rôle de gendarme, catastrophique pour l’image de l’Europe auprès des citoyens.—

DR

Artillerie lourde à FergusonÉTATS-UNIS — “Protéger et servir” : la célèbre devise de la police de Los Angeles contraste étrangement avec les événements de la semaine dernière à Ferguson, dans le Missouri. Un jeune Noir non armé, Michael Brown, a été abattu par un policier blanc dans des circonstances troubles, ce qui a déclenché une vague de manifestations et relancé le débat sur les discriminations envers les Africains-Américains. La gestion de cette crise par les forces de l’ordre a été calamiteuse : répression violente au moyen de gaz lacrymogène et de balles en caoutchouc, déploiement de véhicules blindés et de snipers, refus d’informer sur l’incident. La police de Ferguson semble ne “protéger et servir [qu’]elle-même”, écrit le site The Daily Beast.

→ Protéger et servir (sur la casquette : police de Ferguson). Dessin de Randall Enos, Etats-Unis.

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31MILLIONS D’EUROS — Soit 25 millions

de livres, c’est le montant qui manque aux municipalités britanniques

pour fi nancer les déjeuners gratuits destinés aux écoliers

de 4 à 7 ans, note The Independent. Les déjeuners gratuits, une initiative du vice-Premier ministre Nick Clegg

(libéral-démocrate), seront obligatoires à partir

de septembre 2014 et fournis par les écoles maternelles

et primaires. Mais, depuis la révélation du défi cit budgétaire, ce programme est devenu “l’objet d’un désaccord

au sein du gouvernement”, note le journal, qui cite l’ancien ministre

de l’Education, selon lequel l’initiative a été “élaborée à la va-vite sur

un paquet de clopes”.

Ecrivains en colère contre AmazonALLEMAGNE — Ils voulaient que leur lettre ouverte contre les pratiques discriminantes d’Amazon rassemble un millier de signatures avant que se tienne la Foire du livre à Francfort (8-12 octobre), relate le magazine Stern. Ils sont déjà plus de 1 300 à s’être mobi-lisés. Dénonçant un boycott ciblé des groupes Hachette et Bonnier (dont font partie de grands éditeurs allemands tels Piper, Ullstein et Carlsen) et une “prise en otage” des auteurs, les grands noms de la littérature de langue allemande – dont Christoph Hein, Daniel Kehlmann, le Prix Nobel Elfriede Jelinek et bien d’autres – appellent les dirigeants d’Ama-zon au “fair-play, qui seul assurera l’avenir du marché du livre”.

Bruxelles n’aidera pas l’ItalieIMMIGRATION — Le ministre des Aff aires étrangères italien l’a annoncé offi ciellement le 15 août : l’opération de sauvetage des migrants en Méditerranée

“Mare Nostrum”, lancée en octobre 2013, prendra fi n en octobre, pour être relayée par Frontex (l’Agence européenne pour la gestion de la coopération opération-nelle aux frontières extérieures de l’Union européenne). Mais Bruxelles ne l’entend pas ainsi. Un porte-parole de la Commission européenne a annoncé que Frontex ne serait pas en mesure de prendre le relais. “Frontex est une petite agence, sans moyens, ni bateaux, ni avions […]. Tous les pays membres doivent réagir à cette situation d’urgence”, rapporte La Repubblica. “Une douche froide” pour l’Italie, selon le quotidien italien.

AJU

BEL

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pour cela une stratégie militaire et poli-tique agressive. Commençons par armer et épauler les Kurdes. Travaillons avec le nouveau gouvernement irakien pour équi-per l’armée irakienne. Ensuite, aidons les Irakiens à reconquérir les territoires perdus. Demandons de l’aide aux voisins sunnites et à la Turquie, eux aussi mena-cés par l’Etat islamique. Une défaite en Irak porterait un coup majeur à son pres-tige et au moral de ses troupes.

Obama et la plupart des démocrates se sont toujours présentés comme ceux qui ont mis fin à la guerre de George W. Bush et ils préfèrent donc mettre en œuvre le strict minimum pour empêcher un désastre comme par exemple la défaite des Kurdes. Ce mode de pensée a conduit à l’énorme bourde que fut le retrait total des troupes américaines en 2011 et au refus de voir l’avancée de l’Etat islamique toute cette année. Comment vaincre celui-ci dans un tel état d’esprit ?—

Publié le 13 août

seraient des cibles privilégiées pour atti-rer l’attention du reste du monde et notre mère-patrie ne serait pas épargnée.

Faire reculer l’EI permettrait de résoudre plus facilement les conflits politiques en Irak. Les cheikhs sunnites dans l’ouest de l’Irak ne voudront jamais coopérer avec un nouveau Premier ministre chiite, même plus accommodant [que Nouri Al-Maliki], s’ils savent que Bagdad ne peut les proté-ger. Idem pour les Kurdes.

Barack Obama et son vice-président Joe Biden disent depuis des années qu’une solution politique en Irak doit primer sur une solution militaire. C’était également leur argument pour s’opposer à l’envoi de troupes en Irak en 2007 pour sécuri-ser Bagdad. Finalement c’est le contraire qui s’est produit, et une solution militaire est désormais essentielle pour parvenir à une solution politique. Pourquoi Obama et Biden ont-ils si peu d’influence à Bagdad aujourd’hui ? En partie parce que les Etats-Unis n’ont pas réussi à tenir leurs promesses les plus élémentaires après le retrait de l’en-semble des troupes américaines en 2011. Nous avions promis de reconstruire la base aérienne militaire à Balad mais cette pro-messe est restée lettre morte. Nous leur avons vendu 36 chasseurs F-16 mais nous ne leur en avons encore livré qu’un.

L’administration Obama a dépensé tel-lement d’énergie à mettre en œuvre sa grandiose solution politique à Bagdad que pendant des semaines elle a refusé d’ar-mer les Kurdes pour ne pas froisser Nouri Al- Maliki, tout en poussant ce dernier à la démission. Résultat : avant le bombarde-ment américain, l’Etat islamique était sur le point de renverser les Kurdes.

Des frappes aériennes ciblées ne réus-siront pas à le mettre en déroute. Il faut

aussi être interprétées comme une tentative de soutenir le gouvernement irakien face à une insurrection que le Premier ministre chiite Nouri Al-Maliki [il a annoncé jeudi 14 août qu’il renonçait à son poste] a large-ment contribué à alimenter en excluant les sunnites du jeu politique. Quant à l’autre argument du président américain en faveur de frappes aériennes (la protection des res-sortissants américains), il pourrait égale-ment justifier une intervention militaire à Bagdad en cas d’attaque. Mais les Etats-Unis pourront-ils faire marche arrière si l’Etat islamique continue son avancée et si le successeur d’Al-Maliki [Haïdar Al-Abadi] réclame d’autres frappes aériennes ou plus de conseillers militaires ? Et que se passera-t-il si ces mesures s’avèrent inefficaces ?

En juin dernier, quand Obama a annoncé qu’il n’excluait aucune solution pour per-mettre au gouvernement irakien de Bagdad d’enrayer l’avancée de l’Etat islamique, nous avons pris position contre une éventuelle campagne aérienne américaine en soutien au pouvoir irakien. Aussi déstabilisants et tragiques que soient les derniers événements en Irak, nous n’avons pas changé d’avis.—

Publié le 9 août

OUI

Une troisième guerre d’Irak est nécessaire—The Wall Street Journal (extraits) New York

Le président Obama voudrait nous faire croire que les Etats-Unis ne repartent pas en guerre en Irak.

Allez dire ça aux djihadistes de l’Etat isla-mique (EI, ou EIIL) tués par les F-18 amé-ricains pour protéger les Kurdes. Larguer des bombes est un acte de guerre et Obama a déjà envoyé 800 soldats ou conseillers militaires en Irak. Les Etats-Unis doivent bel et bien faire la guerre en Irak pour la troisième fois en vingt-cinq ans. La prin-cipale priorité stratégique américaine doit être désormais de repousser et de vaincre l’Etat islamique afin d’empêcher la mise en place d’un califat terroriste. Un Etat de ce genre deviendrait la Mecque des djihadistes qui viendraient s’y former pour ensuite s’éparpiller dans le reste du monde avec des visées meurtrières. Les Américains

NON

L’intervention doit rester humanitaire—Los Angeles Times (extraits)Los Angeles

En autorisant des frappes aériennes ciblées dans le nord de l’Irak, le pré-sident Obama a dénoncé le compor-

tement barbare de l’Etat islamique, dont les combattants jettent sur les routes et mena-cent de mort des Irakiens innocents consi-dérés comme impies. Pour autant, Barack Obama ne devrait pas laisser ce qu’il a décrit comme une intervention d’urgence pour raisons humanitaires se transformer en une campagne militaire de grande ampleur.

Depuis maintenant plusieurs semaines, l’Etat islamique, également actif en Syrie, terrorise les chrétiens de Mossoul, deuxième ville d’Irak, menace la région kurde semi-autonome et a conduit des milliers de Yézidis à l’exode dans une région monta-gneuse où ils sont condamnés à mourir de faim. Le 7 août, le président a annoncé que des avions américains parachuteraient des vivres et de l’eau pour les réfugiés et qu’il avait autorisé des frappes aériennes pour “briser le siège des monts Sinjar et protéger les civils retenus là-bas”. Deux jours plus tard, Obama a laissé entendre que cette inter-vention militaire pourrait se prolonger, déclarant : “Je ne pense pas que nous puissions résoudre ce problème en quelques semaines.”

Selon Obama, deux arguments majeurs justifient l’intervention dans un pays dont les Etats-Unis se sont retirés militairement en 2011 après huit ans de présence et près de 4 500 pertes humaines côté américain. Premièrement, il estime qu’il y va de la res-ponsabilité des Etats-Unis d’intervenir du fait de leur “capacité exclusive d’empêcher un massacre”. Autre impératif : la néces-sité de protéger les ressortissants améri-cains et les conseillers militaires à Erbil [Kurdistan irakien]. Obama a tenu à pré-ciser que cette opération aurait une enver-gure limitée et il a promis que les Etats-Unis ne se laisseraient pas “entraîner dans une autre guerre en Irak.”

On ne doute pas de la sincérité du prési-dent face aux souffrances infligées par l’Etat islamique aux Yézidis et aux autres mino-rités. Mais ces frappes aériennes peuvent

CONTROVERSE

L’armée américaine doit-elle revenir en Irak ?Après l’invasion de 2003, les Etats-Unis se sont retirés en 2011. La lutte contre l’Etat islamique annonce-t-elle une nouvelle guerre ?

A la une

“DE RETOUR EN IRAK”Barack Obama a autorisé, le 7 août, des frappes aériennes dans le nord du pays contre les positions de l’Etat islamique (EI). “De retour en Irak”, titre The Economist. “Les deux derniers présidents américains ont tous les deux fait de mauvais choix en Irak, de manière opposée”, analyse l’hebdomadaire. George Bush a envoyé 148 000 soldats mais n’a rien fait pour stabiliser la situation politique après le renversement de Saddam Hussein. Barack Obama a autorisé le retrait des troupes américaines sans penser à la suite. L’actuel président américain a désormais conscience qu’il ne pourra combattre ces djihadistes sans un pouvoir stable en Irak. “C’est une bonne approche”, selon l’hebdomadaire britannique. En attendant “les dirigeants occidentaux doivent préparer l”opinion publique à un engagement militaire de long terme dans cette partie du monde”.

↙ ISIS est l’acronyme en anglais de Etat islamique en Irak et au Levant (EIIL), transformé récemment en EI, Etat islamique. Dessin de Stephff, Taïlande.

7 JOURS Courrier international – n° 1242 du 21 au 27 août 20146.

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Courrier international — no 1242 du 21 au 27 août 2014

Irak-Syrie.Les racines de l’Etat islamique

Afrique .......... 15Asie ............. 18Amériques ........ 20Europe ........... 22France ........... 25

A l’heure où les combats s’intensifient dans le nord de l’Irak, la presse arabe se demande comment le phénomène de l’EIIL a pu émerger et s’imposer.FOCUS

envers les juifs s’est ensuite dif-fusée au-delà des cercles ecclé-siastiques pour s’insinuer dans le tissu social et culturel de l’Occi-dent chrétien.

L’antisémitisme a fini par inté-grer des composantes nationalistes et ethniques en plus de ses origines théologiques (qui en constituent néanmoins le pilier historique). Pendant des siècles, l’antisémi-tisme s’est structuré par rapport à une certaine définition de la chré-tienté. Cette notion a radicalement changé avec le concile Vatican II [1965], après lequel l’Eglise a déploré “les haines, les persécutions et toutes les manifestations d’antisémitisme, qui ont été dirigées contre les juifs”, appelant au contraire à célébrer un “patrimoine partagé”.

Comment les juifs sont-ils passés du statut d’“assassins du Christ” à celui de frères humains à qui l’Eglise reconnaît un héritage commun ? Au-delà du sentiment de culpabilité provoqué par l’Holocauste, l’Eglise s’est livrée à une nouvelle interpré-tation du dogme. Elle n’a pas sup-primé les textes hostiles aux juifs, mais elle enseigne désormais aux catholiques que ces passages ne visent que certains juifs, ceux qui il y a deux mille ans appelaient à la crucifixion du Christ, et non pas tous les juifs de tous les pays et de toutes les époques. Autrement dit, l’Eglise a replacé les textes sacrés dans leur contexte.

Revenons maintenant à l’Etat islamique en Irak et au Levant (EIIL) et à la tragédie des chrétiens d’Irak. L’exil et la destruction des communautés chrétiennes d’Irak ont ému le monde entier. Le plus révoltant est que ces chrétiens n’ont pris parti pour aucun des belligérants présents dans leur pays et ne se sont rendus cou-pables d’aucun acte de violence. Ils ont pourtant été chassés des territoires passés sous le contrôle de l’EIIL. Chaque fois qu’un acte de haine est commis au nom de l’islam, les réseaux sociaux sont

—Now. Beyrouth

Les racines historiques de l’antisémitisme dans le monde chrétien occiden-

tal sont aussi complexes que loin-taines. Si l’idéologie nazie a poussé l’antisémitisme à son paroxysme criminel, ce n’est toutefois pas elle qui l’a inventé. Pendant des siècles, foi chrétienne et haine des juifs ont été inextricablement liées. Les Evangiles désignent les juifs comme responsables de la cruci-fixion de Jésus. Dans les Actes des apôtres, Paul attaque vivement le peuple qui a “mis à mort le Seigneur Jésus et les prophètes”. Selon Paul, les juifs “ne plaisent point à Dieu et sont ennemis du genre humain”.

L’amertume exprimée dans les Evangiles et les Actes des apôtres a servi de justification théologique et de fondement historique aux antisémites. L’Eglise a tenu les juifs collectivement responsables de la mort du Christ. L’hostilité

L’islam est-il innocent ?Il a fallu le concile Vatican II pour que la foi chrétienne n’alimente plus l’antisémitisme. Il est temps que l’islam replace les versets antijuifs et antichrétiens du Coran dans leur contexte historique.

d’uncontinentà l’autre.moyen-

orient

↑ EIIL (l’Etat islamique) : un nouvel Etat religieux est né. Sur l’affiche : Le ramadan, coutume et règlement. “Pas le temps pour manger… Pas le temps pour boire… Beaucoup de temps pour tuer… Ce qu’il faut à l’Irak, c’est un chef modéré – comme Saddam.” Dessin de Turner, paru dans The Irish Times, Dublin.

L’Occident en guerre●●● Alors que les drones américains prêtent main forte aux peshmergas kurdes et à une armée irakienne déboussolée dans leur lutte contre les djihadistes de l’Etat islamique (lire aussi p. 8), l’Europe fait le pari de soutenir les Kurdes, se félicite la presse d’Erbil. Si l’Allemagne et l’Autriche étaient opposées à une intervention militaire, la France, la Grande-Bretagne, les Pays-Bas et la République tchèque envoient déjà des armes et des munitions. Réunis le 15 août à Bruxelles, les ministres des Affaires étrangères de l’Union européenne sont parvenus à adopter une décision commune favorable à la livraison d’armes, par certains Etats membres, aux autorités kurdes.

1316182023

8.

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MOYEN-ORIENT.

—Al-Modon Beyrouth

Face aux abominations de Daech [acronyme arabe de l’Etat islamique en Irak et

au Levant, EIIL], tout le monde s’est mis à clamer que “le vrai islam, ce n’est pas ça”. A commen-cer par les hommes de religion traditionnels, alors même qu’au fond d’eux-mêmes ils n’ont qu’une idée en tête, une idée qui a pré-sidé à leur formation et qui est au cœur de leur métier : l’exten-sion de la charia au-delà de son champ d’application actuel, qui est celui du seul statut personnel et du code de la famille, et dont les femmes sont les premières à subir le caractère discriminatoire.

C’est aussi le cas des mouve-ments islamistes “non djihadistes” ou “modérés”. Ils prônent une approche “graduelle” – en par-ticipant par exemple aux élec-tions – pour avancer étape par étape vers leur but ultime, qui est, là encore, l’établissement du califat et l’application de la charia, y compris les peines cor-porelles que l’on sait. Enfi n, il

inondés de commentaires rappe-lant que “l’islam n’est pas responsable de ces actes”. Une rapide lecture du Coran nous permet de savoir que penser de ces affi rmations.

“Combattez [les chrétiens et les juifs] jusqu’à ce qu’ils paient direc-tement le tribut après s’être humi-liés.” (Coran 9/29)

“Ne prenez pas les juifs et les chré-tiens pour alliés. Ils sont alliés les uns

des autres. Quiconque parmi vous les prend pour alliés sera des leurs. Dieu ne guide pas les traîtres.” (Coran 5/51)

“Vous n’avez certainement pas oublié ceux d’entre vous qui ont trans-gressé le sabbat et auxquels nous avons dit : ‘Soyez transformés en singes répugnants !’ Ce fut là une sanction qui servira d’exemple aux contemporains et à leurs descen-dants.” (Coran 2/65-66)

Il suffi t de lire le Coran pour y trouver quantité de versets du même acabit. Les islamistes n’hé-sitent d’ailleurs pas à les citer pour justifi er leurs actions. Cela signi-fi e donc bien que les versets du Coran hostiles aux juifs et aux chrétiens ont un impact direct sur le comportement et la pensée des djihadistes. Les arguments selon lesquels l’islam ne serait pas res-ponsable des atrocités commises en son nom ne sont tout simplement pas recevables. En réalité, le pro-blème ne se limite pas aux explo-sions de violence antichrétiennes

qui secouent le monde arabe. Il s’agit d’une discrimination au quotidien. Les Constitutions de presque tous les pays arabes affi r-ment que l’islam est la religion d’Etat. Cela vaut notamment en Egypte, où vivent pourtant des mil-lions de chrétiens. Les chrétiens arabes n’ayant aucune infl uence politique, leur sort n’émeut per-sonne en Occident. Ces popula-tions sont pourtant traitées comme des citoyens de seconde classe dans leurs pays.

Pensez aux Frères musulmans en Egypte, pour qui ni les chré-tiens ni les femmes ne peuvent prétendre à la présidence de la République. Ecoutez Mahdi Akef, hiérarque du mouvement, affi r-mer qu’un musulman non égyp-tien a le droit d’être élu président mais pas un chrétien égyptien. Imaginez que des hommes musul-mans aient le droit d’épouser des femmes chrétiennes mais pas l’in-verse. Songez à tous les obstacles que doivent surmonter les chré-tiens d’Egypte chaque fois qu’ils veulent faire ériger une nouvelle église ou en rénover une ancienne. La liste est longue. Si l’on compare le sort des chrétiens du monde arabe à celui des chrétiens d’Irak, on comprend rapidement que ces derniers ne sont guère plus mal-traités par l’EIIL que leurs core-ligionnaires dans la région. Les militants de l’EIIL ne font que pousser cette logique antichré-tienne à l’extrême, ainsi que les nazis avec l’antisémitisme.

Tant que l’islam ne proposera pas de lui-même une nouvelle interprétation fondamentalement

KarakochKarakochKarakochKarakochKarakoch

BagdadDamas

Deir ez-ZorKirkouk

Erbil

Abréviations :K. KarakochM. Mossoul

M.

Tigre

Euphrate

K.

Dohouk

Alep

Barrage de Mossoul, repris par les forces irakienneset kurdes, aidées par les bombardements américains

Rakka

RamadiFalloudjah

200 km

Sinjar

Baiji

Tikrit

I R A K

IRAN

TURQUIE

LIBAN

ISR.JORDANIE

S Y R I E

D é s e r t

d e

S y r i e

Zones et villes sous contrôle de l’Etat islamique (EI)Dernières offensives de l’EI, entraînant l’exode des chrétiens

Combats les plus récents

Région autonome du Kurdistan irakienet autres territoires sous son contrôle Zones sous contrôle des forces kurdes de Syrie

Zones peuhabitées

Les islamistes buttent sur le Kurdistan irakien Situation au 19 août 2014

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L’hypocrisie des “modérés”Ceux qui, parmi les musulmans, accusent les djihadistes de l’EIIL de trahir l’islam sont souvent en accord avec les buts ultimes des islamistes.

y a les mouvements islamistes djihadistes non affi liés à Daech, dont la diff érence se limite à des questions de commandement et de calendrier. Ils pensent qu’il aurait fallu attendre le moment propice pour que la voie s’ouvre d’elle-même pour l’application de la charia telle que Daech l’im-pose dès à présent.

Nous avons aussi un autre genre de religieux : ceux qui pratiquent les conférences, colloques, ate-liers et rencontres sur “le dia-logue des religions”. Grâce à la “respectabilité” dont ils jouissent au niveau international et auprès des instances gouvernementales, ils remplissent les médias de leurs prônes édifi ants. Mais ils ne font que ressasser le discours sur “le vrai islam”, sans autres précisions.

Le chœur du “vrai islam” est également rejoint par une bande de libéraux, de laïcs, de baasistes – surtout irakiens – et d’adeptes de la “modernité dans l’authenti-cité” qui entonnent eux aussi les louanges du “vrai islam”, comme si c’était un bouclier qui pouvait les mettre à l’abri des vicissitudes

diff érente, les chrétiens du monde arabe seront persécutés. Voilà exac-tement pourquoi les arguments pro-testant de “l’innocence de l’islam” sont à la fois spécieux et contre-productifs. Ils ne font que retar-der l’examen de conscience que doivent impérativement faire les musulmans, aussi bien pour eux que pour les autres. Si l’islamopho-bie ne saurait être tolérée – parce qu’elle est aussi indigne que la dis-crimination imposée aux chrétiens du monde arabe –, l’accusation d’is-lamophobie ne devrait pas servir à bâillonner tous ceux pour qui le problème va bien au-delà de l’EIIL.

—Hicham Bou NassifPublié le 24 juillet

Ni les chrétiens ni les femmes ne peuvent prétendre à la présidence

↓ L’expulsion des chrétiens de Mossoul. Dessin de Haddad paru dans Al-Hayat, Londres.

Courrier international – n° 1242 du 21 au 27 août 2014 9

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CONTREPOINT

MOYEN-ORIENT Courrier international — no 1242 du 21 au 27 août 2014 FOCUS IRAK-SYRIE.

—Al-Hayat Londres

Un certain nombre de per-sonnes se plaisent à nous gratifier dans les médias

de leurs jugements définitifs sur l’islam, en affichant une franche phobie vis-à-vis de cette religion. C’est encore plus vrai depuis les avancées de Daech (Etat islamique en Irak et au Levant) dans la région qui s’étend de la pro-vince d’Al-Anbar, en Irak, jusqu’à Alep, en Syrie. Non seulement ces per-sonnes attribuent les exactions de Daech à l’islam, mais encore elles affirment qu’il représente le véri-table islam. Elles en veulent pour preuve que les fatwas qu’il émet sont appuyées par des sourates coraniques et des hadiths [dits et gestes attribués à Mahomet].

De telles prises de position sont inacceptables pour qui a ne serait-ce qu’un brin de hauteur de vue. Elles sont tout ce qu’il y a de plus faux. Non seulement du point de vue théologique, mais également du point de vue historique et de l’ap-proche intellectuelle. Nous ne cher-chons pas à défendre l’islam, son dogme et ses valeurs – nous lais-sons cela aux théologiens –, mais nous voudrions souligner deux

autres aspects de leurs assertions.Pour ce qui est de l’approche intel-lectuelle, ceux qui étudient l’islam savent que celui-ci résiste à tout jugement définitif. Dès ses débuts il a en effet été pluriel et varié, avec pléthore de branches, sectes, confessions et autres ramifica-tions. Cela réduit à néant toute ten-

tative de le limiter à une seule dimen-sion. Chacun de ces groupes, sectes et confessions a pu pré-tendre représenter le véritable islam, accu-

sant les autres d’hérésie. Cela s’est passé ainsi dès l’époque des quatre premiers califes, dits “bien guidés” [de l’an 632 à 661, c’est-à-dire de la mort de Mahomet à l’établissement de la dynastie des Omeyyades]. Mieux, les quatre écoles sunnites, ainsi que la confession chiite, avec une grande pluralité théologique, étaient fortement déterminées par des facteurs ethniques ou tribaux. La théologie de combat apparais-sait en temps de guerre ou lors de crises politiques, avant de dispa-raître à nouveau quand la situa-tion s’arrangeait.

L’expansion de l’école [sunnite] du malékisme au Maghreb, par exemple, obéissait à la nécessité d’une doctrine modérée après la chute de la dynastie almohade, qui

s’était distinguée par une idéologi-sation excessive de la religion. On peut étendre le même raisonne-ment aux autres groupes confes-sionnels. Chacun s’est imposé dans telle ou telle région pour des raisons objectives plus que pour des raisons théologiques. Compte tenu de l’extrême complexité de l’évolution des sociétés musul-manes pendant plus de mille ans, il paraît dérisoire de vouloir leur appliquer une définition unique, hormis quelques grands principes généraux de la foi.

Par ailleurs, d’un point de vue historique, tous ceux qui s’inté-ressent à l’islam doivent consta-ter son extrême imbrication avec des facteurs profanes relatifs aux constructions étatiques. Dès avant [la mort de Mahomet, en 632], les membres du clan omeyyade ont pu prendre de l’importance grâce au poids de leur tribu. C’est ce qu’ex-pliquent sans détour les chroniques musulmanes de la vie du Prophète.

Ensuite, à l’époque omeyyade, les instances étatiques étaient obligées de tenir compte des ins-tances tribales. Ainsi, la dynastie a été entraînée dans les antago-nismes entre tribus, qui avaient leur origine au Yémen et se sont transplantés vers la Syrie et l’Irak, où ils ont dégénéré en guerres féroces. On sait que ces luttes tri-bales ont causé la fin de l’empire omeyyade. Quand on affirme que l’islam correspond à ce que Daech en fait et que Daech représente le véritable islam, cela revient à dire que depuis l’émergence de l’islam, il y a quinze siècles, les sociétés arabes sont restées statiques, sans connaître ni évolution, ni progrès, ni changement de leur vision du monde, d’elles-mêmes ou encore de leur religion.

On ne peut que conclure qu’il est impossible de saisir l’islam dans son état actuel par une approche unidi-mensionnelle. Il faut une approche plus complexe et beaucoup d’au-dace intellectuelle. Mais il y en aura toujours qui s’autoriseront à formuler à la légère des jugements définitifs pour expédier en quelques phrases le parcours d’hommes, de cultures et de civilisations. C’est faire preuve de frivolité.

—Hussam ItaniPublié le 27 juillet

est-ce que l’islam est à la fois religion et Etat ? Si la réponse n’est pas un oui sans restrictions, alors quelle est précisément la place de la religion dans l’Etat ? Quel est le rôle de l’Etat dans le domaine religieux ? Comment tout cela se traduit concrètement dans la réalité ? Peut-on imiter aujourd’hui la vie du Prophète et de ses compagnons telle que nous l’imaginons ? C’est-à-dire en rétablissant la servitude, les lapidations, les exécutions sys-tématiques, l’expansion indé-finie du territoire et l’abolition des frontières ?

Ce qu’il faut donc demander à [tous ces modérés qui veulent appliquer la charia “graduelle-ment”], c’est quelle est cette charia qu’ils comptent appliquer. Nous avons un long et impor-tant travail à faire pour savoir ce que nous entendons par “vrai islam”. Cela reviendra à se frot-ter à la réalité de la vie. Celle-ci est ravagée, désolante et marquée par la vacuité des idées. C’est pré-cisément ce qui a permis à l’islam de Daech d’émerger.

—Dalal Al-BizriPublié le 14 août

Des accusations bien frivolesContrairement à ce que prétendent certains, l’islam a été pluriel et varié dès ses débuts. La théologie de combat apparaissait en temps de guerre, avant de disparaître quand la situation s’améliorait.

Impossible de saisir l’islam par une approche unidimensionnelle

↓ Dessin d’Arend, Pays-Bas.

↓ Dessin de Mayk paru dans Sydsvenskan, Malmö.

du temps. Ils sont trop apeurés pour oser affronter l’air du temps et dire clairement ce qu’ils consi-dèrent comme “le vrai islam”. Dans la même veine, on trouve toute une flopée de politiciens, grands et petits, arrivistes ou déjà arrivés à des postes plus ou moins impor-tants au sein des régimes. Ils sont parfois de gauche et libéraux mais ils savent qu’ils ne dureront pas s’ils ne font pas, eux aussi, de la surenchère religieuse, comme le fait encore tel cinéaste égyptien aujourd’hui, qui se présente aux prochaines élections législatives et fait campagne dans une débauche de sourates coraniques.

Caricatures de Mahomet. Bref, nous sommes en présence de méthodes différentes [mais qui aboutissent toutes au même résul-tat]. D’un côté, la méthode claire et nette de Daech, qui exhibe ses crimes commis au nom de la charia sur des vidéos d’exé-cutions, de crucifixions, de lapi-dations et d’autres atrocités ; de l’autre côté, une armée de gens d’horizons divers qui répondent à Daech, par touches impression-nistes, que tout cela ne repré-sente pas “le vrai islam”. Mon Dieu, que de discours ressassés et de langue de bois agaçante !

Certains de ces détracteurs modérés de Daech s’étaient fait un nom dans le domaine de la défense de l’islam en participant il y a quelques années à l’allumage de la mèche contre les carica-tures de Mahomet parues dans un journal danois [2005] ou contre l’interdiction du niqab dans l’es-pace public par certains gouver-nements européens. La violence de leurs réactions avait fait la une des journaux. Le tout accompagné d’un flot de fatwas, de prêches et de déclarations comme s’il fallait ériger une ligne Maginot contre les “atteintes occidentales à l’islam”.

Evidemment, ce que fait Daech est infiniment plus grave pour l’is-lam. N’importe qui de normale-ment constitué ne peut que les réprouver et dire qu’en effet l’is-lam ce n’est pas cela. Mais il ne suffit pas que la chorale du “vrai islam” reprenne sa vieille chanson. Si l’on veut être sérieux, il faut consentir à faire un petit effort intellec-tuel et essayer de répondre à une question très simple  :

SOURCE

AL-MODONBeyrouth, LibanSite panarabealmodon.comFondé en février 2013, Al-Modon (“Les villes”) est un site qui couvre l’actualité du Liban et du monde arabe. De tendance gauche libérale, il se veut l’expression des sociétés civiles libanaise et arabe impliquées dans les “printemps arabes”et en lutte contre “la tyrannie sécuritaire et religieuse”. Son équipe rédactionnelle est formée de journalistes et d’écrivains bien connus à Beyrouth.

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Guinée-Equatoriale. Le tyran Obiang se met au portugaisSous le joug de l’un des pires dirigeants africains, le pays — qui n’est pas lusophone —a rejoint la Communauté des pays de langue portugaise (CPLP). Une adhésion qui n’est pas du goût de tout le monde.

—O Observador Lisbonne

Il y a un peu plus d’un mois, au Brésil, dans la loge offi cielle du stade qui accueillait la fi nale de la Coupe du

monde, Dilma Rousseff avait pris place au côté de plusieurs dirigeants étrangers : la chancelière allemande Angela Merkel, le prince Albert de Monaco, le président russe Vladimir Poutine… et Teodoro Obiang. Le président de la Guinée-Equatoriale se classe tout en haut de la liste des pires dirigeants africains établie par le magazine américain Forbes, où il côtoie son homologue ango-lais José Eduardo dos Santos.

Longtemps, Muammar  Kadhafi et Robert Mugabe sont restés les dictateurs africains les plus souvent cités. Le nom de Teodoro Obiang Nguema était méconnu. Pourtant, ce dictateur détient le record de longévité au pouvoir en Afrique. Car il s’agit bien d’un dictateur. Selon les rapports de diff érentes organisations de défense des droits de l’homme, son règne a été marqué par “des homicides arbitraires commis par les forces de sécurité, la torture systématique de prisonniers et de personnes arrêtées par les forces de sécurité, l’impunité, les arrestations

arbitraires”. Des tribunaux internationaux ont par ailleurs lancé des poursuites pour corruption contre le président et son fi ls aîné, Teodorin [mis en examen en France dans une aff aire de biens mal acquis].

Teodoro Obiang s’est rendu à Dili [capi-tale du Timor-Oriental] pour le Xe Sommet de la Communauté des pays de langue por-tugaise (CPLP). Comme prévu, la Guinée-Equatoriale a rejoint la CPLP. Le président équato-guinéen, au pouvoir depuis trente-cinq ans, cultive la discrétion. On sait peu de chose sur l’homme, beaucoup plus sur sa façon de gouverner et sur son parcours politique. Depuis 1979, année où il a ren-versé son oncle à la faveur d’un coup d’Etat, Obiang tient ce petit pays d’une main de fer, déjouant coups d’Etat et procès pour cor-ruption. Peu importe, d’ailleurs, la super-fi cie du pays : la Guinée-Equatoriale est surtout le troisième producteur de pétrole d’Afrique, avec un PIB par habitant parmi les plus élevés de la planète.

Mais en Guinée-Equatoriale, richesse en ressources naturelles ne signifi e pas pros-périté de tous les habitants. Le pays affi che un taux de mortalité infantile parmi les plus élevés au monde : près de 20 % des

afrique

enfants meurent avant d’atteindre l’âge de 5 ans. Quant aux 80 % qui survivent, ils n’ont accès ni à l’éducation ni à la santé. La grande majorité de la population n’a pas même accès à l’eau potable.

On sait qu’Obiang est un fan de tennis et qu’il a étudié à l’académie militaire de Saragosse (Espagne) à l’époque où son pays était encore une colonie.

Son règne a débuté voilà trente-cinq ans, mais le triste sort de la Guinée-Equatoriale, lui, remonte à l’indépendance, en 1968, et à la présidence de Francisco Macías Nguema. La vague des indépendances bat son plein en Afrique quand la Guinée-Equatoriale demande son autonomie à l’Espagne, qui l’accepte sans heurt. Des élections libres sont organisées et c’est Francisco Macías Nguema, l’oncle de Teodoro Obiang, qui accède à la présidence en octobre 1968. Issu de l’ethnie fang, majoritaire en Guinée-Equatoriale, Macías met en place un système

despotique et brutal, et ordonne l’assassinat de membres de l’ethnie bubi. Très vite, près de 10 000 Espagnols installés en Guinée-Equatoriale quittent le pays. Deux ans après son élection, Francisco Macías Nguema impose un régime de parti unique.

Pendant ses onze années de présidence, près de 80 000 personnes sont assassinées et un tiers de la population s’exile. Ce qui vaut à la Guinée-Equatoriale le surnom d’“Auschwitz africain”. “Obiang était une personnalité importante du régime Macías, ne l’oublions pas”, insiste Ana Lúcia Sá, chercheuse au Centre d’études internatio-nales de l’Institut universitaire de Lisbonne ISCTE-IUL. Et la torture n’appartient mal-heureusement pas au passé. “J’ai rencon-tré des gens qui ont subi la torture sous le régime d’Obiang”, ajoute la chercheuse, qui a séjourné en Guinée-Equatoriale en 2010 dans le cadre d’un projet de centres cultu-rels espagnols.

Fantôme. Quand Macías ordonne l’assas-sinat de plusieurs membres de sa propre famille, dont un frère de Teodoro Obiang, beaucoup, dans son entourage, le croient fou. Le président interdit le port des chaus-sures et la culture du cacao, bannit méde-cins et professeurs, défend l’usage du mot “intellectuel” ainsi que la référence à Jésus-Christ, que les Equato-Guinéens ne doivent plus désigner que comme “el hijo bastardo de una puta blanca barata con un coño pes-tilente”, soit “le bâtard d’une pute blanche à deux sous à la chatte pestilentielle”. Lors de chacun de ses anniversaires, Macías fait fusiller des prisonniers dans le stade de Malabo au son de sa chanson préfé-rée, Those Were the Days. Admirateur de Gandhi, de Franco et de Mao, il tient pour son bien le plus précieux un exemplaire de Mein Kampf dont il ne se sépare jamais. Le tyran va jusqu’à faire inscrire cette men-tion sur des exemplaires de la Bible : “Dieu n’existe pas, Macías est le seul dieu.”

Lors du coup d’Etat de 1979, Francisco Macías s’enfuit dans la forêt, dans la région de Mongomo, où il sera fi nalement arrêté. Pour le fusiller, il faut faire venir un peloton de soldats marocains, aucun Equato-Guinéen n’acceptant de partici-per à l’exécution, de peur d’être poursuivi par son cruel fantôme. Rien, à l’avenir, ne pourra être pire que Macías, pensent alors les Equato-Guinéens.

En 2002, Teodoro Obiang, candidat du Parti démocrate de Guinée-Equatoriale (PDGE), remporte l’élection présidentielle avec 97 % des voix. En 1996, lors de la pre-mière élection, il avait déjà recueilli 98 % des suff rages – mais les observateurs inter-nationaux avaient jugé le scrutin truqué. En 2009, Obiang est réélu pour ce qui est censé être son dernier mandat. Lors d’un scrutin marqué, une fois de plus, par les intimidations et les soupçons de fraude, il rafl e 97 % des voix.

S’il existe bel et bien d’autres partis en Guinée-Equatoriale, comme l’exige le droit

“Le gouvernement a adopté des lois qui interdisent la corruption. Donc ce n’est pas un problème chez nous”

↙ Dessin de Glez paru dans le Journal du Jeudi, Ouagadougou.

D'UN CONTINENT À L'AUTRE. Courrier international – n° 1242 du 21 au 27 août 201412.

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OPINION

AFRIQUE.Courrier international — no 1242 du 21 au 27 août 2014

international, le PDGE fonctionne en fait comme un parti unique. “Obiang n’a pas besoin de grand-chose pour contrôler sa popu-lation”, explique Ana Lúcia Sá, qui ajoute que la peur instaurée par le régime de Macías règne toujours, même si l’oppression et la corruption qui caractérisent la présidence d’Obiang sont “plus faciles à vivre” que les assassinats de masse auxquels se livrait son prédécesseur.

Interrogé en 2012 par la journaliste de CNN, Christiane Amanpour, sur la cor-ruption dans son pays, Obiang déclarait : “Le gouvernement a adopté des lois qui inter-disent la corruption et je vous assure qu’en Guinée-Equatoriale nous prenons au sérieux les poursuites pour corruption. Donc, non, ce n’est pas un problème chez nous.”

En février dernier, le ministre portugais des Affaires étrangères, Rui Machete, assu-rait au journal Público n’avoir “aucune raison de douter” de l’engagement de la Guinée-Equatoriale en matière d’abolition de la peine de mort [remis en cause par un rap-port d’Amnesty International].Si la fin de

L’hypocrisie portugaiseLes critiques venues du Portugal concernant l’adhésion de la Guinée-Equatoriale à la CPLP sont dérisoires, estime ce journal proche de la dictature.

—Jornal de Angola Luanda

En soi, l’événement n’a rien d’excep-tionnel. D’autres organisations fon-dées sur l’appartenance de leurs pays

membres à une même sphère linguistique ont déjà accueilli en leur sein des Etats n’ayant pas la moindre affinité linguistique. Le Mozambique [lusophone] appartient au Commonwealth, la Guinée-Bissau [luso-phone également] à la francophonie. Et l’on pourrait citer bien d’autres exemples.

Ce qui distingue l’adhésion de la Guinée-Equatoriale à la Communauté des pays de langue portugaise (CPLP), ce sont les cris d’orfraie que poussent les élites portu-gaises, pleines de préjugés. De nombreuses voix se sont éle-vées à Lisbonne contre l’en-trée de ce nouveau membre. Des voix ? Parlons plutôt de braiments. Parmi ces contes-tataires figurent des person-nalités politiques et des leaders d’opinion qui se disent démocrates. Voilà qui révèle une incurable contradiction teintée d’ignorance, et une volonté préoc-cupante d’instaurer un apartheid dans les relations internationales. D’un côté, il y aurait les démocrates purs, les fidèles, de l’autre, les impurs, les infidèles.

Nul ne comprend d’où les représentants de ces élites tireraient cette pureté et cette fidélité à la démocratie. Ni pourquoi ils traitent la Guinée-Equatoriale et le pré-sident Obiang avec autant d’arrogance. A Lisbonne, on brandit un argument bien dérisoire : le pays pratique la peine capi-tale. Tous les jours, de nombreux Etats des Etats-Unis exécutent des condamnés à mort ; les porte-parole de ces élites ne demandent pas pour autant l’expulsion de Washington de l’Otan.

Le Portugal a d’autres partenaires poli-tiques et économiques où la peine de mort est toujours en vigueur, et cela n’empêche nullement les Portugais de faire affaire et de trinquer à leurs contrats à coups de déli-cieux porto. Leurs arguments, plus encore que dérisoires, sont primaires. Pire encore : ils servent de paravent à l’hypocrisie et à une grande présomption reposant sur des préjugés coloniaux éculés. Certaines décisions de la CPLP, nous l’avons déjà dit dans ces pages, peuvent avoir de grandes

répercussions sur la politique équato-gui-néenne. Le décret présidentiel qui suspend la peine de mort jusqu’à l’adoption de la législation nécessaire à son abolition en est la preuve. Puisque, dès maintenant, l’Etat équato-guinéen commence à se rapprocher des modèles constitutionnels en vigueur dans d’autres pays membres de la CPLP, son adhésion est entièrement justifiée.

Les élites portugaises, ignorantes et cor-rompues, brandissent aussi la question de la lusophonie. La Guinée-Equatoriale a adopté le portugais comme langue officielle à éga-lité avec l’espagnol et le français. Dès lors, leur argument est sans valeur. Examinons la réalité en détail. Une partie de l’actuelle Guinée-Equatoriale fut un temps une colo-nie portugaise. Ce n’est qu’au xviie siècle que le pays est passé sous souveraineté espagnole. Ainsi l’île Fernando Pó [plus connue sous le nom de Bioko] porte le nom du navigateur portugais qui l’a découverte, et celle d’Annobón tire le sien du portugais ano bom [“bonne année”]. Plus révélateur encore, cette dernière abrite un véritable trésor de la lusophonie : on y parle le fá d’ambô, un créole dérivé du vieux portu-gais parvenu jusqu’à nous intact.

Les îles de la Guinée-Equatoriale, c’est un fait avéré, ont été peuplées par des esclaves angolais : nous, Angolais, aimons

y aller pour rendre hommage à nos ancêtres. Aujourd’hui que Fernando Pó et Annobón font partie de la CPLP, c’est un devoir dont nous pouvons nous acquit-ter plus aisément. Mais sans la compagnie des élites aveugles qui n’ont même pas été capables

de défendre leur chère langue portugaise contre l’accord orthographique [qui l’a uni-fiée à l’échelle internationale].

Les médias portugais, eux, se rendent coupables tous les jours d’attentats contre la langue portugaise. On trouve dans la presse plus de mots en anglais qu’en por-tugais. A la radio et à la télévision, la situa-tion est pire encore. Ecrire et parler ce portugais perclus d’anglicismes et de gal-licismes est une trahison à l’encontre de tous les locuteurs de la langue commune aux pays de la CPLP.

La Guinée-Equatoriale se prépare déjà à l’enseignement du portugais. Il ne faudra pas longtemps avant que ce nouveau membre de la CPLP le parle mieux que les élites por-tugaises pleines de préjugés. Et il en sera de même quand d’autres pays en contact avec la lusophonie à l’époque des “découvertes” intégreront à leur tour la Communauté.

Les Portugais sont très fiers de l’expan-sion maritime qui leur a permis de bâtir leur empire. Mais, aujourd’hui, il est des pays et des peuples qui gardent le sou-venir de ce passé commun et qui veulent faire partie de la CPLP. Certains renient ce passé et s’opposent à l’élargissement. Ceux-là ne sont pas dignes de la noblesse de la langue portugaise.—

Publié le 24 juillet

Une entreprise familiale●●● Indépendant de l’Espagne depuis 1968, le pays est devenu une république de type présidentiel. En quarante-cinq ans, seuls deux présidents ont été “élus”, Francisco Macías Nguema et son neveu, Teodoro Obiang Nguema, actuellement en fonctions. Troisième pays producteur de pétrole de l’Afrique subsaharienne (520 000 barils/jour en 2012), la Guinée-Equatoriale produit également du gaz naturel en quantité importante. Les hydrocarbures représentent 99 % de ses exportations et 88,7 % de son PIB. La plupart de ses 720 000 habitants, qui profitent peu de la manne pétrolière, vivent de l’agriculture et de la pêche vivrière. Si les Equato-Guinéens parlent surtout le fang (une langue de la famille bantoue) et le pidgin (un créole utilitaire), 88 % d’entre eux parlent ou comprennent aussi l’espagnol, ce qui en fait le seul pays d’Afrique ayant la langue de Cervantès comme langue officielle. Bien que le portugais y soit essentiellement parlé par quelques expatriés angolais ou mozambicains, le portugais a été institué en 2011 troisième langue officielle du pays, après l’espagnol et le français. Le but assumé de la manœuvre était de pouvoir prétendre à entrer dans la CPLP, un sésame pour le marché lusophone.

SOURCE

O OBSERVADORLisbonne, Portugalobservador.ptLancé en 2014, O Observador se présente comme “un quotidien en ligne, indépendant et libre” et se veut “le journal numérique du xxie siècle”. Afin de “contribuer à la construction d’une société mieux informée et démocratique”, O Observador consacre une rubrique au décryptage des sujets d’actualité et encourage la participation active de ses lecteurs.

Malabo

Ile de Bioko

Mbini(Río Muni)

Ile d’Annobón

Equateur

Bata

300 km

GOLFEDE GUINÉE

CAMEROUN

GABON

NIGERIA

SÃO TOMÉ-ET-PRÍNCIPE

(territoireslusophones)

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LA GUINÉE-ÉQUATORIALE ( )1 2 3+ +

Superficie : 28 051 km2 (≈ la Belgique) Population : 720 000 habitants Classement selon l’indice de développe- ment humain (IDH 2014) : 144e sur 187 pays PIB par hab. (en PPA, 2013) : 18 901 dollars

son mandat est prévue pour 2016, Obiang a affirmé en 2012 : “Ceux qui font appliquer la loi détermineront si je dois poursuivre pour une nouvelle phase ou non.” Il n’écarte donc pas une nouvelle candidature, ajoutant : “Ce n’est pas moi, ce sont les gens, ce sont eux qui décident.” “Les démocraties occidentales ne peuvent pas comprendre le contexte qui justi-fie qu’un homme reste longtemps au pouvoir”, estimait encore le président équato-gui-néen, car il y a en Afrique ce qu’il appelle des “individus charismatiques” qui prennent le pouvoir à cause de la situation dans laquelle se trouve leur pays.

“La détermination de la Guinée-Equatoriale à adhérer à la CPLP se mesure au fait que son président prend chaque jour des cours parti-culiers de portugais”, peut-on lire dans le dossier d’adhésion déjà cité. Cavaco Silva et Pedro Passos Coelho [président et Premier ministre du Portugal] assistaient au sommet de Díli – mais en quelle langue ont-ils féli-cité le président équato-guinéen ?

—Fábio MonteiroPublié le 19 juillet

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REPORTAGE

AFRIQUE16. Courrier international — no 1242 du 21 au 27 août 2014

présents espèrent battre ce record de fréquentation.

Dans la cour de la maison des jeunes Keddache Ali, transformée le temps du festival en bijouterie éphémère, les quelques tentes ins-tallées pour l’occasion peinent à apporter un peu de fraîcheur. Mais qu’importe, la chaleur ne semble pas venir à bout de la bonne humeur des exposants et des visiteurs. On fl âne, on regarde avi-dement, on tend la main pour attraper un bracelet ou un collier, on soupèse une paire de boucles d’oreilles pour déterminer son prix. Les bijoux, certifi és “argent garanti”, sont principalement kabyles, mais certains artisans venus du sud de l’Algérie ont éga-lement fait le déplacement pour promouvoir leurs créations.

Car c’est bien de cela qu’il s’agit : au-delà du chiff re d’aff aires réalisé

pendant ces huit jours de festi-val, ce qui importe surtout c’est de défendre un savoir-faire sécu-laire qui est aujourd’hui dans la tourmente.

Plusieurs menaces pèsent en eff et sur le bijou kabyle. Le président de l’APC [Assemblée populaire communale], Ismail Deghoul, qui accueille les visi-teurs autour d’un thé à l’espace culturel Mouloud Mammeri, attire notre attention sur le déclin de cet artisanat. “Les jeunes ne veulent plus reprendre la bijouterie de leurs parents, car le métier est de plus en plus diffi cile”, explique-t-il. En cause, l’absence de soutien de l’Etat algérien. “L’Etat met des bâtons dans les roues aux bijoutiers kabyles, notamment pour l’achat des matières premières dont ils ont besoin”, précise un des organisa-teurs du festival.

Ilyas, artisan bijoutier qui exporte ses créations dans toute la région, s’inquiète lui aussi pour son métier, mais pour d’autres rai-sons. “C’est une tradition qui risque de mourir. A mesure que les femmes kabyles adoptent l’islam oriental, elles changent leurs habitudes ves-timentaires et troquent leurs bijoux pour le foulard”, regrette-t-il.

Sur la table qui lui sert de stand, aux côtés de ses confec-tions récentes, sont exposés des bijoux anciens qui témoignent de l’ancrage séculaire de l’orfè-vrerie dans la culture kabyle. “Le bijou est une idée abstraite que l’ar-tisan transforme en objet concret, explique Ilyas. Dans la tradition,

chaque bijou est por-teur d’une signifi ca-tion  : tel médaillon annonce une nais-sance, tel bracelet de pied indique que la jeune fi lle qui le porte

est célibataire, etc.” Pour Ilyas, le bijou kabyle est donc un héri-tage culturel qu’il faut préserver. “Le port de bijoux, c’est le symbole de la liberté de la femme kabyle”, conclut-il.

Pour comprendre les origines de cette tradition, il faut remonter loin dans le temps. Première étape,

la naissance de l’idée du bijou, objet de nombreuses légendes. A Ath Yenni, la légende la plus fréquemment racontée par les connaisseurs est celle d’Adam et Eve. Chassé du paradis, Adam est en colère contre sa femme Eve, qui n’a pas su résister à la tentation du serpent. Mais alors qu’Adam se retourne pour contempler une dernière fois le paradis perdu, il voit que sa femme a piqué une fleur dans ses cheveux. Adam trouve Eve si belle qu’il en oublie sa colère. Le bijou est né.

Son arrivée en Kabylie est plus récente. En 1492, la reine d’Es-pagne chasse de son royaume tous ceux qui refusent de se convertir au catholicisme. Juifs et musul-mans sont donc obligés de s’exiler de l’autre côté de la Méditerranée. Ils s’installent dans les pays du Maghreb, dont l’Algérie. Certains artisans juifs se retrouvent ainsi à Béjaïa, apportant avec eux l’art de faire les bijoux, art qu’ils trans-mettent progressivement aux habitants de la ville. Le jeu des conquêtes fait, dans les décennies qui suivent, que des bijoutiers de Béjaïa viennent s’installer à Ath Yenni. A l’époque, la commune est spécialisée dans la production de fausse monnaie, qu’elle écoule sur les marchés algériens pour fra-giliser l’Empire turc [ottoman]. Mais les espions du dey [titre porté jusqu’en 1830 par le chef de la régence d’Alger] découvrent le secret des habitants d’Ath Yenni. Une centaine d’entre eux sont arrêtés et un ultimatum est posé : soit les faux-monnayeurs donnent leurs machines aux envoyés du pouvoir, soit les prisonniers sont exécutés. La production de fausse monnaie s’achève ainsi, et les habitants d’Ath Yenni se tournent alors vers la production de bijoux.

“Au fi nal, le bijou kabyle est le fruit des échanges entre les Kabyles, les Israélites et les Touaregs”, constate

Ilyas. Symbole de liberté, le bijou kabyle est donc également le signe que les échanges entre les peuples sont un atout pour le dévelop-pement culturel et commercial. L’échange, c’est encore ce qui caractérise la fabrication des bijoux aujourd’hui. Le plus sou-vent, chaque bijou est le résultat de l’alliage de trois matériaux : l’ar-gent, le corail et l’émail. L’argent est extrait en Algérie, traité en France et réimporté ; le corail provient du bassin méditerra-néen ; et l’émail est importé de la ville de Limoges, en France. Ainsi, si le savoir-faire est propre aux artisans kabyles, la confec-tion du bijou kabyle est le résultat d’échanges qui dépassent large-ment les montagnes de Kabylie. Au-delà de leur évidente beauté, les bijoux présentés cette semaine à Ath Yenni ont donc une portée symbolique forte, qu’il est impor-tant de protéger et de promouvoir.

—Philippine Le BretPublié le 11 août

—Algérie-Focus Alger

Un soleil de plomb accable la commune d’Ath Yenni [située dans la wilaya de

Tizi Ouzou, en Kabylie]. Malgré la chaleur écrasante, les volon-taires sont à pied d’œuvre pour accueillir les visiteurs. Des jeunes gens vêtus de gilets jaunes orien-tent les automobilistes, d’autres, portant un tee-shirt fl oqué sur lequel on peut lire “11e édition de la Fête du bijou” [du 6 au 15 août], vendent les tickets et distribuent des plans de la commune.

Depuis maintenant onze ans, Ath Yenni s’est imposée comme le centre névralgique d’un artisanat séculaire. Chaque année, la com-mune organise la Fête du bijou kabyle, qui réunit de nombreux curieux et passionnés. L’année dernière, plus de 40 000 visiteurs sont venus admirer – et acheter – les bijoux exposés à Ath Yenni. Cette année, les 150 exposants

ALGÉRIE

Le bijou kabyle entre créativité et déclinLa tradition était au rendez-vous de la fête annuelle du bijou organisée pour défendre un métier artisanal menacé.

SOURCE

ALGÉRIE-FOCUSAlger (Algérie), Paris (France)www.algerie-focus.comLancé en novembre 2008, ce webzine est le premier journal interactif créé en Algérie. Francophone, gratuit, il affi che sur sa page d’accueil, avec son logo, le slogan : “L’information pour vous et avec vous”. Fort de 900 000 visiteurs uniques par mois et de plus de 67 000 fans sur Facebook (avril 2014), il est lauréat de l’Algeria Web Awards 2013 dans la catégorie pure player. Indépendant et participatif, il off re un espace où les internautes sont invités aux débats. En plus de l’équipe basée à Alger, la rédaction dispose de correspondants à Paris. Le site couvre l’actualité algérienne dans les domaines politique, économique, social et culturel, et propose des dossiers thématiques.

“Le port de bijoux, c’est le symbole de la liberté de la femme kabyle”

↓ Jeune femme kabyle. Carte postale de 1910. Collection Neurideim Frères

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votre bienEN DIRECT OU VIA UNE AGENCE

SUR

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New Delhi s’apprête à employer des dizaines de milliers de pirates informatiques pour sécuriser ses installations stratégiques. La condition : être jeune et patriote.

—Open New Delhi

Selon Richard Jeffrey Danzig, conseil-ler en cybersécurité de Barack Obama, il suffit d’un écart d’une

génération pour ne plus rien comprendre à tout ce qui est “cyber”. “Tous les pays feraient bien d’élargir leur recrutement aux ‘natifs numériques’, y compris à ceux qui ne sont pas passés par les filières de formation traditionnelles”, affirme-t-il. A son avis, il est absolument nécessaire de rallier les jeunes adultes et les adolescents à la cause de la cybersécurité. Interrogé sur les capa-cités offensives de l’Inde, Vinay Mohan Kwatra, responsable du contre-terrorisme

et de la cybersécurité au ministère des Affaires étrangères indien, répond de façon très claire : “Elles sont nulles.” L’Inde est devenue un pays “non résistant” pour les hackers, explique-t-il. “Si un militant pakistanais envoie par Skype à son contact en Inde un plan détaillé pour assassiner le Premier ministre, nos gars ne pourront pas l’intercepter”, plaisante l’ancien responsable d’un ambitieux projet de surveillance qui attend encore son coup d’envoi.

Il est vrai que la cybersécurité a long-temps été un concept étranger au gou-vernement indien, mais ce n’est plus le cas aujourd’hui. Selon au moins deux sources bien informées, le gouvernement

de Narendra Modi envisage de lancer une discrète campagne de recrutement dans les lycées et les écoles d’ingénieurs pour enrôler “des hackers potentiels capables de protéger l’Inde, et si besoin de contrer les attaques visant à déstabiliser le pays”. Cette initiative viendra compléter les efforts de New Delhi pour renforcer sa coopération sur le front de la cybersécu-rité avec des pays tels que les Etats-Unis – dont, par une coïncidence ironique, on vient d’apprendre qu’ils ont espionné les activités de ministres et de hauts fonc-tionnaires indiens. Le but est de contrer les attaques lancées régulièrement par d’autres nations, comme la Chine. Selon un responsable de la Defense Research and Development Organisation [DRDO, Organisation de recherche et développe-ment pour la défense, rattachée au minis-tère de la Défense], l’Inde a demandé à Israël de l’aider à former des divisions spé-cialisées dans la cybersécurité, le cyber-terrorisme étant, à la différence des autres types de guerres, un monstre aux mul-tiples visages qui ne cesse de s’adapter et de changer de forme, et les problèmes rencontrés par l’Inde dans le cyberespace étant bien trop nombreux.

Attaques. Des hackers chinois ont par exemple récemment pénétré dans des systèmes informatiques sensibles de la marine indienne pour collecter des infor-mations sur le programme de sous-marins nucléaires. Israël en a fait autant et a suivi l’acquisition par l’Inde de missiles de croi-sière Club, une variante des missiles russes Yakhont utilisés par l’Iran. Ces dernières années, le nombre de cyberattaques lancées depuis l’extérieur a augmenté : des ordina-teurs sensibles de l’Agence spatiale indienne ont été piratés, un virus de type Stuxnet a fait exploser des gazoducs en divers points du pays et des tentatives de sabotage ont été commises contre des systèmes d’ali-mentation en électricité. Selon plusieurs spécialistes, les principaux risques courus par l’Inde sont des coupures de courant dues à des pannes du réseau électrique, la paralysie des systèmes de transport (par exemple du métro), le piratage des places boursières et des banques, des troubles de l’ordre public causés par la désinformation (comme les rumeurs qui ont poussé les étudiants originaires du Nord-Est à fuir Bangalore par crainte d’attaques racistes imminentes), etc.

Les nouveaux plans ne sont pas vrai-ment nouveaux. Le précédent gouver-nement avait des idées originales pour renforcer les infrastructures de cyber-sécurité mais n’a pas pu les mettre en œuvre. Il y a presque dix ans, les services de renseignement militaire avaient recruté quelques jeunes et brillants esprits pour une mission spéciale impliquant ce que l’on appelle aujourd’hui du “hacking”, un mot que l’on n’avait encore jamais entendu à l’époque. Selon un ancien membre de

l’équipe soutenu par un fonctionnaire du ministère de la Défense, ces petits génies avaient été affectés à une mission ultra-secrète : ils devaient pénétrer dans les réseaux informatiques du gouvernement pakistanais et dans celui de l’ambassade américaine à Islamabad pour récupérer ce que le site d’information Rediff – qui a pu consulter les données piratées – a bap-tisé “la feuille de route américaine pour le Pakistan”. Les documents donnaient tous les détails de la stratégie américaine dans la région et s’étendaient longuement sur plu-sieurs sujets sensibles, dont le Cachemire [région que New Delhi et Islamabad se disputent depuis 1947]. Ils révélaient éga-lement le plan américain pour, selon l’ex-pression du South Asia Tribune, journal américain diffusé sur Internet, “couper les ailes du général Pervez Musharraf” [prési-dent du Pakistan de 2001 à 2008] avant 2004. Les Etats-Unis ont nié l’existence de tous ces plans. L’opération a néanmoins été un succès et, comme le dit un respon-sable du renseignement militaire indien, elle a montré que “nos gars sont capables de remplir cette mission”.

Selon un responsable de la National Technical Research Organisation [NTRO, Organisation nationale de recherche tech-nique, qui dépend du bureau du Premier ministre], les autorités envisagent aujourd’hui de recruter activement les petits génies dans les lycées et les écoles d’ingénieurs. “On m’a dit que cette fois le gouvernement les formerait en cherchant à leur inculquer un sentiment patriotique pour éviter qu’ils ne soient tentés par des opéra-tions lucratives, comme cela a été le cas en Chine”, explique-t-il.

“Hacking éthique”. Avec 62 189 cyber-attaques et 9 174 sites web piratés dans les seuls cinq premiers mois de 2014 en Inde, le gouvernement comme le sec-teur privé auraient intérêt à recruter des jeunes comme Saket Modi, 23 ans, pour protéger leurs systèmes. Lorsqu’il était au lycée, Saket Modi, qui était faible en chimie, pénétra dans le système infor-matique de son école pour voler les ques-tions d’un examen. Il réussit mais, rongé par la culpabilité, avoua ce qu’il avait fait à un professeur. Aujourd’hui il est PDG de Lucideus, entreprise qui propose des ser-vices de “hacking éthique”. “Nous sommes dans le camp des gentils”, déclare-t-il. Son équipe est constituée de cyberanalystes et d’experts en sécurité qui ont tous entre 18 et 30 ans, et il affirme fournir un espace informatique sûr à des clients incluant le ministère de l’Economie et des Finances, le ministère de la Défense, le ministère des Affaires intérieures, le Département des

Inde.Gouvernement recrute hackers, 18 ans si possible

asie“Leur inculquer un sentiment patriotique pour éviter qu’ils ne soient tentés par l’argent”

↙ Dessin de Medi, Albanie.

D'UN CONTNINENT À L'AUTRE. Courrier international – n° 1242 du 21 au 27 août 201416.

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17ASIE

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enquêtes criminelles, la Reserve Bank of India [RBI, banque centrale indienne], IBM, Microsoft et plusieurs agences d’investi-gation nationales et régionales (liste dont nous n’avons pas pu vérifi er l’exactitude). Saket Modi pourrait donc être un atout précieux pour la cybersécurité de l’Inde.

“Nous prendrons bien entendu ceux qui ont environ une vingtaine d’années, mais dans l’idéal nous les voudrions plus jeunes, pré-cise un responsable. C’est le bon âge pour les avoir dans nos rangs.” D’après Gulshan Rai, chef de l’Indian Computer Emergency Response Team (CERT-In) [agence gou-vernementale indienne chargée de la protection des systèmes informatiques], l’Inde aurait besoin d’approximativement 400 000 experts pour assurer sa cyber-sécurité. Elle n’en compte actuellement que 32 000 environ. “La situation n’est pas brillante, explique un autre respon-sable, d’où notre volonté d’avoir des recrues jeunes, surtout pour protéger les infrastruc-tures critiques.” Selon lui, des virus tels que Stuxnet, Flame, Uroburos/Snake, Blackshades, FinFisher, etc., peuvent faire des ravages dans des installations extrê-mement importantes.

Cyberguerre. Le point crucial dans l’ac-tuel plan du gouvernement, déclare un res-ponsable de la défense, est de considérer le cyberespace sur le même plan que l’es-pace terrestre, maritime et aérien. Dans les batailles et les confl its modernes, la cyberguerre met des camps militairement faibles au même niveau que les autres. Par

exemple, le Hamas, à Gaza, a demandé à des cyberagitateurs de pirater des téléphones portables en Israël pour qu’ils envoient des messages de panique à tous les numéros fi gurant sur leurs listes de contacts. Mais, grâce à sa capacité de réaction, Israël a réussi à contrer l’attaque. A la diff érence d’autres Etats, Israël fait face à des enne-mis déterminés à lui faire autant de mal que possible. “La cybersécurisation du pays est passée par plusieurs étapes importantes”, explique Gabi Siboni, directeur des pro-grammes dédiés aux études militaires et stratégiques et à la cyberguerre de l’Insti-tute for National Security Studies [INSS, Institut d’études sur la sécurité natio-nale] à Tel-Aviv. “La Tehila – un acronyme hébreu pour ‘Infrastructure gouvernemen-tale pour la sécurité à l’ère d’Internet’ – est née en 1997 au ministère des Finances et son but était de garantir une utilisation sûre des services d’Internet aux ministères et aux ins-titutions gouvernementales”, précise-t-il.

La Corée du Nord a elle aussi souvent puisé dans son vivier de jeunes hackers pour attaquer des sites web et des instal-lations américaines, mais aussi des sites de jeux internationaux. La dictature com-muniste a ainsi réuni plusieurs millions de dollars qui ont contribué à fi nancer son programme nucléaire. Quant à la Chine, aux dires de tous, Narendra Modi et le président chinois Xi Jinping se sont tout de suite entendus lors du sommet Brics (Brésil, Russie, Inde, Chine, Afrique du Sud) de juillet au Brésil grâce à l’estime qu’ils se portent mutuellement. Modi, qui suit depuis des années le parcours de la Chine vers la croissance, est un grand admirateur de la rapidité avec laquelle ce pays a accédé au cercle des grandes puis-sances mondiales. Il souhaite également

SOURCE

OPENNew Delhi, IndeHebdomadaireCréé le 10 avril 2009 par une équipe de journalistes en majorité jeunes et, pour certains, venus de l’hebdomadaire Tehelka ou de la blogosphère, Open entend off rir aux lecteurs un magazine ouvert à l’actualité internationale, avec une maquette dynamique.Le magazine, qui appartient au conglomérat industriel RPG Group, a été fondé par Sandipan Deb, journaliste de renom qui a fait ses armes à Outlook et au Financial Express et également auteur d’un ouvrage sur le prestigieux Indian Institute of Technology. Le credo de ce nouveau venu dans le paysage médiatique est de “surprendre tout en informant”. En novembre 2013, le chef du service politique a été limogé pour ses positions trop critiques envers le monde politique. En janvier, le rédacteur en chef, soumis à d’importantes pressions de la part des actionnaires, a donné sa démission. Open est désormais accusé de soutenir le gouvernement nationaliste hindou de Narendra Modi, élu en juin dernier.

LES PIRATES À L’HONNEURIl y a d’abord eu Ankit Fadia, hacker de 29 ans, célèbre depuis près de dix ans pour ses conférences et ses livres sur le “hacking

éthique”. Chouchou des médias, il aime se mettre en scène et affi rme, sans que cela ait jamais été confi rmé, avoir aidé le gouvernement indien à lutter contre des attaques de cyberterrorisme venant de groupes basés au Pakistan. En 2009, il présente une émission consacrée à Internet sur la chaîne musicale MTV. Bollywood s’est ensuite emparé du phénomène, au point de consacrer un fi lm – une comédie tout de même – à un hacker. Ce fi lm, sorti en novembre dernier et intitulé Mickey Virus, retrace les aventures du pirate amateur Mickey Arora avec la police et vise le jeune public urbain.

appliquer à l’Inde le modèle chinois de déve-loppement des infrastructures. Selon de nombreuses sources, Xi est pour sa part très impressionné par le mantra modien “compétence, envergure, rapidité” et par les eff orts du Premier ministre pour attirer les investissements chinois en Inde.

Mais les experts avertissent que cette camaraderie n’empêchera pas les volon-taires de l’Armée de libération du peuple d’essayer de percer les secrets militaires et administratifs indiens. Pékin y est déjà parvenu, et a également réussi à pénétrer dans les systèmes américains et à consul-ter des dossiers confi dentiels. La clé de ce succès est un sujet que Gabi Siboni a étudié de près. Selon lui, la Chine, qui a commencé à s’intéresser à la sécurité cybernétique à peu près au même moment que l’Inde, a fait des avancées impressionnantes dans ce domaine grâce à ses jeunes espions et cybergénies. Dans ces off ensives, le rôle central était joué par les unités chinoises Skypiot, dont les membres, comme dans le programme Talpiot israélien, sont des adolescents. Pour l’instant, les pays ayant les meilleures capacités cybernétiques sont les Etats-Unis, le Royaume-Uni, la Chine, la Russie, Israël et l’Iran.

Sunil Khilnami, professeur de sciences politiques au King’s College, à Londres, qui a beaucoup écrit sur la cyberguerre, incite à la précaution : il est important, dit-il, de s’assurer que “le recrutement se fera au sein du bon groupe de jeunes”. Il est vrai que la politique d’embauche que le gouvernement appliquera dans sa quête de petits génies sur l’ensemble du terri-toire peut faire toute la diff érence pour la cybersécurité du pays.

—Ullekh NP et Shruti VyasPublié le 24 juillet

Courrier international – n° 1242 du 21 au 27 août 2014

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—Folha de São Paulo (extraits) São Paulo

Quand il avait 4 ans, José Luis Cruz a marché près d’une heure, avec ses parents,

jusqu’à la place centrale du hameau de Macha, sur l’Altiplano bolivien. Vêtu d’un costume brodé et coloré, ce fils de paysans a défilé et dansé avec son groupe autour de la place. Puis on l’a poussé au milieu d’un cercle et, sous les encouragements du public, il s’est mis à échanger des coups avec un autre enfant de son âge.

C’était la première participa-tion de José Luis, aujourd’hui âgé de 27 ans, au Tinku (“ren-contre”, en quechua), une fête rituelle organisée essentiellement dans le nord du département de Potosí. “Depuis celui-là, je n’en ai raté qu’un seul, quand je faisais l’ar-mée,” précise-t-il. On ignore la date de naissance du T inku, mais les premiers Espagnols arrivés dans la région, au xvie siècle, en furent les témoins. Et, malgré ses combats sanglants et ses morts, cette fête annuelle demeure la plus atten-due de la région.

Le reste de l’année, Macha et sa région, à 3 500 mètres d’altitude, vivotent grâce à une agriculture de subsistance pratiquée sur de petites parcelles cultivables serties dans des montagnes rocailleuses.

Dans certains villages, on ne parle que le quechua, et les plus reculés sont parfois à quatre heures d’un “centre urbain” qui ne compte que 2 000 habitants.

Depuis l’époque coloniale, le rituel n’a cessé de changer, et l’évo-lution la plus marquante reste l’hommage au Christ, qui fait qu’aujourd’hui le Tinku se double d’une fête de la Croix. Plus récem-ment, c’est la présence policière qui a fait son apparition. Dans les années 1970, sous la dictature militaire, l’Etat avait envoyé l’ar-mée pour tenter d’empêcher la tenue du Tinku. Depuis, explique Michele De Laurentiis, anthropo-logue italien auteur d’une thèse sur le sujet à l’université de Messine, la présence des forces de l’ordre s’est “peu à peu institutionnalisée”. Aujourd’hui, elle fait l’objet de négociations entre les représen-tants des communautés indiennes et les autorités locales.

Et, depuis quelques années, c’est le président bolivien, Evo Morales, qui entend à son tour mettre son grain de sel dans le Tinku. Le gou-vernement, par le biais du vice-ministère de la Décolonisation,

Bolivie.Mourir pour les dieux Chaque année a lieu le Tinku, fête indienne en l’honneur de la Terre mère dont le clou est une bataille rituelle où les paysans peuvent s’affronter jusqu’à la mort. Une violence tolérée par les autorités.

propose une véritable relecture de ces célébrations, par ailleurs désormais protégées par la loi. Selon cette révision officielle, l’in-troduction de la violence dans le Tinku est le fait des conquista-dors – les paysans, eux, n’en sont pas vraiment convaincus.

Ce premier dimanche de mai [date du Tinku de 2014], les membres de quelque 70 commu-nautés rurales prennent posses-sion des rues de Macha pour rendre hommage à la fois à Jésus et à la Pachamama, la Terre mère de la cosmogonie andine, et danser au son du charango et de la jula jula, petite guitare et flûte andines. On est là pour fraterniser, trouver l’âme sœur, ingurgiter des quanti-tés de chicha, l’alcool de maïs local, faire baptiser ses enfants à l’église – mais surtout pour prendre part à de sanglants combats, à un contre un ou à plusieurs, qui parfois se soldent par des morts.

Des combats d’une minute. Pour ce Tinku, 54 policiers ont été dépêchés à Macha. Troquant la matraque contre le fouet, les agents de police vont encadrer des centaines de combats entre pay-sans afin d’en tempérer la violence.

Il est essentiel de limiter le nombre des victimes, assez impor-tant il y a quelques années encore. Mais si des décès ont lieu il n’y aura pas d’enquête. Pendant le Tinku prévaut la justice indigène, fondée sur la loi andine et placée aujourd’hui, en vertu de la nouvelle Constitution bolivienne, sur un pied d’égalité avec le droit national.

Le rituel se répète à longueur de journée : aux cris de “Cancha, cancha !” [“sur le ring”], distri-buant des coups de fouet, les poli-ciers forment un petit cercle au milieu de dizaines de paysans qui se répartissent dans la ronde par ayllus ( “communautés”, en que-chua, d’origine précolombienne).

Echanges de regards, provo-cations et doigts tendus sont les signaux utilisés pour organiser les affrontements. Sur autori-sation policière, les adversaires entrent dans le cercle et se battent à coups de poing – et les rares qui se mettent en garde ou esquivent les coups, comme à la boxe, sont raillés par leurs adversaires, voire chassés du combat.

Combat qui excède rarement une minute : dès que l’un des participants tombe ou semble en mauvaise posture, les poli-ciers reprennent leur fouet pour éloigner les belligérants en criant

“Basta !” Presque tous quittent l’arène blessés, parfois en sang. Si l’on voit toutes les tranches d’âge défiler sur ce ring, et même des femmes, la majorité des combat-tants sont des hommes jeunes ou d’âge moyen. Nous n’avons assisté qu’à deux combats de femmes, et à aucun mettant en lice des enfants.

La vingtaine d’étrangers pré-sents, touristes ou journalistes, reçoit un accueil mitigé. De nom-breux participants n’apprécient guère les caméras, quelques-uns se proposent pour une interview rémunérée, d’autres parlent spon-tanément du Tinku ou offrent un verre aux étrangers.

Sur la place du village, comme à chaque Tinku, les provocations vont croissant entre les deux groupes, si bien que les combats se multiplient pour finir par dégé-nérer en bataille rangée. La police fait usage de gaz poivre tandis que les femmes tentent de sépa-rer leurs maris à coups de fouet ou de bâton.

Quand cela se révèle insuffisant, ou que les deux camps se mettent à se lancer des pierres, aux grands maux les grands remèdes : le gaz lacrymogène. Il suffit alors de quelques minutes pour voir tout le monde prendre ses jambes à son cou et se disperser : les poli-ciers peuvent ensuite reprendre leur souffle et remettre en place la cancha.

“Un jour par an, la loi n’a plus cours”, reconnaît Marvin Molina, responsable des questions juri-diques au ministère des Cultures et du Tourisme. “La police ne peut pas empêcher les affrontements phy-siques, mais seulement les excès de la culture indienne. Nous sommes ici dans l’un des rares endroits du monde où le pluralisme juridique est une réalité vivante.”

Du côté des participants, la vio-lence reçoit des justifications para-doxales. Le sang versé et la mort sont, selon le rituel, une offrande à la Pachamama, qui favorisera ainsi une bonne récolte. Quant aux combats, c’est une “coutume”, nous explique-t-on. Pour autant, l’intervention de la police n’est pas contestée, même si elle est souvent impuissante.

José Luis Cruz, qui est agri-culteur mais aussi, depuis les

amériques

“Il est essentiel de limiter le nombre des victimes, mais si des décès ont lieu, il n’y aura pas d’enquête”

↙ Peinture de Deborah Paiva .Davi Ribeiro/Folhapress

D'UN CONTNINENT À L'AUTRE. Courrier international – n° 1242 du 21 au 27 août 201418.

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19AMÉRIQUES.

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Le Prix du livre d’histoire de l’Europe est décerné chaque année, sous l’égide

de l’Association des Historiens, par un Jury d’historiens et de personnalités européennes

issus de plus de dix pays de l’Union. Il est attibué à l’ouvrage d’histoire qui apporte lameilleure contribution à la connaissance et

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dernières élections, conseiller municipal sous l’étiquette du MAS, parti présidentiel, précise : “S’il y a des combats et du sang, c’est en off rande à la Pachamama, pour que l’année agricole soit bonne. Quand des gens meurent, on a une bonne année, une bonne production. Quand personne ne meurt, la production chute l’année suivante. Ces deux dernières années, où il n’y a pas eu de morts, nous avons eu de la grêle et des catastrophes naturelles.” Et d’un même souffl e, il lâche : “Nous, à la municipalité, nous nous eff or-çons d’éviter qu’il y ait des victimes. Nous ne le tolérons plus, parce que nous ne pouvons pas faire de l’être humain un jouet. D’où la présence de 50 policiers pour assurer la sécu-rité de la population.”

“L’attitude face à la mort est très ambiguë”, renchérit par téléphone Michele De Laurentiis, qui a étudié le Tinku d’Aymaya, un village voisin de Macha. “D’une part, la mort est une renaissance et une entrée dans le circuit de reproduc-tion de la terre et du cosmos. Mais, d’autre part, on tente tout de même d’éviter les morts. Trois jours de rituels précèdent chaque partici-pation au Tinku. L’un de ces rites a pour but de prévoir ce qui se pas-sera pendant le Tinku et d’entrer en relation avec les ancêtres, essentiel-lement pour échapper à la mort.”

La violence du Tinku est un défi pour Evo Morales, premier président indien de la Bolivie et représentant de l’ethnie aymara, qui ne participe pas à cette céré-monie. Le chef de l’Etat est né à quelques dizaines de kilomètres de Macha, mais il était encore enfant quand il a quitté l’aride Altiplano pour le lointain dépar-tement de Cochabamba.

La mise en valeur de la culture et de la société indiennes, dont sont issus 70 % de la population bolivienne, est un thème central de sa présidence. Dans le cadre de la nouvelle Constitution adoptée

en 2009, la Bolivie est devenue offi ciellement un Etat plurina-tional. Un chapitre spécifique est ainsi consacré à “l’autonomie indigène paysanne”, qui permet à ces populations de former leurs propres institutions politiques et judiciaires et d’adopter d’autres formes d’autonomie politique.

Depuis 2012, le Tinku de Macha est encadré par une loi. Signée par le président, elle élève le rituel au rang de “patrimoine culturel immé-morial” et charge le ministère des Cultures d’en promouvoir la dif-fusion. Mais comment endosser une tradition qui, sans l’interven-tion de la police, débouche inévi-tablement sur des morts ?

Conquistadors, coupables ? Le Tinku est resté sous la res-ponsabilité du vice-ministère de la Décolo nisation. Créé juste après la mise en place de l’Assem-blée constituante et placé sous la tutelle du ministère des Cultures, il a pour mission de dépasser le legs de “cinq siècles de colonisa-tion espagnole et de colonisation par les créoles et les euroboliviens [sic] conservateurs, libéraux, natio-nalistes et néolibéraux.”

Le vice-ministère a délégué cette mission à l’intellectuel que-chua Tito Burgoa, qui étudie le Tinku depuis 2002. Vers 2010, c’est lui qui a préparé la candi-dature de cette cérémonie au patrimoine culturel de l’Unesco – rejetée, précisément, en raison de la violence des célébrations.

Face à la poignée de touristes et de journalistes venus jusqu’au lointain Macha (le village se trouve à 450 kilomètres au sud de La Paz, soit à onze heures de route), Tito Burgoa attribue la vio-lence du Tinku à la colonisation espagnole et, plus récemment, à ces centaines de Boliviens émi-grés en Argentine puis rentrés au pays. Il affi rme même, alors qu’il n’en existe pas de trace his-torique avant le xvie siècle, que ces célébrations sont apparues vers 4000 avant Jésus-Christ.

“La lutte était présente avant l’arrivée des Espagnols, mais avec eux elle a perdu son aspect ludique, déclare Tito Burgoa. C’est l’Eglise qui a imposé la bataille rangée pour défendre ses biens et pour faire vivre ses propres célébrations.”

Aujourd’hui, si une présence policière est nécessaire, c’est selon lui à cause “des gangs et des délinquants” venus des grandes villes. “La contamination cultu-relle est terriblement néfaste, le

problème actuel de la violence vient des grandes villes.” Interrogé sur le lien de cause à eff et entre les morts et les bonnes récoltes, l’in-tellectuel répond que les paysans eux-mêmes ne connaissent pas ce que lui appelle le “Tinku his-torique”. “Nous sommes dans une phase de décolonisation, de retour aux mentalités locales. Toutes les communautés, nous tous qui habi-tons ici avons perdu la mémoire historique.”

Le plaidoyer de Burgoa détonne largement avec ce que disent les participants du Tinku, y compris les plus âgés. “Les combats sont l’aspect le plus important de la fête, c’est une évidence”, assure ainsi Policarpo Cruz, 61 ans, qui a par-ticipé à sa première rixe rituelle à l’âge de 10 ans. “Il y a très peu de diff érences entre le Tinku d’au-jourd’hui et celui de mon enfance. Le problème, aujourd’hui, c’est que les gens se civilisent et viennent très peu vêtus”, estime-t-il, évoquant ces participants qui ne portent ni le costume brodé ni la mon-tera, coiff e traditionnelle en cuir. “Sinon, le combat reste le même.”

Pour le père jésuite Xavier Albó, anthropologue considéré comme l’un des plus éminents spécialistes mondiaux de la culture indienne bolivienne, il serait fallacieux d’at-tribuer la violence de cette région aux conquistadors espagnols.

“Il y a toujours eu de la violence, avant et après la colonisation. Dire

que la violence est le produit de la colonisation est une interprétation idéologique récente”, nous explique-t-il par téléphone.

Installé en Bolivie depuis les années 1950, cet Espagnol affi rme que l’Etat bolivien n’a pas encore bien défi ni ce qu’il entend par “décolonisation”, évoquant d’ail-leurs des contradictions entre cette volonté affi chée et les actes du vice-ministère de l’Intercul-turalité, lui aussi rattaché au ministère des Cultures. Pour l’an-thropologue italien De Laurentiis, le Tinku sert aussi à matérialiser les diff érends entre les commu-nautés, de nature essentiellement territoriale : “Le Tinku exprime ces rivalités, mais rien ne se fait, rien ne se résout à ce moment-là. C’est une simple mise en scène.”

De Laurentiis estime par ail-leurs qu’Evo Morales ne fait pas montre d’une grande connais-sance du Tinku. Dans sa thèse, l’Italien raconte qu’en 2012 une tournée présidentielle est arrivée dans la région d’Aymaya le jour même des cérémonies, organi-sées tous les ans début octobre. “Les communautés indiennes se sont

retrouvées face à un dilemme, car elles voulaient suivre la visite d’Evo dans leur commune, c’était une fi erté de recevoir le président. Mais près de 90 % des personnes que j’ai ren-contrées pour mes recherches sont allées sur la place où avaient lieu les combats, et pas sur celle où parlait Evo, à dix minutes de là.”

L’anthropologue se souvient qu’il y a eu deux morts ce jour-là. “Dans son discours, Evo a dit quelque chose du genre ‘Vous ne devez pas lutter les uns contre les autres, vous devez lutter pour la révolution et pour le change-ment.’ Et ç’a été sa seule allusion au Tinku. Mon sentiment est que le gouvernement a une connais-sance limitée de ce qui se passe réel-lement dans les campagnes. Leurs références se limitent au poncho, aux productions naturelles et à la cosmogonie.”

A Macha, la journée se ter-mine, et les paysans se dis-persent dans les rues autour de la place. Beaucoup sont allongés par terre, sans connaissance, en sang, ivres, laissés aux bons soins de leur femme. D’autres cherchent encore la bagarre, mais dans une ambiance plus piliers de bar que rituel ancestral. Le paysan et édile José Luis Cruz est à la fois inquiet et soulagé : pour la troi-sième année consécutive, le Tinku n’a fait aucun mort.

—Fabiano MaisonnavePublié le 1er juin

“Dire que la violence est le produit de la colonisation est une interprétation idéologique récente”

Courrier international – n° 1242 du 21 au 27 août 2014

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OPINION

simplement incomparable avec les “souffrances” subies par ces dames des Pussy Riot. Alors pourquoi les glapissements de l’Occident pour que cessent les “opérations mili-taires” ne se font-ils pas entendre ? Pourquoi les stars et les politiques occidentaux ne réclament-ils pas publiquement que soient secou-rues au plus vite les populations vivant dans la zone des combats ?

Rien de rien. Rien à part un prin-cipe, jamais formulé mais pourtant gravé dans l’esprit des décideurs occidentaux : la Russie de Poutine a osé défier les règles établies de l’ordre mondial. Et si, pour la soumettre à une punition exem-plaire, il faut fermer les yeux sur l’exter-mination d’une partie de la population du Donbass, alors qu’il en soit ainsi.

Je veux préciser que je n’écris pas tout cela pour stigmatiser qui que ce soit. Je ne fais que constater quelle est la nouvelle règle du jeu entre la Russie et l’Occident. La règle, c’est qu’il n’y a plus de règles. Ou à peine. L’important, c’est de remporter la victoire psychologique sur l’ad-versaire. Le reste est accessoire.

La semaine dernière, j’ai posé à un proche collaborateur de Poutine la question suivante : que pense-t-on au Kremlin de l’angoisse de la classe moyenne russe qui se voit confisquer son parmeggiano [par-mesan] et son jamón [jambon] [conséquence de l’embargo russe sur l’importation d’une série de produits alimentaires en prove-nance de l’UE] ? La réponse de mon interlocuteur fut on ne peut plus émotionnelle et consistait en substance à envoyer ces “martyrs du parmesan” se faire…

A la cour de Poutine, on estime que l’Occident a mis la Russie au pied du mur et l’a privée de toute possibilité de manœuvre stratégique dans ses relations avec les Etats-Unis et l’Europe. Selon Poutine, si Moscou montre aujourd’hui le moindre signe de fai-blesse sur la question ukrainienne, ses anciens collègues du G8 dégai-neront une nouvelle série d’ultima-tums sur tout un tas de questions, depuis le statut de Kaliningrad jusqu’à celui des îles Kouriles.

Voilà pourquoi au Kremlin on est psychologiquement prêt à voir la guerre des sanctions s’éti-rer sur plusieurs années. Poutine espère que les sanctions et les contre-sanctions finiront par faire entendre raison à l’Europe. Et si

ce processus devait dégrader les conditions de vie des habitants de l’Occident et de la Russie, qu’il en soit ainsi.

Dans Les Fontaines du paradis, roman de science-fiction culte du Britannique Arthur C. Clarke, l’un des héros dit : “J’ai toujours voulu savoir ce qui se passerait si une force invincible rencontrait un obstacle infranchissable.” Eh bien nous y sommes : dans les pro-

chains mois, voire les prochaines années, les habitants du conti-nent européen pour-ront répondre à cette question. Car on peut tout à fait comparer l’Occident à une “force

invincible” et la Russie à une “bar-rière infranchissable”.

Telle est la logique des événe-ments qui se déroulent aujourd’hui en Europe. Et comme on aurait aimé qu’elle soit différente, à l’image de celle, par exemple, qui avait guidé le Congrès des Etats-Unis en 1921. Lénine était au pouvoir et les élites politiques américaines haïssaient férocement la Russie soviétique. Mais lorsque notre pays fut la proie de terribles famines, le Congrès américain adopta un plan d’aide contre la famine en Russie. Vingt millions de dollars, une très grosse somme à l’époque, furent débloqués pour l’envoi de produits alimentaires en RSFSR [république soviétique de Russie]. Il est impossible d’éva-luer combien de nos concitoyens furent alors sauvés d’une mort atroce grâce à l’Amérique.

Je conçois parfaitement que mon appel et mes espoirs soient d’une naïveté consternante. Mais l’Occident aurait peut-être fort à gagner à cesser de tourner en déri-sion les efforts humanitaires de la Russie à l’égard des habitants du Donbass. Les Etats-Unis et l’Eu-rope auraient peut-être intérêt à se joindre à l’initiative russe, ou, au moins, à monter une opération analogue de leur côté. Une action commune de solidarité pourrait peut-être aider la Russie et l’Oc-cident à sortir de la logique du conflit ? La Russie a fait le premier pas. C’est maintenant le tour de la partie adverse.

—Mikhaïl RostovskiPublié le 18 août

Ukraine. Mais où sont donc les convois de l’UE ?Les Occidentaux tournent en dérision les efforts humanitaires russes en direction du Donbass. Mais qu’attendent-ils pour monter leur propre opération de secours aux victimes du conflit ?

—Moskovski Komsomolets Moscou

On a d’abord dit que c’était un “convoi armé”, un habile subterfuge de Poutine pour

envahir l’Ukraine. Maintenant, ce serait un “convoi Potemkine”, une gigantesque colonne de poids lourds ne transportant que quelques malheureux cartons d’aide humanitaire. Je tire mon chapeau aux journalistes et aux politiciens occidentaux pour leur art de chercher la petite bête et je meurs d’impatience de découvrir ce qu’ils vont inventer demain. Peut-être écriront-ils que les coloris des sacs de couchage sont démodés ou que les colis alimentaires sont trop riches en calories…

Que la si gentille Russie envoie un convoi d’aide humanitaire

en Ukraine et que le très vilain Occident se moque cyniquement de cette noble attention, le pro-blème n’est pas là. Ce qui est grave, c’est que cette rivalité exacerbée entre grandes puissances relègue au second plan des représenta-tions des citoyens occidentaux les souffrances des populations, de gens qui n’ont rien à voir avec les jeux de ces “messieurs les pré-sidents”, mais qui en sont les pre-mières victimes.

Souvenez-vous du tsunami d’indignation qu’avait soulevé en Occident la condamnation des Pussy Riot par notre “régime san-guinaire”. Le nombre d’Américains et d’Européens prêts à apporter une aide concrète aux prisonnières était alors vraiment impressionnant. L’horreur que vit au quotidien la population civile du Donbass est

europe↙ Dessin de Tiounine paru dans Kommersant, Moscou.

Contexte●●● Le 17 août, Kiev a reconnu le caractère “humanitaire” du convoi d’aide dépêché par la Russie à destination des habitants du Donbass. Le même jour, 16 des 280 camions transportant, selon Moscou, 1 800 tonnes d’aide, étaient parvenus à la frontière russo-ukrainienne. Selon les accords, ils stationneront encore quelques jours dans l’agglomération russe de Donetsk (région de Rostov-sur-le-Don) pour être soumis aux contrôles supervisés par l’OSCE, avant d’être remis à la Croix-Rouge, chargée de l’acheminement et de la distribution dans le pays.

Le Kremlin est psychologiquement prêt à une longue guerre des sanctions

D'UN CONTINENT À L'AUTRE. Courrier international – n° 1242 du 21 au 27 août 201420.

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21EUROPE.Courrier international — no 1242 du 21 au 27 août 2014

contumace dans son pays, cou-lait des jours paisibles en France jusqu’à ce que, en 1986, il prenne la curieuse décision de rentrer en République centrafricaine dans l’espoir de se faire réat-tribuer le trône par le peuple. Il fut arrêté. Héros de la Seconde Guerre mondiale, il ne manquait pas de courage. Le courage fait cruellement défaut à notre “fi ls à maman” Saakachvili. Après sa fuite du Pérou, l’ancien dicta-teur de ce pays sud-américain, Alberto Fujimori, s’est réfugié au Japon. Nullement menacé d’extradition, il décide, après des calculs étranges et des considé-rations incompréhensibles, de se rendre au Chili, où il est immé-diatement arrêté et extradé vers le Pérou. Les deux dictateurs ne voyaient ainsi plus la diff érence entre ce qui leur était possible par le passé et ce qu’ils pouvaient espérer dans leur nouvelle situa-tion. Leur état émotionnel les empêchait d’évaluer objective-ment les enjeux.

Les répressions que la Géorgie a connues à l’époque de Saakachvili sont grandement dues à la peur permanente, envahissante dont souff re Saakachvili. La peur de l’opposition, des émeutes, de la révolution, de Bidzina Ivanichvili

[l’opposant milliardaire qui a précipité son départ du pou-voir en remportant les légis-latives en 2012]. Mais, surtout, il a peur du peuple. Quand bien même Saakachvili ne fi nirait pas dans une prison géorgienne et resterait tapi à l’étranger, jusqu’à son dernier

souffl e cette peur sera la plus rude des prisons. De ce fait, il est déjà arrêté et puni.Son procès, au centre des discussions dans la

société aujourd’hui, va progressivement glisser à

la périphérie de l’attention publique. Cependant, dire

adieu au passé ne signifi e pas le jeter aux oubliettes. Juger Saakachvili, c’est porter une appréciation sur son règne. Nombre de nos conci-toyens ont tendance à vouloir faire une croix sur l’ère Saakachvili. Mais toutes les époques sont étroite-ment liées, car l’Histoire n’est pas une succession de sauts, mais un fl euve. On ne pourrait pas com-prendre l’époque Saakachvili sans avoir analysé celle de son prédé-cesseur, Edouard Chevardnadze. Et l’époque Ivanichvili nous sera incompréhensible sans l’éva-luation du régime Saakachvili. La genèse de son régime, avec toutes ses horreurs [répression, torture dans les prisons, racket des hommes d’aff aires, assassi-nats politiques], aurait été impos-sible si elle ne s’était pas appuyée sur les instincts les plus sombres de la société.

Bien que soutenu depuis l’étran-ger [par les Etats-Unis et l’Eu-rope], ce régime tenait avant tout parce qu’il avait de réels appuis dans la société géorgienne. Aussi est-il capital que, lors du jugement sur Saakachvili, la société géor-gienne ose porter un regard cri-tique sur elle-même et évaluer son rôle dans la montée en puis-sance de son régime. L’Allemagne n’a pas eu peur de regarder son passé [nazi] en face. Aujourd’hui, c’est un pays des plus dévelop-pés et fi er de lui-même. Ma com-paraison avec l’Allemagne n’est pas fortuite ; je considère en eff et que ce qu’a connu la Géorgie sous Saakachvili, c’était du fascisme.

Ces derniers temps, Saakachvili se comporte comme un clown. Probablement pour atteindre deux buts : ridiculiser les accusations qui pèsent contre lui et attirer la com-passion du public. Peut-on en eff et avoir une attitude sérieuse envers un clown, même s’il a les mains cou-vertes de sang ? Si le tribunal rend un verdict de culpabilité, il est fort probable que le peuple, dégoûté, s’eff orcera d’oublier au plus vite ce clown, qui pourra ainsi aller se planquer le plus loin possible. Mais nous n’avons pas le droit d’oublier quoi que ce soit, car nous devons comprendre pleinement notre passé pour bâtir un avenir meilleur.

—Dmitri MoniavaPublié le 6 août

GÉORGIE

La genèse d’un régime fasciste

—Sakartvelo da Msoplio (extraits) Tbilissi

Dialoguer avec le passé est une tâche diffi cile. Surtout lorsque ce passé est repré-

senté par la personne de Mikheïl Saakachvili. Il serait lâche de se moquer publiquement d’un homme souff rant de dérangement mental. Discuter de ses propos est une perte de temps. On ne peut que constater à quel point Saakachvili est actuel-lement nerveux et en déduire que son seul et unique problème est sa propre sécurité. Cette peur, qui chez lui est démesurée et le pousse à écrire dans sa tête des scénarios totalement en inadéquation avec la vie réelle, pourrait le conduire à commettre une erreur fatale.

Le célèbre dictateur-cannibale de la République centrafricaine Jean-Bedel Bokassa, accusé par

↙ Mikheïl Saakachvili. Sur la sacoche : “Cravates à manger”. Rappel d’août 2008, où pendant la guerre russo-géorgienne, Saakachvili, décontenancé, s’était mis à mâcher sa cravate devant les caméras de la BBC. Dessin de Schljachow, paru dans Toonpool.com

2004— Mikheïl Saakachvili, 36 ans, est élu président de la Géorgie à la suite de la “révolution des roses”, avec 96 % des voix.2007— Violente répression des manifestations de l’opposition à Tbilissi.2008— Saakachvili est réélu avec 52 % des voix. Guerre russo-géorgienne : une malheureuse tentative de récupération militaire de la province séparatiste d’Ossétie du Sud conduit à un confl it armé avec la Russie et à la reconnaissance par Moscou de l’indépendance de l’Ossétie du Sud et de l’Abkhazie. La Géorgie perd de fait 20 % de son territoire.

2012— Aux élections législatives, échec du Mouvement national uni face à la coalition d’opposition Rêve géorgien, emmenée par le milliardaire Bidzina Ivanichvili. La découverte de vidéos montrant des sévices infl igés massivement aux détenus dans les prisons géorgiennes provoque un émoi général, des manifestations spontanées, et précipite la chute du régime.2013— Fin du second mandat de Saakachvili. Il s’exile aux Etat-Unis.2014— Il devient conseiller du nouveau président ukrainien, Petro Porochenko.

Chronologie

En présence ou non de l’accusé, le procès de l’ex-président Mikheïl Saakachvili, exilé aux Etats-Unis, sera l’occasion pour la société géorgienne de se regarder en face.

Saakachvili essaie de ridiculiser les accusations qui pèsent contre lui

Mettre un terme à l’impunitéTbilissi promet un procès “transparent et impartial”.

Le héros de la “révolution des roses” (première des révolutions colorées qui se

sont succédé dans l’espace post-soviétique à partir de la fi n de 2003), sur qui l’Occident avait fondé de grands espoirs pour le développement de la démo-cratie en ex-URSS, est dans le collimateur de la justice géor-gienne. Inculpé fi n juillet, il se trouve en eff et sous le coup de plusieurs chefs d’accusation pou-vant lui valoir jusqu’à onze ans de prison : abus de pouvoir et recours excessif à la force dans la répression violente des mani-festations antigouvernementales de novembre 2007 à Tbilissi ; mainmise illégale et fraudu-leuse sur la chaîne de télévi-sion Imedi TV et sur des avoirs appartenant à l’homme d’aff aires géorgien Badri Patarkatsichvili (mort de manière suspecte en 2008) ; agression (par le truche-ment du ministre de l’Intérieur Vano Merabichvili) du député de

l’opposition Valeri Guelachvili en 2005, détournement d’ar-gent public (5 millions de dol-lars) à des fins personnelles. Le 3 août, les autorités géor-giennes ont délivré un mandat d’arrêt contre l’ex-président, qui vit aux Etats-Unis et en Ukraine depuis la f in de son second mandat, en 2013. Celui-ci refuse de se rendre en Géorgie, dénon-çant “la persécution politique et la vengeance” exercées au profi t de la Russie, qu’il soupçonne d’être le principal bénéfi ciaire de cette aff aire judiciaire. Il fustige par ailleurs la coalition au pouvoir (Rêve géorgien), qui “ne s’ar-rête devant rien pour ternir la réputation du pays”, rapporte le site Civil Georgia. Saakachvili s’est entouré de défenseurs de choix. Dans une lettre ouverte au Premier ministre géorgien, Irakli Garibachvili, quatre séna-teurs américains – parmi lesquels John McCain – ont fait allusion à une détérioration possible des relations bilatérales au cas où “le règlement de comptes politique” se poursuivrait. Tbilissi, qui a signé fi n 2013 l’Accord d’asso-ciation avec l’Europe à Vilnius, a riposté avec une autre lettre ouverte, assurant que le procès serait “transparent et impartial”, et invitant tous ceux qui seraient inquiets à y assister. Selon le gou-vernement, la Géorgie doit en fi nir avec “la politique de l’impunité [des hauts responsables politiques]”.

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EUROPE

privé. Pour Peter Allen, directeur des ventes chez Londonewcastle (constructeur de la résidence Queens Park Place, dans le nord de Londres), ces bailleurs n’ont parfois pas les moyens de payer l’ensemble des services proposés : “Pour les architectes, la solution la plus simple est donc de proposer des offres différenciées.”

La brochure des appartements haut de gamme du complexe One Commercial Street, en lisière de la City, vante “un hall d’entrée dédié qui, dans le style élégant d’une récep-tion d’hôtel, vous offre un sas à la fois chic et sécurisé entre votre apparte-ment et les rues de la City”. Comme pour nombre de ces nouvelles résidences tout de verre et de béton, à One Commercial Street un concierge est présent vingt-quatre heures sur vingt-quatre et sept jours sur sept pour répondre à tous les desiderata des résidents, qui auront déboursé au minimum 500 000 livres [630 000 euros environ] pour un simple studio afin d’avoir le privilège de vivre dans ce quartier qui monte.

Reste que ce hall avec concierge n’est pas accessible à tous. Ce que la brochure ne précise pas, c’est l’existence d’une autre entrée, au hall nettement moins chic, située dans une ruelle adjacente à côté de l’accès livraisons du fast-food Prêt à manger. Cette entrée, c’est celle des locataires des loge-ments sociaux du complexe One Commercial Street.

Certains promoteurs assument mal. Native Land, qui construit en ce moment sur Kings Road, dans le quartier de Chelsea, le complexe Cheyne Terrace, avec piscine et salle de gym, s’est refusé à tout commentaire quand nous lui avons demandé si ses 13 logements bon marché auraient un accès séparé. Sur son site Internet, le cabinet John Robertson Architects, chargé du projet, ne laisse pourtant aucun doute sur la question.

Dans le nord-ouest de Londres, les promoteurs du Queens Park Place sont plus transparents quant au mode de coexistence choisi pour les 28 logements bon marché et les 116 appartements vendus au prix du marché : sur leur site, il est assuré que l’immeuble sera “tenure blind” [égalitaire] en appa-rence, autrement dit qu’il aura le même aspect extérieur quel que soit le type de logement. A l’inté-rieur, en revanche, les deux caté-gories de résidents recevront un traitement nettement différencié :

“Les occupants des logements bon marché n’auront pas accès à l’en-trée principale côté résidence privée, à sa cour paysagée, ni au parking-local à vélos du sous-sol. De même, les services, dont la remise du cour-rier et la gestion des déchets, ne seront pas partagés.”

La porte des snobs. Un trai-tement façon “deux poids, deux mesures” qui agace plus d’un habitant de ces complexes. A l’entrée principale du One Commercial Street, une lumière vive illumine le hall. Sur un sol en marbre luxueux sont dispo-sés de profonds canapés, et un panneau sur la porte signale aux résidents que le concierge est à leur disposition. A l’arrière, l’en-trée “bon marché” se résume à un couloir couleur crème, seulement paré de boîtes aux lettres grises et d’une affichette rappelant que l’immeuble est sous vidéosur-veillance et que toute dégrada-tion est passible de poursuites.

Brooke Terrelonga vit ici avec son fils de 9 mois : quand ils sont arrivés dans ce logement social, il y a quatre mois, elle s’est éton-née de ne pas pouvoir emprunter l’entrée principale. Sa mère, qui préfère garder l’anonymat, nous dit s’inquiéter à l’idée que le soir sa fille doive passer par la ruelle mal éclairée – elle désigne les deux lampadaires, un de chaque côté de la porte, qui sont le seul éclai-rage. “On garde l’élite en façade et on cache les rebuts à l’arrière”, bougonne-t-elle.

Judy Brown, locataire elle aussi, s’attendait également à pouvoir rejoindre son appartement par l’entrée en façade. “Je l’appelle ‘la porte des snobs’. Franchement, je me sens un peu insultée. C’est de la ségrégation.” Les ascenseurs sont sans cesse en panne, l’obligeant à monter à pied jusqu’au neuvième étage, où elle vit. “Quand nos deux ascenseurs ont été hors service, on nous a bien dit que les femmes enceintes, les personnes malades et les parents d’enfants en bas âge pouvaient utiliser l’entrée princi-pale”, précise Judy Brown. Mais, le reste du temps, ces locataires sont, selon leurs propres termes, “tenus à l’écart” du grand hall.

—Hilary OsbornePublié le 25 juillet

ROYAUME-UNI

Cachez ces pauvres…Dans certains complexes immobiliers de Londres se développe, via des entrées distinctes, une véritable ségrégation entre locataires à revenus modestes et riches propriétaires.

—The Guardian (extraits)Londres

Notre enquête révèle l’essor d’un phénomène nouveau dans les immeubles rési-

dentiels haut de gamme de la capi-tale : les promoteurs, contraints par les règlements d’urbanisme d’y inclure des logements dits “affor-dable” [“bon marché”], obligent les résidents les moins favorisés à emprunter des accès séparés, déjà surnommés les “poor doors” [“portes pour pauvres”]. A chaque catégorie de population son local à vélos, son local à poubelles et son hall de boîtes aux lettres.

Tracey Kellet, une chasseuse d’appartements qui sillonne Londres pour de riches clients, confirme que plusieurs complexes sont aujourd’hui dotés d’entrées différenciées “afin que les deux strates sociales n’aient pas à se croi-ser” : “Au lieu de verre étincelant, la façade de la partie ‘bon marché’ est garnie de panneaux en plastique de couleur douteuse.”

Bailleurs sociaux. Dans un immeuble sis aux abords du quar-tier financier de la City, nous avons découvert que les riches proprié-taires entraient par un vaste hall digne de la réception d’un hôtel, tandis que l’entrée des locataires de logements sociaux se faisait par la ruelle où passent les livraisons. Avec la flambée du marché immo-bilier à Londres, les attentes des plus riches acquéreurs de la capi-tale sont montées d’un cran, et nombre de résidences se dotent aujourd’hui de parties communes dignes des plus luxueux hôtels de la planète.

“Cette tendance est une marque de mépris pour les gens ordinaires, dénonce Darren Johnson, membre de l’Assemblée de Londres pour le Parti vert. Les promoteurs pro-posent des appartements de luxe à de riches investisseurs qui refusent toute mixité. La mairie de Londres et les mairies de quartier ferment les yeux sur ce phénomène depuis trop long-temps : on devrait tout simplement refuser les permis de construire aux résidences qui prévoient une ségré-gation dans les infrastructures ou qui refusent d’y intégrer des loge-ments ‘bon marché’.”

Du côté des promoteurs, on assure que c’est là un moyen de permettre aux bailleurs sociaux de maintenir leurs charges à des niveaux raisonnables en ne leur imposant pas les services pre-mium offerts aux résidents du parc

↙ Dessin de Belle Mellor paru dans The Guardian, Londres.

630 000 euros pour un simple studio en lisière de la City

Courrier international – n° 1242 du 21 au 27 août 201422.

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Les albums de Goscinny et Uderzo, impossibles à exporter aux Etats-Unis, font partie de l’imaginaire de tout le continent.

—El País Madrid

A Paris, l’hiver dernier, deux expo-sitions de bande dessinée excep-tionnelles, apparemment opposées,

avaient lieu au même moment. L’une, pré-sentée à la Bibliothèque nationale de France, était consacrée à Astérix et Obélix, la BD la plus française qui soit, avec ses Gaulois moustachus et ses banquets de sangliers. L’autre, bien plus modeste, était proposée à la Cité nationale de l’histoire de l’immigra-tion (CNHI) et examinait le rapport entre bande dessinée et immigration. L’exposition du CNHI ne donnait pas dans l’idéalisation nationaliste d’Astérix, loin de là : la France y était présentée comme le produit d’un croisement de cultures, un creuset. “Nos ancêtres n’étaient pas tous des Gaulois”, pro-clamait une affiche à l’entrée de l’exposition. La force des personnages créés en 1959 par René Goscinny et Albert Uderzo est telle qu’ils font partie de l’imaginaire euro-péen, comme s’il s’agissait d’une référence réelle, comme si l’on pouvait effective-ment se procurer de la potion magique en pharmacie. Le romancier, dramaturge et cinéaste Marcel Pagnol, auteur d’œuvres étudiées par tous les lycéens français, affirmait après avoir été caricaturé dans Le Tour de Gaule d’Astérix : “Aujourd’hui je sais que je serai immortel.” Huit ans seule-ment après la naissance de cette bande dessinée, une enquête révélait que deux Français sur trois l’avaient lue. Au total, il s’est vendu 300 millions d’albums d’Asté-rix dans le monde, en 57 langues.

Interprétations politiques. Mary Beard, spécialiste du monde romain à l’univer-sité de Cambridge, tente d’expliquer dans son dernier livre, Confronting the Classics: Traditions, Adventures and Innovations [“L’héritage vivant des classiques”, non traduit en français], le succès d’Astérix. Elle se demande pourquoi il est si diffi-cile d’exporter cette bande dessinée aux Etats-Unis, l’un des derniers pays d’Oc-cident réfractaires à la potion magique et plus généralement à la ligne claire euro-péenne. “Astérix est européen par excel-lence, assure Beard. L’héritage européen fournit un cadre à l’intérieur duquel les diffé-rents pays européens peuvent successivement parler d’eux-mêmes, de leur histoire, de leurs mythes partagés.” Beard souligne que la saga étudie la relation entre les nationalismes et les ennemis de Rome, depuis Boadicée jusqu’à Viriate, et que depuis sa naissance elle a toujours fait l’objet d’interprétations politiques plus ou moins artificielles. De fait, en France, les irréductibles Gaulois sont utilisés par tous les camps, en parti-culier par le lepénisme, qui en fait un fleu-ron de la résistance des valeurs françaises contre tout ce qui peut venir de l’étranger (qu’il s’agisse d’immigrés ou de fromages). Mais Astérix et Obélix sont aussi mis en avant comme un symbole de tolérance et de solidarité face à toute idée impériale

(les Gaulois passent leur temps à venir en aide à tous ceux qui passent par le village). “Les enfants qui lisent Astérix se projettent dans un passé où il existe un petit village qui résiste à un empire envahisseur”, expliquait l’ancien footballeur Lilian Thuram, prési-dent de la fondation Education contre le racisme, dans le magnifique catalogue de l’exposition “Astérix de A à Z”. “J’avoue que j’imaginais l’histoire comme ça : des gens qui essayaient de défendre leur culture, leur façon de vivre, et qui avaient la potion magique pour pouvoir le faire.” Astérix a créé un langage qui lui est propre.

Le secret de la BD. Grâce à lui, nous sommes tous tombés dans le chaudron de potion magique quand nous étions petits. Cela fonctionne aussi parce qu’il sait se moquer – avec un savant dosage de mauvais caractère, de complicité et d’iro-nie – de tous les clichés européens, depuis le secret bancaire suisse jusqu’à la toxi-cité des fromages corses, en passant par la piètre cuisine anglaise et l’entêtement espagnol. Ainsi, la relation entre Obélix et Pépé dans Astérix en Hispanie compte parmi les meilleurs moments de la série. Mais, surtout, le secret d’Astérix est très simple : la BD est de grande qualité. Les dessins sont magnifiques, les gags sont énormes et la série ne vieillit pas, bien au contraire. Le Domaine des dieux, album dont une adaptation cinématographique doit sortir à Noël, a commencé à être publié en livraisons dans la revue Pilote à partir de mars 1971. Il raconte la nouvelle stratégie de César pour en finir avec les irréductibles Gaulois : construire un ensemble immo-bilier de luxe. Seuls Panoramix, Astérix et Obélix se rendent compte du danger que représente la richesse soudaine qui se met à pleuvoir sur le village et anticipent l’éclatement de la bulle immobilière, seule crise qui pouvait leur faire tomber le ciel sur la tête, comme elle est tombée, bien plus récemment, sur nos têtes d’Espagnols.

—Guillermo AltaresPublié le 19 juillet

Culture. Astérix, un héros terriblement européen

france↙ Couverture d’une des premières publications des aventures d’Astérix en allemand. Interfoto/Alamy

SOURCE

EL PAÍSMadrid, EspagneQuotidien, 360 000 ex.www.elpais.comFondé en 1976, six mois après la mort de Franco, “Le pays” est le journal le plus lu en espagne. Il appartient au groupe de médias espagnol Prisa, qui a annoncé en 2011 la plus grosse perte de son histoire. Plus de 130 journalistes ont été mis à la porte, un tiers de la rédaction. Avec la naissance de nouveaux titres de gauche, El País se positionne plus au centre qu’à ses débuts, mais reste considéré comme une institution. Fin 2013 elpais.com a lancé une édition en portugais pour ses lecteurs brésiliens.

Courrier international – n° 1242 du 21 au 27 août 2014 23

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Belgique.La nouvelledonne flamandeLa N-VA est en bonne voie de devenir aussiindéboulonnable que la CSU l’est en Bavière.Au grand dam du reste de la droite flamande.

—De Standaard Bruxelles

Le CD&V a peut-être bienéchappé à un grand dan-ger. Grâce à l’arrivée in

extremis de l’Open VLD augouvernement flamand, leschrétiens-démocrates ne sontplus les seuls blancs-becs ausein d’une coalition conduite etdominée par la N-VA. Si ce casde figure s’était produit, desquestions existentiellesauraient immanquablementsurgi. Mais maintenant que leslibéraux prennent part à ce“modèle anversois”, le risquede perte totale de profil politi-que semble moins grand pour leCD&V. Sur le plan social, il fau-dra bien que quelqu’un joue leschiens de garde du gouverne-ment de restrictions budgétai-res Bourgeois Ier. Et ce seront

les ministres Hilde Crevits, JoVandeurzen et Joke Schauvliege– les seuls à porter l’estampilleBeweging.net, le nom de feul’ACW [MOC ou Mouvementouvrier chrétien en français,aile gauche de la mouvancechrétienne].

Paysage. Le plus grand risqued’insignifiance est maintenantcouru par l’Open VLD. Ce partin’est, d’un point de vue mathé-matique, pas nécessaire pourdétenir une majorité au Parle-ment flamand. Et il est si pro-che de la N-VA sur le plan so-cio-économique qu’il a pu sous-crire les yeux fermés à l’accordatteint par ses deux partenai-res.

La Flandre a donc désormaisune majorité de centre-droitavec un parti de trop. La ques-

tion est de savoir pourquoi leschoses devraient rester enl’état. Tout comme on peut sedemander pourquoi l’opposi-tion devrait continuer à se pré-senter divisée en deux ou troispartis.

La révolution politique qui aeu lieu le 25 mai dernier ne peutpas manquer de redessiner enprofondeur le paysage politi-que. Et c’est à la droite du spec-tre que les effets les plus spec-taculaires devraient se fairesentir. Un rapprochement entreGroen et le SP.A est égalementpossible mais risque de ne seproduire qu’après des annéespassées dans l’opposition.

Les chrétiens-démocrates ca-ressent l’espoir, lorsque la coa-lition “suédoise” fédérale auraété mise en place avec Kris Pee-ters comme Premier ministre,

de pouvoir rester l’une des for-ces politiques dominantes dupays. Mais, tout bien réfléchi,ce ne sera jamais qu’un villagePotemkine. Derrière le carton-pâte, il n’y aura qu’un grandvide. Avec l’avénement du nou-veau gouvernement flamand, leflambeau a désormais changéde main. Et l’obtention duposte de Premier ministre nechangera rien à l’affaire. Ce seraun peu comme le cadeau deNoël non désiré que l’enfant leplus gâté offre bien volontiers àcelui qui n’a encore rien reçu.

En fait, depuis 2010, KrisPeeters était un ministre-Prési-dent en sursis. En 2010 déjà, laprimauté politique – qui avaithistoriquement jusque-là tou-jours appartenu aux chrétiens-démocrates, l’intermezzo libé-ral entre 1999 et 2004 n’ayantété qu’un accident – était pas-sée dans les mains des nationa-listes flamands avec à leur têteBart De Wever.

Horizon 2018. En 2012, leCD&V s’était félicité des résul-tats relativement bons des élec-tions locales. Beaucoup debourgmestres chrétiens-démo-crates avaient su conserver leurposte et la N-VA semblaitmême avoir perdu un peu deterrain au niveau des provinces.

Mais les résultats de 2014montrent à l’évidence que cetteanalyse-là, que tous les autrespartis s’étaient également em-pressés d’adopter, ne tient pasla route. Après l’échec des né-gociations fédérales en 2010-2011, la N-VA avait dû dare-daremettre des structures localesen place et attirer de nouveauxvisages en politique en vue desélections communales et pro-vinciales. Pour ce faire, elleavait bien pu un peu comptersur le cadre historique de laVolksunie mais, dans la plupartdes cas, cela revenait à partir dezéro. Dans ces conditions, unscore de 27 % ne constituait pasun recul mais plutôt un remar-quable premier pas vers uneconsolidation.

Lors des dernières élections,à quelques exceptions près,toute la Flandre s’est coloriéeen jaune et noir. On peut doncen déduire que la totalité desbastions CD&V subsistants se-ront menacés à l’occasion del’édition suivante – en 2018,dans à peine quatre ans.

Les candidats N-VA inconnusde 2012 siègent maintenant pardizaines au sein des parlementsflamand et fédéral. Et biend’autres pourront se présenter

en tant qu’échevins ou bourg-mestres sortants en 2018. Unmouvement dynamique et enpleine croissance attire du restebien plus facilement du person-nel politique de qualité qu’unparti en déclin aux structuresarchaïques et aux manches ra-piécées.

Le plus grand sujet de préoc-cupation pour le CD&V, c’estassurément son recul catastro-phique dans les grandes villes.Alors que la N-VA arrive à trou-ver un écho auprès de la jeuneclasse moyenne urbaine, leCD&V perd pied et voit sonaudience non seulement se res-treindre mais également pren-dre de l’âge. Et il n’y a aucun si-gne de ce que le parti arrive àinverser cette tendance en s’ap-puyant sur ses propres forces.

Tous les espoirs du CD&V re-posent dès lors sur sa participa-tion au gouvernement. Et surl’idée que la N-VA, qui y est éga-lement partie prenante, va, elleaussi, porter le chapeau des dé-cisions les moins populaires etque cela finira par peser sur lesnationalistes.

Mais, en réalité, la N-VA con-tinue à exhaler un parfum d’op-position même lorsque elle par-ticipe aux différents gouverne-ments comme c’était déjà le casau niveau flamand. Cela pour-rait changer dans la mesure oùce sera désormais un nationa-liste flamand qui dirigera legouvernement régional. Mais,vu que ce dernier se profileraen tant que gouvernement deréformes et de remise en ordre,la N-VA gardera encore des re-lents de parti rebelle.

Les économies et les coupesbudgétaires risquent bien dedécevoir certains électeursmais pourquoi ceux-là se tour-neraient-ils vers des partis pluspetits qui ont participé à lamise en œuvre de cette mêmepolitique ? C’est plutôt pourl’opposition que cet aspect-làdevrait plutôt être du pain bé-nit – si seulement celle-cin’était pas si divisée et saisiepar le doute.

↙ Dessin de Gaëlle Grisardpour Courrier international.

La N-VA continueà exhaler un par-fum d’opposition,même lorsque elleparticipe aux dif-férents gouverne-ments.

D'UN CONTINENT À L'AUTRE. Courrier international – n° 1242 du 21 au 27 août 201424.

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Comment le CD&V va-t-ildès lors évoluer sous la coupede la N-VA ? Comment encoredémontrer que ce parti est in-dispensable alors même qu’ona perdu tout ancrage dans lesgrandes villes ? Si les chré-tiens-démocrates doiventchoisir entre fusionner au seind’un cartel ou être submergés,quelle peut être encore labonne réponse ?

Il n’y a aucune marge d’er-reur. Un an après les électionslocales, on devrait à nouveauvoter au fédéral et à la Région.Se contenter de rouler dans laroue de la N-VA pourrait se ré-véler dangereusement naïf.

Mais, vues de l’Open VLD,les perspectives semblent en-core plus sombres. Parce qu’unrapprochement structurel avecles nationalistes est impensa-ble. Il est vrai que la N-VA a re-pris à son compte le pro-gramme socio-économique deslibéraux mais son conserva-tisme et son nationalisme sonten porte-à-faux complet avecla pensée libérale.

En choisissant de participerau gouvernement à partird’une position de faiblesse,

Gwendolyn Rutten, qui estportée aux nues pour l’instant,prend d’énormes risques. D’iciquelques années, l’Open VLDdevra se représenter seul de-vant l’électeur, face à un partiqu’une grande proportion deses anciens électeurs estimentdésormais meilleur que l’origi-nal et qui incarnera la politi-que qui aura été menée.

La N-VA est-elle donc entrain de devenir, de manièretotalement inéluctable et défi-nitive, le leader politique enFlandre ? La Flandre devien-dra-t-elle une sorte de Bavièrede la Mer du Nord avec uneCSU indéboulonnable combi-nant valeurs conservatrices etpatriotisme régional à une po-litique économique à la fois in-novante et libérale ? La N-VAest-elle en mesure de convain-cre toute la Flandre profonded’adhérer à son projet ? Cen’est en tout cas pas la concur-rence qui l’en empêchera. Cel-le-ci, comme on vient de l’ex-poser, n’est même pas en étatde prendre en charge son pro-pre destin.

Flamingants. L’avenir dupaysage politique flamand dé-pendra en tout premier lieudes choix fondamentaux quefera la N-VA elle-même. C’estseulement maintenant que ladénomination – improvisée àla hâte en 2001 – du parti com-mence à correspondre à la réa-lité. Lors des dernières élec-tions, la N-VA est réellementdevenue une nouvelle allianceflamande. Un rassemblementinédit d’électeurs nationalisteset anti-Belges par traditiond’une part, et de nouveaux ve-nus libéraux en rébellion con-tre l’Etat d’autre part.

C’est cette combinaison,bien différente de l’électoratVolksunie de jadis, qui a faitson succès. Et avec la politiquede centre-droit annoncée, ce

sont les nouveaux venus quisont les mieux servis. L’Etat vaêtre dégraissé, les pouvoirs pu-blics vont perdre de leur em-prise. La responsabilisationdevient la règle et les aides pu-bliques l’exception. Bref, ungrand coup de balai.

Le prix pour attirer ce grou-pe-là est payé par les partisansde la première heure. Qui ap-prouvent sans sourciller unprogramme ne contenant pasla moindre exigence flamande.Qui soutiennent maintenantde manière inconditionnellel’exécution de cette sixième ré-forme de l’Etat qu’ils ont com-battue par tous les moyens. Etalors que, jusqu’ici, toute nou-velle institution flamande étaitvue comme un pas vers l’auto-nomie, l’Agence flamande pourl’énergie va être enterrée.

Dans le parti, règne l’eupho-rie d’avoir accompli ce que desgénérations de flamingantsn’avaient jamais cru possible :parvenir à ce que le nationa-lisme flamand devienne, par lavoie démocratique, la force do-minante en Flandre.

Mais ce succès peut être in-terprété de deux façons : leconservatisme de droite sera-t-il dorénavant la raison d’êtredu parti où n’est-ce qu’une tac-tique pour atteindre l’objectifsuprême d’un Etat autonomeflamand ? L’hypothèse qui vou-drait que la N-VA reste fonda-

mentalement habitée par lesprincipes de base qui ont pré-valu à sa fondation reste laplus probable.

Jusqu’à quel point cette nou-velle alliance flamande initiéepar la N-VA est-elle stable ? Lasolidité de la construction dé-pendra avant tout de la disci-pline et de la patience quemontrera le noyau initial departisans à l’égard de la straté-gie adoptée. Déjà avant les élec-tions, le parti a pris le risqued’inclure des dissidents poten-tiels dans ses rangs. Des genscomme Peter De Roover etHendrik Vuye doivent apporterla crédibilité nécessaire à lavoie lente choisie. Ils seront lesgarants de la fidélité aux origi-nes, aux côtés du présidentBart De Wever, bien entendu.

Anvers, la Flandre et de-main, la Belgique. Voilà le plan.Si la victoire finale vous est ac-quise, il serait stupide de lamettre en péril par un excès dehâte. La N-VA ne poursuit es-sentiellement qu’un seul ob-jectif. Etre dans l’oppositionlui a déjà fait parcourir unebonne partie du chemin. Elle amaintenant décidé que lameilleure manière d‘arriver àdestination était de prendre lesystème en mains. La dernièrephase de ce processus devraêtre réalisée de l’intérieur.

L’idée qui avait prévaluauparavant, celle qu’unegrande victoire électorale suf-firait à déclencher une révolu-tion, a été abandonnée. Le butsuprême requiert que le partidirige le système pendant unepériode assez longue pour entriompher à l’usure. Le choixsurprenant du PS de se retran-cher derrière la Meuse avec leCDH montre que ce n’est pasimpossible. La coalition sué-doise semble décidémentpleine de promesses.

—Bart SturtewagenPublié le 26 juillet

ÉditoNucléaire :à quoi joue-t-on ?●●● Passera-t-on une partiede l’hiver prochain dans lenoir ? Certes, nous n’ensommes pas encore là maisla fermeture de Doel 4, auminimum jusqu’à la fin decette année, place laBelgique dans une situationde très grande vulnérabilitéénergétique, inimaginable il ya quelques semaines encore.Avec Tihange 2 et Doel 3,toujours à l’arrêt en raison dela découverte demicrofissures et dont l’avenirreste très incertain, c’estdonc la moitié du parcnucléaire du pays qui estactuellement… débranchée.Un cas de figure inédit quialimente bien des craintessur notre approvisionnementénergétique quand lestempératures vontcommencer à baisser.On pourra toujours dire quec’est “la faute à pas dechance” ou parlerd’“événementsimprévisibles”, comme l’a faitCatherine Fonck, secrétaired’Etat à l’Energie. Ou affirmerqu’il s’agit de problèmestechniques dans le cas deTihange 2 et de Doel 3, là oùl’hypothèse d’un sabotage estévoquée pour Doel 4. Maiscette série noire nucléaire“made in Belgium” – quilaissera des traces sur unefilière qui n’a pas toujoursbrillé par sa transparence –traduit une réalité et unconstat.La réalité: le nucléaire, s’ilnous procure une autonomieénergétique contrairement àd’autres sources d’énergiecomme le gaz, reste uneindustrie en fin de comptevulnérable. Le constat:l’incapacité de nosgouvernements successifsces dernières décennies àélaborer une stratégieénergétique visionnaire etcohérente, à anticiper unetransition énergétique dignede ce nom.En 2003, le gouvernement del’époque annonçait la sortiedu nucléaire. D’ici quelquessemaines, s’il voit le jour, legouvernement “suédois”pourrait prolonger la vie descentrales. Avant d’éventuellescoupures de courant donccet hiver.Mais à quoi joue-t-on?

Anvers, la Flandreet demain, la Belgi-que. Voilà le plan.Si la victoire finalevous est acquise, ilserait stupide de lamettre en péril parun excès de hâte.

“La Flandre va-t-elle devenir unesorte de Bavièrede la Mer du Nordavec une CSU in-déboulonnablecombinant valeursconservatriceset patriotisme ré-gional à une politi-que économique àla fois innovante etlibérale ?”

↓ Dessin de Clou paru dans La Libre Belgique.

Vincent SlitsLa Libre Belgique

Publié le 16 août

Courrier international – n° 1242 du 21 au 27 août 2014 25

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II. Courrier international — no 1242 du 21 au 27 août 2014

Immigration. Frontex, la machine à refouler les pauvresInstallée à Varsovie, l’agence européenne de surveillance des frontières extérieures de l’UE déploie des prouesses techniques pour contrôler l’immigration. Dans le respect du droit, mais sous une pluie de critiques.

—Süddeutsche Zeitung (extraits) Munich

Quand Manuel Mohr regarde l’Europe depuis le Centre de surveillance de l’agence

Frontex [très précisément Agence européenne pour la gestion de la coopération opérationnelle aux frontières extérieures], il voit s’afficher sur la carte du bassin méditerranéen qui apparaît sur un moniteur géant une multitude de petits points verts. Il y en a tout le long de la côte turque et de la fron-tière gréco-bulgare. Et ils s’agglu-tinent par dizaines pour dessiner une tache compacte entre la Libye et la Sicile, autour de Lampedusa.

C’est l’image d’un continent qui se sent assiégé. Une terre promise pour ceux, de plus en plus nom-breux, qui veulent y entrer. “Ce sont les incidents survenus au cours des six dernières semaines, depuis le lancement de l’opération Hermès”, explique M. Mohr, envoyé ici il y a trois ans par la police allemande. Il est directeur des interventions du Centre, responsable de la commu-nication entre Frontex et les zones d’intervention. “Incidents”, c’est ainsi qu’on parle ici des étrangers qui essaient de franchir clandesti-nement les frontières de l’Europe. Sur son ordinateur, qui affiche la même image que celle du moni-teur géant, M. Mohr peut zoomer sur chacun de ces points, comme sur Google Earth. Quand il clique sur l’un d’eux, une petite fenêtre s’ouvre qui détaille l’incident : 24 réfugiés appréhendés sur un bateau, avec date, lieu et natio-nalité des personnes à bord. Les gardes-frontières présents sur place entrent toutes ces don-nées dans un logiciel, le plus sou-vent dans un délai de quelques heures après l’intervention. Ainsi, M. Mohr, à Varsovie, est constam-ment au courant de ce qui se passe aux frontières de l’Europe.

Le Centre de surveillance, en anglais situation room, se trouve au 22e étage d’un gratte-ciel de verre de la capitale polonaise. C’est une salle sans fenêtres qui baigne dans la lumière bleue des écrans. Cinq ou six fonctionnaires y travaillent en silence. Le Centre est l’œil de Frontex, le système d’alarme de l’Europe. C’est là que convergent, outre les données des services de renseignements et d’Europol, qui sont directement connectés, toutes les informations sur ce qui se passe à ses frontières : rapports, profils des migrants, prévisions météo-rologiques et bien d’autres choses

encore. Et c’est de là que l’Europe prospère organise sa stratégie de défense contre l’assaut des pauvres.

Bien sûr, il existe une politique européenne d’accueil des réfugiés. Les portes de l’Europe doivent rester ouvertes aux personnes chassées de leurs pays par les guerres civiles et les dictatures. Il existe des directives sur l’admis-sion, les procédures et les critères de qualification, et la Convention européenne des droits de l’homme. Ça, c’est la théorie.

Réponse technique. Et puis il y a la pratique. Tom Koenigs, député vert au Bundestag et président de la Commission des droits de l’homme, explique : un Afghan a 1 % de chances d’obtenir le statut de demandeur d’asile en Grèce contre 90 % en Allemagne. On sépare des familles et on jette des individus en prison, avant de les relâcher arbitrairement ou de les reconduire de force à la frontière. L’Europe a un problème avec l’immigration. Et sa solution consiste à déployer un appareil de surveillance de plus en plus important. Une réponse technique.

“Plus on a d’informations, mieux on connaît la situation, et mieux on connaît la situation, plus on est efficace”, résume M. Mohr. Il doit savoir où s’ouvrent de nouvelles failles, quels itinéraires suivent les bateaux, à quels endroits les gardes-frontières ont besoin de renforts. L’agence Frontex a vu le jour en 2004 sur une décision du Conseil européen, pour faire face aux nouvelles difficultés engen-drées par les accords de Schengen. Avec la disparition des contrôles aux frontières intérieures de l’Union, la protection des fron-tières extérieures est tout à coup devenue l’affaire des Etats péri-phériques. Une bonne chose pour des pays comme l’Allemagne, qui n’ont pas de frontière extérieure, une mauvaise pour la Grèce, l’Es-pagne ou l’Italie.

Selon sa mission officielle, Frontex est là pour prêter main- forte aux Etats frontaliers par-ticulièrement touchés par la criminalité comme le trafic d’êtres humains ou la contrebande, mais surtout par la “pression migratoire”.

unioneuropéenne

Ici, l’Europe prospère s’organise contre l’assaut des pauvres

↙ Dessin de Vlahovic, Serbie

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UNION EUROPÉENNECourrier international — no 1242 du 21 au 27 août 2014 III

En cas de besoin, l’Agence leur envoie des renforts : des gardes-frontières d’autres Etats de l’UE, des avions ou des appareils de surveillance. A sa naissance Frontex comptait une vingtaine d’employés, aujourd’hui ils sont plus de 300 – essentiellement des membres de la police des frontières d’autres pays membres. Ils dirigent les interventions et élaborent des “analyses des risques” approfondies pour anticiper les incidents à venir. Il faut dire que le monde a beau-coup bougé depuis 2004 : la chute de Kadhafi, le “printemps arabe” et la guerre civile en Syrie n’ont fait qu’aggraver la situation aux frontières méridionales de l’Eu-rope. Cette année, entre janvier et mai, 40 000 personnes sont arri-vées en Italie par voie maritime. Cela explique que, pour Frontex, la protection des frontières soit depuis longtemps synonyme de lutte contre l’immigration.

Cynisme. Et cela explique aussi que les critiques à l’égard de l’agence vont bon train. Pour les organisations de défense des droits de l’homme, Frontex est l’instru-ment d’une politique cynique de repli sur soi. Une politique qui veut surveiller à outrance mais hors de tout contrôle. D’où les appels répétés à la suppression pure et simple de Frontex.

Pour pénétrer dans les bureaux de l’agence, qui occupent le 22e étage ainsi que les 4 étages supérieurs d’une tour du quartier d’affaires de Varsovie, il faut aussi franchir une frontière : scanner corporel, scanner des sacs, por-tique de détection et gardien de sécurité discret.

Au cours de notre entretien, M. Mohr parle des “produits” que son service “fabrique” : états des lieux, analyses et rapports. Et d’Eurosur, le tout nouveau réseau européen de surveillance, vers lequel affluent les données inter-nationales de navigation en mer, celles des drones, des radars et des capteurs de mouvement. Ainsi, tous les centres de surveillance des Etats membres ont la même image sur leurs moniteurs. Et l’Eu-rope va un peu plus loin dans son combat contre ceux qui veulent y mettre un pied sans en avoir le droit. L’image doit être plus pré-cise, toujours plus précise. La fron-tière parfaite est celle que l’on contrôle à 100 %.

M. Mohr ne souffle mot des actions de push-back, qui consistent à refouler illégalement les migrants

à proximité de la frontière, en haute mer, et qui valent de plus en plus de critiques à Frontex. Mais il suffit de jeter un œil au tableau d’affichage qui se trouve derrière lui pour voir qu’il est parfaitement au courant de ce qui se passe. A quoi servirait sinon cette petite note : préférer “renvoi non résolu” à “push-back”, remplacer “barrière” par “obstacle technique” et “dissua-sion” par “prévention”. Frontex a parfaitement conscience de sa mauvaise image de marque. Alors, on souhaite au moins faire dispa-raître les expressions qui fâchent.

“Les migrants que nous inter-ceptons sont les grands perdants de l’Histoire”, explique Klaus Rösler, quinquagénaire aux lunettes rec-tangulaires et aux tempes large-ment dégarnies. “Mais, si on ne fait rien, on encourage les passeurs. C’est facile de montrer du doigt la police des frontières. Nous ne fai-sons qu’appliquer le droit européen.”

Le bureau de Klaus Rösler compte plusieurs cartes de l’Eu-rope. Son badge professionnel est collé sur l’une d’elles – juste à l’endroit où se trouve Munich. Originaire de Franconie, il a tra-vaillé quarante ans pour la police fédérale, en dernier à Munich, avant d’intégrer Frontex, en 2008. Il dirige les services opérationnels, dont fait aussi partie le centre de M. Mohr. C’est sous la direction de M. Rösler que se déroulent les patrouilles que Frontex mène conjointement avec les gardes-frontières des Etats méditerra-néens. Ces interventions portent les noms de Poséidon, Héra, Nautilus, Hermès. Le lieu des interventions, Frontex le définit à partir de ses analyses des risques. “On ne peut se limiter à attendre qu’un Etat membre appelle à l’aide, explique M. Rösler. Nous devons savoir précisément où notre sou-tien est nécessaire, et surtout où il est le plus efficace.” Efficace – c’est un mot qu’on entend souvent ici.

Ces temps-ci, le gros problème de Frontex, c’est la Libye. Les 2 000 kilomètres de côtes de ce pays instable ne sont quasi-ment plus contrôlés. D’où cette ribambelle de points verts entre la Sicile et la Libye sur les cartes, où Frontex suit l’avancée de l’opé-ration Hermès, baptisée du nom du dieu de la mythologie grecque protecteur des voleurs, mais aussi des voyageurs et du commerce.

Frontex, un dieu protecteur ? Béatrice Comby, directrice du service de développement des capacités, ne semble pas y voir

de contradiction. Rien qu’en 2013, Frontex a participé au sauvetage de 37 000 personnes en mer, rap-pelle-t-elle. Cette Française est chargée de fournir le personnel et les équipements adéquats pour les interventions.

Le fait est que le droit maritime et le droit international obligent les gardes-frontières à porter immé-diatement secours à toute per-sonne en détresse en mer et à l’amener au port le plus proche. Or, dans la pratique, cela signifie que bon nombre de migrants se font automatiquement reconduire à la case départ. Ou bien à un endroit où leur vie est menacée. Dans la guerre que mène l’Europe contre l’immigration clandestine, le droit en vigueur fait souvent l’objet d’in-terprétations diverses. C’est pour-quoi les opérations de Frontex sont soumises depuis cet été à une nou-velle réglementation européenne : les migrants en détresse en mer ne peuvent être ramenés que dans l’Etat européen au large duquel l’opération a eu lieu.

Institution boiteuse. Aussi les gardes-frontières jouent-ils de plus en plus souvent le rôle de sauve-teurs en mer. Parfois même d’al-liés malgré eux des passeurs les plus cyniques. “Comme presque tous les bateaux de migrants sont surchargés, et partant considérés comme inaptes à la navigation, nous venons à leur secours dès que nous les repérons, poursuit Béatrice Comby. C’est automatique, les pas-seurs libyens l’ont bien compris.” Et ils font valoir ces bons auspices aux candidats réfugiés.

“Frontex est une institution boiteuse”, explique [le député au Bundestag] Tom Koenigs, “parce qu’on n’ose pas prendre la respon-sabilité de protéger les migrants et qu’on se limite à protéger les fron-tières.” Après des années de cri-tiques, depuis quelque temps, la hiérarchie de Frontex parle beaucoup de droits de l’homme. Auparavant, l’agence mettait en avant l’efficacité de son travail en publiant régulièrement les chiffres des migrants refoulés. Maintenant, elle préfère parler du nombre de personnes sauvées en mer.

“Aujourd’hui, Frontex se pré-sente comme une organisation qui

distribue des couvertures et sauve des vies”, commente Hagen Kopp, du réseau d’aide aux migrants Welcome to Europe. En vérité, le but passé et présent de Frontex reste de mettre en place une machine à refouler les migrants aussi efficace que possible – et pas uniquement aux frontières exté-rieures de l’Europe.

Droit et non-droit. Frontex coordonne également la déporta-tion des migrants qui, selon le droit de l’UE, se trouvent illégalement sur le territoire des Etats membres. Les personnes sont rassemblées dans des centres de rétention dans les aéroports et renvoyées par char-ter vers un Etat tiers. Des vols à destination de la Serbie et de la Macédoine partent régulièrement de l’aéroport de Düsseldorf. Grâce au lobbying acharné d’organisa-tions humanitaires comme Pro Asyl et Amnesty International, Frontex a intégré le principe des droits de l’homme et du droit à la protection des étrangers en situa-tion d’expulsion.

“La mer Egée est devenue une zone de non-droit”, déplore Karl Kopp, de Pro Asyl. L’ONG allemande a rapporté 2 000 cas de push-back illégaux dans la région au cours de l’année 2013. Mais Frontex ne se salit pas les mains : l’agence se présente comme un presta-taire de services propre et “laisse le sale boulot aux gardes-frontières grecs et à leurs méthodes de Rambo”.

L’année dernière, le Conseil des ministres et le Parlement européen ont flanqué Frontex d’une res-ponsable des droits de l’homme. Inmaculada Arnaez est une avocate basque, de petite taille, mais à l’air résolu, et qui n’hésite pas à haus-ser le ton. Elle a précédemment travaillé pour l’ONU et l’OCDE. En Colombie, elle a défendu des opposants politiques persécutés et aidé des ONG à rechercher des personnes disparues. Le fait que Frontex soit la bête noire de bien des ONG ne la refroidit pas : “On ne peut changer les choses que de l’in-térieur, en s’impliquant dans les ins-titutions. C’est plus efficace que de rester en dehors et de se contenter de critiquer.” Inmaculada Arnaez éla-bore les directives pour les opé-rations de Frontex et forme les gardes-frontières qui y participent. Sa mission : les sensibiliser à l’as-pect humain de leur travail.

C’est une femme pragmatique qui ne voit aucune raison pour ne pas être présente sur les vols où Frontex pratique les expulsions

de masse. Ce n’est pas elle qui est responsable des lois qui sont mises en pratique ici. Mais elle veut s’as-surer que les personnes expulsées sont traitées avec dignité et res-pect, en recourant aussi peu que possible à la force.

Reste à savoir comment tout cela se concilie avec l’esprit euro-péen. Ou bien celui-ci s’arrête- t-il aux frontières de l’UE ? “Nous avons créé des monstres à nos fron-tières et Frontex en est un”, dénonce Tom Koenigs. Pour Karl Kopp, Frontex montre à quel point la politique européenne de l’immi-gration est désastreuse – et à quel point la communauté européenne est incapable d’assumer sa respon-sabilité : “Rien que le mot ‘agence’ est un cache-sexe, une manière de dire que Frontex se limite à un tra-vail de coordination.” Le fait est que “la communauté des Etats euro-péens a décidé de ne pas supprimer les contrôles à ses frontières exté-rieures”, souligne Klaus Rösler, de Frontex, “et de lutter contre toute action illégale. Entrer clandestine-ment sur le territoire en fait partie.”

Ainsi tout le monde conti-nue de faire son boulot : les pas-seurs en Afrique, les gardes-côtes en Méditerranée, les gardes- frontières aux frontières des Etats membres et les fonction-naires de Frontex à Varsovie. Les petits points verts sur les écrans de Manuel Mohr ont de beaux jours devant eux.

—Thomas Bärnthaler et Malte Herwig

Publié le 4 juillet

En 2004, Frontex comptait 20 employés. En 2014, ils sont 300.

SOURCE

SÜDDEUTSCHE ZEITUNGMunich, AllemagneQuotidien, 413 000 ex.www.sueddeutsche.de“Numéro un des journaux ‘suprarégionaux’ de qualité”, comme elle se présente elle-même, la Süddeutsche est la grande voix libérale non seulement de la Bavière, mais de toute l’Allemagne. Généraliste, attachée aux valeurs de la démocratie et de l’état de droit, elle informe avec sérieux, contribue au débat d’idées avec passion et offre un supplément week-end qui fait une large place au reportage.

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LA COURSE AUX ÉTà la une

Dans le club très restreint des puissances spatiales, une révolution est en cours. Elle vient de Chine, d’Inde, des Emirats arabes unis. Des nations qui ont soif d’espace. Il y a seulement

quelques décennies, Américains, Russes et Européens se partageaient le ciel, mais il est désormais impossible de faire des projets à long terme sans la Chine (p. 27). En septembre, l’Inde mettra

en orbite autour de Mars son propre satellite d’observation, pour un coût équivalent à seulement un dixième du programme de la Nasa (p. 30). Face à ces nouvelles puissances spatiales,

de jeunes entreprises privées aux grandes ambitions, comme l’américaine SpaceX, mettent en œuvre leurs propres programmes (p. 32). Ce volet de la guerre des étoiles ne fait que commencer.

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Un marché en orbite haute

La Chine accélère comme une fuséeLe programme spatial chinois n’est pas une pâle et tardive copie de ce qui a déjà été fait. Le pays ne cesse de développer des technologies de pointe.

—New Scientist (extraits) Londres

L e 14 décembre 2013, sur les grands réseaux sociaux chinois, la majorité des commentaires parlaient d’une émission télévisée populaire et d’un match de football. Et, s’il n’y avait pas eu d’effort concerté de la part des médias d’Etat, l’observateur lambda n’aurait peut-

être jamais su que la Chine venait tout juste de devenir le troisième pays au monde à réussir à poser une sonde sur la Lune.

La nouvelle a été froidement accueillie. Après tout, l’alunissage du robot lunaire Yutu, alias “Lapin de jade”, sur le plus proche voisin de la Terre est un exploit que d’autres nations ont accompli il y a déjà plusieurs décennies. “Nous n’accusons plus que cinquante ans de retard par rapport à la Russie et aux Etats-Unis”, a fait remarquer, sarcastique, un commentateur sur Weibo, le Twitter chinois. “Les concepteurs chinois ont un petit retard à rattra-per”, a écrit un autre, avant d’exprimer ses craintes que sa blague ne lui vaille d’être emprisonné.

Mais le manque d’enthousiasme des Chinois n’est rien par rapport à l’indifférence générale du reste du monde. La mission est considérée comme une simple tentative de refaire ce que les autres puissances spatiales mondiales ont accompli il y a déjà plusieurs décennies.

En fait, tout le monde est passé à côté de l’im-portance réelle de cette mission. Le lancement et l’alunissage réussis de Lapin de jade mettent en évidence l’ascension fulgurante de la Chine dans le domaine spatial, une ascension qui ne pourra que s’accélérer. Pour Dean Cheng, de la Heritage Foundation, un groupe de réflexion conservateur basé à Washington DC, “il s’agit d’une illustration

classique de la fable du lièvre et de la tortue”. Autrement dit, la Chine est une force que les autres super-puissances spatiales ne devraient pas ignorer. Elle a développé le réseau de communications sophis-tiqué ayant servi à guider le rover vers sa destina-tion, elle dispose d’une technologie satellitaire qui suscite l’envie d’autres nations, et elle a élaboré des plans pour la construction d’une nouvelle station spatiale internationale. Au final, le programme spa-tial chinois devrait avoir des répercussions dans tous les domaines, depuis les paramètres de votre téléphone mobile jusqu’aux premières empreintes humaines qui pourront être observées sur Mars.

Il suffit d’observer l’évolution de la technolo-gie satellitaire chinoise pour avoir une idée de l’efficacité de ce programme en pleine expan-sion. En 1970, la Chine a commencé à lancer, au rythme d’un par an, des transpondeurs de faible qualité et des satellites-espions rudimentaires capables d’accomplir des tâches très simples. En 2012, le pays a dépassé les Etats-Unis en réali-sant 19 lancements pour cette seule année. Il a aussi, la même année, envoyé son premier astro-naute dans l’espace, effectué sa première sortie spatiale et réussi un premier amarrage spatial entre un vaisseau et un module laboratoire. “Le programme chinois de vols habités progresse beau-coup plus vite que celui des Etats-Unis dans les années 1960”, constate Richard Holdaway, directeur de la division de recherche spatiale du Rutherford Appleton Laboratory (RAL), l’un des principaux collaborateurs du programme spatial chinois au Royaume-Uni. “La Chine rattrape les autres puis-sances à un rythme stupéfiant.”

“D’ici quinze ans, les Chinois seront des acteurs majeurs du domaine”, renchérit Jonathan

OILES

●●● Le 6 août, la sonde Rosetta, envoyée dans l’espace il y a plus de dix ans, s’est placée correctement en orbite autour d’une comète à plus de 400 millions de kilomètres de la Terre. Techniquement et médiatiquement c’est un succès, mais ce type de mission d’exploration des confins de l’Univers ne constitue pas l’essentiel des programmes spatiaux. Le cœur de ce secteur, c’est le lancement de satellites qui viennent se positionner en orbite autour de notre planète. Selon l’Union of Concerned Scientists, un groupe de réflexion américain indépendant, 1 085 satellites opérationnels gravitent actuellement autour de la Terre. Parmi eux, 59 % sont à usage de communication (téléphonie, Internet, télévision, etc.), près de 14 % ont vocation à observer la planète, son atmosphère, et à effectuer des mesures météorologiques, 8 % sont des satellites de navigation de type GPS (Global Positioning System) et 7 % sont dédiés à la surveillance militaire.

Le rythme des lancements ne cesse de s’accélérer. Selon le cabinet de conseil spécialisé dans l’industrie aérospatiale Euroconsult, 1 150 satellites devraient être lancés entre 2013 et 2022. D’après l’étude d’Euroconsult, 15 pays, dont les Etats-Unis, la Chine, la Russie, le Japon, la France, l’Italie et le Royaume-Uni, se partageront 90 % des commandes. Pour aller se placer en orbite, ces engins ont besoin de “transporteurs”, c’est-à-dire de fusées, aussi appelées lanceurs, qui permettent aux satellites de quitter le sol et qui les “lâchent” au plus près de leur orbite définitive. Chaque fusée est à usage unique. Une fois lancée et débarrassée de sa charge, elle se désintègre dans l’atmosphère. Pour le moment. Car certaines sociétés, comme l’américaine SpaceX, planchent actuellement sur des éléments de lanceurs réutilisables afin d’économiser sur les coûts de fabrication (lire page 32).

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← Les trois taïkonautes, au retour d’un voyage de quinze jours dans l’espace, reprennent contact avec le sol chinois, le 26 juin 2013. Photo Chinafotopress/Getty Images

SUR NOTRE SITE courrierinternational.com

A consulter également : la population spatiale et l’infographie interactive du site Nefarious Plot.

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LA COURSE AUX ÉTOILES.Courrier international – n° 1242 du 21 au 27 août 2014 29

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1980

1984

2003

2007

La longue marche vers le cielLe programme spatial chinois ressemble à la fable du lièvre et de la tortue. Après un démarrage lent, le pays a progressé de façon exponentielle depuis les années 2000 et pourrait bientôt dépasser les capacités d’autres nations.

Orbiteterrestre

Orbitegéostationnaire

Orbitelunaire

LUNE

CRÉATION DU PROGRAMME SPATIAL CHINOIS

LANCEMENT DU PREMIER SATELLITE,

DONG FANG HONG 1

LANCEMENT DU PREMIER SATELLITE GÉOSTATIONNAIRE DE COMMUNICATION

LA CAPSULE SPATIALE SHENZHOU 5 PARVIENT À ENVOYER UN TAÏKONAUTE EN ORBITE TERRESTRE

CHANG’E 1, PREMIER ORBITEUR LUNAIRE SANS ÉQUIPAGE, ATTEINT LA LUNE

Collaborationavec l’ESA

LANCEMENTDE LA STATION

SPATIALE

CHANG’E 5(PRÉLÈVEMENT

D’ÉCHANTILLONS LUNAIRES)

LANCEMENT DU LABORATOIRE SPATIAL TIANGONG-2

CHANG’E 3 ALUNIT ET DÉPOSE LE ROVER

“LAPIN DE JADE”

MISE EN PLACE DE BEIDOU*

* Système de navigation par satellite concurrent du GPS américain. ** Lancé en 2008.

Les distances des orbites par rapport à la Terre ne sont pas à l'échelle.

3 TAÏKONAUTES PASSENT 10 JOURS DANS LE LABORATOIRE SPATIAL TIANGONG-1

SJ-12 VIENT “POUSSER” UN AUTRE SATELLITE** ET LE FAIT SORTIR DE SA TRAJECTOIRE

CHANG’E 2 (2e MISSION LUNAIRE, IMAGES HD DU SATELLITE)

COURRIER INTERNATIONAL SOURCES : “NEW SCIENTIST”, AGENCE SPATIALE CHINOISE

McDowell, du Harvard-Smithsonian Center for Astrophysics, à Cambridge (Massachusetts). Et ils auront réussi cet exploit avec très peu de moyens fi nanciers. Selon une récente estimation réalisée par la Space Foundation, une organisa-tion à but non lucratif basée à Colorado Springs, le budget spatial de la Chine représente moins d’un dixième de celui des Etats-Unis.

Comment expliquer cette évolution rapide ? Une première réponse, un tantinet sévère, est que les autres nations ont déjà tracé la voie et réglé une grande partie des problèmes. “Les Américains et les Soviétiques ont dû résoudre des questions vitales – ce que respireraient les astronautes, par exemple, la quantité d’oxygène, la quantité d’azote, rappelle Dean Cheng. Et la Chine peut aujourd’hui tirer profi t de tout ce qui a été découvert et rendu public.”

Ses propos refl ètent la perception largement répandue selon laquelle le progrès technologique

de la Chine est essentiellement fondé sur les idées des autres – qu’elles aient été données librement ou non. Du coup, on croit l’empire du Milieu inca-pable d’innovation.

Mais, quand on observe la situation de plus près, on constate que ce tableau est incomplet. Certes, la capsule spatiale chinoise Shenzhou est presque identique au vaisseau russe Soyouz. Eff ectivement, les taïkonautes portent, sous leur scaphandre spa-tial chinois, une combinaison pressurisée fabri-quée en Russie. Et oui, Lapin de jade semble être une version améliorée de Lunokhod 2, un robot soviétique qui a aluni en 1973.

Mais ces ressemblances s’expliquent en grande partie par la signature, au milieu des années 1990, d’un contrat pour l’acquisition d’une grande quan-tité de matériel russe destiné aux vols habités – des équipements auxquels la Chine a apporté des améliorations importantes. La capsule Shenzhou

est ainsi 30 % plus grande que Soyouz et elle est équipée de panneaux solaires et de systèmes avio-niques et électroniques plus sophistiqués. “C’est un peu comme si la Chine avait développé la nouvelle génération de Soyouz”, commente Leroy Chiao, un ancien astronaute américain.

Des ressources immenses. Par ailleurs, dans d’autres domaines, la Chine a rapidement devancé les autres pays grâce à la recherche fondamen-tale. Les scientifi ques chinois ont par exemple dû trouver le moyen de rendre le rover résistant à la poussière lunaire – une substance incroya-blement abrasive, fi ne et collante qui avait failli entraîner l’échec des missions Apollo – pour qu’il puisse se déplacer. Pour pouvoir tester des proto-types de véhicules lunaires sans demander l’aide des autres puissances spatiales, ils ont donc déve-loppé leur propre poussière lunaire à partir d’un tout petit échantillon de roche lunaire acheté aux Américains plusieurs décennies plus tôt, raconte Yongchun Zheng, planétologue à l’Aca-démie chinoise des sciences, à Pékin.

La technologie des fusées a évolué de la même façon. Les fusées Longue Marche, développées par la Chine, sont rapidement devenues plus sophistiquées que les fusées russes, qui n’ont que très peu changé au fi l des ans et qui fonc-tionnent essentiellement au kérosène, un car-burant facile à utiliser mais qui off re moins de puissance. Le lanceur Longue Marche 3, qui a permis d’envoyer Lapin de jade sur la Lune, uti-lise un mélange plus sophistiqué, à base d’hy-drazine et de peroxyde d’azote. Pour McDowell, “il s’agit d’un carburant puissant avec lequel il n’est pas facile de travailler, et les Russes ne s’y sont pas risqués. […] C’est une performance technologique.”

L’histoire pourrait se terminer là. Mais le pro-gramme spatial chinois ne se limite pas à l’en-voi de véhicules sur la Lune. La Chine développe également toute une série de systèmes – logi-ciels, satellites et infrastructures de communi-cations. Le but ? Acquérir une autonomie totale en matière spatiale.

Le pays cherche par exemple à s’aff ranchir du réseau d’antennes de l’espace profond de l’Agence spatiale européenne (ESA), utilisé pour commu-niquer avec ses sondes lors de missions de mise en orbite lunaire. Une étape qui pourrait bien-tôt être franchie.

La navigation par satellite fait l’objet d’un défi du même ordre, et la Chine est à mi-parcours pour la mise en place de Beidou, sa réponse au système de navigation par satellite GPS. En février der-nier, le pays avait déjà eff ectué 15 lancements de satellites de navigation, soit près de la moitié des 35 prévus d’ici à 2020.

C’est précisément dans le domaine de la tech-nologie satellite que la Chine tire vraiment son épingle du jeu. En 2010, le pays a démontré qu’il était capable de manœuvres de précision en orga-nisant la rencontre de deux satellites dans l’es-pace. Les deux engins sont brièvement entrés en contact, avant de poursuivre leurs trajec-toires respectives. “C’est une chose d’arriver à toute vitesse et de rebondir contre l’autre satellite ou de le détruire, c’en est une autre de réussir un rendez-vous spatial sans dommages. Il faut une technologie de pointe et des compétences de très haut niveau”, rappelle Dean Cheng. Un satellite

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Courrier international – n° 1242 du 21 au 27 août 201430.

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[capable de manœuvres] aussi sophistiquées pourrait servir à réparer les satellites vieillis-sants, les empêchant du même coup de devenir des débris spatiaux, et il pourrait même parve-nir à assembler une nouvelle station spatiale.

D’ici à 2015, un deuxième laboratoire spatial sera déployé en orbite terrestre basse à l’aide de la fusée Longue Marche 5, un lanceur de der-nière génération capable de placer en orbite 600 kilos de plus que la défunte navette spa-tiale américaine. Une station spatiale chinoise (CSS) sera par ailleurs assemblée d’ici à 2020. Les étapes suivantes, d’après un rapport publié par l’Académie chinoise des sciences, sont la création d’une base lunaire habitée – un objec-tif que Richard Holdaway considère comme rai-sonnable –, l’envoi d’une mission humaine sur Mars et le développement de l’exploration pla-nétaire robotique d’ici à 2050.

Ces objectifs peuvent sembler irréalistes pour un pays qui n’a pas encore mis le pied sur la Lune. Mais la longue marche de la Chine n’est pas la seule raison qui permette de croire que sa feuille de route est réalisable : le pays possède deux res-sources avec lesquelles aucune autre nation ne peut rivaliser. “Un quart de million de personnes travaillent sur le programme spatial chinois”, rap-pelle Richard Holdaway. Et ces scientifiques et ingénieurs sont jeunes, renchérit Gregory Kulacki, un expert de la Chine au sein de la Union of Concerned Scientists, [un groupe de réflexion américain indépendant] basé à Washington DC. “L’âge moyen se situe quelque part entre 30 et 35 ans, soit 20 ans de moins que dans les programmes spa-tiaux des autres pays”, a-t-il dit, faisant un paral-lèle avec la culture jeune et idéaliste qui régnait à la Nasa dans les années 1960.

Les réussites actuelles et futures de la Chine reposent aussi sur sa capacité unique à garder le cap. Une continuité assurée par son régime de parti unique. “Les Chinois ont un plan à long terme et sont prêts à y consacrer pas mal de ressources, résume Dean Cheng. Nous devons nous attendre à ce qu’ils nous dépassent un jour ou l’autre.”

Mais le principal catalyseur de l’innovation chinoise a probablement été l’exclusion du pays des projets internationaux. La Chine, longtemps interdite d’accès à la Station spatiale internatio-nale (ISS), a développé des plans pour la construc-tion de sa propre station. Et ce n’est qu’après que l’Union européenne a mis fin à la participation chinoise au projet Galileo – le rival européen du GPS – que la Chine a réellement commencé à tra-vailler sur Beidou et développé ses satellites. “Ils ont décidé de ne dépendre que de leur propre techno-logie, et finalement ils ont progressé plus rapidement à cause des sanctions”, résume Gregory Kulacki.

Cavalier seul. Dans le même temps, on assiste à un déclin des capacités des puissances spatiales existantes. Et par ailleurs les infrastructures spa-tiales européennes et américaines commencent à se faire vieilles. Afin d’atteindre ses objectifs, l’ESA envisage aujourd’hui de collaborer avec la Chine dans le domaine des vols habités. “Nous avons actuellement trois ou quatre astronautes et forma-teurs d’astronautes qui suivent des cours de langue”, indique Thomas Reiter, directeur des vols habi-tés et des opérations de l’ESA. “Nous prenons des mesures pour intensifier nos liens avec l’Agence spa-tiale chinoise.”

Quels seraient pour la Chine les avantages de cette collaboration ? Après plusieurs décennies d’exclusion, il se pourrait en effet que le pays pré-fère continuer à faire cavalier seul. “Il n’est pas cer-tain que la Chine souhaite collaborer avec nous. Il se peut que nous n’ayons pas grand-chose à offrir vu l’interruption du programme américain de vols habi-tés”, craint Dean Cheng. Une collaboration avec la Russie semble aussi peu attractive. En 2011, la Russie a lancé, dans le cadre de la mission Phobos-Grunt, une sonde spatiale chinoise à destination de Mars, mais celle-ci n’a même pas atteint l’or-bite terrestre. “Pour les Chinois, il s’agissait d’un projet de prestige offrant une grande visibilité. Et il a échoué à cause des Russes”, indique Dean Cheng.

Les changements survenus dans les rapports de forces entre les puissances spatiales pourraient

en fait avoir des conséquences inattendues. Le Pentagone a récemment reconnu que le comman-dement militaire américain en Afrique dépen-dait maintenant d’un satellite chinois pour ses communications. De nombreuses applications commerciales vont elles aussi bénéficier du déve-loppement des satellites chinois, notamment les smartphones, qui peuvent déjà utiliser le système GPS et son équivalent russe, Glonass, comme solu-tion de remplacement en cas de dysfonctionne-ment. Beidou serait une troisième option offerte aux utilisateurs. Et selon un nombre important de constructeurs automobiles serait en train d’équi-per leurs systèmes pour qu’ils puissent accéder à Beidou en cas de défaillance du GPS.

Par ailleurs, les satellites météorologiques amé-ricains vieillissent – un sujet abordé anxieuse-ment chaque année par le Congrès. L’an dernier, un rapport gouvernemental controversé a conclu que la meilleure solution était de se tourner vers la Chine pour obtenir de l’aide.

La domination de la Chine dans le domaine spa-tial pourrait aussi avoir d’autres répercussions. Elle pourrait notamment pousser d’autres pays à investir dans des programmes spatiaux qui, pour l’heure, demeurent peu ambitieux. A l’occasion d’une conférence spatiale qui s’est tenue le 9 jan-vier, peu de temps après l’alunissage de Lapin de jade, l’administration américaine a annoncé que le financement accordé à l’ISS avait été renouvelé pour quatre années supplémentaires. Leroy Chiao [qui a volé sur plusieurs navettes américaines et a séjourné sur l’ISS en 2004] est convaincu que le spectre de la station spatiale chinoise les a pous-sés à ne pas annuler le versement annuel de 3 mil-liards de dollars. “On craignait d’être mis sur la touche alors que tous nos partenaires se mettraient à travailler avec la Chine”, explique-t-il.

Mais la conséquence la plus utopique des ambi-tions spatiales de la Chine est sans doute la prise de conscience renouvelée du fait que l’espace n’est pas divisé en fonction des frontières nationales. Lors de la conférence du 9 janvier, le secrétaire d’Etat adjoint américain William J. Burns a annoncé la création d’une feuille de route internationale visant à unir les efforts des diverses agences spa-tiales nationales. “Il n’a pas dit ‘à l’exception de l’agence chinoise’”, souligne Chiao. Détail subtil mais significatif, note-t-il. Cette feuille de route permettra le développement de projets à long terme généralement considérés comme trop coû-teux pour être mis en œuvre par des gouverne-ments individuels, notamment le lancement de vols habités pour explorer la surface de Mars ou la création d’un bouclier antiastéroïdes, a détaillé Burns. Ce qui est certain, rappelle le Britannique Richard Holdaway, c’est qu’aucun de ces objec-tifs ne pourra être atteint sans le concours de la Chine. “Les Etats-Unis n’ont pas à eux seuls les moyens d’envoyer une mission sur Mars – pas plus que l’ESA d’ailleurs. Je crois qu’ils engageront bien-tôt le dialogue avec la Chine au sujet d’une poten-tielle mission habitée internationale à destination de la planète rouge”, a-t-il dit.

Il n’y a rien d’impossible. Comme le rappelle Leroy Chiao, la collaboration entre la Russie et les Etats-Unis était elle aussi considérée comme impensable jusqu’à ce qu’elle se produise.

—Phil McKennaPublié le 15 février

A la une

UN PASSEPORT POUR L’ESPACE“L’ultime frontière sera accessible aux touristes dès la fin de l’année”, indique en couverture de son numéro du 7 avril le supplément Money du South China Morning Post. Parmi ces “envahisseurs de l’espace”, qui profiteront des vols proposés par Virgin Galactic pour quelques centaines de milliers de dollars, on trouve deux Hongkongais mais pas de Chinois. Même si les relations se normalisent entre les Etats-Unis et la Chine, les ressortissants de ce pays – comme les Iraniens et les Nord-Coréens – ne peuvent toujours pas accéder aux technologies spatiales américaines, dont les équipements de Virgin Galactic sont dérivés.

← “Houston, nous avons un problème !” Dessin de Langer paru dans Clarín, Buenos Aires.

LA COURSE AUX ÉTOILES.Courrier international – n° 1242 du 21 au 27 août 2014 31

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Mangalyaan, une fierté nationaleL’orbiteur lancé en novembre dernier est censé rejoindre la planète rouge mi-septembre. C’est la première mission envoyée vers Mars par l'Inde.

Véhicule de lancement de satellites polaires XL

LANCEUR ORBITEUR

MISSION

45 m

— Poids au décollage1 360 kg, dont 852 kg d’ergol— Coût du projet51 millions d’euros— Site de lancementCentre spatial de Satish Dhawan, à Sriharikota, dans l'Andhra Pradesh

— Etudier la surface de Mars et sa composition minérale— Rechercher du méthane dans l’atmosphère martienne

MANGALYAAN (sonde spatiale martienne)

5 novembre 2013 LANCEMENT

Position de la Terre au moment de la mise en orbite martienne

Orbite martienne

Orbiteterrestre

Position de Mars au moment du lancement

TRAJECTOIRE

Septembre 2014 INSERTION EN

ORBITE MARTIENNE

SOURCE : REUTERS

CAMÉRACOULEUR

DÉTECTEURDE MÉTHANEANALYSEUR

DE L’EXOSPHÈRE MARTIENNE

SPECTROMÈTRE IMAGEURÀ INFRAROUGES THERMIQUES

ANTENNE À GAIN ÉLEVÉ

PHOTOMÈTRE LYMAN-ALPHA

ANTENNE À GAIN MOYEN

Trajectoiredu vaisseau

L’Inde casse les prixL’agence spatiale indienne, dont une sonde doit se poser sur Mars en septembre, pourrait donner des leçons à ses concurrentes en matière d’économies.

—Scroll.in (extraits) New Delhi

L a mission spatiale indienne, Mars Orbiter Mission (MOM) [qui doit s’installer en orbite martienne le 24 septembre], est l’expédi-tion la moins chère jamais organisée à des-tination de la planète rouge. Cette mission fait de l’agence spatiale indienne (Isro) une

rivale inattendue pour les entreprises privées qui cherchent à rationaliser les coûts de l’ex-ploration spatiale.

“L’idée de faire de l’exploration spatiale à petit budget n’est pas tout à fait nouvelle”, explique Susmita Mohanty, directrice de Earth2Orbit, une entreprise spatiale privée. “Outre certains pays, comme l’Inde, plusieurs sociétés privées amé-ricaines redéfi nissent les paramètres économiques de l’exploration spatiale. Ces deux types d’acteurs sont radicalement diff érents et leurs motivations ne sont pas les mêmes, mais leurs résultats sont similaires : [les missions sont] moins chères, plus accessibles, plus fl exibles et plus rapides [à mettre en place].”

L’Isro a dépensé 4,5 milliards de roupies [envi-ron 74 millions d’euros] pour cette mission. Aux Etats-Unis, la Nasa aurait déboursé jusqu’à dix fois ce montant. Si l’agence spatiale indienne a réussi à limiter les frais, c’est parce qu’elle a tenu à utili-ser des technologies ayant déjà fait leurs preuves, explique Myslwamy Annadurai, directeur du programme MOM. “La mission s’est construite toute seule, poursuit-il. L’Insat [système de satellites indiens] avait déjà développé certaines technologies pour la mission Chandrayaan [partie pour la Lune en 2008]. En réutilisant ces technologies, nous avons limité les dépenses de développement. Nous avons aussi perdu moins de temps en phase de test puisque nous connaissions déjà les limites de ces composants.”

La sonde martienne, lancée le 5 novembre 2013 de la base de Sriharikota, continue de progres-ser vers sa destination à la vitesse de 32 kilo-mètres par seconde. Sa mission est de collecter des données photographiques et atmosphériques autour de la planète rouge et de les transmettre aux chercheurs sur Terre.

“Faire plus avec moins, c’est un peu une spécia-lité des Indiens, souligne Susmita Mohanty. Outre la modestie de nos dépenses d’ingénierie, nos coûts sont restés limités parce que deux tiers des pièces utilisées pour les tests et pour la fusée ont été pro-duits localement, mais aussi parce que les salaires de nos scientifi ques n’ont rien à voir avec ceux de leurs confrères de la Nasa ou de l’agence spatiale européenne.” “Pour nous, c’est une source de fi erté nationale, confi rme Myslwamy Annadurai. Alors que les gens travaillent normalement huit heures par jour, l’équipe chargée de la MOM y passait volontiers entre seize et dix-huit heures par jour, sans compen-sation salariale. A un moment, ils étaient même pré-sents vingt-quatre heures sur vingt-quatre, sept jours sur sept.” C’est ainsi, poursuit-il, que la mission a pu être lancée en un temps record. Approuvé par le Premier ministre en août 2012, le projet n’était en cours de développement que depuis deux mois. Les ingénieurs avaient pris soin de travailler sur des éléments génériques suscep-tibles d’être réutilisés sur d’autres projets si la mission n’était pas approuvée.

Contrairement aux entreprises privées, l’agence spatiale indienne n’a pour l’instant pas l’inten-tion de commercialiser ses capacités d’explora-tion spatiale. “Pour le moment, notre objectif est d’atteindre Mars, résume Annadurai. Ce serait en soi un énorme succès pour n’importe quel pro-gramme spatial.”

—Mridula ChariPublié le 13 février

ContrepointMARRE DU CHEAP !Si Mangalyaan parvient à se placer correctement en orbite autour de Mars, ce sera la preuve que l’Inde peut réussir en faisant “moins cher que le fi lm Gravity”, s’est gargarisé en juin le Premier ministre Narendra Modi – et avec lui l’ensemble de la presse indienne. Ce discours, le site indien Mint en a plus qu’assez : “Pourquoi se vanter de faire travailler des gens vingt heures par jour alors que c’est illégal en Inde ? Pourquoine pas célébrer plutôt notre capacité à réaliser le programme spatial le plus effi cace du monde ?” Une nouvelle mission vers Mars a déjà été programmée.

Courrier international – n° 1242 du 21 au 27 août 201432.

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Objectif Mars pour les EmiratsLe pays annonce une ambitieuse mission vers la planète rouge, autant pour des raisons politiques que scientifiques.

—The Conversation (extraits) Londres

L e 18 juillet dernier, les Emirats arabes unis (EAU) annonçaient leur intention de lancer une sonde à destination de la planète Mars d’ici 2021. Cette mission – et l’agence spatiale chargée de la piloter – constitue une première dans le monde arabe et un enjeu majeur pour

les Emirats, tant au plan scientifique que politique.Les Emirats ne sont pas des nouveaux venus

dans ce domaine. Ils ont déjà consacré plus de 5,4 milliards de dollars au développement de technologies liées aux données satellitaires, aux communications mobiles par satellite, à la cartographie de la Terre ou à des infrastruc-tures d’observation.

Mais cette fois-ci, ils prévoient le développe-ment de capacités propres pour la construction d’engins spatiaux et peut-être pour leur lance-ment. Alors que les activités spatiales de nom-breux pays passent par l’achat de matériel et de services auprès de fournisseurs extérieurs, la capacité de construire et de lancer leurs propres engins spatiaux permettra aux EAU de passer à une vitesse supérieure dans la conquête spatiale.

Cette décision implique également que les Emirats vont dépenser des sommes faramineuses en faveur d’activités spatiales à visée essentielle-ment scientifique. Ce projet comporte certes des objectifs concrets, notamment le progrès tech-nologique et la formation d’une nouvelle généra-tion de scientifiques, mais ce que l’on retiendra surtout c’est le message qu’envoient les EAU : la volonté de délaisser des activités purement pra-tiques au profit d’ambitions telles que l’explo-ration spatiale et la connaissance scientifique.

C’est une grande étape. La création d’un pro-gramme spatial permet aux Etats de rehausser leur prestige. L’Histoire montre que le développe-ment d’activités spatiales à des fins d’exploration renforce l’influence et la puissance des nations : financièrement, technologiquement, mais aussi idéologiquement, ils se placent ainsi à l’avant-garde d’un domaine de recherche faisant appel aux aspirations les plus élevées de l’humanité.

Un message fort. Les origines de l’exploration spatiale remontent à la guerre froide, à la pre-mière course à l’espace entre les Etats-Unis et l’URSS. Mais, aujourd’hui, la conquête spatiale n’est plus le monopole de deux blocs adverses. La mission vers Mars des EAU n’est toutefois pas dénuée d’intentions politiques, et ce à plusieurs niveaux. Sur le plan intérieur, elle est program-mée pour exalter la fierté nationale en vue des célébrations du cinquantième anniversaire de la création des EAU [en 2021]. Au niveau régional, la sonde Mars place les Emirats en tête de tout

le Moyen-Orient. Enfin sur la scène internatio-nale, ils sont les premiers pays arabes à rejoindre le club très fermé des Etats poursuivant d’ambi-tieux programmes spatiaux.

Cette entreprise sera-t-elle une réussite tant pour la science que pour le prestige des EAU ? Les missions vers Mars sont technologiquement difficiles. Bon nombre ont échoué, notamment celle de l’atterrisseur britannique Beagle 2, qui a atteint la planète rouge en mars 2003 mais n’est pas parvenu à se poser. De nombreuses interro-gations demeurent donc quant à la mission de cette sonde arabe et à ses bénéfices.

Reste que, politiquement, la mission vers Mars et la création d’une agence spatiale des EAU est un message fort. Le Moyen-Orient est désormais un acteur dans l’exploration spatiale à but scien-tifique. Et, à terme, cette initiative pourra égale-ment déboucher sur la création d’un programme spatial régional, à l’image du programme européen.

—Jill StuartPublié le 22 juillet

Fierté à l’italienneLa péninsule a participé à la conception du satellite qui sera lancé en 2016 pour dresser une carte détaillée de Mercure.

—Il Sole-24 Ore (extraits) Milan

L e complexe satellite BepiColombo est le fruit d’une collaboration entre l’Agence spa-tiale européenne (ESA) et la Jaxa, l’agence spatiale japonaise. Il a quitté cet été le site turinois de Thales Alenia Space pour aller passer des tests finaux sur le site néerlan-

dais de l’ESA, à Noordwijk. Le lancement se fera en 2016 avec un lanceur européen Ariane. Son objectif : Mercure.

L’Italie a conçu et réalisé les systèmes de télé-communication, de contrôle thermique et de distribution électrique. Elle assure également l’intégration et les tests sur le satellite entier. Elle sera de plus chargée de la campagne de lancement. La réalisation des transpondeurs et des antennes destinées à des expériences radio-scientifiques lui a également été confiée. Une belle responsabilité qui confirme que l’in-dustrie italienne peut jouer un rôle de premier rang dans le monde spatial.

La mission permettra notamment de réali-ser une carte très détaillée de la planète grâce à l’appareil stéréoscopique Osiris [pour Optical, Spectroscopic and Infrared Remote Imaging System]. Une réussite tout italienne. “C’est la première fois que nous envoyons dans l’espace un appareil photo aussi sophistiqué qui nous fournira des images 3D. Les essais en laboratoire ont donné d’excellents résultats et nous avons hâte de voir les premières images du sol de Mercure”, explique le planétologue Gabriele Cremonese, responsable du développement de l’instrument, construit avec le groupe [italien] Selex.

Le satellite porte le nom du grand scienti-fique de Padoue Giuseppe Colombo [mort en 1921], Bepi étant le diminutif de Giuseppe en Vénétie, sa région d’origine. Colombo était un penseur génial et terriblement inventif. Il avait fait une importante découverte sur la rotation de Mercure : cette planète accomplit trois tours sur elle-même pendant qu’elle tourne deux fois autour du Soleil. Une information qui peut sem-bler futile, mais pas pour la Nasa, qui depuis voue à Colombo la plus haute estime. Car cette décou-verte garantit un résultat inespéré et très pré-cieux, notamment en termes économiques : elle permet de choisir la meilleure orbite pour renta-biliser le carburant et faire plus de tours autour de Mercure. C’est d’ailleurs celle qu’a suivie Mariner 10, la première sonde à avoir survolé la planète, en 1974. Nul doute que BepiColombo, d’une grande importance scientifique, mais qui doit également beaucoup à notre industrie, lui aurait plu.—

Publié le 4 juillet

SOURCETHE CONVERSATIONLondres, Royaume-Unitheconversation.comCe site britannique est le petit frère du site australien The Conversation, lancé en 2011 par une équipe constituée autour du journaliste britannique Andrew Jaspan, ancien rédacteur en chef du quotidien australien The Age. “La Conversation”, qui participe au mouvement open source, se veut une source alternative et indépendante d’informations et de points de vue, qui donne notamment la parole aux chercheurs et aux universitaires, comme ici, à Jill Stuart, de la London School of Economics. En trois ans, le site australien est devenu une référence dans son pays.

“Cette mission représente l’entrée du monde

islamique dans l’ère de l’exploration spatiale”Cheikh Khalifa ben Zayed

Al-Nahyane, PRÉSIDENT DES ÉMIRATS ARABES

UNIS ET ÉMIR D’ABOU DHABI

← Dessin de Falco, Cuba.

LA COURSE AUX ÉTOILES.Courrier international – n° 1242 du 21 au 27 août 2014 33

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Elon Musk, roi de l’espaceAvec sa société SpaceX, le milliardaire veut envoyer des voyageurs sur Mars.

—The Guardian (extraits) Londres

E lon Musk est sûrement le salaud le plus chan-ceux du monde”, m’avoue un spécialiste des satellites devant une bière. Elon Musk, le riche fondateur extrêmement zélé et charis-matique du système de paiement PayPal, du constructeur d’automobiles électriques Tesla

et de Space Exploration Technologies (SpaceX), est en passe de devenir le roi de l’espace. Il rafle les bénéfices obtenus grâce à ses contrats avec la Nasa et l’armée américaine pour financer un pro-gramme spatial privé et habité.

Son arme principale ? Des coûts réduits qui permettent à SpaceX d’envoyer des satellites au cinquième du prix proposé par ses concurrents, soit environ 60 millions de dollars par lancement [45 millions d’euros].

Mais tôt ou tard, affirment ses détracteurs, Elon Musk ne sera plus en veine : il sera confronté à un accident explosif. Ce genre de catastrophe enta-merait bien évidemment le crédit dont SpaceX jouit auprès des investisseurs, des partisans de la conquête spatiale privée, et même des contribuables.

Saupoudrage. Selon un autre groupe de scep-tiques au sein du Congrès américain, l’explora-tion spatiale privée – faute de s’être constituée en véritable secteur industriel autonome – ne pourrait pas se passer du soutien de la Nasa et de ses programmes. Et pourtant, malgré ces assertions, les progrès d’Elon Musk et de ses homologues sont aussi vertigineux que les coûts des programmes publics.

“Nous avons le sentiment que les Etats-Unis prennent du retard”, se lamentait le 25 juin un

représentant texan au Congrès, Lamar Smith, lors d’une pénible séance du Comité parlementaire des sciences et technologies. “Actuellement, les meil-leurs vaisseaux et les plus grandes fusées des Etats-Unis sont dans les musées et non sur les pas de tir.”

Ce n’est pas vrai : il y a aujourd’hui plus de lan-ceurs en cours de conception et d’expérimenta-tion qu’à n’importe quelle époque de l’Histoire. Ce qui est vrai, c’est que Washington est incapable de mettre en œuvre un programme spatial. Les tergiversations politiques et les incohérences en termes de planification ont miné la Nasa au point qu’aujourd’hui les Etats-Unis n’ont plus aucun moyen d’envoyer des humains dans l’espace.

En 2011, le Congrès a alloué une enveloppe de 10 milliards de dollars au développement d’un lanceur permettant de réaliser des vols habités, le Space Launch System (SLS) – une volte-face par rapport au choix initial de Barack Obama, qui avait lui-même pris ses distances vis-à-vis du programme spatial habité de George W. Bush. Actuellement, le gouvernement finance l’initia-tive, mais de façon insuffisante : des milliards de dollars sont ainsi gaspillés sans que l’on abou-tisse au moindre résultat.

Les start-up comme SpaceX ont déjà commencé à lancer des satellites privés pour se sevrer des fonds publics qui les ont aidées à prendre leur

↑ Le fondateur de SpaceX, Elon Musk, pose devant son plus grand succès, la fusée Falcon 9, sur le site de Cap Canaveral. Photo SpaceX

La bataille du low cost a commencé●●● Les doyens du spatial s’unissent pour contrecarrer SpaceX et ses offres à bas coût. “Pour la première fois, des doyens de l’aérospatiale soutenus par l’Etat daignent réellement admettre l’existence de SpaceX. Ce n’est sûrement pas la dernière”, applaudit Extreme Tech. Si ce site américain, spécialisé en sciences, technologie et informatique, propriété du groupe américain Ziff Davis LLC, remarque un changement d’attitude vis-à-vis de l’entreprise d’Elon Musk, c’est parce que deux des plus grandes entreprises aérospatiales européennes, Airbus Group (anciennement EADS) et Safran, ont annoncé le 16 juin qu’elles allaient créer une société commune. L’objectif ? “Proposer une nouvelle famille de lanceurs compétitifs, polyvalents et performants, afin de répondre aux besoins commerciaux et institutionnels du marché”,

écrivent-elles dans un communiqué commun. En unissant leurs forces, ces deux géants affichent clairement leur volonté de contrer les petites entreprises privées – comme l’américaine SpaceX – qui tentent de se faire une place dans le secteur lucratif des lancements spatiaux commerciaux. “Après une série de lancements réussis et à moindres frais, ce nouveau venu commence à faire des vagues”, analyse Extreme Tech, pour qui “l’ère de l’aérospatiale bon marché commence aujourd’hui”. Les missions très médiatisées de Falcon 9, le lanceur de SpaceX, vers la Station spatiale internationale (ISS) ont montré que l’espace était désormais accessible pour 60 millions de dollars (45 millions d’euros), quand un lancement effectué par la fusée européenne Ariane 5 coûte le double. “Les entreprises comme Boeing, Lockheed et Airbus,

qui détiennent le monopole des vols spatiaux depuis des décennies, vont devoir enfin réviser leurs coûts à la baisse pour rester concurrentielles”, souligne le site américain. En outre, SpaceX mène des recherches pour mettre en œuvre des lanceurs réutilisables, promettant ainsi de réduire encore les coûts des lancement. En proposant évidemment des services de lancement nettement moins onéreux que les acteurs historiques, “il est certain que l’entreprise d’Elon Musk finira par remporter des contrats juteux, prédit Extreme Tech. Les vétérans du secteur en ont évidemment conscience, mais, à moins qu’ils ne conçoivent des lanceurs réutilisables et moins chers, ils n’ont plus qu’un atout : seul le capital politique acquis au cours des dernières décennies pourrait empêcher les nouveaux venus de gagner du terrain”, conclut le site.

Courrier international – n° 1242 du 21 au 27 août 201434.

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envol. Mais l’aérospatiale privée aura toujours besoin de clients et c’est dans ce domaine que le Congrès pourrait réellement être utile. La sphère politique semble déterminée à distribuer de l’ar-gent – pour des contrats avec des sociétés aéro-spatiales, des programmes publics, tout ce qui peut créer des emplois en Floride, en Alabama ou au Texas –, alors pourquoi ne pas contribuer au développement d’industries spatiales qui utilise-ront les fusées conçues par des start-up ?

Après tout, il n’est pas seulement question de périples à sensations fortes. L’exploitation minière d’astéroïdes, les centrales installées dans l’espace ou les laboratoires de recherche en apesanteur sont des terrains fertiles pour les investissements privés. Ils pourraient être les fers de lance des vols spatiaux habités. Les financements publics – y compris pour de modestes programmes pilotes à hauteur de 25 à 50 millions de dollars – pour-raient absorber une partie des risques et mettre à l’épreuve de nouvelles technologies.

La mise en orbite de satellites permet de finan-cer les travaux pour envoyer des humains dans l’espace, et pas seulement pour quelques minutes, comme le propose Richard Branson [avec Virgin Galactic] par exemple. Elon Musk veut aller plus loin, en l’occurrence sur Mars, et avant 2026 – soit dix ans plus tôt que les projets les plus opti-mistes de la Nasa.

Et, pour concevoir le matériel nécessaire, il pré-voit d’utiliser l’argent de la Nasa. Car SpaceX est l’une des trois entreprises choisies pour envoyer des cargaisons vers la Station spatiale interna-tionale (ISS). Désormais, c’est aussi l’une des trois sociétés en compétition pour y envoyer des astronautes. Ce programme de développement de

vols habités a coûté 800 millions de dollars aux Etats-Unis. C’est un investissement public rela-tivement bon marché en échange de l’ingénio-sité du secteur privé.

Lorsque les explorateurs de l’espace peuvent trouver leurs propres financements, l’argument récurrent selon lequel “l’argent des contribuables pourrait être mieux géré” devient hors de propos. Les actionnaires peuvent mieux que les contri-buables se défendre contre le gaspillage inepte.

Avant, je pensais aussi qu’Elon Musk était un sacré veinard. Puis, année après année, les lance-ments réussis se sont accumulés et les prix sont restés bon marché – en tout cas pour les tirs d’en-trée de gamme. J’ai visité le pas de tir de SpaceX en Floride, le siège de l’entreprise en Californie, et j’ai interviewé Elon Musk en tête-à-tête. Lancer des fusées n’est pas une question de chance.

Elon Musk pourrait bien être l’un de ces titans industriels qui marquent l’Histoire parce qu’ils ont fait tomber des obstacles. Et l’obstacle auquel il s’attaque est crucial : les fusées bon marché sont la clé de la conquête spatiale, car c’est le premier pas hors de notre planète qui est le plus difficile. Quand nous serons à l’aise dans notre système solaire, nous pourrons continuer de repousser les limites. De nouveaux systèmes de propulsion pourraient envoyer des robots en éclaireurs [sur des planètes en orbite autour d’autres étoiles], afin d’ouvrir la voie à des explo-rateurs humains expérimentés.

Chemin faisant, quelques individus s’enrichi-ront. Mais, au bout du compte, bien plus de per-sonnes pourront aller dans l’espace.

—Joe PappalardoPublié le 26 juin

L’Etat britannique au service du privé●●● Le 14 juillet, lors du salon de Farnborough, consacré à l’aéronautique, la jeune Agence spatiale du Royaume-Uni a annoncé vouloir se doter d’une base de lancement pour les vols commerciaux. Un “spatioport” qui devrait voir le jour d’ici à 2018. Une gageure, puisque aucune compagnie n’a encore démontré la faisabilité de vols commerciaux habités, rappelait à l’occasion le New Scientist.Il n’empêche, le gouvernement britannique veut être en mesure de répondre aux projets de l’entreprise américaine Xcor, et évidemment de la britannique Virgin Galactic et de son patron Richard Branson, qui envisagent d’envoyer des touristes en orbite, indique The Guardian.L’Agence spatiale du Royaume-Uni cherche donc un site au-dessus duquel le trafic aérien est peu dense et qui permette la construction d’une piste d’une longueur inhabituelle, pour l’atterrissage des futures navettes. Six des huit sites candidats seraient en Ecosse. L’industrie spatiale est, selon le gouvernement, l’un des secteurs les plus florissants au Royaume-Uni, avec 11 milliards de livres [environ

14 milliards d’euros] générés par an et 34 000 salariés. Le ministère des Affaires et de l’Innovation (le BIS) ambitionne de capter 10 % du marché spatial d’ici à 2030, soit 40 milliards de livres, ce qui pourrait conduire d’après lui à la création de 100 000 emplois supplémentaires. Un objectif affiché sur le site de l’Agence spatiale du Royaume-Uni, qui mène en ce moment une campagne de recrutement auprès du grand public. Dans ces plans, l’Ecosse, ainsi que le rappelait le secrétaire d’Etat au Trésor, Danny Alexander, lors du salon, est amenée à tenir un rôle majeur. “[Cette nation] est fière d’être associée à la conquête spatiale. Elle vient de fêter les racines écossaises de Neil Armstrong, le premier homme qui a mis le pied sur la Lune, et la semaine dernière une extraordinaire entreprise écossaise, Clyde Space, vient d’envoyer son premier satellite dans l’espace [depuis Baïkonour].” Reste à savoir si la nation écossaise sera toujours partie intégrante du Royaume-Uni après le référendum sur l’indépendance, le 18 septembre.

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Courrier international — no 1242 du 21 au 27 août 2014

Environnement ... 36Signaux .......... 38

Les loups de Wall Street ont perdu leurs crocsFinance. Ils font la fortune des fonds spéculatifs et mettent l’Argentine en péril. Mais, les traders l’avouent, ils sont fatigués. Et lucides aussi : ils savent bien qu’il leur est impossible de quitter le seul écosystème qu’ils connaissent.

—Anfibia (extraits) Buenos Aires

J avier voit les sons et entend les couleurs. Nous sommes à un concert de Phish,

groupe américain mythique connu pour ses solos éternels, et, au beau milieu d’une reprise glorieuse de Rock and Roll de Lou Reed, ce cour-tier de 38 ans vit une expérience multisensorielle. Il ne connaît pas le mot qui la désigne et a une révélation lorsqu’il l’apprend. “Si voir les sons et entendre les couleurs s’appelle de la synesthésie, alors j’ai passé toute ma putain de vie dans cet état”, s’exclame-t-il avec l’en-thousiasme d’un enfant.

Bon, il exagère un peu. Nous sommes samedi et nous nous trouvons sur une île près de

Manhattan, avec des milliers de pèlerins qui jouent à Woodstock. Il y a des draps étendus sur l’herbe, des ballons de baudruche de toutes les couleurs et des gens qui se livrent à de petites danses lyser-giques. Vu le profil du public, je mettrais ma tête à couper, ou du moins un doigt de pied, que la grande majorité adhère au mouve-ment Occupy Wall Street. Ce qu’ils ne savent pas, c’est que parmi eux, plongés avec tout autant de délice dans les synesthésies, se trouvent au moins quatre membres actifs du système financier qu’ils condamnent. Plus moi, invitée spé-ciale du côté obscur de la force, qui regarde le soleil descendre, hypnotisée par les lumières de la scène et écoutant une musique qui nous rend heureux. Tous.

Entre le 7 et le 11 juillet, pendant un nouvel épisode de la bataille entre l’Argentine et les fonds vau-tours, dans une semaine marquée par deux négociations infruc-tueuses à New York et des tirs croisés entre les spéculateurs et un pays qui joue la restructuration de sa dette, j’ai été chargée d’écrire un article sur l’“univers vautour”. J’ai bien entendu accepté. Ce que j’ignorais, bien que j’en eusse le pressentiment, c’est que c’était une mission impossible.

Après avoir fait le pied de grue sur Park Avenue devant le bureau du médiateur Daniel Pollack [dési-gné par la justice américaine pour mener les négociations entre les fonds vautours et l’Etat argen-tin], où les protagonistes entraient et d’où ils sortaient sans faire la moindre déclaration, après avoir envoyé des dizaines de mails qui sont restés sans réponse, après m’être fait claquer quantité de portes au nez, vu des porte-parole qui me renvoyaient à des attachés de presse et des attachés de presse qui me laissaient en plan au télé-phone, j’ai fini par comprendre que les vautours sont insaisissables : ce sont des spectres extrêmement puissants, protégés par une légion d’avocats aussi fantomatiques et ambitieux qu’eux.

Les avocats et les économistes, qui m’ont expliqué avec force détails comment les vautours ont mis échec et mat plusieurs pays du tiers-monde en spéculant sur leur dette souveraine, puis en leur intentant des procès pour se faire payer à un prix indécent des obli-gations qu’ils avaient achetées quelques cents, ont confirmé mes doutes. “Ces gens sont entourés d’un blindage”, m’a dit un jour le journa-liste et avocat Michael Goldhaber, une autorité dans le domaine des fonds vautours, et particulière-ment dans le litige argentin.

J’ai dû me rendre à la raison : mes chances d’accéder à l’entou-rage d’Elliott Management ou d’Aurelius Capital [les deux fonds spéculatifs créanciers de la plus grande partie de la dette argen-tine, et qui refusent obstinément un allégement de celle-ci] étaient aussi infimes que de croiser Robert Downey Jr. sur la 5e Avenue, qu’il me regarde dans les yeux, tombe aussitôt amoureux de moi et m’in-vite chez lui.

Alors, faute de vautours, je me suis mise en quête des loups de Wall Street.

“La corporation”. Tout com-mence sur un bateau à l’ancre dans l’Hudson, où se tient un bar qui est comble pendant l’été new- yorkais. Nous sommes jeudi et j’ai été invitée à un after office pour ren-contrer des membres de “la corpo-ration”, comme aiment s’appeler les travailleurs de la finance. Le soleil tape encore fort et je repasse la liste des questions techniques et ridicules que j’ai notées dans mon calepin pendant que je fais la queue sur trois pâtés de mai-sons pour pouvoir traverser le quai, entrer dans la discothèque et rejoindre mon groupe. Mais, au lieu de trouver Michael Douglas le despote, Leonardo DiCaprio le drogué ou Christian Bale et sa tronçonneuse, je suis accueillie par des garçons sympathiques qui font leurs premiers pas dans la Grosse Pomme. Des financiers imberbes, dont certains viennent tout juste d’arriver, qui se mettent au diapason des exigences de Wall Street. Un peu déçue, je me rends compte que je me suis trompée de décennie. Les loups, les vrais, les pur jus, n’existent plus. Ou du moins ils ne vont pas dans les bars branchés sur des bateaux avec vue sur le New Jersey. C’est ce que je me dis en buvant avec nervosité ma première gorgée de bière. Mais quelque chose se produit. Joshua,

Je me suis trompée de décennie. Les loups, les vrais, les pur jus, n’existent plus

trans-versales.

économie

↙ Illustration réalisée par les élèves d’ETER Escuela de comunicación à Buenos-Aires, Argentine.

3840

36.

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REPORTAGE

TRANSVERSALES.Courrier international — no 1242 du 21 au 27 août 2014

le seul New-Yorkais autochtone du groupe, un financier de 35 ans aussi fringant et prolixe qu’un Ken, s’approche, mû par la curio-sité. Je lui parle des vautours, des négociations avec l’Argentine, de mon article, je lui dis que je veux savoir “ce que vous, vous pensez”.

“L’existence de ces groupes n’est pas une mauvaise chose, me répond-il. Pour nous, ce qu’ils font n’est ni mal, ni bien. Ils achètent à l’extérieur et apportent des liquidités aux mar-chés des créances en difficulté. C’est ce qui crée des prix intermédiaires et un équilibre du marché. Le reste est une question de morale. Parce que les transactions, elles, sont légales.”

Joshua ne connaît pas très bien le litige entre l’Argentine et les fonds qui l’ont traînée devant le tribunal du juge Thomas Griesa, mais il répond à mes questions avec amabilité et me parle des vautours – les hedge funds, comme on appelle les fonds spé-culatifs – avec la prudence d’un homme qui trempe dans la finance depuis plus de dix ans. Il a com-mencé très jeune, comme tout le monde ici, et il est trader dans une grande banque. Il passe sa vie à acheter et vendre des obli-gations, des actions et n’importe quel instrument financier présent sur le marché.

Mais il veut partir. Il ne supporte plus Wall Street ni le rythme de la ville. La pression est trop forte. Faire carrière peut pousser par-fois à l’extrême. En plus, ajoute-t-il, depuis la crise de 2008 on les traite comme des délinquants. Il veut aller en Amérique latine, mais il a peur. Peur de gagner moins d’argent – comme c’est un homme, dit-il, c’est lui qui doit pourvoir aux besoins des siens –, peur de se perdre. Ou de se trouver. Il a grandi dans une famille riche, très conservatrice, et il est devenu tout ce qu’on attendait de lui. Ce qui ne donne pas toujours de bons résultats. “Je pourrais t’expliquer comment tout ça fonctionne, pour-suit-il, mais c’est un univers telle-ment abstrait qu’il n’a plus rien à voir avec le travail. Ni même avec l’argent. Ici tout tourne autour des relations interpersonnelles. Si on t’emmène dîner ou en voyage, si on te présente des putes, tu feras peut-être des affaires. Tout s’obtient par charisme. Si tu veux vraiment savoir comment on vit à Wall Street, tu dois rencontrer Javier. C’est un courtier. Un très bon courtier. Et un person-nage. Je le préviendrai de ton appel.”

A 19 ans, Javier a eu un accident de moto et il est mort. Pendant qu’il était mort, il s’est vu d’en haut couché dans son lit d’hôpi-tal. Il l’a vécu comme un voyage astral. Il garde de cet épisode une cicatrice qui lui barre l’abdomen et la certitude que, s’il ne s’arrête pas un peu, il risque de mourir à nouveau n’importe quand. Il a commencé dans le métier à 16 ans, après avoir été renvoyé d’un énième lycée. Lorsque son père, un trader espagnol qu’il ne voyait jamais, s’est rendu compte que son fils était en train de devenir un petit délinquant, il lui a obtenu un boulot dans sa banque. C’est ce

qui l’a sauvé. Ou pas.“J’appartiens pro-

bablement à la der-nière génération de courtiers qui n’a pas fait d’études, raconte-t-il. J’ai commencé en

écrivant les cotations sur un tableau. Les marchés électroniques n’existaient pas, à l’époque. On appelait par télé-phone, on confirmait par télex. Un truc de fous. Je n’ai jamais arrêté depuis. Je ne sais rien faire d’autre. C’est le seul monde que je connaisse.”

Javier parle sans arrêt avec une voix basse éraillée. Il est extra-verti, sympa, drôle : un bulldozer compact de 1,70 m avec tous les attributs nécessaires pour séduire les clients et les contenter. C’est ce qu’il est en train de faire en ce samedi après-midi dans un bar coquet du coquet Soho, quelques heures avant le concert de Phish, de la reprise de Lou Reed et de son expérience synesthésique.

Atavisme. L’Espagnol sert d’in-termédiaire entre les banques. C’est lui qu’elles appellent lorsqu’elles veulent acheter des instruments f inanciers et ont besoin de connaître l’état du marché avant de passer à l’action. Il se renseigne alors sur les flux de trésorerie, puis conseille à ses clients la meilleure transaction à faire, dans quels termes et dans quels délais pour que le taux de change ne s’envole pas. L’entreprise pour laquelle il travaille brasse entre 3 et 5 millions de dollars. Il touche une commis-sion pour chaque million.

Cela fait vingt-deux ans qu’il est dans la finance, avec des journées de vingt heures et des semaines qui n’ont pas de fin. Parce qu’on travaille aussi le samedi et le dimanche.

Dans sa banque, Sebastián est spécialiste des taux d’intérêt et des “devises locales” (destinées

au commerce dans une région pré-cise, pour lui l’Amérique latine). Les créances en devises locales sont converties en obligations d’Etat qui, une fois émises, circulent sur les marchés entre les vendeurs et les acheteurs – c’est là qu’inter-vient Javier –, parmi lesquels se trouvent les hedge funds.

Des hedge funds comme Elliott Associates LP, Dart ou Aurelius Capital, certains des fonds en litige avec l’Argentine, dis-je au passage. Mais Sebastián apporte une pré-cision : “Parmi les hedge funds, il y a ceux qui opèrent seulement avec les entreprises et ceux qui achètent des obligations de dettes, comme les vautours, explique-t-il. Mais eux, ce sont plus des groupements d’avocats qu’autre chose. Ils sont d’une autre espèce. Je n’ai pour ma part aucune relation avec ce type de fonds.”

Pendant que la sangria cir-cule sur notre table et que nous dégustons des tapas, j’essaie de comprendre comment on peut appeler “réunion de travail ” cette sorte de fête avec des gens qui ressemblent plus à des surfeurs qu’à des financiers.

Javier a grandi parmi les traders et les courtiers. Ses meilleurs amis sont les enfants des amis de son père, un homme qui s’est fait à la force du poignet et qui est devenu une référence dans l’univers de la finance. Et qui, selon ses calculs, doit faire partie de la dernière portée des vrais loups de Wall Street. Javier a donc passé son enfance avec des gosses de riches, même s’il n’a jamais appartenu à la même classe sociale qu’eux. Un jour, dans une station de ski du nord de l’Espagne, il a même joué au baby-foot avec Felipe VI.

Il a été un adolescent à pro-blèmes et, à 20 ans et des pous-sières, il est parti vivre à Londres sans un sou en poche ou presque. Il a trouvé un emploi dans une toute petite banque où il a tout appris. Voilà pourquoi il s’y connaît aussi bien en finance. C’est l’un des meil-leurs dans sa catégorie, dit-il sans fausse modestie. Il est très intui-tif et peut entretenir une conver-sation avec sept clients à la fois. A une époque, il fumait trois paquets de cigarettes par jour et un kilo de marijuana par an. Il a arrêté la nicotine. Pas les pétards. C’est la seule chose qui le détend.

Il est tombé amoureux trois fois, mais ça n’a pas marché. Les femmes voulaient le changer. “Vous faites toujours ça”, me lance-t-il comme si j’y étais pour quelque chose. Il ne veut pas d’enfants – il ne les verrait jamais, tout comme lui ne voyait jamais son père –, il ne veut pas se ranger, et ne veut pas non plus avoir une relation qui l’oblige à changer de vie. Il est proprié-taire du joli bar de Soho où nous sommes venus boire une sangria et d’une discothèque. Les rares week-ends où il ne travaille pas, il part faire du surf ou rendre visite à ses amis – les vrais, qu’il compte sur les doigts d’une seule main – et à sa famille. C’est à peu près tout. Son travail est sa bulle. Le seul écosystème où il puisse res-pirer. Il est capable de gagner des centaines de milliers de dollars en un an, mais, assure-t-il, il est très mauvais avec ses propres investis-sements. Dans deux ans il prend sa retraite. Il a peur de mourir. Au fond, confie-t-il, il ne fait pas tout ça pour l’argent. Et je le crois.

Chef de meute. Javier ne voit plus les sons et n’entend plus les couleurs. Le concert est terminé, et la communion lysergique aussi. Pour la première fois dans les huit heures que j’ai passé avec lui, il a l’air sérieux. Il est préoccupé. En plus de Joshua, il y a avec nous d’autres chiots de Wall Street et Javier est responsable de tout le monde. Il doit nous sortir d’une île envahie par des milliers de personnes et trouver une voiture ne va pas être facile. Un tour de passe-passe et voilà qui est fait. Il persuade un chauffeur de taxi – avec de l’argent, bien sûr – de dire à sa centrale qu’il s’est fait ren-trer dedans, d’annuler sa course et de nous prendre nous, qui ne l’avons pas appelé. Pendant que nous nous installons dans le véhi-cule qui va nous ramener sains et saufs à Manhattan, un chauffeur fait connaissance avec la corrup-tion et un groupe d’inconnus se retrouve sans moyen de trans-port. Tout est toujours une ques-tion d’endroit. Dans l’esprit de Javier, cela est très clair. Demain, à 8 heures du matin, il doit aller jouer au golf avec un grand patron d’une grande banque.

Lorsque nous nous quittons, il me dit que nous avons manqué de temps : “Aujourd’hui tu as vu com-ment je dépense l’argent. Tu dois encore voir comment je le gagne.”

—Ana FornaroPublié en juillet

L’Argentine joue la montre●●● Depuis le 31 juillet et l’échec des négociations entre le gouvernement de Cristina Kirchner et les créanciers privés, l’Argentine est en cessation de paiement. Un échec voulu par le gouvernement argentin, qui préfère attendre que le dénouement de cette affaire survienne en 2015. En effet, jusqu’au 31 décembre 2014, elle a les mains liées par une clause figurant dans l’accord signé avec les créanciers qui ont accepté la restructuration de sa dette. Celle-ci stipule que, si une meilleure offre était accordée à d’autres créanciers, tout serait à renégocier. L’Argentine devrait alors faire face à des réclamations pouvant aller jusqu’à 500 milliards de dollars (quelque 375 milliards d’euros).Depuis que, mi-juin, la justice américaine a condamné définitivement l’Etat argentin à payer 1,5 milliard de dollars aux deux fonds spéculatifs et aux treize créanciers privés qui n’ont pas accepté la restructuration de la dette, le gouvernement argentin essaie de conserver le soutien des Argentins. “Fonds vautours”, “spéculation”, “patriotisme” : la bataille se livre aussi sur le plan linguistique.

SOURCE

ANFIBIABuenos Aires, Argentinerevistaanfibia.com/nuevaLancé en 2012 avec le soutien de la fondation Nuevo Periodismo Iberoamericano, créée à l’initiative de Gabriel García Márquez, le magazine numérique “Amphibie” publie de longs reportages et des portfolios de qualité. Les textes sont parfois signés par des plumes latino-américaines prestigieuses.

“Je ne sais rien faire d’autre. C’est le seul monde que je connaisse”

Contexte

37

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TRANSVERSALESTRANSVERSALES

Pékin

Shanghai

CantonHong Kong

Principales zones polluées par les pesticides

Qingdao

C H I N E

LIAONING

JILIN

MONGOLIE-INTÉRIEURE

MONGOLIE-INTÉRIEURE

HEILONGJIANG

Baie deHangzhou

Embouchurede la rivière des Perles

Embouchuredu Yangtsé-kiang

Embouchuredu Huanghe

Huanghe

Yangtsé-kiang

500 km

CO

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INTE

RNAT

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M a n d c h o u r i e

—Jingji Guancha Bao (extraits) Pékin

Vers la mi-juin, dans la province sep-tentrionale du Heilongjiang, dans le nord de la Mandchourie, à la

frontière russe, le vert domine à perte de vue dans les champs cultivés. Plus aucune trace des semences à l’enrobage rose, ni des pesticides et engrais répandus deux mois auparavant. Tout est passé dans les sols.

Dans ces fermes dépendant de l’Offi ce général chargé de la mise en valeur des terres agricoles (l’OGMVTA), on utilise des semences enrobées. La pellicule qui entoure les graines est un produit phyto-sanitaire qui, une fois les semis en terre, leur permet d’éviter d’être dévorés par les oiseaux ou les vers, ou de se décomposer dans les sols. Cet enrobage présente une toxicité non négligeable et des risques pour la santé humaine, mais il permet d’augmenter fortement les rendements.

Pourtant, après la récolte de printemps, quand le temps de l’épandage est venu, les poissons ne batifolent plus dans les rivières environnantes ; certains sont

même retrouvés morts, fl ottant à la sur-face, empoisonnés par les rejets issus des champs agricoles. Et des résidus persis-tants de pesticides et d’engrais s’accu-mulent dans les sols année après année.

Mais, “aujourd’hui, c’est la production qui prime”, explique Zhang Qingfeng, un revendeur de produits phytosanitaires du Heilongjiang. “La protection de l’environ-nement n’entre pas en ligne de compte. Une production élevée justifi e tout. Ce que les éche-lons supérieurs veulent, c’est que les objec-tifs de livraison de céréales soient atteints. Quant aux paysans, ils souhaitent avoir de bons rendements et gagner plus.”

De fait, selon des statistiques natio-nales offi cielles, la production céréalière a battu de nouveaux records cette année dans le nord-est du pays : 145,24 millions de tonnes de céréales ont été récoltées

ENVIRONNEMENT

La politique de la terre polluéeAgriculture. Les terres de Mandchourie sont les plus productives de Chine, grâce à l’utilisation massive de pesticides et d’engrais azotés. Seul compte le rendement. Au détriment des sols, qui se calcifi ent peu à peu.

par les régions du Heilongjiang, de Jilin, du Liaoning et de Mongolie-Intérieure, soit plus de 20 % de la production natio-nale. Et la province du Heilongjiang est la principale région productrice du pays.

Zeng Qingxi, un gros céréalier dont l’ex-ploitation dépend de l’OGMVTA, cultive depuis plus de trente ans les terres qui lui sont confi ées. Cette année, il a à sa charge 160 hectares, dont 30 en champs irrigués et 130 en culture sèche. M. Zeng y va à tâtons pour déterminer la quantité de fertilisants et de pesticides à utiliser ; faute de pouvoir bénéfi cier des conseils d’agronomes, il se fi e à sa longue expé-rience. Au total, chaque année, il épand près d’une tonne d’engrais chimiques par hectare. “Si on ne met pas une demi-tonne d’engrais, on a du mal à obtenir 500 tonnes de céréales”, a-t-il pu constater.

Zeng Qingxi utilise des engrais dont le prix tourne ces deux dernières années autour de 4 000 yuans [4 875 euros]. “Mon critère principal de choix pour ce type de produit, c’est leur caractère bon marché et leur grande effi cacité. Si nous, les paysans, cultivons les terres, c’est pour faire des béné-fi ces”, insiste-t-il.

Courte vue. L’exploitation de M. Zeng arrive souvent en tête des fermes tra-vaillant selon le système du forfait [qui donne aux paysans l’usufruit des terres pour plusieurs années et une totale liberté dans la façon de cultiver]. L’an dernier, il a réussi à avoir un rendement de 8 à 9 tonnes de céréales par hectare dans les champs dont il avait la charge, deux fois plus qu’il y a vingt ans, quand il utilisait très peu d’engrais chimiques et de pro-duits phytosanitaires.

Les céréaliers avouent ne pas trop se préoccuper de la nocivité à long terme de ce genre de produits. Une fois la récolte eff ectuée, les moissonneurs ne s’occupent que de vérifi er le taux de riz obtenu à partir du paddy [riz non décortiqué] ou la teneur en eau. Personne ne se soucie de la qua-lité des céréales ni de leur teneur en rési-dus de pesticides.

Les fermiers sont unanimes : les produits phytosanitaires ont joué un rôle certain dans la hausse des récoltes de ces dernières années. Grâce à eux, même les terres les plus pauvres de Chine sont désormais capables de donner des céréales. Là où jadis on ne produisait que 4 à 5 tonnes par hectare, on arrive aujourd’hui à récolter 8 à 9 tonnes, voire 10. Même si c’est lié à l’amélioration des variétés, les produits phytosanitaires y sont également pour beaucoup.

Mais leur utilisation transforme profon-dément les terres cultivables. Selon Zhang Qingfeng, dans les rizières, le sol présente une structure radicalement diff érente de celle d’il y a quelques dizaines d’années en raison de l’emploi des engrais chimiques et des pesticides.

En fait, la pollution des sols en Mandchourie est déjà très grave.

La première enquête nationale menée en Chine entre avril 2005 et décembre 2013 sur l’état de la pollution des sols ne prête pas à l’optimisme. L’étude, qui a porté sur environ 6,3 millions de kilomètres carrés, montre que la qualité des sols arables est préoccupante. Particulièrement dans cer-taines zones des deltas du Yangtsé-kiang et de la rivière des Perles, et dans l’ancienne région industrielle de Mandchourie.

Optimisme béat. L’impact des engrais chimiques est extrêmement important, estime Zhang Qingfeng. Les résidus restent dans la terre, qui, une fois calcifi ée, fi nit par devenir stérile. Si les exploitations agricoles continuent d’utiliser autant d’en-grais chimiques, d’ici à soixante ans les sols vont se durcir pour fi nir par ne plus être aptes à la culture de céréales. Et au bout de trois ou quatre générations il n’y aura peut-être plus de terres cultivables.

Le 5 juin dernier, lors d’un forum à Qingdao, Yao Jingyuan, l’ancien écono-miste en chef du Bureau national de la statistique, conseiller auprès du Conseil des aff aires d’Etat, a mis en garde contre “l’optimisme béat” que pouvaient susci-ter dix années consécutives de bonnes récoltes céréalières en Chine.

Il n’y a vraiment pas de quoi être opti-miste, insiste-t-il : “De nos jours, l’augmen-tation de la production céréalière repose surtout sur la hausse des rendements […], mais cela implique le recours massif aux engrais chimiques et aux produits phyto-sanitaires. Aujourd’hui, on apporte quatre fois plus d’engrais chimiques [à l’hectare] qu’aux Etats-Unis et trois fois plus qu’en Inde. Tout le monde dit que les céréales ne sont pas bonnes, mais désormais ce n’est plus seulement une question de goût, mais un problème de détérioration des sols, et par conséquent de pollution.”

“Une production élevée justifi e tout. Ce qui prime, ce sont les objectifs de livraison de céréales”

↙ Dessin de Falco, Cuba.

Courrier international – n° 1242 du 21 au 27 août 201438.

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C’est après avoir démissionné d’un poste dans un organisme officiel que Zhang Qingfeng s’est lancé dans le commerce d’engrais chimiques et de pesticides, des produits qu’il connaît sur le bout des doigts. Selon lui, les distributeurs d’engrais et de pesticides sont désabusés : ils cherchent juste à développer leurs activités là où il y a des possibilités, tout comme les pay-sans qui amendent leurs sols. Quant au devenir des terres, c’est aux spécialistes des sols de se prononcer. Ceux-ci viennent prendre des échantillons, puis s’en vont. Il n’y a personne aujourd’hui pour conseil-ler concrètement les paysans, ni pour leur donner une liste des produits pou-vant être utilisés.

Certes, l’Etat interdit le recours à des produits phytopharmaceutiques toxiques tels que le lindane, et préconise l’usage de pesticides bio non persistants. Certes, on trouve aujourd’hui des engrais bio assi-milables par les cultures, qui ne laissent aucun résidu, mais rares sont les agricul-teurs qui veulent les utiliser, en raison de leur prix élevé ou simplement par refus du changement, indique Zhang Qingfeng. Les critères d’achat des paysans sont très simples : il faut que ce soit bon marché et efficace ; ils n’en demandent pas plus.

Zhang Qingfeng a bien essayé de distri-buer des produits bio, mais il a dû s’avouer vaincu. “Personne n’en achetait. J’ai finale-ment été obligé de continuer à proposer des engrais azotés à base d’urée. Ce type d’engrais représente plus de 95 % des ventes, tandis que la part de marché occupée par les produits bio est insignifiante. Comme les producteurs ont vu que les engrais bio ne se vendaient pas bien, ils les commercialisent désormais mélangés à des engrais chimiques, ce qui leur permet d’en abaisser le coût.”

—Pang LijingPublié le 25 juin

SOURCE

JINGJI GUANCHA BAOPékin, ChineHebdomadaire, 380 000 ex.www.eeo.com.cnL’“Observateur économique” vise un lectorat au sens critique aiguisé. Se posant en concurrent des grands journaux du sud de la Chine, il propose une ligne éditoriale “critique et rationnelle” et s’intéresse aux hommes qui font le dynamisme de l’économie chinoise. Créé en avril 2001 au Shandong, il s’est depuis implanté à Pékin, où résident la plupart de ses auteurs. Il décerne tous les ans un prix à un acteur économique en collaboration avec un institut d’enseignement.

Jean Grenier

Il faut renoncer au monde pour le comprendre.

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360°. Courrier international — no 1242 du 21 au 27 août 2014

MAGAZINEDes critiques et des clics Tendances ........ 44Les dentiers de la gloire Plein écran ....... 46 360

Un lieu, un artiste 5/5 Son roman, initialement, devait s’appeler Le Dernier Homme en Europe. C’est sur l’île sauvage de Jura, au large de l’Ecosse, que l’écrivain britannique s’est réfugié pour rédiger 1984. Là, loin des tumultes de l’après-guerre, il allait composer son chef-d’œuvre d’anticipation. — Roads and Kingdoms, New York

Au bout du monde avec George Orwell

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↓ La ferme de Barnhill est aussi isolée qu’elle l’était en 1945. Photo Peter Bowater/Alamy

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La salle du restaurant est vide : je suis seul avec ma part fumante de tourte au gibier et un barman rondouillard. Pendant que je mâche péniblement des morceaux élastiques de viande de cerf, le ser-veur tripote des couverts et se dandine d’une table à l’autre tel un bateau qui tangue entre deux

vagues. Fredonnant tout bas, il met en ordre les sièges de clients qui ne viendront pas et nettoie des tables déjà par-faitement propres.

Nous n’échangeons pas un mot et ne prêtons guère attention l’un à l’autre. Il range, je mâche : voilà à quoi se résume notre soirée. Devant moi, le bar est intact : toutes les bouteilles d’alcool sont pleines, les pompes à bière bien sèches, et la caisse affiche un zéro tout rond. Pas de radio qui grésille, pas de télé qui tremblote, pas un bruit de voi-ture à l’extérieur, pas une voix qui résonne. On n’entend qu’une chose, les vibrations intermittentes du radiateur.

Je suis le seul client de l’unique hôtel de l’île. Je n’au-rais pas pu mieux choisir mon moment.

Car je suis venu à Jura, une île isolée au large de la côte ouest de l’Ecosse, afin de trouver cette solitude que George Orwell avait cherchée, il y a soixante-cinq ans, pour mettre la dernière main à 1984, son roman devenu un classique. Ayant moi-même grandi dans la campagne écossaise sous le double joug de son intolérable ennui et

de son inexplicable beauté, je brûle de comprendre com-ment un écrivain qui, selon son biographe Jeffrey Meyers, “détestait l’Ecosse” a pu choisir de s’installer dans la région la plus essentiellement écossaise du pays, les Highlands. Je veux aussi savoir ce qui a poussé cet homme si rompu à la vie citadine à choisir une île inaccessible, d’à peine 190 âmes, dans sa quête d’inspiration pour un roman sur le totalitarisme dans un Etat urbanisé ; pourquoi un auteur à l’apogée de la célébrité est allé se terrer dans une ferme austère cachée au fin fond d’un paysage écos-sais inhospitalier.

George Orwell [1903-1950] se rend pour la première fois à Jura en septembre 1945, sur les conseils de David Astor, son rédacteur en chef au journal londonien The Observer, qui lui suggère l’endroit pour la solitude et le détache-ment qu’il y trouvera. En avril de l’année suivante, l’écri-vain s’installe sur l’île, plus précisément à Barnhill, une ferme isolée dans l’extrême Nord.

Le décès de sa femme, Eileen O’Shaughnessy, lors d’une opération chirurgicale, en mars 1945, et le succès rencontré par La Ferme des animaux la même année ont laissé Orwell dans un état de tiraillement, entre désespoir et satisfac-tion triomphante. Il vient de se constituer une renommée internationale et un modeste pécule (l’ouvrage lui rappor-tera en tout, de son vivant, quelque 12 000 livres), mais aussi de perdre une épouse qu’il reconnaît avoir négligée tout au long de leur union. A cette époque, preuve de ce que son biographe D. J. Taylor appelle sa “candeur coutu-mière face au sexe opposé”, Orwell fait toute une série de demandes en mariage, déçues, à des femmes plus jeunes, qu’il connaît à peine pour certaines et qui pour la plupart ne lui trouvent pas le moindre charme.

La confusion affective dans laquelle il se débat alors transparaît dans la quantité de travail qu’il fournit parallè-lement. Après la mort de sa femme, George Orwell publie quelque 130 articles – soit un tous les deux ou trois jours. Si Orwell est le seul responsable de cette avalanche de tra-vail, il se plaint cependant de délais et d’autres obligations intenables. “J’ai hâte de quitter Londres, pour mon bien, car je croule en permanence sous les commandes de presse”, écrit-il à des amis. Pour George Orwell, Jura apparaît comme une double échappatoire, à sa réussite professionnelle et à son malheur personnel.

Car ce n’est certes pas pour des raisons de santé qu’il s’installe sur cette île. Des amis le décrivent alors comme étant “fatigué et frêle à faire peur”, or avec son isolement sidérant, son climat rigoureux et la rudesse de ses condi-tions de vie, l’île sauvage de Jura est loin d’être la cure idéale pour cet homme émacié et secoué de toux permanentes – un diagnostic de tuberculose sera posé un an plus tard.

Peut-être cette retraite révèle-t-elle un aspect plus pro-fond et plus fondamental du tempérament de l’écrivain. La biographie de D. J. Taylor rapporte les propos d’un ami d’Orwell, pour qui l’auteur “ne s’épanouit jamais que dans une adversité relative”. Sans doute Jura lui promettait-elle juste ce qu’il cherchait d’adversité.

Le lendemain matin, une tasse de thé dans une main et une biographie fatiguée d’Orwell dans l’autre, je prends place sur un banc devant l’hôtel pour savourer le pano-rama et l’air vif. J’écoute le murmure des vagues et le bruit de succion que font les sabots des moutons dans les champs voisins. Au loin se dessinent les contours indé-cis de Jura, sous un ciel dense, lourd de pluie. De l’autre côté de la baie, les Paps, “mamelons” culminants de l’île, se dressent timidement au-dessus des maisons blanches.

Sur l’île, George Orwell se fait appeler par son vrai nom, Eric Blair, et se sent des affinités avec le caractère et la mentalité des insulaires, simples et travailleurs. Mais, à cause de son accent anglais pointu et de son éducation parmi l’élite à Eton, nombre d’habitants de l’île le trouvent hautain et aristocratique.

J’ai décidé de me rendre ce matin à Barnhill, qui fut la résidence d’Orwell sur la côte nord-est de l’île. Un employé de l’hôtel m’a précisé qu’elle se trouve à près de 40 kilomètres, dont les 8 derniers ne se parcourent qu’à pied. La route elle-même, d’une trentaine de kilomètres donc,

est par ailleurs “cabossée, traversée sans cesse par des cerfs et interminable”, m’a-t-on prévenu, et mieux vaut conduire prudemment.

Une mise en garde qui ne se révèle en rien excessive. En fait de route, c’est plutôt une enfilade de zigzags sur une chaussée défoncée. Elle est aussi très étroite : contraire-ment à nombre de single-track roads de la côte ouest de l’île [des routes à double sens mais à une seule voie, typiques des campagnes britanniques], l’espace de circulation est

← Orwell a pour toute compagnie celle de sa machine à écrire et de rares amis. Reportage photo Matthew Bremner

Courrier international – n° 1242 du 21 au 27 août 201444.

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360°.Courrier international — no 1242 du 21 au 27 août 2014

ici réduit au minimum. Je suis le tracé de baies inconnues, traverse des forêts ruisselantes, longe des champs détrem-pés et des lacs intérieurs. Atteignant la carrière abandon-née qui marque la fin de la route, je suis seul à garer là ma voiture. J’enfile mon imperméable, chausse mes bottes et m’élance dans le brouillard sur un chemin défoncé.

D’onduleuses collines couleur whisky, jalonnées de gros rocs de granit noir, dominent le paysage. Le sol est recou-vert presque exclusivement de tourbière haute, et le vent fouette des herbes détrempées. Je progresse lentement. La boue glougloute et fait ventouse sous mes bottes, la pluie cingle mon imper, le chemin grimpe, serpente et s’enroule. Tout occupés à mâchonner des touffes d’herbe, des cerfs me jettent un regard vide.

La présence des animaux n’atténue en rien mon senti-ment de solitude, et je ne peux imaginer qu’il en ait été autrement pour Orwell. Pendant son séjour à Jura, il ne reçoit le courrier que deux fois par semaine. Le domaine d’Ardlussa, sur lequel se trouve la ferme d’Orwell, n’ayant pas le téléphone, l’écrivain doit parcourir près de 30 kilo-mètres, généralement sur sa mobylette branlante et hasar-deuse qui date de la guerre, pour aller passer un coup de fil au village de Craighouse. Non que cela le dérange : s’il s’est réfugié à Jura, c’est bien pour ne pas pouvoir être joint par téléphone. La ferme de Barnhill est alors spar-tiate, à peine chauffée par des radiateurs au kérosène, et Orwell a pour toute compagnie réconfortante celle de sa machine à écrire et des rares amis qui lui rendent visite. A en croire Tim Turner, un maçon qui fait partie de l’équipe chargée d’entretenir le cottage, l’écrivain dormait avec une arme cachée sous son lit.

J’atteins enfin Barnhill. Enfin, je suppose plutôt que c’est Barnhill. Cette longue construction blanche, avec ses dépendances austères, ressemble fort aux photos que j’ai vues, mais il n’y a là aucune pancarte, aucun point info, et pas âme qui vive. Je reste planté là, quelques minutes, hésitant. Je prends quelques photos, me promène autour des bâtiments, jette un œil par les fenêtres et toque à plusieurs portes.

En voilà une déception. Je me sens un peu ridicule d’avoir parcouru tout ce chemin juste pour me retrou-ver sur un site dont je n’ai pas les clés, au sens propre comme au sens figuré. Je repense à ce professeur venu du Japon dont m’a parlé Rob Fletcher, un membre de la famille propriétaire de Barnhill : il a parcouru les 8 kilomètres sous une pluie battante en chapeau haut- de-forme et queue-de-pie – une expédition digne du “véné-rable Orwell”, aurait-il expliqué à son arrivée.

Mais il ne me faut pas longtemps pour appré-cier ce site touristique qui n’en est pas un. Ici, pas de panneaux ni de guichet, pas de Nikon au flash aveuglant, pas de files d’at-tente qui sentent la sueur. La ferme de Barnhill aujourd’hui est comme lorsque

Orwell y a séjourné, aussi isolée et “bout-du-mondesque” qu’elle l’a toujours été.

Reprenant le chemin dans le sens inverse pour rejoindre ma voiture, je m’interroge sur les effets qu’aura eus cette retraite à Jura sur l’écriture d’Orwell. En quoi l’île trans-paraît-elle dans 1984 ? Pendant son séjour, l’écrivain a tou-jours gardé le contact avec le monde extérieur : il reçoit des invités et entretient une correspondance hebdoma-daire avec ses éditeurs et des amis du monde littéraire. C’est par eux qu’il aura eu vent des changements formi-dables survenus dans l’Europe de l’après-guerre et dans le reste du monde. Cependant, son train-train quotidien est cantonné, lui, aux réalités restreintes de Jura : l’impla-cable vent de la mer du Nord s’engouffrant dans la che-minée, les vagues déferlant au loin et les nuances ténues dans la succession des jours. Tout cela combiné aura cer-tainement dilué sa perception du temps qui s’écoule.

J’ai vécu dans des conditions semblables dans ma jeu-nesse (dans la lumière opiniâtre de l’été écossais, capable d’allonger indéfiniment les jours), et je sais à quel point l’isolement peut modifier notre vision du monde extérieur. Ces informations sur un monde en plein bouleversement, Orwell les aura reçues sans doute tout autrement que s’il avait été à Londres. Ce contraste est aisément perceptible dans le roman, où le monde qui apparaît changeant et progressiste n’est qu’une illusion. A la fin, rien ne bouge.

Mais peut-être la trace la plus visible du séjour à Jura dans 1984 tient-elle à la présence permanente, aux côtés d’Orwell, de l’ombre de la mort. Parti d’abord pour échap-per au souvenir du décès de sa femme, l’écrivain s’est retrouvé presque immédiatement confronté, sur place, à sa propre mortalité. Pendant une grande partie de son séjour, il a été pris d’un grave accès de tuberculose qui, des semaines d’affilée, l’a cloué au lit, à demi incons-cient. Ses crises de délire et de confusion expliquent pour D. J. Taylor l’intensité fiévreuse du roman. En somme, George Orwell a écrit chaque mot de 1984 au péril de sa vie. Si l’inéluctabilité de la ruine plane sur le roman d’Orwell, c’est qu’elle rôdait aussi autour de son bureau, dans ce coin perdu d’une île lointaine.

J’arrive à ma voiture au moment où s’approche un Land Rover, illuminant de ses phares les collines. Cela fait plus de dix heures que je n’ai ni vu ni entendu de présence humaine, me dis-je soudain. Je suis presque pris au dépourvu. Pas de doute : la réalité ici est aussi fuyante qu’en Océania.

—Matthew BremnerPublié le 18 juin

SOURCE

ROADS AND KINGDOMSNew York, Etats-Unisroadsandkingdoms.comLittéralement “Routes et royaumes” en anglais, ce magazine en ligne est consacré aux formats longs, avec de nombreux reportages et portfolios. Lancé en 2012, Roads and Kingdoms a pour objectif de “réaliser la fusion finale entre journalisme et voyage”. Il a été élu meilleur site de journalisme itinérant en 2013 par la société des journalistes américains de voyage. Il traite aussi de gastronomie locale. Sa partie football, appelée “Far Post”, est également très garnie.

1984L’intrigue, écrite en 1948, se déroule en 1984. Le héros, Winston Smith, habite à Londres, en Océania, l’une des trois aires géopolitiques qui composent désormais le monde, avec l’Eurasia et l’Estasia. Toutes les trois sont soumises à des régimes totalitaires. En Océania, Winston Smith travaille au ministère de la Vérité. Il révise l’Histoire pour

la rendre adéquate à la version du Parti. Il tient parallèlement un journal où il décrit la société qui l’entoure, et notamment la surveillance constamment exercée sur les habitants par Big Brother, un réseau de surveillance par caméras. Avec ce roman prenant place dans un régime urbain totalitaire, Orwell assoit sa réputation de visionnaire. Il crée le concept de Big Brother, devenu la référence moderne pour parler des systèmes de surveillance. 1984 est également un livre témoin de son époque, car il a été écrit au sortir du totalitarisme nazi et à l’orée de la découverte du totalitarisme soviétique. On attache encore aujourd’hui l’adjectif “orwellien” aux évocations des régimes totalitaires de par le monde.

Le roman

L’écrivain

GEORGE ORWELLDe son vrai nom Eric Arthur Blair, le romancier britannique est né en 1903 à Motihari, en Inde. Ses œuvres sont marquées par son engagement social et anticolonial, lui qui a servi dans les forces impériales en Birmanie et en a tiré Une histoire birmane (1934). Après avoir vécu dans les quartiers pauvres

de Londres et de Paris, Orwell décide en 1936 de partir en Espagne combattre les forces de Franco dans les milices du Parti ouvrier d’unification marxiste (Poum). Blessé à la gorge, il rentre en Angleterre. Il publie après la Seconde Guerre mondiale La Ferme des animaux (1945) et 1984 (1948), ses deux romans majeurs, devenus des monuments de la littérature antitotalitaire. Il meurt en 1950.

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—La Nación (extraits) Buenos Aires

Cette histoire commence à 75 kilo-mètres de Buenos Aires, dans la ville de Campana. La soirée est bien

avancée : toutes les maisons sont plon-gées dans l’obscurité, sauf une, où de la lumière filtre à la fenêtre de la chambre de Matías Gómez. C’est son moment pré-féré, celui qu’il attend toute la journée : enregistrer, seul face à sa caméra, des videorreseñas littéraires [littéralement, “vidéocritiques”] qu’il postera quelques heures plus tard sur sa chaîne YouTube. Peu importent les nuits blanches : il adore ce rôle de critique, et il sait que, quelques secondes après la mise en ligne, il verra apparaître les commentaires tant espé-rés – sa récompense.

“Qui sont les booktubers ? Nous sommes des ados, et nous avons décidé de prendre une caméra et de nous enregistrer, seuls. Mais avec un souhait, au fond, qui est d’ou-vrir le dialogue avec des gens de notre âge qui aiment lire”, nous explique Matías, 17 ans. Beaucoup voient en lui le pionnier argen-tin de ce phénomène qui marche déjà très fort au Mexique et en Espagne. Même si les booktubers sont encore peu nombreux en Argentine, leurs vidéos se propagent en mode viral au sein de leur tranche d’âge. Et s’ils disent vouloir seulement parler littérature, les maisons d’édition voient déjà en eux des prescripteurs et des recru-teurs de nouveaux lecteurs. “Ils font une sacrée différence”, assure-t-on chez Penguin

Random House, grand groupe éditorial à l’affût de nouvelles voix.

“J’ai commencé il y a deux ans, en publiant des critiques sur mon blog Cenizas de Papel [cendres de papier]. Puis je me suis lassé, et j’ai commencé à suivre des booktubers étrangers. Je me suis rendu compte qu’ici, en Argentine, personne ne faisait ça, et j’ai eu envie de me lancer. Dans un premier temps, j’ai posté mes vidéos sur mon blog, dans une nouvelle section dédiée, et ce n’est qu’ensuite que j’ai créé ma chaîne YouTube. Ce n’est pas seulement parce que j’ai envie de recommander des livres, mais surtout parce que j’adore ce type d’interactions”, raconte Matías.

Timidité. Macarena Yannelli, 20 ans, étudiante en philosophie à l’université de Buenos Aires, est une autre actrice du phénomène BookTube. “Je suis blogueuse et booktubeuse, dit-elle pour se présenter. Je m’y suis mise parce que j’avais besoin de

partager ma passion pour la lecture. Savoir que d’autres ont autant aimé un livre que moi, pouvoir échanger avec eux…”

Matías et Macarena se connaissent, ils sont même amis. Selon le booktuber de Campana, l’étudiante en philo “détient en Argentine le record d’abonnés sur sa chaîne YouTube, avec plus de 2 000. Mais en Espagne, certains en ont entre 20 000 et 50 000.” Les deux jeunes Argentins ont beaucoup de points communs, mais celui qui nous frappe, c’est une même timidité lorsqu’il s’agit de montrer leur travail à leur famille. Ils s’adressent par caméra interposée au monde entier, mais attendent d’être seuls pour faire leurs tournages. “Les vidéos, j’en ai parlé comme ça, vite fait, à mes parents, sans trop insister. Au début ils ont trouvé ça bizarre, et ensuite ils ont compris”, raconte Macarena.

Bibliothèque. Au-delà de cet amour commun pour la lecture, les booktubers ont un don : celui de raconter en dix minutes leur expérience du dernier livre lu, sur un ton amusant et dynamique. Résultat : un genre plus proche du sketch que de la critique en bonne et due forme. Tout dans leur travail trahit leur condition de “natifs de l’ère numérique” : leurs vidéos sont parfaitement montées et mises en musique, et d’un dynamisme époustou-flant. Dans ces clips transparaît par ail-leurs l’éternel besoin adolescent, celui de partager ce qu’ils vivent, ce qu’ils ont vécu, ce qu’ils ressentent, pour simple-ment sentir qu’ils ne sont pas seuls et que d’autres les comprennent.

La plupart des booktubers se mettent en scène devant leur bibliothèque, leur “bien le plus précieux”, et ils consacrent nombre de leurs vidéos à présenter leurs dernières acquisitions, leurs derniers cadeaux, et les envois qu’ils reçoivent des maisons d’édition.

Les ventes de littérature pour adoles-cents se sont envolées ces quatre der-nières années. S’ils rechignent à donner des chiffres, les éditeurs confirment la ten-dance : “Harry Potter, la saga Twilight, Nos étoiles contraires ou les romans de James Dashner sont quelques exemples qui confir-ment la constante recherche de nouveautés de la part des jeunes lecteurs. Ils peuvent tout naturellement passer de la fantasy à la fiction réaliste”, analyse Valeria Fernández Naya, chef de produit marketing chez Penguin Random House.

Chez l’éditeur Planeta, on constate aussi une croissance constante du nombre de lec-teurs dans cette tranche d’âge. Les sagas font clairement partie de ce boom, alimenté ensuite par les adaptations au cinéma ou pour la télévision, mais les jeunes favo-risent aussi le buzz, en particulier via les réseaux sociaux, en découvrant des auteurs et en se les recommandant entre eux. Nul doute que les booktubers sont la parfaite illustration de ce phénomène.

—Cintia PerazoPublié le 27 juillet

Bitume blanc et blanc bitumePAYS-BAS – “Les autorités pourraient économiser des dizaines de millions d’euros en éclairage routier grâce au bitume de couleur claire”, s’enthousiasme le journal néerlandais De Telegraaf. Ce bitume réflecteur de lumière, bien que plus cher de deux à trois euros le mètre carré, devrait devenir la norme sur les routes néerlandaises. Il permet une réduction de l’éclairage public de 50 % et serait également “plus sûr pour les conducteurs, car ils bénéficient d’une meilleure visibilité sur la route”, assure Robert Nauss, directeur de l’innovation de l’entreprise qui développe le produit aux Pays-Bas. Ce revêtement est testé sur l’autoroute près d’Hengelo, dans l’est du pays.

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tendances.

Des critiques et des clicsOn les appelle “booktubers”. Ces adolescents argentins mettent en scène leurs critiques de livres sur YouTube et font le bonheur des éditeurs.

↙ Matías et Macarena, les stars des “ booktubers ” argentins. Capture d’écran YouTube

Lanceurs d’identitéESPAGNE – Un nouveau record mondial a été battu début août en Catalogne : celui de “lanceur de cartes d’identité espagnoles”. “Avec un lancer à 38 mètres, un habitant de la commune de Bescanó a pulvérisé le record de cette ‘compétition séparatiste’ teintée d’humour, qui devient chaque fois plus populaire en Catalogne”, constate Público. Ces compétitions, dans lesquelles il faut lancer sa carte d’identité le plus loin possible à la seule force du bras, se sont multipliées cet été dans la communauté autonome espagnole, raconte le journal en ligne.

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360°.

L’art par algorithmes “Une nouvelle forme d’art est en cours d’élaboration, écrit le New Scientist. Un programme informatique a été écrit pour créer des œuvres d’art numériques à partir d’algorithmes imitant la sélection naturelle.” Yasuhiro Suzuki

et son équipe de l’université de Nagoya, au Japon, ont élaboré ce programme après avoir étudié la transmission des techniques artistiques à travers les générations. Pour l’utiliser, il faut au préalable choisir un style de peinture, puis sélectionner une image qui viendra “nourrir” l’algorithme. Des aspects en seront conservés, modifi és ou détruits. Le “peintre” peut interrompre le processus quand il le souhaite.

PHOTO

Vendre ses données

ÉTATS-UNIS – Non, les réseaux sociaux ne sont pas gratuits, prévient d’emblée Wired : “Vous les payez avec vos données personnelles, librement revendues par ces sites à des marques.” L’application Citizenme a ainsi été créée pour “rediriger l’économie en ligne vers ses utilisateurs”. Connectée à vos comptes Facebook, Twitter et LinkedIn, Citizenme répertorie vos données sur votre téléphone et permet de les lister. L’utilisateur peut alors vendre ses données directement à des annonceurs qu’il aura lui-même choisis, en échange de quelques dollars. “Tout le monde y gagne, estime le créateur de l’application, StJohn Deakins : le publicitaire, qui a une cible précise et déjà conquise, et l’utilisateur, qui aura déjà validé la publicité avant même qu’elle n’arrive.”

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SUR NOTRE SITE courrierinternational.com

Retrouvez l’horoscope de Rob Brezsny, l’astrologue le plus original de la planète.

A méditer cette semaine :A quelle idée, quel sentiment, quel comportement es-tu enchaîné(e)? Que peux-tu faire pour t’aff ranchir de cet esclavage ?

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Le parfum de la destructionPHILIPPINES – L’artiste Catherine Young s’inquiète quant à l’avenir de notre planète. Avec le changement climatique, a-t-elle estimée, “des régions côtières, des villes, des cultures et des espèces vont disparaître”. Elle a donc décidé de préserverau moins l’odeur de ces éléments en danger dans une ligne de parfum baptiséeTemps, qu’elle a réalisée avec l’aide d’une parfumerie suisse. “Bords de mer,café, miel, vin, eucalyptus, cacahuète, glace et arbre à bois dur sont les huit senteurs qu’elle a choisi de protéger, détaille Fast Company. Elles sont toutes reliées aux Philippines, où elle travaille.” Ces parfums d’un nouveau genre peuvent être sentis dans une exposition au Mind Museum de Taguig, dans la banlieue de Manille. N. CARANDANG

Courrier international – n° 1242 du 21 au 27 août 2014 47

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48. 360° Courrier international — no 1242 du 21 au 27 août 2014

—The Wall Street Journal New York

Après avoir garé leur scooter, les acteurs se mettent au travail. Ils participent au tournage de Law and

Disorder [Loi et désordre], une parodie de la célèbre série judiciaire Law and Order [diffusée en France sous le titre New York, police judiciaire]. Dans le rôle des combat-tants du crime, une bande d’octogénaires.

Le studio Channel 22 dépend de la maison de retraite que gère à Los Angeles le Motion Picture & Television Fund (MPTF). C’est l’un des rares studios hollywoodiens où l’âge ne pose jamais de problème. Le fait est que certains acteurs sont presque aussi vieux que l’industrie du cinéma elle-même. “Nous avons besoin de faire quelque chose, car nous ne sommes pas encore assez vieux pour nous écrouler ou perdre conscience”, explique l’auteur de la parodie, Norman Stevens, un ancien producteur qui déclare avoir “80 ans et des poussières”.

Dans cette maison de retraite où des vétérans de l’âge d’or du cinéma hollywoo-dien passent leurs vieux jours, les scripts sont imprimés en très gros caractères. L’établissement abrite près de 200 rési-dents qui ont tous travaillé dans l’indus-trie du spectacle. Ils utilisent le studio pour produire des courts-métrages et des émissions de télévision. Depuis le

début de l’aventure, il y a environ huit ans, ils ont réalisé plus de 1 300 produc-tions, qui sont diffusées en circuit fermé, et pour certaines également disponibles sur YouTube.

Parmi elles figurent The Roaring 90s [Les glorieuses années 1990], une table ronde animée par des femmes âgées, Alive and Kicking [Vivants et toujours actifs], un documentaire sur deux compositeurs de musique résidant dans la maison de retraite, et The Okie Dokie Show [OK, d’accord], une série d’in-terviews dans lesquelles un résident marchant dans la rue avec un déambulateur demande à des personnes du voisinage ce qu’elles font et leur répond invariablement “OK, d’accord”.

Fondé en 1921 par des stars du muet comme Mary Pickford et Charlie Chaplin, le MPTF avait initialement pour mission de venir en aide à des acteurs qui ne par-venaient pas à payer leurs accessoires ou leur loyer. La maison de retraite, ouverte à tous ceux qui ont travaillé dans le monde du spectacle pendant plus de vingt ans et à leurs conjoints, a vu le jour dans les années 1940, avant de devenir le projet phare du fonds. Quelques résidents étaient encore adolescents quand Les Ailes (Wings) a rem-porté le premier Oscar du meilleur film, en 1929. L’âge moyen des nouveaux résidents est de 87 ans. Le studio est aménagé dans

une caravane, The Bungalow, installée dans une rue qui porte le nom de Steven Spielberg. Un bassin à poissons est dédié à Lew Wasserman, le magnat aujourd’hui disparu, et les résidents nagent dans un centre aquatique qui a été financé par Jodie Foster.

Certains résidents poursuivent encore leur carrière. Ainsi Connie Sawyer, âgée de 101 ans, a fait récemment une appari-tion dans New Girl, une sitcom diffusée

par la chaîne Fox, et en 2008 elle a joué dans la comédie Délire Express en compagnie

de Seth Rogen et James Franco. “On m’a rappelée !” s’exclamait-elle dernièrement après un casting pour une publicité.

Mais les acteurs à la retraite ne sont pas les seuls à jouer. La distribution comprend également d’anciens machinistes, agents et producteurs. Ainsi, le producteur de la série Magnum, Joel Rogosin, aujourd’hui âgé de 81 ans, joue dans Law and Disorder le rôle d’un psychiatre allemand exper-tisant la santé mentale des policiers. Il répète son texte dans un bureau trans-formé en caserne pour le tournage. Mais, en tant qu’ancien producteur, il est habitué à diriger et il a quelques idées bien arrê-tées sur son personnage. Pourquoi, sug-gère-t-il, ne jouerait-il pas un ancien nazi souffrant d’une crise d’identité et s’expri-mant en espagnol ?

Le contrôle du “chaos du théâtre commu-nautaire”, pour reprendre l’expression d’un résident, incombe à Jennifer Clymer, une ancienne actrice de 42 ans qui a été recru-tée par le MPTF pour occuper un poste de gestionnaire après avoir travaillé pour l’institution comme bénévole. Elle fait en sorte qu’il y ait suffisamment de bagels sur le plateau de tournage. Elle se tient tou-jours à l’arrière-plan pour le cas où il fau-drait un autre figurant et veille à ce que les acteurs ne trébuchent pas sur des fils électriques. Quand le producteur d’une émission de musique swing a proposé de diffuser des séquences montrant des rési-dents en train de danser, Mme Clymer a précisé : “Oui, mais assis sur des chaises.”

Mieux que le loto. Dans la maison de retraite, qui abrite également une unité de soins palliatifs, les activités du Channel 22 empêchent les résidents de souffrir de la solitude. “Elles leur permettent d’avoir un centre d’intérêt, explique Mme Clymer. Dès que quelqu’un ne voit pas ce que le lendemain peut lui apporter, c’est fini.”

Feathers [Plumes], un court-métrage en cours de production, a pour décor la maison de retraite. Il raconte l’histoire de deux vieux copains qui cherchent à faire des rencontres sur Internet après la mort de leur femme. C’est un projet qui pas-sionne Anthony Lawrence, un ancien scé-nariste d’Hollywood qui a travaillé pour des comédies légères comme Paradise, Hawaiian Style avec Elvis Presley ou la série télévisée Bonanza. Il joue l’un des deux célibataires du film et a choisi l’ac-trice Lisabeth Hush, 79 ans, pour tenir le rôle de sa partenaire féminine. Elle lui rap-pelle son épouse défunte, dit-il.

Lisabeth Hush est arrivée de New York en bus il y a plus de cinquante ans. “Ils avaient perdu ma valise et mon premier mot ici a été : ‘M… !’” se souvient-elle. A cette époque, plus de 45 westerns étaient en cours de tournage, et elle a été recrutée pour jouer le rôle d’une femme du Nevada. Elle a ensuite donné la réplique à Charles Bronson dans Le Cercle noir – elle l’appe-lait “Charlie” – et tenu le rôle de Judith Tremaine dans la comédie musicale Millie aux côtés de Julie Andrews.

Partiellement paralysée du côté droit depuis plus de dix ans à la suite d’une hémorragie cérébrale, elle se fait aider par une bénévole pour se maquiller. “J’aurais besoin de rouge à lèvres”, lui demande-t-elle, avant de lancer sur le ton de la plaisante-rie : “Où est le camion de restauration ?”

Même si le jargon du métier et les habi-tudes de scène reviennent vite, la plupart des acteurs du Channel 22 avouent qu’ils ne pensaient pas travailler à leur âge. “Je ne sais pas ce que je ferais sans Law and Disorder, remarque Norman Stevens. Je jouerais sans doute au loto, une activité que je déteste.”

—Erich SchwartzelPublié le 9 juillet

Les dentiers de la gloireA 80 ans bien sonnés, ces anciens employés de l’industrie du cinéma n’ont pas perdu le goût du spectacle. Au sein de leur maison de retraite hollywoodienne, ils continuent de monter séries et courts-métrages.

plein écran. ↓ Toute ressemblance avec la série New York, police judiciaire est bien sûr volontaire. Photo Mike Boudry/MPTF

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