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DE L'INFLUENCE DE LA CHANSON SUR LE VERS AU XIXE SIÈCLE Brigitte BUFFARD-MORET Armand Colin | Romantisme 2008/2 - n° 140 pages 21 à 35 ISSN 0048-8593 Article disponible en ligne à l'adresse: -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- http://www.cairn.info/revue-romantisme-2008-2-page-21.htm -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Pour citer cet article : -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- BUFFARD-MORET Brigitte, « De l'influence de la chanson sur le vers au XIXe siècle », Romantisme, 2008/2 n° 140, p. 21-35. DOI : 10.3917/rom.140.0021 -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Distribution électronique Cairn.info pour Armand Colin. © Armand Colin. Tous droits réservés pour tous pays. La reproduction ou représentation de cet article, notamment par photocopie, n'est autorisée que dans les limites des conditions générales d'utilisation du site ou, le cas échéant, des conditions générales de la licence souscrite par votre établissement. Toute autre reproduction ou représentation, en tout ou partie, sous quelque forme et de quelque manière que ce soit, est interdite sauf accord préalable et écrit de l'éditeur, en dehors des cas prévus par la législation en vigueur en France. Il est précisé que son stockage dans une base de données est également interdit. 1 / 1 Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 200.10.67.162 - 02/05/2014 09h39. © Armand Colin Document téléchargé depuis www.cairn.info - - - 200.10.67.162 - 02/05/2014 09h39. © Armand Colin

De l'influence de la chanson sur le vers au XIXe siècle

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DE L'INFLUENCE DE LA CHANSON SUR LE VERS AU XIXESIÈCLE Brigitte BUFFARD-MORET Armand Colin | Romantisme 2008/2 - n° 140pages 21 à 35

ISSN 0048-8593Article disponible en ligne à l'adresse:

--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------http://www.cairn.info/revue-romantisme-2008-2-page-21.htm

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Pour citer cet article :

--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------BUFFARD-MORET Brigitte, « 

De l'influence de la chanson sur le vers au XIXe siècle

 »,

Romantisme, 2008/2 n° 140, p. 21-35. DOI : 10.3917/rom.140.0021

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140 (2008-2)

Brigitte BUFFARD-MORET

De l’influence de la chanson

sur le vers au

XIX

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siècle

Q

UAND

LES

POÈTES

SE

TOURNENT

VERS

LE

PASSÉ

POPULAIRE

ET

LITTÉRAIRE

« Renouvelons aussi toute vieille pensée. »

1

C’est par ces mots,empruntés à une ode de Du Bellay et mis en épigraphe, que Victor Hugoouvre ses

Ballades

dans l’édition de 1828. Or à ce renouvellement detoute vieille pensée correspond celui de toute vieille forme : si l’époqueromantique marque le début d’une extraordinaire période de transforma-tion de la versification, c’est certes parce que les règles draconiennes envigueur depuis Malherbe sont à présent ressenties comme un carcanpesant, mais aussi parce que les poètes se tournent vers le passé, littéraireet populaire, d’où ils exhument des formes oubliées ou méprisées, qu’ilsremettent à la mode

2

.

Le « genre troubadour »

Dès le début du

XVIII

e

siècle, des savants ecclésiastiques voulantmettre en lumière « l’origine et les progrès des arts et des sciences »

3

ontfait paraître plusieurs histoires de la poésie française, donnant la primautétantôt aux poètes de langue d’oc tantôt à ceux de langue d’oïl, sans que

1. Du Bellay,

Œuvres poétiques, recueils lyriques

, Droz,

1912, t. 3, p. 28.

2. Sur les rapports entre poésie et chanson, voir Brigitte Buffard-Moret,

La Chanson poétique

au

XIX

e

siècle, origine, statut et formes

, Rennes, PUR, 2006 (Prix Louis Barthou de l’Académiefrançaise 2007).

3. Titre d’un ouvrage de C. Noblot, paru en 1740 chez H.-L. Guérin.

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Brigitte Buffard-Moret

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préside d’ailleurs un véritable souci de méthode scientifique. Cet intérêtpour l’ancienne littérature, parti des érudits de province, a gagné la hautesociété parisienne, qui trouve du charme à ces « amours du bon vieuxtemps », sous-titre sous lequel est publiée en 1752 une nouvelle éditionde l’

Histoire d’Aucassin et de Nicolette

. Dans le même temps fleurissentdes recueils de chansons de troubadours, qui sont soit des textes médié-vaux très librement adaptés, soit des pastiches faits par de « nouveauxtroubadours » : c’est sous ce titre que paraît un recueil lyrique en 1787.

La poésie médiévale étant mal connue à l’époque, c’est plutôt uneatmosphère que s’efforcent de recréer les poètes, et le « genre trouba-dour » séduit les romantiques parmi lesquels, en premier lieu, VictorHugo. Mais pour lui comme pour beaucoup d’autres, la poésie des trou-badours se confond avec les « vieilles chansons » : les chansons quiémaillent son roman

Notre-Dame de Paris

sont qualifiées de « vieil air »,de « vieux refrain », elles n’ont rien à voir avec le chant courtois et nesont pas différentes des chansons qu’il introduit plus tard dans

Les Misé-rables

. Vers courts et naïveté des paroles sont les deux traits communs àtous ces vers, comme ceux-ci que chantent les deux écoliers Jehan duMoulin et Robin Poussepain :

Une hartPour le pendard

Un fagotPour le magot.

ou Jehan et Phoebus :

Les enfants des Petits-CarreauxSe font pendre comme des veaux.

4

Les chansons du folklore français et d’ailleurs

Cet engouement pour les « vieilles chansons » va de pair avec l’idée quise développe depuis la seconde moitié du

XVIII

e

siècle, chez Diderotd’abord, puis de manière systématique, chez l’Allemand Johann Gottfriedvon Herder

5

notamment, que dans l’enfance de l’humanité, où l’imagina-tion n’était pas encore bridée par la raison, la poésie était encore l’expres-sion directe des sentiments et le fruit collectif de tout un peuple. Cesthéories, par le biais des romantiques allemands, se développent dans lesmilieux intellectuels français parce qu’elles permettent de se démarquerde l’esthétique classique, tandis que se répand la mode des recueils de

4. Hugo,

Notre-Dame de Paris

, VII, 6, dans

Œuvres complètes

,

Roman I

, présentation, noticeset notes de Jacques Seebacher, Robert Laffont, coll. « Bouquins », 1985, p. 698

5. Voir Paul Van Tieghem,

Le Préromantisme, Études d’histoire littéraire européenne

,Librairie Félix Alcan, 1924, t. 1.

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chansons « populaires », mêlant en fait chansons purement lettrées, dansle style de la « poésie fugitive »

6

du temps, et vieilles rondes folkloriques.

À ce désir de retrouver une poésie primitive et authentique s’ajoutechez les romantiques une nostalgie nouvelle pour l’enfance – parcequ’elle construit la personnalité créatrice de l’artiste – et pour les souve-nirs qui s’y rattachent. Rousseau est le premier à avoir célébré, dans ses

Confessions

, les chansons qui ont bercé son enfance, avec l’évocation desairs que lui chantait sa « pauvre tante Suson »

7

.

Ainsi la chanson est très populaire et tout le monde chante, dessalons au coin des rues, en passant par les cabarets et les lieux de travail.Romances, chansons satiriques et politiques, chansons de circonstancesmondaines, chansons liées aux métiers – que l’on pense aux chansons demarins rythmant les différentes manœuvres sur les bateaux : chansons àhisser, à haler, à virer, à pomper… – : l’inspiration est multiple. Deuxfigures de chansonniers, parmi bien d’autres, marquent les poètes du

XIX

e

siècle : Béranger et Pierre Dupont. Hugo est très admiratif du pre-mier, même si leurs rapports ont été houleux

8

, et les œuvres du secondsont écoutées pendant l’exil à

Marine Terrace

. Gautier, Leconte deLisle, Banville sont liés à Pierre Dupont, auquel Baudelaire rend hom-mage comme à un « nouveau poète »

9

dans la préface qu’il écrit en1851 pour ses

Chants et Chansons

. Quant à Mallarmé dans l’œuvreduquel, parallèlement aux

Poésies

retenues pour l’édition posthumeparue chez Deman, figurent des poèmes intitulés « chansons », « odelettes »,« petit air », il a composé une élégie inachevée intitulée « Sur la tombede Béranger ».

Mais la chanson populaire française n’est pas la seule à intéresser lespoètes, qui se tournent vers le folklore d’autres pays. Hugo découvre le«

pantoum

ou chant malais, d’une délicieuse originalité »

10

auquel il faitallusion dans une note des

Orientales

et qui a un grand succès auprèsd’autres poètes comme Gautier, Baudelaire, Verlaine. Leconte de Lislelit l’œuvre du poète écossais Burns, que l’on a souvent nommé «

The

6. Ce terme fait référence à l’origine à leur mode de diffusion et désigne des poésies « quis’échappent de la plume et du portefeuille d’un auteur, en différentes circonstances de sa vie,dont le public jouit d’abord en manuscrit, qui se perdent quelquefois ».

Encyclopédie

, t. VII, éd.de 1757, p. 360,

s.v.

« Fugitives, (Pièces –) », cité par Sylvain Menant,

La Chute d’Icare, LaCrise de la Poésie française 1700-1750

, Genève-Paris, Droz, 1981, p. 219.

7. Rousseau,

Les Confessions

, éd. Bernard Gagnepin et Marcel Raymond, Gallimard, coll.« Bibliothèque de la Pléiade », 1959, p. 10.

8. Voir Jean Touchard,

La Gloire de Béranger

, Armand Colin, 1968, t. 1, p. 534-550 etJean-Bertrand Barrère,

La Fantaisie de Victor Hugo

, Corti, 1960, t. 2, « Le temps des

Châti-ments

», p. 27-62.

9. Baudelaire, « Sur mes contemporains : Pierre Dupont, I », dans Baudelaire,

Œuvrescomplètes

, éd. Claude Pichois, Gallimard, coll. « Bibliothèque de la Pléiade », t. 2, 1976, p. 26.

10. Hugo,

Œuvres poétiques

, éd. Pierre Albouy, Gallimard, coll. « Bibliothèque de la Pléiade »,1964, t. 1, p. 705-706.

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24

Brigitte Buffard-Moret

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Heaven-taught ploughman

» (« le laboureur inspiré des Cieux »)

11

et le« traduit » librement dans six chansons écossaises figurant dans la partie« Poésies diverses » de ses

Poèmes antiques

. Et Verlaine, en compagniede Rimbaud, lors de son séjour en Angleterre, apprend l’anglais enlisant Edgar Poe et des recueils de chansons anglaises, auxquelles plu-sieurs poèmes de la section « Aquarelles » dans

Romances sans paroles

font allusion

12

.

Chansons et odes du

XVI

e

siècle

Parallèlement, les poètes redécouvrent la poésie du

XVI

e

siècle quiétait tombée dans l’oubli et le décri lors des siècles précédents. Ils sontsensibles à la variété des structures strophiques, et Sainte-Beuve, dans son

Tableau historique et critique de la Poésie française et du Théâtre françaisau

XVI

e

siècle

,

qui correspondait au sujet proposé par l’Académie Françaiseen 1826 pour le prix d’éloquence, ainsi que dans son édition des

Œuvreschoisies

de Ronsard qu’il publie en même temps, s’enthousiasme pourcertaines strophes ronsardiennes : « La versification dut à Ronsard, écrit-il, de notables progrès. Et d’abord, il imagina une grande variété derythmes lyriques et construisit huit ou dix formes diverses de strophes,dont on chercherait vainement les modèles, dont on trouverait au plusdes vestiges chez les poètes ses prédécesseurs. Plusieurs de ces rythmes ontété supprimés par Malherbe, qui les jugea probablement trop compliquéset trop savants pour être joués sur sa lyre à quatre cordes. C’est seulementde nos jours que l’école nouvelle en a reproduit quelques-unes. »

13

À son tour, Hugo est conquis, et nombre de vers de Ronsard ou deDu Bellay figurent en épigraphe dans l’édition des

Odes et Ballades

de1828, la première strophe « D’un Vanneur de blé au vent » étant cavaliè-rement modifiée et rebaptisée… « vieille chanson » sans nom d’auteur !Car la poésie de la Renaissance, parce qu’elle a des grâces marotiquesou anacréontiques, qu’elle a pour titre « ode », « chanson », « odelette »,« élégie » ou « villanelle », est elle aussi confondue avec les vieilles chan-sons naïves chères à Rousseau, Chateaubriand, Nerval ou George Sand.Gautier, Baudelaire, Banville, Verlaine sont de grands lecteurs de Ronsardet leur œuvre en porte la marque.

11. Auguste Angellier,

Étude sur la vie et les œuvres de Robert Burns

, Hachette, 1892,p. 163.

12. Dans l’exemplaire de l’édition originale des

Romances sans paroles

acquis par le BritishMuseum en 1893 et renfermant des corrections de la main du poète, le titre de

Child Wife

estremplacé par

The Pretty One

écrit en surcharge. Or ce titre fait allusion à une chanson populaireanglaise très connue : « My little pretty one… ». Quant au poème

A poor young shepherd

, ilserait inspiré par les petits poèmes, dits «

valentines

», souvent chantés, qu’échangent lesAnglais à la fête de Saint-Valentin.

13. Sainte-Beuve, Tableau de la poésie française au XVIe siècle, éd. Jules Troubat, Lemerre,1876, t. 1, p. 134.

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Romantisme no 140

Les chansons du XVIIIe siècle

Un autre type de chanson a un grand succès, parce que symbole d’uneépoque révolue : les chansons des opérettes ou des vaudevilles duXVIIIe siècle, parmi lesquelles la romance à laquelle Rousseau a consacréun article de son Dictionnaire de musique 14. Hugo est un grand admira-teur du poète et chansonnier Vadé, qui s’est illustré dans le « genre pois-sard » et à qui il rend hommage dans Les Misérables. Rimbaud faitdécouvrir à Verlaine les libretti de Favart : dans Romances sans paroles, enépigraphe de la première des « Ariettes oubliées » figurent quelques versde Favart. Les fantaisies rimiques de Vadé, la simplicité naïve des romancesou des ariettes de Favart transparaissent dans les poèmes de Hugo, deVerlaine ou de Mallarmé.

Influences contemporaines

Enfin, les poètes s’influencent les uns les autres : Hugo est bien sûrle maître et tout poète, même s’il doit s’en détacher ensuite, s’inspire deson œuvre. On trouve chez Musset, Gautier, Banville, Verlaine destouches hugoliennes, Baudelaire lui dédicace « Les Petites Vieilles » et, àson tour, Banville imite Hugo et Gautier. L’œuvre inclassable deMarceline Desbordes-Valmore inspire également Baudelaire, Rimbaudet Verlaine. Les Fleurs du Mal marquent ensuite les poètes, et Verlaine,Rimbaud, Laforgue en subissent l’influence.

Or Hugo a introduit dans son œuvre des formes héritées de la chan-son populaire ou de la Renaissance ; donc ces formes se retrouvent chezceux qu’il inspire. L’influence se fait aussi par-delà les frontières : Baude-laire traduit Poe, d’abord pour des raisons financières, mais découvrechez ce poète des conceptions esthétiques qu’il partage et qu’il met àl’œuvre dans ses poèmes. Verlaine va jusqu’à lire, en Angleterre, Poe « enenglish » 15 après l’avoir lu en français, et ses poèmes sont autant influen-cés par le poète français que par le poète américain.

Chansons de « troubadour », « vieilles chansons » de France etd’ailleurs, poésie de la Renaissance, ariettes et romances, poèmes d’EdgarPoe où le refrain est primordial : toutes ces influences qui se combinentfavorisent le renouvellement du vers français et, tout au long du XIXe siècle,les poètes empruntent, pour leur poésie, des structures à la chanson tantpopulaire que littéraire.

14. Rousseau, article « Romance », Dictionnaire de musique, Genève, Minkoff, 1998,p. 427.

15. Lettre à Lepelletier du 16 mai 1873, dans Verlaine, Œuvres complètes, éd. JacquesBorel, Club du meilleur livre, 1959, t. 1, p. 1035.

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26 Brigitte Buffard-Moret

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LES MARQUES DE LA CHANSON DANS LES VERS DU XIXe SIÈCLE

Mètres courts et mètres impairs

La chanson populaire se caractérise par des vers courts. L’octosyllabeest le mètre le plus fréquent : que l’on pense à « Il était un petit navire »ou à « Ils étaient trois petits enfants/Qui s’en allaient glaner auxchamps. » Ce mètre a été très souvent utilisé dans les odes légères de laRenaissance. Gautier l’utilise dans nombre de ses poèmes aux titres ou àla thématique de chansons : « Chant du grillon », « Séguidille », « Séré-nade ». Dans le poème « Dans un baiser, l’onde… » il crée au sein del’octosyllabe non césuré un accent régulier sur la 4e syllabe comme danschanson populaire « Il était un/petit navire » :

Dans un baiser, l’onde au rivageDit ses douleurs ;

Pour consoler la fleur sauvage,L’aube a des pleurs ;

Le vent du soir conte sa plainteAu vieux cyprès,

La tourterelle au térébintheSes longs regrets. 16

et il élit le quatrain d’octosyllabes en rimes croisées pour tout le recueild’Émaux et Camées. C’est aussi le mètre le plus utilisé par Hugo dans lerecueil Chansons des rues et des bois – là encore pour une œuvre tout enquatrains de rimes croisées dont « l’impeccable jonglerie de [la]métrique » faisait « hennir » des Esseintes 17 – et l’octosyllabe figure aussien bonne place chez Verlaine dans ses Fêtes Galantes ou ses Romances sansParoles. Ce qui est nouveau, c’est que l’octosyllabe est utilisé même pourtraiter des sujets graves : Baudelaire l’emploie ainsi largement dans LesFleurs du Mal puisqu’il figure en isométrie dans 30 poèmes où il contri-bue à donner une tonalité particulière au recueil, dont la forme est ainsidécalée par rapport à la « tristesse [du] sujet » 18.

Des vers encore plus courts figurent dans nombre de poèmes inspiréspar la chanson, parce qu’ils permettent de rapprocher les échos sonoresde la rime. Ainsi l’hexasyllabe, mètre de la chanson populaire « Nousn’irons plus au bois », est-il utilisé par Hugo dans sa dernière pièce desOdes, « Rêves », dont la thématique emprunte à l’imagerie médiévale :

16. Gautier, Œuvres poétiques complètes, éd. Michel Brix, Bertillat, 2004, p. 358.

17. Huysmans, À rebours, Gallimard, 1977, chap. XIV, p. 308.

18. Baudelaire, Projet de préface, III, dans Œuvres complètes, éd. Claude Pichois, Galli-mard, coll. « Bibliothèque de la Pléiade », 1976, t. 1, p. 184.

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Oh ! la Bretagne antique !Quelque roc écumant !Dans la forêt celtiqueQuelque donjon gothique !Pourvu que seulementLa tour hospitalièreOù je pendrai mon nid,Ait, vieille chevalière,Un panache de lierreSur son front de granit. 19

et il est très présent aussi dans le recueil des Chansons des rues et des bois.Il figure également notamment dans Romances sans paroles et dans plu-sieurs complaintes de Laforgue.

Hugo, qui commence son œuvre poétique par des performancesmétriques et s’inspire en cela des chansonniers des siècles précédents,compose une de ses Ballades « le Pas d’armes du roi Jean » uniquementen vers de 3 syllabes, et l’on retrouve des vers courts dans les Chansons desrues et des bois, avec plusieurs pièces en vers de 4 syllabes. Le vers de 4 syl-labes apparaît aussi à plusieurs reprises dans Romances sans Paroles :l’aspect haché qu’il donne à la phrase, courant ainsi obligatoirement surplusieurs vers, permet, par exemple dans « Walcourt », de transcrire les« impressions » 20, selon les propres mots de Verlaine, qui se succèdenttandis que le train roule.

Quant aux mètres de 5 et 7 syllabes, qui sont culturellement liés àla chanson, ils font une percée remarquable dans la poésie françaisedu XIXe siècle. Le pentasyllabe était totalement inusité en dehors de lapoésie légère des XVIIe et XVIIIe siècles. Mais Hugo l’utilise dès sesBallades dans « La Ronde du Sabbat », Verlaine pour un des Poèmessaturniens, « Soleils couchants », et Rimbaud pour quelques-uns deses poèmes, comme « Chanson de la plus haute tour », à un momentoù « opéras vieux, refrains niais, rhythmes naïfs » 21 lui plaisentencore.

C’est le moment où apparaît également une bizarrerie métrique, ledécasyllabe césuré 5-5, qui est une façon de faire resurgir ce rythmeimpair au sein d’un vers à l’origine segmenté en deux mesures paires. Lespoètes l’utilisent seul ou associé à des pentasyllabes, comme Hugo dansla Chanson IV de la section VI :

19. Hugo, Œuvres poétiques, ouvr. cité, t. 1, p. 493.

20. Dans une lettre à Lepelletier du 23 mai 1873, Verlaine parle à propos de Romances sansparoles d’un « volume en partie d’impressions de voyage », dans Verlaine, Œuvres complètes,ouvr. cité, t. 1, p. 1041.

21. Rimbaud, « Alchimie du verbe », Une saison en enfer, dans Œuvres complètes,éd. Antoine Adam, Gallimard, coll. « Bibliothèque de la Pléiade », 1972, p. 108.

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Nous nous promenions parmi les décombresA Rozel Tower,

Et nous écoutions les paroles sombresQue disait la mer. 22

ou à des octosyllabes, comme Leconte de Lisle dans la chanson écossaise« Nell », ce qui rattache encore davantage ce vers à aux mètres de lachanson :

Ta rose de pourpre, à ton clair soleil,O Juin, étincelle enivrée ;

Penche aussi vers moi ta coupe dorée :Mon cœur à ta rose est pareil. 23

Ce type de décasyllabe est utilisé en isométrie notamment par Hugo dansles Châtiments, recueil dont il dit dans un projet qu’« il contiendra detout, des choses qu’on pourra dire, et des choses qu’on pourra chan-ter » 24. Et Baudelaire, une fois encore, brouille les tonalités, en utilisant cedécasyllabe pour « La Mort des amants » qui fut qualifiée de « berceusemorbide ».

Quant à l’heptasyllabe, il est très présent dans des poèmes aux alluresde chanson, ainsi chez Hugo, dans les Ballades, dans les Orientales pour la« Romance mauresque », dans Les Contemplations pour le poème léger« La Coccinelle » ou pour plusieurs pièces des Chansons des Rues et desbois ; chez Baudelaire, associé au vers de 5 syllabes pour le poème à refrain« L’invitation au voyage » ; chez Verlaine dans plusieurs pièces de Romancessans Paroles, comme pour le poème « Bruxelles. Simples fresques » com-posé de deux pièces dont la première est en heptasyllabes et la seconde enpentasyllabes.

Ce désir de faire dans la poésie « de la musique avant toute chose »aboutit aussi à ce que Verlaine introduise dans son œuvre un vers impairjusque là inusité dans la poésie non chantée : l’ennéasyllabe…

Les strophes

La redécouverte de la poésie du XVIe siècle ainsi que le goût pour lachanson, qui poussent les poètes à ne pas rompre avec les chansons de lapoésie fugitive et des vaudevilles du siècle précédent, favorisent l’intro-duction dans la grande poésie de formes strophiques jusqu’alors inusitées.Certaines ont un immense succès et se retrouvent d’un poète à l’autre.

C’est le cas de deux strophes remarquées par Sainte-Beuve chez Ronsard.La première figure dans l’ode De l’Élection de son sepulchre :

22. Hugo, Œuvres poétiques, ouvr. cité, t. 2, p. 151.

23. Leconte de Lisle, Œuvres, éd. Edgar Pich, Les Belles Lettres, 1977, t. 3, p. 295.

24. Cité dans Hugo, Œuvres poétiques, ouvr. cité, t. 2, p. 898.

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Mais bien à noz campagnesFist voir les Sœurs compagnesFoulantes l’herbe aux sons

De ses chansons, 25

Sainte-Beuve la célèbre ainsi : « Ce petit vers masculin de quatre syllabesqui tombe à la fin de chaque stance produit à la longue une impressionmélancolique : c’est comme un son de cloche funèbre. » 26 Elle avait déjàété reprise par Belleau pour une ode imitée d’Anacréon 27 puis auXVIIe siècle par Tristan et Voiture pour des chansons. Après Sainte-Beuve,on la retrouve chez Baudelaire pour « À une mendiante rousse » 28 et chezVerlaine dans une pièce des Fêtes Galantes, « À Clymène ».

L’autre strophe est celle d’une chanson des Amours de Marie :« Quand ce beau printemps je voy… » :

Quand ce beau Printemps je voy,J’apperçoy

Rajeunir la terre et l’onde,Et me semble que le jour,

Et l’amour,Comme enfans naissent au monde. 29

Elle a eu déjà un grand succès au XVIe et au XVIIe siècle 30. Sainte-Beuvene tarit pas d’éloges sur la structure et cite à la fois le poème de Ronsardet un autre de Belleau sur le même modèle. À leur suite, il consigne sonpropre poème À la Rime, écrit sur le même modèle, « comme un hom-mage offert au grand inventeur lyrique du XVIe siècle » 31. Hugo, aprèsavoir mis ces trois poèmes en épigraphe dans l’édition de 1828 des Odes etBallades, reprend le schéma pour « Sara la Baigneuse » dans Les Orientaleset, après lui, Gautier, Musset, Nerval 32, Banville, Verlaine.

25. Ronsard, Œuvres complètes, éd. Jean Céard, Daniel Ménager et Michel Simonin, Galli-mard, coll. « Bibliothèque de la Pléiade », 1993, t. 1, p. 797.

26. Sainte-Beuve, ouvr. cité, p. 87.

27. Belleau, Que la Richesse ne peut rien contre la mort, dans Œuvres poétiques, sous la dir.de Guy Demerson, Honoré Champion, 1995, t. 1, p. 29.

28. Voir Franck Bauer, « Ronsard, Belleau, Baudelaire et la Mendiante rousse », dans lesactes à paraître du colloque international La Postérité de la Renaissance, organisé par VéroniqueGély et Fiona Mac Intosh à la maison de la Recherches de Villeneuve d’Ascq, les 12, 13,14 février 2004.

29. Ronsard, Le Second Livre des Amours, ouvr. cité, t. 1, p. 237.

30. Sur l’histoire de cette strophe, voir Brigitte Buffard-Moret « Sara la baigneuse, ou lesavatars d’une chanson poétique du XVIe siècle », dans Actes des journée d’étude Poésie,Musique, chanson de mars 2006 à l’université d’Artois éd. Brigitte Buffard-Moret, ArtoisPresses Universitaires, à paraître.

31. Sainte-Beuve, Œuvres choisies de P. de Ronsard, Garnier, 1879, p. 47.

32. Pour une odelette, « Les papillons » après qu’il a cité le « Bel aubépin » de Ronsard,construit sur le même schéma ainsi que le poème de Belleau. Voir Nerval, Œuvres complètes,éd. Jean Guillaume et Claude Pichois, Gallimard, coll. « Bibliothèque de la Pléiade », 1989, t. 1,p. 332.

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Ce qui plaît dans ces types de strophes, ce sont les échos rapprochéspar le biais d’un vers très court : vers de 4 syllabes ou de 3 syllabes, ainsique, pour le premier type de strophe, la chute sur un vers plus court queles autres, qui constitue une forte clausule. C’est la même chute, redou-blée, que comporte une autre strophe de Hugo, reprise elle aussi pard’autres : celle de la Chanson d’Elespuru de la scène 2 de l’acte IV deCromwell, pratiquant l’alliance de vers de 5 et de 2 syllabes, cette fois-ciles deux vers courts se faisant écho :

Au soleil couchant,Toi qui va cherchant

Fortune,Prends garde de choir ;La terre, le soir,

Est brune. 33

Musset (« La Nuit »), Verlaine (« Colombine », Fêtes Galantes) l’uti-lisent à leur tour pour des pièces où il est question de chansons et demandolines…

Empruntées à la chanson, d’autres strophes ont un grand succès auXIXe siècle. C’est le cas du tercet, apparu dans la poésie médiévale, chezRutebeuf et Marguerite de Navarre, puis disparu pendant plusieurs siècles.Le tercet à tierce rime (ou terza rima), remis à l’honneur par les Parnas-siens – où le vers du milieu trouve sa rime dans le premier et dernier versde la strophe suivante, et où le vers final est isolé, permettant une chutespectaculaire – n’est pas hérité de la chanson mais de la Divine Comédie deDante. En revanche, Verlaine, qui varie les structures des tercets, suscitantl’admiration de Huysmans via son personnage Des Esseintes 34, emploiedans « Un dahlia » le tercet de forme abb acc, qu’on trouve dans la chan-son populaire « Brave marin », et pour « Streets I » un tercet monorimequi est « une des plus anciennes formes de la chanson à danser » 35.

De la même façon, le distique appartient au domaine de la chansonpopulaire où il est très présent, du fait que bien des couplets de chansons,constitués à l’origine d’un seul vers long, comme « Il était un petit navirequi n’avait jamais navigué », apparaissent disposés comme une suite dedeux vers courts, dont un seul rime avec le couplet suivant (« Il était unpetit navire/Qui n’avait jamais navigué/Il partit pour un long voyage/Surla mer Méditerranée »). C’est d’une certaine façon avec cette structure

33. Hugo, Cromwell, IV, 1, dans Théâtre, I, Notice et notes de Anne Ubersfeld, Robert Laffont,coll. « Bouquins », 1985, p. 237.

34. J.-K. Huysmans, À rebours, Garnier-Flammarion, 1978, chap. XIV, p. 211.

35. Henri Chatelain, Recherches sur le vers français au XVe siècle. Rimes, mètres et strophes,Honoré Champion, 1908, cité par Jean-Louis Aroui dans « Les tercets verlainiens », Verlaine àla loupe, Colloque de Cerisy, 11-18 juillet 1996, éd. Jean-Michel Gouvard et Steve Murphy,Honoré Champion, 2000, p. 226.

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que renove Baudelaire dans Abel et Caïn, puisque ses distiques ne sontpas en rimes plates, mais qu’il établit un système en rimes croisées surdeux strophes. Chaque distique associe donc une rime féminine et unerime masculine, à la manière des distiques des chansons populaires :

Race d’Abel, dors, bois et mange ;Dieu te sourit complaisamment.

Race de Caïn, dans la fangeRampe et meurs misérablement. 36

Mais ailleurs, chez Verlaine par exemple 37, les distiques sont en rimes plates.La rime plate apparaît aussi dans les quatrains, comme c’est le cas

dans nombre de chansons populaires, par exemple « Le Roi Renaud »ou la « Complainte du Juif errant ». Ainsi Vigny l’utilise dans plusieursde ses Poèmes antiques et modernes comme « La Neige » ou « Le Cor »,qui portaient à l’origine en sous-titre la mention de « Ballade », Hugo,pour le refrain de la « chanson des Aventuriers de la mer » dans LaLégende des Siècles, Baudelaire pour plusieurs poèmes des Fleurs du Maldont « Le Vin des chiffonniers », qui fut à l’origine un poème en rimessuivies et qui prend dans sa version définitive une forme de poèmestrophique :

Souvent, à la clarté rouge d’un réverbèreDont le vent bat la flamme et tourmente le verre,Au cœur d’un vieux faubourg, labyrinthe fangeuxOù l’humanité grouille en ferments orageux,

Un autre type de strophe fait une réapparition durable au XIXe siècle :le quintil. Il avait été utilisé par Marot pour plusieurs chansons de l’Ado-lescence Clémentine, ainsi qu’au XVIIe siècle par Madame Deshoulières ouVoiture pour des chansons de circonstances. Lamartine et Hugo l’ontremis à la mode, le premier dans ses Nouvelles Méditations poétiques, lesecond dans ses Odes et Ballades. Mais une structure nouvelle émerge :le quintil où le premier et le dernier vers sont semblables. Ce procédé dubouclage de la strophe par un vers répété est pratiqué par MarcelineDesbordes-Valmore dans les romances « Le Bouquet », « La Reconnais-sance », « Que je te plains » 38, parues dans les années 1820, et Lecontede Lisle, influencé par le poète populaire écossais, Burns, s’y est essayédès les Poèmes antiques 39, parus en 1852. En fait, au fil des années, les

36. Baudelaire, Œuvres complètes, ouvr. cité, t. 1, p. 122.

37. Dans « Colloque sentimental » de Fêtes galantes ou « O triste, triste était mon âme », deRomances sans paroles, par exemple.

38. Marceline Desbordes-Valmore, Œuvres poétiques, éd. M. Bertrand, Presses Universi-taires de Grenoble, 1973, t. 1 p. 96 et suiv.

39. Voir notamment « La chanson du rouet » et « La chute des étoiles » dans Poèmesantiques.

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influences se cumulent et des procédés se retrouvent d’œuvre en œuvreet de poète en poète. Souvent, c’est quand un poème devient célèbreque le procédé qu’il contient reste associé au poète qui l’a écrit : c’estainsi que ce type de quintil reste essentiellement lié à Baudelaire, etVerlaine y pense sans aucun doute quand il rend hommage à Baudelairedans L’Art du 16 novembre 1865 :

Là où il est sans égal, c’est dans ce procédé si simple en apparence, maisen vérité si décevant et si difficile, qui consiste à faire revenir un vers tou-jours le même autour d’une idée toujours nouvelle et réciproquement ;en un mot à peindre l’obsession. 40

À son tour, il use de ce type de quintil dès les Poèmes saturniens, pour« Nevermore II » : le goût de tous ces poètes pour les chansons lesamènent à favoriser dans leurs œuvres des procédés de répétitions variés.

Les procédés de répétition

Un refrain apparaît dans de nombreux poèmes ayant trait à la chan-son. Chez Hugo, par exemple, tantôt il est indépendant de la strophe,comme dans « Le Chasseur noir » des Châtiments, tantôt lié, comme dansla « Légende de la nonne » des Odes et Ballades, tantôt il varie au fil desstrophes comme dans « Mes vers fuiraient… » des Contemplations :

Mes vers fuiraient, doux et frêles,Vers votre jardin si beau,Si mes vers avaient des ailes,

Des ailes comme l’oiseau.

Ils voleraient, étincelles,Vers votre foyer qui rit,Si mes vers avaient des ailes,

Des ailes comme l’esprit.

Près de vous, purs et fidèles,Ils accourraient nuit et jour,Si mes vers avaient des ailes,

Des ailes comme l’amour. 41

Ces refrains se retrouvent chez Gautier, Leconte de Lisle, Baudelaire,Verlaine, Laforgue…

Le procédé de bouclage observé au niveau de la strophe pour lequintil peut se faire au niveau du poème, avec le même vers ou la mêmestrophe qui ouvre et ferme le poème, comme, chez Hugo, dans « Clair de

40. Verlaine, Œuvres en prose complètes, éd. Jacques Borel, Gallimard, coll. « Bibliothèquede la Pléiade », 1972, p. 611.

41. Hugo, « Mes vers fuiraient… », Les Contemplations, dans Œuvres poétiques, ouvr. cité,t. 2, p. 537.

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lune » des Orientales ou, chez Verlaine, dans l’Ariette VIII de Romancessans paroles : « Dans l’interminable/Ennui de la plaine » où la première etla 2e strophe sont répétées, la première à la fin du poème, la seconde aumilieu. Car il semble que les poètes renchérissent en matière de répéti-tions, mêlant le systématique à l’aléatoire, associant le vers au vertige.

C’est ce qui explique le succès du pantoum, où chaque deuxièmeet quatrième vers du premier quatrain devient le premier et le troi-sième du deuxième quatrain et ainsi de suite, structure complexe àlaquelle s’essaient tour à tour Leconte de Lisle, Banville, Baudelaire,Verlaine…

Ce peuvent être les mêmes mots qui se retrouvent de vers en vers oude rime en rime, procédé auquel recourt Leconte de Lisle allant, danstrois pièces 42 des Poèmes Tragiques, jusqu’à limiter les variations de termesà la rime, puisque mots-rimes du premier quatrain parcourent tout lepoème, alternativement dans le même ordre et dans l’ordre inverse :

Les Roses d’Ispahan dans leur gaine de mousse,Les jasmins de Mossoul, les fleurs de l’orangerOnt un parfum moins frais, ont une odeur moins douce,O blanche Leïlah ! que ton souffle léger.

Ta lèvre est de corail, et ton rire légerSonne mieux que l’eau vive et d’une voix plus douce,Mieux que le vent joyeux qui berce l’oranger,Mieux que l’oiseau qui chante au bord du nid de mousse.

Mais la subtile odeur des roses dans leur mousse,La brise qui se joue autour de l’orangerEt l’eau vive qui flue avec sa plainte douceOnt un charme plus sûr que ton amour léger !

Ces reprises de sonorités à l’intérieur du vers ou à la rime, de mots,de vers, vont s’accentuant encore chez Baudelaire et Verlaine, influencéspar Poe. Selon celui-ci, « la mélancolie est le plus légitime de tous lestons poétiques » 43 et pour créer celle-ci, il s’appuie sur l’effet produitpar le refrain : « Tel qu’on en use communément, le refrain non seule-ment est limité aux vers lyriques, mais encore la vigueur de l’impressionqu’il doit produire dépend de la puissance de la monotonie dans le sonet dans la pensée. Le plaisir est tiré uniquement de la sensation d’iden-tité, de répétition. Je résolus de varier l’effet, pour l’augmenter, en res-tant généralement fidèle à la monotonie du son, pendant que j’altéreraiscontinuellement celle de la pensée ; c’est-à-dire que je me promis de

42. « Sous l’épais sycomore », (ouvr. cité, p. 38), « Les Roses d’Ispahan » (p. 43), « Le fraismatin dorait » (p. 127).

43. « La Genèse d’un poème », dans Poe, Contes, Essais, poèmes, éd. Claude Richard,Robert Laffont, coll. « Bouquins », 1989, p. 1011.

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produire une série continue d’effets nouveaux par une série d’applica-tions variées du refrain, le refrain en lui-même restant presque toujourssemblable ».

Baudelaire, Verlaine ont voulu encore raffiner le procédé, ce dernierdéclarant dans une lettre à Lepelletier du 16 mai 1873, à propos d’unnouveau projet poétique : « Les vers seront d’après un système auquel jevais arriver. Ça sera très-musical, sans puérilités à la Poë (quel naïf quece “malin” ! Je t’en causerai un autre jour, car je l’ai tout lu en english)et aussi pittoresque que possible. » 44 Dans Romances sans paroles, certainspoèmes semblent ainsi saturés par quelques sons, avec des assonances,des rimes, des mots sans cesse répétés, comme dans la 3e des « Ariettesoubliées » :

Il pleure dans mon cœurComme il pleut sur la ville ;Quelle est cette langueurQui pénètre mon cœur ?

Ô bruit doux de la pluiePar terre et sur les toits !Pour un cœur qui s’ennuieÔ le chant de la pluie !

Il pleure sans raisonDans ce cœur qui s’écœure.Quoi ! nulle trahison ?Ce deuil est sans raison.

C’est bien la pire peineDe ne savoir pourquoiSans amour et sans haineMon cœur a tant de peine ! 45

L’influence de la chanson, tant celle du peuple que celle des poètes, acontribué à renouveler le vers au XIXe siècle, en ressuscitant des mètrespeu usités comme les mètres courts, détournés souvent de leurs emploislégers d’autrefois, en introduisant un mètre totalement nouveau, l’ennéa-syllabe. Les poètes de ce siècle renouent avec les multiples combinaisonsstrophiques qui ont fait la gloire de Marot et de Ronsard, ainsi qu’avecles performances sonores qui furent celles de la fin du Moyen Âge. Larépétition redevient reine, les sonorités s’entrelacent en un « langoureuxvertige » qui fait sens.

« Je suis las des “crottes”, des vers “chiés” comme en pleurant, autantque des tartines à la Lamartine (qui cependant a des choses inouïes de

44. Verlaine, Œuvres complètes, ouvr. cité, t. 1, p. 1035.

45. Verlaine, Œuvres poétiques complètes, ouvr. cité, p. 192.

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beauté) », écrit Verlaine à son ami Lepelletier le 23 mai 1873 46. Les versde ces chansons poétiques, en mettant l’émotion à distance tout en simu-lant par le retour lancinant des mêmes sons et des mêmes mots « lesobsessions de la mélancolie ou de l’idée fixe » 47, permettent au poète dese faire deviner juste « dans un murmure »…

(Université de Poitiers,équipe de recherches FORELL)

46. Verlaine, Œuvres complètes, ouvr. cité, t. 1, p. 1040.

47. Baudelaire, Nouvelles Notes sur Edgar Poe, dans Œuvres complètes, ouvr. cité, t. 2,p. 336

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