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Pr Bernard Swynghedauw, U-689-INSERM, Hôpital Lariboisière, Paris. De la séquence à la fonction (2) Les peptides natriurétiques E st-il besoin d'expliquer à quoi sert le dosage du BNP, il n'est de semaines sans que ne paraisse une étude prospective, rétrospec- tive, cas par cas sur la valeur de ce bio-marqueur ? Le BNP appartient à une famille de protéines, les peptides natriurétiques (NP) qui comprend, outre le BNP (exprimé en permanence par le ven- tricule), I'ANP (Atrial Natriuretic Peptide), qui à l'état normal n'est exprimé que dans les oreillettes, le NP type C, secrété par les cellules endothéliales, son récepteur est de type Bet il est exprimé dans les cellules musculaires lisses, le dendroaspis NP et I'urodilantine, ces trois der- niers ayant une origine non cardiaque. Le prati- cien pourra être intéressé par quelques données nouvellesou mal connues, parfois surprenantes, qui concernentcette étrangefamille. Les NPs ne sont pas que natriurétiques, ils sont également vasodilatateurset inhibent le système rénine angiotensine et le système sympathique, cela tout le monde le sait. Plus surprenant et moins connus sont leurs effets anti-hypertro- phiques et ses effets lipolytiques. (a) Des expé- riences fondées sur la technologie transgénique ont permis de démontrer que la suppression des récepteurs des NPs de type A provoquait une hypertension artérielle très modeste et une hypertrophie du VG énorme. Ceci fournit une base rationnelle au fait que dans les cardiopa- thies hypertensives, I'HVG peut être totalement disproportionnée par rapport au degré d'hyper- tension [6-71. Le BNP serait donc un signal de contre-régulation. (b) On doit au groupe toulou- sain de Max Lafontan [8, IO] la découverte des effets lipolytiquesdesNPs (ANP> BNP > CNP). Les adipocytes humains contiennent en effet les récepteursdes NPs. Leur activation provoqueune lyse des triglycérides par un mécanisme cGMP (guanylate mono phosphate) dépendant qui passe par la phosphorylation d'une protéine kinase et l'activation qui s'ensuit de la périlipine et d'une lipase. Cela fait de l'élévation des NPs un candidat idéal pour expliquer la cachexie des patients en insuffisance cardiaque terminale, stade où le taux de BNP, on le sait bien, atteint des valeurs plafonds. Cette multiplicité d'effets suggère une origine très ancienne, et rien ne prouve que la fonction diurétique ait été la fonc- tion premièrede ces peptides. Les NPs sont présents chez tous les vertébrés, les tétrapodes (dont les mammifères), les poissons. Leur histoire remonte à 565 millions d'années, date à laquelle le chromosome du gène ances- tral des NP type C s'est dupliqué, il semble ensuite que plusieurs autres duplications accom- pagnées de divergences1 aient ensuite contribué à la formation de la famille que nous possédons actuellement (voir l'arbre phylogénique publié par Inoue, et al. [3]). L'évolution, chez les pois- sons, a abouti à la formation de NP adaptés soit à I'eau de mer, soit à I'eau douce [3,4]. 11 semble bien que les NPs existent dans le règne végétal, ce qui les vieillit considérablement, ils peuvent être synthétisés dans les feuilles, ils activent la production de cGMP, servent au contrôle des transports ioniques et à l'homéostasie des plantes peut-être en stimulant la synthèse rapide de composés comme le mannitol ou la proline qui augmentent la pression osmotique intracellulaire [2]. Un mot avant de terminer sur l'historique de la découverte de I'ANP. II s'agit, une fois n'est pas coutume, d'une découverte française, faite par P.-Y. Hatt [9]. Hatt fut en effet le premier a AMC pratiquel no 160 1 septembre 2007 1 27

De la séquence à la fonction (2) Les peptides natriurétiques

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Page 1: De la séquence à la fonction (2) Les peptides natriurétiques

Pr Bernard Swynghedauw, U-689-INSERM, Hôpital Lariboisière, Paris.

De la séquence à la fonction (2) Les peptides natriurétiques

E st-il besoin d'expliquer à quoi sert le dosage du BNP, il n'est de semaines sans que ne paraisse une étude prospective, rétrospec-

tive, cas par cas sur la valeur de ce bio-marqueur ? Le BNP appartient à une famille de protéines, les peptides natriurétiques (NP) qui comprend, outre le BNP (exprimé en permanence par le ven- tricule), I'ANP (Atrial Natriuretic Peptide), qui à l'état normal n'est exprimé que dans les oreillettes, le NP type C, secrété par les cellules endothéliales, son récepteur est de type B et il est exprimé dans les cellules musculaires lisses, le dendroaspis NP et I'urodilantine, ces trois der- niers ayant une origine non cardiaque. Le prati- cien pourra être intéressé par quelques données nouvelles ou mal connues, parfois surprenantes, qui concernent cette étrange famille. Les NPs ne sont pas que natriurétiques, ils sont également vasodilatateurs et inhibent le système rénine angiotensine et le système sympathique, cela tout le monde le sait. Plus surprenant et moins connus sont leurs effets anti-hypertro- phiques et ses effets lipolytiques. (a) Des expé- riences fondées sur la technologie transgénique ont permis de démontrer que la suppression des récepteurs des NPs de type A provoquait une hypertension artérielle très modeste et une hypertrophie du VG énorme. Ceci fournit une base rationnelle au fait que dans les cardiopa- thies hypertensives, I'HVG peut être totalement disproportionnée par rapport au degré d'hyper- tension [6-71. Le BNP serait donc un signal de contre-régulation. (b) On doit au groupe toulou- sain de Max Lafontan [8, IO] la découverte des effets lipolytiquesdes NPs (ANP> BNP > CNP). Les adipocytes humains contiennent en effet les récepteurs des NPs. Leur activation provoque une

lyse des triglycérides par un mécanisme cGMP (guanylate mono phosphate) dépendant qui passe par la phosphorylation d'une protéine kinase et l'activation qui s'ensuit de la périlipine et d'une lipase. Cela fait de l'élévation des NPs un candidat idéal pour expliquer la cachexie des patients en insuffisance cardiaque terminale, stade où le taux de BNP, on le sait bien, atteint des valeurs plafonds. Cette multiplicité d'effets suggère une origine très ancienne, et rien ne prouve que la fonction diurétique ait été la fonc- tion première de ces peptides. Les NPs sont présents chez tous les vertébrés, les tétrapodes (dont les mammifères), les poissons. Leur histoire remonte à 565 millions d'années, date à laquelle le chromosome du gène ances- tral des NP type C s'est dupliqué, il semble ensuite que plusieurs autres duplications accom- pagnées de divergences1 aient ensuite contribué à la formation de la famille que nous possédons actuellement (voir l'arbre phylogénique publié par Inoue, et al. [3]). L'évolution, chez les pois- sons, a abouti à la formation de NP adaptés soit à I'eau de mer, soit à I'eau douce [3,4]. 11 semble bien que les NPs existent dans le règne végétal, ce qui les vieillit considérablement, ils peuvent être synthétisés dans les feuilles, ils activent la production de cGMP, servent au contrôle des transports ioniques et à l'homéostasie des plantes peut-être en stimulant la synthèse rapide de composés comme le mannitol ou la proline qui augmentent la pression osmotique intracellulaire [2]. Un mot avant de terminer sur l'historique de la découverte de I'ANP. II s'agit, une fois n'est pas coutume, d'une découverte française, faite par P.-Y. Hatt [9]. Hatt fut en effet le premier a

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Les bases fondamentales pour le praticien

décrire des granulations spécifiques de la paroi des oreillettes, plus abondants à droite, plus abondants en cas de restriction hydrique, dimi- nuant en cas de charge salée, ces résultats suggé- raient à l'auteur « I'existence d'une relat ion inverse entre la tension pariétale e t le degré de granularité B. Les auteurs anglo-saxons qui ont une mémoire sélective attribuent généralement cette découverte à un anatomiste Bruno Kisch [5 ] qui ne fit que constater la présence de ces granulations sans en soupçonner le rôle physio- logique, comme l'a fait P.-Y. Hatt. L'isolement du peptide est une autre histoire. c'est de Bold qui le premier soupçonna I'existence K d'un facteur soluble dans un surnageant d'oreil lette capable d'affecter la fonction rénale de régu- lation du volume » [l] et c'est Sudoh [Il], le pre- mier, qui isola le BNP. L'histoire de cette famille de peptides retrouve dans la majorité des cas une origine cardiaque, mais il est clair que ces peptides sont extrême- ment anciens et peuvent être secrétés ailleurs, dans le cerveau, la paroi artérielle, mais aussi dans les feuilles ! Elle souligne le caractère pléio- trope de l'activité des NPs et l'importance qu'il y a pour le médecin de tenir compte des nouveaux développements détaillés en première partie.

1. de Bold Al, Borenstein HB, Veress AT, et al. A rapid and potent natriuretic response to IV injection of atrial myocardial extract in rats. Life Sc 1981, 28, 89-94.

2. Gehring CA, l ~ n g HR. Natriuretic peptides - a class of heterologous molecules in plants. Int J Biochern Cell Bi01 2003, 35, 1318-1322.

3. lnoue K, Naruse K, Yamagami 5, et al. Four funaionally distinct C-type natriuretic peptides found in fish reveal evolutionaiy histoiy of the natriuretic peptide system. Pr Natle Acad Sc USA 2003,100, 10079-10084.

4. lnoue K, Skamoto T, Yuge 5, et al. Structural and fundional evolution of three cardiac natriuretic peptides. Mol Bi01 EVOI 2005, 22,2428-2434.

5. Kisch B. A significant electron rnicroscopic difference between the atria and the ventricles of the mammalian heart. Exp Med Surg 1963,21, 193-221.

6. Kishimito 1, Rossi K, Garbers DL, et al. A genetic model provides evidence that the receptor for ANP (guanylate cyclase A) inhibits ventricular rnyocyte hypertrophy. Proc Natl Acad Sc USA 2001,98,2703-2706.

7. Knowles JW, Esposito G, Mao l, et al. Pressure- independent enhancement of cardiac hypertrophy in natriuretic peptides receptor- deficient rnice. J Clin lnvest 2001, 107,975-984.

8. Lafontan M. Moro C, Segenes C, et al. An unsuspected rnetabolic role for atrial natriuretic peptides. Arterioscl Thrombos Vasc Biol 2005,25,2032-2042.

9. Marie JP. Guillemot H, Hatt PY. Le degré de granulation des cardiocytes auriculaires. Etude planimétrique au cours des différents aDDorts d'eau et de sodium chez le rat. Pathol Biol (Paris) 1976,' 24, 549-555.

10. Sengenhs C, Berlan M, de Glisezinski 1, et al. Natriuretic peptides a new lipolytic pathways in human adipocytes. FASEB J 2000, 14, 1345-1351.

1 1. Sudoh T, Kangawa K, Minamino N, et al. A new natriuretic peptide in porcine brain. Nature 1988, 332, 78-81.

1. En biologie de I'évolution, les divergences sont des modifications apportées à la structure de gènespar des muta- tions à la suite d'une duplication. La duplication à partir d'un gène ancestral produit deux gènes homologues qui sont dits paraloguess'ils sont retrouves dans une même espèce. Les gènes homologues obtenus dans des espèces différentes à la suite de divergences sont dits orthologues.

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