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Culture technique et critique sociale à l'école élémentaire

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C U L T U R E T E C H N I Q U E ET C R I T I Q U E SOCIALE A L ' É C O L E É L É M E N T A I R E

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P É D A G O G I E D ' A U J O U R D ' H U I

COLLECTION DIRIGÉE PAR GASTON MIALARET

CULTURE TECHNIQUE

ET

CRITIQUE SOCIALE

A L'ÉCOLE ÉLÉMENTAIRE

*

V I V I A N E I S A M B E R T - J A M A T I Professent à l'Université de Paris V

P R E S S E S U N I V E R S I T A I R E S D E F R A N C E

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ISBN 2 13 0 3 8 2 3 2 0

D é p ô t l é g a l — l r e é d i t i o n : 1 9 8 4 , f é v r i e r

@ P r e s s e s U n i v e r s i t a i r e s d e F r a n c e , 1 9 8 4

108, b o u l e v a r d S a i n t - G e r m a i n , 7 5 0 0 6 P a r i s

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SOMMAIRE

Avertissement, 7.

Introduction, 9.

La démarche choisie, les facteurs mis en jeu, 13.

Chapitre Premier. — L 'activité fabricatrice dans la culture scolaire, 2 1.

A. Les activités manuelles à l'école dans le passé, 22.

B. La fréquence des séances, 26.

C. Les finalités poursuivies, 32.

D. Les pratiques effectives, 45.

E. Conclusion, 56.

Chapitre II. - Quand l'école sort de l'école, 59.

A. Les observations extérieures dans le passé, 59.

B. Les sorties dans la situation scolaire normale, 62.

C. Les « classes transplantées », 68.

D. Conclusion, 74.

Chapitre III. — La connaissance du monde : les techniques, le travail et les rapports sociaux, 7 5.

A. Les « leçons de choses » à l'école élémentaire dans le passé, 76.

B. La fréquence des « activités d'éveil à dominante intellectuelle », 81.

C. Les finalités poursuivies, 85.

D. Les pratiques effectives : les thèmes des séquences, 93.

E. En guise de conclusion : le degré d ' importance attaché au travail et aux techniques, une nouvelle élaboration, 112.

Conclusion, 125.

Annexes :

I. Caractéristiques de la populat ion enquêtée, 143.

II. Récits de séquences, 148.

III. Guide d 'entret ien sur les activités d'éveil à l'école élémentaire, 153.

Bibliographie, 1 5 5 . . ' • '' "N

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Avertissement

Cette recherche a été menée dans une première étape avec la collaboration des étudiants de maîtrise de Sciences de l'Educa- tion de l'Université René Descartes. Beaucoup d'entre eux étant enseignants, leurs remarques ont souvent permis aux instru- ments de recueil empirique d'être en prise sur la pratique des classes. Ils ont enquêté et préparé une exploitation provisoire; puis ils ont proposé de premières interprétations et très utile- ment discuté les miennes. Ne pouvant les citer tous, je laisse leur contribution anonyme1, mais j'exprime à chacun d'eux ma reconnaissance.

La deuxième étape s'est réalisée au sein de l'Equipe de Socio- logie de l'Education (C.N.R.S. — Université René Descartes). Nicole Giraudeau et Marie-France Grospiron ont mené à leur tour toute une série d'entretiens, la première prenant en charge également l'exploitation informatique, la mise en forme de nombreuses données et la mise en forme matérielle du manus- crit. Leurs remarques en vue des interprétations définitives m'ont été très précieuses.

Je remercie aussi Lucie Tanguy et Louis Porcher qui ont bien voulu relire le manuscrit et me conseiller de très utiles modifi- cations.

1. Beaucoup d'entre eux sont cités nommément dans un premier rapport rédigé à partir de cette recherche par Anne Dousset, elle-même membre de ce groupe. Ce texte multigraphié est consultable à l 'U.E.R. de Sciences de l 'Educat ion de l'Univer- sité René Descartes.

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Introduction

Le discours contemporain sur l'école élémentaire se partage en France entre deux grandes thèses, qui ont en commun de minimiser l'importance des contenus. Pour les uns « l'enfant », être quelque peu idéal, sans caractérisation sociale, se développe selon sa propre dynamique et l'action éducative consiste autant (ou plus) à le préserver qu'à préparer son âge adulte. Il est en communication spontanée avec la nature qui suscite son émer- veillement. Si l'éducateur est appelé à intervenir, c'est moins pour expliquer en vue de transformer (préoccupation remise à plus tard, lorsqu'elle pourra être différenciée selon le destin social) que pour affiner le regard. « L'enfant » doit être à l'abri de la préoccupation de l'utile, et a fortiori il doit ignorer rap- ports de force et conflits. Dans cette perspective, l'école, si l'on veut qu'elle ne gâche pas ceux qui la fréquentent, devrait sur- tout pratiquer une pédagogie négative, parente de celle que Basil Bernstein a qualifiée de « pédagogie invisible »l et de celles que Georges Snyders a pourfendues sous le terme de « pédagogies non directives »2. Dans sa version esquissée ci-dessus, elle concerne principalement outre la maternelle,

1. B. Bernstein, Class and Pédagogies : visible and invisible, in Power and Ideo- logy in Education, Karabel, J. et Halsey A., ed., Oxford University Press, 1977, p. 511-535.

2. G. Snyders, Où vont les pédagogies non directives?, Paris, Puf, « L'Educa- teur », 1973,324 p.

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les deux ou trois premières années de l'école élémentaire. Pour les autres, les apprentissages intellectuels et la prépa-

ration de l'avenir sont importants et cette école a un grand rôle à jouer, mais ce rôle est essentiellement formel. On la définit comme munissant avant tout de langages, de codes, de schèmes de pensée. Les contenus seraient presque indifférents, remis à plus tard. Chez les responsables scolaires français cette doctrine a pris le pas sur toutes les autres au cours des années 60. Il s'agissait de convaincre les instituteurs, et surtout les plus âgés d'entre eux, d'abandonner le mythe du bagage de connaissances irremplaçablement acquis à l'école primaire pour toute la vie. Non seulement, argumentait-on, cette école n'est plus termi- nale pour personne, mais parallèlement à elle et bien au-delà de son influence directe, d'autres instances diffusent de multiples informations. Conception maintenant bien installée dans la littérature pédagogique, officielle ou non.

Aussi bien le spontanéisme, déjà pointé par une série d'étu- des critiques, que le formalisme, qui mériterait à son tour une analyse sociologique, minimisent d'autres éléments majeurs du processus en jeu à l'école élémentaire. Les enfants ne passent pas cinq ans de leur vie (et plus souvent six...) à manipuler de purs instruments de communication et à construire des notions générales. Les propos des maîtres et les activités des élèves ont des objets, la transmission et les acquisitions ont ce qu'on appelle d'une façon un peu naïve « des contenus », même si ces contenus ne prétendent plus au statut de viatique. Or ceux- ci jouent un rôle majeur dans la constitution d'une culture. Culture scolaire qui n'a certes plus la pleine légitimité que pou- vait avoir celle de l'école primaire d'il y a un siècle, qui partage son influence avec celle d'autres instances, mais dont rien ne permet de dire qu'elle ne marque plus aujourd'hui ceux qui la reçoivent. Elle prend aussi bien la forme du développement de certaines capacités d'action que de l'inculcation d'une vision du monde; à ce double titre il est pertinent de la mettre en pers- pective.

Certains traits de la culture de l'école élémentaire contempo- raine sont dégagés par telle ou telle étude sociologique à tra- vers l'analyse des manuels de lecture. On montre alors l'irréa- lisme de l'image sociale présentée. Dans ces textes, les familles ne connaissent aucune difficulté économique et n'ont que des relations internes idylliques; les élèves manifestent en classe

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une totale bonne volonté ; la paix sociale règne partout. Princi- pale dimension de cet irréalisme : le retard. La vie, en effet, se déroule dans des villages immobiles; le maître d'école est un personnage prestigieux et consacré ; toute l'activité des adultes est simple et visible. Le tableau est bien connu, mais on sait finalement peu de choses de la portée de ces thèmes : les sour- ces se limitent à des outils scolaires dont on ne connaît ni l'usage ni l'impact, et le cadre de référence reste imprécis.

Nous avons donc opté pour un autre type d'approche. Sans être, croyons-nous, ni arbitraire ni dogmatique, notre point de départ pour définir l'axe d'interprétation de cette culture n'est pourtant pas dénué d'orientation normative. En vérité les ana- lyses rappelées plus haut, faites en termes d'irréalisme et de pas- séisme, impliquent aussi des normes, mais celles-ci ne sont nulle part explicitées. Selon nous, en effet, les rapports des hommes à la nature, leur activité transformatrice, et les conditions sociales dans lesquelles elle s'accomplit, méritent une place centrale --- ce qui ne veut pas dire exclusive -- dans la culture diffusée par l'école, dès les premières années de scolarité.

En effet une culture dont seraient exclus le travail et la technique ou dans laquelle ils seraient réduits à un statut mineur, seraient à nos yeux coupée d'une de ses bases princi- pales. Le travail comme interaction pratique avec la nature, comme activité rationnelle visant à la modifier pour satis- faire des besoins n'est-il pas constitutif de toute vie humaine? Et ne l'est-il pas sous une forme sociale, les interventions maté- rielles s'effectuant toujours de façon collective et supposant des rapports entre les hommes qui les réalisent? Les techniques selon lesquelles le travail s'effectue, enfin, n'impliquent-elles pas un projet, la conception d'un schéma causal, et son utilisation? Ainsi travail et technique mettent en jeu indissociablement et quel que soit le niveau de développement, même si les moda- lités de cette union varient de façon considérable, l'activité matérielle et la connaissance. Aussi pourrait-on s'attendre à les voir tenir une grande place dans la formation des enfants et des adolescents, préparant peut-être cette « culture technique », dont la faiblesse en France est aujourd'hui remarquée de tous côtés.

De plus les formes fondamentales que prend le travail dans une société donnée comportent des rapports sociaux majeurs :

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schématiquement, propriété et décisions à un pôle, exécution et exploitation subie à l'autre pôle, et luttes autour de la pro- duction. Mais aussi histoire de cette division du travail et de ces rapports de classe. Cela aussi, c'est objet d'analyse, d'activité critique, de connaissances demandant une élaboration. Pourquoi ce qu'on communique à une jeune génération devrait-il taire ces données sociales et les problèmes qu'elles posent?

On sait cependant que dans toute la civilisation occidentale la « culture générale » diffusée par l'enseignement secondaire auprès d'une minorité de jeunes gens privilégiés a très long- temps mis un point d'honneur à être « gratuite » ; cette exigence signifiait que, malgré sa prétention, loin d'être conçue comme effectivement « générale », à savoir embrassant toutes les connaissances et valeurs humaines, elle était au contraire le fruit d'une sélection... Mais on connaît le sens de cette sélection : c'était à condition de laisser dans l'ombre non seulement l'exis- tence de besoins, mais aussi celle de toute activité matérielle et de tout rapport économique que cette culture jouait son rôle distinctif ; en particulier elle distinguait ceux qui avaient le temps de les ignorer longtemps (et qui peut être les ignoreraient toujours) de ceux qui devaient sans délai s'adonner à une telle activité, à un travail.

L'école élémentaire, elle, a longtemps été exclusivement populaire, et animée par des maîtres presque tous eux-mêmes « issus du peuple ». La place du travail et des techniques dans la culture qu'elle diffusait il y a un siècle et l'ordre social qu'elle tentait de faire intérioriser à leur propos, sont esquissés dans ce livre. Aujourd'hui, en tous cas, avec des enseignants dont l'ori- gine n'est plus la même, elle est socialement mixte, et c'est, on le verra, une caractéristique essentielle. Ainsi, partant de la fré- quentation sociale de l'école élémentaire actuelle, et nous inté- ressant à la culture qu'elle diffuse, nous avons émis une double hypothèse :

— les techniques, le travail et leurs conditions sociales tendent à être euphémisés aujourd'hui dans cette culture ; — cette euphémisation n'est pas uniforme, et elle varie de façon intelligible losqu'on considère les caractéristiques sociales du public scolaire et celles des instituteurs; en saisissant ce qui la fait varier aujourd'hui, on saisira pour une part pourquoi elle s'est développée.

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Ainsi notre question de départ concerne la faible présence, voire dans certains cas l'absence, d'un contenu culturel donné. Avec un tel angle de vue, nous le savons, beaucoup de vigilance est nécessaire pour n'être pas manichéen : si cette probléma- tique a l'avantage d'être centrée, le risque existe cependant de traiter comme simple négativité tout ce qui n'est pas ce contenu. En vérité, on le verra, nous avons repéré, et essayé d'interpréter sociologiquement, tout le prisme des contenus culturels recueil- lis; c'est seulement dans un deuxième temps, qu'est menée chaque fois l'analyse orientée par les hypothèses énoncées ci- dessus.

LA DEMARCHE CHOISIE, LES FACTEURS MIS EN JEU

Ce problème posé, comment connaître, au-delà du prescrit, les contenus scolaires? Eliminant le recours aux manuels pour les raisons indiquées, il fallait recenser les sujets effectivement traités dans les classes. Mais puisque nous projetions une analyse assez approfondie, nos moyens nous contraignaient à retenir, dans chaque classe échantillonnée, un nombre limité de séquen- ces pratiquées. Les choisir dans le cadre des activités d'éveil qui répondent explicitement à une visée culturelle, nous a paru per- tinent. On trouvera plus loin des indications sur les principaux textes officiels qui définissaient ce type de séance scolaire. Entre 1978 et 1980, au moment de notre étude, six heures par semaine leur étaient en principe consacrées. Elles n'avaient pas de programme défini, mais remplaçaient plusieurs disciplines antérieurement prescrites : morale et instruction civique, his- toire et géographie, sciences expérimentales, travail manuel, dessin, musique. Il était conseillé de les mener de façon « peu cloisonnée », mais elles comprenaient (même si la réalisation de chaque rubrique n'était pas obligatoire), des activités « à domi- nante intellectuelle », « à dominante manuelle » et « à domi- nante esthétique ». Etant donné notre propos, ces dernières nous semblaient devoir fournir beaucoup moins d'éléments significatifs. Aussi l'intérêt a-t-il été porté sur les deux pre- mières rubriques3.

3. Le chapitre III analyse aussi, à titre complémentaire, les démarches pédago- giques menées dans les « classes transplantées » auxquelles est dévolue, à certains égards, une fonction analogue à celle des « activités d'éveil ».

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Comme tous ceux qui définissent un recueil de données empi- riques, le découpage ainsi opéré comporte des risques et il est contestable. Pourquoi seulement une discipline, et pourquoi celle-ci, plutôt qu'une autre, le français par exemple? Braquant ainsi notre objectif, nous pensons nous être donné les chances maxima de rencontrer ce dont nous cherchions la fréquence et les modalités : des propos sur le travail des hommes, et des acti- vités préfigurant quelque peu ce travail. Des chances aussi, en l'absence de prescriptions strictes, de rencontrer une assez grande diversité. Le lecteur jugera de la fécondité et des limites de cette décision.

Quant au niveau scolaire concerné, le « CM1 » (cours moyen 1ère année, où l'on entre à 9 ou 10 ans) a semblé pertinent : les contenus culturels n'y sont pas trop sommaires, et les insti- tuteurs y sont moins préoccupés par des contraintes institu- tionnelles qu'ils ne le sont avec des élèves de « CM2 », à la veille de l'entrée au collège.

Enfin la limitation à la région parisienne n'a guère à être jus- tifiée : une enquête par longs entretiens est coûteuse, et nos moyens ne nous permettaient pas une enquête de portée natio- nale. Mais dans la mesure où nous mettrons surtout en lumière des différences internes, l'absence de représentativité ne semble pas présenter d'inconvénient majeur, mise à part l'absence, regrettable mais qui s'imposait à nous, des écoles rurales.

Interrogés eux mêmes sur ce qui détermine la variété des pratiques, les acteurs sociaux en jeu invoquent volontiers l'inégalité des moyens dont disposent les écoles. Il est vrai que la possibilité d'acheter du matériel pour les activités manuelles, d'obtenir un car en vue d'une sortie etc... n'est pas partout la même ; nous ne l'avons pas ignoré, mais les variations sont en vérité de détail. Les différences de pratiques nous paraissent dûes avant tout aux initiatives des instituteurs.

Mais loin de se distribuer de façon aléatoire, elles sont, selon nos hypothèses, sous la dépendance de facteurs sociaux signi- ficatifs qu'il s'agissait de mettre au jour. De telles liaisons n'im- pliquent pas que tout soit fait, dans chaque classe, selon une intention pédagogique profondément pensée. Un maître peut renoncer à telle pratique, bien qu'elle lui paraisse souhaitable, parce qu'elle exige trop de peine; il peut réaliser telle autre pour plaire, ou ne pas déplaire, à son supérieur. Ses choix peu-

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vent aussi traduire davantage ses options culturelles que ses options pédagogiques. Mais peu nous importait : nous cher- chions à comprendre les variations effectives, en fonction de caractéristiques objectivables.

S agissant de choix culturels ancrés sur des intérêts, peut- être sur des attentes de rôles intériorisés il ne serait pas surpre- nant que les hommes et les femmes agissent un peu différem- ment. Les craintes que certains expriment à propos de la fémi- nisation du corps enseignant supposent, en tous cas, des diffé- rences que seule une analyse rigoureuse peut confirmer ou infirmer. Quant à l'âge, ici comme en d'autres cas, il correspond indissolublement à deux aspects : l'un est d'ordre individuel, un enseignant au milieu ou en fin de carrière4 pouvant témoi- gner d'une maîtrise de sa classe suffisante pour être finalement plus libre de réaliser des démarches non classiques, mais pouvant aussi se laisser aller à quelque routine. L'autre est d'ordre histo- rique; l'enseignant déjà ancien peut avoir conservé les valeurs culturelles de sa jeunesse, et choisir les contenus que l'on voyait alors comme pertinents. Les différences ne sont proba- blement pas très profondes, mais elles valent d'être estimées.

Quant à la formation reçue, et notamment le passage par une Ecole Normale, modifie-t-elle dans un sens constant le type de pratique étudié ici? A la vérité les Ecoles Normales ont connu de grands changements depuis trente-cinq ans, de sorte que co-existent dans le corps enseignant actuel d'anciens norma- liens ayant reçu des formations très différentes. De plus elles sont loin aujourd'hui de diffuser un modèle culturel unique. Pourtant « l'absence de formation », ou « les vices de la forma- tion » sont trop souvent invoqués comme explication des conduites pédagogiques pour que l'occasion d'en tester l'effet soit perdue.

L'appartenance à un mouvement pédagogique est d'un autre ordre : minoritaire, elle signifie un fort investissement dans la profession — investissement, il est vrai, compatible à première vue avec toutes sortes d'orientations idéologiques. De fait cependant les mouvements actuellement existants en France non seulement militent pour une école « active » et « ouverte

4. Chez les instituteurs l'ancienneté est tellement liée à l'âge (à quatre ou cinq années près selon le moment du recrutement) qu'il n'est pas utile de la considérer séparément.

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De tous côtés l'on parle de la culture technique, clé du monde

d'aujourd'hui. Mais que valent des connaissances techniques si l'on n'est pas capable de critiquer les conditions sociales de leur mise en œuvre ?

Au beau temps des « leçons de choses » l'école élémentaire fran- çaise glorifiait d'un même mouvement l'action productive, fruit du progrès, et les conditions du salariat, facteurs de l'harmonie sociale. Qu'en est-il aujourd'hui dans les « activités d'éveil » ? Pour le savoir, Viviane Isambert-Jamati a interrogé, dans la région parisienne, 375 ins- tituteurs de cours moyen sur leurs pratiques. Or, si l'on ne justifie plus l'ordre socio-économique, on va rarement jusqu'à fournir les instru- ments de sa critique. Le social hic et nunc est le plus souvent passé sous silence, et la technique elle-même, sans être absente, a perdu beaucoup de terrain. L'auteur s'est aussi demandé si ce double évitement existait

de la même façon quel que soit le quartier d'implantation de l'école. Or — ce n'était pas évident — c'est dans les quartiers populaires qu'il est le plus manifeste.

Viviane Isambert-Jamati est professeur à l'Université René- Descartes (Sorbonne, Sciences humaines) et directeur de l'UER des Sciences de l'Education.

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