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Cours d’intégration L3 de Mathématiques Raphaël Danchin Année 2018–2019

Cours d’intégration L3 de Mathématiques · 2020. 8. 31. · Pour montrer que la somme est indépendante de l’ordre de sommation, on considère une bijection ’ : N !N quelconque

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Cours d’intégration

L3 de Mathématiques

Raphaël Danchin

Année 2018–2019

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Table des matières

1 Quelques rappels 71.1 Bornes supérieures, bornes inférieures . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 71.2 Suites et séries . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 71.3 Ensembles . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 91.4 Fonctions et ensembles . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 101.5 Limites d’ensembles . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 10

2 Tribus et mesures 132.1 Tribus : généralités . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 132.2 Tribus boréliennes . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 14

2.2.1 Cas de R . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 142.2.2 Cas de Rd . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 142.2.3 Cas général . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 14

2.3 Mesures . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 142.3.1 Définitions . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 152.3.2 Quelques propriétés fondamentales . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 152.3.3 Opérations sur les mesures . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 17

2.4 Mesure de Lebesgue . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 182.4.1 Mesure de Lebesgue sur R . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 182.4.2 Mesure de Lebesgue sur Rd . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 19

3 Intégration par rapport à une mesure 213.1 Mesurabilité des fonctions . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 213.2 Intégration . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 23

3.2.1 Fonctions étagées . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 233.2.2 Fonctions mesurables positives . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 253.2.3 Fonctions mesurables réelles . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 283.2.4 Fonctions à valeurs complexes . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 303.2.5 Mesures avec densité . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 30

4 Théorie de l’intégration étendue 334.1 Ensembles négligeables et égalité presque partout . . . . . . . . . . . . . . . . . . 334.2 Tribus complétées et extension de la mesure . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 354.3 Version définitive des théorèmes limites . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 364.4 Lien avec l’intégrale de Riemann . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 374.5 Intégrales dépendant d’un paramètre . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 40

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4 TABLE DES MATIÈRES

5 Mesures produits et intégrales multiples 435.1 Produits d’espaces mesurables . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 435.2 Un résultat d’unicité . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 445.3 Produits de mesures . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 475.4 Changement de variables dans les intégrales . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 50

6 Les espaces de Lebesgue et la transformée de Fourier 536.1 L’espace de Lebesgue L1 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 536.2 La transformée de Fourier sur R . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 586.3 L’espace L2 et la transformée de Fourier sur L2 . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 62

Bibliographie 67

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Introduction

Rappels sur l’intégrale de Riemann. En L1 et L2, nous avons défini l’intégrale de Riemannd’une fonction f : [a, b] → R de la façon suivante : pour toute subdivision x = (x0, · · · , xn)de [a, b], c’est-à-dire tout (n + 1)-uplet vérifiant a = x0 < · · · < xn = b, et pour tout n-upletζ = (ζ1, · · · , ζn) tel que xi ≤ ζi < xi+1, on pose

I(f, x, ζ)df=

n−1∑i=0

(xi+1 − xi)f(ζi).

On note η(x) = maxxi+1 − xi, i = 0, · · · , n− 1 le pas de la subdvision et l’on dit que f estRiemann-intégrable si I(f, x, ζ) admet une limite lorsque η(x) tend vers 0. Cette limite est notée∫ ba f(x) dx, et est appelée intégrale de Riemann. On vérifie aisément que toute fonction continueou, plus généralement, continue par morceaux (et ayant un nombre fini de discontinuités) estRiemann-intégrable.

Limitations de l’intégrale de Riemann.— Peu de fonctions sont Riemann-intégrables (par exemple une fonction telle que la fonction

caractéristique de Q n’est pas intégrable en ce sens).— Pour une fonction qui n’est pas continue par morceaux, il n’y a pas de critère simple

permettant de dire si elle est Riemann-intégrable. En fait, décrire l’ensemble des fonctionsRiemann intégrables est un problème insoluble sans théorie plus puissante.

— Le fait d’être intégrable au sens de Riemann n’est pas stable par convergence simple dessuites de fonctions. Il faut faire une hypothèse plus forte, comme la convergence uniformepar exemple (voir le cours de Suites et séries de fonctions).

But du cours. Présenter une théorie de l’intégration comprenant la précédente, et plus robustede tous les points de vue :

— Permettant d’intégrer beaucoup plus de fonctions.— Stable par passage à la limite simple des suites de fonctions.— Généralisable à des fonctions définies sur des ensembles beaucoup plus généraux que les

intervalles compacts de R.— Consistante avec la théorie des probabilités.

Pour cela, nous allons adopter le point de vue dual de celui de l’intégrale de Riemann : au lieu desubdiviser (on dit aussi échantillonner ) par rapport à l’intervalle de départ, on va échantillonnerselon les valeurs de la fonction f. Typiquement, si f est à valeurs dans l’intervalle [c, d], pourtoute subdivision y = (y0, · · · , yn) avec c = y0 < · · · < yn = d, on va définir l’intégrale deLebesgue

∫ ba f(x) dx comme étant la limite lorsque le pas η(y) de la subdivision tend vers 0, des

sommes suivantes :n−1∑k=0

yk`(f−1([yk, yk+1[)

)où `

(f−1([yk, yk+1])

)désigne la “mesure” de l’ensemble f−1([yk, yk+1]). Si cet ensemble est un

intervalle, sa mesure sera simplement sa longueur. Mais en général f−1([yk, yk+1]) peut avoir

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6 TABLE DES MATIÈRES

une structure beaucoup plus complexe, et il faudra définir rigoureusement ce qu’est sa mesure.Ce nouveau besoin, indispensable à toute théorie complète de l’intégration, occupera une bonnepartie du cours.

Plan du cours.Le but de la première partie du cours est justement d’introduire la théorie de la mesure,

préalable nécessaire à la construction de l’intégrale de Lebesgue. Cela sera fait en deux temps,dans le chapitre 2 puis dans le début du chapitre 4 (le chapitre 1 étant dévolu à quelques rappelssur des notions classiques d’analyse et de théorie des ensembles vues en L1 et L2). La deuxièmepartie du cours concerne la théorie de l’intégrale de Lebesgue (chapitres 3, 4 et 5). Dans unecourte dernière partie (chapitre 6), nous utilisons cette théorie pour présenter brièvement (maisrigoureusement) la transformée de Fourier sur R.

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Chapitre 1

Quelques rappels

1.1 Bornes supérieures, bornes inférieures

Pour se remettre en jambes, commençons par quelques rappels sur les bornes inférieures etles bornes supérieures d’une partie (non vide) de R.

Soit donc A une telle partie. On dit que le nombre réel M est un majorant de A si

∀x ∈ A, x ≤M.

Si A n’admet pas de majorant alors on convient que la borne supérieure vaut +∞.Si A admet un majorant, on observe que l’ensemble des majorants de A est un intervalle de

type [M0,+∞[. Le nombre M0 est, par définition, la borne supérieure, notée supA, de A :

supAdf= M0.

Si de plus supA est dans A i.e. « la borne supérieure est atteinte » on dit que c’est le maximumde A, noté maxA.

De même, on dit que m est un minorant de A si

∀x ∈ A, m ≤ x,

et l’on convient que la borne inférieure inf A vaut −∞ si A n’a pas de minorant, puis que inf Adésigne le plus grand minorant de A dans le cas contraire. Lorsque inf A se trouve dans A, onl’appelle aussi minimum, et on le note minA.

1.2 Suites et séries

Soit une suite (xn)n∈N de nombres réels. Même si (xn)n∈N ne converge pas, on peut toujoursdéfinir ses limites inférieures et supérieures (dans R df

= R ∪ −∞,+∞) par :

lim supxn = limn→+∞

supk≥n

xk = infn∈N

supk≥n

xk et lim inf xn = limn→+∞

infk≥n

xk = supn∈N

infk≥n

xk.

Les égalités ci-dessus résultent du fait que les suites (supk≥n xk)n∈N et (infk≥n xk)n∈N sontdécroissantes et croissantes, respectivement, et donc ont une limite dans R (qui n’est autre queleur borne inférieure ou supérieure). Dans le cas d’une suite minorée (resp. majorée), on peutmontrer que lim inf xn (resp. lim supxn ) est la plus petite (resp. grande) valeur d’adhérence.

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8 CHAPITRE 1. QUELQUES RAPPELS

Bien sûr, la limite de (xn)n∈N existe au sens large (c’est-à-dire dans R) si et seulement si leslimites inférieures et supérieures sont égales, auquel cas on a

limn→+∞

xn = lim inf xn = lim supxn.

Passons maintenant aux séries.

Définition. Soit (un)n∈N une suite de nombres réels ou de complexes. Soit (Sn)n∈N la suite dessommes partielles associées, définie par

Sndf=

n∑k=0

uk.

On dit que la série∑un converge si la suite (Sn)n∈N des sommes partielles converge dans R

(ou C). La somme de la série, notée∑+∞

n=0 un, est égale à la limite des sommes partielles :

+∞∑n=0

undf= lim

n→+∞Sn.

Si∑|un| converge, on dit que la série converge absolument.

Remarque. Pour une série réelle, la convergence absolue est équivalente au fait que∑

(un)− et∑(un)+ convergent, où (un)− et (un)+ désignent les parties négatives et parties positives de

un, respectivement qui sont définies par

(un)−df= max(0,−un) et (un)+

df= max(0, un).

Pour les séries réelles ou complexes, la convergence absolue entraîne la convergence (utiliser lacomplétude de R ou de C), et la convergence entraîne que le terme général de la série tend vers0. A l’aide de l’exemple

∑(−1)n/nα ou

∑1/nα avec des valeurs de α > 0 bien choisies, le

lecteur pourra vérifier que les deux propriétés réciproques sont fausses en général.

Proposition. La somme d’une série à termes positifs est définie dans R+ df= R+ ∪ +∞. De

plus la somme de la série ne dépend pas de l’ordre de sommation. De ce fait, on la note par-fois

∑n∈N un.

Dém. Il suffit de remarquer que la suite des sommes partielles associée (Sn)n∈N est positiveet croissante. Si elle est bornée alors elle converge, sinon elle tend vers +∞.Pour montrer que la somme est indépendante de l’ordre de sommation, on considèreune bijection ϕ : N → N quelconque. Si l’on fixe n0 ∈ N alors il existe N0 ∈ Ntel que ϕ(0, · · · , N0) ⊃ 0, · · · , n0 (prendre par exemple le plus grand élément deϕ−1(0, · · · , n0)). En conséquence, on a

n0∑k=0

uk ≤N0∑k=0

uϕ(k) ≤+∞∑k=0

uk.

En faisant tendre n0 vers +∞, on conclut aisément que∑+∞

k=0 uϕ(k) =∑+∞

k=0 uk.

Remarque. Plus généralement, si la série est absolument convergente, sa somme est indépendantede l’ordre de sommation (partager la série en termes positifs et en termes négatifs pour le voir,et appliquer la proposition ci-dessus).

En revanche, si la série∑un est convergente, mais non absolument convergente, pour tout

γ ∈ R (et même pour γ = ±∞), il existe une bijection ϕ : N → N telle que∑+∞

n=0 uϕ(n) = γ.Autrement dit, en changeant l’ordre des termes, on peut obtenir la somme que l’on veut (voirfeuille de TD).

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1.3. ENSEMBLES 9

1.3 Ensembles

Nous rappelons ici le langage et les notations de base de la théorie des ensembles.• Un ensemble est une collection d’objets appelés éléments ou points. Pour dire qu’un pointx appartient à l’ensemble E, on écrit x ∈ E. Dans le cas contraire, on écrit x 6∈ E.L’ensemble ne comportant pas d’éléments est appelé ensemble vide, et noté ∅.

• Inclusion, sous-ensembles, parties : On dit que A est inclus dans E , noté A ⊂ E, si toutélément de A appartient à E. On dit alors que A est un sous-ensemble ou une partie deE. On note P(E) l’ensemble des parties de E.

• Intersection : si A et B sont deux parties d’un même ensemble E, alors l’ensemble notéA∩B des points appartenant à la fois à A et à B est appelé intersection de A et de B.On dit que que A et B sont disjoints si A ∩B = ∅.

• Réunion : l’ensemble des points appartenant à A ou (non exclusif) à B est appelé unionou réunion de A et de B, et noté A ∪B.

• Complémentaire : si A est une partie de l’ensemble E alors l’ensemble des points de En’appartenant pas à E est appelé complémentaire de A, et noté E \A ou cA.

• Famille de parties d’un ensemble : lorsque l’on travaille avec un nombre élevé de partiesd’un même ensemble E, il est commode de repérer ces parties par un indice i appartenantà un ensemble d’indices I, qui peut être absolument quelconque. On adopte alors lanotation (Ai)i∈I pour désigner toutes les parties concernées. Dans ce cours, les exemplesles plus fréquents sont I = 1, · · · , n ou I = N.NB : Une famille peut contenir plusieurs fois le même objet, c’est en cela que la notionde famille diffère de celle d’ensemble.

Les relations algébriques suivantes entre les parties d’un ensemble seront d’un usage constanttout au long du cours. Il va de soi qu’elles doivent être connues, et que le lecteur doit savoir lesdémontrer.

Proposition. Soit E un ensemble et A, B, C trois parties de E. Alors on dispose des relationssuivantes :

— A ∩ (B ∪ C) = (A ∩B) ∪ (A ∩ C),— A ∪ (B ∩ C) = (A ∪B) ∩ (A ∪ C),— E \ (A ∪B) = (E \A) ∩ (E \B),— E \ (A ∩B) = (E \A) ∪ (E \B).

Les relations algébriques ci-dessus se généralisent sans problème aux familles de parties de E(exercice conseillé).

Nous terminons ce paragraphe par le rappel des définitions de finitude et de dénombrabilité.• Ensemble fini : On dit qu’un ensemble E (ou qu’une partie de E ) est fini s’il est vide,

ou s’il existe n ∈ N∗ tel que E puisse être mis en bijection avec 1, · · · , n.• Ensemble dénombrable : On dit qu’un ensemble (ou qu’une partie) est dénombrable s’il

peut être mis en bijection avec N. On dit qu’il est au plus dénombrable s’il est fini oudénombrable. Cela est équivalent à l’existence d’une injection de cet ensemble dans N.Les ensembles 2N (entiers pairs) et Z (entiers relatifs) sont dénombrables, mais R n’estpas dénombrable.

Rappelons un résultat fondamental vu en L1.

Proposition. Une réunion finie ou dénombrable d’ensembles finis ou dénombrables, est un en-semble fini ou dénombrable.

Exemple. L’ensemble Q est dénombrable car union des ensembles de fractions avec mêmedénominateur.

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10 CHAPITRE 1. QUELQUES RAPPELS

1.4 Fonctions et ensembles

Dans tout ce paragraphe, f désigne une fonction entre deux ensembles quelconques E et F.Rappelons tout d’abord les notions d’image directe et d’image réciproque.

Définition. Soit A une partie de E. L’image directe de A par f, notée f(A), est le sous-ensemble suivant de F :

f(A)df=f(x), x ∈ A

·

Soit B une partie de F. L’image réciproque de B par f, notée f−1(B), est le sous-ensemblesuivant de E :

f−1(B)df=x ∈ E, f(x) ∈ B

·

Remarque. Par convention f(∅) = ∅, et f−1(∅) = ∅. On a toujours f−1(F ) = E. En revanchef(E) peut être un sous-ensemble strict de F, le fait que f(E) = F étant équivalent à la surjec-tivité de f.

Les relations suivantes sur les images directes et réciproques seront d’un usage constant danstout le cours.

Proposition. Soit f : E → F. Soit A et B deux parties de E, C et D deux parties de F.Alors on a

(i) f−1(C ∩D) = f−1(C) ∩ f−1(D) ;

(ii) f−1(C ∪D) = f−1(C) ∪ f−1(D) ;

(iii) f−1(F \ C) = E \ f−1(C) ;

(iv) f(A ∪B) = f(A) ∪ f(B) ;

(v) f(A ∩B) ⊂ f(A) ∩ f(B) .

Remarque. Si f n’est pas injective, l’égalité f(A∩B) = f(A)∩f(B) n’est pas forcément vérifiée.De même, on ne peut rien dire de f(E \A).

Nous terminons cette section par la définition de fonction indicatrice, bien utile lorsque l’onveut transcrire des relations sur les parties en termes de fonctions.

Définition. Si A est une partie de l’ensemble E, on note 1A la fonction de E dans 0, 1définie par

1A(x) =

1 si x ∈ A,0 si x 6∈ A.

La fonction 1A est appelée fonction indicatrice ou fonction caractéristique de A.

A titre d’exercice, le lecteur pourra vérifier les relations ci-dessous :

(i) 1A∩B = min(1A, 1B) = 1A 1B ;

(ii) 1A∪B = max(1A, 1B) ;

(iii) 1E\A = 1− 1A.

1.5 Limites d’ensembles

Cette section est dévolue à la notion de limite de parties d’ensembles, qui est sans doutenouvelle pour le lecteur, contrairement au contenu des paragraphes précédents.

Définition. On dit que la suite (An)n∈N de parties de E converge vers la partie A si les deuxpropriétés suivantes sont satisfaites :

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1.5. LIMITES D’ENSEMBLES 11

(i) pour tout x ∈ A, on a x ∈ An à partir d’un certain rang,

(ii) pour tout x ∈ cA, on a x 6∈ An à partir d’un certain rang.

On écrit alors A = limn→+∞An.

Remarque. La notion de limite de parties se traduit en terme de fonctions caractéristiques commesuit :

limn→+∞

An = A ⇐⇒ limn→+∞

1An(x) = 1A(x) pour tout x ∈ E.

Exemple 1. La limite d’une suite croissante ou décroissante (au sens de l’inclusion) de partiesest toujours définie. Plus précisément :

— si (An)n∈N est croissante alors limn→+∞An =⋃n∈NAn,

— si (An)n∈N est décroissante alors limn→+∞An =⋂n∈NAn.

Exemple 2. On prend E = R, An =] − 1/n, 1 + 1/n[, Bn = [1/n, 1 + 1/n] et Cn = [−n, n[.Alors on a

limn→+∞

An = [0, 1], limn→+∞

Bn =]0, 1] et limn→+∞

Cn = R.

On note au passage que la suite (An)n∈N est décroissante, et que (Cn)n∈N est croissante.

Comme pour les suites de nombres, la limite d’une suite de parties n’est pas toujours définie.En revanche, les limites supérieures et inférieures ci-dessous le sont toujours : en s’inspirant dela définition donnée pour les suites de réels, on pose

lim supAn = limn→+∞

⋃k≥n

Ak =⋂n∈N

⋃k≥n

Ak et lim inf An = limn→+∞

⋂k≥n

Ak =⋃n∈N

⋂k≥n

Ak.

Remarquons que lim supAn (resp. lim inf An ) est l’ensemble des points appartenant à uneinfinité d’ensembles An (resp. appartenant à tous les An à partir d’un certain rang). Il est doncclair que lim inf An ⊂ lim supAn et que (An)n∈N a une limite si et seulement si lim inf An =lim supAn, auquel cas

limn→+∞

An = lim inf An = lim supAn.

Exemple 3. Soit (An)n∈N la suite de parties de R+ définie par An = [0, n] si n pair, An =[n,+∞[ si n impair. Alors lim supAn = R+ et lim inf An = ∅.

On peut établir un lien entre les limites inférieures et supérieures d’ensembles et de fonctionsgrâce aux fonctions caractéristiques. En effet, on a :

lim sup 1An = 1lim supAn et lim inf 1An = 1lim inf An .

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12 CHAPITRE 1. QUELQUES RAPPELS

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Chapitre 2

Tribus et mesures

Ce chapitre est essentiellement dédié à la présentation de la théorie de la mesure, qui estla généralisation d’un point de vue mathématique, de la notion de longueur de segment, etenglobe également les notions d’aire et de volume, ainsi que la base de la théorie des probabilités.Préalablement, il convient de décrire quelles parties peuvent être mesurées. Cela se fera grâce àla notion de tribu introduite ci-dessous, et également présente dans le cours de probabilités.

2.1 Tribus : généralités

Définition. Soit E un ensemble et T un ensemble de parties de E. On dit que T est une tribusi c’est une σ -algèbre, c’est-à-dire :

(i) T contient E,

(ii) T est stable par complémentaire (i.e. A ∈ T ⇒ cA ∈ T ),

(iii) T est stable par intersection dénombrable (i.e. (An)n∈N ∈ T N ⇒ ∩n∈NAn ∈ T ).

Le couple (E, T ) est appelé espace mesurable. Les éléments de la tribu sont les parties mesurables.

Remarque. En combinant les trois propriétés de la définition, on constate aisément qu’une tribucontient ∅, est aussi stable par intersection finie, et union finie ou dénombrable, et enfin parlim sup et lim inf qui sont des opérations combinant intersection et réunion dénombrables.

En particulier, la limite d’une suite convergente de parties mesurables, est mesurable.

Exemples. (i) La plus petite tribu de E est la tribu triviale ∅, E.(ii) La plus grande tribu de E est P(E).

(iii) Si A est une quelconque partie de E alors ∅, E,A, cA est une tribu.

On laisse en exercice la démonstration de la proposition suivante.

Proposition. L’intersection d’une famille arbitraire de tribus, est encore une tribu.

Remarque. La réunion de tribus d’un même ensemble, n’est pas forcément une tribu. Cela se voitaisément sur l’exemple suivant : T1 = ∅, E,A, cA et T2 = ∅, E,B, cB avec B 6∈ T1.

Définition. La tribu engendrée par une partie A de P(E) est la plus petite tribu contenant A.C’est aussi l’intersection de toutes les tribus contenant A.

On note σ(A) la tribu engendrée par A.

Remarque. On a toujours σ(A) = σ(cA). Si A est une tribu, on a σ(A) = A. On remarqueraégalement que A ⊂ B implique σ(A) ⊂ σ(B).

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14 CHAPITRE 2. TRIBUS ET MESURES

Exemples. — La tribu engendrée par A est ∅, E,A, cA.— La tribu engendrée par A,B est ∅, E,A, cA,B, cB,A ∪ B,A ∩ B,A ∪ cB,A ∩ cB, cA ∪

B, cA ∩B, cA ∪ cB, cA ∩ cB.— La tribu engendrée par les singletons est l’ensemble des parties finies ou dénombrables de

E, et de leurs complémentaires.

2.2 Tribus boréliennes

2.2.1 Cas de R

Définition. On appelle tribu borélienne de R (notée B(R)) la tribu engendrée par tous lesintervalles de type ]a, b[ avec (a, b) ∈ R2 tels que a < b. Les éléments de B(R) sont appelésboréliens de R .

Remarque : On montre aisément que B(R) coïncide avec la tribu engendrée par les intervallesde type ] − ∞, x[ ou [x,+∞[, ou encore [a, b], etc. Il suffit même de choisir x, a ou b dansun ensemble dénombrable dense, comme Q par exemple. Plus généralement, toute partie de Rdéfinie par un procédé constructif « raisonnable » (récurrence, limite d’une suite d’intervalles oude réunions d’intervalles, etc) est borélienne. On ne peut cependant pas décrire tous les boréliensde R en recourant uniquement à ce type de construction.

En pratique, on ne rencontre jamais de parties non boréliennes de R, la raison étant que laconstruction d’une telle partie nécessite l’axiome du choix non dénombrable (c’est une consé-quence d’un résultat de logique mathématique obtenu par Solovay en 1966).

Nous aurons parfois besoin de considérer les boréliens de R = R ∪ −∞,+∞. Ils sontengendrés par la tribu borélienne de R à laquelle on a adjoint −∞ et +∞.

2.2.2 Cas de Rd

Définition. La tribu borélienne de Rd (notée B(Rd)) est celle qui est engendrée par les pavésouverts, c’est-à-dire les ensembles du type

∏di=1]ai, bi[ avec les ai et bi décrivant R. Les éléments

de B(Rd) sont appelés boréliens de Rd .

Remarque : On peut également engendrer B(Rd) à l’aide de tous les pavés fermés, semi-ouverts,ou même des boules, et comme dans le cas de R, on peut se limiter à un ensemble dénombrablede tels objets.

2.2.3 Cas général

La tribu borélienne de Rd coïncide avec celle qui est engendrée par les ouverts de Rd. Rappe-lons qu’un ouvert Ω de Rd est une partie de Rd qui est voisinage de tous ses points, c’est-à-direque pour tout x ∈ Ω, il existe r > 0 tel que la boule ouverte B(x, r) de centre x et de rayon rsoit incluse dans Ω. Il est clair que tout pavé ouvert est un ouvert de Rd, et donc que la tribuengendrée par les ouverts de Rd contient B(Rd). On peut montrer qu’il y a en fait égalité.

La notion de tribu borélienne comme partie engendrée par tous les ouverts, se généralise àn’importe quel ensemble E muni muni d’une topologie, par exemple aux espaces métriques. Danstous les cas, on note B(E) la tribu des boréliens de E.

2.3 Mesures

Dans cette section, on introduit la notion de mesure, et on énonce quelques propriétés élé-mentaires (mais néanmoins fondamentales) des mesures.

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2.3. MESURES 15

2.3.1 Définitions

Définition. Soit (E, T ) un espace mesurable. On dira que µ : T → R+ est une mesure positive(ou plus simplement mesure) si

(i) µ vérifie la propriété d’additivité dénombrable : µ(⋃n∈NAn) =

∑n∈N µ(An) pour toute

famille (An)n∈N d’éléments de T deux à deux disjoints,

(ii) µ(∅) = 0.

Le triplet (E, T , µ) est appelé espace mesuré.

La mesure est dite :— finie si µ(E) est fini,— mesure de probabilité 1 si µ(E) = 1,— σ -finie s’il existe (En)n∈N ∈ T N famille croissante de réunion E telle que µ(En) < ∞

pour tout n ∈ N.— borélienne si T = B(E).

Remarque. L’additivité dénombrable entraîne trivialement l’additivité finie : si les parties A1,A2, . . . , Ap sont mesurables et deux à deux disjointes alors on a

µ( p⋃k=1

Ak

)=

p∑k=1

µ(Ak).

Exemples. Sur n’importe quel espace mesurable (E, T ), on peut définir :— la mesure nulle : µ(A) = 0 pour tout A ∈ T ;— la mesure infinie : µ(A) = +∞ pour tout A ∈ T \ ∅;— la mesure (ou masse) de Dirac en a ∈ E : δa(A) = 1 si A ∈ T et a ∈ A, et δa(A) = 0 si

A ∈ T et a 6∈ A.Sur (N,P(N)), on peut définir la mesure de comptage δN par δN(A) = Card(A).

On verra plus tard que la longueur est une mesure sur (R,B(R)), que l’aire est une mesuresur (R2,B(R2)), et que le volume est une mesure sur (R3,B(R3)).

2.3.2 Quelques propriétés fondamentales

Dans ce paragraphe, nous présentons quelques propriétés fondamentales des mesures. Cellesqui sont énoncées ci-dessous sont des conséquences immédiates de la définition de mesure.

Proposition (Propriétés algébriques). Soit (E, T , µ) un espace mesuré, et A, B deux élé-ments de T . On a :

(i) µ(A ∪B) + µ(A ∩B) = µ(A) + µ(B).

(ii) Si A ⊂ B avec µ(A) <∞ alors µ(B \A) = µ(B)− µ(A).

(iii) Croissance : A ⊂ B entraîne µ(A) ≤ µ(B).

(iv) Si (An)n∈N ∈ T N alors µ(⋃

n∈NAn)≤∑

n∈N µ(An).

Dém. Soit A df= x ∈ A , x 6∈ B et B df

= x ∈ B , x 6∈ A. Pour démontrer la premièrepropriété, on utilise le fait que

(A ∩B) ∪ A = A et (A ∩B) ∪ B = B.

1. Dans la théorie des probabilités, l’ensemble E est plutôt appelé univers ou espace des issues, et les ensemblesmesurables sont les événements.

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16 CHAPITRE 2. TRIBUS ET MESURES

Les réunions étant disjointes et les ensembles, mesurables, on peut écrire

µ(A ∩B) + µ(A) = µ(A) et µ(A ∩B) + µ(B) = µ(B).

Mais il est clair que A ∪ B est la réunion disjointe des ensembles mesurables A, B etA ∩B. Cela donne le résultat voulu.

Pour le point (ii), on remarque que B = A∪ (B \A) et donc, puisque les deux ensemblesde droite sont disjoints et mesurables,

(2.1) µ(B) = µ(A) + µ(B \A).

Le fait que µ(A) soit fini autorise à retrancher µ(A) aux deux membres de l’égalité. Lepoint (iii) découle immédiatement de (2.1). La propriété (iv) se montre par récurrence àpartir de (i) qui entraîne trivialement que µ(A ∪B) ≤ µ(A) + µ(B) dans le cas de deuxparties mesurables.

Donnons-nous maintenant une suite (An)n∈N de parties mesurables, qui converge vers unepartie A. On sait déjà que A est mesurable, et l’on se demande si l’on peut écrire

µ(A) = limn→+∞

µ(An).

Le théorème ci-dessous permet de répondre positivement à la question si (An)n∈N est une suitecroissante.

Théorème (Convergence monotone ou de Beppo-Levi). Soit (An)n∈N une suite croissantede T . Alors (µ(An))n∈N est une suite croissante (donc a une limite dans R+ ) et l’on a

µ(

limn→+∞

An)

= µ

(⋃n∈N

An

)= lim

n→+∞µ(An).

Dém. La limite est bien définie dans R+ puisque la suite (µ(An))n∈N est croissante. Eneffet, on a An ⊂ An+1 pour tout n ∈ N, et donc µ(An) ≤ µ(An+1).

S’il existe n0 tel que µ(An0) = +∞ alors la croissance implique µ(An) = +∞ pour toutn ≥ n0, et le résultat est évident.

Si tous les An sont de mesure finie, on pose B0 = A0 et Bn = An \ An−1 pour n ≥ 1.On dispose ainsi d’une suite (Bn)n∈N d’éléments de T deux à deux disjoints, dont laréunion est égale à celle des An. L’additivité dénombrable jointe à la propriété (ii) de laproposition ci-dessus donne donc

µ

(⋃n∈N

An

)= µ

(⋃n∈N

Bn

)=∑n∈N

µ(Bn) = µ(A0)++∞∑n=1

(µ(An)−µ(An−1)

)= lim

n→+∞µ(An),

comme annoncé.

Le théorème suivant permet de traiter le cas général où la suite (An)n∈N n’est pas nécessairementcroissante.

Théorème (Convergence dominée pour les mesures). Soit (An)n∈N une suite d’élémentsde T . On suppose que :

(i) il existe B ∈ T de mesure finie tel que An ⊂ B pour tout n ∈ N,

(ii) Adf= limn→+∞An existe.

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2.3. MESURES 17

Alors on aµ(A) = lim

n→+∞µ(An).

Dém. On procède en trois étapes : cas monotone croissant, cas monotone décroissant, puiscas général.(i) Cas monotone croissant : c’est le théorème de convergence monotone vu que A =∪n∈NAn dans ce cas.

(ii) Cas monotone décroissant : on pose Bn = B \An et on observe que (Bn)n∈N est unesuite croissante de parties mesurables, et que

limn→+∞

Bn =⋃n∈N

(B \An

)= B \

⋂n∈N

An = B \A.

Donc (µ(Bn))n∈N converge vers µ(B \ A). Mais comme B est de mesure finie, il enest de même de tous les An et de A, et l’on peut donc écrire d’après le (ii) de laproposition précédente que

µ(B \A) = µ(B)− µ(A) et µ(Bn) = µ(B)− µ(An).

Cela donne le résultat voulu.(iii) Cas général : On écrit que la limite A est aussi égale à la limite supérieure de la suite

(An)n∈N :A = lim supAn = lim

n→+∞

⋃k≥n

Ak︸ ︷︷ ︸Cn

.

La suite (Cn)n∈N vérifie les hypothèses du deuxième cas. Donc, pour tout ε > 0, ilexiste un rang n0 à partir duquel on a µ(A) + ε ≥ µ(Cn) ≥ µ(An). De même, A =

lim inf An = limn→+∞⋂k≥n

Ak︸ ︷︷ ︸Dn

, donc par le premier cas, µ(A) − ε ≤ µ(Dn) ≤ µ(An)

pour n assez grand. Donc la limite existe bien et vaut µ(A).

Remarque. L’hypothèse An ⊂ B avec µ(B) < ∞ est indispensable. Exemple : An = n etE = N avec µ mesure de comptage de N. L’ensemble limite est vide, donc est de mesure nulle,mais µ(An) = 1 pour tout n ∈ N.

2.3.3 Opérations sur les mesures

Dans ce paragraphe, on énumère les opérations les plus courantes que l’on peut effectuer surles mesures définies sur un même espace mesurable (E, T ).• Restriction : soit B ∈ T et µ une mesure sur (E, T ). On définit la restriction µB deµ sur la tribu TB restreinte à B c’est-à-dire sur l’ensemble des A ∩ B, A ∈ T parµB(A) = µ(A ∩B) pour A ∈ T .

• Somme : Si µ et ν sont deux mesures sur (E, T ), on définit la mesure somme par(µ+ ν)(A)

df= µ(A) + ν(A), pour tout A ∈ T .

Cette opération se généralise immédiatement à un nombre fini de mesures, et même à unesuite (µn)n∈N de mesures sur (E, T ) : on pose(∑

n∈Nµn

)(A) =

∑n∈N

µn(A) pour A ∈ T .

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18 CHAPITRE 2. TRIBUS ET MESURES

Un cas particulier important est E = N, T = P(N) et µn = δn : on constate alors que∑n∈N δn = δN.

• Multiplication par un réel positif : Pour µ mesure sur (E, T ) et λ ∈ R+ la mesure λµest définie par (λµ)(A) = λµ(A) pour A ∈ T .

• Limite d’une suite croissante (µn)n∈N de mesures : on définit limn→+∞ µn par(lim

n→+∞µn)(A) = lim

n→+∞µn(A) pour tout A ∈ T ,

et on vérifie facilement que c’est une mesure sur (E, T ).

2.4 Mesure de Lebesgue

Cette section est dévolue au cas plus familier où l’ensemble E est Rd, et où la tribu est celledes boréliens. Dans ce cadre, nous allons voir qu’il existe une mesure qui coïncide avec la notionintuitive de longueur (si d = 1), d’aire (si d = 2), et de volume (si d = 3).

2.4.1 Mesure de Lebesgue sur R

Nous commençons par examiner le cas d = 1.

Théorème. Il existe une unique mesure λ sur (R,B(R)) telle que λ([a, b]) = b − a pour toutintervalle [a, b] de R. Cette mesure, appelée mesure de Lebesgue, est :

— invariante par translation : pour tout borélien A et réel a, l’ensemble a+ A est borélienet λ(a+A) = λ(A) ;

— homogène de degré 1 : pour tout A borélien et α réel positif, l’ensemble αA est borélien,et l’on a λ(αA) = αλ(A).

Dém. La démonstration de l’existence d’une mesure sur (R,B(R)) vérifiant λ([a, b]) = b−adépasse le cadre du cours. Le fait qu’elle soit unique repose sur le théorème des classesmonotones, que l’on verra plus loin. Enfin, l’invariance par translation et dilatation de latribu des boréliens résulte de celle des intervalles qui la génèrent. L’unicité de la mesure deLebesgue coïncidant avec la notion de longueur d’intervalle assure alors les deux relationsdu théorème.

Exemples. (i) La mesure de Lebesgue de R ne “charge pas les points”, c’est-à-dire queλ(x) = 0 pour tout x ∈ R. En effet, x peut être vu comme l’intervalle [x, x]. Celaimplique immédiatement que

λ([a, b]) = λ(]a, b]) = λ([a, b[) = λ(]a, b[) = b− a.

(ii) Comme tout borné de R est inclus dans un intervalle borné de R, tout ensemble mesurableborné est de mesure de Lebesgue finie. En revanche, les intervalles non bornés sont demesure +∞. Cela se voit par exemple sur [a,+∞[ qui est union (disjointe) des intervalles[a+ n, a+ n+ 1[ pour n décrivant N.On en déduit tout de suite que λ est une mesure σ -finie, mais n’est pas une mesure finie.

(iii) De façon générale tout borélien borné est de mesure finie, mais la réciproque est fausse :il existe des boréliens non bornés qui sont quand même de mesure finie.

(iv) Si B est fini ou dénombrable et A borélien quelconque alors λ(B) = 0 et λ(A \ B) =λ(A ∪ B) = λ(A). En particulier λ(Q) = 0. C’est une conséquence du premier exemple,et de l’additivité dénombrable.

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2.4. MESURE DE LEBESGUE 19

(v) Exemple de partie de R non borélienne : on définit la relation d’équivalence ∼ sur R parx ∼ y si x− y ∈ Q, puis on choisit 2 un représentant x de chaque classe dans [0, 1].

Supposons que l’ensemble E des représentants ainsi obtenu soit mesurable. Alors E ⊂[0, 1] par construction, et E est donc mesure finie. Il est clair que⋃

q∈Q∩[0,1]

(q + E) ⊂ [0, 2].

Comme la réunion est disjointe (par construction de E ), et comme λ est invariante partranslation, on en déduit que :

λ

( ⋃q∈Q∩[0,1]

(q + E)

)= (+∞)× λ(E) ≤ 2.

Donc λ(E) = 0. Mais par ailleurs R =⋃q∈Q(q+E) donne λ(R) = 0, ce qui est absurde.

Donc E n’est pas mesurable.

Au passage, on voit qu’il n’est pas possible de trouver une mesure non nulle et non infinie,invariante par translation, et définie sur tout P(R), le raisonnement ci-dessus n’utilisantjamais la valeur de λ sur les intervalles. . .

2.4.2 Mesure de Lebesgue sur Rd

Dans ce dernier paragraphe, on présente brièvement la mesure de Lebesgue en dimensionsupérieure.

Théorème. Il existe une unique mesure λd sur (Rd,B(Rd)) telle que pour tout (ai)1≤i≤d et(bi)1≤i≤d avec ai ≤ bi pour tout i ∈ 1, · · · , d, on ait

λ( d∏i=1

[ai, bi])

=

d∏i=1

(bi − ai).

Cette mesure est invariante par toute isométrie de Rd et vérifie la propriété (non triviale) sui-vante : si A1, · · · , Ad sont des boréliens de R alors A1 × · · · ×Ad est un borélien de Rd et

λd(A1 × · · · ×Ad) = λ(A1)× · · · × λ(Ad).

Remarque. La mesure λd ne charge pas les ensembles de “dimension≤ d − 1” : si A ∈ T estinclus dans un hyperplan P alors µ(A) = 0. Cela provient du fait que µ(P ) = 0 (c’est évidentsi l’hyperplan a pour équation xd = 0, sinon on utilise une translation et une rotation pour seramener à ce cas).

Il est parfois utile de définir une mesure de Lebesgue sur une partie de Rd seulement :

Définition. Si A ∈ B(Rd), on appelle mesure de Lebesgue sur A la restriction de λd à A.

2. En faisant cette opération apparemment anodine, on applique sans le dire l’axiome du choix.

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20 CHAPITRE 2. TRIBUS ET MESURES

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Chapitre 3

Intégration par rapport à une mesure

Maintenant que nous disposons d’une théorie de la mesure permettant de définir et de gé-néraliser rigoureusement la notion de longueur, d’aire ou de volume, on peut aborder la fin duprogramme : construire une théorie de l’intégration plus robuste que celle de Riemann. C’estl’objet de ce chapitre ainsi que du chapitre suivant.

3.1 Mesurabilité des fonctions

Avant toute chose, nous devons préciser quelles fonctions nous avons le droit d’intégrer. Cesfonctions devront être mesurables. Définir la notion de mesurabilité d’une fonction entre deuxespaces mesurables (E, E) et (F,F) est précisément l’objet de cette section.

Définition. Soit (E, E) et (F,F) deux espaces mesurables, et f : E → F. On dira que f est(E ,F) mesurable (ou plus simplement mesurable) si f−1(F) ⊂ E . On notera f : (E, E)→ (F,F)mesurable.

La définition signifie très exactement que

(3.1) ∀B ∈ F , f−1(B) ∈ E .

Mais si la partie A de P(F ) engendre F , il suffit de vérifier (3.1) pour B ∈ A. Par exemple,une fonction f : (E, E) → (R,B(R)) est mesurable si et seulement si f−1(] −∞, x]) ∈ E pourtout x ∈ Q vu que l’ensemble des intervalles ]−∞, x] avec x ∈ Q engendre B(R).

Exemples. (i) A ∈ E si et seulement si 1A est (E ,B(R)) mesurable (car 1−1A (B(R)) =

∅, E,A,E \A).(ii) Toute fonction de E dans F est (P(E),F) et (E , ∅, F) mesurable.(iii) Quelles que soient les tribus sur E et F, une fonction constante de E dans F est mesu-

rable, car on a f−1(B) = ∅ ou E pour toute partie B de F.(iv) Toute fonction f : Rp → Rq continue est (B(Rp),B(Rq)) mesurable car l’image réciproque

de tout ouvert par une fonction continue, est un ouvert. Cette propriété reste valable sif est définie sur un ouvert de Rp.

Définition. Soit (F,F) un espace mesurable, E un ensemble et f : E → F. La tribu engendréepar f est la plus petite tribu E de E rendant f (E ,F) mesurable. Cette tribu n’est autre quef−1(F)

df= f−1(A), A ∈ F.

Plus généralement, si (fi)i∈I est une famille de fonctions de E dans F, la tribu engendréepar la famille (fi)i∈I est la plus petite tribu rendant toutes les fonctions de la famille mesurables.Cette tribu est engendrée par la réunion des f−1

i (F) pour i décrivant I.

21

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22 CHAPITRE 3. INTÉGRATION PAR RAPPORT À UNE MESURE

Théorème (de composition). Soit (E, E), (F,F) et (G,G) trois espaces mesurables. Soitf : (E, E) → (F,F) et g : (F,F) → (G,G) mesurables. Alors g f : (E, E) → (G,G) estmesurable.

Dém. Soit C ∈ G. On a(g f)−1(C) = f−1(g−1(C)).

L’ensemble g−1(C) est mesurable dans F car g est mesurable. Donc f−1(g−1(C)) estmesurable dans E car f est mesurable.

Exemple. Soit f1, · · · , fd des fonctions mesurables de (E, E) dans (R,B(R)), et g mesurablede (Rd,B(Rd)) dans (R,B(R)). Alors h : x 7→ g(f1(x), · · · , fd(x)) est (E ,B(R)) mesurable.En effet, on remarque d’abord que Φ : x 7→ (f1(x), · · · , fd(x)) est (E ,B(Rd)) mesurable carl’ensemble des pavés

∏di=1]ai, bi[ engendre B(Rd) et

Φ−1( d∏i=1

]ai, bi[)

=d⋂i=1

f−1i (]ai, bi[) ∈ E ,

puis on applique le théorème de composition.

(i) Si l’on prend g(y1, · · · , yd) = λ1y1 + · · ·λdyd avec (λ1, · · · , λd) ∈ Rd, on en déduit quel’ensemble des fonctions mesurables de (E, E) dans (R,B(R)) est stable par combinaisonslinéaires. C’est donc un sous-espace vectoriel de F(E;R).

(ii) On en déduit également que les fonctions min(f1, · · · , fd) et max(f1, · · · , fd) sont mesu-rables (raisonner par récurrence sur d, en remarquant que les fonctions (a, b) 7→ min(a, b)et (a, b) 7→ max(a, b) sont continues, car min(a, b) = 1

2(a + b − |a − b|) et max(a, b) =12(a+ b+ |a− b|)).

Comme pour les suites de réels, une suite de fonctions (fn)n∈N ‘générique’ de E dans R n’apas de raison de converger (c’est-à-dire d’avoir une limite en tout point). Cependant lim inf fnet lim sup fn sont toujours définies par les relations :

∀x ∈ E, (lim inf fn)(x)df= lim inf fn(x) et (lim sup fn)(x)

df= lim sup fn(x).

Les lim inf et lim sup peuvent se calculer à l’aide de :

lim sup fn(x) = limn→+∞

supk≥n

fk(x) = infn∈N

supk≥n

fk(x)

lim inf fn(x) = limn→+∞

infk≥n

fk(x) = supn∈N

infk≥n

fk(x),

la première suite étant décroissante, et la deuxième, croissante.

Bien sûr (fn)n∈N a une limite si et seulement si lim inf et lim sup sont égales en tout point ;on a alors

∀x ∈ E, (lim fn)(x) = (lim sup fn)(x) = (lim inf fn)(x).

La construction de l’intégrale et la justification de ses propriétés les plus fondamentales nécessi-tera de vérifier au préalable que la notion de mesurabilité est stable par limite d’une suite defonctions et, plus généralement, par lim inf et lim sup . La proposition suivante répond (positi-vement) à la question.

Proposition. La mesurabilité est stable par lim inf, lim sup et lim d’une suite de fonctions àvaleurs dans R ou dans R (muni de la tribu des boréliens). De plus, si (fn)n∈N est une suite defonctions mesurables alors l’ensemble A df

= x ∈ E, lim fn(x) existe est mesurable.

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3.2. INTÉGRATION 23

Dém. Pour tout x ∈ R, on a

supn∈N

fn ≤ x =⋂n∈Nfn ≤ x et inf

n∈Nfn < x =

⋃n∈Nfn < x.

Ces deux ensembles sont mesurables car intersection (resp. réunion) dénombrable d’en-sembles mesurables. Comme lim sup peut s’écrire comme l’ inf d’une suite de fonctionsmesurables (car sup d’une suite de fonctions), on en déduit la mesurabilité de lim sup fnsi tous les fn sont mesurables. Le même raisonnement donne la mesurabilité de lim inf fn,et donc de la limite, si elle existe. On en déduit la mesurabilité de 1 lim sup fn− lim inf fn.L’ensemble A étant égal à (lim sup fn− lim inf fn)−1(0) avec 0 borélien (car fermé),on conclut que A est mesurable.

La définition suivante permet par exemple de décrire l’action d’un changement de variables surune mesure :

Définition. Soit (E, E , µ) un espace mesuré et f : (E, E)→ (F,F) mesurable. La mesure imagede µ par f est la mesure ν sur F définie par

∀B ∈ F , ν(B)df= µ(f−1(B)).

Exemple. Soit

f :

(R,B(R)) → (Z,P(Z))

x 7→ [x]

la fonction partie entière. Alors la mesure image ν de la mesure de Lebesgue λ sur R, par f estla mesure de comptage de Z. En effet, il suffit de remarquer que

∀n ∈ N, λ(f−1(n)) = λ([n, n+ 1[) = 1.

3.2 Intégration

Nous avons maintenant tous les éléments en main pour construire une théorie de l’intégrationplus robuste que celle de Riemann. Le principe est simple : on va interpréter la mesure de toutensemble mesurable comme étant l’intégrale de la fonction caractéristique correspondante. Enimposant la linéarité (à coefficients positifs), on sera alors capable de calculer l’intégrale de toutefonction mesurable prenant un nombre fini de valeurs (fonction étagée). Enfin, comme la notionde mesurabilité des fonctions est stable par passage à la limite, il suffira ensuite de vérifier quel’on peut définir l’intégrale de toute fonction mesurable positive f comme étant la limite d’unesuite croissante d’intégrales de fonctions étagées qui convergent vers f.

3.2.1 Fonctions étagées

Dans toute la suite de cette section, on fixe un espace mesuré (E, E , µ).

Définition. Une fonction f : E → R+ est dite étagée positive s’il existe des réels positifsa1, · · · , an et des ensembles A1, · · · , An mesurables tels que

(3.2) f =n∑i=1

ai1Ai .

On note M+0 l’ensemble des fonctions étagées positives.

1. C’est clair si lim inf fn ne prend jamais la valeur +∞, sinon il faut remarquer que lim sup fn ≥ lim inf fnet donc prendre la convention que lim sup fn − lim inf fn = 0 là où lim inf fn vaut +∞.

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24 CHAPITRE 3. INTÉGRATION PAR RAPPORT À UNE MESURE

Remarque. Une définition équivalente est de demander à f (mesurable positive) de prendre unnombre fini de valeurs car on peut toujours écrire

(3.3) f =∑

a∈f(E)

a1Aa avec Aadf= f−1(a) = f = a.

On remarquera aussi qu’il n’y a pas unicité de de la décomposition (3.2), mais que parmi toutesles décompositions possibles, (3.3) est celle qui comporte le moins de termes.

Proposition. L’ensemble M+0 est stable par combinaisons linéaires à coefficients positifs, et par

min et max .

Définition. Pour f ∈M+0 on définit 2 l’intégrale de f par rapport à la mesure µ par la formule :∫

f dµdf=

∑a∈f(E)

aµ(f = a) ∈ R+.

Exemples. (i) Si f = 1A avec A ∈ E , on a bien

(3.4)∫f dµ =

∫1A dµ = µ(A).

(ii) Si E = [0, 1], E = B([0, 1]), µ = λ et f = 1[0,1/2[ + 2 · 1[1/2,1], on calcule∫f dλ = 1λ([0, 1/2[) + 2λ([1/2, 1]) = 1 · 1/2 + 2 · 1/2 = 3/2.

(iii) Pour f ∈ M+0 , on a

∫f dµ = +∞ si et seulement si il existe a ∈ f(E) \ 0 tel que

µ(f = a) = +∞.

Proposition. L’intégrale sur M+0 est positivement linéaire, et croissante.

Dém. Soit f et g deux fonctions de M+0 . Pour a et b dans R+, posons Aa = f = a

et Bb = g = b. Comme l’ensemble des Aa ou des Bb constitue une partition de E, ona µ(Aa) =

∑b∈g(E) µ(Aa ∩Bb) ainsi que µ(Bb) =

∑a∈f(E) µ(Aa ∩Bb), et l’on peut donc

écrire que

(3.5)∫f dµ =

∑(a,b)∈f(E)×g(E)

aµ(Aa ∩Bb) et∫g dµ =

∑(a,b)∈f(E)×g(E)

bµ(Aa ∩Bb).

On remarque aussi que pour tout α ∈ R+,∫(f + αg) dµ =

∑c∈(f+αg)(E)

cµ(f + αg = c)

=∑c

∑a+αb=c

cµ(f = a et g = b)

=∑

(a,b)∈f(E)×g(E)

(a+ αb)µ(Aa ∩Bb).

En utilisant (3.5), on en déduit que∫(f + αg) dµ =

∫f dµ+ α

∫g dµ.

2. avec la convention 0 · (+∞) = 0.

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3.2. INTÉGRATION 25

Pour démontrer la croissance, il suffit de remarquer que si f ≤ g alors g = f + (g − f)avec f et g − f dans M+

0 . Donc∫g dµ =

∫f dµ+

∫(g − f) dµ,

et les deux termes de droite sont positifs.

En combinant la proposition ci-dessus et (3.4), on conclut au corollaire suivant :

Corollaire. Quelle que soit la décomposition (3.2), on a∫f dµ =

∑i

aiµ(Ai).

3.2.2 Fonctions mesurables positives

Notation. On note M+ l’ensemble des fonctions (E, E)→ (R+,B(R+

)) mesurables.

Lemme. Toute fonction de M+ est limite croissante d’une suite de fonctions de M+0 .

Dém. Pour k ∈ 0, · · · , n2n − 1, on pose fn(x) = k2−n si k2−n ≤ f(x) < (k + 1)2−n, etfn(x) = n si f(x) ≥ n.

Définition. Pour f ∈M+ limite croissante de (fn)n∈N ∈ (M+0 )N, on pose∫

f dµdf= lim

n→+∞

∫fn dµ.

Proposition. La définition ci-dessus est indépendante de la suite choisie.

Dém. Donnons-nous deux suites croissantes (fn)n∈N et (gn)n∈N de fonctions de M+0

tendant vers f. Comme les rôles des deux suites sont symétriques, il suffit de montrer que

(3.6) ∀p ∈ N,∫gp dµ ≤ lim

n→+∞

∫fn dµ.

A p fixé, on écrit gp =∑

a∈gp(E) a1gp=a puis, pour a fixé, on remarque que

gp = a ⊂⋃n∈N(1 + ε)fn ≥ a pour tout ε > 0,

car gp(x) = a impliquef(x) ≥ a, et donc fn(x) ≥ a/(1 + ε) à partir d’un certain rang.

En conséquence, si l’on note Bn = (1 + ε)fn ≥ a ∩ gp = a, alors on peut écrire

gp = a =⋃n∈N

Bn, union croissante.

Par le théorème de convergence monotone, on obtient donc

µ(gp = a) = limn→+∞

µ((1 + ε)fn ≥ a ∩ gp = a

)puis, en multipliant par a,∫

1gp=agp dµ ≤ limn→+∞

∫1gp=a(1 + ε)fn dµ.

On somme sur a puis on fait ε→ 0, afin d’obtenir (3.6).

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26 CHAPITRE 3. INTÉGRATION PAR RAPPORT À UNE MESURE

Théorème. L’intégrale est une fonction croissante sur M+, et positivement linéaire.

Dém. Pour démontrer la croissance, on considère deux fonctions f et g de M+ telles quef ≤ g. Soit (fn)n∈N deux suites croissantes de M+

0 tendant vers f et g, respectivement.Bien que f ≤ g, il n’est pas sûr que fn ≤ gn. De ce fait, on pose hn = min(fn, gn), ce quidonne hn → f, hn ∈M+

0 et hn ≤ gn. On a alors par croissance de l’intégrale sur M+0 ,∫

f dµ = limn→+∞

∫hn dµ ≤ lim

n→+∞

∫gn dµ =

∫g dµ.

Pour démontrer la linéarité, on remarque que pour tout α ≥ 0, la suite (fn+αgn)n∈N estcroissante, constituée de fonctions de M+

0 , et converge vers f +αg. On peut donc écrire∫(f + αg) dµ = lim

n→+∞

∫(fn + αgn) dµ

= limn→+∞

(∫fn dµ+ α

∫gn dµ

)= lim

n→+∞

∫fn dµ+ α lim

n→+∞

∫gn dµ =

∫f dµ+ α

∫g dµ,

d’où le résultat voulu.

Remarque. Il est utile de pouvoir intégrer une fonction de M+ sur une partie A de E. On peutdonner un sens à cette opération si A est mesurable en posant∫

Af dµ

df=

∫f dµA

où µA est la restriction de µ à A. On remarquera que l’on a donc∫Af dµ =

∫f1A dµ.

Grâce à la linéarité, on retrouve facilement la relation de Chasles bien connue :∫A∪B

f dµ =

∫Af dµ+

∫Bf dµ

si A et B sont deux parties mesurables disjointes de E.

Avant d’énoncer les théorèmes principaux qui justifient la construction de l’intégrale de Lebesgue,donnons quelques exemples simples.

Exemple 1. Soit (E, E) un espace mesuré quelconque et f : E → R+ une fonction mesurablepour les tribus E et B(R+). Soit a un élément de E. Alors on a la formule∫

f dδa = f(a).

La formule est immédiate si f est une fonction caractéristique, et s’étend aux fonctions étagéespositives par linéarité (positive). On obtient le résultat pour toute fonction mesurable positivepar passage à la limite à partir des suites croissantes de fonctions étagées.

Exemple 2. Si l’on prend E = N, E = P(N), et µ = δN (mesure de comptage) alors on a pourtoute fonction u : N→ R+,

(3.7)∫u dδN =

∑k∈N

u(k).

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3.2. INTÉGRATION 27

En effet, on remarque que

u =∑k∈N

u(k)1k = limn→+∞

n∑k=0

u(k)1k.

Les sommes partielles à droite constituent une suite croissante de fonctions étagées telles que∫ ( n∑k=0

u(k)1k

)dδN =

n∑k=0

u(k)

∫1k dδN =

n∑k=0

u(k)δN(k) =n∑k=0

u(k),

et l’égalité (3.7) résulte donc de la définition des intégrales de fonctions mesurables positives.

Exemple 3. Lien avec l’intégrale de Riemann. Considérons une fonction f continue de [a, b]dans R+, et notons λ la mesure de Lebesgue sur [a, b]. Alors on a∫

[a,b]f dλ =

∫ b

af(x) dx.

En effet, on peut écrire f comme limite croissante d’une suite de fonctions (fn)n∈N constantespar morceaux sur des intervalles de taille 2−n(b − a) (exercice : construire une telle suite). Lessommes de Riemann correspondantes convergent vers

∫ ba f(x) dx alors que par définition de

l’intégrale de Lebesgue des fonctions mesurables positives,∫

[a,b] fn dλ converge vers∫

[a,b] f dλ.

On peut bien sûr remplacer [a, b] par [a, b[, ]a, b] ou ]a, b[ dans l’intégrale de gauche.

Le théorème suivant (qui n’a pas d’analogue pour l’intégrale de Riemann) est fondamental.

Théorème (de convergence monotone ou de Beppo-Levi). Soit (fn)n∈N une suite croissantede fonctions de M+ qui converge vers une fonction f. Alors on a

limn→+∞

∫fn dµ =

∫f dµ.

De plus, si (uk)k∈N est une suite (quelconque) de fonctions de M+ alors on a :∑k∈N

∫uk dµ =

∫ (∑k∈N

uk

)dµ.

Dém. Pour chaque n ∈ N, on se donne une suite croissante (fpn)p∈N de fonctions de M+0

qui converge vers fn. On pose alors hn = max(fn0 , · · · , fnn ) et l’on remarque que hn → f,limite croissante, avec de plus hn ≤ fn pour tout n ∈ N. Le résultat suit alors parthéorème d’encadrement.La deuxième partie du théorème découle de la première appliquée à la suite (fn)n∈N dessommes partielles : on prend fn :=

∑nk=0 uk.

Exemple 1. Sur E = [0, 1] muni de sa tribu borélienne, on considère fn(x) = 1−xn. La suite estcroissante et converge vers 1[0,1[. La convergence n’est pas uniforme sur [0, 1] (sinon la fonctionlimite serait continue). Néanmoins le théorème de convergence monotone s’applique et donnedirectement

limn→+∞

∫[0,1]

(1− xn) dλ =

∫[0,1]

1[0,1[(x) dλ = 1.

Exemple 2. Soit une suite de fonctions (un)n∈N de N dans R+. Posons upndf= un(p). Alors le

théorème de convergence monotone appliqué avec la mesure de comptage δN sur N donne

limn→+∞

∑p∈N

upn =∑p∈N

limn→+∞

upn

pourvu que 0 ≤ upn ≤ upn+1 pour tout p ∈ N et n ∈ N.

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28 CHAPITRE 3. INTÉGRATION PAR RAPPORT À UNE MESURE

La deuxième partie du théorème montre que pour toute suite double (upn)(p,n)∈N2 positive,on peut intervertir l’ordre de sommation :∑

n∈N

∑p∈N

upn =∑p∈N

∑n∈N

upn.

Théorème (de Fatou). Soit (fn)n∈N une suite de fonctions de M+. On a

(3.8)∫

(lim inf fn) dµ ≤ lim inf

∫fn dµ.

Dém. Par définition de lim inf, on a, en notant gndf= infk≥n fk,∫

lim inf fn dµ =

∫lim

n→+∞gn dµ.

La suite (gn)n∈N étant croissante, le théorème de convergence monotone autorise à inter-vertir limite et intégrale. Donc∫

lim inf fn dµ = limn→+∞

∫gn dµ.

Maintenant les propriétés de croissance de l’intégrale garantissent que pour tout n ∈ N,∫gn dµ ≤ inf

k≥n

∫fk dµ ≤ sup

n∈Ninfk≥n

∫fk dµ = lim inf

∫fn dµ,

d’où le résultat.

Attention : Il est facile de trouver des exemples de suites pour lesquelles l’inégalité (3.8) eststricte. Sur R+ muni de B(R+) et de la mesure de Lebesgue, prenons fn

df= 1[n,n+1]. Alors

lim inf fn = lim fn = 0, mais toutes les intégrales valent 1. On a donc

0 =

∫(lim inf fn) dλ < lim inf

∫fn dλ = 1.

Ce même contre-exemple montre que l’on ne peut pas remplacer lim inf par lim sup dans lethéorème de Fatou ci-dessus, après avoir inversé le sens de l’inégalité.

3.2.3 Fonctions mesurables réelles

Afin de généraliser la théorie de l’intégration à des fonctions non nécessairement positives,l’idée de départ consiste à décomposer toute fonction f : E → R en f = f+ − f− avec f+ =max(0, f) et f− = −min(0, f). Si f est mesurable alors f+ et f− sont mesurables positives.Cela motive la définition suivante :

Définition. Soit f : (E, E) → (R,B(R)) mesurable. On dit que f est intégrable (et l’on notef ∈ L1(E, E , µ)) si

∫|f | dµ <∞. On pose alors

(3.9)∫f dµ

df=

∫f+ dµ−

∫f− dµ.

Remarque. La définition et le fait que |f | = f− + f+ assurent automatiquement que f ∈L1(E, E , µ) si et seulement si

∫f± dµ <∞, et que∣∣∣∣∫ f dµ

∣∣∣∣ ≤ ∫ |f | dµ.L’expression (3.9) est donc toujours définie pour f intégrable.

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3.2. INTÉGRATION 29

Exemples. (i) Si µ = δa alors∫f dδa = f(a) pour toute fonction mesurable positive. Pour

une fonction mesurable quelconque, l’intégrabilité est équivalente à |f(a)| fini.(ii) Prenons E = N, E = P(N) et µ = δN mesure de comptage. Alors f ∈ L1 si et seulement

si∑

n∈N |f(n)| <∞ (i.e. série absolument convergente). On a alors∫f dδN =

∑n∈N f(n),

comme dans le cas où f est positive.

(iii) Une fonction continue sur un intervalle fermé borné est toujours intégrable par rapport àla mesure de Lebesgue (car bornée !)

Le lemme suivant va nous permettre d’établir la linéarité de l’intégrale sur L1(E, E , µ).

Lemme. Une fonction f : E → R mesurable est dans L1(E, E , µ) si et seulement si il existe g eth dans M+, intégrables, ne prenant jamais simultanément la valeur +∞, et telles que f = g−h.On a alors

(3.10)∫f dµ =

∫g dµ−

∫h dµ.

Dém. On remarque que f+ − f− = g − h entraîne 0 ≤ f+ ≤ g et 0 ≤ f− ≤ h (eneffet f(x) ≥ 0 implique f−(x) = 0 et de même f(x) ≤ 0 entraîne f+(x) = 0). Donc∫g dµ < ∞ et

∫h dµ < ∞ implique

∫f± dµ < ∞ et donc f intégrable. De plus

g + f− = f+ + h, et donc la linéarité positive de l’intégrale sur M+ donne (3.10).

Théorème. L’ensemble L1(E, E , µ) est un s.e.v. de l’ensemble des fonctions mesurables, et l’in-tégration y est linéaire et croissante. De plus |f | ≤ g avec f mesurable et g intégrable impliquef intégrable.

Dém. Pour établir la linéarité, on écrit pour f, g intégrables et α ≥ 0,

f + αg = (f+ + αg+)− (f− + αg−).

Le lemme précédent combiné à la linéarité positive de l’intégration sur M+ donne donc∫(f+αg) dµ =

∫(f+ + αg+) dµ−

∫(f− + αg−) dµ

=

∫f+ dµ−

∫f− dµ+ α

∫g+ dµ− α

∫g− dµ =

∫f dµ+ α

∫g dµ.

Le cas α < 0 s’en déduit : prendre −g au lieu de g. La croissance est claire : si f ≤ gavec f et g intégrables, on écrit g = f + (g − f) avec g − f intégrable positive.Enfin, on voit que |f | ≤ g avec g intégrable et f mesurable implique

∫|f | dµ < +∞.

Donc donc f est intégrable.

Dans la suite de cette section, on généralise les théorèmes de Fatou et de convergence dominéeau cas sans signe.

Théorème (de Fatou). Soit (fn)n∈N suite de fonctions intégrables.

(i) S’il existe g intégrable telle que g ≤ fn alors∫lim inf fn dµ ≤ lim inf

∫fn dµ.

(ii) S’il existe g intégrable telle que g ≥ fn alors∫lim sup fn dµ ≥ lim sup

∫fn dµ.

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30 CHAPITRE 3. INTÉGRATION PAR RAPPORT À UNE MESURE

Dém. Pour (i), on applique Fatou positif à la suite (fn−g)n∈N. Le deuxième cas se déduitdu premier en posant gn = −fn ou en appliquant Fatou positif à (g − fn)n∈N.

Théorème (de convergence dominée). Soit (fn)n∈N une suite de fonctions mesurables quiconverge simplement vers une fonction f. Si de plus il existe g intégrable telle que |fn| ≤ g pourtout n ∈ N, alors f est intégrable, et l’on a

limn→+∞

∫fn dµ =

∫f dµ.

Dém. On écrit fn = f+n − f−n et 0 ≤ f+

n + f−n ≤ g. Le théorème de Fatou donne∫f+ dµ =

∫(lim inf f+

n ) dµ ≤ lim inf

∫f+n dµ

et, comme f+n ≤ g, on a aussi

lim sup

∫f+n dµ ≤

∫(lim sup f+

n ) dµ =

∫f+ dµ,

d’où∫f+n dµ→

∫f+ dµ. La convergence de

∫f−n dµ se traite pareil.

Remarque. En gardant les mêmes hypothèses et en appliquant le théorème de convergence do-minée à |fn − f |, on obtient un résultat en apparence meilleur :

∫|fn − f | dµ→ 0.

Exemple. Le théorème de convergence dominée permet de calculer limn→+∞∫

[0,n](1 −xn)n dλ.

En effet, pour se ramener au cas d’une suite de fonctions mesurables sur (R+,B(R+), λ), on posefn(x) = 1[0,n](x)(1 − x

n)n, et on prend g : x 7→ e−x pour fonction de domination, qui se trouveêtre aussi la limite des fonctions fn. On en conclut que

limn→+∞

∫[0,n]

(1− x

n

)ndλ =

∫R+

e−x dλ = 1.

3.2.4 Fonctions à valeurs complexes

Si f est à valeurs dans C, on écrit f = Re f + i Imf. On dit alors que f est intégrable siles fonctions réelles Re f et Imf le sont, ce qui est équivalent à |f | ∈ L1(E, E , µ). On pose :∫

f dµdf=

∫Re f dµ+ i

∫Imf dµ.

On a encore la linéarité et |∫f dµ| ≤

∫|f | dµ, le théorème de convergence dominée, etc.

Une autre généralisation courante porte sur les fonctions à valeurs dans Rp ou dans un e.v. dedimension finie. On demande l’intégrabilité de chaque composante par rapport à une base fixée,et on définit l’intégrale composante par composante (il s’agit bien sûr de vérifier que cela nedépend pas du choix de base). On obtient encore des théorèmes analogues au cas réel : linéarité,convergence dominée, etc.

3.2.5 Mesures avec densité

Dans ce paragraphe, on introduit brièvement la notion de densité pour les mesures.

Définition. Soit (E, E , µ) un espace mesuré et g ∈M+. On définit alors la mesure ν = g ·µ surE par

∀A ∈ E , ν(A)df=

∫g1A dµ =

∫g dµA =

∫Ag dµ.

On dit que g est la densité de la mesure ν par rapport à la la mesure µ.

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3.2. INTÉGRATION 31

On a f ∈ L1(E, E , ν) si et seulement si fg ∈ L1(E, E , µ). De plus,∫f dν =

∫fg dµ.

Exemples. Les deux densités suivantes sont très utilisées en probabilités.— Densité gaussienne : f(x) = 1√

2πe−

x2

2 sur (R,B(R), λ) .— Densité de Poisson : g(x) = e−x sur (R+,B(R+), λ) .

Dans les deux cas, on obtient des mesures de probabilité.

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32 CHAPITRE 3. INTÉGRATION PAR RAPPORT À UNE MESURE

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Chapitre 4

Théorie de l’intégration étendue

La théorie de la mesure et de l’intégration que nous avons construite jusqu’à présent permetdéjà de mesurer beaucoup d’ensembles, et d’intégrer beaucoup de fonctions. Mais on ne sait pasencore si elle contient bien la théorie de l’intégration de Riemann. Par ailleurs, elle laisse encoretrop d’ensembles non mesurables. Par exemple si l’on considère un ensemble mesurable A demesure nulle dans un espace mesuré (E, E , µ), on ne peut pas mesurer les sous-ensembles de Aqui n’appartiennent pas à E , même s’il serait naturel de leur demander d’être de mesure nulleen vertu de la propriété de croissance des mesures.

Le but de ce chapitre est de pallier cette lacune, en introduisant une théorie de l’intégrationétendue.

4.1 Ensembles négligeables et égalité presque partout

Dans toute cette section (E, E , µ) désigne un espace mesuré.

Définition. On dit que la partie A de E est µ−négligeable si elle est incluse dans un ensemblemesurable de mesure nulle :

A ⊂ B avec B ∈ E et µ(B) = 0.

Exemples. (i) Dans (E, E , δa) tel que a soit mesurable, la partie A est δa -négligeable siet seulement si a 6∈ A.

(ii) Dans (N,P(N), δN), seul ∅ est négligeable.(iii) Dans (R,B(R), λ), toute partie dénombrable est négligeable. Mais il existe des parties

non dénombrables négligeables : c’est le cas de l’ensemble triadique de Cantor vu en TD.Remarque. On démontre facilement qu’être négligeable est stable par :

— intersection quelconque,— réunion finie ou dénombrable avec d’autres négligeables.Les conventions introduites ci-dessous seront utilisées dans toute la suite du cours.

Définition. — On dit qu’une propriété P est vraie µ p.p. (lire vraie µ presque partout), s’ilexiste un ensemble µ-négligeable A tel que P soit vraie pour tout x ∈ E \A.

— Deux parties A et B de E sont dites égales µ p.p. si A \B et B \A sont négligeables.On écrit A = B µ p.p.

— On dit que deux fonctions f et g sont égales µ p.p. si f 6= g est négligeable. On écritf = g µ p.p.

Remarque. Le rapport entre l’égalité µ p.p. pour les ensembles et et les fonctions est clair :

A = B µ p.p. si et seulement si 1A = 1B µ p.p.

33

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34 CHAPITRE 4. THÉORIE DE L’INTÉGRATION ÉTENDUE

Exemples. (i) Dans (E, E , δa) avec a ∈ E , A = B δa p.p. est équivalent à a ∈ (A ∩ B) ∪(cA ∩ cB).

(ii) Dans (N,P(N), δN), on a A = B δN p.p. si et seulement si A = B.

(iii) Dans (R,B(R), λ), on a 1Q = 0 λ p.p.

Proposition. Pour les fonctions à valeurs réelles, la relation d’égalité µ p.p. est stable par com-binaisons linéaires, min et max . De plus, si (fn)n∈N et (fn)n∈N sont deux suites de fonctionsà valeurs dans R (ou R), avec, pour tout n ∈ N, fn = fn µ p.p., alors

infn∈N

fn = infn∈N

fn µ p.p., supn∈N

fn = supn∈N

fn µ p.p.

lim inf fn = lim inf fn, lim sup fn = lim sup fn, lim fn = lim fn µ p.p.

Dém. On suppose f = f et g = g µ p.p. Alors A df= f 6= f et B df

= g 6= g sontnégligeables. En dehors du négligeable A ∪B, on a

∀α ∈ R, f + αg = f + αg, min(f, g) = min(f , g), max(f, g) = max(f , g).

Pour démontrer la partie de la proposition portant sur les suites, on note An = fn 6= fn.Par hypothèse, chaque An est négligeable, et il en est donc de même pour A df

=⋃n∈NAn.

En dehors de An, on a clairement inf fn = inf fn, sup fn = sup fn, etc.

La notion d’égalité µ-presque partout va nous permettre de préciser quelles sont les fonctionsintégrables positives d’intégrale nulle, et la nature des ensembles sur lesquels elles prennent lavaleur infinie. Nous aurons d’abord besoin du lemme élémentaire suivant :

Lemme (Inégalité de Bienaymé-Tchebycheff 1). Pour toute fonction f mesurable et a > 0,on a :

µ(|f | ≥ a) ≤ 1

a

∫|f | dµ.

Dém. On remarque que |f | ≥ |f | 1|f |>a ≥ a1|f |>a, puis on intègre.

Corollaire. Pour f mesurable, on a :(i) f est intégrable ⇒ |f | <∞ µ p.p.(ii)

∫|f | dµ = 0 si et seulement si f = 0 µ p.p.

(iii) Si f = g µ p.p. avec f et g intégrables, alors∫f dµ =

∫g dµ.

Dém. Pour le premier point, on utilise que |f | = +∞ =⋂n∈N|f | ≥ n (intersection

décroissante) et l’inégalité de Bienaymé-Tchebycheff qui assure que

∀n ∈ N∗, µ(|f | ≥ n) ≤ 1

n

∫|f | dµ.

Pour le deuxième point, le fait que∫|f | dµ = 0 entraîne µ(|f | ≥ a) = 0 pour tout a > 0

par l’inégalité de Tchebycheff. Pour démontrer la réciproque, on note A un ensemble me-surable de mesure nulle contenant f 6= 0, et l’on remarque que |f | est limite croissantede |f |1|f |≤n. Maintenant il est clair que |f |1|f |≤n ≤ n1A, et que l’intégrale du termede droite est nulle pour tout n ∈ N. On conclut à l’aide du théorème de convergencemonotone.Pour démontrer le dernier point, on utilise le fait que f − g = 0 µ p.p., et donc∣∣∣∣∫ (f − g) dµ

∣∣∣∣ ≤ ∫ |f − g| dµ = 0,

grâce au deuxième point.1. appelée aussi inégalité de Markov si µ est une mesure de probabilités.

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4.2. TRIBUS COMPLÉTÉES ET EXTENSION DE LA MESURE 35

4.2 Tribus complétées et extension de la mesure

Le but de la définition qui suit est de ‘compléter’ les tribus afin d’y inclure les ensemblesnégligeables.

Définition. Soit (E, E , µ) un espace mesuré. La tribu complétée E est l’ensemble des parties deE qui sont égales µ p.p. à un élément de E .

On laisse au lecteur le soin d’établir que l’ensemble ainsi construit est bien une tribu de E .

Exemples. (i) Pour (E, E , δa) avec a ∈ E , alors E = P(E).

(ii) Dans (R,B(R), λ), la tribu complétée contient strictement B(R) (du moins si l’on s’au-torise l’axiome du choix afin de pouvoir construire des parties non boréliennes). Elle estimpossible à décrire de manière exhaustive. Malgré ce fait qui peut paraître gênant, c’estcelle que l’on utilise, et en pratique, on ne rencontre jamais de partie non mesurabletant que les ensembles considérés sont obtenus à partir de procédés ‘raisonnables’ de typeintersection, réunion, limite, etc., ne portant que sur un nombre dénombrable d’objets.

Définition. On définit la mesure µ étendue à E , par

µ(A)df= µ(B) pour B ∈ E tel que A = B µ p.p.

C’est un excellent exercice que de vérifier que la définition de la mesure étendue est indépen-dante du choix de B ∈ E tel que A = B µ p.p., puis que µ est bien une mesure.

Remarque. On peut se demander ensuite si la tribu E doit aussi être complétée. Il n’en estrien car les µ-négligeables coïncident avec les µ-négligeables. Donc la tribu complétée de E estelle-même, et il n’est pas nécessaire d’étendre la mesure étendue µ.

La proposition ci-dessous permet de remettre la notion d’égalité µ p.p. pour les fonctions,dans un cadre d’espace mesuré.

Proposition. Une fonction f : E → R (ou R) est mesurable pour E si et seulement si elle estégale µ p.p. à une fonction qui est mesurable pour E .

Dém. Il suffit de montrer le résultat pour les fonctions positives. Soit donc f ∈M+(E, E)et (fn)n∈N une suite croissante de fonctions étagées (pour la tribu E ) tendant vers f.Pour chaque n ∈ N, il existe un ensemble µ-négligeable An et fn étagée pour E tels quefn = fn sur E \ An (raisonner sur les fonctions caractéristiques composant fn pour levoir). En dehors de l’ensemble A df

=⋃n∈NAn la suite (fn)n∈N converge vers f. Comme

fn ∈ M+(E, E), on a lim sup fn ∈ M+(E, E), qui coïncide avec f sur E \ A, donc endehors d’un ensemble µ-négligeable.La réciproque se démontre par des arguments similaires.

On montre ensuite que la théorie de l’intégration étendue est bien une extension de la théorie del’intégration ‘classique’ :

Proposition. Soit f : E → R.

(i) Si f est positive et égale µ p.p. à une fonction E -mesurable positive g alors f est E -mesurable et

∫f dµ =

∫g dµ.

(ii) Plus généralement, f ∈ L1(E, E , µ) si et seulement si il existe g ∈ L1(E, E , µ) t.q. f = gµ p.p. On a alors

∫f dµ =

∫g dµ.

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36 CHAPITRE 4. THÉORIE DE L’INTÉGRATION ÉTENDUE

Dém. La deuxième propriété découle de la première (écrire f = f+−f− ). Pour la première,on a vu qu’il existait un ensemble négligeable A (que l’on peut supposer µ-mesurable),et une suite (fn)n∈N de fonctions étagées pour E , que l’on peut supposer croissante endehors de A vérifiant g = f = lim fn sur E \A. Cela montre que f1E\A est µ-mesurable,et que ∫

E\Af dµ = lim

n→+∞

∫E\A

fn dµ = limn→+∞

∫E\A

fn dµ =

∫E\A

f dµ.

Comme f1E\A = g1E\A, et comme f1E\A = f et gE\A = g µ p.p., on en déduit que∫g dµ =

∫E\A

g dµ =

∫E\A

f dµ =

∫E\A

f dµ =

∫f dµ,

ce qui est le résultat voulu.

Les énoncés précédents montrent que lorsqu’il s’agit de calculs d’intégrales, seule la connaissancede la fonction à un ensemble µ-négligeable près importe. Plus précisément, si l’on définit larelation ∼µ suivante par :

f ∼µ g si f = g µ p.p.,

alors on a∫f dµ =

∫g dµ dès que l’une des deux intégrales est définie.

Il est clair que ∼µ est une relation d’équivalence. On note alors [f ]µ la classe d’équivalencede la fonction f pour ∼µ, et L1(E, E , µ) l’ensemble des classes d’équivalence d’éléments deL1(E, E , µ). Par abus de notation, on écrit encore

(4.1)∫f dµ =

∫f dµ

dès que f est égale µ presque partout à une fonction intégrable.Remarque. En pratique, bien qu’il s’agisse de classes d’équivalence (et donc pas de fonctions),on peut raisonner sur les éléments de L1(E, E , µ) comme s’il s’agissait de fonctions connuesà un ensemble µ-négligeable près. C’est-à-dire que l’on confond la fonction f avec sa classed’équivalence [f ]µ. Ce raccourci de langage et abus de notation permet d’éviter de se référersystématiquement à la mesure étendue, et aux tribus complétées. C’est comme cela que l’onprocèdera dans le reste du cours.

4.3 Version définitive des théorèmes limites

Forts de cette nouvelle théorie étendue qui nous permet d’intégrer encore plus de fonctions,nous énonçons dans ce paragraphe les versions les plus générales des théorèmes de convergencemonotone, de Fatou, et de convergence dominée dans un espace mesuré (E, E , µ) quelconque.

Théorème (de convergence monotone ou de Beppo-Levi). Soit (fn)n∈N une suite de fonc-tions de E dans R. On suppose qu’il existe une suite croissante (fn)n∈N de fonctions mesurablesde E dans R+ telle que pour tout n ∈ N, on ait fn = fn µ p.p. Alors on a avec la convention(4.1)

limn→+∞

∫fn dµ =

∫lim

n→+∞fn dµ.

Dém. On applique le théorème de convergence monotone à (fn)n∈N, et on conclut enutilisant que ∫

fn dµ =

∫fn dµ et lim

n→+∞fn = lim

n→+∞fn µ p.p.,

d’où∫

limn→+∞

fn dµ =

∫lim

n→+∞fn dµ.

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4.4. LIEN AVEC L’INTÉGRALE DE RIEMANN 37

Théorème (de Fatou). Soit (fn)n∈N une suite de fonctions de E dans R telle que pour toutn ∈ N on ait fn = fn µ p.p. avec fn mesurable de E dans R+

. Alors on a∫lim inf fn dµ ≤ lim inf

∫fn dµ.

Dém. Pour chaque n ∈ N, on a fn = fn en dehors d’un µ-négligeable An. On applique lethéorème de Fatou du chapitre précédent à la suite (fn)n∈N puis on remarque que∫

fn dµ =

∫fn dµ.

Comme de plus lim inf fn = lim inf fn µ p.p., on conclut au résultat.

Théorème (de convergence dominée). Soit (fn)n∈N une suite de fonctions qui converge µpresque partout vers une fonction f. On suppose que chaque terme de la suite est égal µ p.p.à une fonction intégrable. Si de plus il existe g intégrable telle que |fn| ≤ g µ p.p. pour toutn ∈ N, alors tous les termes de la suite ainsi que leur limite sont des fonctions intégrables (ausens de la mesure étendue), et l’on a

limn→+∞

∫fn dµ =

∫f dµ.

Dém. On utilise le théorème de convergence dominée du chapitre précédent, après avoirécrit fn− fn = 0 µ p.p., avec (fn)n∈N intégrables, vérifiant les hypothèses ci-dessus, maisen tout point.

4.4 Lien avec l’intégrale de Riemann

Dans ce paragraphe, nous allons montrer que la théorie de l’intégration sur (R,B(R), λ) étendbien celle de Riemann, c’est-à-dire que les fonctions Riemann-intégrables sont aussi Lebesgue-intégrables, et que les valeurs des intégrales correspondantes sont les mêmes. Pour l’instant, onsait que si f : R→ R est une fonction en étagée avec f =

∑ni=1 ai1Ai , on a∫

f dλ =n∑i=1

aiλ(Ai).

Donc, dans le cas particulier où Ai = [xi, xi+1[ avec (x0, · · · , xn) subdivision de l’intervalle [a, b](i.e. a = x0 < x1 < · · · < xn = b), on obtient bien

(4.2)∫

[a,b]f dλ =

n∑i=1

ai(xi − xi−1) =

∫ b

af(x) dx.

Le théorème ci-dessous assure que (4.2) reste vraie pour n’importe quelle fonction Riemann-intégrable bornée, à condition d’utiliser la mesure de Lebesgue étendue.

Théorème. Toute fonction f : [a, b[→ R bornée et intégrable au sens de Riemann, est aussiintégrable pour la mesure de Lebesgue étendue, et l’on a∫

[a,b[f dλ =

∫ b

af(x) dx.

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38 CHAPITRE 4. THÉORIE DE L’INTÉGRATION ÉTENDUE

Dém. Considérons donc f : [a, b[→ R Riemann-intégrable et bornée :

∀x ∈ [a, b], |f(x)| ≤M.

Soit la subdivision (xk)0≤k<2n , avec xk = a+2−nk(b−a) pour n ∈ N∗. On construit deuxsuites (gn)n∈N et (hn)n∈N de fonctions en escalier telles que sur [xk, xk+1[, on ait gn =infx∈[xk,xk+1[ f(x) et hn = supx∈[xk,xk+1[ f(x). Clairement ces suites sont respectivementcroissantes et décroissantes et l’on a gn ≤ f ≤ hn. De plus, par définition de l’intégralede Riemann, on a

(4.3) limn→+∞

∫ b

agn(x) dx = lim

n→+∞

∫ b

ahn(x) dx =

∫ b

af(x) dx.

Notons que les intégrales de Riemann de gn et de hn sont égales à leur intégrale deLebesgue sur [a, b[, puisqu’il s’agit de fonctions en escalier.Par ailleurs les limites g et h des deux suites de fonctions existent (par monotonie),vérifient g ≤ f ≤ h et sont Lebesgue mesurables (car les fonctions gn et hn le sont).Enfin,

∀n ∈ N, ∀x ∈ [a, b], −M ≤ gn(x) ≤ hn(x) ≤M.

La fonction M étant intégrable sur [a, b[, le théorème de convergence dominée donnedonc ∫

[a,b[g dλ = lim

n→+∞

∫ b

agn(x) dx = lim

n→+∞

∫ b

ahn(x) dx =

∫[a,b[

h dλ.

En conséquence, ∫[a,b[

(h− g) dλ = 0.

L’intégrant étant positif, cela montre que g = h λ p.p. Comme g ≤ f ≤ h, on a donc afortiori, f = g = h λ p.p. Donc f est intégrable pour la mesure de Lebesgue étendue, et∫

[a,b[ f dλ =∫ ba f(x) dx.

Remarque. Une infime modification de la démonstration ci-dessus permet de démontrer un résul-tat analogue sur les intervalles ]a, b[, ]a, b] et [a, b]. Comme on sait par ailleurs que les ensemblesfinis ou dénombrables sont de mesure nulle, on en déduit que pour f Riemann intégrable surn’importe quel intervalle de bornes inférieures et supérieures a et b, on a∫

[a,b[f dλ =

∫[a,b]

f dλ =

∫]a,b]

f dλ =

∫]a,b[

f dλ =

∫ b

af(x) dx.

Dans la suite, on utilisera simplement la notation∫ ba f(x) dx pour désigner n’importe laquelle

des intégrales ci-dessus. On étendra la définition au cas b < a en convenant que∫ b

af(x) dx

df= −

∫[b,a]

f dλ.

Maintenant que l’on a établi que l’intégrale de Lebesgue (étendue) était bien une extension del’intégrale de Riemann, il devient licite de faire dans ce cadre plus général les manipulations quel’on avait l’habitude de faire avec l’intégrale de Riemann. Nous allons préciser cela dans la suitedu paragraphe.

Exemple. Dans la théorie de l’intégration de Riemann, on définissait l’intégrale généralisée d’unefonction de f : [a,+∞[→ R par∫ +∞

af(x) dx

df= lim

b→+∞

∫ b

af(x) dx.

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4.4. LIEN AVEC L’INTÉGRALE DE RIEMANN 39

La limite ci-dessus reste valable pour toute fonction integrable au sens de Lebesgue sur [a,+∞[.En effet, si f est intégrable sur [a,+∞[ alors elle l’est sur tout intervalle [a, b], et, vu que|f1a,b| ≤ |f | qui est intégrable sur [a,+∞[, le théorème de convergence dominée donne∫ +∞

af(x) dx = lim

b→+∞

∫[a,+∞[

1a,bf dx = limb→+∞

∫ b

af(x) dx.

Des formules similaires sont valables sur ]−∞, a[ ou R.

Attention : Dans la théorie de l’intégration de Riemann, on appelle parfois “intégrales” desexpressions qui ne le sont pas. Par exemple, la notation

∫ +∞0

sin tt dt est utilisée pour désigner

limA→+∞∫ A

0sin tt dt bien que la fonction sin t

t ne soit pas intégrable sur R+ au sens de la mesurede Lebesgue. Les théorèmes généraux de la théorie de l’intégration ne peuvent s’appliquer à detels objets que l’on considèrera donc avec circonspection !

Proposition. Pour f : [a, b]→ R Lebesgue-intégrable, la relation de Chasles suivante est vérifiée∫ b

af(x) dx =

∫ c

af(x) dx+

∫ b

cf(x) dx pour tout c ∈ [a, b].

Dém. Si a ≤ c ≤ b, on écrit que f = f1[a,c] + f1]c,b]f, et on intègre sur [a, b]. Les autrescas s’en déduisent.

Théorème (fondamental de l’analyse). Si f est continue alors elle est la dérivée de ses pri-mitives. Plus précisément, si l’on suppose f continue sur [a, b] et si l’on pose, pour c ∈ [a, b]quelconque,

F (x)df=

∫ x

cf(t) dt,

alors F s’annule en c, et est dérivable sur [a, b], de dérivée f.

Dém. Pour montrer la dérivabilité de F en un point t0 de ]a, b[ on écrit que pour h assezpetit,

F (t0 + h)− F (t0)− hf(t0) =

∫ t0+h

t0

(f(t)− f(t0)) dt.

Soit ε > 0. Par continuité de f en t0, il existe η > 0 tel que |f(t0 +h)− f(t0)| ≤ ε pour|h| ≤ η. Donc

|F (t0 + h)− F (t0)− hf(t0)| ≤∣∣∣∣∫ t0+h

t0

|f(t)− f(t0)| dt∣∣∣∣ ≤ ε|h|,

d’où le résultat annoncé pour t0 ∈]a, b[. Les cas t0 = a et t0 = b sont analogues.

Corollaire (Intégration par parties). Soit f et g continues sur [a, b]. Soit F et G des pri-mitives de f et g, respectivement. On a la formule d’ intégration par parties suivante :∫ b

af(x)G(x) dx = F (b)G(b)− F (a)G(a)−

∫ b

aF (x)g(x) dx.

Dém. Il suffit de remarquer que FG est une primitive de fG + Fg, et d’appliquer lethéorème fondamental de l’analyse.

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40 CHAPITRE 4. THÉORIE DE L’INTÉGRATION ÉTENDUE

4.5 Intégrales dépendant d’un paramètre

Dans cette section, on donne deux applications importantes du théorème de convergencedominée, à l’étude de la continuité et de la dérivabilité d’intégrales dépendant d’un paramètre.

Théorème (de continuité sous le signe intégral). Soit (E, E , µ) un espace mesuré. Soit f :I × E → R avec I intervalle de R, et t∗ ∈ I . On suppose que

(i) pour tout t ∈ I, la fonction x 7→ f(t, x) est égale µ-p.p. à une fonction mesurable ;(ii) il existe une fonction g intégrable sur E telle que |f(t, x)| ≤ g(x) µ p.p., pour tout t ∈ I;

(iii) la fonction t 7→ f(t, x) est continue en t∗ pour µ-presque tout x ∈ E.Alors la fonction F : t 7→

∫E f(t, x) dµ(x) est définie sur I, et continue en t∗.

Si les hypothèses précédentes sont vérifiées en tout t∗ ∈ I, alors la fonction F est continuesur I.

Dém. Soit (tn)n∈N une suite de I tendant vers t∗. On applique le théorème de convergencedominée à la suite fn := f(tn, ·), et l’on obtient :

limn→+∞

F (tn) = limn→+∞

∫Ef(tn, x) dµ(x) =

∫Ef(t∗, x) dµ(x) = F (t∗).

Cela entraîne la continuité de F en t∗.

Exemples. (i) La fonction F : t 7→∫R e−itxe−x

2/2 dx est continue sur R. En effet, l’intégrantest continu par rapport à t et à x, donc les hypothèses (i) et (iii) sont satisfaites, eton peut prendre comme fonction de domination g(x) = e−x

2/2 qui est clairement dansL1(R,B(R), λ).

(ii) Soit ϕ continue bornée sur R. Alors, pour α > 1, la fonction t 7−→∑

n≥1 ϕ(nt)/nα estcontinue sur R. C’est une conséquence du théorème ci-dessus avec E = N∗ et µ = δN∗ .La fonction de domination est n 7→ n−α supt∈R |ϕ(t)|.

Théorème (de dérivation sous le signe intégral). Soit f : I × E → R avec I intervalle deR, et t∗ ∈ I . On suppose que :

(i) pour tout t ∈ I, la fonction x 7→ f(t, x) est égale µ p.p. à une fonction intégrable ;(ii) il existe une partie µ-négligeable N de E telle que la fonction t 7→ f(t, x) soit dérivable

sur un voisinage V de t∗ pour tout x ∈ E \N ;(iii) il existe g intégrable sur E telle que | ∂∂tf(t, x)| ≤ g(x) pour tout x ∈ E \N, et pour tout

t ∈ V.Alors la fonction F : t 7→

∫E f(t, x) dµ(x est définie sur I, dérivable en t∗ et

F ′(t∗) =

∫E

∂tf(t∗, x) dµ(x).

Dém. Soit une suite (tn)n∈N de I \ t∗ tendant vers t∗. On applique alors le théorèmede convergence dominée à la suite de fonctions (gn)n∈N définie par

∀x ∈ E \N, gn(x) :=f(tn, x)− f(t∗, x)

tn − t∗·

Par définition de la dérivée, gn(x) tend vers ∂∂tf(t∗, x) pour x ∈ E\N. De plus, l’inégalité

des accroissements finis assure que |gn(x)| ≤ g(x) pour x ∈ E \N et n assez grand. Vuque g est intégrable, on conclut que

limn→+∞

∫Egn(x) dµ =

∫E

∂tf(t∗, x) dµ(x).

Cela termine la démonstration du théorème.

Page 41: Cours d’intégration L3 de Mathématiques · 2020. 8. 31. · Pour montrer que la somme est indépendante de l’ordre de sommation, on considère une bijection ’ : N !N quelconque

4.5. INTÉGRALES DÉPENDANT D’UN PARAMÈTRE 41

Exemples. (i) Soit F : t 7→∫R e−itxe−x

2/2 dx. On a déjà vu que F était continue sur R. Ona ∂∂t(e

−itxe−x2/2) = −ixe−itxe−x2/2, dont le module est majoré par la fonction intégrable

x 7→ |x|e−x2/2. Donc F est dérivable sur R, et

F ′(t) = −∫Rie−itxxe−x

2/2 dx.

En intégrant par parties, on remarque que pour tout (a, b) ∈ R2,

−∫ b

aie−itxxe−x

2/2 dx =

∫ b

aie−itx

d

dx

(e−x

2/2)dx

=

[ie−itx e−x

2/2

]ba

− i∫ b

ae−x

2/2 d

dx

(e−itx

)dx.

En faisant tendre a vers −∞ et b vers +∞, on obtient F ′(t) = −tF (t). Donc F estsolution de l’équation différentielle y′+ ty = 0. On en conclut que F (t) = F (0)e−t

2/2. Onverra plus loin que F (0) =

√2π.

(ii) Soit ϕ dérivable sur R, à dérivée bornée. Alors, pour α > 2, la fonction G : t 7−→∑n≥1 ϕ(nt)/nα est dérivable sur R, et

G′(t) =∑n≥1

ϕ′(nt)/nα−1.

Le théorème fondamental de l’analyse nous dit que lorsque f est continue, alors elle est ladérivée de ses primitives. Le résultat suivant est une généralisation au cas f seulement intégrable.

Proposition. Soit f intégrable au sens de Lebesgue sur un intervalle ouvert I de R, t0 ∈ I etF (t) =

∫ tt0f(t) dt pour t ∈ I. Alors F est continue sur I, et dérivable en t1 de dérivée f(t1) en

tout point t1 ∈ I tel que

(4.4) limh→0

1

h

∫ t1+h

t1

f(t) dt = f(t1).

Dém. Pour la continuité, on écrit pour t ∈ I tel que t ≥ t0,

F (t) =

∫R

1]t0,t[(x)f(x) dx

et on applique le théorème de continuité sous le signe intégral une fois remarqué que pourt∗ ∈ I et x ∈ R \ t∗ fixé, la fonction t 7→ 1]t0,t[(x) f(x) est continue en t∗. Le cas t < t0est similaire.

Pour la dérivabilité en t1 vérifiant les hypothèses de l’énoncé, on écrit (à l’aide de larelation de Chasles)

1

h

(F (t1 + h)− F (t1)− hf(t1)

)=

1

h

∫ t1+h

t1

(f(t)− f(t1)

)dt.

Le terme de droite tend vers 0 par hypothèse, donc F est dérivable en t1, de dérivéef(t1).

Remarque. Les points vérifiant (4.4) sont appelés points de Lebesgue. On peut montrer que pourune fonction intégrable, presque tous les points sont de Lebesgue (la démonstration dépasse lecadre de ce cours). En conséquence, si f est intégrable alors F est dérivable presque partout, etl’on a F ′ = f.

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42 CHAPITRE 4. THÉORIE DE L’INTÉGRATION ÉTENDUE

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Chapitre 5

Mesures produits et intégrales multiples

La question principale que l’on se pose dans ce chapitre est la suivante : soit (E1, E1, µ1)et (E2, E2, µ2) deux espaces mesurés 1. Peut-on munir l’ensemble produit E1 × E2 c’est-à-dire(x1, x2) avec x1 ∈ E1, x2 ∈ E2 d’une tribu et d’une mesure qui soit “en rapport” avec (E1, µ1) et(E2, µ2) ? La réponse à cette question nous permettra en sus de ramener le calcul d’une « intégraledouble » au calcul de deux « intégrales simples », et de faire le lien entre la mesure de Lebesguesur R2 (et plus généralement sur Rp ) avec le mesure de Lebesgue sur R.

5.1 Produits d’espaces mesurables

Pour résoudre le problème de la construction d’une mesure sur un ensemble produit, ilconvient dans un premier temps de déterminer de quelle tribu E1 ×E2 doit être muni, si E1 etE2 sont chacun munis d’une tribu E1 et E2. L’exigence minimale est d’assurer que les projectionssur E1 et sur E2 (définies ci-dessous) soient mesurables.

Définition. Les projections sur E1 et sur E2 sont définies par :

p1 :

E1 × E2 −→ E1

(x1, x2) 7−→ x1et p2 :

E1 × E2 −→ E2

(x1, x2) 7−→ x2.

Notons que la mesurabilité de p1 et de p2 est équivalente au fait que A1 × E2 et E1 × A2

soient mesurables pour tout A1 ∈ E1 et A2 ∈ E2. Comme une tribu est stable par intersectionfinie, une tribu rendant p1 et p2 mesurables doit avoir la propriété que

∀A1 ∈ E1, ∀A2 ∈ E2, A1 ×A2 = (A1 × E2) ∩ (E1 ×A2) est mesurable.

Cela motive la définition suivante :

Définition. La tribu engendrée par A1 × A2, A1 ∈ E1, A2 ∈ E2 (notée E1 ⊗ E2 ) est appeléetribu produit sur E1 × E2. C’est la plus petite tribu rendant les projections p1 : E1 × E2 → E1

et p2 : E1 × E2 → E2 mesurables.

Exemple. B(R2) = B(R)⊗ B(R).

En effet, on a B(R2) ⊂ B(R) ⊗ B(R) car, par définition, l’ensemble des rectangles ouverts]a1, b1[×]a2, b2[ engendre B(R2), et tous les intervalles ouverts sont dans B(R) (donc leurs pro-duits dans B(R)⊗ B(R)).

1. Il est légitime de se poser la même question pour un ensemble produit E1×· · ·×Ep entre p espaces mesurés.On se limite à p = 2 pour simplifier la présentation.

43

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44 CHAPITRE 5. MESURES PRODUITS ET INTÉGRALES MULTIPLES

Réciproquement, pour i = 1, 2, les projections pi : (R2,B(R2))→ (R,B(R)) sont mesurables(car continues). Cela entraîne que pour tout A et B dans B(R), on a A × R et R × B dansB(R2). Par intersection, B(R2) contient tous les A×B avec A et B dans B(R), donc la tribuengendrée qui n’est autre que B(R)⊗ B(R).

Remarque. Plus généralement, on montre que

B(Rd) = B(R)⊗ · · · ⊗ B(R)︸ ︷︷ ︸d facteurs

.

Cela se fait par récurrence en utilisant le fait que (E1 ⊗ E2)⊗ E3 = E1 ⊗ (E2 ⊗ E3) (exo).

Proposition. Soit (D,D), (E1, E1) et (E2, E2) trois espaces mesurables. Une application f :(D,D) → (E1 × E2, E1 ⊗ E2) est mesurable si et seulement si les applications coordonnéespi f : (D,D)→ (Ei, Ei) i = 1, 2 sont mesurables.

Dém. Implication directe : théorème de composition.

Implication réciproque : pour Ai ⊂ Ei, on a (pi f)−1(Ai) = f−1(p−1i (Ai)). Donc pour

tout A1 ∈ E1 et A2 ∈ E2, on a f−1(A1×E2) ∈ D et f−1(E1×A2) ∈ D. Par intersection,f−1(A1×A2) ∈ D. Comme E1⊗E2 est engendrée par l’ensemble des A1×A2 avec A1 ∈ E1

et A2 ∈ E2, on conclut à la mesurabilité de f.

Proposition. Soit f : (E1 × E2, E1 ⊗ E2) → (F,F) mesurable. Alors pour tout x1 ∈ E1 etx2 ∈ E2, les applications partielles gx1 : y2 7→ f(x1, y2) et hx2 : y1 7→ f(y1, x2) sont mesurables.

Dém. Montrons le résultat pour gx1 . On remarque que gx1 = f φx1 avec

φx1 :

E2 −→ E1 × E2

x2 7−→ (x1, x2).

Par théorème de composition, il suffit de vérifier que φx1 est mesurable, autrement dit,que pour tout A ∈ E1 ⊗ E2 l’ensemble Ax1 := x2 ∈ E2, (x1, x2) ∈ A est dans E2. Maisil suffit en fait de vérifier cette propriété pour A = A1 ×A2 avec A1 ∈ E1 et A2 ∈ E2, cequi est évident.

Remarque. De même que pour la continuité, la mesurabilité de toutes les applications partiellesn’entraîne pas la mesurabilité de l’application initiale. Par exemple, on munit R de la tribu Eengendrée par les singletons, on prend ∆ = (x, x), x ∈ R et f = 1∆. Alors gx1 et hx2 sontmesurables pour tout x1 ∈ R et x2 ∈ R, alors que f ne l’est pas, car ∆ est non mesurable, carnon dénombrable.

5.2 Un résultat d’unicité

L’étape suivante est de définir une “mesure produit” sur la tribu produit E1 ⊗ E2 introduitedans la section précédente. En général, on ne peut expliciter la valeur de cette mesure que surcertains éléments de la tribu, et il faudra s’assurer in fine que cela détermine bien la mesurede manière unique, l’idée étant qu’il suffit de connaître la valeur de la mesure sur une partiegénératrice de la tribu, “suffisamment grosse”.

Pour préciser notre heuristique, nous allons introduire la notion de classe monotone.

Définition. Un ensemble C de parties de E est appelé classe monotone si(i) C contient E,(ii) Si A et B sont dans E avec B ⊂ A alors A \B aussi,

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5.2. UN RÉSULTAT D’UNICITÉ 45

(iii) C est stable par réunion croissante dénombrable.

Exemple. Toute tribu est une classe monotone.

Lemme. Une classe monotone stable par intersection finie est une tribu.

Dém. Il suffit de vérifier la stabilité par réunion dénombrable quelconque. Soit (An)n∈N ∈CN. Posons Bn =

⋃nk=0Ak, de telle sorte que⋃

n∈NAn =

⋃n∈N

Bn,

la deuxième réunion étant croissante.

On remarque que E \Bn =⋂nk=0E \ Ak ∈ C vu les hypothèses. Par passage au complé-

mentaire, Bn est donc dans C, et donc⋃n∈NAn =

⋃n∈NBn aussi.

Théorème (des classes monotones). Soit C ⊂ P(E) contenant E et stable par intersection finie.SoitM la classe monotone engendrée par C (c’est-à-dire la plus petite classe monotone contenantC ) et T la tribu engendrée par C. Alors M = T .

Dém. Toute tribu est une classe monotone, donc M⊂ T .

Réciproquement, il suffit, en vertu du lemme précédent et d’une récurrence immédiate demontrer que M est stable par intersection de deux de ses éléments.Pour A ∈ C, on note MA = B ∈M, A ∩B ∈M. C’est une classe monotone car :

(i) A ∩ E = A ∈ C ⊂M implique que E ∈MA ;

(ii) Si B1 et B2 sont dans MA avec B1 ⊂ B2 alors B2 \B1 ∈MA, car A ∩ (B2 \B1) =(A ∩B2) \ (A ∩B1) ;

(iii) Si (Bn)n∈N est une suite croissante d’éléments de MA alors(⋃n∈N

Bn

)∩A =

⋃n∈N

(Bn ∩A) ∈M.

La classe monotone MA est évidemment incluse dans M , donc égale à M. En conclu-sion :

∀A ∈ C, ∀B ∈M, A ∩B ∈M.

Par un raisonnement en tout point similaire, on montre ensuite que si A ∈ M alorsl’ensemble MA est encore une classe monotone, donc c’est M.

Théorème (d’unicité). Soit (E, E) un espace mesurable et C ⊂ P(E) vérifiant :

(i) la tribu engendrée par C est E ,(ii) C est stable par intersection finie,

(iii) E est réunion croissante d’une suite (En)n∈N d’éléments de C.Si µ et ν sont deux mesures sur (E, E) qui coïncident et sont finies sur C, alors µ = ν sur E .

Dém. On se ramène au cas où µ et ν sont finies :— on note µn et νn la restriction de µ et ν à En muni de la tribu induite En,— soit Cn = A ∩ En, A ∈ C.En remarquant que Cn ⊂ C, on voit aisément que les hypothèses du théorème sont encorevérifiées sur En avec la tribu En, la classe Cn, et les mesures µn et νn.

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46 CHAPITRE 5. MESURES PRODUITS ET INTÉGRALES MULTIPLES

Soit Dn = A ∈ En, µn(A) = νn(A). On vérifie que Dn est une classe monotone departies de En. En effet, Dn contient bien En, et si A et B sont dans Dn avec B ⊂ Aalors

µn(A \B) + µn(B) = µn(A) et νn(A \B) + νn(B) = νn(A).

Donc µn(A \B) = νn(A \B), et donc A \B ∈ Dn.Par ailleurs, si (Ap)p∈N est une suite croissante d’éléments de Dn alors

µn

(⋃p∈N

Ap

)= lim

p→+∞µn(Ap) = lim

p→+∞νn(Ap) = νn

(⋃p∈N

Ap

),

et donc⋃p∈NAp est bien dans Dn. Enfin, il est clair que Dn contient Cn. Comme Cn est

stable par intersection finie et contient En, le théorème des classes monotones assure quela classe monotone engendrée par Cn n’est autre que la tribu En. On a donc finalementDn = En, et donc µn = νn sur En.Soit maintenant A ∈ E quelconque. Alors A est limite croissante des ensembles A ∩ Enqui appartiennent à En. Donc

µ(A) = limn→+∞

µ(A∩En) = limn→+∞

µn(A∩En) = limn→+∞

νn(A∩En)= limn→+∞

ν(A∩En) = ν(A)

ce qui achève la démonstration.

Exemple. Il y a unicité de la mesure de Lebesgue. Il suffit d’appliquer le théorème d’unicité avecC = [a, b], a ≤ b en remarquant que R est réunion croissante des [−n, n], et que l’intersectiond’une famille finie d’intervalles fermés bornés est encore un intervalle fermé borné.

Donnons une deuxième application du théorème des classes monotones qui nous permettrade montrer un résultat de densité fort utile, dans le dernier chapitre.

Théorème. Soit (E, E , µ) un espace mesuré avec µ finie et F un sous-ensemble de E contenantE, stable par complémentaire et intersection finie, et engendrant E .

Alors pour tout A dans E , il existe une suite (An)n∈N d’éléments de F telle que

(5.1) limn→+∞

µ((A \An) ∪ (An \A)

)= 0.

Dém. Soit M l’ensemble des parties mesurables vérifiant (5.1). Il s’agit de démontrer queM = E . En vertu du théorème des classes monotones, il suffit d’établir que M (quicontient clairement E et l’ensemble F stable par intersection finie) est stable par réuniondénombrable croissante et par complémentaire.— Stabilité par complémentaire : Soient A et B dans M avec A ⊂ B. Il existe deux

suites (An)n∈N et (Bn)n∈N de F vérifiant (5.1) pour A et B, respectivement. Alorspour tout n ∈ N, Bn \An = Bn ∩ cAn est dans F , et en remarquant que

(B \A) \ (Bn \An) =((B \Bn) ∩ cA

)∪(B ∩ (An \A)

),

ainsi q’une relation analogue pour (Bn \ An) \ (B \ A), on constate que la suite(Bn \An)n∈N permet de réaliser (5.1) pour B \A.

— Stabilité par réunion croissante dénombrable : Soit (Ap)p∈N une suite croissante d’élé-ments deM et A la limite de cette suite. Fixons n ∈ N∗. Par théorème de convergencemonotone, comme µ est de mesure finie, il existe pn ∈ N tel que µ(A \ Apn) ≤ 1/n.Mais Apn étant dansM, il existe An dans F tel que µ

((Apn\An)∪(An\Apn)

)≤ 1/n.

En conséquence, µ((A \An) ∪ (An \A)

)≤ 2/n, et l’on a donc (5.1) pour A.

On conclut à l’aide du théorème des classes monotones que l’on a bien M = E .

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5.3. PRODUITS DE MESURES 47

5.3 Produits de mesures

Pour simplifier la présentation, on n’énonce les résultats que pour le produit de deux mesures.

Théorème (de Tonelli). Soit (E1, E1, µ1) et (E2, E2, µ2) deux espaces mesurés avec µ1 et µ2

mesures σ -finies. Alors il existe une unique mesure produit µ1⊗µ2 sur (E1×E2, E1⊗E2) telleque

∀(A1, A2) ∈ E1 × E2, µ1 ⊗ µ2(A1 ×A2) = µ1(A1)µ2(A2).

De plus, pour toute fonction f : (E1 × E2, E1 ⊗ E2)→ (R+,B(R+)) mesurable, les applications

f1 : x1 7−→∫E2

f(x1, x2) dµ2(x2) et f2 : x2 7−→∫E1

f(x1, x2) dµ1(x1)

sont mesurables, et l’on a∫E1×E2

f(x1, x2) d(µ1 ⊗ µ2)(x1, x2) =

∫E1

(∫E2

f(x1, x2) dµ2(x2)

)dµ1(x1)(5.2)

=

∫E2

(∫E1

f(x1, x2)dµ1(x1)

)dµ2(x2).

Dém. Avant toute chose, remarquons que comme la fonction f est mesurable au sens de latribu E1⊗E2, les applications partielles intervenant dans la définition de f1 et de f2 sontmesurables positives. Les fonctions f1 et f2 sont donc bien définies. On admet qu’ellessont de plus mesurables (découle du théorème de la classe monotone, et du fait que µ1 etµ2 sont σ -finies, voir [2]).

Etape 1 : Existence de la mesure produit.

Soit A ∈ E1 ⊗ E2. La remarque ci-dessus permet de définir

µ(A) :=

∫E1

(∫E2

1A(x1, x2) dµ2(x2)

)dµ1(x1).

La fonction µ est une mesure sur E1 ⊗ E2. En effet :(i) µ(∅) = 0 car 1∅ = 0.

(ii) Si (An)n∈N est une suite d’éléments deux à deux disjoints de E1⊗E2 alors 1∪n∈NAn =∑1An et donc, par convergence monotone, pour tout x1 ∈ E1,∫

E2

1∪n∈NAn(x1, x2) dµ2(x2) =∑n∈N

∫E2

1An(x1, x2) dµ2(x2),

d’où, à nouveau par convergence monotone,

µ(⋃n∈N

An

)=

∫E1

(∫E2

1∪n∈NAn(x1, x2) dµ2(x2)

)dµ1(x1)

=

∫E1

(∑n∈N

∫E2

1An(x1, x2) dµ2(x2)

)dµ1(x1)

=∑n∈N

∫E1

(∫E2

1An(x1, x2) dµ2(x2)

)dµ1(x1) =

∑n∈N

µ(An).

De plus, si A = A1 × A2 avec A1 ∈ E1 et A2 ∈ E2 alors, puisque 1A1×A2(x1, x2) =1A1(x1)1A2(x2), on obtient bien que µ(A1 ×A2) = µ1(A1)µ2(A2).

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48 CHAPITRE 5. MESURES PRODUITS ET INTÉGRALES MULTIPLES

Etape 2 : Unicité.

Soit ν une autre mesure sur E1⊗E2 vérifiant les propriétés voulues. On applique alors lethéorème d’unicité avec C = A1×A2, A1 ∈ E1, A2 ∈ E2, µ1(A1) <∞ et µ2(A2) <∞.C’est licite car :(i) C engendre E1 ⊗ E2 par définition de la tribu produit,(ii) C est stable par intersection finie (vu la formule (A1×A2)∩ (B1×B2) = (A1 ∩B1)×

(A2 ∩B2),

(iii) Si (An)n∈N et (Bn)n∈N sont deux suites croissantes de E1 et E2 de limites respectivesE1 et E2, avec µ1(An) et µ2(Bn) finis (ces suites existent car µ1 et µ2 sont σ -finies)alors E1 × E2 est limite croissante de (An ×Bn)n∈N.

On a donc µ = ν.

Etape 3 : Formule de Tonelli.

Si l’on définit ν sur E1 ⊗ E2 par

ν(A) :=

∫E2

(∫E1

1A(x1, x2) dµ1(x1)

)dµ2(x2),

on a encore ν(A1 × A2) = µ1(A1)µ2(A2) = µ(A1 × A2) pour tout (A1, A2) ∈ E1 × E2.Par l’étape 2, on a donc ν = µ. En conséquence, (5.2) est vérifiée dans le cas particulieroù f = 1A avec A ∈ E1 ⊗ E2.

Par linéarité, on en déduit que (5.2) est vraie pour toute fonction étagée. Enfin, commetoute fonction mesurable positive est limite croissante de fonctions étagées, le théorèmede convergence monotone permet de conclure à (5.2) dans le cas général.

Théorème (de Fubini). Soit (E1, E1, µ1) et (E2, E2, µ2) deux espaces mesurés avec µ1 et µ2

mesures σ -finies. Soit f : (E1 × E2, E1 ⊗ E2) → (R,B(R)) mesurable. Alors f est intégrable siet seulement si∫

E1

(∫E2

|f(x1, x2)| dµ2(x2)

)dµ1(x1) <∞ ou

∫E2

(∫E1

|f(x1, x2)|dµ1(x1)

)dµ2(x2) <∞.

Si tel est le cas alors les applications

f1 : x1 7−→∫E2

f(x1, x2) dµ2(x2) et f2 : x2 7−→∫E1

f(x1, x2) dµ1(x1)

sont mesurables et finies µ1 p.p. et µ2 p.p. respectivement, et l’on a encore (5.2).

Dém. Par définition f est intégrable si et seulement si |f | l’est. Comme |f | est à valeursdans R+

, on peut appliquer Tonelli, ce qui donne le critère d’intégrabilité pour f, etdonc le fait que f1 et f2 sont finies presque partout. La formule (5.2) se montre alors enécrivant f = f+ − f− et en appliquant le théorème de Tonelli à f− et f+.

Exemple 1. E1 = E2 = R, E1 = E2 = B(R), µ1 = µ2 = λ. Alors, par le théorème de Tonelli,µ1⊗µ2 = λ2 (mesure de Lebesgue de R2 ) car les deux mesures coïncident sur les rectangles. Dece fait, on note souvent dλ2 = dx dy. Maintenant, le théorème de Fubini nous dit de plus que sif est intégrable sur R2 alors∫

R2

f(x, y) dx dy =

∫R

(∫Rf(x, y) dx

)dy =

∫R

(∫Rf(x, y) dy

)dx.

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5.3. PRODUITS DE MESURES 49

Si f est intégrable sur le rectangle ]a1, b1[×]a2, b2[, on peut écrire∫]a1,b1[×]a2,b2[

f(x, y) dx dy =

∫ b1

a1

(∫ b2

a2

f(x, y) dy

)dx =

∫ b2

a2

(∫ b1

a1

f(x, y) dx

)dy.

Si f est intégrable sur le triangle T = (x, y) ∈ R2, 0 < x < y < 1 alors on a∫Tf(x, y) dx dy =

∫ 1

0

(∫ y

0f(x, y) dx

)dy =

∫ 1

0

(∫ 1

xf(x, y) dy

)dx.

En effet, il suffit de remarquer que 1T (x, y) = 1 pour y ∈]x, 1[, et 1T (x, y) = 0 sinon.

Exemple 2. E1 = E2 = N, E1 = E2 = P(N), µ1 = µ2 = δN (mesure de comptage de N). AlorsE1 ⊗ E2 = P(N2) et µ1 ⊗ µ2 = δN2 (mesure de comptage de N2 ). Une fonction f : N2 → R estintégrable au sens de (N2,P(N2), δN2) si et seulement si

∑(m,n)∈N2

|f(m,n)| =∑m∈N

(∑n∈N|f(m,n)|

)=∑n∈N

(∑m∈N|f(m,n)|

)<∞.

Si l’une de ces conditions est vérifiée, alors on a

∑(m,n)∈N2

f(m,n) =∑m∈N

(∑n∈N

f(m,n)

)=∑n∈N

(∑m∈N

f(m,n)

Ce résultat peut se transcrire en termes de suites à deux indices : il nous apprend que si la suitede nombres réels (ou complexes) (un,m)(n,m)∈N2 vérifie∑

(m,n)∈N2

|um,n| <∞

alors ∑m∈N

(∑n∈N

um,n

)=∑n∈N

(∑m∈N

um,n

Exemple 3. Soit (E, E , µ) avec µ σ -finie, et (N,P(N), δN). Alors la mesure produit µ × δN surla tribu produit E ⊗ P(N) vérifie µ ⊗ δN(A × B) = µ(A) cardB pour tout A ∈ E et B ⊂ N.Pour f intégrable sur E × N, on a alors∫

E×Nf d(µ⊗ δN) =

∫E

(∑n∈N

f(x, n)

)dµ(x) =

∑n∈N

∫Ef(x, n) dµ(x).

En notant fn(x) = f(x, n), les égalités ci-dessus se récrivent∫E×N

f d(µ⊗ δN) =

∫E

(∑n∈N

fn(x)

)dµ(x) =

∑n∈N

∫Efn(x) dµ(x).

Le fait que f soit intégrable s’écrit∫E

(∑n∈N|fn(x)|

)dµ(x) <∞. On retrouve donc le théorème

de convergence dominée, pour la suite des sommes partielles(∑N

n=0 fn)N∈N.

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50 CHAPITRE 5. MESURES PRODUITS ET INTÉGRALES MULTIPLES

Exemple 4. Produit de convolution. Soit f et g deux fonctions de L1(R,B(R), λ). Alors

f ? g(x) :=

∫Rf(x− y)g(y) dy

est finie pour λ presque tout x, et l’on a f ? g ∈ L1(R,B(R), λ). En effet, par le théorème deTonelli, et l’invariance de la mesure de Lebesgue par translation, on calcule :∫

R2

|f(x− y)g(y)| dx dy =

∫R|g(y)|

(∫R|f(x− y)| dx

)dy =

∫R|g(y)|

(∫R|f(x′)| dx′

)dy

=

(∫R|g(y)| dy

)(∫R|f(x′)| dx′

)<∞.

Donc (x, y) 7→ f(x − y)g(y) est intégrable sur R2, et f ? g est une fonction intégrable sur R,finie pour presque tout x.

En appliquant le théorème de Fubini et en reprenant le calcul ci-dessus sans les valeursabsolues, on obtient de plus que∫

Rf ? g(x) dx =

(∫Rf(x) dx

)(∫Rg(y) dy

Attention : Dans le cas où f n’est pas intégrable sur E1 × E2, il se peut que∫E1

(∫E2

f(x1, x2) dµ2

)dµ1 et

∫E2

(∫E1

f(x1, x2) dµ1

)dµ2

soient quand même définies. A titre d’exemple, on pourra vérifier que les intégrales∫ 1

0

(∫ 1

0f(x, y) dy

)dx et

∫ 1

0

(∫ 1

0f(x, y) dx

)dy avec f(x, y) :=

x− y(x+ y)3

sont non nulles et opposées.

5.4 Changement de variables dans les intégrales

Pour calculer des intégrales, il est souvent commode de faire un ou des changements devariables. Le résultat principal de cette section (que l’on admet) généralise aux intégrales sur unouvert de Rn la formule vue en L1 ou L2 pour l’intégrale de Riemann sur un intervalle de R.

Théorème. Soit ϕ : Ω → Ω′ un C1 difféomorphisme entre deux ouverts de Rn. Soit Jϕ lejacobien de ϕ (i.e. Jϕ(x) = | det dϕ(x)|). On a alors les résultats suivants pour toute fonctionf : Ω′ → R borélienne.

(i) Si f est à valeurs dans R+ alors on a toujours

(5.3)∫

Ωf(ϕ(x))Jϕ(x) dx =

∫Ω′f(y) dy.

(ii) Sans hypothèse de signe, f est intégrable sur Ω′ si et seulement si la fonction (f ϕ) Jϕest intégrable sur Ω. Si l’une de ces deux conditions est vérifiée, alors (5.3) est valable.

Exemple 1. Coordonnées polaires. Soit D le disque unité ouvert de R2. Alors pour toute fonctionf intégrable sur D on a∫

Df(x, y) dx dy =

∫]0,1[×]−π,π[

f(r cos θ, r sin θ) r dr dθ.

Il suffit d’appliquer le théorème ci-dessus avec ϕ : (r, θ) 7→ (r cos θ, r sin θ), qui est un C1

difféomorphisme de ]0, 1[×] − π, π[ dans D \ ([0, 1] × 0), et de remarquer que le segment[0, 1]× 0 de R2 est négligeable pour la mesure de Lebesgue sur R2.

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5.4. CHANGEMENT DE VARIABLES DANS LES INTÉGRALES 51

Exemple 2. Calcul de∫R+ e

−x2 dx.En remarquant que la fonction ϕ définie dans l’exemple 1 est aussi un C1 difféomorphisme

de ]0,+∞[×]− π, π[ dans R2 \ (R+ × 0), on peut écrire, grâce aux théorèmes de changementde variable, et de Fubini :(∫

R+

e−x2dx

)2

=

∫R+×R+

e−(x2+y2) dx dy =

∫R+

(∫ π

−πe−r

2r dr

)dθ = π.

Donc∫R+

e−x2dx =

√π.

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52 CHAPITRE 5. MESURES PRODUITS ET INTÉGRALES MULTIPLES

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Chapitre 6

Les espaces de Lebesgue et latransformée de Fourier

6.1 L’espace de Lebesgue L1

Soit (E, E , µ) un espace mesuré. Au chapitre 4, nous avons introduit :— l’ensemble L1(E, E , µ) des fonctions intégrables sur E muni de la tribu E et de la me-

sure µ ,— l’ensemble L1(E, E , µ) des classes d’équivalence [f ] de fonctions f de L1(E, E , µ) pour

la relation d’égalité µ presque partout.Ces deux ensembles sont des espaces vectoriels sur R (ou sur C si l’on considère des fonctions àvaleurs complexes). De plus, il est clair que la quantité ‖f‖1 :=

∫|f | dµ définie sur L1(E, E , µ)

vérifie l’inégalité triangulaire et est homogène de degré 1. Cependant, on a seulement

‖f‖1 = 0 ⇐⇒ f = 0 µ p.p,

et donc ‖ · ‖1 n’est pas une norme (pour qu’elle le soit il faudrait que seule la fonction f ≡ 0vérifie ‖f‖1 = 0).

Toutefois, pour [f ] ∈ L1(E, E , µ), la quantité

‖f‖1 :=

∫|f | dµ

est la même quel que soit le représentant f de [f ] choisi, ce qui permet de définir la quantitié‖ · ‖1 sur L1(E, E , µ) par

‖[f ]‖1 := ‖f‖1avec f ∈ L1(E, E , µ) élément (ou représentant) quelconque de [f ]. Avec cette nouvelle définition,l’inégalité triangulaire et l’homogénéité sont encore valables, et il devient clair que

‖[f ]‖1 = 0 si et seulement si [f ] = 0.

Nous avons donc le résultat fondamental suivant :

Proposition. La fonction ‖ · ‖1 est une norme sur L1(E, E , µ).

On cherche maintenant à comparer convergence L1 et convergence µ p.p.

Théorème. Soit (fn)n∈N une suite de L1(E, E , µ).

(i) Si fn → f µ p.p. et |fn| ≤ g µ p.p. avec g ∈ L1(E, E , µ) alors fn → f dans L1(E, E , µ).

53

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54 CHAPITRE 6. LES ESPACES DE LEBESGUE ET LA TRANSFORMÉE DE FOURIER

(ii) Réciproquement, si fn → f dans L1(E, E , µ) alors il existe une sous-suite (fϕ(n))n∈N telleque fϕ(n) → f µ p.p.

Dém. Le premier point découle du théorème de convergence dominée.

Pour le deuxième point, on commence par extraire une sous-suite (fϕ(n))n∈N telle que‖fϕ(n) − f‖1 ≤ 2−n. On remarque alors que l’ensemble (mesurable) A des points où(fϕ(n))n∈N ne converge pas vers f vérifie

A =⋃p∈N

Ap avec Ap :=

lim sup |fϕ(n) − f | > 2−p·

Il est clair que

lim sup |(fϕ(n) − f)(x)| > 2−p ⇐⇒ ∀k ∈ N, ∃j ≥ k t.q. |(fϕ(j) − f)(x)| > 2−p.

En conséquence,Ap =

⋂k∈N

⋃j≥k

|fϕ(j) − f | > 2−p

·

Par l’inégalité de bienaymé-Tchebycheff,

µ(|fϕ(j) − f | > 2−p

)≤ 2p‖fϕ(j) − f‖1 ≤ 2p−j .

Donc on a µ(Ap) = 0 quelle que soit la valeur de p ∈ N. Comme la suite (Ap)p∈N estcroissante et converge vers A, on conclut par théorème de convergence monotone queµ(A) = 0. Autrement dit, on a bien fϕ(n) → f µ p.p.

Théorème. L’espace vectoriel normé L1(E, E , µ) muni de ‖ · ‖1 est complet. On dit que c’est unespace de Banach.

Dém. Par définition de la complétude, il s’agit de démontrer que toute suite de Cauchy deL1(E, E , µ) converge.Soit donc (fn)n∈N une suite de Cauchy. On extrait une sous-suite (fϕ(n))n∈N telle que‖fϕ(n+1) − fϕ(n)‖1 ≤ 2−n, puis on pose un = fϕ(n+1) − fϕ(n). Si l’on parvient à montrerque

∑un converge dans L1 alors on aura (fϕ(n))n∈N convergente car

∀n ∈ N,n−1∑k=0

uk =n−1∑k=0

(fϕ(k+1) − fϕ(k)

)= fϕ(n) − fϕ(0).

Enfin, comme le critère de Cauchy est vérifié par (fn)n∈N, la convergence de (fϕ(n))n∈Nentraîne la convergence de (fn)n∈N.

Dans la suite de la démonstration, on se donne un représentant vn ∈ L1 de un, pourchaque n ∈ N. On a donc

∑‖vn‖1 < +∞, et l’on veut montrer que cela implique que∑

vn converge dans L1.

Tout d’abord, grâce au théorème précédent appliqué à la suite des sommes partielles(∑N

n=0 |vn|)N∈N, qui converge dans L1, on voit qu’il existe une sous-suite qui convergeµ presque partout. Mais comme (

∑Nn=0 |vn|)N∈N est croissante, cela entraîne que

∑|vn|

converge µ presque partout. Il en est donc de même pour∑vn qui est, de ce fait, une

fonction µ mesurable, comme limite de fonctions mesurables. On peut donc écrire∣∣∣∣∑n∈N

vn(x)

∣∣∣∣ ≤∑n∈N|vn(x)| µ p.p.

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6.1. L’ESPACE DE LEBESGUE L1 55

En intégrant, on voit que cela donne∑

n∈N vn ∈ L1(E, E , µ). De plus, pour tout N ∈ N,∣∣∣∣∑n∈N

vn −N∑n=0

vn

∣∣∣∣ ≤ ∑n>N

|vn|.

Donc en intégrant, on voit que∑vn converge dans L1 au sens de ‖ · ‖1. De ce fait,

∑un

converge dans L1, ce qui est exactement ce qu’il fallait démontrer.

Dans le chapitre précédent, nous avons défini le produit de convolution sur L1(R,B(R), λ). Onpeut généraliser la définition à la dimension d (donc sur L1(Rd,B(Rd), λd)) comme suit :

f ? g(x) =

∫Rdf(x− y)g(y) dλd(y).

Comme dans le cas d = 1, on établit à l’aide des théorèmes de Tonelli et de Fubini, que f ? gest une fonction de L1(Rd,B(Rd), λd) telle que

‖f ? g‖1 ≤ ‖f‖1‖g‖1.

De ce fait, on a

‖f ′ ? g′ − f ? g‖1 = ‖f ′ ? (g′ − g) + (f ′ − f) ? g‖1 ≤ ‖f ′‖1‖g′ − g‖1 + ‖f ′ − f‖1‖g‖1.

Donc, si f = f ′ et g = g′ λd p.p. alors f ′ ? g′ = f ? g λd p.p. Cela permet de définir le produitde convolution de deux éléments de L1(Rd,B(Rd), λd) comme étant celui de n’importe lesquelsde leurs représentants.

Enfin, par un simple changement de variable linéaire, on constate que

f ? g(x) =

∫Rdf(y)g(x− y) dλd(y) = g ? f(x) µ p.p.

Donc f ? g = g ? f sur L1(Rd,B(Rd), λd).On laisse au lecteur le soin de démontrer que le produit de convolution est une loi de compo-

sition interne de L1(Rd,B(Rd), λd) qui est associative, et distributive sur l’addition. On a doncobtenu le résultat suivant :

Proposition. L’ensemble L1(Rd,B(Rd), λd) muni de ‖ · ‖1, et des lois de composition interne +et ?, et de la loi externe · est une algèbre de Banach commutative.

Le résultat de densité suivant est fondamental car il permet de démontrer des résultats portantsur des fonctions L1 générales, en ne raisonnant que sur des fonctions régulières.

Théorème (de densité). L’ensemble Cc(Rd) des fonctions continues sur Rd, nulles en dehors d’uncompact est dense dans L1(Rd,B(Rd), λd).

Dém. Soit f intégrable sur Rd. Plusieurs réductions successives décrites ci-dessous vontnous permettre de traiter uniquement le cas où f est la fonction caractéristique d’un pavésemi-fermé.

1. A l’aide du théorème de convergence dominée, on constate que

limN→+∞

‖f − f1[−N,N [d‖1 = 0,

et l’on peut donc sans perte de généralité supposer que f est nulle en dehors d’un pavé[−N,N [d avec N suffisamment grand.

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56 CHAPITRE 6. LES ESPACES DE LEBESGUE ET LA TRANSFORMÉE DE FOURIER

2. En écrivant f = f+ − f−, on se ramène à f positive.

3. Comme toute fonction positive intégrable est limite µ p.p. d’une suite croissante defonctions étagées, on voit, par convergence dominée, que la convergence a aussi lieu ausens de ‖ · ‖1. Donc il suffit de traiter le cas où f est étagée (positive).

4. Le résultat de densité est stable par combinaisons linéaires. Donc il suffit de traiter lecas où f = 1A avec A ⊂ Ω borélien inclus dans [−N,N [d.

5. Soit F l’ensemble des réunions finies de pavés [a1, b1[· · · [ad, bd[ avec −N ≤ ai < bi ≤ Npour tout i ∈ 1, · · · , d. Cet ensemble engendre les boréliens de [−N,N [d (c’est-à-dire les boréliens de Rd intersectés avec [−N,N [d ), contient [−N,N [d et est stable parcomplémentaire, et intersection et réunion finies. Comme la mesure de Lebesgue restreinteà [−N,N [d est finie, le théorème de la page 46 assure que tout borélien de [−N,Nd[ estlimite (au sens de (5.1)) d’une suite de F . En termes de fonctions indicatrices, cela donneque la fonction 1A est limite au sens ‖ · ‖1 d’une suite (1An)n∈N avec An réunion finie etdisjointe de pavés [a1, b1[· · · [ad, bd[ inclus dans Ω.

6. Par linéarité, il suffit de montrer le résultat pour f fonction caractéristique d’un seulpavé P = [a1, b1[· · · [ad, bd[ inclus dans Ω.

7. Réduction à la dimension 1 : on remarque que

1P (x1, · · · , xd) = 1[a1,b1[(x1) · · · 1[ad,bd[(xd).

En conséquence, si l’on démontre l’existence de d suites (f jk)k∈N, j ∈ 1, · · · , d continuesà support compact suffisamment proche de [aj , bj ] et telles que

∀j ∈ 1, · · · , d, limk→+∞

∫R|f jk − 1[aj ,bj [| dx = 0

alors la suite (fk)k∈N définie par

fk(x1, · · · , xd) = fk1 (x1) · · · fkd (xd)

sera dans Cc(Ω) et tendra vers f au sens L1(Rd).

On suppose donc désormais que d = 1 et que f = 1[a,b[. Fixons alors une fonction φcontinue à support dans [−1, 1] telle que 0 ≤ φ ≤ 1 et

∫R φdx = 1 (on peut prendre par

exemple φ(x) = 1− |x|, prolongée par 0 en dehors de [−1, 1]).Pour k ≥ 1, posons φk(x) = kφ(kx). On a :

f ? φk(x) =

∫R

1[a,b[(y)φk(x− y) dy.

Comme φk est continue, le théorème de continuité sous le signe intégral assure que f ?φkest également continue. De plus, cette fonction est clairement nulle pour x ≥ b + 1/ket pour x ≤ a − 1/k. Elle est donc supportée dans [a − 1/k, b + 1/k]. Maintenant, parchangement de variable, on voit que

∀x ∈ R, (f ? φk − f)(x) =

∫φ(y)

(1[a,b[(x− k−1y)− 1[a,b[(x)

)dy,

et donc

∀x ∈ R, |f ? φk(x)− f(x)| ≤∫ 1

−1φ(y)

∣∣1[a,b[(x− k−1y)− 1[a,b[(x)∣∣ dy.

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6.1. L’ESPACE DE LEBESGUE L1 57

Si x 6∈ a, b alors, pour tout y ∈ [−1, 1], il existe k = ky ∈ N tel que 1[a,b[(x− k−1y) =1[a,b[(x) pour tout x ∈ R si k ≥ ky. Par convergence dominée, on en déduit alors quef ? φk(x)− f(x) tend vers 0. L’ensemble a, b étant de mesure nulle, on a donc

limk→+∞

(f ? φk − f

)= 0 presque partout.

Enfin, la fonction f ?φk−f est supportée dans [−1+a, 1+b] pour tout k ∈ N∗, et bornéepar 1, donc le théorème de convergence dominée permet de conclure à la convergence def ? φk vers f dans L1(R).

Le résultat de densité ci-dessus permet de donner un procédé d’approximation explicite desfonctions L1 par convolution :

Corollaire. Soit χ une fonction positive de L1(Rd,B(Rd), λd), d’intégrale 1. Pour ε > 0, onpose 1 χε(x) := ε−dχ(ε−1x). Alors pour toute fonction f de L1(Rd,B(Rd), λd), la famille (χε ?f)ε>0 converge vers f au sens L1(Rd,B(Rd), λd) quand ε→ 0, c’est-à-dire :

limε→0‖χε ? f − f‖1 = 0.

Dém. A l’aide d’un changement de variable évident dans le produit de convolution, et enutilisant le fait que χ est d’intégrale 1, on obtient facilement

χε ? f(x)− f(x) =

∫χ(z)(f(x− εz)− f(x)) dz.

Donc, par le théorème de Tonelli,

‖χε ? f − f‖1 ≤∫χ(z)

(∫|f(x− εz)− f(x)| dx

)dz.

Supposons d’abord que f est dans Cc(R). Alors, par convergence dominée l’intégrale enx tend vers 0, pour tout z ∈ R. Comme

χ(z)

∫|f(x− εz)− f(x)| dx ≤ 2‖f‖1χ(z),

et χ est intégrable, appliquer à nouveau le théorème de convergence dominée permet deconclure que ‖χε ? f − f‖1 → 0.

Si f est seulement L1, on choisit une suite (fn)n∈N de fonctions de Cc(R) tendant versf au sens de la norme L1 (l’existence de cette suite découle du théorème de densité). Onécrit alors que

χε ? f − f = (χε ? f − χε ? fn) + (χε ? fn − fn) + (fn − f),

et donc‖χε ? f − f‖1 ≤ ‖χε ? (f − fn)‖1 + ‖χε ? fn − fn‖1 + ‖fn − f‖1

≤ (1 + ‖χ‖1)‖f − fn‖1 + ‖χε ? fn − fn‖1.

Pour α > 0 fixé, on peut choisir n tel que le premier terme du membre de droite soitmajoré par α/2. Comme fn est continue à support compact, la première partie de ladémonstration assure alors que le deuxième terme est aussi plus petit que α/2 pour εassez petit. Cela donne bien ‖χε ? f − f‖1 → 0.

1. La famille (χε)ε>0 est appelée approximation de l’identité.

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58 CHAPITRE 6. LES ESPACES DE LEBESGUE ET LA TRANSFORMÉE DE FOURIER

Remarque. Si l’on demande en plus à χ d’être dans Ck alors il en est de même pour χε ? f. Eneffet, à l’aide du théorème de dérivation sous le signe intégral, on démontre facilement que si∂∂xj

χ est définie et continue alors ∂∂xj

(χε ? f) existe et

∂xj(χε ? f) =

(∂

∂xjχε

)? f.

Il est donc possible d’approcher dans L1 toute fonction intégrable par une suite de fonctions deCk. En prenant le soin de tronquer préalablement la fonction à approcher, et en choisissant deplus χ à support compact, on peut même choisir la suite à support compact.

6.2 La transformée de Fourier sur R

La transformée de Fourier est une version continue de la décomposition en séries de Fourier.Le principe de base consiste encore à décomposer une fonction « générale » en somme de sinuset de cosinus.

Pour simplifier la présentation, on se limite au cas de la dimension 1 : les fonctions considéréessont définies sur R. Dans toute cette section, L1 désigne l’ensemble des fonctions intégrables sur(R,B(R), λ), et à valeurs complexes.

Définition. Pour f ∈ L1, on définit la transformée de Fourier de f, notée Ff ou f , par

Ff(ξ) = f(ξ) :=

∫Re−ixξf(x) dx, ξ ∈ R.

Le facteur eixξ étant de module 1, il est clair que la transformée de Fourier d’une fonctionde L1 est définie sur R. En fait, on a bien mieux :

Théorème (Riemann-Lebesgue). Pour toute fonction f de L1, la fonction Ff est continue etbornée sur R. De plus Ff a pour limite 0 en ±∞.

Dém. La continuité et la bornitude de Ff résultent du théorème de continuité sous lesigne somme. On observe au passage que

(6.1) supξ∈R|Ff(ξ)| ≤ ‖f‖1.

Pour démontrer que f tend vers 0 à l’infini, supposons dans un premier temps quef ∈ Cc(R). On remarque alors que pour ξ 6= 0,

−Ff(ξ) =

∫Reiπe−ixξf(x) dx =

∫Re−i(x−π/ξ)ξf(x) dx =

∫Re−iyξf(y + π/ξ) dy.

En conséquence,

Ff(ξ) =1

2

∫Re−ixξ

(f(x)− f(x+ π/ξ)

)dx.

La fonction f étant continue, l’intégrant tend vers 0 (à x fixé) lorsque |ξ| → +∞. Deplus, f est bornée (car continue à support compact) et l’intégrant est nul en dehorsd’un ensemble borné indépendant de ξ lorsque |ξ| → +∞. Le théorème de convergencemonotone permet alors de conclure que Ff tend vers 0 à l’infini.

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6.2. LA TRANSFORMÉE DE FOURIER SUR R 59

Si f est seulement L1, on l’approche au sens L1 par une suite (fk)k∈N de fonctionsde Cc(R). L’inégalité (6.1) appliquée à f − fk montre que Ffk → Ff uniformément,et comme fk est Cc(R), on a Ffk → 0 en ±∞. La convergence uniforme autorise àintervertir les limites (cf cours suites et séries de fonctions), et l’on a donc bien Ff → 0en ±∞.

Exemple. Calcul de la transformée de Fourier de la Gaussienne : G(x) := 1√2πe−

x2

2 . Par défini-tion,

G(ξ) =1√2π

∫Re−ixξ e−

x2

2 dx.

Par le calcul effectué au chapitre précédent, et changement de variable, on voit que G(0) = 1.Rappelons qu’en dérivant sous l’intégrale puis par intégration par parties, on trouve

G′(ξ) =i√2π

∫R

(−xe−x2

2 ) e−ixξ dx = −∫Re−

x2

2 ξe−ixξ dx = −ξG(ξ).

Donc G vérifie l’équation différentielle y′ + ξy = 0 avec condition initiale y(0) = 1. Donc

(6.2) G(ξ) = e−ξ2

2 G(0) =√

2πG(ξ).

Voici quelques exemples de formules couramment utilisées dans les calculs de transformée deFourier 2 :

Proposition. Pour f ∈ L1, on a les formules suivantes :(i) translation par un réel a : F(τaf)(ξ) = e−iaξFf(ξ) ;(ii) multiplication par un caractère : F(eiaxf)(ξ) = τa(Ff)(ξ) ;(iii) dilatation par une réel λ > 0 : F(f(λ·)) = λ−1Ff(λ−1·).

Dém. Les trois formules reposent sur la définition de la transformée de Fourier et unchangement de variables adéquat :

F(τaf)(ξ) =

∫e−ixξf(x−a) dx =

∫e−i(y+a)ξf(y) dy = e−iaξ

∫e−iyξf(y) dy = e−iaξFf(ξ),

F(eiaxf)(ξ) =

∫e−ixξeiaxf(x) dx =

∫e−ix(ξ−a)f(x) dx = Ff(ξ − a),

F(f(λ·))(ξ) =

∫e−ixξf(λx) dx = λ−1

∫e−iλ

−1yξf(y) dy = λ−1Ff(λ−1ξ),

d’où la proposition, pour toute fonction f ∈ L1.

Exemple. Soit f ∈ L1 et f : x 7→ f(−x). Alors on a

F f = Ff avec Ff(x) :=

∫eixξf(ξ) dξ.

En particulier f est paire (resp. impaire) à un ensemble de mesure nulle près si et seulement siFf = Ff, (resp. Ff = −Ff ). Dans le cas où f est paire, on a

Ff(ξ) =

∫R+

2 cos(xξ) f(x) dx

et si f est impaire,

Ff(ξ) = −2i

∫R+

sin(xξ) f(x) dx.

2. On adopte la notation τbf : x 7→ f(x− b).

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60 CHAPITRE 6. LES ESPACES DE LEBESGUE ET LA TRANSFORMÉE DE FOURIER

Proposition (Fourier et convolution). Si f et g sont L1 alors f ? g ∈ L1, et F(f ? g) = Ff Fg.

Dém. C’est une excellente application des théorèmes de Tonelli et de Fubini. Par définitionde la transformée de Fourier et de la convolution, on a pour tout ξ ∈ R :

F(f ? g)(ξ) =

∫e−ixξ

(∫f(x− y) g(y) dy

)dx

=

∫ (∫ (e−i(x−y)ξf(x− y)

)(e−iyξg(y)

)dy

)dx.

D’après le théorème de Tonelli, la fonction (x, y) 7→ (e−i(x−y)ξf(x − y))(e−iyξg(y)) estintégrable (on a déjà utilisé cet argument pour justifier que le produit de convolution dedeux fonctions intégrables est une fonction intégrable). En conséquence, on peut utiliserle théorème de Fubini et écrire que

F(f ? g)(ξ) =

∫e−iyξg(y)

(∫e−i(x−y)ξf(x− y) dx

)dy

=

∫e−iyξg(y)

(∫e−izξf(z) dz

)dy = Fg(ξ)Ff(ξ),

ce qui donne bien la formule voulue.

Le théorème d’inversion suivant montre que sous des hypothèses adéquates, la connaissancede la transformée de Fourier permet de reconstruire la fonction initiale, à un ensemble négligeableprès.

Théorème (Inversion). Soit f dans L1 telle que de plus f soit dans L1. Alors on a

f =1

2πF(Ff) =

1

2πF(Ff) presque partout.

En particulier, si f ∈ L1 vérifie f ∈ L1 alors f coïncide presque partout avec une fonctioncontinue tendant vers 0 à l’infini.

Dém. Pour n ≥ 1, on pose fn = Gn ? f avec Gn(x) := nG(nx) et G la gaussienne définiedans l’exemple ci-dessus, de telle sorte que

(6.3) Gn = G(n−1·) =√

2πG(n−1·), et donc fn = Gn f =√

2πG(n−1·) f .

Etape 1. On veut montrer que

(6.4) F(fn) = 2πfn.

Cela résulte d’un simple calcul basé sur (6.3), la définition de la transformée de Fourieret le théorème de Fubini :

F(fn)(x) =

∫eixξ fn(ξ) dξ =

√2π

∫eixξ f(ξ)G(n−1ξ) dξ

=√

∫eixξG(n−1ξ)

(∫e−iyξf(y) dy

)dξ

=√

2π n

∫einxηG(η)

(∫e−inyηf(y) dy

)dη

=√

2π n

∫f(y)

(∫e−in(y−x)ηG(η) dη

)dy

=√

2π n

∫f(y)G(n(y − x)) dy = 2πf ? Gn(x) = 2πfn(x).

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6.2. LA TRANSFORMÉE DE FOURIER SUR R 61

Etape 2. Convergence de fn vers f dans L1. Il suffit de remarquer que la suite (Gn)n∈Nest une approximation de l’identité (vu que G est intégrable d’intégrale égale à 1) etd’appliquer le corollaire énoncé à la fin de la section précédente.

Etape 3. Convergence uniforme de F fn vers F f . On a clairement

‖F fn − F f‖∞ ≤ ‖fn − f‖1 =

∫R

(1− e−

ξ2

2n2

)f(ξ) dξ.

Sachant que f est intégrable, le théorème de convergence dominée permet de conclure àla convergence vers 0 du membre de droite.

Etape 4. Conclusion. Pour tout x ∈ R, le membre de gauche de (6.4) tend vers F(f). Pourle second membre, on a convergence vers f au sens L1 donc, quitte à extraire en presquetout point. Donc on a bien FFf = 2πf en presque tout point. L’égalité FFf = 2πfs’en déduit par changement de variable x; −x.

Proposition (Fourier et dérivation). Soit f ∈ L1.

(i) Si de plus xf est dans L1 alors Ff est C1 et (Ff)′(ξ) = F(−ixf)(ξ).

(ii) Si de plus f est C1 et f ′ est dans L1 alors F(f ′)(ξ) = iξFf(ξ).

Dém. La première égalité est une conséquence immédiate du théorème de dérivation sousle signe intégral : on a par définition

Ff(ξ) =

∫e−ixξf(x) dx,

et la fonction (x, ξ) 7→ e−ixξf(x) est dérivable par rapport à ξ, de dérivée (x, ξ) 7→−ixeixξf(x) dominée par la fonction intégrable x 7→ |xf(x)|.

Pour démontrer la deuxième égalité, on utilise le fait que, par convergence dominée (sa-chant que f ′ ∈ L1 ), on a

F(f ′)(ξ) = limR→+∞

∫ R

−Re−ixξf ′(x) dx.

Maintenant, vu que f est C1, une intégration par parties donne∫ R

−Re−ixξf ′(x) dx = e−iRξf(R)− eiRξf(−R) + iξ

∫ R

−Re−ixξf(x) dx.

Lorsque R tend vers +∞, le dernier terme tend bien vers iξFf(ξ). Il s’agit donc finale-ment de vérifier que f tend vers 0 en ±∞. Pour ce faire, on remarque que

f(R)− f(0) =

∫ R

0f ′(t) dt.

Le terme de droite a une limite quand R tend vers +∞ car f ′ est intégrable sur R+.Cela montre que f admet une limite `+ en +∞. Vu que f est intégrable sur R+, cettelimite ne peut être que nulle (raisonner par l’absurde). Un raisonnement similaire montreque f tend vers 0 en −∞.

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62 CHAPITRE 6. LES ESPACES DE LEBESGUE ET LA TRANSFORMÉE DE FOURIER

Exemple. Résoudre ∂tu− 12∂

2xxu = 0 avec donnée initiale u|t=0 = u0 ∈ L1.

On cherche une solution u = u(t, x) telle que u, ∂tu, ∂xu et ∂2xxu soient dans L1 à t > 0

fixé. On a alors∂tu+

1

2|ξ|2u = 0.

Et donc u(t, x) = e−ξ2t2 u0(ξ). On sait par ailleurs que, pour t > 0 la fonction ξ 7→ e−

ξ2t2 est la

transformée de Fourier de x 7→ 1√2πt

e−x2

2t . Donc

u(t, x) =1√2πt

(e−

x2

2t ? u0

)(x) pour t > 0 et x ∈ R.

Notons que d’après l’étape 2 de la démonstration du théorème d’inversion, u(t) converge versu0 au sens L1, pour t→ 0.

6.3 L’espace L2 et la transformée de Fourier sur L2

La théorie de la transformée de Fourier sur L1 est incomplète à plusieurs égards. Un des pointsles plus déplaisants est que pour pouvoir appliquer la formule d’inversion de Fourier, il faut nonseulement supposer que la fonction initiale f est intégrable, mais aussi que sa transformée deFourier f l’est aussi. Il s’agit bien d’une hypothèse supplémentaire vu qu’il existe des fonctionsde L1 dont la transformée de Fourier n’est pas dans L1, comme le montre l’exemple suivant :

Exemple. Calculer la transformée de Fourier de la fonction f := 1[−1,1]. On a par définition, eten remarquant que f est paire :

f(ξ) =

∫Re−ixξ1[−1,1](x) dx = 2

∫ 1

0cos(xξ) dξ.

D’où

f(ξ) =

2 sin ξ

ξ si ξ 6= 0,

2 si ξ = 0.

Il est cependant assez facile de montrer que la fonction f n’est pas intégrable sur R.

Il s’avère que le « bon » espace pour la théorie de la transformée de Fourier n’est pas l’en-semble L1 des fonctions intégrables (ou l’ensemble L1 des classes d’équivalence), mais l’ensembleL2 défini ci-dessous.

Commençons par considérer le cas d’un espace mesuré (E, E , µ) général. On définit :— l’ensemble L2(E, E , µ) des fonctions f à valeurs complexes de carré intégrable sur E

muni de la tribu E et de la mesure µ (i.e.∫|f |2 dµ <∞),

— l’ensemble L2(E, E , µ) des classes d’équivalence [f ] de fonctions f de L2(E, E , µ) pourla relation d’égalité µ presque partout.

Ces deux ensembles sont des espaces vectoriels sur C. En effet, si f et g sont dans L2(E, E , µ)alors on peut écrire

|f + λg|2 ≤ 2|f |2 + 2|λ|2|g|2,

et donc f + λg est bien dans L2(E, E , µ).

Par rapport à l’espace L1(E, E , µ), l’espace L2(E, E , µ) a l’avantage d’être muni d’une formehermitienne, à savoir

H : (f, g) 7→∫f g dµ.

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6.3. L’ESPACE L2 ET LA TRANSFORMÉE DE FOURIER SUR L2 63

Notons que la fonction f g est bien intégrable car

|f g| ≤ 1

2

(|f |2 + |g|2

).

La forme hermitienne H est clairement positive :

∀f ∈ L2(E, E , µ), H(f, f) ≥ 0,

et l’on dispose donc de l’inégalité de Cauchy-Schwarz suivante :

(6.5) ∀(f, g) ∈ L2(E, E , µ)× L2(E, E , µ),

∣∣∣∣∫ f g dµ

∣∣∣∣ ≤√∫

|f |2 dµ

√∫|g|2 dµ,

qui entraîne que l’application ‖ · ‖2 définie sur L2(E, E , µ) par

‖f‖2 :=

√∫|f |2 dµ

est homogène de degré 1 et vérifie l’inégalité triangulaire. Cependant, pour f ∈ L2, on a seule-ment

‖f‖2 = 0 ⇐⇒ f = 0 µ p.p,

et donc ‖ · ‖2 n’est pas une norme sur L2(E, E , µ).

Toutefois, on observe que la quantité

‖f‖2 :=

∫|f |2 dµ

est la même quel que soit le représentant f de [f ], et donc ‖ · ‖2 définie sur L2(E, E , µ) par

‖[f ]‖2 := ‖f‖2

avec f ∈ L2(E, E , µ) représentant quelconque de [f ] est bien une norme sur L2(E, E , µ). De cefait, on dit que la forme hermitienne positive définie en (6.5) est un produit scalaire .

En suivant pas à pas l’étude de l’espace L1 présentée à la première section de ce chapitre, onobtient alors le théorème fondamental suivant :

Théorème. L’ensemble L2(E, E , µ) muni du produit scalaire défini en (6.5) est un espace de Hil-bert, (c’est-à-dire un espace vectoriel muni d’un produit scalaire, complet pour la norme associéeau produit scalaire).

De plus pour toute suite (fn)n∈N convergeant dans L2(E, E , µ) vers une fonction f, il existeune sous-suite (fϕ(n))n∈N telle que

fϕ(n) → f µ presque partout.

On utilisera le résultat de densité suivant dont la démonstration est similaire à celle pourl’espace L1.

Théorème (de densité dans L2 ). Soit Ω un ouvert de Rd. Alors l’ensemble C1c (Ω) des fonctions

C1 sur Ω nulles en dehors d’un compact de Ω est dense dans L2(Ω,B(Ω), λ).

L’action de convolution garde un sens pour les fonctions de L2(Rd,B(Rd), λd). Nous auronsjuste besoin du résultat suivant :

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64 CHAPITRE 6. LES ESPACES DE LEBESGUE ET LA TRANSFORMÉE DE FOURIER

Lemme. Le produit de convolution d’une fonction de L1(Rd,B(Rd), λd) par une fonction deL2(Rd,B(Rd), λd) est une fonction définie presque partout, de carré intégrable.

De plus on a l’inégalité :

∀(f, g) ∈ L1 × L2, ‖f ? g‖2 ≤ ‖f‖1‖g‖2.

Dém. Pour tout x ∈ Rd, on a

|(f ? g)(x)|2 ≤(∫|g(y)| |f(x− y)| dλd(y)

)2

·

Si l’on applique l’inégalité de Cauchy-Schwarz avec les fonctions 1 et g, et la mesure|f(x− y)| dλ(y), il vient

|(f ? g)(x)|2 ≤∫|f(x− y)| dλ(y)

∫|g(y)|2 |f(x− y)| dλd(y)

≤ ‖f‖1∫|g(y)|2 |f(x− y)| dλd(y).

Le dernier terme est le produit de convolution de la fonction |f | par la fonction |g|2, quisont toutes les deux dans L1. de ce fait, on peut conclure que

‖f ? g‖22 =

∫|(f ? g)(x)|2 dx ≤ ‖f‖1

(‖f‖1‖|g|2‖1

)= ‖f‖21 ‖g‖22,

d’où le lemme.

Dans la fin de cette section, on suppose que E = R, E = B(R) et µ est la mesure de Lebesguesur R, et l’on s’intéresse aux propriétés de la transformée de Fourier sur L2.

Théorème (de Fourier-Plancherel). Si f et g sont deux fonctions de L1 ∩ L2 alors f et g sontdans L2 et l’on a

(6.6)∫f(ξ) g(ξ) dξ = 2π

∫f(x) g(x) dx.

Dém. On commence par régulariser les fonctions f et g en posant :

∀n ∈ N∗, fn := Gn ? g et gn := Gn ? g,

avec Gn(x) := nG(nx) et G la Gaussienne défine à la section précédente.

On remarquera que Gn est dans L1. Donc le lemme précédent assure que fn et gn sontdans L1 ∩ L2, et l’on a

fn = Gn f et gn = Gn g.

Comme f et g sont des fonctions continues bornées, et Gn est à la fois dans L1 et dansL2, on conclut que fn et gn sont dans L1∩L2. On peut donc écrire, grâce aux théorèmesd’inversion de Fourier et de Fubini,

∫fn(x)gn(x) dx =

∫fn(x)

(∫e−ixξ gn(ξ) dξ

)=

∫gn(ξ)

(∫e−ixξfn(x)

),

et donc

(6.7) ∀n ∈ N∗,∫fn(ξ) gn(ξ) dξ = 2π

∫fn(x) gn(x) dx.

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6.3. L’ESPACE L2 ET LA TRANSFORMÉE DE FOURIER SUR L2 65

Enfin, si f ∈ C1c , comme

fn(x)− f(x) =

∫G(z)(f(x− n−1z)− f(x)) dx,

en appliquant l’inégalité de Cauchy-Schwarz, on obtient

|fn(x)−f(x)|2 ≤∫G(z) dz

∫G(z)|f(x−n−1z)−f(x)|2dz =

∫G(z)|f(x−n−1z)−f(x)|2dz

donc il y a convergence vers 0 de fn−f en tout point x (par le théorème de convergencedominée), puis en intégrant en x, on obtient

limn→+∞

‖fn − f‖2 = 0.

Le cas où f n’est que L2 en découle par un argument de densité déjà utilisé dans lasection précédente (mais pour L1 ). En définitive, cela assure que

limn→+∞

∫fn(x) gn(x) dx =

∫f(x) g(x) dx.

Mais de (6.7) appliqué aux fonctions (fn, fn), (fn, fm) ou (fm, fm), on tire égalementque

∀(m,n) ∈ N∗ × N∗, 2π‖fm − fn‖22 = ‖fm − fn‖22.

De ce fait la convergence dans L2 de (fn)n∈N∗ entraîne que (fn)n∈N∗ est de Cauchy dansL2, donc converge vers une certaine vers une certaine fonction f . Vu que fn converge entout point vers f , on a nécessairement f = f presque partout. En conséquence fn → fdans L2. On a de même gn → g dans L2, et donc on peut aussi passer à la limite dansle membre de gauche de (6.7).

Corollaire. La transformée de Fourier peut se prolonger par densité à l’espace L2, en une bijectionde L2 dans L2. De plus, on a

∀f ∈ L2, ‖f‖2L2 = 2π‖f‖22.

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66 CHAPITRE 6. LES ESPACES DE LEBESGUE ET LA TRANSFORMÉE DE FOURIER

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Bibliographie

[1] F. Golse, Y. Laszlo, F. Pacard et C. Viterbo : Analyse réelle et complexe, téléchargeable surhttp ://www.math.polytechnique.fr/ pacard/Teaching/Cours-MAT311-2013.pdf

[2] J. Jacod : Théorie de l’intégration, http ://www.proba.jussieu.fr/pageperso/jacod/

[3] W. Rudin : Analyse réelle et complexe : Cours et exercices, Dunod, 2009.

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Index

σ -algèbre, 13

Additivité dénombrable, 15Algèbre de Banach, 55Application coordonnée, 44Approximation de l’identité, 57Axiome du choix, 19

Borélien, 14Borne

inférieure, 7Borne supérieure, 7

Changement de variables, 50Classe monotone, 44Complémentaire, 9Complet, 54Converge, 8Convergence, 10

absolue, 8Convolution, 50, 55Coordonnées polaires, 50

Densité, 30de Poisson, 31gaussienne, 31

Dérivée, 39Disjoint, 9

Echantillonner, 5Egal µ p.p., 33Élément, 9Ensemble, 9M+ , 24, 25dénombrable, 9fini, 9négligeable, 33vide, 9

ensembleproduit, 43

Ensembles disjoints, 9Espace

L1(E, E , µ) , 53L2(E, E , µ) , 62

L1(E, E , µ) , 28, 53L2(E, E , µ) , 62de Banach, 54de Hilbert, 63des issues, 15mesuré, 15mesurable, 13

Evénements, 15

Fonctioncaractéristique, 10étagée, 23indicatrice, 10intégrable, 28mesurable, 21

Forme hermitienne, 62Fourier, 58

Gaussienne, 59

Imagedirecte, 10réciproque, 10

Inclusion, 9Inégalité

de Bienaymé-Tchebycheff, 34de Markov, 34

Intégrale, 24Intégrale

de Lebesgue, 5de Riemann, 5, 37généralisée, 38

Intégration par parties, 39Intersection, 9

Limite, 7de parties, 10inférieure, 7, 11supérieure, 7, 11

Majorant, 7Maximum, 7Mesurable, 21Mesure, 15

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INDEX 69

étendue, 35borélienne, 15de comptage, 15, 27de Dirac, 15de Lebesgue, 18de probabilité, 15finie, 15positive, 15produit, 47

Mesure σ -finie, 15Minimum, 7Minorant, 7

Ouvert, 14

Partie, 9mesurable, 13négative, 8positive, 8

Pas d’une subdvision, 5Pavé, 14Point, 9Point de Lebesgue, 41Presque partout, 33Primitive, 39Produit de convolution, 50, 55Produit scalaire, 63Projection, 43

Relationde Chasles, 26, 39

Restrictionde mesures, 17

Réunion, 9Riemann-intégrable, 5

Série, 8Somme

de la série, 8de mesures, 17partielle, 8

Sous-ensemble, 9Subdivision, 5Suite, 7

Théorèmede Beppo-Levi, 36de continuité, 39de convergence dominée, 37de convergence monotone, 36de dérivation, 40de Fatou, 37

d’inversion, 60d’unicité, 45de Beppo-Levi, 16, 27de convergence dominée, 16, 30de convergence monotone, 16, 27de densité, 55, 63de Fatou, 28, 29de Fourier-Plancherel, 64de Fubini, 48de Riemann-Lebesgue, 58de Tonelli, 47des classes monotones, 45fondamental de l’analyse, 39

Transformée de Fourier, 58Tribu, 13

complétée, 35des boréliens, 14engendrée, 13, 21produit, 43restreinte, 17triviale, 13

Union, 9Univers, 15

Vrai µ p.p, 33