9
CARNET DE VOYAGE Dessins : Reno Marca Textes : Mariana Bonnet Photos : Philippe Aimar

DE VOYAGE · poursuivre mes études. Avant je tra-vaillais avec mon oncle à préparer ... Au fils des ans j’ai tissé des liens d’amiti ... Ma collecte débute sous de

  • Upload
    vuthien

  • View
    213

  • Download
    0

Embed Size (px)

Citation preview

C A R N E TD E V O Y A G E

Dessins : Reno Marca Textes : Mariana BonnetPhotos : Philippe Aimar

La saison de la collecte de vanilleapproche. C’est le début du mois dejuin. Je viens de terminer mes coursà l’université. J’ai réussi mes exa-mens. Je suis en seconde année debotanique, j’espère travailler avecles vazahas pour le commerce desplantes mais surtout mettre aupoint un alambic qui facilitera la fa-brication d’huiles essentielles.Depuis que j’arpente la broussepour collecter la vanille, j’ai repérédes centaines d’espèces de fleurset orchidées sauvages. Je note etréférence toutes les nouvellesplantes que je découvre. Depuis 7 ans, je suis collecteur pro-fessionnel ce qui me permet depoursuivre mes études. Avant je tra-vaillais avec mon oncle à préparerla vanille. Je dispose d’un petit capi-tal qui me permet de suivre lescours à la faculté. Cette année s’an-nonce bonne. Il n’y a eu ni séche-resse, ni cyclone, ni tempêtestropicales. Je vais avoir besoin deplus de fonds si je veux faire un bonbénéfice.

VANILLE • LA ROUTE BOURBON • 259• VANILLE • LA ROUTE BOURBON258

Je dois d’abord réparer ma vieille 4 L si jene veux pas qu’elle tombe en panne au mi-lieu de la saison. C’est un outil indispensa-ble pour accéder aux villages isolés.Je vais aller voir les exportateurs de vanille,des chinois et des indiens pour la plupart,demander des avances pour la collecte. J’aisu instaurer une certaine confiance avec laqualité de mes collectes.Ils ne m’accompagnent pas dans mes péri-ples en brousse. J’aime travailler seul, àmon rythme, revoir les mêmes planteurs.Au fils des ans j’ai tissé des liens d’amitiéet de confiance. J’ai aussi une plus grandeliberté de négociation. C’est vrai que je paye parfois ma vanille unpeu plus chère que les autres, mais lesplanteurs n’essaient pas de me refiler desgousses phenolées ou “poquées”. Aucontraire ils me gardent toujours les plusbelles. Et ainsi j’arrive toujours à la reven-dre aux exportateurs un très bon prix etmes marges sont plus avantageuses.

Alors rasé de près et paré de mes plusbeaux atours, je fais la tournée de cesmessieurs. Yang m’avance 500 000FGM. Dans la SAVA, on négocie tou-jours avec les Francs Malgaches.L’Ariary, c’est trop compliqué pour eux.Cette année la vanille verte se négocieentre 15 000 et 20 000 FMG le kilo.La vanille préparée ou encore appeléevanille noire, jusqu’à 150 000 FMG le kilo. De son magasin, Yang traitera avecses clients européens les gousses pré-parées, triées et conditionnées parbottes de 30 pour environ 35 $US lekilo, soit plus de 250 000 FMG.Si tout se passe bien, en deux ou troiscollectes je lui rembourserai sonavance. Et c’est seulement après queje commencerai réellement à gagnerun peu d’argent.

Les démarches adminis-tratives afin d’obtenirtoutes les autorisationsm’accaparent pendantplus de trois jours et ponc-tionnent allégrement monbudget. Chaque année leprix de la carte profession-nelle augmente, mais elleest indispensable pourtransporter la vanille entoute légalité.

J’embarque quelquescaisses, des couvertures,des soubiques (panierstressés en satrana), mesplus belles chemises etpantalons et je m’engagesur la RN 3A vers Andapa,grande cuvette agricolefournissant du riz à toutela région.

Isolée dans un écrin d’unvert intense entre les mas-sifs de Marojejy et d’Anja-

naharibe, l’accès estdifficile mais spectacu-

laire. La route qui relie An-dapa à Sambava serpente

le long du fleuve Lokoho,l’une des dernières forêtspluviales de Madagascar

s’élevant en reliefs demontagne escarpés.

VANILLE • LA ROUTE BOURBON • 261• VANILLE • LA ROUTE BOURBON260

Malheureusement, malgré leur statutd’aires protégées et l’intérêt endé-mique et biologique de ces espaces,de fortes menaces affectent ces ré-serves. La chasse aux lémuriens, la ré-colte de bois précieux (palissandre,ébène et bois de rose) et les mines depierres précieuses (améthystes,quelques béryls) sont encore très présents etpeu contrôlés. Les cultures sur brûlis,aggravées par la population enconstante croissance, continuent deronger les forêts.A mi-chemin, un peu après Manante-nina, je gare la voiture le long de laroute et m’enfonce dans la brousse. Je vais passer chez Cédric dont la fa-mille plante la vanille depuis des géné-rations. On fait toujours affaireensemble. L’année dernière, il s’estfait voler plus de la moitié de sa ré-

colte encore sur pied. Il était désespéré,plus de neuf mois de travail perdu, malgréses tours de garde de jour comme de nuit.Cette année il a du cacher ses lianes etcertainement transgresser les fady (inter-dit qui rythme la vie des malgaches) pourles planter dans des endroits les plus im-promptus. Effectivement, je le trouve prèsd’un petit cimetière. Les vanilliers pous-sent au milieu des tombes. Accompagnéde sa femme il récolte les gousses.A leurs sourires et regards lumineux, jecomprends que la récolte est bonne. Desgousses longues et charnues emplissentleurs paniers. Ma collecte débute sous debons auspices. Je vais rester la journée et

la nuit avec eux. La négociation, même si leur ré-colte m’est promise ne doit pas être précipitée. Puisc’est l’occasion pour eux de prendre un peu desnouvelles de la ville et de la famille. D’ailleurs matante leur envoi un lamba (étoffe de coton qui com-plète le vêtement traditionnels) et je sors quelquesbougies pour éclairer le repas. Dans sa case ni eauni électricité. On vit au rythme du soleil.

Le romazava qui accompagne le riz de Joséphine estexcellent. Elle sort aussi un bocal d’achards demangue aussi relevés que le toaka gasy (alcool arti-sanal) de Cédric. Nous buvons, parlons et rionsbeaucoup.

VANILLE • LA ROUTE BOURBON • 263• VANILLE • LA ROUTE BOURBON262

En fin de soirée, l’affaire est faite :je repartirai demain avec 100 kilosde vanille verte extra. On remplirales papiers lorsqu’on sera plus frais,là nous allons dormir un peu.Dès l’aube je pars avec Cédric fairele tour de ses plants. En chemin nous cueillons quelquesravi-maitso (plantes médicinalesmalgaches) demandés par mamère. Elle connaît leurs propriétéset méthodes d’utilisation. Sans êtreune véritable Ombiasy (personneaux grandes vertus) sa réputationde guérisseuse s’accroît et les gensviennent parfois de loin pour consul-ter et bénéficier de ses soins. L’écorce de Jacquier soigne des versintestinaux, celle du cannelier lestoux et les bronchites. Les fleursfraîches du papayer infusées sontexcellentes pour les douleurs dereins. Chaque plante possèdedes vertus, mais c’est surtout defeuilles du talapetraka et desgraines d’arbre de rotra dont ellea besoin.

En fin de matinée nous re-tournons à sa case, je rem-plis sa carte de planteur, leregistre d’achat et de ventedans lequel sont consignésla date, le lieu, le nom et ledomicile du planteur, lamarque des gommes et laquantité achetée. Toutes cesformalités sont indispensa-bles pour transporter la va-nille verte.

Je retrouve ma voiture etreprends mora mora la na-tionale 3 vers la côteorientale. L’air est chaudet chargé de senteurs dessous bois. En chemin jecroise plusieurs femmesportant leurs soubiquesremplies de gousses devanille sur la tête. Je reconnais les pagnesaux couleurs bigarrés etles formes parfaitesd’Aina. Elancée sur sesjambes musclées et vigou-reuses, elle avance d’unbon pas. Nous nousconnaissons depuis quenous sommes enfants àl’époque où j’accompa-gnais mon oncle dans sescollectes. Nous jouions aux alen-tours du village, débus-quions les caméléons etattendions aux aguets

qu’il déroule sa langue etgobe les insectes. Ainaétait bien plus douée quemoi pour dénicher et memontrer dans la brousse,les arbres aux fruits succu-lents, les milles et une va-riétés d’oiseaux. Cesjournées en sa compagnierestent parmi les plusbelles de ma vie. J’ai tou-jours eu le béguin pourAina, elle est si belle. - « Bonjour Aina, je te dé-pose quelque part ? »

- « Oh Brice, comme je suiscontente de te voir. Tavenue va faire plaisir auxparents, deux collecteurssont passés hier au villageet papa a eu toutes les dif-ficultés du monde pourtrouver une solution amia-ble et te réserver les meil-leures gousses »- « allez monte, tu me ra-conteras tout ça en che-min »Le petit village d’Ambolo-madinaka se trouve à unequinzaine de kilomètresde Sambava. De nom-breux planteurs viennentapporter leurs récoltes.Pareil à mille autres il estun lieu de passage obligépour de nombreux collec-teurs.

VANILLE • LA ROUTE BOURBON • 265• VANILLE • LA ROUTE BOURBON264

Une trentaine de cases, petites et sou-tenues par de frêles pilotis d’environ 40cm de hauteur pour s’isoler de l’humi-dité, se cachent à l’orée de la forêtdense et luxuriante. Les planchers enbambou aplati sont tapissés de nattes.Une seule pièce sert à toutes les activi-tés de la maison. Le foyer qui permetaux femmes de préparer les repas setrouve généralement à l’angle du muropposé à celui où se trouvent lescouches, de simples couvertures flan-quées sur des nattes.Des paniers remplis de fruits ou d’œufs,des chapelets de poivre en train de sé-cher, gisent au milieu de la pièce princi-pale. Eclairée par une seule fenêtre, laporte reste constamment ouverte afinde bénéficier d’un peu d’air et de la lu-mière du jour.Au milieu du village, la préparationd’une partie de la récolte a commencé.Dans ces cases à l’abri du soleil,femmes et enfants trient la récolte envue de l’échaudage. Dans de gros bi-dons rouillés on fait chauffer l’eau à 65°, et on en vérifie la température justeavec les doigts. Puis les goussescontenu dans des paniers en osier sontimmergées durant une à deux minutes.

On appelle une chaude ou un échau-dage. Elles sont ensuite disposées dansde grandes caisses en bois capitonnéesde couvertures de laine afin d’évitertoute perte de chaleur. La vanille sue lanuit entière et commence sa macéra-tion. C’est à ce stade que la vanilleprend sa couleur chocolat.Au matin, les gousses sont disposéessur les claies dressées au milieu du vil-lage. Femmes et enfants s’affairentpour étaler les vanilles en plein soleil,juste quelques heures. Puis les entrepo-ser à l’ombre. L’opération se répète du-rant plusieurs jours. Les trier et lesdescendre de claies au fur et à mesurequ’elles sèchent. Les gousses sontchoyées, alignées soigneusement, ellessont essuyées une à une pour enleverles traces d’huile qu’elles produisent,écarter toutes les impuretés et déchets.

Après cinq ou six semaines, les gousses sont prêtespour être livrées aux conditionneurs-stockeurs qui pro-céderont à la mise en malle, au calibrage et au condi-tionnement en vue de l’exportation. Dans ces grands magasins, hommes et femmes travail-lent la vanille. Au terme d’un triage minutieux, lesgousses sont mises dans des malles en bois tapisséesde papier paraffiné. Pendant huit mois, leur parfum

s’affine. Les malles sont vérifiées chaque semaine afinde retirer les gousses moisies, éponger les surplusd’eau, contrôler la qualité des vanilles. Puis devantleurs tables de calibrage, les femmes mesurent chaquegousse et confectionnent les bottes composées cha-cune de 30 unités de même longueur.Mais avant de livrer ces produits aux grands magasinsde la ville, les tractations vont bon train.

VANILLE • LA ROUTE BOURBON • 267• VANILLE • LA ROUTE BOURBON266

Sur la colline ombragée qui surplombe le village, sous unauvent, planteurs et collecteurs, discutent des quantitésde vanille verte et préparées qui seront échangés, de lataille des gousses, de la couleur, la souplesse et la tex-ture. Pour l’instant, il n’est pas question d’argent mais dedéterminer la qualité du produit.Ces conversations peuvent durer plusieurs jours etconnaissent une infinité de variantes dont collecteurs etplanteurs suivent les méandres quotidiennement. Elles donnent l’occasion de partager sur fond de musiqueet de chants, trembos (vin de palme) et betsa-betsa (bois-son alcoolisée produite à partir de la canne à sucre etd’écorces), sambos (beignets de viande et de légumes) etriz relevé à la pâte de piment. A la nuit tombante, les bals fleurissent dans la brousse aurythme des Hira Gasy (chansons traditionnelles, baséessur la morale, reprenant des proverbes). Les villageoisdonnent le temps sur leurs instruments, valiha (cithare),marovany (xylophone malgache) et l’aponga (sorte de tam-bour) et improvisent ces chants. Les femmes profitent de ces moments de grâce et de di-vertissement. Les vanilles sont comme leurs enfants enfindevenus autonomes. Elles ont fécondé chacune des fleursen tranchant à l’aide d’une lamelle de bambou la lan-guette charnue qui sépare l’organe mâle de l’organe fe-melle. Puis au court des six mois que dure la maturité, lesplants de vanillier ont fait l’objet de toutes leurs atten-tions, taillés, débarrassés des gousses malades ou malformées et surveillés de près pour éviter les vols.

VANILLE • LA ROUTE BOURBON • 269• VANILLE • LA ROUTE BOURBON268

Leurs soubiques de vanilles vertes entreles jambes, elles se reposent et se perdenten conversations. La cousine de Bako aperdu sa petite dernière, emportée par lepaludisme. La famille de Fanantenana aconnu la joie d’un mariage. Tovo son fils aîné et Miora, une belle jeunefille d’un village situé au Nord de Sambava,se scrutent depuis des années lors desfêtes traditionnelles. Cette fois, Tovo a finipar convaincre ses parents de se rendre àNosiarana pour négocier le montant du vo-diondry (dot versée par l’homme en guisede reconnaissance aux parents de la jeunefemme). Puis, les représentants de chaquefamille ont consulté le mpanandro (devin),pour définir le jour faste qui garantira lastabilité de la vie du couple ainsi que l’as-surance d’une descendance.

VANILLE • LA ROUTE BOURBON • 271• VANILLE • LA ROUTE BOURBON270

Fanantenana dévoile tous les détails de la cérémoniedu vodiondry qui a lieu au domicile de la jeune fille. Le“mpikabary” (porte-parole) de la famille du prétendanta séduit l’assistance par ses joutes oratoires riches enproverbes et citations. Sans tenir de propos directs,cette parade a pour but, outre la demande de la mainde la jeune fille, de s’informer sur sa filiation et de son-der publiquement les sentiments que les jeunes genséprouvent l’un pour l’autre.

Aina en l’écoutant se met à rêver dujour où la famille de Brice en déléga-tion viendra la demander en mariage. Après avoir évoqué toutes les nou-velles des unes et des autres, elleséchangent leurs histoires préférées etparfois l’une d’elles entonne un chantqu’elles reprennent en chœur.Trois jours se sont écoulés depuismon arrivée à Ambolomadinaka. Hierj’ai conclu affaire avec le père d’Ainaet deux autres planteurs. J’ai bien né-gocié. 200 kg de vanille verte et 20kg de vanille préparée. Le tout d’une

lors de ma pro-chaine tournée jepourrais acheterplus de vanille.Ce matin en remplis-sant les cartes deplanteur, je me sensporté par le bonheurpaisible du travailbien fait. Je misebeaucoup sur cettesaison. Dans monesprit j’ai fait unamalgame un peusuperstitieux, si jegagne suffisammentd’argent pour pou-voir demander àAina de venir s’ins-taller avec moi c’estque nous sommesdestinés l’un à l’au-tre et que c’est lemoment de se nouerpour la vie.Je charge ma 4 L etretourne à Sam-bava. Le frère aînéd’Aina m’accom-pagne. Il veut ven-dre directement auxgrands magasinsune partie de sa va-nille préparée. Lesvitres grandes ou-vertes, le vent chaudbalaye nos cheveuxet nous filons enchantonnant à tra-vers la brousse.

excellente qualité, des gousses de 20 cm,bien charnues. J’espère revendre la totalité de ma collecteà Yang et en tirer un bon bénéfice. Si je nelui rembourse pas son avance tout de suite,

VANILLE • LA ROUTE BOURBON • 273• VANILLE • LA ROUTE BOURBON272