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Master 2 de Sciences et Technologies, mention Aménagement, Urbanisme et Développement des Territoires Spécialité Construction et Aménagement durable Cultivons l’espace ! Ou comment les activités illégales de jardinage participent à la production matérielle et immatérielle de la cité. Cas du Québec. Mémoire présenté et soutenu par Romaric LESAINT le 29 septembre 2014 à Montréal Année universitaire 2013-2014 Tuteur universitaire : Monsieur Franck BODIN Tuteurs professionnels : Madame Giuliana PIAGGIO et Monsieur Benoit BERNIER Organisme : Les Pousses Urbaines Lieu : Montréal, Québec, Canada

Cultivons l’espace ! Ou comment les activités illégales de jardinage participent à la production matérielle et immatérielle de la cité. Cas du Québec (2014)

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Les initiatives de guérilla jardinière comme actions citoyennes volontaires, collectives ou individuelles, visant à jardiner illégalement sur un terrain public ou privé jugé négligé ou sous-utilisé semblent proposer une redéfinition des modes de production de l’urbain. Las des procédures et du rôle de spectateur confié par les autorités publiques, des citoyens passent à l’action pour investir l’espace public ou privé d’initiatives concrètes qui répondent à un besoin existant et local. Dans l’espace réglementé et standardisé des villes construites selon les principes capitalistes d’adaptation aux exigences industrielles, les jardiniers guérilleros bousculent les règlements et les rôles. Véritables producteurs de l’urbain, des aménagements illégaux sont aujourd’hui institutionnalisés par les pouvoirs publics. Un processus étonnant qu’il apparait intéressant d’analyser.Rédaction : Romaric LesaintDe Mai à Août 2014 (4 mois)Soutenance : Septembre 2014

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Master 2 de Sciences et Technologies, mentionAménagement, Urbanisme et Développement des Territoires

Spécialité Construction et Aménagement durable

Cultivons l’espace !Ou comment les activités illégales de jardinage participent à la

production matérielle et immatérielle de la cité.Cas du Québec.

Mémoire présenté et soutenu par Romaric LESAINTle 29 septembre 2014 à Montréal

Année universitaire 2013-2014

Tuteur universitaire : Monsieur Franck BODINTuteurs professionnels : Madame Giuliana PIAGGIO et Monsieur Benoit BERNIEROrganisme : Les Pousses UrbainesLieu : Montréal, Québec, Canada

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Remerciements

Tout d’abord, je souhaite adresser mes plus sincères remerciements à mes collègues des Pousses Urbaines, Anne-Julie, Audrey, Laura, Sebastián et Sylvain pour leur ouverture, leur simplicité et leur disponibilité. C’est dans ce contexte favorable que j’ai pu mener à bien la présente entreprise.

Je remercie tout particulièrement Madame Giuliana PIAGGIO, Directrice Générale des Pousses Urbaines par intérim pour sa confiance et Monsieur Benoit BERNIER, Directeur Général depuis août 2014 pour son écoute.

Un remerciement tout particulier à Monsieur Franck BODIN, Enseignant-chercheur à l’Institut d’Urbanisme et d’Aménagement de Lille 1 pour la direction du présent mémoire. Dès les prémices des travaux de recherches à Lille, Monsieur BODIN fut à l’écoute et d’une critique inspirée.

Mes remerciements ne seraient pas complets sans intégrer l’ensemble des collègues et amis de la Société de Développement Environnementale de Rosemont.

Enfin, un chaleureux remerciement collectif à tous les jardiniers-guérilleros québécois pour leurs initiatives inspirantes et audacieuses pour l’avenir de la production urbaine.

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Table des matièresRemerciements 4

Propos introductifs 7

1. Une guerre au sein de la ville ? 82. Une offensive contre un ordre établi ? Précision sémantique et essai de définition 103. De la production de l’urbain : le questionnement originel 144. Méthodologie et plan de travail 16

Chapitre premier : au-delà de l’illégalité 18

1. Une courte histoire du mouvement 22 2.1. De la privatisation des terres communales en Angleterre : Le mouvement des enclosures... 22 2.2. ... au racines contemporaines de la guérilla jardinière 232. Intentions des jardiniers guérilleros 25 2.1. Récolter 26 2.2. Embellir 26 2.3. Dénoncer 283. Quels constats de ces intentions 31

Chapitre second : de l’illégalité à la légalité : une production urbaine autonome et singulière. Quatre exemples québécois 34

1. Le potager de Drummondville 36 1.1. Situation et contexte 36 1.2. Impact sur le processus de fabrication de la ville 382. Les saillies de trottoirs de la rue Holt à Montréal 39 2.1. Situation et contexte 39 2.2. Impact sur le processus de fabrication de la ville 413. Le Jardin de la Liberté à Pointe Saint-Charles à Montréal 43 3.1. Situation et contexte 43 3.2. Impact sur le processus de fabrication de la ville 464. Le Champ des Possibles dans le quartier du Mile-End à Montréal 48 4.1. Situation et contexte 48 4.2. Impact sur le processus de fabrication de la ville 505. Les conditions de légalisation 52

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Chapitre troisième : de nouveaux paradigmes urbains 55

1. De la guérilla jardinière à l’urbanisme temporaire 57 1.1. Un exemple d’urbanisme temporaire à l’échelle d’une ville : The Buffalo Green Code 582. De la guérilla jardinière à l’urbanisme permaculturel 60 2.1. Le mouvement des Villes en Transition 623. Quels rôles pour les professionnels de l’urbain ? 64

Conclusion 66

Bibliographie 69

Webographie sélective 73

Annexes 74

Annexe 1 : Manifeste du groupe Guerrilla Gardening France 75Annexe 2 : document de synthèse des Amis du Champ des Possibles 77

Résumé 85

Abstract 86

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propos introductifsLa guerre est l’occupation normale de l’homme...

la guerre et le jardinage.

Winston Churchillcité par Siegfried Sassoon, Siegfried’s journey 1916-1920

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1. Une guerre au sein de la ville ?

En 2006, la BBC1 annonce qu’un groupe de guérilleros anglais «mène une lutte territoriale» dans le sud de Londres. «Armés de pelles», ils agissent et progressent de nuit précise le journal. Quelques mois plus tard, le Financial Times2 prend acte qu’une mystérieuse «brigade des pelles révolutionnaires» serait en action et gagnerait du terrain à Londres, puis, c’est au tour de CNN3 de s’intéresser à l’offensive et de dévoiler qu’ils mènent des «missions secrètes au clair de lune». Peu après, un article de Courrier International4 titrait de façon prémonitoire «Place aux guérilleros “verts”». Le journaliste relate : «En avril dernier, le mot est lancé sur Internet. Les invitations courent sur Facebook. Tout sera préparé à l’aide d’un manuel détaillé obtenu sur la Toile, confectionné avec les moyens du bord. Puis, on décidera du jour de l’attentat à la bombe…». En quelques mois, les hostilités semblent avoir gagnées en intensité et en 2011, un journaliste de myeurop.info5 annonce, sans ménagement que «La Guerilla Gardening passe à l'offensive à Paris et Berlin». Stupeur dans les rédactions. Certains journalistes ne cachent pas leur sympathie pour la campagne, à l’image de ce journaliste de Rue896 qui titre «Aux armes, jardiniers  !». Quelques semaines plus tard, «l'armée des plantes» semble gagner du terrain analyse citazine.fr7...

Mais alors, serions-nous donc en temps de guerre ?

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1 BBC News, 2006,Guerrilla gardeners wage turf war, article publiée le 21 Mars 2006, en ligne, http://news.bbc.co.uk/2/hi/uk_news/england/london/4828396.stm, consulté le 15 août 2014

2 Busch, Simon, 2007, The subversive spade brigade, article publié dans le Financial Times le 8 septembre 2007, en ligne, http://www.goodatmagic.com/ggmedia/gg_FinancialTimes8Sep07.pdf, consulté le 15 août 2014

3 Farrar, Lara, 2008, Guerrilla gardeners green their city on secret moonlit missions, article publié sur CNN.com le 20 juin 2008, en ligne, http://www.cnn.com/2008/TECH/06/20/guerr.garden/index.html?_s=PM:TECH, consulté le 15 août 2014

4Paré, Isabelle, 2009, Place aux guérilleros “verts”, article publié dans Courrier International le 29 octobre 2009, en ligne, http://www.courrierinternational.com/article/2009/10/29/place-aux-guerilleros-verts, consulté le 15 août 2014

5 Koetschet, Maud, 2011, La Guerilla Gardening passe à l'offensive à Paris et Berlin, article publié sur MyEurop.info le 23 juillet 2011, en ligne, http://fr.myeurop.info/2011/07/23/la-guerilla-gardening-passe-a-l-offensive-a-paris-et-berlin-3010, consulté le 15 août 2014

6 Conteney, Anne-Julie, USA  : la « guerilla gardening » essaime. Aux armes, jardiniers  !, USActivist et Rue89, publié le 4 Mai 2011, en ligne, http://blogs.rue89.nouvelobs.com/usactivist/2011/05/04/la-guerilla-gardening-essaime-aux-armes-jardiniers-201717, consulté le 15 août 2014

7 Duchemin, Dorothée, 2011, L’armée des plantes, article publié sur Citazine.fr, en ligne, http://www.citazine.fr/article/larm-e-des-plantes, consulté le 15 août 2014

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« Camarades guérilleros, amis jardiniers-clandestins, armez-vous de vos bombes à graines et semez les germes de la résistance ! Semez pour résister ! La guerre des pousses est déclarée ! »

Cette locution imaginaire pourrait-être celle d’un jardinier-guérillero durant une action de guerrilla gardening ou guérilla jardinière de grande ampleur. Mobilisant ses troupes, il exalterait une foule de guérilleros prêt à tout pour investir un terrain vague et cultiver le champ de bataille.

Si ses camarades anglophones préféreront les termes seed bombs, gardening war zone, guerrilla gardening, green gardening ou seed bombing pour électrifier leurs troupes, un champ lexical guerrier est unilatéralement utilisé pour qualifier ces actions volontairement illégales.

Des rédactions internationales au champ lexical des jardiniers-guérilleros, il semblerait bien que les hostilités gagnent en intensité et que le cessez-le-feu est loin d’être acquis...

Arrêt-on nous un instant sur le phénomène.

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2. Une offensive contre un ordre établi ? Précision sémantique et essai de définition

Pour comprendre le phénomène, penchons-nous un instant sur l’étymologie du terme guérilla jardinière.

La dernière édition du dictionnaire de l’Académie Française8 nous enseigne que le mot guérilla est apparu au XIXe siècle dans la langue française. Emprunté de l'espagnol guerrilla, «petite formation militaire», diminutif de guerra (de même origine que guerre), son sens premier décrit un corps franc ou une bande de partisans.

Sa définition moderne évoque davantage une «guerre de harcèlement menée par des bandes de partisans contre les troupes régulières.»9. Nous retiendrons ici la dichotomie entretenue par les termes opposant des «bandes de partisans contre» des «troupes régulières». Une guérilla est donc un combat social et politique à l'initiative de «bandes» («Groupe d'hommes armés, rangés sous la même bannière, guerroyant de façon régulière ou non»10, «compagnie de gens»11) «de partisans» («Personne qui soutient un parti, se déclare en faveur de quelqu'un, en épouse la cause et en prend la défense»12) contre des «troupes» («groupe régulier et organisé de soldats»13) «régulières» («Qui est conforme à la règle», synonyme dans le domaine administratif, juridique ou politique de «en règle, réglementaire»14). Un combat entre d’un côté des hommes qui défendent une cause, ici non-réglementaire, et, de l’autre, des hommes qui défendent la règle.

De son côté, le mot jardinière, adjectif dérivé de jardin, décrit ce qui «est relatif aux jardins», c’est à dire, un «lieu découvert, ordinairement clos, le plus souvent attenant à une habitation, dans lequel on cultive des légumes, on plante des fleurs, des arbres, etc.»15

La première définition française du terme qui nous est parvenue date du XIIe siècle. Un jardin était alors considéré comme un «terrain, généralement clos, où l'on cultive des

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8 Centre National de ressource textuelle et lexical, 2014, Entrée «guérilla», en ligne, http://www.cnrtl.fr/definition/academie9/gu%C3%A9rilla, consulté le 19 juillet 2014.

9 ibid. 8.

10 Centre National de ressource textuelle et lexical, 2014, Entrée «bande», en ligne, http://www.cnrtl.fr/definition/bande, consulté le 19 juillet 2014.

11 Centre National de ressource textuelle et lexical, 2014, Entrée «bande», en ligne, http://www.cnrtl.fr/definition/academie9/bande, consulté le 19 juillet 2014.

12 Centre National de ressource textuelle et lexical, 2014, Entrée «partisan», en ligne, http://www.cnrtl.fr/definition/academie9/partisan, consulté le 19 juillet 2014.

13 Centre National de ressource textuelle et lexical, 2014, Entrée «troupe», en ligne, http://www.cnrtl.fr/definition/troupe, consulté le 19 juillet 2014.

14 Centre National de ressource textuelle et lexical, 2014, Entrée «régulier», en ligne, http://www.cnrtl.fr/definition/r%C3%A9guli%C3%A8re, consulté le 19 juillet 2014.

15 Centre National de ressource textuelle et lexical, 2014, Entrée «jardin», en ligne, http://www.cnrtl.fr/definition/jardin, consulté le 19 juillet 2014.

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végétaux utiles ou d'agrément.»16. La contiguïté à un bâtiment d’habitation n’était alors pas représentatif d’un jardin.

Mais le jardin se définit aussi comme «un espace géographique essentiel, lieu symbolique d’une bonne nature, réduction du monde, et donc profondément civilisé» (Lévy, Lussault, 2003). Véritable miroir des activités humaines, le jardin est une création de l’homme profondément culturelle. À ce sujet, l’ouvrage Jardins en ville, villes en jardin (Terrin, 2013) note liminairement :

Il est forme symbolique de l’univers, lieu de rencontre entre microcosme et macrocosme — le jardin zen japonais par exemple ; lieu des délices et de la connaissance — le jardin de Paradis ou le jardin d’Eden ; associé au plaisir, à l’univers multisensoriel, à l’odorat — le jardin des Senteurs à Versailles de Nicolas Gilsoul —, à la musique — les jardins d’Aranjuez —, aux activités artistiques — les arts du jardin de Chaumont. Le jardin est aussi théâtre du pouvoir, mise en scène, ou mise en perspective des activités humaines, celles du prince, de ses résidences, mais aussi de la connaissance, de la méditation et du recueillement. On le retrouve également associé à la santé et à la propreté, à l’éducation, aux échanges, aux liens sociaux [...]

Le jardin entretient également l’imaginaire des hommes. Il nourrit ses utopies avec le pouvoir de les rendre universellement intelligibles, voire de les concrétiser...

De l’Utopia de Thomas More aux cités-jardins d’Ebenezer Howard, des jardins suspendus de Babylone à ceux de la villa d’Este, du Songe de Poliphile aux rêves du Candide voltairien, des promenades solitaires de Rousseau aux retraites sylvestres de Thoreau, de l’enclos médiéval aux vastes parcs de Le Nôtre, et jusqu’à Central Park et à la High Line à New York, l’histoire des jardins raconte les liens qui se sont inextricablement tissés entre une nature plus ou moins domestiquée, un paysage urbain évoluant continuellement, et le hommes qui ont façonné et habité l’un et l’autre. (Terrin, 2013)

Étymologiquement, la guérilla jardinière peut alors apparaitre comme une lutte pour la défense de terrains culturellement végétalisés contre une autorité régulière contestée. Toutefois, cette définition n’est pas satisfaisante dans la mesure où le terme guérilla jardinière fut pour la première utilisé pour décrire un mouvement politique. Nous reviendrons sur l’histoire de la lutte dans le premier chapitre. Si la recherche étymologique de ces termes est intéressante au niveau linguistique, le terme constitue donc davantage une locution populaire et figuré, fortement contextualisée.

Intéressons-nous donc aux acteurs du mouvement et plus précisément aux efforts de définitions de ses premiers auteurs.

Le premier est considéré comme l’autorité en la matière : Richard Reynolds. Cet horticulteur londonien de 37 ans a fondé guerrillagardening.org en 2004 et est l’auteur

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16 Centre National de ressource textuelle et lexical, 2014, Entrée «jardin», en ligne, http://www.cnrtl.fr/etymologie/jardin, consulté le 19 juillet 2014.

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de On Guerrilla Gardening en 2008 (2010 pour la traduction en français). Le second, David Tracey, est journaliste et designer à Vancouver. Il est l’auteur de Guerrilla Gardening : a manualfesto en 2007 (aucune traduction en français).

À travers l'écriture d'un ouvrage ou la production d'un site internet, les deux individus se sont peu à peu élevés au rang de leader dans un groupe sans structure (Zanetti, 2007). D'une action citoyenne isolée, la guérilla jardinière est devenue un mouvement définissable, avec ses codes, ses icônes, ses processus et son histoire Le tout sans créer de structure formelle. Toutefois, leur approche de la lutte est diamétralement opposée sur au moins deux points : la légalité et la localisation.

Pour David Tracey, c’est le jardinage qui est l’élément central de la guérilla jardinière. Jardiner pour verdir, quelque soit le lieu - légal ou non - et la localisation géographique.

Guerrilla Gardening is autonomy in green. You don’t have to join a club or pay any dues or accept any codes. You even get to define it for yourself. I call it ‘gardening in public space with or without permission.’ But as definitions go, I have to admit, it’s pretty thin. [...] The ‘with or without permission’ clause in my definition was added only to emphasise the all-inclusive nature of the pursuit. Let no one try to tell you your project doesn’t count because it’s on the wrong type of property or because you had the gumption to ask the landowner first. (Tracey, 2007, pp. 4-6)

La guérilla jardinière c’est l’autonomie verte. Vous n’avez pas à rejoindre un club, payer une cotisation ou accepter des codes. Vous pouvez même avoir votre propre définition. Moi, je l’appelle «jardiner dans l’espace public avec ou sans autorisation». Mais au gré des définitions, je dois admettre que c’est plutôt juste. [...] La proposition «avec ou sans autorisation» dans ma définition fut ajoutée dans l’unique but de mettre en lumière la nature globale de l’activité. Ne laissez personne essayer de vous dire qu’un projet ne compte pas parce qu’il est situé sur la mauvaise propriété ou parce que vous avez eu le cran de demander l’autorisation au propriétaire d’abord. (traduction libre)

Cette définition de la guérilla jardinière fera réagir Richard Reynolds : «Comment jardiner dans l’espace public avec une permission peut être de la guérilla jardinière ? [...] Vous pourriez être un contractuel municipal et rentrer dans la définition. [...] Selon moi, ce doit être illicite, illégale. Vous devez le faire sans permission.» (Reynolds, dans Zanetti, 2007).

Dans son ouvrage de référence, Richard Reynolds définit la guérilla jardinière comme «la culture illicite du jardin d’autrui» (Reynolds, 2010, p.15). Sa courte définition est complétée par les intentions sous-jacentes aux actions de guérilla jardinière.

Le combat prend de l’ampleur. La majorité des gens ne possède pas de terre. La plupart d’entre nous vivent dans des cités et ne détiennent pas de jardin à eux. Nous demandons plus à cette planète qu’elle n’a d’espace et de ressources à offrir. La guérilla jardinière est une lutte pour les ressources, une bataille contre la rareté de la terre, la destruction de l’environnement et le gaspillage des opportunités. C’est aussi un combat pour la liberté

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d’expression et la cohésion sociale. C’est une bataille où les fleurs remplacent les balles (la plupart du temps). (Reynolds, 2010, p. 15)

Richard Reynolds dresse ainsi un portrait politique du mouvement. Cette philosophie apparait d’autant plus proche du concept implicite de guérilla. Chaque action est liée à son contexte, aux enjeux et objectifs poursuivis par les jardiniers. Un point mis en lumière par le collectif suisse Food Urbanism.

À travers son site internet17, le collectif a développé une plate-forme de recherche sur les initiatives de productions agricoles en milieu urbain. Un atlas à plusieurs entrées permet de rechercher des projets précis en fonction de critères déterminés. Un de ces critères, «Qui ?» distingue treize acteurs différents dont deux liés aux productions autonomes et illégales : l’activiste d’appropriation et l’activiste d’intervention éphémère. Un distinguo qu’il est intéressant d’analyser.

Selon le collectif, les activistes d’appropriation sont des «cultivateurs [qui, ndlr] s’approprient des surfaces délaissées et les occupent pour sensibiliser la population»18. Tandis que les activistes d’intervention éphémère sont des «cultivateurs [qui, ndlr] sèment des graines dans les espaces publics»19. Deux profils qui se distinguent par leur rapport à l’espace. Les uns se concentrent et aménagent un espace précis (les activistes d’appropriation) et les autres se dispersent et disséminent leurs actions sans focalisation sur un terrain (les activistes d’intervention éphémère). Si les deux profils sont complémentaires, les activistes d’appropriation produisent des morceaux de villes spatialement identifiables par les citoyens, facilitant ainsi leurs inscriptions au sein de la communauté.

Au regard des informations obtenues de l'étymologie et des auteurs, nous considérerons tout au long de ce mémoire la guérilla jardinière comme des actions citoyennes volontaires, collectives ou individuelles, visant à jardiner illégalement sur un terrain public ou privé jugé négligé ou sous-utilisé.

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17 Cf. http://www.foodurbanism.org/

18 Food Urbanism, Typology : activiste d’appropriation, en ligne, http://www.foodurbanism.org/typology/activiste-dappropriation/, consulté le 19 juillet 2014

19 19 Food Urbanism, Typology : activiste d’intervention éphémère, en ligne, http://www.foodurbanism.org/typology/activiste-dintervention-ephemere/, consulté le 19 juillet 2014

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3. De la production de l’urbain : le questionnement originel

Les activités de guérilla jardinière semblent proposer une nouvelle approche créative et critique de la ville. Une approche certes inextricable, qui reflète la multiplicité des points de vue et des manières de faire mais qui met en lumière une volonté d’action, en réaction à un manque au sein de la cité.

En effet, territoire politique, social et culturel par excellence, la cité est historiquement la réponse des hommes pour remédier à l’incertitude de la nature. Issue des besoins primaires des hommes, l’agglomération doit pallier l’absence de commodités primaires, bâtir de la stabilité et construire de la certitude dans cette nature sauvage. Au devant des années, l’absence - et donc le besoin - a guidé les interventions des hommes sur la planète.

De ce système constructif primaire, les actions de jardinage illégal semblent suivre le même processus de création.

Figure 1Schéma des processus créatifs

Source : Romaric Lesaint

L’absence et donc le besoin ont amené les hommes à bâtir leur environnement. Cependant, la cité est régie par des règles. Édictées de façon hégémonique par une classe privilégiée ou démocratiquement conclues, ces règles jugent de la légalité ou non d’une action. Illégale, une action peut toutefois participer à la fabrication de l’urbain.

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De l’ardeur de ses partisans dépendra la longévité de son action. A moins, qu’une légalisation intervienne entre temps...

Figure 2Processus de fabrication légale et illégale de l’urbain

Source : Romaric Lesaint

C’est ici une des questions originelles du présent mémoire : Par quels processus les actions illégales de jardinage ont donné vie à une production urbaine légale ? En effet, ce questionnement est apparu après avoir constaté que plusieurs espaces urbains illégaux à travers le monde ont, non seulement été légalisés mais, conduit les pouvoirs publics à protéger ces espaces ou proposer des alternatives quand les aménagements étaient finalement démolis. Nous verrons plusieurs exemples dans le second chapitre de l’ouvrage.

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4. Méthodologie et plan de travail

Avant d’entrer dans le vif du sujet, prenons un instant pour en préciser les frontières.

Tout d'abord, en concentrant le propos sur les activités de guérilla jardinière, l’ouvrage met en lumière l’une des plus populaires actions illégales de fabrication de la ville. Cette popularité a amené certaines actions à passer du statut illégal à celui de légal. Un acte de légitimation qu’il apparait intéressant d’analyser. Le présent mémoire s’attache également à en comprendre le processus de légalisation.

Ensuite, le choix de la province québécoise comme terrain d'étude est le résultat d'une heureuse conjugaison du travail universitaire et d’une sensibilité personnelle. En effet, stagiaire pendant six mois au sein d’un organisme à but non-lucratif à Montréal travaillant en agriculture urbaine, j’ai eu l’occasion de rencontrer de nombreux jardiniers-guérilleros. Aussi, Montréal est une ville reconnue pour ses initiatives en agriculture urbaine. M’intéresser au contexte québécois me permettait ainsi de localiser mon travail dans un contexte économique et juridique homogène, permettant ainsi les comparaisons entre les projets.

Le présent mémoire se distribue en trois temps. Le premier chapitre s’attache à mettre en lumière les raisons pour lesquelles des hommes et des femmes se risquent à des activités illégales de jardinage là où ils n’ont aucune autorisation. Ce chapitre sera l’occasion de revenir sur les premiers mouvements de guérilla jardinière et d’en déceler les motivations.

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Figure 3Plan de travail

Source : Romaric Lesaint

Ensuite, le second chapitre s'intéressera à des projets québécois de guérilla jardinière ayant conduit à une production légale de l’urbain La rencontre avec certains acteurs clefs de chaque mouvement nous permettra de mieux comprendre ces victoires sur l’ordre établi. Nous tâcherons également de déceler les clefs de la légalisation.

Enfin, le troisième et dernier chapitre tentera d'extrapoler le phénomène et révéler les évolutions induites par ce processus illégale de fabrication de l’urbain. Les modèles existants se doivent d’évoluer et nous verrons plusieurs exemples de révolutions réussies.

Chaque temps de réflexion sera introduit par deux questionnements centraux. L’objectif du chapitre est de donner aux lecteurs les clefs d’interprétation de ces questions et d’en donner un premier résultat.

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chapitre premierau-delà de l’illégalité

L’espace public est un immense terrain de jeu, un monde que nous souhaiterions réinventer afin de le vivre pleinement. La rue n’est plus qu’une structure organisée par

et pour les exigences de l’économie et de la croissance. Pourtant, l’espace public devrait être organisé selon les exigences de la démocratie et être vécu par chacun de

nous. Il n’est pas aménagé pour être appropriable et c’est aujourd’hui la police, les services propreté et les encadrants culturels qui s’en occupent.

Avec nos plantes, nos graines et nos outils, nous allons le squatteren attendant qu’il y soit restitué de droit à ses habitants !

Manifeste de la Guerrilla Gardening Francehttp://guerilla-gardening-france.fr/wordpress/guerilla/des-manifestes/

(cf. annexe 1)

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Deux questions centrales nous guiderons tout au long du chapitre :

.Pourquoi se risquer à mener des actions illégales ? .Qu’est-ce que révèle cette prise de risque citoyenne des processus et des façons de faire des professionnels ?

Pour concevoir notre cadre de vie, les professionnels de l’urbain - décideurs publics, grands propriétaires fonciers, investisseurs et, dans une moindre mesure les urbanistes et les architectes - ont développé des modèles. Les canons de l’urbanisme moderne était l’un de ces modèles. Il a participé à créer une grande partie de l’urbain bâti au XXe siècle dans le monde occidental et au-delà (Inde, Brésil, etc.). Celui-ci organisait les activités prédominantes de la vie humaine en trois catégories – habitation, travail, loisir –, éléments d’une mécanique parfaite axée sur le contrôle du zonage et du déplacement20 dans le but de concilier et de résoudre la délicate équation à deux termes : urbanisation et industrialisation.

C’est dans cette continuité des adaptations de la ville aux exigences industrielles que se déploient les luttes urbaines des années 1960-1970, portées et étudiées par des auteurs tels que Henri Lefebvre, qui, s’inquiétant des évolutions urbaines dans lesquelles il voit de nouvelles formes de ségrégation et d’aliénation, publie son ouvrage Le Droit à la ville (Reynaud-Desmet, 2012, p.45). C’est la première fois que la notion de «droit à la ville» est revendiquée. Un droit nouveau pour les individus leur permettant «de prendre part à la ville telle qu’elle existe, mais aussi à sa production et à sa transformation» (Lefebvre, 1968).

Certes hégémonique, ce modèle a permis l’établissement à grande échelle et standardisé de villes capitalistes, en tant que mode d'occupation et d'utilisation du sol (Bernier, 1980).

Cities are no longer built for humans, they are built for investors. They have become like machines, not to house people and to create an environment that enables them to live a better quality of life. They consist of iconic buildings designed by star architects but are in the danger of becoming as boring as shopping malls. Every mayor seems to be happy to have these super-stars designing cities, but they are only designing skylines. Instead of concentrating on skylines, we should be building cities thinking of human needs and ground realities. It is not only the investor and the architect who should participate in planning. (Wolfgang Nowak, 2013, in Rosa, Weiland, p. 202)

Les villes ne sont plus bâties pour les humains, elles sont construites pour les investisseurs. Elles sont devenues des machines, non pas pour loger les gens ni créer un environnement qui leur permet de vivre dans de meilleures conditions. Elles se composent de bâtiments iconiques dessinés par des «starchitectes» mais elles sont en danger de devenir aussi ennuyeuses que les centres commerciaux. Chaque Maire semble heureux d’avoir ces super-stars qui dessinent les villes, mais elles ne dessinent que des horizons. Au lieu de se

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20 Centre Canadien d’Architecture, 2008, Actions : comment s’approprier la ville, exposition temporaire, en ligne, http://cca-actions.org/fr/a-propos, consulté le 27 juillet 2014.

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concentrer sur les horizons, nous devrions construire des villes en pensant aux besoins humains et aux réalités du terrain. Les investisseurs et les architectes ne devraient pas être les seuls à participer à l’aménagement. (traduction libre)

Si la standardisation et la banalisation des paysages urbains, à l’image des horizons stéréotypés des tours de bureaux signés par les «starchitectes» internationaux et construits par les barons du bâtiments, guettent les cités du XXIe siècle au point de devenir «aussi ennuyeuses que les centres commerciaux», le contrôle réglementaire apparaît comme une autre application du capitalisme sur le territoire. En effet, l’espace capitaliste apparaît de plus en plus limité et contrôlé, non seulement par une réduction permanente du champ des actions possibles dans le milieu urbain, mais également par la superposition de réglementations et de normes innombrables (Petcou, Petrescou, 2007).

Une réduction qui se manifeste dans l’appauvrissement et l’homogénéisation des produits engendrés par le contrôle capitaliste de l’espace public : « des productions de subjectivité “primaire” […] se déploient à l’échelle véritablement industrielle, en particulier à partir des médias et des équipements collectifs » (Guattari, 1989, p.52). Un appauvrissement de l’espace urbain dont témoigne la disparition progressive des espaces à usage collectif et des espaces susceptibles d’être appropriés, pour des usages informels basés sur la responsabilité et la confiance réciproque (Petcou, Petrescou, 2007).

Ainsi, en réduisant les possibilités de libre appropriation et en produisant des espaces et des équipements réglés et contrôlés, les producteurs de la ville conçoivent des morceaux de territoire superficiellement appropriables par une somme d’individualités. Un constat que la Plate-forme Européenne de Pratiques et Recherches Alternatives de la Ville (PEPRAV) dénonce :

Making community and making space for community cannot be separated. Planners and architects might start to consider the inherent social and relational dimension of the spaces they create, and to integrate their specific temporalities and mobilities into the design process.21

Créer une communauté et fabriquer des espaces pour une communauté sont deux éléments inséparables. Les urbanistes et les architectes devraient commencés à considérer les dimensions sociale et relationnelle inhérentes aux espaces qu’ils créent, et à intégrer leurs temporalités spécifiques et les mobilités dans le processus de design. (traduction libre)

Cet état des choses est aujourd’hui remis en cause dans le monde occidental. De la critique des banlieues périurbaines à une demande grandissante d’auto-création et de

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21 Plate-forme Européenne de Pratiques et Recherches Alternatives de la Ville, How to make a community as well as the space for it, en ligne, http://www.peprav.net/tool/spip.php?article31, consulté le 12 août 2014

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co-production, en passant par une large remise en cause du tout automobile et de ses formes urbaines associées, font que les cités évolues lentement.

Une évolution lente et micro-urbaine. Une échelle qui semble peu efficace pour remettre en cause le processus de spatialisation capitaliste : «les luttes de résistance au déploiement des rapports capitalistes dans l'espace sont momentanées et locales, ce qui leur enlève la possibilité de remettre véritablement en question la logique fondamentale de la spatialisation capitaliste.» (Bernier, 1980, p. 13). Une affirmation formulée par Bernard Bernier en 1980 qu’il apparait intéressant de mettre en parallèle avec l’émergence des nouvelles technologies de l’information et des communications, et notamment des réseaux sociaux mondialisés.

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1. Une courte histoire du mouvement

La guérilla jardinière puise son inspiration dans des formes historiques de contestation du pouvoir politique. Richard Reynolds et David Tracy remontent chacun au mouvement anglais des Diggers au XVIIIe siècle.

2.1. De la privatisation des terres communales en Angleterre : Le mouvement des enclosures...

Jusqu’au XVIIe siècle, le système agricole anglais est largement basé sur un système de coopération et de communauté d'administration des terres. Une forme de copropriété où les terres agricoles sont collectivement gérées et cultivées par les paysans d’une localité. La jouissance des pâturages, terres arables et forêts est alors une concession publique de l’autorité (Rosenman, non daté).

À l’aube de la Révolution industrielle, entrepreneurs et propriétaires fonciers sont à la recherche de techniques agricoles plus efficaces et rentables. Aux techniques agricoles ancestrales sur de grands espaces, le Parlement entend réformer la jouissance des terres au regard des nouvelles perspectives économiques et notamment du commerce de la laine et donc du pâturage ovin. Le mouvement des enclosures (Enclosure Acts) sont une série de lois (Parliament acts) privatisant les terres communales, parcellisant les surfaces et autorisant les propriétaires fonciers à disposer pour leur propre compte des terres communales. C’est alors l'appropriation du bien commun par la propriété privée.

Les enclosures permettent également aux propriétaires fonciers d’augmenter le loyer au dépend des paysans. Augmentation qui aura notamment pour conséquence d’amener ces paysans à chercher du travail dans les nouvelles usines urbaines. Le Parlement anglais estime que près de 3 millions d’hectares ont été parcellisés et privatisés entre 1604 et 191422, soit plus de 20% du territoire anglais.

Cette fragilisation des structures agricoles locales et l’appauvrissement de la population rurale entraîneront de nombreux mouvements de révolte, à l’image des Diggers menés par Gerrard Winstanley.

Communauté fondée en 1649 par Gerrard Winstanley, les Diggers, ou Bêcheux en français, ont lutté contre les premières lois d’enclosure en théorisant et bâtissant de petites communautés rurales égalitaires basées sur la propriété partagée des terres et l’interaction homme-nature23. Minés par la famine, de petites communautés cultivent alors les terres seigneuriales laissez à l’abandon où nul ne peut entreprendre de faire pousser quoique ce soit.

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22 Parlement du Royaime-Uni, Enclosing the land, en ligne, http://www.parliament.uk/about/living-heritage/transformingsociety/towncountry/landscape/overview/enclosingland/, consulté le 12 août 2014

23 BCWProject, 2014, The Diggers (True Levellers), en ligne, http://bcw-project.org/church-and-state/sects-and-factions/diggers, consulté le 13 septembre 2014

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illustrations 1 et 2Écrits de Gerrard Winstanley Source : www.bilderberg.org

Richard Reynolds décrit cette action de «premier acte de guérilla jardinière ayant attiré largement l’attention». (Reynolds, 2010, p. 96). Si ce n’est sans doute pas le premier, c’est semble-t-il le premier acte à être documenté. Le mouvement des Diggers a inspiré de nombreux collectifs contemporains, notamment dans les milieux anarchistes et artistiques, dont Green Guerillas fondés par l’artiste américaine Liz Christy, créatrice du terme guerrilla gardening et des techniques de guérilla jardinière actuelles.

2.2. ... au racines contemporaines de la guérilla jardinière

C’est en observant les végétaux poussés dans des conditions difficiles que l’artiste new-yorkaise Liz Christy a eu l’idée de transformer les terrains vagues du Lower East Side à Manhattan en jardins24. En compagnie des premiers green guerillas, elle développe des techniques de végétalisation rapide dont les bombes à graines (seed bombs) en argile. Jetées au dessus des grilles des terrains en friche, les bombes permettent de végétaliser un espace sans creuser ni enfreindre les propriétés privées.

L'artiste sème alors les germes du mouvement Green Guerillas, qui allait, en quelques années, fabriquer des morceaux de territoire structurants. La ville de New-York est alors touchée par les crises financières des années 1970 et de nombreux projets sont abandonnés25. Au niveau urbain, les jardins donnent alors une fonction aux espaces

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24 Hacktivisme Urbain, 2013, La Guerilla Gardening expliquée par Gaby, en ligne, http://lpcam20.u-paris10.fr/spip/spip.php?article2, consulté le 26 août 2014

25 New York City Department of Parks & Recreation, About GreenThumb Community Gardens, en ligne, http://www.greenthumbnyc.org/about.html, consulté le 26 août 2014

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vacants, préservent les terrains du délabrement et complètent l’aménagement des ilots, structurant et stabilisant ainsi les communautés.

Photographie 1 Liz Christy Community Garden

Source : www.lizchristygarden.us

Suite à l’aménagement en 1973 d’un premier jardin collectif, le Bowery Houston Farm and Garden, la municipalité de New York lance en 1978 le programme GreenThumb afin d'aider au développement de jardins communautaires, prenant ainsi également conscience de leur rôle décisif dans la lutte contre la ségrégation raciale et sociale. Un programme toujours en cours en 201426 et qui est à l’origine des jardins communautaires montréalais.

Par la suite, les actions de Liz Christy pour sa ville lui vaudront d’être nommée Directrice du Council on the Environment of New York City's Open Space Greening Program, et la première récipiendaire du American Forestry Association's Urban Forestry Award. Toujours active, la communauté Green Guerillas est l’un des acteurs majeurs au sein des jardins communautaires new-yorkais. La ville en compte aujourd’hui plus de 600.

Illustration 3 Bannière des Green Guerillas

Source : www.greenguerilla.org

2426 Cf. New York City Department of Parks & Recreation, en ligne, http://www.greenthumbnyc.org/

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2. Intentions des jardiniers guérilleros

Dans son ouvrage La Guérilla Jardinière, Richard Reynolds remarque que «les guérilleros jardiniers tendent à se répartir en deux groupes : ceux qui s’intéressent à embellir l’espace et ceux qui cherchent à y récolter.» (Reynolds, 2010, p.26).

Pour mieux connaître les intentions des jardiniers-guérilleros québécois, j’ai cherché à identifier les desseins de leurs projets. Il faut noter que ces rencontres étaient pour la plupart informelles et qu’aucune méthodologie écrite n’a été respectée lors de ces échanges. En conséquence, les résultats énoncés ci-après sont le fruit d’échanges oraux non-retranscrits. Le but de ces échanges étaient de comprendre pourquoi les jardiniers guérilleros s’exposaient à l’illégalité.

Si l’affirmation de Richard Reynolds semble recouper la majeure partie des intentions des jardiniers guérilleros, une semble oubliée : la dénonciation. En effet, lors de mes échanges avec plusieurs jardiniers sur le terrain ou lors d’événements autour de l’agriculture urbaine, j’ai pu déceler que l’intention de dénoncer était bien souvent ce qui motivait les individus à passer à l’action.

Figure 4Les trois intentions majeures en guérilla jardinière

Source : Romaric Lesaint

Ce besoin de dénoncer coïncide avec la prise de risque engendrée par l’occupation illégale d’un espace public ou privé. Un engagement de sa propre responsabilité qui traduit parfois un discours politique contestataire.

Penchons-nous un instant sur les trois principales sphères identifiées de la guérilla jardinière.

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2.1. Récolter

«L’une des raisons pour cultiver le terrain d’autrui sans sa permission est la faim.» (Reynolds, 2010, p. 33). L’affirmation de Richard Reynolds se vérifie à Montréal où l’on peut remarquer plusieurs petits jardins nichés dans des interstices urbains. L’un d’eux se situe sur le flanc d’un viaduc. Sur ce no man’s land urbain, un homme cultive ses légumes depuis au moins 2011. En effet, lors d’une visite d’interprétation du quartier Griffintown dans le cadre d’un concours de design urbain organisé par la ville de Montréal, notre groupe a pu remarquer cet homme juché sur une butte en train de jardiner. Notre guide nous informa que cet homme sans abris cultivait ce petit morceau de terre pour pouvoir se nourrir.

Photographie 2 et 3Cultures illégales sur le flanc d’un viaduc à Montréal

Source : Romaric Lesaint

Même si aucun chiffre ne donne la mesure de ce phénomène sur l’île de Montréal, les chiffres de l’itinérance et du mal logement laissent à croire que ce n’est pas un cas isolé. En effet, 30 000 personnes seraient sans-abris27 à Montréal.

Toutefois, cultiver pour subvenir à ses propres besoins primaires n’est pas l'apanage des jardiniers guérilléros rencontrés. Ces derniers, comme nous pourrons l’observer au fil de ce chapitre, cultive davantage pour embellir leur cadre de vie ou dénoncer un projet ou un délaissement.

2.2. Embellir

Jardiner illégalement pour embellir un espace ingrat est l’une des principales raisons du passage à l’action des individus. En effet, le potentiel d’embellissement d’un parterre délaissé est évident et rapidement exécutable.

De plus, embellir un espace laissé à l’abandon est bien souvent jugé souhaitable par les autorités publiques ou les propriétaires privées. En effet, un espace délaissé et vacant

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27 Radio Canada, 2014, L’itinérance à Montréal en chiffres, en ligne, http://ici.radio-canada.ca/nouvelles/societe/2014/02/04/003-itinerance-montreal-sans-abri-refuges-sante-mentale.shtml, consulté le 22 août 2014

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est plus enclin à subir l’incivilité et accueillir les rebuts de toutes sortes, entretenant ainsi son délabrement.

Jardiner illégalement pour embellir un espace ingrat est également la forme de guérilla jardinière la plus tolérée par les autorités. En effet, il apparaît difficile de condamner un individus pour avoir osé nettoyer, planter et entretenir un morceau de terre à l’abandon.

C’est pourquoi, en 1989, un groupe de citoyens décide de redonner vie à un espace laissé vacant par son propriétaire entre l’avenue du Parc, les rues Hutchison, Prince-Arthur et Milton dans l’arrondissement de Plateau-Mont-Royal. Il s’agit d’une ancienne ruelle, sorte de corridor permettant aux individus d’accéder au coeur de l’îlot. Un espace privilégié pour les échanges entre voisins, la promotion des petits métiers ou encore les jeux d’enfants. Un espace collectif traditionnel à Montréal pour tisser des liens entre la communauté.

Privatisé et vacant, l’espace perd son sens de lieu d’échange. Sans autorisation mais jouissant d’un droit de servitude datant de 1940, le petit groupe décide donc d’en faire un parc et d’organiser des festivités locales : concerts, repas, vente de garage, etc. Pendant de nombreuses années le parc demeure en sursis. En effet, le propriétaire menace de détruire les aménagements mais les projets immobiliers sombrent petit à petit. Sans cesse repoussés, les travaux ne débutent jamais et le parc connaît de courtes accalmies.

Photographie 4 et 5Le Parc Oxygène à Montréal

Source : http://floraurbana.blogspot.ca/2011/09/parc-oxygene.html

Entre temps, le groupe citoyen rassemble plusieurs pétitions pour sauvegarder le parc et demande à plusieurs reprises à l’arrondissement d’acheter le terrain. Un investissement qui ne sera jamais consenti malgré la pénurie d’espaces verts dans le quartier Milton-Parc et les améliorations apportées par cet aménagement.

En 2014, le couperet tombe. Le parc est détruit dans la matinée du 16 juin 2014 et les travaux de construction des appartements débutent dans la foulée.

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Photographie 6 et 7Le Parc Oxygène détruit à Montréal

Source : Photo 6 : http://www.leplateau.comPhoto 7 : http://www.mcgilldaily.com

Un exemple d'embellissement illégal qui aura profité au quartier pendant 25 ans mais qui, sans soutien politique, aura toujours été en sursis. En effet, l’arrondissement ne souhaitant pas «créer de précédent»28, le propriétaire a pu exécuter son dessein une fois le permis de construire approuvé.

2.3. Dénoncer

«La plupart des guérilleros jardiniers tiennent principalement tête à deux ennemies. Ce ne sont pas des personnes ou des organisations, mais deux états du paysage : la rareté et le délaissement, deux problèmes qui proviennent de l’usage que nous faisons de la terre.» (Reynolds, 2010, p.61). Cette affirmation de Richard Reynolds met en lumière que le combat des jardiniers guérilleros est avant tout idéologique. Un individu qui cultive des tomates ou plante des monardes sur un terrain qui ne lui appartient pas ne le fait pas pour défier personnellement son propriétaire ou les autorités. Il réagit face à une situation ou un état du paysage.

Planter permet d’agir concrètement et rapidement sur un espace. C’est une action pluridimensionnelle ; souterraine et aérienne, mi-invisible, mi-découverte. Une double position qui confirme la dimension définitive et irrémédiable d’une plantation. Planter est également une action symbolique, un acte de naissance universel. Tandis qu’arracher est perçu comme un acte hostile et agressif.

Planter est alors un moyen rapide et bon marché d’occuper un espace. C’est pourquoi les fleurs et les légumes sont si souvent mis à profit dans les manifestations hostiles à certains projets d’aménagement, réglementations ou processus décisionnels laborieux.

Quelque soit le lieu - espace public, terrain privé voire même sur sa propre propriété comme nous pourrons le voir dans le second chapitre - la guérilla jardinière apparaît comme une forme de lutte où le jardinage n’est qu’un prétexte pour agir.

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28 Tranchemontagne Daphnée, 2010, Le poumon du Plateau Mont-Royal est sur le respirateur artificiel!, en ligne, http://www.leplateau.com/Actualites/Vos-nouvelles/2010-07-12/article-1535740/Le-poumon-du-Plateau-Mont-Royal-est-sur-le-respirateur-artificiel%21/1, consulté le 25 août 2014

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En 2014, un étudiant en agronomie a décidé de lancer une opération de guérilla jardinière dans le quartier de La Petite Italie dans l’arrondissement Rosemont-La Petite Patrie à Montréal. Le terrain sur lequel la guérilla a commencé est un terrain vague enclavé entre plusieurs bâtiments patrimoniaux et qui jouit d’un relation visuelle privilégiée avec le Marché Jean-Talon, l’un des plus populaires marché alimentaire d’Amérique du Nord. Un emplacement stratégique à très forte valeur ajoutée.

Photographie 8 et 9Le Jardin du Marché en construction à Montréal

Source : https://www.facebook.com/jardindumarche

C’est également ici que l’organisme à but non lucratif Les Pousses Urbaines a débuté un projet de ruelle verte en juin 2014. Un projet légal qui permet aujourd’hui de traverser cet îlot vacant par un cheminement propre et végétalisé. Toutefois, l’autorisation du propriétaire - la municipalité de Montréal - est spécifique à cet emplacement et laisse encore vacant 80 % du site.

L’espace laissé à l’abandon - un dépôt d’encombrants où les vents ramènent également les résidus légers du marché - apparaît alors comme une aberration pour bon nombre de riverains et de visiteurs du marché. L’abandon associé à des rumeurs sur le développement prochain d’un complexe immobilier ont amené cet étudiant en agronomie à occuper le site et à y implanter un jardin : le Jardin du Marché.

La finalité de ce jardin n’est pas de faire pousser des légumes mais bien de sensibiliser sur le grand potentiel de cet espace. Le but est d’amener les citoyens à occuper l’espace, quelque soit le mode d’occupation. Le jardinage est ici une activité d’appropriation et de sensibilisation à la fabrication d’espaces urbains informels.

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Photographie 10 et 11Le Jardin du Marché à Montréal

Source : https://www.facebook.com/jardindumarche

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3. Quels constats de ces intentions ?

Les activités et l’engagement des individus présentés ci-dessus, nous permet de dresser une première classification des intentions des jardiniers en fonction de la récurrence de leurs motivations.

Figure 5Classification des intentions en guérilla jardinière

Source : Romaric Lesaint

L’artiste engagée montréalaise et jardinière guérillero Emily Rose Michaud est à l’origine de plusieurs actions de guérilla jardinière et de land art qui se sont soldées par la protection de plus de 1,5 hectares de terre par l’arrondissement du Plateau-Mont-Royal en mai 2013 et l’institutionnalisation du «Champ des Possibles». La co-gestion de ce nouvel espace classé «parcs et espaces verts» a été officialisée par la suite : «L’association [Les Amis du Champ des Possibles, ndlr] sera responsable de l’aménagement et du développement à travers un plan d’action annuel qui sera discuté avec les élus [...] Pour rendre cette entente possible, l’arrondissement a procédé à des modifications dans le Plan d’urbanisme de la Ville de Montréal, le Règlement d’urbanisme et le Schéma d’aménagement.»29

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29 Houde-Roy Laurence, 2013, Un parc protégé en cogestion avec les citoyens, en ligne, http://journalmetro.com/actualites/montreal/314994/un-parc-protege-en-cogestion-avec-les-citoyens/, consulté le 23 août 2014

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Forte de ses expériences, elle énonce les raisons pour lesquelles elle transgresse les lois en plusieurs points30 :

- Nourrir l’imagination ; - Soutenir le changement de par les bases ; - Provoquer le dialogue à propos du développement privé des espaces publics ; - Occuper les espaces chers, menacer de disparition ; - Transformer les multiples objets récupérés pour désencombrer et amoindrir les coûts ; - Contribuer à la chaine alimentaire locale ; - Créer de la beauté là où le besoin est présent ; - Développer la sensibilisation au paysage ; - En appeler d’un développement urbain et rural responsable ; - Former la participation d’une façon démocratique ; - Calmer l’anxiété et développer un sens d’espace ; - Investir dans l’environnement qui nous entoure ; - Transformer les espaces négligés au profit de la communauté ; - Régénérer les communes ; - Inspirer les gens de s’investir ; - Ré-enchanter les citoyens avec les paysages qui les entoures ; - S’engager de façon créative avec ces espaces ; - Habiliter les autres à semer des idées semblables dans leur propre environnement ; - Biodiversité potentielle et réserve faunique pour la communauté ; - Se souvenir du caractère de transition ; - Collaborer avec le milieu naturel ainsi que le plus de gens possible ; - Pratiquer en utilisant des méthodes correctes, respectueuses et en collaboration ; - Inviter les propriétaires et les conseillers municipaux à s’investir ; - Commencer simplement : moins, c’est mieux.

Au moins sept des raisons énoncées par l'artiste (en gras ci-avant) relèvent des mandats des professionnels de l’urbain. Contactée par courriel en août 2014 sur les raisons de ses motivations, Emily Rose Michaud répond à la question suivante : «Penses-tu que la ville doit être autogérée et auto-construite par ses habitants ?». Sa réponse est univoque : «Définitivement oui ! Ça prendrait surtout une collaboration entre les résidents et les autorités qui gèrent l'infrastructure, alors sur les deux côtés, ça prendrait de temps en temps du compromis.».

Récolter, embellir ou dénoncer, c’est bien la production de l’urbain qui est remise en cause : quelles fonctions, quelles esthétiques et quels objectifs ? Le mode de conceptualisation de la ville est ici repensé. C’est un cri d’alerte sur le non prise en compte des besoins citoyens ; un désir de co-production et non de consultation et une

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30 Michaud Emily Rose, 2013, Pourquoi les jardins clandestins et le Land Art, en ligne, https://www.facebook.com/photo.php?fbid=10151420308966977&set=ms.c.eJwzNDA0NTQxMjA2sDQEQnNzPUO4iIWlmRlQBAB9eQcQ.bps.oa.452716748146305&type=1&theater, consulté le 23 août 2014

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remise en question de la position et du rôle des autorités publiques dans la conceptualisation des espaces publics :

It is no longer that “they” have been working on the planters, it is, or at least it can now conceivably be, “us”. We’re dealing with a tricky tension between public and private ownership, between the people who control a city through money and politics, and the residents whose lives are affected daily by their decisions. (Zanetti, 2007).

Ce n'est plus «ils» qui ont travaillé sur les plantations, c’est, ou ce peut être maintenant considéré comme «nous». Nous devons composer avec une délicate tension entre la propriété publique et privée, entre les personnes qui contrôlent la ville par l'argent et la politique, et les résidents dont les vies sont quotidiennement affectés par leurs décisions. (traduction libre)

La production et la possession des espaces publics sont remises en question. Au-delà des espaces publics comme propriétés des municipalités, la guérilla jardinière ouvre le débat sur de nouvelles formes de possessions publiques apolitiques.

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chapitre secondde l’illégalité à la légalité : une production

urbaine autonome et singulière.

Quatre exemples québécois

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More and more the public spaces of the modern city are being producedfor us rather than by us

Don Mitchell The Right to the City : Social Justice and the Fight for Public Space

2003

I would venture to say that gardening is taken seriously as a rigorous form of urban design and architecture, or as a radical form of political activism that it could be.

But I believe that this most primitive form of human activity when strategically applied to our cities may become the most cutting edge and sophisticated form of

architecture that exists.

Fritz Haeg

Essay for exhibition catalog Actions : What you can do with the cityCanadian Centre for Architecture

2008

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Commençons ce chapitre par deux questions centrales qui guideront notre propos :

.Dans quelles mesures les actions de guérilla jardinière participent-elles à la fabrication de la ville ? .Par quels processus les actions illégales de jardinage ont donné vie à une production urbaine bien légale ?

À travers les exemples présentés ci-après, nous tâcherons de comprendre comment les initiatives illégales ont donné vie à des productions non seulement structurantes mais légales. Des espaces, pour reprendre la formulation du géographe Pierre Donadieu dans son ouvrage Campagnes urbaines, qu’il sera hérétique à terme d’imaginer même supprimer ? (Donadieu, 1998, p.10).

Quatre exemples dans quatre espaces différents. Un cheminement qui nous permettra de mettre en lumière les terrains d’assise des projets et les conditions de légalisation des initiatives.

Figure 6Les quatre espaces à l’étude

Source : Romaric Lesaint

De ces quatre projets, nous chercherons ensuite à identifier les analogies et les disparités pour mettre en lumière les liens existants entre les éléments clefs de légalisation.

35

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1. Le potager de Drummondville

1.1. Situation et contexte

La ville de Drummondville au Québec a été le théâtre d’une bataille où même les plus aguerris jardiniers guérilléros n’auraient pas imaginés poser les armes : leur propre jardin !

En effet, jardiner illégalement n’est pas l’apanage des jardiniers guérilleros. Ainsi, un propriétaire peut se voir interdire de cultiver sa propre parcelle. Ainsi, les règlements municipaux des villes de Québec, Longueuil, Laval, Terrebonne ou encore Ville-Mont-Royal sur l’ile de Montréal, sont clairs : il est interdit de cultiver un potager en façade des maisons sous peine d’amendes. Le problème : un souci «d’uniformité de la trame urbaine» selon le Directeur général de la Ville de Drummondville31.

Ce champ de bataille inattendu est révélateur des travers d’une ville régie selon des principes d’uniformité et de standardisation propres aux standards capitalistes et aux régimes totalitaires, où l’homme en tant qu’individu est condamné à suivre les principes d’une élite dirigeante.

L’affaire a débuté en avril 2012 lorsqu’un couple récemment installé à Drummondville entreprend la création d’un jardin potager sur leur terrain en front de rue. En juillet de la même année les autorités municipales ont envoyé un avis imposant aux jardiniers de

36

31 Daoust-Boisvert, Amélie, Réinventer la ville… - Porte-étendard malgré eux de l’agriculture urbaine, en ligne, http://www.ledevoir.com/societe/actualites-en-societe/354907/porte-etendard-malgre-eux-de-l-agriculture-urbaine, consulté le 13 août 2014

Figure 7Situation de Drummondville

Source : Romaric Lesaint, carte : www.openstreetmap.org

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détruire le potager et de planter du gazon sur au moins 30% du terrain, à défaut de quoi ils s’exposent à des pénalités financières. Entre-temps, la municipalité aurait reçu plusieurs plaintes citoyennes.

Photographie 12 et 13Le potager de Drummonville avant et après

Source : http://co22.org/wp/liberons-drummondville/

Cette irritation de la municipalité et de plusieurs habitants semble mettre en lumière la force quasi mystique du gazon sur les mentalités. En effet, la municipalité, qui parle d’un problème «d’uniformité de la trame urbaine», insiste sur la replantation de gazon en lieu et place du potager. Figure de la domestication de la nature sauvage, le gazon est un symbole de puissance et d’ordre, source de fierté pour ses partisans.

L’architecte Fritz Haeg se questionne sur cette puissante hégémonie dans son ouvrage Edible Estates : Attack on the Front Lawn :

Dans quelle mesure sommes-nous arrivés à partir du noyau de notre humanité à ce que l'acte de cultiver notre propre nourriture soit considéré comme impoli, inconvenant, menaçant, radical, voire hostile ? (Haeg, 2008, traduction libre)

Malgré la pression municipale, les jardiniers décident de ne pas obtempérer et médiatisent leur lutte. De nombreux médias et personnalités s’intéressent à l’affaire, tant est si bien que des personnalités influentes, dont le fondateur des Kitchen Gardeners, Roger Doiron, apportent leur soutien aux jardiniers. La municipalité décide alors d’accorder un délai de six mois au couple.

Pendant la saison hivernale, le règlement d’urbanisme est modifié et en mars 2013, la ville autorise l’aménagement de potagers en front de rue.

37

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Figure 8Résumé de la situation à Drummondville

Source : Romaric Lesaint

1.2. Impact sur le processus de fabrication de la ville

Cette bataille pour la légalisation des potagers en front de rue a permis de modifier le principal document régissant le processus de fabrication de la ville : le règlement d’urbanisme.

38

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2. Les saillies de trottoir de la rue Holt à Montréal

1.1. Situation et contexte

Nous quittons la propriété privée pour entrer sur l’un des domaines publics les plus familiers : la rue. L’espace public est l’un des terrains d’attaque les plus prisés des jardiniers guérilleros. Son caractère collectif, sans propriétaire physique, semble faciliter l’appropriation du territoire, a fortiori lorsque l’espace est vacant et délabré. L’appropriation illégale est alors jugée positive par les citoyens, voire par les autorités publiques. En effet, il apparaît difficile de condamner un individu pour avoir osé nettoyer, planter et entretenir un morceau du domaine public à l’abandon.

C’est pour cette raison qu’en 2008, un couple résident sur la rue Holt, entre la 5e et la 6e avenue, dans l’arrondissement Rosemont-La-Petite-Patrie ont retiré un morceau d’asphalte fendu sur le trottoir devant leur maison pour y planter des vivaces. Un espace public situé entre l’alignement d’arbres au revêtement dégradé. Une action réitérée les soirs suivants sur les saillies de trottoirs voisines.

Une voisine journaliste, Cécile Gladel, relate l’affaire sur son blog : «Ça a commencé par les voisins d’à côté, Jacques et Caroline, qui ont détruit l’asphalte déjà en très mauvais état pour remplacer ce carré par des plantes et fleurs (à leur frais). Puis le carré des voisins à côté d’eux. Finalement, un soir, notre carré s’est défait de son asphalte.»32.

39

32 Gladel, Cécile, 2008, Un exemple de verdissement urbain contagieux : ma rue, en ligne, http://cecilegladel.wordpress.com/2008/07/16/un-exemple-de-verdissement-urbain-contagieux-ma-rue/, consulté le 13 août 2014

Figure 9Situation de l’arrondissement Rosemont-La Petite-Patrie

Source : Romaric Lesaint, carte : www.ville.montreal.qc.cq

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Photographie 14 et 15Cultures illégales sur une saillis de trottoir

Source : http://cecilegladel.wordpress.com/2008/07/16/un-exemple-de-verdissement-urbain-contagieux-ma-rue/

Sans autorisation de l’arrondissement, l’initiative citoyenne a fait des émules parmi le voisinage. Cécile Gladel écrit que «l’épidémie de verdissement a traversé la rue. Les voisins d’en face ont même loué un marteau-piqueur pour faire disparaitre le goudron absorbeur de chaleur. Et finalement le propriétaire du dépanneur a fait de même.»33

En quelques semaines, la rue Holt est alors le théâtre de chantiers citoyens illégaux au plus grand dam des fonctionnaires qui ont inspecté la rue. Toutefois, les élus saluent l’initiative et autorisent les opérations. Les espaces végétalisés sont jugés opportuns et n'entravent en rien le cheminement des piétons et le stockage des poubelles.

4033 ibid. 23

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Figure 10Résumé de la situation à Rosemont-La Petite-Patrie

Source : Romaric Lesaint

1.2. Impact sur le processus de fabrication de la ville

Suite aux aménagements citoyens de la rue Holt et d’autres rues montréalaises (cf. rue des Écores et Saint-Christophe notamment), l’arrondissement autorise depuis 2011 les citoyens à retirer des morceaux d’asphalte pour planter des végétaux.

Encadrés, l’aménagement et les travaux sont confiés aux citoyens demandeurs. La procédure est décrite dans le journal numérique local, RueMasson.com : La première chose à faire est d’appeler le 311 pour demander l’autorisation d’enlever le bitume. L’employée enregistrera la demande et la transférera au Service des parcs qui contactera le citoyen dans les jours suivants pour encadrer et contrôler la démarche. Par la suite, l’Arrondissement fera signer un protocole au citoyen où il s’engage à le faire convenablement, à ne pas creuser trop profondément pour ne pas endommager une conduite de gaz par exemple. Car il s’agit du domaine public et nul ne peut en disposer à son gré. [...] Les morceaux d’asphalte enlevés peuvent être ramassés lors de la collecte des déchets encombrants ou amenés dans les éco-centres.34

41

34 Gladel Cécile, 2011, Les citoyens peuvent maintenant enlever un carré d’asphalte du trottoir, en ligne, http://ruemasson.com/?p=9984, consulté le 19 août 2014

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La journaliste précise avec beaucoup d’humour que «les citoyens qui enlèvent l’asphalte sans l’autorisation de l’Arrondissement s’exposent à des amendes.»35. En effet, la journaliste réside elle-même rue Holt, où les premières saillies furent appropriées illégalement en 2008.

En 2014, l’arrondissement décide de passer du rôle de facilitateur à celui d’initiateur en creusant des saillies et en encourageant les citoyens à cultiver les nouveaux espaces. Le Maire de l’arrondissement, François William Croteau, déclare alors à propos des saillies de trottoirs végétalisées : «Il faut cesser de penser que l'espace public appartient à l'administration publique. Il appartient aux citoyens et aux contribuables.»36

Une déclaration associée à la présentation des panneaux explicatifs qui accompagneront les douze saillies creusées par les techniciens de la voirie.

Illustration 4 et Photographie 16 Cultures légales sur une saillis de trottoirIllustration 4 : www.ville.montreal.qc.cq

Photographie 16 : http://www.journaldemontreal.com/2013/06/01/des-fleurs-sur-la-rue

Un exemple qui met à la fois en lumière le processus de légalisation d’un aménagement illégal et également la prise en main et l’appropriation par l’autorité publique d’un projet citoyen. Ici, les citoyens sont les initiateurs du projet et l’arrondissement a d’abord joué un rôle de facilitateur, puis de promoteur en institutionnalisant l’activité.

Agricultureurbaine

Cultivezcet espace L’arrondissement de Rosemont–La Petite-Patrie

vous invite à cultiver cette saillie à votre goût. Partagez le plaisir avec votre voisinage!

Suggestions : petits légumes communs, herbes aromatiquesÀ éviter : citrouille, melon, plantes toxiques, grimpantes ou hautes

Quelques règles à suivre : Bordures, clôtures ou bacs d’au plus 30 cm Dégagement de 50 cm du bord de rue Mettez votre propre terre Plants d’au plus un mètre Attention à la rue et aux trottoirs Respectez la propreté du domaine public Nettoyez et fermez le jardinet au 1er novembre

Emplacements disponibles : ville.montreal.qc.ca/rpp

42

35 Ibid. 24

36 Radio Canada, 2014, Cultiver des légumes dans les saillies de trottoirs, en ligne, http://ici.radio-canada.ca/regions/montreal/2014/06/26/005-rosemont-la-petite-patrie-potager-saillies-trottoirs.shtml, consulté le 28 août 2014

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3. Le Jardin de la Liberté à Pointe Saint-Charles à Montréal

1.1. Situation et contexte

De la rue, nous passons aux espaces publics résiduels. N’ayant aucune fonction urbaine particulière, l’espace public résiduel est l’un de ces interstices réprouvés, un entre-deux, un creux entre deux pleins. La somme de ces espaces forme selon le paysagiste Gilles Clément «le tiers-paysage». Ce sont des «espaces urbains disponibles pour agir, [...] qui sont également des espaces de concentration d’énergie, de contradictions et de porosité.» (Petcou, Petrescu, 2007). Des espaces propices à accueillir «les multiples espèces ne trouvant place ailleurs» (Clément, 2004, p.48).

C’est en cherchant des espaces urbains disponibles pour agir, que le collectif anarchiste La Pointe Libertaire, via le comité d’action directe Action Jardinière Autonome (AJA), a entrepris de désherber et d'aménager un de ces interstices appartenant à l'arrondissement Sud-Ouest. En juin 2007, une trentaine de personnes se sont mobilisées pour aménager un potager : le Jardin de la Liberté.

Suite aux aménagements illégaux, le collectif manifeste ses intentions dans un communiqué envoyé à l’arrondissement et demande que :

- l'arrondissement prenne ses responsabilités et assume l'entretien du terrain et des plantations qui ont été réalisées jusqu'à maintenant ;

43

Figure 11Situation de l’arrondissement Sud-Ouest

Source : Romaric Lesaint, carte : www.ville.montreal.qc.cq

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- l'arrondissement prenne la décision de zoner vert tout l'espace public entre le canal de Lachine et la rue Saint-Patrick.37

Interstice vacant, le terrain n’a toutefois pas été choisi au hasard. En effet, située au principal point d’accès au parc du canal Lachine, l’action citoyenne vise non seulement à préserver et mettre en valeur cette entrée en augmentant le couvert végétal mais également à empêcher des promoteurs d’annexer cet espace à un projet immobilier adjacent en construction.

Les membres du comité décrivent sur le site internet du collectif :

Le terrain a été ciblé par l'AJA en appui à la revendication communautaire afin de montrer que nous, résidentes et résidents du quartier, n'avons pas besoin d'attendre le bon vouloir des pouvoirs institutionnels pour répondre aux besoins de la communauté. Nous voulions montrer que nous pouvons changer les choses ici et maintenant de manière autonome.38

Photographie 17 et 18Panneaux au Jardin de la Liberté

Source : http://www.lapointelibertaire.org

En 2008, une année après les aménagements du jardin, le collectif invite les citoyens à une nouvelle saison de jardinage. Si l’arrondissement ne semble pas répondre aux

44

37 La Pointe Libertaire, 2007, Action pour l'obtention d'un parc, en ligne, http://archive.lapointelibertaire.org/node/360.html, consulté le 25 août 2014

38 La Pointe Libertaire, 2007, Succès de l'opération "Action Jardinière autonome" rue Island, en ligne, http://archive.lapointelibertaire.org/node/307.html, consulté le 25 août 2014

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attentes des membres du collectif, le jardin apparait toutefois toléré. «On les ignore. On les laisse aller et c'est tout»39 confirme Claudette Lalonde, porte-parole de l'arrondissement dans les colonnes de La Presse. Les membres du groupe citoyen mettent l’accent sur le caractère politique dans leur invitation numérique :

Ce geste de jardinage autonome est politique. Il invite les résidentEs à prendre en main, de façon autogérée, leur milieu de vie, dans ce cas ci leur environnement immédiat (terrains publics ou privés abandonnés, espaces perdues ou négligés et pourquoi pas des lieux publics mal entretenus par l'arrondissement ou par la Ville).40

Quelques semaines plus tard, ils ajoutent dans un autre billet :

Notre idéal, c’est un quartier qui se gère lui-même, c’est-à-dire qui bénéficie d’une organisation et d’une gestion faite par et pour ses résidents et résidentes. L’Action Jardinière Autonome se veut donc plus qu’une simple activité civique améliorant l’allure du paysage. Pour nous, c’est un autre pas vers l’autogestion et l’autodétermination de notre espace de vie, de notre quartier. En ce sens, il s’agit d’un geste éminemment politique, un pied de nez à l’État municipal et à ses têtes dirigeantes qui n’ont pas la capacité ou la volonté de nous donner ce que nous voulons réellement, soit un environnement physique et social sain et égalitaire, sans oppression ni misère.41

Ce manifeste permet de mettre en lumière l’une des trois visées des actions de guérilla jardinière : dénoncer. L’action illégale de jardinage est ici une porte d’entrée vers une attente plus globale liée à un changement de paradigme économique et sociétal.

45

39 Elkouri Rima, 2008, L'anarchie fleurie de Pointe Saint-Charles, en ligne, http://www.lapresse.ca/debats/chroniques/200809/08/01-656308-lanarchie-fleurie-de-pointe-saint-charles.php, consulté le 25 août 2014

40 La Pointe Libertaire, 2007, 2ème Action jardinière autonome : aménageons le Jardin de la liberté, en ligne, http://archive.lapointelibertaire.org/node/590.html, consulté le 25 août 2014

41 La Pointe Libertaire, 2007, Une deuxième réussite pour l’Action Jardinière Autonome, en ligne, http://archive.lapointelibertaire.org/node/622.html, consulté le 25 août 2014

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Figure 12Résumé de la situation à Pointe-Saint-Charles

Source : Romaric Lesaint

1.2. Impact sur le processus de fabrication de la ville

Une partie des revendications du collectif sera considérée en octobre 2010 par la nouvelle équipe politique à la tête de l’arrondissement. En effet, suite à un Conseil d’arrondissement, la nouvelle équipe confirme que «l’arrondissement conservera l’emprise de la rue Island pour y aménager un espace vert comme entrée au canal»42. Une déclaration d’intention officialisée en septembre 2013 lors d’un nouveau Conseil où deux autres jardins illégaux ont également été versés du domaine municipal privé (terrains possiblement à vendre) au domaine public. Une décision dont le Maire se félicita :

«Ces terrains, propriétés de la Ville centre et destinés à la vente, auraient pu accueillir des projets résidentiels. Nous avons donc officialisé l'utilisation qui en

46

42 Ville de Montréal, 2010, Canal de Lachine : l'arrondissement du Sud-Ouest fera l'acquisition d'une partie du terrain de l'ancienne usine Seracon pour y aménager un parc, en ligne, http://ville.montreal.qc.ca/portal/page?_pageid=5798,42657625&_dad=portal&_schema=PORTAL&id=15258&ret=http://ville.montreal.qc.ca/pls/portal/url/page/prt_vdm_fr/rep_annonces_ville/rep_communiques/communiques, consulté le 25 août 2014

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est actuellement faite. C'est un signe claire que nous encourageons de telles initiatives citoyennes»43

Photographie 19 et 20Aménagement du Jardin de la Liberté

Source : http://www.lapointelibertaire.org

Suite à cette légalisation du Jardin de la Liberté, des représentants de l’arrondissement ont rencontré les membres du collectif à l’initiative du projet. Un premier rendez-vous visant à rencontrer «les gens de Pointe-Saint-Charles, [...] connaître leurs idées, leurs besoins et leurs ambitions sur le réaménagement de la rue Island et où l'arrondissement souhaite faire un modèle de développement durable avec, au premier plan, la qualité de vie» selon le Maire. L’objectif de cette rencontre était également de présenter la première phase de la stratégie municipale de réaménagement du secteur. En effet, l’arrondissement souhaite lancer une «charrette de création» co-animée par «des architectes, des urbanistes, des designers, des universitaires ainsi que des partenaires du milieu communautaire et des citoyens intéressés.»44

Une mobilisation qu’il sera intéressante de suivre pour évaluer le degré de participation et de co-création citoyenne du projet. En effet, l’organisation de cette charrette semble signifier que l’équipe municipale n’est manifestement pas convaincue des aménagements réalisés ces sept dernières années. Aussi, dans quelle mesure sera-t-elle enclin à faire participer ces mêmes citoyens dans le futur aménagement ? Du côté des membres de La Pointe Libertaire, aucune déclaration n’a été faite depuis l’annonce de la nouvelle stratégie municipale.

47

43 Ville de Montréal, 2013, Faits saillants de la séance régulière du conseil d'arrondissement du 3 septembre 2013, en ligne, http://ville.montreal.qc.ca/portal/page?_pageid=5798,42657625&_dad=portal&_schema=PORTAL&id=21676&ret=http://ville.montreal.qc.ca/pls/portal/url/page/prt_vdm_fr/rep_annonces_ville/rep_communiques/communiques, consulté le 25 août 2014

44 Ibid 35.

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4. Le Champ des Possibles dans le quartier du Mile-End à Montréal

1.1. Situation et contexte

De l’espace public résiduel, nous terminons notre cheminement des espaces réappropriés avec une friche industrielle. Au sein du quartier dense et minéral du Mile-End dans l’arrondissement du Plateau-Mont-Royal, une friche industrielle d’environ 1,5 hectares se dessine autour de la voie ferrée du Canadien Pacifique et d’anciens ateliers textiles.

15 000 m2 autrefois occupés par une cour de triage du Canadien Pacifique jusqu'à la fin des années 1980. Après la fermeture du site, la nature sauvage s'y est peu à peu réinstallée. La renaturalisation alors en cours a amené les citoyens du quartier à se réapproprier cette friche. Les deux instigateurs de cette réappropriation sont l’artiste Emily Rose Michaud et le biologiste Roger Latour. Entretenant une relation privilégiée avec cet espace pour des raisons différentes, ils dessinent les contours d’un nouvel espace public où l’homme n’interviendrait pas ou peu dans son développement : le Champ des Possibles. L’une multiplie les installations artistiques, tandis que l’autre recense plus de 300 espèces animales et végétales.

En 2007, face aux menaces immobilières qui mettent en péril la pérennité de l’espace naturel, Emily Rose Michaud trace un symbole de Roerich, du nom du créateur du symbole qui doit être utilisé par les États adhérents au Pacte Roerich, ce traité concernant la protection des institutions artistiques et scientifiques et des monuments historiques en temps de guerre signé en 1935 par 21 pays américains.

48

Figure 13Situation de l’arrondissement Plateau-Mont-Royal

Source : Romaric Lesaint, carte : www.ville.montreal.qc.cq

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Photographie 21 et 22Aménagement du symbole de Roerich au Champ des Possibles

Source : http://www.artefati.ca

Fortement médiatisée, cette lutte artistique contre le développement immobilier du site amène davantage de personnes à s’impliquer dans sa sauvegarde. Ainsi, des potagers sont plantés, du mobilier d’aisance construit, des chemins tracés et de multiples activités sont organisées : concerts, corvées d’entretien, visites d’interprétation, découverte de la faune et de la flore, etc.

Sous la pression citoyenne, l’espace devient la propriété de la ville de Montréal en 2009. Entrant dans le domaine municipal privé, l’espace n’est pas protégé pour autant. Un forum citoyen est alors organisé pour imaginer et dessiner le futur du site. Puis, en 2010, un groupe citoyen déjà actif au sein du Champ créé une association dans le but de «faire de cette friche urbaine, un endroit à la fois pour les usages naturels et humains. [...] À terme, il s’agit d’en arriver à un lieu permettant la cohabitation harmonieuse entre la biodiversité urbaine et les utilisations humaines du territoire dans le quartier du Mile End.»45. Un plan d’action est alors défini par les membres de l’association (annexe 2).

En mai 2013, le Maire de l’arrondissement officialise le Champ des Possibles et en confie la gestion à l’association, établissant ainsi le premier espace vert naturel, cogéré par des citoyens à Montréal46. Le Maire, Luc Ferrandez, déclare alors :

Laisser un terrain en friche, sans donner aucune directive et en le donnant à gérer à un groupe de citoyens, c’est un magnifique risque.47

49

45 Les Amis du Champ des Possibles, Les sept volets du CdP, en ligne, http://amisduchamp.com/a-propos/projet-cdp/volets/, consulté le 27 août 2014

46 Paré Isabelle, 2013, Petite révolution urbaine à Montréal : le Champ des possibles — un non-parc ?, en ligne, http://www.ledevoir.com/opinion/blogues/le-blogue-urbain/378865/petite-revolution-urbaine-a-montreal-le-champs-des-possibles-un-non-parc, consulté le 27 août 2014

47 Houde-Roy Laurence, 2013, Un parc protégé en cogestion avec les citoyens, en ligne, http://journalmetro.com/actualites/montreal/314994/un-parc-protege-en-cogestion-avec-les-citoyens/, consulté le 23 août 2014

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Depuis l’institutionnalisation de l’espace naturel, l’association poursuit ses activités d’entretien, d’aménagement et d’organisation de festivités.

Figure 14

Résumé de la situation au Champ des PossiblesSource : Romaric Lesaint

1.2. Impact sur le processus de fabrication de la ville

Suite aux activités citoyennes illégales menées sur le site du Champ des Possibles dès 2006, c’est 1,5 hectares d’espace naturel qui furent officiellement protégés par l’arrondissement du Plateau-Mont-Royal en mai 2013.

La co-gestion de ce nouvel espace classé «parcs et espaces verts» a été officialisée dans la foulée : «L’association [Les Amis du Champ des Possibles, ndlr] sera responsable de l’aménagement et du développement à travers un plan d’action annuel qui sera discuté avec les élus [...] Pour rendre cette entente possible, l’arrondissement a procédé à des modifications dans le Plan d’urbanisme de la Ville de Montréal, le Règlement d’urbanisme et le Schéma d’aménagement.»48

50

48 Houde-Roy Laurence, 2013, Un parc protégé en cogestion avec les citoyens, en ligne, http://journalmetro.com/actualites/montreal/314994/un-parc-protege-en-cogestion-avec-les-citoyens/, consulté le 23 août 2014

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Une gestion unique pour un espace de cette superficie, qualifiée de «petite révolution urbaine»49 par la journaliste Isabelle Paré au Devoir. De son côté, Benoit Delage, le Président du conseil d'administration des Amis du Champ des Possibles estime que :

la notion de biodiversité en milieu urbain et l'idée de cogestion d'un espace public sont deux concepts innovateurs. Il est réjouissant que les élus et les fonctionnaires de l'arrondissement du Plateau-Mont-Royal aient soutenu les initiatives citoyennes proposées au cours des dernières années. C'est un grand jour pour tous ceux et celles qui y ont cru !50

Photographie 23 et 24Visite au Champ des Possibles

Source : http://amisduchamp.files.wordpress.com

Financée par la municipalité, l’association a aujourd’hui pour mandat de déployer des activités d'éducation, d'animation et de conservation du site. En 2014, une coordonatrice au développement a été engagée pour épauler les membres de l’association à mener à bien ses activités.

51

49 Ibid. 45

50 Ville de Montréal, 2013, Le Plateau-Mont-Royal se dote d'un espace naturel protégé : le Champ des Possibles, en ligne, http://ville.montreal.qc.ca/portal/page?_pageid=5798,42657625&_dad=portal&_schema=PORTAL&id=20915&ret=http://ville.montreal.qc.ca/pls/portal/url/page/prt_vdm_fr/rep_annonces_ville/rep_communiques/communiques, consulté le 23 août 2014

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5. Les conditions de légalisation

Plusieurs remarques peuvent être dressées des projets présentés. Intéressons-nous un instant sur leurs conditions de légalisation.

Le tableau présenté ci-après reprend les éléments clefs des projets : propriété des terrains d’assise des projets, durées d'existence jusqu’à la légalisation complète des activités, profils des jardiniers guérilleros, échelles des projets, existence d’un soutien politique, populaire et médiatique ? Et contexte des aménagements.

Éléments clefs Propriété

Durées jusqu’à la

légalisation

Profils des jardiniers Échelle

Soutien politique

?

Soutien populaire

?

Soutien médiatique

?Contexte

Projet

PropriétéDurées

jusqu’à la légalisation

Profils des jardiniers Échelle

Soutien politique

?

Soutien populaire

?

Soutien médiatique

?Contexte

1 privé 1 an citoyens non-activiste

micro - - +++ +++ favorable

2 public 3 ans citoyens non-activiste

micro +++ ++ + favorable

3 public 7 ans citoyens activistes politiques

micro + + + favorable

4 privé puis public

8 ans citoyens, artistes

micro ++ +++ ++ favorable

Figure 15Analyse des quatre projet de guérilla jardinière

Source : Romaric Lesaint

Deux des huit éléments clefs des projets sont similaires : le contexte et l’échelle. En effet, chacun des projets ont été légalisés dans un contexte favorable à l’agriculture urbaine ; pratique actuellement au coeur d’un débat autour de la souveraineté alimentaire. Ainsi, la province québécoise et en particulier la région montréalaise initient des projets accompagnant le développement d’unités de production, de transformation et de distribution agricoles au sein de la ville.

L’échelle des projets peut également être qualifiée de micro-urbaine. Un état des faits à mettre en parallèle avec les faibles moyens mis en oeuvre, la superficie des terrains «disponibles», le caractère illégale et le petit nombre d’individus à aménager les espaces sur une durée très limitée.

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Deux autres éléments apparaissent déterminants bien que l’intensité des soutiens varient selon les projets : le soutien populaire et le soutien médiatique. Ce dernier préfigurant bien souvent le premier. C’est bien la conjugaison de pressions médiatiques et populaires qui a amené les élus de la ville de Drummondville à légiférer rapidement sur le changement de zonage et les élus du Plateau-Mont-Royal à institutionnaliser les activités du Champ des Possibles.

Ensuite, on note que le temps nécessaire à la légalisation varie d’un projet à l’autre. On remarquera que globalement, plus le soutien populaire et médiatique est élevé, plus la légalisation intervient rapidement. Il est également intéressant de noter que les projets sur l’espace public connaissent un délai de légalisation globalement plus long. Le délai d’une année semble toutefois incompressible.

Si le profil des jardiniers varie, leur engagement les amène à militer, de manière plus ou moins directe, pour une vision alternative des usages de la ville et de l’aménagement urbain. Ce faisant, ils semblent se situer à la charnière entre une mobilisation contestataire empreinte de désobéissance civile et une participation institutionnalisée (recherche de la légalité, etc.) (Reynaud-Desmet, 2012). De plus, cet engagement répond aux différents critères de définition des mouvements sociaux. En effet, selon le sociologue Lilian Mathieu, un mouvement social doit «comprendre ‘une dimension collective et non une révolte individuelle déconnectée de tout support ou cadre collectif’, doit posséder une dimension conflictuelle avec ‘un adversaire plus ou moins clairement identifié’ et, surtout, doit produire des actions non conventionnelles, non institutionnalisées.». (Reynaud-Desmet, 2012).

Au regard de l’engagement des jardiniers, la guérilla jardinière entre donc dans le champ des mouvements sociaux.

Les deux dernières données, à savoir le type de propriété et le degré de soutien politique sont les trois éléments à l’échelle de variation la plus importante. On remarque que les actions de guérilla jardinière peuvent avoir lieu sur plusieurs types de terrain, non seulement sur l’espace public mais également sur l’espace privé d’une propriété résidentielle ou d’une friche industrielle. Toutefois, il est intéressant de noter que quelque soit le terrain d’assise du projet, la décision ultime de légalisation revient aux élus.

Le soutien politique fut déterminant pour deux des projets présentés. Il conditionne bien souvent la pérennité d’un aménagement au sein de l’espace public. Mais il s’est avéré inexistant à Drummondville, or la légalisation a bien eu lieu. Le soutien politique apparait donc nécessaire pour la pérennité d’un aménagement sur l’espace public mais serait secondaire lors d’une action sur une propriété privée.

Mais le soutien politique est à double tranchant. L’exemple du Jardin de la Liberté à Pointe-Saint-Charles met bien en lumière ce caractère. Une fois légalisé, le jardin a fait l’objet d’une charrette de création visant à réunir des professionnels de l’urbain, des élus, des membres de la société civile et des citoyens pour imaginer le futur du site. Une révision des aménagements qui remet en cause l’objectif originel du projet, à savoir l’autogestion des espaces de vie.

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En s’impliquant dans l’émergence de nouvelles politiques publiques urbaines, ces acteurs ont à arbitrer entre leur dimension transgressive et leurs aspirations à des résultats d’envergure transformant l’espace public. Dans cette ambiguïté, il est alors pertinent de s’intéresser aux effets de cette institutionnalisation sur les groupes d’activistes, sur la manière dont ils intègrent la sphère officielle de la participation ; mais aussi, en retour, de se préoccuper des attitudes des acteurs de l’aménagement à leur égard, qu’ils soient personnels administratifs et techniques ou élus. (Reynaud-Desmet, 2012)

Une ambiguité qui met fin, de fait, au mouvement de guérilla jardinière et qui questionne sur la co-production et la co-gestion à long terme des aménagements publics.

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chapitre troisièmede nouveaux paradigmes urbains

Making community and making space for community cannot be separated.Planners and architects might start to consider the inherent social and relational

dimension of the spaces they create, and to integrate their specific temporalities and mobilities into the design process.

Plateforme Européenne de Pratiques et Recherches Alternatives sur la Ville

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Débutons ce chapitre par les deux questions qui guideront le propos de cette troisième et dernière partie :

.Des actions citoyennes illégales comme introduction à un phénomène plus large ? .Quelles seront les évolutions subséquentes dans le processus de fabrication de la ville ?

À travers les deux premiers chapitres, nous avons observé que le dessein commun des actions de guérilla jardinière semblait être la remise en cause du mode de production de l’urbain. En effet, la multiplication des actions illégales de jardinage démontre que les citoyens prennent en main la fabrication de la ville en aménageant eux-mêmes des espaces qui ont et font du sens pour eux.

Des aménagements autonomes et collectifs parfois soutenus par les pouvoirs publics. Des élus qui se positionnent en tant que «facilitateurs» pour des citoyens désireux d’entreprendre un projet sur l’espace public.

Des initiatives informelles menées par des citoyens qui inspirent également les producteurs «classiques» de l’urbain à expérimenter avec des projets à court terme et à faible coût (parcs contextuels, zonage temporaire, etc.). Des interventions tactiques et temporaires qui permettent aux urbanistes d’améliorer certains quartiers tout en créant des opportunités de collaboration positives avec les citoyens.

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1. De la guérilla jardinière à l’urbanisme temporaire

Dans nos cités occidentales et capitalistes, l’urbanisme est par définition un long processus de fabrication de l’urbain. Sur-réglementé et bureaucratique, le processus actuel de fabrication de l’urbain apparaît comme opaque, long et inefficace par de nombreux citoyens. Ce constat amène certains individus à prendre des mesures locales, sans passer par les méandres administratifs. De ces actions autonomes et informelles découlent une prise de conscience que les processus traditionnels ne sont plus adaptés pour répondre aux besoins locaux des citoyens.

Dès l’émergence des premières cités, les individus se sont toujours organisés pour améliorer leur habitat et leur communauté. L’urbanisme autonome est apparu en même temps que les cités elle-mêmes. Toutefois, le récent retour sur le devant de la scène d’actions autonomes en milieu urbain semble attribuable à plusieurs facteurs concomitants : récession économique, abandon de grands projets urbains, baisse des dotations pour les services publics, volonté d’agir contre la morosité, découverte à travers internet d’initiatives locales inspirantes et reproductibles, émergence de réseaux de création, notamment à travers les médias sociaux, etc. L’auto-production et l’auto-gestion apparait alors plus efficace et plus résilient face aux soubresauts économiques et politiques.

Les interventions temporaires constituent une nouvelle manière de composer la ville dans le but d’améliorer localement une situation. Au-delà des actions de guérilla jardinière, de nombreuses initiatives informelles conduites per les citoyens dans le but de répondre localement à un dysfonctionnement urbain ont été soutenues ou reprises par les pouvoirs publics. Des pratiques locales, temporaires et peu dispendieuses qui inspirent les urbanistes et les élus à expérimenter, soutenir ou légaliser des projets citoyens innovants.

Ces interventions temporaires composent un mouvement nommé «urbanisme temporaire», une traduction de l’anglais temporary urbanism. Ce mouvement regroupe de nombreuses initiatives citoyennes, associatives ou municipales visant à proposer et mettre en place localement une solution à un dysfonctionnement urbain identifié. L’urbanisme temporaire est également appelé urbanisme pop-up (pop-up urbanism), urbanisme tactique (tactical urbanism), acupuncture urbaine (urban acupuncture), guérilla urbanisme (guerrilla urbanism), DIY urbanism, mend yourself urbanism, etc.

Lia Tostes donne une définition de l’urbanisme temporaire, qu’elle nomme M.Y. Urbanism, pour Mend Yourself Urbanism :

An urban intervention or action undertaken by a small group of social entrepreneurs who, through the appropriation of city's spaces, seek to tackle and mend urban issues that impact their everyday lives directly, doing it in a tactical and creative way. (Tostes, 2013, p.4).

Une intervention ou une action développée en milieu urbain par un petit groupe d'activistes qui, à travers la prisme de l’appropriation des espaces de la ville, cherchent à prendre en main et réparer de façon stratégique et créative les

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problèmes urbains qui impactent directement leur vie de tous les jours. (traduction libre)

Les interventions temporaires comme courant urbanistique ont récemment gagné en visibilité dans la culture populaire grâce à des initiatives aujourd’hui internationales (Park(ing) Day notamment), des expositions prestigieuses (l’urbanisme temporaire était l’un des thèmes du pavillon états-uniens à la Biennale de Venise en 2012 et le coeur de l’exposition «Actions» présentée au Centre Canadien d’Architecture en 2008), des initiatives populaires fortement médiatisées (à l’image du projet City Repair ou des actions de guérilla jardinière) ou encore des ouvrages et des articles grand public.

Photographie 23Exposition Spontaneous Interventions à la 13e édition de la Biennale de Venise en 2012

Source : http://www.impactdesignhub.org/Photographie 24

Exposition Actions : comment s’approprier la ville au Centre Canadien d’Architecture à Montréal en 2008 et 2009Source : http://projectprojects.com/

La nature temporaire des projets permet aux urbanistes et aux citoyens d’observer le comportement des aménagements sur le terrain et de faire des ajustements avant une éventuelle intervention à long-terme. Les projets qui font consensus pour les citoyens et leurs représentants peuvent ainsi être aménagés de façon permanente. Ainsi, les projets temporaires locaux apparaissent comme une opportunité pour les citoyens et les professionnels de l’urbain de collaborer en toute simplicité.

1.1. Un exemple d’urbanisme temporaire à l’échelle d’une ville : The Buffalo Green Code

La ville de Buffalo aux États-Unis a entrepris en 2006 la réécriture de son règlement d'urbanisme et de ses règles de zonage dans le but d’intégrer les principes de croissance raisonnée et durable. Si la municipalité a récemment connu plusieurs revers dans ses grands programmes d’urbanisme, ce bilan fut évalué par les élus comme une opportunité pour repenser la manière de fabriquer la ville.

Soucieuse de soutenir et de faciliter les initiatives citoyennes, la première application du Buffalo Green Code fut pour réglementer l’émergence de food trucks, ces camions

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aménagés pour préparer et distribuer des produits alimentaires. Aucun permis ni autorisation d’utilisation de l’espace public étaient prévus pour ce type d’activité. Gagnant en popularité chez les citoyens, la municipalité a révisé son plan de zonage et les règles qui s’y appliquent pour ne pas décourager les restaurateurs à se lancer dans l’aventure. Un premier essai qui permis à la ville d’attirer de nombreux entrepreneurs, améliorant ainsi l’offre alimentaire dans certains quartiers.

Un précédent réussi qui amena la ville à expérimenter de nouvelles perspectives. En souhaitant développer une friche industrielle, la ville expérimenta en lieu et place d’un projet d’urbanisme traditionnel, le zonage temporaire et flexible. Ainsi, en 2012, la municipalité a créé un nouveau lieu de rencontre, le square Larkin, en autorisant la tenue d’un marché en plein air, le stationnement de camions-restaurants et en organisant des festivités. Aménagé par les citoyens avec le concours de la municipalité, le square Larkin est aujourd’hui un élément permanent du quartier qui est en constatante évolution.

Photographie 25 et 26Le square Larkin à Buffalo

Source : www.hipstercrite.com

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2. De la guérilla jardinière à l’urbanisme permaculturel

La ville est un éco-système où l’homme domine toutes les autres espèces animales et végétales. La nature sauvage n’y existe pas ou lorsqu’elle émerge, elle est considérée comme nuisible. Dans cet éco-système, l’homme s’est volontairement isolé des autres espèces, créant ainsi un système dont la viabilité à long-terme est aujourd’hui remise en cause, notamment par les adeptes de la permaculture.

En mai 2014, un petit groupe de parmaculteurs ont entrepris la création de trois jardins informels dans l’arrondissement Villeray-Saint-Michel-Parc Extension à Montréal. Des jardins situés sur l’espace public (des avancées de trottoir) dont le but est de sensibiliser sur les principes d’aménagements permaculturels.

Photographie 27 et 28Jardins permaculturels à Villeray

Source : http://www.leprogresvilleray.com/

Développée dans les années 1970 par Bill Mollison et David Holmgren en Australie, la permaculture, contraction des mots permanent et agriculture est «un art de vivre qui associe l'art de cultiver la terre pour la rendre fertile indéfiniment avec l'art d'aménager le territoire»51. Dans son essai La permaculture au sein de l’agriculture urbaine : Du jardin au projet de société, Émmanuel Pezrès affirme que «la permaculture n’est pas une technique d’agriculture ou une technique d’urbanisme, elle est un processus local à visée globale, toujours en mouvement.» (Pezrès, 2010).

Dès 1979, Bill Mollison tente d’appliquer la permaculture à la fabrication de petites communautés. Il en donne une application dans son ouvrage Perma-culture 2 :

Pour les projets communautaires : - tous groupes/voisinages limités en taille - de 300 à 3000 (ni plus ni moins) et au moins 5 emplacements pour chaque groupe, dont l’un «à l’étranger» (les groupes ne devraient pas pas se fixer de frontières définitives) - propriété communautaire de la terre et des ressources publiques (loyers à vie sur les maisons et les jardins, bien sûr). (Mollison, 1979, p. 172)

6051 Wikipedia, Permaculture, en ligne, http://fr.wikipedia.org/wiki/Permaculture, consulté le 10 septembre 2014

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La permaculture se veut une approche globale qui relie de nombreuses disciplines et savoirs-faire tels que l’agriculture, la climatologie, l’architecture ou encore l’urbanisme dans le but de construire des communautés viables et souveraines alimentairement. Si les principes permaculturels peuvent s’appliquer à l’échelle d’un jardin ou d’une maison, «ils peuvent aussi servir à l’élaboration de projets plus vastes comme un quartier, une ville, une région, une planète.» (Nathié et al., dans Mollison, 1979, p. 9). Parmi les domaines d’application, notons l’urbanisme durable, les mobilités douces, l’hydrologie urbaine, les énergies renouvelables, la gestion des espaces naturels, etc.

Un art de produire, de vivre et d’échanger soutenu par le collectif lillois Les Saprophytes. L’association, qui réunie architectes et paysagistes, souhaite d’ailleurs expérimenter l’urbanisme permaculturel à Fives, un quartier de l’est lillois, à travers un système d'auto-production et d'échange de savoir-faire autour de l'agriculture urbaine.

Illustration 5Principes permaculturels appliqués à Fives par les Saprophytes

Source : http://www.les-saprophytes.org/index.php?cat=upf

Une volonté de transition vers une production urbaine citoyenne mis en pratique depuis 2006 par le permaculteur Rob Hopkins à Totnes en Angleterre avec la création du mouvement des Villes en Transition.

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2.1. Le mouvement des Villes en Transition

Le mouvement des Villes en Transition est né d’une double prise de conscience : le pic pétrolier et le changement climatique vouent l’ensemble des sociétés à de profondes transformations auxquelles elles sont, pour l’instant, incapables de faire face. Des bouleversements qui ne pourront être supportés sans le développement de solutions à l’échelle locale et l’intégration du concept de résilience appliquée à la cité, soit «la capacité d'un système urbain à absorber une perturbation et à retrouver ses fonctions à la suite de cette perturbation» (Toubin et al., 2012).

En 2005, au Kinsale College of Further Education en Irlande, le professeur de permaculture Rob Hopkins confronta, avec l’aide de ses étudiants, les principes permaculturels et l’imminence des chocs climatiques et pétroliers pour tenter de trouver des solutions viables. À l’issue de ces recherches, un document prospectif fut produit, le Kinsale Energy Descent Action Plan. Puis, en 2006, Rob Hopkins approche sa ville natal, Totnes, dans le Sud-Ouest de l'Angleterre, et trouve un écho favorable à l’application de son plan d’action. C’est le début du mouvement des Villes en Transition.

Illustration 6Principes permaculturels appliqués à Totnes par Rob Hopkins

Source : http://www.arpentnourricier.org/

Le mouvement vise à autonomiser les citoyens et créer des structures sociales, économiques et environnementales viables, autonomes et indépendantes des évolutions globales. Au service des individus à l’échelle locale, la production de l’urbain n’est plus le terreau du capitalisme globalisant.

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En favorisant une approche tournée vers le long terme, prenant en compte les incertitudes sur les évolutions de l’environnement physique, technologique, économique et social, l’amélioration de la résilience doit anticiper l’adaptation du fonctionnement du système et de ses composants. (Toubin et al., 2012)

À Totnes, des groupes de travail pluridisciplinaires (énergie, éducation, alimentation, urbanisme, construction, etc.) se sont peu à peu constitués, réunissant ainsi un réseau d’individus prêts à s’impliquer pour la communauté, soit environ 8 500 habitants. Certaines actions ont ainsi été rapidement mises en place comme la création d’un réseau d’échange de jardin ou la plantation d’arbres fruitiers dans les espaces publics. Le lancement en 2006 de la Livre de Totnes (Totnes Pound), marqua le début d’une stratégie locale visant à tisser une économie en circuit court au profit des membres de la communauté.

Au niveau urbain, le plan d’urbanisme est en cours d’édition. Un groupe de travail, inspiré par les travaux de Locality, une entreprise qui soutient individus et communautés dans leur recherche d’autonomie et d’auto-gestion, compose les contours de la vision à long terme du développement de Totnes.

De multiples initiatives qui dessinent peu à peu le nouveau visage de Totnes. En 2013, le réseau des Villes en Transition comptait plus de 1100 initiatives dans 43 pays.

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3. Quels rôles pour les professionnels de l’urbain ?

À travers les exemples de l’urbanisme temporaire et permaculturel, nous appréhendons d’autres modes de production de l’urbain, résolument tournés vers la prise en main citoyenne et la capacitation des individus. Mais dans cette nouvelle donne, quel est le rôle des professionnels «traditionnels» de l’urbain ?

Les législations actuelles ne permettent pas aux techniciens municipaux d’autoriser les actions citoyennes qui ne rentrent pas dans un cadre juridique défini. Aux marges de la légalité, ces projets questionnent les procédures actuelles et les individus qui les appliquent, une position inconfortable voire embarrassante pour certains professionnels, a fortiori lorsque les élus décident spontanément d’autoriser un aménagement. Un cadre juridique et règlementaire flexible semble mieux adapté pour soutenir les initiatives citoyennes.

Ensuite, le rôle traditionnel d’idéateur et d’expert du projet urbain des urbanistes municipaux est ébranlé par des citoyens convertis à l’auto-production. Ces derniers n’acceptent plus d’être seulement consultés, ils veulent participer et co-produire en amont des projets, voire même être les initiateurs des projets communautaires. Le rôle des élus n’est ici plus de décider de faire ou non, mais de faciliter les initiatives citoyennes et de garantir sa pleine jouissance par tous les citoyens. Élus et techniciens doivent alors oeuvrer pour la réalisation des projets, en adaptant, s’il y a lieu, les règles inhérentes aux aménagements. Il ne s’agit pas de légaliser chacune des initiatives citoyennes mais de soutenir celles portées par la communauté, à l’image du groupe de travail en urbanisme de la ville de Totnes.

Une position revendiquée dans le discours par certains élus montréalais, à l’image d’Alexandre Boulerice52, député de la circonscription Rosemont-La Petite-Patrie à la Chambre des Communes du Canada :

Beaucoup de citoyens écologistes et progressistes sont actifs pour verdir le quartier, appeler à plus de solidarité et pour faire avancer notre communauté. En tant qu’élus, nous nous voyons beaucoup comme des facilitateurs et nous offrons notre soutien aux nombreuses initiatives des citoyens et citoyennes.

Les initiatives citoyennes prennent place dans une communauté, sur un territoire bien défini. Dans l’ordre des priorités «traditionnelles» en matière d’urbanisme, il est d’usage de respecter la règle sanctionnée par l’échelon supérieur : les règles municipales respectent les règles intercommunales qui respectent les règles régionales, puis nationales voire trans-nationales. Une situation qui n’est pas souhaitable pour l’urbanisme temporaire ou permaculturel puisqu’elle soumet les initiatives locales à des règles non-contextualisées, définies par des individus non-membres de la communauté. Une sorte d’ingérence avec laquelle ces mouvements composent en attendant une redéfinition des rôles et des priorités.

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52 Boulérice Alexandre, 2013, Rosemont - La Petite Patrie progressiste, en ligne, http://www.boulerice.org/index.php/fr/actualites/item/206-rosemont-la-petite-patrie-progressiste, consulté le 2 septembre 2014

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Les projets citoyens autonomes remettent également en cause certaines stratégies municipales, régionales ou nationales d’attraction des capitaux. En effet, le rayonnement à l’échelle internationale n’est pas la priorité des projets locaux. L’intérêt d’un projet d’urbanisme se mesure par le nombre de citoyens impliqués et non par les substantielles retombées prospectives en terme d’emplois et de dynamisme économique. Pour les partisans de l’urbanisme temporaire ou permaculturel, un projet urbain doit d’abord et avant tout répondre à un besoin local existant.

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conclusion

Public space should not only be public in the sense of accessibility but also in conception and design. What are the mechanisms for this? Spaces for the people

should be democratic not just in their physical presence and openness but also in the decision-making processes underlying the creation and management of them.

Joanne Sharp, Paul Routledge, Chris Philo et Ronan PaddisonEntanglements of Power : Geographies of Domination/Resistance

2003

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2014 est l’année internationale de l’agriculture familiale pour l’Organisation des Nations Unis53. Une célébration qui met en exergue l’importance des initiatives locales en matière d’agriculture. Un constat partagé par les adeptes de l’agriculture urbaine qui, à travers des actions légales ou illégales de jardinage tentent de réintroduire localement de petites surfaces cultivables.

Les activités liées à l’agriculture urbaine ont le vent en poupe. Il apparait donc judicieux pour un homme politique d’accompagner voire de suppléer les activités liées au mouvement. Les actions de guérilla jardinière surfent ainsi sur une vague de tolérance voire de légitimation politique induite par la popularité du mouvement, quand bien même certains projets compromettent des règlements ou des projets municipaux.

Mais au-delà de l’image, de la concurrence inter-métropolitaine et des classements internationaux, les initiatives de guérilla jardinière imposent une nouvelle conception de la production de la cité.

Dans l’espace réglementé et standardisé des villes construites selon les principes capitalistes d’adaptation aux exigences industrielles, les jardiniers guérilleros imaginent d’autres espaces à investir. Ces fractures urbaines, victimes des lois marchandes, terrains vacants délaissés, entre-deux, territoires soumis, limites, sont à même d’accueillir des productions urbaines citoyennes et autonomes.

Ces lieux qui forment un «tiers paysage» pour reprendre le bon mot de Gilles Clément, concentrent une richesse biologique surprenante où le cycle naturel reprend son cours, à petite échelle, où les limites des espaces lissés et sur-aménagés se rencontrent, se chevauchent, se libèrent. En investissant ces espaces, les jardiniers guérilleros magnifient leur présence et les présente à leurs communautés. Dans une ville abstraite et homogénéisée, ces aménagements tendent à résubjectiver l’espace. (Petcou, Petrescou, 2007).

Les initiatives présentées tout au long du présent document témoignent que la légalité n’est pas une condition de la fabrication durable de la ville. Certains projets mettent en place des éléments temporaires non fixes : bacs de plantation, mobilier urbain, panneaux, etc. Des agencements déplaçables qui peuvent se réinstaller plusieurs fois, en fonction des opportunités et des besoins. Ainsi, ils démontrent «que l’on peut forger une durabilité par le temporaire, à partir de répétitions et de ritournelles qui permettent à la fois une continuité (donc un renforcement) et une ré-institution.» (Petcou, Petrescou, 2007).

D’origines illégales, les projets présentés dans le second chapitre ont tous été légalisés par les pouvoirs publics. Une légalisation qui met fin de fait aux actions de guérilla jardinière (illégales par essence) et qui ouvre le chantier de la redéfinition des modes de production de l’urbain et du rôle des professionnels «traditionnels» :

Leurs revendications [des activistes, ndlr] constituent une dénonciation des pratiques actuelles de l’aménagement urbain et des processus de fabrication de

6753 cf. http://www.fao.org/family-farming-2014/fr/

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la ville. Cela pose la question d’un tournant collaboratif en matière d’urbanisme. Les mobilisations locales se font moins violentes, des «luttes» on passe à «l’action» ou à «l’activisme» avec un message souvent plus artistique et le recours aux nouvelles technologies de l’information et de la communication, le plus souvent en dehors des arènes structurées et formelles de la planification publique et urbaine. Ces mobilisations n’ont pas forcément un objectif immédiat comme les luttes urbaines mais prennent une dimension processuelle. Elles visent à façonner l’opinion publique et soutenir le renforcement de la société civile en espérant peser sur le contenu des politiques publiques. (Douay, 2012)

Las des procédures et du rôle de spectateur confié par les autorités publiques, des citoyens passent à l’action pour investir l’espace public ou privé d’initiatives concrètes qui répondent à un besoin existant et local. Des projets durables ou non, qui fédèrent un groupe de personnes pour trouver une solution à un problème identifié. Une capacitation citoyenne qu’il convient d’apprécier avec la plus grande attention tant elle bouleverse les processus actuels de fabrication de l’urbain.

Mais dans une société où la co-production et la gestion collective d’un problème n’est pas la règle sociale à respecter, peut-on identifier toutes les actions autonomes de guérilla jardinière comme répondant à un besoin collectif ? Dans un espace collectivement possédé mais individuellement approprié, les jardiniers guérilléros imposent leur vision de l’espace, et ce, sans consultation ni participation de la communauté. Une sorte de privatisation non-marchande d’un espace imposée aux autres ?

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annexes

annexe 1Manifeste du groupe Guerrilla Gardening France, non-signé, non-daté, en ligne,http://guerilla-gardening-france.fr/wordpress/guerilla/des-manifestes/

annexe 2Document de synthèse des priorités de l’association Les Amis du Champ des Possibles, 2009, en ligne, http://amisduchamp.com/a-propos/projet-cdp/volets/> un document citoyen qui précéda l'institutionnalisation du site et qui traduit l’expertise citoyenne

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annexe 1

L’espace public est un immense terrain de jeu, un monde que nous souhaiterions réinventer afin de le vivre pleinement. La rue n’est plus qu’une structure organisée par et pour les exigences de l’économie et de la croissance. Pourtant, l’espace public devrait être organisé selon les exigences de la démocratie et être vécu par chacun de nous. Il n’est pas aménagé pour être appropriable et c’est aujourd’hui la police, les services propreté et les encadrants culturels qui s’en occupent. Avec nos plantes, nos graines et nos outils, nous allons le squatter en attendant qu’il y soit restitué de droit à ses habitants ! À partir du XVIIe siècle, le terme squat apparaît pour désigner les occupations illicites de terres par des paysans anglais, les Diggers, menés par Gerrard Winstanley. Le squat (de l’anglais to squat, s’accroupir), désigne l’occupation d’un lieu dans une perspective d’habitation sans l’accord du titulaire légal de ce lieu. Juridiquement qualifié d’occupation sans droit ni titre, le squat est par définition illégal. Dans les années 70, Liz Christie et sa bande d’amis créent une nouvelle forme d’action urbaine qu’ils appellent « green guerrilla ». Ces actions consistaient à occuper des terrains vagues dans New York pour y créer des jardins et les premiers Community Gardens (parents de nos jardins partagés en France). Ces actions ont aujourd’hui lieu aux quatre coins du monde et se font appeler «  guérilla jardinière  », «  guérilla gardening  », “guérilla fruitière” ou « guérilla potagère » en France. A chaque fois que nous semons une graine, nous réactivons le mouvement, qui participe à une histoire et à un changement global. Les répercussions de nos actions de végétalisation de l’espace public nous échappent souvent ; mais à l’image des guérillas qui participent aux escarmouches en marge de l’armée, nos actions participent incontestablement à la victoire de la nature, des légumes et de la verdure sur le béton froid et lisse de nos villes. Nous sommes d’accord sur le fait que la propriété donne à l’humain un minimum d’intimité et de stabilité et que c’est essentiel pour chacun d’un voir un lieu où mener son activité, ses projets et s’épanouir. Nous ne nous intéressons pas aux terrains où le propriétaire a une « propriété d’usage » de son bien, qu’il le fait vivre et qu’il s’en sert. Mais si un terrain est dormant, si il est délaissé alors que des centaines de personnes sont sur liste d’attente pour avoir accès à un jardin partagé, s’il ne sert qu’à satisfaire les logiques de spéculation ou de réserve foncière à de lointainsprojets encore mal définis, et bien nous nous permettons d’aller y jardiner  ! Cette situation est trop scandaleuse pour que l’on ait des scrupules à en contrarier les logiques ! Dans ces interstices, ces espaces d’incertitude ou ces vides programmés, nous préférons y voir des jardins et des projets plein d’étincelles tant que de meilleurs sorts ne leurs sont pas donnés. Vive les jardins qui débordent et qui bourdonnent, les potagers façonnés par celles et ceux qui les vivent. Habiter, c’est bien plus que d’avoir juste un toit et répondre à nos préoccupations routinières, c’est étendre notre imaginaire, nos besoins de nature et l’expression de nos personnalités dans notre environnement immédiat. Nous refusons d’attendre une place dans un jardin partagé

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parfois éloigné de chez nous, qui ne nous conviendra peut-être pas et dont les chartes et les parcelles individuelles ne nous apporteraient pas tout ce que nous aurions rêvé.Nous refusons que le droit au jardinage, à l’espace et à la liberté d’agir ne soient que pour les personnes ayant une maison à la campagne, surtout dans une ville qui regorge d’espaces abandonnés. Nous n’avons ni envie de reproduire le mobilier urbain normé et monotone qui sécurise nos rues, ni de copier les styles de jardins que l’on nous vend aujourd’hui dans des expositions de design. Notre société de consommation pousse à jeter et à détruire ce qui est démodé ou éraflé, alors que nous pouvons le partager et lui redonner vie pour donner naissance à des jardins hors norme. Nous sommes pour la récup plutôt que le neuf et la mode à tout prix. Les « déchets organiques » de nos poubelles et la terre déblayée pour construire un immeuble peuvent recréer un sol fertile, les matériaux jetés par les ménages peuvent servir à toutes sortent d’éléments pour le jardin. Nous  faisons appel à la création de jardin à moindre coût, non techniciste et avec des savoir-faire appropriables par tous. Nous bidouillons, nous expérimentons sans arrêt de nouvelles formes de jardinage, de culture et de guérilla de l’espace public. Nous ne recherchons pas la perfection dans le détail, ça n’est pas forcément vendeur et aux normes habituelles mais au moins ça vit, ça fait rêver, ça donne une personnalité et ça donne des idées à d’autres. Nous ne recherchons pas à travailler avec les institutions et les grosses boites ou lobbies, quels qu’ils soient. Nous refusons de faire de la publicité pour ceux qui polluent, ceux qui délaissent nos villes et cela tant que les mairies ne reconnaîtront pas le droit à la liberté de jardiner. Nous ne faisons pas de demandes de subvention mais des appels au don, à la générosité et à la production autonome de graines et de plantes. La liberté permet d’être réactif, spontané, conscient et auto-géré. Nous apprenons à créer nos propres dynamiques pour mener des actions à tout moment. Nous sommes maintenant aux quatre coins de la France, une centaine à Paris, disséminés en plusieurs branches, et nombreux sont encore ceux qui jardinent la ville et pratiquent la «  guérilla gardening  » de manière inconsciente… Nous nous retrouvons dés que possible pour mener des actions de groupe, car nos actions isolées finissent par disparaître ou par s’épuiser. Nous choisissons des endroits qui nous plaisent, en bas de chez nous ou dans notre quartier et nous passons à l’action ! Ce manifeste n’est pas le manifeste de la guérilla jardinière de Paris, de France ou d’ailleurs ; il n’est pas figé et triste, il ne demande qu’à être mouvant, remis en question et redessiné à la convenance de chacun. Ce manifeste ne vous donne le point de vue que de quelques personnes du mouvement, à une échelle locale du mouvement international de la « green guerrilla ». C’est l’expression de leurs objectifs, de leurs rêves et des motivations qui les font aller de l’avant. C’est pour parler de ce qui les distingue d’autres formes de jardinage urbain ou même d’autres guérilla jardinières plus conventionnelles. C’est pour faire connaître ce qui leur semble pertinent de défendre aujourd’hui à travers ce mouvement.

Enfin, c’est un appel à l’action conviviale et joyeuse !

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annexe 2

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résuméLes initiatives de guérilla jardinière comme actions citoyennes volontaires, collectives ou individuelles, visant à jardiner illégalement sur un terrain public ou privé jugé négligé ou sous-utilisé semblent proposer une redéfinition des modes de production de l’urbain. Las des procédures et du rôle de spectateur confié par les autorités publiques, des citoyens passent à l’action pour investir l’espace public ou privé d’initiatives concrètes qui répondent à un besoin existant et local. Dans l’espace réglementé et standardisé des villes construites selon les principes capitalistes d’adaptation aux exigences industrielles, les jardiniers guérilleros bousculent les règlements et les rôles. Véritables producteurs de l’urbain, des aménagements illégaux sont aujourd’hui institutionnalisés par les pouvoirs publics. Un processus étonnant qu’il apparait intéressant d’analyser.

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abstractGuerrilla gardening initiaves as ‘voluntary citizen action, collective or individual, in order to garden illegally on public or private land deemed neglected or underutilized’ seem to propose a redefinition of the urban production process. Wearied of the procedures and the role of spectator entrusted by public authorities, citizens take action to invest public or private spaces of initiatives that meet existing local needs. In the regulated and standardized urban space built according to capitalist principles of adaptation to industrial requirements, guerrilla gardeners scramble rules and roles. Actual producers of urban, illegal plannings are now institutionalized by local authorities. An interesting process to analyze.

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