112

Couverture - archivesma.epfl.charchivesma.epfl.ch/2013/007/bertolini_lucca_enonce/Le passé et la... · homme est d’abord le contemporain de lui-même et de ... on ne pourrait pas

  • Upload
    ngomien

  • View
    213

  • Download
    0

Embed Size (px)

Citation preview

Page 1: Couverture - archivesma.epfl.charchivesma.epfl.ch/2013/007/bertolini_lucca_enonce/Le passé et la... · homme est d’abord le contemporain de lui-même et de ... on ne pourrait pas
Page 2: Couverture - archivesma.epfl.charchivesma.epfl.ch/2013/007/bertolini_lucca_enonce/Le passé et la... · homme est d’abord le contemporain de lui-même et de ... on ne pourrait pas

Couverture:La spirale de Fibonacci

Page 3: Couverture - archivesma.epfl.charchivesma.epfl.ch/2013/007/bertolini_lucca_enonce/Le passé et la... · homme est d’abord le contemporain de lui-même et de ... on ne pourrait pas

Luca Bertolini et Irene Lucca

LE PASSÉ ET LA CONSTRUCTION DU PRÉSENT

ENTRE MÉMOIRE ET CONTINUITÉ

Enoncé Théorique de MasterEPFL AA 2012/2013

Directeur Pédagogique | Luca OrtelliDeuxième Professeur | Roberto Gargiani

Maître EPFL | Brühwiler Eugen

Page 4: Couverture - archivesma.epfl.charchivesma.epfl.ch/2013/007/bertolini_lucca_enonce/Le passé et la... · homme est d’abord le contemporain de lui-même et de ... on ne pourrait pas
Page 5: Couverture - archivesma.epfl.charchivesma.epfl.ch/2013/007/bertolini_lucca_enonce/Le passé et la... · homme est d’abord le contemporain de lui-même et de ... on ne pourrait pas

Index

7 Préface

Introduction9 Projet et soin de la ville

Première partie19 Temps et memoria30 Recevabilité et reconnaissabilité42 Valorisation et projet

Deuxième partie53 Notesurlaclassification56 Régard62 Assimilation68 Juxtaposition74 Spoglio78 Reconstruction82 Achèvement88 Fragment94 Manifestation

Conclusion100 Tutelle de la beauté

106 Bibliographie

Page 6: Couverture - archivesma.epfl.charchivesma.epfl.ch/2013/007/bertolini_lucca_enonce/Le passé et la... · homme est d’abord le contemporain de lui-même et de ... on ne pourrait pas
Page 7: Couverture - archivesma.epfl.charchivesma.epfl.ch/2013/007/bertolini_lucca_enonce/Le passé et la... · homme est d’abord le contemporain de lui-même et de ... on ne pourrait pas

Le processus qui implique le développement de nos villes a toujours visé à l’évolution de ces dernières plutôt qu’à leur conservation, en se fondant sur des éléments-clés capables de transcender le temps: les monuments, qui deviennent pour cela des faits particuliers de ce dé-veloppement.

L’enquête conduite dans cette étude veut analyser le monument aussi bien comme événement fondamental pour le développement de la ville, essentiel à la sauvegarde de son identité, que comme expérience prolongée d’un passé qu’on continue de vivre. Cette théorie présuppose, donc,uneattitudespécifiquepar rapportà l’expériencehistorique: c’est-à-dire la vision du monument avant tout comme réponse à un problème architectural bien déter-miné et même comme une véritable leçon d’architecture nous obligeant à une confrontation perpétuelle.

Il est évident que ce travail observe et soutient, d’un point de vue particulier, une certaine direction des études d’architecture. Plus en détail, on fait référence aux cou-rants qui veulent fonder une théorie de l’architecture basée sur une expérience accumulée dans le temps, vue essentiellement comme fait unitaire.

Dans le domaine de l’architecture, plus que dans d’autres disciplines, ce qui est passé appartient à l’expé-rience du présent, auquel on a le devoir éthique et pro-fessionnel de se confronter, dans le but de préserver les objectifs d’unité et d’équilibre qui ont toujours caractérisé une manière de faire architecture qui est avant tout ha-

Préface

Page 8: Couverture - archivesma.epfl.charchivesma.epfl.ch/2013/007/bertolini_lucca_enonce/Le passé et la... · homme est d’abord le contemporain de lui-même et de ... on ne pourrait pas

8 PRÉFACE

bitude. Cette habitude vit de deux moments fondamen-taux: d’un côté les contenus logiques et de l’autre sa réa-lité physique. Théorie et projet, à travers un processus de rotation continuelle, se sont toujours enrichis récipro-quement dans le but de trouver la réponse à un problème spécifique.

Dans ce cadre, la considération de la réalité physique de l’architecture devient indispensable à la construction d’une pensée qui ne soit pas exclusivement fondée sur des principes et des idées, mais qui trouve dans son as-pectpratiquel’occasiondevérifiersescontenuslogiques.

Par conséquent, notre travail se constitue de deux par-ties, expressions élémentaires de ce double intérêt qui identifiedans la compréhension réelle et activepour lemonument le seul fait vraiment capable de nous guider dans l’intervention, face à l’impossibilité d’établir une théorie permanente et valable à priori.

Pourtant, au-delà de son objectif, ce texte voudrait adopter, en tant que particulièrement profonde et expres-sive d’une certaine façon de faire architecture, cette cita-tion d’Henri Focillon sur les familles spirituelles: «chaque homme est d’abord le contemporain de lui-même et de sa génération, mais il est aussi le contemporain du groupe spirituel dont il fait partie. Plus encore l’artiste, parce que ces ancêtres et ces amis lui sont, non pas souvenir, mais présence. Ils sont debout devant lui, aussi vivants que ja-mais. Ainsi s’explique particulièrement le rôle des musées au XIXe siècle: ils ont aidé les familles spirituelles à se définiretàselier,par-delàlestemps,par-delàleslieux».

Page 9: Couverture - archivesma.epfl.charchivesma.epfl.ch/2013/007/bertolini_lucca_enonce/Le passé et la... · homme est d’abord le contemporain de lui-même et de ... on ne pourrait pas

IntroductionProjet et soin de la ville

Dans le domaine des villes historiques des mots comme conservation, restauration et projet devraient se situer à la base d’une méthodologie d’intervention: c’est-à-dire se constituer comme les termes d’une même proposition. Cependant, dans le débat contemporain, ils semblent représenter par eux-mêmes des valeurs diffé-rentes, etmêmeenconflits lesunesavec les autres.Ettoutefois, d’un point de vue sémantique ces mots, pris individuellement et isolés d’un contexte, n’ont pas de valeur: ils ne l’acquièrent qu’à l’intérieur d’un discours, puisqu’en ce cas chaque terme renvoie à un autre et vit dessignificationsdeceluiqui leprécèdeetdeceluiquile suit: c’est le processus de création d’un langage, qu’on définiraiticiarchitectural.

Au cas où l’on parviendrait à le réaliser, ce langage architectural deviendrait l’instrument le plus adapté à l’enquête et à la critique des centres-villes: la mesure des relations entre ancien et moderne, entre passé et présent. Et encore, si on avait le but de repérer une identité collec-tive à partir des villes historiques, on ne pourrait pas faire abstraction d’un langage qui soit à même de dialoguer avec les préexistences, en centrant l’intérêt du débat sur les projets urbains visant une confrontation avec tout ce qui est construit, plutôt qu’un remplissage de vides.

Le progrès ne se borne pas à une simple expansion, au contraire il se fonde sur la préservation de l’identité d’un territoire et de sa mémoire, en tant que capable de deve-nir un bien absolu. Construire dans le construit serait donc

Page 10: Couverture - archivesma.epfl.charchivesma.epfl.ch/2013/007/bertolini_lucca_enonce/Le passé et la... · homme est d’abord le contemporain de lui-même et de ... on ne pourrait pas

10 INTRODUCTION

une condition nécessaire à la survie de la ville même, outre que de sa beauté.

La tutelle et la compréhension du patrimoine sont alors des exigences fondamentales dans la résolution des problématiques liées à la ville dans son ensemble: à ce propos, on pourrait citer Lukàcs qui affirme quel’architecture doit revenir à la création d’un «espace réel adéquat,quicréevisiblementde l’adéquation»1, là où le terme adéquation se définit comme l’objet spécifique del’évocation, capable d’instaurer une relation de respect réciproque entre architecture et temps.

Il est, cependant, extrêmement complexe de discuter du passé et des œuvres qui lui appartiennent sans intéres-ser d’autres sujets associés à cette matière: la dimension relative du temps, la mémoire en contraste avec l’histoire et l’oubli. C’est dans cette formule que s’établit la relation entre l’homme et son passé et que l’on peut tracer une voie menant à la coexistence entre ancien et contempo-rain; en effet, ce qui est nouveau s’oppose à ce qui appar-tient à un passé récent ou lointain: «ci� che è stato rappre-ci� che è stato rappre-senta il bordo rispetto al quale viene misurata la distanza del nuovo che si costruisce, il terreno in cui il nuovo si erge. Prendere coscienza del valore e della consistenza di ci� che è stato, anche per sospenderlo dalla nostra memo-ria e far spazio al nuovo è essenziale per la costruzione del progetto, che è cura del presente»2.

Et pourtant, nous vivons dans un temps où les compé-tences de projet ne semblent pas à même de soigner les déchirures de la ville, d’en être le remède. Il s’agit d’une

1 György LUKÁCS, Estetica, Vol. II, Torino 1970. 2 Vittorio GREGOTTI, Necessità del passato, dans Bruno Pedretti (edité

par), Il progetto del passato: memoria, conservazione, restauro, architettura, Edizioni scolastiche Bruno Mondadori, Milano 1997. (Toutes les traductions on été faites par Luca Bertolini e Irene Lucca) «Ce qui a été représente la limite par rapport à laquelle on mesure la distance du nouveau qu’on construit, le terrain où le nouveau s’érige. Prendre conscience de la valeur et de la consistance de ce qui a été, même pour le suspendre de notre mémoire et faire place au nouveau, c’estessentielpourlaconstructionduprojet,quiestsouciduprésent».

Page 11: Couverture - archivesma.epfl.charchivesma.epfl.ch/2013/007/bertolini_lucca_enonce/Le passé et la... · homme est d’abord le contemporain de lui-même et de ... on ne pourrait pas

11PROJET ET SOIN DE LA VILLE

affirmationbiendure,quisefondetoutefoissurl’obser-vation de la réalité, sur l’ habitude désormais consolidée des auteurs de projets de concentrer leur attention sur les techniquesdeconservationetlesnormes,scientifiquesetlégislatives, de l’intervention.Cetteaffirmationentraîne touteunesériedeproblé-

matiques liées au présent, à nos connaissances, à nos va-leurs: comment donc évaluer l’incroyable extension séman-tique des idées de monument et de bien?

Comment interpréter la recherche de valeurs dans le passé, puisqu’au présent ces mêmes principes ne nous appartiennent plus?Quelle est la signification de cettenouvelle forme de pouvoir qui domine l’univers de l’ar-chitecture, c’est-à-dire la démocratie esthétique?3

L’amplification de l’idée de monument débuta pen-dant lespremièresannéesduXIXesiècle:on l’identifieaujourd’hui à partir du moment où elle ajouta au concept de valeur artistique, qu’on avait depuis toujours considé-ré comme inhérente à l’œuvre elle-même, celui de valeur historique. D’ailleurs grâce à la diffusion de la thèse qui soutient l’importance de l’histoire sous forme de docu-ment,unenouvelleconvictions’affirma:l’ensembledesopérationshumainesparticipedelasignificationd’œuvre, jusqu’alors réservée aux grandes entreprises artistiques et architecturales, en tant que témoignage d’un événement, d’une pensée, d’un modus vivendi. Le monument, ne fut donc plus considéré comme un unicum à l’intérieur d’un contexte négligeable: on effectua un passage fondamen-tal qui décréta que le monument est un constituant en relation avec son environnement, celui-ci étant formé d’éléments capables de résonner seulement dans leur en-semble.

Ce fut donc cette noble mentalité qui, plus récemment,

3 Bruno PEDRETTI, La democrazia estetica, dans Bruno Pedretti (edité par), Il progetto del passato: memoria, conservazione, restauro, architettura, Edizioni scolasti-che Bruno Mondadori, Milano 1997.

Page 12: Couverture - archivesma.epfl.charchivesma.epfl.ch/2013/007/bertolini_lucca_enonce/Le passé et la... · homme est d’abord le contemporain de lui-même et de ... on ne pourrait pas

12 INTRODUCTION

entraîna la philosophie et la rédaction des cartes de la restauration: ce fut à Venise, à Nara, à Cracovie que l’on travailla, entre autre, à l’extension de la valeur d’œuvre et, à présent, grâce à cette évolution, au moins en Italie, on peut jouir de l’idée d’un patrimoine diffusé, fait de richesse et de pauvreté en contrepoint, deux aspects qui s’érigent l’un en face de l’autre dans une confrontation de mêmes dignités.

Toutefois, malgré la grandeur des objectifs de ce mouvement de pensée, on doit maintenant combattre l’énorme risque de tomber victimes d’un remuement cri-tique. Dans une contemporanéité où chaque action, en tant qu’au-delà du principe de qualité expressive, devient importante simplement grâce au fait d’avoir été créée, on peut parvenir à une grave ambiguïté culturelle à cause de laquelle la valeur adjointe de l’esthétique perdrait toute signification.Onconstate,eneffet,unetendancedange-reuse à évaluer l’importance d’une œuvre suivant le cri-tère de l’antiquité, plutôt que celui de la qualité: c’est la finduchef-d’oeuvrisme, qui disparaît pour laisser la place à un courant de pensée qui soutient que les œuvres doivent être lues dans un sens historique plus profond, ce qui transforme le terme monument en document.

En fait, on est passé du choix vertueux qui considère le monument dans le domaine de ses émergences, à celui de vouloirl’insérerdansuncatalogueinfinid’œuvrespourlevoir étourdi et dilué dans la multitude des préexistences. Le risque de cette solution est le non-choix, la suspen-sion du jugement qui tout protège, car il ne sait pas quoi conserver, en risquant de tomber dans le fondamenta-lisme de la conservation.

Il faut poser, par conséquent, le problème des critères nous permettant de reconnaître un monument et sa va-leur esthétique, ce qui doit être remis à l’architecture et ne plus être abandonné dans les mains des techniciens; cette discipline est en effet la seule qui puisse retrouver un lien avec le passé, en greffant aumonument des figures et

Page 13: Couverture - archivesma.epfl.charchivesma.epfl.ch/2013/007/bertolini_lucca_enonce/Le passé et la... · homme est d’abord le contemporain de lui-même et de ... on ne pourrait pas

13PROJET ET SOIN DE LA VILLE

des espaces nouveaux à même de rendre l’œuvre actuelle, en traçant la voie qui donne aux villes une possibilité de futur.

Et voilà donc où réside le risque de voir partout des fruits de la mémoire: dans l’inhibition à semer autre chose, le nouveau. C’est en bâtissant qu’on est à même de répandre la consistance et la loquacité du passé, qui n’est ni ami ni ennemi, mais la matrice même du changement, la condition pour effectuer un choix.

Ce qui résulte donc important, pour la compréhension de la situation actuelle, c’est la distinction, suggérée par Pedretti4 entre mémoire disciplinaire et mémoire sociale : la première est une mémoire liée à l’histoire en tante que source, donc didactique et analytique, et de quelque fa-çon passive; tandis que la seconde est beaucoup plus res-pectueusede l’histoire,elleestdisposéeàmodifieretàtransformer; il s’agit, en effet, d’une mémoire active: sunt lacrimae rerum et mentem mortalia tangunt5.

La mémoire disciplinaire tend à substituer l’art avec l’histoire, l’œuvre avec le document, en justifiant ainsil’affirmation selon laquelle toutmérite d’être conservé,puisque c’est l’existence même le seul critère d’admission à la multitude des œuvres dans le musée de la démocratie esthétique6: elle s’établit à la faveur de l’actuel fondamentalisme de la conservation.

Dans un interview de Chiara Baglione et Bruno Pe-dretti à Manfredo Tafuri, celui-ci suggère une clef de compréhension de la problématique qu’on vient d’énon-cer: il nous explique, en effet, comme la grande diffu-sion du phénomène du conservatisme doit être attribuée

4 Ibidem.5 VIRGILIO, Eneide, Libro I, V. 462. Traduction littérale: «ce sont les lar-«ce sont les lar-ce sont les lar-

mes des choses, et les choses mortelles touchent notre intelligence». Dans ce contexte on fait référence à la traduction d'Augusto Rostagni qui traduit: «l'hi-«l'hi-l'hi-stoire est larmes, et la souffrance humaine émeut la mémoire».

6 Bruno PEDRETTI, La democrazia estetica, dans Bruno Pedretti (edité par), Il progetto del passato: memoria, conservazione, restauro, architettura, Edizioni scolasti-che Bruno Mondadori, Milano 1997.

Page 14: Couverture - archivesma.epfl.charchivesma.epfl.ch/2013/007/bertolini_lucca_enonce/Le passé et la... · homme est d’abord le contemporain de lui-même et de ... on ne pourrait pas

14 INTRODUCTION

à la perte continuelle de valeurs du présent. Puisqu’il est impossible de satisfaire l’énorme besoin de retrouver ces valeurs dans le présent , l’homme contemporain est auto-matiquement poussé à les rechercher dans le passé: pour l’architecte, cela se traduitparunedifficultéextrêmed’in-tervenir dans un contexte historique à cause des incerti-tudes de la culture architecturale face à ses fondements.

«Là dove il presente stenta ad esprimere una propria ragione, significa che essomanca di autorità politica eautorevolezza segnica»7. On a perdu le sens de l’histoire vivant d’une réalité présente qui nous interpelle à la parti-cipation et, par conséquent, on a été privés de cette conti-nuité de l’invention qui relie la réalité à l’interprétation intellectuelle et qui a caractérisé l’architecture italienne à partir d’Alberti: «aiutare quel che s’ha da fare e non gua-aiutare quel che s’ha da fare e non gua-starequelcheèfatto».Ilestévidemmentdifficiled’éva-».Ilestévidemmentdifficiled’éva-luer la significationdecequiestancien, si lesvillesnesont pas modernes, car on est entraînés dans la nostalgie du temps qui fut: on doit donc avoir le courage de pro-grammerlenouveau,làoùils’affirmecommenécessaireet possible.

Le projet de restauration se révèle être une solution au problème de la continuité, s’il prend en considération, dans son devenir, l’amplitude des savoirs qui lui sont connectés: sa naissance devrait donc avoir lieu grâce à une méthode de dialogue conflictuel8 entre les différents ac-teurs de l’intervention, en entraînant un échange avanta-geux d’expériences qui constituerait la matière et la struc-ture du projet.

Pourtant, si ce dialogue engendre de nouvelles dis-tances, en se fondant sur les valeurs du monde historique,

7 Manfredo TAFURI, Storia, conservazione, restauro: intervista a cura di Chiara Baglione e Bruno Pedretti, dans Bruno Pedretti (edité par), Il progetto del passato: memoria, conservazione, restauro, architettura, Edizioni scolastiche Bruno Monda-dori, Milano 1997. «Là où le présent fatigue à exprimer sa propre raison, c’est l’autoritédusigneetdesapolitiquequiluimanque».

8 Ibidem.

Page 15: Couverture - archivesma.epfl.charchivesma.epfl.ch/2013/007/bertolini_lucca_enonce/Le passé et la... · homme est d’abord le contemporain de lui-même et de ... on ne pourrait pas

15PROJET ET SOIN DE LA VILLE

alors chaque projet architectural est une réinterprétation delarestauration,entantquemodificationdesrelationsentre les réalités déjà existantes et celles qui seront.

Le passé sert en ce cas à inventer le présent, en favo-risant les liens de l’un avec l’autre dans une relation indis-soluble,quinecherchepaslaconflictualitéentrel’ancienet le nouveau, mais plutôt la continuité. Pour que cela se vérifie, il faut abandonner l’idéedumonument commequelque chosed’achevé etdefini, et surtout l’idéequechaque geste architectural est louable et donc à conser-ver: «non tutta l’architettura è fatta per stare al museo»9. Abandonner cette idée pour comprendre que l’architec-ture historique est une réalité qui entraîne des valeurs ac-tualisablesquipeuventêtrecodifiéesàtraverslelangagedu projet.

A partir de ce que l’on a décrit jusqu’ici, il résulte pos-sible de reconstruire le cadre du contexte contemporain où l’architecte/restaurateur se trouve à opérer: un milieu généralement hostile à tout changement, extrêmement emboîté dans son passé à cause de la pauvreté des ré-férences du présent, où la conservation devient le seul remède contre le cancer de la modernité.

Et pourtant il est nécessaire de croire au projet d’ar-chitecture comme remède pour la ville, capable de réaliser une critique constructive du passé, avec lequel le profes-sionnel se confronte pour accomplir un choix respon-sable par rapport à l’histoire. Par conséquence, on refuse l’orientation contemporaine qui tend à dévaluer à priori l’intervention nouvelle et transformatrice, pour favoriser la préservation acritique de l’ancien, en tant que nécessai-rement meilleur.Ceseraitcommevivredansuntempsstatique,fixépar

points, un temps dans lequel la mémoire existerait en de-hors de l’homme, dans sa propre objectivité, où le sens

9 Aldo ROSSI, L’architettura della città, Quodlibet Abitare, Macerata 2011. «Pastoutel’architectureestfaitepourêtredansunmusée».

Page 16: Couverture - archivesma.epfl.charchivesma.epfl.ch/2013/007/bertolini_lucca_enonce/Le passé et la... · homme est d’abord le contemporain de lui-même et de ... on ne pourrait pas

16 INTRODUCTION

d’authentique serait indissolublement lié à la fugacité de l’instant de la création.

La tâche de l’architecte est celle d’être le responsable traducteur d’un langage, il doit savoir interpréter ce qui existe à la faveur de ce qui existera: «la connaissance du passé ne sera désirée dans tous les temps que pour servir le futur et le présent, pas pour affaiblir le présent, pas pourdéracinerlefutur»10.

10 Friedrich NIETZSCHE, Sull’utilità e il danno della storia per la vita, Adelphi, Milano 1974.

Page 17: Couverture - archivesma.epfl.charchivesma.epfl.ch/2013/007/bertolini_lucca_enonce/Le passé et la... · homme est d’abord le contemporain de lui-même et de ... on ne pourrait pas

Première partie

Page 18: Couverture - archivesma.epfl.charchivesma.epfl.ch/2013/007/bertolini_lucca_enonce/Le passé et la... · homme est d’abord le contemporain de lui-même et de ... on ne pourrait pas
Page 19: Couverture - archivesma.epfl.charchivesma.epfl.ch/2013/007/bertolini_lucca_enonce/Le passé et la... · homme est d’abord le contemporain de lui-même et de ... on ne pourrait pas

«Maperchéilprincipio,chereggelanatura,èd’infinitasapienza, ottimo, e potentissimo, per� fa le cose sue belle, utili e durabili: convenevolmente lo Architetto imitando il fattor della natura deve riguardare alla bellezza, utilità e fermezza delle opere»1.

Par ces mots Daniele Barbaro décrit, dans le commen-taire au premier livre du De Architectura de Vitruvio, l’ori-gine des qualités intrinsèques à la science de l’architecture.

Elle vit de trois instances essentielles: beauté, utilité et solidité. Mais si les deux premières aspirent respective-ment à l’harmonieuse proportion des parties à travers un calcul adroit des symétries et à l’utilité dans sa fonction, parletermefirmitasonneveutpasindiquersimplementla solidité de l’œuvre, notamment bâtie avec des «maté-riauxchoisis soigneusementet sans avarice»: fortementlié à cet aspect est le concept de temps où les techniques de construction, scrupuleusement adoptées par l’archi-tecte,doiventassureràl’édificelapermanencephysiquedans le temps. Ce sont donc les techniques du bâtiment qui favorisent l’existence même de l’œuvre: être dans le temps est une expression qui symbolise l’un des buts les plussignificatifsdelacréation.

1 Daniele BARBARO, I dieci libri dell’Architettura di Marco Vitruvio, traduits et commentés par Mons. Daniel Barbaro, Francesco de’ Franceschi Senese et Giovanni Chrieger Alemano Compagni, Venezia 1567. «Puisque le principe qui régit lanatureestd’une sagesse infinie, excellentet trèspuissant, et faitses choses belles, utiles et durables: convenablement l’Architecte, en imitant le facteur de la nature, doit regarder à la beauté, à l’utilité et à la solidité des œuvres».

Temps et mémoire

Page 20: Couverture - archivesma.epfl.charchivesma.epfl.ch/2013/007/bertolini_lucca_enonce/Le passé et la... · homme est d’abord le contemporain de lui-même et de ... on ne pourrait pas

20 PREMIÈRE PARTIE

Cependant, les intentions d’éternité que l’artiste-constructeur donne à son œuvre contrastent avec la di-mensiondutempsetsonfluxeinexorable,seretrouvantdans la condition de faire face au «paradoxe de la natu-relle non-permanence de l’œuvre architecturale à cause aussibiendelanaturequedel’homme»2.

Il serait décidément fantaisiste de croire à l’éternité d’une œuvre se conservant dans son état primordial: quelle que soit la cause, désagrégation physique ou viola-tion, désastres naturels ou abandon, le monument en tant que tel continue de conserver, plus ou moins discrète-ment, ses caractéristiques historiques et esthétiques.

Une vision de ce genre prévoit l’association du concept d’unicité à l’œuvre, puisqu’elle connaît un début et une fin,etpourcelaellerésulteêtreuniquedanssasingula-rité. Or l’œuvre architecturale, bien qu’enracinée dans le passé, est encore à même de se manifester comme être dans le temps, de véhiculer son message dans un temps his-torique présent: bien sûr, elle représente un témoignage historico-artistique,mais enmême temps elle se confi-gure comme porte-parole d’une mémoire collective. Elle représente l’histoire.

La durée, et la conséquente préservation, deviennent des instruments nécessaires à l’activation de la mémoire dans le présent, c’est-à-dire une forme “naturelle” de continuité par rapport à un passé. Il existe donc une va-leur transmissible, un message à communiquer qui réside essentiellement dans son authenticité et dans son his-toire: «l’authenticité d’une chose est la quintessence de tout ce qui, depuis son origine, peut être transmis, depuis saduréematériellejusqu’àsontémoignagehistorique»3.

2 Andrzej KADLUCZKA, Il monumento architettonico e la sua formula dinamica, dans Giuseppe Cristinelli et Vittorio Foramitti (edité par), Il restauro tra identità e autenticità: atti della tavola rotonda “i principi fondativi del restauro”, Marsilio Editori, Venezia 2000.

3 Walter BENJAMIN, L’opera d’arte nell’epoca della sua riproducibilità tecnica. Arte e società di massa, Enrico Filippini (trad. edité par), Einaudi, Torino 1998.

Page 21: Couverture - archivesma.epfl.charchivesma.epfl.ch/2013/007/bertolini_lucca_enonce/Le passé et la... · homme est d’abord le contemporain de lui-même et de ... on ne pourrait pas

21TEMPS ET MÉMOIRE

C’est donc la capacité de communiquer, de trans-mettre des valeurs (qu’ils soient esthétiques, éthiques ou sociaux), la caractéristique fondamentale d’une œuvre ar-chitecturale, dont la nécessité de sa permanence dans le temps.

On peut approfondir la considération de Benjamin, qu’on vient de citer, à travers l’idée de recevabilité. Celle-ci se manifeste en deux moments différents: dans son instance actuelle et dans son instance historique. La pre-mière est liée à une vision dynamique du temps, considéré commeunesuccessiond’instants,etplusspécifiquementelle se réfère à l’actualisation des contenus que l’œuvre est à même d’exprimer. Il y a donc une subjectivité interne (bien que se référant à toute une époque), suivant laquelle l’œuvre vit au-delà de l’idée de son auteur. La seconde instance, au contraire, est liée au moment de la naissance mêmedel’objet,àuntempsspécifique.Elleprenddoncen considération son contexte physique et historique, sa qualité d’exposition, qui n’est que la valeur de l’œuvre ac-quise par rapport au milieu pour lequel elle a été conçue. On présuppose pour cela une responsabilité de la part de l’architecte qui, en agissant en tant que créateur, prend en charge la production d’une œuvre capable de proposer un langage dialectique par rapport à la ville et donc de persister face au devenir.L’idéedetempssepréfiguredonccommeclef delec-

ture indispensable pour la compréhension pas seulement de l’œuvre d’art, mais aussi de la théorie de la restauration et de la conservation.

Avant d’analyser d’une façon plus précise l’idée de temps dans sa double perception, il est utile de s’arrê-ter sur la raison de la difficulté de reconnaître unmo-dèle universellement valable. L’histoire de la philosophie et des sciences, en effet, nous enseignent que le temps appartientà lacatégoriede l’indéfinissableetdurelatif.Saint Augustin écrivait dans ses Confessions: «Qu’est-ce que le temps? Qui saurait l’expliquer en une forme plaine

Page 22: Couverture - archivesma.epfl.charchivesma.epfl.ch/2013/007/bertolini_lucca_enonce/Le passé et la... · homme est d’abord le contemporain de lui-même et de ... on ne pourrait pas

22 PREMIÈRE PARTIE

et brève? Qui saurait s’en former la seule idée dans sa tête, pour l’exprimer plus tard en paroles? Toutefois, quel mot plus familier et connu du temps revient dans nos conversations? Quand c’est nous qui en parlons, nous en saisissons l’idée et nous comprenons aussi quand ce sont les autres qui en parlent. Qu’est-ce que c’est donc que le temps? Si personne ne m’interroge, je le sais; si je veux l’expliqueràceluiquimequestionne,jenelesaispas»4.Onpeutaffirmerqueletemps,àtraverssesdéclinai-

sons, telles que la mémoire, la tradition, l’histoire et la continuité, peut représenter, au moins à grands traits des schémas logiques qui appartiennent à la théorie de la res-tauration. Il pourrait être utile, pour notre recherche, de simplifierlesmodèlesphilosophiquessuivantdeuxcou-rants de pensée fondamentaux concernant le temps et sa perception: l’idée du temps cyclique et celle du temps linéaire.

Le temps cyclique appartient principalement au monde classique, à une époque dans laquelle les hommes, pour s’interroger sur eux-mêmes, sondaient le ciel et la nature. L’observation des jours qui s’écoulent, dans la séquence lumière-ténèbres, de l’an à travers ses saisons, produit l’idée d’un monde fondé sur une séquences cy-clique d’événements; dans les mots de Proclus, du Ve siècle après J.C., on perçoit le sens de cette conception: «en tournant toujours la roue infatigable et en restant im-mobiledanslamême».

C’est la philosophie du retour éternel , pour lequel le cosmos, étant sujet à une destruction cyclique, se régé-nère chaque fois identique. C’est un temps sans direction qui se répète toujours pareil, mais qui surtout refuse la vision du temps comme histoire, ayant un début et une fin:c’estuneroueenmouvementcontinuel,oùl’onnecontemple pas le progrès, car le futur est en même temps le passé.

4 AGOSTINO, Confessioni, 11, 14-18.

Page 23: Couverture - archivesma.epfl.charchivesma.epfl.ch/2013/007/bertolini_lucca_enonce/Le passé et la... · homme est d’abord le contemporain de lui-même et de ... on ne pourrait pas

23TEMPS ET MÉMOIRE

Dans cette réalité, où les trois dimensions du temps - passé, présent et futur - se réunissent sur le même plan, le changement n’acquiert pas d’importance. En effet, le temps cyclique est représenté par un cercle, unefiguregéométrique fermée et pure, dans laquelle il ne nous est paspossiblededéfinirunpointdedépartniunedirec-tion:c’estunelogiquepourlaquelleonpeutaffirmerqueletempscycliqueneconnaîtpaslafinalitédel’histoire.

Si l’on voulait associer à ces idées une méthode dans le domaine de l’histoire de la restauration, on pourrait affirmer que cemodèle est applicable à la restaurationstylistique: celle-ci croit possible un retour au passé, qui est en même temps présent et futur, et c’est par cette dé-finitionqu’ilsejustifie.

Dans ce modèle la valeur de l’identité est complète-ment superposée à celle d’authenticité: selon Viollet-Le-Duc, l’œuvre, ramenée à sa splendeur d’autrefois, reprend son ancien langage en devenant vraie en tant que formel-lement originelle suivant l’interprétation du restaurateur. Acepropos,Viollet-Le-Ducécrit:«Restaurerunédificenesignifiepaslemaintenir,lerépareroulerefaire,maisle rétablir dans un état d’intégrité qui pourrait ne jamais avoirexisté»5, où le sens du beau et de l’authentique coïn-cide avec l’unité stylistique.

En opposition à ce modèle de temps cyclique, on trouve celui du temps linéaire. En citant l’Ecclésiaste: «Il y a un temps pour tout, un temps pour toute chose sous les cieux: un temps pour naître, et un temps pour mourir; un temps pour planter, et un temps pour arracher ce qui aétéplanté»6. On parle donc d’un temps conçu comme une succession d’événements, qui provient d’une idée monothéiste:c’esteneffetparl’affirmationdesreligionshébraïque et chrétienne que cette philosophie prend le

5 Eugène VIOLLET-LE-DUC, mot Restauration dans Dictionnaire raisonné de l’architecture française du XV au XVI siècle, t. VIII, Paris 1865.

6 ECCLESIASTE, Antico Testamento, vv. 1-2.

Page 24: Couverture - archivesma.epfl.charchivesma.epfl.ch/2013/007/bertolini_lucca_enonce/Le passé et la... · homme est d’abord le contemporain de lui-même et de ... on ne pourrait pas

24 PREMIÈRE PARTIE

dessus. Dans une vision théocentrique du monde, il n’est pas possible de concevoir un temps qui n’aitpasunfinultime: Moïse reçoit les Tables de la Loi dans un lieu et dans un temps bien déterminés. La révélation d’un Dieu qui s’annonce comme le but de l’existence humaine.

Pour la première fois dans l’histoire on assiste à un évé-nementnonréversible,lafigureducercleestsubstituéepar une ligne droite avec une direction bien déterminée.

Umberto Galimberti fait référence à un temps de l’homme qui devient scopique, à même de se distinguer du temps cyclique de la nature, car l’être humain veut en-findotersonexpérienced’unsens:présent,passéetfuturne sont plus mélangés dans une idée de retour éternel ou de prédestination, mais ils sont plutôt insérés dans le do-maine d’une vision historique, à l’intérieur de laquelle le passésedéfinitentantqu’accumulationdetempsetd’ex-périence et ne pourra jamais plus être présent. Il est donc évident comme, dans cette optique, toute expérience est unique et non répétable, à cause d’une conséquente ir-révocabilité des événements, en accédant pour cela à la philosophie de l’histoire: le monument, dans ce contexte, devientla“personnification”del’idéelinéairedutemps.

Le monument devient un sujet essentiel dans la dia-lectique historique, puisqu’il recèle l’esprit du passé et l’évidence du temps qui s’écoule, mais surtout l’exis-tence dans le présent. Comme rien ne peut être reproduit comme originel - puisque le temps se substitue inélutta-blement à lui-même - on n’admet pas, dans le domaine de la restauration, une reconstruction de l’œuvre “en style”, en privilégiant une vision de nature archéologique.

L’authenticité, dans ce contexte, est d’une extrême im-portance et est lue sous l’aspect de l’unicité. On admet l’idée,enoutre,d’unefinde l’œuvre,desadégradationnaturelle jusqu’à sa disparition à l’intérieur du temps, ce-lui-ci étant un autre facteur inexorable. C’est un esprit que l’on peut cueillir en lisant les mots que Ruskin consacre à Venise: «Venise, pareille à Tyre pour la perfection de

Page 25: Couverture - archivesma.epfl.charchivesma.epfl.ch/2013/007/bertolini_lucca_enonce/Le passé et la... · homme est d’abord le contemporain de lui-même et de ... on ne pourrait pas

25TEMPS ET MÉMOIRE

sa beauté, mais inférieure pour la durée de sa domina-tion, s’étend encore devant nos regards telle qu’elle était dans lapériodefinaledesadécadence,un fantômesurles sables de la mer, si frêle, si silencieuse, si dépouillée de tout sauf que de sa beauté, si bien que chaque fois que nousadmironssonréflexe langoureuxsur la laguneonfatigue à discerner la ville et l’ombre. Je voudrais m’ef-forcer de tracer les lignes de cette image, avant qu’elle ne disparaît pour toujours, et recueillir, pour ce qui m’est possible, l’avertissement qui émane de chaque vague, qui résonne comme un tintement funèbre, quand il se brise contrelespierresdeVenise»7.

L’analyse des deux modèles de temps révèle la coexis-tence de théories, de perceptions et de notions différentes liées au temps. On ne peut pas les réduire à deux périodes historiques limitées, car elles s’entrelacent dans un enche-vêtrementinfinidepossibilitésetdedéclinaisons(ilsuffitde penser, par exemple, à la théorie de la cyclicité décrite par Nietzsche).

Sans doute on ne vit pas dans une époque où l’on peut choisir notre prédilection pour l’une ou l’autre théorie. L’influencedelarelativitésurlanotiondetempsaudébutdu siècle dernier a transformé l’homme dans le seul sujet de la pluralité des dimensions temporelles existantes. Onpeut affirmer que nous vivons dans un système

dans lequel le temps se manifeste de façons variables, et c’est ici que l’homme «reste un garant de la permanence, unchronomètreexact»,carilpossèdeune«capacitémul-tiple de compréhension du temps. Il se reconnaît dans de différentes dimensions: celle de la vie personnelle dans son extension vectorielle, celle des changements cycliques à travers les saisons et les années, le rythme quotidien, les

7 John RUSKIN, Le pietre di Venezia, John D. Rosemberg (edité par), Biblio-teca Universale Rizzoli, Milano 1990.

Page 26: Couverture - archivesma.epfl.charchivesma.epfl.ch/2013/007/bertolini_lucca_enonce/Le passé et la... · homme est d’abord le contemporain de lui-même et de ... on ne pourrait pas

26 PREMIÈRE PARTIE

cyclesreligieux»8.Le temps de l’homme doit alors coïncider avec celui de

sapropreconscience,de lasubjectivité,de laflexibilité.En ce sens, la relation entre le présent de l’étant, c’est-à-dire de l’homme, et les dimensions de passé et de futur devient essentielle. C’est justement par l’analyse de cette relation qu’on acquiert la capacité de déduire des modèles ou des théories aptes à révéler quel est le rôle du passé, de l’histoire et, par conséquent, du monument dans l’univers présent.

La première tentative intéressante d’associer l’idée de temps à celle de conscience remonte au 300 après J.C. avec Saint Augustin. Le discours du philosophe sur le temps est très vaste, mais ce qu’il est important de mettre en évidence est son interprétation des trois dimensions de passé, de présent et de futur. Ladifficultéqu’AugustindénoncedanssesConfessions

résidedans la définitionmêmede temps: «Ceci jepuisaffirmerdesavoir:sansrienquipasse,iln’existeraitau-cun temps passé; sans rien qui vienne, il n’existerait au-cun temps futur; sans rien qui existe, il n’y aurait pas de temps présent. Deux, donc, de ces temps, le passé et le futur, comment existent-ils, puisque le premier n’est plus et que le second n’est pas encore? Et quant au présent, s’il était encore présent, sans se traduire en passé, il ne serait plus temps mais éternité. Si donc le présent, pour être temps, doit se traduire en passé, comment peut-on dire de lui qu’il existe, si la raison pour laquelle il existe estqu’iln’existeraplus?»9, toutefois le présent existe, bien que fuyant, il représente la réalité: la seule véritable di-mension mesurable dans l’esprit. La conséquence est que futur et passé n’existeraient que comme parties du pré-

8 Natalia DUSHKINA, Il monumento ed il mutamento del concetto di tempo, dans Giuseppe Cristinelli et Vittorio Foramitti (edité par), Il restauro tra identità e au-tenticità: atti della tavola rotonda “i principi fondativi del restauro”, Marsilio Editori, Venezia 2000.

9 AGOSTINO, Confessioni, 11, 14-18.

Page 27: Couverture - archivesma.epfl.charchivesma.epfl.ch/2013/007/bertolini_lucca_enonce/Le passé et la... · homme est d’abord le contemporain de lui-même et de ... on ne pourrait pas

27TEMPS ET MÉMOIRE

sent et alors eux aussi, ils demeurent dans l’esprit comme présent du passé, c’est-à-dire mémoire et comme pré-sent du futur, c’est-à-dire attente: «Ainsi mon enfance, qui n’est plus, est-elle dans un temps passé qui n’est plus; mais quand je l’évoque et j’en parle, je vois son image dans le temps présent, parce qu’elle subsiste encore dans mamémoire»10.

Le philosophe introduit l’idée de mémoire en tant que situation présente d’un fait du passé, un souvenir. C’est un concept fondamental dans la relation entre l’homme et son passé: ce lien trouve son sens, en effet, du fait qu’il possède une valeur actuelle reconductible à l’être et rap-pelée par le même.

On ne peut donc avoir une juste interprétation du passé, si avant on ne comprend pas quelle est sa valeur dans le présent, si on ne lit pas le temps dans une optique de continuité dans laquelle, en paraphrasant Bergson, le passé ne s’accroit que grâce à ce que le présent laisse der-rière lui.Cette affirmation confirme la théorie du temps li-

néaire, puisqu’elle prévoit que deux instants ne peuvent pas être identiques, car le second contient intrinsèque-ment la mémoire du premier. C’est donc la conscience à garantir l’unicité de l’expérience: «Prenez le sentiment le plus simple, supposez-le constant, absorbez en lui la personnalité tout entière: la conscience qui accompagne-ra ce sentiment ne pourra rester identique à elle-même pendant deux moments consécutifs, puisque le moment suivant, contient toujours, en sus du précédent, le souve-nir que celui-ci lui a laissé. Une conscience qui aurait deux moments identiques, serait une conscience sans mémoire. Elle périrait et renaîtrait donc sans cesse. Comment se re-présenterautrementl’inconscience?»11.

Chaque conscience est donc mémoire, conservation et

10 AGOSTINO, Confessioni, 11, 18.11 Henri BERGSON, Introduzione alla metafisica, Laterza, Bari 1987.

Page 28: Couverture - archivesma.epfl.charchivesma.epfl.ch/2013/007/bertolini_lucca_enonce/Le passé et la... · homme est d’abord le contemporain de lui-même et de ... on ne pourrait pas

28 PREMIÈRE PARTIE

accumulation du passé dans le présent, mais on ne peut pas parler d’un simple catalogage de souvenirs. Puisqu’elle appartient à l’être (en tant qu’individu ou communauté), il s’en suit que ce qui est mémorisé c’est un passé diffé-rent, dans lequel le sujet imprime sa propre action créatrice comme intervention d’intégration dans le présent. La conscience est donc l’éducatrice de la mémoire, qui jamais gardera le simple souvenir, mais permettra plutôt à l’ar-tisted’«échapperaudespotismedel’objet»12 à travers un parcours fait d’oublis délibérés. Pour permettre au passé de vivre à l’intérieur du présent en tant que mémoire il est nécessaire qu’il commence à exister car la mémoire n’est une reprise du passé mais elle est toujours nouveauté: elle est action créatrice. A l’homme qui dialogue avec le passé, deux possibilités sont offertes: il peut décider de le garder d’unefaçonfidèleetd’yretournerpassivement,oubienchoisiruneattitudeactiveettransfigurante,quiintègrelepassé dans le futur, en donnant une vie toute neuve aux objets désormais morts. Passé et présent en confronta-tion, les deux vivants et prenant partie au discours créatif, àl’intérieurdelacatégoriequeFocillondéfinitcommefa-mille spirituelle où l’homme n’est pas seulement le contem-porain de lui-même, mais aussi de ceux qui appartiennent à son groupe spirituel, de manière que «ces ancêtres et ces amisluisontnonpassouvenir,maisprésence»13.

C’est ici que naît la possibilité de l’hic et nunc, suivant laquelle l’occasion d’une intervention authentique de la part de l’homme du présent n’existe que dans l’ici et main-tenant, précisément en vertu de ce qu’on a dit jusqu’ici: ce n’est que dans la dimension du présent que passé et futur acquièrent un sens à travers l’œuvre de transfigurationaccomplie par l’étant. C’est en effet la pensée qu’à tra-vers le temps change les relations en un problème mental

12 Henri FOCILLON, Vita delle Forme, Piccola Biblioteca Einaudi, Torino 2002.

13 Ibidem.

Page 29: Couverture - archivesma.epfl.charchivesma.epfl.ch/2013/007/bertolini_lucca_enonce/Le passé et la... · homme est d’abord le contemporain de lui-même et de ... on ne pourrait pas

29TEMPS ET MÉMOIRE

et, par conséquent, transfère la question sur le plan de la connaissance. En synthèse, c’est la conclusion que Be-nedetto Croce propose dans son texte La storia come pen-siero d’azione, en particulier comme réponse à la sensible, mais en même temps pénible question sur le juste moyen de créer une nouvelle action sans être obligé de fouler le passé aux pieds.Onpeut donc affirmer que l’hic et nunc de l’originel,

dans toutes les phases de son processus d’effectuation, constitue le sujet de son authenticité14, et puisque l’au-thenticité n’est pas une valeur liée à un domaine temporel restreint, il est facile de comprendre comme cette idée est applicable à l’œuvre d’art du présent.

C’est dans cette logique que l’artiste et l’architecte contemporains doivent trouver la légitimation de leur œuvre, puisqu’il est impossible de réécrire le monument, mais il faut toujours réécrire l’histoire: «l’illusion fonda-mentale consiste à transférer dans la durée même, qui est en train de s’écouler, de la forme des coupes instantanées qu’onypratique»15. L’esprit historique ne consiste donc pas en l’évocation de ce qui a été en tant que tel, mais plutôt en l’évocation de la pensée avec ce qui est.En conclusion, onpeut définir le processus qu’on a

décrit comme l’application de l’idée révisée de temps li-néaire au domaine de la restauration: ce n’est autre chose que la compréhension et la réalisation d’une continuité du monument dans les diverses phases de son être. In-hérente à la définition de continuité, nous retrouvonsencore une fois celle de temps, associée en ce cas à un dynamisme intrinsèque: elle est en effet une propriété qui ne contemple pas l’interruption, ni d’espace ni de temps.

14 Walter BENJAMIN, L’opera d’arte nell’epoca della sua riproducibilità tecnica. Arte e società di massa, Enrico Filippini (trad. edité par), Einaudi, Torino 1998.

15 Henri BERGSON, Saggio sui dati immediati della coscienza, dans Opere 1889-1896, Pier Aldo Rovatti (edité par), Milano 1986.

Page 30: Couverture - archivesma.epfl.charchivesma.epfl.ch/2013/007/bertolini_lucca_enonce/Le passé et la... · homme est d’abord le contemporain de lui-même et de ... on ne pourrait pas

Recevabilité et reconnaissabilité

Si l’on reprenait le discours précédent à partir de sa conclusion,onpourraitaffirmerque la restauration,entantqu’action,se justifieà travers lacompréhensiondel’idée de mémoire appliquée au temps. Grâce à cette thèse on peut ainsi reconnaître la légitimité de l’intervention de restauration qui, à ce point, doit déterminer les voies à suivre pour repérer le sens de la continuité, dans le but de modifier l’œuvre tout en la gardant dans son identité.

C’est sur ce paradoxe apparent que s’est basée la théo-rie de la restauration jusqu’à nos jours: les concepts et lesidéesontfluctuéd’unopposéàl’autreenproduisantun grand nombre de courants. Parmi ceux-ci, il est es-sentiel de choisir les principaux, pour en tirer les aspects àtravers lesquelsonseraàmêmededéfinir lescritèresd’actuation d’un projet de restauration.

Avant de s’engager dans l’analyse des grandes étapes de la théorie, il est d’abord nécessaire de chercher à com-prendre quel est le sujet de la problématique en question: le monument.

Comme décrit plus haut , en ce moment on constate l’émergence d’une ville historique où tout est protégé en tant que monument, selon les lois du fondamentalisme de la conservation, mais il est plus que jamais essentiel de restituer au même le concept d’œuvre d’art: il acquiert cette identité sur la base du processus création-produc-tion, comme décrit par Heidegger. Suivant ce philosophe, en effet, l’art naît de la dichotomie suivante, qui voit d’un côté l’artiste en créationàtraverscequ’onpourraitdéfinir

Page 31: Couverture - archivesma.epfl.charchivesma.epfl.ch/2013/007/bertolini_lucca_enonce/Le passé et la... · homme est d’abord le contemporain de lui-même et de ... on ne pourrait pas

31RECEVABILITÉ ET RECONNAISSABILITÉ

un combat spirituel, dans la sphère de sa propre personna-lité, et de l’autre côté l’artiste qui se fait expression de cet affrontement à travers la mise en œuvre de l’idée, c’est-à-dire par une prestation compétente.1

Le monument ne vit donc qu’en fonction de son exis-tence, de son être dans un lieu, mais aussi et surtout en tant qu’expression, matière et symbole et, par consé-quent, comme véhicule de significations concrètes etabstraites. Dans ce contexte, la question de la recevabi-lité décrite par Benjamin émerge de nouveau, condition d’ailleurs possible seulement au cas où soit sa lisibilité historique soit l’actualisation des valeurs dans le nouveau contexte temporel soient présentes. L’œuvre architectu-rale devient pour cela le seul interlocuteur dans le présent d’un passé qui n’est plus, sauf dans le souvenir formalisé dans “les pierres” du monument: celui-ci représente le visage d’une époque, ses valeurs sociales et artistiques qui se transmettent à nos jours et il est donc mémoire. Or il s’agit de sujets autour desquels une identité collective se forme, ce qui en fait des protagonistes fondamentaux du développement urbain, toutefois à condition de savoir représenter le pont permettant l’interaction entre le passé et le présent, d’exprimer un message, d’être reconnaissable et recevable.

Deux caractéristiques fondamentales sont inhérentes à l’œuvre d’art: la terre et le monde de l’œuvre2. Selon Hei-degger la première consiste en sa substance, le matériau dont elle est composée, tandis que la seconde est ce que la met en relation avec son contexte et la société à laquelle elle appartient. Le monument, quand il est œuvre, n’est à même d’instaurer un dialogue avec la société qu’en sa-tisfaisant aux deux conditions suivantes: c’est-à-dire qu’il puisse parler de lui-même, à travers sa substance, et avec

1 Martin HEIDEGGER, Dell’origine dell’opera d’arte e altri scritti, Aestetica Preprint Centro Internazionale Studi di Estetica, Palermo 2004.

2 Ibidem.

Page 32: Couverture - archivesma.epfl.charchivesma.epfl.ch/2013/007/bertolini_lucca_enonce/Le passé et la... · homme est d’abord le contemporain de lui-même et de ... on ne pourrait pas

32 PREMIÈRE PARTIE

ce qui est en dehors de lui par une fondation continuelle de valeurs dans le présent. Autrement dit, l’œuvre peut continuer à conserver son importance s’il est possible de comprendre son rôle à l’intérieur du tissus urbain. C’est justement sur ces deux catégories, terre et monde, que s’est instauré tout le débat des théories appliquées au pro-jet de restauration: effectivement, elles peuvent être tra-duites comme authenticité, liée principalement à la forme et à la matière de l’œuvre, et identité, se référant à la capa-cité de transmettre ses valeurs; c’est justement à travers l’oscillation entre ces deux idées que nous conduiront notre analyse sur quelques-uns parmi les plus importants courants de pensée dans le domaine de la restauration.

C’est dans la culture française du XIXe siècle que le débat sur la formulation du concept de restauration ar-chitecturale acquiert un rôle prédominant. En particulier unnouveau courant depensée s’affirmaqui se référaità l’idée de “style”, en tant qu’entité historico-formelle, quirendidentifiablenotrehistoireartistique.Cequiestfondamental de mettre en évidence c’est que chaque mo-nument, lu suivant cette perspective, perd tout caractère d’individualité, puisqu’il représente une “unité stylistique” et renvoie à des “démarches générales”3, en exprimant ainsi la possibilité d’un temps cyclique qui permette idéa-lement de reproposer les même conditions et le même environnement d’un temps passé.

Suivant cette théorie, plus tard appelée de la “restau-ration stylistique”, on légitime des reconstructions et des remaniements fondé principalement sur des analogies ty-pologiques et stylistiques avec d’autres monuments, «en altérant la structure et la forme de l’œuvre au nom d’une abstraitecohérencestylistique»4. Viollet-Le-Duc, le plus

3 Renato BONELLI, Il restauro architettonico, dans Cesare Brandi et alii, mot Restauro, dans Enciclopedia Universale dell’Arte, vol. XI, col. 322 e ss., ms coll. 344-351, Venezia-Roma 1963.

4 Ibidem.

Page 33: Couverture - archivesma.epfl.charchivesma.epfl.ch/2013/007/bertolini_lucca_enonce/Le passé et la... · homme est d’abord le contemporain de lui-même et de ... on ne pourrait pas

33RECEVABILITÉ ET RECONNAISSABILITÉ

connu et grand souteneur de la restauration stylistique, parle en effet de la possibilité d’une récupération vers une forme qui pourrait ne jamais avoir existé.

Le principe est donc celui de restituer l’œuvre archi-tecturale à son monde historiquement déterminé, en la replaçant idéalement dans la période stylistique dans la-quelle elle a surgi et, en même temps, celui d’opérer sur l’œuvre pour lui donner une nouvelle vie, en tant que par-tie valable et intégrante du monde moderne, dans une sorte de “revival” historique. Dans ce courant de pensée on distingue un grand attachement à une réalité formelle et à une valeur de nouveauté de l’œuvre, en tant que critère de transmission du passé au présent. Le sens du terme nouveauté doit être interprété comme “volonté de rendre nouveau”, car le monument n’a sans doute jamais existé dans cette forme, bien que celle-ci se réfère toujours à un passé. On y sous-entend donc que la capacité éloquente du monument se superpose à sa qualité expressive: seu-lement dans l’unité stylistique l’épiphanie est possible. Pour toucher à ce but, tous les moyens sont légitimes: la recherche d’un style, bien que jamais existé, l’intervention mimétique complétant des parties manquantes, la libéra-tion arbitraire du contexte pour obtenir des perspectives particulières, l’élimination des superfétations historiques accumulées dans le temps. Cependant, de cette manière on court le risque de perdre le sens d’une continuité his-torique, de la clef de lecture du passé et pour cela du temps qui s’écoule et du changement des époques.La ma-térialité, l’authenticité de la substance, n’ont pas d’intérêt essentiel, ce qui doit être transmis est plutôt l’idée du pro-jet, la culture génératrice inhérente à l’œuvre : ce que la ruine représente n’est autre chose que l’oubli du message. Le théories de la restauration stylistique furent largement diffusées dans l’Europe entière, et pourtant elles ne pu-rent éviter de nombreuses et violentes critiques, en parti-culier dans les décennies suivantes.

Le mouvement que plus que d’autres a contrasté les

Page 34: Couverture - archivesma.epfl.charchivesma.epfl.ch/2013/007/bertolini_lucca_enonce/Le passé et la... · homme est d’abord le contemporain de lui-même et de ... on ne pourrait pas

34 PREMIÈRE PARTIE

théories de Viollet-Le-Duc naquit en Angleterre, tou-jours au cours du XIXe siècle, ayant comme principaux interprèteslesfiguresdeMorrisetRuskin.Ladiffusionde cette théorie trouva certainement un terrain fertile dans un pays où, pour toue la durée du siècle, continua de prendre pied une culture essentiellement romantique: l’amour pour le pittoresque et la contemplation des ruines furent à la base du développement du “ruinisme” ruskinien.L’influencedecemondelittérairefutprépon-dérante dans la rédaction des thèses de Ruskin: en effet, dans la culture romantique on trouve un principe fonda-mental suivant lequel on confère au passé une valeur ex-clusive par rapport au présent . Dans la sphère de l’œuvre produite cela se traduit en un amour total pour le monu-ment dans l’état où il est parvenu au restaurateur qui, par conséquent, refuse la possibilité de son intervention en optant pour une admiration nostalgique.

Ruskin en particulier consacra une partie de son œuvre à la rédaction d’une théorie de la restauration qui puisse promouvoir l’esprit de la conservation contre la tendance stylistiqueenvigueur,àsonavismystificatrice.Leprin-cipe sur lequel sont fondées les thèses de la restauration romantique prévoit que l’authenticité corresponde ex-clusivement à la substance matérielle dont est composé le monument: ce n’est qu’elle qui peut nous parler d’un temps passé, en tant que provenant de ce même temps historique. Le rôle du présent par rapport au passé se borne à la contemplation et à l’étude du monument, en rejetant n’importe quelle genre d’intervention, car elle al-térerait la compréhension de l’œuvre: il y a en ce cas une translation du concept d’authenticité d’une valeur for-melle à une valeur archéologique. Ainsi faisant, pourtant, on abandonne encore une fois la possibilité de rendre rece-vable un monument à travers sa relecture dans le présent, etdoncd’enaffirmerunevalorisation.

Suivant les théories de Ruskin, en effet, puisque toute actionartistiqueestspécifiquedesapériodehistorique,

Page 35: Couverture - archivesma.epfl.charchivesma.epfl.ch/2013/007/bertolini_lucca_enonce/Le passé et la... · homme est d’abord le contemporain de lui-même et de ... on ne pourrait pas

35RECEVABILITÉ ET RECONNAISSABILITÉ

la restitution d’une forme résulterait un faux, car il serait impossiblede lareproduireavecsesvaleursspécifiquesdans un autre temps. Une attitude conservative prend donc pied qui considère le monument dans la sphère de l’historicisme, où la valeur de toute intervention, ou su-perfétation, qu’il présente prend la même importance en tant que témoignage d’un passé, d’une valeur d’antiquité et pas de continuité. Il est essentiel de comprendre que face à la nécessité ou au désir d’assurer une conservation du monument en tant qu’ élément identitaire, la restauration romantiquerépondparcequeBonellidéfinitcomme“larenonciation fataliste”: le monument doit se maintenir tel qu’il est, il ne doit pas être manié et tout ce qu’on peut faire c’est de le laisser se gâter et tomber en ruine, «envi-sagez la nécessité bien en face et acceptez-en toutes les obligations. La destruction s’impose. Acceptez-la, détrui-sez l’édifice, jetez-en lespierresdansdes coins écartés,faites-en du lest ou du mortier, à votre gré: mais faites-le honnêtement,nelesremplacezpasparunmensonge»5.

La valeur archéologique s’explique dans la manifesta-tion de l’histoire et du temps qui s’écoulent, et donc des les transformations subies par le monument, lui-même sujet à la perpétuation de la vie comme l’être humain. Selon cette vision l’authenticité de la substance apparaît comme l’élément fondamental du discours conservatif, pour Ruskin et ses partisans elle représente la seule carac-téristiquesignificativeàmêmedevéhiculerlemessagedutemps passé: elle est l’alphabet du langage du monument, un langage destiné à se perdre. Si mal interprété, le mes-sage de Ruskin, peut conduire à la destruction complète de la capacité éloquente du monument. Par exemple, les restaurations produites en 1800 sur les ruines du théâtre romain de Sagonte: celles-ci, en effet, partaient d’un prin-cipe absolument déroutant, c’est-à-dire l’acceptation et l’exaltation de la ruine en soi, en réalisant ainsi des inter-

5 John RUSKIN, Le sette lampade dell’architettura, Jaca Book, Milano 1982.

Page 36: Couverture - archivesma.epfl.charchivesma.epfl.ch/2013/007/bertolini_lucca_enonce/Le passé et la... · homme est d’abord le contemporain de lui-même et de ... on ne pourrait pas

36 PREMIÈRE PARTIE

ventions de restauration sur l’image des ruines et non sur celleduthéâtre,endéroutantdecettefaçonlessignifica-tions constitutives de l’œuvre6.LecasdeQuatremèredeQuincyestsignificatif.Ce-

lui-ci, parmi les premiers et les plus fameux théoriciens de la restauration, inaugure le débat sur la réintégration ou moins des parties manquantes de l’œuvre d’art. En formulant ses théories il fournit une première, grande distinction entre la reconstitution de statues et la restau-ration architecturale, car la première demande une action créative de la part de l’artiste, tandis que la seconde, à son avis, ne contemple qu’une étude attentive de l’exis-tant et une action essentiellement technique de recons-truction; il est intéressant de noter comme, dès le début du débat concernant la restauration et la conservation, il y avait la possibilité d’une distinction entre l’architecte du projet et le technicien restaurateur. Pour ce qui concerne la conception de l’intégration des parties manquantes en tant que simple opération de reproduction, elle ré-sulte être, en lisant ce théoricien, l’élément fondateur de la restauration stylistique: en effet, on n’y trouve pas la conscience que tout ce qu’on ajoute, pour des raisons de conservation, représente inévitablement une infidélité,une sorte de trahison du monument.

Dans cette vision il n’y a pas d’interdiction à opérer sur une œuvre historique, sur une préexistence, mais, au contraire, l’intégration du monument devient souhaitable puisque c’est la matière qu’on substitue, tandis que le mo-dèle est récupéré. On soutient pourtant la nécessité d’une distinction entre les parties originelles du monument et celles qu’on a ajouté, pour éviter le risque d’erreurs d’interprétation. Comme exemple favorisant la compré-hension de ses théories, Quatremère décrit l’intervention réalisé au péristyle du Panthéon de Rome, où l’on reposi-

6 Giovanna CRESPI et Nunzio DEGO (edité par), Opere e progetti di Giorgio Grassi, Mondadori Electa, Milano 2004.

Page 37: Couverture - archivesma.epfl.charchivesma.epfl.ch/2013/007/bertolini_lucca_enonce/Le passé et la... · homme est d’abord le contemporain de lui-même et de ... on ne pourrait pas

37RECEVABILITÉ ET RECONNAISSABILITÉ

tionna une colonne préexistante et, en même temps, une partie de l’entablement manquant, qui pourtant fut refait ex novo. Pour le théoricien, l’entreprise fut conduite en outre «sans que le restant souffre pour cette opération lemoindreendommagement»,précisémentparcequ’onne courait pas le risque du faux, étant les deux interven-tionsparfaitementdistinguables.Danscetteaffirmationon peut bien lire la position du savant sur la question de l’authenticité: il condamne la réinsertion de parties man-quantes par des “faux” identiques aux originels, Quatre-mère de Quincy propose une vision de la restauration comme lien étroit entre expression historique (qui coïn-cide avec la matière et donc avec la différenciation entre interventions) et identité formelle (qui correspond à la reproduction d’un modèle en tant que symbole).

La restauration de l’Arc de Titus à Rome en est un exemple, s’il on prend en considération une première in-tervention de Valadier, et une autre de Stern plus tard. Le premier écrit «...col ricostruire la massa intera dell’Arco [...] non si è voluto imitare nella qualità del marmo, e ne-gli intagli perché si è dovuto praticare la possibile eco-nomia, senza togliere la decenza e il rispetto dovuto al monumento, che per una malintesa venerazione si voleva da qualcuno assicurato con due solidi ma inconvenienti speroni...»7. Quatremère cherche, effectivement, à don-ner des indications pour surmonter la polémique entre restaurateurs et ruinistes, en suggérant comment cultiver un compromis possible dans la restauration des anciens édificesplus oumoins ruinés: il affirmeque la rigueuret le respect pour ce qui nous est parvenu jusqu’ici sont bien trop soulignés dans le domaine de l’architecture, à tel

7 Giuseppe VALADIER, Narrazione artistica dell’operato finora nel ristauro dell’arco di Tito, lu dans l’Académie Romain d’Archéologie, 20 décembre 1821. «...par la reconstruction de la masse entière de l’Arc [...] on n’a pas voulu imiter dans la qualité du marbre, ni dans les gravures, étant obligés à pratiquer toute possible économie, sans renoncer à la décence et au respect dû au monument qui, à cause d’une vénération mal interprétée, quelqu’un voulait assuré par deuxsolidesmaisinconvenantséperons...».

Page 38: Couverture - archivesma.epfl.charchivesma.epfl.ch/2013/007/bertolini_lucca_enonce/Le passé et la... · homme est d’abord le contemporain de lui-même et de ... on ne pourrait pas

38 PREMIÈRE PARTIE

point qu’on en procure la mort. Quatremère de Quincy, par cette théorie, jette les bases

d’une plus récente réélaboration: par la restauration phi-lologique on veut trouver un point de convergence entre les thèses, jusque-là opposées, de restauration et d’anti-restauration. Lavolontédefaireconflueràl’intérieurdecettedoc-

trine des élaborations et des intuitions précédentes ne ré-side pas dans un simple et hâtif arrangement de deux ins-tances si différentes entre elles, mais dans un effectif et concrète progrès dans la compréhension et dans l’étude de la discipline. Grâce à la maturation survenue dans des domaines collatéraux et d’avant-garde, la restauration philologiquetrouvesonaffirmation:c’esteneffetdanslarecherche philosophique et épistémologique conduite par l’historicismequ’onaffirmelasupérioritéd’uneconnais-sance historique sur celle des autres disciplines, car seu-lement une telle connaissance serait à même de saisir les aspects individuels et les valeurs qui constituent l’essence la plus profonde de la vie et de la réalité spirituelle et, en particulier, son changement perpétuel, son irréductible dynamisme. Le stimulus à l’étude basée sur une méthode historique des faits, des documents et donc de chaque mo-nument (il y a en effet une recherche de la vérité objective danslesfaits,différentspourchaqueédifice)estlacondi-tion essentielle pour le “faire architectural” qui met en profitlesacquisitionshistorico-critiques,etcapablepourcela de les référer aux problèmes actuels. La position de Boito, sous bien des aspects encore actuelle, surmonte l’exclusivisme soit de la restauration stylistique soit de la conservative et fait converger les deux positions dans un contexte culturel différent, grâce à une disposition natu-relle vers cet équilibre sensé qui a jeté les bases de l’école de restauration moderne. La restauration philologique promeut la tutelle du monument comme il nous est par-venu, en exaltant sa substance historique et en abandon-nant la méthode suivant laquelle on déduisait un style par

Page 39: Couverture - archivesma.epfl.charchivesma.epfl.ch/2013/007/bertolini_lucca_enonce/Le passé et la... · homme est d’abord le contemporain de lui-même et de ... on ne pourrait pas

39RECEVABILITÉ ET RECONNAISSABILITÉ

analogie avec d’autres œuvres. On observe donc un pro-grès dans le discours de la recevabilité dans son instance historique, car elle devient l’un des buts les plus impor-tants de la restauration de l’œuvre en tant que document: le monument doit justement pouvoir parler de son passé et de ses vicissitudes temporelles, mais il y a encore le refus d’un langage actualisateur qui sache conférer des valeurs contemporaines à l’oeuvre architecturale.

En ce cas, le discours sur l’authenticité est compris comme relation indissociable entre forme et substance, à l’intérieur de laquelle le restaurateur n’agit à la faveur de la lisibilité d’une essentielle valeur historique que par la reconstruction historique, ou mieux philologique; le pré-sent peut comprendre le passé en devenant donc capable d’y puiser, en évitant la possibilité, arbitraire et contrefai-seuse, d’une intervention personnelle. Dans la restaura-tion philologique il y a le désir intrinsèque de surmonter le choix éternel entre une considération de l’édifice entant que témoignage de ses valeurs historiques qui l’ont engendré et caractérisé et un désir de possession qui veut acquérir le monument en prenant partie à la recréation de sa forme. Suivant Boito, en effet, si ces deux concep-tions se réalisaient à travers la reconnaissance d’une va-leur historique et formelle de l’œuvre, on obtiendrait la situation idéale où, d’un côté, on accentuerait le respect du monument dans son état actuel, de l’autre on partirait dumême principe pour affirmer la nécessité d’une in-tervention dans l’effort de fondre dans une même unité l’ancien et le nouveau.

Cependant, dans ce contexte le nouveau n’est pas in-novation ni critique, mais plutôt la nécessité inéluctable de restituer un langage ancien: l’historien-archiviste se substitue donc à l’architecte; il agit par une méthode fon-dée sur la Charte d’Athènes, en conduisant son travail deconservationdansunemanièrequ’onpourraitdéfinirscientifique,etpourcelarigideetsystématique.

La qualité de document de l’œuvre prévaut sur celle

Page 40: Couverture - archivesma.epfl.charchivesma.epfl.ch/2013/007/bertolini_lucca_enonce/Le passé et la... · homme est d’abord le contemporain de lui-même et de ... on ne pourrait pas

40 PREMIÈRE PARTIE

d’art, puisque «tutti gli elementi aventi carattere d’arte o di ricordo storico, a qualunque tempo appartengano, de-vono essere conservati, senza che il desiderio dell’unità stilistica e del ritorno alla primitiva forma intervenga ad escludere alcuni a detrimento di altri»8. En superposant la significationdemonumentàcellededocument,l’œuvredevient témoignage à sauvegarder en tout cas, «perché essa costituisce la prova della presenza di un certo tipo edilizio o forma stilistica in quel determinato momento e luogo»9 et non plus un unicum artistique. La limite de ce courant théorique est constatée suite aux destructions de la Seconde Guerre Mondiale: l’énormité et la diffusion des endommagements en rend impraticable la méthode.

Toutefois, si on ne peut pas tout sauver, alors qu’est-ce qu’on doit préserver? D’abord, il est nécessaire d’aban-donner le principe qui dit que document et monument sont la même chose, et que donc toute l’œuvre de l’homme doit être sauvegardée. C’est la qualité artistique, au contraire, la valeur ajoutée du monument: «un’opera architettonica non è solo un documento, ma è soprat-tutto un atto che nella sua forma esprime totalmente un mondo spirituale e che essenzialmente per questo assume importanzaesignificato»10. L’acceptation de ce principe impose toutefois une conséquence: l’architecte restau-rateuralatâche,enversl’œuvred’art, d’enidentifierlavaleur artistique, en acceptant la responsabilité d’un acte

8 Gustavo GIOVANNONI, Carta del Restauro Italiana 1932. «tous les éléments ayant un caractère d’art ou de souvenir historique, appartenant à n’importe quelle époque, doivent être conservés sans que le désir de l’unité stylistique et du retour à la forme primitive intervienne à en exclure quelques-unsàdétrimentd’autres».

9 Renato BONELLI, Il restauro architettonico, dans Cesare Brandi et alii, mot Restauro, dans Enciclopedia Universale dell’Arte, vol. XI, col. 322 e ss., ms coll. 344-351, Venezia-Roma 1963. «parce qu’elle est la preuve de la présence d’un certain type de bâtiment ou forme stylistique dans un moment et dans un lieu biendéterminés».

10 Ibidem. «Une œuvre architecturale n’est pas seulement un document, mais elle est surtout un acte qui, dans sa forme, exprime d’une façon totale un monde spirituel et qui, essentiellement pour cela, prend de l’importance et du sens».

Page 41: Couverture - archivesma.epfl.charchivesma.epfl.ch/2013/007/bertolini_lucca_enonce/Le passé et la... · homme est d’abord le contemporain de lui-même et de ... on ne pourrait pas

41RECEVABILITÉ ET RECONNAISSABILITÉ

de critique et donc d’une capacité de jugement, pas seu-lement par rapport a son art, mais aussi à l’histoire du temps. Suivant Bonelli, c’est justement ça la tâche de celui qui projette: de récupérer l’œuvre d’art et donc la com-plexitédesélémentsfiguratifsquiconstituent l’image,àtravers lesquels elle exprime son individualité et spiritua-lité. L’Alberti, déjà au cours de la Renaissance, prêchait la pleine assomption de responsabilité vers l’architecture, car si elle est œuvre, elle est destinée à donner de l’ordre et de la forme à la ville, en incarnant les valeurs de la société civile. Ainsi définie, la restauration architecturale peut être

synthétisée comme compénétration dialectique entre processus critique et création artistique, où le second terme acquiert sa légitimité par le premier: c’est seule-mentdansladéfinitioncertained’uneenquêterationnelleque la forme trouve sa contribution participative, faite de volonté de renouveau.

Page 42: Couverture - archivesma.epfl.charchivesma.epfl.ch/2013/007/bertolini_lucca_enonce/Le passé et la... · homme est d’abord le contemporain de lui-même et de ... on ne pourrait pas

Valorisation et projet

La relation entre une intervention d’architecture nou-velle et l’architecture préexistante est un phénomène qui change en fonction des valeurs culturelles attribuées soit à la significationd’architecture historique soit aux butsde la nouvelle intervention. Il est donc extrêmement cap-tieux de penser qu’on puisse établir une doctrine perma-nente, àmême de définir d’unemanière univoque uneméthode valable à priori. Au contraire, c’est seulement par une compréhension des différentes conceptions à partir desquelles on a agi qu’on arrive à discerner les instances qu’au cours de l’histoire ont conditionné cette relation. L’analyse conduite par Alois Riegl, dans une sé-ries de publications pénétrantes et explicatives, part du changementprofondquis’estvérifiéaudébutdusiècledernier dans les idées concernant le culte moderne des monuments. Depuis la Renaissance jusqu’au début du XXe siècle, la culture européenne développe pour l’art et l’architecture un système d’évaluation basé sur un ca-non artistique inviolable, objectivement reconnu à même d’estimer les œuvres d’art en relation soit à leur valeur ac-tuelle soit à leur indiscutable valeur exemplaire, puisqu’ils fondaient leur expérience sur les modèles anciens qu’on considérait les seuls capables de se rapprocher d’un idéal artistique unanimement reconnu. Au XIXe siècle, cette prétention de la part de l’ancien d’être le seul à même de se rapprocher au susdit idéal est progressivement rejetée, pour garantir à presque toutes les autres périodes artis-tiquesunesignificationautonomeetàleursproductions,

Page 43: Couverture - archivesma.epfl.charchivesma.epfl.ch/2013/007/bertolini_lucca_enonce/Le passé et la... · homme est d’abord le contemporain de lui-même et de ... on ne pourrait pas

43VALORISATION ET PROJET

par conséquent, la valeur de documents et de modèle original. Grâce à l’analyse de Riegl, on remarque qu’ au début du XXe siècle, on commence à considérer toutes les productions artistiques anciennes comme irrémédia-blement passées et l’objectivité de leur canon esthétique en décadence.

La culture positiviste de ce début du siècle, par l’exalta-tionduprogrèsetdelaméthodescientifique,substitueàla valeur monumentale la valeur documentaire. La valeur artistique d’une œuvre d’art ne sera plus absolue, mais relative en relation à sa capacité de répondre au moderne Kunstwollen. Toutefois, suivant Riegl, qui part de la crise du positivisme et de l’objectivité du langage typique de lafinduXIXesiècle,lasituationquicaractériseledébutduXXesiècleestbiendifférente.Enignorantlasignifi-cation positive de l’information contenue dans l’œuvre d’art, la valeur de l’ancien, Alteswert, caractéristique de la culture contemporaine, aura la tendance à privilégier les qualités qui «mettent en évidence la dissolution du monu-ment dans ses généralités, à la place de celles qui révèlent sonindividualitéoriginelle,conclueetobjective»1.

L’Alteswert est donc une valeur subjective qui, en s’ex-primant par des perceptions sensorielles, surtout optiques, estcapablesde«parlerausentimentavecpromptitude»2 et d’être la manifestation du temps historique qui s’écoule. Au contraire, le Denkmalswert, ou valeur historique, fondé surdesbasespurementscientifiques,nerésultecompré-hensiblequ’àtraverslaréflexionrationnelle.

Riegl, en acceptant la perspective de la psychologie de masse, observe comme le citoyen moderne est attiré par le témoignage d’une certaine époque que le monument offre, ce qui peut être saisi dans le manque d’organicité et dans une tendance à la dégradation que l’œuvre d’art

1 Alois RIEGL, Il culto moderno dei monumenti: il suo carattere e i suoi inizi, San-dro Scarrocchia (edité par), Abscondita, Milano 2011.

2 Ibidem.

Page 44: Couverture - archivesma.epfl.charchivesma.epfl.ch/2013/007/bertolini_lucca_enonce/Le passé et la... · homme est d’abord le contemporain de lui-même et de ... on ne pourrait pas

44 PREMIÈRE PARTIE

présente à cause de l’action implacable de la nature - ça n’étonne pas que Riegl lui-même, pour nous faciliter la compréhension de ce phénomène, se réfère juste aux ruines. En même temps, celles-ci sont toutes des condi-tions qui susciteraient de la répulsion, si on les retrou-vait dans sesœuvresmodernes: un édifice de nouvelleconstruction qui présente des signes dus à la perte de crépi ou de l’imprécision dans les techniques de bâtiment n’éveillerait pas les mêmes sensations que nous ressen-tons face à une ruine ancienne, mais plutôt de la répul-sion. Il en résulte que, de la main de l’homme, «on exige laproductiond’œuvresfiniescommesymbolesdudeve-nirnécessaireetconstant»,tandisquedelanature,entantque consommatrice infatigable, «on exige au contraire la dégradation de ce caractère d’achevé, comme symbole de l’aussibiennécessaire et constantfluiredu temps»3. Comme on souligne dans le texte d’Ignasi de Solà Mo-rales Dal contrasto all’analogia, ce qui caractérise cette nou-velle sensibilité, le nouveau Kunstwollen, ou volonté d’art, du XXe siècle, c’est le contraste entre le Neuheitswert, ou nouveauté comme valeur, et Alteswert, antiquité comme valeur, c’est-à-dire le contraste entre nouveauté et vétusté. A l’intérieur de ce contraste, dans la nécessaire alternance entre la nouvelle architecture et l’ancienne, on produit la satisfaction esthétique fondamentale. C’est justement à cause du fait que la valeur fondamentale de la culture urbaine est, et continue d’être, la perfection accomplie de lanouvelleproductionédifiéeet,puisque lesnouveauxédificesprennentunevaleuràeuxaumomentoùilsof-frentundéfiautempsquipasse,uneimaged’intangibi-lité à l’érosion de l’histoire et une durée dans leur forme, couleuretfinissage,cettesensibilitésubjective,réfractaireà une connaissance scientifique, trouve dans la vétustéla valeur globale qui lui permet de lire l’architecture. Les traces de l’ancien sont donc à même de produire par rap-

3 Ibidem.

Page 45: Couverture - archivesma.epfl.charchivesma.epfl.ch/2013/007/bertolini_lucca_enonce/Le passé et la... · homme est d’abord le contemporain de lui-même et de ... on ne pourrait pas

45VALORISATION ET PROJET

port à l’homme moderne un sentiment d’assurance, en tantquetémoignageefficacedel’inéluctabilitédutempsqui s’écoule, face auquel l’homme exprime toute sa vé-nération. Cependant, cette compréhension sensible est autant plus profonde que modeste est la conservation du monument: en empêcher la lecture temporelle signifie-rait se priver d’une connaissance globale fondée sur le contraste entre ancien et moderne.

Même si basée sur une condition complètement dif-férente, la valeur historique, aussi bien que la valeur de l’ancien, considère le monument originel intangible: le but de la valeur historique, ou Denkmalswert, est celui de conserverlemonumentdelafaçonlaplusfidèlepossible,car l’intérêt de cette théorie estfixé sur l’état initial dumonument en tant qu’œuvre humaine.

Cette sorte de “querelle des anciens et des modernes”, dans ses deux expressions, l’une qui veut la récupération d’une intégrité physique et stylistique et l’autre qui se nourrit du culte du sublime, manque d’une capacité interprétative qui puisse avancer l’exigence d’éternité, d’éternel présent, d’un état ininterrompu de formation du monument. Soit qu’on intervienne sur le monument pour le ramener à un état précis de son existence, soit qu’il subisse l’action du temps qui passe pour retrouver dans la nature son état originaire, l’œuvre d’art sera dépourvue de reconnaissabilité et d’individualité.

C’est seulement à travers la compréhension de ces deux caractéristiques qu’il sera possible d’effectuer une actualisation de l’œuvre d’art dans le présent. En effet, l’interprétation d’un texte devrait nous permettre de sai-sir ce qu’il recèle au-delà de son extériorité.

L’œuvre tombée en ruine, qui pourrait avoir perdu un rôle reconnaissable, montre dans cette phase ultime une sorte d’inachèvement, une nouvelle disponibilité. Il s’agit d’une épiphanie retrouvée: en se manifestant en tant que ruine dans toute sa virtualité, le monument s’exprime non seulement en relation avec ses problèmes originaux, mais

Page 46: Couverture - archivesma.epfl.charchivesma.epfl.ch/2013/007/bertolini_lucca_enonce/Le passé et la... · homme est d’abord le contemporain de lui-même et de ... on ne pourrait pas

46 PREMIÈRE PARTIE

surtout sur la base de sa nouveauté, devant faire face à de nouveaux problèmes, à de nouvelles opportunités. Toute-fois, cette possibilité d’être de nouveau ne s’exprime que par rapport au passé ou, autrement, au présent/futur, mais toujours simultanément par rapports aux deux dimen-sions4. Brecht exprime cette idée par les mots suivants: «les constructions en ruine ont encore l’aspect de pro-jets inaccomplis, grandioses; leurs belles mesures peuvent être devinées; elles n’ont plus besoin de notre compré-hension. Et puis elles ont déjà servi, elles ont même fait leurtemps.Toutcelamerendheureux»5.

Cependant, suivant les théories de Riegl, les critères de la restauration varient au changement du climat his-torico-artistique et, donc, on se trompe s’il on croit à la possibilité de formuler une doctrine de la restauration permanente et valable dans l’absolu.

L’intérêt actif pour le monument, suivant la perspec-tive humanistique et donc vu d’abord comme témoignage de la culture et de l’histoire et ensuite comme leçon d’ar-chitecture, exprimera la position d’Ambrogio Annoni qui arrivera à soutenir l’impossibilité d’une théorie de la res-tauration:aucontraire,ilaffirmeradevantlemonumentque c’est lui qui nous enseigne, que le maître c’est lui. Ce sera le monument lui-même à nous orienter dans notre intervention «ed ogni buon restauro, per chi studi pro-ed ogni buon restauro, per chi studi pro-fondamente il monumento e lo interroghi con severità di storico, con passione d’artista, con amore d’architetto, si determina particolarmente da sé»6. Ce qu’on met en

4 Giorgio GRASSI, Un parere sul restauro, dans Patrizia Montini Zimolo (edité par), Il progetto del monumento: tra memoria e invenzione, Mazzotta, Milano 2000.

5 Bertolt BRECHT, Fra tutti gli oggetti, dans Ruth Leiser et Franco Fortini (trad. edité par), Poesie, Einaudi, Torino 1959.

6 Ambrogio ANNONI, Scienza ed arte del restauro architettonico: idee ed esempi, Edizioni Artistiche Framar, Milano 1946. «et toute bonne restauration, pour ceux qui étudient profondément le monument et l’interrogent avec la sévérité de l’historien, la compassion de l’artiste, l’amour de l’architecte, se détermine parelle-mêmedanssaspécificité»

Page 47: Couverture - archivesma.epfl.charchivesma.epfl.ch/2013/007/bertolini_lucca_enonce/Le passé et la... · homme est d’abord le contemporain de lui-même et de ... on ne pourrait pas

47VALORISATION ET PROJET

évidence par le principe de la non-méthode, dans lequel la seule règle est celle du cas-par-cas, c’est l’intérêt réel pour lemonument;larenaissancedel’édificeseramanifestéeparl’édificelui-même.C’estparceprocessusderétroac-tion continuelle, pour lequel la réalité physique de l’ar-chitecture enrichit le domaine de ses contenus logiques tandis que le monde des contenus logiques devient le lieu fondamental du développement et de l’évolution de la même réalité physique7, que l’architecture peut récupérer la possibilité de se mesurer avec l’architecture elle-même. Les œuvres qui se proposent dans leur état de ruine, nous apparaîtront encore comme des projets. D’ailleurs, par le passé, cela se passait toujours de cette manière: on apprenait, on prenait parti, on se mesurait avec l’expé-rience du passé, avec l’antiquité. C’est justement l’ancien qui, face à de nouvelles conditions et à de nouveaux pro-blèmes, retrouve sa raison d’être comme architecture8. Le projet architectural devient donc le lieu où l’architec-ture conserve, obstinément, sa propre mémoire. L’union entre une architecture de notre temps et une architecture du passé réside dans le fait qu’elles sont la conséquence l’une de l’autre, ce qui fournit à l’architecture une façon de se vivre qui devient habitude; cette position nécessite d’une valorisation de l’expérience du passé, dans le but de permettre l’acquisition de l’éthos comme habitude inté-riorisée. Dans le domaine de l’architecture, d’une manière plus forte que dans d’autres réalités, ce qui est passé ap-partient à l’expérience du présent, d’où l’exigence d’attri-buer un sens à son temps.

C’est de ce préambule que proviennent sa valeur et son caractère opératifs : ces typicités sont les seules qui puissent vraiment intéresser l’architecte, dont la tâche est

7 Carlos MARTÍ ARIS, Le variazioni dell’identità: il tipo in architettura, CittàStu-di Edizioni, Torino 1994.

8 Giorgio GRASSI, Un parere sul restauro, dans Patrizia Montini Zimolo (edi-té par), Il progetto del monumento: tra memoria e invenzione, Mazzotta, Milano 2000.

Page 48: Couverture - archivesma.epfl.charchivesma.epfl.ch/2013/007/bertolini_lucca_enonce/Le passé et la... · homme est d’abord le contemporain de lui-même et de ... on ne pourrait pas

48 PREMIÈRE PARTIE

l’interprétation et la transformation de l’existant. Oswald MathiasUngersaffirme,eneffet:«jesuisarchitecte.Pasun conservateur de biens architecturaux qui vise exclusi-vement à maintenir ce qui est encore existant. Pas même un restaurateur, dont le but n’est que récupérer ce qui était autrefois intact. En tant qu’architecte, mon intérêt est celui de réaliser des idées personnelles, bien qu’à l’in-térieurd’uncontextehistoriqueetarchitectural»9.

«Ce n’est que par la force maximale du présent que vous pouvez interpréter le passé»10 nous suggère Nietzsche; c’est la condition qui nous permet alors de maîtriser le conflitentremémoireetsouvenir,entreprotectionetdis-solution, entre conservation et destruction où le mainte-nant devient la mesure du temps. Pourtant, le présent a toujours exposé l’action humaine au risque de la décision et, en même temps, impliqué le signe de l’absence et, de quelque façon, le sens du renoncement. A cause de cette inconstante et contradictoire duplicité, le présent im-plique le sens du changement: celui-ci siège en effet dans la mémoire en tant qu’origine et oublietquiperdsoneffi-cacité et sa raison d’être si elle n’entraîne pas la récupéra-tion de ce qui est capable de se transformer. La mémoire qui oublie est la mémoire qui construit, puisqu’elle place l’homme face à un choix critique par rapport à l’existant. Lemonument,parrapportàsonétymologie,signifiequia monet mentem, c’est-à-dire qui rappelle quelque chose. Il n’a pas de valeur en soi, mais il implique un passage: la re-cordatio et si l’œuvre est donc le phénomène physique d’un souvenir, en tant que tel elle doit être re-cordata, conservée justement parce qu’elle touche à notre cœur (cors, cordis). Mais ce n’est pas une caractéristique hu-maine celle d’aimer (ou re-cordare) toute chose, et pour

9 Oswald Mathias UNGERS, Nuovo ingresso alla kaiserthermen, dans Casabel-la, Electa, Milano, n. 763, Février 2008.

10 Friedrich NIETZSCHE, Sull’utilità e il danno della storia per la vita, Sossio Giametta (trad. edité par), Adelphi, Milano 2011.

Page 49: Couverture - archivesma.epfl.charchivesma.epfl.ch/2013/007/bertolini_lucca_enonce/Le passé et la... · homme est d’abord le contemporain de lui-même et de ... on ne pourrait pas

49VALORISATION ET PROJET

cela on ne peut tout conserver: ce serait une illusion his-toriciste, le contraire même d’une tutelle de sauvegarde. Le souvenir conçu comme valeur de document, ne com-porteraitquelamomificationdesmonumentsetdoncdenos villes; au contraire, seulement la mémoire - qui est à même d’activer la récupération d’abord d’un passé et puis de la capacité de l’oublier - éviterait que les produits desmains de l’homme deviennent fatalement des effi-giesméconnaissables.Conserverenarchitecturesignifie,pour cela, vivre un langage qui prend sa valeur en tant que parlé: c’est juste en le parlant qu’on le transforme, conscients de risquer de mal le proférer, n’ayant pourtant que la seule option de le laisser immobile, de l’obliger au silence. «Chaque jour quelque vieux souvenir de la France s’en va avec la pierre sur laquelle il était écrit. Chaque jour nous brisons quelque lettre du vénérable livre de la tradition. Et bientôt, quand la ruine de toutes ces ruines sera achevée, il ne nous restera plus qu’à nous écrier avec ce Troyen qui du moins emportait ses dieux: Fuit Ilium etingens.Gloria!»11. Par ces mots Victor Hugo exprime tout son dédain et tout son regret face à l’immobilisme ou le “vandalisme” de son gouvernement envers les mo-numents de la tradition française, en condamnant toute forme d’embaumement de l’œuvre d’art et de tous ses traits intrinsèques; en effet, la perte d’un monument n’est pas que son anéantissement matériel: elle entraînera aussi la décadence de son patrimoine spirituel. Garantir l’exis-tence de l’œuvre, et donc sa permanence, équivaut à as-surer de la continuité au passé en tant que partie active du présent.

Il est utile de préciser comme la restauration est, par conséquent, une forme de culture: d’abord processus cri-tique et ensuite acte créatif, le premier étant le préambule de l’autre, les deux bien liés dans une relation dialectique.

11 Victor HUGO, Guerra ai demolitori, Sandro Veronesi (trad. edité par), Edi-zioni Millelire, Fano 1993.

Page 50: Couverture - archivesma.epfl.charchivesma.epfl.ch/2013/007/bertolini_lucca_enonce/Le passé et la... · homme est d’abord le contemporain de lui-même et de ... on ne pourrait pas

50 PREMIÈRE PARTIE

L’intérêt architectural devra donc changer de nature: ne plus considérer le monument comme une simple ruine, car on manquerait son activation dans le présent; il fau-dra, au contraire, en repérer le rôle urbain dans le contexte de la ville comme “forme représentative”12, dans le but d’assurer sa perpétuation. A ce point on ne parlera plus seulement de restauration, mais de valorisation, suivant la suggestion d’Annoni, terme par lequel on indique la nécessité de redonner au monument toute sa valeur et la richesse de sens que le temps et les vicissitudes passées ont usée et réduite13.Lemêmeauteurnousfaitremarquerquecesédifices

n’entravent pas le développement des villes, mais, au contraire, «lo fomentano creando centri artistici, cultu-lo fomentano creando centri artistici, cultu-rali di riposo edi rispetto, a verde e afiori, nel centrodelle città stesse»14. Ce n’est qu’à ces conditions que le monument peut redevenir maître reconnaissable: la ville se mesure de nouveau à son passé.

12 Renato BONELLI, Architettura e restauro, Pozza, Venezia 1959. 13 Ambrogio ANNONI, Scienza ed arte del restauro architettonico: idee ed esempi,

Framar, Milano 1946.14 Ibidem. «ils l’éveillent en créant des centres artistiques, culturels de

repos et de respect, des espaces verts et fleuris, etmême dans les centres-villes».

Page 51: Couverture - archivesma.epfl.charchivesma.epfl.ch/2013/007/bertolini_lucca_enonce/Le passé et la... · homme est d’abord le contemporain de lui-même et de ... on ne pourrait pas

Deuxième partie

Page 52: Couverture - archivesma.epfl.charchivesma.epfl.ch/2013/007/bertolini_lucca_enonce/Le passé et la... · homme est d’abord le contemporain de lui-même et de ... on ne pourrait pas
Page 53: Couverture - archivesma.epfl.charchivesma.epfl.ch/2013/007/bertolini_lucca_enonce/Le passé et la... · homme est d’abord le contemporain de lui-même et de ... on ne pourrait pas

Notesurlaclassification

L’effort d’opérer une sélection ordonnée d’œuvres architecturales répond à l’exigence de tirer de celles-ci une connaissance précise d’un problème spécifique del’architecture même. Il est évident que, puisque les ar-chitectures réalisées dans le temps, comme d’ailleurs les éléments qui les composent, appartiennent aux manifes-tations humaines, le fait de les ordonner par phénomènes semblables, équivaut à mettre en relief des lignes de force,dontl’efficaceestessentielleàleurconnaissance1. La sélection, en tant qu’instrument typique de l’analyse scientifique,seproposedonclerétrécissementdelaréa-lité, dans le but de mieux cueillir les aspects rationnels d’un phénomène donné. Ce genre d’études permet alors la considération d’un problème à partir d’un point de vue bien déterminé: le but est de tirer des généralités de ce mêmeproblème les caractéristiquesfixes et immuablesdéfinissantunecertainemanièrequiesttoutd’abordha-bitude. A partir des conditions du moment, d’une façon indépendante, on cherche donc à opérer une adhésion à l’histoire par la découverte des traits propres à l’architec-ture.Auxfinsdenotrerecherche,cetyped’opérationvou-

drait mettre en évidence que la relation entre une in-tervention d’architecture nouvelle et l’architecture déjà existante est un phénomène changeant qui varie suivant

1 Giorgio GRASSI, La costruzione logica dell’architettura, Marsilio Editori, Ve-nezia 1967.

Page 54: Couverture - archivesma.epfl.charchivesma.epfl.ch/2013/007/bertolini_lucca_enonce/Le passé et la... · homme est d’abord le contemporain de lui-même et de ... on ne pourrait pas

54 DEUXIÈME PARTIE

les valeurs qu’on choisit de lui attribuer. Le refus d’un schéma préconstitué à la faveur d’une attitude antisys-tématique suppose la recherche d’une méthode cas par cas, capable d’assumer une attitude critique face au pro-duit, celui-ci étant le seul maître possible, le seul à même d’éloigner les dénaturations méthodologiques.

Les cas de projet sélectionnés ont donc deux buts: de démontrer, d’un côté, leur réponse individuelle et parti-culière face à la relation entre l’ancien et le nouveau; de l’autre côté, de mettre en relief un caractère commun qui trouve dans le respect du produit - et dans sa compréhen-sion - sa démarche habituelle.

Une chose est belle puisqu’elle en rappelle une autre, disait Alain, et à part le jugement esthétique, celui-ci est un trait caractéristique du domaine architectural: c’est le rapport que l’auteur d’un projet devrait avoir avec l’ex-périence historique de sa discipline; construire, restaurer, compléter représentent exactement le même problème qui ne trouve sa solution que dans l’architecture.

Les exemples que l’on va présenter sont caractérisés par un intérêt réel et actif pour le monument, celui-ci étant considéré avant tout comme témoignage historique et culturel et ensuite comme fait architectural. D’où ce qui les rapproche : le sens de responsabilité par rapport à l’œuvre qu’ils traitent et à une mémoire collective, qui veut être préservée et exprimée à travers un langage re-présentatif du temps auquel elle appartient.

C’est dans ce sens que chaque monument montre la possibilité d’évaluer son éloquence par rapport à sa tra-dition: c’est pour cela que le projet de restauration est à tous les effets un projet d’architecture.

On pourrait considérer le cas du Teatro Carlo Felice de Gênes, où ce qui en restait après les bombardements de la Seconde Guerre Mondiale se réduisait à quelques gros blocs en pierre du pronaos, ou au vide laissé à Teo-ra par l’action dévastatrice du tremblement de terre: ces exemples se caractérisent avant tout par la volonté de

Page 55: Couverture - archivesma.epfl.charchivesma.epfl.ch/2013/007/bertolini_lucca_enonce/Le passé et la... · homme est d’abord le contemporain de lui-même et de ... on ne pourrait pas

55NOTE SUR LA CLASSIFICATION

donneràl’édificesafonctionspécifiqueàl’intérieurdelaville, en partant du peu de fragments restés. L’intérêt, le seul qui puisse vraiment impliquer l’architecte, ne réside pas dans le romantisme de la ruine, mais dans la conser-vation active du monument, en tant qu’élément constitu-tif et fonctionnant de la vie collective.

Un autre aspect commun à ces projets est la préserva-tion d’un certain type architectural et de ses particularités: Giorgio Grassi reconstruit la scène en tant qu’élément caractéristique du théâtre romain, dans le but d’éviter toute sorte d’ambiguïté avec le théâtre grec; O. M. Un-gers, dans son intervention à Berlin, décide de compléter l’îlot selon une typologie bien précise, celle de l’îlot à cour.

Le seul cas où cet aspect apparaît moins évident est le travail de Francesco Venezia à Gibellina qui, étant une architecture de spoglio, préserve l’élément typologique à travers l’objet qui fonde le projet: le mur.Le choix d’opérer une sélection, en définissant les

différents genres de projets par une catégorie indicative (d’où le choix d’attribuer à chacun un nom qui puisse en définir l’intervention), représente l’effort de conce-voir des possibilités d’approche à l’ancien diversifiées;et toujours en partageant la recherche entre les projets qui s’occupent du monument et ceux qui opèrent dans le contexte urbain. La pluralité des exemples indiqués voudraitvaloriser,encoreunefois, l’affirmationsuivantlaquelle il est illusoire de fonder la relation entre ancien et nouveau sur des doctrines permanentes.

Tous ces projets se caractérisent par leur double capa-cité de dialoguer avec le passé et, en même temps, avec le présent, pour arriver à la valorisation dans la continuité plutôtqu’àlasimplerestaurationdel’édifice.

Page 56: Couverture - archivesma.epfl.charchivesma.epfl.ch/2013/007/bertolini_lucca_enonce/Le passé et la... · homme est d’abord le contemporain de lui-même et de ... on ne pourrait pas

Régard

Recostruction de l’église de St. BonifazHans Döllgast, Munich, 1965-71

Le but de l’intervention de Hans Döllgast, suite aux bombardements de la Seconde Guerre Mondiale qui avaient compromis l’église de St Bonifaz aussi bien du point de vue fonctionnel que formel, réside dans la res-tauration de ses ruines pour ramener l’ensemble béné-dictin à sa nature originelle: celle de lieu de culte et de dévotion.

L’œuvre de Döllgast se propose de sauvegarder la lisi-bilité de la relation entre l’existant et le nouveau, à travers une sorte de documentation de la reconstruction appli-quée au corps du monument. Et pourtant, l’opération de Döllgast ne poursuit pas la recherche d’une affection sentimentale dans la ruine et voilà pourquoi il affirme:«Ruinenzauber - was für ein bitteres Wort, erfunden, um Schicksal abzuleugnen,Werden undVergehen» (lama-gie de la ruine est une parole amère inventée pour nier le destin, l’avenir, ce qui fut). La volonté de recoller les morceaux entre passé et présent, inhérente aux œuvres de cet architecte allemand, se manifeste dans l’effort d’as-surer au produit sa permanence, un avenir qui entraîne les signes du temps: le monument continue d’exprimer ses raisons constitutives, il est l’expression d’une mé-moire, qui est avant tout mémoire collective. C’est sur ces principes que se fonde le résultat de l’intervention, comme démontré par les différents projets présentés au cours de la reconstruction qui veut recoudre la déchirure causée par un événement dramatique comme la guerre. De la même façon que dans d’autres travaux de Döllgast

Page 57: Couverture - archivesma.epfl.charchivesma.epfl.ch/2013/007/bertolini_lucca_enonce/Le passé et la... · homme est d’abord le contemporain de lui-même et de ... on ne pourrait pas

57RÉGARD

Photo de l’église après les bombardements.

Page 58: Couverture - archivesma.epfl.charchivesma.epfl.ch/2013/007/bertolini_lucca_enonce/Le passé et la... · homme est d’abord le contemporain de lui-même et de ... on ne pourrait pas

58 DEUXIÈME PARTIE

- par exemple la reconstruction de la Alte Pinakothek - l’histoire récente de l’architecture allemande y est reprise fidèlement, bien que par une personnalité autonome.Döllgast, qui continua inlassablement sa recherche per-sonnelle,élaborajusqu’àlafindesAnnéesSoixanteunesérie de projets pour l’ensemble bénédictin en partie dé-truit. Dans le projet proposé en 1966, le vide entre la partie restante de l’église et le porche d’accès est reconçu pour devenir une cour refermée par les deux bas-côtés, la même cour permettant le passage aux deux ailes laté-rales de l’ensemble. A partir des dessins, l’église, désor-mais à plan carré, se compose de trois nefs, d’une abside de forme semi-circulaire au fond de la nef centrale. La hauteuretlesproportionsdel’édifices’inspirentdu type du “Ziebland-bau”, tout en réinterprétant sa construc-tion, sa matérialisation et sa forme. Cette charmante réinterprétation de Döllgast engendrera une révision du type de la Ziebland-basilique, en conférant au complexe bénédictin une image absolument inédite. En observant la perspective, on constate qu’on a fait reculer le corps imposant de l’église, en briques, qui semble vouloir té-moigner la perte d’une de ses parties; mais, bien que privé de cette partie, le produit se manifeste de nouveau dans toute son unité compositive, expression d’une mémoire.

Toutefois, le projet ne fut pas adopté et on opta pour la reconstruction complète de l’ensemble, suivant ses ca-ractères et ses formes originelles. Dès ce moment-là, la reconstruction se caractérisa par l’attention à l’économi-cité des nouveaux matériaux et par le savant réemploi de ceux de la ruine: la majesté de l’église réside en effet dans son élémentarité et dans l’extrême simplicité des moyens de construction et des matériaux utilisés. Comme à ses origines, la trabéation en bois de la couverture est visible et les murs intérieurs de la grande nef centrale, blanchis, assurent une grande lumière aux espaces intérieurs, grâce aussi à la présence rythmique des fenêtres.

Pendant la reconstruction, Döllgast dut accepter des

Page 59: Couverture - archivesma.epfl.charchivesma.epfl.ch/2013/007/bertolini_lucca_enonce/Le passé et la... · homme est d’abord le contemporain de lui-même et de ... on ne pourrait pas

59RÉGARD

Perspective de la cour intérieure.Vue perspective de l’église.

Page 60: Couverture - archivesma.epfl.charchivesma.epfl.ch/2013/007/bertolini_lucca_enonce/Le passé et la... · homme est d’abord le contemporain de lui-même et de ... on ne pourrait pas

60 DEUXIÈME PARTIE

modificationsauprojetetlutterpourquelespartiesori-ginelles soient maintenues dans leur état initial: malgré sa volonté d’intégrer les colonnes au mur, tout en les lais-sant visibles, certaines d’entre elles furent complètement murées, d’autres réparées et recouvertes de crépi.

Page 61: Couverture - archivesma.epfl.charchivesma.epfl.ch/2013/007/bertolini_lucca_enonce/Le passé et la... · homme est d’abord le contemporain de lui-même et de ... on ne pourrait pas

61RÉGARD

Photo de la maquette.

Page 62: Couverture - archivesma.epfl.charchivesma.epfl.ch/2013/007/bertolini_lucca_enonce/Le passé et la... · homme est d’abord le contemporain de lui-même et de ... on ne pourrait pas

AssimilationProjet pour la zone résidentielle sur la SchillerstraßeOswald Mathias Ungers, Berlin, 1978-79

Dans le manifeste de 1960 Zu einer neun Architektur on lit: «La liberté - celle du projet – ne vit que dans la confrontation continuelle et dans l’assomption de res-ponsabilité personnelle, celle-ci étant intérieure par rap-portaulieu,autempsetàl’homme»,etencore«l’archi-tectureest toujours l’identificationdugenius loci dontelle vient, […] c’est une façon vitale de pénétrer un milieu constitué de plusieurs couches, mystérieux, qui s’est his-toriquementformésuivantsonempreintespécifique».Chaque intervention, selon ces réflexions, nécessite

d’une expression singulière qui lui appartient, pour mieux comprendre quels sont les traits spécifiques de chaqueprojet: l’assimilation de ceux-ci engendre un processus compositif qui, plus tard, devient architecture et une ar-chitecture qui tire ses références du lieu pour lequel elle a été créée. La mémoire se manifeste donc comme por-teuse consciente de valeurs culturelles et historiques, ca-pables de donner continuité à la ville.L’interventionsurunédificeaucoind’unpetitîlotré-

sidentiel à Berlin représente justement l’effort de réaliser une architecture qui se développe à partir de la réalité pré-existanteetdelaspécificitédulieu.L’édificepréexistant,un bloc de maison en forme de U, est complété par un bâtiment ayant presque les mêmes dimensions, lui-aussi en forme de U. Le nouveau et l’ancien retrouvent le dia-loguedanslacompositiond’unefigureprécise.

Le thème de cette intervention architecturale a étédé-finiparlacomplexitéspatialeetparl’organisationplani-

Page 63: Couverture - archivesma.epfl.charchivesma.epfl.ch/2013/007/bertolini_lucca_enonce/Le passé et la... · homme est d’abord le contemporain de lui-même et de ... on ne pourrait pas

63ASSIMILATION

Vue axonométrique.

Page 64: Couverture - archivesma.epfl.charchivesma.epfl.ch/2013/007/bertolini_lucca_enonce/Le passé et la... · homme est d’abord le contemporain de lui-même et de ... on ne pourrait pas

64 DEUXIÈME PARTIE

métrique sur la base du fragment existant, dans lequel est contenu le début d’un mur d’enceinte, une sorte de clôture où l’on trouve les habitations. Le mur d’enceinte devient, dans les mains d’Ungers, le catalogue des diffé-rentes solutions liées au thème en question; de la même façon, pour la façade les variantes vont, à travers une transformation graduelle, de la forme idéale de la fenêtre jusqu’àdevenir ouverturedans la paroi et,finalement,d’une forme bidimentionnelle elles assument un volume autonome se découpant sur la façade. Le thème de l’accès, parexemple,estspécifiécommeporte,porteprincipaleet portail; celui de l’ouverture comme bande de fenêtre, bow-window,nicheou fenêtre de façade; et pourfinir,la façade même retrouve sa logique compositive dans la tripartition en socle, partie centrale et partie supérieure.

La tentative d’Ungers se fonde sur la valorisation de la réalité suivant la créativité, en relativisant les rapports stylistiques et de l’espace. En même temps le principe d’assimilationetd’adéquationàl’existantetlesréflexionsqui en dérivent portent à une différenciation de la forme architecturale. A travers cette différenciation le langage architectural se libère des obligations de la généralisation et de la réduction de la réalité, tout en reconnaissant leurs aspects constitutifs et fondamentaux: le but est celui de leurattribuerunesignificationémanantdelacompréhen-sion et la réélaboration critique. La confrontation avec un bâtiment préexistant implique l’assimilation de ses contenus, de manière à consentir l’interchangeabilité de l’ancien avec le nouveau. La différenciation de la forme architecturale permet le dialogue entre les différentes parties: ce qui existe et ce qui pourrait exister.

Ancien et nouveau ont exactement la même valeur: ils ne doivent pas être vus comme antagonistes, mais comme co-protagonistes pour atteindre une unité. Fait qui est mis en évidence même par l’utilisation de maté-riaux choisis, comme le socle en brique et le crépi blanc des parois extérieures et intérieures, si bien qu’ancien et

Page 65: Couverture - archivesma.epfl.charchivesma.epfl.ch/2013/007/bertolini_lucca_enonce/Le passé et la... · homme est d’abord le contemporain de lui-même et de ... on ne pourrait pas

65ASSIMILATION

Plan du rez-du-chaussée (la partie préexistante est en noir).

Page 66: Couverture - archivesma.epfl.charchivesma.epfl.ch/2013/007/bertolini_lucca_enonce/Le passé et la... · homme est d’abord le contemporain de lui-même et de ... on ne pourrait pas

66 DEUXIÈME PARTIE

nouveau ne sont plus deux parties différentes, mais ils s’intègrentparfaitementdansunseulédifice.Lechoixestde maintenir une hauteur identique des deux corps, en permettant au front de rue de conserver sa compacité sur les deux côtés. La cour intérieure sur laquelle donnent les appartements, de typologie classique berlinoise, devient espace de vie et de tranquillité. Le thèmede l’assimilationconduità la réaffirmation

d’une architecture qui est tout d’abord compréhension.

Page 67: Couverture - archivesma.epfl.charchivesma.epfl.ch/2013/007/bertolini_lucca_enonce/Le passé et la... · homme est d’abord le contemporain de lui-même et de ... on ne pourrait pas

67ASSIMILATION

Façade sur la Kaiser-Friedrich-Stasse.Façade sur la Schillerstrasse.

Page 68: Couverture - archivesma.epfl.charchivesma.epfl.ch/2013/007/bertolini_lucca_enonce/Le passé et la... · homme est d’abord le contemporain de lui-même et de ... on ne pourrait pas

Juxtaposition

Plan d récupération du centre-ville de TeoraGiorgio Grassi et Agostino Renna, Avellino, 1981

Teora est l’un des villages qui, en 1980, furent presque complètement détruit par le tremblement de terre de l’Irpinia. Suite à cet événement, les architectes Agostino Renna, originaire du lieu, et Giorgio Grassi sont chargés de la reconstruction. Face au cadre de dévastation qui se présente à leurs yeux, ils décident d’aborder le projet suivant une méthode qu’ils définissaient “d’apprentis-sage théorico-pratique”. Les deux architectes prennent en considération “Teora tel qu’il était”, pour décider d’en mettreenvaleurlesspécificités,descaractèresconstruc-tifs à l’adaptation naturelle des habitations au terrain: leur but est de donner de l’importance à “Teora tel qu’il est”, forcément nouveau, ne pouvant pas faire abstraction de sa condition de ruine. En interprétant le désir populaire, ils décident donc de ramener Teora à sa forme originelle, en reconstruisant où cela est possible les volumes per-dusetenretrouvantparcechoixunprofilidentitaireetreconnaissable. Pourtant, on impose une limite à la réali-sation de cette vision: une barrière technique inaliénable, c’est-à-dire la nouvelle carte sismique. La superposition des deux conditions (le plan pour Teora tel qu’il était et telqu’ilestetleplanscientifiquedeszonesàrisquesis-mique) aboutit à un dessin disjoint, diffusé, où le village vivant perd sa force par rapport à celui en ruine: il faut nécessairement que le projet soit la maille capable de re-coudre l’ancien tissu par une solution unitaire.

Le plan accepte la nouvelle imposition dictée par le tremblement de terre, en créant donc des vides là où il

Page 69: Couverture - archivesma.epfl.charchivesma.epfl.ch/2013/007/bertolini_lucca_enonce/Le passé et la... · homme est d’abord le contemporain de lui-même et de ... on ne pourrait pas

69JUXTAPOSITION

Collage d’étude de la planimétrie.

Page 70: Couverture - archivesma.epfl.charchivesma.epfl.ch/2013/007/bertolini_lucca_enonce/Le passé et la... · homme est d’abord le contemporain de lui-même et de ... on ne pourrait pas

70 DEUXIÈME PARTIE

y a une partie des ruines du village: en particulier sur l’arête entre l’église et le château on ne pourra plus construire, ce qui produira, comme on a déjà annoncé, une nouvelle forme de la ville, non connue, dont il faudra prendre conscience.

Les éléments du nouveau Teora devront entrer en re-lation avec le nouvel état de ruine des anciens, en conser-vant inaltéré leur sens et se rapprochant les uns aux autres de façon à former une locution accomplie. Ancien et nouveau, donc, seront mis en relation suivant le critère de juxtaposition: leurs différents éléments, chargés d’une même valeur, s’élèveront les uns suite aux autres, ne ré-sultant compréhensibles que dans leur ensemble.

Celui de Teora est, par conséquent, un projet par lots assumant la nécessité de posséder une architecture uni-taire qui scelle un lien évident pour combler la perte de l’ensemble physique du centre-ville. Un lien recherché à travers la continuité typologique par rapport aux traces du passé et à travers un style reconnaissable et unitaire pour ce qui est nouveau.

L’intervention de reconstruction prévoit avant tout une réappropriation du village par la construction sur les anciens tracés, ayant le but de redonner une identité reconnaissable au village. Le plan proposé prévoit de re-construire les principaux éléments constitutifs de Teora, en particulier pour ce qui concerne l’ancien centre-ville: l’église mère et le château à fonction résidentielle, situés sur l’arête de la colline pas loin des ruines des monuments qui leur correspondent, en axe l’une avec l’autre; le quar-tier Pianistrello, avec une série de blocs perpendiculaires à l’église qui les surmonte; l’école maternelle, le centre d’accueilpour lespersonnesâgéesetd’autresédificesàcaractèreassistanciel,danslazonesudduvillage,etfina-lement la barre de résidences donnant sur Via Roma, la rue commerciale.

Chaque intervention se propose de faire revivre une image de Teora tel qu’il était, tout en acceptant le Teora

Page 71: Couverture - archivesma.epfl.charchivesma.epfl.ch/2013/007/bertolini_lucca_enonce/Le passé et la... · homme est d’abord le contemporain de lui-même et de ... on ne pourrait pas

71JUXTAPOSITION

Planimétrie de l’église.

Page 72: Couverture - archivesma.epfl.charchivesma.epfl.ch/2013/007/bertolini_lucca_enonce/Le passé et la... · homme est d’abord le contemporain de lui-même et de ... on ne pourrait pas

72 DEUXIÈME PARTIE

qui est. En détail, pour les interventions qui sont en de-hors de la tâche de restituer l’ensemble originel de l’édi-ficetelqu’ilétait,ondevine lavolontéderestituerunecontinuité avec un passé, en particulier à travers les ca-ractéristiques typologiques des bâtiments substitués: dans ce sens, le remaniement du château est exemplaire. Ici, tout en réservant le bâtiment aux bureaux et aux habi-tations, on reprend l’implantation typique à quatre bras presqu’identiques entre eux, sauf pour la partie destinée aux bureaux où les galeries disparaissent, puisqu’elles sont intégréesdans lecorpsédifiépourgagnerde l’es-pace en profondeur.

Comme déjà dit, cet élément est séparé de l’église par un grand vide autrefois bâti, l’arête, qui prend toujours la forme d’un vide mélancolique. Léglise se détache en contrepoint avec le château, surmontant cet espace, comme cadre et didascalie de ce qui s’est passé. En outre, du côté de l’abside, elle entre en relation avec les ruines de l’ancien temple: dans cette proximité, celles-ci, en consti-tuant le parvis, deviennent partie du nouvel ensemble, telles qu’un mot qui s’insère dans une phrase, tout en marquant la distance entre les deux réalités.

Page 73: Couverture - archivesma.epfl.charchivesma.epfl.ch/2013/007/bertolini_lucca_enonce/Le passé et la... · homme est d’abord le contemporain de lui-même et de ... on ne pourrait pas

73JUXTAPOSITION

LeprofildeTeora.

Page 74: Couverture - archivesma.epfl.charchivesma.epfl.ch/2013/007/bertolini_lucca_enonce/Le passé et la... · homme est d’abord le contemporain de lui-même et de ... on ne pourrait pas

Spoglio

Un musée à GibellinaFrancesco Venezia, Trapani, 1981-87

Suite au tremblement de terre qui frappa Gibellina, en le détruisant, son administration décida de construire le village entier dans un autre emplacement, près de Salemi. Parmi les œuvres endommagées, on cite le Palais de Lo-renzo il Vecchio dont on décida de conserver la partie survécue à l’écroulement, en le transférant tel qu’il était dans le nouveau Gibellina.

Le projet, sous la direction de Francesco Venezia, ré-cupère la partie restante de l’ancien mur, en l’enchâssant àl’intérieurd’unnouvelédifice,demanièrequecesoitcedernier à répondre aux nouvelles relations urbaines avec le village. Car s’il était placé autrement, il incarnerait l’as-pect d’une ruine pittoresque et muette, étant complète-ment détachée de son lieu d’origine.

La nouvelle architecture conçue fait donc de cet élé-ment mur son code: elle abritera un musée, enfermé jus-tement entre l’ancienne et la nouvelle paroi, contigu à ce que l’onpeut définir un jardin secret, lui aussi entouréde murs pour créer «à l’intérieur un monde de pierre et à l’extérieurunecoqueblanche»1.

Le reste, ainsi inséré dans le nouveau contexte, main-tiendra sa nature de ruine, cet aspect de géographie au-quel il avait été réduit, dans une sorte de memento mori de l’architecture. Sa dérive est, en effet, accentuée par le positionnement du fragment sur un socle de béton qui

1 Francesco VENEZIA, Le idee e le occasioni, Mondadori Electa, Milano 2006.

Page 75: Couverture - archivesma.epfl.charchivesma.epfl.ch/2013/007/bertolini_lucca_enonce/Le passé et la... · homme est d’abord le contemporain de lui-même et de ... on ne pourrait pas

75SPOGLIO

Photomontage avec les pierrs à pie’ d’œuvre.

Page 76: Couverture - archivesma.epfl.charchivesma.epfl.ch/2013/007/bertolini_lucca_enonce/Le passé et la... · homme est d’abord le contemporain de lui-même et de ... on ne pourrait pas

76 DEUXIÈME PARTIE

produit un détachement encore plus grand entre ce qui était et ce qui est: toutefois, dans cette union entre ancien et nouveau, il paraît possible de voir germer un langage, une actualisation du discours.Venezia crée une architec-ture de spoglio, qui vit de la relation existant entre car-rière,c’est-à-direlaruine,etnouvelédifice:labeautédel’objet à la dérive, du fossile, est accueillie et enchâssée dans le vivant à travers le transfert, en créant de cette façon une résurrection de l’œuvre: «L’attractive de l’ar-chitecture de spoglio réside dans le fait qu’on crée un sys-tème pour lequel l’ordre des choses naturelles, déjà trans-formé en architecture, retourne en quelque mesure à la nature et devient donc une géographie stable où une opé-rationanaloguepeutavoirlieucommelapremièrefois»2.

Le fragment du mur de l’ancien Palais de Lorenzo il Vecchio s’insère à l’intérieur d’un long et étroit corps de bâtisse sur deux étages, qui délimite une cour elle aussi allongée,enferméeparlemêmeédificeettroismurspé-rimétraux, à laquelle on accède à travers un petit passage latéral.

Le projet, dessiné à partir du mur, est divisé en deux partiesprincipales:l’édificequiabritelerecueild’artetdesculptures de Gibellina et le jardin, encadré par rapport à la pente extérieure et qui donne l’impression d’un espace autre par rapport à l’extérieur. L’expérience de l’architec-ture se mesure donc à travers les parcours et la limite, éléments d’une importance extrême dans cette œuvre de Venezia: ils se rencontrent et s’entrelacent dans un mo-tif fait d’ombres et de lumière, de vues et d’obscurcis-sements, de fermetures et de défoncements. La rampe d’accès au musée en est un exemple: elle court le long d’un mur périmétral, pour en percer tout de suite un autre à la recherche de lumière, en déviant ensuite le long de la façade extérieure pour retrouver l’entrée à la galerie, cette fois à l’intérieur, à l’abri de quatre murs.

2 Ibidem.

Page 77: Couverture - archivesma.epfl.charchivesma.epfl.ch/2013/007/bertolini_lucca_enonce/Le passé et la... · homme est d’abord le contemporain de lui-même et de ... on ne pourrait pas

77SPOGLIO

Photo de la cour intérieure.

Page 78: Couverture - archivesma.epfl.charchivesma.epfl.ch/2013/007/bertolini_lucca_enonce/Le passé et la... · homme est d’abord le contemporain de lui-même et de ... on ne pourrait pas

Reconstruction

Restauration du théâtre romain de SagonteGiorgio Grassi, Valencia, 1985-92

«Ilyaunehéréditédenousànous-mêmes».Cespa-rolesdeLouisJouvetjustifientletravailderestitutionduthéâtre de Sagonte par Giorgio Grassi et, plus en général, la pensée de cet architecte.

Un héritage qui, pour son aspect au moment de l’in-tervention, avait perdu ses caractéristiques constitutives, soit dans son ancienne relation avec la ville soit dans sa spécificitéarchitecturale.Aucasoùsonrôleurbainetsaraison d’être architecture seraient perdus, le monument devrait reprendre à se manifester en tant que “forme re-présentative” à l’intérieur des relations urbaines et donc à s’exprimer dans sa vraie forme. Un héritage qui ne pré-servepascescaractéristiques,l’identifiantentantquetel,nous exposerait à quelque chose de muet.

Les restaurations précédentes de la cavea, la traitant comme s’il s’agissait d’une partie séparée par rapport à la totalité de l’ensemble, en ont de fait altéré la lecture, en valorisant l’image grecque du théâtre plutôt que la ro-maine, avec sa vue ouverte sur la ville: elles ont surtout restaurélaruineplutôtquel’édifice.Aucontraire,l’inté-rêt de Grassi ne se révèle pas comme goût romantique de la ruine,maiscommeréappropriationd’unefigurepré-cise, justement celle du théâtre romain.

L’objectif à la base du projet réside dans l’intention de rendre compréhensible l’ensemble du bâtiment du théâtre, en révélant les relations entre ses différentes parties, les hiérarchies, les espaces divers, dans le but de mieux comprendre, comme Grassi nous indique par ces

Page 79: Couverture - archivesma.epfl.charchivesma.epfl.ch/2013/007/bertolini_lucca_enonce/Le passé et la... · homme est d’abord le contemporain de lui-même et de ... on ne pourrait pas

79RECONSTRUCTION

Front et coupe de l’implantation scenique.

Page 80: Couverture - archivesma.epfl.charchivesma.epfl.ch/2013/007/bertolini_lucca_enonce/Le passé et la... · homme est d’abord le contemporain de lui-même et de ... on ne pourrait pas

80 DEUXIÈME PARTIE

mots: «il loro concorrere alladefinizionedi una for-il loro concorrere alladefinizionedi una for-ma architettonica articolata e complessa, ma altresì as-solutamente unitaria, qual è appunto il tipo di teatro ro-mano nella breve storia della sua costruzione e nella sua invece lunga e costante presenza nella storia delle forme dell’architettura»1.

La restitution se concrétise alors par les uvres d’achè-vement et, en même temps, de libération, où nécessaire, des structures existantes et de reconstruction des parties utilesàl’identificationduthéâtreromainetdesescarac-tères distinctifs. Ce choix orientera Grassi à considérer le projet de restauration historique comme le projet d’un théâtre romain tout court, ayant l’intention de «recueillir de l’ancien monument toute trace, toute suggestion, toute indication opérative, mais aussi sa leçon d’architecture plus générale, en essayant de tout accomplir avec cohé-rence».Parmilesélémentsquiconcourentàladéfinitiondu théâtre romain, Grassi se concentre sur la reconstruc-tion de l’implantation scénique qui, avec son front de scène démesuré,devientfigureessentielledansladéfini-tion du type. Les restes, qui étaient d’abord abrités dans le petit musée archéologique adossé à l’une des deux tours, trouvent maintenant leur vitrine dans le postscenium: des bases, des colonnes, des chapiteaux deviennent antiqua-riumetenmêmetempspartiesdelascènefixe;grâceàl’exposition des pièces en question, cette scène constitue aujourd’hui l’un de ces lieux où ancien et nouveau sont à même de dialoguer. Dans la restitution savante du théâtre romain de Sagonte Giorgio Grassi montre tout son res-pectpourlemonumentdanssaspécificité,enacceptantla responsabilité et l’initiative destinées à en retrouver la “forme perdue”.

1 Giorgio GRASSI, Scena fissa: progetto per il teatro romano di Sagunto, Lotus, n. 46,Electa,Milano1985.«Leurconcoursàladéfinitiond’uneformearchitec-«Leurconcoursàladéfinitiond’uneformearchitec-turale articulée et complexe, et pourtant unitaire, tel le théâtre romain dans la brève histoire de sa construction, mais dans sa longue et constante présence dansl’histoiredesformesdel’architecture».

Page 81: Couverture - archivesma.epfl.charchivesma.epfl.ch/2013/007/bertolini_lucca_enonce/Le passé et la... · homme est d’abord le contemporain de lui-même et de ... on ne pourrait pas

81RECONSTRUCTION

Récupération de les altitudes originaux de l’implantation scenique en septem-bre 1990, la construction en septembre 1991 et en mars et novembre 1992.

Page 82: Couverture - archivesma.epfl.charchivesma.epfl.ch/2013/007/bertolini_lucca_enonce/Le passé et la... · homme est d’abord le contemporain de lui-même et de ... on ne pourrait pas

Achèvement

Reconstruction de l’îlot de San Michele in BorgoMassimo Carmassi, Pise, 1985-2002

L’intervention de Carmassi intéresse un îlot dans le centre-ville de Pise qui fut partiellement détruit par les bombardements de la Seconde Guerre Mondiale. Il est caractérisé par la présence de l’église de San Michele, in-sérée dans le contexte médiéval, et par le couvent qui lui est relié et qui représente la partie endommagée pendant leconflit.

Au cours du projet, Carmassi cherche à établir un prin-cipe qui puisse fonder l’acte reconstitutif: c’est la tentative d’instaurer un lien fort entre la compréhension de l’exis-tant et l’invention d’un langage nouveau, à la recherche d’une sensibilité atemporelle. La synthèse qui en sort trouve sa formalisation dans l’achèvement de l’îlot sur la base de la préexistance médiévale et le résultat est une forte contextualisation du volume bâti, une intervention qui vise à la reconstruction d’une trame urbaine, sur la base des traces laissées par l’ensemble qui fut complè-tement détruit. L’existant en tant que maître, donc, à la recherche d’une approche qui exclut la possibilité d’un projet ex novo, mais plutôt qui accueille l’idée d’une re-composition attentive, ayant le but de reconstituer l’iden-tité et d’enraciner l’intervention.

Pour Carmassi, ce projet représente une possibilité pour Pisa de retrouver son essence en recousant l’une des nombreuses lacérations de son centre-ville; à travers la reconstitution de l’îlot, suivant la première typologie, la ville retrouve l’occasion d’une place: l’architecte se me-sure à une “pratique compositive critique” qui déduit du

Page 83: Couverture - archivesma.epfl.charchivesma.epfl.ch/2013/007/bertolini_lucca_enonce/Le passé et la... · homme est d’abord le contemporain de lui-même et de ... on ne pourrait pas

83ACHÈVEMENT

Photo de la cour intérieure.

Page 84: Couverture - archivesma.epfl.charchivesma.epfl.ch/2013/007/bertolini_lucca_enonce/Le passé et la... · homme est d’abord le contemporain de lui-même et de ... on ne pourrait pas

84 DEUXIÈME PARTIE

contexte et des émergences les caractères décisifs pour la construction, une pratique sensible, qui vient des ensei-gnements de Bonelli, de Muratori, de Rossi.

En suivant les tracés médiévaux émergés des fouilles archéologiques, Carmassi reconstruit les corps man-quants en créant une sorte de coulisse de clôture du côté de la rue. Elle parle un langage contemporain en repro-posant toutefois des formes historiques: par ces nouvelles “anciennes” maisons on reconstruit la dimension urbaine deViadegliOrafi,enrétablissantuncontextecongénialà la ville. En même temps, l’achèvement se préoccupe de réinterpréter la cour intérieure comme un espace-place autour de l’abside de San Michele, qui est ultérieurement encadrée par l’achèvement du corps méridional à carac-tère fortement évocatif. Carmassi veut ici exprimer la nécessité d’une confrontation par intégration de l’ancien avec le nouveau: ces deux pratiques, se fondant sur les mêmes principes et les mêmes intentions, se réunissent pour former un seul projet qui fuit la mimèsis; il s’agit d’un travail capable d’actualiser les valeurs de l’espace monumental en écrivant la continuation d’un discours interrompu, pour engendrer une architecture encore par-lante.

La longue gestation du projet commence en 1974, quand la municipalité de Pise décide de reconstruire l’îlot abattu pendant les bombardements de la Seconde Guerre Mondiale. Les architectes Gabriella et Massimo Carmassi se consacrent au projet pour plus de vingt ans, en produisant peu à peu différentes propositions jusqu’à lafinale,encollaborationavec ladirectiongénéraledesBeaux Arts.

Comme nous l’avons déjà précisé, grâce aux fouilles effectuées dans la phase préparatoire, on fait émerger lesrestesdesfondationsdesanciensédificesmédiévauxqui autrefois composaient l’îlot autour de San Michele et qui représenteront le principal point de départ pour la conception et construction du projet. La solution propo-

Page 85: Couverture - archivesma.epfl.charchivesma.epfl.ch/2013/007/bertolini_lucca_enonce/Le passé et la... · homme est d’abord le contemporain de lui-même et de ... on ne pourrait pas

85ACHÈVEMENT

Vue axonométrique.

Page 86: Couverture - archivesma.epfl.charchivesma.epfl.ch/2013/007/bertolini_lucca_enonce/Le passé et la... · homme est d’abord le contemporain de lui-même et de ... on ne pourrait pas

86 DEUXIÈME PARTIE

sée consiste en trois segments à trois étages qui complè-tent (dans les sections septentrionale et méridionale) et reconstruisent (dans la section orientale) l’implantation originelle, en délimitant une nouvelle place quadrangu-laire.

Les architectes s’imposent de reproposer une conti-nuité entre ancien et nouveau, assurée par les méthodes de bâtiment: par exemple, ils utilisent des sacs de ma-çonnerie s’appuyant aux anciennes fondations, comme si elles avaient été bâties à l’époque les ruines. Celles-ci deviennent de véritables remparts qui, presque complè-tementaveugles,fermentl’îlotàlavuefluidedelacircu-lation de la ville, en garantissant, toutefois, une certaine perméabilitéàtraverslesfissuresquirythmentlafaçade.

Dans les segments nord et sud aussi, où l’on trouve de nombreux restes anciens, on a opté pour un achèvement qui adopte les mêmes techniques, en prêtant néanmoins autant d’attention à la restauration des parties existantes. Un autre remarquable choix d’adaptation à l’ancien est l’utilisation de briques superposés sans joints, en cachant l’emploi du mortier comme si les murs avaient été bâtis à sec. Carmassi opte, en outre, pour un choix compositif intéressantquiprévoit l’utilisationdegrandesfissuresàtoute hauteur, ou sur deux étages, trompant la lecture des dalles de l’édifice, en conférant un effet hors d’échelleau construit: puisqu’à cause des nouveaux règlements sis-miques les bâtiments ne peuvent dépasser les dix mètres de hauteur, mais en même temps ils doivent entrer en relation avec les éléments de caractère monumental exis-tants, par ce stratagème larchitecte arrive à donner un as-pect unitaire à l’ensemble de l’îlot.

Page 87: Couverture - archivesma.epfl.charchivesma.epfl.ch/2013/007/bertolini_lucca_enonce/Le passé et la... · homme est d’abord le contemporain de lui-même et de ... on ne pourrait pas

87ACHÈVEMENT

Façade côté nord avec la coupe de l’église

Page 88: Couverture - archivesma.epfl.charchivesma.epfl.ch/2013/007/bertolini_lucca_enonce/Le passé et la... · homme est d’abord le contemporain de lui-même et de ... on ne pourrait pas

FragmentProjet pour le théâtre Carlo Felice Aldo Rossi e Ignazio Gardella, Gênes, 1992

«Frammentonella lingua italiana significaunpiccolopezzo staccato per frattura da un corpo qualunque. E con ci� esso esprime ancora una speranza, e come tale non conviene come rottame, che esprime una moltitudine o un aggregato di cose rotte. [...] D’altronde frammento significa letterariamenteo artisticamenteun’operaouncomponimento di cui si sia perduta gran parte, come il frammento di un libro, o l’opera stessa di un poeta di cui conosciamosoloeappuntoiframmenti.Nellorosignifi-catofisicoonellorosignificatogeneraleèindubbiochei frammenti appartengono all’architettura; e vi apparten-gono quasi come elementi costruttivi e quasi come ele-menti teorici».1

Aux yeux d’Aldo Rossi les pierres du Barabino, survé-cues à l’aveugle destruction du Théâtre Carlo Felice pen-dant la Seconde Guerre Mondiale, devaient se manifester exactement comme des fragments: dans leur inachève-ment retrouvé, elles continuent de préserver «una presenza

1 Aldo ROSSI, Frammenti, dans Alberto Ferlenga (edité par), Architetture 1959-1987, Electa, Milano 1987. «Fragment,enitalien,signifiepetitmorceaudétaché par fracture d’un corps quelconque. En ce sens il exprime encore un espoir, et en tant que tel il ne peut être un débris qui exprime une multitude ou une accumulation de choses mortes. […] D’ailleurs fragment indique littéraire-ment ou artistiquement une œuvre ou une composition dont on a perdu une grande partie, comme le fragment d’un livre ou l’œuvre même d’un poète dont onneconnaîtjustementquedesfragments.Dansleursignificationphysiqueetdansleursignificationgénéraleonnedoutepasquecesfragmentsappar-tiennent à l’architecture; et ils lui appartiennent aussi bien comme éléments constitutifsquecommeélémentsthéoriques».

Page 89: Couverture - archivesma.epfl.charchivesma.epfl.ch/2013/007/bertolini_lucca_enonce/Le passé et la... · homme est d’abord le contemporain de lui-même et de ... on ne pourrait pas

89FRAGMENT

Croquis.

Page 90: Couverture - archivesma.epfl.charchivesma.epfl.ch/2013/007/bertolini_lucca_enonce/Le passé et la... · homme est d’abord le contemporain de lui-même et de ... on ne pourrait pas

90 DEUXIÈME PARTIE

nella città come un monumento antico»2.Dans les villes italiennes, ces théâtres, par leur vie aussi

bien que par leur présence physique et architecturale, ont une grande importance. Le Théâtre Carlo Felice du Bara-bino a toujours été pour Gênes symbole et tesselle du mo-saïque urbain: la beauté et l’importance de son archtecture sont telles, du point de vue de l’histoire de l’art, qu’il est inutile d’en rappeler les valeurs. Ce qu’il est essentiel de relever, par contre, c’est la masse remarquable de pierre qui, par son grand pronaos, constitue un monument urbain, opposé et en même temps uni au Palais Ducal.

Dans un premier temps le projet de reconstruction futconfiéàCarloScarpa;danscetravailonpeutobser-ver les contenus qui fonderont le projet: la conservation de la partie néoclassique, c’est-à-dire le pronaos dorique et le portique en pierre de promontoire, le projet de la cavea intérieureet,pourfinir, ledéveloppementduvo-lume de la tour scénique, destiné à accueillir la scène et ses machines. Ce ne fut qu’après son décès qu’on charge à Rossi du projet en question: il proposait la reconstruc-tion, presque littérale, du volume extérieur donnant sur la place, tandis que le volume barabinien de la tour devait doubler, en assumant la fonction de point de repère pour Gênes toute entière.L’entrée de l’édifice est une petite place couverte,

presqu’un foyer ouvert dans la ville, auquel on peut ac-céder de différentes directions: d’ici on peut passer au hall intérieur où les escaliers, en face, amènent à la grande cavea. Dans le foyer situé au-dessus, une cavité conique traverse toute la section et dirige la lumière zénithale, re-cueillie par une lanterne polygonale, jusqu’à projeter un cercle de ciel sur la place d’accès; et c’est justement la lanterne polygonale qui se superpose à la reconstruction philologiquedel’édificeduBarabino.

2 Aldo ROSSI, I quaderni azzurri, Electa, Milano 1999. «Une présence dans lavilletellequ’unmonumentancien».

Page 91: Couverture - archivesma.epfl.charchivesma.epfl.ch/2013/007/bertolini_lucca_enonce/Le passé et la... · homme est d’abord le contemporain de lui-même et de ... on ne pourrait pas

91FRAGMENT

Vue perspective.

Page 92: Couverture - archivesma.epfl.charchivesma.epfl.ch/2013/007/bertolini_lucca_enonce/Le passé et la... · homme est d’abord le contemporain de lui-même et de ... on ne pourrait pas

92 DEUXIÈME PARTIE

Cette sorte d’objet trouvé, fait partie de la volonté de Rossidedécoupercertainsobjetsetfigurescommunsdela réalité, en leur accordant un relief imprévu tout en les chargeant d’un contenu symbolique.

La forme de la salle, en opposition au projet du Bara-bino, est celle de la cavea. Les parois de cette cavea re-présentent une partie d’une ville qui, avec ses maisons, trouve son ouverture sur la place, scène du spectacle. Lagrandesalleoccupetoutentierl’ancienédifice:lasalleestunecavea,unesuperficiedégradanteengrandesmarchesqui, du haut, descend jusqu’à la scène. Cette grande ca-vea accueille la plupart des deux mille spectateurs, tout en gardant les distances des assises dans la moyenne de celles offertes par la tradition. Un petit nombre d’autres spectateurs trouvent place dans les galeries latérales, tout en jouissant de bonnes conditions acoustiques et vi-suelles; d’autres encore peuvent se placer dans la paroi qui donne sur la scène.

Tout ce qu’on a décrit est l’architecture du théâtre; sa description se résume en principes fondamentaux, en choixprécis: l’histoire, la ville et,finalement, l’imagina-tion.

Page 93: Couverture - archivesma.epfl.charchivesma.epfl.ch/2013/007/bertolini_lucca_enonce/Le passé et la... · homme est d’abord le contemporain de lui-même et de ... on ne pourrait pas

93FRAGMENT

Coupe longitudinale.

Page 94: Couverture - archivesma.epfl.charchivesma.epfl.ch/2013/007/bertolini_lucca_enonce/Le passé et la... · homme est d’abord le contemporain de lui-même et de ... on ne pourrait pas

Manifestation

Restauration du Neues MuseumDavidChipperfield,Berlin,1997-2009

Le projet de Chipperfield fait partie d’un plan plusvastederequalificationdel’îledesmuséesàBerlin;l’ob-jet de ce plan est, en particulier, la restauration du Neues Museum, construit dans les années qui vont de 1841 à 1859par l’architecteStüler,élèvedeSchinkel.L’édifice,suite aux bombardements du second conflit mondial,avait été sérieusement endommagé dans la plupart de son ensemble, en perdant l’aile ouest toute entière.

Pendant soixante ans après la guerre, le musée perdura dans l’état de ruine et rares furent les tentatives de le ré-cupérer, ce qui en causa un niveau de dégradation qui risquait de devenir irréversible. Chipperfieldsetrouvedoncàtravaillersurunédifice

dont la condition est extrêmement dégradée; cependant, une fois éliminés les facteurs biologiques de détérioration et les conséquences de cette grave incurie, il décide d’as-sumer cet état de fait comme une valeur pour le projet de restauration, de façon à le transformer en caractère essentieldel’édifice.

L’approche prévoit un point de vue tout particulier. Il établit, en effet, de conduire la restauration en suivant deux voies apparemment bien distinguées: d’un côté il in-tervient selon une méthodologie archéologique, tirée de la Charte de Venise, par laquelle il garde tout fragment de l’histoire comme le conte d’une “histoire vivante”1, qui

1 Fulvio IRACE, David Chipperfield, Mondadori Electa, Milano 2011.

Page 95: Couverture - archivesma.epfl.charchivesma.epfl.ch/2013/007/bertolini_lucca_enonce/Le passé et la... · homme est d’abord le contemporain de lui-même et de ... on ne pourrait pas

95MANIFESTATION

Photo de l’intérieur.

Page 96: Couverture - archivesma.epfl.charchivesma.epfl.ch/2013/007/bertolini_lucca_enonce/Le passé et la... · homme est d’abord le contemporain de lui-même et de ... on ne pourrait pas

96 DEUXIÈME PARTIE

cherche à faire pénétrer l’ancien dans la contemporanéité; de l’autre côté, il travaille par l’insertion d’éléments nou-vellement construits, qui oublient le nostalgique “où il était, comme il était” pour faire face à la complexité d’une confrontation avec l’histoire et avec l’œuvre de Stüler.ÀtraverssonprojetChipperfieldveutrendremanifeste

une histoire: non seulement en cherchant à conserver presque pathologiquement tout signe de la vie passée de l’édifice (même les trousdesprojectiles),mais aussien cherchant à l’expliciter et à la rendre éloquente grâce justement aux interventions de reconstruction, qui de-viennent la trame sur laquelle “retisser les fils coupés”du vieux musée. Les nouveaux volumes, en effet, sont conçus comme des parois aptes à la recomposition d’une mosaïque de l’histoire où chaque reste est enchâssé dans le nouveau support ayant une sensibilité contemporaine.

L’architecture même, dans sa relation entre ancien et nouveau, devient musée: c’est par la manifestation des restes, l’exaltation des traumatismes passés, le langage du collage qu’on véhicule le message de l’histoire. Le nou-vel ensemble devient donc une exposition explicite du temps qui s’est écoulé: en parcourant les salles, on voit comment ancien et nouveau se fondent l’un avec l’autre dans la manifestation éclatante d’un passé qui ne refuse pas le contemporain en l’intégrant en lui-même, dans le but de devenir l’expression d’une mémoire typiquement berlinoise.

La restauration du Neues Museum consiste surtout dans la reconstruction de l’aile manquante et dans la réparation du volume originel. Chipperfield adopte lesprincipes de la Charte de Venise, dans l’effort de ne pas altérer, par son intervention, la lecture des faits histo-riques et temporels “imprimés” dans l’édifice. En fai-sant ainsi, la restauration de l’existant se base principa-lementsur larequalification, lenettoyageet lemaintiendesaspectsexistants,enlesmodifiantseulementencasd’extrême nécessité (par exemple, danger structurel) ou

Page 97: Couverture - archivesma.epfl.charchivesma.epfl.ch/2013/007/bertolini_lucca_enonce/Le passé et la... · homme est d’abord le contemporain de lui-même et de ... on ne pourrait pas

97MANIFESTATION

Façade d’entrée.

Page 98: Couverture - archivesma.epfl.charchivesma.epfl.ch/2013/007/bertolini_lucca_enonce/Le passé et la... · homme est d’abord le contemporain de lui-même et de ... on ne pourrait pas

98 DEUXIÈME PARTIE

pour en favoriser la recevabilité de la part du public (par exemple, la restauration des écritures laissées par les sol-dats sur les murs).

Dans le remaniement de l’aile nord-ouest, l’architecte reprend le dessin du plan de Stüler, en reproposant la même séquence d’espaces, de façon à créer une conti-nuité avec la structure existante, sans pourtant reproduire une copie de ce qui était, mais plutôt en en mettant à jour l’expression. Il s’agit en général d’une opération de “rem-plissage de vides”, dans le but évident d’emphatiser les restes et la matières originelle sans vouloir l’imiter, en adoptant une architecture silencieuse de fond.

Le matériau par lequel on complète l’existant est une brique de récupération qui repropose donc la matière de constructiondel’édificedeStülerquipourtant,danssaversion intacte, était recouvert de plâtre, de décorations ou de marbres: maintenant, ce matériau de base se rend manifestedansdedifférentessectionsdel’édifice.Pource qui concerne les parties ajoutées, par contre, Chipper-fieldchoisit l’emploidebétonpréfabriqué,composédeciment blanc mélangé à des éclats de marbre, qui acquiert un caractère décidément nouveau.

Page 99: Couverture - archivesma.epfl.charchivesma.epfl.ch/2013/007/bertolini_lucca_enonce/Le passé et la... · homme est d’abord le contemporain de lui-même et de ... on ne pourrait pas

99MANIFESTATION

Photo de l’intérieur.

Page 100: Couverture - archivesma.epfl.charchivesma.epfl.ch/2013/007/bertolini_lucca_enonce/Le passé et la... · homme est d’abord le contemporain de lui-même et de ... on ne pourrait pas

ConclusionTutelle de la beauté

On a jusqu’ici discuté de la nécessité de fonder un rap-port dialectique entre œuvre de l’ancien et œuvre du nou-veau: pour consentir à nos monuments d’exister dans une continuité historique, on doit tout faire pour les main-tenir vivants. On conservera donc le monument, on en ressuscitera le langage, on le rendra de nouveau parlant, dans le but d’en augmenter le contenu. Cependant, un autre problème se présente, celui d’insérer cette enquête dans un discours plus vaste concernant non seulement le monument, mais la ville tout entière. Que veut dire res-taurer un centre-ville? Quel est le rôle du monument dans cette évolution?

Le projet de restauration du monument est un facteur marquant du développement de la ville pour deux raisons fondamentales: tout d’abord parce que le monument est symbole, incarnation d’une mémoire collective, et ensuite parce qu’il est œuvre, individualité qui renferme en elle même l’idée de la ville; et ces deux caractéristiques, in-dissolublement liées, en font un élément primaire du dis-cours urbain.

Considérons avant tout que par le terme mémoire on fait référence à ce qu’on a dit sur ce thème tout au long denotreétude:alors,onpeutaffirmerque,silamémoire individuelle se formalise grâce aux mains de l’artiste, qui impose sa propre sensibilité et vision de l’objet, la collec-tive ne trouve sa raison d’être forme que dans la ville par moyen de la société, qui devient donc auteur et destina-tairedelatransfiguration.

Page 101: Couverture - archivesma.epfl.charchivesma.epfl.ch/2013/007/bertolini_lucca_enonce/Le passé et la... · homme est d’abord le contemporain de lui-même et de ... on ne pourrait pas

101TUTELLE DE LA BEAUTÉ

Collectivité et locus instaurent donc une relation qui ne restevivantequ’àtraverslatransformation,l’affirmationde l’écoulement du temps, une relation qui concerne non seulement le lieu physique, mais aussi l’idée de lieu et trouve sa concrétisation, résistant au temps, dans ce que Rossi appelle fatti unici1, faits uniques.

C’est dans les caractères constitutifs de la ville qu’on identifiecespermanences:sesmonuments,sesaxesfon-dateurs, son architecture. Ce sont des éléments indivi-duels qui, toutefois, dans leur ensemble, concourent à l’architecture de la ville et, s’il est possible de les étudier d’un point de vue strictement architectural, on ne peut pas nier que leur principal intérêt est d’être considérés du point de vue urbain: ils trouvent leur force dans la perma-nence et dans leur propre renouveau, jusqu’à devenir un “morceau de ville”2.

Certes les monuments sont des éléments architectu-raux, ayant leur propre valeur, mais ils sont aussi des fac-teurs urbains, puisqu’ils résument dans leur existence une vastepluralitéderapportsetdesignifications.Ilspossè-dent une double nature: d’un côté ils sont des catalyseurs du processus dynamique urbain, de l’autre ils en sont les freins. C’est justement la raison qui les rend des faits urbains primaires: bien qu’au cours du temps ils puissent perdre leur structure fonctionnelle, que leur utilisation puisse changer souvent ou se perdre complètement, leur rôle dans le tissu urbain, leur valeur dispositionnelle restera lamême,desortequ’elleengendreetinfluenceledéve-loppement et l’évolution de la ville à travers sa présence. C’est donc la forme la valeur essentielle des monuments, carc’estd’ellequesortentdesinfluencescapablesdedé-terminer dans quel sens il serait convenable de dévelop-per la ville, la forme représentant le seul pivot capable derésisteraufluxeévolutif descentres-villes,continuel

1 Aldo ROSSI, L’architettura della città, Quodlibet Abitare, Macerata 2011.2 Ibidem.

Page 102: Couverture - archivesma.epfl.charchivesma.epfl.ch/2013/007/bertolini_lucca_enonce/Le passé et la... · homme est d’abord le contemporain de lui-même et de ... on ne pourrait pas

102 CONCLUSION

et inéluctable: «le vieux Paris n’est plus (la forme d’une ville/changeplusvite,hélas!quelecœurdunmortel)»3.

On peut donc parler de l’importance de la beauté de l’œuvre d’architecture, de sa forme, de son style. Et c’est précisément grâce à ce caractère que les monuments qui nous sont parvenus sont devenus des permanences dans le tissu urbain, une valeur plus forte que celle de mémoire, document et environnement. La forme est donc architec-ture, le langage critique et compositif de la ville et c’est par la forme que les éléments primaires se distinguent par leur exceptionnalité, en déterminant la beauté de la ville.

Dans la réalité que nous habitons, ces idées semblent perdues: la spéculation, la diffusion de modèles généraux, l’occupation indiscriminée du territoire sont le nouveau paradigme du développement urbain, depuis longtemps assujetti à des dynamiques d’entreprise. La forme de la ville italienne aperdu sa valeur d’œuvred’art planifiée,elle ne vit que de son extension isotrope, obsédée par l’idée de métropole. Dans ce contexte il n’est plus pos-sible de retrouver la construction d’une architecture qui fonde la ville, qui soit à même d’exprimer les rapports sociaux qui existent entre citoyen et état: cette perte de sens, de directionnalité, de forme fortifie l’affirmationvenant du Siècle des Lumières que si la ville n’a pas de signification,lavilledoitavoirunesignification.Etc’estseulementparlacréationd’unementalitéfidèleàlabeau-té, qui sache la distinguer, qu’on pourra garder la ville et son sens: instituer une tutelle de la beauté, qui ne refuse pas le changement, mais qui sache promouvoir une évolution dans la continuité, qui se soustraie à l’expérimentalisme égoïste d’une ville désormais mystificatrice de l’expé-rience historique.

Pour cette raison les monuments sont essentiels à la ville et au changement dont elle nécessite : ils enseignent

3 Charles BAUDELAIRE, Tableaux Parisiens, LXXXIX, Le Cigne, dans Les fleurs du mal, Poulet-Malassis et De Broise, Paris 1861.

Page 103: Couverture - archivesma.epfl.charchivesma.epfl.ch/2013/007/bertolini_lucca_enonce/Le passé et la... · homme est d’abord le contemporain de lui-même et de ... on ne pourrait pas

103TUTELLE DE LA BEAUTÉ

l’histoire, ils parlent le langage de la mémoire, mais sur-tout ils se montrent comme œuvre de l’homme, œuvre de la ville. Ceux-ci ont été et devraient être les contenus de l’architecture. Seulement le projet, en tant qu’instrument d’enquêtecritique,peutêtrelasolutionàlasuperficialitécontemporaine de la construction: il représente une prise de responsabilité par rapport à l’existant, à une culture, et l’architecte ne peut pas se dérober à la tentative de pro-duire un dialogue avec sa propre histoire. Il y a, en effet, une fracture entre un regret passé jamais réversible et un présent accepté, mais non partagé: et l’architecture peut trouver une solution à «questa lacerazione attraverso il progetto che pu� essere realtà esistente ed immaginata allo stesso tempo»4.

Le monument est donc un facteur compositif, pour lequel, si c’était nécessaire, la reconstruction et l’achève-ment (suivant les critères exposés tout au long de ce tra-vail) seraient les seules solutions possibles: faire dialoguer ancien et nouveau est le devoir de l’architecte par rapport à la ville, le seul moyen de survie dans la même que l’his-toire nous ait enseigné.

La restauration est donc une question d’architecture: c’est l’architecture qui se met en relation avec elle-même. Le travail des auteurs de projets doit viser à recréer une relation du monument avec la vie de la ville, à en favo-riser la réacquisition d’un rôle social, d’une fonction à l’intérieur de la quotidienneté d’un pays, en évitant qu’il se transforme en une image sans contenu: «La città con la sua architettura si deve misurare alle opere del suo passato»5.

4 Agostino RENNA, L’illusione e i cristalli, Clear, Roma 1980. «Cette lacération à travers le projet qui peut être réalité existante et en même temps imaginée».

5 Giorgio GRASSI, La costruzione logica dell’architettura, Marsilio Editori, Ve-nezia 1967. «La ville avec son architecture doit se mesurer aux œuvres de son passé».

Page 104: Couverture - archivesma.epfl.charchivesma.epfl.ch/2013/007/bertolini_lucca_enonce/Le passé et la... · homme est d’abord le contemporain de lui-même et de ... on ne pourrait pas
Page 105: Couverture - archivesma.epfl.charchivesma.epfl.ch/2013/007/bertolini_lucca_enonce/Le passé et la... · homme est d’abord le contemporain de lui-même et de ... on ne pourrait pas

Bibliographie

Page 106: Couverture - archivesma.epfl.charchivesma.epfl.ch/2013/007/bertolini_lucca_enonce/Le passé et la... · homme est d’abord le contemporain de lui-même et de ... on ne pourrait pas
Page 107: Couverture - archivesma.epfl.charchivesma.epfl.ch/2013/007/bertolini_lucca_enonce/Le passé et la... · homme est d’abord le contemporain de lui-même et de ... on ne pourrait pas

Bibliographie

Ambrogio ANNONI, Scienza ed arte del restauro architettonico: idee ed esempi, Framar, Milano 1946.

Walter BENJAMIN, L’opera d’arte nell’epoca della sua riproducibilità tecnica. Arte e società di massa, Enrico Filippini (trad. edité par), Einaudi, Torino 1998.

Nicolas BERDIAEFF, Cinque meditazioni sull’esistenza, Bompia-ni, Milano 1942.

Henri BERGSON, Introduzione alla metafisica, Laterza, Bari 1987.Henri BERGSON, Saggio sui dati immediati della coscienza, dans

Opere 1889-1896, Pier Aldo Rovatti (edité par), Mondadori, Milano 1986.

Renato BONELLI, Architettura e restauro, Pozza, Venezia 1959.Renato BONELLI, Il restauro architettonico, dans Cesare Brandi

et alii, mot Restauro, in Enciclopedia Universale dell’Arte, vol. XI, Venezia-Roma 1963.

Cesare BRANDI, Teoria del restauro, Einaudi, Torino 2000.Giovanni CARBONARA, Avvicinamento al restauro: teoria, storia,

monumenti, Liguori, Napoli 1997.Monica CENTANNI (edité par), L’originale assente, Bruno

Mondadori, Milano 2005.Adriano CERNOLDI et Marco RAPPOSELLI, Massimo Car-

massi: Pisa. Ricostruzione di San Michele in Borgo, Quaderni IUAV, Il Poligrafo, Padovo 2005.

Pierluigi CERVELLATI, L’arte di curare la città, Il Mulino, Bo-logna 2000.

Giovanna CRESPI e Nunzio DEGO, (edité par), Opere e progetti di Giorgio Grassi, Mondadori Electa, Milano 2004.

Giuseppe CRISTINELLI e Vittorio FORAMITTI (edité par),

Page 108: Couverture - archivesma.epfl.charchivesma.epfl.ch/2013/007/bertolini_lucca_enonce/Le passé et la... · homme est d’abord le contemporain de lui-même et de ... on ne pourrait pas

108 BIBLIOGRAPHIE

Il restauro tra identità e autenticità: atti della tavola rotonda “i princi-pi fondativi del restauro”, Marsilio editori, Venezia 2000.

Giampiero CUPPINI, Progettare nel costruito: recupero e restauro nelle città storiche, Moretti & Vitali Editori, Bergamo 1999.

Francesco DAL CO, Aldo Rossi. I quaderni azzurri, Mondadori Electa, Milano 1999.

Ignasi DE SOLÀ MORALES, Dal contrasto all’analogia, dans «Lotus»,avril-mai-juin1985,n.46,pp.36-45.

Nicola DELLEDONNE et Barbara STASI, Óneiros. La città come macchina mnemonica, in Gianluigi Ciotta (edité par), Arche-ologia e architettura, tutela e valorizzazione: progetti in aree antiche e medievali, Aión Edizioni, Genova 2009.

Francesco DOGLIONI, Nel restauro: progetti per le architetture del passato, Marsilio editori, Venezia 2008.

Hans DÖLLGAST, Hans Döllgast 1891-1974, Callwey, Monaco 1987.

Alberto FERLENGA, Antico e nuovo: architetture e architettura, Il poligrafo, Padova 2007.

Alberto FERLENGA (edité par), Aldo Rossi Opera Completa I, II, III, Mondadori Electa, Milano 1982-1996.

Henri FOCILLON, Vita delle Forme, Piccola Biblioteca Einaudi, Torino 2002.

Ignazio GARDELLA, Aldo ROSSI, Fabio REINHART e Angelo SIBILLA, Dalla storia all’immaginazione: Progetto per il Teatro Carlo Felice di Genova, dans«Lotus»,avril-mai-juin1984,n. 42, pp. 12-25.

Marco GIAMBRUNO (edité par), Per una storia del restauro urba-no, Edizione Cittàstudi, Novara 2011.

Vittorio GREGOTTI, Questioni di Architettura, Einaudi, Torino 1986.

Giorgio GRASSI, La costruzione logica dell’architettura, Marsilio editori, Venezia 1967.

Giorgio GRASSI, Il progetto di intervento sul Castello di Abbiategras-so e la questione del restauro, dans «EdiliziaPopolare», juillet-août 1973, n.113, pp. 56-66.

Giorgio GRASSI, Scena fissa: progetto per il teatro romano di Sagunto, dans«Lotus»,avril-mai-juin1985,n.46,pp.7-21.

Page 109: Couverture - archivesma.epfl.charchivesma.epfl.ch/2013/007/bertolini_lucca_enonce/Le passé et la... · homme est d’abord le contemporain de lui-même et de ... on ne pourrait pas

109BIBLIOGRAPHIE

Giorgio GRASSI, A proposito di Sagunto,dans«Casabella»,juil-let-août 1996, n. 636, pp. 58-63.

Martin HEIDEGGER, Dell’origine dell’opera d’arte e altri scritti, Aestetica Preprint Centro Internazionale Studi di Estetica, Palermo 2004.

Victor HUGO, Guerra ai demolitori, Sandro Veronesi (trad. edité par), Millelire Edizioni, Fano 1993.

Fulvio IRACE, David Chipperfield, Mondadori Electa, Milano 2011.

Jaques LE GOFF, Storia e Memoria, Torino, Einaudi, 1977.Carlos MARTÍ ARÍS, La cèntina e l’arco: pensiero, teoria, progetto in

architettura, Christian Marinotti Edizioni, Milano 2007.Carlos MARTÍ ARÍS, Le variazioni dell’identità: il tipo in architettu-

ra, CittàStudi Edizioni, Torino 1994.Patrizia MONTINI ZIMOLO, Il progetto del monumento: tra me-

moria e invenzione, Edizioni Gabriele Mazzotta, Milano 2000. Winfried NERDINGER, Hans Döllgast: ricostruzione della Alte

Pinakothek a monaco, dans «Casabella», juillet-août 1996, n.636, pp. 46-55.

Pierluigi NICOLIN (edité par), Oswald Mathias Ungers: Architet-tura come tema, Quaderni di Lotus, Electa, Milano 1982.

Christian NORBERG-SCHULZ, Genius Loci. Paesaggio, ambiente, architettura, Electa, Milano 1979.

Bruno PEDRETTI (edité par), Il progetto del passato, memoria, conservazione, restauro, architettura, Edizioni scolastiche Bruno Mondadori, Milano 1997.

Paolo PERULLI, Visioni di Città, le forme del mondo spaziale, Pic-cola Biblioteca Einaudi, Torino 2009.

Antoine Chrysostome QUATREMÈRE DE QUINCY, mot Restaurare, dans Dizionario storico di architettura, Fratelli Negretti, Mantova 1842-44, vol. II

Agostino RENNA, L’illusione i cristalli, Clear, Roma 1980.Alois RIEGL, Il culto moderno dei monumenti, Carte d’artisti 128,

Abscondita, Milano 2011.Aldo ROSSI, L’architettura della città, Quodlibet Abitare, Mace-

rata 2011.John RUSKIN, Le sette lampade dell’architettura, avec presentation

Page 110: Couverture - archivesma.epfl.charchivesma.epfl.ch/2013/007/bertolini_lucca_enonce/Le passé et la... · homme est d’abord le contemporain de lui-même et de ... on ne pourrait pas

110 BIBLIOGRAPHIE

de R. Di Stefano, Jaca Book, Milano 1982. Annalisa TRENTIN (edité par), Oswald Mathias Ungers:una scuo-

la, Mondadori Electa, Milano 2004.Oswald Mathias UNGERS, O. M. Ungers 1951-1984 Bauten und

Projekte, Vieweg, Braunschweig/Wiesbaden 1985.Oswald Mathias UNGERS, Nuovo ingresso alla Kaiserthermen, dans«Casabella»,fevrier2008,n.763,pp.58-63.

Giuseppe VALADIER, Narrazioneartisticadell’operatofino-ra nel ristauro dell’arco di Tito, lu dans l’Accademia Romana di archeologia, 20 décembre 1821.

Francesco VENEZIA, Le idee e le occasioni, Mondadori Electa, Milano 2006.

AA. VV., David Chipperfield 1991-2006, El Croquis Editorial, Madrid 2006.

Page 111: Couverture - archivesma.epfl.charchivesma.epfl.ch/2013/007/bertolini_lucca_enonce/Le passé et la... · homme est d’abord le contemporain de lui-même et de ... on ne pourrait pas
Page 112: Couverture - archivesma.epfl.charchivesma.epfl.ch/2013/007/bertolini_lucca_enonce/Le passé et la... · homme est d’abord le contemporain de lui-même et de ... on ne pourrait pas