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1/15 Année Universitaire 2013/2014 Licence III Semestre II DROIT EUROPEEN DES DROITS DE LHOMME Cours de M. le Professeur Corneliu-Liviu POPESCU T.D. de M me Carmen ACHIMESCU, Docteur en droit Séance n°2 : Champ d’application de la Convention DOCUMENTS FOURNIS I. Le champ d’application territorial de la Convention européenne Document n°1 : CEDH, Loizidou c/Turquie (exceptions préliminaires), 23.03.1995, extraits Document n° 2 : CEDH, Ilascu c/Moldavie et Russie, 08.07.2004, extraits Document n°3 : CEDH, Al-Skeini et Al-Jedda c/Royaume-Uni,07.07.2011, extraits II. Le champ d’application temporel de la Convention européenne Document n°4 : CEDH, Janowiec c/Russie, 21.10.2013, extraits III. L’étendue de la protection : la théorie des obligations positives Document n°5 : CEDH, Airey c/ Irlande, 9.10.1979, extraits Document n°6 : CEDH, Lopez Ostra c/ Espagne, 09.12.1994, extraits Document n°7 : CEDH, Soering c/ Royaume-Uni, 07.07.1989, extraits DIRECTION D’ETUDES Faire des fiches de jurisprudence pour les arrêts reproduits Commentez l’arrêt Al-Skeini (Document n°3)

Dedh 2014 - Fiche 2

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Anneacutee Universitaire 20132014 Licence III ndash Semestre II

DROIT EUROPEEN DES DROITS DE

LrsquoHOMME Cours de M le Professeur Corneliu-Liviu POPESCU

TD de Mme Carmen ACHIMESCU Docteur en droit

Seacuteance ndeg2 Champ drsquoapplication de la Convention

DOCUMENTS FOURNIS

I Le champ drsquoapplication territorial de la Convention europeacuteenne

Document ndeg1 CEDH Loizidou cTurquie (exceptions preacuteliminaires) 23031995 extraits

Document ndeg 2 CEDH Ilascu cMoldavie et Russie 08072004 extraits

Document ndeg3 CEDH Al-Skeini et Al-Jedda cRoyaume-Uni07072011 extraits

II Le champ drsquoapplication temporel de la Convention europeacuteenne

Document ndeg4 CEDH Janowiec cRussie 21102013 extraits

III Lrsquoeacutetendue de la protection la theacuteorie des obligations positives

Document ndeg5 CEDH Airey c Irlande 9101979 extraits

Document ndeg6 CEDH Lopez Ostra c Espagne 09121994 extraits

Document ndeg7 CEDH Soering c Royaume-Uni 07071989 extraits

DIRECTION DrsquoETUDES

Faire des fiches de jurisprudence pour les arrecircts reproduits

Commentez lrsquoarrecirct Al-Skeini (Document ndeg3)

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I Le champ drsquoapplication territoriale

Document ndeg1 CEDH Loizidou cTurquie (exceptions preacuteliminaires) 23031995 extraits

70 La Cour relegraveve que les articles 25 et 46 (art 25 art 46) sont des dispositions essentielles agrave lrsquoefficaciteacute du systegraveme de la

Convention puisqursquoils deacutelimitent la responsabiliteacute de la Commission et de la Cour celle drsquoassurer le respect des engagements reacutesultant pour les Hautes Parties Contractantes agrave la Convention (article 19) (art 19) en fixant leur compeacutetence pour connaicirctre des

griefs tireacutes de violations alleacutegueacutees des droits et liberteacutes eacutenonceacutes dans ce texte Lorsqursquoelle interpregravete ces dispositions cleacutes elle doit

tenir compte du caractegravere singulier de la Convention traiteacute de garantie collective des droits de lrsquohomme et des liberteacutes fondamentales

Comme lrsquoa noteacute la Cour dans lrsquoarrecirct Irlande c Royaume-Uni du 18 janvier 1978 (seacuterie A no 25 p 90 par 239)

A la diffeacuterence des traiteacutes internationaux de type classique la Convention deacuteborde le cadre de la simple reacuteciprociteacute entre

Etats contractants En sus drsquoun reacuteseau drsquoengagements synallagmatiques bilateacuteraux elle creacutee des obligations objectives qui aux termes

de son preacuteambule beacuteneacuteficient drsquoune lsquogarantie collectiversquo

71 Il est solidement ancreacute dans la jurisprudence de la Cour que la Convention est un instrument vivant agrave interpreacuteter agrave la

lumiegravere des conditions de vie actuelles (voir entre autres lrsquoarrecirct Tyrer c Royaume-Uni du 25 avril 1978 seacuterie A no 26 pp 15-16

par 31) Pareille deacutemarche pour la Cour ne se limite pas aux dispositions normatives de la Convention mais vaut encore pour celles

tels les articles 25 et 46 (art 25 art 46) qui reacutegissent le fonctionnement du meacutecanisme de sa mise en oeuvre Il srsquoensuit que ces dispositions ne sauraient srsquointerpreacuteter uniquement en conformiteacute avec les intentions de leurs auteurs telles qursquoelles furent exprimeacutees

voici plus de quarante ans

En conseacutequence mecircme srsquoil se trouvait eacutetabli ce qui nrsquoest pas le cas que les restrictions autres que ratione temporis passaient pour admissibles au titre des articles 25 et 46 (art 25 art 46) agrave lrsquoeacutepoque ougrave une minoriteacute des Parties contractantes actuelles

adoptegraverent la Convention pareille preuve ne saurait ecirctre deacuteterminante

72 En outre lrsquoobjet et le but de la Convention instrument de protection des ecirctres humains appellent agrave interpreacuteter et agrave appliquer ses dispositions drsquoune maniegravere qui en rende les exigences concregravetes et effectives (voir entre autres les arrecircts Soering

preacuteciteacute p 34 par 87 et Artico c Italie du 13 mai 1980 seacuterie A no 37 p 16 par 33)

73 Pour dire si les Parties contractantes peuvent imposer des restrictions agrave leur acceptation de la compeacutetence de la

Commission et de la Cour en application des articles 25 et 46 (art 25 art 46) la Cour recherchera le sens ordinaire agrave attribuer aux termes de ces dispositions dans leur contexte et agrave la lumiegravere de leur objet et de leur but (voir notamment lrsquoarrecirct Johnston et autres c

Irlande du 18 deacutecembre 1986 seacuterie A no 112 p 24 par 51 et lrsquoarticle 31 par 1 de la Convention de Vienne du 23 mai 1969 sur le

droit des traiteacutes) Parallegravelement au contexte elle tiendra compte de toute pratique ulteacuterieurement suivie dans lrsquoapplication du traiteacute

par laquelle est eacutetabli lrsquoaccord des parties agrave lrsquoeacutegard de lrsquointerpreacutetation du traiteacute (article 31 par 3 b) de la Convention de Vienne preacuteciteacutee)

74 Lrsquoarticle 25 par 2 (art 25-2) comme lrsquoarticle 46 par 2 (art 46-2) de la Convention autorisent expresseacutement des

deacuteclarations pour une peacuteriode donneacutee On a toujours entendu ces dispositions comme autorisant les Parties contractantes agrave limiter aussi la reacutetroactiviteacute de leur acceptation de la compeacutetence de la Commission et de la Cour (voir entre autres lrsquoarrecirct Stamoulakatos c

Gregravece du 26 octobre 1993 seacuterie A no 271 p 13 par 32) Ce point ne precircte pas agrave controverse

75 Lrsquoarticle 25 (art 25) ne preacutevoit explicitement aucune autre forme de restriction (paragraphe 65 ci-dessus) Quant agrave

lrsquoarticle 46 par 2 (art 46-2) il preacutecise que les deacuteclarations pourront ecirctre faites purement et simplement ou sous condition de reacuteciprociteacute () (paragraphe 66 ci-dessus)

Si comme le preacutetend le gouvernement deacutefendeur ces dispositions permettaient des restrictions territoriales ou sur le

contenu de lrsquoacceptation les Parties contractantes seraient libres de souscrire agrave des reacutegimes distincts de mise en oeuvre des obligations conventionnelles selon lrsquoeacutetendue de leurs acceptations Un tel systegraveme qui permettrait aux Etats de tempeacuterer leur consentement par le

jeu de clauses facultatives affaiblirait gravement le rocircle de la Commission et de la Cour dans lrsquoexercice de leurs fonctions mais amoindrirait aussi lrsquoefficaciteacute de la Convention en tant qursquoinstrument constitutionnel de lrsquoordre public europeacuteen De surcroicirct lorsque

la Convention autorise les Etats agrave limiter leur acceptation en vertu de lrsquoarticle 25 (art 25) elle le preacutecise expresseacutement (voir agrave cet

eacutegard lrsquoarticle 6 par 2 du Protocole no 4 et lrsquoarticle 7 par 2 du Protocole no 7) (P4-6-2 P7-7-2)

Drsquoapregraves la Cour compte tenu de lrsquoobjet et du but du systegraveme de la Convention indiqueacutes ci-dessus les conseacutequences pour la mise en oeuvre de la Convention et la reacutealisation de ses objectifs auraient une si grande porteacutee qursquoil eucirct fallu preacutevoir explicitement un

pouvoir en ce sens Or ni lrsquoarticle 25 (art 25) ni lrsquoarticle 46 (art 46) ne renferment pareille disposition

76 La Cour note au surplus que lrsquoarticle 64 (art 64) de la Convention autorise les Etats agrave formuler des reacuteserves au moment de la signature de la Convention ou du deacutepocirct de leurs instruments de ratification Ce pouvoir preacutevu agrave lrsquoarticle 64 (art 64) est toutefois

limiteacute puisqursquoil se trouve circonscrit agrave des dispositions particuliegraveres de la Convention dans la mesure ougrave une loi alors en vigueur sur

[le] territoire [de la Partie Contractante concerneacutee] nrsquoest pas conforme agrave cette disposition Les reacuteserves de caractegravere geacuteneacuteral ne sont drsquoailleurs pas autoriseacutees

77 Lrsquoexistence de pareille clause restrictive concernant des reacuteserves donne agrave penser que les Etats ne sauraient limiter leur

acceptation des clauses facultatives pour soustraire en fait des secteurs de leur droit et de leur pratique relevant de leur juridiction au controcircle des organes de la ConventionLrsquoineacutegaliteacute que pourrait engendrer entre les Etats contractants la toleacuterance drsquoacceptations

limiteacutees de la sorte irait de plus agrave lrsquoencontre de la finaliteacute de la Convention exprimeacutee dans son preacuteambule la reacutealisation drsquoune union

plus eacutetroite par la sauvegarde et le deacuteveloppement des droits de lrsquohomme

78 Les consideacuterations qui preacutecegravedent viennent en soi fortement eacutetayer lrsquoideacutee que le systegraveme de la Convention nrsquoautorise pas

pareilles restrictions

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79 Cette maniegravere de voir se trouve confirmeacutee par la pratique ulteacuterieurement suivie par les Parties contractantes au regard

de ces dispositions De lrsquoentreacutee en vigueur de la Convention jusqursquoagrave aujourdrsquohui les trente Parties agrave la Convention ont presque toutes mis agrave part le gouvernement deacutefendeur accepteacute la compeacutetence de la Commission et de la Cour pour connaicirctre de plaintes sans

restrictions ratione loci ou ratione materiae Les restrictions dont sont assorties la deacuteclaration cypriote relative agrave lrsquoarticle 25 (art 25)

(paragraphes 30 et 32) deacutesormais retireacutee (paragraphe 32 ci-dessus) et - selon la thegravese du gouvernement deacutefendeur - la deacuteclaration britannique relative agrave lrsquoarticle 25 (art 25) (paragraphe 33 ci-dessus) constituent les seules exceptions agrave cette pratique coheacuterente

80 Sur ce point la Commission estime que le Royaume-Uni avait formuleacute cette restriction agrave la lumiegravere de lrsquoarticle 63 par

4 (art 63-4) de la Convention afin drsquoexclure la compeacutetence de la Commission pour connaicirctre de requecirctes relatives agrave ses territoires non meacutetropolitains En lrsquooccurrence la Cour nrsquoa pas agrave interpreacuteter la porteacutee exacte de cette deacuteclaration invoqueacutee par le gouvernement

deacutefendeur comme exemple de restriction territoriale Quel qursquoen soit le sens cette deacuteclaration et celle de Chypre nrsquoinfirment pas la

preuve drsquoune pratique deacutenotant un assentiment quasi universel entre les Parties contractantes les articles 25 et 46 (art 25 art 46) de la Convention ne permettent pas des restrictions territoriales ou portant sur le contenu

81 La preuve de lrsquoexistence de pareille pratique se trouve corroboreacutee par les reacuteactions des gouvernements de la Suegravede du

Luxembourg du Danemark de la Norvegravege et de la Belgique ainsi que du Secreacutetaire geacuteneacuteral du Conseil de lrsquoEurope en sa qualiteacute de deacutepositaire qui ont reacuteserveacute leur position pour les questions juridiques pouvant surgir quant agrave la porteacutee de la premiegravere deacuteclaration

turque relative agrave lrsquoarticle 25 (art 25) (paragraphes 18-24 ci-dessus) et du gouvernement grec qui a consideacutereacute comme nulles et non

avenues les restrictions aux deacuteclarations turques relatives aux articles 25 et 46 (art 25 art 46) (paragraphe 18 ci-dessus)

82 La reacutealiteacute de cette pratique uniforme et coheacuterente des Etats reacutefute agrave lrsquoeacutevidence les arguments du gouvernement

deacutefendeur drsquoapregraves lesquels les reacutedacteurs de la Convention ont ducirc envisager les restrictions dont les deacuteclarations relatives aux articles

25 et 46 (art 25 art 46) peuvent ecirctre assorties agrave la lumiegravere de la pratique suivie en vertu de lrsquoarticle 36 du Statut de la Cour internationale de Justice

83 A ce propos il nrsquoest pas contesteacute que les Etats peuvent tempeacuterer de restrictions leur acceptation de la compeacutetence

facultative de la Cour internationale Il nrsquoest pas davantage contesteacute que lrsquoarticle 46 (art 46) de la Convention fut calqueacute sur lrsquoarticle 36 du statut Selon la Cour il nrsquoen deacutecoule toutefois pas qursquoil faille aussi admettre sur le terrain de la Convention pareilles restrictions

agrave la reconnaissance de la compeacutetence de la Commission et de la Cour

84 Drsquoabord le contexte dans lequel fonctionne la Cour internationale de Justice se distingue nettement de celui des organes de la Convention La Cour internationale est appeleacutee notamment agrave examiner au regard des principes de droit international tout

diffeacuterend juridique entre Etats pouvant survenir dans nrsquoimporte quelle partie du globe Lrsquoobjet du litige peut concerner tout domaine du droit international En second lieu agrave la diffeacuterence des organes de la Convention la Cour internationale ne se borne pas

exclusivement agrave exercer des fonctions de controcircle par rapport agrave un traiteacute normatif comme la Convention

85 Une diffeacuterence aussi fondamentale de rocircle et de finaliteacute entre les institutions dont il srsquoagit ainsi que lrsquoexistence drsquoune pratique de lrsquoacceptation inconditionnelle en vertu des articles 25 et 46 (art 25 art 46) constituent des eacuteleacutements commandant de

distinguer la pratique de la Convention de celle de la Cour internationale

86 Enfin bien que le gouvernement deacutefendeur nrsquoait pas deacuteveloppeacute cet argument la Cour nrsquoestime pas qursquoune application par analogie de lrsquoarticle 63 par 4 (art 63-4) de la Convention autorise agrave dire qursquoune restriction territoriale peut se toleacuterer quant aux

articles 25 et 46 (art 25 art 46)

Drsquoapregraves cet argument lrsquoarticle 25 (art 25) ne pourrait srsquoappliquer au-delagrave des fontiegraveres nationales agrave des territoires autres que ceux viseacutes agrave lrsquoarticle 63 (art 63) que si lrsquoEtat le leur eacutetendait expresseacutement Avec pour corollaire que lrsquoEtat pourrait limiter

lrsquoacceptation du droit de recours individuel agrave son territoire national comme il lrsquoa fait en lrsquooccurrence

87 La Cour rappelle drsquoabord que conformeacutement agrave la notion de juridiction au sens de lrsquoarticle 1 (art 1) de la Convention la responsabiliteacute de lrsquoEtat peut se trouver engageacutee agrave raison drsquoactes ou drsquoeacuteveacutenements se produisant en dehors des frontiegraveres de celui-ci

(paragraphe 62 ci-dessus) A la diffeacuterence de lrsquoarticle 63 par 4 (art 63-4) pour les territoires non meacutetropolitains qui y sont viseacutes on ne

saurait exiger pour que la responsabiliteacute puisse se trouver engageacutee drsquoeacutetendre expresseacutement lrsquoacceptation relative agrave lrsquoarticle 25 (art

25)

88 Il faut consideacuterer en outre que lrsquoarticle 25 (art 25) et lrsquoarticle 63 (art 63) ont des objets et des finaliteacutes diffeacuterents

Lrsquoarticle 63 (art 63) concerne la deacutecision drsquoune Partie contractante drsquoassumer pleinement la responsabiliteacute au regard de la Convention agrave raison de tous les actes des pouvoirs publics se rapportant agrave un territoire dont elle assure les relations internationales

Lrsquoarticle 25 (art 25) concerne en revanche lrsquoacceptation par une Partie contractante de la compeacutetence de la Commission pour

connaicirctre de plaintes affeacuterentes aux actes de ses organes agissant sous son autoriteacute directe En raison de la nature radicalement diffeacuterente de ces dispositions qursquoun Etat doive formuler une deacuteclaration speacuteciale en vertu de lrsquoarticle 63 par 4 (art 63-4) afin

drsquoaccepter la compeacutetence de la Commission pour connaicirctre de requecirctes relatives agrave de tels territoires ne saurait avoir drsquoincidence agrave la

lumiegravere des arguments deacuteveloppeacutes ci-dessus sur la validiteacute des restrictions ratione loci figurant dans les deacuteclarations relatives aux articles 25 et 46 (art 25 art 46)

89 Compte tenu de la nature de la Convention du sens ordinaire des articles 25 et 46 (art 25 art 46) dans leur contexte et

agrave la lumiegravere de leur objet et de leur but ainsi que de la pratique des Parties contractantes la Cour conclut que les restrictions ratione loci dont sont assorties les deacuteclarations de la Turquie relatives aux articles 25 et 46 (art 25 art 46) ne sont pas valides

Il reste agrave deacuteterminer si par voie de conseacutequence la validiteacute des acceptations elles-mecircmes peut ecirctre remise en cause

C Sur la validiteacute des deacuteclarations de la Turquie relatives aux articles 25 et 46 (art 25 art 46) de la Convention

90 Le gouvernement deacutefendeur soutient que si les restrictions accompagnant les deacuteclarations relatives aux articles 25 et 46

(art 25 art 46) de la Convention ne devaient pas ecirctre reconnues valides globalement il y aurait lieu de tenir les deacuteclarations pour

nulles et non avenues dans leur inteacutegraliteacute Il appartiendrait alors au gouvernement turc de tirer les conclusions politiques drsquoune telle situation

A ce sujet le deacuteleacutegueacute de la Turquie agrave la session du Comiteacute des Ministres du Conseil de lrsquoEurope en mars 1987 avait

souligneacute que les conditions formuleacutees dans la deacuteclaration de la Turquie relative agrave lrsquoarticle 25 (art 25) eacutetaient drsquoune telle importance que si lrsquoon neacutegligeait lrsquoune ou lrsquoautre toute la deacuteclaration devrait passer pour nulle et non avenue avec cette conseacutequence que

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lrsquoacceptation par la Turquie du droit de recours individuel serait caduqueCette position disait le deacuteleacutegueacute valait eacutegalement pour la

deacuteclaration de la Turquie relative agrave lrsquoarticle 46 (art 46)

Le gouvernement deacutefendeur preacutetend aussi que conformeacutement agrave lrsquoarticle 44 par 3 a) et b) de la Convention de Vienne sur

le droit des traiteacutes il incombe aux requeacuterants de deacutemontrer que les restrictions en particulier territoriales ne constituaient pas un

facteur essentiel ayant deacutetermineacute la Turquie agrave faire les deacuteclarations

91 Selon la requeacuterante rejointe par le gouvernement cypriote lorsqursquoil a reacutedigeacute ces deacuteclarations le gouvernement

deacutefendeur a pris le risque de voir deacutecreacuteter les restrictions non valides Il ne devrait pas aujourdrsquohui chercher agrave faire peser sur les

organes de la Convention les conseacutequences juridiques de ce risque

92 La Commission estime que lorsque la Turquie a souscrit le 28 janvier 1987 sa deacuteclaration relative agrave lrsquoarticle 25 (art

25) elle nourrissait principalement lrsquointention drsquoaccepter le droit de recours individuel Crsquoest cette intention qui devrait preacutevaloir En

outre devant la Cour le deacuteleacutegueacute de la Commission a releveacute que le gouvernement deacutefendeur nrsquoavait pas chercheacute agrave plaider lrsquoinvaliditeacute de lrsquoacceptation par la Turquie du droit de recours individuel dans les affaires dont la Commission a eacuteteacute saisie apregraves la preacutesente cause

93 En examinant cette question la Cour doit tenir compte de la nature particuliegravere de la Convention instrument de lrsquoordre

public europeacuteen pour la protection des ecirctres humains et de sa mission fixeacutee agrave lrsquoarticle 19 (art 19) celle drsquoassurer le respect des

engagements reacutesultant pour les Hautes Parties Contractantes agrave la Convention

94 Elle rappelle aussi son arrecirct Belilos c Suisse du 29 avril 1988 ougrave apregraves avoir eacutecarteacute une deacuteclaration interpreacutetative au

motif de sa non-conformiteacute avec lrsquoarticle 64 (art 64) elle a preacuteciseacute que la Suisse demeurait lieacutee par la Convention nonobstant

lrsquoinvaliditeacute de la deacuteclaration (seacuterie A no 132 p 28 par 60)

95 La Cour ne croit pas pouvoir trancher la question de la divisibiliteacute des parties non valides des deacuteclarations de la Turquie

en se reacutefeacuterant aux deacuteclarations faites par les repreacutesentants de celle-ci posteacuterieurement au deacutepocirct des deacuteclarations soit (en ce qui

concerne la deacuteclaration relative agrave lrsquoarticle 25) (art 25) devant le Comiteacute des Ministres et la Commission soit (srsquoagissant des articles 25 et 46) (art 25 art 46) agrave lrsquoaudience devant elle Sur ce point elle relegraveve que le gouvernement deacutefendeur nrsquoa pu manquer drsquoavoir

conscience eu eacutegard agrave la pratique uniforme des Parties contractantes sur le terrain des articles 25 et 46 (art 25 art 46) et consistant agrave

accepter sans condition la compeacutetence de la Commission et de la Cour que les clauses restrictives deacutenonceacutees avaient une validiteacute contestable dans le systegraveme de la Convention et que les organes de celles-ci pourraient les tenir pour inadmissibles

Il est inteacuteressant de noter agrave ce propos que la Commission a deacutejagrave exprimeacute devant la Cour dans ses plaidoiries dans lrsquoaffaire linguistique belge (exception preacuteliminaire) et lrsquoaffaire Kjeldsen Busk Madsen et Pedersen c Danemark arrecircts des 9 feacutevrier 1967 et 7

deacutecembre 1976 seacuterie A nos 5 et 23 respectivement lrsquoopinion que lrsquoarticle 46 (art 46) nrsquoautorisait aucune restriction quant agrave la

reconnaissance de la compeacutetence de la Cour (voir respectivement le second meacutemoire de la Commission du 14 juillet 1966 seacuterie B

no 3 vol I p 432 et le meacutemoire de la Commission (exception preacuteliminaire) du 26 janvier 1976 seacuterie B no 21 p 119)

La reacuteaction ulteacuterieure de plusieurs Parties contractantes aux deacuteclarations turques (paragraphes 18-24 ci-dessus) vient

solidement appuyer lrsquoobservation qui preacutecegravede et drsquoapregraves laquelle la Turquie nrsquoignorait pas la situation juridique Qursquoelle ait dans ces

conditions deacuteposeacute par la suite des deacuteclarations relatives aux deux articles 25 et 46 (art 25 art 46) - pour la derniegravere apregraves la reacuteaction susmentionneacutee des Parties contractantes - indique qursquoelle eacutetait precircte agrave courir le risque de voir les organes de la Convention deacuteclarer

non valides les clauses limitatives litigieuses sans affecter la validiteacute des deacuteclarations elles-mecircmes Sous cet eacuteclairage le

gouvernement deacutefendeur ne saurait invoquer les deacuteclarations ex post facto des repreacutesentants turcs pour marquer un recul par rapport agrave lrsquointention fondamentale - malgreacute des tempeacuteraments - drsquoaccepter la compeacutetence de la Commission et de la Cour

96 Il incombe donc agrave la Cour dans lrsquoexercice des responsabiliteacutes que lui confegravere lrsquoarticle 19 (art 19) de trancher la

question en se reacutefeacuterant au texte des deacuteclarations respectives et agrave la nature particuliegravere du reacutegime de la Convention Or ce dernier milite pour la seacuteparation des clauses attaqueacutees puisque crsquoest par ce moyen que lrsquoon peut garantir les droits et liberteacutes consacreacutes par la

Convention dans tous les domaines relevant de la juridiction de la Turquie au sens de lrsquoarticle 1 (art 1) de la Convention

97 La Cour a examineacute le texte des deacuteclarations et le libelleacute des restrictions en vue de rechercher si les restrictions

querelleacutees peuvent se dissocier des instruments drsquoacceptation ou si elles en forment partie inteacutegrante et indivisible Mecircme en prenant

les textes des deacuteclarations relatives aux articles 25 et 46 (art 25 art 46) comme un tout elle estime que les restrictions deacutenonceacutees

peuvent se dissocier du reste du texte laissant intacte lrsquoacceptation des clauses facultatives

Document ndeg2 CEDH Ilascu cMoldavie et Russie 08072004 extraits

312 La Cour rappelle sa jurisprudence selon laquelle la notion de laquo juridiction raquo au sens de larticle 1 de la Convention

doit passer pour refleacuteter la conception de cette notion en droit international public (Gentilhomme et autres c France nos 4820599

4820799 et 4820999 sect 20 arrecirct du 14 mai 2002 Banković et autres c Belgique et autres (deacutec) [GC] no 5220799 sectsect 59-61

CEDH 2001-XII Assanidzeacute c Geacuteorgie [GC] no 7150301 sect 137CEDH 2004-II)

Du point de vue du droit international public lexpression laquo relevant de leur juridiction raquo figurant agrave larticle 1 de la

Convention doit ecirctre comprise comme signifiant que la compeacutetence juridictionnelle dun Etat est principalement territoriale (deacutecision Banković et autres preacuteciteacutee sect 59) mais aussi en ce sens quil est preacutesumeacute quelle sexerce normalement sur

lensemble de son territoire

Cette preacutesomption peut se trouver limiteacutee dans des circonstances exceptionnelles notamment lorsquun Etat est dans

lincapaciteacute dexercer son autoriteacutesur une partie de son territoire Cela peut ecirctre ducirc agrave une occupation militaire par les forces armeacutees dun

autre Etat qui controcircle effectivement ce territoire(voir les arrecircts Loizidou c Turquie (exceptions preacuteliminaires) du 23 mars 1995 seacuterie

A no 310 et Chypre c Turquie preacuteciteacute sectsect 76-80 tels que citeacutes dans la deacutecision Banković et autres susmentionneacutee sectsect 70-71) agrave

des actes de guerre ou de reacutebellion ou encore aux actes dun Etat eacutetranger soutenant la mise en place dun reacutegime seacuteparatiste sur le

territoire de lEtat en question

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313 Pour conclure agrave lexistence dune telle situation exceptionnelle la Cour se doit dexaminer dune part lensemble des

eacuteleacutements factuels objectifs de nature agrave limiter lexercice effectif de lautoriteacute dun Etat sur son territoire et dautre part le comportement de celui-ci En effet les engagements pris par une Partie contractante en vertu de larticle 1 de la Convention

comportent outre le devoir de sabstenir de toute ingeacuterence dans la jouissance des droits et liberteacutes garantis des obligations positives

de prendre les mesures approprieacutees pour assurer le respect de ces droits et liberteacutes sur son territoire (hellip)

Ces obligations subsistent mecircme dans le cas dune limitation de lexercice de son autoriteacute sur une partie de son territoire de

sorte quil incombe agrave lEtatde prendre toutes les mesures approprieacutees qui restent en son pouvoir

314 En outre la Cour rappelle que si elle a souligneacute la preacutepondeacuterance du principe territorial dans lapplication de la Convention dans laffaireBanković et autres (deacutecision preacuteciteacutee sect 80) elle a aussi reconnu que la notion de laquo juridiction raquo au sens de

larticle 1 de la Convention ne se circonscrit pas neacutecessairement au seul territoire national des Hautes Parties contractantes (Loizidou c

Turquie (fond) arrecirct du 18 deacutecembre 1996 Recueil des arrecircts et deacutecisions 1996-VI pp 2234-2235 sect 52)

La Cour a admis que dans des circonstances exceptionnelles les actes des Etats contractants accomplis ou produisant des

effets en dehors de leur territoire peuvent sanalyser en lexercice par eux de leur juridiction au sens de larticle 1 de la Convention

Ainsi quil ressort des principes pertinents du droit international un Etat contractant peut voir engager sa responsabiliteacute

lorsque par suite dune action militaire leacutegale ou non il exerce en pratique le controcircle effectif sur une zone situeacutee en dehors de son

territoire national Lobligation dassurer dans une telle reacutegion le respect des droits et liberteacutes garantis par la Convention deacutecoule du

fait de ce controcircle quil sexerce directement par lintermeacutediaire des forces armeacutees de lEtat concerneacute ou par le biais dune administration locale subordonneacutee (ibidem)

315 Il nest pas neacutecessaire de deacuteterminer si une Partie contractante exerce dans le deacutetail un controcircle sur la politique et les

actions des autoriteacutes de la zone situeacutee en dehors de son territoire national car mecircme un controcircle global sur ce territoire est de nature agrave engager la responsabiliteacute de cette Partie contractante (Loizidou (fond) preacuteciteacute pp 2235-2236 sect 56)

316 Degraves lors quun Etat contractant exerce un controcircle global sur une zone situeacutee en dehors de son territoire national sa

responsabiliteacute ne se limite pas aux seuls actes commis par ses soldats ou fonctionnaires dans cette zone mais seacutetend eacutegalement aux actes de ladministration locale qui survit gracircce agrave son soutien militaire ou autre (arrecirct Chypre c Turquie preacuteciteacute sect 77)

317 La responsabiliteacute dun Etat peut aussi se voir engager en raison dactes qui ont des reacutepercussions suffisamment

proches sur les droits garantis par la Convention mecircme si ces reacutepercussions se manifestent en dehors de la juridiction de cet Etat Ainsi se reacutefeacuterant agrave une extradition vers un Etat non contractant la Cour a dit quun Etat contractant se conduirait dune maniegravere

incompatible avec les valeurs sous-jacentes agrave la Convention ce laquo patrimoine commun dideacuteal et de traditions politiques de respect de la liberteacute et de preacuteeacuteminence du droit raquo auquel se reacutefegravere le preacuteambule sil remettait consciemment un fugitif agrave un autre Etat ougrave il existe

des motifs seacuterieux de penser quil court un risque reacuteel decirctre soumis agrave la torture ou agrave des peines ou traitements inhumains ou deacutegradants

(arrecirct Soering c Royaume-Uni du 7 juillet 1989 seacuterie A no 161 p 35 sectsect 88-91)

318 De surcroicirct si les autoriteacutes dun Etat contractant approuvent formellement ou tacitement les actes des particuliers

violant dans le chef dautres particuliers soumis agrave sa juridiction les droits garantis par la Convention la responsabiliteacute dudit Etat peut

se trouver engageacutee au regard de la Convention (arrecirct Chypre c Turquie preacuteciteacute sect 81) Cela vaut dautant plus en cas de reconnaissance par lEtat en question des actes eacutemanant dautoriteacutes autoproclameacutees et non reconnues sur le plan international

319 Un Etat peut aussi ecirctre tenu pour responsable mecircme lorsque ses agents commettent des excegraves de pouvoir ou ne

respectent pas les instructions reccedilues En effet les autoriteacutes dun Etat assument au regard de la Convention la responsabiliteacute objective de la conduite de leurs subordonneacutes elles ont le devoir de leur imposer leur volonteacute et ne sauraient se retrancher derriegravere leur

impuissance agrave la faire respecter (arrecirct Irlande c Royaume-Uni du 18 janvier 1978 seacuterie A no 25 p 64 sect 159 article 7 du projet

darticles de la Commission du droit international sur la responsabiliteacute des Etats pour les actes internationalement illicites (2001) (laquo les

travaux de la CDI raquo) p 104 affaire Caire examineacutee par la Commission geacuteneacuterale pour les plaintes 1929 Recueil des sentences arbitrales (RSA) V p 516)

()

333 La Cour considegravere que si un Etat contractant se trouve dans limpossibiliteacute dexercer son autoriteacute sur lensemble de son territoire par une situation de fait contraignante comme la mise en place dun reacutegime seacuteparatiste accompagneacutee ou non par

loccupation militaire par un autre Etat lEtat ne cessepas pour autant dexercer sa juridiction au sens de larticle 1 de la Convention

sur la partie du territoire momentaneacutement soumise agrave une autoriteacute locale soutenue par des forces de reacutebellion ou par un autre Etat

Une telle situation factuelle a neacuteanmoins pour effet de reacuteduire la porteacutee de cette juridiction en ce sens que

lengagement souscrit par lEtat contractanten vertu de larticle 1 doit ecirctre examineacute par la Cour uniquement agrave la lumiegravere des obligations

positives de lEtat agrave leacutegard des personnes qui se trouvent sur son territoire LEtat en question se doit avec tous les moyens leacutegaux et diplomatiques dont il dispose envers les Etats tiers et les organisations internationales dessayer de continuer agrave garantir la jouissance

des droits et liberteacutes eacutenonceacutes dans la Convention

334 Mecircme sil nappartient pas agrave la Cour dindiquer quelles sont les mesures les plus efficaces que doivent prendre les autoriteacutes pour se conformer agrave leurs obligations il lui faut neacuteanmoins sassurer que les mesures effectivement prises eacutetaient adeacutequates et

suffisantes dans le cas despegravece Face agrave une omission partielle ou totale la Cour a pour tacircche de deacuteterminer dans quelle mesure un

effort minimal eacutetait quand mecircme possible et sil devait ecirctre entrepris Pareille tacircche est dautant plus neacutecessaire lorsquil sagit dune violation alleacutegueacutee de droits absolus tels que ceux garantis par les articles 2 et 3 de la Convention

615

Document ndeg3 CEDH Al-Skeini cRoyaume-Uni et Al-Jedda cRoyaume-Uni

07072011 extraits

Al-Jedda cRoyaume-Uni

84 Il semble ressortir de lrsquoexposeacute de lrsquoopinion de Lord Bingham que dans le cadre de la premiegravere proceacutedure engageacutee par

le requeacuterant les parties devant la Chambre des lords srsquoaccordaient agrave dire que le critegravere drsquoattribution agrave retenir eacutetait celui eacutenonceacute par la CDI agrave lrsquoarticle 5 de son projet drsquoarticles sur la responsabiliteacute des organisations internationales et preacuteciseacute dans son commentaire agrave ce

sujet agrave savoir que le comportement drsquoun organe drsquoun Etat qui est mis agrave la disposition drsquoune organisation internationale est drsquoapregraves le

droit international imputable agrave cette organisation pour autant qursquoelle exerce un controcircle effectif sur ce comportement (paragraphes 18 et 56 ci-dessus) Pour les motifs exposeacutes ci-dessus la Cour considegravere que le Conseil de seacutecuriteacute nrsquoexerccedilait ni un controcircle effectif ni

lrsquoautoriteacute et le controcircle ultimes sur les actions et omissions des soldats de la force multinationale et que degraves lors lrsquointernement du

requeacuterant nrsquoest pas imputable agrave lrsquoONU

85 Interneacute dans un centre de deacutetention de la ville de Bassorah controcircleacute exclusivement par les forces britanniques le

requeacuterant srsquoest trouveacute pendant toute la dureacutee de sa deacutetention sous lrsquoautoriteacute et le controcircle du Royaume-Uni (paragraphe 10 ci-dessus

voir eacutegalement Al-Skeini et autres c Royaume-Uni [GC] no 5572107 sect 136 et Al-Saadoon et Mufdhi c Royaume-Uni (deacutec)

no 6149808 sect 88 CEDH 2010- voir eacutegalement lrsquoarrecirct rendu par la Cour suprecircme des Etats-Unis en lrsquoaffaire Munaf v Geren paragraphe 54 ci-dessus) Lrsquointernement avait eacuteteacute deacutecideacute par lrsquoofficier britannique qui commandait le centre de deacutetention Si

la deacutecision de maintenir le requeacuterant en deacutetention a eacuteteacute reacuteexamineacutee agrave diffeacuterents stades par des organes ayant en leur sein des

fonctionnaires irakiens et des repreacutesentants non britanniques de la force multinationale la Cour estime que ces proceacutedures de controcircle nrsquoont pas eu pour effet drsquoempecirccher lrsquoimputation au Royaume-Uni de la deacutetention en question

86 En conclusion la Cour considegravere avec la majoriteacute de la Chambre des lords que lrsquointernement du requeacuterant est

imputable au Royaume-Uni et que pendant la dureacutee de sa deacutetention lrsquointeacuteresseacute srsquoest retrouveacute sous la juridiction de ce pays au sens de lrsquoarticle 1 de la Convention

Al-Skeini cRoyaume-Uni - Principes geacuteneacuteraux relatifs agrave la juridiction au sens de larticle 1 de la Convention

130 Larticle 1 de la Convention est ainsi libelleacute

laquo Les Hautes Parties contractantes reconnaissent agrave toute personne relevant de leur juridiction les droits et liberteacutes deacutefinis au

titre I de la () Convention raquo

Aux termes de cette disposition lengagement des Etats contractants se borne agrave laquo reconnaicirctre raquo (en anglais laquo to secure raquo)

aux personnes relevant de leur laquo juridiction raquo les droits et liberteacutes eacutenumeacutereacutes (Soering c Royaume-Uni 7 juillet 1989 sect 86 seacuterie A

no 161 et deacutecision Banković preacuteciteacutee sect 66) La laquo juridiction raquo au sens de larticle 1 est une condition sine qua non Elle doit avoir

eacuteteacute exerceacutee pour quun Etat contractant puisse ecirctre tenu pour responsable des actes ou omissions agrave lui imputables qui sont agrave lorigine dune alleacutegation de violation des droits et liberteacutes eacutenonceacutes dans la Convention (Ilaşcu et autres preacuteciteacute sect 311)

α) Le principe de territorialiteacute

131 La juridiction dun Etat au sens de larticle 1 est principalement territoriale (Soering preacuteciteacute sect 86 Banković deacutecision preacuteciteacutee sectsect 61 et 67 etIlaşcu preacuteciteacute sect 312) Elle est preacutesumeacutee sexercer normalement sur lensemble de son territoire

(Ilaşcu preacuteciteacute sect 312 et Assanidzeacute c Geacuteorgie [GC] no7150301 sect 139 CEDH 2004-II) A linverse les actes des Etats contractants

accomplis ou produisant des effets en dehors de leur territoire ne peuvent que dans des circonstances exceptionnelles sanalyser en lexercice par eux de leur juridiction au sens de larticle 1 (Banković preacuteciteacute sect 67)

132 A ce jour la Cour a reconnu dans sa jurisprudence un certain nombre de circonstances exceptionnelles susceptibles

demporter exercice par lEtat contractant de sa juridiction agrave lexteacuterieur de ses propres frontiegraveres Dans chaque cas cest au regard des faits particuliers de la cause quil faut appreacutecier lexistence de pareilles circonstances exigeant et justifiant que la Cour conclue agrave un

exercice extraterritorial de sa juridiction par lEtat

β) Lautoriteacute et le controcircle dun agent de lEtat

133 La Cour a reconnu dans sa jurisprudence que par exception au principe de territorialiteacute la juridiction dun Etat

contractant au sens de larticle 1 peut seacutetendre aux actes de ses organes qui deacuteploient leurs effets en dehors de son territoire (Drozd et

Janousek preacuteciteacute sect 91 Loizidou (exceptions preacuteliminaires) preacuteciteacute sect 62 et Loizidou c Turquie (fond) 18 deacutecembre 1996 sect 52 Recueil des arrecircts et deacutecisions 1996-VI et Banković deacutecision preacuteciteacutee sect 69) Cette exception telle quelle se deacutegage de

larrecirct Drozd et Janousek et des autres affaires ci-dessus est eacutenonceacutee de maniegravere tregraves geacuteneacuterale la Cour seacutetant contenteacutee de dire que la

responsabiliteacute de lEtat contractant laquo peut entrer en jeu raquo en pareilles circonstances Il est neacutecessaire dexaminer la jurisprudence pour en cerner les principes directeurs

134 Premiegraverement il est clair que la juridiction de lEtat peut naicirctre des actes des agents diplomatiques ou consulaires

preacutesents en territoire eacutetranger conformeacutement aux regravegles du droit international degraves lors que ces agents exercent une autoriteacute et un

controcircle sur autrui (Banković deacutecision preacuteciteacutee sect 73 voir eacutegalement X c Reacutepublique feacutedeacuterale dAllemagne no 161162 deacutecision

de la Commission du 25 septembre 1965 Annuaire de la Convention europeacuteenne des droits de lhomme vol 8 p

158 X c Royaume-Uni no 754776 deacutecision de la Commission du 15 deacutecembre 1977 et WM c Danemark no 1739290 deacutecision

de la Commission du 14 octobre 1993)

135 Deuxiegravemement la Cour a conclu agrave lexercice extraterritorial de sa juridiction par lEtat contractant qui en vertu du consentement de linvitation ou de lacquiescement du gouvernement local assume lensemble ou certaines des preacuterogatives de

puissance publique normalement exerceacutees par celui-ci (Banković deacutecision preacuteciteacutee sect 71) Par conseacutequent degraves lors que

conformeacutement agrave une regravegle de droit international coutumiegravere conventionnelle ou autre ses organes assument des fonctions exeacutecutives ou judiciaires sur un territoire autre que le sien un Etat contractant peut ecirctre tenu pour responsable des violations de la Convention

715

commises dans lexercice de ces fonctions pourvu que les faits en question soient imputables agrave lui et non agrave lEtat territorial (Drozd et

Janousek preacuteciteacute Gentilhomme Schaff-Benhadji et Zeroukiet c France nos 4820599 4820799 et 4820999 14 mai 2002 ainsi

que X et Y c Suisse nos 728975 et 734976 deacutecision de la Commission sur la recevabiliteacute du 14 juillet 1977 DR 9 p 57)

136 En outre la jurisprudence de la Cour montre que dans certaines circonstances le recours agrave la force par des agents dun Etat opeacuterant hors de son territoire peut faire passer sous la juridiction de cet Etat au sens de larticle 1 toute personne se

retrouvant ainsi sous le controcircle de ceux-ci Cette regravegle a eacuteteacute appliqueacutee dans le cas de personnes remises entre les mains dagents de

lEtat agrave lexteacuterieur de ses frontiegraveres Ainsi dans larrecirct Oumlcalan c Turquiepreacuteciteacute sect 91 la Cour a jugeacute que laquo degraves sa remise par les agents kenyans aux agents turcs [le requeacuterant] s[eacutetait] effectivement retrouveacute sous lautoriteacute de la Turquie et relevait donc de la

laquo juridiction raquo de cet Etat aux fins de larticle 1 de la Convention mecircme si en loccurrence la Turquie a[vait] exerceacute son autoriteacute en

dehors de son territoire raquo Dans larrecirct Issa preacuteciteacute elle a indiqueacute que sil avait eacuteteacute eacutetabli que des soldats turcs avaient arrecircteacute les proches des requeacuterants dans le nord de lIrak avant de les emmener dans une caverne avoisinante et de les exeacutecuter les victimes

auraient ducirc ecirctre consideacutereacutees comme relevant de la juridiction de la Turquie ce par leffet de lautoriteacute et du controcircle exerceacutes sur les

victimes par les soldats Dans la deacutecision Al-Saadoon et Mufdhi c Royaume-Uni ((deacutec) no 6149808 sectsect 86-89 30 juin 2009) elle a

estimeacute que degraves lors que le controcircle exerceacute par le Royaume-Uni sur ses prisons militaires en Irak et sur les personnes y seacutejournant eacutetait absolu et exclusif il y avait lieu de consideacuterer agrave propos de deux ressortissants irakiens incarceacutereacutes dans lune delles quils relevaient de

la juridiction du Royaume-Uni Enfin dans larrecirct Medvedyev et autres c France [GC] no 339403 sect 67 CEDH 2010- elle a

conclu relativement agrave des requeacuterants qui seacutetaient trouveacutes agrave bord dun navire intercepteacute en haute mer par des agents franccedilais queu

eacutegard au controcircle absolu et exclusif exerceacute de maniegravere continue et ininterrompue par ces agents sur le navire et son eacutequipage degraves son interception ils relevaient de la juridiction de la France au sens de larticle 1 de la Convention La Cour considegravere que dans les

affaires ci-dessus la juridiction navait pas pour seul fondement le controcircle opeacutereacute par lEtat contractant sur les bacirctiments laeacuteronef ou

le navire ougrave les inteacuteresseacutes eacutetaient deacutetenus Leacuteleacutement deacuteterminant dans ce type de cas est lexercice dun pouvoir et dun controcircle physiques sur les personnes en question

137 Il est clair que degraves linstant ougrave lEtat par le biais de ses agents exerce son controcircle et son autoriteacute sur un individu et

par voie de conseacutequence sa juridiction il pegravese sur lui en vertu de larticle 1 une obligation de reconnaicirctre agrave celui-ci les droits et liberteacutes deacutefinis au titre I de la Convention qui concernent son cas En ce sens degraves lors les droits deacutecoulant de la Convention peuvent ecirctre

laquo fractionneacutes et adapteacutes raquo (voir agrave titre de comparaison la deacutecisionBanković preacuteciteacutee sect 75)

γ) Le controcircle effectif sur un territoire

138 Le principe voulant que la juridiction de lEtat contractant au sens de larticle 1 soit limiteacutee agrave son propre territoire

connaicirct une autre exception lorsque par suite dune action militaire ndash leacutegale ou non ndash lEtat exerce un controcircle effectif sur une zone

situeacutee en dehors de son territoire Lobligation dassurer dans une telle zone le respect des droits et liberteacutes garantis par la Convention

deacutecoule du fait de ce controcircle quil sexerce directement par lintermeacutediaire des forces armeacutees de lEtat ou par le biais dune

administration locale subordonneacutee (Loizidou (exceptions preacuteliminaires) preacuteciteacute sect 62 Chypre c Turquie [GC] no 2578194 sect 76

CEDH 2001-IV Banković deacutecision preacuteciteacutee sect 70 Ilaşcu preacuteciteacute sectsect 314-316 et Loizidou (fond) preacuteciteacute sect 52) Degraves lors quune telle mainmise sur un territoire est eacutetablie il nest pas neacutecessaire de deacuteterminer si lEtat contractant qui la deacutetient exerce un controcircle

preacutecis sur les politiques et actions de ladministration locale qui lui est subordonneacutee Du fait quil assure la survie de cette

administration gracircce agrave son soutien militaire et autre cet Etat engage sa responsabiliteacute agrave raison des politiques et actions entreprises par elle Larticle 1 lui fait obligation de reconnaicirctre sur le territoire en question la totaliteacute des droits mateacuteriels eacutenonceacutes dans la Convention

et dans les Protocoles additionnels quil a ratifieacutes et les violations de ces droits lui sont imputables (Chypre c Turquie preacuteciteacute sect 77)

139 La question de savoir si un Etat contractant exerce ou non un controcircle effectif sur un territoire hors de ses frontiegraveres est une question de fait Pour se prononcer la Cour se reacutefegravere principalement au nombre de soldats deacuteployeacutes par lEtat sur le territoire

en cause (Loizidou (fond) preacuteciteacute sectsect 16 et 56 etIlaşcu preacuteciteacute sect 387) Dautres eacuteleacutements peuvent aussi entrer en ligne de compte par

exemple la mesure dans laquelle le soutien militaire eacuteconomique et politique apporteacute par lEtat agrave ladministration locale subordonneacutee assure agrave celui-ci une influence et un controcircle dans la reacutegion (Ilaşcu preacuteciteacute sectsect 388-394)

140 Le titre de juridiction fondeacute sur le laquo controcircle effectif raquo deacutecrit ci-dessus ne remplace pas le systegraveme de notification en

vertu de larticle 56 (lancien article 63) de la Convention que lors de la reacutedaction de celle-ci les Etats contractants avaient deacutecideacute de creacuteer pour les territoires doutre-mer dont ils assuraient les relations internationales Le paragraphe 1 de cet article preacutevoit un dispositif

permettant agrave ces Etats deacutetendre lapplication de la Convention agrave pareil territoire laquo en tenant compte des neacutecessiteacutes locales raquo

Lexistence de ce dispositif qui a eacuteteacute inteacutegreacute dans la Convention pour des raisons historiques ne peut ecirctre interpreacuteteacutee aujourdhui agrave la lumiegravere des conditions actuelles comme limitant la porteacutee de la notion de laquo juridiction raquo au sens de larticle 1 Les cas de figure viseacutes

par le principe du laquo controcircle effectif raquo se distinguent manifestement de ceux dans lesquels un Etat contractant na pas deacuteclareacute par le

biais de la notification preacutevue agrave larticle 56 deacutetendre lapplication de la Convention ou de lun quelconque de ses Protocoles agrave un territoire doutre-mer dont il assure les relations internationales (Loizidou (exceptions preacuteliminaires) preacuteciteacute sectsect 86-89 et Quark

Fishing Ltd c Royaume-Uni(deacutec) no 1530506 CEDH 2006-XIV)

δ) Lespace juridique de la Convention

141 La Convention est un instrument constitutionnel de lordre public europeacuteen (Loizidou (exceptions preacuteliminaires) preacuteciteacute sect 75) Elle ne reacutegit pas les actes des Etats qui ny sont pas parties ni ne preacutetend exiger des Parties contractantes quelles

imposent ses normes agrave pareils Etats (Soering preacuteciteacute sect 86)

142 La Cour a souligneacute quun Etat contractant qui par le biais de ses forces armeacutees occupe le territoire dun autre doit en principe ecirctre tenu pour responsable au regard de la Convention des violations des droits de lhomme qui y sont perpeacutetreacutees car sinon

les habitants de ce territoire seraient priveacutes des droits et liberteacutes dont ils jouissaient jusque-lagrave et il y aurait une laquo solution de

continuiteacute raquo dans la protection de ces droits et liberteacutes au sein de llaquo espace juridique de la Convention raquo (Loizidou (fond) preacuteciteacute sect 78 et Banković preacuteciteacute sect 80) Toutefois sil est important deacutetablir la juridiction de lEtat occupant dans ce type de cas cela ne veut

pas dire a contrario que la juridiction au sens de larticle 1 ne puisse jamais exister hors du territoire des Etats membres du Conseil de

lEurope La Cour na jamais appliqueacute semblable restriction dans sa jurisprudence (voir parmi dautres exemples les arrecirctsOumlcalan Issa Al-Saadoon et Mufdhi et Medvedyev preacuteciteacutes)

815

ii Application des principes susmentionneacutes aux faits de lespegravece

143 Pour deacuteterminer si lun quelconque des proches des requeacuterants relevait au moment de son deacutecegraves de la juridiction du Royaume-Uni la Cour prend pour point de deacutepart le fait que le 20 mars 2003 ce pays avec les Etats-Unis et leurs partenaires de la

coalition avait peacuteneacutetreacute en sol irakien par le biais de ses forces armeacutees dans le but de chasser le reacutegime baasiste alors au pouvoir Ce

but fut atteint le 1er mai 2003 lorsque la fin des principales opeacuterations de combat fut prononceacutee et que les Etats-Unis et le Royaume-

Uni devinrent des puissances occupantes au sens de larticle 42 du regraveglement de La Haye (paragraphe 89 ci-dessus)

144 Comme lindiquait la lettre du 8 mai 2003 adresseacutee conjointement par les repreacutesentants permanents du Royaume-Uni

et des Etats-Unis au preacutesident du Conseil de seacutecuriteacute de lONU (paragraphe 11 ci-dessus) ces deux pays apregraves avoir chasseacute lancien

reacutegime avaient creacuteeacute lAutoriteacute provisoire de la coalition pour laquo exerce[r] les pouvoirs du gouvernement agrave titre temporaire raquo Lun des pouvoirs expresseacutement mentionneacutes dans cette lettre que les Etats-Unis et le Royaume-Uni eacutetaient censeacutes assumer par lintermeacutediaire

de lAutoriteacute provisoire de la coalition consistait agrave assurer la seacutecuriteacute en Irak notamment en maintenant lordre public La lettre

indiquait en outre laquo [l]es Etats-Unis le Royaume-Uni et les membres de la coalition agissant par lintermeacutediaire de lAutoriteacute provisoire de la coalition seront chargeacutes entre autres tacircches dassurer la seacutecuriteacute en Iraq et dadministrer ce pays agrave titre temporaire

notamment par les moyens suivants () en prenant immeacutediatement le controcircle des institutions iraquiennes responsables des questions

militaires et de seacutecuriteacute raquo

145 LAutoriteacute provisoire de la coalition deacuteclara dans le regraveglement no 1 du 16 mai 2003 son premier texte normatif

quelle laquo exerce[rait] temporairement les preacuterogatives de la puissance publique afin dassurer ladministration effective de lIraq au

cours de la peacuteriode dadministration transitoire dy reacutetablir la stabiliteacute et la seacutecuriteacute () raquo (paragraphe 12 ci-dessus)

146 Le Conseil de seacutecuriteacute prit acte du contenu de la lettre du 8 mai 2003 dans sa reacutesolution 1483 adopteacutee le 22 mai 2003 Il y demandait par ailleurs aux puissances occupantes laquo de promouvoir le bien-ecirctre de la population iraquienne en assurant une

administration efficace du territoire notamment en semployant agrave reacutetablir la seacutecuriteacute et la stabiliteacute raquo reconnaissant une nouvelle fois la

mission de seacutecuriteacute assumeacutee par les Etats-Unis et le Royaume-Uni (paragraphe 14 ci-dessus)

147 Pendant la peacuteriode de loccupation le Royaume-Uni avait le commandement dune division militaire la division

multinationale du sud-est dont le ressort comprenait la province de Bassorah lagrave ougrave les proches des requeacuterants sont deacuteceacutedeacutes A

compter du 1er mai 2003 les forces britanniques deacuteployeacutees dans cette province y furent chargeacutees dassurer la seacutecuriteacute et de soutenir

ladministration civile Elles devaient en particulier conduire des patrouilles des arrestations et des opeacuterations de lutte contre le

terrorisme encadrer les manifestations civiles et proteacuteger les ressources et infrastructures essentielles ainsi que les postes de police

(paragraphe 21 ci-dessus)

148 En juillet 2003 fut creacuteeacute le Conseil de gouvernement de lIrak Bien que tenue de le consulter (paragraphe 15 ci-

dessus) lAutoriteacute provisoire de la coalition conservait le pouvoir Dans sa reacutesolution 1511 adopteacutee le 16 octobre 2003 le Conseil de

seacutecuriteacute souligna le caractegravere temporaire de lexercice par elle des responsabiliteacutes et pouvoirs eacutenonceacutes dans la reacutesolution 1483 et autorisa laquo une force multinationale sous commandement unifieacute agrave prendre toutes les mesures neacutecessaires pour contribuer au

maintien de la seacutecuriteacute et de la stabiliteacute en Iraq raquo (paragraphe 16 ci-dessus) Dans sa reacutesolution 1546 adopteacutee le 8 juin 2004 il

approuva laquo la formation dun gouvernement inteacuterimaire souverain de lIraq () qui assumera[it] pleinement [jusquau] 30 juin 2004 la responsabiliteacute et lautoriteacute de gouverner lIraq raquo (paragraphe 18 ci-dessus) En deacutefinitive loccupation prit fin le 28 juin 2004 avec le

transfert de lAutoriteacute provisoire de la coalition deacutesormais dissoute au gouvernement inteacuterimaire de la responsabiliteacute pleine et entiegravere

du gouvernement de lIrak (paragraphe 19 ci-dessus)

iii Conclusion quant agrave la juridiction

149 On peut donc voir quapregraves le renversement du reacutegime baasiste et jusquagrave linstauration du gouvernement inteacuterimaire

le Royaume-Uni a assumeacute en Irak (conjointement avec les Etats-Unis) certaines des preacuterogatives de puissance publique qui sont normalement celles dun Etat souverain en particulier le pouvoir et la responsabiliteacute du maintien de la seacutecuriteacute dans le sud-est du pays

Dans ces circonstances exceptionnelles la Cour considegravere que le Royaume-Uni par le biais de ses soldats affecteacutes agrave des opeacuterations de

seacutecuriteacute agrave Bassorah lors de cette peacuteriode exerccedilait sur les personnes tueacutees lors de ces opeacuterations une autoriteacute et un controcircle propres agrave

eacutetablir aux fins de larticle 1 de la Convention un lien juridictionnel entre lui et ces personnes

150 Cela preacuteciseacute la Cour rappelle que les deacutecegraves en cause dans la preacutesente affaire sont survenus au cours de la peacuteriode

consideacutereacutee le 8 mai 2003 pour le fils du cinquiegraveme requeacuterant au mois daoucirct 2003 pour les fregraveres des premier et quatriegraveme requeacuterants au mois de septembre 2003 pour le fils du sixiegraveme requeacuterant et au mois de novembre 2003 pour les eacutepouses des deuxiegraveme

et troisiegraveme requeacuterants Il nest pas contesteacute que les deacutecegraves des proches des premier deuxiegraveme quatriegraveme cinquiegraveme et sixiegraveme

requeacuterants ont eacuteteacute causeacutes par le fait de soldats britanniques au cours ou dans le contexte dopeacuterations de seacutecuriteacute conduites par les forces britanniques agrave divers endroits de la ville de Bassorah Il sensuit quaux fins de larticle 1 de la Convention un lien juridictionnel

rattachait le Royaume-Uni aux deacutefunts dans tous ces cas Quant au troisiegraveme requeacuterant son eacutepouse a eacuteteacute tueacutee lors dune fusillade entre

une patrouille de soldats britanniques et des tireurs inconnus et on ignore lequel des deux camps a eacuteteacute agrave lorigine du coup fatal La Cour considegravere que le deacutecegraves eacutetant survenu au cours dune opeacuteration de seacutecuriteacute meneacutee par le Royaume-Uni dans le cadre de laquelle

des soldats britanniques qui patrouillaient agrave proximiteacute du domicile de linteacuteresseacute sont intervenus dans la fusillade mortelle il existait

eacutegalement un lien juridictionnel entre le Royaume-Uni et cette victime

915

II Le champ drsquoapplication temporel de la Convention europeacuteenne

Document ndeg4 CEDH Janowiec cRussie 21102013 extraits

136 A la suite de lrsquoarrecirct Šilih les principes reacutegissant la compeacutetence temporelle de la Cour srsquoagissant de lrsquoobligation laquo deacutetachable raquo deacutecoulant de lrsquoarticle 2 de la Convention drsquoenquecircter sur le deacutecegraves drsquoune personne ont eacuteteacute appliqueacutes dans un grand nombre drsquoaffaires

137 La masse de celles-ci peut ecirctre reacutepartie en diffeacuterents groupes dont le plus important est constitueacute drsquoaffaires dirigeacutees contre la Roumanie dans lesquelles eacutetait alleacutegueacutee lrsquoineffectiviteacute des investigations sur les deacutecegraves de manifestants au cours de la reacutevolution roumaine de deacutecembre 1989 Dans ces affaires la Cour srsquoest deacuteclareacutee compeacutetente pour connaicirctre des griefs au motif que agrave la date de lrsquoentreacutee en vigueur de la Convention agrave lrsquoeacutegard de la Roumanie les proceacutedures eacutetaient toujours en cours devant le parquet (Association laquo 21 Deacutecembre 1989 raquo et autres c Roumanie nos 3381007 et 1881708 24 mai 2011 Pastor et Ţiclete c Roumanie nos 3091106 et 4096706 19 avril 2011 Lăpuşan et autres c Roumanie nos 2900706 3055206 3132306 3192006 3448506 3896006 3899606 3902706 et 3906706 8 mars 2011 Şandru et autres c Roumanie no 2246503 8 deacutecembre 2009 et Agache et autres c Roumanie no 271202 20 octobre 2009) Elle a statueacute de maniegravere analogue dans deux affaires posteacuterieures qui avaient pour objet des incidents violents survenus en juin 1990 (Mocanu et autres c Roumanie nos 1086509 4588607 et 3243108 13 novembre 2012) et en septembre 1991 (Crăiniceanu et Frumuşanu c Roumanie no 1244204 24 avril 2012)

138 Dans drsquoautres affaires reacutecentes ndash agrave lrsquoexception de lrsquoaffaire Tuna c Turquie qui avait pour origine un deacutecegraves en garde agrave vue survenu environ sept ans avant la reconnaissance par la Turquie du droit de recours individuel (Tuna c Turquie no 2233903 sectsect 57-63 19 janvier 2010) ndash ougrave il nrsquoeacutetait pas alleacutegueacute que le deacutecegraves en question eacutetait la conseacutequence de quelconques actes drsquoagents de lrsquoEtat le deacutecegraves preacuteceacutedait de un agrave quatre ans la date drsquoentreacutee en vigueur et une part importante de la proceacutedure avait eacuteteacute conduite apregraves cette date (Kudra c Croatie no 1390407 sectsect 110-112 18 deacutecembre 2012 quatre ans deacutecegraves accidentel causeacute par la neacutegligence drsquoune socieacuteteacute priveacutee Igor Shevchenko c Ukraine no2273704 sectsect 45-48 12 janvier 2012 trois ans accident de la circulation Bajić c Croatie no 4110810 sect 62 13 novembre 2012 quatre ans erreur meacutedicale Dimovi c Bulgarie no 5274407 sectsect 36-45 6 novembre 2012 trois ans deacutecegraves causeacute par un incendie Velcea et Mazăre c Roumanie no 6430101 sectsect 85-88 1er deacutecembre 2009 un an dispute familiale Trufin c Roumanie no 399004 sectsect 32-34 20 octobre 2009 deux ans meurtre et Lyubov Efimenko c Ukraine no 7572601 sect 65 25 novembre 2010 quatre ans vol agrave main armeacutee et meurtre) Dans deux affaires le fait que des insurgeacutes ou des formations paramilitaires eussent tueacute les proches des requeacuterants sept et six ans respectivement avant la date critique nrsquoa pas empecirccheacute la Cour de connaicirctre du fond du grief souleveacute sous lrsquoangle du volet proceacutedural de lrsquoarticle 2 (Paccedilacı et autres c Turquie no 306407 sectsect 64-66 8novembre 2011 et Jularić c Croatie no 2010606 sectsect 38 et 45-46 20 janvier 2011) La peacuteriode de treize ans ayant seacutepareacute le deacutecegraves du fils du requeacuterant dans une bagarre et lrsquoentreacutee en vigueur de la Convention agrave lrsquoeacutegard de la Serbie nrsquoa pas non plus eacuteteacute consideacutereacutee comme primant lrsquoimportance des actes de proceacutedure accomplis apregraves la date critique (Mladenović c Serbie no 109908 sectsect 38-40 22 mai 2012)

139 La Cour a eacutegalement statueacute sur un certain nombre drsquoaffaires dans lesquelles le requeacuterant disait avoir eacuteteacute victime drsquoun traitement prohibeacute par lrsquoarticle 3 de la Convention agrave un moment donneacute avant la date critique Elle a conclu qursquoelle avait compeacutetence pour veacuterifier le respect par lrsquoEtat deacutefendeur ndash pendant la peacuteriode posteacuterieure agrave lrsquoentreacutee en vigueur ndash de lrsquoarticle 3 sous son volet proceacutedural qui lui imposait de conduire une enquecircte effective respectivement dans un cas de brutaliteacutes policiegraveres (Yatsenko c Ukraine no 7534501 sect 40 16 feacutevrier 2012 et Stanimirović c Serbie no 2608806 sectsect 28-29 18 octobre 2011) dans un cas de viol (PM c Bulgarie no 4966907 sect 58 24 janvier 2012) et dans un cas de mauvais traitements infligeacutes par un particulier (Otašević c Serbie no 3219807 5 feacutevrier 2013)

3 Clarification des critegraveres eacutelaboreacutes dans lrsquoarrecirct Šilih

140 Malgreacute le nombre toujours croissant drsquoarrecircts dans lesquels la Cour statue sur sa compeacutetence ratione temporis en se fondant sur les critegraveres adopteacutes dans lrsquoarrecirct Šilih lrsquoapplication en pratique de ces derniers est parfois source drsquoincertitudes Une clarification est donc souhaitable

141 Les critegraveres exposeacutes aux paragraphes 162 et 163 de lrsquoarrecirct Šilih (repris au paragraphe 133 ci-dessus) peuvent se reacutesumer comme suit Premiegraverement dans le cas drsquoun deacutecegraves survenu avant la date critique seuls les actes et omissions de nature proceacutedurale posteacuterieurs agrave cette date relegravevent de la compeacutetence temporelle de la Cour Deuxiegravemement pour que lrsquoobligation proceacutedurale entre en jeu il doit exister un laquo lien veacuteritable raquo entre le deacutecegraves en tant que fait geacuteneacuterateur et lrsquoentreacutee en vigueur de la Convention Troisiegravemement un lien qui ne serait pas laquo veacuteritable raquo peut neacuteanmoins suffire agrave eacutetablir la compeacutetence de la Cour si sa prise en compte est neacutecessaire pour permettre de veacuterifier que les garanties offertes par la Convention et les valeurs qui la sous-tendent sont proteacutegeacutees de maniegravere reacuteelle et effective La Cour examinera tour agrave tour chacun de ces eacuteleacutements

a) Actes et omissions de nature proceacutedurale posteacuterieurs agrave lrsquoentreacutee en vigueur de la Convention

142 La Cour rappelle drsquoembleacutee que lrsquoenquecircte que requiert lrsquoarticle 2 sous son volet proceacutedural ne constitue pas un mode de redressement drsquoune violation alleacutegueacutee du droit agrave la vie qui a pu survenir avant la date critique La violation alleacutegueacutee de lrsquoobligation proceacutedurale a pour origine lrsquoabsence drsquoenquecircte effective lrsquoobligation proceacutedurale a son propre champ drsquoapplication et peut jouer indeacutependamment de lrsquoobligation mateacuterielle de lrsquoarticle 2 (arrecircts Varnava et autres sect 136 et Šilih sect 159 preacuteciteacutes) Degraves lors la compeacutetence temporelle de la Cour englobe les actes et omissions de nature proceacutedurale qui sont survenus ou auraient ducirc survenir apregraves lrsquoentreacutee en vigueur de la Convention agrave lrsquoeacutegard de lrsquoEtat deacutefendeur

143 La Cour considegravere en outre que par laquo actes de nature proceacutedurale raquo il faut entendre les actes inheacuterents agrave lrsquoobligation proceacutedurale deacutecoulant de lrsquoarticle 2 ou le cas eacutecheacuteant de lrsquoarticle 3 de la Convention crsquoest-agrave-dire les actes pris dans le cadre drsquoune proceacutedure peacutenale civile administrative ou disciplinaire susceptible de mener agrave lrsquoidentification et agrave la punition des responsables ou agrave lrsquoindemnisation de la partie leacuteseacutee (Labita c Italie [GC] no 2677295 sect 131 CEDH 2000-IV et McCann et autres c Royaume-Uni 27 septembre 1995 sect 161 seacuterie A no 324) Cette deacutefinition a pour effet drsquoexclure les autres types de deacutemarches pouvant ecirctre entreprises agrave drsquoautres fins par exemple pour eacutetablir une veacuteriteacute historique

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144 Les laquo omissions raquo visent les cas ougrave il nrsquoy a eu aucune enquecircte et ceux ougrave seuls des actes de proceacutedure insignifiants ont eacuteteacute effectueacutes mais ougrave il est alleacutegueacute qursquoune enquecircte effective aurait ducirc ecirctre meneacutee Degraves lors que se preacutesente une alleacutegation un moyen de preuve ou un eacuteleacutement drsquoinformation plausible et creacutedible qui pourrait permettre drsquoidentifier et au bout du compte drsquoinculper ou de punir les responsables les autoriteacutes sont tenues de prendre des mesures drsquoenquecircte (Gutieacuterrez Dorado et Dorado Ortiz c Espagne (deacutec) no 3014109 sectsect 39-41 27 mars 2012 Ccedilakir et autres c Chypre (deacutec) no 786406 29 avril 2010 et Brecknell preacuteciteacute sectsect 66-72) Si vient agrave surgir posteacuterieurement agrave lrsquoentreacutee en vigueur un eacuteleacutement nouveau suffisamment important et deacuteterminant pour justifier lrsquoouverture drsquoune nouvelle instance la Cour devra srsquoassurer que lrsquoEtat deacutefendeur srsquoest acquitteacute de lrsquoobligation proceacutedurale que lui impose lrsquoarticle 2 drsquoune maniegravere compatible avec les principes eacutenonceacutes dans sa jurisprudence Toutefois si le fait geacuteneacuterateur eacutechappe agrave la compeacutetence temporelle de la Cour la deacutecouverte drsquoeacuteleacutements nouveaux apregraves la date critique ne pourra faire renaicirctre lrsquoobligation drsquoenquecircter que si le critegravere du laquo lien veacuteritable raquo ou celui des laquo valeurs de la Convention raquo (voir ci-dessous) a eacuteteacute satisfait

b) Le critegravere du laquo lien veacuteritable raquo

145 La premiegravere phrase du paragraphe 163 de lrsquoarrecirct Šilih pose que lrsquoexistence drsquoun laquo lien veacuteritable raquo entre le fait geacuteneacuterateur et lrsquoentreacutee en vigueur de la Convention agrave lrsquoeacutegard de lrsquoEtat deacutefendeur est une condition sine qua non pour que lrsquoobligation proceacutedurale deacutecoulant de lrsquoarticle 2 de la Convention devienne applicable

146 La Cour considegravere que lrsquoeacuteleacutement temporel est le premier et le plus important des indicateurs lorsqursquoil srsquoagit drsquoeacutetablir le caractegravere laquo veacuteritable raquo du lien A lrsquoinstar de la chambre dans son arrecirct elle ajoute que pour qursquoil y ait un laquo lien veacuteritable raquo le laps de temps eacutecouleacute entre le fait geacuteneacuterateur et la date critique doit demeurer relativement bref Bien qursquoil nrsquoexiste en droit aucun critegravere apparent permettant de deacutefinir la limite absolue de ce deacutelai celui-ci ne devrait pas exceacuteder dix ans (voir par analogie Varnava et autres preacuteciteacute sect 166 et Er et autres c Turquie no 2301604 sectsect 59-60 31 juillet 2012) A supposer mecircme que en raison de circonstances exceptionnelles il soit justifieacute de faire remonter ce deacutelai encore plus loin dans le passeacute il faudra qursquoil soit satisfait au critegravere des laquo valeurs de la Convention raquo

147 Toutefois la dureacutee du deacutelai qui seacutepare le fait geacuteneacuterateur de la date critique nrsquoest pas deacutecisive en elle-mecircme pour deacuteterminer si le lien est laquo veacuteritable raquo Comme lrsquoindique la deuxiegraveme phrase du paragraphe 163 de lrsquoarrecirct Šilih le lien sera eacutetabli si lrsquoessentiel de lrsquoenquecircte sur le deacutecegraves a eu lieu ou aurait ducirc avoir lieu posteacuterieurement agrave lrsquoentreacutee en vigueur de la Convention Cela englobe la conduite drsquoune proceacutedure visant agrave eacutetablir la cause du deacutecegraves et agrave faire reacutepondre les responsables de leurs actes ainsi que lrsquoadoption drsquoune part importante des mesures proceacutedurales essentielles au deacuteroulement de lrsquoenquecircte Il srsquoagit drsquoun corollaire au principe voulant que la Cour nrsquoait compeacutetence qursquoagrave lrsquoeacutegard des actes et omissions de nature proceacutedurale posteacuterieurs agrave la date drsquoentreacutee en vigueur Si toutefois la majeure partie de la proceacutedure ou les mesures proceacutedurales les plus importantes sont anteacuterieures agrave cette date la capaciteacute de la Cour agrave appreacutecier globalement lrsquoeffectiviteacute de lrsquoenquecircte agrave lrsquoaune des exigences proceacutedurales de lrsquoarticle 2 de la Convention peut srsquoen trouver irreacutemeacutediablement amoindrie

148 Eu eacutegard agrave ce qui preacutecegravede la Cour conclut que pour qursquoun laquo lien veacuteritable raquo puisse ecirctre eacutetabli il doit ecirctre satisfait aux deux critegraveres le deacutelai entre le deacutecegraves en tant que fait geacuteneacuterateur et lrsquoentreacutee en vigueur de la Convention doit avoir eacuteteacute relativement bref et la majeure partie de lrsquoenquecircte doit avoir eacuteteacute conduite ou aurait ducirc lrsquoecirctre apregraves lrsquoentreacutee en vigueur

c) Le critegravere des laquo valeurs de la Convention raquo

149 La Cour admet par ailleurs qursquoil peut exister des situations extraordinaires ne satisfaisant pas au critegravere du laquo lien veacuteritable raquo tel qursquoexposeacute ci-dessus mais ougrave la neacutecessiteacute de proteacuteger de maniegravere reacuteelle et effective les garanties offertes par la Convention et les valeurs qui la sous-tendent constitue un fondement suffisant pour reconnaicirctre lrsquoexistence drsquoun lien La derniegravere phrase du paragraphe 163 de lrsquoarrecirct Šilih nrsquoexclut pas cette eacuteventualiteacute qui constituerait alors une exception agrave la regravegle geacuteneacuterale que repreacutesente le critegravere du laquo lien veacuteritable raquo Dans toutes les affaires preacuteciteacutees la Cour a admis lrsquoexistence drsquoun laquo lien veacuteritable raquo parce que le laps de temps eacutecouleacute entre le deacutecegraves et la date critique eacutetait relativement bref et qursquoune part consideacuterable de la proceacutedure avait eacuteteacute conduite apregraves cette date La preacutesente affaire est donc la premiegravere agrave pouvoir relever de cette autre cateacutegorie agrave caractegravere exceptionnel Aussi la Cour doit-elle expliciter les modaliteacutes drsquoapplication du critegravere des laquo valeurs de la Convention raquo

150 A lrsquoinstar de la chambre la Grande Chambre estime que le renvoi aux valeurs qui sous-tendent la Convention signifie que lrsquoexistence du lien requis peut ecirctre constateacutee si le fait geacuteneacuterateur revecirct une dimension plus large qursquoune infraction peacutenale ordinaire et constitue la neacutegation des fondements mecircmes de la Convention Tel serait le cas de graves crimes de droit international tels que les crimes de guerre le geacutenocide ou les crimes contre lrsquohumaniteacute conformeacutement aux deacutefinitions qursquoen donnent les instruments internationaux pertinents

151 Le caractegravere odieux et la graviteacute de pareils crimes ont pousseacute les parties agrave la Convention sur lrsquoimprescriptibiliteacute des crimes de guerre et des crimes contre lrsquohumaniteacute agrave consideacuterer que ces infractions doivent ecirctre imprescriptibles et que les prescriptions qui existeraient en la matiegravere dans leur ordre juridique interne doivent ecirctre abolies La Cour considegravere neacuteanmoins que le critegravere des laquo valeurs de la Convention raquo ne peut pas srsquoappliquer agrave des eacuteveacutenements anteacuterieurs agrave lrsquoadoption de la Convention le 4 novembre 1950 car crsquoest seulement agrave cette date que celle-ci a commenceacute agrave exister en tant qursquoinstrument international de protection des droits de lrsquohomme Degraves lors la responsabiliteacute sur le terrain de la Convention drsquoune Partie agrave celle-ci ne peut pas ecirctre engageacutee pour la non-reacutealisation drsquoune enquecircte sur un crime de droit international fucirct-il le plus abominable si celui-ci est anteacuterieur agrave la Convention Bien qursquoelle soit sensible agrave lrsquoargument selon lequel mecircme aujourdrsquohui certains pays ont reacuteussi agrave juger des responsables de crimes de guerre commis au cours de la Deuxiegraveme Guerre mondiale la Cour souligne la diffeacuterence fondamentale qui existe entre la possibiliteacute de poursuivre une personne pour un grave crime de droit international si les circonstances le permettent et lrsquoobligation de le faire au regard de la Convention

III La theacuteorie des obligations positives

Document ndeg5 CEDH Airey c Irlande 9101979 extraits

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24 Selon le Gouvernement la requeacuterante a bien accegraves agrave la High Court puisqursquoil lui est loisible de srsquoadresser agrave elle sans

lrsquoassistance drsquoun homme de loi

La Cour ne considegravere pas cette ressource comme deacutecisive en soi La Convention a pour but de proteacuteger des droits non pas

theacuteoriques ou illusoires mais concrets et effectifs (voir mutatis mutandis lrsquoarrecirct du 23 juillet 1968 en lrsquoaffaire linguistique belge

seacuterie A no 6 p 31 paras 3 in fine et 4 lrsquoarrecirct Golder preacuteciteacute p 18 par 35 in fine lrsquoarrecirct Luedicke Belkacem et Koccedil du 28 novembre 1978 seacuterie A no 29 pp 17-18 par 42 lrsquoarrecirct Marckx du 13 juin 1979 seacuterie A no 31 p 15 par 31) La remarque vaut en

particulier pour le droit drsquoaccegraves aux tribunaux eu eacutegard agrave la place eacuteminente que le droit agrave un procegraves eacutequitable occupe dans une socieacuteteacute

deacutemocratique (cf mutatis mutandis lrsquoarrecirct Delcourt du 17 janvier 1970 seacuterie A no 11 pp 14-15 par 25) Il faut donc rechercher si la comparution devant la High Court sans lrsquoassistance drsquoun conseil serait efficace en ce sens que Mme Airey pourrait preacutesenter ses

arguments de maniegravere adeacutequate et satisfaisante

Gouvernement et Commission ont exposeacute agrave ce sujet des vues contradictoires lors des audiences La Cour estime certain que la requeacuterante se trouverait deacutesavantageacutee si son eacutepoux eacutetait repreacutesenteacute par un homme de loi et elle non En dehors mecircme de cette

hypothegravese elle ne croit pas reacutealiste de penser que lrsquointeacuteresseacutee pourrait deacutefendre utilement sa cause dans un tel litige malgreacute lrsquoaide que

le juge - le Gouvernement le souligne - precircte aux parties agissant en personne

En Irlande un jugement de seacuteparation de corps ne srsquoobtient pas devant un tribunal drsquoarrondissement ougrave la proceacutedure est

relativement simple mais devant la High Court Un speacutecialiste du droit irlandais de la famille M Alan J Shatter voit dans cette

juridiction la moins accessible de toutes en raison non seulement du niveau fort eacuteleveacute des honoraires agrave verser pour srsquoy faire repreacutesenter mais aussi de la complexiteacute de la proceacutedure agrave suivre pour introduire une action en particulier sur requecircte (petition)

comme ici (Family Law in the Republic of Ireland Dublin 1977 p 21)

En outre pareil procegraves indeacutependamment des problegravemes juridiques deacutelicats qursquoil comporte exige la preuve drsquoun adultegravere de pratiques contre nature ou comme en lrsquooccurrence de cruauteacute pour eacutetablir les faits il peu y avoir lieu de recueillir la deacuteposition

drsquoexperts de rechercher des teacutemoins de les citer et de les interroger De surcroicirct les diffeacuterends entre conjoints suscitent souvent une

passion peu compatible avec le degreacute drsquoobjectiviteacute indispensable pour plaider en justice

Pour ces motifs la Cour estime tregraves improbable qursquoune personne dans la situation de Mme Airey (paragraphe 8 ci-dessus)

puisse deacutefendre utilement sa propre cause Les reacuteponses du Gouvernement aux questions de la Cour corroborent cette opinion elles

reacutevegravelent que dans chacune des 255 instances en seacuteparation de corps engageacutees en Irlande de janvier 1972 agrave deacutecembre 1978 sans exception un homme de loi repreacutesentait le demandeur (paragraphe 11 ci-dessus)

La Cour en deacuteduit que la possibiliteacute de comparaicirctre en personne devant la High Court nrsquooffre pas agrave la requeacuterante un droit effectif drsquoaccegraves et partant ne constitue pas non plus un recours interne dont lrsquoarticle 26 (art 26) exige lrsquoeacutepuisement (paragraphe 19 b)

ci-dessus)

25 Le Gouvernement essaie de diffeacuterencier la preacutesente espegravece de lrsquoaffaire Golder Dans cette derniegravere souligne-t-il le requeacuterant avait eacuteteacute empecirccheacute de saisir un tribunal par un obstacle positif dresseacute sur son chemin par lrsquoEacutetat le ministre de lrsquointeacuterieur lui

avait interdit de consulter un avocat Ici au contraire il nrsquoexisterait de la part de lrsquoEacutetat ni obstacle positif ni tentative drsquoentrave le

deacutefaut alleacutegueacute drsquoaccegraves agrave la justice ne deacutecoulerait drsquoaucune initiative des autoriteacutes mais uniquement de la situation personnelle de Mme Airey dont on ne saurait tenir lrsquoIrlande pour responsable sur le terrain de la Convention

Cette dissemblance entre les circonstances des deux causes est indeacuteniable mais la Cour nrsquoapprouve pas la conclusion qursquoen

tire le Gouvernement Tout drsquoabord un obstacle de fait peut enfreindre la Convention agrave lrsquoeacutegal drsquoun obstacle juridique (arrecirct Golder preacuteciteacute p 13 par 26) En outre lrsquoexeacutecution drsquoun engagement assumeacute en vertu de la Convention appelle parfois des mesures positives

de lrsquoEacutetat en pareil cas celui-ci ne saurait se borner agrave demeurer passif et il nrsquoy a () pas lieu de distinguer entre actes et omissions

(voir mutatis mutandis lrsquoarrecirct Marckx preacuteciteacute p 15 par 31 et lrsquoarrecirct De Wilde Ooms et Versyp du 10 mars 1972 seacuterie A no 14 p 10 par 22) Or lrsquoobligation drsquoassurer un droit effectif drsquoaccegraves agrave la justice se range dans cette cateacutegorie drsquoengagements

26 Le Gouvernement appuie son argument principal sur ce qursquoil considegravere comme les conseacutequences de lrsquoavis de la

Commission dans chaque contestation relative agrave un droit de caractegravere civil lrsquoEacutetat devrait fournir une aide judiciaire gratuite Or la

seule clause de la Convention qui reacutegisse expresseacutement cette derniegravere question lrsquoarticle 6 par 3 c) (art 6-3-c) concerne les

proceacutedures peacutenales et srsquoaccompagne elle-mecircme de restrictions au surplus drsquoapregraves la jurisprudence constante de la Commission nul

droit agrave une aide judiciaire gratuite ne se trouve en soi garanti par lrsquoarticle 6 par 1 (art 6-1) En ratifiant la Convention ajoute le Gouvernement lrsquoIrlande a formuleacute une reacuteserve agrave lrsquoarticle 6 par 3 c) (art 6-3-c) pour reacuteduire ses obligations dans le domaine de lrsquoaide

judiciaire en matiegravere peacutenale a fortiori on ne saurait selon lui preacutetendre qursquoelle ait tacitement accepteacute drsquooctroyer une aide judiciaire

illimiteacutee dans les litiges civils Enfin il ne faut pas drsquoapregraves lui interpreacuteter la Convention de maniegravere agrave reacutealiser dans un Eacutetat contractant des progregraves eacuteconomiques et sociaux ils ne peuvent ecirctre que graduels

La Cour nrsquoignore pas que le deacuteveloppement des droits eacuteconomiques et sociaux deacutepend beaucoup de la situation des Eacutetats et

notamment de leurs finances Drsquoun autre cocircteacute la Convention doit se lire agrave la lumiegravere des conditions de vie drsquoaujourdrsquohui (arrecirct Marckx preacuteciteacute p 19 par 41) et agrave lrsquointeacuterieur de son champ drsquoapplication elle tend agrave une protection reacuteelle et concregravete de lrsquoindividu

(paragraphe 24 ci-dessus) Or si elle eacutenonce pour lrsquoessentiel des droits civils et politiques nombre drsquoentre eux ont des prolongements

drsquoordre eacuteconomique ou social Avec la Commission la Cour nrsquoestime donc pas devoir eacutecarter telle ou telle interpreacutetation pour le simple motif qursquoagrave lrsquoadopter on risquerait drsquoempieacuteter sur la sphegravere des droits eacuteconomiques et sociaux nulle cloison eacutetanche ne seacutepare

celle-ci du domaine de la Convention

La Cour ne partage pas davantage lrsquoopinion du Gouvernement sur les conseacutequences de lrsquoavis de la Commission

On aurait tort de geacuteneacuteraliser la conclusion selon laquelle la possibiliteacute de comparaicirctre en personne devant la High Court

nrsquooffre pas agrave Mme Airey un droit effectif drsquoaccegraves elle ne vaut pas pour tous les cas concernant des droits et obligations de caractegravere

civil ni pour tous les inteacuteresseacutes Dans certaines hypothegraveses la faculteacute de se preacutesenter devant une juridiction fucirct-ce sans lrsquoassistance drsquoun conseil reacutepond aux exigences de lrsquoarticle 6 par 1 (art 6-1) il se peut qursquoelle assure parfois un accegraves reacuteel mecircme agrave la High Court

En veacuteriteacute les circonstances jouent ici un rocircle important

En outre lrsquoarticle 6 par 1 (art 6-1) srsquoil garantit aux plaideurs un droit effectif drsquoaccegraves aux tribunaux pour les deacutecisions relatives agrave leurs droits et obligations de caractegravere civil laisse agrave lrsquoEacutetat le choix des moyens agrave employer agrave cette fin Lrsquoinstauration drsquoun

systegraveme drsquoaide judiciaire - envisageacutee agrave preacutesent par lrsquoIrlande pour les affaires ressortissant au droit de la famille (paragraphe 11 ci-

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dessus) - en constitue un mais il y en a drsquoautres par exemple une simplification de la proceacutedure Quoi qursquoil en soit il nrsquoappartient pas

agrave la Cour de dicter les mesures agrave prendre ni mecircme de les indiquer la Convention se borne agrave exiger que lrsquoindividu jouisse de son droit effectif drsquoaccegraves agrave la justice selon des modaliteacutes non contraires agrave lrsquoarticle 6 par 1 (art 6-1) (voir mutatis mutandis lrsquoarrecirct Syndicat

national de la police belge du 27 octobre 1975 seacuterie A no 19 p 18 par 39 et lrsquoarrecirct Marckx preacuteciteacute p 15 par 31)

La conclusion figurant agrave la fin du paragraphe 24 ci-dessus nrsquoimplique donc pas que lrsquoEacutetat doive fournir une aide judiciaire gratuite dans toute contestation touchant un droit de caractegravere civil

Affirmer lrsquoexistence drsquoune obligation aussi eacutetendue la Cour lrsquoadmet se concilierait mal avec la circonstance que la

Convention ne renferme aucune clause sur lrsquoaide judiciaire pour ces derniegraveres contestations son article 6 par 3 c) (art 6-3-c) ne traitant que de la matiegravere peacutenale Cependant malgreacute lrsquoabsence drsquoun texte analogue pour les procegraves civils lrsquoarticle 6 par 1 (art 6-1)

peut parfois astreindre lrsquoEacutetat agrave pourvoir agrave lrsquoassistance drsquoun membre du barreau quand elle se reacutevegravele indispensable agrave un accegraves effectif

au juge soit parce que la loi prescrit la repreacutesentation par un avocat comme la leacutegislation nationale de certains Eacutetats contractants le fait pour diverses cateacutegories de litiges soit en raison de la complexiteacute de la proceacutedure ou de la cause

Quant agrave la reacuteserve irlandaise agrave lrsquoarticle 6 par 3 c) (art 6-3-c) on ne saurait lrsquointerpreacuteter de telle sorte qursquoelle influerait sur

les engagements reacutesultant de lrsquoarticle 6 par 1 (art 6-1) partant elle nrsquoentre pas ici en ligne de compte

28 La Cour constate ainsi agrave la lumiegravere de lrsquoensemble des circonstances de la cause que Mme Airey nrsquoa pas beacuteneacuteficieacute drsquoun

droit drsquoaccegraves effectif agrave la High Court pour demander un jugement de seacuteparation de corps Partant il y a eu violation de lrsquoarticle 6 par

1 (art 6-1)

32 Aux yeux de la Cour Mme Airey ne saurait passer pour avoir subi de la part de lrsquoIrlande une ingeacuterence dans sa vie

priveacutee ou familiale elle se plaint en substance non drsquoun acte mais de lrsquoinaction de lrsquoEacutetat Toutefois si lrsquoarticle 8 (art 8) a

essentiellement pour objet de preacutemunir lrsquoindividu contre des ingeacuterences arbitraires des pouvoirs publics il ne se contente pas drsquoastreindre lrsquoEacutetat agrave srsquoabstenir de pareilles ingeacuterences agrave cet engagement plutocirct neacutegatif peuvent srsquoajouter des obligations positives

inheacuterentes agrave un respect effectif de la vie priveacutee ou familiale (arrecirct Marckx preacuteciteacute p 15 par 31)

33 Le droit irlandais regravegle cette derniegravere sous beaucoup drsquoaspects Au sujet de mariage il prescrit en principe aux eacutepoux de cohabiter mais il leur accorde dans certains cas le droit de demander un jugement de seacuteparation de corps Par lagrave mecircme il reconnaicirct

que la protection de leur vie priveacutee ou familiale exige parfois de les relever de ce devoir

Un respect effectif de la vie priveacutee ou familiale impose agrave lrsquoIrlande de rendre ce moyen effectivement accessible quand il y a lieu agrave quiconque deacutesire lrsquoemployer Or la requeacuterante nrsquoy a pas eu effectivement accegraves nrsquoayant pas eacuteteacute mise en mesure de saisir la

High Court (paragraphes 20 agrave 28 ci-dessus) elle nrsquoa pu reacuteclamer la conseacutecration juridique de sa seacuteparation de fait drsquoavec son mari Elle a donc eacuteteacute victime drsquoune violation de lrsquoarticle 8 (art 8)

Document ndeg 6 CEDH Lopez Ostra c Espagne 9 Deacutecembre 1994 extraits

51 Il va pourtant de soi que des atteintes graves agrave lrsquoenvironnement peuvent affecter le bien-ecirctre drsquoune personne et la priver

de la jouissance de son domicile de maniegravere agrave nuire agrave sa vie priveacutee et familiale sans pour autant mettre en grave danger la santeacute de lrsquointeacuteresseacutee

Que lrsquoon aborde la question sous lrsquoangle drsquoune obligation positive de lrsquoEtat - adopter des mesures raisonnables et adeacutequates

pour proteacuteger les droits de lrsquoindividu en vertu du paragraphe 1 de lrsquoarticle 8 (art 8-1) - comme le souhaite dans son cas la requeacuterante ou sous celui drsquoune ingeacuterence drsquoune autoriteacute publique agrave justifier selon le paragraphe 2 (art 8-2) les principes applicables sont assez

voisins Dans les deux cas il faut avoir eacutegard au juste eacutequilibre agrave meacutenager entre les inteacuterecircts concurrents de lrsquoindividu et de la socieacuteteacute

dans son ensemble lrsquoEtat jouissant en toute hypothegravese drsquoune certaine marge drsquoappreacuteciation En outre mecircme pour les obligations positives reacutesultant du paragraphe 1 (art 8-1) les objectifs eacutenumeacutereacutes au paragraphe 2 (art 8-2) peuvent jouer un certain rocircle dans la

recherche de lrsquoeacutequilibre voulu (voir notamment les arrecircts Rees c Royaume-Uni du 17 octobre 1986 seacuterie A no 106 p 15 par 37 et

Powell et Rayner c Royaume-Uni du 21 feacutevrier 1990 seacuterie A no 172 p 18 par 41)

52 Il ressort du dossier que la station drsquoeacutepuration litigieuse fut construite en juillet 1988 par SACURSA pour reacutesoudre un

grave problegraveme de pollution existant agrave Lorca agrave cause de la concentration de tanneries Or degraves son entreacutee en service elle provoqua des

nuisances et troubles de santeacute chez de nombreux habitants (paragraphes 7 et 8 ci-dessus)

Certes les autoriteacutes espagnoles et notamment la municipaliteacute de Lorca nrsquoeacutetaient pas en principe directement responsables

des eacutemanations dont il srsquoagit Toutefois comme le signale la Commission la ville permit lrsquoinstallation de la station sur des terrains lui

appartenant et lrsquoEtat octroya une subvention pour sa construction (paragraphe 7 ci-dessus)

53 Le conseil municipal reacuteagit avec ceacuteleacuteriteacute en relogeant gratuitement au centre ville pendant les mois de juillet aoucirct et

septembre 1988 les reacutesidents affecteacutes puis en closant lrsquoune des activiteacutes de la station agrave partir du 9 septembre (paragraphes 8 et 9 ci-

dessus) Cependant ses membres ne pouvaient ignorer que les problegravemes drsquoenvironnement persistegraverent apregraves cette clocircture partielle (paragraphes 9 et 11 ci-dessus) Cela fut drsquoailleurs corroboreacute degraves le 19 janvier 1989 par le rapport de lrsquoAgence reacutegionale pour

lrsquoenvironnement et la nature puis confirmeacute par des expertises en 1991 1992 et 1993 (paragraphes 11 et 18 ci-dessus)

54 Drsquoapregraves Mme Loacutepez Ostra les pouvoirs geacuteneacuteraux de police attribueacutes agrave la municipaliteacute par le regraveglement de 1961 obligeaient ladite municipaliteacute agrave agir En outre la station ne reacuteunissait pas les conditions requises par la loi notamment en ce qui

concernait son emplacement et lrsquoabsence de permis municipal (paragraphes 8 27 et 28 ci-dessus)

55 Sur ce point la Cour rappelle que la question de la leacutegaliteacute de lrsquoinstallation et du fonctionnement de la station demeure pendante devant le Tribunal suprecircme depuis 1991 (paragraphe 16 ci-dessus) Or drsquoapregraves sa jurisprudence constante il incombe au

premier chef aux autoriteacutes nationales et speacutecialement aux cours et tribunaux drsquointerpreacuteter et drsquoappliquer le droit interne (voir entre autres lrsquoarrecirct Casado Coca c Espagne du 24 feacutevrier 1994 seacuterie A no 285-A p 18 par 43)

De toute maniegravere la Cour estime qursquoen lrsquooccurrence il lui suffit de rechercher si agrave supposer mecircme que la municipaliteacute se

soit acquitteacutee des tacircches qui lui revenaient drsquoapregraves le droit interne (paragraphes 27-28 ci-dessus) les autoriteacutes nationales ont pris les mesures neacutecessaires pour proteacuteger le droit de la requeacuterante au respect de son domicile ainsi que de sa vie priveacutee et familiale garanti par

lrsquoarticle 8 (art 8) (voir entre autres mutatis mutandis lrsquoarrecirct X et Y c Pays-Bas du 26 mars 1985 seacuterie A no 91 p 11 par 23)

1315

56 Il eacutechet de constater que non seulement la municipaliteacute nrsquoa pas pris apregraves le 9 septembre 1988 des mesures agrave cette fin

mais aussi qursquoelle a contrecarreacute des deacutecisions judiciaires allant dans ce sens Ainsi dans la proceacutedure ordinaire entameacutee par les belles-soeurs de Mme Loacutepez Ostra elle a interjeteacute appel contre la deacutecision du Tribunal supeacuterieur de Murcie du 18 septembre 1991 ordonnant

la fermeture provisoire de la station de sorte que cette mesure resta en suspens (paragraphe 16 ci-dessus)

Drsquoautres organes de lrsquoEtat ont aussi contribueacute agrave prolonger la situation Ainsi le ministegravere public attaqua le 19 novembre 1991 la deacutecision de fermeture provisoire prise par le juge drsquoinstruction de Lorca le 15 dans le cadre des poursuites pour deacutelit

eacutecologique (paragraphe 17 ci-dessus) si bien que la mesure est resteacutee inexeacutecuteacutee jusqursquoau 27 octobre 1993 (paragraphe 22 ci-dessus)

57 Le Gouvernement rappelle que la ville a assumeacute les frais de location drsquoun appartement au centre de Lorca que la requeacuterante et sa famille ont occupeacute du 1er feacutevrier 1992 jusqursquoen feacutevrier 1993 (paragraphe 21 ci-dessus)

La Cour note cependant que les inteacuteresseacutes ont ducirc subir pendant plus de trois ans les nuisances causeacutees par la station avant

de deacutemeacutenager avec les inconveacutenients que cela comporte Ils ne lrsquoont fait que lorsqursquoil apparut que la situation pouvait se prolonger indeacutefiniment et sur prescription du peacutediatre de la fille de Mme Loacutepez Ostra (paragraphes 16 17 et 19 ci-dessus) Dans ces conditions

lrsquooffre de la municipaliteacute ne pouvait pas effacer complegravetement les nuisances et inconveacutenients veacutecus

58 Compte tenu de ce qui preacutecegravede - et malgreacute la marge drsquoappreacuteciation reconnue agrave lrsquoEtat deacutefendeur - la Cour estime que

celui-ci nrsquoa pas su meacutenager un juste eacutequilibre entre lrsquointeacuterecirct du bien-ecirctre eacuteconomique de la ville de Lorca - celui de disposer drsquoune

station drsquoeacutepuration - et la jouissance effective par la requeacuterante du droit au respect de son domicile et de sa vie priveacutee et familiale

Il y a donc eu violation de lrsquoarticle 8 (art 8)

Document ndeg7 Soering c Royaume-Uni 07071989 extraits

I SUR LA VIOLATION ALLEacuteGUEacuteE DE LrsquoARTICLE 3 (art 3)

80 Selon le requeacuterant la deacutecision du ministre de lrsquoInteacuterieur de le livrer aux autoriteacutes des Eacutetats-Unis drsquoAmeacuterique entraicircnera si elle reccediloit exeacutecution un manquement du Royaume-Uni aux exigences de lrsquoarticle 3 (art 3) de la Convention ainsi

libelleacute

Nul ne peut ecirctre soumis agrave la torture ni agrave des peines ou traitements inhumains ou deacutegradants

A Applicabiliteacute de lrsquoarticle 3 (art 3) en matiegravere drsquoextradition

81 La violation alleacutegueacutee consisterait agrave exposer M Soering au syndrome du couloir de la mort (death row

phenomenon) On peut deacutecrire celui-ci comme une combinaison de circonstances dans lesquelles lrsquointeacuteresseacute devrait vivre si une fois extradeacute en Virginie pour y reacutepondre drsquoune accusation drsquoassassinats passibles de la peine capitale il se voyait condamner agrave mort

82 [hellip] la Commission rappelle que drsquoapregraves sa jurisprudence une expulsion ou extradition peut soulever un problegraveme au

regard de lrsquoarticle 3 (art 3) de la Convention srsquoil existe des raisons seacuterieuses de croire que la personne en cause subira dans lrsquoEacutetat de destination un traitement contraire agrave ce texte

[hellip]

84 La Cour abordera le problegraveme sur la base des consideacuterations suivantes

[hellip]

86 Lrsquoarticle 1 (art 1) aux termes duquel les Hautes Parties Contractantes reconnaissent agrave toute personne relevant de leur

juridiction les droits et liberteacutes deacutefinis au Titre I fixe une limite notamment territoriale au domaine de la Convention En particulier lrsquoengagement des Eacutetats contractants se borne agrave reconnaicirctre (en anglais to secure) aux personnes relevant de leur juridiction les

droits et liberteacutes eacutenumeacutereacutes En outre la Convention ne reacutegit pas les actes drsquoun Eacutetat tiers ni ne preacutetend exiger des Parties contractantes

qursquoelles imposent ses normes agrave pareil Eacutetat Lrsquoarticle 1 (art 1) ne saurait srsquointerpreacuteter comme consacrant un principe geacuteneacuteral selon

lequel un Eacutetat contractant nonobstant ses obligations en matiegravere drsquoextradition ne peut livrer un individu sans se convaincre que les

conditions escompteacutees dans le pays de destination cadrent pleinement avec chacune des garanties de la Convention En reacutealiteacute le

gouvernement britannique le souligne avec raison en deacuteterminant le champ drsquoapplication de la Convention et speacutecialement de lrsquoarticle 3 (art 3) on ne saurait oublier lrsquoobjectif beacuteneacutefique de lrsquoextradition empecirccher des deacutelinquants en fuite de se soustraire agrave la

justice

[hellip]

87 La Convention doit se lire en fonction de son caractegravere speacutecifique de traiteacute de garantie collective des droits de

lrsquohomme et des liberteacutes fondamentales (hellip) Lrsquoobjet et le but de cet instrument de protection des ecirctres humains appellent agrave comprendre

et appliquer ses dispositions drsquoune maniegravere qui en rende les exigences concregravetes et effectives (hellip) En outre toute interpreacutetation des droits et liberteacutes eacutenumeacutereacutes doit se concilier avec lrsquoesprit geacuteneacuteral [de la Convention] destineacutee agrave sauvegarder et promouvoir les ideacuteaux

et valeurs drsquoune socieacuteteacute deacutemocratique (hellip)

88 Lrsquoarticle 3 (art 3) ne meacutenage aucune exception et lrsquoarticle 15 (art 15) ne permet pas drsquoy deacuteroger en temps de guerre ou autre danger national Cette prohibition absolue par la Convention de la torture et des peines ou traitements inhumains ou

deacutegradants montre que lrsquoarticle 3 (art 3) consacre lrsquoune des valeurs fondamentales des socieacuteteacutes deacutemocratiques qui forment le Conseil

de lrsquoEurope

Reste agrave savoir si lrsquoextradition drsquoun fugitif vers un autre Eacutetat ougrave il subira ou risquera de subir la torture ou des peines ou

traitements inhumains ou deacutegradants engage par elle-mecircme la responsabiliteacute drsquoun Eacutetat contractant sur le terrain de lrsquoarticle 3 (art

3)(hellip) Un Eacutetat contractant se conduirait drsquoune maniegravere incompatible avec les valeurs sous-jacentes agrave la Convention ce patrimoine commun drsquoideacuteal et de traditions politiques de respect de la liberteacute et de preacuteeacuteminence du droit auquel se reacutefegravere le Preacuteambule srsquoil

remettait consciemment un fugitif - pour odieux que puisse ecirctre le crime reprocheacute - agrave un autre Eacutetat ougrave il existe des motifs seacuterieux de penser qursquoun danger de torture menace lrsquointeacuteresseacute Malgreacute lrsquoabsence de mention expresse dans le texte bref et geacuteneacuteral de lrsquoarticle 3

(art 3) pareille extradition irait manifestement agrave lrsquoencontre de lrsquoesprit de ce dernier aux yeux de la Cour lrsquoobligation implicite de ne

1415

pas extrader srsquoeacutetend aussi au cas ougrave le fugitif risquerait de subir dans lrsquoEacutetat de destination des peines ou traitements inhumains ou

deacutegradants proscrits par ledit article (art 3)

89 Ce qui constitue des peines ou traitements inhumains ou deacutegradants deacutepend de lrsquoensemble des circonstances de la

cause [hellip]

90 En principe il nrsquoappartient pas aux organes de la Convention de statuer sur lrsquoexistence ou lrsquoabsence de violations virtuelles de celle-ci Une deacuterogation agrave la regravegle geacuteneacuterale srsquoimpose pourtant si un fugitif allegravegue que la deacutecision de lrsquoextrader

enfreindrait lrsquoarticle 3 (art 3) au cas ougrave elle recevrait exeacutecution en raison des conseacutequences agrave en attendre dans le pays de destination

il y va de lrsquoefficaciteacute de la garantie assureacutee par ce texte vu la graviteacute et le caractegravere irreacuteparable de la souffrance preacutetendument risqueacutee (paragraphe 87 ci-dessus)

[hellip]

B Application de lrsquoarticle 3 (art 3) dans les circonstances de la cause

92 La proceacutedure drsquoextradition ouverte au Royaume-Uni contre le requeacuterant a pris fin avec la signature par le ministre

drsquoun arrecircteacute qui ordonnait la remise aux autoriteacutes ameacutericaines (hellip) quoique non encore exeacutecuteacutee cette deacutecision atteint de plein fouet

lrsquointeacuteresseacute Il faut donc rechercher agrave la lumiegravere des principes eacutenonceacutes plus haut si les conseacutequences preacutevisibles drsquoun renvoi de M

Soering aux Eacutetats-Unis sont de nature agrave faire jouer lrsquoarticle 3 (art 3)

98[hellip] Quoi qursquoil en soit selon le droit et la pratique de Virginie (hellip) et nonobstant le contexte diplomatique des relations

anglo-ameacutericaines en matiegravere drsquoextradition on ne peut dire objectivement que lrsquoengagement de signaler au juge au moment de la fixation de la peine les voeux du Royaume-Uni eacutecarte le danger drsquoune sentence capitale Dans le libre exercice de son pouvoir

drsquoappreacuteciation lrsquoAttorney de lrsquoEacutetat a deacutecideacute lui-mecircme de requeacuterir et persister agrave requeacuterir la peine capitale parce que le dossier lui

semble le commander (paragraphe 20 in fine ci-dessus) Si lrsquoautoriteacute nationale chargeacutee des poursuites adopte une attitude aussi ferme la Cour ne saurait guegravere conclure agrave lrsquoabsence de motifs seacuterieux de croire que M Soering court un risque reacuteel drsquoecirctre condamneacute agrave mort

donc de subir le syndrome du couloir de la mort

99 Partant la perspective de voir lrsquointeacuteresseacute exposeacute agrave ce syndrome comme il le redoute se reacutevegravele telle que lrsquoarticle 3 (art 3) entre en jeu

2 Sur le point de savoir si le risque drsquoexposer le requeacuterant au syndrome du couloir de la mort rendrait lrsquoextradition

contraire agrave lrsquoarticle 3 (art 3)

a) Consideacuterations geacuteneacuterales

100 Drsquoapregraves la jurisprudence de la Cour un mauvais traitement y compris une peine doit atteindre un minimum de graviteacute pour tomber sous le coup de lrsquoarticle 3 (art 3) Lrsquoappreacuteciation de ce minimum est relative par essence elle deacutepend de

lrsquoensemble des donneacutees de la cause et notamment de la nature et du contexte du traitement ou de la peine ainsi que de ses modaliteacutes

drsquoexeacutecution de sa dureacutee de ses effets physiques ou mentaux ainsi que parfois du sexe de lrsquoacircge et de lrsquoeacutetat de santeacute de la victime

La Cour a estimeacute un certain traitement agrave la fois inhumain pour avoir eacuteteacute appliqueacute avec preacutemeacuteditation pendant des heures

et avoir causeacute sinon de veacuteritables leacutesions du moins de vives souffrances physiques et morales et deacutegradant parce que de nature agrave

creacuteer [en ses victimes] des sentiments de peur drsquoangoisse et drsquoinfeacuterioriteacute propres agrave les humilier agrave les avilir et agrave briser eacuteventuellement leur reacutesistance physique ou morale (hellip) Pour qursquoune peine ou le traitement dont elle srsquoaccompagne soient inhumains ou

deacutegradants la souffrance ou lrsquohumiliation doivent en tout cas aller au-delagrave de celles que comporte ineacutevitablement une forme donneacutee

de peine leacutegitime (hellip ) En la matiegravere il eacutechet de tenir compte non seulement de la souffrance physique mais aussi en cas de long deacutelai avant lrsquoexeacutecution de la peine de lrsquoangoisse morale eacuteprouveacutee par le condamneacute dans lrsquoattente des violences qursquoon se preacutepare agrave lui

infliger

[hellip]

b) Les circonstances de la cause

i Dureacutee de la deacutetention avant lrsquoexeacutecution

[hellip]

106 [hellip] Un certain laps de temps doit forceacutement srsquoeacutecouler entre le prononceacute de la peine et son exeacutecution si lrsquoon veut

fournir au condamneacute des garanties de recours mais de mecircme il entre dans la nature humaine que lrsquointeacuteresseacute srsquoaccroche agrave lrsquoexistence

en les exploitant au maximum Si bien intentionneacute soit-il voire potentiellement beacuteneacutefique le systegraveme virginien de proceacutedures posteacuterieures agrave la sentence aboutit agrave obliger le condamneacute deacutetenu agrave subir pendant des anneacutees les conditions du couloir de la mort

lrsquoangoisse et la tension grandissante de vivre dans lrsquoombre omnipreacutesente de la mort

ii Situation dans le couloir de la mort

[hellip]

109 [hellip] Bien que la Cour nrsquoait pas agrave preacutejuger de la responsabiliteacute peacutenale et de la peine approprieacutee la jeunesse du

requeacuterant agrave lrsquoeacutepoque de lrsquoinfraction et sa condition mentale drsquoalors illustreacutees par le dossier psychiatrique existant figurent donc parmi les donneacutees qui tendent en lrsquoespegravece agrave faire relever de lrsquoarticle 3 (art 3) le traitement agrave subir dans le couloir de la mort

[hellip]

c) Conclusion

111 [hellip] Eu eacutegard cependant agrave la tregraves longue peacuteriode agrave passer dans le couloir de la mort dans des conditions aussi

extrecircmes avec lrsquoangoisse omnipreacutesente et croissante de lrsquoexeacutecution de la peine capitale et agrave la situation personnelle du requeacuterant en

particulier son acircge et son eacutetat mental agrave lrsquoeacutepoque de lrsquoinfraction une extradition vers les Eacutetats-Unis exposerait lrsquointeacuteresseacute agrave un risque reacuteel de traitement deacutepassant le seuil fixeacute par lrsquoarticle 3 (art 3) Lrsquoexistence en lrsquoespegravece drsquoun autre moyen drsquoatteindre le but leacutegitime

1515

de lrsquoextradition sans entraicircner pour autant des souffrances drsquoune intensiteacute ou dureacutee aussi exceptionnelles repreacutesente une consideacuteration

pertinente suppleacutementaire

En conclusion la deacutecision ministeacuterielle de livrer le requeacuterant aux Eacutetats-Unis violerait lrsquoarticle 3 (art 3) si elle recevait

exeacutecution

[hellip]

PAR CES MOTIFS LA COUR A LrsquoUNANIMITE

1 Dit qursquoil y aurait violation de lrsquoarticle 3 (art 3) si la deacutecision ministeacuterielle drsquoextrader le requeacuterant vers les Eacutetats-Unis drsquoAmeacuterique

recevait exeacutecution

Page 2: Dedh 2014 - Fiche 2

215

I Le champ drsquoapplication territoriale

Document ndeg1 CEDH Loizidou cTurquie (exceptions preacuteliminaires) 23031995 extraits

70 La Cour relegraveve que les articles 25 et 46 (art 25 art 46) sont des dispositions essentielles agrave lrsquoefficaciteacute du systegraveme de la

Convention puisqursquoils deacutelimitent la responsabiliteacute de la Commission et de la Cour celle drsquoassurer le respect des engagements reacutesultant pour les Hautes Parties Contractantes agrave la Convention (article 19) (art 19) en fixant leur compeacutetence pour connaicirctre des

griefs tireacutes de violations alleacutegueacutees des droits et liberteacutes eacutenonceacutes dans ce texte Lorsqursquoelle interpregravete ces dispositions cleacutes elle doit

tenir compte du caractegravere singulier de la Convention traiteacute de garantie collective des droits de lrsquohomme et des liberteacutes fondamentales

Comme lrsquoa noteacute la Cour dans lrsquoarrecirct Irlande c Royaume-Uni du 18 janvier 1978 (seacuterie A no 25 p 90 par 239)

A la diffeacuterence des traiteacutes internationaux de type classique la Convention deacuteborde le cadre de la simple reacuteciprociteacute entre

Etats contractants En sus drsquoun reacuteseau drsquoengagements synallagmatiques bilateacuteraux elle creacutee des obligations objectives qui aux termes

de son preacuteambule beacuteneacuteficient drsquoune lsquogarantie collectiversquo

71 Il est solidement ancreacute dans la jurisprudence de la Cour que la Convention est un instrument vivant agrave interpreacuteter agrave la

lumiegravere des conditions de vie actuelles (voir entre autres lrsquoarrecirct Tyrer c Royaume-Uni du 25 avril 1978 seacuterie A no 26 pp 15-16

par 31) Pareille deacutemarche pour la Cour ne se limite pas aux dispositions normatives de la Convention mais vaut encore pour celles

tels les articles 25 et 46 (art 25 art 46) qui reacutegissent le fonctionnement du meacutecanisme de sa mise en oeuvre Il srsquoensuit que ces dispositions ne sauraient srsquointerpreacuteter uniquement en conformiteacute avec les intentions de leurs auteurs telles qursquoelles furent exprimeacutees

voici plus de quarante ans

En conseacutequence mecircme srsquoil se trouvait eacutetabli ce qui nrsquoest pas le cas que les restrictions autres que ratione temporis passaient pour admissibles au titre des articles 25 et 46 (art 25 art 46) agrave lrsquoeacutepoque ougrave une minoriteacute des Parties contractantes actuelles

adoptegraverent la Convention pareille preuve ne saurait ecirctre deacuteterminante

72 En outre lrsquoobjet et le but de la Convention instrument de protection des ecirctres humains appellent agrave interpreacuteter et agrave appliquer ses dispositions drsquoune maniegravere qui en rende les exigences concregravetes et effectives (voir entre autres les arrecircts Soering

preacuteciteacute p 34 par 87 et Artico c Italie du 13 mai 1980 seacuterie A no 37 p 16 par 33)

73 Pour dire si les Parties contractantes peuvent imposer des restrictions agrave leur acceptation de la compeacutetence de la

Commission et de la Cour en application des articles 25 et 46 (art 25 art 46) la Cour recherchera le sens ordinaire agrave attribuer aux termes de ces dispositions dans leur contexte et agrave la lumiegravere de leur objet et de leur but (voir notamment lrsquoarrecirct Johnston et autres c

Irlande du 18 deacutecembre 1986 seacuterie A no 112 p 24 par 51 et lrsquoarticle 31 par 1 de la Convention de Vienne du 23 mai 1969 sur le

droit des traiteacutes) Parallegravelement au contexte elle tiendra compte de toute pratique ulteacuterieurement suivie dans lrsquoapplication du traiteacute

par laquelle est eacutetabli lrsquoaccord des parties agrave lrsquoeacutegard de lrsquointerpreacutetation du traiteacute (article 31 par 3 b) de la Convention de Vienne preacuteciteacutee)

74 Lrsquoarticle 25 par 2 (art 25-2) comme lrsquoarticle 46 par 2 (art 46-2) de la Convention autorisent expresseacutement des

deacuteclarations pour une peacuteriode donneacutee On a toujours entendu ces dispositions comme autorisant les Parties contractantes agrave limiter aussi la reacutetroactiviteacute de leur acceptation de la compeacutetence de la Commission et de la Cour (voir entre autres lrsquoarrecirct Stamoulakatos c

Gregravece du 26 octobre 1993 seacuterie A no 271 p 13 par 32) Ce point ne precircte pas agrave controverse

75 Lrsquoarticle 25 (art 25) ne preacutevoit explicitement aucune autre forme de restriction (paragraphe 65 ci-dessus) Quant agrave

lrsquoarticle 46 par 2 (art 46-2) il preacutecise que les deacuteclarations pourront ecirctre faites purement et simplement ou sous condition de reacuteciprociteacute () (paragraphe 66 ci-dessus)

Si comme le preacutetend le gouvernement deacutefendeur ces dispositions permettaient des restrictions territoriales ou sur le

contenu de lrsquoacceptation les Parties contractantes seraient libres de souscrire agrave des reacutegimes distincts de mise en oeuvre des obligations conventionnelles selon lrsquoeacutetendue de leurs acceptations Un tel systegraveme qui permettrait aux Etats de tempeacuterer leur consentement par le

jeu de clauses facultatives affaiblirait gravement le rocircle de la Commission et de la Cour dans lrsquoexercice de leurs fonctions mais amoindrirait aussi lrsquoefficaciteacute de la Convention en tant qursquoinstrument constitutionnel de lrsquoordre public europeacuteen De surcroicirct lorsque

la Convention autorise les Etats agrave limiter leur acceptation en vertu de lrsquoarticle 25 (art 25) elle le preacutecise expresseacutement (voir agrave cet

eacutegard lrsquoarticle 6 par 2 du Protocole no 4 et lrsquoarticle 7 par 2 du Protocole no 7) (P4-6-2 P7-7-2)

Drsquoapregraves la Cour compte tenu de lrsquoobjet et du but du systegraveme de la Convention indiqueacutes ci-dessus les conseacutequences pour la mise en oeuvre de la Convention et la reacutealisation de ses objectifs auraient une si grande porteacutee qursquoil eucirct fallu preacutevoir explicitement un

pouvoir en ce sens Or ni lrsquoarticle 25 (art 25) ni lrsquoarticle 46 (art 46) ne renferment pareille disposition

76 La Cour note au surplus que lrsquoarticle 64 (art 64) de la Convention autorise les Etats agrave formuler des reacuteserves au moment de la signature de la Convention ou du deacutepocirct de leurs instruments de ratification Ce pouvoir preacutevu agrave lrsquoarticle 64 (art 64) est toutefois

limiteacute puisqursquoil se trouve circonscrit agrave des dispositions particuliegraveres de la Convention dans la mesure ougrave une loi alors en vigueur sur

[le] territoire [de la Partie Contractante concerneacutee] nrsquoest pas conforme agrave cette disposition Les reacuteserves de caractegravere geacuteneacuteral ne sont drsquoailleurs pas autoriseacutees

77 Lrsquoexistence de pareille clause restrictive concernant des reacuteserves donne agrave penser que les Etats ne sauraient limiter leur

acceptation des clauses facultatives pour soustraire en fait des secteurs de leur droit et de leur pratique relevant de leur juridiction au controcircle des organes de la ConventionLrsquoineacutegaliteacute que pourrait engendrer entre les Etats contractants la toleacuterance drsquoacceptations

limiteacutees de la sorte irait de plus agrave lrsquoencontre de la finaliteacute de la Convention exprimeacutee dans son preacuteambule la reacutealisation drsquoune union

plus eacutetroite par la sauvegarde et le deacuteveloppement des droits de lrsquohomme

78 Les consideacuterations qui preacutecegravedent viennent en soi fortement eacutetayer lrsquoideacutee que le systegraveme de la Convention nrsquoautorise pas

pareilles restrictions

315

79 Cette maniegravere de voir se trouve confirmeacutee par la pratique ulteacuterieurement suivie par les Parties contractantes au regard

de ces dispositions De lrsquoentreacutee en vigueur de la Convention jusqursquoagrave aujourdrsquohui les trente Parties agrave la Convention ont presque toutes mis agrave part le gouvernement deacutefendeur accepteacute la compeacutetence de la Commission et de la Cour pour connaicirctre de plaintes sans

restrictions ratione loci ou ratione materiae Les restrictions dont sont assorties la deacuteclaration cypriote relative agrave lrsquoarticle 25 (art 25)

(paragraphes 30 et 32) deacutesormais retireacutee (paragraphe 32 ci-dessus) et - selon la thegravese du gouvernement deacutefendeur - la deacuteclaration britannique relative agrave lrsquoarticle 25 (art 25) (paragraphe 33 ci-dessus) constituent les seules exceptions agrave cette pratique coheacuterente

80 Sur ce point la Commission estime que le Royaume-Uni avait formuleacute cette restriction agrave la lumiegravere de lrsquoarticle 63 par

4 (art 63-4) de la Convention afin drsquoexclure la compeacutetence de la Commission pour connaicirctre de requecirctes relatives agrave ses territoires non meacutetropolitains En lrsquooccurrence la Cour nrsquoa pas agrave interpreacuteter la porteacutee exacte de cette deacuteclaration invoqueacutee par le gouvernement

deacutefendeur comme exemple de restriction territoriale Quel qursquoen soit le sens cette deacuteclaration et celle de Chypre nrsquoinfirment pas la

preuve drsquoune pratique deacutenotant un assentiment quasi universel entre les Parties contractantes les articles 25 et 46 (art 25 art 46) de la Convention ne permettent pas des restrictions territoriales ou portant sur le contenu

81 La preuve de lrsquoexistence de pareille pratique se trouve corroboreacutee par les reacuteactions des gouvernements de la Suegravede du

Luxembourg du Danemark de la Norvegravege et de la Belgique ainsi que du Secreacutetaire geacuteneacuteral du Conseil de lrsquoEurope en sa qualiteacute de deacutepositaire qui ont reacuteserveacute leur position pour les questions juridiques pouvant surgir quant agrave la porteacutee de la premiegravere deacuteclaration

turque relative agrave lrsquoarticle 25 (art 25) (paragraphes 18-24 ci-dessus) et du gouvernement grec qui a consideacutereacute comme nulles et non

avenues les restrictions aux deacuteclarations turques relatives aux articles 25 et 46 (art 25 art 46) (paragraphe 18 ci-dessus)

82 La reacutealiteacute de cette pratique uniforme et coheacuterente des Etats reacutefute agrave lrsquoeacutevidence les arguments du gouvernement

deacutefendeur drsquoapregraves lesquels les reacutedacteurs de la Convention ont ducirc envisager les restrictions dont les deacuteclarations relatives aux articles

25 et 46 (art 25 art 46) peuvent ecirctre assorties agrave la lumiegravere de la pratique suivie en vertu de lrsquoarticle 36 du Statut de la Cour internationale de Justice

83 A ce propos il nrsquoest pas contesteacute que les Etats peuvent tempeacuterer de restrictions leur acceptation de la compeacutetence

facultative de la Cour internationale Il nrsquoest pas davantage contesteacute que lrsquoarticle 46 (art 46) de la Convention fut calqueacute sur lrsquoarticle 36 du statut Selon la Cour il nrsquoen deacutecoule toutefois pas qursquoil faille aussi admettre sur le terrain de la Convention pareilles restrictions

agrave la reconnaissance de la compeacutetence de la Commission et de la Cour

84 Drsquoabord le contexte dans lequel fonctionne la Cour internationale de Justice se distingue nettement de celui des organes de la Convention La Cour internationale est appeleacutee notamment agrave examiner au regard des principes de droit international tout

diffeacuterend juridique entre Etats pouvant survenir dans nrsquoimporte quelle partie du globe Lrsquoobjet du litige peut concerner tout domaine du droit international En second lieu agrave la diffeacuterence des organes de la Convention la Cour internationale ne se borne pas

exclusivement agrave exercer des fonctions de controcircle par rapport agrave un traiteacute normatif comme la Convention

85 Une diffeacuterence aussi fondamentale de rocircle et de finaliteacute entre les institutions dont il srsquoagit ainsi que lrsquoexistence drsquoune pratique de lrsquoacceptation inconditionnelle en vertu des articles 25 et 46 (art 25 art 46) constituent des eacuteleacutements commandant de

distinguer la pratique de la Convention de celle de la Cour internationale

86 Enfin bien que le gouvernement deacutefendeur nrsquoait pas deacuteveloppeacute cet argument la Cour nrsquoestime pas qursquoune application par analogie de lrsquoarticle 63 par 4 (art 63-4) de la Convention autorise agrave dire qursquoune restriction territoriale peut se toleacuterer quant aux

articles 25 et 46 (art 25 art 46)

Drsquoapregraves cet argument lrsquoarticle 25 (art 25) ne pourrait srsquoappliquer au-delagrave des fontiegraveres nationales agrave des territoires autres que ceux viseacutes agrave lrsquoarticle 63 (art 63) que si lrsquoEtat le leur eacutetendait expresseacutement Avec pour corollaire que lrsquoEtat pourrait limiter

lrsquoacceptation du droit de recours individuel agrave son territoire national comme il lrsquoa fait en lrsquooccurrence

87 La Cour rappelle drsquoabord que conformeacutement agrave la notion de juridiction au sens de lrsquoarticle 1 (art 1) de la Convention la responsabiliteacute de lrsquoEtat peut se trouver engageacutee agrave raison drsquoactes ou drsquoeacuteveacutenements se produisant en dehors des frontiegraveres de celui-ci

(paragraphe 62 ci-dessus) A la diffeacuterence de lrsquoarticle 63 par 4 (art 63-4) pour les territoires non meacutetropolitains qui y sont viseacutes on ne

saurait exiger pour que la responsabiliteacute puisse se trouver engageacutee drsquoeacutetendre expresseacutement lrsquoacceptation relative agrave lrsquoarticle 25 (art

25)

88 Il faut consideacuterer en outre que lrsquoarticle 25 (art 25) et lrsquoarticle 63 (art 63) ont des objets et des finaliteacutes diffeacuterents

Lrsquoarticle 63 (art 63) concerne la deacutecision drsquoune Partie contractante drsquoassumer pleinement la responsabiliteacute au regard de la Convention agrave raison de tous les actes des pouvoirs publics se rapportant agrave un territoire dont elle assure les relations internationales

Lrsquoarticle 25 (art 25) concerne en revanche lrsquoacceptation par une Partie contractante de la compeacutetence de la Commission pour

connaicirctre de plaintes affeacuterentes aux actes de ses organes agissant sous son autoriteacute directe En raison de la nature radicalement diffeacuterente de ces dispositions qursquoun Etat doive formuler une deacuteclaration speacuteciale en vertu de lrsquoarticle 63 par 4 (art 63-4) afin

drsquoaccepter la compeacutetence de la Commission pour connaicirctre de requecirctes relatives agrave de tels territoires ne saurait avoir drsquoincidence agrave la

lumiegravere des arguments deacuteveloppeacutes ci-dessus sur la validiteacute des restrictions ratione loci figurant dans les deacuteclarations relatives aux articles 25 et 46 (art 25 art 46)

89 Compte tenu de la nature de la Convention du sens ordinaire des articles 25 et 46 (art 25 art 46) dans leur contexte et

agrave la lumiegravere de leur objet et de leur but ainsi que de la pratique des Parties contractantes la Cour conclut que les restrictions ratione loci dont sont assorties les deacuteclarations de la Turquie relatives aux articles 25 et 46 (art 25 art 46) ne sont pas valides

Il reste agrave deacuteterminer si par voie de conseacutequence la validiteacute des acceptations elles-mecircmes peut ecirctre remise en cause

C Sur la validiteacute des deacuteclarations de la Turquie relatives aux articles 25 et 46 (art 25 art 46) de la Convention

90 Le gouvernement deacutefendeur soutient que si les restrictions accompagnant les deacuteclarations relatives aux articles 25 et 46

(art 25 art 46) de la Convention ne devaient pas ecirctre reconnues valides globalement il y aurait lieu de tenir les deacuteclarations pour

nulles et non avenues dans leur inteacutegraliteacute Il appartiendrait alors au gouvernement turc de tirer les conclusions politiques drsquoune telle situation

A ce sujet le deacuteleacutegueacute de la Turquie agrave la session du Comiteacute des Ministres du Conseil de lrsquoEurope en mars 1987 avait

souligneacute que les conditions formuleacutees dans la deacuteclaration de la Turquie relative agrave lrsquoarticle 25 (art 25) eacutetaient drsquoune telle importance que si lrsquoon neacutegligeait lrsquoune ou lrsquoautre toute la deacuteclaration devrait passer pour nulle et non avenue avec cette conseacutequence que

415

lrsquoacceptation par la Turquie du droit de recours individuel serait caduqueCette position disait le deacuteleacutegueacute valait eacutegalement pour la

deacuteclaration de la Turquie relative agrave lrsquoarticle 46 (art 46)

Le gouvernement deacutefendeur preacutetend aussi que conformeacutement agrave lrsquoarticle 44 par 3 a) et b) de la Convention de Vienne sur

le droit des traiteacutes il incombe aux requeacuterants de deacutemontrer que les restrictions en particulier territoriales ne constituaient pas un

facteur essentiel ayant deacutetermineacute la Turquie agrave faire les deacuteclarations

91 Selon la requeacuterante rejointe par le gouvernement cypriote lorsqursquoil a reacutedigeacute ces deacuteclarations le gouvernement

deacutefendeur a pris le risque de voir deacutecreacuteter les restrictions non valides Il ne devrait pas aujourdrsquohui chercher agrave faire peser sur les

organes de la Convention les conseacutequences juridiques de ce risque

92 La Commission estime que lorsque la Turquie a souscrit le 28 janvier 1987 sa deacuteclaration relative agrave lrsquoarticle 25 (art

25) elle nourrissait principalement lrsquointention drsquoaccepter le droit de recours individuel Crsquoest cette intention qui devrait preacutevaloir En

outre devant la Cour le deacuteleacutegueacute de la Commission a releveacute que le gouvernement deacutefendeur nrsquoavait pas chercheacute agrave plaider lrsquoinvaliditeacute de lrsquoacceptation par la Turquie du droit de recours individuel dans les affaires dont la Commission a eacuteteacute saisie apregraves la preacutesente cause

93 En examinant cette question la Cour doit tenir compte de la nature particuliegravere de la Convention instrument de lrsquoordre

public europeacuteen pour la protection des ecirctres humains et de sa mission fixeacutee agrave lrsquoarticle 19 (art 19) celle drsquoassurer le respect des

engagements reacutesultant pour les Hautes Parties Contractantes agrave la Convention

94 Elle rappelle aussi son arrecirct Belilos c Suisse du 29 avril 1988 ougrave apregraves avoir eacutecarteacute une deacuteclaration interpreacutetative au

motif de sa non-conformiteacute avec lrsquoarticle 64 (art 64) elle a preacuteciseacute que la Suisse demeurait lieacutee par la Convention nonobstant

lrsquoinvaliditeacute de la deacuteclaration (seacuterie A no 132 p 28 par 60)

95 La Cour ne croit pas pouvoir trancher la question de la divisibiliteacute des parties non valides des deacuteclarations de la Turquie

en se reacutefeacuterant aux deacuteclarations faites par les repreacutesentants de celle-ci posteacuterieurement au deacutepocirct des deacuteclarations soit (en ce qui

concerne la deacuteclaration relative agrave lrsquoarticle 25) (art 25) devant le Comiteacute des Ministres et la Commission soit (srsquoagissant des articles 25 et 46) (art 25 art 46) agrave lrsquoaudience devant elle Sur ce point elle relegraveve que le gouvernement deacutefendeur nrsquoa pu manquer drsquoavoir

conscience eu eacutegard agrave la pratique uniforme des Parties contractantes sur le terrain des articles 25 et 46 (art 25 art 46) et consistant agrave

accepter sans condition la compeacutetence de la Commission et de la Cour que les clauses restrictives deacutenonceacutees avaient une validiteacute contestable dans le systegraveme de la Convention et que les organes de celles-ci pourraient les tenir pour inadmissibles

Il est inteacuteressant de noter agrave ce propos que la Commission a deacutejagrave exprimeacute devant la Cour dans ses plaidoiries dans lrsquoaffaire linguistique belge (exception preacuteliminaire) et lrsquoaffaire Kjeldsen Busk Madsen et Pedersen c Danemark arrecircts des 9 feacutevrier 1967 et 7

deacutecembre 1976 seacuterie A nos 5 et 23 respectivement lrsquoopinion que lrsquoarticle 46 (art 46) nrsquoautorisait aucune restriction quant agrave la

reconnaissance de la compeacutetence de la Cour (voir respectivement le second meacutemoire de la Commission du 14 juillet 1966 seacuterie B

no 3 vol I p 432 et le meacutemoire de la Commission (exception preacuteliminaire) du 26 janvier 1976 seacuterie B no 21 p 119)

La reacuteaction ulteacuterieure de plusieurs Parties contractantes aux deacuteclarations turques (paragraphes 18-24 ci-dessus) vient

solidement appuyer lrsquoobservation qui preacutecegravede et drsquoapregraves laquelle la Turquie nrsquoignorait pas la situation juridique Qursquoelle ait dans ces

conditions deacuteposeacute par la suite des deacuteclarations relatives aux deux articles 25 et 46 (art 25 art 46) - pour la derniegravere apregraves la reacuteaction susmentionneacutee des Parties contractantes - indique qursquoelle eacutetait precircte agrave courir le risque de voir les organes de la Convention deacuteclarer

non valides les clauses limitatives litigieuses sans affecter la validiteacute des deacuteclarations elles-mecircmes Sous cet eacuteclairage le

gouvernement deacutefendeur ne saurait invoquer les deacuteclarations ex post facto des repreacutesentants turcs pour marquer un recul par rapport agrave lrsquointention fondamentale - malgreacute des tempeacuteraments - drsquoaccepter la compeacutetence de la Commission et de la Cour

96 Il incombe donc agrave la Cour dans lrsquoexercice des responsabiliteacutes que lui confegravere lrsquoarticle 19 (art 19) de trancher la

question en se reacutefeacuterant au texte des deacuteclarations respectives et agrave la nature particuliegravere du reacutegime de la Convention Or ce dernier milite pour la seacuteparation des clauses attaqueacutees puisque crsquoest par ce moyen que lrsquoon peut garantir les droits et liberteacutes consacreacutes par la

Convention dans tous les domaines relevant de la juridiction de la Turquie au sens de lrsquoarticle 1 (art 1) de la Convention

97 La Cour a examineacute le texte des deacuteclarations et le libelleacute des restrictions en vue de rechercher si les restrictions

querelleacutees peuvent se dissocier des instruments drsquoacceptation ou si elles en forment partie inteacutegrante et indivisible Mecircme en prenant

les textes des deacuteclarations relatives aux articles 25 et 46 (art 25 art 46) comme un tout elle estime que les restrictions deacutenonceacutees

peuvent se dissocier du reste du texte laissant intacte lrsquoacceptation des clauses facultatives

Document ndeg2 CEDH Ilascu cMoldavie et Russie 08072004 extraits

312 La Cour rappelle sa jurisprudence selon laquelle la notion de laquo juridiction raquo au sens de larticle 1 de la Convention

doit passer pour refleacuteter la conception de cette notion en droit international public (Gentilhomme et autres c France nos 4820599

4820799 et 4820999 sect 20 arrecirct du 14 mai 2002 Banković et autres c Belgique et autres (deacutec) [GC] no 5220799 sectsect 59-61

CEDH 2001-XII Assanidzeacute c Geacuteorgie [GC] no 7150301 sect 137CEDH 2004-II)

Du point de vue du droit international public lexpression laquo relevant de leur juridiction raquo figurant agrave larticle 1 de la

Convention doit ecirctre comprise comme signifiant que la compeacutetence juridictionnelle dun Etat est principalement territoriale (deacutecision Banković et autres preacuteciteacutee sect 59) mais aussi en ce sens quil est preacutesumeacute quelle sexerce normalement sur

lensemble de son territoire

Cette preacutesomption peut se trouver limiteacutee dans des circonstances exceptionnelles notamment lorsquun Etat est dans

lincapaciteacute dexercer son autoriteacutesur une partie de son territoire Cela peut ecirctre ducirc agrave une occupation militaire par les forces armeacutees dun

autre Etat qui controcircle effectivement ce territoire(voir les arrecircts Loizidou c Turquie (exceptions preacuteliminaires) du 23 mars 1995 seacuterie

A no 310 et Chypre c Turquie preacuteciteacute sectsect 76-80 tels que citeacutes dans la deacutecision Banković et autres susmentionneacutee sectsect 70-71) agrave

des actes de guerre ou de reacutebellion ou encore aux actes dun Etat eacutetranger soutenant la mise en place dun reacutegime seacuteparatiste sur le

territoire de lEtat en question

515

313 Pour conclure agrave lexistence dune telle situation exceptionnelle la Cour se doit dexaminer dune part lensemble des

eacuteleacutements factuels objectifs de nature agrave limiter lexercice effectif de lautoriteacute dun Etat sur son territoire et dautre part le comportement de celui-ci En effet les engagements pris par une Partie contractante en vertu de larticle 1 de la Convention

comportent outre le devoir de sabstenir de toute ingeacuterence dans la jouissance des droits et liberteacutes garantis des obligations positives

de prendre les mesures approprieacutees pour assurer le respect de ces droits et liberteacutes sur son territoire (hellip)

Ces obligations subsistent mecircme dans le cas dune limitation de lexercice de son autoriteacute sur une partie de son territoire de

sorte quil incombe agrave lEtatde prendre toutes les mesures approprieacutees qui restent en son pouvoir

314 En outre la Cour rappelle que si elle a souligneacute la preacutepondeacuterance du principe territorial dans lapplication de la Convention dans laffaireBanković et autres (deacutecision preacuteciteacutee sect 80) elle a aussi reconnu que la notion de laquo juridiction raquo au sens de

larticle 1 de la Convention ne se circonscrit pas neacutecessairement au seul territoire national des Hautes Parties contractantes (Loizidou c

Turquie (fond) arrecirct du 18 deacutecembre 1996 Recueil des arrecircts et deacutecisions 1996-VI pp 2234-2235 sect 52)

La Cour a admis que dans des circonstances exceptionnelles les actes des Etats contractants accomplis ou produisant des

effets en dehors de leur territoire peuvent sanalyser en lexercice par eux de leur juridiction au sens de larticle 1 de la Convention

Ainsi quil ressort des principes pertinents du droit international un Etat contractant peut voir engager sa responsabiliteacute

lorsque par suite dune action militaire leacutegale ou non il exerce en pratique le controcircle effectif sur une zone situeacutee en dehors de son

territoire national Lobligation dassurer dans une telle reacutegion le respect des droits et liberteacutes garantis par la Convention deacutecoule du

fait de ce controcircle quil sexerce directement par lintermeacutediaire des forces armeacutees de lEtat concerneacute ou par le biais dune administration locale subordonneacutee (ibidem)

315 Il nest pas neacutecessaire de deacuteterminer si une Partie contractante exerce dans le deacutetail un controcircle sur la politique et les

actions des autoriteacutes de la zone situeacutee en dehors de son territoire national car mecircme un controcircle global sur ce territoire est de nature agrave engager la responsabiliteacute de cette Partie contractante (Loizidou (fond) preacuteciteacute pp 2235-2236 sect 56)

316 Degraves lors quun Etat contractant exerce un controcircle global sur une zone situeacutee en dehors de son territoire national sa

responsabiliteacute ne se limite pas aux seuls actes commis par ses soldats ou fonctionnaires dans cette zone mais seacutetend eacutegalement aux actes de ladministration locale qui survit gracircce agrave son soutien militaire ou autre (arrecirct Chypre c Turquie preacuteciteacute sect 77)

317 La responsabiliteacute dun Etat peut aussi se voir engager en raison dactes qui ont des reacutepercussions suffisamment

proches sur les droits garantis par la Convention mecircme si ces reacutepercussions se manifestent en dehors de la juridiction de cet Etat Ainsi se reacutefeacuterant agrave une extradition vers un Etat non contractant la Cour a dit quun Etat contractant se conduirait dune maniegravere

incompatible avec les valeurs sous-jacentes agrave la Convention ce laquo patrimoine commun dideacuteal et de traditions politiques de respect de la liberteacute et de preacuteeacuteminence du droit raquo auquel se reacutefegravere le preacuteambule sil remettait consciemment un fugitif agrave un autre Etat ougrave il existe

des motifs seacuterieux de penser quil court un risque reacuteel decirctre soumis agrave la torture ou agrave des peines ou traitements inhumains ou deacutegradants

(arrecirct Soering c Royaume-Uni du 7 juillet 1989 seacuterie A no 161 p 35 sectsect 88-91)

318 De surcroicirct si les autoriteacutes dun Etat contractant approuvent formellement ou tacitement les actes des particuliers

violant dans le chef dautres particuliers soumis agrave sa juridiction les droits garantis par la Convention la responsabiliteacute dudit Etat peut

se trouver engageacutee au regard de la Convention (arrecirct Chypre c Turquie preacuteciteacute sect 81) Cela vaut dautant plus en cas de reconnaissance par lEtat en question des actes eacutemanant dautoriteacutes autoproclameacutees et non reconnues sur le plan international

319 Un Etat peut aussi ecirctre tenu pour responsable mecircme lorsque ses agents commettent des excegraves de pouvoir ou ne

respectent pas les instructions reccedilues En effet les autoriteacutes dun Etat assument au regard de la Convention la responsabiliteacute objective de la conduite de leurs subordonneacutes elles ont le devoir de leur imposer leur volonteacute et ne sauraient se retrancher derriegravere leur

impuissance agrave la faire respecter (arrecirct Irlande c Royaume-Uni du 18 janvier 1978 seacuterie A no 25 p 64 sect 159 article 7 du projet

darticles de la Commission du droit international sur la responsabiliteacute des Etats pour les actes internationalement illicites (2001) (laquo les

travaux de la CDI raquo) p 104 affaire Caire examineacutee par la Commission geacuteneacuterale pour les plaintes 1929 Recueil des sentences arbitrales (RSA) V p 516)

()

333 La Cour considegravere que si un Etat contractant se trouve dans limpossibiliteacute dexercer son autoriteacute sur lensemble de son territoire par une situation de fait contraignante comme la mise en place dun reacutegime seacuteparatiste accompagneacutee ou non par

loccupation militaire par un autre Etat lEtat ne cessepas pour autant dexercer sa juridiction au sens de larticle 1 de la Convention

sur la partie du territoire momentaneacutement soumise agrave une autoriteacute locale soutenue par des forces de reacutebellion ou par un autre Etat

Une telle situation factuelle a neacuteanmoins pour effet de reacuteduire la porteacutee de cette juridiction en ce sens que

lengagement souscrit par lEtat contractanten vertu de larticle 1 doit ecirctre examineacute par la Cour uniquement agrave la lumiegravere des obligations

positives de lEtat agrave leacutegard des personnes qui se trouvent sur son territoire LEtat en question se doit avec tous les moyens leacutegaux et diplomatiques dont il dispose envers les Etats tiers et les organisations internationales dessayer de continuer agrave garantir la jouissance

des droits et liberteacutes eacutenonceacutes dans la Convention

334 Mecircme sil nappartient pas agrave la Cour dindiquer quelles sont les mesures les plus efficaces que doivent prendre les autoriteacutes pour se conformer agrave leurs obligations il lui faut neacuteanmoins sassurer que les mesures effectivement prises eacutetaient adeacutequates et

suffisantes dans le cas despegravece Face agrave une omission partielle ou totale la Cour a pour tacircche de deacuteterminer dans quelle mesure un

effort minimal eacutetait quand mecircme possible et sil devait ecirctre entrepris Pareille tacircche est dautant plus neacutecessaire lorsquil sagit dune violation alleacutegueacutee de droits absolus tels que ceux garantis par les articles 2 et 3 de la Convention

615

Document ndeg3 CEDH Al-Skeini cRoyaume-Uni et Al-Jedda cRoyaume-Uni

07072011 extraits

Al-Jedda cRoyaume-Uni

84 Il semble ressortir de lrsquoexposeacute de lrsquoopinion de Lord Bingham que dans le cadre de la premiegravere proceacutedure engageacutee par

le requeacuterant les parties devant la Chambre des lords srsquoaccordaient agrave dire que le critegravere drsquoattribution agrave retenir eacutetait celui eacutenonceacute par la CDI agrave lrsquoarticle 5 de son projet drsquoarticles sur la responsabiliteacute des organisations internationales et preacuteciseacute dans son commentaire agrave ce

sujet agrave savoir que le comportement drsquoun organe drsquoun Etat qui est mis agrave la disposition drsquoune organisation internationale est drsquoapregraves le

droit international imputable agrave cette organisation pour autant qursquoelle exerce un controcircle effectif sur ce comportement (paragraphes 18 et 56 ci-dessus) Pour les motifs exposeacutes ci-dessus la Cour considegravere que le Conseil de seacutecuriteacute nrsquoexerccedilait ni un controcircle effectif ni

lrsquoautoriteacute et le controcircle ultimes sur les actions et omissions des soldats de la force multinationale et que degraves lors lrsquointernement du

requeacuterant nrsquoest pas imputable agrave lrsquoONU

85 Interneacute dans un centre de deacutetention de la ville de Bassorah controcircleacute exclusivement par les forces britanniques le

requeacuterant srsquoest trouveacute pendant toute la dureacutee de sa deacutetention sous lrsquoautoriteacute et le controcircle du Royaume-Uni (paragraphe 10 ci-dessus

voir eacutegalement Al-Skeini et autres c Royaume-Uni [GC] no 5572107 sect 136 et Al-Saadoon et Mufdhi c Royaume-Uni (deacutec)

no 6149808 sect 88 CEDH 2010- voir eacutegalement lrsquoarrecirct rendu par la Cour suprecircme des Etats-Unis en lrsquoaffaire Munaf v Geren paragraphe 54 ci-dessus) Lrsquointernement avait eacuteteacute deacutecideacute par lrsquoofficier britannique qui commandait le centre de deacutetention Si

la deacutecision de maintenir le requeacuterant en deacutetention a eacuteteacute reacuteexamineacutee agrave diffeacuterents stades par des organes ayant en leur sein des

fonctionnaires irakiens et des repreacutesentants non britanniques de la force multinationale la Cour estime que ces proceacutedures de controcircle nrsquoont pas eu pour effet drsquoempecirccher lrsquoimputation au Royaume-Uni de la deacutetention en question

86 En conclusion la Cour considegravere avec la majoriteacute de la Chambre des lords que lrsquointernement du requeacuterant est

imputable au Royaume-Uni et que pendant la dureacutee de sa deacutetention lrsquointeacuteresseacute srsquoest retrouveacute sous la juridiction de ce pays au sens de lrsquoarticle 1 de la Convention

Al-Skeini cRoyaume-Uni - Principes geacuteneacuteraux relatifs agrave la juridiction au sens de larticle 1 de la Convention

130 Larticle 1 de la Convention est ainsi libelleacute

laquo Les Hautes Parties contractantes reconnaissent agrave toute personne relevant de leur juridiction les droits et liberteacutes deacutefinis au

titre I de la () Convention raquo

Aux termes de cette disposition lengagement des Etats contractants se borne agrave laquo reconnaicirctre raquo (en anglais laquo to secure raquo)

aux personnes relevant de leur laquo juridiction raquo les droits et liberteacutes eacutenumeacutereacutes (Soering c Royaume-Uni 7 juillet 1989 sect 86 seacuterie A

no 161 et deacutecision Banković preacuteciteacutee sect 66) La laquo juridiction raquo au sens de larticle 1 est une condition sine qua non Elle doit avoir

eacuteteacute exerceacutee pour quun Etat contractant puisse ecirctre tenu pour responsable des actes ou omissions agrave lui imputables qui sont agrave lorigine dune alleacutegation de violation des droits et liberteacutes eacutenonceacutes dans la Convention (Ilaşcu et autres preacuteciteacute sect 311)

α) Le principe de territorialiteacute

131 La juridiction dun Etat au sens de larticle 1 est principalement territoriale (Soering preacuteciteacute sect 86 Banković deacutecision preacuteciteacutee sectsect 61 et 67 etIlaşcu preacuteciteacute sect 312) Elle est preacutesumeacutee sexercer normalement sur lensemble de son territoire

(Ilaşcu preacuteciteacute sect 312 et Assanidzeacute c Geacuteorgie [GC] no7150301 sect 139 CEDH 2004-II) A linverse les actes des Etats contractants

accomplis ou produisant des effets en dehors de leur territoire ne peuvent que dans des circonstances exceptionnelles sanalyser en lexercice par eux de leur juridiction au sens de larticle 1 (Banković preacuteciteacute sect 67)

132 A ce jour la Cour a reconnu dans sa jurisprudence un certain nombre de circonstances exceptionnelles susceptibles

demporter exercice par lEtat contractant de sa juridiction agrave lexteacuterieur de ses propres frontiegraveres Dans chaque cas cest au regard des faits particuliers de la cause quil faut appreacutecier lexistence de pareilles circonstances exigeant et justifiant que la Cour conclue agrave un

exercice extraterritorial de sa juridiction par lEtat

β) Lautoriteacute et le controcircle dun agent de lEtat

133 La Cour a reconnu dans sa jurisprudence que par exception au principe de territorialiteacute la juridiction dun Etat

contractant au sens de larticle 1 peut seacutetendre aux actes de ses organes qui deacuteploient leurs effets en dehors de son territoire (Drozd et

Janousek preacuteciteacute sect 91 Loizidou (exceptions preacuteliminaires) preacuteciteacute sect 62 et Loizidou c Turquie (fond) 18 deacutecembre 1996 sect 52 Recueil des arrecircts et deacutecisions 1996-VI et Banković deacutecision preacuteciteacutee sect 69) Cette exception telle quelle se deacutegage de

larrecirct Drozd et Janousek et des autres affaires ci-dessus est eacutenonceacutee de maniegravere tregraves geacuteneacuterale la Cour seacutetant contenteacutee de dire que la

responsabiliteacute de lEtat contractant laquo peut entrer en jeu raquo en pareilles circonstances Il est neacutecessaire dexaminer la jurisprudence pour en cerner les principes directeurs

134 Premiegraverement il est clair que la juridiction de lEtat peut naicirctre des actes des agents diplomatiques ou consulaires

preacutesents en territoire eacutetranger conformeacutement aux regravegles du droit international degraves lors que ces agents exercent une autoriteacute et un

controcircle sur autrui (Banković deacutecision preacuteciteacutee sect 73 voir eacutegalement X c Reacutepublique feacutedeacuterale dAllemagne no 161162 deacutecision

de la Commission du 25 septembre 1965 Annuaire de la Convention europeacuteenne des droits de lhomme vol 8 p

158 X c Royaume-Uni no 754776 deacutecision de la Commission du 15 deacutecembre 1977 et WM c Danemark no 1739290 deacutecision

de la Commission du 14 octobre 1993)

135 Deuxiegravemement la Cour a conclu agrave lexercice extraterritorial de sa juridiction par lEtat contractant qui en vertu du consentement de linvitation ou de lacquiescement du gouvernement local assume lensemble ou certaines des preacuterogatives de

puissance publique normalement exerceacutees par celui-ci (Banković deacutecision preacuteciteacutee sect 71) Par conseacutequent degraves lors que

conformeacutement agrave une regravegle de droit international coutumiegravere conventionnelle ou autre ses organes assument des fonctions exeacutecutives ou judiciaires sur un territoire autre que le sien un Etat contractant peut ecirctre tenu pour responsable des violations de la Convention

715

commises dans lexercice de ces fonctions pourvu que les faits en question soient imputables agrave lui et non agrave lEtat territorial (Drozd et

Janousek preacuteciteacute Gentilhomme Schaff-Benhadji et Zeroukiet c France nos 4820599 4820799 et 4820999 14 mai 2002 ainsi

que X et Y c Suisse nos 728975 et 734976 deacutecision de la Commission sur la recevabiliteacute du 14 juillet 1977 DR 9 p 57)

136 En outre la jurisprudence de la Cour montre que dans certaines circonstances le recours agrave la force par des agents dun Etat opeacuterant hors de son territoire peut faire passer sous la juridiction de cet Etat au sens de larticle 1 toute personne se

retrouvant ainsi sous le controcircle de ceux-ci Cette regravegle a eacuteteacute appliqueacutee dans le cas de personnes remises entre les mains dagents de

lEtat agrave lexteacuterieur de ses frontiegraveres Ainsi dans larrecirct Oumlcalan c Turquiepreacuteciteacute sect 91 la Cour a jugeacute que laquo degraves sa remise par les agents kenyans aux agents turcs [le requeacuterant] s[eacutetait] effectivement retrouveacute sous lautoriteacute de la Turquie et relevait donc de la

laquo juridiction raquo de cet Etat aux fins de larticle 1 de la Convention mecircme si en loccurrence la Turquie a[vait] exerceacute son autoriteacute en

dehors de son territoire raquo Dans larrecirct Issa preacuteciteacute elle a indiqueacute que sil avait eacuteteacute eacutetabli que des soldats turcs avaient arrecircteacute les proches des requeacuterants dans le nord de lIrak avant de les emmener dans une caverne avoisinante et de les exeacutecuter les victimes

auraient ducirc ecirctre consideacutereacutees comme relevant de la juridiction de la Turquie ce par leffet de lautoriteacute et du controcircle exerceacutes sur les

victimes par les soldats Dans la deacutecision Al-Saadoon et Mufdhi c Royaume-Uni ((deacutec) no 6149808 sectsect 86-89 30 juin 2009) elle a

estimeacute que degraves lors que le controcircle exerceacute par le Royaume-Uni sur ses prisons militaires en Irak et sur les personnes y seacutejournant eacutetait absolu et exclusif il y avait lieu de consideacuterer agrave propos de deux ressortissants irakiens incarceacutereacutes dans lune delles quils relevaient de

la juridiction du Royaume-Uni Enfin dans larrecirct Medvedyev et autres c France [GC] no 339403 sect 67 CEDH 2010- elle a

conclu relativement agrave des requeacuterants qui seacutetaient trouveacutes agrave bord dun navire intercepteacute en haute mer par des agents franccedilais queu

eacutegard au controcircle absolu et exclusif exerceacute de maniegravere continue et ininterrompue par ces agents sur le navire et son eacutequipage degraves son interception ils relevaient de la juridiction de la France au sens de larticle 1 de la Convention La Cour considegravere que dans les

affaires ci-dessus la juridiction navait pas pour seul fondement le controcircle opeacutereacute par lEtat contractant sur les bacirctiments laeacuteronef ou

le navire ougrave les inteacuteresseacutes eacutetaient deacutetenus Leacuteleacutement deacuteterminant dans ce type de cas est lexercice dun pouvoir et dun controcircle physiques sur les personnes en question

137 Il est clair que degraves linstant ougrave lEtat par le biais de ses agents exerce son controcircle et son autoriteacute sur un individu et

par voie de conseacutequence sa juridiction il pegravese sur lui en vertu de larticle 1 une obligation de reconnaicirctre agrave celui-ci les droits et liberteacutes deacutefinis au titre I de la Convention qui concernent son cas En ce sens degraves lors les droits deacutecoulant de la Convention peuvent ecirctre

laquo fractionneacutes et adapteacutes raquo (voir agrave titre de comparaison la deacutecisionBanković preacuteciteacutee sect 75)

γ) Le controcircle effectif sur un territoire

138 Le principe voulant que la juridiction de lEtat contractant au sens de larticle 1 soit limiteacutee agrave son propre territoire

connaicirct une autre exception lorsque par suite dune action militaire ndash leacutegale ou non ndash lEtat exerce un controcircle effectif sur une zone

situeacutee en dehors de son territoire Lobligation dassurer dans une telle zone le respect des droits et liberteacutes garantis par la Convention

deacutecoule du fait de ce controcircle quil sexerce directement par lintermeacutediaire des forces armeacutees de lEtat ou par le biais dune

administration locale subordonneacutee (Loizidou (exceptions preacuteliminaires) preacuteciteacute sect 62 Chypre c Turquie [GC] no 2578194 sect 76

CEDH 2001-IV Banković deacutecision preacuteciteacutee sect 70 Ilaşcu preacuteciteacute sectsect 314-316 et Loizidou (fond) preacuteciteacute sect 52) Degraves lors quune telle mainmise sur un territoire est eacutetablie il nest pas neacutecessaire de deacuteterminer si lEtat contractant qui la deacutetient exerce un controcircle

preacutecis sur les politiques et actions de ladministration locale qui lui est subordonneacutee Du fait quil assure la survie de cette

administration gracircce agrave son soutien militaire et autre cet Etat engage sa responsabiliteacute agrave raison des politiques et actions entreprises par elle Larticle 1 lui fait obligation de reconnaicirctre sur le territoire en question la totaliteacute des droits mateacuteriels eacutenonceacutes dans la Convention

et dans les Protocoles additionnels quil a ratifieacutes et les violations de ces droits lui sont imputables (Chypre c Turquie preacuteciteacute sect 77)

139 La question de savoir si un Etat contractant exerce ou non un controcircle effectif sur un territoire hors de ses frontiegraveres est une question de fait Pour se prononcer la Cour se reacutefegravere principalement au nombre de soldats deacuteployeacutes par lEtat sur le territoire

en cause (Loizidou (fond) preacuteciteacute sectsect 16 et 56 etIlaşcu preacuteciteacute sect 387) Dautres eacuteleacutements peuvent aussi entrer en ligne de compte par

exemple la mesure dans laquelle le soutien militaire eacuteconomique et politique apporteacute par lEtat agrave ladministration locale subordonneacutee assure agrave celui-ci une influence et un controcircle dans la reacutegion (Ilaşcu preacuteciteacute sectsect 388-394)

140 Le titre de juridiction fondeacute sur le laquo controcircle effectif raquo deacutecrit ci-dessus ne remplace pas le systegraveme de notification en

vertu de larticle 56 (lancien article 63) de la Convention que lors de la reacutedaction de celle-ci les Etats contractants avaient deacutecideacute de creacuteer pour les territoires doutre-mer dont ils assuraient les relations internationales Le paragraphe 1 de cet article preacutevoit un dispositif

permettant agrave ces Etats deacutetendre lapplication de la Convention agrave pareil territoire laquo en tenant compte des neacutecessiteacutes locales raquo

Lexistence de ce dispositif qui a eacuteteacute inteacutegreacute dans la Convention pour des raisons historiques ne peut ecirctre interpreacuteteacutee aujourdhui agrave la lumiegravere des conditions actuelles comme limitant la porteacutee de la notion de laquo juridiction raquo au sens de larticle 1 Les cas de figure viseacutes

par le principe du laquo controcircle effectif raquo se distinguent manifestement de ceux dans lesquels un Etat contractant na pas deacuteclareacute par le

biais de la notification preacutevue agrave larticle 56 deacutetendre lapplication de la Convention ou de lun quelconque de ses Protocoles agrave un territoire doutre-mer dont il assure les relations internationales (Loizidou (exceptions preacuteliminaires) preacuteciteacute sectsect 86-89 et Quark

Fishing Ltd c Royaume-Uni(deacutec) no 1530506 CEDH 2006-XIV)

δ) Lespace juridique de la Convention

141 La Convention est un instrument constitutionnel de lordre public europeacuteen (Loizidou (exceptions preacuteliminaires) preacuteciteacute sect 75) Elle ne reacutegit pas les actes des Etats qui ny sont pas parties ni ne preacutetend exiger des Parties contractantes quelles

imposent ses normes agrave pareils Etats (Soering preacuteciteacute sect 86)

142 La Cour a souligneacute quun Etat contractant qui par le biais de ses forces armeacutees occupe le territoire dun autre doit en principe ecirctre tenu pour responsable au regard de la Convention des violations des droits de lhomme qui y sont perpeacutetreacutees car sinon

les habitants de ce territoire seraient priveacutes des droits et liberteacutes dont ils jouissaient jusque-lagrave et il y aurait une laquo solution de

continuiteacute raquo dans la protection de ces droits et liberteacutes au sein de llaquo espace juridique de la Convention raquo (Loizidou (fond) preacuteciteacute sect 78 et Banković preacuteciteacute sect 80) Toutefois sil est important deacutetablir la juridiction de lEtat occupant dans ce type de cas cela ne veut

pas dire a contrario que la juridiction au sens de larticle 1 ne puisse jamais exister hors du territoire des Etats membres du Conseil de

lEurope La Cour na jamais appliqueacute semblable restriction dans sa jurisprudence (voir parmi dautres exemples les arrecirctsOumlcalan Issa Al-Saadoon et Mufdhi et Medvedyev preacuteciteacutes)

815

ii Application des principes susmentionneacutes aux faits de lespegravece

143 Pour deacuteterminer si lun quelconque des proches des requeacuterants relevait au moment de son deacutecegraves de la juridiction du Royaume-Uni la Cour prend pour point de deacutepart le fait que le 20 mars 2003 ce pays avec les Etats-Unis et leurs partenaires de la

coalition avait peacuteneacutetreacute en sol irakien par le biais de ses forces armeacutees dans le but de chasser le reacutegime baasiste alors au pouvoir Ce

but fut atteint le 1er mai 2003 lorsque la fin des principales opeacuterations de combat fut prononceacutee et que les Etats-Unis et le Royaume-

Uni devinrent des puissances occupantes au sens de larticle 42 du regraveglement de La Haye (paragraphe 89 ci-dessus)

144 Comme lindiquait la lettre du 8 mai 2003 adresseacutee conjointement par les repreacutesentants permanents du Royaume-Uni

et des Etats-Unis au preacutesident du Conseil de seacutecuriteacute de lONU (paragraphe 11 ci-dessus) ces deux pays apregraves avoir chasseacute lancien

reacutegime avaient creacuteeacute lAutoriteacute provisoire de la coalition pour laquo exerce[r] les pouvoirs du gouvernement agrave titre temporaire raquo Lun des pouvoirs expresseacutement mentionneacutes dans cette lettre que les Etats-Unis et le Royaume-Uni eacutetaient censeacutes assumer par lintermeacutediaire

de lAutoriteacute provisoire de la coalition consistait agrave assurer la seacutecuriteacute en Irak notamment en maintenant lordre public La lettre

indiquait en outre laquo [l]es Etats-Unis le Royaume-Uni et les membres de la coalition agissant par lintermeacutediaire de lAutoriteacute provisoire de la coalition seront chargeacutes entre autres tacircches dassurer la seacutecuriteacute en Iraq et dadministrer ce pays agrave titre temporaire

notamment par les moyens suivants () en prenant immeacutediatement le controcircle des institutions iraquiennes responsables des questions

militaires et de seacutecuriteacute raquo

145 LAutoriteacute provisoire de la coalition deacuteclara dans le regraveglement no 1 du 16 mai 2003 son premier texte normatif

quelle laquo exerce[rait] temporairement les preacuterogatives de la puissance publique afin dassurer ladministration effective de lIraq au

cours de la peacuteriode dadministration transitoire dy reacutetablir la stabiliteacute et la seacutecuriteacute () raquo (paragraphe 12 ci-dessus)

146 Le Conseil de seacutecuriteacute prit acte du contenu de la lettre du 8 mai 2003 dans sa reacutesolution 1483 adopteacutee le 22 mai 2003 Il y demandait par ailleurs aux puissances occupantes laquo de promouvoir le bien-ecirctre de la population iraquienne en assurant une

administration efficace du territoire notamment en semployant agrave reacutetablir la seacutecuriteacute et la stabiliteacute raquo reconnaissant une nouvelle fois la

mission de seacutecuriteacute assumeacutee par les Etats-Unis et le Royaume-Uni (paragraphe 14 ci-dessus)

147 Pendant la peacuteriode de loccupation le Royaume-Uni avait le commandement dune division militaire la division

multinationale du sud-est dont le ressort comprenait la province de Bassorah lagrave ougrave les proches des requeacuterants sont deacuteceacutedeacutes A

compter du 1er mai 2003 les forces britanniques deacuteployeacutees dans cette province y furent chargeacutees dassurer la seacutecuriteacute et de soutenir

ladministration civile Elles devaient en particulier conduire des patrouilles des arrestations et des opeacuterations de lutte contre le

terrorisme encadrer les manifestations civiles et proteacuteger les ressources et infrastructures essentielles ainsi que les postes de police

(paragraphe 21 ci-dessus)

148 En juillet 2003 fut creacuteeacute le Conseil de gouvernement de lIrak Bien que tenue de le consulter (paragraphe 15 ci-

dessus) lAutoriteacute provisoire de la coalition conservait le pouvoir Dans sa reacutesolution 1511 adopteacutee le 16 octobre 2003 le Conseil de

seacutecuriteacute souligna le caractegravere temporaire de lexercice par elle des responsabiliteacutes et pouvoirs eacutenonceacutes dans la reacutesolution 1483 et autorisa laquo une force multinationale sous commandement unifieacute agrave prendre toutes les mesures neacutecessaires pour contribuer au

maintien de la seacutecuriteacute et de la stabiliteacute en Iraq raquo (paragraphe 16 ci-dessus) Dans sa reacutesolution 1546 adopteacutee le 8 juin 2004 il

approuva laquo la formation dun gouvernement inteacuterimaire souverain de lIraq () qui assumera[it] pleinement [jusquau] 30 juin 2004 la responsabiliteacute et lautoriteacute de gouverner lIraq raquo (paragraphe 18 ci-dessus) En deacutefinitive loccupation prit fin le 28 juin 2004 avec le

transfert de lAutoriteacute provisoire de la coalition deacutesormais dissoute au gouvernement inteacuterimaire de la responsabiliteacute pleine et entiegravere

du gouvernement de lIrak (paragraphe 19 ci-dessus)

iii Conclusion quant agrave la juridiction

149 On peut donc voir quapregraves le renversement du reacutegime baasiste et jusquagrave linstauration du gouvernement inteacuterimaire

le Royaume-Uni a assumeacute en Irak (conjointement avec les Etats-Unis) certaines des preacuterogatives de puissance publique qui sont normalement celles dun Etat souverain en particulier le pouvoir et la responsabiliteacute du maintien de la seacutecuriteacute dans le sud-est du pays

Dans ces circonstances exceptionnelles la Cour considegravere que le Royaume-Uni par le biais de ses soldats affecteacutes agrave des opeacuterations de

seacutecuriteacute agrave Bassorah lors de cette peacuteriode exerccedilait sur les personnes tueacutees lors de ces opeacuterations une autoriteacute et un controcircle propres agrave

eacutetablir aux fins de larticle 1 de la Convention un lien juridictionnel entre lui et ces personnes

150 Cela preacuteciseacute la Cour rappelle que les deacutecegraves en cause dans la preacutesente affaire sont survenus au cours de la peacuteriode

consideacutereacutee le 8 mai 2003 pour le fils du cinquiegraveme requeacuterant au mois daoucirct 2003 pour les fregraveres des premier et quatriegraveme requeacuterants au mois de septembre 2003 pour le fils du sixiegraveme requeacuterant et au mois de novembre 2003 pour les eacutepouses des deuxiegraveme

et troisiegraveme requeacuterants Il nest pas contesteacute que les deacutecegraves des proches des premier deuxiegraveme quatriegraveme cinquiegraveme et sixiegraveme

requeacuterants ont eacuteteacute causeacutes par le fait de soldats britanniques au cours ou dans le contexte dopeacuterations de seacutecuriteacute conduites par les forces britanniques agrave divers endroits de la ville de Bassorah Il sensuit quaux fins de larticle 1 de la Convention un lien juridictionnel

rattachait le Royaume-Uni aux deacutefunts dans tous ces cas Quant au troisiegraveme requeacuterant son eacutepouse a eacuteteacute tueacutee lors dune fusillade entre

une patrouille de soldats britanniques et des tireurs inconnus et on ignore lequel des deux camps a eacuteteacute agrave lorigine du coup fatal La Cour considegravere que le deacutecegraves eacutetant survenu au cours dune opeacuteration de seacutecuriteacute meneacutee par le Royaume-Uni dans le cadre de laquelle

des soldats britanniques qui patrouillaient agrave proximiteacute du domicile de linteacuteresseacute sont intervenus dans la fusillade mortelle il existait

eacutegalement un lien juridictionnel entre le Royaume-Uni et cette victime

915

II Le champ drsquoapplication temporel de la Convention europeacuteenne

Document ndeg4 CEDH Janowiec cRussie 21102013 extraits

136 A la suite de lrsquoarrecirct Šilih les principes reacutegissant la compeacutetence temporelle de la Cour srsquoagissant de lrsquoobligation laquo deacutetachable raquo deacutecoulant de lrsquoarticle 2 de la Convention drsquoenquecircter sur le deacutecegraves drsquoune personne ont eacuteteacute appliqueacutes dans un grand nombre drsquoaffaires

137 La masse de celles-ci peut ecirctre reacutepartie en diffeacuterents groupes dont le plus important est constitueacute drsquoaffaires dirigeacutees contre la Roumanie dans lesquelles eacutetait alleacutegueacutee lrsquoineffectiviteacute des investigations sur les deacutecegraves de manifestants au cours de la reacutevolution roumaine de deacutecembre 1989 Dans ces affaires la Cour srsquoest deacuteclareacutee compeacutetente pour connaicirctre des griefs au motif que agrave la date de lrsquoentreacutee en vigueur de la Convention agrave lrsquoeacutegard de la Roumanie les proceacutedures eacutetaient toujours en cours devant le parquet (Association laquo 21 Deacutecembre 1989 raquo et autres c Roumanie nos 3381007 et 1881708 24 mai 2011 Pastor et Ţiclete c Roumanie nos 3091106 et 4096706 19 avril 2011 Lăpuşan et autres c Roumanie nos 2900706 3055206 3132306 3192006 3448506 3896006 3899606 3902706 et 3906706 8 mars 2011 Şandru et autres c Roumanie no 2246503 8 deacutecembre 2009 et Agache et autres c Roumanie no 271202 20 octobre 2009) Elle a statueacute de maniegravere analogue dans deux affaires posteacuterieures qui avaient pour objet des incidents violents survenus en juin 1990 (Mocanu et autres c Roumanie nos 1086509 4588607 et 3243108 13 novembre 2012) et en septembre 1991 (Crăiniceanu et Frumuşanu c Roumanie no 1244204 24 avril 2012)

138 Dans drsquoautres affaires reacutecentes ndash agrave lrsquoexception de lrsquoaffaire Tuna c Turquie qui avait pour origine un deacutecegraves en garde agrave vue survenu environ sept ans avant la reconnaissance par la Turquie du droit de recours individuel (Tuna c Turquie no 2233903 sectsect 57-63 19 janvier 2010) ndash ougrave il nrsquoeacutetait pas alleacutegueacute que le deacutecegraves en question eacutetait la conseacutequence de quelconques actes drsquoagents de lrsquoEtat le deacutecegraves preacuteceacutedait de un agrave quatre ans la date drsquoentreacutee en vigueur et une part importante de la proceacutedure avait eacuteteacute conduite apregraves cette date (Kudra c Croatie no 1390407 sectsect 110-112 18 deacutecembre 2012 quatre ans deacutecegraves accidentel causeacute par la neacutegligence drsquoune socieacuteteacute priveacutee Igor Shevchenko c Ukraine no2273704 sectsect 45-48 12 janvier 2012 trois ans accident de la circulation Bajić c Croatie no 4110810 sect 62 13 novembre 2012 quatre ans erreur meacutedicale Dimovi c Bulgarie no 5274407 sectsect 36-45 6 novembre 2012 trois ans deacutecegraves causeacute par un incendie Velcea et Mazăre c Roumanie no 6430101 sectsect 85-88 1er deacutecembre 2009 un an dispute familiale Trufin c Roumanie no 399004 sectsect 32-34 20 octobre 2009 deux ans meurtre et Lyubov Efimenko c Ukraine no 7572601 sect 65 25 novembre 2010 quatre ans vol agrave main armeacutee et meurtre) Dans deux affaires le fait que des insurgeacutes ou des formations paramilitaires eussent tueacute les proches des requeacuterants sept et six ans respectivement avant la date critique nrsquoa pas empecirccheacute la Cour de connaicirctre du fond du grief souleveacute sous lrsquoangle du volet proceacutedural de lrsquoarticle 2 (Paccedilacı et autres c Turquie no 306407 sectsect 64-66 8novembre 2011 et Jularić c Croatie no 2010606 sectsect 38 et 45-46 20 janvier 2011) La peacuteriode de treize ans ayant seacutepareacute le deacutecegraves du fils du requeacuterant dans une bagarre et lrsquoentreacutee en vigueur de la Convention agrave lrsquoeacutegard de la Serbie nrsquoa pas non plus eacuteteacute consideacutereacutee comme primant lrsquoimportance des actes de proceacutedure accomplis apregraves la date critique (Mladenović c Serbie no 109908 sectsect 38-40 22 mai 2012)

139 La Cour a eacutegalement statueacute sur un certain nombre drsquoaffaires dans lesquelles le requeacuterant disait avoir eacuteteacute victime drsquoun traitement prohibeacute par lrsquoarticle 3 de la Convention agrave un moment donneacute avant la date critique Elle a conclu qursquoelle avait compeacutetence pour veacuterifier le respect par lrsquoEtat deacutefendeur ndash pendant la peacuteriode posteacuterieure agrave lrsquoentreacutee en vigueur ndash de lrsquoarticle 3 sous son volet proceacutedural qui lui imposait de conduire une enquecircte effective respectivement dans un cas de brutaliteacutes policiegraveres (Yatsenko c Ukraine no 7534501 sect 40 16 feacutevrier 2012 et Stanimirović c Serbie no 2608806 sectsect 28-29 18 octobre 2011) dans un cas de viol (PM c Bulgarie no 4966907 sect 58 24 janvier 2012) et dans un cas de mauvais traitements infligeacutes par un particulier (Otašević c Serbie no 3219807 5 feacutevrier 2013)

3 Clarification des critegraveres eacutelaboreacutes dans lrsquoarrecirct Šilih

140 Malgreacute le nombre toujours croissant drsquoarrecircts dans lesquels la Cour statue sur sa compeacutetence ratione temporis en se fondant sur les critegraveres adopteacutes dans lrsquoarrecirct Šilih lrsquoapplication en pratique de ces derniers est parfois source drsquoincertitudes Une clarification est donc souhaitable

141 Les critegraveres exposeacutes aux paragraphes 162 et 163 de lrsquoarrecirct Šilih (repris au paragraphe 133 ci-dessus) peuvent se reacutesumer comme suit Premiegraverement dans le cas drsquoun deacutecegraves survenu avant la date critique seuls les actes et omissions de nature proceacutedurale posteacuterieurs agrave cette date relegravevent de la compeacutetence temporelle de la Cour Deuxiegravemement pour que lrsquoobligation proceacutedurale entre en jeu il doit exister un laquo lien veacuteritable raquo entre le deacutecegraves en tant que fait geacuteneacuterateur et lrsquoentreacutee en vigueur de la Convention Troisiegravemement un lien qui ne serait pas laquo veacuteritable raquo peut neacuteanmoins suffire agrave eacutetablir la compeacutetence de la Cour si sa prise en compte est neacutecessaire pour permettre de veacuterifier que les garanties offertes par la Convention et les valeurs qui la sous-tendent sont proteacutegeacutees de maniegravere reacuteelle et effective La Cour examinera tour agrave tour chacun de ces eacuteleacutements

a) Actes et omissions de nature proceacutedurale posteacuterieurs agrave lrsquoentreacutee en vigueur de la Convention

142 La Cour rappelle drsquoembleacutee que lrsquoenquecircte que requiert lrsquoarticle 2 sous son volet proceacutedural ne constitue pas un mode de redressement drsquoune violation alleacutegueacutee du droit agrave la vie qui a pu survenir avant la date critique La violation alleacutegueacutee de lrsquoobligation proceacutedurale a pour origine lrsquoabsence drsquoenquecircte effective lrsquoobligation proceacutedurale a son propre champ drsquoapplication et peut jouer indeacutependamment de lrsquoobligation mateacuterielle de lrsquoarticle 2 (arrecircts Varnava et autres sect 136 et Šilih sect 159 preacuteciteacutes) Degraves lors la compeacutetence temporelle de la Cour englobe les actes et omissions de nature proceacutedurale qui sont survenus ou auraient ducirc survenir apregraves lrsquoentreacutee en vigueur de la Convention agrave lrsquoeacutegard de lrsquoEtat deacutefendeur

143 La Cour considegravere en outre que par laquo actes de nature proceacutedurale raquo il faut entendre les actes inheacuterents agrave lrsquoobligation proceacutedurale deacutecoulant de lrsquoarticle 2 ou le cas eacutecheacuteant de lrsquoarticle 3 de la Convention crsquoest-agrave-dire les actes pris dans le cadre drsquoune proceacutedure peacutenale civile administrative ou disciplinaire susceptible de mener agrave lrsquoidentification et agrave la punition des responsables ou agrave lrsquoindemnisation de la partie leacuteseacutee (Labita c Italie [GC] no 2677295 sect 131 CEDH 2000-IV et McCann et autres c Royaume-Uni 27 septembre 1995 sect 161 seacuterie A no 324) Cette deacutefinition a pour effet drsquoexclure les autres types de deacutemarches pouvant ecirctre entreprises agrave drsquoautres fins par exemple pour eacutetablir une veacuteriteacute historique

1015

144 Les laquo omissions raquo visent les cas ougrave il nrsquoy a eu aucune enquecircte et ceux ougrave seuls des actes de proceacutedure insignifiants ont eacuteteacute effectueacutes mais ougrave il est alleacutegueacute qursquoune enquecircte effective aurait ducirc ecirctre meneacutee Degraves lors que se preacutesente une alleacutegation un moyen de preuve ou un eacuteleacutement drsquoinformation plausible et creacutedible qui pourrait permettre drsquoidentifier et au bout du compte drsquoinculper ou de punir les responsables les autoriteacutes sont tenues de prendre des mesures drsquoenquecircte (Gutieacuterrez Dorado et Dorado Ortiz c Espagne (deacutec) no 3014109 sectsect 39-41 27 mars 2012 Ccedilakir et autres c Chypre (deacutec) no 786406 29 avril 2010 et Brecknell preacuteciteacute sectsect 66-72) Si vient agrave surgir posteacuterieurement agrave lrsquoentreacutee en vigueur un eacuteleacutement nouveau suffisamment important et deacuteterminant pour justifier lrsquoouverture drsquoune nouvelle instance la Cour devra srsquoassurer que lrsquoEtat deacutefendeur srsquoest acquitteacute de lrsquoobligation proceacutedurale que lui impose lrsquoarticle 2 drsquoune maniegravere compatible avec les principes eacutenonceacutes dans sa jurisprudence Toutefois si le fait geacuteneacuterateur eacutechappe agrave la compeacutetence temporelle de la Cour la deacutecouverte drsquoeacuteleacutements nouveaux apregraves la date critique ne pourra faire renaicirctre lrsquoobligation drsquoenquecircter que si le critegravere du laquo lien veacuteritable raquo ou celui des laquo valeurs de la Convention raquo (voir ci-dessous) a eacuteteacute satisfait

b) Le critegravere du laquo lien veacuteritable raquo

145 La premiegravere phrase du paragraphe 163 de lrsquoarrecirct Šilih pose que lrsquoexistence drsquoun laquo lien veacuteritable raquo entre le fait geacuteneacuterateur et lrsquoentreacutee en vigueur de la Convention agrave lrsquoeacutegard de lrsquoEtat deacutefendeur est une condition sine qua non pour que lrsquoobligation proceacutedurale deacutecoulant de lrsquoarticle 2 de la Convention devienne applicable

146 La Cour considegravere que lrsquoeacuteleacutement temporel est le premier et le plus important des indicateurs lorsqursquoil srsquoagit drsquoeacutetablir le caractegravere laquo veacuteritable raquo du lien A lrsquoinstar de la chambre dans son arrecirct elle ajoute que pour qursquoil y ait un laquo lien veacuteritable raquo le laps de temps eacutecouleacute entre le fait geacuteneacuterateur et la date critique doit demeurer relativement bref Bien qursquoil nrsquoexiste en droit aucun critegravere apparent permettant de deacutefinir la limite absolue de ce deacutelai celui-ci ne devrait pas exceacuteder dix ans (voir par analogie Varnava et autres preacuteciteacute sect 166 et Er et autres c Turquie no 2301604 sectsect 59-60 31 juillet 2012) A supposer mecircme que en raison de circonstances exceptionnelles il soit justifieacute de faire remonter ce deacutelai encore plus loin dans le passeacute il faudra qursquoil soit satisfait au critegravere des laquo valeurs de la Convention raquo

147 Toutefois la dureacutee du deacutelai qui seacutepare le fait geacuteneacuterateur de la date critique nrsquoest pas deacutecisive en elle-mecircme pour deacuteterminer si le lien est laquo veacuteritable raquo Comme lrsquoindique la deuxiegraveme phrase du paragraphe 163 de lrsquoarrecirct Šilih le lien sera eacutetabli si lrsquoessentiel de lrsquoenquecircte sur le deacutecegraves a eu lieu ou aurait ducirc avoir lieu posteacuterieurement agrave lrsquoentreacutee en vigueur de la Convention Cela englobe la conduite drsquoune proceacutedure visant agrave eacutetablir la cause du deacutecegraves et agrave faire reacutepondre les responsables de leurs actes ainsi que lrsquoadoption drsquoune part importante des mesures proceacutedurales essentielles au deacuteroulement de lrsquoenquecircte Il srsquoagit drsquoun corollaire au principe voulant que la Cour nrsquoait compeacutetence qursquoagrave lrsquoeacutegard des actes et omissions de nature proceacutedurale posteacuterieurs agrave la date drsquoentreacutee en vigueur Si toutefois la majeure partie de la proceacutedure ou les mesures proceacutedurales les plus importantes sont anteacuterieures agrave cette date la capaciteacute de la Cour agrave appreacutecier globalement lrsquoeffectiviteacute de lrsquoenquecircte agrave lrsquoaune des exigences proceacutedurales de lrsquoarticle 2 de la Convention peut srsquoen trouver irreacutemeacutediablement amoindrie

148 Eu eacutegard agrave ce qui preacutecegravede la Cour conclut que pour qursquoun laquo lien veacuteritable raquo puisse ecirctre eacutetabli il doit ecirctre satisfait aux deux critegraveres le deacutelai entre le deacutecegraves en tant que fait geacuteneacuterateur et lrsquoentreacutee en vigueur de la Convention doit avoir eacuteteacute relativement bref et la majeure partie de lrsquoenquecircte doit avoir eacuteteacute conduite ou aurait ducirc lrsquoecirctre apregraves lrsquoentreacutee en vigueur

c) Le critegravere des laquo valeurs de la Convention raquo

149 La Cour admet par ailleurs qursquoil peut exister des situations extraordinaires ne satisfaisant pas au critegravere du laquo lien veacuteritable raquo tel qursquoexposeacute ci-dessus mais ougrave la neacutecessiteacute de proteacuteger de maniegravere reacuteelle et effective les garanties offertes par la Convention et les valeurs qui la sous-tendent constitue un fondement suffisant pour reconnaicirctre lrsquoexistence drsquoun lien La derniegravere phrase du paragraphe 163 de lrsquoarrecirct Šilih nrsquoexclut pas cette eacuteventualiteacute qui constituerait alors une exception agrave la regravegle geacuteneacuterale que repreacutesente le critegravere du laquo lien veacuteritable raquo Dans toutes les affaires preacuteciteacutees la Cour a admis lrsquoexistence drsquoun laquo lien veacuteritable raquo parce que le laps de temps eacutecouleacute entre le deacutecegraves et la date critique eacutetait relativement bref et qursquoune part consideacuterable de la proceacutedure avait eacuteteacute conduite apregraves cette date La preacutesente affaire est donc la premiegravere agrave pouvoir relever de cette autre cateacutegorie agrave caractegravere exceptionnel Aussi la Cour doit-elle expliciter les modaliteacutes drsquoapplication du critegravere des laquo valeurs de la Convention raquo

150 A lrsquoinstar de la chambre la Grande Chambre estime que le renvoi aux valeurs qui sous-tendent la Convention signifie que lrsquoexistence du lien requis peut ecirctre constateacutee si le fait geacuteneacuterateur revecirct une dimension plus large qursquoune infraction peacutenale ordinaire et constitue la neacutegation des fondements mecircmes de la Convention Tel serait le cas de graves crimes de droit international tels que les crimes de guerre le geacutenocide ou les crimes contre lrsquohumaniteacute conformeacutement aux deacutefinitions qursquoen donnent les instruments internationaux pertinents

151 Le caractegravere odieux et la graviteacute de pareils crimes ont pousseacute les parties agrave la Convention sur lrsquoimprescriptibiliteacute des crimes de guerre et des crimes contre lrsquohumaniteacute agrave consideacuterer que ces infractions doivent ecirctre imprescriptibles et que les prescriptions qui existeraient en la matiegravere dans leur ordre juridique interne doivent ecirctre abolies La Cour considegravere neacuteanmoins que le critegravere des laquo valeurs de la Convention raquo ne peut pas srsquoappliquer agrave des eacuteveacutenements anteacuterieurs agrave lrsquoadoption de la Convention le 4 novembre 1950 car crsquoest seulement agrave cette date que celle-ci a commenceacute agrave exister en tant qursquoinstrument international de protection des droits de lrsquohomme Degraves lors la responsabiliteacute sur le terrain de la Convention drsquoune Partie agrave celle-ci ne peut pas ecirctre engageacutee pour la non-reacutealisation drsquoune enquecircte sur un crime de droit international fucirct-il le plus abominable si celui-ci est anteacuterieur agrave la Convention Bien qursquoelle soit sensible agrave lrsquoargument selon lequel mecircme aujourdrsquohui certains pays ont reacuteussi agrave juger des responsables de crimes de guerre commis au cours de la Deuxiegraveme Guerre mondiale la Cour souligne la diffeacuterence fondamentale qui existe entre la possibiliteacute de poursuivre une personne pour un grave crime de droit international si les circonstances le permettent et lrsquoobligation de le faire au regard de la Convention

III La theacuteorie des obligations positives

Document ndeg5 CEDH Airey c Irlande 9101979 extraits

1115

24 Selon le Gouvernement la requeacuterante a bien accegraves agrave la High Court puisqursquoil lui est loisible de srsquoadresser agrave elle sans

lrsquoassistance drsquoun homme de loi

La Cour ne considegravere pas cette ressource comme deacutecisive en soi La Convention a pour but de proteacuteger des droits non pas

theacuteoriques ou illusoires mais concrets et effectifs (voir mutatis mutandis lrsquoarrecirct du 23 juillet 1968 en lrsquoaffaire linguistique belge

seacuterie A no 6 p 31 paras 3 in fine et 4 lrsquoarrecirct Golder preacuteciteacute p 18 par 35 in fine lrsquoarrecirct Luedicke Belkacem et Koccedil du 28 novembre 1978 seacuterie A no 29 pp 17-18 par 42 lrsquoarrecirct Marckx du 13 juin 1979 seacuterie A no 31 p 15 par 31) La remarque vaut en

particulier pour le droit drsquoaccegraves aux tribunaux eu eacutegard agrave la place eacuteminente que le droit agrave un procegraves eacutequitable occupe dans une socieacuteteacute

deacutemocratique (cf mutatis mutandis lrsquoarrecirct Delcourt du 17 janvier 1970 seacuterie A no 11 pp 14-15 par 25) Il faut donc rechercher si la comparution devant la High Court sans lrsquoassistance drsquoun conseil serait efficace en ce sens que Mme Airey pourrait preacutesenter ses

arguments de maniegravere adeacutequate et satisfaisante

Gouvernement et Commission ont exposeacute agrave ce sujet des vues contradictoires lors des audiences La Cour estime certain que la requeacuterante se trouverait deacutesavantageacutee si son eacutepoux eacutetait repreacutesenteacute par un homme de loi et elle non En dehors mecircme de cette

hypothegravese elle ne croit pas reacutealiste de penser que lrsquointeacuteresseacutee pourrait deacutefendre utilement sa cause dans un tel litige malgreacute lrsquoaide que

le juge - le Gouvernement le souligne - precircte aux parties agissant en personne

En Irlande un jugement de seacuteparation de corps ne srsquoobtient pas devant un tribunal drsquoarrondissement ougrave la proceacutedure est

relativement simple mais devant la High Court Un speacutecialiste du droit irlandais de la famille M Alan J Shatter voit dans cette

juridiction la moins accessible de toutes en raison non seulement du niveau fort eacuteleveacute des honoraires agrave verser pour srsquoy faire repreacutesenter mais aussi de la complexiteacute de la proceacutedure agrave suivre pour introduire une action en particulier sur requecircte (petition)

comme ici (Family Law in the Republic of Ireland Dublin 1977 p 21)

En outre pareil procegraves indeacutependamment des problegravemes juridiques deacutelicats qursquoil comporte exige la preuve drsquoun adultegravere de pratiques contre nature ou comme en lrsquooccurrence de cruauteacute pour eacutetablir les faits il peu y avoir lieu de recueillir la deacuteposition

drsquoexperts de rechercher des teacutemoins de les citer et de les interroger De surcroicirct les diffeacuterends entre conjoints suscitent souvent une

passion peu compatible avec le degreacute drsquoobjectiviteacute indispensable pour plaider en justice

Pour ces motifs la Cour estime tregraves improbable qursquoune personne dans la situation de Mme Airey (paragraphe 8 ci-dessus)

puisse deacutefendre utilement sa propre cause Les reacuteponses du Gouvernement aux questions de la Cour corroborent cette opinion elles

reacutevegravelent que dans chacune des 255 instances en seacuteparation de corps engageacutees en Irlande de janvier 1972 agrave deacutecembre 1978 sans exception un homme de loi repreacutesentait le demandeur (paragraphe 11 ci-dessus)

La Cour en deacuteduit que la possibiliteacute de comparaicirctre en personne devant la High Court nrsquooffre pas agrave la requeacuterante un droit effectif drsquoaccegraves et partant ne constitue pas non plus un recours interne dont lrsquoarticle 26 (art 26) exige lrsquoeacutepuisement (paragraphe 19 b)

ci-dessus)

25 Le Gouvernement essaie de diffeacuterencier la preacutesente espegravece de lrsquoaffaire Golder Dans cette derniegravere souligne-t-il le requeacuterant avait eacuteteacute empecirccheacute de saisir un tribunal par un obstacle positif dresseacute sur son chemin par lrsquoEacutetat le ministre de lrsquointeacuterieur lui

avait interdit de consulter un avocat Ici au contraire il nrsquoexisterait de la part de lrsquoEacutetat ni obstacle positif ni tentative drsquoentrave le

deacutefaut alleacutegueacute drsquoaccegraves agrave la justice ne deacutecoulerait drsquoaucune initiative des autoriteacutes mais uniquement de la situation personnelle de Mme Airey dont on ne saurait tenir lrsquoIrlande pour responsable sur le terrain de la Convention

Cette dissemblance entre les circonstances des deux causes est indeacuteniable mais la Cour nrsquoapprouve pas la conclusion qursquoen

tire le Gouvernement Tout drsquoabord un obstacle de fait peut enfreindre la Convention agrave lrsquoeacutegal drsquoun obstacle juridique (arrecirct Golder preacuteciteacute p 13 par 26) En outre lrsquoexeacutecution drsquoun engagement assumeacute en vertu de la Convention appelle parfois des mesures positives

de lrsquoEacutetat en pareil cas celui-ci ne saurait se borner agrave demeurer passif et il nrsquoy a () pas lieu de distinguer entre actes et omissions

(voir mutatis mutandis lrsquoarrecirct Marckx preacuteciteacute p 15 par 31 et lrsquoarrecirct De Wilde Ooms et Versyp du 10 mars 1972 seacuterie A no 14 p 10 par 22) Or lrsquoobligation drsquoassurer un droit effectif drsquoaccegraves agrave la justice se range dans cette cateacutegorie drsquoengagements

26 Le Gouvernement appuie son argument principal sur ce qursquoil considegravere comme les conseacutequences de lrsquoavis de la

Commission dans chaque contestation relative agrave un droit de caractegravere civil lrsquoEacutetat devrait fournir une aide judiciaire gratuite Or la

seule clause de la Convention qui reacutegisse expresseacutement cette derniegravere question lrsquoarticle 6 par 3 c) (art 6-3-c) concerne les

proceacutedures peacutenales et srsquoaccompagne elle-mecircme de restrictions au surplus drsquoapregraves la jurisprudence constante de la Commission nul

droit agrave une aide judiciaire gratuite ne se trouve en soi garanti par lrsquoarticle 6 par 1 (art 6-1) En ratifiant la Convention ajoute le Gouvernement lrsquoIrlande a formuleacute une reacuteserve agrave lrsquoarticle 6 par 3 c) (art 6-3-c) pour reacuteduire ses obligations dans le domaine de lrsquoaide

judiciaire en matiegravere peacutenale a fortiori on ne saurait selon lui preacutetendre qursquoelle ait tacitement accepteacute drsquooctroyer une aide judiciaire

illimiteacutee dans les litiges civils Enfin il ne faut pas drsquoapregraves lui interpreacuteter la Convention de maniegravere agrave reacutealiser dans un Eacutetat contractant des progregraves eacuteconomiques et sociaux ils ne peuvent ecirctre que graduels

La Cour nrsquoignore pas que le deacuteveloppement des droits eacuteconomiques et sociaux deacutepend beaucoup de la situation des Eacutetats et

notamment de leurs finances Drsquoun autre cocircteacute la Convention doit se lire agrave la lumiegravere des conditions de vie drsquoaujourdrsquohui (arrecirct Marckx preacuteciteacute p 19 par 41) et agrave lrsquointeacuterieur de son champ drsquoapplication elle tend agrave une protection reacuteelle et concregravete de lrsquoindividu

(paragraphe 24 ci-dessus) Or si elle eacutenonce pour lrsquoessentiel des droits civils et politiques nombre drsquoentre eux ont des prolongements

drsquoordre eacuteconomique ou social Avec la Commission la Cour nrsquoestime donc pas devoir eacutecarter telle ou telle interpreacutetation pour le simple motif qursquoagrave lrsquoadopter on risquerait drsquoempieacuteter sur la sphegravere des droits eacuteconomiques et sociaux nulle cloison eacutetanche ne seacutepare

celle-ci du domaine de la Convention

La Cour ne partage pas davantage lrsquoopinion du Gouvernement sur les conseacutequences de lrsquoavis de la Commission

On aurait tort de geacuteneacuteraliser la conclusion selon laquelle la possibiliteacute de comparaicirctre en personne devant la High Court

nrsquooffre pas agrave Mme Airey un droit effectif drsquoaccegraves elle ne vaut pas pour tous les cas concernant des droits et obligations de caractegravere

civil ni pour tous les inteacuteresseacutes Dans certaines hypothegraveses la faculteacute de se preacutesenter devant une juridiction fucirct-ce sans lrsquoassistance drsquoun conseil reacutepond aux exigences de lrsquoarticle 6 par 1 (art 6-1) il se peut qursquoelle assure parfois un accegraves reacuteel mecircme agrave la High Court

En veacuteriteacute les circonstances jouent ici un rocircle important

En outre lrsquoarticle 6 par 1 (art 6-1) srsquoil garantit aux plaideurs un droit effectif drsquoaccegraves aux tribunaux pour les deacutecisions relatives agrave leurs droits et obligations de caractegravere civil laisse agrave lrsquoEacutetat le choix des moyens agrave employer agrave cette fin Lrsquoinstauration drsquoun

systegraveme drsquoaide judiciaire - envisageacutee agrave preacutesent par lrsquoIrlande pour les affaires ressortissant au droit de la famille (paragraphe 11 ci-

1215

dessus) - en constitue un mais il y en a drsquoautres par exemple une simplification de la proceacutedure Quoi qursquoil en soit il nrsquoappartient pas

agrave la Cour de dicter les mesures agrave prendre ni mecircme de les indiquer la Convention se borne agrave exiger que lrsquoindividu jouisse de son droit effectif drsquoaccegraves agrave la justice selon des modaliteacutes non contraires agrave lrsquoarticle 6 par 1 (art 6-1) (voir mutatis mutandis lrsquoarrecirct Syndicat

national de la police belge du 27 octobre 1975 seacuterie A no 19 p 18 par 39 et lrsquoarrecirct Marckx preacuteciteacute p 15 par 31)

La conclusion figurant agrave la fin du paragraphe 24 ci-dessus nrsquoimplique donc pas que lrsquoEacutetat doive fournir une aide judiciaire gratuite dans toute contestation touchant un droit de caractegravere civil

Affirmer lrsquoexistence drsquoune obligation aussi eacutetendue la Cour lrsquoadmet se concilierait mal avec la circonstance que la

Convention ne renferme aucune clause sur lrsquoaide judiciaire pour ces derniegraveres contestations son article 6 par 3 c) (art 6-3-c) ne traitant que de la matiegravere peacutenale Cependant malgreacute lrsquoabsence drsquoun texte analogue pour les procegraves civils lrsquoarticle 6 par 1 (art 6-1)

peut parfois astreindre lrsquoEacutetat agrave pourvoir agrave lrsquoassistance drsquoun membre du barreau quand elle se reacutevegravele indispensable agrave un accegraves effectif

au juge soit parce que la loi prescrit la repreacutesentation par un avocat comme la leacutegislation nationale de certains Eacutetats contractants le fait pour diverses cateacutegories de litiges soit en raison de la complexiteacute de la proceacutedure ou de la cause

Quant agrave la reacuteserve irlandaise agrave lrsquoarticle 6 par 3 c) (art 6-3-c) on ne saurait lrsquointerpreacuteter de telle sorte qursquoelle influerait sur

les engagements reacutesultant de lrsquoarticle 6 par 1 (art 6-1) partant elle nrsquoentre pas ici en ligne de compte

28 La Cour constate ainsi agrave la lumiegravere de lrsquoensemble des circonstances de la cause que Mme Airey nrsquoa pas beacuteneacuteficieacute drsquoun

droit drsquoaccegraves effectif agrave la High Court pour demander un jugement de seacuteparation de corps Partant il y a eu violation de lrsquoarticle 6 par

1 (art 6-1)

32 Aux yeux de la Cour Mme Airey ne saurait passer pour avoir subi de la part de lrsquoIrlande une ingeacuterence dans sa vie

priveacutee ou familiale elle se plaint en substance non drsquoun acte mais de lrsquoinaction de lrsquoEacutetat Toutefois si lrsquoarticle 8 (art 8) a

essentiellement pour objet de preacutemunir lrsquoindividu contre des ingeacuterences arbitraires des pouvoirs publics il ne se contente pas drsquoastreindre lrsquoEacutetat agrave srsquoabstenir de pareilles ingeacuterences agrave cet engagement plutocirct neacutegatif peuvent srsquoajouter des obligations positives

inheacuterentes agrave un respect effectif de la vie priveacutee ou familiale (arrecirct Marckx preacuteciteacute p 15 par 31)

33 Le droit irlandais regravegle cette derniegravere sous beaucoup drsquoaspects Au sujet de mariage il prescrit en principe aux eacutepoux de cohabiter mais il leur accorde dans certains cas le droit de demander un jugement de seacuteparation de corps Par lagrave mecircme il reconnaicirct

que la protection de leur vie priveacutee ou familiale exige parfois de les relever de ce devoir

Un respect effectif de la vie priveacutee ou familiale impose agrave lrsquoIrlande de rendre ce moyen effectivement accessible quand il y a lieu agrave quiconque deacutesire lrsquoemployer Or la requeacuterante nrsquoy a pas eu effectivement accegraves nrsquoayant pas eacuteteacute mise en mesure de saisir la

High Court (paragraphes 20 agrave 28 ci-dessus) elle nrsquoa pu reacuteclamer la conseacutecration juridique de sa seacuteparation de fait drsquoavec son mari Elle a donc eacuteteacute victime drsquoune violation de lrsquoarticle 8 (art 8)

Document ndeg 6 CEDH Lopez Ostra c Espagne 9 Deacutecembre 1994 extraits

51 Il va pourtant de soi que des atteintes graves agrave lrsquoenvironnement peuvent affecter le bien-ecirctre drsquoune personne et la priver

de la jouissance de son domicile de maniegravere agrave nuire agrave sa vie priveacutee et familiale sans pour autant mettre en grave danger la santeacute de lrsquointeacuteresseacutee

Que lrsquoon aborde la question sous lrsquoangle drsquoune obligation positive de lrsquoEtat - adopter des mesures raisonnables et adeacutequates

pour proteacuteger les droits de lrsquoindividu en vertu du paragraphe 1 de lrsquoarticle 8 (art 8-1) - comme le souhaite dans son cas la requeacuterante ou sous celui drsquoune ingeacuterence drsquoune autoriteacute publique agrave justifier selon le paragraphe 2 (art 8-2) les principes applicables sont assez

voisins Dans les deux cas il faut avoir eacutegard au juste eacutequilibre agrave meacutenager entre les inteacuterecircts concurrents de lrsquoindividu et de la socieacuteteacute

dans son ensemble lrsquoEtat jouissant en toute hypothegravese drsquoune certaine marge drsquoappreacuteciation En outre mecircme pour les obligations positives reacutesultant du paragraphe 1 (art 8-1) les objectifs eacutenumeacutereacutes au paragraphe 2 (art 8-2) peuvent jouer un certain rocircle dans la

recherche de lrsquoeacutequilibre voulu (voir notamment les arrecircts Rees c Royaume-Uni du 17 octobre 1986 seacuterie A no 106 p 15 par 37 et

Powell et Rayner c Royaume-Uni du 21 feacutevrier 1990 seacuterie A no 172 p 18 par 41)

52 Il ressort du dossier que la station drsquoeacutepuration litigieuse fut construite en juillet 1988 par SACURSA pour reacutesoudre un

grave problegraveme de pollution existant agrave Lorca agrave cause de la concentration de tanneries Or degraves son entreacutee en service elle provoqua des

nuisances et troubles de santeacute chez de nombreux habitants (paragraphes 7 et 8 ci-dessus)

Certes les autoriteacutes espagnoles et notamment la municipaliteacute de Lorca nrsquoeacutetaient pas en principe directement responsables

des eacutemanations dont il srsquoagit Toutefois comme le signale la Commission la ville permit lrsquoinstallation de la station sur des terrains lui

appartenant et lrsquoEtat octroya une subvention pour sa construction (paragraphe 7 ci-dessus)

53 Le conseil municipal reacuteagit avec ceacuteleacuteriteacute en relogeant gratuitement au centre ville pendant les mois de juillet aoucirct et

septembre 1988 les reacutesidents affecteacutes puis en closant lrsquoune des activiteacutes de la station agrave partir du 9 septembre (paragraphes 8 et 9 ci-

dessus) Cependant ses membres ne pouvaient ignorer que les problegravemes drsquoenvironnement persistegraverent apregraves cette clocircture partielle (paragraphes 9 et 11 ci-dessus) Cela fut drsquoailleurs corroboreacute degraves le 19 janvier 1989 par le rapport de lrsquoAgence reacutegionale pour

lrsquoenvironnement et la nature puis confirmeacute par des expertises en 1991 1992 et 1993 (paragraphes 11 et 18 ci-dessus)

54 Drsquoapregraves Mme Loacutepez Ostra les pouvoirs geacuteneacuteraux de police attribueacutes agrave la municipaliteacute par le regraveglement de 1961 obligeaient ladite municipaliteacute agrave agir En outre la station ne reacuteunissait pas les conditions requises par la loi notamment en ce qui

concernait son emplacement et lrsquoabsence de permis municipal (paragraphes 8 27 et 28 ci-dessus)

55 Sur ce point la Cour rappelle que la question de la leacutegaliteacute de lrsquoinstallation et du fonctionnement de la station demeure pendante devant le Tribunal suprecircme depuis 1991 (paragraphe 16 ci-dessus) Or drsquoapregraves sa jurisprudence constante il incombe au

premier chef aux autoriteacutes nationales et speacutecialement aux cours et tribunaux drsquointerpreacuteter et drsquoappliquer le droit interne (voir entre autres lrsquoarrecirct Casado Coca c Espagne du 24 feacutevrier 1994 seacuterie A no 285-A p 18 par 43)

De toute maniegravere la Cour estime qursquoen lrsquooccurrence il lui suffit de rechercher si agrave supposer mecircme que la municipaliteacute se

soit acquitteacutee des tacircches qui lui revenaient drsquoapregraves le droit interne (paragraphes 27-28 ci-dessus) les autoriteacutes nationales ont pris les mesures neacutecessaires pour proteacuteger le droit de la requeacuterante au respect de son domicile ainsi que de sa vie priveacutee et familiale garanti par

lrsquoarticle 8 (art 8) (voir entre autres mutatis mutandis lrsquoarrecirct X et Y c Pays-Bas du 26 mars 1985 seacuterie A no 91 p 11 par 23)

1315

56 Il eacutechet de constater que non seulement la municipaliteacute nrsquoa pas pris apregraves le 9 septembre 1988 des mesures agrave cette fin

mais aussi qursquoelle a contrecarreacute des deacutecisions judiciaires allant dans ce sens Ainsi dans la proceacutedure ordinaire entameacutee par les belles-soeurs de Mme Loacutepez Ostra elle a interjeteacute appel contre la deacutecision du Tribunal supeacuterieur de Murcie du 18 septembre 1991 ordonnant

la fermeture provisoire de la station de sorte que cette mesure resta en suspens (paragraphe 16 ci-dessus)

Drsquoautres organes de lrsquoEtat ont aussi contribueacute agrave prolonger la situation Ainsi le ministegravere public attaqua le 19 novembre 1991 la deacutecision de fermeture provisoire prise par le juge drsquoinstruction de Lorca le 15 dans le cadre des poursuites pour deacutelit

eacutecologique (paragraphe 17 ci-dessus) si bien que la mesure est resteacutee inexeacutecuteacutee jusqursquoau 27 octobre 1993 (paragraphe 22 ci-dessus)

57 Le Gouvernement rappelle que la ville a assumeacute les frais de location drsquoun appartement au centre de Lorca que la requeacuterante et sa famille ont occupeacute du 1er feacutevrier 1992 jusqursquoen feacutevrier 1993 (paragraphe 21 ci-dessus)

La Cour note cependant que les inteacuteresseacutes ont ducirc subir pendant plus de trois ans les nuisances causeacutees par la station avant

de deacutemeacutenager avec les inconveacutenients que cela comporte Ils ne lrsquoont fait que lorsqursquoil apparut que la situation pouvait se prolonger indeacutefiniment et sur prescription du peacutediatre de la fille de Mme Loacutepez Ostra (paragraphes 16 17 et 19 ci-dessus) Dans ces conditions

lrsquooffre de la municipaliteacute ne pouvait pas effacer complegravetement les nuisances et inconveacutenients veacutecus

58 Compte tenu de ce qui preacutecegravede - et malgreacute la marge drsquoappreacuteciation reconnue agrave lrsquoEtat deacutefendeur - la Cour estime que

celui-ci nrsquoa pas su meacutenager un juste eacutequilibre entre lrsquointeacuterecirct du bien-ecirctre eacuteconomique de la ville de Lorca - celui de disposer drsquoune

station drsquoeacutepuration - et la jouissance effective par la requeacuterante du droit au respect de son domicile et de sa vie priveacutee et familiale

Il y a donc eu violation de lrsquoarticle 8 (art 8)

Document ndeg7 Soering c Royaume-Uni 07071989 extraits

I SUR LA VIOLATION ALLEacuteGUEacuteE DE LrsquoARTICLE 3 (art 3)

80 Selon le requeacuterant la deacutecision du ministre de lrsquoInteacuterieur de le livrer aux autoriteacutes des Eacutetats-Unis drsquoAmeacuterique entraicircnera si elle reccediloit exeacutecution un manquement du Royaume-Uni aux exigences de lrsquoarticle 3 (art 3) de la Convention ainsi

libelleacute

Nul ne peut ecirctre soumis agrave la torture ni agrave des peines ou traitements inhumains ou deacutegradants

A Applicabiliteacute de lrsquoarticle 3 (art 3) en matiegravere drsquoextradition

81 La violation alleacutegueacutee consisterait agrave exposer M Soering au syndrome du couloir de la mort (death row

phenomenon) On peut deacutecrire celui-ci comme une combinaison de circonstances dans lesquelles lrsquointeacuteresseacute devrait vivre si une fois extradeacute en Virginie pour y reacutepondre drsquoune accusation drsquoassassinats passibles de la peine capitale il se voyait condamner agrave mort

82 [hellip] la Commission rappelle que drsquoapregraves sa jurisprudence une expulsion ou extradition peut soulever un problegraveme au

regard de lrsquoarticle 3 (art 3) de la Convention srsquoil existe des raisons seacuterieuses de croire que la personne en cause subira dans lrsquoEacutetat de destination un traitement contraire agrave ce texte

[hellip]

84 La Cour abordera le problegraveme sur la base des consideacuterations suivantes

[hellip]

86 Lrsquoarticle 1 (art 1) aux termes duquel les Hautes Parties Contractantes reconnaissent agrave toute personne relevant de leur

juridiction les droits et liberteacutes deacutefinis au Titre I fixe une limite notamment territoriale au domaine de la Convention En particulier lrsquoengagement des Eacutetats contractants se borne agrave reconnaicirctre (en anglais to secure) aux personnes relevant de leur juridiction les

droits et liberteacutes eacutenumeacutereacutes En outre la Convention ne reacutegit pas les actes drsquoun Eacutetat tiers ni ne preacutetend exiger des Parties contractantes

qursquoelles imposent ses normes agrave pareil Eacutetat Lrsquoarticle 1 (art 1) ne saurait srsquointerpreacuteter comme consacrant un principe geacuteneacuteral selon

lequel un Eacutetat contractant nonobstant ses obligations en matiegravere drsquoextradition ne peut livrer un individu sans se convaincre que les

conditions escompteacutees dans le pays de destination cadrent pleinement avec chacune des garanties de la Convention En reacutealiteacute le

gouvernement britannique le souligne avec raison en deacuteterminant le champ drsquoapplication de la Convention et speacutecialement de lrsquoarticle 3 (art 3) on ne saurait oublier lrsquoobjectif beacuteneacutefique de lrsquoextradition empecirccher des deacutelinquants en fuite de se soustraire agrave la

justice

[hellip]

87 La Convention doit se lire en fonction de son caractegravere speacutecifique de traiteacute de garantie collective des droits de

lrsquohomme et des liberteacutes fondamentales (hellip) Lrsquoobjet et le but de cet instrument de protection des ecirctres humains appellent agrave comprendre

et appliquer ses dispositions drsquoune maniegravere qui en rende les exigences concregravetes et effectives (hellip) En outre toute interpreacutetation des droits et liberteacutes eacutenumeacutereacutes doit se concilier avec lrsquoesprit geacuteneacuteral [de la Convention] destineacutee agrave sauvegarder et promouvoir les ideacuteaux

et valeurs drsquoune socieacuteteacute deacutemocratique (hellip)

88 Lrsquoarticle 3 (art 3) ne meacutenage aucune exception et lrsquoarticle 15 (art 15) ne permet pas drsquoy deacuteroger en temps de guerre ou autre danger national Cette prohibition absolue par la Convention de la torture et des peines ou traitements inhumains ou

deacutegradants montre que lrsquoarticle 3 (art 3) consacre lrsquoune des valeurs fondamentales des socieacuteteacutes deacutemocratiques qui forment le Conseil

de lrsquoEurope

Reste agrave savoir si lrsquoextradition drsquoun fugitif vers un autre Eacutetat ougrave il subira ou risquera de subir la torture ou des peines ou

traitements inhumains ou deacutegradants engage par elle-mecircme la responsabiliteacute drsquoun Eacutetat contractant sur le terrain de lrsquoarticle 3 (art

3)(hellip) Un Eacutetat contractant se conduirait drsquoune maniegravere incompatible avec les valeurs sous-jacentes agrave la Convention ce patrimoine commun drsquoideacuteal et de traditions politiques de respect de la liberteacute et de preacuteeacuteminence du droit auquel se reacutefegravere le Preacuteambule srsquoil

remettait consciemment un fugitif - pour odieux que puisse ecirctre le crime reprocheacute - agrave un autre Eacutetat ougrave il existe des motifs seacuterieux de penser qursquoun danger de torture menace lrsquointeacuteresseacute Malgreacute lrsquoabsence de mention expresse dans le texte bref et geacuteneacuteral de lrsquoarticle 3

(art 3) pareille extradition irait manifestement agrave lrsquoencontre de lrsquoesprit de ce dernier aux yeux de la Cour lrsquoobligation implicite de ne

1415

pas extrader srsquoeacutetend aussi au cas ougrave le fugitif risquerait de subir dans lrsquoEacutetat de destination des peines ou traitements inhumains ou

deacutegradants proscrits par ledit article (art 3)

89 Ce qui constitue des peines ou traitements inhumains ou deacutegradants deacutepend de lrsquoensemble des circonstances de la

cause [hellip]

90 En principe il nrsquoappartient pas aux organes de la Convention de statuer sur lrsquoexistence ou lrsquoabsence de violations virtuelles de celle-ci Une deacuterogation agrave la regravegle geacuteneacuterale srsquoimpose pourtant si un fugitif allegravegue que la deacutecision de lrsquoextrader

enfreindrait lrsquoarticle 3 (art 3) au cas ougrave elle recevrait exeacutecution en raison des conseacutequences agrave en attendre dans le pays de destination

il y va de lrsquoefficaciteacute de la garantie assureacutee par ce texte vu la graviteacute et le caractegravere irreacuteparable de la souffrance preacutetendument risqueacutee (paragraphe 87 ci-dessus)

[hellip]

B Application de lrsquoarticle 3 (art 3) dans les circonstances de la cause

92 La proceacutedure drsquoextradition ouverte au Royaume-Uni contre le requeacuterant a pris fin avec la signature par le ministre

drsquoun arrecircteacute qui ordonnait la remise aux autoriteacutes ameacutericaines (hellip) quoique non encore exeacutecuteacutee cette deacutecision atteint de plein fouet

lrsquointeacuteresseacute Il faut donc rechercher agrave la lumiegravere des principes eacutenonceacutes plus haut si les conseacutequences preacutevisibles drsquoun renvoi de M

Soering aux Eacutetats-Unis sont de nature agrave faire jouer lrsquoarticle 3 (art 3)

98[hellip] Quoi qursquoil en soit selon le droit et la pratique de Virginie (hellip) et nonobstant le contexte diplomatique des relations

anglo-ameacutericaines en matiegravere drsquoextradition on ne peut dire objectivement que lrsquoengagement de signaler au juge au moment de la fixation de la peine les voeux du Royaume-Uni eacutecarte le danger drsquoune sentence capitale Dans le libre exercice de son pouvoir

drsquoappreacuteciation lrsquoAttorney de lrsquoEacutetat a deacutecideacute lui-mecircme de requeacuterir et persister agrave requeacuterir la peine capitale parce que le dossier lui

semble le commander (paragraphe 20 in fine ci-dessus) Si lrsquoautoriteacute nationale chargeacutee des poursuites adopte une attitude aussi ferme la Cour ne saurait guegravere conclure agrave lrsquoabsence de motifs seacuterieux de croire que M Soering court un risque reacuteel drsquoecirctre condamneacute agrave mort

donc de subir le syndrome du couloir de la mort

99 Partant la perspective de voir lrsquointeacuteresseacute exposeacute agrave ce syndrome comme il le redoute se reacutevegravele telle que lrsquoarticle 3 (art 3) entre en jeu

2 Sur le point de savoir si le risque drsquoexposer le requeacuterant au syndrome du couloir de la mort rendrait lrsquoextradition

contraire agrave lrsquoarticle 3 (art 3)

a) Consideacuterations geacuteneacuterales

100 Drsquoapregraves la jurisprudence de la Cour un mauvais traitement y compris une peine doit atteindre un minimum de graviteacute pour tomber sous le coup de lrsquoarticle 3 (art 3) Lrsquoappreacuteciation de ce minimum est relative par essence elle deacutepend de

lrsquoensemble des donneacutees de la cause et notamment de la nature et du contexte du traitement ou de la peine ainsi que de ses modaliteacutes

drsquoexeacutecution de sa dureacutee de ses effets physiques ou mentaux ainsi que parfois du sexe de lrsquoacircge et de lrsquoeacutetat de santeacute de la victime

La Cour a estimeacute un certain traitement agrave la fois inhumain pour avoir eacuteteacute appliqueacute avec preacutemeacuteditation pendant des heures

et avoir causeacute sinon de veacuteritables leacutesions du moins de vives souffrances physiques et morales et deacutegradant parce que de nature agrave

creacuteer [en ses victimes] des sentiments de peur drsquoangoisse et drsquoinfeacuterioriteacute propres agrave les humilier agrave les avilir et agrave briser eacuteventuellement leur reacutesistance physique ou morale (hellip) Pour qursquoune peine ou le traitement dont elle srsquoaccompagne soient inhumains ou

deacutegradants la souffrance ou lrsquohumiliation doivent en tout cas aller au-delagrave de celles que comporte ineacutevitablement une forme donneacutee

de peine leacutegitime (hellip ) En la matiegravere il eacutechet de tenir compte non seulement de la souffrance physique mais aussi en cas de long deacutelai avant lrsquoexeacutecution de la peine de lrsquoangoisse morale eacuteprouveacutee par le condamneacute dans lrsquoattente des violences qursquoon se preacutepare agrave lui

infliger

[hellip]

b) Les circonstances de la cause

i Dureacutee de la deacutetention avant lrsquoexeacutecution

[hellip]

106 [hellip] Un certain laps de temps doit forceacutement srsquoeacutecouler entre le prononceacute de la peine et son exeacutecution si lrsquoon veut

fournir au condamneacute des garanties de recours mais de mecircme il entre dans la nature humaine que lrsquointeacuteresseacute srsquoaccroche agrave lrsquoexistence

en les exploitant au maximum Si bien intentionneacute soit-il voire potentiellement beacuteneacutefique le systegraveme virginien de proceacutedures posteacuterieures agrave la sentence aboutit agrave obliger le condamneacute deacutetenu agrave subir pendant des anneacutees les conditions du couloir de la mort

lrsquoangoisse et la tension grandissante de vivre dans lrsquoombre omnipreacutesente de la mort

ii Situation dans le couloir de la mort

[hellip]

109 [hellip] Bien que la Cour nrsquoait pas agrave preacutejuger de la responsabiliteacute peacutenale et de la peine approprieacutee la jeunesse du

requeacuterant agrave lrsquoeacutepoque de lrsquoinfraction et sa condition mentale drsquoalors illustreacutees par le dossier psychiatrique existant figurent donc parmi les donneacutees qui tendent en lrsquoespegravece agrave faire relever de lrsquoarticle 3 (art 3) le traitement agrave subir dans le couloir de la mort

[hellip]

c) Conclusion

111 [hellip] Eu eacutegard cependant agrave la tregraves longue peacuteriode agrave passer dans le couloir de la mort dans des conditions aussi

extrecircmes avec lrsquoangoisse omnipreacutesente et croissante de lrsquoexeacutecution de la peine capitale et agrave la situation personnelle du requeacuterant en

particulier son acircge et son eacutetat mental agrave lrsquoeacutepoque de lrsquoinfraction une extradition vers les Eacutetats-Unis exposerait lrsquointeacuteresseacute agrave un risque reacuteel de traitement deacutepassant le seuil fixeacute par lrsquoarticle 3 (art 3) Lrsquoexistence en lrsquoespegravece drsquoun autre moyen drsquoatteindre le but leacutegitime

1515

de lrsquoextradition sans entraicircner pour autant des souffrances drsquoune intensiteacute ou dureacutee aussi exceptionnelles repreacutesente une consideacuteration

pertinente suppleacutementaire

En conclusion la deacutecision ministeacuterielle de livrer le requeacuterant aux Eacutetats-Unis violerait lrsquoarticle 3 (art 3) si elle recevait

exeacutecution

[hellip]

PAR CES MOTIFS LA COUR A LrsquoUNANIMITE

1 Dit qursquoil y aurait violation de lrsquoarticle 3 (art 3) si la deacutecision ministeacuterielle drsquoextrader le requeacuterant vers les Eacutetats-Unis drsquoAmeacuterique

recevait exeacutecution

Page 3: Dedh 2014 - Fiche 2

315

79 Cette maniegravere de voir se trouve confirmeacutee par la pratique ulteacuterieurement suivie par les Parties contractantes au regard

de ces dispositions De lrsquoentreacutee en vigueur de la Convention jusqursquoagrave aujourdrsquohui les trente Parties agrave la Convention ont presque toutes mis agrave part le gouvernement deacutefendeur accepteacute la compeacutetence de la Commission et de la Cour pour connaicirctre de plaintes sans

restrictions ratione loci ou ratione materiae Les restrictions dont sont assorties la deacuteclaration cypriote relative agrave lrsquoarticle 25 (art 25)

(paragraphes 30 et 32) deacutesormais retireacutee (paragraphe 32 ci-dessus) et - selon la thegravese du gouvernement deacutefendeur - la deacuteclaration britannique relative agrave lrsquoarticle 25 (art 25) (paragraphe 33 ci-dessus) constituent les seules exceptions agrave cette pratique coheacuterente

80 Sur ce point la Commission estime que le Royaume-Uni avait formuleacute cette restriction agrave la lumiegravere de lrsquoarticle 63 par

4 (art 63-4) de la Convention afin drsquoexclure la compeacutetence de la Commission pour connaicirctre de requecirctes relatives agrave ses territoires non meacutetropolitains En lrsquooccurrence la Cour nrsquoa pas agrave interpreacuteter la porteacutee exacte de cette deacuteclaration invoqueacutee par le gouvernement

deacutefendeur comme exemple de restriction territoriale Quel qursquoen soit le sens cette deacuteclaration et celle de Chypre nrsquoinfirment pas la

preuve drsquoune pratique deacutenotant un assentiment quasi universel entre les Parties contractantes les articles 25 et 46 (art 25 art 46) de la Convention ne permettent pas des restrictions territoriales ou portant sur le contenu

81 La preuve de lrsquoexistence de pareille pratique se trouve corroboreacutee par les reacuteactions des gouvernements de la Suegravede du

Luxembourg du Danemark de la Norvegravege et de la Belgique ainsi que du Secreacutetaire geacuteneacuteral du Conseil de lrsquoEurope en sa qualiteacute de deacutepositaire qui ont reacuteserveacute leur position pour les questions juridiques pouvant surgir quant agrave la porteacutee de la premiegravere deacuteclaration

turque relative agrave lrsquoarticle 25 (art 25) (paragraphes 18-24 ci-dessus) et du gouvernement grec qui a consideacutereacute comme nulles et non

avenues les restrictions aux deacuteclarations turques relatives aux articles 25 et 46 (art 25 art 46) (paragraphe 18 ci-dessus)

82 La reacutealiteacute de cette pratique uniforme et coheacuterente des Etats reacutefute agrave lrsquoeacutevidence les arguments du gouvernement

deacutefendeur drsquoapregraves lesquels les reacutedacteurs de la Convention ont ducirc envisager les restrictions dont les deacuteclarations relatives aux articles

25 et 46 (art 25 art 46) peuvent ecirctre assorties agrave la lumiegravere de la pratique suivie en vertu de lrsquoarticle 36 du Statut de la Cour internationale de Justice

83 A ce propos il nrsquoest pas contesteacute que les Etats peuvent tempeacuterer de restrictions leur acceptation de la compeacutetence

facultative de la Cour internationale Il nrsquoest pas davantage contesteacute que lrsquoarticle 46 (art 46) de la Convention fut calqueacute sur lrsquoarticle 36 du statut Selon la Cour il nrsquoen deacutecoule toutefois pas qursquoil faille aussi admettre sur le terrain de la Convention pareilles restrictions

agrave la reconnaissance de la compeacutetence de la Commission et de la Cour

84 Drsquoabord le contexte dans lequel fonctionne la Cour internationale de Justice se distingue nettement de celui des organes de la Convention La Cour internationale est appeleacutee notamment agrave examiner au regard des principes de droit international tout

diffeacuterend juridique entre Etats pouvant survenir dans nrsquoimporte quelle partie du globe Lrsquoobjet du litige peut concerner tout domaine du droit international En second lieu agrave la diffeacuterence des organes de la Convention la Cour internationale ne se borne pas

exclusivement agrave exercer des fonctions de controcircle par rapport agrave un traiteacute normatif comme la Convention

85 Une diffeacuterence aussi fondamentale de rocircle et de finaliteacute entre les institutions dont il srsquoagit ainsi que lrsquoexistence drsquoune pratique de lrsquoacceptation inconditionnelle en vertu des articles 25 et 46 (art 25 art 46) constituent des eacuteleacutements commandant de

distinguer la pratique de la Convention de celle de la Cour internationale

86 Enfin bien que le gouvernement deacutefendeur nrsquoait pas deacuteveloppeacute cet argument la Cour nrsquoestime pas qursquoune application par analogie de lrsquoarticle 63 par 4 (art 63-4) de la Convention autorise agrave dire qursquoune restriction territoriale peut se toleacuterer quant aux

articles 25 et 46 (art 25 art 46)

Drsquoapregraves cet argument lrsquoarticle 25 (art 25) ne pourrait srsquoappliquer au-delagrave des fontiegraveres nationales agrave des territoires autres que ceux viseacutes agrave lrsquoarticle 63 (art 63) que si lrsquoEtat le leur eacutetendait expresseacutement Avec pour corollaire que lrsquoEtat pourrait limiter

lrsquoacceptation du droit de recours individuel agrave son territoire national comme il lrsquoa fait en lrsquooccurrence

87 La Cour rappelle drsquoabord que conformeacutement agrave la notion de juridiction au sens de lrsquoarticle 1 (art 1) de la Convention la responsabiliteacute de lrsquoEtat peut se trouver engageacutee agrave raison drsquoactes ou drsquoeacuteveacutenements se produisant en dehors des frontiegraveres de celui-ci

(paragraphe 62 ci-dessus) A la diffeacuterence de lrsquoarticle 63 par 4 (art 63-4) pour les territoires non meacutetropolitains qui y sont viseacutes on ne

saurait exiger pour que la responsabiliteacute puisse se trouver engageacutee drsquoeacutetendre expresseacutement lrsquoacceptation relative agrave lrsquoarticle 25 (art

25)

88 Il faut consideacuterer en outre que lrsquoarticle 25 (art 25) et lrsquoarticle 63 (art 63) ont des objets et des finaliteacutes diffeacuterents

Lrsquoarticle 63 (art 63) concerne la deacutecision drsquoune Partie contractante drsquoassumer pleinement la responsabiliteacute au regard de la Convention agrave raison de tous les actes des pouvoirs publics se rapportant agrave un territoire dont elle assure les relations internationales

Lrsquoarticle 25 (art 25) concerne en revanche lrsquoacceptation par une Partie contractante de la compeacutetence de la Commission pour

connaicirctre de plaintes affeacuterentes aux actes de ses organes agissant sous son autoriteacute directe En raison de la nature radicalement diffeacuterente de ces dispositions qursquoun Etat doive formuler une deacuteclaration speacuteciale en vertu de lrsquoarticle 63 par 4 (art 63-4) afin

drsquoaccepter la compeacutetence de la Commission pour connaicirctre de requecirctes relatives agrave de tels territoires ne saurait avoir drsquoincidence agrave la

lumiegravere des arguments deacuteveloppeacutes ci-dessus sur la validiteacute des restrictions ratione loci figurant dans les deacuteclarations relatives aux articles 25 et 46 (art 25 art 46)

89 Compte tenu de la nature de la Convention du sens ordinaire des articles 25 et 46 (art 25 art 46) dans leur contexte et

agrave la lumiegravere de leur objet et de leur but ainsi que de la pratique des Parties contractantes la Cour conclut que les restrictions ratione loci dont sont assorties les deacuteclarations de la Turquie relatives aux articles 25 et 46 (art 25 art 46) ne sont pas valides

Il reste agrave deacuteterminer si par voie de conseacutequence la validiteacute des acceptations elles-mecircmes peut ecirctre remise en cause

C Sur la validiteacute des deacuteclarations de la Turquie relatives aux articles 25 et 46 (art 25 art 46) de la Convention

90 Le gouvernement deacutefendeur soutient que si les restrictions accompagnant les deacuteclarations relatives aux articles 25 et 46

(art 25 art 46) de la Convention ne devaient pas ecirctre reconnues valides globalement il y aurait lieu de tenir les deacuteclarations pour

nulles et non avenues dans leur inteacutegraliteacute Il appartiendrait alors au gouvernement turc de tirer les conclusions politiques drsquoune telle situation

A ce sujet le deacuteleacutegueacute de la Turquie agrave la session du Comiteacute des Ministres du Conseil de lrsquoEurope en mars 1987 avait

souligneacute que les conditions formuleacutees dans la deacuteclaration de la Turquie relative agrave lrsquoarticle 25 (art 25) eacutetaient drsquoune telle importance que si lrsquoon neacutegligeait lrsquoune ou lrsquoautre toute la deacuteclaration devrait passer pour nulle et non avenue avec cette conseacutequence que

415

lrsquoacceptation par la Turquie du droit de recours individuel serait caduqueCette position disait le deacuteleacutegueacute valait eacutegalement pour la

deacuteclaration de la Turquie relative agrave lrsquoarticle 46 (art 46)

Le gouvernement deacutefendeur preacutetend aussi que conformeacutement agrave lrsquoarticle 44 par 3 a) et b) de la Convention de Vienne sur

le droit des traiteacutes il incombe aux requeacuterants de deacutemontrer que les restrictions en particulier territoriales ne constituaient pas un

facteur essentiel ayant deacutetermineacute la Turquie agrave faire les deacuteclarations

91 Selon la requeacuterante rejointe par le gouvernement cypriote lorsqursquoil a reacutedigeacute ces deacuteclarations le gouvernement

deacutefendeur a pris le risque de voir deacutecreacuteter les restrictions non valides Il ne devrait pas aujourdrsquohui chercher agrave faire peser sur les

organes de la Convention les conseacutequences juridiques de ce risque

92 La Commission estime que lorsque la Turquie a souscrit le 28 janvier 1987 sa deacuteclaration relative agrave lrsquoarticle 25 (art

25) elle nourrissait principalement lrsquointention drsquoaccepter le droit de recours individuel Crsquoest cette intention qui devrait preacutevaloir En

outre devant la Cour le deacuteleacutegueacute de la Commission a releveacute que le gouvernement deacutefendeur nrsquoavait pas chercheacute agrave plaider lrsquoinvaliditeacute de lrsquoacceptation par la Turquie du droit de recours individuel dans les affaires dont la Commission a eacuteteacute saisie apregraves la preacutesente cause

93 En examinant cette question la Cour doit tenir compte de la nature particuliegravere de la Convention instrument de lrsquoordre

public europeacuteen pour la protection des ecirctres humains et de sa mission fixeacutee agrave lrsquoarticle 19 (art 19) celle drsquoassurer le respect des

engagements reacutesultant pour les Hautes Parties Contractantes agrave la Convention

94 Elle rappelle aussi son arrecirct Belilos c Suisse du 29 avril 1988 ougrave apregraves avoir eacutecarteacute une deacuteclaration interpreacutetative au

motif de sa non-conformiteacute avec lrsquoarticle 64 (art 64) elle a preacuteciseacute que la Suisse demeurait lieacutee par la Convention nonobstant

lrsquoinvaliditeacute de la deacuteclaration (seacuterie A no 132 p 28 par 60)

95 La Cour ne croit pas pouvoir trancher la question de la divisibiliteacute des parties non valides des deacuteclarations de la Turquie

en se reacutefeacuterant aux deacuteclarations faites par les repreacutesentants de celle-ci posteacuterieurement au deacutepocirct des deacuteclarations soit (en ce qui

concerne la deacuteclaration relative agrave lrsquoarticle 25) (art 25) devant le Comiteacute des Ministres et la Commission soit (srsquoagissant des articles 25 et 46) (art 25 art 46) agrave lrsquoaudience devant elle Sur ce point elle relegraveve que le gouvernement deacutefendeur nrsquoa pu manquer drsquoavoir

conscience eu eacutegard agrave la pratique uniforme des Parties contractantes sur le terrain des articles 25 et 46 (art 25 art 46) et consistant agrave

accepter sans condition la compeacutetence de la Commission et de la Cour que les clauses restrictives deacutenonceacutees avaient une validiteacute contestable dans le systegraveme de la Convention et que les organes de celles-ci pourraient les tenir pour inadmissibles

Il est inteacuteressant de noter agrave ce propos que la Commission a deacutejagrave exprimeacute devant la Cour dans ses plaidoiries dans lrsquoaffaire linguistique belge (exception preacuteliminaire) et lrsquoaffaire Kjeldsen Busk Madsen et Pedersen c Danemark arrecircts des 9 feacutevrier 1967 et 7

deacutecembre 1976 seacuterie A nos 5 et 23 respectivement lrsquoopinion que lrsquoarticle 46 (art 46) nrsquoautorisait aucune restriction quant agrave la

reconnaissance de la compeacutetence de la Cour (voir respectivement le second meacutemoire de la Commission du 14 juillet 1966 seacuterie B

no 3 vol I p 432 et le meacutemoire de la Commission (exception preacuteliminaire) du 26 janvier 1976 seacuterie B no 21 p 119)

La reacuteaction ulteacuterieure de plusieurs Parties contractantes aux deacuteclarations turques (paragraphes 18-24 ci-dessus) vient

solidement appuyer lrsquoobservation qui preacutecegravede et drsquoapregraves laquelle la Turquie nrsquoignorait pas la situation juridique Qursquoelle ait dans ces

conditions deacuteposeacute par la suite des deacuteclarations relatives aux deux articles 25 et 46 (art 25 art 46) - pour la derniegravere apregraves la reacuteaction susmentionneacutee des Parties contractantes - indique qursquoelle eacutetait precircte agrave courir le risque de voir les organes de la Convention deacuteclarer

non valides les clauses limitatives litigieuses sans affecter la validiteacute des deacuteclarations elles-mecircmes Sous cet eacuteclairage le

gouvernement deacutefendeur ne saurait invoquer les deacuteclarations ex post facto des repreacutesentants turcs pour marquer un recul par rapport agrave lrsquointention fondamentale - malgreacute des tempeacuteraments - drsquoaccepter la compeacutetence de la Commission et de la Cour

96 Il incombe donc agrave la Cour dans lrsquoexercice des responsabiliteacutes que lui confegravere lrsquoarticle 19 (art 19) de trancher la

question en se reacutefeacuterant au texte des deacuteclarations respectives et agrave la nature particuliegravere du reacutegime de la Convention Or ce dernier milite pour la seacuteparation des clauses attaqueacutees puisque crsquoest par ce moyen que lrsquoon peut garantir les droits et liberteacutes consacreacutes par la

Convention dans tous les domaines relevant de la juridiction de la Turquie au sens de lrsquoarticle 1 (art 1) de la Convention

97 La Cour a examineacute le texte des deacuteclarations et le libelleacute des restrictions en vue de rechercher si les restrictions

querelleacutees peuvent se dissocier des instruments drsquoacceptation ou si elles en forment partie inteacutegrante et indivisible Mecircme en prenant

les textes des deacuteclarations relatives aux articles 25 et 46 (art 25 art 46) comme un tout elle estime que les restrictions deacutenonceacutees

peuvent se dissocier du reste du texte laissant intacte lrsquoacceptation des clauses facultatives

Document ndeg2 CEDH Ilascu cMoldavie et Russie 08072004 extraits

312 La Cour rappelle sa jurisprudence selon laquelle la notion de laquo juridiction raquo au sens de larticle 1 de la Convention

doit passer pour refleacuteter la conception de cette notion en droit international public (Gentilhomme et autres c France nos 4820599

4820799 et 4820999 sect 20 arrecirct du 14 mai 2002 Banković et autres c Belgique et autres (deacutec) [GC] no 5220799 sectsect 59-61

CEDH 2001-XII Assanidzeacute c Geacuteorgie [GC] no 7150301 sect 137CEDH 2004-II)

Du point de vue du droit international public lexpression laquo relevant de leur juridiction raquo figurant agrave larticle 1 de la

Convention doit ecirctre comprise comme signifiant que la compeacutetence juridictionnelle dun Etat est principalement territoriale (deacutecision Banković et autres preacuteciteacutee sect 59) mais aussi en ce sens quil est preacutesumeacute quelle sexerce normalement sur

lensemble de son territoire

Cette preacutesomption peut se trouver limiteacutee dans des circonstances exceptionnelles notamment lorsquun Etat est dans

lincapaciteacute dexercer son autoriteacutesur une partie de son territoire Cela peut ecirctre ducirc agrave une occupation militaire par les forces armeacutees dun

autre Etat qui controcircle effectivement ce territoire(voir les arrecircts Loizidou c Turquie (exceptions preacuteliminaires) du 23 mars 1995 seacuterie

A no 310 et Chypre c Turquie preacuteciteacute sectsect 76-80 tels que citeacutes dans la deacutecision Banković et autres susmentionneacutee sectsect 70-71) agrave

des actes de guerre ou de reacutebellion ou encore aux actes dun Etat eacutetranger soutenant la mise en place dun reacutegime seacuteparatiste sur le

territoire de lEtat en question

515

313 Pour conclure agrave lexistence dune telle situation exceptionnelle la Cour se doit dexaminer dune part lensemble des

eacuteleacutements factuels objectifs de nature agrave limiter lexercice effectif de lautoriteacute dun Etat sur son territoire et dautre part le comportement de celui-ci En effet les engagements pris par une Partie contractante en vertu de larticle 1 de la Convention

comportent outre le devoir de sabstenir de toute ingeacuterence dans la jouissance des droits et liberteacutes garantis des obligations positives

de prendre les mesures approprieacutees pour assurer le respect de ces droits et liberteacutes sur son territoire (hellip)

Ces obligations subsistent mecircme dans le cas dune limitation de lexercice de son autoriteacute sur une partie de son territoire de

sorte quil incombe agrave lEtatde prendre toutes les mesures approprieacutees qui restent en son pouvoir

314 En outre la Cour rappelle que si elle a souligneacute la preacutepondeacuterance du principe territorial dans lapplication de la Convention dans laffaireBanković et autres (deacutecision preacuteciteacutee sect 80) elle a aussi reconnu que la notion de laquo juridiction raquo au sens de

larticle 1 de la Convention ne se circonscrit pas neacutecessairement au seul territoire national des Hautes Parties contractantes (Loizidou c

Turquie (fond) arrecirct du 18 deacutecembre 1996 Recueil des arrecircts et deacutecisions 1996-VI pp 2234-2235 sect 52)

La Cour a admis que dans des circonstances exceptionnelles les actes des Etats contractants accomplis ou produisant des

effets en dehors de leur territoire peuvent sanalyser en lexercice par eux de leur juridiction au sens de larticle 1 de la Convention

Ainsi quil ressort des principes pertinents du droit international un Etat contractant peut voir engager sa responsabiliteacute

lorsque par suite dune action militaire leacutegale ou non il exerce en pratique le controcircle effectif sur une zone situeacutee en dehors de son

territoire national Lobligation dassurer dans une telle reacutegion le respect des droits et liberteacutes garantis par la Convention deacutecoule du

fait de ce controcircle quil sexerce directement par lintermeacutediaire des forces armeacutees de lEtat concerneacute ou par le biais dune administration locale subordonneacutee (ibidem)

315 Il nest pas neacutecessaire de deacuteterminer si une Partie contractante exerce dans le deacutetail un controcircle sur la politique et les

actions des autoriteacutes de la zone situeacutee en dehors de son territoire national car mecircme un controcircle global sur ce territoire est de nature agrave engager la responsabiliteacute de cette Partie contractante (Loizidou (fond) preacuteciteacute pp 2235-2236 sect 56)

316 Degraves lors quun Etat contractant exerce un controcircle global sur une zone situeacutee en dehors de son territoire national sa

responsabiliteacute ne se limite pas aux seuls actes commis par ses soldats ou fonctionnaires dans cette zone mais seacutetend eacutegalement aux actes de ladministration locale qui survit gracircce agrave son soutien militaire ou autre (arrecirct Chypre c Turquie preacuteciteacute sect 77)

317 La responsabiliteacute dun Etat peut aussi se voir engager en raison dactes qui ont des reacutepercussions suffisamment

proches sur les droits garantis par la Convention mecircme si ces reacutepercussions se manifestent en dehors de la juridiction de cet Etat Ainsi se reacutefeacuterant agrave une extradition vers un Etat non contractant la Cour a dit quun Etat contractant se conduirait dune maniegravere

incompatible avec les valeurs sous-jacentes agrave la Convention ce laquo patrimoine commun dideacuteal et de traditions politiques de respect de la liberteacute et de preacuteeacuteminence du droit raquo auquel se reacutefegravere le preacuteambule sil remettait consciemment un fugitif agrave un autre Etat ougrave il existe

des motifs seacuterieux de penser quil court un risque reacuteel decirctre soumis agrave la torture ou agrave des peines ou traitements inhumains ou deacutegradants

(arrecirct Soering c Royaume-Uni du 7 juillet 1989 seacuterie A no 161 p 35 sectsect 88-91)

318 De surcroicirct si les autoriteacutes dun Etat contractant approuvent formellement ou tacitement les actes des particuliers

violant dans le chef dautres particuliers soumis agrave sa juridiction les droits garantis par la Convention la responsabiliteacute dudit Etat peut

se trouver engageacutee au regard de la Convention (arrecirct Chypre c Turquie preacuteciteacute sect 81) Cela vaut dautant plus en cas de reconnaissance par lEtat en question des actes eacutemanant dautoriteacutes autoproclameacutees et non reconnues sur le plan international

319 Un Etat peut aussi ecirctre tenu pour responsable mecircme lorsque ses agents commettent des excegraves de pouvoir ou ne

respectent pas les instructions reccedilues En effet les autoriteacutes dun Etat assument au regard de la Convention la responsabiliteacute objective de la conduite de leurs subordonneacutes elles ont le devoir de leur imposer leur volonteacute et ne sauraient se retrancher derriegravere leur

impuissance agrave la faire respecter (arrecirct Irlande c Royaume-Uni du 18 janvier 1978 seacuterie A no 25 p 64 sect 159 article 7 du projet

darticles de la Commission du droit international sur la responsabiliteacute des Etats pour les actes internationalement illicites (2001) (laquo les

travaux de la CDI raquo) p 104 affaire Caire examineacutee par la Commission geacuteneacuterale pour les plaintes 1929 Recueil des sentences arbitrales (RSA) V p 516)

()

333 La Cour considegravere que si un Etat contractant se trouve dans limpossibiliteacute dexercer son autoriteacute sur lensemble de son territoire par une situation de fait contraignante comme la mise en place dun reacutegime seacuteparatiste accompagneacutee ou non par

loccupation militaire par un autre Etat lEtat ne cessepas pour autant dexercer sa juridiction au sens de larticle 1 de la Convention

sur la partie du territoire momentaneacutement soumise agrave une autoriteacute locale soutenue par des forces de reacutebellion ou par un autre Etat

Une telle situation factuelle a neacuteanmoins pour effet de reacuteduire la porteacutee de cette juridiction en ce sens que

lengagement souscrit par lEtat contractanten vertu de larticle 1 doit ecirctre examineacute par la Cour uniquement agrave la lumiegravere des obligations

positives de lEtat agrave leacutegard des personnes qui se trouvent sur son territoire LEtat en question se doit avec tous les moyens leacutegaux et diplomatiques dont il dispose envers les Etats tiers et les organisations internationales dessayer de continuer agrave garantir la jouissance

des droits et liberteacutes eacutenonceacutes dans la Convention

334 Mecircme sil nappartient pas agrave la Cour dindiquer quelles sont les mesures les plus efficaces que doivent prendre les autoriteacutes pour se conformer agrave leurs obligations il lui faut neacuteanmoins sassurer que les mesures effectivement prises eacutetaient adeacutequates et

suffisantes dans le cas despegravece Face agrave une omission partielle ou totale la Cour a pour tacircche de deacuteterminer dans quelle mesure un

effort minimal eacutetait quand mecircme possible et sil devait ecirctre entrepris Pareille tacircche est dautant plus neacutecessaire lorsquil sagit dune violation alleacutegueacutee de droits absolus tels que ceux garantis par les articles 2 et 3 de la Convention

615

Document ndeg3 CEDH Al-Skeini cRoyaume-Uni et Al-Jedda cRoyaume-Uni

07072011 extraits

Al-Jedda cRoyaume-Uni

84 Il semble ressortir de lrsquoexposeacute de lrsquoopinion de Lord Bingham que dans le cadre de la premiegravere proceacutedure engageacutee par

le requeacuterant les parties devant la Chambre des lords srsquoaccordaient agrave dire que le critegravere drsquoattribution agrave retenir eacutetait celui eacutenonceacute par la CDI agrave lrsquoarticle 5 de son projet drsquoarticles sur la responsabiliteacute des organisations internationales et preacuteciseacute dans son commentaire agrave ce

sujet agrave savoir que le comportement drsquoun organe drsquoun Etat qui est mis agrave la disposition drsquoune organisation internationale est drsquoapregraves le

droit international imputable agrave cette organisation pour autant qursquoelle exerce un controcircle effectif sur ce comportement (paragraphes 18 et 56 ci-dessus) Pour les motifs exposeacutes ci-dessus la Cour considegravere que le Conseil de seacutecuriteacute nrsquoexerccedilait ni un controcircle effectif ni

lrsquoautoriteacute et le controcircle ultimes sur les actions et omissions des soldats de la force multinationale et que degraves lors lrsquointernement du

requeacuterant nrsquoest pas imputable agrave lrsquoONU

85 Interneacute dans un centre de deacutetention de la ville de Bassorah controcircleacute exclusivement par les forces britanniques le

requeacuterant srsquoest trouveacute pendant toute la dureacutee de sa deacutetention sous lrsquoautoriteacute et le controcircle du Royaume-Uni (paragraphe 10 ci-dessus

voir eacutegalement Al-Skeini et autres c Royaume-Uni [GC] no 5572107 sect 136 et Al-Saadoon et Mufdhi c Royaume-Uni (deacutec)

no 6149808 sect 88 CEDH 2010- voir eacutegalement lrsquoarrecirct rendu par la Cour suprecircme des Etats-Unis en lrsquoaffaire Munaf v Geren paragraphe 54 ci-dessus) Lrsquointernement avait eacuteteacute deacutecideacute par lrsquoofficier britannique qui commandait le centre de deacutetention Si

la deacutecision de maintenir le requeacuterant en deacutetention a eacuteteacute reacuteexamineacutee agrave diffeacuterents stades par des organes ayant en leur sein des

fonctionnaires irakiens et des repreacutesentants non britanniques de la force multinationale la Cour estime que ces proceacutedures de controcircle nrsquoont pas eu pour effet drsquoempecirccher lrsquoimputation au Royaume-Uni de la deacutetention en question

86 En conclusion la Cour considegravere avec la majoriteacute de la Chambre des lords que lrsquointernement du requeacuterant est

imputable au Royaume-Uni et que pendant la dureacutee de sa deacutetention lrsquointeacuteresseacute srsquoest retrouveacute sous la juridiction de ce pays au sens de lrsquoarticle 1 de la Convention

Al-Skeini cRoyaume-Uni - Principes geacuteneacuteraux relatifs agrave la juridiction au sens de larticle 1 de la Convention

130 Larticle 1 de la Convention est ainsi libelleacute

laquo Les Hautes Parties contractantes reconnaissent agrave toute personne relevant de leur juridiction les droits et liberteacutes deacutefinis au

titre I de la () Convention raquo

Aux termes de cette disposition lengagement des Etats contractants se borne agrave laquo reconnaicirctre raquo (en anglais laquo to secure raquo)

aux personnes relevant de leur laquo juridiction raquo les droits et liberteacutes eacutenumeacutereacutes (Soering c Royaume-Uni 7 juillet 1989 sect 86 seacuterie A

no 161 et deacutecision Banković preacuteciteacutee sect 66) La laquo juridiction raquo au sens de larticle 1 est une condition sine qua non Elle doit avoir

eacuteteacute exerceacutee pour quun Etat contractant puisse ecirctre tenu pour responsable des actes ou omissions agrave lui imputables qui sont agrave lorigine dune alleacutegation de violation des droits et liberteacutes eacutenonceacutes dans la Convention (Ilaşcu et autres preacuteciteacute sect 311)

α) Le principe de territorialiteacute

131 La juridiction dun Etat au sens de larticle 1 est principalement territoriale (Soering preacuteciteacute sect 86 Banković deacutecision preacuteciteacutee sectsect 61 et 67 etIlaşcu preacuteciteacute sect 312) Elle est preacutesumeacutee sexercer normalement sur lensemble de son territoire

(Ilaşcu preacuteciteacute sect 312 et Assanidzeacute c Geacuteorgie [GC] no7150301 sect 139 CEDH 2004-II) A linverse les actes des Etats contractants

accomplis ou produisant des effets en dehors de leur territoire ne peuvent que dans des circonstances exceptionnelles sanalyser en lexercice par eux de leur juridiction au sens de larticle 1 (Banković preacuteciteacute sect 67)

132 A ce jour la Cour a reconnu dans sa jurisprudence un certain nombre de circonstances exceptionnelles susceptibles

demporter exercice par lEtat contractant de sa juridiction agrave lexteacuterieur de ses propres frontiegraveres Dans chaque cas cest au regard des faits particuliers de la cause quil faut appreacutecier lexistence de pareilles circonstances exigeant et justifiant que la Cour conclue agrave un

exercice extraterritorial de sa juridiction par lEtat

β) Lautoriteacute et le controcircle dun agent de lEtat

133 La Cour a reconnu dans sa jurisprudence que par exception au principe de territorialiteacute la juridiction dun Etat

contractant au sens de larticle 1 peut seacutetendre aux actes de ses organes qui deacuteploient leurs effets en dehors de son territoire (Drozd et

Janousek preacuteciteacute sect 91 Loizidou (exceptions preacuteliminaires) preacuteciteacute sect 62 et Loizidou c Turquie (fond) 18 deacutecembre 1996 sect 52 Recueil des arrecircts et deacutecisions 1996-VI et Banković deacutecision preacuteciteacutee sect 69) Cette exception telle quelle se deacutegage de

larrecirct Drozd et Janousek et des autres affaires ci-dessus est eacutenonceacutee de maniegravere tregraves geacuteneacuterale la Cour seacutetant contenteacutee de dire que la

responsabiliteacute de lEtat contractant laquo peut entrer en jeu raquo en pareilles circonstances Il est neacutecessaire dexaminer la jurisprudence pour en cerner les principes directeurs

134 Premiegraverement il est clair que la juridiction de lEtat peut naicirctre des actes des agents diplomatiques ou consulaires

preacutesents en territoire eacutetranger conformeacutement aux regravegles du droit international degraves lors que ces agents exercent une autoriteacute et un

controcircle sur autrui (Banković deacutecision preacuteciteacutee sect 73 voir eacutegalement X c Reacutepublique feacutedeacuterale dAllemagne no 161162 deacutecision

de la Commission du 25 septembre 1965 Annuaire de la Convention europeacuteenne des droits de lhomme vol 8 p

158 X c Royaume-Uni no 754776 deacutecision de la Commission du 15 deacutecembre 1977 et WM c Danemark no 1739290 deacutecision

de la Commission du 14 octobre 1993)

135 Deuxiegravemement la Cour a conclu agrave lexercice extraterritorial de sa juridiction par lEtat contractant qui en vertu du consentement de linvitation ou de lacquiescement du gouvernement local assume lensemble ou certaines des preacuterogatives de

puissance publique normalement exerceacutees par celui-ci (Banković deacutecision preacuteciteacutee sect 71) Par conseacutequent degraves lors que

conformeacutement agrave une regravegle de droit international coutumiegravere conventionnelle ou autre ses organes assument des fonctions exeacutecutives ou judiciaires sur un territoire autre que le sien un Etat contractant peut ecirctre tenu pour responsable des violations de la Convention

715

commises dans lexercice de ces fonctions pourvu que les faits en question soient imputables agrave lui et non agrave lEtat territorial (Drozd et

Janousek preacuteciteacute Gentilhomme Schaff-Benhadji et Zeroukiet c France nos 4820599 4820799 et 4820999 14 mai 2002 ainsi

que X et Y c Suisse nos 728975 et 734976 deacutecision de la Commission sur la recevabiliteacute du 14 juillet 1977 DR 9 p 57)

136 En outre la jurisprudence de la Cour montre que dans certaines circonstances le recours agrave la force par des agents dun Etat opeacuterant hors de son territoire peut faire passer sous la juridiction de cet Etat au sens de larticle 1 toute personne se

retrouvant ainsi sous le controcircle de ceux-ci Cette regravegle a eacuteteacute appliqueacutee dans le cas de personnes remises entre les mains dagents de

lEtat agrave lexteacuterieur de ses frontiegraveres Ainsi dans larrecirct Oumlcalan c Turquiepreacuteciteacute sect 91 la Cour a jugeacute que laquo degraves sa remise par les agents kenyans aux agents turcs [le requeacuterant] s[eacutetait] effectivement retrouveacute sous lautoriteacute de la Turquie et relevait donc de la

laquo juridiction raquo de cet Etat aux fins de larticle 1 de la Convention mecircme si en loccurrence la Turquie a[vait] exerceacute son autoriteacute en

dehors de son territoire raquo Dans larrecirct Issa preacuteciteacute elle a indiqueacute que sil avait eacuteteacute eacutetabli que des soldats turcs avaient arrecircteacute les proches des requeacuterants dans le nord de lIrak avant de les emmener dans une caverne avoisinante et de les exeacutecuter les victimes

auraient ducirc ecirctre consideacutereacutees comme relevant de la juridiction de la Turquie ce par leffet de lautoriteacute et du controcircle exerceacutes sur les

victimes par les soldats Dans la deacutecision Al-Saadoon et Mufdhi c Royaume-Uni ((deacutec) no 6149808 sectsect 86-89 30 juin 2009) elle a

estimeacute que degraves lors que le controcircle exerceacute par le Royaume-Uni sur ses prisons militaires en Irak et sur les personnes y seacutejournant eacutetait absolu et exclusif il y avait lieu de consideacuterer agrave propos de deux ressortissants irakiens incarceacutereacutes dans lune delles quils relevaient de

la juridiction du Royaume-Uni Enfin dans larrecirct Medvedyev et autres c France [GC] no 339403 sect 67 CEDH 2010- elle a

conclu relativement agrave des requeacuterants qui seacutetaient trouveacutes agrave bord dun navire intercepteacute en haute mer par des agents franccedilais queu

eacutegard au controcircle absolu et exclusif exerceacute de maniegravere continue et ininterrompue par ces agents sur le navire et son eacutequipage degraves son interception ils relevaient de la juridiction de la France au sens de larticle 1 de la Convention La Cour considegravere que dans les

affaires ci-dessus la juridiction navait pas pour seul fondement le controcircle opeacutereacute par lEtat contractant sur les bacirctiments laeacuteronef ou

le navire ougrave les inteacuteresseacutes eacutetaient deacutetenus Leacuteleacutement deacuteterminant dans ce type de cas est lexercice dun pouvoir et dun controcircle physiques sur les personnes en question

137 Il est clair que degraves linstant ougrave lEtat par le biais de ses agents exerce son controcircle et son autoriteacute sur un individu et

par voie de conseacutequence sa juridiction il pegravese sur lui en vertu de larticle 1 une obligation de reconnaicirctre agrave celui-ci les droits et liberteacutes deacutefinis au titre I de la Convention qui concernent son cas En ce sens degraves lors les droits deacutecoulant de la Convention peuvent ecirctre

laquo fractionneacutes et adapteacutes raquo (voir agrave titre de comparaison la deacutecisionBanković preacuteciteacutee sect 75)

γ) Le controcircle effectif sur un territoire

138 Le principe voulant que la juridiction de lEtat contractant au sens de larticle 1 soit limiteacutee agrave son propre territoire

connaicirct une autre exception lorsque par suite dune action militaire ndash leacutegale ou non ndash lEtat exerce un controcircle effectif sur une zone

situeacutee en dehors de son territoire Lobligation dassurer dans une telle zone le respect des droits et liberteacutes garantis par la Convention

deacutecoule du fait de ce controcircle quil sexerce directement par lintermeacutediaire des forces armeacutees de lEtat ou par le biais dune

administration locale subordonneacutee (Loizidou (exceptions preacuteliminaires) preacuteciteacute sect 62 Chypre c Turquie [GC] no 2578194 sect 76

CEDH 2001-IV Banković deacutecision preacuteciteacutee sect 70 Ilaşcu preacuteciteacute sectsect 314-316 et Loizidou (fond) preacuteciteacute sect 52) Degraves lors quune telle mainmise sur un territoire est eacutetablie il nest pas neacutecessaire de deacuteterminer si lEtat contractant qui la deacutetient exerce un controcircle

preacutecis sur les politiques et actions de ladministration locale qui lui est subordonneacutee Du fait quil assure la survie de cette

administration gracircce agrave son soutien militaire et autre cet Etat engage sa responsabiliteacute agrave raison des politiques et actions entreprises par elle Larticle 1 lui fait obligation de reconnaicirctre sur le territoire en question la totaliteacute des droits mateacuteriels eacutenonceacutes dans la Convention

et dans les Protocoles additionnels quil a ratifieacutes et les violations de ces droits lui sont imputables (Chypre c Turquie preacuteciteacute sect 77)

139 La question de savoir si un Etat contractant exerce ou non un controcircle effectif sur un territoire hors de ses frontiegraveres est une question de fait Pour se prononcer la Cour se reacutefegravere principalement au nombre de soldats deacuteployeacutes par lEtat sur le territoire

en cause (Loizidou (fond) preacuteciteacute sectsect 16 et 56 etIlaşcu preacuteciteacute sect 387) Dautres eacuteleacutements peuvent aussi entrer en ligne de compte par

exemple la mesure dans laquelle le soutien militaire eacuteconomique et politique apporteacute par lEtat agrave ladministration locale subordonneacutee assure agrave celui-ci une influence et un controcircle dans la reacutegion (Ilaşcu preacuteciteacute sectsect 388-394)

140 Le titre de juridiction fondeacute sur le laquo controcircle effectif raquo deacutecrit ci-dessus ne remplace pas le systegraveme de notification en

vertu de larticle 56 (lancien article 63) de la Convention que lors de la reacutedaction de celle-ci les Etats contractants avaient deacutecideacute de creacuteer pour les territoires doutre-mer dont ils assuraient les relations internationales Le paragraphe 1 de cet article preacutevoit un dispositif

permettant agrave ces Etats deacutetendre lapplication de la Convention agrave pareil territoire laquo en tenant compte des neacutecessiteacutes locales raquo

Lexistence de ce dispositif qui a eacuteteacute inteacutegreacute dans la Convention pour des raisons historiques ne peut ecirctre interpreacuteteacutee aujourdhui agrave la lumiegravere des conditions actuelles comme limitant la porteacutee de la notion de laquo juridiction raquo au sens de larticle 1 Les cas de figure viseacutes

par le principe du laquo controcircle effectif raquo se distinguent manifestement de ceux dans lesquels un Etat contractant na pas deacuteclareacute par le

biais de la notification preacutevue agrave larticle 56 deacutetendre lapplication de la Convention ou de lun quelconque de ses Protocoles agrave un territoire doutre-mer dont il assure les relations internationales (Loizidou (exceptions preacuteliminaires) preacuteciteacute sectsect 86-89 et Quark

Fishing Ltd c Royaume-Uni(deacutec) no 1530506 CEDH 2006-XIV)

δ) Lespace juridique de la Convention

141 La Convention est un instrument constitutionnel de lordre public europeacuteen (Loizidou (exceptions preacuteliminaires) preacuteciteacute sect 75) Elle ne reacutegit pas les actes des Etats qui ny sont pas parties ni ne preacutetend exiger des Parties contractantes quelles

imposent ses normes agrave pareils Etats (Soering preacuteciteacute sect 86)

142 La Cour a souligneacute quun Etat contractant qui par le biais de ses forces armeacutees occupe le territoire dun autre doit en principe ecirctre tenu pour responsable au regard de la Convention des violations des droits de lhomme qui y sont perpeacutetreacutees car sinon

les habitants de ce territoire seraient priveacutes des droits et liberteacutes dont ils jouissaient jusque-lagrave et il y aurait une laquo solution de

continuiteacute raquo dans la protection de ces droits et liberteacutes au sein de llaquo espace juridique de la Convention raquo (Loizidou (fond) preacuteciteacute sect 78 et Banković preacuteciteacute sect 80) Toutefois sil est important deacutetablir la juridiction de lEtat occupant dans ce type de cas cela ne veut

pas dire a contrario que la juridiction au sens de larticle 1 ne puisse jamais exister hors du territoire des Etats membres du Conseil de

lEurope La Cour na jamais appliqueacute semblable restriction dans sa jurisprudence (voir parmi dautres exemples les arrecirctsOumlcalan Issa Al-Saadoon et Mufdhi et Medvedyev preacuteciteacutes)

815

ii Application des principes susmentionneacutes aux faits de lespegravece

143 Pour deacuteterminer si lun quelconque des proches des requeacuterants relevait au moment de son deacutecegraves de la juridiction du Royaume-Uni la Cour prend pour point de deacutepart le fait que le 20 mars 2003 ce pays avec les Etats-Unis et leurs partenaires de la

coalition avait peacuteneacutetreacute en sol irakien par le biais de ses forces armeacutees dans le but de chasser le reacutegime baasiste alors au pouvoir Ce

but fut atteint le 1er mai 2003 lorsque la fin des principales opeacuterations de combat fut prononceacutee et que les Etats-Unis et le Royaume-

Uni devinrent des puissances occupantes au sens de larticle 42 du regraveglement de La Haye (paragraphe 89 ci-dessus)

144 Comme lindiquait la lettre du 8 mai 2003 adresseacutee conjointement par les repreacutesentants permanents du Royaume-Uni

et des Etats-Unis au preacutesident du Conseil de seacutecuriteacute de lONU (paragraphe 11 ci-dessus) ces deux pays apregraves avoir chasseacute lancien

reacutegime avaient creacuteeacute lAutoriteacute provisoire de la coalition pour laquo exerce[r] les pouvoirs du gouvernement agrave titre temporaire raquo Lun des pouvoirs expresseacutement mentionneacutes dans cette lettre que les Etats-Unis et le Royaume-Uni eacutetaient censeacutes assumer par lintermeacutediaire

de lAutoriteacute provisoire de la coalition consistait agrave assurer la seacutecuriteacute en Irak notamment en maintenant lordre public La lettre

indiquait en outre laquo [l]es Etats-Unis le Royaume-Uni et les membres de la coalition agissant par lintermeacutediaire de lAutoriteacute provisoire de la coalition seront chargeacutes entre autres tacircches dassurer la seacutecuriteacute en Iraq et dadministrer ce pays agrave titre temporaire

notamment par les moyens suivants () en prenant immeacutediatement le controcircle des institutions iraquiennes responsables des questions

militaires et de seacutecuriteacute raquo

145 LAutoriteacute provisoire de la coalition deacuteclara dans le regraveglement no 1 du 16 mai 2003 son premier texte normatif

quelle laquo exerce[rait] temporairement les preacuterogatives de la puissance publique afin dassurer ladministration effective de lIraq au

cours de la peacuteriode dadministration transitoire dy reacutetablir la stabiliteacute et la seacutecuriteacute () raquo (paragraphe 12 ci-dessus)

146 Le Conseil de seacutecuriteacute prit acte du contenu de la lettre du 8 mai 2003 dans sa reacutesolution 1483 adopteacutee le 22 mai 2003 Il y demandait par ailleurs aux puissances occupantes laquo de promouvoir le bien-ecirctre de la population iraquienne en assurant une

administration efficace du territoire notamment en semployant agrave reacutetablir la seacutecuriteacute et la stabiliteacute raquo reconnaissant une nouvelle fois la

mission de seacutecuriteacute assumeacutee par les Etats-Unis et le Royaume-Uni (paragraphe 14 ci-dessus)

147 Pendant la peacuteriode de loccupation le Royaume-Uni avait le commandement dune division militaire la division

multinationale du sud-est dont le ressort comprenait la province de Bassorah lagrave ougrave les proches des requeacuterants sont deacuteceacutedeacutes A

compter du 1er mai 2003 les forces britanniques deacuteployeacutees dans cette province y furent chargeacutees dassurer la seacutecuriteacute et de soutenir

ladministration civile Elles devaient en particulier conduire des patrouilles des arrestations et des opeacuterations de lutte contre le

terrorisme encadrer les manifestations civiles et proteacuteger les ressources et infrastructures essentielles ainsi que les postes de police

(paragraphe 21 ci-dessus)

148 En juillet 2003 fut creacuteeacute le Conseil de gouvernement de lIrak Bien que tenue de le consulter (paragraphe 15 ci-

dessus) lAutoriteacute provisoire de la coalition conservait le pouvoir Dans sa reacutesolution 1511 adopteacutee le 16 octobre 2003 le Conseil de

seacutecuriteacute souligna le caractegravere temporaire de lexercice par elle des responsabiliteacutes et pouvoirs eacutenonceacutes dans la reacutesolution 1483 et autorisa laquo une force multinationale sous commandement unifieacute agrave prendre toutes les mesures neacutecessaires pour contribuer au

maintien de la seacutecuriteacute et de la stabiliteacute en Iraq raquo (paragraphe 16 ci-dessus) Dans sa reacutesolution 1546 adopteacutee le 8 juin 2004 il

approuva laquo la formation dun gouvernement inteacuterimaire souverain de lIraq () qui assumera[it] pleinement [jusquau] 30 juin 2004 la responsabiliteacute et lautoriteacute de gouverner lIraq raquo (paragraphe 18 ci-dessus) En deacutefinitive loccupation prit fin le 28 juin 2004 avec le

transfert de lAutoriteacute provisoire de la coalition deacutesormais dissoute au gouvernement inteacuterimaire de la responsabiliteacute pleine et entiegravere

du gouvernement de lIrak (paragraphe 19 ci-dessus)

iii Conclusion quant agrave la juridiction

149 On peut donc voir quapregraves le renversement du reacutegime baasiste et jusquagrave linstauration du gouvernement inteacuterimaire

le Royaume-Uni a assumeacute en Irak (conjointement avec les Etats-Unis) certaines des preacuterogatives de puissance publique qui sont normalement celles dun Etat souverain en particulier le pouvoir et la responsabiliteacute du maintien de la seacutecuriteacute dans le sud-est du pays

Dans ces circonstances exceptionnelles la Cour considegravere que le Royaume-Uni par le biais de ses soldats affecteacutes agrave des opeacuterations de

seacutecuriteacute agrave Bassorah lors de cette peacuteriode exerccedilait sur les personnes tueacutees lors de ces opeacuterations une autoriteacute et un controcircle propres agrave

eacutetablir aux fins de larticle 1 de la Convention un lien juridictionnel entre lui et ces personnes

150 Cela preacuteciseacute la Cour rappelle que les deacutecegraves en cause dans la preacutesente affaire sont survenus au cours de la peacuteriode

consideacutereacutee le 8 mai 2003 pour le fils du cinquiegraveme requeacuterant au mois daoucirct 2003 pour les fregraveres des premier et quatriegraveme requeacuterants au mois de septembre 2003 pour le fils du sixiegraveme requeacuterant et au mois de novembre 2003 pour les eacutepouses des deuxiegraveme

et troisiegraveme requeacuterants Il nest pas contesteacute que les deacutecegraves des proches des premier deuxiegraveme quatriegraveme cinquiegraveme et sixiegraveme

requeacuterants ont eacuteteacute causeacutes par le fait de soldats britanniques au cours ou dans le contexte dopeacuterations de seacutecuriteacute conduites par les forces britanniques agrave divers endroits de la ville de Bassorah Il sensuit quaux fins de larticle 1 de la Convention un lien juridictionnel

rattachait le Royaume-Uni aux deacutefunts dans tous ces cas Quant au troisiegraveme requeacuterant son eacutepouse a eacuteteacute tueacutee lors dune fusillade entre

une patrouille de soldats britanniques et des tireurs inconnus et on ignore lequel des deux camps a eacuteteacute agrave lorigine du coup fatal La Cour considegravere que le deacutecegraves eacutetant survenu au cours dune opeacuteration de seacutecuriteacute meneacutee par le Royaume-Uni dans le cadre de laquelle

des soldats britanniques qui patrouillaient agrave proximiteacute du domicile de linteacuteresseacute sont intervenus dans la fusillade mortelle il existait

eacutegalement un lien juridictionnel entre le Royaume-Uni et cette victime

915

II Le champ drsquoapplication temporel de la Convention europeacuteenne

Document ndeg4 CEDH Janowiec cRussie 21102013 extraits

136 A la suite de lrsquoarrecirct Šilih les principes reacutegissant la compeacutetence temporelle de la Cour srsquoagissant de lrsquoobligation laquo deacutetachable raquo deacutecoulant de lrsquoarticle 2 de la Convention drsquoenquecircter sur le deacutecegraves drsquoune personne ont eacuteteacute appliqueacutes dans un grand nombre drsquoaffaires

137 La masse de celles-ci peut ecirctre reacutepartie en diffeacuterents groupes dont le plus important est constitueacute drsquoaffaires dirigeacutees contre la Roumanie dans lesquelles eacutetait alleacutegueacutee lrsquoineffectiviteacute des investigations sur les deacutecegraves de manifestants au cours de la reacutevolution roumaine de deacutecembre 1989 Dans ces affaires la Cour srsquoest deacuteclareacutee compeacutetente pour connaicirctre des griefs au motif que agrave la date de lrsquoentreacutee en vigueur de la Convention agrave lrsquoeacutegard de la Roumanie les proceacutedures eacutetaient toujours en cours devant le parquet (Association laquo 21 Deacutecembre 1989 raquo et autres c Roumanie nos 3381007 et 1881708 24 mai 2011 Pastor et Ţiclete c Roumanie nos 3091106 et 4096706 19 avril 2011 Lăpuşan et autres c Roumanie nos 2900706 3055206 3132306 3192006 3448506 3896006 3899606 3902706 et 3906706 8 mars 2011 Şandru et autres c Roumanie no 2246503 8 deacutecembre 2009 et Agache et autres c Roumanie no 271202 20 octobre 2009) Elle a statueacute de maniegravere analogue dans deux affaires posteacuterieures qui avaient pour objet des incidents violents survenus en juin 1990 (Mocanu et autres c Roumanie nos 1086509 4588607 et 3243108 13 novembre 2012) et en septembre 1991 (Crăiniceanu et Frumuşanu c Roumanie no 1244204 24 avril 2012)

138 Dans drsquoautres affaires reacutecentes ndash agrave lrsquoexception de lrsquoaffaire Tuna c Turquie qui avait pour origine un deacutecegraves en garde agrave vue survenu environ sept ans avant la reconnaissance par la Turquie du droit de recours individuel (Tuna c Turquie no 2233903 sectsect 57-63 19 janvier 2010) ndash ougrave il nrsquoeacutetait pas alleacutegueacute que le deacutecegraves en question eacutetait la conseacutequence de quelconques actes drsquoagents de lrsquoEtat le deacutecegraves preacuteceacutedait de un agrave quatre ans la date drsquoentreacutee en vigueur et une part importante de la proceacutedure avait eacuteteacute conduite apregraves cette date (Kudra c Croatie no 1390407 sectsect 110-112 18 deacutecembre 2012 quatre ans deacutecegraves accidentel causeacute par la neacutegligence drsquoune socieacuteteacute priveacutee Igor Shevchenko c Ukraine no2273704 sectsect 45-48 12 janvier 2012 trois ans accident de la circulation Bajić c Croatie no 4110810 sect 62 13 novembre 2012 quatre ans erreur meacutedicale Dimovi c Bulgarie no 5274407 sectsect 36-45 6 novembre 2012 trois ans deacutecegraves causeacute par un incendie Velcea et Mazăre c Roumanie no 6430101 sectsect 85-88 1er deacutecembre 2009 un an dispute familiale Trufin c Roumanie no 399004 sectsect 32-34 20 octobre 2009 deux ans meurtre et Lyubov Efimenko c Ukraine no 7572601 sect 65 25 novembre 2010 quatre ans vol agrave main armeacutee et meurtre) Dans deux affaires le fait que des insurgeacutes ou des formations paramilitaires eussent tueacute les proches des requeacuterants sept et six ans respectivement avant la date critique nrsquoa pas empecirccheacute la Cour de connaicirctre du fond du grief souleveacute sous lrsquoangle du volet proceacutedural de lrsquoarticle 2 (Paccedilacı et autres c Turquie no 306407 sectsect 64-66 8novembre 2011 et Jularić c Croatie no 2010606 sectsect 38 et 45-46 20 janvier 2011) La peacuteriode de treize ans ayant seacutepareacute le deacutecegraves du fils du requeacuterant dans une bagarre et lrsquoentreacutee en vigueur de la Convention agrave lrsquoeacutegard de la Serbie nrsquoa pas non plus eacuteteacute consideacutereacutee comme primant lrsquoimportance des actes de proceacutedure accomplis apregraves la date critique (Mladenović c Serbie no 109908 sectsect 38-40 22 mai 2012)

139 La Cour a eacutegalement statueacute sur un certain nombre drsquoaffaires dans lesquelles le requeacuterant disait avoir eacuteteacute victime drsquoun traitement prohibeacute par lrsquoarticle 3 de la Convention agrave un moment donneacute avant la date critique Elle a conclu qursquoelle avait compeacutetence pour veacuterifier le respect par lrsquoEtat deacutefendeur ndash pendant la peacuteriode posteacuterieure agrave lrsquoentreacutee en vigueur ndash de lrsquoarticle 3 sous son volet proceacutedural qui lui imposait de conduire une enquecircte effective respectivement dans un cas de brutaliteacutes policiegraveres (Yatsenko c Ukraine no 7534501 sect 40 16 feacutevrier 2012 et Stanimirović c Serbie no 2608806 sectsect 28-29 18 octobre 2011) dans un cas de viol (PM c Bulgarie no 4966907 sect 58 24 janvier 2012) et dans un cas de mauvais traitements infligeacutes par un particulier (Otašević c Serbie no 3219807 5 feacutevrier 2013)

3 Clarification des critegraveres eacutelaboreacutes dans lrsquoarrecirct Šilih

140 Malgreacute le nombre toujours croissant drsquoarrecircts dans lesquels la Cour statue sur sa compeacutetence ratione temporis en se fondant sur les critegraveres adopteacutes dans lrsquoarrecirct Šilih lrsquoapplication en pratique de ces derniers est parfois source drsquoincertitudes Une clarification est donc souhaitable

141 Les critegraveres exposeacutes aux paragraphes 162 et 163 de lrsquoarrecirct Šilih (repris au paragraphe 133 ci-dessus) peuvent se reacutesumer comme suit Premiegraverement dans le cas drsquoun deacutecegraves survenu avant la date critique seuls les actes et omissions de nature proceacutedurale posteacuterieurs agrave cette date relegravevent de la compeacutetence temporelle de la Cour Deuxiegravemement pour que lrsquoobligation proceacutedurale entre en jeu il doit exister un laquo lien veacuteritable raquo entre le deacutecegraves en tant que fait geacuteneacuterateur et lrsquoentreacutee en vigueur de la Convention Troisiegravemement un lien qui ne serait pas laquo veacuteritable raquo peut neacuteanmoins suffire agrave eacutetablir la compeacutetence de la Cour si sa prise en compte est neacutecessaire pour permettre de veacuterifier que les garanties offertes par la Convention et les valeurs qui la sous-tendent sont proteacutegeacutees de maniegravere reacuteelle et effective La Cour examinera tour agrave tour chacun de ces eacuteleacutements

a) Actes et omissions de nature proceacutedurale posteacuterieurs agrave lrsquoentreacutee en vigueur de la Convention

142 La Cour rappelle drsquoembleacutee que lrsquoenquecircte que requiert lrsquoarticle 2 sous son volet proceacutedural ne constitue pas un mode de redressement drsquoune violation alleacutegueacutee du droit agrave la vie qui a pu survenir avant la date critique La violation alleacutegueacutee de lrsquoobligation proceacutedurale a pour origine lrsquoabsence drsquoenquecircte effective lrsquoobligation proceacutedurale a son propre champ drsquoapplication et peut jouer indeacutependamment de lrsquoobligation mateacuterielle de lrsquoarticle 2 (arrecircts Varnava et autres sect 136 et Šilih sect 159 preacuteciteacutes) Degraves lors la compeacutetence temporelle de la Cour englobe les actes et omissions de nature proceacutedurale qui sont survenus ou auraient ducirc survenir apregraves lrsquoentreacutee en vigueur de la Convention agrave lrsquoeacutegard de lrsquoEtat deacutefendeur

143 La Cour considegravere en outre que par laquo actes de nature proceacutedurale raquo il faut entendre les actes inheacuterents agrave lrsquoobligation proceacutedurale deacutecoulant de lrsquoarticle 2 ou le cas eacutecheacuteant de lrsquoarticle 3 de la Convention crsquoest-agrave-dire les actes pris dans le cadre drsquoune proceacutedure peacutenale civile administrative ou disciplinaire susceptible de mener agrave lrsquoidentification et agrave la punition des responsables ou agrave lrsquoindemnisation de la partie leacuteseacutee (Labita c Italie [GC] no 2677295 sect 131 CEDH 2000-IV et McCann et autres c Royaume-Uni 27 septembre 1995 sect 161 seacuterie A no 324) Cette deacutefinition a pour effet drsquoexclure les autres types de deacutemarches pouvant ecirctre entreprises agrave drsquoautres fins par exemple pour eacutetablir une veacuteriteacute historique

1015

144 Les laquo omissions raquo visent les cas ougrave il nrsquoy a eu aucune enquecircte et ceux ougrave seuls des actes de proceacutedure insignifiants ont eacuteteacute effectueacutes mais ougrave il est alleacutegueacute qursquoune enquecircte effective aurait ducirc ecirctre meneacutee Degraves lors que se preacutesente une alleacutegation un moyen de preuve ou un eacuteleacutement drsquoinformation plausible et creacutedible qui pourrait permettre drsquoidentifier et au bout du compte drsquoinculper ou de punir les responsables les autoriteacutes sont tenues de prendre des mesures drsquoenquecircte (Gutieacuterrez Dorado et Dorado Ortiz c Espagne (deacutec) no 3014109 sectsect 39-41 27 mars 2012 Ccedilakir et autres c Chypre (deacutec) no 786406 29 avril 2010 et Brecknell preacuteciteacute sectsect 66-72) Si vient agrave surgir posteacuterieurement agrave lrsquoentreacutee en vigueur un eacuteleacutement nouveau suffisamment important et deacuteterminant pour justifier lrsquoouverture drsquoune nouvelle instance la Cour devra srsquoassurer que lrsquoEtat deacutefendeur srsquoest acquitteacute de lrsquoobligation proceacutedurale que lui impose lrsquoarticle 2 drsquoune maniegravere compatible avec les principes eacutenonceacutes dans sa jurisprudence Toutefois si le fait geacuteneacuterateur eacutechappe agrave la compeacutetence temporelle de la Cour la deacutecouverte drsquoeacuteleacutements nouveaux apregraves la date critique ne pourra faire renaicirctre lrsquoobligation drsquoenquecircter que si le critegravere du laquo lien veacuteritable raquo ou celui des laquo valeurs de la Convention raquo (voir ci-dessous) a eacuteteacute satisfait

b) Le critegravere du laquo lien veacuteritable raquo

145 La premiegravere phrase du paragraphe 163 de lrsquoarrecirct Šilih pose que lrsquoexistence drsquoun laquo lien veacuteritable raquo entre le fait geacuteneacuterateur et lrsquoentreacutee en vigueur de la Convention agrave lrsquoeacutegard de lrsquoEtat deacutefendeur est une condition sine qua non pour que lrsquoobligation proceacutedurale deacutecoulant de lrsquoarticle 2 de la Convention devienne applicable

146 La Cour considegravere que lrsquoeacuteleacutement temporel est le premier et le plus important des indicateurs lorsqursquoil srsquoagit drsquoeacutetablir le caractegravere laquo veacuteritable raquo du lien A lrsquoinstar de la chambre dans son arrecirct elle ajoute que pour qursquoil y ait un laquo lien veacuteritable raquo le laps de temps eacutecouleacute entre le fait geacuteneacuterateur et la date critique doit demeurer relativement bref Bien qursquoil nrsquoexiste en droit aucun critegravere apparent permettant de deacutefinir la limite absolue de ce deacutelai celui-ci ne devrait pas exceacuteder dix ans (voir par analogie Varnava et autres preacuteciteacute sect 166 et Er et autres c Turquie no 2301604 sectsect 59-60 31 juillet 2012) A supposer mecircme que en raison de circonstances exceptionnelles il soit justifieacute de faire remonter ce deacutelai encore plus loin dans le passeacute il faudra qursquoil soit satisfait au critegravere des laquo valeurs de la Convention raquo

147 Toutefois la dureacutee du deacutelai qui seacutepare le fait geacuteneacuterateur de la date critique nrsquoest pas deacutecisive en elle-mecircme pour deacuteterminer si le lien est laquo veacuteritable raquo Comme lrsquoindique la deuxiegraveme phrase du paragraphe 163 de lrsquoarrecirct Šilih le lien sera eacutetabli si lrsquoessentiel de lrsquoenquecircte sur le deacutecegraves a eu lieu ou aurait ducirc avoir lieu posteacuterieurement agrave lrsquoentreacutee en vigueur de la Convention Cela englobe la conduite drsquoune proceacutedure visant agrave eacutetablir la cause du deacutecegraves et agrave faire reacutepondre les responsables de leurs actes ainsi que lrsquoadoption drsquoune part importante des mesures proceacutedurales essentielles au deacuteroulement de lrsquoenquecircte Il srsquoagit drsquoun corollaire au principe voulant que la Cour nrsquoait compeacutetence qursquoagrave lrsquoeacutegard des actes et omissions de nature proceacutedurale posteacuterieurs agrave la date drsquoentreacutee en vigueur Si toutefois la majeure partie de la proceacutedure ou les mesures proceacutedurales les plus importantes sont anteacuterieures agrave cette date la capaciteacute de la Cour agrave appreacutecier globalement lrsquoeffectiviteacute de lrsquoenquecircte agrave lrsquoaune des exigences proceacutedurales de lrsquoarticle 2 de la Convention peut srsquoen trouver irreacutemeacutediablement amoindrie

148 Eu eacutegard agrave ce qui preacutecegravede la Cour conclut que pour qursquoun laquo lien veacuteritable raquo puisse ecirctre eacutetabli il doit ecirctre satisfait aux deux critegraveres le deacutelai entre le deacutecegraves en tant que fait geacuteneacuterateur et lrsquoentreacutee en vigueur de la Convention doit avoir eacuteteacute relativement bref et la majeure partie de lrsquoenquecircte doit avoir eacuteteacute conduite ou aurait ducirc lrsquoecirctre apregraves lrsquoentreacutee en vigueur

c) Le critegravere des laquo valeurs de la Convention raquo

149 La Cour admet par ailleurs qursquoil peut exister des situations extraordinaires ne satisfaisant pas au critegravere du laquo lien veacuteritable raquo tel qursquoexposeacute ci-dessus mais ougrave la neacutecessiteacute de proteacuteger de maniegravere reacuteelle et effective les garanties offertes par la Convention et les valeurs qui la sous-tendent constitue un fondement suffisant pour reconnaicirctre lrsquoexistence drsquoun lien La derniegravere phrase du paragraphe 163 de lrsquoarrecirct Šilih nrsquoexclut pas cette eacuteventualiteacute qui constituerait alors une exception agrave la regravegle geacuteneacuterale que repreacutesente le critegravere du laquo lien veacuteritable raquo Dans toutes les affaires preacuteciteacutees la Cour a admis lrsquoexistence drsquoun laquo lien veacuteritable raquo parce que le laps de temps eacutecouleacute entre le deacutecegraves et la date critique eacutetait relativement bref et qursquoune part consideacuterable de la proceacutedure avait eacuteteacute conduite apregraves cette date La preacutesente affaire est donc la premiegravere agrave pouvoir relever de cette autre cateacutegorie agrave caractegravere exceptionnel Aussi la Cour doit-elle expliciter les modaliteacutes drsquoapplication du critegravere des laquo valeurs de la Convention raquo

150 A lrsquoinstar de la chambre la Grande Chambre estime que le renvoi aux valeurs qui sous-tendent la Convention signifie que lrsquoexistence du lien requis peut ecirctre constateacutee si le fait geacuteneacuterateur revecirct une dimension plus large qursquoune infraction peacutenale ordinaire et constitue la neacutegation des fondements mecircmes de la Convention Tel serait le cas de graves crimes de droit international tels que les crimes de guerre le geacutenocide ou les crimes contre lrsquohumaniteacute conformeacutement aux deacutefinitions qursquoen donnent les instruments internationaux pertinents

151 Le caractegravere odieux et la graviteacute de pareils crimes ont pousseacute les parties agrave la Convention sur lrsquoimprescriptibiliteacute des crimes de guerre et des crimes contre lrsquohumaniteacute agrave consideacuterer que ces infractions doivent ecirctre imprescriptibles et que les prescriptions qui existeraient en la matiegravere dans leur ordre juridique interne doivent ecirctre abolies La Cour considegravere neacuteanmoins que le critegravere des laquo valeurs de la Convention raquo ne peut pas srsquoappliquer agrave des eacuteveacutenements anteacuterieurs agrave lrsquoadoption de la Convention le 4 novembre 1950 car crsquoest seulement agrave cette date que celle-ci a commenceacute agrave exister en tant qursquoinstrument international de protection des droits de lrsquohomme Degraves lors la responsabiliteacute sur le terrain de la Convention drsquoune Partie agrave celle-ci ne peut pas ecirctre engageacutee pour la non-reacutealisation drsquoune enquecircte sur un crime de droit international fucirct-il le plus abominable si celui-ci est anteacuterieur agrave la Convention Bien qursquoelle soit sensible agrave lrsquoargument selon lequel mecircme aujourdrsquohui certains pays ont reacuteussi agrave juger des responsables de crimes de guerre commis au cours de la Deuxiegraveme Guerre mondiale la Cour souligne la diffeacuterence fondamentale qui existe entre la possibiliteacute de poursuivre une personne pour un grave crime de droit international si les circonstances le permettent et lrsquoobligation de le faire au regard de la Convention

III La theacuteorie des obligations positives

Document ndeg5 CEDH Airey c Irlande 9101979 extraits

1115

24 Selon le Gouvernement la requeacuterante a bien accegraves agrave la High Court puisqursquoil lui est loisible de srsquoadresser agrave elle sans

lrsquoassistance drsquoun homme de loi

La Cour ne considegravere pas cette ressource comme deacutecisive en soi La Convention a pour but de proteacuteger des droits non pas

theacuteoriques ou illusoires mais concrets et effectifs (voir mutatis mutandis lrsquoarrecirct du 23 juillet 1968 en lrsquoaffaire linguistique belge

seacuterie A no 6 p 31 paras 3 in fine et 4 lrsquoarrecirct Golder preacuteciteacute p 18 par 35 in fine lrsquoarrecirct Luedicke Belkacem et Koccedil du 28 novembre 1978 seacuterie A no 29 pp 17-18 par 42 lrsquoarrecirct Marckx du 13 juin 1979 seacuterie A no 31 p 15 par 31) La remarque vaut en

particulier pour le droit drsquoaccegraves aux tribunaux eu eacutegard agrave la place eacuteminente que le droit agrave un procegraves eacutequitable occupe dans une socieacuteteacute

deacutemocratique (cf mutatis mutandis lrsquoarrecirct Delcourt du 17 janvier 1970 seacuterie A no 11 pp 14-15 par 25) Il faut donc rechercher si la comparution devant la High Court sans lrsquoassistance drsquoun conseil serait efficace en ce sens que Mme Airey pourrait preacutesenter ses

arguments de maniegravere adeacutequate et satisfaisante

Gouvernement et Commission ont exposeacute agrave ce sujet des vues contradictoires lors des audiences La Cour estime certain que la requeacuterante se trouverait deacutesavantageacutee si son eacutepoux eacutetait repreacutesenteacute par un homme de loi et elle non En dehors mecircme de cette

hypothegravese elle ne croit pas reacutealiste de penser que lrsquointeacuteresseacutee pourrait deacutefendre utilement sa cause dans un tel litige malgreacute lrsquoaide que

le juge - le Gouvernement le souligne - precircte aux parties agissant en personne

En Irlande un jugement de seacuteparation de corps ne srsquoobtient pas devant un tribunal drsquoarrondissement ougrave la proceacutedure est

relativement simple mais devant la High Court Un speacutecialiste du droit irlandais de la famille M Alan J Shatter voit dans cette

juridiction la moins accessible de toutes en raison non seulement du niveau fort eacuteleveacute des honoraires agrave verser pour srsquoy faire repreacutesenter mais aussi de la complexiteacute de la proceacutedure agrave suivre pour introduire une action en particulier sur requecircte (petition)

comme ici (Family Law in the Republic of Ireland Dublin 1977 p 21)

En outre pareil procegraves indeacutependamment des problegravemes juridiques deacutelicats qursquoil comporte exige la preuve drsquoun adultegravere de pratiques contre nature ou comme en lrsquooccurrence de cruauteacute pour eacutetablir les faits il peu y avoir lieu de recueillir la deacuteposition

drsquoexperts de rechercher des teacutemoins de les citer et de les interroger De surcroicirct les diffeacuterends entre conjoints suscitent souvent une

passion peu compatible avec le degreacute drsquoobjectiviteacute indispensable pour plaider en justice

Pour ces motifs la Cour estime tregraves improbable qursquoune personne dans la situation de Mme Airey (paragraphe 8 ci-dessus)

puisse deacutefendre utilement sa propre cause Les reacuteponses du Gouvernement aux questions de la Cour corroborent cette opinion elles

reacutevegravelent que dans chacune des 255 instances en seacuteparation de corps engageacutees en Irlande de janvier 1972 agrave deacutecembre 1978 sans exception un homme de loi repreacutesentait le demandeur (paragraphe 11 ci-dessus)

La Cour en deacuteduit que la possibiliteacute de comparaicirctre en personne devant la High Court nrsquooffre pas agrave la requeacuterante un droit effectif drsquoaccegraves et partant ne constitue pas non plus un recours interne dont lrsquoarticle 26 (art 26) exige lrsquoeacutepuisement (paragraphe 19 b)

ci-dessus)

25 Le Gouvernement essaie de diffeacuterencier la preacutesente espegravece de lrsquoaffaire Golder Dans cette derniegravere souligne-t-il le requeacuterant avait eacuteteacute empecirccheacute de saisir un tribunal par un obstacle positif dresseacute sur son chemin par lrsquoEacutetat le ministre de lrsquointeacuterieur lui

avait interdit de consulter un avocat Ici au contraire il nrsquoexisterait de la part de lrsquoEacutetat ni obstacle positif ni tentative drsquoentrave le

deacutefaut alleacutegueacute drsquoaccegraves agrave la justice ne deacutecoulerait drsquoaucune initiative des autoriteacutes mais uniquement de la situation personnelle de Mme Airey dont on ne saurait tenir lrsquoIrlande pour responsable sur le terrain de la Convention

Cette dissemblance entre les circonstances des deux causes est indeacuteniable mais la Cour nrsquoapprouve pas la conclusion qursquoen

tire le Gouvernement Tout drsquoabord un obstacle de fait peut enfreindre la Convention agrave lrsquoeacutegal drsquoun obstacle juridique (arrecirct Golder preacuteciteacute p 13 par 26) En outre lrsquoexeacutecution drsquoun engagement assumeacute en vertu de la Convention appelle parfois des mesures positives

de lrsquoEacutetat en pareil cas celui-ci ne saurait se borner agrave demeurer passif et il nrsquoy a () pas lieu de distinguer entre actes et omissions

(voir mutatis mutandis lrsquoarrecirct Marckx preacuteciteacute p 15 par 31 et lrsquoarrecirct De Wilde Ooms et Versyp du 10 mars 1972 seacuterie A no 14 p 10 par 22) Or lrsquoobligation drsquoassurer un droit effectif drsquoaccegraves agrave la justice se range dans cette cateacutegorie drsquoengagements

26 Le Gouvernement appuie son argument principal sur ce qursquoil considegravere comme les conseacutequences de lrsquoavis de la

Commission dans chaque contestation relative agrave un droit de caractegravere civil lrsquoEacutetat devrait fournir une aide judiciaire gratuite Or la

seule clause de la Convention qui reacutegisse expresseacutement cette derniegravere question lrsquoarticle 6 par 3 c) (art 6-3-c) concerne les

proceacutedures peacutenales et srsquoaccompagne elle-mecircme de restrictions au surplus drsquoapregraves la jurisprudence constante de la Commission nul

droit agrave une aide judiciaire gratuite ne se trouve en soi garanti par lrsquoarticle 6 par 1 (art 6-1) En ratifiant la Convention ajoute le Gouvernement lrsquoIrlande a formuleacute une reacuteserve agrave lrsquoarticle 6 par 3 c) (art 6-3-c) pour reacuteduire ses obligations dans le domaine de lrsquoaide

judiciaire en matiegravere peacutenale a fortiori on ne saurait selon lui preacutetendre qursquoelle ait tacitement accepteacute drsquooctroyer une aide judiciaire

illimiteacutee dans les litiges civils Enfin il ne faut pas drsquoapregraves lui interpreacuteter la Convention de maniegravere agrave reacutealiser dans un Eacutetat contractant des progregraves eacuteconomiques et sociaux ils ne peuvent ecirctre que graduels

La Cour nrsquoignore pas que le deacuteveloppement des droits eacuteconomiques et sociaux deacutepend beaucoup de la situation des Eacutetats et

notamment de leurs finances Drsquoun autre cocircteacute la Convention doit se lire agrave la lumiegravere des conditions de vie drsquoaujourdrsquohui (arrecirct Marckx preacuteciteacute p 19 par 41) et agrave lrsquointeacuterieur de son champ drsquoapplication elle tend agrave une protection reacuteelle et concregravete de lrsquoindividu

(paragraphe 24 ci-dessus) Or si elle eacutenonce pour lrsquoessentiel des droits civils et politiques nombre drsquoentre eux ont des prolongements

drsquoordre eacuteconomique ou social Avec la Commission la Cour nrsquoestime donc pas devoir eacutecarter telle ou telle interpreacutetation pour le simple motif qursquoagrave lrsquoadopter on risquerait drsquoempieacuteter sur la sphegravere des droits eacuteconomiques et sociaux nulle cloison eacutetanche ne seacutepare

celle-ci du domaine de la Convention

La Cour ne partage pas davantage lrsquoopinion du Gouvernement sur les conseacutequences de lrsquoavis de la Commission

On aurait tort de geacuteneacuteraliser la conclusion selon laquelle la possibiliteacute de comparaicirctre en personne devant la High Court

nrsquooffre pas agrave Mme Airey un droit effectif drsquoaccegraves elle ne vaut pas pour tous les cas concernant des droits et obligations de caractegravere

civil ni pour tous les inteacuteresseacutes Dans certaines hypothegraveses la faculteacute de se preacutesenter devant une juridiction fucirct-ce sans lrsquoassistance drsquoun conseil reacutepond aux exigences de lrsquoarticle 6 par 1 (art 6-1) il se peut qursquoelle assure parfois un accegraves reacuteel mecircme agrave la High Court

En veacuteriteacute les circonstances jouent ici un rocircle important

En outre lrsquoarticle 6 par 1 (art 6-1) srsquoil garantit aux plaideurs un droit effectif drsquoaccegraves aux tribunaux pour les deacutecisions relatives agrave leurs droits et obligations de caractegravere civil laisse agrave lrsquoEacutetat le choix des moyens agrave employer agrave cette fin Lrsquoinstauration drsquoun

systegraveme drsquoaide judiciaire - envisageacutee agrave preacutesent par lrsquoIrlande pour les affaires ressortissant au droit de la famille (paragraphe 11 ci-

1215

dessus) - en constitue un mais il y en a drsquoautres par exemple une simplification de la proceacutedure Quoi qursquoil en soit il nrsquoappartient pas

agrave la Cour de dicter les mesures agrave prendre ni mecircme de les indiquer la Convention se borne agrave exiger que lrsquoindividu jouisse de son droit effectif drsquoaccegraves agrave la justice selon des modaliteacutes non contraires agrave lrsquoarticle 6 par 1 (art 6-1) (voir mutatis mutandis lrsquoarrecirct Syndicat

national de la police belge du 27 octobre 1975 seacuterie A no 19 p 18 par 39 et lrsquoarrecirct Marckx preacuteciteacute p 15 par 31)

La conclusion figurant agrave la fin du paragraphe 24 ci-dessus nrsquoimplique donc pas que lrsquoEacutetat doive fournir une aide judiciaire gratuite dans toute contestation touchant un droit de caractegravere civil

Affirmer lrsquoexistence drsquoune obligation aussi eacutetendue la Cour lrsquoadmet se concilierait mal avec la circonstance que la

Convention ne renferme aucune clause sur lrsquoaide judiciaire pour ces derniegraveres contestations son article 6 par 3 c) (art 6-3-c) ne traitant que de la matiegravere peacutenale Cependant malgreacute lrsquoabsence drsquoun texte analogue pour les procegraves civils lrsquoarticle 6 par 1 (art 6-1)

peut parfois astreindre lrsquoEacutetat agrave pourvoir agrave lrsquoassistance drsquoun membre du barreau quand elle se reacutevegravele indispensable agrave un accegraves effectif

au juge soit parce que la loi prescrit la repreacutesentation par un avocat comme la leacutegislation nationale de certains Eacutetats contractants le fait pour diverses cateacutegories de litiges soit en raison de la complexiteacute de la proceacutedure ou de la cause

Quant agrave la reacuteserve irlandaise agrave lrsquoarticle 6 par 3 c) (art 6-3-c) on ne saurait lrsquointerpreacuteter de telle sorte qursquoelle influerait sur

les engagements reacutesultant de lrsquoarticle 6 par 1 (art 6-1) partant elle nrsquoentre pas ici en ligne de compte

28 La Cour constate ainsi agrave la lumiegravere de lrsquoensemble des circonstances de la cause que Mme Airey nrsquoa pas beacuteneacuteficieacute drsquoun

droit drsquoaccegraves effectif agrave la High Court pour demander un jugement de seacuteparation de corps Partant il y a eu violation de lrsquoarticle 6 par

1 (art 6-1)

32 Aux yeux de la Cour Mme Airey ne saurait passer pour avoir subi de la part de lrsquoIrlande une ingeacuterence dans sa vie

priveacutee ou familiale elle se plaint en substance non drsquoun acte mais de lrsquoinaction de lrsquoEacutetat Toutefois si lrsquoarticle 8 (art 8) a

essentiellement pour objet de preacutemunir lrsquoindividu contre des ingeacuterences arbitraires des pouvoirs publics il ne se contente pas drsquoastreindre lrsquoEacutetat agrave srsquoabstenir de pareilles ingeacuterences agrave cet engagement plutocirct neacutegatif peuvent srsquoajouter des obligations positives

inheacuterentes agrave un respect effectif de la vie priveacutee ou familiale (arrecirct Marckx preacuteciteacute p 15 par 31)

33 Le droit irlandais regravegle cette derniegravere sous beaucoup drsquoaspects Au sujet de mariage il prescrit en principe aux eacutepoux de cohabiter mais il leur accorde dans certains cas le droit de demander un jugement de seacuteparation de corps Par lagrave mecircme il reconnaicirct

que la protection de leur vie priveacutee ou familiale exige parfois de les relever de ce devoir

Un respect effectif de la vie priveacutee ou familiale impose agrave lrsquoIrlande de rendre ce moyen effectivement accessible quand il y a lieu agrave quiconque deacutesire lrsquoemployer Or la requeacuterante nrsquoy a pas eu effectivement accegraves nrsquoayant pas eacuteteacute mise en mesure de saisir la

High Court (paragraphes 20 agrave 28 ci-dessus) elle nrsquoa pu reacuteclamer la conseacutecration juridique de sa seacuteparation de fait drsquoavec son mari Elle a donc eacuteteacute victime drsquoune violation de lrsquoarticle 8 (art 8)

Document ndeg 6 CEDH Lopez Ostra c Espagne 9 Deacutecembre 1994 extraits

51 Il va pourtant de soi que des atteintes graves agrave lrsquoenvironnement peuvent affecter le bien-ecirctre drsquoune personne et la priver

de la jouissance de son domicile de maniegravere agrave nuire agrave sa vie priveacutee et familiale sans pour autant mettre en grave danger la santeacute de lrsquointeacuteresseacutee

Que lrsquoon aborde la question sous lrsquoangle drsquoune obligation positive de lrsquoEtat - adopter des mesures raisonnables et adeacutequates

pour proteacuteger les droits de lrsquoindividu en vertu du paragraphe 1 de lrsquoarticle 8 (art 8-1) - comme le souhaite dans son cas la requeacuterante ou sous celui drsquoune ingeacuterence drsquoune autoriteacute publique agrave justifier selon le paragraphe 2 (art 8-2) les principes applicables sont assez

voisins Dans les deux cas il faut avoir eacutegard au juste eacutequilibre agrave meacutenager entre les inteacuterecircts concurrents de lrsquoindividu et de la socieacuteteacute

dans son ensemble lrsquoEtat jouissant en toute hypothegravese drsquoune certaine marge drsquoappreacuteciation En outre mecircme pour les obligations positives reacutesultant du paragraphe 1 (art 8-1) les objectifs eacutenumeacutereacutes au paragraphe 2 (art 8-2) peuvent jouer un certain rocircle dans la

recherche de lrsquoeacutequilibre voulu (voir notamment les arrecircts Rees c Royaume-Uni du 17 octobre 1986 seacuterie A no 106 p 15 par 37 et

Powell et Rayner c Royaume-Uni du 21 feacutevrier 1990 seacuterie A no 172 p 18 par 41)

52 Il ressort du dossier que la station drsquoeacutepuration litigieuse fut construite en juillet 1988 par SACURSA pour reacutesoudre un

grave problegraveme de pollution existant agrave Lorca agrave cause de la concentration de tanneries Or degraves son entreacutee en service elle provoqua des

nuisances et troubles de santeacute chez de nombreux habitants (paragraphes 7 et 8 ci-dessus)

Certes les autoriteacutes espagnoles et notamment la municipaliteacute de Lorca nrsquoeacutetaient pas en principe directement responsables

des eacutemanations dont il srsquoagit Toutefois comme le signale la Commission la ville permit lrsquoinstallation de la station sur des terrains lui

appartenant et lrsquoEtat octroya une subvention pour sa construction (paragraphe 7 ci-dessus)

53 Le conseil municipal reacuteagit avec ceacuteleacuteriteacute en relogeant gratuitement au centre ville pendant les mois de juillet aoucirct et

septembre 1988 les reacutesidents affecteacutes puis en closant lrsquoune des activiteacutes de la station agrave partir du 9 septembre (paragraphes 8 et 9 ci-

dessus) Cependant ses membres ne pouvaient ignorer que les problegravemes drsquoenvironnement persistegraverent apregraves cette clocircture partielle (paragraphes 9 et 11 ci-dessus) Cela fut drsquoailleurs corroboreacute degraves le 19 janvier 1989 par le rapport de lrsquoAgence reacutegionale pour

lrsquoenvironnement et la nature puis confirmeacute par des expertises en 1991 1992 et 1993 (paragraphes 11 et 18 ci-dessus)

54 Drsquoapregraves Mme Loacutepez Ostra les pouvoirs geacuteneacuteraux de police attribueacutes agrave la municipaliteacute par le regraveglement de 1961 obligeaient ladite municipaliteacute agrave agir En outre la station ne reacuteunissait pas les conditions requises par la loi notamment en ce qui

concernait son emplacement et lrsquoabsence de permis municipal (paragraphes 8 27 et 28 ci-dessus)

55 Sur ce point la Cour rappelle que la question de la leacutegaliteacute de lrsquoinstallation et du fonctionnement de la station demeure pendante devant le Tribunal suprecircme depuis 1991 (paragraphe 16 ci-dessus) Or drsquoapregraves sa jurisprudence constante il incombe au

premier chef aux autoriteacutes nationales et speacutecialement aux cours et tribunaux drsquointerpreacuteter et drsquoappliquer le droit interne (voir entre autres lrsquoarrecirct Casado Coca c Espagne du 24 feacutevrier 1994 seacuterie A no 285-A p 18 par 43)

De toute maniegravere la Cour estime qursquoen lrsquooccurrence il lui suffit de rechercher si agrave supposer mecircme que la municipaliteacute se

soit acquitteacutee des tacircches qui lui revenaient drsquoapregraves le droit interne (paragraphes 27-28 ci-dessus) les autoriteacutes nationales ont pris les mesures neacutecessaires pour proteacuteger le droit de la requeacuterante au respect de son domicile ainsi que de sa vie priveacutee et familiale garanti par

lrsquoarticle 8 (art 8) (voir entre autres mutatis mutandis lrsquoarrecirct X et Y c Pays-Bas du 26 mars 1985 seacuterie A no 91 p 11 par 23)

1315

56 Il eacutechet de constater que non seulement la municipaliteacute nrsquoa pas pris apregraves le 9 septembre 1988 des mesures agrave cette fin

mais aussi qursquoelle a contrecarreacute des deacutecisions judiciaires allant dans ce sens Ainsi dans la proceacutedure ordinaire entameacutee par les belles-soeurs de Mme Loacutepez Ostra elle a interjeteacute appel contre la deacutecision du Tribunal supeacuterieur de Murcie du 18 septembre 1991 ordonnant

la fermeture provisoire de la station de sorte que cette mesure resta en suspens (paragraphe 16 ci-dessus)

Drsquoautres organes de lrsquoEtat ont aussi contribueacute agrave prolonger la situation Ainsi le ministegravere public attaqua le 19 novembre 1991 la deacutecision de fermeture provisoire prise par le juge drsquoinstruction de Lorca le 15 dans le cadre des poursuites pour deacutelit

eacutecologique (paragraphe 17 ci-dessus) si bien que la mesure est resteacutee inexeacutecuteacutee jusqursquoau 27 octobre 1993 (paragraphe 22 ci-dessus)

57 Le Gouvernement rappelle que la ville a assumeacute les frais de location drsquoun appartement au centre de Lorca que la requeacuterante et sa famille ont occupeacute du 1er feacutevrier 1992 jusqursquoen feacutevrier 1993 (paragraphe 21 ci-dessus)

La Cour note cependant que les inteacuteresseacutes ont ducirc subir pendant plus de trois ans les nuisances causeacutees par la station avant

de deacutemeacutenager avec les inconveacutenients que cela comporte Ils ne lrsquoont fait que lorsqursquoil apparut que la situation pouvait se prolonger indeacutefiniment et sur prescription du peacutediatre de la fille de Mme Loacutepez Ostra (paragraphes 16 17 et 19 ci-dessus) Dans ces conditions

lrsquooffre de la municipaliteacute ne pouvait pas effacer complegravetement les nuisances et inconveacutenients veacutecus

58 Compte tenu de ce qui preacutecegravede - et malgreacute la marge drsquoappreacuteciation reconnue agrave lrsquoEtat deacutefendeur - la Cour estime que

celui-ci nrsquoa pas su meacutenager un juste eacutequilibre entre lrsquointeacuterecirct du bien-ecirctre eacuteconomique de la ville de Lorca - celui de disposer drsquoune

station drsquoeacutepuration - et la jouissance effective par la requeacuterante du droit au respect de son domicile et de sa vie priveacutee et familiale

Il y a donc eu violation de lrsquoarticle 8 (art 8)

Document ndeg7 Soering c Royaume-Uni 07071989 extraits

I SUR LA VIOLATION ALLEacuteGUEacuteE DE LrsquoARTICLE 3 (art 3)

80 Selon le requeacuterant la deacutecision du ministre de lrsquoInteacuterieur de le livrer aux autoriteacutes des Eacutetats-Unis drsquoAmeacuterique entraicircnera si elle reccediloit exeacutecution un manquement du Royaume-Uni aux exigences de lrsquoarticle 3 (art 3) de la Convention ainsi

libelleacute

Nul ne peut ecirctre soumis agrave la torture ni agrave des peines ou traitements inhumains ou deacutegradants

A Applicabiliteacute de lrsquoarticle 3 (art 3) en matiegravere drsquoextradition

81 La violation alleacutegueacutee consisterait agrave exposer M Soering au syndrome du couloir de la mort (death row

phenomenon) On peut deacutecrire celui-ci comme une combinaison de circonstances dans lesquelles lrsquointeacuteresseacute devrait vivre si une fois extradeacute en Virginie pour y reacutepondre drsquoune accusation drsquoassassinats passibles de la peine capitale il se voyait condamner agrave mort

82 [hellip] la Commission rappelle que drsquoapregraves sa jurisprudence une expulsion ou extradition peut soulever un problegraveme au

regard de lrsquoarticle 3 (art 3) de la Convention srsquoil existe des raisons seacuterieuses de croire que la personne en cause subira dans lrsquoEacutetat de destination un traitement contraire agrave ce texte

[hellip]

84 La Cour abordera le problegraveme sur la base des consideacuterations suivantes

[hellip]

86 Lrsquoarticle 1 (art 1) aux termes duquel les Hautes Parties Contractantes reconnaissent agrave toute personne relevant de leur

juridiction les droits et liberteacutes deacutefinis au Titre I fixe une limite notamment territoriale au domaine de la Convention En particulier lrsquoengagement des Eacutetats contractants se borne agrave reconnaicirctre (en anglais to secure) aux personnes relevant de leur juridiction les

droits et liberteacutes eacutenumeacutereacutes En outre la Convention ne reacutegit pas les actes drsquoun Eacutetat tiers ni ne preacutetend exiger des Parties contractantes

qursquoelles imposent ses normes agrave pareil Eacutetat Lrsquoarticle 1 (art 1) ne saurait srsquointerpreacuteter comme consacrant un principe geacuteneacuteral selon

lequel un Eacutetat contractant nonobstant ses obligations en matiegravere drsquoextradition ne peut livrer un individu sans se convaincre que les

conditions escompteacutees dans le pays de destination cadrent pleinement avec chacune des garanties de la Convention En reacutealiteacute le

gouvernement britannique le souligne avec raison en deacuteterminant le champ drsquoapplication de la Convention et speacutecialement de lrsquoarticle 3 (art 3) on ne saurait oublier lrsquoobjectif beacuteneacutefique de lrsquoextradition empecirccher des deacutelinquants en fuite de se soustraire agrave la

justice

[hellip]

87 La Convention doit se lire en fonction de son caractegravere speacutecifique de traiteacute de garantie collective des droits de

lrsquohomme et des liberteacutes fondamentales (hellip) Lrsquoobjet et le but de cet instrument de protection des ecirctres humains appellent agrave comprendre

et appliquer ses dispositions drsquoune maniegravere qui en rende les exigences concregravetes et effectives (hellip) En outre toute interpreacutetation des droits et liberteacutes eacutenumeacutereacutes doit se concilier avec lrsquoesprit geacuteneacuteral [de la Convention] destineacutee agrave sauvegarder et promouvoir les ideacuteaux

et valeurs drsquoune socieacuteteacute deacutemocratique (hellip)

88 Lrsquoarticle 3 (art 3) ne meacutenage aucune exception et lrsquoarticle 15 (art 15) ne permet pas drsquoy deacuteroger en temps de guerre ou autre danger national Cette prohibition absolue par la Convention de la torture et des peines ou traitements inhumains ou

deacutegradants montre que lrsquoarticle 3 (art 3) consacre lrsquoune des valeurs fondamentales des socieacuteteacutes deacutemocratiques qui forment le Conseil

de lrsquoEurope

Reste agrave savoir si lrsquoextradition drsquoun fugitif vers un autre Eacutetat ougrave il subira ou risquera de subir la torture ou des peines ou

traitements inhumains ou deacutegradants engage par elle-mecircme la responsabiliteacute drsquoun Eacutetat contractant sur le terrain de lrsquoarticle 3 (art

3)(hellip) Un Eacutetat contractant se conduirait drsquoune maniegravere incompatible avec les valeurs sous-jacentes agrave la Convention ce patrimoine commun drsquoideacuteal et de traditions politiques de respect de la liberteacute et de preacuteeacuteminence du droit auquel se reacutefegravere le Preacuteambule srsquoil

remettait consciemment un fugitif - pour odieux que puisse ecirctre le crime reprocheacute - agrave un autre Eacutetat ougrave il existe des motifs seacuterieux de penser qursquoun danger de torture menace lrsquointeacuteresseacute Malgreacute lrsquoabsence de mention expresse dans le texte bref et geacuteneacuteral de lrsquoarticle 3

(art 3) pareille extradition irait manifestement agrave lrsquoencontre de lrsquoesprit de ce dernier aux yeux de la Cour lrsquoobligation implicite de ne

1415

pas extrader srsquoeacutetend aussi au cas ougrave le fugitif risquerait de subir dans lrsquoEacutetat de destination des peines ou traitements inhumains ou

deacutegradants proscrits par ledit article (art 3)

89 Ce qui constitue des peines ou traitements inhumains ou deacutegradants deacutepend de lrsquoensemble des circonstances de la

cause [hellip]

90 En principe il nrsquoappartient pas aux organes de la Convention de statuer sur lrsquoexistence ou lrsquoabsence de violations virtuelles de celle-ci Une deacuterogation agrave la regravegle geacuteneacuterale srsquoimpose pourtant si un fugitif allegravegue que la deacutecision de lrsquoextrader

enfreindrait lrsquoarticle 3 (art 3) au cas ougrave elle recevrait exeacutecution en raison des conseacutequences agrave en attendre dans le pays de destination

il y va de lrsquoefficaciteacute de la garantie assureacutee par ce texte vu la graviteacute et le caractegravere irreacuteparable de la souffrance preacutetendument risqueacutee (paragraphe 87 ci-dessus)

[hellip]

B Application de lrsquoarticle 3 (art 3) dans les circonstances de la cause

92 La proceacutedure drsquoextradition ouverte au Royaume-Uni contre le requeacuterant a pris fin avec la signature par le ministre

drsquoun arrecircteacute qui ordonnait la remise aux autoriteacutes ameacutericaines (hellip) quoique non encore exeacutecuteacutee cette deacutecision atteint de plein fouet

lrsquointeacuteresseacute Il faut donc rechercher agrave la lumiegravere des principes eacutenonceacutes plus haut si les conseacutequences preacutevisibles drsquoun renvoi de M

Soering aux Eacutetats-Unis sont de nature agrave faire jouer lrsquoarticle 3 (art 3)

98[hellip] Quoi qursquoil en soit selon le droit et la pratique de Virginie (hellip) et nonobstant le contexte diplomatique des relations

anglo-ameacutericaines en matiegravere drsquoextradition on ne peut dire objectivement que lrsquoengagement de signaler au juge au moment de la fixation de la peine les voeux du Royaume-Uni eacutecarte le danger drsquoune sentence capitale Dans le libre exercice de son pouvoir

drsquoappreacuteciation lrsquoAttorney de lrsquoEacutetat a deacutecideacute lui-mecircme de requeacuterir et persister agrave requeacuterir la peine capitale parce que le dossier lui

semble le commander (paragraphe 20 in fine ci-dessus) Si lrsquoautoriteacute nationale chargeacutee des poursuites adopte une attitude aussi ferme la Cour ne saurait guegravere conclure agrave lrsquoabsence de motifs seacuterieux de croire que M Soering court un risque reacuteel drsquoecirctre condamneacute agrave mort

donc de subir le syndrome du couloir de la mort

99 Partant la perspective de voir lrsquointeacuteresseacute exposeacute agrave ce syndrome comme il le redoute se reacutevegravele telle que lrsquoarticle 3 (art 3) entre en jeu

2 Sur le point de savoir si le risque drsquoexposer le requeacuterant au syndrome du couloir de la mort rendrait lrsquoextradition

contraire agrave lrsquoarticle 3 (art 3)

a) Consideacuterations geacuteneacuterales

100 Drsquoapregraves la jurisprudence de la Cour un mauvais traitement y compris une peine doit atteindre un minimum de graviteacute pour tomber sous le coup de lrsquoarticle 3 (art 3) Lrsquoappreacuteciation de ce minimum est relative par essence elle deacutepend de

lrsquoensemble des donneacutees de la cause et notamment de la nature et du contexte du traitement ou de la peine ainsi que de ses modaliteacutes

drsquoexeacutecution de sa dureacutee de ses effets physiques ou mentaux ainsi que parfois du sexe de lrsquoacircge et de lrsquoeacutetat de santeacute de la victime

La Cour a estimeacute un certain traitement agrave la fois inhumain pour avoir eacuteteacute appliqueacute avec preacutemeacuteditation pendant des heures

et avoir causeacute sinon de veacuteritables leacutesions du moins de vives souffrances physiques et morales et deacutegradant parce que de nature agrave

creacuteer [en ses victimes] des sentiments de peur drsquoangoisse et drsquoinfeacuterioriteacute propres agrave les humilier agrave les avilir et agrave briser eacuteventuellement leur reacutesistance physique ou morale (hellip) Pour qursquoune peine ou le traitement dont elle srsquoaccompagne soient inhumains ou

deacutegradants la souffrance ou lrsquohumiliation doivent en tout cas aller au-delagrave de celles que comporte ineacutevitablement une forme donneacutee

de peine leacutegitime (hellip ) En la matiegravere il eacutechet de tenir compte non seulement de la souffrance physique mais aussi en cas de long deacutelai avant lrsquoexeacutecution de la peine de lrsquoangoisse morale eacuteprouveacutee par le condamneacute dans lrsquoattente des violences qursquoon se preacutepare agrave lui

infliger

[hellip]

b) Les circonstances de la cause

i Dureacutee de la deacutetention avant lrsquoexeacutecution

[hellip]

106 [hellip] Un certain laps de temps doit forceacutement srsquoeacutecouler entre le prononceacute de la peine et son exeacutecution si lrsquoon veut

fournir au condamneacute des garanties de recours mais de mecircme il entre dans la nature humaine que lrsquointeacuteresseacute srsquoaccroche agrave lrsquoexistence

en les exploitant au maximum Si bien intentionneacute soit-il voire potentiellement beacuteneacutefique le systegraveme virginien de proceacutedures posteacuterieures agrave la sentence aboutit agrave obliger le condamneacute deacutetenu agrave subir pendant des anneacutees les conditions du couloir de la mort

lrsquoangoisse et la tension grandissante de vivre dans lrsquoombre omnipreacutesente de la mort

ii Situation dans le couloir de la mort

[hellip]

109 [hellip] Bien que la Cour nrsquoait pas agrave preacutejuger de la responsabiliteacute peacutenale et de la peine approprieacutee la jeunesse du

requeacuterant agrave lrsquoeacutepoque de lrsquoinfraction et sa condition mentale drsquoalors illustreacutees par le dossier psychiatrique existant figurent donc parmi les donneacutees qui tendent en lrsquoespegravece agrave faire relever de lrsquoarticle 3 (art 3) le traitement agrave subir dans le couloir de la mort

[hellip]

c) Conclusion

111 [hellip] Eu eacutegard cependant agrave la tregraves longue peacuteriode agrave passer dans le couloir de la mort dans des conditions aussi

extrecircmes avec lrsquoangoisse omnipreacutesente et croissante de lrsquoexeacutecution de la peine capitale et agrave la situation personnelle du requeacuterant en

particulier son acircge et son eacutetat mental agrave lrsquoeacutepoque de lrsquoinfraction une extradition vers les Eacutetats-Unis exposerait lrsquointeacuteresseacute agrave un risque reacuteel de traitement deacutepassant le seuil fixeacute par lrsquoarticle 3 (art 3) Lrsquoexistence en lrsquoespegravece drsquoun autre moyen drsquoatteindre le but leacutegitime

1515

de lrsquoextradition sans entraicircner pour autant des souffrances drsquoune intensiteacute ou dureacutee aussi exceptionnelles repreacutesente une consideacuteration

pertinente suppleacutementaire

En conclusion la deacutecision ministeacuterielle de livrer le requeacuterant aux Eacutetats-Unis violerait lrsquoarticle 3 (art 3) si elle recevait

exeacutecution

[hellip]

PAR CES MOTIFS LA COUR A LrsquoUNANIMITE

1 Dit qursquoil y aurait violation de lrsquoarticle 3 (art 3) si la deacutecision ministeacuterielle drsquoextrader le requeacuterant vers les Eacutetats-Unis drsquoAmeacuterique

recevait exeacutecution

Page 4: Dedh 2014 - Fiche 2

415

lrsquoacceptation par la Turquie du droit de recours individuel serait caduqueCette position disait le deacuteleacutegueacute valait eacutegalement pour la

deacuteclaration de la Turquie relative agrave lrsquoarticle 46 (art 46)

Le gouvernement deacutefendeur preacutetend aussi que conformeacutement agrave lrsquoarticle 44 par 3 a) et b) de la Convention de Vienne sur

le droit des traiteacutes il incombe aux requeacuterants de deacutemontrer que les restrictions en particulier territoriales ne constituaient pas un

facteur essentiel ayant deacutetermineacute la Turquie agrave faire les deacuteclarations

91 Selon la requeacuterante rejointe par le gouvernement cypriote lorsqursquoil a reacutedigeacute ces deacuteclarations le gouvernement

deacutefendeur a pris le risque de voir deacutecreacuteter les restrictions non valides Il ne devrait pas aujourdrsquohui chercher agrave faire peser sur les

organes de la Convention les conseacutequences juridiques de ce risque

92 La Commission estime que lorsque la Turquie a souscrit le 28 janvier 1987 sa deacuteclaration relative agrave lrsquoarticle 25 (art

25) elle nourrissait principalement lrsquointention drsquoaccepter le droit de recours individuel Crsquoest cette intention qui devrait preacutevaloir En

outre devant la Cour le deacuteleacutegueacute de la Commission a releveacute que le gouvernement deacutefendeur nrsquoavait pas chercheacute agrave plaider lrsquoinvaliditeacute de lrsquoacceptation par la Turquie du droit de recours individuel dans les affaires dont la Commission a eacuteteacute saisie apregraves la preacutesente cause

93 En examinant cette question la Cour doit tenir compte de la nature particuliegravere de la Convention instrument de lrsquoordre

public europeacuteen pour la protection des ecirctres humains et de sa mission fixeacutee agrave lrsquoarticle 19 (art 19) celle drsquoassurer le respect des

engagements reacutesultant pour les Hautes Parties Contractantes agrave la Convention

94 Elle rappelle aussi son arrecirct Belilos c Suisse du 29 avril 1988 ougrave apregraves avoir eacutecarteacute une deacuteclaration interpreacutetative au

motif de sa non-conformiteacute avec lrsquoarticle 64 (art 64) elle a preacuteciseacute que la Suisse demeurait lieacutee par la Convention nonobstant

lrsquoinvaliditeacute de la deacuteclaration (seacuterie A no 132 p 28 par 60)

95 La Cour ne croit pas pouvoir trancher la question de la divisibiliteacute des parties non valides des deacuteclarations de la Turquie

en se reacutefeacuterant aux deacuteclarations faites par les repreacutesentants de celle-ci posteacuterieurement au deacutepocirct des deacuteclarations soit (en ce qui

concerne la deacuteclaration relative agrave lrsquoarticle 25) (art 25) devant le Comiteacute des Ministres et la Commission soit (srsquoagissant des articles 25 et 46) (art 25 art 46) agrave lrsquoaudience devant elle Sur ce point elle relegraveve que le gouvernement deacutefendeur nrsquoa pu manquer drsquoavoir

conscience eu eacutegard agrave la pratique uniforme des Parties contractantes sur le terrain des articles 25 et 46 (art 25 art 46) et consistant agrave

accepter sans condition la compeacutetence de la Commission et de la Cour que les clauses restrictives deacutenonceacutees avaient une validiteacute contestable dans le systegraveme de la Convention et que les organes de celles-ci pourraient les tenir pour inadmissibles

Il est inteacuteressant de noter agrave ce propos que la Commission a deacutejagrave exprimeacute devant la Cour dans ses plaidoiries dans lrsquoaffaire linguistique belge (exception preacuteliminaire) et lrsquoaffaire Kjeldsen Busk Madsen et Pedersen c Danemark arrecircts des 9 feacutevrier 1967 et 7

deacutecembre 1976 seacuterie A nos 5 et 23 respectivement lrsquoopinion que lrsquoarticle 46 (art 46) nrsquoautorisait aucune restriction quant agrave la

reconnaissance de la compeacutetence de la Cour (voir respectivement le second meacutemoire de la Commission du 14 juillet 1966 seacuterie B

no 3 vol I p 432 et le meacutemoire de la Commission (exception preacuteliminaire) du 26 janvier 1976 seacuterie B no 21 p 119)

La reacuteaction ulteacuterieure de plusieurs Parties contractantes aux deacuteclarations turques (paragraphes 18-24 ci-dessus) vient

solidement appuyer lrsquoobservation qui preacutecegravede et drsquoapregraves laquelle la Turquie nrsquoignorait pas la situation juridique Qursquoelle ait dans ces

conditions deacuteposeacute par la suite des deacuteclarations relatives aux deux articles 25 et 46 (art 25 art 46) - pour la derniegravere apregraves la reacuteaction susmentionneacutee des Parties contractantes - indique qursquoelle eacutetait precircte agrave courir le risque de voir les organes de la Convention deacuteclarer

non valides les clauses limitatives litigieuses sans affecter la validiteacute des deacuteclarations elles-mecircmes Sous cet eacuteclairage le

gouvernement deacutefendeur ne saurait invoquer les deacuteclarations ex post facto des repreacutesentants turcs pour marquer un recul par rapport agrave lrsquointention fondamentale - malgreacute des tempeacuteraments - drsquoaccepter la compeacutetence de la Commission et de la Cour

96 Il incombe donc agrave la Cour dans lrsquoexercice des responsabiliteacutes que lui confegravere lrsquoarticle 19 (art 19) de trancher la

question en se reacutefeacuterant au texte des deacuteclarations respectives et agrave la nature particuliegravere du reacutegime de la Convention Or ce dernier milite pour la seacuteparation des clauses attaqueacutees puisque crsquoest par ce moyen que lrsquoon peut garantir les droits et liberteacutes consacreacutes par la

Convention dans tous les domaines relevant de la juridiction de la Turquie au sens de lrsquoarticle 1 (art 1) de la Convention

97 La Cour a examineacute le texte des deacuteclarations et le libelleacute des restrictions en vue de rechercher si les restrictions

querelleacutees peuvent se dissocier des instruments drsquoacceptation ou si elles en forment partie inteacutegrante et indivisible Mecircme en prenant

les textes des deacuteclarations relatives aux articles 25 et 46 (art 25 art 46) comme un tout elle estime que les restrictions deacutenonceacutees

peuvent se dissocier du reste du texte laissant intacte lrsquoacceptation des clauses facultatives

Document ndeg2 CEDH Ilascu cMoldavie et Russie 08072004 extraits

312 La Cour rappelle sa jurisprudence selon laquelle la notion de laquo juridiction raquo au sens de larticle 1 de la Convention

doit passer pour refleacuteter la conception de cette notion en droit international public (Gentilhomme et autres c France nos 4820599

4820799 et 4820999 sect 20 arrecirct du 14 mai 2002 Banković et autres c Belgique et autres (deacutec) [GC] no 5220799 sectsect 59-61

CEDH 2001-XII Assanidzeacute c Geacuteorgie [GC] no 7150301 sect 137CEDH 2004-II)

Du point de vue du droit international public lexpression laquo relevant de leur juridiction raquo figurant agrave larticle 1 de la

Convention doit ecirctre comprise comme signifiant que la compeacutetence juridictionnelle dun Etat est principalement territoriale (deacutecision Banković et autres preacuteciteacutee sect 59) mais aussi en ce sens quil est preacutesumeacute quelle sexerce normalement sur

lensemble de son territoire

Cette preacutesomption peut se trouver limiteacutee dans des circonstances exceptionnelles notamment lorsquun Etat est dans

lincapaciteacute dexercer son autoriteacutesur une partie de son territoire Cela peut ecirctre ducirc agrave une occupation militaire par les forces armeacutees dun

autre Etat qui controcircle effectivement ce territoire(voir les arrecircts Loizidou c Turquie (exceptions preacuteliminaires) du 23 mars 1995 seacuterie

A no 310 et Chypre c Turquie preacuteciteacute sectsect 76-80 tels que citeacutes dans la deacutecision Banković et autres susmentionneacutee sectsect 70-71) agrave

des actes de guerre ou de reacutebellion ou encore aux actes dun Etat eacutetranger soutenant la mise en place dun reacutegime seacuteparatiste sur le

territoire de lEtat en question

515

313 Pour conclure agrave lexistence dune telle situation exceptionnelle la Cour se doit dexaminer dune part lensemble des

eacuteleacutements factuels objectifs de nature agrave limiter lexercice effectif de lautoriteacute dun Etat sur son territoire et dautre part le comportement de celui-ci En effet les engagements pris par une Partie contractante en vertu de larticle 1 de la Convention

comportent outre le devoir de sabstenir de toute ingeacuterence dans la jouissance des droits et liberteacutes garantis des obligations positives

de prendre les mesures approprieacutees pour assurer le respect de ces droits et liberteacutes sur son territoire (hellip)

Ces obligations subsistent mecircme dans le cas dune limitation de lexercice de son autoriteacute sur une partie de son territoire de

sorte quil incombe agrave lEtatde prendre toutes les mesures approprieacutees qui restent en son pouvoir

314 En outre la Cour rappelle que si elle a souligneacute la preacutepondeacuterance du principe territorial dans lapplication de la Convention dans laffaireBanković et autres (deacutecision preacuteciteacutee sect 80) elle a aussi reconnu que la notion de laquo juridiction raquo au sens de

larticle 1 de la Convention ne se circonscrit pas neacutecessairement au seul territoire national des Hautes Parties contractantes (Loizidou c

Turquie (fond) arrecirct du 18 deacutecembre 1996 Recueil des arrecircts et deacutecisions 1996-VI pp 2234-2235 sect 52)

La Cour a admis que dans des circonstances exceptionnelles les actes des Etats contractants accomplis ou produisant des

effets en dehors de leur territoire peuvent sanalyser en lexercice par eux de leur juridiction au sens de larticle 1 de la Convention

Ainsi quil ressort des principes pertinents du droit international un Etat contractant peut voir engager sa responsabiliteacute

lorsque par suite dune action militaire leacutegale ou non il exerce en pratique le controcircle effectif sur une zone situeacutee en dehors de son

territoire national Lobligation dassurer dans une telle reacutegion le respect des droits et liberteacutes garantis par la Convention deacutecoule du

fait de ce controcircle quil sexerce directement par lintermeacutediaire des forces armeacutees de lEtat concerneacute ou par le biais dune administration locale subordonneacutee (ibidem)

315 Il nest pas neacutecessaire de deacuteterminer si une Partie contractante exerce dans le deacutetail un controcircle sur la politique et les

actions des autoriteacutes de la zone situeacutee en dehors de son territoire national car mecircme un controcircle global sur ce territoire est de nature agrave engager la responsabiliteacute de cette Partie contractante (Loizidou (fond) preacuteciteacute pp 2235-2236 sect 56)

316 Degraves lors quun Etat contractant exerce un controcircle global sur une zone situeacutee en dehors de son territoire national sa

responsabiliteacute ne se limite pas aux seuls actes commis par ses soldats ou fonctionnaires dans cette zone mais seacutetend eacutegalement aux actes de ladministration locale qui survit gracircce agrave son soutien militaire ou autre (arrecirct Chypre c Turquie preacuteciteacute sect 77)

317 La responsabiliteacute dun Etat peut aussi se voir engager en raison dactes qui ont des reacutepercussions suffisamment

proches sur les droits garantis par la Convention mecircme si ces reacutepercussions se manifestent en dehors de la juridiction de cet Etat Ainsi se reacutefeacuterant agrave une extradition vers un Etat non contractant la Cour a dit quun Etat contractant se conduirait dune maniegravere

incompatible avec les valeurs sous-jacentes agrave la Convention ce laquo patrimoine commun dideacuteal et de traditions politiques de respect de la liberteacute et de preacuteeacuteminence du droit raquo auquel se reacutefegravere le preacuteambule sil remettait consciemment un fugitif agrave un autre Etat ougrave il existe

des motifs seacuterieux de penser quil court un risque reacuteel decirctre soumis agrave la torture ou agrave des peines ou traitements inhumains ou deacutegradants

(arrecirct Soering c Royaume-Uni du 7 juillet 1989 seacuterie A no 161 p 35 sectsect 88-91)

318 De surcroicirct si les autoriteacutes dun Etat contractant approuvent formellement ou tacitement les actes des particuliers

violant dans le chef dautres particuliers soumis agrave sa juridiction les droits garantis par la Convention la responsabiliteacute dudit Etat peut

se trouver engageacutee au regard de la Convention (arrecirct Chypre c Turquie preacuteciteacute sect 81) Cela vaut dautant plus en cas de reconnaissance par lEtat en question des actes eacutemanant dautoriteacutes autoproclameacutees et non reconnues sur le plan international

319 Un Etat peut aussi ecirctre tenu pour responsable mecircme lorsque ses agents commettent des excegraves de pouvoir ou ne

respectent pas les instructions reccedilues En effet les autoriteacutes dun Etat assument au regard de la Convention la responsabiliteacute objective de la conduite de leurs subordonneacutes elles ont le devoir de leur imposer leur volonteacute et ne sauraient se retrancher derriegravere leur

impuissance agrave la faire respecter (arrecirct Irlande c Royaume-Uni du 18 janvier 1978 seacuterie A no 25 p 64 sect 159 article 7 du projet

darticles de la Commission du droit international sur la responsabiliteacute des Etats pour les actes internationalement illicites (2001) (laquo les

travaux de la CDI raquo) p 104 affaire Caire examineacutee par la Commission geacuteneacuterale pour les plaintes 1929 Recueil des sentences arbitrales (RSA) V p 516)

()

333 La Cour considegravere que si un Etat contractant se trouve dans limpossibiliteacute dexercer son autoriteacute sur lensemble de son territoire par une situation de fait contraignante comme la mise en place dun reacutegime seacuteparatiste accompagneacutee ou non par

loccupation militaire par un autre Etat lEtat ne cessepas pour autant dexercer sa juridiction au sens de larticle 1 de la Convention

sur la partie du territoire momentaneacutement soumise agrave une autoriteacute locale soutenue par des forces de reacutebellion ou par un autre Etat

Une telle situation factuelle a neacuteanmoins pour effet de reacuteduire la porteacutee de cette juridiction en ce sens que

lengagement souscrit par lEtat contractanten vertu de larticle 1 doit ecirctre examineacute par la Cour uniquement agrave la lumiegravere des obligations

positives de lEtat agrave leacutegard des personnes qui se trouvent sur son territoire LEtat en question se doit avec tous les moyens leacutegaux et diplomatiques dont il dispose envers les Etats tiers et les organisations internationales dessayer de continuer agrave garantir la jouissance

des droits et liberteacutes eacutenonceacutes dans la Convention

334 Mecircme sil nappartient pas agrave la Cour dindiquer quelles sont les mesures les plus efficaces que doivent prendre les autoriteacutes pour se conformer agrave leurs obligations il lui faut neacuteanmoins sassurer que les mesures effectivement prises eacutetaient adeacutequates et

suffisantes dans le cas despegravece Face agrave une omission partielle ou totale la Cour a pour tacircche de deacuteterminer dans quelle mesure un

effort minimal eacutetait quand mecircme possible et sil devait ecirctre entrepris Pareille tacircche est dautant plus neacutecessaire lorsquil sagit dune violation alleacutegueacutee de droits absolus tels que ceux garantis par les articles 2 et 3 de la Convention

615

Document ndeg3 CEDH Al-Skeini cRoyaume-Uni et Al-Jedda cRoyaume-Uni

07072011 extraits

Al-Jedda cRoyaume-Uni

84 Il semble ressortir de lrsquoexposeacute de lrsquoopinion de Lord Bingham que dans le cadre de la premiegravere proceacutedure engageacutee par

le requeacuterant les parties devant la Chambre des lords srsquoaccordaient agrave dire que le critegravere drsquoattribution agrave retenir eacutetait celui eacutenonceacute par la CDI agrave lrsquoarticle 5 de son projet drsquoarticles sur la responsabiliteacute des organisations internationales et preacuteciseacute dans son commentaire agrave ce

sujet agrave savoir que le comportement drsquoun organe drsquoun Etat qui est mis agrave la disposition drsquoune organisation internationale est drsquoapregraves le

droit international imputable agrave cette organisation pour autant qursquoelle exerce un controcircle effectif sur ce comportement (paragraphes 18 et 56 ci-dessus) Pour les motifs exposeacutes ci-dessus la Cour considegravere que le Conseil de seacutecuriteacute nrsquoexerccedilait ni un controcircle effectif ni

lrsquoautoriteacute et le controcircle ultimes sur les actions et omissions des soldats de la force multinationale et que degraves lors lrsquointernement du

requeacuterant nrsquoest pas imputable agrave lrsquoONU

85 Interneacute dans un centre de deacutetention de la ville de Bassorah controcircleacute exclusivement par les forces britanniques le

requeacuterant srsquoest trouveacute pendant toute la dureacutee de sa deacutetention sous lrsquoautoriteacute et le controcircle du Royaume-Uni (paragraphe 10 ci-dessus

voir eacutegalement Al-Skeini et autres c Royaume-Uni [GC] no 5572107 sect 136 et Al-Saadoon et Mufdhi c Royaume-Uni (deacutec)

no 6149808 sect 88 CEDH 2010- voir eacutegalement lrsquoarrecirct rendu par la Cour suprecircme des Etats-Unis en lrsquoaffaire Munaf v Geren paragraphe 54 ci-dessus) Lrsquointernement avait eacuteteacute deacutecideacute par lrsquoofficier britannique qui commandait le centre de deacutetention Si

la deacutecision de maintenir le requeacuterant en deacutetention a eacuteteacute reacuteexamineacutee agrave diffeacuterents stades par des organes ayant en leur sein des

fonctionnaires irakiens et des repreacutesentants non britanniques de la force multinationale la Cour estime que ces proceacutedures de controcircle nrsquoont pas eu pour effet drsquoempecirccher lrsquoimputation au Royaume-Uni de la deacutetention en question

86 En conclusion la Cour considegravere avec la majoriteacute de la Chambre des lords que lrsquointernement du requeacuterant est

imputable au Royaume-Uni et que pendant la dureacutee de sa deacutetention lrsquointeacuteresseacute srsquoest retrouveacute sous la juridiction de ce pays au sens de lrsquoarticle 1 de la Convention

Al-Skeini cRoyaume-Uni - Principes geacuteneacuteraux relatifs agrave la juridiction au sens de larticle 1 de la Convention

130 Larticle 1 de la Convention est ainsi libelleacute

laquo Les Hautes Parties contractantes reconnaissent agrave toute personne relevant de leur juridiction les droits et liberteacutes deacutefinis au

titre I de la () Convention raquo

Aux termes de cette disposition lengagement des Etats contractants se borne agrave laquo reconnaicirctre raquo (en anglais laquo to secure raquo)

aux personnes relevant de leur laquo juridiction raquo les droits et liberteacutes eacutenumeacutereacutes (Soering c Royaume-Uni 7 juillet 1989 sect 86 seacuterie A

no 161 et deacutecision Banković preacuteciteacutee sect 66) La laquo juridiction raquo au sens de larticle 1 est une condition sine qua non Elle doit avoir

eacuteteacute exerceacutee pour quun Etat contractant puisse ecirctre tenu pour responsable des actes ou omissions agrave lui imputables qui sont agrave lorigine dune alleacutegation de violation des droits et liberteacutes eacutenonceacutes dans la Convention (Ilaşcu et autres preacuteciteacute sect 311)

α) Le principe de territorialiteacute

131 La juridiction dun Etat au sens de larticle 1 est principalement territoriale (Soering preacuteciteacute sect 86 Banković deacutecision preacuteciteacutee sectsect 61 et 67 etIlaşcu preacuteciteacute sect 312) Elle est preacutesumeacutee sexercer normalement sur lensemble de son territoire

(Ilaşcu preacuteciteacute sect 312 et Assanidzeacute c Geacuteorgie [GC] no7150301 sect 139 CEDH 2004-II) A linverse les actes des Etats contractants

accomplis ou produisant des effets en dehors de leur territoire ne peuvent que dans des circonstances exceptionnelles sanalyser en lexercice par eux de leur juridiction au sens de larticle 1 (Banković preacuteciteacute sect 67)

132 A ce jour la Cour a reconnu dans sa jurisprudence un certain nombre de circonstances exceptionnelles susceptibles

demporter exercice par lEtat contractant de sa juridiction agrave lexteacuterieur de ses propres frontiegraveres Dans chaque cas cest au regard des faits particuliers de la cause quil faut appreacutecier lexistence de pareilles circonstances exigeant et justifiant que la Cour conclue agrave un

exercice extraterritorial de sa juridiction par lEtat

β) Lautoriteacute et le controcircle dun agent de lEtat

133 La Cour a reconnu dans sa jurisprudence que par exception au principe de territorialiteacute la juridiction dun Etat

contractant au sens de larticle 1 peut seacutetendre aux actes de ses organes qui deacuteploient leurs effets en dehors de son territoire (Drozd et

Janousek preacuteciteacute sect 91 Loizidou (exceptions preacuteliminaires) preacuteciteacute sect 62 et Loizidou c Turquie (fond) 18 deacutecembre 1996 sect 52 Recueil des arrecircts et deacutecisions 1996-VI et Banković deacutecision preacuteciteacutee sect 69) Cette exception telle quelle se deacutegage de

larrecirct Drozd et Janousek et des autres affaires ci-dessus est eacutenonceacutee de maniegravere tregraves geacuteneacuterale la Cour seacutetant contenteacutee de dire que la

responsabiliteacute de lEtat contractant laquo peut entrer en jeu raquo en pareilles circonstances Il est neacutecessaire dexaminer la jurisprudence pour en cerner les principes directeurs

134 Premiegraverement il est clair que la juridiction de lEtat peut naicirctre des actes des agents diplomatiques ou consulaires

preacutesents en territoire eacutetranger conformeacutement aux regravegles du droit international degraves lors que ces agents exercent une autoriteacute et un

controcircle sur autrui (Banković deacutecision preacuteciteacutee sect 73 voir eacutegalement X c Reacutepublique feacutedeacuterale dAllemagne no 161162 deacutecision

de la Commission du 25 septembre 1965 Annuaire de la Convention europeacuteenne des droits de lhomme vol 8 p

158 X c Royaume-Uni no 754776 deacutecision de la Commission du 15 deacutecembre 1977 et WM c Danemark no 1739290 deacutecision

de la Commission du 14 octobre 1993)

135 Deuxiegravemement la Cour a conclu agrave lexercice extraterritorial de sa juridiction par lEtat contractant qui en vertu du consentement de linvitation ou de lacquiescement du gouvernement local assume lensemble ou certaines des preacuterogatives de

puissance publique normalement exerceacutees par celui-ci (Banković deacutecision preacuteciteacutee sect 71) Par conseacutequent degraves lors que

conformeacutement agrave une regravegle de droit international coutumiegravere conventionnelle ou autre ses organes assument des fonctions exeacutecutives ou judiciaires sur un territoire autre que le sien un Etat contractant peut ecirctre tenu pour responsable des violations de la Convention

715

commises dans lexercice de ces fonctions pourvu que les faits en question soient imputables agrave lui et non agrave lEtat territorial (Drozd et

Janousek preacuteciteacute Gentilhomme Schaff-Benhadji et Zeroukiet c France nos 4820599 4820799 et 4820999 14 mai 2002 ainsi

que X et Y c Suisse nos 728975 et 734976 deacutecision de la Commission sur la recevabiliteacute du 14 juillet 1977 DR 9 p 57)

136 En outre la jurisprudence de la Cour montre que dans certaines circonstances le recours agrave la force par des agents dun Etat opeacuterant hors de son territoire peut faire passer sous la juridiction de cet Etat au sens de larticle 1 toute personne se

retrouvant ainsi sous le controcircle de ceux-ci Cette regravegle a eacuteteacute appliqueacutee dans le cas de personnes remises entre les mains dagents de

lEtat agrave lexteacuterieur de ses frontiegraveres Ainsi dans larrecirct Oumlcalan c Turquiepreacuteciteacute sect 91 la Cour a jugeacute que laquo degraves sa remise par les agents kenyans aux agents turcs [le requeacuterant] s[eacutetait] effectivement retrouveacute sous lautoriteacute de la Turquie et relevait donc de la

laquo juridiction raquo de cet Etat aux fins de larticle 1 de la Convention mecircme si en loccurrence la Turquie a[vait] exerceacute son autoriteacute en

dehors de son territoire raquo Dans larrecirct Issa preacuteciteacute elle a indiqueacute que sil avait eacuteteacute eacutetabli que des soldats turcs avaient arrecircteacute les proches des requeacuterants dans le nord de lIrak avant de les emmener dans une caverne avoisinante et de les exeacutecuter les victimes

auraient ducirc ecirctre consideacutereacutees comme relevant de la juridiction de la Turquie ce par leffet de lautoriteacute et du controcircle exerceacutes sur les

victimes par les soldats Dans la deacutecision Al-Saadoon et Mufdhi c Royaume-Uni ((deacutec) no 6149808 sectsect 86-89 30 juin 2009) elle a

estimeacute que degraves lors que le controcircle exerceacute par le Royaume-Uni sur ses prisons militaires en Irak et sur les personnes y seacutejournant eacutetait absolu et exclusif il y avait lieu de consideacuterer agrave propos de deux ressortissants irakiens incarceacutereacutes dans lune delles quils relevaient de

la juridiction du Royaume-Uni Enfin dans larrecirct Medvedyev et autres c France [GC] no 339403 sect 67 CEDH 2010- elle a

conclu relativement agrave des requeacuterants qui seacutetaient trouveacutes agrave bord dun navire intercepteacute en haute mer par des agents franccedilais queu

eacutegard au controcircle absolu et exclusif exerceacute de maniegravere continue et ininterrompue par ces agents sur le navire et son eacutequipage degraves son interception ils relevaient de la juridiction de la France au sens de larticle 1 de la Convention La Cour considegravere que dans les

affaires ci-dessus la juridiction navait pas pour seul fondement le controcircle opeacutereacute par lEtat contractant sur les bacirctiments laeacuteronef ou

le navire ougrave les inteacuteresseacutes eacutetaient deacutetenus Leacuteleacutement deacuteterminant dans ce type de cas est lexercice dun pouvoir et dun controcircle physiques sur les personnes en question

137 Il est clair que degraves linstant ougrave lEtat par le biais de ses agents exerce son controcircle et son autoriteacute sur un individu et

par voie de conseacutequence sa juridiction il pegravese sur lui en vertu de larticle 1 une obligation de reconnaicirctre agrave celui-ci les droits et liberteacutes deacutefinis au titre I de la Convention qui concernent son cas En ce sens degraves lors les droits deacutecoulant de la Convention peuvent ecirctre

laquo fractionneacutes et adapteacutes raquo (voir agrave titre de comparaison la deacutecisionBanković preacuteciteacutee sect 75)

γ) Le controcircle effectif sur un territoire

138 Le principe voulant que la juridiction de lEtat contractant au sens de larticle 1 soit limiteacutee agrave son propre territoire

connaicirct une autre exception lorsque par suite dune action militaire ndash leacutegale ou non ndash lEtat exerce un controcircle effectif sur une zone

situeacutee en dehors de son territoire Lobligation dassurer dans une telle zone le respect des droits et liberteacutes garantis par la Convention

deacutecoule du fait de ce controcircle quil sexerce directement par lintermeacutediaire des forces armeacutees de lEtat ou par le biais dune

administration locale subordonneacutee (Loizidou (exceptions preacuteliminaires) preacuteciteacute sect 62 Chypre c Turquie [GC] no 2578194 sect 76

CEDH 2001-IV Banković deacutecision preacuteciteacutee sect 70 Ilaşcu preacuteciteacute sectsect 314-316 et Loizidou (fond) preacuteciteacute sect 52) Degraves lors quune telle mainmise sur un territoire est eacutetablie il nest pas neacutecessaire de deacuteterminer si lEtat contractant qui la deacutetient exerce un controcircle

preacutecis sur les politiques et actions de ladministration locale qui lui est subordonneacutee Du fait quil assure la survie de cette

administration gracircce agrave son soutien militaire et autre cet Etat engage sa responsabiliteacute agrave raison des politiques et actions entreprises par elle Larticle 1 lui fait obligation de reconnaicirctre sur le territoire en question la totaliteacute des droits mateacuteriels eacutenonceacutes dans la Convention

et dans les Protocoles additionnels quil a ratifieacutes et les violations de ces droits lui sont imputables (Chypre c Turquie preacuteciteacute sect 77)

139 La question de savoir si un Etat contractant exerce ou non un controcircle effectif sur un territoire hors de ses frontiegraveres est une question de fait Pour se prononcer la Cour se reacutefegravere principalement au nombre de soldats deacuteployeacutes par lEtat sur le territoire

en cause (Loizidou (fond) preacuteciteacute sectsect 16 et 56 etIlaşcu preacuteciteacute sect 387) Dautres eacuteleacutements peuvent aussi entrer en ligne de compte par

exemple la mesure dans laquelle le soutien militaire eacuteconomique et politique apporteacute par lEtat agrave ladministration locale subordonneacutee assure agrave celui-ci une influence et un controcircle dans la reacutegion (Ilaşcu preacuteciteacute sectsect 388-394)

140 Le titre de juridiction fondeacute sur le laquo controcircle effectif raquo deacutecrit ci-dessus ne remplace pas le systegraveme de notification en

vertu de larticle 56 (lancien article 63) de la Convention que lors de la reacutedaction de celle-ci les Etats contractants avaient deacutecideacute de creacuteer pour les territoires doutre-mer dont ils assuraient les relations internationales Le paragraphe 1 de cet article preacutevoit un dispositif

permettant agrave ces Etats deacutetendre lapplication de la Convention agrave pareil territoire laquo en tenant compte des neacutecessiteacutes locales raquo

Lexistence de ce dispositif qui a eacuteteacute inteacutegreacute dans la Convention pour des raisons historiques ne peut ecirctre interpreacuteteacutee aujourdhui agrave la lumiegravere des conditions actuelles comme limitant la porteacutee de la notion de laquo juridiction raquo au sens de larticle 1 Les cas de figure viseacutes

par le principe du laquo controcircle effectif raquo se distinguent manifestement de ceux dans lesquels un Etat contractant na pas deacuteclareacute par le

biais de la notification preacutevue agrave larticle 56 deacutetendre lapplication de la Convention ou de lun quelconque de ses Protocoles agrave un territoire doutre-mer dont il assure les relations internationales (Loizidou (exceptions preacuteliminaires) preacuteciteacute sectsect 86-89 et Quark

Fishing Ltd c Royaume-Uni(deacutec) no 1530506 CEDH 2006-XIV)

δ) Lespace juridique de la Convention

141 La Convention est un instrument constitutionnel de lordre public europeacuteen (Loizidou (exceptions preacuteliminaires) preacuteciteacute sect 75) Elle ne reacutegit pas les actes des Etats qui ny sont pas parties ni ne preacutetend exiger des Parties contractantes quelles

imposent ses normes agrave pareils Etats (Soering preacuteciteacute sect 86)

142 La Cour a souligneacute quun Etat contractant qui par le biais de ses forces armeacutees occupe le territoire dun autre doit en principe ecirctre tenu pour responsable au regard de la Convention des violations des droits de lhomme qui y sont perpeacutetreacutees car sinon

les habitants de ce territoire seraient priveacutes des droits et liberteacutes dont ils jouissaient jusque-lagrave et il y aurait une laquo solution de

continuiteacute raquo dans la protection de ces droits et liberteacutes au sein de llaquo espace juridique de la Convention raquo (Loizidou (fond) preacuteciteacute sect 78 et Banković preacuteciteacute sect 80) Toutefois sil est important deacutetablir la juridiction de lEtat occupant dans ce type de cas cela ne veut

pas dire a contrario que la juridiction au sens de larticle 1 ne puisse jamais exister hors du territoire des Etats membres du Conseil de

lEurope La Cour na jamais appliqueacute semblable restriction dans sa jurisprudence (voir parmi dautres exemples les arrecirctsOumlcalan Issa Al-Saadoon et Mufdhi et Medvedyev preacuteciteacutes)

815

ii Application des principes susmentionneacutes aux faits de lespegravece

143 Pour deacuteterminer si lun quelconque des proches des requeacuterants relevait au moment de son deacutecegraves de la juridiction du Royaume-Uni la Cour prend pour point de deacutepart le fait que le 20 mars 2003 ce pays avec les Etats-Unis et leurs partenaires de la

coalition avait peacuteneacutetreacute en sol irakien par le biais de ses forces armeacutees dans le but de chasser le reacutegime baasiste alors au pouvoir Ce

but fut atteint le 1er mai 2003 lorsque la fin des principales opeacuterations de combat fut prononceacutee et que les Etats-Unis et le Royaume-

Uni devinrent des puissances occupantes au sens de larticle 42 du regraveglement de La Haye (paragraphe 89 ci-dessus)

144 Comme lindiquait la lettre du 8 mai 2003 adresseacutee conjointement par les repreacutesentants permanents du Royaume-Uni

et des Etats-Unis au preacutesident du Conseil de seacutecuriteacute de lONU (paragraphe 11 ci-dessus) ces deux pays apregraves avoir chasseacute lancien

reacutegime avaient creacuteeacute lAutoriteacute provisoire de la coalition pour laquo exerce[r] les pouvoirs du gouvernement agrave titre temporaire raquo Lun des pouvoirs expresseacutement mentionneacutes dans cette lettre que les Etats-Unis et le Royaume-Uni eacutetaient censeacutes assumer par lintermeacutediaire

de lAutoriteacute provisoire de la coalition consistait agrave assurer la seacutecuriteacute en Irak notamment en maintenant lordre public La lettre

indiquait en outre laquo [l]es Etats-Unis le Royaume-Uni et les membres de la coalition agissant par lintermeacutediaire de lAutoriteacute provisoire de la coalition seront chargeacutes entre autres tacircches dassurer la seacutecuriteacute en Iraq et dadministrer ce pays agrave titre temporaire

notamment par les moyens suivants () en prenant immeacutediatement le controcircle des institutions iraquiennes responsables des questions

militaires et de seacutecuriteacute raquo

145 LAutoriteacute provisoire de la coalition deacuteclara dans le regraveglement no 1 du 16 mai 2003 son premier texte normatif

quelle laquo exerce[rait] temporairement les preacuterogatives de la puissance publique afin dassurer ladministration effective de lIraq au

cours de la peacuteriode dadministration transitoire dy reacutetablir la stabiliteacute et la seacutecuriteacute () raquo (paragraphe 12 ci-dessus)

146 Le Conseil de seacutecuriteacute prit acte du contenu de la lettre du 8 mai 2003 dans sa reacutesolution 1483 adopteacutee le 22 mai 2003 Il y demandait par ailleurs aux puissances occupantes laquo de promouvoir le bien-ecirctre de la population iraquienne en assurant une

administration efficace du territoire notamment en semployant agrave reacutetablir la seacutecuriteacute et la stabiliteacute raquo reconnaissant une nouvelle fois la

mission de seacutecuriteacute assumeacutee par les Etats-Unis et le Royaume-Uni (paragraphe 14 ci-dessus)

147 Pendant la peacuteriode de loccupation le Royaume-Uni avait le commandement dune division militaire la division

multinationale du sud-est dont le ressort comprenait la province de Bassorah lagrave ougrave les proches des requeacuterants sont deacuteceacutedeacutes A

compter du 1er mai 2003 les forces britanniques deacuteployeacutees dans cette province y furent chargeacutees dassurer la seacutecuriteacute et de soutenir

ladministration civile Elles devaient en particulier conduire des patrouilles des arrestations et des opeacuterations de lutte contre le

terrorisme encadrer les manifestations civiles et proteacuteger les ressources et infrastructures essentielles ainsi que les postes de police

(paragraphe 21 ci-dessus)

148 En juillet 2003 fut creacuteeacute le Conseil de gouvernement de lIrak Bien que tenue de le consulter (paragraphe 15 ci-

dessus) lAutoriteacute provisoire de la coalition conservait le pouvoir Dans sa reacutesolution 1511 adopteacutee le 16 octobre 2003 le Conseil de

seacutecuriteacute souligna le caractegravere temporaire de lexercice par elle des responsabiliteacutes et pouvoirs eacutenonceacutes dans la reacutesolution 1483 et autorisa laquo une force multinationale sous commandement unifieacute agrave prendre toutes les mesures neacutecessaires pour contribuer au

maintien de la seacutecuriteacute et de la stabiliteacute en Iraq raquo (paragraphe 16 ci-dessus) Dans sa reacutesolution 1546 adopteacutee le 8 juin 2004 il

approuva laquo la formation dun gouvernement inteacuterimaire souverain de lIraq () qui assumera[it] pleinement [jusquau] 30 juin 2004 la responsabiliteacute et lautoriteacute de gouverner lIraq raquo (paragraphe 18 ci-dessus) En deacutefinitive loccupation prit fin le 28 juin 2004 avec le

transfert de lAutoriteacute provisoire de la coalition deacutesormais dissoute au gouvernement inteacuterimaire de la responsabiliteacute pleine et entiegravere

du gouvernement de lIrak (paragraphe 19 ci-dessus)

iii Conclusion quant agrave la juridiction

149 On peut donc voir quapregraves le renversement du reacutegime baasiste et jusquagrave linstauration du gouvernement inteacuterimaire

le Royaume-Uni a assumeacute en Irak (conjointement avec les Etats-Unis) certaines des preacuterogatives de puissance publique qui sont normalement celles dun Etat souverain en particulier le pouvoir et la responsabiliteacute du maintien de la seacutecuriteacute dans le sud-est du pays

Dans ces circonstances exceptionnelles la Cour considegravere que le Royaume-Uni par le biais de ses soldats affecteacutes agrave des opeacuterations de

seacutecuriteacute agrave Bassorah lors de cette peacuteriode exerccedilait sur les personnes tueacutees lors de ces opeacuterations une autoriteacute et un controcircle propres agrave

eacutetablir aux fins de larticle 1 de la Convention un lien juridictionnel entre lui et ces personnes

150 Cela preacuteciseacute la Cour rappelle que les deacutecegraves en cause dans la preacutesente affaire sont survenus au cours de la peacuteriode

consideacutereacutee le 8 mai 2003 pour le fils du cinquiegraveme requeacuterant au mois daoucirct 2003 pour les fregraveres des premier et quatriegraveme requeacuterants au mois de septembre 2003 pour le fils du sixiegraveme requeacuterant et au mois de novembre 2003 pour les eacutepouses des deuxiegraveme

et troisiegraveme requeacuterants Il nest pas contesteacute que les deacutecegraves des proches des premier deuxiegraveme quatriegraveme cinquiegraveme et sixiegraveme

requeacuterants ont eacuteteacute causeacutes par le fait de soldats britanniques au cours ou dans le contexte dopeacuterations de seacutecuriteacute conduites par les forces britanniques agrave divers endroits de la ville de Bassorah Il sensuit quaux fins de larticle 1 de la Convention un lien juridictionnel

rattachait le Royaume-Uni aux deacutefunts dans tous ces cas Quant au troisiegraveme requeacuterant son eacutepouse a eacuteteacute tueacutee lors dune fusillade entre

une patrouille de soldats britanniques et des tireurs inconnus et on ignore lequel des deux camps a eacuteteacute agrave lorigine du coup fatal La Cour considegravere que le deacutecegraves eacutetant survenu au cours dune opeacuteration de seacutecuriteacute meneacutee par le Royaume-Uni dans le cadre de laquelle

des soldats britanniques qui patrouillaient agrave proximiteacute du domicile de linteacuteresseacute sont intervenus dans la fusillade mortelle il existait

eacutegalement un lien juridictionnel entre le Royaume-Uni et cette victime

915

II Le champ drsquoapplication temporel de la Convention europeacuteenne

Document ndeg4 CEDH Janowiec cRussie 21102013 extraits

136 A la suite de lrsquoarrecirct Šilih les principes reacutegissant la compeacutetence temporelle de la Cour srsquoagissant de lrsquoobligation laquo deacutetachable raquo deacutecoulant de lrsquoarticle 2 de la Convention drsquoenquecircter sur le deacutecegraves drsquoune personne ont eacuteteacute appliqueacutes dans un grand nombre drsquoaffaires

137 La masse de celles-ci peut ecirctre reacutepartie en diffeacuterents groupes dont le plus important est constitueacute drsquoaffaires dirigeacutees contre la Roumanie dans lesquelles eacutetait alleacutegueacutee lrsquoineffectiviteacute des investigations sur les deacutecegraves de manifestants au cours de la reacutevolution roumaine de deacutecembre 1989 Dans ces affaires la Cour srsquoest deacuteclareacutee compeacutetente pour connaicirctre des griefs au motif que agrave la date de lrsquoentreacutee en vigueur de la Convention agrave lrsquoeacutegard de la Roumanie les proceacutedures eacutetaient toujours en cours devant le parquet (Association laquo 21 Deacutecembre 1989 raquo et autres c Roumanie nos 3381007 et 1881708 24 mai 2011 Pastor et Ţiclete c Roumanie nos 3091106 et 4096706 19 avril 2011 Lăpuşan et autres c Roumanie nos 2900706 3055206 3132306 3192006 3448506 3896006 3899606 3902706 et 3906706 8 mars 2011 Şandru et autres c Roumanie no 2246503 8 deacutecembre 2009 et Agache et autres c Roumanie no 271202 20 octobre 2009) Elle a statueacute de maniegravere analogue dans deux affaires posteacuterieures qui avaient pour objet des incidents violents survenus en juin 1990 (Mocanu et autres c Roumanie nos 1086509 4588607 et 3243108 13 novembre 2012) et en septembre 1991 (Crăiniceanu et Frumuşanu c Roumanie no 1244204 24 avril 2012)

138 Dans drsquoautres affaires reacutecentes ndash agrave lrsquoexception de lrsquoaffaire Tuna c Turquie qui avait pour origine un deacutecegraves en garde agrave vue survenu environ sept ans avant la reconnaissance par la Turquie du droit de recours individuel (Tuna c Turquie no 2233903 sectsect 57-63 19 janvier 2010) ndash ougrave il nrsquoeacutetait pas alleacutegueacute que le deacutecegraves en question eacutetait la conseacutequence de quelconques actes drsquoagents de lrsquoEtat le deacutecegraves preacuteceacutedait de un agrave quatre ans la date drsquoentreacutee en vigueur et une part importante de la proceacutedure avait eacuteteacute conduite apregraves cette date (Kudra c Croatie no 1390407 sectsect 110-112 18 deacutecembre 2012 quatre ans deacutecegraves accidentel causeacute par la neacutegligence drsquoune socieacuteteacute priveacutee Igor Shevchenko c Ukraine no2273704 sectsect 45-48 12 janvier 2012 trois ans accident de la circulation Bajić c Croatie no 4110810 sect 62 13 novembre 2012 quatre ans erreur meacutedicale Dimovi c Bulgarie no 5274407 sectsect 36-45 6 novembre 2012 trois ans deacutecegraves causeacute par un incendie Velcea et Mazăre c Roumanie no 6430101 sectsect 85-88 1er deacutecembre 2009 un an dispute familiale Trufin c Roumanie no 399004 sectsect 32-34 20 octobre 2009 deux ans meurtre et Lyubov Efimenko c Ukraine no 7572601 sect 65 25 novembre 2010 quatre ans vol agrave main armeacutee et meurtre) Dans deux affaires le fait que des insurgeacutes ou des formations paramilitaires eussent tueacute les proches des requeacuterants sept et six ans respectivement avant la date critique nrsquoa pas empecirccheacute la Cour de connaicirctre du fond du grief souleveacute sous lrsquoangle du volet proceacutedural de lrsquoarticle 2 (Paccedilacı et autres c Turquie no 306407 sectsect 64-66 8novembre 2011 et Jularić c Croatie no 2010606 sectsect 38 et 45-46 20 janvier 2011) La peacuteriode de treize ans ayant seacutepareacute le deacutecegraves du fils du requeacuterant dans une bagarre et lrsquoentreacutee en vigueur de la Convention agrave lrsquoeacutegard de la Serbie nrsquoa pas non plus eacuteteacute consideacutereacutee comme primant lrsquoimportance des actes de proceacutedure accomplis apregraves la date critique (Mladenović c Serbie no 109908 sectsect 38-40 22 mai 2012)

139 La Cour a eacutegalement statueacute sur un certain nombre drsquoaffaires dans lesquelles le requeacuterant disait avoir eacuteteacute victime drsquoun traitement prohibeacute par lrsquoarticle 3 de la Convention agrave un moment donneacute avant la date critique Elle a conclu qursquoelle avait compeacutetence pour veacuterifier le respect par lrsquoEtat deacutefendeur ndash pendant la peacuteriode posteacuterieure agrave lrsquoentreacutee en vigueur ndash de lrsquoarticle 3 sous son volet proceacutedural qui lui imposait de conduire une enquecircte effective respectivement dans un cas de brutaliteacutes policiegraveres (Yatsenko c Ukraine no 7534501 sect 40 16 feacutevrier 2012 et Stanimirović c Serbie no 2608806 sectsect 28-29 18 octobre 2011) dans un cas de viol (PM c Bulgarie no 4966907 sect 58 24 janvier 2012) et dans un cas de mauvais traitements infligeacutes par un particulier (Otašević c Serbie no 3219807 5 feacutevrier 2013)

3 Clarification des critegraveres eacutelaboreacutes dans lrsquoarrecirct Šilih

140 Malgreacute le nombre toujours croissant drsquoarrecircts dans lesquels la Cour statue sur sa compeacutetence ratione temporis en se fondant sur les critegraveres adopteacutes dans lrsquoarrecirct Šilih lrsquoapplication en pratique de ces derniers est parfois source drsquoincertitudes Une clarification est donc souhaitable

141 Les critegraveres exposeacutes aux paragraphes 162 et 163 de lrsquoarrecirct Šilih (repris au paragraphe 133 ci-dessus) peuvent se reacutesumer comme suit Premiegraverement dans le cas drsquoun deacutecegraves survenu avant la date critique seuls les actes et omissions de nature proceacutedurale posteacuterieurs agrave cette date relegravevent de la compeacutetence temporelle de la Cour Deuxiegravemement pour que lrsquoobligation proceacutedurale entre en jeu il doit exister un laquo lien veacuteritable raquo entre le deacutecegraves en tant que fait geacuteneacuterateur et lrsquoentreacutee en vigueur de la Convention Troisiegravemement un lien qui ne serait pas laquo veacuteritable raquo peut neacuteanmoins suffire agrave eacutetablir la compeacutetence de la Cour si sa prise en compte est neacutecessaire pour permettre de veacuterifier que les garanties offertes par la Convention et les valeurs qui la sous-tendent sont proteacutegeacutees de maniegravere reacuteelle et effective La Cour examinera tour agrave tour chacun de ces eacuteleacutements

a) Actes et omissions de nature proceacutedurale posteacuterieurs agrave lrsquoentreacutee en vigueur de la Convention

142 La Cour rappelle drsquoembleacutee que lrsquoenquecircte que requiert lrsquoarticle 2 sous son volet proceacutedural ne constitue pas un mode de redressement drsquoune violation alleacutegueacutee du droit agrave la vie qui a pu survenir avant la date critique La violation alleacutegueacutee de lrsquoobligation proceacutedurale a pour origine lrsquoabsence drsquoenquecircte effective lrsquoobligation proceacutedurale a son propre champ drsquoapplication et peut jouer indeacutependamment de lrsquoobligation mateacuterielle de lrsquoarticle 2 (arrecircts Varnava et autres sect 136 et Šilih sect 159 preacuteciteacutes) Degraves lors la compeacutetence temporelle de la Cour englobe les actes et omissions de nature proceacutedurale qui sont survenus ou auraient ducirc survenir apregraves lrsquoentreacutee en vigueur de la Convention agrave lrsquoeacutegard de lrsquoEtat deacutefendeur

143 La Cour considegravere en outre que par laquo actes de nature proceacutedurale raquo il faut entendre les actes inheacuterents agrave lrsquoobligation proceacutedurale deacutecoulant de lrsquoarticle 2 ou le cas eacutecheacuteant de lrsquoarticle 3 de la Convention crsquoest-agrave-dire les actes pris dans le cadre drsquoune proceacutedure peacutenale civile administrative ou disciplinaire susceptible de mener agrave lrsquoidentification et agrave la punition des responsables ou agrave lrsquoindemnisation de la partie leacuteseacutee (Labita c Italie [GC] no 2677295 sect 131 CEDH 2000-IV et McCann et autres c Royaume-Uni 27 septembre 1995 sect 161 seacuterie A no 324) Cette deacutefinition a pour effet drsquoexclure les autres types de deacutemarches pouvant ecirctre entreprises agrave drsquoautres fins par exemple pour eacutetablir une veacuteriteacute historique

1015

144 Les laquo omissions raquo visent les cas ougrave il nrsquoy a eu aucune enquecircte et ceux ougrave seuls des actes de proceacutedure insignifiants ont eacuteteacute effectueacutes mais ougrave il est alleacutegueacute qursquoune enquecircte effective aurait ducirc ecirctre meneacutee Degraves lors que se preacutesente une alleacutegation un moyen de preuve ou un eacuteleacutement drsquoinformation plausible et creacutedible qui pourrait permettre drsquoidentifier et au bout du compte drsquoinculper ou de punir les responsables les autoriteacutes sont tenues de prendre des mesures drsquoenquecircte (Gutieacuterrez Dorado et Dorado Ortiz c Espagne (deacutec) no 3014109 sectsect 39-41 27 mars 2012 Ccedilakir et autres c Chypre (deacutec) no 786406 29 avril 2010 et Brecknell preacuteciteacute sectsect 66-72) Si vient agrave surgir posteacuterieurement agrave lrsquoentreacutee en vigueur un eacuteleacutement nouveau suffisamment important et deacuteterminant pour justifier lrsquoouverture drsquoune nouvelle instance la Cour devra srsquoassurer que lrsquoEtat deacutefendeur srsquoest acquitteacute de lrsquoobligation proceacutedurale que lui impose lrsquoarticle 2 drsquoune maniegravere compatible avec les principes eacutenonceacutes dans sa jurisprudence Toutefois si le fait geacuteneacuterateur eacutechappe agrave la compeacutetence temporelle de la Cour la deacutecouverte drsquoeacuteleacutements nouveaux apregraves la date critique ne pourra faire renaicirctre lrsquoobligation drsquoenquecircter que si le critegravere du laquo lien veacuteritable raquo ou celui des laquo valeurs de la Convention raquo (voir ci-dessous) a eacuteteacute satisfait

b) Le critegravere du laquo lien veacuteritable raquo

145 La premiegravere phrase du paragraphe 163 de lrsquoarrecirct Šilih pose que lrsquoexistence drsquoun laquo lien veacuteritable raquo entre le fait geacuteneacuterateur et lrsquoentreacutee en vigueur de la Convention agrave lrsquoeacutegard de lrsquoEtat deacutefendeur est une condition sine qua non pour que lrsquoobligation proceacutedurale deacutecoulant de lrsquoarticle 2 de la Convention devienne applicable

146 La Cour considegravere que lrsquoeacuteleacutement temporel est le premier et le plus important des indicateurs lorsqursquoil srsquoagit drsquoeacutetablir le caractegravere laquo veacuteritable raquo du lien A lrsquoinstar de la chambre dans son arrecirct elle ajoute que pour qursquoil y ait un laquo lien veacuteritable raquo le laps de temps eacutecouleacute entre le fait geacuteneacuterateur et la date critique doit demeurer relativement bref Bien qursquoil nrsquoexiste en droit aucun critegravere apparent permettant de deacutefinir la limite absolue de ce deacutelai celui-ci ne devrait pas exceacuteder dix ans (voir par analogie Varnava et autres preacuteciteacute sect 166 et Er et autres c Turquie no 2301604 sectsect 59-60 31 juillet 2012) A supposer mecircme que en raison de circonstances exceptionnelles il soit justifieacute de faire remonter ce deacutelai encore plus loin dans le passeacute il faudra qursquoil soit satisfait au critegravere des laquo valeurs de la Convention raquo

147 Toutefois la dureacutee du deacutelai qui seacutepare le fait geacuteneacuterateur de la date critique nrsquoest pas deacutecisive en elle-mecircme pour deacuteterminer si le lien est laquo veacuteritable raquo Comme lrsquoindique la deuxiegraveme phrase du paragraphe 163 de lrsquoarrecirct Šilih le lien sera eacutetabli si lrsquoessentiel de lrsquoenquecircte sur le deacutecegraves a eu lieu ou aurait ducirc avoir lieu posteacuterieurement agrave lrsquoentreacutee en vigueur de la Convention Cela englobe la conduite drsquoune proceacutedure visant agrave eacutetablir la cause du deacutecegraves et agrave faire reacutepondre les responsables de leurs actes ainsi que lrsquoadoption drsquoune part importante des mesures proceacutedurales essentielles au deacuteroulement de lrsquoenquecircte Il srsquoagit drsquoun corollaire au principe voulant que la Cour nrsquoait compeacutetence qursquoagrave lrsquoeacutegard des actes et omissions de nature proceacutedurale posteacuterieurs agrave la date drsquoentreacutee en vigueur Si toutefois la majeure partie de la proceacutedure ou les mesures proceacutedurales les plus importantes sont anteacuterieures agrave cette date la capaciteacute de la Cour agrave appreacutecier globalement lrsquoeffectiviteacute de lrsquoenquecircte agrave lrsquoaune des exigences proceacutedurales de lrsquoarticle 2 de la Convention peut srsquoen trouver irreacutemeacutediablement amoindrie

148 Eu eacutegard agrave ce qui preacutecegravede la Cour conclut que pour qursquoun laquo lien veacuteritable raquo puisse ecirctre eacutetabli il doit ecirctre satisfait aux deux critegraveres le deacutelai entre le deacutecegraves en tant que fait geacuteneacuterateur et lrsquoentreacutee en vigueur de la Convention doit avoir eacuteteacute relativement bref et la majeure partie de lrsquoenquecircte doit avoir eacuteteacute conduite ou aurait ducirc lrsquoecirctre apregraves lrsquoentreacutee en vigueur

c) Le critegravere des laquo valeurs de la Convention raquo

149 La Cour admet par ailleurs qursquoil peut exister des situations extraordinaires ne satisfaisant pas au critegravere du laquo lien veacuteritable raquo tel qursquoexposeacute ci-dessus mais ougrave la neacutecessiteacute de proteacuteger de maniegravere reacuteelle et effective les garanties offertes par la Convention et les valeurs qui la sous-tendent constitue un fondement suffisant pour reconnaicirctre lrsquoexistence drsquoun lien La derniegravere phrase du paragraphe 163 de lrsquoarrecirct Šilih nrsquoexclut pas cette eacuteventualiteacute qui constituerait alors une exception agrave la regravegle geacuteneacuterale que repreacutesente le critegravere du laquo lien veacuteritable raquo Dans toutes les affaires preacuteciteacutees la Cour a admis lrsquoexistence drsquoun laquo lien veacuteritable raquo parce que le laps de temps eacutecouleacute entre le deacutecegraves et la date critique eacutetait relativement bref et qursquoune part consideacuterable de la proceacutedure avait eacuteteacute conduite apregraves cette date La preacutesente affaire est donc la premiegravere agrave pouvoir relever de cette autre cateacutegorie agrave caractegravere exceptionnel Aussi la Cour doit-elle expliciter les modaliteacutes drsquoapplication du critegravere des laquo valeurs de la Convention raquo

150 A lrsquoinstar de la chambre la Grande Chambre estime que le renvoi aux valeurs qui sous-tendent la Convention signifie que lrsquoexistence du lien requis peut ecirctre constateacutee si le fait geacuteneacuterateur revecirct une dimension plus large qursquoune infraction peacutenale ordinaire et constitue la neacutegation des fondements mecircmes de la Convention Tel serait le cas de graves crimes de droit international tels que les crimes de guerre le geacutenocide ou les crimes contre lrsquohumaniteacute conformeacutement aux deacutefinitions qursquoen donnent les instruments internationaux pertinents

151 Le caractegravere odieux et la graviteacute de pareils crimes ont pousseacute les parties agrave la Convention sur lrsquoimprescriptibiliteacute des crimes de guerre et des crimes contre lrsquohumaniteacute agrave consideacuterer que ces infractions doivent ecirctre imprescriptibles et que les prescriptions qui existeraient en la matiegravere dans leur ordre juridique interne doivent ecirctre abolies La Cour considegravere neacuteanmoins que le critegravere des laquo valeurs de la Convention raquo ne peut pas srsquoappliquer agrave des eacuteveacutenements anteacuterieurs agrave lrsquoadoption de la Convention le 4 novembre 1950 car crsquoest seulement agrave cette date que celle-ci a commenceacute agrave exister en tant qursquoinstrument international de protection des droits de lrsquohomme Degraves lors la responsabiliteacute sur le terrain de la Convention drsquoune Partie agrave celle-ci ne peut pas ecirctre engageacutee pour la non-reacutealisation drsquoune enquecircte sur un crime de droit international fucirct-il le plus abominable si celui-ci est anteacuterieur agrave la Convention Bien qursquoelle soit sensible agrave lrsquoargument selon lequel mecircme aujourdrsquohui certains pays ont reacuteussi agrave juger des responsables de crimes de guerre commis au cours de la Deuxiegraveme Guerre mondiale la Cour souligne la diffeacuterence fondamentale qui existe entre la possibiliteacute de poursuivre une personne pour un grave crime de droit international si les circonstances le permettent et lrsquoobligation de le faire au regard de la Convention

III La theacuteorie des obligations positives

Document ndeg5 CEDH Airey c Irlande 9101979 extraits

1115

24 Selon le Gouvernement la requeacuterante a bien accegraves agrave la High Court puisqursquoil lui est loisible de srsquoadresser agrave elle sans

lrsquoassistance drsquoun homme de loi

La Cour ne considegravere pas cette ressource comme deacutecisive en soi La Convention a pour but de proteacuteger des droits non pas

theacuteoriques ou illusoires mais concrets et effectifs (voir mutatis mutandis lrsquoarrecirct du 23 juillet 1968 en lrsquoaffaire linguistique belge

seacuterie A no 6 p 31 paras 3 in fine et 4 lrsquoarrecirct Golder preacuteciteacute p 18 par 35 in fine lrsquoarrecirct Luedicke Belkacem et Koccedil du 28 novembre 1978 seacuterie A no 29 pp 17-18 par 42 lrsquoarrecirct Marckx du 13 juin 1979 seacuterie A no 31 p 15 par 31) La remarque vaut en

particulier pour le droit drsquoaccegraves aux tribunaux eu eacutegard agrave la place eacuteminente que le droit agrave un procegraves eacutequitable occupe dans une socieacuteteacute

deacutemocratique (cf mutatis mutandis lrsquoarrecirct Delcourt du 17 janvier 1970 seacuterie A no 11 pp 14-15 par 25) Il faut donc rechercher si la comparution devant la High Court sans lrsquoassistance drsquoun conseil serait efficace en ce sens que Mme Airey pourrait preacutesenter ses

arguments de maniegravere adeacutequate et satisfaisante

Gouvernement et Commission ont exposeacute agrave ce sujet des vues contradictoires lors des audiences La Cour estime certain que la requeacuterante se trouverait deacutesavantageacutee si son eacutepoux eacutetait repreacutesenteacute par un homme de loi et elle non En dehors mecircme de cette

hypothegravese elle ne croit pas reacutealiste de penser que lrsquointeacuteresseacutee pourrait deacutefendre utilement sa cause dans un tel litige malgreacute lrsquoaide que

le juge - le Gouvernement le souligne - precircte aux parties agissant en personne

En Irlande un jugement de seacuteparation de corps ne srsquoobtient pas devant un tribunal drsquoarrondissement ougrave la proceacutedure est

relativement simple mais devant la High Court Un speacutecialiste du droit irlandais de la famille M Alan J Shatter voit dans cette

juridiction la moins accessible de toutes en raison non seulement du niveau fort eacuteleveacute des honoraires agrave verser pour srsquoy faire repreacutesenter mais aussi de la complexiteacute de la proceacutedure agrave suivre pour introduire une action en particulier sur requecircte (petition)

comme ici (Family Law in the Republic of Ireland Dublin 1977 p 21)

En outre pareil procegraves indeacutependamment des problegravemes juridiques deacutelicats qursquoil comporte exige la preuve drsquoun adultegravere de pratiques contre nature ou comme en lrsquooccurrence de cruauteacute pour eacutetablir les faits il peu y avoir lieu de recueillir la deacuteposition

drsquoexperts de rechercher des teacutemoins de les citer et de les interroger De surcroicirct les diffeacuterends entre conjoints suscitent souvent une

passion peu compatible avec le degreacute drsquoobjectiviteacute indispensable pour plaider en justice

Pour ces motifs la Cour estime tregraves improbable qursquoune personne dans la situation de Mme Airey (paragraphe 8 ci-dessus)

puisse deacutefendre utilement sa propre cause Les reacuteponses du Gouvernement aux questions de la Cour corroborent cette opinion elles

reacutevegravelent que dans chacune des 255 instances en seacuteparation de corps engageacutees en Irlande de janvier 1972 agrave deacutecembre 1978 sans exception un homme de loi repreacutesentait le demandeur (paragraphe 11 ci-dessus)

La Cour en deacuteduit que la possibiliteacute de comparaicirctre en personne devant la High Court nrsquooffre pas agrave la requeacuterante un droit effectif drsquoaccegraves et partant ne constitue pas non plus un recours interne dont lrsquoarticle 26 (art 26) exige lrsquoeacutepuisement (paragraphe 19 b)

ci-dessus)

25 Le Gouvernement essaie de diffeacuterencier la preacutesente espegravece de lrsquoaffaire Golder Dans cette derniegravere souligne-t-il le requeacuterant avait eacuteteacute empecirccheacute de saisir un tribunal par un obstacle positif dresseacute sur son chemin par lrsquoEacutetat le ministre de lrsquointeacuterieur lui

avait interdit de consulter un avocat Ici au contraire il nrsquoexisterait de la part de lrsquoEacutetat ni obstacle positif ni tentative drsquoentrave le

deacutefaut alleacutegueacute drsquoaccegraves agrave la justice ne deacutecoulerait drsquoaucune initiative des autoriteacutes mais uniquement de la situation personnelle de Mme Airey dont on ne saurait tenir lrsquoIrlande pour responsable sur le terrain de la Convention

Cette dissemblance entre les circonstances des deux causes est indeacuteniable mais la Cour nrsquoapprouve pas la conclusion qursquoen

tire le Gouvernement Tout drsquoabord un obstacle de fait peut enfreindre la Convention agrave lrsquoeacutegal drsquoun obstacle juridique (arrecirct Golder preacuteciteacute p 13 par 26) En outre lrsquoexeacutecution drsquoun engagement assumeacute en vertu de la Convention appelle parfois des mesures positives

de lrsquoEacutetat en pareil cas celui-ci ne saurait se borner agrave demeurer passif et il nrsquoy a () pas lieu de distinguer entre actes et omissions

(voir mutatis mutandis lrsquoarrecirct Marckx preacuteciteacute p 15 par 31 et lrsquoarrecirct De Wilde Ooms et Versyp du 10 mars 1972 seacuterie A no 14 p 10 par 22) Or lrsquoobligation drsquoassurer un droit effectif drsquoaccegraves agrave la justice se range dans cette cateacutegorie drsquoengagements

26 Le Gouvernement appuie son argument principal sur ce qursquoil considegravere comme les conseacutequences de lrsquoavis de la

Commission dans chaque contestation relative agrave un droit de caractegravere civil lrsquoEacutetat devrait fournir une aide judiciaire gratuite Or la

seule clause de la Convention qui reacutegisse expresseacutement cette derniegravere question lrsquoarticle 6 par 3 c) (art 6-3-c) concerne les

proceacutedures peacutenales et srsquoaccompagne elle-mecircme de restrictions au surplus drsquoapregraves la jurisprudence constante de la Commission nul

droit agrave une aide judiciaire gratuite ne se trouve en soi garanti par lrsquoarticle 6 par 1 (art 6-1) En ratifiant la Convention ajoute le Gouvernement lrsquoIrlande a formuleacute une reacuteserve agrave lrsquoarticle 6 par 3 c) (art 6-3-c) pour reacuteduire ses obligations dans le domaine de lrsquoaide

judiciaire en matiegravere peacutenale a fortiori on ne saurait selon lui preacutetendre qursquoelle ait tacitement accepteacute drsquooctroyer une aide judiciaire

illimiteacutee dans les litiges civils Enfin il ne faut pas drsquoapregraves lui interpreacuteter la Convention de maniegravere agrave reacutealiser dans un Eacutetat contractant des progregraves eacuteconomiques et sociaux ils ne peuvent ecirctre que graduels

La Cour nrsquoignore pas que le deacuteveloppement des droits eacuteconomiques et sociaux deacutepend beaucoup de la situation des Eacutetats et

notamment de leurs finances Drsquoun autre cocircteacute la Convention doit se lire agrave la lumiegravere des conditions de vie drsquoaujourdrsquohui (arrecirct Marckx preacuteciteacute p 19 par 41) et agrave lrsquointeacuterieur de son champ drsquoapplication elle tend agrave une protection reacuteelle et concregravete de lrsquoindividu

(paragraphe 24 ci-dessus) Or si elle eacutenonce pour lrsquoessentiel des droits civils et politiques nombre drsquoentre eux ont des prolongements

drsquoordre eacuteconomique ou social Avec la Commission la Cour nrsquoestime donc pas devoir eacutecarter telle ou telle interpreacutetation pour le simple motif qursquoagrave lrsquoadopter on risquerait drsquoempieacuteter sur la sphegravere des droits eacuteconomiques et sociaux nulle cloison eacutetanche ne seacutepare

celle-ci du domaine de la Convention

La Cour ne partage pas davantage lrsquoopinion du Gouvernement sur les conseacutequences de lrsquoavis de la Commission

On aurait tort de geacuteneacuteraliser la conclusion selon laquelle la possibiliteacute de comparaicirctre en personne devant la High Court

nrsquooffre pas agrave Mme Airey un droit effectif drsquoaccegraves elle ne vaut pas pour tous les cas concernant des droits et obligations de caractegravere

civil ni pour tous les inteacuteresseacutes Dans certaines hypothegraveses la faculteacute de se preacutesenter devant une juridiction fucirct-ce sans lrsquoassistance drsquoun conseil reacutepond aux exigences de lrsquoarticle 6 par 1 (art 6-1) il se peut qursquoelle assure parfois un accegraves reacuteel mecircme agrave la High Court

En veacuteriteacute les circonstances jouent ici un rocircle important

En outre lrsquoarticle 6 par 1 (art 6-1) srsquoil garantit aux plaideurs un droit effectif drsquoaccegraves aux tribunaux pour les deacutecisions relatives agrave leurs droits et obligations de caractegravere civil laisse agrave lrsquoEacutetat le choix des moyens agrave employer agrave cette fin Lrsquoinstauration drsquoun

systegraveme drsquoaide judiciaire - envisageacutee agrave preacutesent par lrsquoIrlande pour les affaires ressortissant au droit de la famille (paragraphe 11 ci-

1215

dessus) - en constitue un mais il y en a drsquoautres par exemple une simplification de la proceacutedure Quoi qursquoil en soit il nrsquoappartient pas

agrave la Cour de dicter les mesures agrave prendre ni mecircme de les indiquer la Convention se borne agrave exiger que lrsquoindividu jouisse de son droit effectif drsquoaccegraves agrave la justice selon des modaliteacutes non contraires agrave lrsquoarticle 6 par 1 (art 6-1) (voir mutatis mutandis lrsquoarrecirct Syndicat

national de la police belge du 27 octobre 1975 seacuterie A no 19 p 18 par 39 et lrsquoarrecirct Marckx preacuteciteacute p 15 par 31)

La conclusion figurant agrave la fin du paragraphe 24 ci-dessus nrsquoimplique donc pas que lrsquoEacutetat doive fournir une aide judiciaire gratuite dans toute contestation touchant un droit de caractegravere civil

Affirmer lrsquoexistence drsquoune obligation aussi eacutetendue la Cour lrsquoadmet se concilierait mal avec la circonstance que la

Convention ne renferme aucune clause sur lrsquoaide judiciaire pour ces derniegraveres contestations son article 6 par 3 c) (art 6-3-c) ne traitant que de la matiegravere peacutenale Cependant malgreacute lrsquoabsence drsquoun texte analogue pour les procegraves civils lrsquoarticle 6 par 1 (art 6-1)

peut parfois astreindre lrsquoEacutetat agrave pourvoir agrave lrsquoassistance drsquoun membre du barreau quand elle se reacutevegravele indispensable agrave un accegraves effectif

au juge soit parce que la loi prescrit la repreacutesentation par un avocat comme la leacutegislation nationale de certains Eacutetats contractants le fait pour diverses cateacutegories de litiges soit en raison de la complexiteacute de la proceacutedure ou de la cause

Quant agrave la reacuteserve irlandaise agrave lrsquoarticle 6 par 3 c) (art 6-3-c) on ne saurait lrsquointerpreacuteter de telle sorte qursquoelle influerait sur

les engagements reacutesultant de lrsquoarticle 6 par 1 (art 6-1) partant elle nrsquoentre pas ici en ligne de compte

28 La Cour constate ainsi agrave la lumiegravere de lrsquoensemble des circonstances de la cause que Mme Airey nrsquoa pas beacuteneacuteficieacute drsquoun

droit drsquoaccegraves effectif agrave la High Court pour demander un jugement de seacuteparation de corps Partant il y a eu violation de lrsquoarticle 6 par

1 (art 6-1)

32 Aux yeux de la Cour Mme Airey ne saurait passer pour avoir subi de la part de lrsquoIrlande une ingeacuterence dans sa vie

priveacutee ou familiale elle se plaint en substance non drsquoun acte mais de lrsquoinaction de lrsquoEacutetat Toutefois si lrsquoarticle 8 (art 8) a

essentiellement pour objet de preacutemunir lrsquoindividu contre des ingeacuterences arbitraires des pouvoirs publics il ne se contente pas drsquoastreindre lrsquoEacutetat agrave srsquoabstenir de pareilles ingeacuterences agrave cet engagement plutocirct neacutegatif peuvent srsquoajouter des obligations positives

inheacuterentes agrave un respect effectif de la vie priveacutee ou familiale (arrecirct Marckx preacuteciteacute p 15 par 31)

33 Le droit irlandais regravegle cette derniegravere sous beaucoup drsquoaspects Au sujet de mariage il prescrit en principe aux eacutepoux de cohabiter mais il leur accorde dans certains cas le droit de demander un jugement de seacuteparation de corps Par lagrave mecircme il reconnaicirct

que la protection de leur vie priveacutee ou familiale exige parfois de les relever de ce devoir

Un respect effectif de la vie priveacutee ou familiale impose agrave lrsquoIrlande de rendre ce moyen effectivement accessible quand il y a lieu agrave quiconque deacutesire lrsquoemployer Or la requeacuterante nrsquoy a pas eu effectivement accegraves nrsquoayant pas eacuteteacute mise en mesure de saisir la

High Court (paragraphes 20 agrave 28 ci-dessus) elle nrsquoa pu reacuteclamer la conseacutecration juridique de sa seacuteparation de fait drsquoavec son mari Elle a donc eacuteteacute victime drsquoune violation de lrsquoarticle 8 (art 8)

Document ndeg 6 CEDH Lopez Ostra c Espagne 9 Deacutecembre 1994 extraits

51 Il va pourtant de soi que des atteintes graves agrave lrsquoenvironnement peuvent affecter le bien-ecirctre drsquoune personne et la priver

de la jouissance de son domicile de maniegravere agrave nuire agrave sa vie priveacutee et familiale sans pour autant mettre en grave danger la santeacute de lrsquointeacuteresseacutee

Que lrsquoon aborde la question sous lrsquoangle drsquoune obligation positive de lrsquoEtat - adopter des mesures raisonnables et adeacutequates

pour proteacuteger les droits de lrsquoindividu en vertu du paragraphe 1 de lrsquoarticle 8 (art 8-1) - comme le souhaite dans son cas la requeacuterante ou sous celui drsquoune ingeacuterence drsquoune autoriteacute publique agrave justifier selon le paragraphe 2 (art 8-2) les principes applicables sont assez

voisins Dans les deux cas il faut avoir eacutegard au juste eacutequilibre agrave meacutenager entre les inteacuterecircts concurrents de lrsquoindividu et de la socieacuteteacute

dans son ensemble lrsquoEtat jouissant en toute hypothegravese drsquoune certaine marge drsquoappreacuteciation En outre mecircme pour les obligations positives reacutesultant du paragraphe 1 (art 8-1) les objectifs eacutenumeacutereacutes au paragraphe 2 (art 8-2) peuvent jouer un certain rocircle dans la

recherche de lrsquoeacutequilibre voulu (voir notamment les arrecircts Rees c Royaume-Uni du 17 octobre 1986 seacuterie A no 106 p 15 par 37 et

Powell et Rayner c Royaume-Uni du 21 feacutevrier 1990 seacuterie A no 172 p 18 par 41)

52 Il ressort du dossier que la station drsquoeacutepuration litigieuse fut construite en juillet 1988 par SACURSA pour reacutesoudre un

grave problegraveme de pollution existant agrave Lorca agrave cause de la concentration de tanneries Or degraves son entreacutee en service elle provoqua des

nuisances et troubles de santeacute chez de nombreux habitants (paragraphes 7 et 8 ci-dessus)

Certes les autoriteacutes espagnoles et notamment la municipaliteacute de Lorca nrsquoeacutetaient pas en principe directement responsables

des eacutemanations dont il srsquoagit Toutefois comme le signale la Commission la ville permit lrsquoinstallation de la station sur des terrains lui

appartenant et lrsquoEtat octroya une subvention pour sa construction (paragraphe 7 ci-dessus)

53 Le conseil municipal reacuteagit avec ceacuteleacuteriteacute en relogeant gratuitement au centre ville pendant les mois de juillet aoucirct et

septembre 1988 les reacutesidents affecteacutes puis en closant lrsquoune des activiteacutes de la station agrave partir du 9 septembre (paragraphes 8 et 9 ci-

dessus) Cependant ses membres ne pouvaient ignorer que les problegravemes drsquoenvironnement persistegraverent apregraves cette clocircture partielle (paragraphes 9 et 11 ci-dessus) Cela fut drsquoailleurs corroboreacute degraves le 19 janvier 1989 par le rapport de lrsquoAgence reacutegionale pour

lrsquoenvironnement et la nature puis confirmeacute par des expertises en 1991 1992 et 1993 (paragraphes 11 et 18 ci-dessus)

54 Drsquoapregraves Mme Loacutepez Ostra les pouvoirs geacuteneacuteraux de police attribueacutes agrave la municipaliteacute par le regraveglement de 1961 obligeaient ladite municipaliteacute agrave agir En outre la station ne reacuteunissait pas les conditions requises par la loi notamment en ce qui

concernait son emplacement et lrsquoabsence de permis municipal (paragraphes 8 27 et 28 ci-dessus)

55 Sur ce point la Cour rappelle que la question de la leacutegaliteacute de lrsquoinstallation et du fonctionnement de la station demeure pendante devant le Tribunal suprecircme depuis 1991 (paragraphe 16 ci-dessus) Or drsquoapregraves sa jurisprudence constante il incombe au

premier chef aux autoriteacutes nationales et speacutecialement aux cours et tribunaux drsquointerpreacuteter et drsquoappliquer le droit interne (voir entre autres lrsquoarrecirct Casado Coca c Espagne du 24 feacutevrier 1994 seacuterie A no 285-A p 18 par 43)

De toute maniegravere la Cour estime qursquoen lrsquooccurrence il lui suffit de rechercher si agrave supposer mecircme que la municipaliteacute se

soit acquitteacutee des tacircches qui lui revenaient drsquoapregraves le droit interne (paragraphes 27-28 ci-dessus) les autoriteacutes nationales ont pris les mesures neacutecessaires pour proteacuteger le droit de la requeacuterante au respect de son domicile ainsi que de sa vie priveacutee et familiale garanti par

lrsquoarticle 8 (art 8) (voir entre autres mutatis mutandis lrsquoarrecirct X et Y c Pays-Bas du 26 mars 1985 seacuterie A no 91 p 11 par 23)

1315

56 Il eacutechet de constater que non seulement la municipaliteacute nrsquoa pas pris apregraves le 9 septembre 1988 des mesures agrave cette fin

mais aussi qursquoelle a contrecarreacute des deacutecisions judiciaires allant dans ce sens Ainsi dans la proceacutedure ordinaire entameacutee par les belles-soeurs de Mme Loacutepez Ostra elle a interjeteacute appel contre la deacutecision du Tribunal supeacuterieur de Murcie du 18 septembre 1991 ordonnant

la fermeture provisoire de la station de sorte que cette mesure resta en suspens (paragraphe 16 ci-dessus)

Drsquoautres organes de lrsquoEtat ont aussi contribueacute agrave prolonger la situation Ainsi le ministegravere public attaqua le 19 novembre 1991 la deacutecision de fermeture provisoire prise par le juge drsquoinstruction de Lorca le 15 dans le cadre des poursuites pour deacutelit

eacutecologique (paragraphe 17 ci-dessus) si bien que la mesure est resteacutee inexeacutecuteacutee jusqursquoau 27 octobre 1993 (paragraphe 22 ci-dessus)

57 Le Gouvernement rappelle que la ville a assumeacute les frais de location drsquoun appartement au centre de Lorca que la requeacuterante et sa famille ont occupeacute du 1er feacutevrier 1992 jusqursquoen feacutevrier 1993 (paragraphe 21 ci-dessus)

La Cour note cependant que les inteacuteresseacutes ont ducirc subir pendant plus de trois ans les nuisances causeacutees par la station avant

de deacutemeacutenager avec les inconveacutenients que cela comporte Ils ne lrsquoont fait que lorsqursquoil apparut que la situation pouvait se prolonger indeacutefiniment et sur prescription du peacutediatre de la fille de Mme Loacutepez Ostra (paragraphes 16 17 et 19 ci-dessus) Dans ces conditions

lrsquooffre de la municipaliteacute ne pouvait pas effacer complegravetement les nuisances et inconveacutenients veacutecus

58 Compte tenu de ce qui preacutecegravede - et malgreacute la marge drsquoappreacuteciation reconnue agrave lrsquoEtat deacutefendeur - la Cour estime que

celui-ci nrsquoa pas su meacutenager un juste eacutequilibre entre lrsquointeacuterecirct du bien-ecirctre eacuteconomique de la ville de Lorca - celui de disposer drsquoune

station drsquoeacutepuration - et la jouissance effective par la requeacuterante du droit au respect de son domicile et de sa vie priveacutee et familiale

Il y a donc eu violation de lrsquoarticle 8 (art 8)

Document ndeg7 Soering c Royaume-Uni 07071989 extraits

I SUR LA VIOLATION ALLEacuteGUEacuteE DE LrsquoARTICLE 3 (art 3)

80 Selon le requeacuterant la deacutecision du ministre de lrsquoInteacuterieur de le livrer aux autoriteacutes des Eacutetats-Unis drsquoAmeacuterique entraicircnera si elle reccediloit exeacutecution un manquement du Royaume-Uni aux exigences de lrsquoarticle 3 (art 3) de la Convention ainsi

libelleacute

Nul ne peut ecirctre soumis agrave la torture ni agrave des peines ou traitements inhumains ou deacutegradants

A Applicabiliteacute de lrsquoarticle 3 (art 3) en matiegravere drsquoextradition

81 La violation alleacutegueacutee consisterait agrave exposer M Soering au syndrome du couloir de la mort (death row

phenomenon) On peut deacutecrire celui-ci comme une combinaison de circonstances dans lesquelles lrsquointeacuteresseacute devrait vivre si une fois extradeacute en Virginie pour y reacutepondre drsquoune accusation drsquoassassinats passibles de la peine capitale il se voyait condamner agrave mort

82 [hellip] la Commission rappelle que drsquoapregraves sa jurisprudence une expulsion ou extradition peut soulever un problegraveme au

regard de lrsquoarticle 3 (art 3) de la Convention srsquoil existe des raisons seacuterieuses de croire que la personne en cause subira dans lrsquoEacutetat de destination un traitement contraire agrave ce texte

[hellip]

84 La Cour abordera le problegraveme sur la base des consideacuterations suivantes

[hellip]

86 Lrsquoarticle 1 (art 1) aux termes duquel les Hautes Parties Contractantes reconnaissent agrave toute personne relevant de leur

juridiction les droits et liberteacutes deacutefinis au Titre I fixe une limite notamment territoriale au domaine de la Convention En particulier lrsquoengagement des Eacutetats contractants se borne agrave reconnaicirctre (en anglais to secure) aux personnes relevant de leur juridiction les

droits et liberteacutes eacutenumeacutereacutes En outre la Convention ne reacutegit pas les actes drsquoun Eacutetat tiers ni ne preacutetend exiger des Parties contractantes

qursquoelles imposent ses normes agrave pareil Eacutetat Lrsquoarticle 1 (art 1) ne saurait srsquointerpreacuteter comme consacrant un principe geacuteneacuteral selon

lequel un Eacutetat contractant nonobstant ses obligations en matiegravere drsquoextradition ne peut livrer un individu sans se convaincre que les

conditions escompteacutees dans le pays de destination cadrent pleinement avec chacune des garanties de la Convention En reacutealiteacute le

gouvernement britannique le souligne avec raison en deacuteterminant le champ drsquoapplication de la Convention et speacutecialement de lrsquoarticle 3 (art 3) on ne saurait oublier lrsquoobjectif beacuteneacutefique de lrsquoextradition empecirccher des deacutelinquants en fuite de se soustraire agrave la

justice

[hellip]

87 La Convention doit se lire en fonction de son caractegravere speacutecifique de traiteacute de garantie collective des droits de

lrsquohomme et des liberteacutes fondamentales (hellip) Lrsquoobjet et le but de cet instrument de protection des ecirctres humains appellent agrave comprendre

et appliquer ses dispositions drsquoune maniegravere qui en rende les exigences concregravetes et effectives (hellip) En outre toute interpreacutetation des droits et liberteacutes eacutenumeacutereacutes doit se concilier avec lrsquoesprit geacuteneacuteral [de la Convention] destineacutee agrave sauvegarder et promouvoir les ideacuteaux

et valeurs drsquoune socieacuteteacute deacutemocratique (hellip)

88 Lrsquoarticle 3 (art 3) ne meacutenage aucune exception et lrsquoarticle 15 (art 15) ne permet pas drsquoy deacuteroger en temps de guerre ou autre danger national Cette prohibition absolue par la Convention de la torture et des peines ou traitements inhumains ou

deacutegradants montre que lrsquoarticle 3 (art 3) consacre lrsquoune des valeurs fondamentales des socieacuteteacutes deacutemocratiques qui forment le Conseil

de lrsquoEurope

Reste agrave savoir si lrsquoextradition drsquoun fugitif vers un autre Eacutetat ougrave il subira ou risquera de subir la torture ou des peines ou

traitements inhumains ou deacutegradants engage par elle-mecircme la responsabiliteacute drsquoun Eacutetat contractant sur le terrain de lrsquoarticle 3 (art

3)(hellip) Un Eacutetat contractant se conduirait drsquoune maniegravere incompatible avec les valeurs sous-jacentes agrave la Convention ce patrimoine commun drsquoideacuteal et de traditions politiques de respect de la liberteacute et de preacuteeacuteminence du droit auquel se reacutefegravere le Preacuteambule srsquoil

remettait consciemment un fugitif - pour odieux que puisse ecirctre le crime reprocheacute - agrave un autre Eacutetat ougrave il existe des motifs seacuterieux de penser qursquoun danger de torture menace lrsquointeacuteresseacute Malgreacute lrsquoabsence de mention expresse dans le texte bref et geacuteneacuteral de lrsquoarticle 3

(art 3) pareille extradition irait manifestement agrave lrsquoencontre de lrsquoesprit de ce dernier aux yeux de la Cour lrsquoobligation implicite de ne

1415

pas extrader srsquoeacutetend aussi au cas ougrave le fugitif risquerait de subir dans lrsquoEacutetat de destination des peines ou traitements inhumains ou

deacutegradants proscrits par ledit article (art 3)

89 Ce qui constitue des peines ou traitements inhumains ou deacutegradants deacutepend de lrsquoensemble des circonstances de la

cause [hellip]

90 En principe il nrsquoappartient pas aux organes de la Convention de statuer sur lrsquoexistence ou lrsquoabsence de violations virtuelles de celle-ci Une deacuterogation agrave la regravegle geacuteneacuterale srsquoimpose pourtant si un fugitif allegravegue que la deacutecision de lrsquoextrader

enfreindrait lrsquoarticle 3 (art 3) au cas ougrave elle recevrait exeacutecution en raison des conseacutequences agrave en attendre dans le pays de destination

il y va de lrsquoefficaciteacute de la garantie assureacutee par ce texte vu la graviteacute et le caractegravere irreacuteparable de la souffrance preacutetendument risqueacutee (paragraphe 87 ci-dessus)

[hellip]

B Application de lrsquoarticle 3 (art 3) dans les circonstances de la cause

92 La proceacutedure drsquoextradition ouverte au Royaume-Uni contre le requeacuterant a pris fin avec la signature par le ministre

drsquoun arrecircteacute qui ordonnait la remise aux autoriteacutes ameacutericaines (hellip) quoique non encore exeacutecuteacutee cette deacutecision atteint de plein fouet

lrsquointeacuteresseacute Il faut donc rechercher agrave la lumiegravere des principes eacutenonceacutes plus haut si les conseacutequences preacutevisibles drsquoun renvoi de M

Soering aux Eacutetats-Unis sont de nature agrave faire jouer lrsquoarticle 3 (art 3)

98[hellip] Quoi qursquoil en soit selon le droit et la pratique de Virginie (hellip) et nonobstant le contexte diplomatique des relations

anglo-ameacutericaines en matiegravere drsquoextradition on ne peut dire objectivement que lrsquoengagement de signaler au juge au moment de la fixation de la peine les voeux du Royaume-Uni eacutecarte le danger drsquoune sentence capitale Dans le libre exercice de son pouvoir

drsquoappreacuteciation lrsquoAttorney de lrsquoEacutetat a deacutecideacute lui-mecircme de requeacuterir et persister agrave requeacuterir la peine capitale parce que le dossier lui

semble le commander (paragraphe 20 in fine ci-dessus) Si lrsquoautoriteacute nationale chargeacutee des poursuites adopte une attitude aussi ferme la Cour ne saurait guegravere conclure agrave lrsquoabsence de motifs seacuterieux de croire que M Soering court un risque reacuteel drsquoecirctre condamneacute agrave mort

donc de subir le syndrome du couloir de la mort

99 Partant la perspective de voir lrsquointeacuteresseacute exposeacute agrave ce syndrome comme il le redoute se reacutevegravele telle que lrsquoarticle 3 (art 3) entre en jeu

2 Sur le point de savoir si le risque drsquoexposer le requeacuterant au syndrome du couloir de la mort rendrait lrsquoextradition

contraire agrave lrsquoarticle 3 (art 3)

a) Consideacuterations geacuteneacuterales

100 Drsquoapregraves la jurisprudence de la Cour un mauvais traitement y compris une peine doit atteindre un minimum de graviteacute pour tomber sous le coup de lrsquoarticle 3 (art 3) Lrsquoappreacuteciation de ce minimum est relative par essence elle deacutepend de

lrsquoensemble des donneacutees de la cause et notamment de la nature et du contexte du traitement ou de la peine ainsi que de ses modaliteacutes

drsquoexeacutecution de sa dureacutee de ses effets physiques ou mentaux ainsi que parfois du sexe de lrsquoacircge et de lrsquoeacutetat de santeacute de la victime

La Cour a estimeacute un certain traitement agrave la fois inhumain pour avoir eacuteteacute appliqueacute avec preacutemeacuteditation pendant des heures

et avoir causeacute sinon de veacuteritables leacutesions du moins de vives souffrances physiques et morales et deacutegradant parce que de nature agrave

creacuteer [en ses victimes] des sentiments de peur drsquoangoisse et drsquoinfeacuterioriteacute propres agrave les humilier agrave les avilir et agrave briser eacuteventuellement leur reacutesistance physique ou morale (hellip) Pour qursquoune peine ou le traitement dont elle srsquoaccompagne soient inhumains ou

deacutegradants la souffrance ou lrsquohumiliation doivent en tout cas aller au-delagrave de celles que comporte ineacutevitablement une forme donneacutee

de peine leacutegitime (hellip ) En la matiegravere il eacutechet de tenir compte non seulement de la souffrance physique mais aussi en cas de long deacutelai avant lrsquoexeacutecution de la peine de lrsquoangoisse morale eacuteprouveacutee par le condamneacute dans lrsquoattente des violences qursquoon se preacutepare agrave lui

infliger

[hellip]

b) Les circonstances de la cause

i Dureacutee de la deacutetention avant lrsquoexeacutecution

[hellip]

106 [hellip] Un certain laps de temps doit forceacutement srsquoeacutecouler entre le prononceacute de la peine et son exeacutecution si lrsquoon veut

fournir au condamneacute des garanties de recours mais de mecircme il entre dans la nature humaine que lrsquointeacuteresseacute srsquoaccroche agrave lrsquoexistence

en les exploitant au maximum Si bien intentionneacute soit-il voire potentiellement beacuteneacutefique le systegraveme virginien de proceacutedures posteacuterieures agrave la sentence aboutit agrave obliger le condamneacute deacutetenu agrave subir pendant des anneacutees les conditions du couloir de la mort

lrsquoangoisse et la tension grandissante de vivre dans lrsquoombre omnipreacutesente de la mort

ii Situation dans le couloir de la mort

[hellip]

109 [hellip] Bien que la Cour nrsquoait pas agrave preacutejuger de la responsabiliteacute peacutenale et de la peine approprieacutee la jeunesse du

requeacuterant agrave lrsquoeacutepoque de lrsquoinfraction et sa condition mentale drsquoalors illustreacutees par le dossier psychiatrique existant figurent donc parmi les donneacutees qui tendent en lrsquoespegravece agrave faire relever de lrsquoarticle 3 (art 3) le traitement agrave subir dans le couloir de la mort

[hellip]

c) Conclusion

111 [hellip] Eu eacutegard cependant agrave la tregraves longue peacuteriode agrave passer dans le couloir de la mort dans des conditions aussi

extrecircmes avec lrsquoangoisse omnipreacutesente et croissante de lrsquoexeacutecution de la peine capitale et agrave la situation personnelle du requeacuterant en

particulier son acircge et son eacutetat mental agrave lrsquoeacutepoque de lrsquoinfraction une extradition vers les Eacutetats-Unis exposerait lrsquointeacuteresseacute agrave un risque reacuteel de traitement deacutepassant le seuil fixeacute par lrsquoarticle 3 (art 3) Lrsquoexistence en lrsquoespegravece drsquoun autre moyen drsquoatteindre le but leacutegitime

1515

de lrsquoextradition sans entraicircner pour autant des souffrances drsquoune intensiteacute ou dureacutee aussi exceptionnelles repreacutesente une consideacuteration

pertinente suppleacutementaire

En conclusion la deacutecision ministeacuterielle de livrer le requeacuterant aux Eacutetats-Unis violerait lrsquoarticle 3 (art 3) si elle recevait

exeacutecution

[hellip]

PAR CES MOTIFS LA COUR A LrsquoUNANIMITE

1 Dit qursquoil y aurait violation de lrsquoarticle 3 (art 3) si la deacutecision ministeacuterielle drsquoextrader le requeacuterant vers les Eacutetats-Unis drsquoAmeacuterique

recevait exeacutecution

Page 5: Dedh 2014 - Fiche 2

515

313 Pour conclure agrave lexistence dune telle situation exceptionnelle la Cour se doit dexaminer dune part lensemble des

eacuteleacutements factuels objectifs de nature agrave limiter lexercice effectif de lautoriteacute dun Etat sur son territoire et dautre part le comportement de celui-ci En effet les engagements pris par une Partie contractante en vertu de larticle 1 de la Convention

comportent outre le devoir de sabstenir de toute ingeacuterence dans la jouissance des droits et liberteacutes garantis des obligations positives

de prendre les mesures approprieacutees pour assurer le respect de ces droits et liberteacutes sur son territoire (hellip)

Ces obligations subsistent mecircme dans le cas dune limitation de lexercice de son autoriteacute sur une partie de son territoire de

sorte quil incombe agrave lEtatde prendre toutes les mesures approprieacutees qui restent en son pouvoir

314 En outre la Cour rappelle que si elle a souligneacute la preacutepondeacuterance du principe territorial dans lapplication de la Convention dans laffaireBanković et autres (deacutecision preacuteciteacutee sect 80) elle a aussi reconnu que la notion de laquo juridiction raquo au sens de

larticle 1 de la Convention ne se circonscrit pas neacutecessairement au seul territoire national des Hautes Parties contractantes (Loizidou c

Turquie (fond) arrecirct du 18 deacutecembre 1996 Recueil des arrecircts et deacutecisions 1996-VI pp 2234-2235 sect 52)

La Cour a admis que dans des circonstances exceptionnelles les actes des Etats contractants accomplis ou produisant des

effets en dehors de leur territoire peuvent sanalyser en lexercice par eux de leur juridiction au sens de larticle 1 de la Convention

Ainsi quil ressort des principes pertinents du droit international un Etat contractant peut voir engager sa responsabiliteacute

lorsque par suite dune action militaire leacutegale ou non il exerce en pratique le controcircle effectif sur une zone situeacutee en dehors de son

territoire national Lobligation dassurer dans une telle reacutegion le respect des droits et liberteacutes garantis par la Convention deacutecoule du

fait de ce controcircle quil sexerce directement par lintermeacutediaire des forces armeacutees de lEtat concerneacute ou par le biais dune administration locale subordonneacutee (ibidem)

315 Il nest pas neacutecessaire de deacuteterminer si une Partie contractante exerce dans le deacutetail un controcircle sur la politique et les

actions des autoriteacutes de la zone situeacutee en dehors de son territoire national car mecircme un controcircle global sur ce territoire est de nature agrave engager la responsabiliteacute de cette Partie contractante (Loizidou (fond) preacuteciteacute pp 2235-2236 sect 56)

316 Degraves lors quun Etat contractant exerce un controcircle global sur une zone situeacutee en dehors de son territoire national sa

responsabiliteacute ne se limite pas aux seuls actes commis par ses soldats ou fonctionnaires dans cette zone mais seacutetend eacutegalement aux actes de ladministration locale qui survit gracircce agrave son soutien militaire ou autre (arrecirct Chypre c Turquie preacuteciteacute sect 77)

317 La responsabiliteacute dun Etat peut aussi se voir engager en raison dactes qui ont des reacutepercussions suffisamment

proches sur les droits garantis par la Convention mecircme si ces reacutepercussions se manifestent en dehors de la juridiction de cet Etat Ainsi se reacutefeacuterant agrave une extradition vers un Etat non contractant la Cour a dit quun Etat contractant se conduirait dune maniegravere

incompatible avec les valeurs sous-jacentes agrave la Convention ce laquo patrimoine commun dideacuteal et de traditions politiques de respect de la liberteacute et de preacuteeacuteminence du droit raquo auquel se reacutefegravere le preacuteambule sil remettait consciemment un fugitif agrave un autre Etat ougrave il existe

des motifs seacuterieux de penser quil court un risque reacuteel decirctre soumis agrave la torture ou agrave des peines ou traitements inhumains ou deacutegradants

(arrecirct Soering c Royaume-Uni du 7 juillet 1989 seacuterie A no 161 p 35 sectsect 88-91)

318 De surcroicirct si les autoriteacutes dun Etat contractant approuvent formellement ou tacitement les actes des particuliers

violant dans le chef dautres particuliers soumis agrave sa juridiction les droits garantis par la Convention la responsabiliteacute dudit Etat peut

se trouver engageacutee au regard de la Convention (arrecirct Chypre c Turquie preacuteciteacute sect 81) Cela vaut dautant plus en cas de reconnaissance par lEtat en question des actes eacutemanant dautoriteacutes autoproclameacutees et non reconnues sur le plan international

319 Un Etat peut aussi ecirctre tenu pour responsable mecircme lorsque ses agents commettent des excegraves de pouvoir ou ne

respectent pas les instructions reccedilues En effet les autoriteacutes dun Etat assument au regard de la Convention la responsabiliteacute objective de la conduite de leurs subordonneacutes elles ont le devoir de leur imposer leur volonteacute et ne sauraient se retrancher derriegravere leur

impuissance agrave la faire respecter (arrecirct Irlande c Royaume-Uni du 18 janvier 1978 seacuterie A no 25 p 64 sect 159 article 7 du projet

darticles de la Commission du droit international sur la responsabiliteacute des Etats pour les actes internationalement illicites (2001) (laquo les

travaux de la CDI raquo) p 104 affaire Caire examineacutee par la Commission geacuteneacuterale pour les plaintes 1929 Recueil des sentences arbitrales (RSA) V p 516)

()

333 La Cour considegravere que si un Etat contractant se trouve dans limpossibiliteacute dexercer son autoriteacute sur lensemble de son territoire par une situation de fait contraignante comme la mise en place dun reacutegime seacuteparatiste accompagneacutee ou non par

loccupation militaire par un autre Etat lEtat ne cessepas pour autant dexercer sa juridiction au sens de larticle 1 de la Convention

sur la partie du territoire momentaneacutement soumise agrave une autoriteacute locale soutenue par des forces de reacutebellion ou par un autre Etat

Une telle situation factuelle a neacuteanmoins pour effet de reacuteduire la porteacutee de cette juridiction en ce sens que

lengagement souscrit par lEtat contractanten vertu de larticle 1 doit ecirctre examineacute par la Cour uniquement agrave la lumiegravere des obligations

positives de lEtat agrave leacutegard des personnes qui se trouvent sur son territoire LEtat en question se doit avec tous les moyens leacutegaux et diplomatiques dont il dispose envers les Etats tiers et les organisations internationales dessayer de continuer agrave garantir la jouissance

des droits et liberteacutes eacutenonceacutes dans la Convention

334 Mecircme sil nappartient pas agrave la Cour dindiquer quelles sont les mesures les plus efficaces que doivent prendre les autoriteacutes pour se conformer agrave leurs obligations il lui faut neacuteanmoins sassurer que les mesures effectivement prises eacutetaient adeacutequates et

suffisantes dans le cas despegravece Face agrave une omission partielle ou totale la Cour a pour tacircche de deacuteterminer dans quelle mesure un

effort minimal eacutetait quand mecircme possible et sil devait ecirctre entrepris Pareille tacircche est dautant plus neacutecessaire lorsquil sagit dune violation alleacutegueacutee de droits absolus tels que ceux garantis par les articles 2 et 3 de la Convention

615

Document ndeg3 CEDH Al-Skeini cRoyaume-Uni et Al-Jedda cRoyaume-Uni

07072011 extraits

Al-Jedda cRoyaume-Uni

84 Il semble ressortir de lrsquoexposeacute de lrsquoopinion de Lord Bingham que dans le cadre de la premiegravere proceacutedure engageacutee par

le requeacuterant les parties devant la Chambre des lords srsquoaccordaient agrave dire que le critegravere drsquoattribution agrave retenir eacutetait celui eacutenonceacute par la CDI agrave lrsquoarticle 5 de son projet drsquoarticles sur la responsabiliteacute des organisations internationales et preacuteciseacute dans son commentaire agrave ce

sujet agrave savoir que le comportement drsquoun organe drsquoun Etat qui est mis agrave la disposition drsquoune organisation internationale est drsquoapregraves le

droit international imputable agrave cette organisation pour autant qursquoelle exerce un controcircle effectif sur ce comportement (paragraphes 18 et 56 ci-dessus) Pour les motifs exposeacutes ci-dessus la Cour considegravere que le Conseil de seacutecuriteacute nrsquoexerccedilait ni un controcircle effectif ni

lrsquoautoriteacute et le controcircle ultimes sur les actions et omissions des soldats de la force multinationale et que degraves lors lrsquointernement du

requeacuterant nrsquoest pas imputable agrave lrsquoONU

85 Interneacute dans un centre de deacutetention de la ville de Bassorah controcircleacute exclusivement par les forces britanniques le

requeacuterant srsquoest trouveacute pendant toute la dureacutee de sa deacutetention sous lrsquoautoriteacute et le controcircle du Royaume-Uni (paragraphe 10 ci-dessus

voir eacutegalement Al-Skeini et autres c Royaume-Uni [GC] no 5572107 sect 136 et Al-Saadoon et Mufdhi c Royaume-Uni (deacutec)

no 6149808 sect 88 CEDH 2010- voir eacutegalement lrsquoarrecirct rendu par la Cour suprecircme des Etats-Unis en lrsquoaffaire Munaf v Geren paragraphe 54 ci-dessus) Lrsquointernement avait eacuteteacute deacutecideacute par lrsquoofficier britannique qui commandait le centre de deacutetention Si

la deacutecision de maintenir le requeacuterant en deacutetention a eacuteteacute reacuteexamineacutee agrave diffeacuterents stades par des organes ayant en leur sein des

fonctionnaires irakiens et des repreacutesentants non britanniques de la force multinationale la Cour estime que ces proceacutedures de controcircle nrsquoont pas eu pour effet drsquoempecirccher lrsquoimputation au Royaume-Uni de la deacutetention en question

86 En conclusion la Cour considegravere avec la majoriteacute de la Chambre des lords que lrsquointernement du requeacuterant est

imputable au Royaume-Uni et que pendant la dureacutee de sa deacutetention lrsquointeacuteresseacute srsquoest retrouveacute sous la juridiction de ce pays au sens de lrsquoarticle 1 de la Convention

Al-Skeini cRoyaume-Uni - Principes geacuteneacuteraux relatifs agrave la juridiction au sens de larticle 1 de la Convention

130 Larticle 1 de la Convention est ainsi libelleacute

laquo Les Hautes Parties contractantes reconnaissent agrave toute personne relevant de leur juridiction les droits et liberteacutes deacutefinis au

titre I de la () Convention raquo

Aux termes de cette disposition lengagement des Etats contractants se borne agrave laquo reconnaicirctre raquo (en anglais laquo to secure raquo)

aux personnes relevant de leur laquo juridiction raquo les droits et liberteacutes eacutenumeacutereacutes (Soering c Royaume-Uni 7 juillet 1989 sect 86 seacuterie A

no 161 et deacutecision Banković preacuteciteacutee sect 66) La laquo juridiction raquo au sens de larticle 1 est une condition sine qua non Elle doit avoir

eacuteteacute exerceacutee pour quun Etat contractant puisse ecirctre tenu pour responsable des actes ou omissions agrave lui imputables qui sont agrave lorigine dune alleacutegation de violation des droits et liberteacutes eacutenonceacutes dans la Convention (Ilaşcu et autres preacuteciteacute sect 311)

α) Le principe de territorialiteacute

131 La juridiction dun Etat au sens de larticle 1 est principalement territoriale (Soering preacuteciteacute sect 86 Banković deacutecision preacuteciteacutee sectsect 61 et 67 etIlaşcu preacuteciteacute sect 312) Elle est preacutesumeacutee sexercer normalement sur lensemble de son territoire

(Ilaşcu preacuteciteacute sect 312 et Assanidzeacute c Geacuteorgie [GC] no7150301 sect 139 CEDH 2004-II) A linverse les actes des Etats contractants

accomplis ou produisant des effets en dehors de leur territoire ne peuvent que dans des circonstances exceptionnelles sanalyser en lexercice par eux de leur juridiction au sens de larticle 1 (Banković preacuteciteacute sect 67)

132 A ce jour la Cour a reconnu dans sa jurisprudence un certain nombre de circonstances exceptionnelles susceptibles

demporter exercice par lEtat contractant de sa juridiction agrave lexteacuterieur de ses propres frontiegraveres Dans chaque cas cest au regard des faits particuliers de la cause quil faut appreacutecier lexistence de pareilles circonstances exigeant et justifiant que la Cour conclue agrave un

exercice extraterritorial de sa juridiction par lEtat

β) Lautoriteacute et le controcircle dun agent de lEtat

133 La Cour a reconnu dans sa jurisprudence que par exception au principe de territorialiteacute la juridiction dun Etat

contractant au sens de larticle 1 peut seacutetendre aux actes de ses organes qui deacuteploient leurs effets en dehors de son territoire (Drozd et

Janousek preacuteciteacute sect 91 Loizidou (exceptions preacuteliminaires) preacuteciteacute sect 62 et Loizidou c Turquie (fond) 18 deacutecembre 1996 sect 52 Recueil des arrecircts et deacutecisions 1996-VI et Banković deacutecision preacuteciteacutee sect 69) Cette exception telle quelle se deacutegage de

larrecirct Drozd et Janousek et des autres affaires ci-dessus est eacutenonceacutee de maniegravere tregraves geacuteneacuterale la Cour seacutetant contenteacutee de dire que la

responsabiliteacute de lEtat contractant laquo peut entrer en jeu raquo en pareilles circonstances Il est neacutecessaire dexaminer la jurisprudence pour en cerner les principes directeurs

134 Premiegraverement il est clair que la juridiction de lEtat peut naicirctre des actes des agents diplomatiques ou consulaires

preacutesents en territoire eacutetranger conformeacutement aux regravegles du droit international degraves lors que ces agents exercent une autoriteacute et un

controcircle sur autrui (Banković deacutecision preacuteciteacutee sect 73 voir eacutegalement X c Reacutepublique feacutedeacuterale dAllemagne no 161162 deacutecision

de la Commission du 25 septembre 1965 Annuaire de la Convention europeacuteenne des droits de lhomme vol 8 p

158 X c Royaume-Uni no 754776 deacutecision de la Commission du 15 deacutecembre 1977 et WM c Danemark no 1739290 deacutecision

de la Commission du 14 octobre 1993)

135 Deuxiegravemement la Cour a conclu agrave lexercice extraterritorial de sa juridiction par lEtat contractant qui en vertu du consentement de linvitation ou de lacquiescement du gouvernement local assume lensemble ou certaines des preacuterogatives de

puissance publique normalement exerceacutees par celui-ci (Banković deacutecision preacuteciteacutee sect 71) Par conseacutequent degraves lors que

conformeacutement agrave une regravegle de droit international coutumiegravere conventionnelle ou autre ses organes assument des fonctions exeacutecutives ou judiciaires sur un territoire autre que le sien un Etat contractant peut ecirctre tenu pour responsable des violations de la Convention

715

commises dans lexercice de ces fonctions pourvu que les faits en question soient imputables agrave lui et non agrave lEtat territorial (Drozd et

Janousek preacuteciteacute Gentilhomme Schaff-Benhadji et Zeroukiet c France nos 4820599 4820799 et 4820999 14 mai 2002 ainsi

que X et Y c Suisse nos 728975 et 734976 deacutecision de la Commission sur la recevabiliteacute du 14 juillet 1977 DR 9 p 57)

136 En outre la jurisprudence de la Cour montre que dans certaines circonstances le recours agrave la force par des agents dun Etat opeacuterant hors de son territoire peut faire passer sous la juridiction de cet Etat au sens de larticle 1 toute personne se

retrouvant ainsi sous le controcircle de ceux-ci Cette regravegle a eacuteteacute appliqueacutee dans le cas de personnes remises entre les mains dagents de

lEtat agrave lexteacuterieur de ses frontiegraveres Ainsi dans larrecirct Oumlcalan c Turquiepreacuteciteacute sect 91 la Cour a jugeacute que laquo degraves sa remise par les agents kenyans aux agents turcs [le requeacuterant] s[eacutetait] effectivement retrouveacute sous lautoriteacute de la Turquie et relevait donc de la

laquo juridiction raquo de cet Etat aux fins de larticle 1 de la Convention mecircme si en loccurrence la Turquie a[vait] exerceacute son autoriteacute en

dehors de son territoire raquo Dans larrecirct Issa preacuteciteacute elle a indiqueacute que sil avait eacuteteacute eacutetabli que des soldats turcs avaient arrecircteacute les proches des requeacuterants dans le nord de lIrak avant de les emmener dans une caverne avoisinante et de les exeacutecuter les victimes

auraient ducirc ecirctre consideacutereacutees comme relevant de la juridiction de la Turquie ce par leffet de lautoriteacute et du controcircle exerceacutes sur les

victimes par les soldats Dans la deacutecision Al-Saadoon et Mufdhi c Royaume-Uni ((deacutec) no 6149808 sectsect 86-89 30 juin 2009) elle a

estimeacute que degraves lors que le controcircle exerceacute par le Royaume-Uni sur ses prisons militaires en Irak et sur les personnes y seacutejournant eacutetait absolu et exclusif il y avait lieu de consideacuterer agrave propos de deux ressortissants irakiens incarceacutereacutes dans lune delles quils relevaient de

la juridiction du Royaume-Uni Enfin dans larrecirct Medvedyev et autres c France [GC] no 339403 sect 67 CEDH 2010- elle a

conclu relativement agrave des requeacuterants qui seacutetaient trouveacutes agrave bord dun navire intercepteacute en haute mer par des agents franccedilais queu

eacutegard au controcircle absolu et exclusif exerceacute de maniegravere continue et ininterrompue par ces agents sur le navire et son eacutequipage degraves son interception ils relevaient de la juridiction de la France au sens de larticle 1 de la Convention La Cour considegravere que dans les

affaires ci-dessus la juridiction navait pas pour seul fondement le controcircle opeacutereacute par lEtat contractant sur les bacirctiments laeacuteronef ou

le navire ougrave les inteacuteresseacutes eacutetaient deacutetenus Leacuteleacutement deacuteterminant dans ce type de cas est lexercice dun pouvoir et dun controcircle physiques sur les personnes en question

137 Il est clair que degraves linstant ougrave lEtat par le biais de ses agents exerce son controcircle et son autoriteacute sur un individu et

par voie de conseacutequence sa juridiction il pegravese sur lui en vertu de larticle 1 une obligation de reconnaicirctre agrave celui-ci les droits et liberteacutes deacutefinis au titre I de la Convention qui concernent son cas En ce sens degraves lors les droits deacutecoulant de la Convention peuvent ecirctre

laquo fractionneacutes et adapteacutes raquo (voir agrave titre de comparaison la deacutecisionBanković preacuteciteacutee sect 75)

γ) Le controcircle effectif sur un territoire

138 Le principe voulant que la juridiction de lEtat contractant au sens de larticle 1 soit limiteacutee agrave son propre territoire

connaicirct une autre exception lorsque par suite dune action militaire ndash leacutegale ou non ndash lEtat exerce un controcircle effectif sur une zone

situeacutee en dehors de son territoire Lobligation dassurer dans une telle zone le respect des droits et liberteacutes garantis par la Convention

deacutecoule du fait de ce controcircle quil sexerce directement par lintermeacutediaire des forces armeacutees de lEtat ou par le biais dune

administration locale subordonneacutee (Loizidou (exceptions preacuteliminaires) preacuteciteacute sect 62 Chypre c Turquie [GC] no 2578194 sect 76

CEDH 2001-IV Banković deacutecision preacuteciteacutee sect 70 Ilaşcu preacuteciteacute sectsect 314-316 et Loizidou (fond) preacuteciteacute sect 52) Degraves lors quune telle mainmise sur un territoire est eacutetablie il nest pas neacutecessaire de deacuteterminer si lEtat contractant qui la deacutetient exerce un controcircle

preacutecis sur les politiques et actions de ladministration locale qui lui est subordonneacutee Du fait quil assure la survie de cette

administration gracircce agrave son soutien militaire et autre cet Etat engage sa responsabiliteacute agrave raison des politiques et actions entreprises par elle Larticle 1 lui fait obligation de reconnaicirctre sur le territoire en question la totaliteacute des droits mateacuteriels eacutenonceacutes dans la Convention

et dans les Protocoles additionnels quil a ratifieacutes et les violations de ces droits lui sont imputables (Chypre c Turquie preacuteciteacute sect 77)

139 La question de savoir si un Etat contractant exerce ou non un controcircle effectif sur un territoire hors de ses frontiegraveres est une question de fait Pour se prononcer la Cour se reacutefegravere principalement au nombre de soldats deacuteployeacutes par lEtat sur le territoire

en cause (Loizidou (fond) preacuteciteacute sectsect 16 et 56 etIlaşcu preacuteciteacute sect 387) Dautres eacuteleacutements peuvent aussi entrer en ligne de compte par

exemple la mesure dans laquelle le soutien militaire eacuteconomique et politique apporteacute par lEtat agrave ladministration locale subordonneacutee assure agrave celui-ci une influence et un controcircle dans la reacutegion (Ilaşcu preacuteciteacute sectsect 388-394)

140 Le titre de juridiction fondeacute sur le laquo controcircle effectif raquo deacutecrit ci-dessus ne remplace pas le systegraveme de notification en

vertu de larticle 56 (lancien article 63) de la Convention que lors de la reacutedaction de celle-ci les Etats contractants avaient deacutecideacute de creacuteer pour les territoires doutre-mer dont ils assuraient les relations internationales Le paragraphe 1 de cet article preacutevoit un dispositif

permettant agrave ces Etats deacutetendre lapplication de la Convention agrave pareil territoire laquo en tenant compte des neacutecessiteacutes locales raquo

Lexistence de ce dispositif qui a eacuteteacute inteacutegreacute dans la Convention pour des raisons historiques ne peut ecirctre interpreacuteteacutee aujourdhui agrave la lumiegravere des conditions actuelles comme limitant la porteacutee de la notion de laquo juridiction raquo au sens de larticle 1 Les cas de figure viseacutes

par le principe du laquo controcircle effectif raquo se distinguent manifestement de ceux dans lesquels un Etat contractant na pas deacuteclareacute par le

biais de la notification preacutevue agrave larticle 56 deacutetendre lapplication de la Convention ou de lun quelconque de ses Protocoles agrave un territoire doutre-mer dont il assure les relations internationales (Loizidou (exceptions preacuteliminaires) preacuteciteacute sectsect 86-89 et Quark

Fishing Ltd c Royaume-Uni(deacutec) no 1530506 CEDH 2006-XIV)

δ) Lespace juridique de la Convention

141 La Convention est un instrument constitutionnel de lordre public europeacuteen (Loizidou (exceptions preacuteliminaires) preacuteciteacute sect 75) Elle ne reacutegit pas les actes des Etats qui ny sont pas parties ni ne preacutetend exiger des Parties contractantes quelles

imposent ses normes agrave pareils Etats (Soering preacuteciteacute sect 86)

142 La Cour a souligneacute quun Etat contractant qui par le biais de ses forces armeacutees occupe le territoire dun autre doit en principe ecirctre tenu pour responsable au regard de la Convention des violations des droits de lhomme qui y sont perpeacutetreacutees car sinon

les habitants de ce territoire seraient priveacutes des droits et liberteacutes dont ils jouissaient jusque-lagrave et il y aurait une laquo solution de

continuiteacute raquo dans la protection de ces droits et liberteacutes au sein de llaquo espace juridique de la Convention raquo (Loizidou (fond) preacuteciteacute sect 78 et Banković preacuteciteacute sect 80) Toutefois sil est important deacutetablir la juridiction de lEtat occupant dans ce type de cas cela ne veut

pas dire a contrario que la juridiction au sens de larticle 1 ne puisse jamais exister hors du territoire des Etats membres du Conseil de

lEurope La Cour na jamais appliqueacute semblable restriction dans sa jurisprudence (voir parmi dautres exemples les arrecirctsOumlcalan Issa Al-Saadoon et Mufdhi et Medvedyev preacuteciteacutes)

815

ii Application des principes susmentionneacutes aux faits de lespegravece

143 Pour deacuteterminer si lun quelconque des proches des requeacuterants relevait au moment de son deacutecegraves de la juridiction du Royaume-Uni la Cour prend pour point de deacutepart le fait que le 20 mars 2003 ce pays avec les Etats-Unis et leurs partenaires de la

coalition avait peacuteneacutetreacute en sol irakien par le biais de ses forces armeacutees dans le but de chasser le reacutegime baasiste alors au pouvoir Ce

but fut atteint le 1er mai 2003 lorsque la fin des principales opeacuterations de combat fut prononceacutee et que les Etats-Unis et le Royaume-

Uni devinrent des puissances occupantes au sens de larticle 42 du regraveglement de La Haye (paragraphe 89 ci-dessus)

144 Comme lindiquait la lettre du 8 mai 2003 adresseacutee conjointement par les repreacutesentants permanents du Royaume-Uni

et des Etats-Unis au preacutesident du Conseil de seacutecuriteacute de lONU (paragraphe 11 ci-dessus) ces deux pays apregraves avoir chasseacute lancien

reacutegime avaient creacuteeacute lAutoriteacute provisoire de la coalition pour laquo exerce[r] les pouvoirs du gouvernement agrave titre temporaire raquo Lun des pouvoirs expresseacutement mentionneacutes dans cette lettre que les Etats-Unis et le Royaume-Uni eacutetaient censeacutes assumer par lintermeacutediaire

de lAutoriteacute provisoire de la coalition consistait agrave assurer la seacutecuriteacute en Irak notamment en maintenant lordre public La lettre

indiquait en outre laquo [l]es Etats-Unis le Royaume-Uni et les membres de la coalition agissant par lintermeacutediaire de lAutoriteacute provisoire de la coalition seront chargeacutes entre autres tacircches dassurer la seacutecuriteacute en Iraq et dadministrer ce pays agrave titre temporaire

notamment par les moyens suivants () en prenant immeacutediatement le controcircle des institutions iraquiennes responsables des questions

militaires et de seacutecuriteacute raquo

145 LAutoriteacute provisoire de la coalition deacuteclara dans le regraveglement no 1 du 16 mai 2003 son premier texte normatif

quelle laquo exerce[rait] temporairement les preacuterogatives de la puissance publique afin dassurer ladministration effective de lIraq au

cours de la peacuteriode dadministration transitoire dy reacutetablir la stabiliteacute et la seacutecuriteacute () raquo (paragraphe 12 ci-dessus)

146 Le Conseil de seacutecuriteacute prit acte du contenu de la lettre du 8 mai 2003 dans sa reacutesolution 1483 adopteacutee le 22 mai 2003 Il y demandait par ailleurs aux puissances occupantes laquo de promouvoir le bien-ecirctre de la population iraquienne en assurant une

administration efficace du territoire notamment en semployant agrave reacutetablir la seacutecuriteacute et la stabiliteacute raquo reconnaissant une nouvelle fois la

mission de seacutecuriteacute assumeacutee par les Etats-Unis et le Royaume-Uni (paragraphe 14 ci-dessus)

147 Pendant la peacuteriode de loccupation le Royaume-Uni avait le commandement dune division militaire la division

multinationale du sud-est dont le ressort comprenait la province de Bassorah lagrave ougrave les proches des requeacuterants sont deacuteceacutedeacutes A

compter du 1er mai 2003 les forces britanniques deacuteployeacutees dans cette province y furent chargeacutees dassurer la seacutecuriteacute et de soutenir

ladministration civile Elles devaient en particulier conduire des patrouilles des arrestations et des opeacuterations de lutte contre le

terrorisme encadrer les manifestations civiles et proteacuteger les ressources et infrastructures essentielles ainsi que les postes de police

(paragraphe 21 ci-dessus)

148 En juillet 2003 fut creacuteeacute le Conseil de gouvernement de lIrak Bien que tenue de le consulter (paragraphe 15 ci-

dessus) lAutoriteacute provisoire de la coalition conservait le pouvoir Dans sa reacutesolution 1511 adopteacutee le 16 octobre 2003 le Conseil de

seacutecuriteacute souligna le caractegravere temporaire de lexercice par elle des responsabiliteacutes et pouvoirs eacutenonceacutes dans la reacutesolution 1483 et autorisa laquo une force multinationale sous commandement unifieacute agrave prendre toutes les mesures neacutecessaires pour contribuer au

maintien de la seacutecuriteacute et de la stabiliteacute en Iraq raquo (paragraphe 16 ci-dessus) Dans sa reacutesolution 1546 adopteacutee le 8 juin 2004 il

approuva laquo la formation dun gouvernement inteacuterimaire souverain de lIraq () qui assumera[it] pleinement [jusquau] 30 juin 2004 la responsabiliteacute et lautoriteacute de gouverner lIraq raquo (paragraphe 18 ci-dessus) En deacutefinitive loccupation prit fin le 28 juin 2004 avec le

transfert de lAutoriteacute provisoire de la coalition deacutesormais dissoute au gouvernement inteacuterimaire de la responsabiliteacute pleine et entiegravere

du gouvernement de lIrak (paragraphe 19 ci-dessus)

iii Conclusion quant agrave la juridiction

149 On peut donc voir quapregraves le renversement du reacutegime baasiste et jusquagrave linstauration du gouvernement inteacuterimaire

le Royaume-Uni a assumeacute en Irak (conjointement avec les Etats-Unis) certaines des preacuterogatives de puissance publique qui sont normalement celles dun Etat souverain en particulier le pouvoir et la responsabiliteacute du maintien de la seacutecuriteacute dans le sud-est du pays

Dans ces circonstances exceptionnelles la Cour considegravere que le Royaume-Uni par le biais de ses soldats affecteacutes agrave des opeacuterations de

seacutecuriteacute agrave Bassorah lors de cette peacuteriode exerccedilait sur les personnes tueacutees lors de ces opeacuterations une autoriteacute et un controcircle propres agrave

eacutetablir aux fins de larticle 1 de la Convention un lien juridictionnel entre lui et ces personnes

150 Cela preacuteciseacute la Cour rappelle que les deacutecegraves en cause dans la preacutesente affaire sont survenus au cours de la peacuteriode

consideacutereacutee le 8 mai 2003 pour le fils du cinquiegraveme requeacuterant au mois daoucirct 2003 pour les fregraveres des premier et quatriegraveme requeacuterants au mois de septembre 2003 pour le fils du sixiegraveme requeacuterant et au mois de novembre 2003 pour les eacutepouses des deuxiegraveme

et troisiegraveme requeacuterants Il nest pas contesteacute que les deacutecegraves des proches des premier deuxiegraveme quatriegraveme cinquiegraveme et sixiegraveme

requeacuterants ont eacuteteacute causeacutes par le fait de soldats britanniques au cours ou dans le contexte dopeacuterations de seacutecuriteacute conduites par les forces britanniques agrave divers endroits de la ville de Bassorah Il sensuit quaux fins de larticle 1 de la Convention un lien juridictionnel

rattachait le Royaume-Uni aux deacutefunts dans tous ces cas Quant au troisiegraveme requeacuterant son eacutepouse a eacuteteacute tueacutee lors dune fusillade entre

une patrouille de soldats britanniques et des tireurs inconnus et on ignore lequel des deux camps a eacuteteacute agrave lorigine du coup fatal La Cour considegravere que le deacutecegraves eacutetant survenu au cours dune opeacuteration de seacutecuriteacute meneacutee par le Royaume-Uni dans le cadre de laquelle

des soldats britanniques qui patrouillaient agrave proximiteacute du domicile de linteacuteresseacute sont intervenus dans la fusillade mortelle il existait

eacutegalement un lien juridictionnel entre le Royaume-Uni et cette victime

915

II Le champ drsquoapplication temporel de la Convention europeacuteenne

Document ndeg4 CEDH Janowiec cRussie 21102013 extraits

136 A la suite de lrsquoarrecirct Šilih les principes reacutegissant la compeacutetence temporelle de la Cour srsquoagissant de lrsquoobligation laquo deacutetachable raquo deacutecoulant de lrsquoarticle 2 de la Convention drsquoenquecircter sur le deacutecegraves drsquoune personne ont eacuteteacute appliqueacutes dans un grand nombre drsquoaffaires

137 La masse de celles-ci peut ecirctre reacutepartie en diffeacuterents groupes dont le plus important est constitueacute drsquoaffaires dirigeacutees contre la Roumanie dans lesquelles eacutetait alleacutegueacutee lrsquoineffectiviteacute des investigations sur les deacutecegraves de manifestants au cours de la reacutevolution roumaine de deacutecembre 1989 Dans ces affaires la Cour srsquoest deacuteclareacutee compeacutetente pour connaicirctre des griefs au motif que agrave la date de lrsquoentreacutee en vigueur de la Convention agrave lrsquoeacutegard de la Roumanie les proceacutedures eacutetaient toujours en cours devant le parquet (Association laquo 21 Deacutecembre 1989 raquo et autres c Roumanie nos 3381007 et 1881708 24 mai 2011 Pastor et Ţiclete c Roumanie nos 3091106 et 4096706 19 avril 2011 Lăpuşan et autres c Roumanie nos 2900706 3055206 3132306 3192006 3448506 3896006 3899606 3902706 et 3906706 8 mars 2011 Şandru et autres c Roumanie no 2246503 8 deacutecembre 2009 et Agache et autres c Roumanie no 271202 20 octobre 2009) Elle a statueacute de maniegravere analogue dans deux affaires posteacuterieures qui avaient pour objet des incidents violents survenus en juin 1990 (Mocanu et autres c Roumanie nos 1086509 4588607 et 3243108 13 novembre 2012) et en septembre 1991 (Crăiniceanu et Frumuşanu c Roumanie no 1244204 24 avril 2012)

138 Dans drsquoautres affaires reacutecentes ndash agrave lrsquoexception de lrsquoaffaire Tuna c Turquie qui avait pour origine un deacutecegraves en garde agrave vue survenu environ sept ans avant la reconnaissance par la Turquie du droit de recours individuel (Tuna c Turquie no 2233903 sectsect 57-63 19 janvier 2010) ndash ougrave il nrsquoeacutetait pas alleacutegueacute que le deacutecegraves en question eacutetait la conseacutequence de quelconques actes drsquoagents de lrsquoEtat le deacutecegraves preacuteceacutedait de un agrave quatre ans la date drsquoentreacutee en vigueur et une part importante de la proceacutedure avait eacuteteacute conduite apregraves cette date (Kudra c Croatie no 1390407 sectsect 110-112 18 deacutecembre 2012 quatre ans deacutecegraves accidentel causeacute par la neacutegligence drsquoune socieacuteteacute priveacutee Igor Shevchenko c Ukraine no2273704 sectsect 45-48 12 janvier 2012 trois ans accident de la circulation Bajić c Croatie no 4110810 sect 62 13 novembre 2012 quatre ans erreur meacutedicale Dimovi c Bulgarie no 5274407 sectsect 36-45 6 novembre 2012 trois ans deacutecegraves causeacute par un incendie Velcea et Mazăre c Roumanie no 6430101 sectsect 85-88 1er deacutecembre 2009 un an dispute familiale Trufin c Roumanie no 399004 sectsect 32-34 20 octobre 2009 deux ans meurtre et Lyubov Efimenko c Ukraine no 7572601 sect 65 25 novembre 2010 quatre ans vol agrave main armeacutee et meurtre) Dans deux affaires le fait que des insurgeacutes ou des formations paramilitaires eussent tueacute les proches des requeacuterants sept et six ans respectivement avant la date critique nrsquoa pas empecirccheacute la Cour de connaicirctre du fond du grief souleveacute sous lrsquoangle du volet proceacutedural de lrsquoarticle 2 (Paccedilacı et autres c Turquie no 306407 sectsect 64-66 8novembre 2011 et Jularić c Croatie no 2010606 sectsect 38 et 45-46 20 janvier 2011) La peacuteriode de treize ans ayant seacutepareacute le deacutecegraves du fils du requeacuterant dans une bagarre et lrsquoentreacutee en vigueur de la Convention agrave lrsquoeacutegard de la Serbie nrsquoa pas non plus eacuteteacute consideacutereacutee comme primant lrsquoimportance des actes de proceacutedure accomplis apregraves la date critique (Mladenović c Serbie no 109908 sectsect 38-40 22 mai 2012)

139 La Cour a eacutegalement statueacute sur un certain nombre drsquoaffaires dans lesquelles le requeacuterant disait avoir eacuteteacute victime drsquoun traitement prohibeacute par lrsquoarticle 3 de la Convention agrave un moment donneacute avant la date critique Elle a conclu qursquoelle avait compeacutetence pour veacuterifier le respect par lrsquoEtat deacutefendeur ndash pendant la peacuteriode posteacuterieure agrave lrsquoentreacutee en vigueur ndash de lrsquoarticle 3 sous son volet proceacutedural qui lui imposait de conduire une enquecircte effective respectivement dans un cas de brutaliteacutes policiegraveres (Yatsenko c Ukraine no 7534501 sect 40 16 feacutevrier 2012 et Stanimirović c Serbie no 2608806 sectsect 28-29 18 octobre 2011) dans un cas de viol (PM c Bulgarie no 4966907 sect 58 24 janvier 2012) et dans un cas de mauvais traitements infligeacutes par un particulier (Otašević c Serbie no 3219807 5 feacutevrier 2013)

3 Clarification des critegraveres eacutelaboreacutes dans lrsquoarrecirct Šilih

140 Malgreacute le nombre toujours croissant drsquoarrecircts dans lesquels la Cour statue sur sa compeacutetence ratione temporis en se fondant sur les critegraveres adopteacutes dans lrsquoarrecirct Šilih lrsquoapplication en pratique de ces derniers est parfois source drsquoincertitudes Une clarification est donc souhaitable

141 Les critegraveres exposeacutes aux paragraphes 162 et 163 de lrsquoarrecirct Šilih (repris au paragraphe 133 ci-dessus) peuvent se reacutesumer comme suit Premiegraverement dans le cas drsquoun deacutecegraves survenu avant la date critique seuls les actes et omissions de nature proceacutedurale posteacuterieurs agrave cette date relegravevent de la compeacutetence temporelle de la Cour Deuxiegravemement pour que lrsquoobligation proceacutedurale entre en jeu il doit exister un laquo lien veacuteritable raquo entre le deacutecegraves en tant que fait geacuteneacuterateur et lrsquoentreacutee en vigueur de la Convention Troisiegravemement un lien qui ne serait pas laquo veacuteritable raquo peut neacuteanmoins suffire agrave eacutetablir la compeacutetence de la Cour si sa prise en compte est neacutecessaire pour permettre de veacuterifier que les garanties offertes par la Convention et les valeurs qui la sous-tendent sont proteacutegeacutees de maniegravere reacuteelle et effective La Cour examinera tour agrave tour chacun de ces eacuteleacutements

a) Actes et omissions de nature proceacutedurale posteacuterieurs agrave lrsquoentreacutee en vigueur de la Convention

142 La Cour rappelle drsquoembleacutee que lrsquoenquecircte que requiert lrsquoarticle 2 sous son volet proceacutedural ne constitue pas un mode de redressement drsquoune violation alleacutegueacutee du droit agrave la vie qui a pu survenir avant la date critique La violation alleacutegueacutee de lrsquoobligation proceacutedurale a pour origine lrsquoabsence drsquoenquecircte effective lrsquoobligation proceacutedurale a son propre champ drsquoapplication et peut jouer indeacutependamment de lrsquoobligation mateacuterielle de lrsquoarticle 2 (arrecircts Varnava et autres sect 136 et Šilih sect 159 preacuteciteacutes) Degraves lors la compeacutetence temporelle de la Cour englobe les actes et omissions de nature proceacutedurale qui sont survenus ou auraient ducirc survenir apregraves lrsquoentreacutee en vigueur de la Convention agrave lrsquoeacutegard de lrsquoEtat deacutefendeur

143 La Cour considegravere en outre que par laquo actes de nature proceacutedurale raquo il faut entendre les actes inheacuterents agrave lrsquoobligation proceacutedurale deacutecoulant de lrsquoarticle 2 ou le cas eacutecheacuteant de lrsquoarticle 3 de la Convention crsquoest-agrave-dire les actes pris dans le cadre drsquoune proceacutedure peacutenale civile administrative ou disciplinaire susceptible de mener agrave lrsquoidentification et agrave la punition des responsables ou agrave lrsquoindemnisation de la partie leacuteseacutee (Labita c Italie [GC] no 2677295 sect 131 CEDH 2000-IV et McCann et autres c Royaume-Uni 27 septembre 1995 sect 161 seacuterie A no 324) Cette deacutefinition a pour effet drsquoexclure les autres types de deacutemarches pouvant ecirctre entreprises agrave drsquoautres fins par exemple pour eacutetablir une veacuteriteacute historique

1015

144 Les laquo omissions raquo visent les cas ougrave il nrsquoy a eu aucune enquecircte et ceux ougrave seuls des actes de proceacutedure insignifiants ont eacuteteacute effectueacutes mais ougrave il est alleacutegueacute qursquoune enquecircte effective aurait ducirc ecirctre meneacutee Degraves lors que se preacutesente une alleacutegation un moyen de preuve ou un eacuteleacutement drsquoinformation plausible et creacutedible qui pourrait permettre drsquoidentifier et au bout du compte drsquoinculper ou de punir les responsables les autoriteacutes sont tenues de prendre des mesures drsquoenquecircte (Gutieacuterrez Dorado et Dorado Ortiz c Espagne (deacutec) no 3014109 sectsect 39-41 27 mars 2012 Ccedilakir et autres c Chypre (deacutec) no 786406 29 avril 2010 et Brecknell preacuteciteacute sectsect 66-72) Si vient agrave surgir posteacuterieurement agrave lrsquoentreacutee en vigueur un eacuteleacutement nouveau suffisamment important et deacuteterminant pour justifier lrsquoouverture drsquoune nouvelle instance la Cour devra srsquoassurer que lrsquoEtat deacutefendeur srsquoest acquitteacute de lrsquoobligation proceacutedurale que lui impose lrsquoarticle 2 drsquoune maniegravere compatible avec les principes eacutenonceacutes dans sa jurisprudence Toutefois si le fait geacuteneacuterateur eacutechappe agrave la compeacutetence temporelle de la Cour la deacutecouverte drsquoeacuteleacutements nouveaux apregraves la date critique ne pourra faire renaicirctre lrsquoobligation drsquoenquecircter que si le critegravere du laquo lien veacuteritable raquo ou celui des laquo valeurs de la Convention raquo (voir ci-dessous) a eacuteteacute satisfait

b) Le critegravere du laquo lien veacuteritable raquo

145 La premiegravere phrase du paragraphe 163 de lrsquoarrecirct Šilih pose que lrsquoexistence drsquoun laquo lien veacuteritable raquo entre le fait geacuteneacuterateur et lrsquoentreacutee en vigueur de la Convention agrave lrsquoeacutegard de lrsquoEtat deacutefendeur est une condition sine qua non pour que lrsquoobligation proceacutedurale deacutecoulant de lrsquoarticle 2 de la Convention devienne applicable

146 La Cour considegravere que lrsquoeacuteleacutement temporel est le premier et le plus important des indicateurs lorsqursquoil srsquoagit drsquoeacutetablir le caractegravere laquo veacuteritable raquo du lien A lrsquoinstar de la chambre dans son arrecirct elle ajoute que pour qursquoil y ait un laquo lien veacuteritable raquo le laps de temps eacutecouleacute entre le fait geacuteneacuterateur et la date critique doit demeurer relativement bref Bien qursquoil nrsquoexiste en droit aucun critegravere apparent permettant de deacutefinir la limite absolue de ce deacutelai celui-ci ne devrait pas exceacuteder dix ans (voir par analogie Varnava et autres preacuteciteacute sect 166 et Er et autres c Turquie no 2301604 sectsect 59-60 31 juillet 2012) A supposer mecircme que en raison de circonstances exceptionnelles il soit justifieacute de faire remonter ce deacutelai encore plus loin dans le passeacute il faudra qursquoil soit satisfait au critegravere des laquo valeurs de la Convention raquo

147 Toutefois la dureacutee du deacutelai qui seacutepare le fait geacuteneacuterateur de la date critique nrsquoest pas deacutecisive en elle-mecircme pour deacuteterminer si le lien est laquo veacuteritable raquo Comme lrsquoindique la deuxiegraveme phrase du paragraphe 163 de lrsquoarrecirct Šilih le lien sera eacutetabli si lrsquoessentiel de lrsquoenquecircte sur le deacutecegraves a eu lieu ou aurait ducirc avoir lieu posteacuterieurement agrave lrsquoentreacutee en vigueur de la Convention Cela englobe la conduite drsquoune proceacutedure visant agrave eacutetablir la cause du deacutecegraves et agrave faire reacutepondre les responsables de leurs actes ainsi que lrsquoadoption drsquoune part importante des mesures proceacutedurales essentielles au deacuteroulement de lrsquoenquecircte Il srsquoagit drsquoun corollaire au principe voulant que la Cour nrsquoait compeacutetence qursquoagrave lrsquoeacutegard des actes et omissions de nature proceacutedurale posteacuterieurs agrave la date drsquoentreacutee en vigueur Si toutefois la majeure partie de la proceacutedure ou les mesures proceacutedurales les plus importantes sont anteacuterieures agrave cette date la capaciteacute de la Cour agrave appreacutecier globalement lrsquoeffectiviteacute de lrsquoenquecircte agrave lrsquoaune des exigences proceacutedurales de lrsquoarticle 2 de la Convention peut srsquoen trouver irreacutemeacutediablement amoindrie

148 Eu eacutegard agrave ce qui preacutecegravede la Cour conclut que pour qursquoun laquo lien veacuteritable raquo puisse ecirctre eacutetabli il doit ecirctre satisfait aux deux critegraveres le deacutelai entre le deacutecegraves en tant que fait geacuteneacuterateur et lrsquoentreacutee en vigueur de la Convention doit avoir eacuteteacute relativement bref et la majeure partie de lrsquoenquecircte doit avoir eacuteteacute conduite ou aurait ducirc lrsquoecirctre apregraves lrsquoentreacutee en vigueur

c) Le critegravere des laquo valeurs de la Convention raquo

149 La Cour admet par ailleurs qursquoil peut exister des situations extraordinaires ne satisfaisant pas au critegravere du laquo lien veacuteritable raquo tel qursquoexposeacute ci-dessus mais ougrave la neacutecessiteacute de proteacuteger de maniegravere reacuteelle et effective les garanties offertes par la Convention et les valeurs qui la sous-tendent constitue un fondement suffisant pour reconnaicirctre lrsquoexistence drsquoun lien La derniegravere phrase du paragraphe 163 de lrsquoarrecirct Šilih nrsquoexclut pas cette eacuteventualiteacute qui constituerait alors une exception agrave la regravegle geacuteneacuterale que repreacutesente le critegravere du laquo lien veacuteritable raquo Dans toutes les affaires preacuteciteacutees la Cour a admis lrsquoexistence drsquoun laquo lien veacuteritable raquo parce que le laps de temps eacutecouleacute entre le deacutecegraves et la date critique eacutetait relativement bref et qursquoune part consideacuterable de la proceacutedure avait eacuteteacute conduite apregraves cette date La preacutesente affaire est donc la premiegravere agrave pouvoir relever de cette autre cateacutegorie agrave caractegravere exceptionnel Aussi la Cour doit-elle expliciter les modaliteacutes drsquoapplication du critegravere des laquo valeurs de la Convention raquo

150 A lrsquoinstar de la chambre la Grande Chambre estime que le renvoi aux valeurs qui sous-tendent la Convention signifie que lrsquoexistence du lien requis peut ecirctre constateacutee si le fait geacuteneacuterateur revecirct une dimension plus large qursquoune infraction peacutenale ordinaire et constitue la neacutegation des fondements mecircmes de la Convention Tel serait le cas de graves crimes de droit international tels que les crimes de guerre le geacutenocide ou les crimes contre lrsquohumaniteacute conformeacutement aux deacutefinitions qursquoen donnent les instruments internationaux pertinents

151 Le caractegravere odieux et la graviteacute de pareils crimes ont pousseacute les parties agrave la Convention sur lrsquoimprescriptibiliteacute des crimes de guerre et des crimes contre lrsquohumaniteacute agrave consideacuterer que ces infractions doivent ecirctre imprescriptibles et que les prescriptions qui existeraient en la matiegravere dans leur ordre juridique interne doivent ecirctre abolies La Cour considegravere neacuteanmoins que le critegravere des laquo valeurs de la Convention raquo ne peut pas srsquoappliquer agrave des eacuteveacutenements anteacuterieurs agrave lrsquoadoption de la Convention le 4 novembre 1950 car crsquoest seulement agrave cette date que celle-ci a commenceacute agrave exister en tant qursquoinstrument international de protection des droits de lrsquohomme Degraves lors la responsabiliteacute sur le terrain de la Convention drsquoune Partie agrave celle-ci ne peut pas ecirctre engageacutee pour la non-reacutealisation drsquoune enquecircte sur un crime de droit international fucirct-il le plus abominable si celui-ci est anteacuterieur agrave la Convention Bien qursquoelle soit sensible agrave lrsquoargument selon lequel mecircme aujourdrsquohui certains pays ont reacuteussi agrave juger des responsables de crimes de guerre commis au cours de la Deuxiegraveme Guerre mondiale la Cour souligne la diffeacuterence fondamentale qui existe entre la possibiliteacute de poursuivre une personne pour un grave crime de droit international si les circonstances le permettent et lrsquoobligation de le faire au regard de la Convention

III La theacuteorie des obligations positives

Document ndeg5 CEDH Airey c Irlande 9101979 extraits

1115

24 Selon le Gouvernement la requeacuterante a bien accegraves agrave la High Court puisqursquoil lui est loisible de srsquoadresser agrave elle sans

lrsquoassistance drsquoun homme de loi

La Cour ne considegravere pas cette ressource comme deacutecisive en soi La Convention a pour but de proteacuteger des droits non pas

theacuteoriques ou illusoires mais concrets et effectifs (voir mutatis mutandis lrsquoarrecirct du 23 juillet 1968 en lrsquoaffaire linguistique belge

seacuterie A no 6 p 31 paras 3 in fine et 4 lrsquoarrecirct Golder preacuteciteacute p 18 par 35 in fine lrsquoarrecirct Luedicke Belkacem et Koccedil du 28 novembre 1978 seacuterie A no 29 pp 17-18 par 42 lrsquoarrecirct Marckx du 13 juin 1979 seacuterie A no 31 p 15 par 31) La remarque vaut en

particulier pour le droit drsquoaccegraves aux tribunaux eu eacutegard agrave la place eacuteminente que le droit agrave un procegraves eacutequitable occupe dans une socieacuteteacute

deacutemocratique (cf mutatis mutandis lrsquoarrecirct Delcourt du 17 janvier 1970 seacuterie A no 11 pp 14-15 par 25) Il faut donc rechercher si la comparution devant la High Court sans lrsquoassistance drsquoun conseil serait efficace en ce sens que Mme Airey pourrait preacutesenter ses

arguments de maniegravere adeacutequate et satisfaisante

Gouvernement et Commission ont exposeacute agrave ce sujet des vues contradictoires lors des audiences La Cour estime certain que la requeacuterante se trouverait deacutesavantageacutee si son eacutepoux eacutetait repreacutesenteacute par un homme de loi et elle non En dehors mecircme de cette

hypothegravese elle ne croit pas reacutealiste de penser que lrsquointeacuteresseacutee pourrait deacutefendre utilement sa cause dans un tel litige malgreacute lrsquoaide que

le juge - le Gouvernement le souligne - precircte aux parties agissant en personne

En Irlande un jugement de seacuteparation de corps ne srsquoobtient pas devant un tribunal drsquoarrondissement ougrave la proceacutedure est

relativement simple mais devant la High Court Un speacutecialiste du droit irlandais de la famille M Alan J Shatter voit dans cette

juridiction la moins accessible de toutes en raison non seulement du niveau fort eacuteleveacute des honoraires agrave verser pour srsquoy faire repreacutesenter mais aussi de la complexiteacute de la proceacutedure agrave suivre pour introduire une action en particulier sur requecircte (petition)

comme ici (Family Law in the Republic of Ireland Dublin 1977 p 21)

En outre pareil procegraves indeacutependamment des problegravemes juridiques deacutelicats qursquoil comporte exige la preuve drsquoun adultegravere de pratiques contre nature ou comme en lrsquooccurrence de cruauteacute pour eacutetablir les faits il peu y avoir lieu de recueillir la deacuteposition

drsquoexperts de rechercher des teacutemoins de les citer et de les interroger De surcroicirct les diffeacuterends entre conjoints suscitent souvent une

passion peu compatible avec le degreacute drsquoobjectiviteacute indispensable pour plaider en justice

Pour ces motifs la Cour estime tregraves improbable qursquoune personne dans la situation de Mme Airey (paragraphe 8 ci-dessus)

puisse deacutefendre utilement sa propre cause Les reacuteponses du Gouvernement aux questions de la Cour corroborent cette opinion elles

reacutevegravelent que dans chacune des 255 instances en seacuteparation de corps engageacutees en Irlande de janvier 1972 agrave deacutecembre 1978 sans exception un homme de loi repreacutesentait le demandeur (paragraphe 11 ci-dessus)

La Cour en deacuteduit que la possibiliteacute de comparaicirctre en personne devant la High Court nrsquooffre pas agrave la requeacuterante un droit effectif drsquoaccegraves et partant ne constitue pas non plus un recours interne dont lrsquoarticle 26 (art 26) exige lrsquoeacutepuisement (paragraphe 19 b)

ci-dessus)

25 Le Gouvernement essaie de diffeacuterencier la preacutesente espegravece de lrsquoaffaire Golder Dans cette derniegravere souligne-t-il le requeacuterant avait eacuteteacute empecirccheacute de saisir un tribunal par un obstacle positif dresseacute sur son chemin par lrsquoEacutetat le ministre de lrsquointeacuterieur lui

avait interdit de consulter un avocat Ici au contraire il nrsquoexisterait de la part de lrsquoEacutetat ni obstacle positif ni tentative drsquoentrave le

deacutefaut alleacutegueacute drsquoaccegraves agrave la justice ne deacutecoulerait drsquoaucune initiative des autoriteacutes mais uniquement de la situation personnelle de Mme Airey dont on ne saurait tenir lrsquoIrlande pour responsable sur le terrain de la Convention

Cette dissemblance entre les circonstances des deux causes est indeacuteniable mais la Cour nrsquoapprouve pas la conclusion qursquoen

tire le Gouvernement Tout drsquoabord un obstacle de fait peut enfreindre la Convention agrave lrsquoeacutegal drsquoun obstacle juridique (arrecirct Golder preacuteciteacute p 13 par 26) En outre lrsquoexeacutecution drsquoun engagement assumeacute en vertu de la Convention appelle parfois des mesures positives

de lrsquoEacutetat en pareil cas celui-ci ne saurait se borner agrave demeurer passif et il nrsquoy a () pas lieu de distinguer entre actes et omissions

(voir mutatis mutandis lrsquoarrecirct Marckx preacuteciteacute p 15 par 31 et lrsquoarrecirct De Wilde Ooms et Versyp du 10 mars 1972 seacuterie A no 14 p 10 par 22) Or lrsquoobligation drsquoassurer un droit effectif drsquoaccegraves agrave la justice se range dans cette cateacutegorie drsquoengagements

26 Le Gouvernement appuie son argument principal sur ce qursquoil considegravere comme les conseacutequences de lrsquoavis de la

Commission dans chaque contestation relative agrave un droit de caractegravere civil lrsquoEacutetat devrait fournir une aide judiciaire gratuite Or la

seule clause de la Convention qui reacutegisse expresseacutement cette derniegravere question lrsquoarticle 6 par 3 c) (art 6-3-c) concerne les

proceacutedures peacutenales et srsquoaccompagne elle-mecircme de restrictions au surplus drsquoapregraves la jurisprudence constante de la Commission nul

droit agrave une aide judiciaire gratuite ne se trouve en soi garanti par lrsquoarticle 6 par 1 (art 6-1) En ratifiant la Convention ajoute le Gouvernement lrsquoIrlande a formuleacute une reacuteserve agrave lrsquoarticle 6 par 3 c) (art 6-3-c) pour reacuteduire ses obligations dans le domaine de lrsquoaide

judiciaire en matiegravere peacutenale a fortiori on ne saurait selon lui preacutetendre qursquoelle ait tacitement accepteacute drsquooctroyer une aide judiciaire

illimiteacutee dans les litiges civils Enfin il ne faut pas drsquoapregraves lui interpreacuteter la Convention de maniegravere agrave reacutealiser dans un Eacutetat contractant des progregraves eacuteconomiques et sociaux ils ne peuvent ecirctre que graduels

La Cour nrsquoignore pas que le deacuteveloppement des droits eacuteconomiques et sociaux deacutepend beaucoup de la situation des Eacutetats et

notamment de leurs finances Drsquoun autre cocircteacute la Convention doit se lire agrave la lumiegravere des conditions de vie drsquoaujourdrsquohui (arrecirct Marckx preacuteciteacute p 19 par 41) et agrave lrsquointeacuterieur de son champ drsquoapplication elle tend agrave une protection reacuteelle et concregravete de lrsquoindividu

(paragraphe 24 ci-dessus) Or si elle eacutenonce pour lrsquoessentiel des droits civils et politiques nombre drsquoentre eux ont des prolongements

drsquoordre eacuteconomique ou social Avec la Commission la Cour nrsquoestime donc pas devoir eacutecarter telle ou telle interpreacutetation pour le simple motif qursquoagrave lrsquoadopter on risquerait drsquoempieacuteter sur la sphegravere des droits eacuteconomiques et sociaux nulle cloison eacutetanche ne seacutepare

celle-ci du domaine de la Convention

La Cour ne partage pas davantage lrsquoopinion du Gouvernement sur les conseacutequences de lrsquoavis de la Commission

On aurait tort de geacuteneacuteraliser la conclusion selon laquelle la possibiliteacute de comparaicirctre en personne devant la High Court

nrsquooffre pas agrave Mme Airey un droit effectif drsquoaccegraves elle ne vaut pas pour tous les cas concernant des droits et obligations de caractegravere

civil ni pour tous les inteacuteresseacutes Dans certaines hypothegraveses la faculteacute de se preacutesenter devant une juridiction fucirct-ce sans lrsquoassistance drsquoun conseil reacutepond aux exigences de lrsquoarticle 6 par 1 (art 6-1) il se peut qursquoelle assure parfois un accegraves reacuteel mecircme agrave la High Court

En veacuteriteacute les circonstances jouent ici un rocircle important

En outre lrsquoarticle 6 par 1 (art 6-1) srsquoil garantit aux plaideurs un droit effectif drsquoaccegraves aux tribunaux pour les deacutecisions relatives agrave leurs droits et obligations de caractegravere civil laisse agrave lrsquoEacutetat le choix des moyens agrave employer agrave cette fin Lrsquoinstauration drsquoun

systegraveme drsquoaide judiciaire - envisageacutee agrave preacutesent par lrsquoIrlande pour les affaires ressortissant au droit de la famille (paragraphe 11 ci-

1215

dessus) - en constitue un mais il y en a drsquoautres par exemple une simplification de la proceacutedure Quoi qursquoil en soit il nrsquoappartient pas

agrave la Cour de dicter les mesures agrave prendre ni mecircme de les indiquer la Convention se borne agrave exiger que lrsquoindividu jouisse de son droit effectif drsquoaccegraves agrave la justice selon des modaliteacutes non contraires agrave lrsquoarticle 6 par 1 (art 6-1) (voir mutatis mutandis lrsquoarrecirct Syndicat

national de la police belge du 27 octobre 1975 seacuterie A no 19 p 18 par 39 et lrsquoarrecirct Marckx preacuteciteacute p 15 par 31)

La conclusion figurant agrave la fin du paragraphe 24 ci-dessus nrsquoimplique donc pas que lrsquoEacutetat doive fournir une aide judiciaire gratuite dans toute contestation touchant un droit de caractegravere civil

Affirmer lrsquoexistence drsquoune obligation aussi eacutetendue la Cour lrsquoadmet se concilierait mal avec la circonstance que la

Convention ne renferme aucune clause sur lrsquoaide judiciaire pour ces derniegraveres contestations son article 6 par 3 c) (art 6-3-c) ne traitant que de la matiegravere peacutenale Cependant malgreacute lrsquoabsence drsquoun texte analogue pour les procegraves civils lrsquoarticle 6 par 1 (art 6-1)

peut parfois astreindre lrsquoEacutetat agrave pourvoir agrave lrsquoassistance drsquoun membre du barreau quand elle se reacutevegravele indispensable agrave un accegraves effectif

au juge soit parce que la loi prescrit la repreacutesentation par un avocat comme la leacutegislation nationale de certains Eacutetats contractants le fait pour diverses cateacutegories de litiges soit en raison de la complexiteacute de la proceacutedure ou de la cause

Quant agrave la reacuteserve irlandaise agrave lrsquoarticle 6 par 3 c) (art 6-3-c) on ne saurait lrsquointerpreacuteter de telle sorte qursquoelle influerait sur

les engagements reacutesultant de lrsquoarticle 6 par 1 (art 6-1) partant elle nrsquoentre pas ici en ligne de compte

28 La Cour constate ainsi agrave la lumiegravere de lrsquoensemble des circonstances de la cause que Mme Airey nrsquoa pas beacuteneacuteficieacute drsquoun

droit drsquoaccegraves effectif agrave la High Court pour demander un jugement de seacuteparation de corps Partant il y a eu violation de lrsquoarticle 6 par

1 (art 6-1)

32 Aux yeux de la Cour Mme Airey ne saurait passer pour avoir subi de la part de lrsquoIrlande une ingeacuterence dans sa vie

priveacutee ou familiale elle se plaint en substance non drsquoun acte mais de lrsquoinaction de lrsquoEacutetat Toutefois si lrsquoarticle 8 (art 8) a

essentiellement pour objet de preacutemunir lrsquoindividu contre des ingeacuterences arbitraires des pouvoirs publics il ne se contente pas drsquoastreindre lrsquoEacutetat agrave srsquoabstenir de pareilles ingeacuterences agrave cet engagement plutocirct neacutegatif peuvent srsquoajouter des obligations positives

inheacuterentes agrave un respect effectif de la vie priveacutee ou familiale (arrecirct Marckx preacuteciteacute p 15 par 31)

33 Le droit irlandais regravegle cette derniegravere sous beaucoup drsquoaspects Au sujet de mariage il prescrit en principe aux eacutepoux de cohabiter mais il leur accorde dans certains cas le droit de demander un jugement de seacuteparation de corps Par lagrave mecircme il reconnaicirct

que la protection de leur vie priveacutee ou familiale exige parfois de les relever de ce devoir

Un respect effectif de la vie priveacutee ou familiale impose agrave lrsquoIrlande de rendre ce moyen effectivement accessible quand il y a lieu agrave quiconque deacutesire lrsquoemployer Or la requeacuterante nrsquoy a pas eu effectivement accegraves nrsquoayant pas eacuteteacute mise en mesure de saisir la

High Court (paragraphes 20 agrave 28 ci-dessus) elle nrsquoa pu reacuteclamer la conseacutecration juridique de sa seacuteparation de fait drsquoavec son mari Elle a donc eacuteteacute victime drsquoune violation de lrsquoarticle 8 (art 8)

Document ndeg 6 CEDH Lopez Ostra c Espagne 9 Deacutecembre 1994 extraits

51 Il va pourtant de soi que des atteintes graves agrave lrsquoenvironnement peuvent affecter le bien-ecirctre drsquoune personne et la priver

de la jouissance de son domicile de maniegravere agrave nuire agrave sa vie priveacutee et familiale sans pour autant mettre en grave danger la santeacute de lrsquointeacuteresseacutee

Que lrsquoon aborde la question sous lrsquoangle drsquoune obligation positive de lrsquoEtat - adopter des mesures raisonnables et adeacutequates

pour proteacuteger les droits de lrsquoindividu en vertu du paragraphe 1 de lrsquoarticle 8 (art 8-1) - comme le souhaite dans son cas la requeacuterante ou sous celui drsquoune ingeacuterence drsquoune autoriteacute publique agrave justifier selon le paragraphe 2 (art 8-2) les principes applicables sont assez

voisins Dans les deux cas il faut avoir eacutegard au juste eacutequilibre agrave meacutenager entre les inteacuterecircts concurrents de lrsquoindividu et de la socieacuteteacute

dans son ensemble lrsquoEtat jouissant en toute hypothegravese drsquoune certaine marge drsquoappreacuteciation En outre mecircme pour les obligations positives reacutesultant du paragraphe 1 (art 8-1) les objectifs eacutenumeacutereacutes au paragraphe 2 (art 8-2) peuvent jouer un certain rocircle dans la

recherche de lrsquoeacutequilibre voulu (voir notamment les arrecircts Rees c Royaume-Uni du 17 octobre 1986 seacuterie A no 106 p 15 par 37 et

Powell et Rayner c Royaume-Uni du 21 feacutevrier 1990 seacuterie A no 172 p 18 par 41)

52 Il ressort du dossier que la station drsquoeacutepuration litigieuse fut construite en juillet 1988 par SACURSA pour reacutesoudre un

grave problegraveme de pollution existant agrave Lorca agrave cause de la concentration de tanneries Or degraves son entreacutee en service elle provoqua des

nuisances et troubles de santeacute chez de nombreux habitants (paragraphes 7 et 8 ci-dessus)

Certes les autoriteacutes espagnoles et notamment la municipaliteacute de Lorca nrsquoeacutetaient pas en principe directement responsables

des eacutemanations dont il srsquoagit Toutefois comme le signale la Commission la ville permit lrsquoinstallation de la station sur des terrains lui

appartenant et lrsquoEtat octroya une subvention pour sa construction (paragraphe 7 ci-dessus)

53 Le conseil municipal reacuteagit avec ceacuteleacuteriteacute en relogeant gratuitement au centre ville pendant les mois de juillet aoucirct et

septembre 1988 les reacutesidents affecteacutes puis en closant lrsquoune des activiteacutes de la station agrave partir du 9 septembre (paragraphes 8 et 9 ci-

dessus) Cependant ses membres ne pouvaient ignorer que les problegravemes drsquoenvironnement persistegraverent apregraves cette clocircture partielle (paragraphes 9 et 11 ci-dessus) Cela fut drsquoailleurs corroboreacute degraves le 19 janvier 1989 par le rapport de lrsquoAgence reacutegionale pour

lrsquoenvironnement et la nature puis confirmeacute par des expertises en 1991 1992 et 1993 (paragraphes 11 et 18 ci-dessus)

54 Drsquoapregraves Mme Loacutepez Ostra les pouvoirs geacuteneacuteraux de police attribueacutes agrave la municipaliteacute par le regraveglement de 1961 obligeaient ladite municipaliteacute agrave agir En outre la station ne reacuteunissait pas les conditions requises par la loi notamment en ce qui

concernait son emplacement et lrsquoabsence de permis municipal (paragraphes 8 27 et 28 ci-dessus)

55 Sur ce point la Cour rappelle que la question de la leacutegaliteacute de lrsquoinstallation et du fonctionnement de la station demeure pendante devant le Tribunal suprecircme depuis 1991 (paragraphe 16 ci-dessus) Or drsquoapregraves sa jurisprudence constante il incombe au

premier chef aux autoriteacutes nationales et speacutecialement aux cours et tribunaux drsquointerpreacuteter et drsquoappliquer le droit interne (voir entre autres lrsquoarrecirct Casado Coca c Espagne du 24 feacutevrier 1994 seacuterie A no 285-A p 18 par 43)

De toute maniegravere la Cour estime qursquoen lrsquooccurrence il lui suffit de rechercher si agrave supposer mecircme que la municipaliteacute se

soit acquitteacutee des tacircches qui lui revenaient drsquoapregraves le droit interne (paragraphes 27-28 ci-dessus) les autoriteacutes nationales ont pris les mesures neacutecessaires pour proteacuteger le droit de la requeacuterante au respect de son domicile ainsi que de sa vie priveacutee et familiale garanti par

lrsquoarticle 8 (art 8) (voir entre autres mutatis mutandis lrsquoarrecirct X et Y c Pays-Bas du 26 mars 1985 seacuterie A no 91 p 11 par 23)

1315

56 Il eacutechet de constater que non seulement la municipaliteacute nrsquoa pas pris apregraves le 9 septembre 1988 des mesures agrave cette fin

mais aussi qursquoelle a contrecarreacute des deacutecisions judiciaires allant dans ce sens Ainsi dans la proceacutedure ordinaire entameacutee par les belles-soeurs de Mme Loacutepez Ostra elle a interjeteacute appel contre la deacutecision du Tribunal supeacuterieur de Murcie du 18 septembre 1991 ordonnant

la fermeture provisoire de la station de sorte que cette mesure resta en suspens (paragraphe 16 ci-dessus)

Drsquoautres organes de lrsquoEtat ont aussi contribueacute agrave prolonger la situation Ainsi le ministegravere public attaqua le 19 novembre 1991 la deacutecision de fermeture provisoire prise par le juge drsquoinstruction de Lorca le 15 dans le cadre des poursuites pour deacutelit

eacutecologique (paragraphe 17 ci-dessus) si bien que la mesure est resteacutee inexeacutecuteacutee jusqursquoau 27 octobre 1993 (paragraphe 22 ci-dessus)

57 Le Gouvernement rappelle que la ville a assumeacute les frais de location drsquoun appartement au centre de Lorca que la requeacuterante et sa famille ont occupeacute du 1er feacutevrier 1992 jusqursquoen feacutevrier 1993 (paragraphe 21 ci-dessus)

La Cour note cependant que les inteacuteresseacutes ont ducirc subir pendant plus de trois ans les nuisances causeacutees par la station avant

de deacutemeacutenager avec les inconveacutenients que cela comporte Ils ne lrsquoont fait que lorsqursquoil apparut que la situation pouvait se prolonger indeacutefiniment et sur prescription du peacutediatre de la fille de Mme Loacutepez Ostra (paragraphes 16 17 et 19 ci-dessus) Dans ces conditions

lrsquooffre de la municipaliteacute ne pouvait pas effacer complegravetement les nuisances et inconveacutenients veacutecus

58 Compte tenu de ce qui preacutecegravede - et malgreacute la marge drsquoappreacuteciation reconnue agrave lrsquoEtat deacutefendeur - la Cour estime que

celui-ci nrsquoa pas su meacutenager un juste eacutequilibre entre lrsquointeacuterecirct du bien-ecirctre eacuteconomique de la ville de Lorca - celui de disposer drsquoune

station drsquoeacutepuration - et la jouissance effective par la requeacuterante du droit au respect de son domicile et de sa vie priveacutee et familiale

Il y a donc eu violation de lrsquoarticle 8 (art 8)

Document ndeg7 Soering c Royaume-Uni 07071989 extraits

I SUR LA VIOLATION ALLEacuteGUEacuteE DE LrsquoARTICLE 3 (art 3)

80 Selon le requeacuterant la deacutecision du ministre de lrsquoInteacuterieur de le livrer aux autoriteacutes des Eacutetats-Unis drsquoAmeacuterique entraicircnera si elle reccediloit exeacutecution un manquement du Royaume-Uni aux exigences de lrsquoarticle 3 (art 3) de la Convention ainsi

libelleacute

Nul ne peut ecirctre soumis agrave la torture ni agrave des peines ou traitements inhumains ou deacutegradants

A Applicabiliteacute de lrsquoarticle 3 (art 3) en matiegravere drsquoextradition

81 La violation alleacutegueacutee consisterait agrave exposer M Soering au syndrome du couloir de la mort (death row

phenomenon) On peut deacutecrire celui-ci comme une combinaison de circonstances dans lesquelles lrsquointeacuteresseacute devrait vivre si une fois extradeacute en Virginie pour y reacutepondre drsquoune accusation drsquoassassinats passibles de la peine capitale il se voyait condamner agrave mort

82 [hellip] la Commission rappelle que drsquoapregraves sa jurisprudence une expulsion ou extradition peut soulever un problegraveme au

regard de lrsquoarticle 3 (art 3) de la Convention srsquoil existe des raisons seacuterieuses de croire que la personne en cause subira dans lrsquoEacutetat de destination un traitement contraire agrave ce texte

[hellip]

84 La Cour abordera le problegraveme sur la base des consideacuterations suivantes

[hellip]

86 Lrsquoarticle 1 (art 1) aux termes duquel les Hautes Parties Contractantes reconnaissent agrave toute personne relevant de leur

juridiction les droits et liberteacutes deacutefinis au Titre I fixe une limite notamment territoriale au domaine de la Convention En particulier lrsquoengagement des Eacutetats contractants se borne agrave reconnaicirctre (en anglais to secure) aux personnes relevant de leur juridiction les

droits et liberteacutes eacutenumeacutereacutes En outre la Convention ne reacutegit pas les actes drsquoun Eacutetat tiers ni ne preacutetend exiger des Parties contractantes

qursquoelles imposent ses normes agrave pareil Eacutetat Lrsquoarticle 1 (art 1) ne saurait srsquointerpreacuteter comme consacrant un principe geacuteneacuteral selon

lequel un Eacutetat contractant nonobstant ses obligations en matiegravere drsquoextradition ne peut livrer un individu sans se convaincre que les

conditions escompteacutees dans le pays de destination cadrent pleinement avec chacune des garanties de la Convention En reacutealiteacute le

gouvernement britannique le souligne avec raison en deacuteterminant le champ drsquoapplication de la Convention et speacutecialement de lrsquoarticle 3 (art 3) on ne saurait oublier lrsquoobjectif beacuteneacutefique de lrsquoextradition empecirccher des deacutelinquants en fuite de se soustraire agrave la

justice

[hellip]

87 La Convention doit se lire en fonction de son caractegravere speacutecifique de traiteacute de garantie collective des droits de

lrsquohomme et des liberteacutes fondamentales (hellip) Lrsquoobjet et le but de cet instrument de protection des ecirctres humains appellent agrave comprendre

et appliquer ses dispositions drsquoune maniegravere qui en rende les exigences concregravetes et effectives (hellip) En outre toute interpreacutetation des droits et liberteacutes eacutenumeacutereacutes doit se concilier avec lrsquoesprit geacuteneacuteral [de la Convention] destineacutee agrave sauvegarder et promouvoir les ideacuteaux

et valeurs drsquoune socieacuteteacute deacutemocratique (hellip)

88 Lrsquoarticle 3 (art 3) ne meacutenage aucune exception et lrsquoarticle 15 (art 15) ne permet pas drsquoy deacuteroger en temps de guerre ou autre danger national Cette prohibition absolue par la Convention de la torture et des peines ou traitements inhumains ou

deacutegradants montre que lrsquoarticle 3 (art 3) consacre lrsquoune des valeurs fondamentales des socieacuteteacutes deacutemocratiques qui forment le Conseil

de lrsquoEurope

Reste agrave savoir si lrsquoextradition drsquoun fugitif vers un autre Eacutetat ougrave il subira ou risquera de subir la torture ou des peines ou

traitements inhumains ou deacutegradants engage par elle-mecircme la responsabiliteacute drsquoun Eacutetat contractant sur le terrain de lrsquoarticle 3 (art

3)(hellip) Un Eacutetat contractant se conduirait drsquoune maniegravere incompatible avec les valeurs sous-jacentes agrave la Convention ce patrimoine commun drsquoideacuteal et de traditions politiques de respect de la liberteacute et de preacuteeacuteminence du droit auquel se reacutefegravere le Preacuteambule srsquoil

remettait consciemment un fugitif - pour odieux que puisse ecirctre le crime reprocheacute - agrave un autre Eacutetat ougrave il existe des motifs seacuterieux de penser qursquoun danger de torture menace lrsquointeacuteresseacute Malgreacute lrsquoabsence de mention expresse dans le texte bref et geacuteneacuteral de lrsquoarticle 3

(art 3) pareille extradition irait manifestement agrave lrsquoencontre de lrsquoesprit de ce dernier aux yeux de la Cour lrsquoobligation implicite de ne

1415

pas extrader srsquoeacutetend aussi au cas ougrave le fugitif risquerait de subir dans lrsquoEacutetat de destination des peines ou traitements inhumains ou

deacutegradants proscrits par ledit article (art 3)

89 Ce qui constitue des peines ou traitements inhumains ou deacutegradants deacutepend de lrsquoensemble des circonstances de la

cause [hellip]

90 En principe il nrsquoappartient pas aux organes de la Convention de statuer sur lrsquoexistence ou lrsquoabsence de violations virtuelles de celle-ci Une deacuterogation agrave la regravegle geacuteneacuterale srsquoimpose pourtant si un fugitif allegravegue que la deacutecision de lrsquoextrader

enfreindrait lrsquoarticle 3 (art 3) au cas ougrave elle recevrait exeacutecution en raison des conseacutequences agrave en attendre dans le pays de destination

il y va de lrsquoefficaciteacute de la garantie assureacutee par ce texte vu la graviteacute et le caractegravere irreacuteparable de la souffrance preacutetendument risqueacutee (paragraphe 87 ci-dessus)

[hellip]

B Application de lrsquoarticle 3 (art 3) dans les circonstances de la cause

92 La proceacutedure drsquoextradition ouverte au Royaume-Uni contre le requeacuterant a pris fin avec la signature par le ministre

drsquoun arrecircteacute qui ordonnait la remise aux autoriteacutes ameacutericaines (hellip) quoique non encore exeacutecuteacutee cette deacutecision atteint de plein fouet

lrsquointeacuteresseacute Il faut donc rechercher agrave la lumiegravere des principes eacutenonceacutes plus haut si les conseacutequences preacutevisibles drsquoun renvoi de M

Soering aux Eacutetats-Unis sont de nature agrave faire jouer lrsquoarticle 3 (art 3)

98[hellip] Quoi qursquoil en soit selon le droit et la pratique de Virginie (hellip) et nonobstant le contexte diplomatique des relations

anglo-ameacutericaines en matiegravere drsquoextradition on ne peut dire objectivement que lrsquoengagement de signaler au juge au moment de la fixation de la peine les voeux du Royaume-Uni eacutecarte le danger drsquoune sentence capitale Dans le libre exercice de son pouvoir

drsquoappreacuteciation lrsquoAttorney de lrsquoEacutetat a deacutecideacute lui-mecircme de requeacuterir et persister agrave requeacuterir la peine capitale parce que le dossier lui

semble le commander (paragraphe 20 in fine ci-dessus) Si lrsquoautoriteacute nationale chargeacutee des poursuites adopte une attitude aussi ferme la Cour ne saurait guegravere conclure agrave lrsquoabsence de motifs seacuterieux de croire que M Soering court un risque reacuteel drsquoecirctre condamneacute agrave mort

donc de subir le syndrome du couloir de la mort

99 Partant la perspective de voir lrsquointeacuteresseacute exposeacute agrave ce syndrome comme il le redoute se reacutevegravele telle que lrsquoarticle 3 (art 3) entre en jeu

2 Sur le point de savoir si le risque drsquoexposer le requeacuterant au syndrome du couloir de la mort rendrait lrsquoextradition

contraire agrave lrsquoarticle 3 (art 3)

a) Consideacuterations geacuteneacuterales

100 Drsquoapregraves la jurisprudence de la Cour un mauvais traitement y compris une peine doit atteindre un minimum de graviteacute pour tomber sous le coup de lrsquoarticle 3 (art 3) Lrsquoappreacuteciation de ce minimum est relative par essence elle deacutepend de

lrsquoensemble des donneacutees de la cause et notamment de la nature et du contexte du traitement ou de la peine ainsi que de ses modaliteacutes

drsquoexeacutecution de sa dureacutee de ses effets physiques ou mentaux ainsi que parfois du sexe de lrsquoacircge et de lrsquoeacutetat de santeacute de la victime

La Cour a estimeacute un certain traitement agrave la fois inhumain pour avoir eacuteteacute appliqueacute avec preacutemeacuteditation pendant des heures

et avoir causeacute sinon de veacuteritables leacutesions du moins de vives souffrances physiques et morales et deacutegradant parce que de nature agrave

creacuteer [en ses victimes] des sentiments de peur drsquoangoisse et drsquoinfeacuterioriteacute propres agrave les humilier agrave les avilir et agrave briser eacuteventuellement leur reacutesistance physique ou morale (hellip) Pour qursquoune peine ou le traitement dont elle srsquoaccompagne soient inhumains ou

deacutegradants la souffrance ou lrsquohumiliation doivent en tout cas aller au-delagrave de celles que comporte ineacutevitablement une forme donneacutee

de peine leacutegitime (hellip ) En la matiegravere il eacutechet de tenir compte non seulement de la souffrance physique mais aussi en cas de long deacutelai avant lrsquoexeacutecution de la peine de lrsquoangoisse morale eacuteprouveacutee par le condamneacute dans lrsquoattente des violences qursquoon se preacutepare agrave lui

infliger

[hellip]

b) Les circonstances de la cause

i Dureacutee de la deacutetention avant lrsquoexeacutecution

[hellip]

106 [hellip] Un certain laps de temps doit forceacutement srsquoeacutecouler entre le prononceacute de la peine et son exeacutecution si lrsquoon veut

fournir au condamneacute des garanties de recours mais de mecircme il entre dans la nature humaine que lrsquointeacuteresseacute srsquoaccroche agrave lrsquoexistence

en les exploitant au maximum Si bien intentionneacute soit-il voire potentiellement beacuteneacutefique le systegraveme virginien de proceacutedures posteacuterieures agrave la sentence aboutit agrave obliger le condamneacute deacutetenu agrave subir pendant des anneacutees les conditions du couloir de la mort

lrsquoangoisse et la tension grandissante de vivre dans lrsquoombre omnipreacutesente de la mort

ii Situation dans le couloir de la mort

[hellip]

109 [hellip] Bien que la Cour nrsquoait pas agrave preacutejuger de la responsabiliteacute peacutenale et de la peine approprieacutee la jeunesse du

requeacuterant agrave lrsquoeacutepoque de lrsquoinfraction et sa condition mentale drsquoalors illustreacutees par le dossier psychiatrique existant figurent donc parmi les donneacutees qui tendent en lrsquoespegravece agrave faire relever de lrsquoarticle 3 (art 3) le traitement agrave subir dans le couloir de la mort

[hellip]

c) Conclusion

111 [hellip] Eu eacutegard cependant agrave la tregraves longue peacuteriode agrave passer dans le couloir de la mort dans des conditions aussi

extrecircmes avec lrsquoangoisse omnipreacutesente et croissante de lrsquoexeacutecution de la peine capitale et agrave la situation personnelle du requeacuterant en

particulier son acircge et son eacutetat mental agrave lrsquoeacutepoque de lrsquoinfraction une extradition vers les Eacutetats-Unis exposerait lrsquointeacuteresseacute agrave un risque reacuteel de traitement deacutepassant le seuil fixeacute par lrsquoarticle 3 (art 3) Lrsquoexistence en lrsquoespegravece drsquoun autre moyen drsquoatteindre le but leacutegitime

1515

de lrsquoextradition sans entraicircner pour autant des souffrances drsquoune intensiteacute ou dureacutee aussi exceptionnelles repreacutesente une consideacuteration

pertinente suppleacutementaire

En conclusion la deacutecision ministeacuterielle de livrer le requeacuterant aux Eacutetats-Unis violerait lrsquoarticle 3 (art 3) si elle recevait

exeacutecution

[hellip]

PAR CES MOTIFS LA COUR A LrsquoUNANIMITE

1 Dit qursquoil y aurait violation de lrsquoarticle 3 (art 3) si la deacutecision ministeacuterielle drsquoextrader le requeacuterant vers les Eacutetats-Unis drsquoAmeacuterique

recevait exeacutecution

Page 6: Dedh 2014 - Fiche 2

615

Document ndeg3 CEDH Al-Skeini cRoyaume-Uni et Al-Jedda cRoyaume-Uni

07072011 extraits

Al-Jedda cRoyaume-Uni

84 Il semble ressortir de lrsquoexposeacute de lrsquoopinion de Lord Bingham que dans le cadre de la premiegravere proceacutedure engageacutee par

le requeacuterant les parties devant la Chambre des lords srsquoaccordaient agrave dire que le critegravere drsquoattribution agrave retenir eacutetait celui eacutenonceacute par la CDI agrave lrsquoarticle 5 de son projet drsquoarticles sur la responsabiliteacute des organisations internationales et preacuteciseacute dans son commentaire agrave ce

sujet agrave savoir que le comportement drsquoun organe drsquoun Etat qui est mis agrave la disposition drsquoune organisation internationale est drsquoapregraves le

droit international imputable agrave cette organisation pour autant qursquoelle exerce un controcircle effectif sur ce comportement (paragraphes 18 et 56 ci-dessus) Pour les motifs exposeacutes ci-dessus la Cour considegravere que le Conseil de seacutecuriteacute nrsquoexerccedilait ni un controcircle effectif ni

lrsquoautoriteacute et le controcircle ultimes sur les actions et omissions des soldats de la force multinationale et que degraves lors lrsquointernement du

requeacuterant nrsquoest pas imputable agrave lrsquoONU

85 Interneacute dans un centre de deacutetention de la ville de Bassorah controcircleacute exclusivement par les forces britanniques le

requeacuterant srsquoest trouveacute pendant toute la dureacutee de sa deacutetention sous lrsquoautoriteacute et le controcircle du Royaume-Uni (paragraphe 10 ci-dessus

voir eacutegalement Al-Skeini et autres c Royaume-Uni [GC] no 5572107 sect 136 et Al-Saadoon et Mufdhi c Royaume-Uni (deacutec)

no 6149808 sect 88 CEDH 2010- voir eacutegalement lrsquoarrecirct rendu par la Cour suprecircme des Etats-Unis en lrsquoaffaire Munaf v Geren paragraphe 54 ci-dessus) Lrsquointernement avait eacuteteacute deacutecideacute par lrsquoofficier britannique qui commandait le centre de deacutetention Si

la deacutecision de maintenir le requeacuterant en deacutetention a eacuteteacute reacuteexamineacutee agrave diffeacuterents stades par des organes ayant en leur sein des

fonctionnaires irakiens et des repreacutesentants non britanniques de la force multinationale la Cour estime que ces proceacutedures de controcircle nrsquoont pas eu pour effet drsquoempecirccher lrsquoimputation au Royaume-Uni de la deacutetention en question

86 En conclusion la Cour considegravere avec la majoriteacute de la Chambre des lords que lrsquointernement du requeacuterant est

imputable au Royaume-Uni et que pendant la dureacutee de sa deacutetention lrsquointeacuteresseacute srsquoest retrouveacute sous la juridiction de ce pays au sens de lrsquoarticle 1 de la Convention

Al-Skeini cRoyaume-Uni - Principes geacuteneacuteraux relatifs agrave la juridiction au sens de larticle 1 de la Convention

130 Larticle 1 de la Convention est ainsi libelleacute

laquo Les Hautes Parties contractantes reconnaissent agrave toute personne relevant de leur juridiction les droits et liberteacutes deacutefinis au

titre I de la () Convention raquo

Aux termes de cette disposition lengagement des Etats contractants se borne agrave laquo reconnaicirctre raquo (en anglais laquo to secure raquo)

aux personnes relevant de leur laquo juridiction raquo les droits et liberteacutes eacutenumeacutereacutes (Soering c Royaume-Uni 7 juillet 1989 sect 86 seacuterie A

no 161 et deacutecision Banković preacuteciteacutee sect 66) La laquo juridiction raquo au sens de larticle 1 est une condition sine qua non Elle doit avoir

eacuteteacute exerceacutee pour quun Etat contractant puisse ecirctre tenu pour responsable des actes ou omissions agrave lui imputables qui sont agrave lorigine dune alleacutegation de violation des droits et liberteacutes eacutenonceacutes dans la Convention (Ilaşcu et autres preacuteciteacute sect 311)

α) Le principe de territorialiteacute

131 La juridiction dun Etat au sens de larticle 1 est principalement territoriale (Soering preacuteciteacute sect 86 Banković deacutecision preacuteciteacutee sectsect 61 et 67 etIlaşcu preacuteciteacute sect 312) Elle est preacutesumeacutee sexercer normalement sur lensemble de son territoire

(Ilaşcu preacuteciteacute sect 312 et Assanidzeacute c Geacuteorgie [GC] no7150301 sect 139 CEDH 2004-II) A linverse les actes des Etats contractants

accomplis ou produisant des effets en dehors de leur territoire ne peuvent que dans des circonstances exceptionnelles sanalyser en lexercice par eux de leur juridiction au sens de larticle 1 (Banković preacuteciteacute sect 67)

132 A ce jour la Cour a reconnu dans sa jurisprudence un certain nombre de circonstances exceptionnelles susceptibles

demporter exercice par lEtat contractant de sa juridiction agrave lexteacuterieur de ses propres frontiegraveres Dans chaque cas cest au regard des faits particuliers de la cause quil faut appreacutecier lexistence de pareilles circonstances exigeant et justifiant que la Cour conclue agrave un

exercice extraterritorial de sa juridiction par lEtat

β) Lautoriteacute et le controcircle dun agent de lEtat

133 La Cour a reconnu dans sa jurisprudence que par exception au principe de territorialiteacute la juridiction dun Etat

contractant au sens de larticle 1 peut seacutetendre aux actes de ses organes qui deacuteploient leurs effets en dehors de son territoire (Drozd et

Janousek preacuteciteacute sect 91 Loizidou (exceptions preacuteliminaires) preacuteciteacute sect 62 et Loizidou c Turquie (fond) 18 deacutecembre 1996 sect 52 Recueil des arrecircts et deacutecisions 1996-VI et Banković deacutecision preacuteciteacutee sect 69) Cette exception telle quelle se deacutegage de

larrecirct Drozd et Janousek et des autres affaires ci-dessus est eacutenonceacutee de maniegravere tregraves geacuteneacuterale la Cour seacutetant contenteacutee de dire que la

responsabiliteacute de lEtat contractant laquo peut entrer en jeu raquo en pareilles circonstances Il est neacutecessaire dexaminer la jurisprudence pour en cerner les principes directeurs

134 Premiegraverement il est clair que la juridiction de lEtat peut naicirctre des actes des agents diplomatiques ou consulaires

preacutesents en territoire eacutetranger conformeacutement aux regravegles du droit international degraves lors que ces agents exercent une autoriteacute et un

controcircle sur autrui (Banković deacutecision preacuteciteacutee sect 73 voir eacutegalement X c Reacutepublique feacutedeacuterale dAllemagne no 161162 deacutecision

de la Commission du 25 septembre 1965 Annuaire de la Convention europeacuteenne des droits de lhomme vol 8 p

158 X c Royaume-Uni no 754776 deacutecision de la Commission du 15 deacutecembre 1977 et WM c Danemark no 1739290 deacutecision

de la Commission du 14 octobre 1993)

135 Deuxiegravemement la Cour a conclu agrave lexercice extraterritorial de sa juridiction par lEtat contractant qui en vertu du consentement de linvitation ou de lacquiescement du gouvernement local assume lensemble ou certaines des preacuterogatives de

puissance publique normalement exerceacutees par celui-ci (Banković deacutecision preacuteciteacutee sect 71) Par conseacutequent degraves lors que

conformeacutement agrave une regravegle de droit international coutumiegravere conventionnelle ou autre ses organes assument des fonctions exeacutecutives ou judiciaires sur un territoire autre que le sien un Etat contractant peut ecirctre tenu pour responsable des violations de la Convention

715

commises dans lexercice de ces fonctions pourvu que les faits en question soient imputables agrave lui et non agrave lEtat territorial (Drozd et

Janousek preacuteciteacute Gentilhomme Schaff-Benhadji et Zeroukiet c France nos 4820599 4820799 et 4820999 14 mai 2002 ainsi

que X et Y c Suisse nos 728975 et 734976 deacutecision de la Commission sur la recevabiliteacute du 14 juillet 1977 DR 9 p 57)

136 En outre la jurisprudence de la Cour montre que dans certaines circonstances le recours agrave la force par des agents dun Etat opeacuterant hors de son territoire peut faire passer sous la juridiction de cet Etat au sens de larticle 1 toute personne se

retrouvant ainsi sous le controcircle de ceux-ci Cette regravegle a eacuteteacute appliqueacutee dans le cas de personnes remises entre les mains dagents de

lEtat agrave lexteacuterieur de ses frontiegraveres Ainsi dans larrecirct Oumlcalan c Turquiepreacuteciteacute sect 91 la Cour a jugeacute que laquo degraves sa remise par les agents kenyans aux agents turcs [le requeacuterant] s[eacutetait] effectivement retrouveacute sous lautoriteacute de la Turquie et relevait donc de la

laquo juridiction raquo de cet Etat aux fins de larticle 1 de la Convention mecircme si en loccurrence la Turquie a[vait] exerceacute son autoriteacute en

dehors de son territoire raquo Dans larrecirct Issa preacuteciteacute elle a indiqueacute que sil avait eacuteteacute eacutetabli que des soldats turcs avaient arrecircteacute les proches des requeacuterants dans le nord de lIrak avant de les emmener dans une caverne avoisinante et de les exeacutecuter les victimes

auraient ducirc ecirctre consideacutereacutees comme relevant de la juridiction de la Turquie ce par leffet de lautoriteacute et du controcircle exerceacutes sur les

victimes par les soldats Dans la deacutecision Al-Saadoon et Mufdhi c Royaume-Uni ((deacutec) no 6149808 sectsect 86-89 30 juin 2009) elle a

estimeacute que degraves lors que le controcircle exerceacute par le Royaume-Uni sur ses prisons militaires en Irak et sur les personnes y seacutejournant eacutetait absolu et exclusif il y avait lieu de consideacuterer agrave propos de deux ressortissants irakiens incarceacutereacutes dans lune delles quils relevaient de

la juridiction du Royaume-Uni Enfin dans larrecirct Medvedyev et autres c France [GC] no 339403 sect 67 CEDH 2010- elle a

conclu relativement agrave des requeacuterants qui seacutetaient trouveacutes agrave bord dun navire intercepteacute en haute mer par des agents franccedilais queu

eacutegard au controcircle absolu et exclusif exerceacute de maniegravere continue et ininterrompue par ces agents sur le navire et son eacutequipage degraves son interception ils relevaient de la juridiction de la France au sens de larticle 1 de la Convention La Cour considegravere que dans les

affaires ci-dessus la juridiction navait pas pour seul fondement le controcircle opeacutereacute par lEtat contractant sur les bacirctiments laeacuteronef ou

le navire ougrave les inteacuteresseacutes eacutetaient deacutetenus Leacuteleacutement deacuteterminant dans ce type de cas est lexercice dun pouvoir et dun controcircle physiques sur les personnes en question

137 Il est clair que degraves linstant ougrave lEtat par le biais de ses agents exerce son controcircle et son autoriteacute sur un individu et

par voie de conseacutequence sa juridiction il pegravese sur lui en vertu de larticle 1 une obligation de reconnaicirctre agrave celui-ci les droits et liberteacutes deacutefinis au titre I de la Convention qui concernent son cas En ce sens degraves lors les droits deacutecoulant de la Convention peuvent ecirctre

laquo fractionneacutes et adapteacutes raquo (voir agrave titre de comparaison la deacutecisionBanković preacuteciteacutee sect 75)

γ) Le controcircle effectif sur un territoire

138 Le principe voulant que la juridiction de lEtat contractant au sens de larticle 1 soit limiteacutee agrave son propre territoire

connaicirct une autre exception lorsque par suite dune action militaire ndash leacutegale ou non ndash lEtat exerce un controcircle effectif sur une zone

situeacutee en dehors de son territoire Lobligation dassurer dans une telle zone le respect des droits et liberteacutes garantis par la Convention

deacutecoule du fait de ce controcircle quil sexerce directement par lintermeacutediaire des forces armeacutees de lEtat ou par le biais dune

administration locale subordonneacutee (Loizidou (exceptions preacuteliminaires) preacuteciteacute sect 62 Chypre c Turquie [GC] no 2578194 sect 76

CEDH 2001-IV Banković deacutecision preacuteciteacutee sect 70 Ilaşcu preacuteciteacute sectsect 314-316 et Loizidou (fond) preacuteciteacute sect 52) Degraves lors quune telle mainmise sur un territoire est eacutetablie il nest pas neacutecessaire de deacuteterminer si lEtat contractant qui la deacutetient exerce un controcircle

preacutecis sur les politiques et actions de ladministration locale qui lui est subordonneacutee Du fait quil assure la survie de cette

administration gracircce agrave son soutien militaire et autre cet Etat engage sa responsabiliteacute agrave raison des politiques et actions entreprises par elle Larticle 1 lui fait obligation de reconnaicirctre sur le territoire en question la totaliteacute des droits mateacuteriels eacutenonceacutes dans la Convention

et dans les Protocoles additionnels quil a ratifieacutes et les violations de ces droits lui sont imputables (Chypre c Turquie preacuteciteacute sect 77)

139 La question de savoir si un Etat contractant exerce ou non un controcircle effectif sur un territoire hors de ses frontiegraveres est une question de fait Pour se prononcer la Cour se reacutefegravere principalement au nombre de soldats deacuteployeacutes par lEtat sur le territoire

en cause (Loizidou (fond) preacuteciteacute sectsect 16 et 56 etIlaşcu preacuteciteacute sect 387) Dautres eacuteleacutements peuvent aussi entrer en ligne de compte par

exemple la mesure dans laquelle le soutien militaire eacuteconomique et politique apporteacute par lEtat agrave ladministration locale subordonneacutee assure agrave celui-ci une influence et un controcircle dans la reacutegion (Ilaşcu preacuteciteacute sectsect 388-394)

140 Le titre de juridiction fondeacute sur le laquo controcircle effectif raquo deacutecrit ci-dessus ne remplace pas le systegraveme de notification en

vertu de larticle 56 (lancien article 63) de la Convention que lors de la reacutedaction de celle-ci les Etats contractants avaient deacutecideacute de creacuteer pour les territoires doutre-mer dont ils assuraient les relations internationales Le paragraphe 1 de cet article preacutevoit un dispositif

permettant agrave ces Etats deacutetendre lapplication de la Convention agrave pareil territoire laquo en tenant compte des neacutecessiteacutes locales raquo

Lexistence de ce dispositif qui a eacuteteacute inteacutegreacute dans la Convention pour des raisons historiques ne peut ecirctre interpreacuteteacutee aujourdhui agrave la lumiegravere des conditions actuelles comme limitant la porteacutee de la notion de laquo juridiction raquo au sens de larticle 1 Les cas de figure viseacutes

par le principe du laquo controcircle effectif raquo se distinguent manifestement de ceux dans lesquels un Etat contractant na pas deacuteclareacute par le

biais de la notification preacutevue agrave larticle 56 deacutetendre lapplication de la Convention ou de lun quelconque de ses Protocoles agrave un territoire doutre-mer dont il assure les relations internationales (Loizidou (exceptions preacuteliminaires) preacuteciteacute sectsect 86-89 et Quark

Fishing Ltd c Royaume-Uni(deacutec) no 1530506 CEDH 2006-XIV)

δ) Lespace juridique de la Convention

141 La Convention est un instrument constitutionnel de lordre public europeacuteen (Loizidou (exceptions preacuteliminaires) preacuteciteacute sect 75) Elle ne reacutegit pas les actes des Etats qui ny sont pas parties ni ne preacutetend exiger des Parties contractantes quelles

imposent ses normes agrave pareils Etats (Soering preacuteciteacute sect 86)

142 La Cour a souligneacute quun Etat contractant qui par le biais de ses forces armeacutees occupe le territoire dun autre doit en principe ecirctre tenu pour responsable au regard de la Convention des violations des droits de lhomme qui y sont perpeacutetreacutees car sinon

les habitants de ce territoire seraient priveacutes des droits et liberteacutes dont ils jouissaient jusque-lagrave et il y aurait une laquo solution de

continuiteacute raquo dans la protection de ces droits et liberteacutes au sein de llaquo espace juridique de la Convention raquo (Loizidou (fond) preacuteciteacute sect 78 et Banković preacuteciteacute sect 80) Toutefois sil est important deacutetablir la juridiction de lEtat occupant dans ce type de cas cela ne veut

pas dire a contrario que la juridiction au sens de larticle 1 ne puisse jamais exister hors du territoire des Etats membres du Conseil de

lEurope La Cour na jamais appliqueacute semblable restriction dans sa jurisprudence (voir parmi dautres exemples les arrecirctsOumlcalan Issa Al-Saadoon et Mufdhi et Medvedyev preacuteciteacutes)

815

ii Application des principes susmentionneacutes aux faits de lespegravece

143 Pour deacuteterminer si lun quelconque des proches des requeacuterants relevait au moment de son deacutecegraves de la juridiction du Royaume-Uni la Cour prend pour point de deacutepart le fait que le 20 mars 2003 ce pays avec les Etats-Unis et leurs partenaires de la

coalition avait peacuteneacutetreacute en sol irakien par le biais de ses forces armeacutees dans le but de chasser le reacutegime baasiste alors au pouvoir Ce

but fut atteint le 1er mai 2003 lorsque la fin des principales opeacuterations de combat fut prononceacutee et que les Etats-Unis et le Royaume-

Uni devinrent des puissances occupantes au sens de larticle 42 du regraveglement de La Haye (paragraphe 89 ci-dessus)

144 Comme lindiquait la lettre du 8 mai 2003 adresseacutee conjointement par les repreacutesentants permanents du Royaume-Uni

et des Etats-Unis au preacutesident du Conseil de seacutecuriteacute de lONU (paragraphe 11 ci-dessus) ces deux pays apregraves avoir chasseacute lancien

reacutegime avaient creacuteeacute lAutoriteacute provisoire de la coalition pour laquo exerce[r] les pouvoirs du gouvernement agrave titre temporaire raquo Lun des pouvoirs expresseacutement mentionneacutes dans cette lettre que les Etats-Unis et le Royaume-Uni eacutetaient censeacutes assumer par lintermeacutediaire

de lAutoriteacute provisoire de la coalition consistait agrave assurer la seacutecuriteacute en Irak notamment en maintenant lordre public La lettre

indiquait en outre laquo [l]es Etats-Unis le Royaume-Uni et les membres de la coalition agissant par lintermeacutediaire de lAutoriteacute provisoire de la coalition seront chargeacutes entre autres tacircches dassurer la seacutecuriteacute en Iraq et dadministrer ce pays agrave titre temporaire

notamment par les moyens suivants () en prenant immeacutediatement le controcircle des institutions iraquiennes responsables des questions

militaires et de seacutecuriteacute raquo

145 LAutoriteacute provisoire de la coalition deacuteclara dans le regraveglement no 1 du 16 mai 2003 son premier texte normatif

quelle laquo exerce[rait] temporairement les preacuterogatives de la puissance publique afin dassurer ladministration effective de lIraq au

cours de la peacuteriode dadministration transitoire dy reacutetablir la stabiliteacute et la seacutecuriteacute () raquo (paragraphe 12 ci-dessus)

146 Le Conseil de seacutecuriteacute prit acte du contenu de la lettre du 8 mai 2003 dans sa reacutesolution 1483 adopteacutee le 22 mai 2003 Il y demandait par ailleurs aux puissances occupantes laquo de promouvoir le bien-ecirctre de la population iraquienne en assurant une

administration efficace du territoire notamment en semployant agrave reacutetablir la seacutecuriteacute et la stabiliteacute raquo reconnaissant une nouvelle fois la

mission de seacutecuriteacute assumeacutee par les Etats-Unis et le Royaume-Uni (paragraphe 14 ci-dessus)

147 Pendant la peacuteriode de loccupation le Royaume-Uni avait le commandement dune division militaire la division

multinationale du sud-est dont le ressort comprenait la province de Bassorah lagrave ougrave les proches des requeacuterants sont deacuteceacutedeacutes A

compter du 1er mai 2003 les forces britanniques deacuteployeacutees dans cette province y furent chargeacutees dassurer la seacutecuriteacute et de soutenir

ladministration civile Elles devaient en particulier conduire des patrouilles des arrestations et des opeacuterations de lutte contre le

terrorisme encadrer les manifestations civiles et proteacuteger les ressources et infrastructures essentielles ainsi que les postes de police

(paragraphe 21 ci-dessus)

148 En juillet 2003 fut creacuteeacute le Conseil de gouvernement de lIrak Bien que tenue de le consulter (paragraphe 15 ci-

dessus) lAutoriteacute provisoire de la coalition conservait le pouvoir Dans sa reacutesolution 1511 adopteacutee le 16 octobre 2003 le Conseil de

seacutecuriteacute souligna le caractegravere temporaire de lexercice par elle des responsabiliteacutes et pouvoirs eacutenonceacutes dans la reacutesolution 1483 et autorisa laquo une force multinationale sous commandement unifieacute agrave prendre toutes les mesures neacutecessaires pour contribuer au

maintien de la seacutecuriteacute et de la stabiliteacute en Iraq raquo (paragraphe 16 ci-dessus) Dans sa reacutesolution 1546 adopteacutee le 8 juin 2004 il

approuva laquo la formation dun gouvernement inteacuterimaire souverain de lIraq () qui assumera[it] pleinement [jusquau] 30 juin 2004 la responsabiliteacute et lautoriteacute de gouverner lIraq raquo (paragraphe 18 ci-dessus) En deacutefinitive loccupation prit fin le 28 juin 2004 avec le

transfert de lAutoriteacute provisoire de la coalition deacutesormais dissoute au gouvernement inteacuterimaire de la responsabiliteacute pleine et entiegravere

du gouvernement de lIrak (paragraphe 19 ci-dessus)

iii Conclusion quant agrave la juridiction

149 On peut donc voir quapregraves le renversement du reacutegime baasiste et jusquagrave linstauration du gouvernement inteacuterimaire

le Royaume-Uni a assumeacute en Irak (conjointement avec les Etats-Unis) certaines des preacuterogatives de puissance publique qui sont normalement celles dun Etat souverain en particulier le pouvoir et la responsabiliteacute du maintien de la seacutecuriteacute dans le sud-est du pays

Dans ces circonstances exceptionnelles la Cour considegravere que le Royaume-Uni par le biais de ses soldats affecteacutes agrave des opeacuterations de

seacutecuriteacute agrave Bassorah lors de cette peacuteriode exerccedilait sur les personnes tueacutees lors de ces opeacuterations une autoriteacute et un controcircle propres agrave

eacutetablir aux fins de larticle 1 de la Convention un lien juridictionnel entre lui et ces personnes

150 Cela preacuteciseacute la Cour rappelle que les deacutecegraves en cause dans la preacutesente affaire sont survenus au cours de la peacuteriode

consideacutereacutee le 8 mai 2003 pour le fils du cinquiegraveme requeacuterant au mois daoucirct 2003 pour les fregraveres des premier et quatriegraveme requeacuterants au mois de septembre 2003 pour le fils du sixiegraveme requeacuterant et au mois de novembre 2003 pour les eacutepouses des deuxiegraveme

et troisiegraveme requeacuterants Il nest pas contesteacute que les deacutecegraves des proches des premier deuxiegraveme quatriegraveme cinquiegraveme et sixiegraveme

requeacuterants ont eacuteteacute causeacutes par le fait de soldats britanniques au cours ou dans le contexte dopeacuterations de seacutecuriteacute conduites par les forces britanniques agrave divers endroits de la ville de Bassorah Il sensuit quaux fins de larticle 1 de la Convention un lien juridictionnel

rattachait le Royaume-Uni aux deacutefunts dans tous ces cas Quant au troisiegraveme requeacuterant son eacutepouse a eacuteteacute tueacutee lors dune fusillade entre

une patrouille de soldats britanniques et des tireurs inconnus et on ignore lequel des deux camps a eacuteteacute agrave lorigine du coup fatal La Cour considegravere que le deacutecegraves eacutetant survenu au cours dune opeacuteration de seacutecuriteacute meneacutee par le Royaume-Uni dans le cadre de laquelle

des soldats britanniques qui patrouillaient agrave proximiteacute du domicile de linteacuteresseacute sont intervenus dans la fusillade mortelle il existait

eacutegalement un lien juridictionnel entre le Royaume-Uni et cette victime

915

II Le champ drsquoapplication temporel de la Convention europeacuteenne

Document ndeg4 CEDH Janowiec cRussie 21102013 extraits

136 A la suite de lrsquoarrecirct Šilih les principes reacutegissant la compeacutetence temporelle de la Cour srsquoagissant de lrsquoobligation laquo deacutetachable raquo deacutecoulant de lrsquoarticle 2 de la Convention drsquoenquecircter sur le deacutecegraves drsquoune personne ont eacuteteacute appliqueacutes dans un grand nombre drsquoaffaires

137 La masse de celles-ci peut ecirctre reacutepartie en diffeacuterents groupes dont le plus important est constitueacute drsquoaffaires dirigeacutees contre la Roumanie dans lesquelles eacutetait alleacutegueacutee lrsquoineffectiviteacute des investigations sur les deacutecegraves de manifestants au cours de la reacutevolution roumaine de deacutecembre 1989 Dans ces affaires la Cour srsquoest deacuteclareacutee compeacutetente pour connaicirctre des griefs au motif que agrave la date de lrsquoentreacutee en vigueur de la Convention agrave lrsquoeacutegard de la Roumanie les proceacutedures eacutetaient toujours en cours devant le parquet (Association laquo 21 Deacutecembre 1989 raquo et autres c Roumanie nos 3381007 et 1881708 24 mai 2011 Pastor et Ţiclete c Roumanie nos 3091106 et 4096706 19 avril 2011 Lăpuşan et autres c Roumanie nos 2900706 3055206 3132306 3192006 3448506 3896006 3899606 3902706 et 3906706 8 mars 2011 Şandru et autres c Roumanie no 2246503 8 deacutecembre 2009 et Agache et autres c Roumanie no 271202 20 octobre 2009) Elle a statueacute de maniegravere analogue dans deux affaires posteacuterieures qui avaient pour objet des incidents violents survenus en juin 1990 (Mocanu et autres c Roumanie nos 1086509 4588607 et 3243108 13 novembre 2012) et en septembre 1991 (Crăiniceanu et Frumuşanu c Roumanie no 1244204 24 avril 2012)

138 Dans drsquoautres affaires reacutecentes ndash agrave lrsquoexception de lrsquoaffaire Tuna c Turquie qui avait pour origine un deacutecegraves en garde agrave vue survenu environ sept ans avant la reconnaissance par la Turquie du droit de recours individuel (Tuna c Turquie no 2233903 sectsect 57-63 19 janvier 2010) ndash ougrave il nrsquoeacutetait pas alleacutegueacute que le deacutecegraves en question eacutetait la conseacutequence de quelconques actes drsquoagents de lrsquoEtat le deacutecegraves preacuteceacutedait de un agrave quatre ans la date drsquoentreacutee en vigueur et une part importante de la proceacutedure avait eacuteteacute conduite apregraves cette date (Kudra c Croatie no 1390407 sectsect 110-112 18 deacutecembre 2012 quatre ans deacutecegraves accidentel causeacute par la neacutegligence drsquoune socieacuteteacute priveacutee Igor Shevchenko c Ukraine no2273704 sectsect 45-48 12 janvier 2012 trois ans accident de la circulation Bajić c Croatie no 4110810 sect 62 13 novembre 2012 quatre ans erreur meacutedicale Dimovi c Bulgarie no 5274407 sectsect 36-45 6 novembre 2012 trois ans deacutecegraves causeacute par un incendie Velcea et Mazăre c Roumanie no 6430101 sectsect 85-88 1er deacutecembre 2009 un an dispute familiale Trufin c Roumanie no 399004 sectsect 32-34 20 octobre 2009 deux ans meurtre et Lyubov Efimenko c Ukraine no 7572601 sect 65 25 novembre 2010 quatre ans vol agrave main armeacutee et meurtre) Dans deux affaires le fait que des insurgeacutes ou des formations paramilitaires eussent tueacute les proches des requeacuterants sept et six ans respectivement avant la date critique nrsquoa pas empecirccheacute la Cour de connaicirctre du fond du grief souleveacute sous lrsquoangle du volet proceacutedural de lrsquoarticle 2 (Paccedilacı et autres c Turquie no 306407 sectsect 64-66 8novembre 2011 et Jularić c Croatie no 2010606 sectsect 38 et 45-46 20 janvier 2011) La peacuteriode de treize ans ayant seacutepareacute le deacutecegraves du fils du requeacuterant dans une bagarre et lrsquoentreacutee en vigueur de la Convention agrave lrsquoeacutegard de la Serbie nrsquoa pas non plus eacuteteacute consideacutereacutee comme primant lrsquoimportance des actes de proceacutedure accomplis apregraves la date critique (Mladenović c Serbie no 109908 sectsect 38-40 22 mai 2012)

139 La Cour a eacutegalement statueacute sur un certain nombre drsquoaffaires dans lesquelles le requeacuterant disait avoir eacuteteacute victime drsquoun traitement prohibeacute par lrsquoarticle 3 de la Convention agrave un moment donneacute avant la date critique Elle a conclu qursquoelle avait compeacutetence pour veacuterifier le respect par lrsquoEtat deacutefendeur ndash pendant la peacuteriode posteacuterieure agrave lrsquoentreacutee en vigueur ndash de lrsquoarticle 3 sous son volet proceacutedural qui lui imposait de conduire une enquecircte effective respectivement dans un cas de brutaliteacutes policiegraveres (Yatsenko c Ukraine no 7534501 sect 40 16 feacutevrier 2012 et Stanimirović c Serbie no 2608806 sectsect 28-29 18 octobre 2011) dans un cas de viol (PM c Bulgarie no 4966907 sect 58 24 janvier 2012) et dans un cas de mauvais traitements infligeacutes par un particulier (Otašević c Serbie no 3219807 5 feacutevrier 2013)

3 Clarification des critegraveres eacutelaboreacutes dans lrsquoarrecirct Šilih

140 Malgreacute le nombre toujours croissant drsquoarrecircts dans lesquels la Cour statue sur sa compeacutetence ratione temporis en se fondant sur les critegraveres adopteacutes dans lrsquoarrecirct Šilih lrsquoapplication en pratique de ces derniers est parfois source drsquoincertitudes Une clarification est donc souhaitable

141 Les critegraveres exposeacutes aux paragraphes 162 et 163 de lrsquoarrecirct Šilih (repris au paragraphe 133 ci-dessus) peuvent se reacutesumer comme suit Premiegraverement dans le cas drsquoun deacutecegraves survenu avant la date critique seuls les actes et omissions de nature proceacutedurale posteacuterieurs agrave cette date relegravevent de la compeacutetence temporelle de la Cour Deuxiegravemement pour que lrsquoobligation proceacutedurale entre en jeu il doit exister un laquo lien veacuteritable raquo entre le deacutecegraves en tant que fait geacuteneacuterateur et lrsquoentreacutee en vigueur de la Convention Troisiegravemement un lien qui ne serait pas laquo veacuteritable raquo peut neacuteanmoins suffire agrave eacutetablir la compeacutetence de la Cour si sa prise en compte est neacutecessaire pour permettre de veacuterifier que les garanties offertes par la Convention et les valeurs qui la sous-tendent sont proteacutegeacutees de maniegravere reacuteelle et effective La Cour examinera tour agrave tour chacun de ces eacuteleacutements

a) Actes et omissions de nature proceacutedurale posteacuterieurs agrave lrsquoentreacutee en vigueur de la Convention

142 La Cour rappelle drsquoembleacutee que lrsquoenquecircte que requiert lrsquoarticle 2 sous son volet proceacutedural ne constitue pas un mode de redressement drsquoune violation alleacutegueacutee du droit agrave la vie qui a pu survenir avant la date critique La violation alleacutegueacutee de lrsquoobligation proceacutedurale a pour origine lrsquoabsence drsquoenquecircte effective lrsquoobligation proceacutedurale a son propre champ drsquoapplication et peut jouer indeacutependamment de lrsquoobligation mateacuterielle de lrsquoarticle 2 (arrecircts Varnava et autres sect 136 et Šilih sect 159 preacuteciteacutes) Degraves lors la compeacutetence temporelle de la Cour englobe les actes et omissions de nature proceacutedurale qui sont survenus ou auraient ducirc survenir apregraves lrsquoentreacutee en vigueur de la Convention agrave lrsquoeacutegard de lrsquoEtat deacutefendeur

143 La Cour considegravere en outre que par laquo actes de nature proceacutedurale raquo il faut entendre les actes inheacuterents agrave lrsquoobligation proceacutedurale deacutecoulant de lrsquoarticle 2 ou le cas eacutecheacuteant de lrsquoarticle 3 de la Convention crsquoest-agrave-dire les actes pris dans le cadre drsquoune proceacutedure peacutenale civile administrative ou disciplinaire susceptible de mener agrave lrsquoidentification et agrave la punition des responsables ou agrave lrsquoindemnisation de la partie leacuteseacutee (Labita c Italie [GC] no 2677295 sect 131 CEDH 2000-IV et McCann et autres c Royaume-Uni 27 septembre 1995 sect 161 seacuterie A no 324) Cette deacutefinition a pour effet drsquoexclure les autres types de deacutemarches pouvant ecirctre entreprises agrave drsquoautres fins par exemple pour eacutetablir une veacuteriteacute historique

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144 Les laquo omissions raquo visent les cas ougrave il nrsquoy a eu aucune enquecircte et ceux ougrave seuls des actes de proceacutedure insignifiants ont eacuteteacute effectueacutes mais ougrave il est alleacutegueacute qursquoune enquecircte effective aurait ducirc ecirctre meneacutee Degraves lors que se preacutesente une alleacutegation un moyen de preuve ou un eacuteleacutement drsquoinformation plausible et creacutedible qui pourrait permettre drsquoidentifier et au bout du compte drsquoinculper ou de punir les responsables les autoriteacutes sont tenues de prendre des mesures drsquoenquecircte (Gutieacuterrez Dorado et Dorado Ortiz c Espagne (deacutec) no 3014109 sectsect 39-41 27 mars 2012 Ccedilakir et autres c Chypre (deacutec) no 786406 29 avril 2010 et Brecknell preacuteciteacute sectsect 66-72) Si vient agrave surgir posteacuterieurement agrave lrsquoentreacutee en vigueur un eacuteleacutement nouveau suffisamment important et deacuteterminant pour justifier lrsquoouverture drsquoune nouvelle instance la Cour devra srsquoassurer que lrsquoEtat deacutefendeur srsquoest acquitteacute de lrsquoobligation proceacutedurale que lui impose lrsquoarticle 2 drsquoune maniegravere compatible avec les principes eacutenonceacutes dans sa jurisprudence Toutefois si le fait geacuteneacuterateur eacutechappe agrave la compeacutetence temporelle de la Cour la deacutecouverte drsquoeacuteleacutements nouveaux apregraves la date critique ne pourra faire renaicirctre lrsquoobligation drsquoenquecircter que si le critegravere du laquo lien veacuteritable raquo ou celui des laquo valeurs de la Convention raquo (voir ci-dessous) a eacuteteacute satisfait

b) Le critegravere du laquo lien veacuteritable raquo

145 La premiegravere phrase du paragraphe 163 de lrsquoarrecirct Šilih pose que lrsquoexistence drsquoun laquo lien veacuteritable raquo entre le fait geacuteneacuterateur et lrsquoentreacutee en vigueur de la Convention agrave lrsquoeacutegard de lrsquoEtat deacutefendeur est une condition sine qua non pour que lrsquoobligation proceacutedurale deacutecoulant de lrsquoarticle 2 de la Convention devienne applicable

146 La Cour considegravere que lrsquoeacuteleacutement temporel est le premier et le plus important des indicateurs lorsqursquoil srsquoagit drsquoeacutetablir le caractegravere laquo veacuteritable raquo du lien A lrsquoinstar de la chambre dans son arrecirct elle ajoute que pour qursquoil y ait un laquo lien veacuteritable raquo le laps de temps eacutecouleacute entre le fait geacuteneacuterateur et la date critique doit demeurer relativement bref Bien qursquoil nrsquoexiste en droit aucun critegravere apparent permettant de deacutefinir la limite absolue de ce deacutelai celui-ci ne devrait pas exceacuteder dix ans (voir par analogie Varnava et autres preacuteciteacute sect 166 et Er et autres c Turquie no 2301604 sectsect 59-60 31 juillet 2012) A supposer mecircme que en raison de circonstances exceptionnelles il soit justifieacute de faire remonter ce deacutelai encore plus loin dans le passeacute il faudra qursquoil soit satisfait au critegravere des laquo valeurs de la Convention raquo

147 Toutefois la dureacutee du deacutelai qui seacutepare le fait geacuteneacuterateur de la date critique nrsquoest pas deacutecisive en elle-mecircme pour deacuteterminer si le lien est laquo veacuteritable raquo Comme lrsquoindique la deuxiegraveme phrase du paragraphe 163 de lrsquoarrecirct Šilih le lien sera eacutetabli si lrsquoessentiel de lrsquoenquecircte sur le deacutecegraves a eu lieu ou aurait ducirc avoir lieu posteacuterieurement agrave lrsquoentreacutee en vigueur de la Convention Cela englobe la conduite drsquoune proceacutedure visant agrave eacutetablir la cause du deacutecegraves et agrave faire reacutepondre les responsables de leurs actes ainsi que lrsquoadoption drsquoune part importante des mesures proceacutedurales essentielles au deacuteroulement de lrsquoenquecircte Il srsquoagit drsquoun corollaire au principe voulant que la Cour nrsquoait compeacutetence qursquoagrave lrsquoeacutegard des actes et omissions de nature proceacutedurale posteacuterieurs agrave la date drsquoentreacutee en vigueur Si toutefois la majeure partie de la proceacutedure ou les mesures proceacutedurales les plus importantes sont anteacuterieures agrave cette date la capaciteacute de la Cour agrave appreacutecier globalement lrsquoeffectiviteacute de lrsquoenquecircte agrave lrsquoaune des exigences proceacutedurales de lrsquoarticle 2 de la Convention peut srsquoen trouver irreacutemeacutediablement amoindrie

148 Eu eacutegard agrave ce qui preacutecegravede la Cour conclut que pour qursquoun laquo lien veacuteritable raquo puisse ecirctre eacutetabli il doit ecirctre satisfait aux deux critegraveres le deacutelai entre le deacutecegraves en tant que fait geacuteneacuterateur et lrsquoentreacutee en vigueur de la Convention doit avoir eacuteteacute relativement bref et la majeure partie de lrsquoenquecircte doit avoir eacuteteacute conduite ou aurait ducirc lrsquoecirctre apregraves lrsquoentreacutee en vigueur

c) Le critegravere des laquo valeurs de la Convention raquo

149 La Cour admet par ailleurs qursquoil peut exister des situations extraordinaires ne satisfaisant pas au critegravere du laquo lien veacuteritable raquo tel qursquoexposeacute ci-dessus mais ougrave la neacutecessiteacute de proteacuteger de maniegravere reacuteelle et effective les garanties offertes par la Convention et les valeurs qui la sous-tendent constitue un fondement suffisant pour reconnaicirctre lrsquoexistence drsquoun lien La derniegravere phrase du paragraphe 163 de lrsquoarrecirct Šilih nrsquoexclut pas cette eacuteventualiteacute qui constituerait alors une exception agrave la regravegle geacuteneacuterale que repreacutesente le critegravere du laquo lien veacuteritable raquo Dans toutes les affaires preacuteciteacutees la Cour a admis lrsquoexistence drsquoun laquo lien veacuteritable raquo parce que le laps de temps eacutecouleacute entre le deacutecegraves et la date critique eacutetait relativement bref et qursquoune part consideacuterable de la proceacutedure avait eacuteteacute conduite apregraves cette date La preacutesente affaire est donc la premiegravere agrave pouvoir relever de cette autre cateacutegorie agrave caractegravere exceptionnel Aussi la Cour doit-elle expliciter les modaliteacutes drsquoapplication du critegravere des laquo valeurs de la Convention raquo

150 A lrsquoinstar de la chambre la Grande Chambre estime que le renvoi aux valeurs qui sous-tendent la Convention signifie que lrsquoexistence du lien requis peut ecirctre constateacutee si le fait geacuteneacuterateur revecirct une dimension plus large qursquoune infraction peacutenale ordinaire et constitue la neacutegation des fondements mecircmes de la Convention Tel serait le cas de graves crimes de droit international tels que les crimes de guerre le geacutenocide ou les crimes contre lrsquohumaniteacute conformeacutement aux deacutefinitions qursquoen donnent les instruments internationaux pertinents

151 Le caractegravere odieux et la graviteacute de pareils crimes ont pousseacute les parties agrave la Convention sur lrsquoimprescriptibiliteacute des crimes de guerre et des crimes contre lrsquohumaniteacute agrave consideacuterer que ces infractions doivent ecirctre imprescriptibles et que les prescriptions qui existeraient en la matiegravere dans leur ordre juridique interne doivent ecirctre abolies La Cour considegravere neacuteanmoins que le critegravere des laquo valeurs de la Convention raquo ne peut pas srsquoappliquer agrave des eacuteveacutenements anteacuterieurs agrave lrsquoadoption de la Convention le 4 novembre 1950 car crsquoest seulement agrave cette date que celle-ci a commenceacute agrave exister en tant qursquoinstrument international de protection des droits de lrsquohomme Degraves lors la responsabiliteacute sur le terrain de la Convention drsquoune Partie agrave celle-ci ne peut pas ecirctre engageacutee pour la non-reacutealisation drsquoune enquecircte sur un crime de droit international fucirct-il le plus abominable si celui-ci est anteacuterieur agrave la Convention Bien qursquoelle soit sensible agrave lrsquoargument selon lequel mecircme aujourdrsquohui certains pays ont reacuteussi agrave juger des responsables de crimes de guerre commis au cours de la Deuxiegraveme Guerre mondiale la Cour souligne la diffeacuterence fondamentale qui existe entre la possibiliteacute de poursuivre une personne pour un grave crime de droit international si les circonstances le permettent et lrsquoobligation de le faire au regard de la Convention

III La theacuteorie des obligations positives

Document ndeg5 CEDH Airey c Irlande 9101979 extraits

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24 Selon le Gouvernement la requeacuterante a bien accegraves agrave la High Court puisqursquoil lui est loisible de srsquoadresser agrave elle sans

lrsquoassistance drsquoun homme de loi

La Cour ne considegravere pas cette ressource comme deacutecisive en soi La Convention a pour but de proteacuteger des droits non pas

theacuteoriques ou illusoires mais concrets et effectifs (voir mutatis mutandis lrsquoarrecirct du 23 juillet 1968 en lrsquoaffaire linguistique belge

seacuterie A no 6 p 31 paras 3 in fine et 4 lrsquoarrecirct Golder preacuteciteacute p 18 par 35 in fine lrsquoarrecirct Luedicke Belkacem et Koccedil du 28 novembre 1978 seacuterie A no 29 pp 17-18 par 42 lrsquoarrecirct Marckx du 13 juin 1979 seacuterie A no 31 p 15 par 31) La remarque vaut en

particulier pour le droit drsquoaccegraves aux tribunaux eu eacutegard agrave la place eacuteminente que le droit agrave un procegraves eacutequitable occupe dans une socieacuteteacute

deacutemocratique (cf mutatis mutandis lrsquoarrecirct Delcourt du 17 janvier 1970 seacuterie A no 11 pp 14-15 par 25) Il faut donc rechercher si la comparution devant la High Court sans lrsquoassistance drsquoun conseil serait efficace en ce sens que Mme Airey pourrait preacutesenter ses

arguments de maniegravere adeacutequate et satisfaisante

Gouvernement et Commission ont exposeacute agrave ce sujet des vues contradictoires lors des audiences La Cour estime certain que la requeacuterante se trouverait deacutesavantageacutee si son eacutepoux eacutetait repreacutesenteacute par un homme de loi et elle non En dehors mecircme de cette

hypothegravese elle ne croit pas reacutealiste de penser que lrsquointeacuteresseacutee pourrait deacutefendre utilement sa cause dans un tel litige malgreacute lrsquoaide que

le juge - le Gouvernement le souligne - precircte aux parties agissant en personne

En Irlande un jugement de seacuteparation de corps ne srsquoobtient pas devant un tribunal drsquoarrondissement ougrave la proceacutedure est

relativement simple mais devant la High Court Un speacutecialiste du droit irlandais de la famille M Alan J Shatter voit dans cette

juridiction la moins accessible de toutes en raison non seulement du niveau fort eacuteleveacute des honoraires agrave verser pour srsquoy faire repreacutesenter mais aussi de la complexiteacute de la proceacutedure agrave suivre pour introduire une action en particulier sur requecircte (petition)

comme ici (Family Law in the Republic of Ireland Dublin 1977 p 21)

En outre pareil procegraves indeacutependamment des problegravemes juridiques deacutelicats qursquoil comporte exige la preuve drsquoun adultegravere de pratiques contre nature ou comme en lrsquooccurrence de cruauteacute pour eacutetablir les faits il peu y avoir lieu de recueillir la deacuteposition

drsquoexperts de rechercher des teacutemoins de les citer et de les interroger De surcroicirct les diffeacuterends entre conjoints suscitent souvent une

passion peu compatible avec le degreacute drsquoobjectiviteacute indispensable pour plaider en justice

Pour ces motifs la Cour estime tregraves improbable qursquoune personne dans la situation de Mme Airey (paragraphe 8 ci-dessus)

puisse deacutefendre utilement sa propre cause Les reacuteponses du Gouvernement aux questions de la Cour corroborent cette opinion elles

reacutevegravelent que dans chacune des 255 instances en seacuteparation de corps engageacutees en Irlande de janvier 1972 agrave deacutecembre 1978 sans exception un homme de loi repreacutesentait le demandeur (paragraphe 11 ci-dessus)

La Cour en deacuteduit que la possibiliteacute de comparaicirctre en personne devant la High Court nrsquooffre pas agrave la requeacuterante un droit effectif drsquoaccegraves et partant ne constitue pas non plus un recours interne dont lrsquoarticle 26 (art 26) exige lrsquoeacutepuisement (paragraphe 19 b)

ci-dessus)

25 Le Gouvernement essaie de diffeacuterencier la preacutesente espegravece de lrsquoaffaire Golder Dans cette derniegravere souligne-t-il le requeacuterant avait eacuteteacute empecirccheacute de saisir un tribunal par un obstacle positif dresseacute sur son chemin par lrsquoEacutetat le ministre de lrsquointeacuterieur lui

avait interdit de consulter un avocat Ici au contraire il nrsquoexisterait de la part de lrsquoEacutetat ni obstacle positif ni tentative drsquoentrave le

deacutefaut alleacutegueacute drsquoaccegraves agrave la justice ne deacutecoulerait drsquoaucune initiative des autoriteacutes mais uniquement de la situation personnelle de Mme Airey dont on ne saurait tenir lrsquoIrlande pour responsable sur le terrain de la Convention

Cette dissemblance entre les circonstances des deux causes est indeacuteniable mais la Cour nrsquoapprouve pas la conclusion qursquoen

tire le Gouvernement Tout drsquoabord un obstacle de fait peut enfreindre la Convention agrave lrsquoeacutegal drsquoun obstacle juridique (arrecirct Golder preacuteciteacute p 13 par 26) En outre lrsquoexeacutecution drsquoun engagement assumeacute en vertu de la Convention appelle parfois des mesures positives

de lrsquoEacutetat en pareil cas celui-ci ne saurait se borner agrave demeurer passif et il nrsquoy a () pas lieu de distinguer entre actes et omissions

(voir mutatis mutandis lrsquoarrecirct Marckx preacuteciteacute p 15 par 31 et lrsquoarrecirct De Wilde Ooms et Versyp du 10 mars 1972 seacuterie A no 14 p 10 par 22) Or lrsquoobligation drsquoassurer un droit effectif drsquoaccegraves agrave la justice se range dans cette cateacutegorie drsquoengagements

26 Le Gouvernement appuie son argument principal sur ce qursquoil considegravere comme les conseacutequences de lrsquoavis de la

Commission dans chaque contestation relative agrave un droit de caractegravere civil lrsquoEacutetat devrait fournir une aide judiciaire gratuite Or la

seule clause de la Convention qui reacutegisse expresseacutement cette derniegravere question lrsquoarticle 6 par 3 c) (art 6-3-c) concerne les

proceacutedures peacutenales et srsquoaccompagne elle-mecircme de restrictions au surplus drsquoapregraves la jurisprudence constante de la Commission nul

droit agrave une aide judiciaire gratuite ne se trouve en soi garanti par lrsquoarticle 6 par 1 (art 6-1) En ratifiant la Convention ajoute le Gouvernement lrsquoIrlande a formuleacute une reacuteserve agrave lrsquoarticle 6 par 3 c) (art 6-3-c) pour reacuteduire ses obligations dans le domaine de lrsquoaide

judiciaire en matiegravere peacutenale a fortiori on ne saurait selon lui preacutetendre qursquoelle ait tacitement accepteacute drsquooctroyer une aide judiciaire

illimiteacutee dans les litiges civils Enfin il ne faut pas drsquoapregraves lui interpreacuteter la Convention de maniegravere agrave reacutealiser dans un Eacutetat contractant des progregraves eacuteconomiques et sociaux ils ne peuvent ecirctre que graduels

La Cour nrsquoignore pas que le deacuteveloppement des droits eacuteconomiques et sociaux deacutepend beaucoup de la situation des Eacutetats et

notamment de leurs finances Drsquoun autre cocircteacute la Convention doit se lire agrave la lumiegravere des conditions de vie drsquoaujourdrsquohui (arrecirct Marckx preacuteciteacute p 19 par 41) et agrave lrsquointeacuterieur de son champ drsquoapplication elle tend agrave une protection reacuteelle et concregravete de lrsquoindividu

(paragraphe 24 ci-dessus) Or si elle eacutenonce pour lrsquoessentiel des droits civils et politiques nombre drsquoentre eux ont des prolongements

drsquoordre eacuteconomique ou social Avec la Commission la Cour nrsquoestime donc pas devoir eacutecarter telle ou telle interpreacutetation pour le simple motif qursquoagrave lrsquoadopter on risquerait drsquoempieacuteter sur la sphegravere des droits eacuteconomiques et sociaux nulle cloison eacutetanche ne seacutepare

celle-ci du domaine de la Convention

La Cour ne partage pas davantage lrsquoopinion du Gouvernement sur les conseacutequences de lrsquoavis de la Commission

On aurait tort de geacuteneacuteraliser la conclusion selon laquelle la possibiliteacute de comparaicirctre en personne devant la High Court

nrsquooffre pas agrave Mme Airey un droit effectif drsquoaccegraves elle ne vaut pas pour tous les cas concernant des droits et obligations de caractegravere

civil ni pour tous les inteacuteresseacutes Dans certaines hypothegraveses la faculteacute de se preacutesenter devant une juridiction fucirct-ce sans lrsquoassistance drsquoun conseil reacutepond aux exigences de lrsquoarticle 6 par 1 (art 6-1) il se peut qursquoelle assure parfois un accegraves reacuteel mecircme agrave la High Court

En veacuteriteacute les circonstances jouent ici un rocircle important

En outre lrsquoarticle 6 par 1 (art 6-1) srsquoil garantit aux plaideurs un droit effectif drsquoaccegraves aux tribunaux pour les deacutecisions relatives agrave leurs droits et obligations de caractegravere civil laisse agrave lrsquoEacutetat le choix des moyens agrave employer agrave cette fin Lrsquoinstauration drsquoun

systegraveme drsquoaide judiciaire - envisageacutee agrave preacutesent par lrsquoIrlande pour les affaires ressortissant au droit de la famille (paragraphe 11 ci-

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dessus) - en constitue un mais il y en a drsquoautres par exemple une simplification de la proceacutedure Quoi qursquoil en soit il nrsquoappartient pas

agrave la Cour de dicter les mesures agrave prendre ni mecircme de les indiquer la Convention se borne agrave exiger que lrsquoindividu jouisse de son droit effectif drsquoaccegraves agrave la justice selon des modaliteacutes non contraires agrave lrsquoarticle 6 par 1 (art 6-1) (voir mutatis mutandis lrsquoarrecirct Syndicat

national de la police belge du 27 octobre 1975 seacuterie A no 19 p 18 par 39 et lrsquoarrecirct Marckx preacuteciteacute p 15 par 31)

La conclusion figurant agrave la fin du paragraphe 24 ci-dessus nrsquoimplique donc pas que lrsquoEacutetat doive fournir une aide judiciaire gratuite dans toute contestation touchant un droit de caractegravere civil

Affirmer lrsquoexistence drsquoune obligation aussi eacutetendue la Cour lrsquoadmet se concilierait mal avec la circonstance que la

Convention ne renferme aucune clause sur lrsquoaide judiciaire pour ces derniegraveres contestations son article 6 par 3 c) (art 6-3-c) ne traitant que de la matiegravere peacutenale Cependant malgreacute lrsquoabsence drsquoun texte analogue pour les procegraves civils lrsquoarticle 6 par 1 (art 6-1)

peut parfois astreindre lrsquoEacutetat agrave pourvoir agrave lrsquoassistance drsquoun membre du barreau quand elle se reacutevegravele indispensable agrave un accegraves effectif

au juge soit parce que la loi prescrit la repreacutesentation par un avocat comme la leacutegislation nationale de certains Eacutetats contractants le fait pour diverses cateacutegories de litiges soit en raison de la complexiteacute de la proceacutedure ou de la cause

Quant agrave la reacuteserve irlandaise agrave lrsquoarticle 6 par 3 c) (art 6-3-c) on ne saurait lrsquointerpreacuteter de telle sorte qursquoelle influerait sur

les engagements reacutesultant de lrsquoarticle 6 par 1 (art 6-1) partant elle nrsquoentre pas ici en ligne de compte

28 La Cour constate ainsi agrave la lumiegravere de lrsquoensemble des circonstances de la cause que Mme Airey nrsquoa pas beacuteneacuteficieacute drsquoun

droit drsquoaccegraves effectif agrave la High Court pour demander un jugement de seacuteparation de corps Partant il y a eu violation de lrsquoarticle 6 par

1 (art 6-1)

32 Aux yeux de la Cour Mme Airey ne saurait passer pour avoir subi de la part de lrsquoIrlande une ingeacuterence dans sa vie

priveacutee ou familiale elle se plaint en substance non drsquoun acte mais de lrsquoinaction de lrsquoEacutetat Toutefois si lrsquoarticle 8 (art 8) a

essentiellement pour objet de preacutemunir lrsquoindividu contre des ingeacuterences arbitraires des pouvoirs publics il ne se contente pas drsquoastreindre lrsquoEacutetat agrave srsquoabstenir de pareilles ingeacuterences agrave cet engagement plutocirct neacutegatif peuvent srsquoajouter des obligations positives

inheacuterentes agrave un respect effectif de la vie priveacutee ou familiale (arrecirct Marckx preacuteciteacute p 15 par 31)

33 Le droit irlandais regravegle cette derniegravere sous beaucoup drsquoaspects Au sujet de mariage il prescrit en principe aux eacutepoux de cohabiter mais il leur accorde dans certains cas le droit de demander un jugement de seacuteparation de corps Par lagrave mecircme il reconnaicirct

que la protection de leur vie priveacutee ou familiale exige parfois de les relever de ce devoir

Un respect effectif de la vie priveacutee ou familiale impose agrave lrsquoIrlande de rendre ce moyen effectivement accessible quand il y a lieu agrave quiconque deacutesire lrsquoemployer Or la requeacuterante nrsquoy a pas eu effectivement accegraves nrsquoayant pas eacuteteacute mise en mesure de saisir la

High Court (paragraphes 20 agrave 28 ci-dessus) elle nrsquoa pu reacuteclamer la conseacutecration juridique de sa seacuteparation de fait drsquoavec son mari Elle a donc eacuteteacute victime drsquoune violation de lrsquoarticle 8 (art 8)

Document ndeg 6 CEDH Lopez Ostra c Espagne 9 Deacutecembre 1994 extraits

51 Il va pourtant de soi que des atteintes graves agrave lrsquoenvironnement peuvent affecter le bien-ecirctre drsquoune personne et la priver

de la jouissance de son domicile de maniegravere agrave nuire agrave sa vie priveacutee et familiale sans pour autant mettre en grave danger la santeacute de lrsquointeacuteresseacutee

Que lrsquoon aborde la question sous lrsquoangle drsquoune obligation positive de lrsquoEtat - adopter des mesures raisonnables et adeacutequates

pour proteacuteger les droits de lrsquoindividu en vertu du paragraphe 1 de lrsquoarticle 8 (art 8-1) - comme le souhaite dans son cas la requeacuterante ou sous celui drsquoune ingeacuterence drsquoune autoriteacute publique agrave justifier selon le paragraphe 2 (art 8-2) les principes applicables sont assez

voisins Dans les deux cas il faut avoir eacutegard au juste eacutequilibre agrave meacutenager entre les inteacuterecircts concurrents de lrsquoindividu et de la socieacuteteacute

dans son ensemble lrsquoEtat jouissant en toute hypothegravese drsquoune certaine marge drsquoappreacuteciation En outre mecircme pour les obligations positives reacutesultant du paragraphe 1 (art 8-1) les objectifs eacutenumeacutereacutes au paragraphe 2 (art 8-2) peuvent jouer un certain rocircle dans la

recherche de lrsquoeacutequilibre voulu (voir notamment les arrecircts Rees c Royaume-Uni du 17 octobre 1986 seacuterie A no 106 p 15 par 37 et

Powell et Rayner c Royaume-Uni du 21 feacutevrier 1990 seacuterie A no 172 p 18 par 41)

52 Il ressort du dossier que la station drsquoeacutepuration litigieuse fut construite en juillet 1988 par SACURSA pour reacutesoudre un

grave problegraveme de pollution existant agrave Lorca agrave cause de la concentration de tanneries Or degraves son entreacutee en service elle provoqua des

nuisances et troubles de santeacute chez de nombreux habitants (paragraphes 7 et 8 ci-dessus)

Certes les autoriteacutes espagnoles et notamment la municipaliteacute de Lorca nrsquoeacutetaient pas en principe directement responsables

des eacutemanations dont il srsquoagit Toutefois comme le signale la Commission la ville permit lrsquoinstallation de la station sur des terrains lui

appartenant et lrsquoEtat octroya une subvention pour sa construction (paragraphe 7 ci-dessus)

53 Le conseil municipal reacuteagit avec ceacuteleacuteriteacute en relogeant gratuitement au centre ville pendant les mois de juillet aoucirct et

septembre 1988 les reacutesidents affecteacutes puis en closant lrsquoune des activiteacutes de la station agrave partir du 9 septembre (paragraphes 8 et 9 ci-

dessus) Cependant ses membres ne pouvaient ignorer que les problegravemes drsquoenvironnement persistegraverent apregraves cette clocircture partielle (paragraphes 9 et 11 ci-dessus) Cela fut drsquoailleurs corroboreacute degraves le 19 janvier 1989 par le rapport de lrsquoAgence reacutegionale pour

lrsquoenvironnement et la nature puis confirmeacute par des expertises en 1991 1992 et 1993 (paragraphes 11 et 18 ci-dessus)

54 Drsquoapregraves Mme Loacutepez Ostra les pouvoirs geacuteneacuteraux de police attribueacutes agrave la municipaliteacute par le regraveglement de 1961 obligeaient ladite municipaliteacute agrave agir En outre la station ne reacuteunissait pas les conditions requises par la loi notamment en ce qui

concernait son emplacement et lrsquoabsence de permis municipal (paragraphes 8 27 et 28 ci-dessus)

55 Sur ce point la Cour rappelle que la question de la leacutegaliteacute de lrsquoinstallation et du fonctionnement de la station demeure pendante devant le Tribunal suprecircme depuis 1991 (paragraphe 16 ci-dessus) Or drsquoapregraves sa jurisprudence constante il incombe au

premier chef aux autoriteacutes nationales et speacutecialement aux cours et tribunaux drsquointerpreacuteter et drsquoappliquer le droit interne (voir entre autres lrsquoarrecirct Casado Coca c Espagne du 24 feacutevrier 1994 seacuterie A no 285-A p 18 par 43)

De toute maniegravere la Cour estime qursquoen lrsquooccurrence il lui suffit de rechercher si agrave supposer mecircme que la municipaliteacute se

soit acquitteacutee des tacircches qui lui revenaient drsquoapregraves le droit interne (paragraphes 27-28 ci-dessus) les autoriteacutes nationales ont pris les mesures neacutecessaires pour proteacuteger le droit de la requeacuterante au respect de son domicile ainsi que de sa vie priveacutee et familiale garanti par

lrsquoarticle 8 (art 8) (voir entre autres mutatis mutandis lrsquoarrecirct X et Y c Pays-Bas du 26 mars 1985 seacuterie A no 91 p 11 par 23)

1315

56 Il eacutechet de constater que non seulement la municipaliteacute nrsquoa pas pris apregraves le 9 septembre 1988 des mesures agrave cette fin

mais aussi qursquoelle a contrecarreacute des deacutecisions judiciaires allant dans ce sens Ainsi dans la proceacutedure ordinaire entameacutee par les belles-soeurs de Mme Loacutepez Ostra elle a interjeteacute appel contre la deacutecision du Tribunal supeacuterieur de Murcie du 18 septembre 1991 ordonnant

la fermeture provisoire de la station de sorte que cette mesure resta en suspens (paragraphe 16 ci-dessus)

Drsquoautres organes de lrsquoEtat ont aussi contribueacute agrave prolonger la situation Ainsi le ministegravere public attaqua le 19 novembre 1991 la deacutecision de fermeture provisoire prise par le juge drsquoinstruction de Lorca le 15 dans le cadre des poursuites pour deacutelit

eacutecologique (paragraphe 17 ci-dessus) si bien que la mesure est resteacutee inexeacutecuteacutee jusqursquoau 27 octobre 1993 (paragraphe 22 ci-dessus)

57 Le Gouvernement rappelle que la ville a assumeacute les frais de location drsquoun appartement au centre de Lorca que la requeacuterante et sa famille ont occupeacute du 1er feacutevrier 1992 jusqursquoen feacutevrier 1993 (paragraphe 21 ci-dessus)

La Cour note cependant que les inteacuteresseacutes ont ducirc subir pendant plus de trois ans les nuisances causeacutees par la station avant

de deacutemeacutenager avec les inconveacutenients que cela comporte Ils ne lrsquoont fait que lorsqursquoil apparut que la situation pouvait se prolonger indeacutefiniment et sur prescription du peacutediatre de la fille de Mme Loacutepez Ostra (paragraphes 16 17 et 19 ci-dessus) Dans ces conditions

lrsquooffre de la municipaliteacute ne pouvait pas effacer complegravetement les nuisances et inconveacutenients veacutecus

58 Compte tenu de ce qui preacutecegravede - et malgreacute la marge drsquoappreacuteciation reconnue agrave lrsquoEtat deacutefendeur - la Cour estime que

celui-ci nrsquoa pas su meacutenager un juste eacutequilibre entre lrsquointeacuterecirct du bien-ecirctre eacuteconomique de la ville de Lorca - celui de disposer drsquoune

station drsquoeacutepuration - et la jouissance effective par la requeacuterante du droit au respect de son domicile et de sa vie priveacutee et familiale

Il y a donc eu violation de lrsquoarticle 8 (art 8)

Document ndeg7 Soering c Royaume-Uni 07071989 extraits

I SUR LA VIOLATION ALLEacuteGUEacuteE DE LrsquoARTICLE 3 (art 3)

80 Selon le requeacuterant la deacutecision du ministre de lrsquoInteacuterieur de le livrer aux autoriteacutes des Eacutetats-Unis drsquoAmeacuterique entraicircnera si elle reccediloit exeacutecution un manquement du Royaume-Uni aux exigences de lrsquoarticle 3 (art 3) de la Convention ainsi

libelleacute

Nul ne peut ecirctre soumis agrave la torture ni agrave des peines ou traitements inhumains ou deacutegradants

A Applicabiliteacute de lrsquoarticle 3 (art 3) en matiegravere drsquoextradition

81 La violation alleacutegueacutee consisterait agrave exposer M Soering au syndrome du couloir de la mort (death row

phenomenon) On peut deacutecrire celui-ci comme une combinaison de circonstances dans lesquelles lrsquointeacuteresseacute devrait vivre si une fois extradeacute en Virginie pour y reacutepondre drsquoune accusation drsquoassassinats passibles de la peine capitale il se voyait condamner agrave mort

82 [hellip] la Commission rappelle que drsquoapregraves sa jurisprudence une expulsion ou extradition peut soulever un problegraveme au

regard de lrsquoarticle 3 (art 3) de la Convention srsquoil existe des raisons seacuterieuses de croire que la personne en cause subira dans lrsquoEacutetat de destination un traitement contraire agrave ce texte

[hellip]

84 La Cour abordera le problegraveme sur la base des consideacuterations suivantes

[hellip]

86 Lrsquoarticle 1 (art 1) aux termes duquel les Hautes Parties Contractantes reconnaissent agrave toute personne relevant de leur

juridiction les droits et liberteacutes deacutefinis au Titre I fixe une limite notamment territoriale au domaine de la Convention En particulier lrsquoengagement des Eacutetats contractants se borne agrave reconnaicirctre (en anglais to secure) aux personnes relevant de leur juridiction les

droits et liberteacutes eacutenumeacutereacutes En outre la Convention ne reacutegit pas les actes drsquoun Eacutetat tiers ni ne preacutetend exiger des Parties contractantes

qursquoelles imposent ses normes agrave pareil Eacutetat Lrsquoarticle 1 (art 1) ne saurait srsquointerpreacuteter comme consacrant un principe geacuteneacuteral selon

lequel un Eacutetat contractant nonobstant ses obligations en matiegravere drsquoextradition ne peut livrer un individu sans se convaincre que les

conditions escompteacutees dans le pays de destination cadrent pleinement avec chacune des garanties de la Convention En reacutealiteacute le

gouvernement britannique le souligne avec raison en deacuteterminant le champ drsquoapplication de la Convention et speacutecialement de lrsquoarticle 3 (art 3) on ne saurait oublier lrsquoobjectif beacuteneacutefique de lrsquoextradition empecirccher des deacutelinquants en fuite de se soustraire agrave la

justice

[hellip]

87 La Convention doit se lire en fonction de son caractegravere speacutecifique de traiteacute de garantie collective des droits de

lrsquohomme et des liberteacutes fondamentales (hellip) Lrsquoobjet et le but de cet instrument de protection des ecirctres humains appellent agrave comprendre

et appliquer ses dispositions drsquoune maniegravere qui en rende les exigences concregravetes et effectives (hellip) En outre toute interpreacutetation des droits et liberteacutes eacutenumeacutereacutes doit se concilier avec lrsquoesprit geacuteneacuteral [de la Convention] destineacutee agrave sauvegarder et promouvoir les ideacuteaux

et valeurs drsquoune socieacuteteacute deacutemocratique (hellip)

88 Lrsquoarticle 3 (art 3) ne meacutenage aucune exception et lrsquoarticle 15 (art 15) ne permet pas drsquoy deacuteroger en temps de guerre ou autre danger national Cette prohibition absolue par la Convention de la torture et des peines ou traitements inhumains ou

deacutegradants montre que lrsquoarticle 3 (art 3) consacre lrsquoune des valeurs fondamentales des socieacuteteacutes deacutemocratiques qui forment le Conseil

de lrsquoEurope

Reste agrave savoir si lrsquoextradition drsquoun fugitif vers un autre Eacutetat ougrave il subira ou risquera de subir la torture ou des peines ou

traitements inhumains ou deacutegradants engage par elle-mecircme la responsabiliteacute drsquoun Eacutetat contractant sur le terrain de lrsquoarticle 3 (art

3)(hellip) Un Eacutetat contractant se conduirait drsquoune maniegravere incompatible avec les valeurs sous-jacentes agrave la Convention ce patrimoine commun drsquoideacuteal et de traditions politiques de respect de la liberteacute et de preacuteeacuteminence du droit auquel se reacutefegravere le Preacuteambule srsquoil

remettait consciemment un fugitif - pour odieux que puisse ecirctre le crime reprocheacute - agrave un autre Eacutetat ougrave il existe des motifs seacuterieux de penser qursquoun danger de torture menace lrsquointeacuteresseacute Malgreacute lrsquoabsence de mention expresse dans le texte bref et geacuteneacuteral de lrsquoarticle 3

(art 3) pareille extradition irait manifestement agrave lrsquoencontre de lrsquoesprit de ce dernier aux yeux de la Cour lrsquoobligation implicite de ne

1415

pas extrader srsquoeacutetend aussi au cas ougrave le fugitif risquerait de subir dans lrsquoEacutetat de destination des peines ou traitements inhumains ou

deacutegradants proscrits par ledit article (art 3)

89 Ce qui constitue des peines ou traitements inhumains ou deacutegradants deacutepend de lrsquoensemble des circonstances de la

cause [hellip]

90 En principe il nrsquoappartient pas aux organes de la Convention de statuer sur lrsquoexistence ou lrsquoabsence de violations virtuelles de celle-ci Une deacuterogation agrave la regravegle geacuteneacuterale srsquoimpose pourtant si un fugitif allegravegue que la deacutecision de lrsquoextrader

enfreindrait lrsquoarticle 3 (art 3) au cas ougrave elle recevrait exeacutecution en raison des conseacutequences agrave en attendre dans le pays de destination

il y va de lrsquoefficaciteacute de la garantie assureacutee par ce texte vu la graviteacute et le caractegravere irreacuteparable de la souffrance preacutetendument risqueacutee (paragraphe 87 ci-dessus)

[hellip]

B Application de lrsquoarticle 3 (art 3) dans les circonstances de la cause

92 La proceacutedure drsquoextradition ouverte au Royaume-Uni contre le requeacuterant a pris fin avec la signature par le ministre

drsquoun arrecircteacute qui ordonnait la remise aux autoriteacutes ameacutericaines (hellip) quoique non encore exeacutecuteacutee cette deacutecision atteint de plein fouet

lrsquointeacuteresseacute Il faut donc rechercher agrave la lumiegravere des principes eacutenonceacutes plus haut si les conseacutequences preacutevisibles drsquoun renvoi de M

Soering aux Eacutetats-Unis sont de nature agrave faire jouer lrsquoarticle 3 (art 3)

98[hellip] Quoi qursquoil en soit selon le droit et la pratique de Virginie (hellip) et nonobstant le contexte diplomatique des relations

anglo-ameacutericaines en matiegravere drsquoextradition on ne peut dire objectivement que lrsquoengagement de signaler au juge au moment de la fixation de la peine les voeux du Royaume-Uni eacutecarte le danger drsquoune sentence capitale Dans le libre exercice de son pouvoir

drsquoappreacuteciation lrsquoAttorney de lrsquoEacutetat a deacutecideacute lui-mecircme de requeacuterir et persister agrave requeacuterir la peine capitale parce que le dossier lui

semble le commander (paragraphe 20 in fine ci-dessus) Si lrsquoautoriteacute nationale chargeacutee des poursuites adopte une attitude aussi ferme la Cour ne saurait guegravere conclure agrave lrsquoabsence de motifs seacuterieux de croire que M Soering court un risque reacuteel drsquoecirctre condamneacute agrave mort

donc de subir le syndrome du couloir de la mort

99 Partant la perspective de voir lrsquointeacuteresseacute exposeacute agrave ce syndrome comme il le redoute se reacutevegravele telle que lrsquoarticle 3 (art 3) entre en jeu

2 Sur le point de savoir si le risque drsquoexposer le requeacuterant au syndrome du couloir de la mort rendrait lrsquoextradition

contraire agrave lrsquoarticle 3 (art 3)

a) Consideacuterations geacuteneacuterales

100 Drsquoapregraves la jurisprudence de la Cour un mauvais traitement y compris une peine doit atteindre un minimum de graviteacute pour tomber sous le coup de lrsquoarticle 3 (art 3) Lrsquoappreacuteciation de ce minimum est relative par essence elle deacutepend de

lrsquoensemble des donneacutees de la cause et notamment de la nature et du contexte du traitement ou de la peine ainsi que de ses modaliteacutes

drsquoexeacutecution de sa dureacutee de ses effets physiques ou mentaux ainsi que parfois du sexe de lrsquoacircge et de lrsquoeacutetat de santeacute de la victime

La Cour a estimeacute un certain traitement agrave la fois inhumain pour avoir eacuteteacute appliqueacute avec preacutemeacuteditation pendant des heures

et avoir causeacute sinon de veacuteritables leacutesions du moins de vives souffrances physiques et morales et deacutegradant parce que de nature agrave

creacuteer [en ses victimes] des sentiments de peur drsquoangoisse et drsquoinfeacuterioriteacute propres agrave les humilier agrave les avilir et agrave briser eacuteventuellement leur reacutesistance physique ou morale (hellip) Pour qursquoune peine ou le traitement dont elle srsquoaccompagne soient inhumains ou

deacutegradants la souffrance ou lrsquohumiliation doivent en tout cas aller au-delagrave de celles que comporte ineacutevitablement une forme donneacutee

de peine leacutegitime (hellip ) En la matiegravere il eacutechet de tenir compte non seulement de la souffrance physique mais aussi en cas de long deacutelai avant lrsquoexeacutecution de la peine de lrsquoangoisse morale eacuteprouveacutee par le condamneacute dans lrsquoattente des violences qursquoon se preacutepare agrave lui

infliger

[hellip]

b) Les circonstances de la cause

i Dureacutee de la deacutetention avant lrsquoexeacutecution

[hellip]

106 [hellip] Un certain laps de temps doit forceacutement srsquoeacutecouler entre le prononceacute de la peine et son exeacutecution si lrsquoon veut

fournir au condamneacute des garanties de recours mais de mecircme il entre dans la nature humaine que lrsquointeacuteresseacute srsquoaccroche agrave lrsquoexistence

en les exploitant au maximum Si bien intentionneacute soit-il voire potentiellement beacuteneacutefique le systegraveme virginien de proceacutedures posteacuterieures agrave la sentence aboutit agrave obliger le condamneacute deacutetenu agrave subir pendant des anneacutees les conditions du couloir de la mort

lrsquoangoisse et la tension grandissante de vivre dans lrsquoombre omnipreacutesente de la mort

ii Situation dans le couloir de la mort

[hellip]

109 [hellip] Bien que la Cour nrsquoait pas agrave preacutejuger de la responsabiliteacute peacutenale et de la peine approprieacutee la jeunesse du

requeacuterant agrave lrsquoeacutepoque de lrsquoinfraction et sa condition mentale drsquoalors illustreacutees par le dossier psychiatrique existant figurent donc parmi les donneacutees qui tendent en lrsquoespegravece agrave faire relever de lrsquoarticle 3 (art 3) le traitement agrave subir dans le couloir de la mort

[hellip]

c) Conclusion

111 [hellip] Eu eacutegard cependant agrave la tregraves longue peacuteriode agrave passer dans le couloir de la mort dans des conditions aussi

extrecircmes avec lrsquoangoisse omnipreacutesente et croissante de lrsquoexeacutecution de la peine capitale et agrave la situation personnelle du requeacuterant en

particulier son acircge et son eacutetat mental agrave lrsquoeacutepoque de lrsquoinfraction une extradition vers les Eacutetats-Unis exposerait lrsquointeacuteresseacute agrave un risque reacuteel de traitement deacutepassant le seuil fixeacute par lrsquoarticle 3 (art 3) Lrsquoexistence en lrsquoespegravece drsquoun autre moyen drsquoatteindre le but leacutegitime

1515

de lrsquoextradition sans entraicircner pour autant des souffrances drsquoune intensiteacute ou dureacutee aussi exceptionnelles repreacutesente une consideacuteration

pertinente suppleacutementaire

En conclusion la deacutecision ministeacuterielle de livrer le requeacuterant aux Eacutetats-Unis violerait lrsquoarticle 3 (art 3) si elle recevait

exeacutecution

[hellip]

PAR CES MOTIFS LA COUR A LrsquoUNANIMITE

1 Dit qursquoil y aurait violation de lrsquoarticle 3 (art 3) si la deacutecision ministeacuterielle drsquoextrader le requeacuterant vers les Eacutetats-Unis drsquoAmeacuterique

recevait exeacutecution

Page 7: Dedh 2014 - Fiche 2

715

commises dans lexercice de ces fonctions pourvu que les faits en question soient imputables agrave lui et non agrave lEtat territorial (Drozd et

Janousek preacuteciteacute Gentilhomme Schaff-Benhadji et Zeroukiet c France nos 4820599 4820799 et 4820999 14 mai 2002 ainsi

que X et Y c Suisse nos 728975 et 734976 deacutecision de la Commission sur la recevabiliteacute du 14 juillet 1977 DR 9 p 57)

136 En outre la jurisprudence de la Cour montre que dans certaines circonstances le recours agrave la force par des agents dun Etat opeacuterant hors de son territoire peut faire passer sous la juridiction de cet Etat au sens de larticle 1 toute personne se

retrouvant ainsi sous le controcircle de ceux-ci Cette regravegle a eacuteteacute appliqueacutee dans le cas de personnes remises entre les mains dagents de

lEtat agrave lexteacuterieur de ses frontiegraveres Ainsi dans larrecirct Oumlcalan c Turquiepreacuteciteacute sect 91 la Cour a jugeacute que laquo degraves sa remise par les agents kenyans aux agents turcs [le requeacuterant] s[eacutetait] effectivement retrouveacute sous lautoriteacute de la Turquie et relevait donc de la

laquo juridiction raquo de cet Etat aux fins de larticle 1 de la Convention mecircme si en loccurrence la Turquie a[vait] exerceacute son autoriteacute en

dehors de son territoire raquo Dans larrecirct Issa preacuteciteacute elle a indiqueacute que sil avait eacuteteacute eacutetabli que des soldats turcs avaient arrecircteacute les proches des requeacuterants dans le nord de lIrak avant de les emmener dans une caverne avoisinante et de les exeacutecuter les victimes

auraient ducirc ecirctre consideacutereacutees comme relevant de la juridiction de la Turquie ce par leffet de lautoriteacute et du controcircle exerceacutes sur les

victimes par les soldats Dans la deacutecision Al-Saadoon et Mufdhi c Royaume-Uni ((deacutec) no 6149808 sectsect 86-89 30 juin 2009) elle a

estimeacute que degraves lors que le controcircle exerceacute par le Royaume-Uni sur ses prisons militaires en Irak et sur les personnes y seacutejournant eacutetait absolu et exclusif il y avait lieu de consideacuterer agrave propos de deux ressortissants irakiens incarceacutereacutes dans lune delles quils relevaient de

la juridiction du Royaume-Uni Enfin dans larrecirct Medvedyev et autres c France [GC] no 339403 sect 67 CEDH 2010- elle a

conclu relativement agrave des requeacuterants qui seacutetaient trouveacutes agrave bord dun navire intercepteacute en haute mer par des agents franccedilais queu

eacutegard au controcircle absolu et exclusif exerceacute de maniegravere continue et ininterrompue par ces agents sur le navire et son eacutequipage degraves son interception ils relevaient de la juridiction de la France au sens de larticle 1 de la Convention La Cour considegravere que dans les

affaires ci-dessus la juridiction navait pas pour seul fondement le controcircle opeacutereacute par lEtat contractant sur les bacirctiments laeacuteronef ou

le navire ougrave les inteacuteresseacutes eacutetaient deacutetenus Leacuteleacutement deacuteterminant dans ce type de cas est lexercice dun pouvoir et dun controcircle physiques sur les personnes en question

137 Il est clair que degraves linstant ougrave lEtat par le biais de ses agents exerce son controcircle et son autoriteacute sur un individu et

par voie de conseacutequence sa juridiction il pegravese sur lui en vertu de larticle 1 une obligation de reconnaicirctre agrave celui-ci les droits et liberteacutes deacutefinis au titre I de la Convention qui concernent son cas En ce sens degraves lors les droits deacutecoulant de la Convention peuvent ecirctre

laquo fractionneacutes et adapteacutes raquo (voir agrave titre de comparaison la deacutecisionBanković preacuteciteacutee sect 75)

γ) Le controcircle effectif sur un territoire

138 Le principe voulant que la juridiction de lEtat contractant au sens de larticle 1 soit limiteacutee agrave son propre territoire

connaicirct une autre exception lorsque par suite dune action militaire ndash leacutegale ou non ndash lEtat exerce un controcircle effectif sur une zone

situeacutee en dehors de son territoire Lobligation dassurer dans une telle zone le respect des droits et liberteacutes garantis par la Convention

deacutecoule du fait de ce controcircle quil sexerce directement par lintermeacutediaire des forces armeacutees de lEtat ou par le biais dune

administration locale subordonneacutee (Loizidou (exceptions preacuteliminaires) preacuteciteacute sect 62 Chypre c Turquie [GC] no 2578194 sect 76

CEDH 2001-IV Banković deacutecision preacuteciteacutee sect 70 Ilaşcu preacuteciteacute sectsect 314-316 et Loizidou (fond) preacuteciteacute sect 52) Degraves lors quune telle mainmise sur un territoire est eacutetablie il nest pas neacutecessaire de deacuteterminer si lEtat contractant qui la deacutetient exerce un controcircle

preacutecis sur les politiques et actions de ladministration locale qui lui est subordonneacutee Du fait quil assure la survie de cette

administration gracircce agrave son soutien militaire et autre cet Etat engage sa responsabiliteacute agrave raison des politiques et actions entreprises par elle Larticle 1 lui fait obligation de reconnaicirctre sur le territoire en question la totaliteacute des droits mateacuteriels eacutenonceacutes dans la Convention

et dans les Protocoles additionnels quil a ratifieacutes et les violations de ces droits lui sont imputables (Chypre c Turquie preacuteciteacute sect 77)

139 La question de savoir si un Etat contractant exerce ou non un controcircle effectif sur un territoire hors de ses frontiegraveres est une question de fait Pour se prononcer la Cour se reacutefegravere principalement au nombre de soldats deacuteployeacutes par lEtat sur le territoire

en cause (Loizidou (fond) preacuteciteacute sectsect 16 et 56 etIlaşcu preacuteciteacute sect 387) Dautres eacuteleacutements peuvent aussi entrer en ligne de compte par

exemple la mesure dans laquelle le soutien militaire eacuteconomique et politique apporteacute par lEtat agrave ladministration locale subordonneacutee assure agrave celui-ci une influence et un controcircle dans la reacutegion (Ilaşcu preacuteciteacute sectsect 388-394)

140 Le titre de juridiction fondeacute sur le laquo controcircle effectif raquo deacutecrit ci-dessus ne remplace pas le systegraveme de notification en

vertu de larticle 56 (lancien article 63) de la Convention que lors de la reacutedaction de celle-ci les Etats contractants avaient deacutecideacute de creacuteer pour les territoires doutre-mer dont ils assuraient les relations internationales Le paragraphe 1 de cet article preacutevoit un dispositif

permettant agrave ces Etats deacutetendre lapplication de la Convention agrave pareil territoire laquo en tenant compte des neacutecessiteacutes locales raquo

Lexistence de ce dispositif qui a eacuteteacute inteacutegreacute dans la Convention pour des raisons historiques ne peut ecirctre interpreacuteteacutee aujourdhui agrave la lumiegravere des conditions actuelles comme limitant la porteacutee de la notion de laquo juridiction raquo au sens de larticle 1 Les cas de figure viseacutes

par le principe du laquo controcircle effectif raquo se distinguent manifestement de ceux dans lesquels un Etat contractant na pas deacuteclareacute par le

biais de la notification preacutevue agrave larticle 56 deacutetendre lapplication de la Convention ou de lun quelconque de ses Protocoles agrave un territoire doutre-mer dont il assure les relations internationales (Loizidou (exceptions preacuteliminaires) preacuteciteacute sectsect 86-89 et Quark

Fishing Ltd c Royaume-Uni(deacutec) no 1530506 CEDH 2006-XIV)

δ) Lespace juridique de la Convention

141 La Convention est un instrument constitutionnel de lordre public europeacuteen (Loizidou (exceptions preacuteliminaires) preacuteciteacute sect 75) Elle ne reacutegit pas les actes des Etats qui ny sont pas parties ni ne preacutetend exiger des Parties contractantes quelles

imposent ses normes agrave pareils Etats (Soering preacuteciteacute sect 86)

142 La Cour a souligneacute quun Etat contractant qui par le biais de ses forces armeacutees occupe le territoire dun autre doit en principe ecirctre tenu pour responsable au regard de la Convention des violations des droits de lhomme qui y sont perpeacutetreacutees car sinon

les habitants de ce territoire seraient priveacutes des droits et liberteacutes dont ils jouissaient jusque-lagrave et il y aurait une laquo solution de

continuiteacute raquo dans la protection de ces droits et liberteacutes au sein de llaquo espace juridique de la Convention raquo (Loizidou (fond) preacuteciteacute sect 78 et Banković preacuteciteacute sect 80) Toutefois sil est important deacutetablir la juridiction de lEtat occupant dans ce type de cas cela ne veut

pas dire a contrario que la juridiction au sens de larticle 1 ne puisse jamais exister hors du territoire des Etats membres du Conseil de

lEurope La Cour na jamais appliqueacute semblable restriction dans sa jurisprudence (voir parmi dautres exemples les arrecirctsOumlcalan Issa Al-Saadoon et Mufdhi et Medvedyev preacuteciteacutes)

815

ii Application des principes susmentionneacutes aux faits de lespegravece

143 Pour deacuteterminer si lun quelconque des proches des requeacuterants relevait au moment de son deacutecegraves de la juridiction du Royaume-Uni la Cour prend pour point de deacutepart le fait que le 20 mars 2003 ce pays avec les Etats-Unis et leurs partenaires de la

coalition avait peacuteneacutetreacute en sol irakien par le biais de ses forces armeacutees dans le but de chasser le reacutegime baasiste alors au pouvoir Ce

but fut atteint le 1er mai 2003 lorsque la fin des principales opeacuterations de combat fut prononceacutee et que les Etats-Unis et le Royaume-

Uni devinrent des puissances occupantes au sens de larticle 42 du regraveglement de La Haye (paragraphe 89 ci-dessus)

144 Comme lindiquait la lettre du 8 mai 2003 adresseacutee conjointement par les repreacutesentants permanents du Royaume-Uni

et des Etats-Unis au preacutesident du Conseil de seacutecuriteacute de lONU (paragraphe 11 ci-dessus) ces deux pays apregraves avoir chasseacute lancien

reacutegime avaient creacuteeacute lAutoriteacute provisoire de la coalition pour laquo exerce[r] les pouvoirs du gouvernement agrave titre temporaire raquo Lun des pouvoirs expresseacutement mentionneacutes dans cette lettre que les Etats-Unis et le Royaume-Uni eacutetaient censeacutes assumer par lintermeacutediaire

de lAutoriteacute provisoire de la coalition consistait agrave assurer la seacutecuriteacute en Irak notamment en maintenant lordre public La lettre

indiquait en outre laquo [l]es Etats-Unis le Royaume-Uni et les membres de la coalition agissant par lintermeacutediaire de lAutoriteacute provisoire de la coalition seront chargeacutes entre autres tacircches dassurer la seacutecuriteacute en Iraq et dadministrer ce pays agrave titre temporaire

notamment par les moyens suivants () en prenant immeacutediatement le controcircle des institutions iraquiennes responsables des questions

militaires et de seacutecuriteacute raquo

145 LAutoriteacute provisoire de la coalition deacuteclara dans le regraveglement no 1 du 16 mai 2003 son premier texte normatif

quelle laquo exerce[rait] temporairement les preacuterogatives de la puissance publique afin dassurer ladministration effective de lIraq au

cours de la peacuteriode dadministration transitoire dy reacutetablir la stabiliteacute et la seacutecuriteacute () raquo (paragraphe 12 ci-dessus)

146 Le Conseil de seacutecuriteacute prit acte du contenu de la lettre du 8 mai 2003 dans sa reacutesolution 1483 adopteacutee le 22 mai 2003 Il y demandait par ailleurs aux puissances occupantes laquo de promouvoir le bien-ecirctre de la population iraquienne en assurant une

administration efficace du territoire notamment en semployant agrave reacutetablir la seacutecuriteacute et la stabiliteacute raquo reconnaissant une nouvelle fois la

mission de seacutecuriteacute assumeacutee par les Etats-Unis et le Royaume-Uni (paragraphe 14 ci-dessus)

147 Pendant la peacuteriode de loccupation le Royaume-Uni avait le commandement dune division militaire la division

multinationale du sud-est dont le ressort comprenait la province de Bassorah lagrave ougrave les proches des requeacuterants sont deacuteceacutedeacutes A

compter du 1er mai 2003 les forces britanniques deacuteployeacutees dans cette province y furent chargeacutees dassurer la seacutecuriteacute et de soutenir

ladministration civile Elles devaient en particulier conduire des patrouilles des arrestations et des opeacuterations de lutte contre le

terrorisme encadrer les manifestations civiles et proteacuteger les ressources et infrastructures essentielles ainsi que les postes de police

(paragraphe 21 ci-dessus)

148 En juillet 2003 fut creacuteeacute le Conseil de gouvernement de lIrak Bien que tenue de le consulter (paragraphe 15 ci-

dessus) lAutoriteacute provisoire de la coalition conservait le pouvoir Dans sa reacutesolution 1511 adopteacutee le 16 octobre 2003 le Conseil de

seacutecuriteacute souligna le caractegravere temporaire de lexercice par elle des responsabiliteacutes et pouvoirs eacutenonceacutes dans la reacutesolution 1483 et autorisa laquo une force multinationale sous commandement unifieacute agrave prendre toutes les mesures neacutecessaires pour contribuer au

maintien de la seacutecuriteacute et de la stabiliteacute en Iraq raquo (paragraphe 16 ci-dessus) Dans sa reacutesolution 1546 adopteacutee le 8 juin 2004 il

approuva laquo la formation dun gouvernement inteacuterimaire souverain de lIraq () qui assumera[it] pleinement [jusquau] 30 juin 2004 la responsabiliteacute et lautoriteacute de gouverner lIraq raquo (paragraphe 18 ci-dessus) En deacutefinitive loccupation prit fin le 28 juin 2004 avec le

transfert de lAutoriteacute provisoire de la coalition deacutesormais dissoute au gouvernement inteacuterimaire de la responsabiliteacute pleine et entiegravere

du gouvernement de lIrak (paragraphe 19 ci-dessus)

iii Conclusion quant agrave la juridiction

149 On peut donc voir quapregraves le renversement du reacutegime baasiste et jusquagrave linstauration du gouvernement inteacuterimaire

le Royaume-Uni a assumeacute en Irak (conjointement avec les Etats-Unis) certaines des preacuterogatives de puissance publique qui sont normalement celles dun Etat souverain en particulier le pouvoir et la responsabiliteacute du maintien de la seacutecuriteacute dans le sud-est du pays

Dans ces circonstances exceptionnelles la Cour considegravere que le Royaume-Uni par le biais de ses soldats affecteacutes agrave des opeacuterations de

seacutecuriteacute agrave Bassorah lors de cette peacuteriode exerccedilait sur les personnes tueacutees lors de ces opeacuterations une autoriteacute et un controcircle propres agrave

eacutetablir aux fins de larticle 1 de la Convention un lien juridictionnel entre lui et ces personnes

150 Cela preacuteciseacute la Cour rappelle que les deacutecegraves en cause dans la preacutesente affaire sont survenus au cours de la peacuteriode

consideacutereacutee le 8 mai 2003 pour le fils du cinquiegraveme requeacuterant au mois daoucirct 2003 pour les fregraveres des premier et quatriegraveme requeacuterants au mois de septembre 2003 pour le fils du sixiegraveme requeacuterant et au mois de novembre 2003 pour les eacutepouses des deuxiegraveme

et troisiegraveme requeacuterants Il nest pas contesteacute que les deacutecegraves des proches des premier deuxiegraveme quatriegraveme cinquiegraveme et sixiegraveme

requeacuterants ont eacuteteacute causeacutes par le fait de soldats britanniques au cours ou dans le contexte dopeacuterations de seacutecuriteacute conduites par les forces britanniques agrave divers endroits de la ville de Bassorah Il sensuit quaux fins de larticle 1 de la Convention un lien juridictionnel

rattachait le Royaume-Uni aux deacutefunts dans tous ces cas Quant au troisiegraveme requeacuterant son eacutepouse a eacuteteacute tueacutee lors dune fusillade entre

une patrouille de soldats britanniques et des tireurs inconnus et on ignore lequel des deux camps a eacuteteacute agrave lorigine du coup fatal La Cour considegravere que le deacutecegraves eacutetant survenu au cours dune opeacuteration de seacutecuriteacute meneacutee par le Royaume-Uni dans le cadre de laquelle

des soldats britanniques qui patrouillaient agrave proximiteacute du domicile de linteacuteresseacute sont intervenus dans la fusillade mortelle il existait

eacutegalement un lien juridictionnel entre le Royaume-Uni et cette victime

915

II Le champ drsquoapplication temporel de la Convention europeacuteenne

Document ndeg4 CEDH Janowiec cRussie 21102013 extraits

136 A la suite de lrsquoarrecirct Šilih les principes reacutegissant la compeacutetence temporelle de la Cour srsquoagissant de lrsquoobligation laquo deacutetachable raquo deacutecoulant de lrsquoarticle 2 de la Convention drsquoenquecircter sur le deacutecegraves drsquoune personne ont eacuteteacute appliqueacutes dans un grand nombre drsquoaffaires

137 La masse de celles-ci peut ecirctre reacutepartie en diffeacuterents groupes dont le plus important est constitueacute drsquoaffaires dirigeacutees contre la Roumanie dans lesquelles eacutetait alleacutegueacutee lrsquoineffectiviteacute des investigations sur les deacutecegraves de manifestants au cours de la reacutevolution roumaine de deacutecembre 1989 Dans ces affaires la Cour srsquoest deacuteclareacutee compeacutetente pour connaicirctre des griefs au motif que agrave la date de lrsquoentreacutee en vigueur de la Convention agrave lrsquoeacutegard de la Roumanie les proceacutedures eacutetaient toujours en cours devant le parquet (Association laquo 21 Deacutecembre 1989 raquo et autres c Roumanie nos 3381007 et 1881708 24 mai 2011 Pastor et Ţiclete c Roumanie nos 3091106 et 4096706 19 avril 2011 Lăpuşan et autres c Roumanie nos 2900706 3055206 3132306 3192006 3448506 3896006 3899606 3902706 et 3906706 8 mars 2011 Şandru et autres c Roumanie no 2246503 8 deacutecembre 2009 et Agache et autres c Roumanie no 271202 20 octobre 2009) Elle a statueacute de maniegravere analogue dans deux affaires posteacuterieures qui avaient pour objet des incidents violents survenus en juin 1990 (Mocanu et autres c Roumanie nos 1086509 4588607 et 3243108 13 novembre 2012) et en septembre 1991 (Crăiniceanu et Frumuşanu c Roumanie no 1244204 24 avril 2012)

138 Dans drsquoautres affaires reacutecentes ndash agrave lrsquoexception de lrsquoaffaire Tuna c Turquie qui avait pour origine un deacutecegraves en garde agrave vue survenu environ sept ans avant la reconnaissance par la Turquie du droit de recours individuel (Tuna c Turquie no 2233903 sectsect 57-63 19 janvier 2010) ndash ougrave il nrsquoeacutetait pas alleacutegueacute que le deacutecegraves en question eacutetait la conseacutequence de quelconques actes drsquoagents de lrsquoEtat le deacutecegraves preacuteceacutedait de un agrave quatre ans la date drsquoentreacutee en vigueur et une part importante de la proceacutedure avait eacuteteacute conduite apregraves cette date (Kudra c Croatie no 1390407 sectsect 110-112 18 deacutecembre 2012 quatre ans deacutecegraves accidentel causeacute par la neacutegligence drsquoune socieacuteteacute priveacutee Igor Shevchenko c Ukraine no2273704 sectsect 45-48 12 janvier 2012 trois ans accident de la circulation Bajić c Croatie no 4110810 sect 62 13 novembre 2012 quatre ans erreur meacutedicale Dimovi c Bulgarie no 5274407 sectsect 36-45 6 novembre 2012 trois ans deacutecegraves causeacute par un incendie Velcea et Mazăre c Roumanie no 6430101 sectsect 85-88 1er deacutecembre 2009 un an dispute familiale Trufin c Roumanie no 399004 sectsect 32-34 20 octobre 2009 deux ans meurtre et Lyubov Efimenko c Ukraine no 7572601 sect 65 25 novembre 2010 quatre ans vol agrave main armeacutee et meurtre) Dans deux affaires le fait que des insurgeacutes ou des formations paramilitaires eussent tueacute les proches des requeacuterants sept et six ans respectivement avant la date critique nrsquoa pas empecirccheacute la Cour de connaicirctre du fond du grief souleveacute sous lrsquoangle du volet proceacutedural de lrsquoarticle 2 (Paccedilacı et autres c Turquie no 306407 sectsect 64-66 8novembre 2011 et Jularić c Croatie no 2010606 sectsect 38 et 45-46 20 janvier 2011) La peacuteriode de treize ans ayant seacutepareacute le deacutecegraves du fils du requeacuterant dans une bagarre et lrsquoentreacutee en vigueur de la Convention agrave lrsquoeacutegard de la Serbie nrsquoa pas non plus eacuteteacute consideacutereacutee comme primant lrsquoimportance des actes de proceacutedure accomplis apregraves la date critique (Mladenović c Serbie no 109908 sectsect 38-40 22 mai 2012)

139 La Cour a eacutegalement statueacute sur un certain nombre drsquoaffaires dans lesquelles le requeacuterant disait avoir eacuteteacute victime drsquoun traitement prohibeacute par lrsquoarticle 3 de la Convention agrave un moment donneacute avant la date critique Elle a conclu qursquoelle avait compeacutetence pour veacuterifier le respect par lrsquoEtat deacutefendeur ndash pendant la peacuteriode posteacuterieure agrave lrsquoentreacutee en vigueur ndash de lrsquoarticle 3 sous son volet proceacutedural qui lui imposait de conduire une enquecircte effective respectivement dans un cas de brutaliteacutes policiegraveres (Yatsenko c Ukraine no 7534501 sect 40 16 feacutevrier 2012 et Stanimirović c Serbie no 2608806 sectsect 28-29 18 octobre 2011) dans un cas de viol (PM c Bulgarie no 4966907 sect 58 24 janvier 2012) et dans un cas de mauvais traitements infligeacutes par un particulier (Otašević c Serbie no 3219807 5 feacutevrier 2013)

3 Clarification des critegraveres eacutelaboreacutes dans lrsquoarrecirct Šilih

140 Malgreacute le nombre toujours croissant drsquoarrecircts dans lesquels la Cour statue sur sa compeacutetence ratione temporis en se fondant sur les critegraveres adopteacutes dans lrsquoarrecirct Šilih lrsquoapplication en pratique de ces derniers est parfois source drsquoincertitudes Une clarification est donc souhaitable

141 Les critegraveres exposeacutes aux paragraphes 162 et 163 de lrsquoarrecirct Šilih (repris au paragraphe 133 ci-dessus) peuvent se reacutesumer comme suit Premiegraverement dans le cas drsquoun deacutecegraves survenu avant la date critique seuls les actes et omissions de nature proceacutedurale posteacuterieurs agrave cette date relegravevent de la compeacutetence temporelle de la Cour Deuxiegravemement pour que lrsquoobligation proceacutedurale entre en jeu il doit exister un laquo lien veacuteritable raquo entre le deacutecegraves en tant que fait geacuteneacuterateur et lrsquoentreacutee en vigueur de la Convention Troisiegravemement un lien qui ne serait pas laquo veacuteritable raquo peut neacuteanmoins suffire agrave eacutetablir la compeacutetence de la Cour si sa prise en compte est neacutecessaire pour permettre de veacuterifier que les garanties offertes par la Convention et les valeurs qui la sous-tendent sont proteacutegeacutees de maniegravere reacuteelle et effective La Cour examinera tour agrave tour chacun de ces eacuteleacutements

a) Actes et omissions de nature proceacutedurale posteacuterieurs agrave lrsquoentreacutee en vigueur de la Convention

142 La Cour rappelle drsquoembleacutee que lrsquoenquecircte que requiert lrsquoarticle 2 sous son volet proceacutedural ne constitue pas un mode de redressement drsquoune violation alleacutegueacutee du droit agrave la vie qui a pu survenir avant la date critique La violation alleacutegueacutee de lrsquoobligation proceacutedurale a pour origine lrsquoabsence drsquoenquecircte effective lrsquoobligation proceacutedurale a son propre champ drsquoapplication et peut jouer indeacutependamment de lrsquoobligation mateacuterielle de lrsquoarticle 2 (arrecircts Varnava et autres sect 136 et Šilih sect 159 preacuteciteacutes) Degraves lors la compeacutetence temporelle de la Cour englobe les actes et omissions de nature proceacutedurale qui sont survenus ou auraient ducirc survenir apregraves lrsquoentreacutee en vigueur de la Convention agrave lrsquoeacutegard de lrsquoEtat deacutefendeur

143 La Cour considegravere en outre que par laquo actes de nature proceacutedurale raquo il faut entendre les actes inheacuterents agrave lrsquoobligation proceacutedurale deacutecoulant de lrsquoarticle 2 ou le cas eacutecheacuteant de lrsquoarticle 3 de la Convention crsquoest-agrave-dire les actes pris dans le cadre drsquoune proceacutedure peacutenale civile administrative ou disciplinaire susceptible de mener agrave lrsquoidentification et agrave la punition des responsables ou agrave lrsquoindemnisation de la partie leacuteseacutee (Labita c Italie [GC] no 2677295 sect 131 CEDH 2000-IV et McCann et autres c Royaume-Uni 27 septembre 1995 sect 161 seacuterie A no 324) Cette deacutefinition a pour effet drsquoexclure les autres types de deacutemarches pouvant ecirctre entreprises agrave drsquoautres fins par exemple pour eacutetablir une veacuteriteacute historique

1015

144 Les laquo omissions raquo visent les cas ougrave il nrsquoy a eu aucune enquecircte et ceux ougrave seuls des actes de proceacutedure insignifiants ont eacuteteacute effectueacutes mais ougrave il est alleacutegueacute qursquoune enquecircte effective aurait ducirc ecirctre meneacutee Degraves lors que se preacutesente une alleacutegation un moyen de preuve ou un eacuteleacutement drsquoinformation plausible et creacutedible qui pourrait permettre drsquoidentifier et au bout du compte drsquoinculper ou de punir les responsables les autoriteacutes sont tenues de prendre des mesures drsquoenquecircte (Gutieacuterrez Dorado et Dorado Ortiz c Espagne (deacutec) no 3014109 sectsect 39-41 27 mars 2012 Ccedilakir et autres c Chypre (deacutec) no 786406 29 avril 2010 et Brecknell preacuteciteacute sectsect 66-72) Si vient agrave surgir posteacuterieurement agrave lrsquoentreacutee en vigueur un eacuteleacutement nouveau suffisamment important et deacuteterminant pour justifier lrsquoouverture drsquoune nouvelle instance la Cour devra srsquoassurer que lrsquoEtat deacutefendeur srsquoest acquitteacute de lrsquoobligation proceacutedurale que lui impose lrsquoarticle 2 drsquoune maniegravere compatible avec les principes eacutenonceacutes dans sa jurisprudence Toutefois si le fait geacuteneacuterateur eacutechappe agrave la compeacutetence temporelle de la Cour la deacutecouverte drsquoeacuteleacutements nouveaux apregraves la date critique ne pourra faire renaicirctre lrsquoobligation drsquoenquecircter que si le critegravere du laquo lien veacuteritable raquo ou celui des laquo valeurs de la Convention raquo (voir ci-dessous) a eacuteteacute satisfait

b) Le critegravere du laquo lien veacuteritable raquo

145 La premiegravere phrase du paragraphe 163 de lrsquoarrecirct Šilih pose que lrsquoexistence drsquoun laquo lien veacuteritable raquo entre le fait geacuteneacuterateur et lrsquoentreacutee en vigueur de la Convention agrave lrsquoeacutegard de lrsquoEtat deacutefendeur est une condition sine qua non pour que lrsquoobligation proceacutedurale deacutecoulant de lrsquoarticle 2 de la Convention devienne applicable

146 La Cour considegravere que lrsquoeacuteleacutement temporel est le premier et le plus important des indicateurs lorsqursquoil srsquoagit drsquoeacutetablir le caractegravere laquo veacuteritable raquo du lien A lrsquoinstar de la chambre dans son arrecirct elle ajoute que pour qursquoil y ait un laquo lien veacuteritable raquo le laps de temps eacutecouleacute entre le fait geacuteneacuterateur et la date critique doit demeurer relativement bref Bien qursquoil nrsquoexiste en droit aucun critegravere apparent permettant de deacutefinir la limite absolue de ce deacutelai celui-ci ne devrait pas exceacuteder dix ans (voir par analogie Varnava et autres preacuteciteacute sect 166 et Er et autres c Turquie no 2301604 sectsect 59-60 31 juillet 2012) A supposer mecircme que en raison de circonstances exceptionnelles il soit justifieacute de faire remonter ce deacutelai encore plus loin dans le passeacute il faudra qursquoil soit satisfait au critegravere des laquo valeurs de la Convention raquo

147 Toutefois la dureacutee du deacutelai qui seacutepare le fait geacuteneacuterateur de la date critique nrsquoest pas deacutecisive en elle-mecircme pour deacuteterminer si le lien est laquo veacuteritable raquo Comme lrsquoindique la deuxiegraveme phrase du paragraphe 163 de lrsquoarrecirct Šilih le lien sera eacutetabli si lrsquoessentiel de lrsquoenquecircte sur le deacutecegraves a eu lieu ou aurait ducirc avoir lieu posteacuterieurement agrave lrsquoentreacutee en vigueur de la Convention Cela englobe la conduite drsquoune proceacutedure visant agrave eacutetablir la cause du deacutecegraves et agrave faire reacutepondre les responsables de leurs actes ainsi que lrsquoadoption drsquoune part importante des mesures proceacutedurales essentielles au deacuteroulement de lrsquoenquecircte Il srsquoagit drsquoun corollaire au principe voulant que la Cour nrsquoait compeacutetence qursquoagrave lrsquoeacutegard des actes et omissions de nature proceacutedurale posteacuterieurs agrave la date drsquoentreacutee en vigueur Si toutefois la majeure partie de la proceacutedure ou les mesures proceacutedurales les plus importantes sont anteacuterieures agrave cette date la capaciteacute de la Cour agrave appreacutecier globalement lrsquoeffectiviteacute de lrsquoenquecircte agrave lrsquoaune des exigences proceacutedurales de lrsquoarticle 2 de la Convention peut srsquoen trouver irreacutemeacutediablement amoindrie

148 Eu eacutegard agrave ce qui preacutecegravede la Cour conclut que pour qursquoun laquo lien veacuteritable raquo puisse ecirctre eacutetabli il doit ecirctre satisfait aux deux critegraveres le deacutelai entre le deacutecegraves en tant que fait geacuteneacuterateur et lrsquoentreacutee en vigueur de la Convention doit avoir eacuteteacute relativement bref et la majeure partie de lrsquoenquecircte doit avoir eacuteteacute conduite ou aurait ducirc lrsquoecirctre apregraves lrsquoentreacutee en vigueur

c) Le critegravere des laquo valeurs de la Convention raquo

149 La Cour admet par ailleurs qursquoil peut exister des situations extraordinaires ne satisfaisant pas au critegravere du laquo lien veacuteritable raquo tel qursquoexposeacute ci-dessus mais ougrave la neacutecessiteacute de proteacuteger de maniegravere reacuteelle et effective les garanties offertes par la Convention et les valeurs qui la sous-tendent constitue un fondement suffisant pour reconnaicirctre lrsquoexistence drsquoun lien La derniegravere phrase du paragraphe 163 de lrsquoarrecirct Šilih nrsquoexclut pas cette eacuteventualiteacute qui constituerait alors une exception agrave la regravegle geacuteneacuterale que repreacutesente le critegravere du laquo lien veacuteritable raquo Dans toutes les affaires preacuteciteacutees la Cour a admis lrsquoexistence drsquoun laquo lien veacuteritable raquo parce que le laps de temps eacutecouleacute entre le deacutecegraves et la date critique eacutetait relativement bref et qursquoune part consideacuterable de la proceacutedure avait eacuteteacute conduite apregraves cette date La preacutesente affaire est donc la premiegravere agrave pouvoir relever de cette autre cateacutegorie agrave caractegravere exceptionnel Aussi la Cour doit-elle expliciter les modaliteacutes drsquoapplication du critegravere des laquo valeurs de la Convention raquo

150 A lrsquoinstar de la chambre la Grande Chambre estime que le renvoi aux valeurs qui sous-tendent la Convention signifie que lrsquoexistence du lien requis peut ecirctre constateacutee si le fait geacuteneacuterateur revecirct une dimension plus large qursquoune infraction peacutenale ordinaire et constitue la neacutegation des fondements mecircmes de la Convention Tel serait le cas de graves crimes de droit international tels que les crimes de guerre le geacutenocide ou les crimes contre lrsquohumaniteacute conformeacutement aux deacutefinitions qursquoen donnent les instruments internationaux pertinents

151 Le caractegravere odieux et la graviteacute de pareils crimes ont pousseacute les parties agrave la Convention sur lrsquoimprescriptibiliteacute des crimes de guerre et des crimes contre lrsquohumaniteacute agrave consideacuterer que ces infractions doivent ecirctre imprescriptibles et que les prescriptions qui existeraient en la matiegravere dans leur ordre juridique interne doivent ecirctre abolies La Cour considegravere neacuteanmoins que le critegravere des laquo valeurs de la Convention raquo ne peut pas srsquoappliquer agrave des eacuteveacutenements anteacuterieurs agrave lrsquoadoption de la Convention le 4 novembre 1950 car crsquoest seulement agrave cette date que celle-ci a commenceacute agrave exister en tant qursquoinstrument international de protection des droits de lrsquohomme Degraves lors la responsabiliteacute sur le terrain de la Convention drsquoune Partie agrave celle-ci ne peut pas ecirctre engageacutee pour la non-reacutealisation drsquoune enquecircte sur un crime de droit international fucirct-il le plus abominable si celui-ci est anteacuterieur agrave la Convention Bien qursquoelle soit sensible agrave lrsquoargument selon lequel mecircme aujourdrsquohui certains pays ont reacuteussi agrave juger des responsables de crimes de guerre commis au cours de la Deuxiegraveme Guerre mondiale la Cour souligne la diffeacuterence fondamentale qui existe entre la possibiliteacute de poursuivre une personne pour un grave crime de droit international si les circonstances le permettent et lrsquoobligation de le faire au regard de la Convention

III La theacuteorie des obligations positives

Document ndeg5 CEDH Airey c Irlande 9101979 extraits

1115

24 Selon le Gouvernement la requeacuterante a bien accegraves agrave la High Court puisqursquoil lui est loisible de srsquoadresser agrave elle sans

lrsquoassistance drsquoun homme de loi

La Cour ne considegravere pas cette ressource comme deacutecisive en soi La Convention a pour but de proteacuteger des droits non pas

theacuteoriques ou illusoires mais concrets et effectifs (voir mutatis mutandis lrsquoarrecirct du 23 juillet 1968 en lrsquoaffaire linguistique belge

seacuterie A no 6 p 31 paras 3 in fine et 4 lrsquoarrecirct Golder preacuteciteacute p 18 par 35 in fine lrsquoarrecirct Luedicke Belkacem et Koccedil du 28 novembre 1978 seacuterie A no 29 pp 17-18 par 42 lrsquoarrecirct Marckx du 13 juin 1979 seacuterie A no 31 p 15 par 31) La remarque vaut en

particulier pour le droit drsquoaccegraves aux tribunaux eu eacutegard agrave la place eacuteminente que le droit agrave un procegraves eacutequitable occupe dans une socieacuteteacute

deacutemocratique (cf mutatis mutandis lrsquoarrecirct Delcourt du 17 janvier 1970 seacuterie A no 11 pp 14-15 par 25) Il faut donc rechercher si la comparution devant la High Court sans lrsquoassistance drsquoun conseil serait efficace en ce sens que Mme Airey pourrait preacutesenter ses

arguments de maniegravere adeacutequate et satisfaisante

Gouvernement et Commission ont exposeacute agrave ce sujet des vues contradictoires lors des audiences La Cour estime certain que la requeacuterante se trouverait deacutesavantageacutee si son eacutepoux eacutetait repreacutesenteacute par un homme de loi et elle non En dehors mecircme de cette

hypothegravese elle ne croit pas reacutealiste de penser que lrsquointeacuteresseacutee pourrait deacutefendre utilement sa cause dans un tel litige malgreacute lrsquoaide que

le juge - le Gouvernement le souligne - precircte aux parties agissant en personne

En Irlande un jugement de seacuteparation de corps ne srsquoobtient pas devant un tribunal drsquoarrondissement ougrave la proceacutedure est

relativement simple mais devant la High Court Un speacutecialiste du droit irlandais de la famille M Alan J Shatter voit dans cette

juridiction la moins accessible de toutes en raison non seulement du niveau fort eacuteleveacute des honoraires agrave verser pour srsquoy faire repreacutesenter mais aussi de la complexiteacute de la proceacutedure agrave suivre pour introduire une action en particulier sur requecircte (petition)

comme ici (Family Law in the Republic of Ireland Dublin 1977 p 21)

En outre pareil procegraves indeacutependamment des problegravemes juridiques deacutelicats qursquoil comporte exige la preuve drsquoun adultegravere de pratiques contre nature ou comme en lrsquooccurrence de cruauteacute pour eacutetablir les faits il peu y avoir lieu de recueillir la deacuteposition

drsquoexperts de rechercher des teacutemoins de les citer et de les interroger De surcroicirct les diffeacuterends entre conjoints suscitent souvent une

passion peu compatible avec le degreacute drsquoobjectiviteacute indispensable pour plaider en justice

Pour ces motifs la Cour estime tregraves improbable qursquoune personne dans la situation de Mme Airey (paragraphe 8 ci-dessus)

puisse deacutefendre utilement sa propre cause Les reacuteponses du Gouvernement aux questions de la Cour corroborent cette opinion elles

reacutevegravelent que dans chacune des 255 instances en seacuteparation de corps engageacutees en Irlande de janvier 1972 agrave deacutecembre 1978 sans exception un homme de loi repreacutesentait le demandeur (paragraphe 11 ci-dessus)

La Cour en deacuteduit que la possibiliteacute de comparaicirctre en personne devant la High Court nrsquooffre pas agrave la requeacuterante un droit effectif drsquoaccegraves et partant ne constitue pas non plus un recours interne dont lrsquoarticle 26 (art 26) exige lrsquoeacutepuisement (paragraphe 19 b)

ci-dessus)

25 Le Gouvernement essaie de diffeacuterencier la preacutesente espegravece de lrsquoaffaire Golder Dans cette derniegravere souligne-t-il le requeacuterant avait eacuteteacute empecirccheacute de saisir un tribunal par un obstacle positif dresseacute sur son chemin par lrsquoEacutetat le ministre de lrsquointeacuterieur lui

avait interdit de consulter un avocat Ici au contraire il nrsquoexisterait de la part de lrsquoEacutetat ni obstacle positif ni tentative drsquoentrave le

deacutefaut alleacutegueacute drsquoaccegraves agrave la justice ne deacutecoulerait drsquoaucune initiative des autoriteacutes mais uniquement de la situation personnelle de Mme Airey dont on ne saurait tenir lrsquoIrlande pour responsable sur le terrain de la Convention

Cette dissemblance entre les circonstances des deux causes est indeacuteniable mais la Cour nrsquoapprouve pas la conclusion qursquoen

tire le Gouvernement Tout drsquoabord un obstacle de fait peut enfreindre la Convention agrave lrsquoeacutegal drsquoun obstacle juridique (arrecirct Golder preacuteciteacute p 13 par 26) En outre lrsquoexeacutecution drsquoun engagement assumeacute en vertu de la Convention appelle parfois des mesures positives

de lrsquoEacutetat en pareil cas celui-ci ne saurait se borner agrave demeurer passif et il nrsquoy a () pas lieu de distinguer entre actes et omissions

(voir mutatis mutandis lrsquoarrecirct Marckx preacuteciteacute p 15 par 31 et lrsquoarrecirct De Wilde Ooms et Versyp du 10 mars 1972 seacuterie A no 14 p 10 par 22) Or lrsquoobligation drsquoassurer un droit effectif drsquoaccegraves agrave la justice se range dans cette cateacutegorie drsquoengagements

26 Le Gouvernement appuie son argument principal sur ce qursquoil considegravere comme les conseacutequences de lrsquoavis de la

Commission dans chaque contestation relative agrave un droit de caractegravere civil lrsquoEacutetat devrait fournir une aide judiciaire gratuite Or la

seule clause de la Convention qui reacutegisse expresseacutement cette derniegravere question lrsquoarticle 6 par 3 c) (art 6-3-c) concerne les

proceacutedures peacutenales et srsquoaccompagne elle-mecircme de restrictions au surplus drsquoapregraves la jurisprudence constante de la Commission nul

droit agrave une aide judiciaire gratuite ne se trouve en soi garanti par lrsquoarticle 6 par 1 (art 6-1) En ratifiant la Convention ajoute le Gouvernement lrsquoIrlande a formuleacute une reacuteserve agrave lrsquoarticle 6 par 3 c) (art 6-3-c) pour reacuteduire ses obligations dans le domaine de lrsquoaide

judiciaire en matiegravere peacutenale a fortiori on ne saurait selon lui preacutetendre qursquoelle ait tacitement accepteacute drsquooctroyer une aide judiciaire

illimiteacutee dans les litiges civils Enfin il ne faut pas drsquoapregraves lui interpreacuteter la Convention de maniegravere agrave reacutealiser dans un Eacutetat contractant des progregraves eacuteconomiques et sociaux ils ne peuvent ecirctre que graduels

La Cour nrsquoignore pas que le deacuteveloppement des droits eacuteconomiques et sociaux deacutepend beaucoup de la situation des Eacutetats et

notamment de leurs finances Drsquoun autre cocircteacute la Convention doit se lire agrave la lumiegravere des conditions de vie drsquoaujourdrsquohui (arrecirct Marckx preacuteciteacute p 19 par 41) et agrave lrsquointeacuterieur de son champ drsquoapplication elle tend agrave une protection reacuteelle et concregravete de lrsquoindividu

(paragraphe 24 ci-dessus) Or si elle eacutenonce pour lrsquoessentiel des droits civils et politiques nombre drsquoentre eux ont des prolongements

drsquoordre eacuteconomique ou social Avec la Commission la Cour nrsquoestime donc pas devoir eacutecarter telle ou telle interpreacutetation pour le simple motif qursquoagrave lrsquoadopter on risquerait drsquoempieacuteter sur la sphegravere des droits eacuteconomiques et sociaux nulle cloison eacutetanche ne seacutepare

celle-ci du domaine de la Convention

La Cour ne partage pas davantage lrsquoopinion du Gouvernement sur les conseacutequences de lrsquoavis de la Commission

On aurait tort de geacuteneacuteraliser la conclusion selon laquelle la possibiliteacute de comparaicirctre en personne devant la High Court

nrsquooffre pas agrave Mme Airey un droit effectif drsquoaccegraves elle ne vaut pas pour tous les cas concernant des droits et obligations de caractegravere

civil ni pour tous les inteacuteresseacutes Dans certaines hypothegraveses la faculteacute de se preacutesenter devant une juridiction fucirct-ce sans lrsquoassistance drsquoun conseil reacutepond aux exigences de lrsquoarticle 6 par 1 (art 6-1) il se peut qursquoelle assure parfois un accegraves reacuteel mecircme agrave la High Court

En veacuteriteacute les circonstances jouent ici un rocircle important

En outre lrsquoarticle 6 par 1 (art 6-1) srsquoil garantit aux plaideurs un droit effectif drsquoaccegraves aux tribunaux pour les deacutecisions relatives agrave leurs droits et obligations de caractegravere civil laisse agrave lrsquoEacutetat le choix des moyens agrave employer agrave cette fin Lrsquoinstauration drsquoun

systegraveme drsquoaide judiciaire - envisageacutee agrave preacutesent par lrsquoIrlande pour les affaires ressortissant au droit de la famille (paragraphe 11 ci-

1215

dessus) - en constitue un mais il y en a drsquoautres par exemple une simplification de la proceacutedure Quoi qursquoil en soit il nrsquoappartient pas

agrave la Cour de dicter les mesures agrave prendre ni mecircme de les indiquer la Convention se borne agrave exiger que lrsquoindividu jouisse de son droit effectif drsquoaccegraves agrave la justice selon des modaliteacutes non contraires agrave lrsquoarticle 6 par 1 (art 6-1) (voir mutatis mutandis lrsquoarrecirct Syndicat

national de la police belge du 27 octobre 1975 seacuterie A no 19 p 18 par 39 et lrsquoarrecirct Marckx preacuteciteacute p 15 par 31)

La conclusion figurant agrave la fin du paragraphe 24 ci-dessus nrsquoimplique donc pas que lrsquoEacutetat doive fournir une aide judiciaire gratuite dans toute contestation touchant un droit de caractegravere civil

Affirmer lrsquoexistence drsquoune obligation aussi eacutetendue la Cour lrsquoadmet se concilierait mal avec la circonstance que la

Convention ne renferme aucune clause sur lrsquoaide judiciaire pour ces derniegraveres contestations son article 6 par 3 c) (art 6-3-c) ne traitant que de la matiegravere peacutenale Cependant malgreacute lrsquoabsence drsquoun texte analogue pour les procegraves civils lrsquoarticle 6 par 1 (art 6-1)

peut parfois astreindre lrsquoEacutetat agrave pourvoir agrave lrsquoassistance drsquoun membre du barreau quand elle se reacutevegravele indispensable agrave un accegraves effectif

au juge soit parce que la loi prescrit la repreacutesentation par un avocat comme la leacutegislation nationale de certains Eacutetats contractants le fait pour diverses cateacutegories de litiges soit en raison de la complexiteacute de la proceacutedure ou de la cause

Quant agrave la reacuteserve irlandaise agrave lrsquoarticle 6 par 3 c) (art 6-3-c) on ne saurait lrsquointerpreacuteter de telle sorte qursquoelle influerait sur

les engagements reacutesultant de lrsquoarticle 6 par 1 (art 6-1) partant elle nrsquoentre pas ici en ligne de compte

28 La Cour constate ainsi agrave la lumiegravere de lrsquoensemble des circonstances de la cause que Mme Airey nrsquoa pas beacuteneacuteficieacute drsquoun

droit drsquoaccegraves effectif agrave la High Court pour demander un jugement de seacuteparation de corps Partant il y a eu violation de lrsquoarticle 6 par

1 (art 6-1)

32 Aux yeux de la Cour Mme Airey ne saurait passer pour avoir subi de la part de lrsquoIrlande une ingeacuterence dans sa vie

priveacutee ou familiale elle se plaint en substance non drsquoun acte mais de lrsquoinaction de lrsquoEacutetat Toutefois si lrsquoarticle 8 (art 8) a

essentiellement pour objet de preacutemunir lrsquoindividu contre des ingeacuterences arbitraires des pouvoirs publics il ne se contente pas drsquoastreindre lrsquoEacutetat agrave srsquoabstenir de pareilles ingeacuterences agrave cet engagement plutocirct neacutegatif peuvent srsquoajouter des obligations positives

inheacuterentes agrave un respect effectif de la vie priveacutee ou familiale (arrecirct Marckx preacuteciteacute p 15 par 31)

33 Le droit irlandais regravegle cette derniegravere sous beaucoup drsquoaspects Au sujet de mariage il prescrit en principe aux eacutepoux de cohabiter mais il leur accorde dans certains cas le droit de demander un jugement de seacuteparation de corps Par lagrave mecircme il reconnaicirct

que la protection de leur vie priveacutee ou familiale exige parfois de les relever de ce devoir

Un respect effectif de la vie priveacutee ou familiale impose agrave lrsquoIrlande de rendre ce moyen effectivement accessible quand il y a lieu agrave quiconque deacutesire lrsquoemployer Or la requeacuterante nrsquoy a pas eu effectivement accegraves nrsquoayant pas eacuteteacute mise en mesure de saisir la

High Court (paragraphes 20 agrave 28 ci-dessus) elle nrsquoa pu reacuteclamer la conseacutecration juridique de sa seacuteparation de fait drsquoavec son mari Elle a donc eacuteteacute victime drsquoune violation de lrsquoarticle 8 (art 8)

Document ndeg 6 CEDH Lopez Ostra c Espagne 9 Deacutecembre 1994 extraits

51 Il va pourtant de soi que des atteintes graves agrave lrsquoenvironnement peuvent affecter le bien-ecirctre drsquoune personne et la priver

de la jouissance de son domicile de maniegravere agrave nuire agrave sa vie priveacutee et familiale sans pour autant mettre en grave danger la santeacute de lrsquointeacuteresseacutee

Que lrsquoon aborde la question sous lrsquoangle drsquoune obligation positive de lrsquoEtat - adopter des mesures raisonnables et adeacutequates

pour proteacuteger les droits de lrsquoindividu en vertu du paragraphe 1 de lrsquoarticle 8 (art 8-1) - comme le souhaite dans son cas la requeacuterante ou sous celui drsquoune ingeacuterence drsquoune autoriteacute publique agrave justifier selon le paragraphe 2 (art 8-2) les principes applicables sont assez

voisins Dans les deux cas il faut avoir eacutegard au juste eacutequilibre agrave meacutenager entre les inteacuterecircts concurrents de lrsquoindividu et de la socieacuteteacute

dans son ensemble lrsquoEtat jouissant en toute hypothegravese drsquoune certaine marge drsquoappreacuteciation En outre mecircme pour les obligations positives reacutesultant du paragraphe 1 (art 8-1) les objectifs eacutenumeacutereacutes au paragraphe 2 (art 8-2) peuvent jouer un certain rocircle dans la

recherche de lrsquoeacutequilibre voulu (voir notamment les arrecircts Rees c Royaume-Uni du 17 octobre 1986 seacuterie A no 106 p 15 par 37 et

Powell et Rayner c Royaume-Uni du 21 feacutevrier 1990 seacuterie A no 172 p 18 par 41)

52 Il ressort du dossier que la station drsquoeacutepuration litigieuse fut construite en juillet 1988 par SACURSA pour reacutesoudre un

grave problegraveme de pollution existant agrave Lorca agrave cause de la concentration de tanneries Or degraves son entreacutee en service elle provoqua des

nuisances et troubles de santeacute chez de nombreux habitants (paragraphes 7 et 8 ci-dessus)

Certes les autoriteacutes espagnoles et notamment la municipaliteacute de Lorca nrsquoeacutetaient pas en principe directement responsables

des eacutemanations dont il srsquoagit Toutefois comme le signale la Commission la ville permit lrsquoinstallation de la station sur des terrains lui

appartenant et lrsquoEtat octroya une subvention pour sa construction (paragraphe 7 ci-dessus)

53 Le conseil municipal reacuteagit avec ceacuteleacuteriteacute en relogeant gratuitement au centre ville pendant les mois de juillet aoucirct et

septembre 1988 les reacutesidents affecteacutes puis en closant lrsquoune des activiteacutes de la station agrave partir du 9 septembre (paragraphes 8 et 9 ci-

dessus) Cependant ses membres ne pouvaient ignorer que les problegravemes drsquoenvironnement persistegraverent apregraves cette clocircture partielle (paragraphes 9 et 11 ci-dessus) Cela fut drsquoailleurs corroboreacute degraves le 19 janvier 1989 par le rapport de lrsquoAgence reacutegionale pour

lrsquoenvironnement et la nature puis confirmeacute par des expertises en 1991 1992 et 1993 (paragraphes 11 et 18 ci-dessus)

54 Drsquoapregraves Mme Loacutepez Ostra les pouvoirs geacuteneacuteraux de police attribueacutes agrave la municipaliteacute par le regraveglement de 1961 obligeaient ladite municipaliteacute agrave agir En outre la station ne reacuteunissait pas les conditions requises par la loi notamment en ce qui

concernait son emplacement et lrsquoabsence de permis municipal (paragraphes 8 27 et 28 ci-dessus)

55 Sur ce point la Cour rappelle que la question de la leacutegaliteacute de lrsquoinstallation et du fonctionnement de la station demeure pendante devant le Tribunal suprecircme depuis 1991 (paragraphe 16 ci-dessus) Or drsquoapregraves sa jurisprudence constante il incombe au

premier chef aux autoriteacutes nationales et speacutecialement aux cours et tribunaux drsquointerpreacuteter et drsquoappliquer le droit interne (voir entre autres lrsquoarrecirct Casado Coca c Espagne du 24 feacutevrier 1994 seacuterie A no 285-A p 18 par 43)

De toute maniegravere la Cour estime qursquoen lrsquooccurrence il lui suffit de rechercher si agrave supposer mecircme que la municipaliteacute se

soit acquitteacutee des tacircches qui lui revenaient drsquoapregraves le droit interne (paragraphes 27-28 ci-dessus) les autoriteacutes nationales ont pris les mesures neacutecessaires pour proteacuteger le droit de la requeacuterante au respect de son domicile ainsi que de sa vie priveacutee et familiale garanti par

lrsquoarticle 8 (art 8) (voir entre autres mutatis mutandis lrsquoarrecirct X et Y c Pays-Bas du 26 mars 1985 seacuterie A no 91 p 11 par 23)

1315

56 Il eacutechet de constater que non seulement la municipaliteacute nrsquoa pas pris apregraves le 9 septembre 1988 des mesures agrave cette fin

mais aussi qursquoelle a contrecarreacute des deacutecisions judiciaires allant dans ce sens Ainsi dans la proceacutedure ordinaire entameacutee par les belles-soeurs de Mme Loacutepez Ostra elle a interjeteacute appel contre la deacutecision du Tribunal supeacuterieur de Murcie du 18 septembre 1991 ordonnant

la fermeture provisoire de la station de sorte que cette mesure resta en suspens (paragraphe 16 ci-dessus)

Drsquoautres organes de lrsquoEtat ont aussi contribueacute agrave prolonger la situation Ainsi le ministegravere public attaqua le 19 novembre 1991 la deacutecision de fermeture provisoire prise par le juge drsquoinstruction de Lorca le 15 dans le cadre des poursuites pour deacutelit

eacutecologique (paragraphe 17 ci-dessus) si bien que la mesure est resteacutee inexeacutecuteacutee jusqursquoau 27 octobre 1993 (paragraphe 22 ci-dessus)

57 Le Gouvernement rappelle que la ville a assumeacute les frais de location drsquoun appartement au centre de Lorca que la requeacuterante et sa famille ont occupeacute du 1er feacutevrier 1992 jusqursquoen feacutevrier 1993 (paragraphe 21 ci-dessus)

La Cour note cependant que les inteacuteresseacutes ont ducirc subir pendant plus de trois ans les nuisances causeacutees par la station avant

de deacutemeacutenager avec les inconveacutenients que cela comporte Ils ne lrsquoont fait que lorsqursquoil apparut que la situation pouvait se prolonger indeacutefiniment et sur prescription du peacutediatre de la fille de Mme Loacutepez Ostra (paragraphes 16 17 et 19 ci-dessus) Dans ces conditions

lrsquooffre de la municipaliteacute ne pouvait pas effacer complegravetement les nuisances et inconveacutenients veacutecus

58 Compte tenu de ce qui preacutecegravede - et malgreacute la marge drsquoappreacuteciation reconnue agrave lrsquoEtat deacutefendeur - la Cour estime que

celui-ci nrsquoa pas su meacutenager un juste eacutequilibre entre lrsquointeacuterecirct du bien-ecirctre eacuteconomique de la ville de Lorca - celui de disposer drsquoune

station drsquoeacutepuration - et la jouissance effective par la requeacuterante du droit au respect de son domicile et de sa vie priveacutee et familiale

Il y a donc eu violation de lrsquoarticle 8 (art 8)

Document ndeg7 Soering c Royaume-Uni 07071989 extraits

I SUR LA VIOLATION ALLEacuteGUEacuteE DE LrsquoARTICLE 3 (art 3)

80 Selon le requeacuterant la deacutecision du ministre de lrsquoInteacuterieur de le livrer aux autoriteacutes des Eacutetats-Unis drsquoAmeacuterique entraicircnera si elle reccediloit exeacutecution un manquement du Royaume-Uni aux exigences de lrsquoarticle 3 (art 3) de la Convention ainsi

libelleacute

Nul ne peut ecirctre soumis agrave la torture ni agrave des peines ou traitements inhumains ou deacutegradants

A Applicabiliteacute de lrsquoarticle 3 (art 3) en matiegravere drsquoextradition

81 La violation alleacutegueacutee consisterait agrave exposer M Soering au syndrome du couloir de la mort (death row

phenomenon) On peut deacutecrire celui-ci comme une combinaison de circonstances dans lesquelles lrsquointeacuteresseacute devrait vivre si une fois extradeacute en Virginie pour y reacutepondre drsquoune accusation drsquoassassinats passibles de la peine capitale il se voyait condamner agrave mort

82 [hellip] la Commission rappelle que drsquoapregraves sa jurisprudence une expulsion ou extradition peut soulever un problegraveme au

regard de lrsquoarticle 3 (art 3) de la Convention srsquoil existe des raisons seacuterieuses de croire que la personne en cause subira dans lrsquoEacutetat de destination un traitement contraire agrave ce texte

[hellip]

84 La Cour abordera le problegraveme sur la base des consideacuterations suivantes

[hellip]

86 Lrsquoarticle 1 (art 1) aux termes duquel les Hautes Parties Contractantes reconnaissent agrave toute personne relevant de leur

juridiction les droits et liberteacutes deacutefinis au Titre I fixe une limite notamment territoriale au domaine de la Convention En particulier lrsquoengagement des Eacutetats contractants se borne agrave reconnaicirctre (en anglais to secure) aux personnes relevant de leur juridiction les

droits et liberteacutes eacutenumeacutereacutes En outre la Convention ne reacutegit pas les actes drsquoun Eacutetat tiers ni ne preacutetend exiger des Parties contractantes

qursquoelles imposent ses normes agrave pareil Eacutetat Lrsquoarticle 1 (art 1) ne saurait srsquointerpreacuteter comme consacrant un principe geacuteneacuteral selon

lequel un Eacutetat contractant nonobstant ses obligations en matiegravere drsquoextradition ne peut livrer un individu sans se convaincre que les

conditions escompteacutees dans le pays de destination cadrent pleinement avec chacune des garanties de la Convention En reacutealiteacute le

gouvernement britannique le souligne avec raison en deacuteterminant le champ drsquoapplication de la Convention et speacutecialement de lrsquoarticle 3 (art 3) on ne saurait oublier lrsquoobjectif beacuteneacutefique de lrsquoextradition empecirccher des deacutelinquants en fuite de se soustraire agrave la

justice

[hellip]

87 La Convention doit se lire en fonction de son caractegravere speacutecifique de traiteacute de garantie collective des droits de

lrsquohomme et des liberteacutes fondamentales (hellip) Lrsquoobjet et le but de cet instrument de protection des ecirctres humains appellent agrave comprendre

et appliquer ses dispositions drsquoune maniegravere qui en rende les exigences concregravetes et effectives (hellip) En outre toute interpreacutetation des droits et liberteacutes eacutenumeacutereacutes doit se concilier avec lrsquoesprit geacuteneacuteral [de la Convention] destineacutee agrave sauvegarder et promouvoir les ideacuteaux

et valeurs drsquoune socieacuteteacute deacutemocratique (hellip)

88 Lrsquoarticle 3 (art 3) ne meacutenage aucune exception et lrsquoarticle 15 (art 15) ne permet pas drsquoy deacuteroger en temps de guerre ou autre danger national Cette prohibition absolue par la Convention de la torture et des peines ou traitements inhumains ou

deacutegradants montre que lrsquoarticle 3 (art 3) consacre lrsquoune des valeurs fondamentales des socieacuteteacutes deacutemocratiques qui forment le Conseil

de lrsquoEurope

Reste agrave savoir si lrsquoextradition drsquoun fugitif vers un autre Eacutetat ougrave il subira ou risquera de subir la torture ou des peines ou

traitements inhumains ou deacutegradants engage par elle-mecircme la responsabiliteacute drsquoun Eacutetat contractant sur le terrain de lrsquoarticle 3 (art

3)(hellip) Un Eacutetat contractant se conduirait drsquoune maniegravere incompatible avec les valeurs sous-jacentes agrave la Convention ce patrimoine commun drsquoideacuteal et de traditions politiques de respect de la liberteacute et de preacuteeacuteminence du droit auquel se reacutefegravere le Preacuteambule srsquoil

remettait consciemment un fugitif - pour odieux que puisse ecirctre le crime reprocheacute - agrave un autre Eacutetat ougrave il existe des motifs seacuterieux de penser qursquoun danger de torture menace lrsquointeacuteresseacute Malgreacute lrsquoabsence de mention expresse dans le texte bref et geacuteneacuteral de lrsquoarticle 3

(art 3) pareille extradition irait manifestement agrave lrsquoencontre de lrsquoesprit de ce dernier aux yeux de la Cour lrsquoobligation implicite de ne

1415

pas extrader srsquoeacutetend aussi au cas ougrave le fugitif risquerait de subir dans lrsquoEacutetat de destination des peines ou traitements inhumains ou

deacutegradants proscrits par ledit article (art 3)

89 Ce qui constitue des peines ou traitements inhumains ou deacutegradants deacutepend de lrsquoensemble des circonstances de la

cause [hellip]

90 En principe il nrsquoappartient pas aux organes de la Convention de statuer sur lrsquoexistence ou lrsquoabsence de violations virtuelles de celle-ci Une deacuterogation agrave la regravegle geacuteneacuterale srsquoimpose pourtant si un fugitif allegravegue que la deacutecision de lrsquoextrader

enfreindrait lrsquoarticle 3 (art 3) au cas ougrave elle recevrait exeacutecution en raison des conseacutequences agrave en attendre dans le pays de destination

il y va de lrsquoefficaciteacute de la garantie assureacutee par ce texte vu la graviteacute et le caractegravere irreacuteparable de la souffrance preacutetendument risqueacutee (paragraphe 87 ci-dessus)

[hellip]

B Application de lrsquoarticle 3 (art 3) dans les circonstances de la cause

92 La proceacutedure drsquoextradition ouverte au Royaume-Uni contre le requeacuterant a pris fin avec la signature par le ministre

drsquoun arrecircteacute qui ordonnait la remise aux autoriteacutes ameacutericaines (hellip) quoique non encore exeacutecuteacutee cette deacutecision atteint de plein fouet

lrsquointeacuteresseacute Il faut donc rechercher agrave la lumiegravere des principes eacutenonceacutes plus haut si les conseacutequences preacutevisibles drsquoun renvoi de M

Soering aux Eacutetats-Unis sont de nature agrave faire jouer lrsquoarticle 3 (art 3)

98[hellip] Quoi qursquoil en soit selon le droit et la pratique de Virginie (hellip) et nonobstant le contexte diplomatique des relations

anglo-ameacutericaines en matiegravere drsquoextradition on ne peut dire objectivement que lrsquoengagement de signaler au juge au moment de la fixation de la peine les voeux du Royaume-Uni eacutecarte le danger drsquoune sentence capitale Dans le libre exercice de son pouvoir

drsquoappreacuteciation lrsquoAttorney de lrsquoEacutetat a deacutecideacute lui-mecircme de requeacuterir et persister agrave requeacuterir la peine capitale parce que le dossier lui

semble le commander (paragraphe 20 in fine ci-dessus) Si lrsquoautoriteacute nationale chargeacutee des poursuites adopte une attitude aussi ferme la Cour ne saurait guegravere conclure agrave lrsquoabsence de motifs seacuterieux de croire que M Soering court un risque reacuteel drsquoecirctre condamneacute agrave mort

donc de subir le syndrome du couloir de la mort

99 Partant la perspective de voir lrsquointeacuteresseacute exposeacute agrave ce syndrome comme il le redoute se reacutevegravele telle que lrsquoarticle 3 (art 3) entre en jeu

2 Sur le point de savoir si le risque drsquoexposer le requeacuterant au syndrome du couloir de la mort rendrait lrsquoextradition

contraire agrave lrsquoarticle 3 (art 3)

a) Consideacuterations geacuteneacuterales

100 Drsquoapregraves la jurisprudence de la Cour un mauvais traitement y compris une peine doit atteindre un minimum de graviteacute pour tomber sous le coup de lrsquoarticle 3 (art 3) Lrsquoappreacuteciation de ce minimum est relative par essence elle deacutepend de

lrsquoensemble des donneacutees de la cause et notamment de la nature et du contexte du traitement ou de la peine ainsi que de ses modaliteacutes

drsquoexeacutecution de sa dureacutee de ses effets physiques ou mentaux ainsi que parfois du sexe de lrsquoacircge et de lrsquoeacutetat de santeacute de la victime

La Cour a estimeacute un certain traitement agrave la fois inhumain pour avoir eacuteteacute appliqueacute avec preacutemeacuteditation pendant des heures

et avoir causeacute sinon de veacuteritables leacutesions du moins de vives souffrances physiques et morales et deacutegradant parce que de nature agrave

creacuteer [en ses victimes] des sentiments de peur drsquoangoisse et drsquoinfeacuterioriteacute propres agrave les humilier agrave les avilir et agrave briser eacuteventuellement leur reacutesistance physique ou morale (hellip) Pour qursquoune peine ou le traitement dont elle srsquoaccompagne soient inhumains ou

deacutegradants la souffrance ou lrsquohumiliation doivent en tout cas aller au-delagrave de celles que comporte ineacutevitablement une forme donneacutee

de peine leacutegitime (hellip ) En la matiegravere il eacutechet de tenir compte non seulement de la souffrance physique mais aussi en cas de long deacutelai avant lrsquoexeacutecution de la peine de lrsquoangoisse morale eacuteprouveacutee par le condamneacute dans lrsquoattente des violences qursquoon se preacutepare agrave lui

infliger

[hellip]

b) Les circonstances de la cause

i Dureacutee de la deacutetention avant lrsquoexeacutecution

[hellip]

106 [hellip] Un certain laps de temps doit forceacutement srsquoeacutecouler entre le prononceacute de la peine et son exeacutecution si lrsquoon veut

fournir au condamneacute des garanties de recours mais de mecircme il entre dans la nature humaine que lrsquointeacuteresseacute srsquoaccroche agrave lrsquoexistence

en les exploitant au maximum Si bien intentionneacute soit-il voire potentiellement beacuteneacutefique le systegraveme virginien de proceacutedures posteacuterieures agrave la sentence aboutit agrave obliger le condamneacute deacutetenu agrave subir pendant des anneacutees les conditions du couloir de la mort

lrsquoangoisse et la tension grandissante de vivre dans lrsquoombre omnipreacutesente de la mort

ii Situation dans le couloir de la mort

[hellip]

109 [hellip] Bien que la Cour nrsquoait pas agrave preacutejuger de la responsabiliteacute peacutenale et de la peine approprieacutee la jeunesse du

requeacuterant agrave lrsquoeacutepoque de lrsquoinfraction et sa condition mentale drsquoalors illustreacutees par le dossier psychiatrique existant figurent donc parmi les donneacutees qui tendent en lrsquoespegravece agrave faire relever de lrsquoarticle 3 (art 3) le traitement agrave subir dans le couloir de la mort

[hellip]

c) Conclusion

111 [hellip] Eu eacutegard cependant agrave la tregraves longue peacuteriode agrave passer dans le couloir de la mort dans des conditions aussi

extrecircmes avec lrsquoangoisse omnipreacutesente et croissante de lrsquoexeacutecution de la peine capitale et agrave la situation personnelle du requeacuterant en

particulier son acircge et son eacutetat mental agrave lrsquoeacutepoque de lrsquoinfraction une extradition vers les Eacutetats-Unis exposerait lrsquointeacuteresseacute agrave un risque reacuteel de traitement deacutepassant le seuil fixeacute par lrsquoarticle 3 (art 3) Lrsquoexistence en lrsquoespegravece drsquoun autre moyen drsquoatteindre le but leacutegitime

1515

de lrsquoextradition sans entraicircner pour autant des souffrances drsquoune intensiteacute ou dureacutee aussi exceptionnelles repreacutesente une consideacuteration

pertinente suppleacutementaire

En conclusion la deacutecision ministeacuterielle de livrer le requeacuterant aux Eacutetats-Unis violerait lrsquoarticle 3 (art 3) si elle recevait

exeacutecution

[hellip]

PAR CES MOTIFS LA COUR A LrsquoUNANIMITE

1 Dit qursquoil y aurait violation de lrsquoarticle 3 (art 3) si la deacutecision ministeacuterielle drsquoextrader le requeacuterant vers les Eacutetats-Unis drsquoAmeacuterique

recevait exeacutecution

Page 8: Dedh 2014 - Fiche 2

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ii Application des principes susmentionneacutes aux faits de lespegravece

143 Pour deacuteterminer si lun quelconque des proches des requeacuterants relevait au moment de son deacutecegraves de la juridiction du Royaume-Uni la Cour prend pour point de deacutepart le fait que le 20 mars 2003 ce pays avec les Etats-Unis et leurs partenaires de la

coalition avait peacuteneacutetreacute en sol irakien par le biais de ses forces armeacutees dans le but de chasser le reacutegime baasiste alors au pouvoir Ce

but fut atteint le 1er mai 2003 lorsque la fin des principales opeacuterations de combat fut prononceacutee et que les Etats-Unis et le Royaume-

Uni devinrent des puissances occupantes au sens de larticle 42 du regraveglement de La Haye (paragraphe 89 ci-dessus)

144 Comme lindiquait la lettre du 8 mai 2003 adresseacutee conjointement par les repreacutesentants permanents du Royaume-Uni

et des Etats-Unis au preacutesident du Conseil de seacutecuriteacute de lONU (paragraphe 11 ci-dessus) ces deux pays apregraves avoir chasseacute lancien

reacutegime avaient creacuteeacute lAutoriteacute provisoire de la coalition pour laquo exerce[r] les pouvoirs du gouvernement agrave titre temporaire raquo Lun des pouvoirs expresseacutement mentionneacutes dans cette lettre que les Etats-Unis et le Royaume-Uni eacutetaient censeacutes assumer par lintermeacutediaire

de lAutoriteacute provisoire de la coalition consistait agrave assurer la seacutecuriteacute en Irak notamment en maintenant lordre public La lettre

indiquait en outre laquo [l]es Etats-Unis le Royaume-Uni et les membres de la coalition agissant par lintermeacutediaire de lAutoriteacute provisoire de la coalition seront chargeacutes entre autres tacircches dassurer la seacutecuriteacute en Iraq et dadministrer ce pays agrave titre temporaire

notamment par les moyens suivants () en prenant immeacutediatement le controcircle des institutions iraquiennes responsables des questions

militaires et de seacutecuriteacute raquo

145 LAutoriteacute provisoire de la coalition deacuteclara dans le regraveglement no 1 du 16 mai 2003 son premier texte normatif

quelle laquo exerce[rait] temporairement les preacuterogatives de la puissance publique afin dassurer ladministration effective de lIraq au

cours de la peacuteriode dadministration transitoire dy reacutetablir la stabiliteacute et la seacutecuriteacute () raquo (paragraphe 12 ci-dessus)

146 Le Conseil de seacutecuriteacute prit acte du contenu de la lettre du 8 mai 2003 dans sa reacutesolution 1483 adopteacutee le 22 mai 2003 Il y demandait par ailleurs aux puissances occupantes laquo de promouvoir le bien-ecirctre de la population iraquienne en assurant une

administration efficace du territoire notamment en semployant agrave reacutetablir la seacutecuriteacute et la stabiliteacute raquo reconnaissant une nouvelle fois la

mission de seacutecuriteacute assumeacutee par les Etats-Unis et le Royaume-Uni (paragraphe 14 ci-dessus)

147 Pendant la peacuteriode de loccupation le Royaume-Uni avait le commandement dune division militaire la division

multinationale du sud-est dont le ressort comprenait la province de Bassorah lagrave ougrave les proches des requeacuterants sont deacuteceacutedeacutes A

compter du 1er mai 2003 les forces britanniques deacuteployeacutees dans cette province y furent chargeacutees dassurer la seacutecuriteacute et de soutenir

ladministration civile Elles devaient en particulier conduire des patrouilles des arrestations et des opeacuterations de lutte contre le

terrorisme encadrer les manifestations civiles et proteacuteger les ressources et infrastructures essentielles ainsi que les postes de police

(paragraphe 21 ci-dessus)

148 En juillet 2003 fut creacuteeacute le Conseil de gouvernement de lIrak Bien que tenue de le consulter (paragraphe 15 ci-

dessus) lAutoriteacute provisoire de la coalition conservait le pouvoir Dans sa reacutesolution 1511 adopteacutee le 16 octobre 2003 le Conseil de

seacutecuriteacute souligna le caractegravere temporaire de lexercice par elle des responsabiliteacutes et pouvoirs eacutenonceacutes dans la reacutesolution 1483 et autorisa laquo une force multinationale sous commandement unifieacute agrave prendre toutes les mesures neacutecessaires pour contribuer au

maintien de la seacutecuriteacute et de la stabiliteacute en Iraq raquo (paragraphe 16 ci-dessus) Dans sa reacutesolution 1546 adopteacutee le 8 juin 2004 il

approuva laquo la formation dun gouvernement inteacuterimaire souverain de lIraq () qui assumera[it] pleinement [jusquau] 30 juin 2004 la responsabiliteacute et lautoriteacute de gouverner lIraq raquo (paragraphe 18 ci-dessus) En deacutefinitive loccupation prit fin le 28 juin 2004 avec le

transfert de lAutoriteacute provisoire de la coalition deacutesormais dissoute au gouvernement inteacuterimaire de la responsabiliteacute pleine et entiegravere

du gouvernement de lIrak (paragraphe 19 ci-dessus)

iii Conclusion quant agrave la juridiction

149 On peut donc voir quapregraves le renversement du reacutegime baasiste et jusquagrave linstauration du gouvernement inteacuterimaire

le Royaume-Uni a assumeacute en Irak (conjointement avec les Etats-Unis) certaines des preacuterogatives de puissance publique qui sont normalement celles dun Etat souverain en particulier le pouvoir et la responsabiliteacute du maintien de la seacutecuriteacute dans le sud-est du pays

Dans ces circonstances exceptionnelles la Cour considegravere que le Royaume-Uni par le biais de ses soldats affecteacutes agrave des opeacuterations de

seacutecuriteacute agrave Bassorah lors de cette peacuteriode exerccedilait sur les personnes tueacutees lors de ces opeacuterations une autoriteacute et un controcircle propres agrave

eacutetablir aux fins de larticle 1 de la Convention un lien juridictionnel entre lui et ces personnes

150 Cela preacuteciseacute la Cour rappelle que les deacutecegraves en cause dans la preacutesente affaire sont survenus au cours de la peacuteriode

consideacutereacutee le 8 mai 2003 pour le fils du cinquiegraveme requeacuterant au mois daoucirct 2003 pour les fregraveres des premier et quatriegraveme requeacuterants au mois de septembre 2003 pour le fils du sixiegraveme requeacuterant et au mois de novembre 2003 pour les eacutepouses des deuxiegraveme

et troisiegraveme requeacuterants Il nest pas contesteacute que les deacutecegraves des proches des premier deuxiegraveme quatriegraveme cinquiegraveme et sixiegraveme

requeacuterants ont eacuteteacute causeacutes par le fait de soldats britanniques au cours ou dans le contexte dopeacuterations de seacutecuriteacute conduites par les forces britanniques agrave divers endroits de la ville de Bassorah Il sensuit quaux fins de larticle 1 de la Convention un lien juridictionnel

rattachait le Royaume-Uni aux deacutefunts dans tous ces cas Quant au troisiegraveme requeacuterant son eacutepouse a eacuteteacute tueacutee lors dune fusillade entre

une patrouille de soldats britanniques et des tireurs inconnus et on ignore lequel des deux camps a eacuteteacute agrave lorigine du coup fatal La Cour considegravere que le deacutecegraves eacutetant survenu au cours dune opeacuteration de seacutecuriteacute meneacutee par le Royaume-Uni dans le cadre de laquelle

des soldats britanniques qui patrouillaient agrave proximiteacute du domicile de linteacuteresseacute sont intervenus dans la fusillade mortelle il existait

eacutegalement un lien juridictionnel entre le Royaume-Uni et cette victime

915

II Le champ drsquoapplication temporel de la Convention europeacuteenne

Document ndeg4 CEDH Janowiec cRussie 21102013 extraits

136 A la suite de lrsquoarrecirct Šilih les principes reacutegissant la compeacutetence temporelle de la Cour srsquoagissant de lrsquoobligation laquo deacutetachable raquo deacutecoulant de lrsquoarticle 2 de la Convention drsquoenquecircter sur le deacutecegraves drsquoune personne ont eacuteteacute appliqueacutes dans un grand nombre drsquoaffaires

137 La masse de celles-ci peut ecirctre reacutepartie en diffeacuterents groupes dont le plus important est constitueacute drsquoaffaires dirigeacutees contre la Roumanie dans lesquelles eacutetait alleacutegueacutee lrsquoineffectiviteacute des investigations sur les deacutecegraves de manifestants au cours de la reacutevolution roumaine de deacutecembre 1989 Dans ces affaires la Cour srsquoest deacuteclareacutee compeacutetente pour connaicirctre des griefs au motif que agrave la date de lrsquoentreacutee en vigueur de la Convention agrave lrsquoeacutegard de la Roumanie les proceacutedures eacutetaient toujours en cours devant le parquet (Association laquo 21 Deacutecembre 1989 raquo et autres c Roumanie nos 3381007 et 1881708 24 mai 2011 Pastor et Ţiclete c Roumanie nos 3091106 et 4096706 19 avril 2011 Lăpuşan et autres c Roumanie nos 2900706 3055206 3132306 3192006 3448506 3896006 3899606 3902706 et 3906706 8 mars 2011 Şandru et autres c Roumanie no 2246503 8 deacutecembre 2009 et Agache et autres c Roumanie no 271202 20 octobre 2009) Elle a statueacute de maniegravere analogue dans deux affaires posteacuterieures qui avaient pour objet des incidents violents survenus en juin 1990 (Mocanu et autres c Roumanie nos 1086509 4588607 et 3243108 13 novembre 2012) et en septembre 1991 (Crăiniceanu et Frumuşanu c Roumanie no 1244204 24 avril 2012)

138 Dans drsquoautres affaires reacutecentes ndash agrave lrsquoexception de lrsquoaffaire Tuna c Turquie qui avait pour origine un deacutecegraves en garde agrave vue survenu environ sept ans avant la reconnaissance par la Turquie du droit de recours individuel (Tuna c Turquie no 2233903 sectsect 57-63 19 janvier 2010) ndash ougrave il nrsquoeacutetait pas alleacutegueacute que le deacutecegraves en question eacutetait la conseacutequence de quelconques actes drsquoagents de lrsquoEtat le deacutecegraves preacuteceacutedait de un agrave quatre ans la date drsquoentreacutee en vigueur et une part importante de la proceacutedure avait eacuteteacute conduite apregraves cette date (Kudra c Croatie no 1390407 sectsect 110-112 18 deacutecembre 2012 quatre ans deacutecegraves accidentel causeacute par la neacutegligence drsquoune socieacuteteacute priveacutee Igor Shevchenko c Ukraine no2273704 sectsect 45-48 12 janvier 2012 trois ans accident de la circulation Bajić c Croatie no 4110810 sect 62 13 novembre 2012 quatre ans erreur meacutedicale Dimovi c Bulgarie no 5274407 sectsect 36-45 6 novembre 2012 trois ans deacutecegraves causeacute par un incendie Velcea et Mazăre c Roumanie no 6430101 sectsect 85-88 1er deacutecembre 2009 un an dispute familiale Trufin c Roumanie no 399004 sectsect 32-34 20 octobre 2009 deux ans meurtre et Lyubov Efimenko c Ukraine no 7572601 sect 65 25 novembre 2010 quatre ans vol agrave main armeacutee et meurtre) Dans deux affaires le fait que des insurgeacutes ou des formations paramilitaires eussent tueacute les proches des requeacuterants sept et six ans respectivement avant la date critique nrsquoa pas empecirccheacute la Cour de connaicirctre du fond du grief souleveacute sous lrsquoangle du volet proceacutedural de lrsquoarticle 2 (Paccedilacı et autres c Turquie no 306407 sectsect 64-66 8novembre 2011 et Jularić c Croatie no 2010606 sectsect 38 et 45-46 20 janvier 2011) La peacuteriode de treize ans ayant seacutepareacute le deacutecegraves du fils du requeacuterant dans une bagarre et lrsquoentreacutee en vigueur de la Convention agrave lrsquoeacutegard de la Serbie nrsquoa pas non plus eacuteteacute consideacutereacutee comme primant lrsquoimportance des actes de proceacutedure accomplis apregraves la date critique (Mladenović c Serbie no 109908 sectsect 38-40 22 mai 2012)

139 La Cour a eacutegalement statueacute sur un certain nombre drsquoaffaires dans lesquelles le requeacuterant disait avoir eacuteteacute victime drsquoun traitement prohibeacute par lrsquoarticle 3 de la Convention agrave un moment donneacute avant la date critique Elle a conclu qursquoelle avait compeacutetence pour veacuterifier le respect par lrsquoEtat deacutefendeur ndash pendant la peacuteriode posteacuterieure agrave lrsquoentreacutee en vigueur ndash de lrsquoarticle 3 sous son volet proceacutedural qui lui imposait de conduire une enquecircte effective respectivement dans un cas de brutaliteacutes policiegraveres (Yatsenko c Ukraine no 7534501 sect 40 16 feacutevrier 2012 et Stanimirović c Serbie no 2608806 sectsect 28-29 18 octobre 2011) dans un cas de viol (PM c Bulgarie no 4966907 sect 58 24 janvier 2012) et dans un cas de mauvais traitements infligeacutes par un particulier (Otašević c Serbie no 3219807 5 feacutevrier 2013)

3 Clarification des critegraveres eacutelaboreacutes dans lrsquoarrecirct Šilih

140 Malgreacute le nombre toujours croissant drsquoarrecircts dans lesquels la Cour statue sur sa compeacutetence ratione temporis en se fondant sur les critegraveres adopteacutes dans lrsquoarrecirct Šilih lrsquoapplication en pratique de ces derniers est parfois source drsquoincertitudes Une clarification est donc souhaitable

141 Les critegraveres exposeacutes aux paragraphes 162 et 163 de lrsquoarrecirct Šilih (repris au paragraphe 133 ci-dessus) peuvent se reacutesumer comme suit Premiegraverement dans le cas drsquoun deacutecegraves survenu avant la date critique seuls les actes et omissions de nature proceacutedurale posteacuterieurs agrave cette date relegravevent de la compeacutetence temporelle de la Cour Deuxiegravemement pour que lrsquoobligation proceacutedurale entre en jeu il doit exister un laquo lien veacuteritable raquo entre le deacutecegraves en tant que fait geacuteneacuterateur et lrsquoentreacutee en vigueur de la Convention Troisiegravemement un lien qui ne serait pas laquo veacuteritable raquo peut neacuteanmoins suffire agrave eacutetablir la compeacutetence de la Cour si sa prise en compte est neacutecessaire pour permettre de veacuterifier que les garanties offertes par la Convention et les valeurs qui la sous-tendent sont proteacutegeacutees de maniegravere reacuteelle et effective La Cour examinera tour agrave tour chacun de ces eacuteleacutements

a) Actes et omissions de nature proceacutedurale posteacuterieurs agrave lrsquoentreacutee en vigueur de la Convention

142 La Cour rappelle drsquoembleacutee que lrsquoenquecircte que requiert lrsquoarticle 2 sous son volet proceacutedural ne constitue pas un mode de redressement drsquoune violation alleacutegueacutee du droit agrave la vie qui a pu survenir avant la date critique La violation alleacutegueacutee de lrsquoobligation proceacutedurale a pour origine lrsquoabsence drsquoenquecircte effective lrsquoobligation proceacutedurale a son propre champ drsquoapplication et peut jouer indeacutependamment de lrsquoobligation mateacuterielle de lrsquoarticle 2 (arrecircts Varnava et autres sect 136 et Šilih sect 159 preacuteciteacutes) Degraves lors la compeacutetence temporelle de la Cour englobe les actes et omissions de nature proceacutedurale qui sont survenus ou auraient ducirc survenir apregraves lrsquoentreacutee en vigueur de la Convention agrave lrsquoeacutegard de lrsquoEtat deacutefendeur

143 La Cour considegravere en outre que par laquo actes de nature proceacutedurale raquo il faut entendre les actes inheacuterents agrave lrsquoobligation proceacutedurale deacutecoulant de lrsquoarticle 2 ou le cas eacutecheacuteant de lrsquoarticle 3 de la Convention crsquoest-agrave-dire les actes pris dans le cadre drsquoune proceacutedure peacutenale civile administrative ou disciplinaire susceptible de mener agrave lrsquoidentification et agrave la punition des responsables ou agrave lrsquoindemnisation de la partie leacuteseacutee (Labita c Italie [GC] no 2677295 sect 131 CEDH 2000-IV et McCann et autres c Royaume-Uni 27 septembre 1995 sect 161 seacuterie A no 324) Cette deacutefinition a pour effet drsquoexclure les autres types de deacutemarches pouvant ecirctre entreprises agrave drsquoautres fins par exemple pour eacutetablir une veacuteriteacute historique

1015

144 Les laquo omissions raquo visent les cas ougrave il nrsquoy a eu aucune enquecircte et ceux ougrave seuls des actes de proceacutedure insignifiants ont eacuteteacute effectueacutes mais ougrave il est alleacutegueacute qursquoune enquecircte effective aurait ducirc ecirctre meneacutee Degraves lors que se preacutesente une alleacutegation un moyen de preuve ou un eacuteleacutement drsquoinformation plausible et creacutedible qui pourrait permettre drsquoidentifier et au bout du compte drsquoinculper ou de punir les responsables les autoriteacutes sont tenues de prendre des mesures drsquoenquecircte (Gutieacuterrez Dorado et Dorado Ortiz c Espagne (deacutec) no 3014109 sectsect 39-41 27 mars 2012 Ccedilakir et autres c Chypre (deacutec) no 786406 29 avril 2010 et Brecknell preacuteciteacute sectsect 66-72) Si vient agrave surgir posteacuterieurement agrave lrsquoentreacutee en vigueur un eacuteleacutement nouveau suffisamment important et deacuteterminant pour justifier lrsquoouverture drsquoune nouvelle instance la Cour devra srsquoassurer que lrsquoEtat deacutefendeur srsquoest acquitteacute de lrsquoobligation proceacutedurale que lui impose lrsquoarticle 2 drsquoune maniegravere compatible avec les principes eacutenonceacutes dans sa jurisprudence Toutefois si le fait geacuteneacuterateur eacutechappe agrave la compeacutetence temporelle de la Cour la deacutecouverte drsquoeacuteleacutements nouveaux apregraves la date critique ne pourra faire renaicirctre lrsquoobligation drsquoenquecircter que si le critegravere du laquo lien veacuteritable raquo ou celui des laquo valeurs de la Convention raquo (voir ci-dessous) a eacuteteacute satisfait

b) Le critegravere du laquo lien veacuteritable raquo

145 La premiegravere phrase du paragraphe 163 de lrsquoarrecirct Šilih pose que lrsquoexistence drsquoun laquo lien veacuteritable raquo entre le fait geacuteneacuterateur et lrsquoentreacutee en vigueur de la Convention agrave lrsquoeacutegard de lrsquoEtat deacutefendeur est une condition sine qua non pour que lrsquoobligation proceacutedurale deacutecoulant de lrsquoarticle 2 de la Convention devienne applicable

146 La Cour considegravere que lrsquoeacuteleacutement temporel est le premier et le plus important des indicateurs lorsqursquoil srsquoagit drsquoeacutetablir le caractegravere laquo veacuteritable raquo du lien A lrsquoinstar de la chambre dans son arrecirct elle ajoute que pour qursquoil y ait un laquo lien veacuteritable raquo le laps de temps eacutecouleacute entre le fait geacuteneacuterateur et la date critique doit demeurer relativement bref Bien qursquoil nrsquoexiste en droit aucun critegravere apparent permettant de deacutefinir la limite absolue de ce deacutelai celui-ci ne devrait pas exceacuteder dix ans (voir par analogie Varnava et autres preacuteciteacute sect 166 et Er et autres c Turquie no 2301604 sectsect 59-60 31 juillet 2012) A supposer mecircme que en raison de circonstances exceptionnelles il soit justifieacute de faire remonter ce deacutelai encore plus loin dans le passeacute il faudra qursquoil soit satisfait au critegravere des laquo valeurs de la Convention raquo

147 Toutefois la dureacutee du deacutelai qui seacutepare le fait geacuteneacuterateur de la date critique nrsquoest pas deacutecisive en elle-mecircme pour deacuteterminer si le lien est laquo veacuteritable raquo Comme lrsquoindique la deuxiegraveme phrase du paragraphe 163 de lrsquoarrecirct Šilih le lien sera eacutetabli si lrsquoessentiel de lrsquoenquecircte sur le deacutecegraves a eu lieu ou aurait ducirc avoir lieu posteacuterieurement agrave lrsquoentreacutee en vigueur de la Convention Cela englobe la conduite drsquoune proceacutedure visant agrave eacutetablir la cause du deacutecegraves et agrave faire reacutepondre les responsables de leurs actes ainsi que lrsquoadoption drsquoune part importante des mesures proceacutedurales essentielles au deacuteroulement de lrsquoenquecircte Il srsquoagit drsquoun corollaire au principe voulant que la Cour nrsquoait compeacutetence qursquoagrave lrsquoeacutegard des actes et omissions de nature proceacutedurale posteacuterieurs agrave la date drsquoentreacutee en vigueur Si toutefois la majeure partie de la proceacutedure ou les mesures proceacutedurales les plus importantes sont anteacuterieures agrave cette date la capaciteacute de la Cour agrave appreacutecier globalement lrsquoeffectiviteacute de lrsquoenquecircte agrave lrsquoaune des exigences proceacutedurales de lrsquoarticle 2 de la Convention peut srsquoen trouver irreacutemeacutediablement amoindrie

148 Eu eacutegard agrave ce qui preacutecegravede la Cour conclut que pour qursquoun laquo lien veacuteritable raquo puisse ecirctre eacutetabli il doit ecirctre satisfait aux deux critegraveres le deacutelai entre le deacutecegraves en tant que fait geacuteneacuterateur et lrsquoentreacutee en vigueur de la Convention doit avoir eacuteteacute relativement bref et la majeure partie de lrsquoenquecircte doit avoir eacuteteacute conduite ou aurait ducirc lrsquoecirctre apregraves lrsquoentreacutee en vigueur

c) Le critegravere des laquo valeurs de la Convention raquo

149 La Cour admet par ailleurs qursquoil peut exister des situations extraordinaires ne satisfaisant pas au critegravere du laquo lien veacuteritable raquo tel qursquoexposeacute ci-dessus mais ougrave la neacutecessiteacute de proteacuteger de maniegravere reacuteelle et effective les garanties offertes par la Convention et les valeurs qui la sous-tendent constitue un fondement suffisant pour reconnaicirctre lrsquoexistence drsquoun lien La derniegravere phrase du paragraphe 163 de lrsquoarrecirct Šilih nrsquoexclut pas cette eacuteventualiteacute qui constituerait alors une exception agrave la regravegle geacuteneacuterale que repreacutesente le critegravere du laquo lien veacuteritable raquo Dans toutes les affaires preacuteciteacutees la Cour a admis lrsquoexistence drsquoun laquo lien veacuteritable raquo parce que le laps de temps eacutecouleacute entre le deacutecegraves et la date critique eacutetait relativement bref et qursquoune part consideacuterable de la proceacutedure avait eacuteteacute conduite apregraves cette date La preacutesente affaire est donc la premiegravere agrave pouvoir relever de cette autre cateacutegorie agrave caractegravere exceptionnel Aussi la Cour doit-elle expliciter les modaliteacutes drsquoapplication du critegravere des laquo valeurs de la Convention raquo

150 A lrsquoinstar de la chambre la Grande Chambre estime que le renvoi aux valeurs qui sous-tendent la Convention signifie que lrsquoexistence du lien requis peut ecirctre constateacutee si le fait geacuteneacuterateur revecirct une dimension plus large qursquoune infraction peacutenale ordinaire et constitue la neacutegation des fondements mecircmes de la Convention Tel serait le cas de graves crimes de droit international tels que les crimes de guerre le geacutenocide ou les crimes contre lrsquohumaniteacute conformeacutement aux deacutefinitions qursquoen donnent les instruments internationaux pertinents

151 Le caractegravere odieux et la graviteacute de pareils crimes ont pousseacute les parties agrave la Convention sur lrsquoimprescriptibiliteacute des crimes de guerre et des crimes contre lrsquohumaniteacute agrave consideacuterer que ces infractions doivent ecirctre imprescriptibles et que les prescriptions qui existeraient en la matiegravere dans leur ordre juridique interne doivent ecirctre abolies La Cour considegravere neacuteanmoins que le critegravere des laquo valeurs de la Convention raquo ne peut pas srsquoappliquer agrave des eacuteveacutenements anteacuterieurs agrave lrsquoadoption de la Convention le 4 novembre 1950 car crsquoest seulement agrave cette date que celle-ci a commenceacute agrave exister en tant qursquoinstrument international de protection des droits de lrsquohomme Degraves lors la responsabiliteacute sur le terrain de la Convention drsquoune Partie agrave celle-ci ne peut pas ecirctre engageacutee pour la non-reacutealisation drsquoune enquecircte sur un crime de droit international fucirct-il le plus abominable si celui-ci est anteacuterieur agrave la Convention Bien qursquoelle soit sensible agrave lrsquoargument selon lequel mecircme aujourdrsquohui certains pays ont reacuteussi agrave juger des responsables de crimes de guerre commis au cours de la Deuxiegraveme Guerre mondiale la Cour souligne la diffeacuterence fondamentale qui existe entre la possibiliteacute de poursuivre une personne pour un grave crime de droit international si les circonstances le permettent et lrsquoobligation de le faire au regard de la Convention

III La theacuteorie des obligations positives

Document ndeg5 CEDH Airey c Irlande 9101979 extraits

1115

24 Selon le Gouvernement la requeacuterante a bien accegraves agrave la High Court puisqursquoil lui est loisible de srsquoadresser agrave elle sans

lrsquoassistance drsquoun homme de loi

La Cour ne considegravere pas cette ressource comme deacutecisive en soi La Convention a pour but de proteacuteger des droits non pas

theacuteoriques ou illusoires mais concrets et effectifs (voir mutatis mutandis lrsquoarrecirct du 23 juillet 1968 en lrsquoaffaire linguistique belge

seacuterie A no 6 p 31 paras 3 in fine et 4 lrsquoarrecirct Golder preacuteciteacute p 18 par 35 in fine lrsquoarrecirct Luedicke Belkacem et Koccedil du 28 novembre 1978 seacuterie A no 29 pp 17-18 par 42 lrsquoarrecirct Marckx du 13 juin 1979 seacuterie A no 31 p 15 par 31) La remarque vaut en

particulier pour le droit drsquoaccegraves aux tribunaux eu eacutegard agrave la place eacuteminente que le droit agrave un procegraves eacutequitable occupe dans une socieacuteteacute

deacutemocratique (cf mutatis mutandis lrsquoarrecirct Delcourt du 17 janvier 1970 seacuterie A no 11 pp 14-15 par 25) Il faut donc rechercher si la comparution devant la High Court sans lrsquoassistance drsquoun conseil serait efficace en ce sens que Mme Airey pourrait preacutesenter ses

arguments de maniegravere adeacutequate et satisfaisante

Gouvernement et Commission ont exposeacute agrave ce sujet des vues contradictoires lors des audiences La Cour estime certain que la requeacuterante se trouverait deacutesavantageacutee si son eacutepoux eacutetait repreacutesenteacute par un homme de loi et elle non En dehors mecircme de cette

hypothegravese elle ne croit pas reacutealiste de penser que lrsquointeacuteresseacutee pourrait deacutefendre utilement sa cause dans un tel litige malgreacute lrsquoaide que

le juge - le Gouvernement le souligne - precircte aux parties agissant en personne

En Irlande un jugement de seacuteparation de corps ne srsquoobtient pas devant un tribunal drsquoarrondissement ougrave la proceacutedure est

relativement simple mais devant la High Court Un speacutecialiste du droit irlandais de la famille M Alan J Shatter voit dans cette

juridiction la moins accessible de toutes en raison non seulement du niveau fort eacuteleveacute des honoraires agrave verser pour srsquoy faire repreacutesenter mais aussi de la complexiteacute de la proceacutedure agrave suivre pour introduire une action en particulier sur requecircte (petition)

comme ici (Family Law in the Republic of Ireland Dublin 1977 p 21)

En outre pareil procegraves indeacutependamment des problegravemes juridiques deacutelicats qursquoil comporte exige la preuve drsquoun adultegravere de pratiques contre nature ou comme en lrsquooccurrence de cruauteacute pour eacutetablir les faits il peu y avoir lieu de recueillir la deacuteposition

drsquoexperts de rechercher des teacutemoins de les citer et de les interroger De surcroicirct les diffeacuterends entre conjoints suscitent souvent une

passion peu compatible avec le degreacute drsquoobjectiviteacute indispensable pour plaider en justice

Pour ces motifs la Cour estime tregraves improbable qursquoune personne dans la situation de Mme Airey (paragraphe 8 ci-dessus)

puisse deacutefendre utilement sa propre cause Les reacuteponses du Gouvernement aux questions de la Cour corroborent cette opinion elles

reacutevegravelent que dans chacune des 255 instances en seacuteparation de corps engageacutees en Irlande de janvier 1972 agrave deacutecembre 1978 sans exception un homme de loi repreacutesentait le demandeur (paragraphe 11 ci-dessus)

La Cour en deacuteduit que la possibiliteacute de comparaicirctre en personne devant la High Court nrsquooffre pas agrave la requeacuterante un droit effectif drsquoaccegraves et partant ne constitue pas non plus un recours interne dont lrsquoarticle 26 (art 26) exige lrsquoeacutepuisement (paragraphe 19 b)

ci-dessus)

25 Le Gouvernement essaie de diffeacuterencier la preacutesente espegravece de lrsquoaffaire Golder Dans cette derniegravere souligne-t-il le requeacuterant avait eacuteteacute empecirccheacute de saisir un tribunal par un obstacle positif dresseacute sur son chemin par lrsquoEacutetat le ministre de lrsquointeacuterieur lui

avait interdit de consulter un avocat Ici au contraire il nrsquoexisterait de la part de lrsquoEacutetat ni obstacle positif ni tentative drsquoentrave le

deacutefaut alleacutegueacute drsquoaccegraves agrave la justice ne deacutecoulerait drsquoaucune initiative des autoriteacutes mais uniquement de la situation personnelle de Mme Airey dont on ne saurait tenir lrsquoIrlande pour responsable sur le terrain de la Convention

Cette dissemblance entre les circonstances des deux causes est indeacuteniable mais la Cour nrsquoapprouve pas la conclusion qursquoen

tire le Gouvernement Tout drsquoabord un obstacle de fait peut enfreindre la Convention agrave lrsquoeacutegal drsquoun obstacle juridique (arrecirct Golder preacuteciteacute p 13 par 26) En outre lrsquoexeacutecution drsquoun engagement assumeacute en vertu de la Convention appelle parfois des mesures positives

de lrsquoEacutetat en pareil cas celui-ci ne saurait se borner agrave demeurer passif et il nrsquoy a () pas lieu de distinguer entre actes et omissions

(voir mutatis mutandis lrsquoarrecirct Marckx preacuteciteacute p 15 par 31 et lrsquoarrecirct De Wilde Ooms et Versyp du 10 mars 1972 seacuterie A no 14 p 10 par 22) Or lrsquoobligation drsquoassurer un droit effectif drsquoaccegraves agrave la justice se range dans cette cateacutegorie drsquoengagements

26 Le Gouvernement appuie son argument principal sur ce qursquoil considegravere comme les conseacutequences de lrsquoavis de la

Commission dans chaque contestation relative agrave un droit de caractegravere civil lrsquoEacutetat devrait fournir une aide judiciaire gratuite Or la

seule clause de la Convention qui reacutegisse expresseacutement cette derniegravere question lrsquoarticle 6 par 3 c) (art 6-3-c) concerne les

proceacutedures peacutenales et srsquoaccompagne elle-mecircme de restrictions au surplus drsquoapregraves la jurisprudence constante de la Commission nul

droit agrave une aide judiciaire gratuite ne se trouve en soi garanti par lrsquoarticle 6 par 1 (art 6-1) En ratifiant la Convention ajoute le Gouvernement lrsquoIrlande a formuleacute une reacuteserve agrave lrsquoarticle 6 par 3 c) (art 6-3-c) pour reacuteduire ses obligations dans le domaine de lrsquoaide

judiciaire en matiegravere peacutenale a fortiori on ne saurait selon lui preacutetendre qursquoelle ait tacitement accepteacute drsquooctroyer une aide judiciaire

illimiteacutee dans les litiges civils Enfin il ne faut pas drsquoapregraves lui interpreacuteter la Convention de maniegravere agrave reacutealiser dans un Eacutetat contractant des progregraves eacuteconomiques et sociaux ils ne peuvent ecirctre que graduels

La Cour nrsquoignore pas que le deacuteveloppement des droits eacuteconomiques et sociaux deacutepend beaucoup de la situation des Eacutetats et

notamment de leurs finances Drsquoun autre cocircteacute la Convention doit se lire agrave la lumiegravere des conditions de vie drsquoaujourdrsquohui (arrecirct Marckx preacuteciteacute p 19 par 41) et agrave lrsquointeacuterieur de son champ drsquoapplication elle tend agrave une protection reacuteelle et concregravete de lrsquoindividu

(paragraphe 24 ci-dessus) Or si elle eacutenonce pour lrsquoessentiel des droits civils et politiques nombre drsquoentre eux ont des prolongements

drsquoordre eacuteconomique ou social Avec la Commission la Cour nrsquoestime donc pas devoir eacutecarter telle ou telle interpreacutetation pour le simple motif qursquoagrave lrsquoadopter on risquerait drsquoempieacuteter sur la sphegravere des droits eacuteconomiques et sociaux nulle cloison eacutetanche ne seacutepare

celle-ci du domaine de la Convention

La Cour ne partage pas davantage lrsquoopinion du Gouvernement sur les conseacutequences de lrsquoavis de la Commission

On aurait tort de geacuteneacuteraliser la conclusion selon laquelle la possibiliteacute de comparaicirctre en personne devant la High Court

nrsquooffre pas agrave Mme Airey un droit effectif drsquoaccegraves elle ne vaut pas pour tous les cas concernant des droits et obligations de caractegravere

civil ni pour tous les inteacuteresseacutes Dans certaines hypothegraveses la faculteacute de se preacutesenter devant une juridiction fucirct-ce sans lrsquoassistance drsquoun conseil reacutepond aux exigences de lrsquoarticle 6 par 1 (art 6-1) il se peut qursquoelle assure parfois un accegraves reacuteel mecircme agrave la High Court

En veacuteriteacute les circonstances jouent ici un rocircle important

En outre lrsquoarticle 6 par 1 (art 6-1) srsquoil garantit aux plaideurs un droit effectif drsquoaccegraves aux tribunaux pour les deacutecisions relatives agrave leurs droits et obligations de caractegravere civil laisse agrave lrsquoEacutetat le choix des moyens agrave employer agrave cette fin Lrsquoinstauration drsquoun

systegraveme drsquoaide judiciaire - envisageacutee agrave preacutesent par lrsquoIrlande pour les affaires ressortissant au droit de la famille (paragraphe 11 ci-

1215

dessus) - en constitue un mais il y en a drsquoautres par exemple une simplification de la proceacutedure Quoi qursquoil en soit il nrsquoappartient pas

agrave la Cour de dicter les mesures agrave prendre ni mecircme de les indiquer la Convention se borne agrave exiger que lrsquoindividu jouisse de son droit effectif drsquoaccegraves agrave la justice selon des modaliteacutes non contraires agrave lrsquoarticle 6 par 1 (art 6-1) (voir mutatis mutandis lrsquoarrecirct Syndicat

national de la police belge du 27 octobre 1975 seacuterie A no 19 p 18 par 39 et lrsquoarrecirct Marckx preacuteciteacute p 15 par 31)

La conclusion figurant agrave la fin du paragraphe 24 ci-dessus nrsquoimplique donc pas que lrsquoEacutetat doive fournir une aide judiciaire gratuite dans toute contestation touchant un droit de caractegravere civil

Affirmer lrsquoexistence drsquoune obligation aussi eacutetendue la Cour lrsquoadmet se concilierait mal avec la circonstance que la

Convention ne renferme aucune clause sur lrsquoaide judiciaire pour ces derniegraveres contestations son article 6 par 3 c) (art 6-3-c) ne traitant que de la matiegravere peacutenale Cependant malgreacute lrsquoabsence drsquoun texte analogue pour les procegraves civils lrsquoarticle 6 par 1 (art 6-1)

peut parfois astreindre lrsquoEacutetat agrave pourvoir agrave lrsquoassistance drsquoun membre du barreau quand elle se reacutevegravele indispensable agrave un accegraves effectif

au juge soit parce que la loi prescrit la repreacutesentation par un avocat comme la leacutegislation nationale de certains Eacutetats contractants le fait pour diverses cateacutegories de litiges soit en raison de la complexiteacute de la proceacutedure ou de la cause

Quant agrave la reacuteserve irlandaise agrave lrsquoarticle 6 par 3 c) (art 6-3-c) on ne saurait lrsquointerpreacuteter de telle sorte qursquoelle influerait sur

les engagements reacutesultant de lrsquoarticle 6 par 1 (art 6-1) partant elle nrsquoentre pas ici en ligne de compte

28 La Cour constate ainsi agrave la lumiegravere de lrsquoensemble des circonstances de la cause que Mme Airey nrsquoa pas beacuteneacuteficieacute drsquoun

droit drsquoaccegraves effectif agrave la High Court pour demander un jugement de seacuteparation de corps Partant il y a eu violation de lrsquoarticle 6 par

1 (art 6-1)

32 Aux yeux de la Cour Mme Airey ne saurait passer pour avoir subi de la part de lrsquoIrlande une ingeacuterence dans sa vie

priveacutee ou familiale elle se plaint en substance non drsquoun acte mais de lrsquoinaction de lrsquoEacutetat Toutefois si lrsquoarticle 8 (art 8) a

essentiellement pour objet de preacutemunir lrsquoindividu contre des ingeacuterences arbitraires des pouvoirs publics il ne se contente pas drsquoastreindre lrsquoEacutetat agrave srsquoabstenir de pareilles ingeacuterences agrave cet engagement plutocirct neacutegatif peuvent srsquoajouter des obligations positives

inheacuterentes agrave un respect effectif de la vie priveacutee ou familiale (arrecirct Marckx preacuteciteacute p 15 par 31)

33 Le droit irlandais regravegle cette derniegravere sous beaucoup drsquoaspects Au sujet de mariage il prescrit en principe aux eacutepoux de cohabiter mais il leur accorde dans certains cas le droit de demander un jugement de seacuteparation de corps Par lagrave mecircme il reconnaicirct

que la protection de leur vie priveacutee ou familiale exige parfois de les relever de ce devoir

Un respect effectif de la vie priveacutee ou familiale impose agrave lrsquoIrlande de rendre ce moyen effectivement accessible quand il y a lieu agrave quiconque deacutesire lrsquoemployer Or la requeacuterante nrsquoy a pas eu effectivement accegraves nrsquoayant pas eacuteteacute mise en mesure de saisir la

High Court (paragraphes 20 agrave 28 ci-dessus) elle nrsquoa pu reacuteclamer la conseacutecration juridique de sa seacuteparation de fait drsquoavec son mari Elle a donc eacuteteacute victime drsquoune violation de lrsquoarticle 8 (art 8)

Document ndeg 6 CEDH Lopez Ostra c Espagne 9 Deacutecembre 1994 extraits

51 Il va pourtant de soi que des atteintes graves agrave lrsquoenvironnement peuvent affecter le bien-ecirctre drsquoune personne et la priver

de la jouissance de son domicile de maniegravere agrave nuire agrave sa vie priveacutee et familiale sans pour autant mettre en grave danger la santeacute de lrsquointeacuteresseacutee

Que lrsquoon aborde la question sous lrsquoangle drsquoune obligation positive de lrsquoEtat - adopter des mesures raisonnables et adeacutequates

pour proteacuteger les droits de lrsquoindividu en vertu du paragraphe 1 de lrsquoarticle 8 (art 8-1) - comme le souhaite dans son cas la requeacuterante ou sous celui drsquoune ingeacuterence drsquoune autoriteacute publique agrave justifier selon le paragraphe 2 (art 8-2) les principes applicables sont assez

voisins Dans les deux cas il faut avoir eacutegard au juste eacutequilibre agrave meacutenager entre les inteacuterecircts concurrents de lrsquoindividu et de la socieacuteteacute

dans son ensemble lrsquoEtat jouissant en toute hypothegravese drsquoune certaine marge drsquoappreacuteciation En outre mecircme pour les obligations positives reacutesultant du paragraphe 1 (art 8-1) les objectifs eacutenumeacutereacutes au paragraphe 2 (art 8-2) peuvent jouer un certain rocircle dans la

recherche de lrsquoeacutequilibre voulu (voir notamment les arrecircts Rees c Royaume-Uni du 17 octobre 1986 seacuterie A no 106 p 15 par 37 et

Powell et Rayner c Royaume-Uni du 21 feacutevrier 1990 seacuterie A no 172 p 18 par 41)

52 Il ressort du dossier que la station drsquoeacutepuration litigieuse fut construite en juillet 1988 par SACURSA pour reacutesoudre un

grave problegraveme de pollution existant agrave Lorca agrave cause de la concentration de tanneries Or degraves son entreacutee en service elle provoqua des

nuisances et troubles de santeacute chez de nombreux habitants (paragraphes 7 et 8 ci-dessus)

Certes les autoriteacutes espagnoles et notamment la municipaliteacute de Lorca nrsquoeacutetaient pas en principe directement responsables

des eacutemanations dont il srsquoagit Toutefois comme le signale la Commission la ville permit lrsquoinstallation de la station sur des terrains lui

appartenant et lrsquoEtat octroya une subvention pour sa construction (paragraphe 7 ci-dessus)

53 Le conseil municipal reacuteagit avec ceacuteleacuteriteacute en relogeant gratuitement au centre ville pendant les mois de juillet aoucirct et

septembre 1988 les reacutesidents affecteacutes puis en closant lrsquoune des activiteacutes de la station agrave partir du 9 septembre (paragraphes 8 et 9 ci-

dessus) Cependant ses membres ne pouvaient ignorer que les problegravemes drsquoenvironnement persistegraverent apregraves cette clocircture partielle (paragraphes 9 et 11 ci-dessus) Cela fut drsquoailleurs corroboreacute degraves le 19 janvier 1989 par le rapport de lrsquoAgence reacutegionale pour

lrsquoenvironnement et la nature puis confirmeacute par des expertises en 1991 1992 et 1993 (paragraphes 11 et 18 ci-dessus)

54 Drsquoapregraves Mme Loacutepez Ostra les pouvoirs geacuteneacuteraux de police attribueacutes agrave la municipaliteacute par le regraveglement de 1961 obligeaient ladite municipaliteacute agrave agir En outre la station ne reacuteunissait pas les conditions requises par la loi notamment en ce qui

concernait son emplacement et lrsquoabsence de permis municipal (paragraphes 8 27 et 28 ci-dessus)

55 Sur ce point la Cour rappelle que la question de la leacutegaliteacute de lrsquoinstallation et du fonctionnement de la station demeure pendante devant le Tribunal suprecircme depuis 1991 (paragraphe 16 ci-dessus) Or drsquoapregraves sa jurisprudence constante il incombe au

premier chef aux autoriteacutes nationales et speacutecialement aux cours et tribunaux drsquointerpreacuteter et drsquoappliquer le droit interne (voir entre autres lrsquoarrecirct Casado Coca c Espagne du 24 feacutevrier 1994 seacuterie A no 285-A p 18 par 43)

De toute maniegravere la Cour estime qursquoen lrsquooccurrence il lui suffit de rechercher si agrave supposer mecircme que la municipaliteacute se

soit acquitteacutee des tacircches qui lui revenaient drsquoapregraves le droit interne (paragraphes 27-28 ci-dessus) les autoriteacutes nationales ont pris les mesures neacutecessaires pour proteacuteger le droit de la requeacuterante au respect de son domicile ainsi que de sa vie priveacutee et familiale garanti par

lrsquoarticle 8 (art 8) (voir entre autres mutatis mutandis lrsquoarrecirct X et Y c Pays-Bas du 26 mars 1985 seacuterie A no 91 p 11 par 23)

1315

56 Il eacutechet de constater que non seulement la municipaliteacute nrsquoa pas pris apregraves le 9 septembre 1988 des mesures agrave cette fin

mais aussi qursquoelle a contrecarreacute des deacutecisions judiciaires allant dans ce sens Ainsi dans la proceacutedure ordinaire entameacutee par les belles-soeurs de Mme Loacutepez Ostra elle a interjeteacute appel contre la deacutecision du Tribunal supeacuterieur de Murcie du 18 septembre 1991 ordonnant

la fermeture provisoire de la station de sorte que cette mesure resta en suspens (paragraphe 16 ci-dessus)

Drsquoautres organes de lrsquoEtat ont aussi contribueacute agrave prolonger la situation Ainsi le ministegravere public attaqua le 19 novembre 1991 la deacutecision de fermeture provisoire prise par le juge drsquoinstruction de Lorca le 15 dans le cadre des poursuites pour deacutelit

eacutecologique (paragraphe 17 ci-dessus) si bien que la mesure est resteacutee inexeacutecuteacutee jusqursquoau 27 octobre 1993 (paragraphe 22 ci-dessus)

57 Le Gouvernement rappelle que la ville a assumeacute les frais de location drsquoun appartement au centre de Lorca que la requeacuterante et sa famille ont occupeacute du 1er feacutevrier 1992 jusqursquoen feacutevrier 1993 (paragraphe 21 ci-dessus)

La Cour note cependant que les inteacuteresseacutes ont ducirc subir pendant plus de trois ans les nuisances causeacutees par la station avant

de deacutemeacutenager avec les inconveacutenients que cela comporte Ils ne lrsquoont fait que lorsqursquoil apparut que la situation pouvait se prolonger indeacutefiniment et sur prescription du peacutediatre de la fille de Mme Loacutepez Ostra (paragraphes 16 17 et 19 ci-dessus) Dans ces conditions

lrsquooffre de la municipaliteacute ne pouvait pas effacer complegravetement les nuisances et inconveacutenients veacutecus

58 Compte tenu de ce qui preacutecegravede - et malgreacute la marge drsquoappreacuteciation reconnue agrave lrsquoEtat deacutefendeur - la Cour estime que

celui-ci nrsquoa pas su meacutenager un juste eacutequilibre entre lrsquointeacuterecirct du bien-ecirctre eacuteconomique de la ville de Lorca - celui de disposer drsquoune

station drsquoeacutepuration - et la jouissance effective par la requeacuterante du droit au respect de son domicile et de sa vie priveacutee et familiale

Il y a donc eu violation de lrsquoarticle 8 (art 8)

Document ndeg7 Soering c Royaume-Uni 07071989 extraits

I SUR LA VIOLATION ALLEacuteGUEacuteE DE LrsquoARTICLE 3 (art 3)

80 Selon le requeacuterant la deacutecision du ministre de lrsquoInteacuterieur de le livrer aux autoriteacutes des Eacutetats-Unis drsquoAmeacuterique entraicircnera si elle reccediloit exeacutecution un manquement du Royaume-Uni aux exigences de lrsquoarticle 3 (art 3) de la Convention ainsi

libelleacute

Nul ne peut ecirctre soumis agrave la torture ni agrave des peines ou traitements inhumains ou deacutegradants

A Applicabiliteacute de lrsquoarticle 3 (art 3) en matiegravere drsquoextradition

81 La violation alleacutegueacutee consisterait agrave exposer M Soering au syndrome du couloir de la mort (death row

phenomenon) On peut deacutecrire celui-ci comme une combinaison de circonstances dans lesquelles lrsquointeacuteresseacute devrait vivre si une fois extradeacute en Virginie pour y reacutepondre drsquoune accusation drsquoassassinats passibles de la peine capitale il se voyait condamner agrave mort

82 [hellip] la Commission rappelle que drsquoapregraves sa jurisprudence une expulsion ou extradition peut soulever un problegraveme au

regard de lrsquoarticle 3 (art 3) de la Convention srsquoil existe des raisons seacuterieuses de croire que la personne en cause subira dans lrsquoEacutetat de destination un traitement contraire agrave ce texte

[hellip]

84 La Cour abordera le problegraveme sur la base des consideacuterations suivantes

[hellip]

86 Lrsquoarticle 1 (art 1) aux termes duquel les Hautes Parties Contractantes reconnaissent agrave toute personne relevant de leur

juridiction les droits et liberteacutes deacutefinis au Titre I fixe une limite notamment territoriale au domaine de la Convention En particulier lrsquoengagement des Eacutetats contractants se borne agrave reconnaicirctre (en anglais to secure) aux personnes relevant de leur juridiction les

droits et liberteacutes eacutenumeacutereacutes En outre la Convention ne reacutegit pas les actes drsquoun Eacutetat tiers ni ne preacutetend exiger des Parties contractantes

qursquoelles imposent ses normes agrave pareil Eacutetat Lrsquoarticle 1 (art 1) ne saurait srsquointerpreacuteter comme consacrant un principe geacuteneacuteral selon

lequel un Eacutetat contractant nonobstant ses obligations en matiegravere drsquoextradition ne peut livrer un individu sans se convaincre que les

conditions escompteacutees dans le pays de destination cadrent pleinement avec chacune des garanties de la Convention En reacutealiteacute le

gouvernement britannique le souligne avec raison en deacuteterminant le champ drsquoapplication de la Convention et speacutecialement de lrsquoarticle 3 (art 3) on ne saurait oublier lrsquoobjectif beacuteneacutefique de lrsquoextradition empecirccher des deacutelinquants en fuite de se soustraire agrave la

justice

[hellip]

87 La Convention doit se lire en fonction de son caractegravere speacutecifique de traiteacute de garantie collective des droits de

lrsquohomme et des liberteacutes fondamentales (hellip) Lrsquoobjet et le but de cet instrument de protection des ecirctres humains appellent agrave comprendre

et appliquer ses dispositions drsquoune maniegravere qui en rende les exigences concregravetes et effectives (hellip) En outre toute interpreacutetation des droits et liberteacutes eacutenumeacutereacutes doit se concilier avec lrsquoesprit geacuteneacuteral [de la Convention] destineacutee agrave sauvegarder et promouvoir les ideacuteaux

et valeurs drsquoune socieacuteteacute deacutemocratique (hellip)

88 Lrsquoarticle 3 (art 3) ne meacutenage aucune exception et lrsquoarticle 15 (art 15) ne permet pas drsquoy deacuteroger en temps de guerre ou autre danger national Cette prohibition absolue par la Convention de la torture et des peines ou traitements inhumains ou

deacutegradants montre que lrsquoarticle 3 (art 3) consacre lrsquoune des valeurs fondamentales des socieacuteteacutes deacutemocratiques qui forment le Conseil

de lrsquoEurope

Reste agrave savoir si lrsquoextradition drsquoun fugitif vers un autre Eacutetat ougrave il subira ou risquera de subir la torture ou des peines ou

traitements inhumains ou deacutegradants engage par elle-mecircme la responsabiliteacute drsquoun Eacutetat contractant sur le terrain de lrsquoarticle 3 (art

3)(hellip) Un Eacutetat contractant se conduirait drsquoune maniegravere incompatible avec les valeurs sous-jacentes agrave la Convention ce patrimoine commun drsquoideacuteal et de traditions politiques de respect de la liberteacute et de preacuteeacuteminence du droit auquel se reacutefegravere le Preacuteambule srsquoil

remettait consciemment un fugitif - pour odieux que puisse ecirctre le crime reprocheacute - agrave un autre Eacutetat ougrave il existe des motifs seacuterieux de penser qursquoun danger de torture menace lrsquointeacuteresseacute Malgreacute lrsquoabsence de mention expresse dans le texte bref et geacuteneacuteral de lrsquoarticle 3

(art 3) pareille extradition irait manifestement agrave lrsquoencontre de lrsquoesprit de ce dernier aux yeux de la Cour lrsquoobligation implicite de ne

1415

pas extrader srsquoeacutetend aussi au cas ougrave le fugitif risquerait de subir dans lrsquoEacutetat de destination des peines ou traitements inhumains ou

deacutegradants proscrits par ledit article (art 3)

89 Ce qui constitue des peines ou traitements inhumains ou deacutegradants deacutepend de lrsquoensemble des circonstances de la

cause [hellip]

90 En principe il nrsquoappartient pas aux organes de la Convention de statuer sur lrsquoexistence ou lrsquoabsence de violations virtuelles de celle-ci Une deacuterogation agrave la regravegle geacuteneacuterale srsquoimpose pourtant si un fugitif allegravegue que la deacutecision de lrsquoextrader

enfreindrait lrsquoarticle 3 (art 3) au cas ougrave elle recevrait exeacutecution en raison des conseacutequences agrave en attendre dans le pays de destination

il y va de lrsquoefficaciteacute de la garantie assureacutee par ce texte vu la graviteacute et le caractegravere irreacuteparable de la souffrance preacutetendument risqueacutee (paragraphe 87 ci-dessus)

[hellip]

B Application de lrsquoarticle 3 (art 3) dans les circonstances de la cause

92 La proceacutedure drsquoextradition ouverte au Royaume-Uni contre le requeacuterant a pris fin avec la signature par le ministre

drsquoun arrecircteacute qui ordonnait la remise aux autoriteacutes ameacutericaines (hellip) quoique non encore exeacutecuteacutee cette deacutecision atteint de plein fouet

lrsquointeacuteresseacute Il faut donc rechercher agrave la lumiegravere des principes eacutenonceacutes plus haut si les conseacutequences preacutevisibles drsquoun renvoi de M

Soering aux Eacutetats-Unis sont de nature agrave faire jouer lrsquoarticle 3 (art 3)

98[hellip] Quoi qursquoil en soit selon le droit et la pratique de Virginie (hellip) et nonobstant le contexte diplomatique des relations

anglo-ameacutericaines en matiegravere drsquoextradition on ne peut dire objectivement que lrsquoengagement de signaler au juge au moment de la fixation de la peine les voeux du Royaume-Uni eacutecarte le danger drsquoune sentence capitale Dans le libre exercice de son pouvoir

drsquoappreacuteciation lrsquoAttorney de lrsquoEacutetat a deacutecideacute lui-mecircme de requeacuterir et persister agrave requeacuterir la peine capitale parce que le dossier lui

semble le commander (paragraphe 20 in fine ci-dessus) Si lrsquoautoriteacute nationale chargeacutee des poursuites adopte une attitude aussi ferme la Cour ne saurait guegravere conclure agrave lrsquoabsence de motifs seacuterieux de croire que M Soering court un risque reacuteel drsquoecirctre condamneacute agrave mort

donc de subir le syndrome du couloir de la mort

99 Partant la perspective de voir lrsquointeacuteresseacute exposeacute agrave ce syndrome comme il le redoute se reacutevegravele telle que lrsquoarticle 3 (art 3) entre en jeu

2 Sur le point de savoir si le risque drsquoexposer le requeacuterant au syndrome du couloir de la mort rendrait lrsquoextradition

contraire agrave lrsquoarticle 3 (art 3)

a) Consideacuterations geacuteneacuterales

100 Drsquoapregraves la jurisprudence de la Cour un mauvais traitement y compris une peine doit atteindre un minimum de graviteacute pour tomber sous le coup de lrsquoarticle 3 (art 3) Lrsquoappreacuteciation de ce minimum est relative par essence elle deacutepend de

lrsquoensemble des donneacutees de la cause et notamment de la nature et du contexte du traitement ou de la peine ainsi que de ses modaliteacutes

drsquoexeacutecution de sa dureacutee de ses effets physiques ou mentaux ainsi que parfois du sexe de lrsquoacircge et de lrsquoeacutetat de santeacute de la victime

La Cour a estimeacute un certain traitement agrave la fois inhumain pour avoir eacuteteacute appliqueacute avec preacutemeacuteditation pendant des heures

et avoir causeacute sinon de veacuteritables leacutesions du moins de vives souffrances physiques et morales et deacutegradant parce que de nature agrave

creacuteer [en ses victimes] des sentiments de peur drsquoangoisse et drsquoinfeacuterioriteacute propres agrave les humilier agrave les avilir et agrave briser eacuteventuellement leur reacutesistance physique ou morale (hellip) Pour qursquoune peine ou le traitement dont elle srsquoaccompagne soient inhumains ou

deacutegradants la souffrance ou lrsquohumiliation doivent en tout cas aller au-delagrave de celles que comporte ineacutevitablement une forme donneacutee

de peine leacutegitime (hellip ) En la matiegravere il eacutechet de tenir compte non seulement de la souffrance physique mais aussi en cas de long deacutelai avant lrsquoexeacutecution de la peine de lrsquoangoisse morale eacuteprouveacutee par le condamneacute dans lrsquoattente des violences qursquoon se preacutepare agrave lui

infliger

[hellip]

b) Les circonstances de la cause

i Dureacutee de la deacutetention avant lrsquoexeacutecution

[hellip]

106 [hellip] Un certain laps de temps doit forceacutement srsquoeacutecouler entre le prononceacute de la peine et son exeacutecution si lrsquoon veut

fournir au condamneacute des garanties de recours mais de mecircme il entre dans la nature humaine que lrsquointeacuteresseacute srsquoaccroche agrave lrsquoexistence

en les exploitant au maximum Si bien intentionneacute soit-il voire potentiellement beacuteneacutefique le systegraveme virginien de proceacutedures posteacuterieures agrave la sentence aboutit agrave obliger le condamneacute deacutetenu agrave subir pendant des anneacutees les conditions du couloir de la mort

lrsquoangoisse et la tension grandissante de vivre dans lrsquoombre omnipreacutesente de la mort

ii Situation dans le couloir de la mort

[hellip]

109 [hellip] Bien que la Cour nrsquoait pas agrave preacutejuger de la responsabiliteacute peacutenale et de la peine approprieacutee la jeunesse du

requeacuterant agrave lrsquoeacutepoque de lrsquoinfraction et sa condition mentale drsquoalors illustreacutees par le dossier psychiatrique existant figurent donc parmi les donneacutees qui tendent en lrsquoespegravece agrave faire relever de lrsquoarticle 3 (art 3) le traitement agrave subir dans le couloir de la mort

[hellip]

c) Conclusion

111 [hellip] Eu eacutegard cependant agrave la tregraves longue peacuteriode agrave passer dans le couloir de la mort dans des conditions aussi

extrecircmes avec lrsquoangoisse omnipreacutesente et croissante de lrsquoexeacutecution de la peine capitale et agrave la situation personnelle du requeacuterant en

particulier son acircge et son eacutetat mental agrave lrsquoeacutepoque de lrsquoinfraction une extradition vers les Eacutetats-Unis exposerait lrsquointeacuteresseacute agrave un risque reacuteel de traitement deacutepassant le seuil fixeacute par lrsquoarticle 3 (art 3) Lrsquoexistence en lrsquoespegravece drsquoun autre moyen drsquoatteindre le but leacutegitime

1515

de lrsquoextradition sans entraicircner pour autant des souffrances drsquoune intensiteacute ou dureacutee aussi exceptionnelles repreacutesente une consideacuteration

pertinente suppleacutementaire

En conclusion la deacutecision ministeacuterielle de livrer le requeacuterant aux Eacutetats-Unis violerait lrsquoarticle 3 (art 3) si elle recevait

exeacutecution

[hellip]

PAR CES MOTIFS LA COUR A LrsquoUNANIMITE

1 Dit qursquoil y aurait violation de lrsquoarticle 3 (art 3) si la deacutecision ministeacuterielle drsquoextrader le requeacuterant vers les Eacutetats-Unis drsquoAmeacuterique

recevait exeacutecution

Page 9: Dedh 2014 - Fiche 2

915

II Le champ drsquoapplication temporel de la Convention europeacuteenne

Document ndeg4 CEDH Janowiec cRussie 21102013 extraits

136 A la suite de lrsquoarrecirct Šilih les principes reacutegissant la compeacutetence temporelle de la Cour srsquoagissant de lrsquoobligation laquo deacutetachable raquo deacutecoulant de lrsquoarticle 2 de la Convention drsquoenquecircter sur le deacutecegraves drsquoune personne ont eacuteteacute appliqueacutes dans un grand nombre drsquoaffaires

137 La masse de celles-ci peut ecirctre reacutepartie en diffeacuterents groupes dont le plus important est constitueacute drsquoaffaires dirigeacutees contre la Roumanie dans lesquelles eacutetait alleacutegueacutee lrsquoineffectiviteacute des investigations sur les deacutecegraves de manifestants au cours de la reacutevolution roumaine de deacutecembre 1989 Dans ces affaires la Cour srsquoest deacuteclareacutee compeacutetente pour connaicirctre des griefs au motif que agrave la date de lrsquoentreacutee en vigueur de la Convention agrave lrsquoeacutegard de la Roumanie les proceacutedures eacutetaient toujours en cours devant le parquet (Association laquo 21 Deacutecembre 1989 raquo et autres c Roumanie nos 3381007 et 1881708 24 mai 2011 Pastor et Ţiclete c Roumanie nos 3091106 et 4096706 19 avril 2011 Lăpuşan et autres c Roumanie nos 2900706 3055206 3132306 3192006 3448506 3896006 3899606 3902706 et 3906706 8 mars 2011 Şandru et autres c Roumanie no 2246503 8 deacutecembre 2009 et Agache et autres c Roumanie no 271202 20 octobre 2009) Elle a statueacute de maniegravere analogue dans deux affaires posteacuterieures qui avaient pour objet des incidents violents survenus en juin 1990 (Mocanu et autres c Roumanie nos 1086509 4588607 et 3243108 13 novembre 2012) et en septembre 1991 (Crăiniceanu et Frumuşanu c Roumanie no 1244204 24 avril 2012)

138 Dans drsquoautres affaires reacutecentes ndash agrave lrsquoexception de lrsquoaffaire Tuna c Turquie qui avait pour origine un deacutecegraves en garde agrave vue survenu environ sept ans avant la reconnaissance par la Turquie du droit de recours individuel (Tuna c Turquie no 2233903 sectsect 57-63 19 janvier 2010) ndash ougrave il nrsquoeacutetait pas alleacutegueacute que le deacutecegraves en question eacutetait la conseacutequence de quelconques actes drsquoagents de lrsquoEtat le deacutecegraves preacuteceacutedait de un agrave quatre ans la date drsquoentreacutee en vigueur et une part importante de la proceacutedure avait eacuteteacute conduite apregraves cette date (Kudra c Croatie no 1390407 sectsect 110-112 18 deacutecembre 2012 quatre ans deacutecegraves accidentel causeacute par la neacutegligence drsquoune socieacuteteacute priveacutee Igor Shevchenko c Ukraine no2273704 sectsect 45-48 12 janvier 2012 trois ans accident de la circulation Bajić c Croatie no 4110810 sect 62 13 novembre 2012 quatre ans erreur meacutedicale Dimovi c Bulgarie no 5274407 sectsect 36-45 6 novembre 2012 trois ans deacutecegraves causeacute par un incendie Velcea et Mazăre c Roumanie no 6430101 sectsect 85-88 1er deacutecembre 2009 un an dispute familiale Trufin c Roumanie no 399004 sectsect 32-34 20 octobre 2009 deux ans meurtre et Lyubov Efimenko c Ukraine no 7572601 sect 65 25 novembre 2010 quatre ans vol agrave main armeacutee et meurtre) Dans deux affaires le fait que des insurgeacutes ou des formations paramilitaires eussent tueacute les proches des requeacuterants sept et six ans respectivement avant la date critique nrsquoa pas empecirccheacute la Cour de connaicirctre du fond du grief souleveacute sous lrsquoangle du volet proceacutedural de lrsquoarticle 2 (Paccedilacı et autres c Turquie no 306407 sectsect 64-66 8novembre 2011 et Jularić c Croatie no 2010606 sectsect 38 et 45-46 20 janvier 2011) La peacuteriode de treize ans ayant seacutepareacute le deacutecegraves du fils du requeacuterant dans une bagarre et lrsquoentreacutee en vigueur de la Convention agrave lrsquoeacutegard de la Serbie nrsquoa pas non plus eacuteteacute consideacutereacutee comme primant lrsquoimportance des actes de proceacutedure accomplis apregraves la date critique (Mladenović c Serbie no 109908 sectsect 38-40 22 mai 2012)

139 La Cour a eacutegalement statueacute sur un certain nombre drsquoaffaires dans lesquelles le requeacuterant disait avoir eacuteteacute victime drsquoun traitement prohibeacute par lrsquoarticle 3 de la Convention agrave un moment donneacute avant la date critique Elle a conclu qursquoelle avait compeacutetence pour veacuterifier le respect par lrsquoEtat deacutefendeur ndash pendant la peacuteriode posteacuterieure agrave lrsquoentreacutee en vigueur ndash de lrsquoarticle 3 sous son volet proceacutedural qui lui imposait de conduire une enquecircte effective respectivement dans un cas de brutaliteacutes policiegraveres (Yatsenko c Ukraine no 7534501 sect 40 16 feacutevrier 2012 et Stanimirović c Serbie no 2608806 sectsect 28-29 18 octobre 2011) dans un cas de viol (PM c Bulgarie no 4966907 sect 58 24 janvier 2012) et dans un cas de mauvais traitements infligeacutes par un particulier (Otašević c Serbie no 3219807 5 feacutevrier 2013)

3 Clarification des critegraveres eacutelaboreacutes dans lrsquoarrecirct Šilih

140 Malgreacute le nombre toujours croissant drsquoarrecircts dans lesquels la Cour statue sur sa compeacutetence ratione temporis en se fondant sur les critegraveres adopteacutes dans lrsquoarrecirct Šilih lrsquoapplication en pratique de ces derniers est parfois source drsquoincertitudes Une clarification est donc souhaitable

141 Les critegraveres exposeacutes aux paragraphes 162 et 163 de lrsquoarrecirct Šilih (repris au paragraphe 133 ci-dessus) peuvent se reacutesumer comme suit Premiegraverement dans le cas drsquoun deacutecegraves survenu avant la date critique seuls les actes et omissions de nature proceacutedurale posteacuterieurs agrave cette date relegravevent de la compeacutetence temporelle de la Cour Deuxiegravemement pour que lrsquoobligation proceacutedurale entre en jeu il doit exister un laquo lien veacuteritable raquo entre le deacutecegraves en tant que fait geacuteneacuterateur et lrsquoentreacutee en vigueur de la Convention Troisiegravemement un lien qui ne serait pas laquo veacuteritable raquo peut neacuteanmoins suffire agrave eacutetablir la compeacutetence de la Cour si sa prise en compte est neacutecessaire pour permettre de veacuterifier que les garanties offertes par la Convention et les valeurs qui la sous-tendent sont proteacutegeacutees de maniegravere reacuteelle et effective La Cour examinera tour agrave tour chacun de ces eacuteleacutements

a) Actes et omissions de nature proceacutedurale posteacuterieurs agrave lrsquoentreacutee en vigueur de la Convention

142 La Cour rappelle drsquoembleacutee que lrsquoenquecircte que requiert lrsquoarticle 2 sous son volet proceacutedural ne constitue pas un mode de redressement drsquoune violation alleacutegueacutee du droit agrave la vie qui a pu survenir avant la date critique La violation alleacutegueacutee de lrsquoobligation proceacutedurale a pour origine lrsquoabsence drsquoenquecircte effective lrsquoobligation proceacutedurale a son propre champ drsquoapplication et peut jouer indeacutependamment de lrsquoobligation mateacuterielle de lrsquoarticle 2 (arrecircts Varnava et autres sect 136 et Šilih sect 159 preacuteciteacutes) Degraves lors la compeacutetence temporelle de la Cour englobe les actes et omissions de nature proceacutedurale qui sont survenus ou auraient ducirc survenir apregraves lrsquoentreacutee en vigueur de la Convention agrave lrsquoeacutegard de lrsquoEtat deacutefendeur

143 La Cour considegravere en outre que par laquo actes de nature proceacutedurale raquo il faut entendre les actes inheacuterents agrave lrsquoobligation proceacutedurale deacutecoulant de lrsquoarticle 2 ou le cas eacutecheacuteant de lrsquoarticle 3 de la Convention crsquoest-agrave-dire les actes pris dans le cadre drsquoune proceacutedure peacutenale civile administrative ou disciplinaire susceptible de mener agrave lrsquoidentification et agrave la punition des responsables ou agrave lrsquoindemnisation de la partie leacuteseacutee (Labita c Italie [GC] no 2677295 sect 131 CEDH 2000-IV et McCann et autres c Royaume-Uni 27 septembre 1995 sect 161 seacuterie A no 324) Cette deacutefinition a pour effet drsquoexclure les autres types de deacutemarches pouvant ecirctre entreprises agrave drsquoautres fins par exemple pour eacutetablir une veacuteriteacute historique

1015

144 Les laquo omissions raquo visent les cas ougrave il nrsquoy a eu aucune enquecircte et ceux ougrave seuls des actes de proceacutedure insignifiants ont eacuteteacute effectueacutes mais ougrave il est alleacutegueacute qursquoune enquecircte effective aurait ducirc ecirctre meneacutee Degraves lors que se preacutesente une alleacutegation un moyen de preuve ou un eacuteleacutement drsquoinformation plausible et creacutedible qui pourrait permettre drsquoidentifier et au bout du compte drsquoinculper ou de punir les responsables les autoriteacutes sont tenues de prendre des mesures drsquoenquecircte (Gutieacuterrez Dorado et Dorado Ortiz c Espagne (deacutec) no 3014109 sectsect 39-41 27 mars 2012 Ccedilakir et autres c Chypre (deacutec) no 786406 29 avril 2010 et Brecknell preacuteciteacute sectsect 66-72) Si vient agrave surgir posteacuterieurement agrave lrsquoentreacutee en vigueur un eacuteleacutement nouveau suffisamment important et deacuteterminant pour justifier lrsquoouverture drsquoune nouvelle instance la Cour devra srsquoassurer que lrsquoEtat deacutefendeur srsquoest acquitteacute de lrsquoobligation proceacutedurale que lui impose lrsquoarticle 2 drsquoune maniegravere compatible avec les principes eacutenonceacutes dans sa jurisprudence Toutefois si le fait geacuteneacuterateur eacutechappe agrave la compeacutetence temporelle de la Cour la deacutecouverte drsquoeacuteleacutements nouveaux apregraves la date critique ne pourra faire renaicirctre lrsquoobligation drsquoenquecircter que si le critegravere du laquo lien veacuteritable raquo ou celui des laquo valeurs de la Convention raquo (voir ci-dessous) a eacuteteacute satisfait

b) Le critegravere du laquo lien veacuteritable raquo

145 La premiegravere phrase du paragraphe 163 de lrsquoarrecirct Šilih pose que lrsquoexistence drsquoun laquo lien veacuteritable raquo entre le fait geacuteneacuterateur et lrsquoentreacutee en vigueur de la Convention agrave lrsquoeacutegard de lrsquoEtat deacutefendeur est une condition sine qua non pour que lrsquoobligation proceacutedurale deacutecoulant de lrsquoarticle 2 de la Convention devienne applicable

146 La Cour considegravere que lrsquoeacuteleacutement temporel est le premier et le plus important des indicateurs lorsqursquoil srsquoagit drsquoeacutetablir le caractegravere laquo veacuteritable raquo du lien A lrsquoinstar de la chambre dans son arrecirct elle ajoute que pour qursquoil y ait un laquo lien veacuteritable raquo le laps de temps eacutecouleacute entre le fait geacuteneacuterateur et la date critique doit demeurer relativement bref Bien qursquoil nrsquoexiste en droit aucun critegravere apparent permettant de deacutefinir la limite absolue de ce deacutelai celui-ci ne devrait pas exceacuteder dix ans (voir par analogie Varnava et autres preacuteciteacute sect 166 et Er et autres c Turquie no 2301604 sectsect 59-60 31 juillet 2012) A supposer mecircme que en raison de circonstances exceptionnelles il soit justifieacute de faire remonter ce deacutelai encore plus loin dans le passeacute il faudra qursquoil soit satisfait au critegravere des laquo valeurs de la Convention raquo

147 Toutefois la dureacutee du deacutelai qui seacutepare le fait geacuteneacuterateur de la date critique nrsquoest pas deacutecisive en elle-mecircme pour deacuteterminer si le lien est laquo veacuteritable raquo Comme lrsquoindique la deuxiegraveme phrase du paragraphe 163 de lrsquoarrecirct Šilih le lien sera eacutetabli si lrsquoessentiel de lrsquoenquecircte sur le deacutecegraves a eu lieu ou aurait ducirc avoir lieu posteacuterieurement agrave lrsquoentreacutee en vigueur de la Convention Cela englobe la conduite drsquoune proceacutedure visant agrave eacutetablir la cause du deacutecegraves et agrave faire reacutepondre les responsables de leurs actes ainsi que lrsquoadoption drsquoune part importante des mesures proceacutedurales essentielles au deacuteroulement de lrsquoenquecircte Il srsquoagit drsquoun corollaire au principe voulant que la Cour nrsquoait compeacutetence qursquoagrave lrsquoeacutegard des actes et omissions de nature proceacutedurale posteacuterieurs agrave la date drsquoentreacutee en vigueur Si toutefois la majeure partie de la proceacutedure ou les mesures proceacutedurales les plus importantes sont anteacuterieures agrave cette date la capaciteacute de la Cour agrave appreacutecier globalement lrsquoeffectiviteacute de lrsquoenquecircte agrave lrsquoaune des exigences proceacutedurales de lrsquoarticle 2 de la Convention peut srsquoen trouver irreacutemeacutediablement amoindrie

148 Eu eacutegard agrave ce qui preacutecegravede la Cour conclut que pour qursquoun laquo lien veacuteritable raquo puisse ecirctre eacutetabli il doit ecirctre satisfait aux deux critegraveres le deacutelai entre le deacutecegraves en tant que fait geacuteneacuterateur et lrsquoentreacutee en vigueur de la Convention doit avoir eacuteteacute relativement bref et la majeure partie de lrsquoenquecircte doit avoir eacuteteacute conduite ou aurait ducirc lrsquoecirctre apregraves lrsquoentreacutee en vigueur

c) Le critegravere des laquo valeurs de la Convention raquo

149 La Cour admet par ailleurs qursquoil peut exister des situations extraordinaires ne satisfaisant pas au critegravere du laquo lien veacuteritable raquo tel qursquoexposeacute ci-dessus mais ougrave la neacutecessiteacute de proteacuteger de maniegravere reacuteelle et effective les garanties offertes par la Convention et les valeurs qui la sous-tendent constitue un fondement suffisant pour reconnaicirctre lrsquoexistence drsquoun lien La derniegravere phrase du paragraphe 163 de lrsquoarrecirct Šilih nrsquoexclut pas cette eacuteventualiteacute qui constituerait alors une exception agrave la regravegle geacuteneacuterale que repreacutesente le critegravere du laquo lien veacuteritable raquo Dans toutes les affaires preacuteciteacutees la Cour a admis lrsquoexistence drsquoun laquo lien veacuteritable raquo parce que le laps de temps eacutecouleacute entre le deacutecegraves et la date critique eacutetait relativement bref et qursquoune part consideacuterable de la proceacutedure avait eacuteteacute conduite apregraves cette date La preacutesente affaire est donc la premiegravere agrave pouvoir relever de cette autre cateacutegorie agrave caractegravere exceptionnel Aussi la Cour doit-elle expliciter les modaliteacutes drsquoapplication du critegravere des laquo valeurs de la Convention raquo

150 A lrsquoinstar de la chambre la Grande Chambre estime que le renvoi aux valeurs qui sous-tendent la Convention signifie que lrsquoexistence du lien requis peut ecirctre constateacutee si le fait geacuteneacuterateur revecirct une dimension plus large qursquoune infraction peacutenale ordinaire et constitue la neacutegation des fondements mecircmes de la Convention Tel serait le cas de graves crimes de droit international tels que les crimes de guerre le geacutenocide ou les crimes contre lrsquohumaniteacute conformeacutement aux deacutefinitions qursquoen donnent les instruments internationaux pertinents

151 Le caractegravere odieux et la graviteacute de pareils crimes ont pousseacute les parties agrave la Convention sur lrsquoimprescriptibiliteacute des crimes de guerre et des crimes contre lrsquohumaniteacute agrave consideacuterer que ces infractions doivent ecirctre imprescriptibles et que les prescriptions qui existeraient en la matiegravere dans leur ordre juridique interne doivent ecirctre abolies La Cour considegravere neacuteanmoins que le critegravere des laquo valeurs de la Convention raquo ne peut pas srsquoappliquer agrave des eacuteveacutenements anteacuterieurs agrave lrsquoadoption de la Convention le 4 novembre 1950 car crsquoest seulement agrave cette date que celle-ci a commenceacute agrave exister en tant qursquoinstrument international de protection des droits de lrsquohomme Degraves lors la responsabiliteacute sur le terrain de la Convention drsquoune Partie agrave celle-ci ne peut pas ecirctre engageacutee pour la non-reacutealisation drsquoune enquecircte sur un crime de droit international fucirct-il le plus abominable si celui-ci est anteacuterieur agrave la Convention Bien qursquoelle soit sensible agrave lrsquoargument selon lequel mecircme aujourdrsquohui certains pays ont reacuteussi agrave juger des responsables de crimes de guerre commis au cours de la Deuxiegraveme Guerre mondiale la Cour souligne la diffeacuterence fondamentale qui existe entre la possibiliteacute de poursuivre une personne pour un grave crime de droit international si les circonstances le permettent et lrsquoobligation de le faire au regard de la Convention

III La theacuteorie des obligations positives

Document ndeg5 CEDH Airey c Irlande 9101979 extraits

1115

24 Selon le Gouvernement la requeacuterante a bien accegraves agrave la High Court puisqursquoil lui est loisible de srsquoadresser agrave elle sans

lrsquoassistance drsquoun homme de loi

La Cour ne considegravere pas cette ressource comme deacutecisive en soi La Convention a pour but de proteacuteger des droits non pas

theacuteoriques ou illusoires mais concrets et effectifs (voir mutatis mutandis lrsquoarrecirct du 23 juillet 1968 en lrsquoaffaire linguistique belge

seacuterie A no 6 p 31 paras 3 in fine et 4 lrsquoarrecirct Golder preacuteciteacute p 18 par 35 in fine lrsquoarrecirct Luedicke Belkacem et Koccedil du 28 novembre 1978 seacuterie A no 29 pp 17-18 par 42 lrsquoarrecirct Marckx du 13 juin 1979 seacuterie A no 31 p 15 par 31) La remarque vaut en

particulier pour le droit drsquoaccegraves aux tribunaux eu eacutegard agrave la place eacuteminente que le droit agrave un procegraves eacutequitable occupe dans une socieacuteteacute

deacutemocratique (cf mutatis mutandis lrsquoarrecirct Delcourt du 17 janvier 1970 seacuterie A no 11 pp 14-15 par 25) Il faut donc rechercher si la comparution devant la High Court sans lrsquoassistance drsquoun conseil serait efficace en ce sens que Mme Airey pourrait preacutesenter ses

arguments de maniegravere adeacutequate et satisfaisante

Gouvernement et Commission ont exposeacute agrave ce sujet des vues contradictoires lors des audiences La Cour estime certain que la requeacuterante se trouverait deacutesavantageacutee si son eacutepoux eacutetait repreacutesenteacute par un homme de loi et elle non En dehors mecircme de cette

hypothegravese elle ne croit pas reacutealiste de penser que lrsquointeacuteresseacutee pourrait deacutefendre utilement sa cause dans un tel litige malgreacute lrsquoaide que

le juge - le Gouvernement le souligne - precircte aux parties agissant en personne

En Irlande un jugement de seacuteparation de corps ne srsquoobtient pas devant un tribunal drsquoarrondissement ougrave la proceacutedure est

relativement simple mais devant la High Court Un speacutecialiste du droit irlandais de la famille M Alan J Shatter voit dans cette

juridiction la moins accessible de toutes en raison non seulement du niveau fort eacuteleveacute des honoraires agrave verser pour srsquoy faire repreacutesenter mais aussi de la complexiteacute de la proceacutedure agrave suivre pour introduire une action en particulier sur requecircte (petition)

comme ici (Family Law in the Republic of Ireland Dublin 1977 p 21)

En outre pareil procegraves indeacutependamment des problegravemes juridiques deacutelicats qursquoil comporte exige la preuve drsquoun adultegravere de pratiques contre nature ou comme en lrsquooccurrence de cruauteacute pour eacutetablir les faits il peu y avoir lieu de recueillir la deacuteposition

drsquoexperts de rechercher des teacutemoins de les citer et de les interroger De surcroicirct les diffeacuterends entre conjoints suscitent souvent une

passion peu compatible avec le degreacute drsquoobjectiviteacute indispensable pour plaider en justice

Pour ces motifs la Cour estime tregraves improbable qursquoune personne dans la situation de Mme Airey (paragraphe 8 ci-dessus)

puisse deacutefendre utilement sa propre cause Les reacuteponses du Gouvernement aux questions de la Cour corroborent cette opinion elles

reacutevegravelent que dans chacune des 255 instances en seacuteparation de corps engageacutees en Irlande de janvier 1972 agrave deacutecembre 1978 sans exception un homme de loi repreacutesentait le demandeur (paragraphe 11 ci-dessus)

La Cour en deacuteduit que la possibiliteacute de comparaicirctre en personne devant la High Court nrsquooffre pas agrave la requeacuterante un droit effectif drsquoaccegraves et partant ne constitue pas non plus un recours interne dont lrsquoarticle 26 (art 26) exige lrsquoeacutepuisement (paragraphe 19 b)

ci-dessus)

25 Le Gouvernement essaie de diffeacuterencier la preacutesente espegravece de lrsquoaffaire Golder Dans cette derniegravere souligne-t-il le requeacuterant avait eacuteteacute empecirccheacute de saisir un tribunal par un obstacle positif dresseacute sur son chemin par lrsquoEacutetat le ministre de lrsquointeacuterieur lui

avait interdit de consulter un avocat Ici au contraire il nrsquoexisterait de la part de lrsquoEacutetat ni obstacle positif ni tentative drsquoentrave le

deacutefaut alleacutegueacute drsquoaccegraves agrave la justice ne deacutecoulerait drsquoaucune initiative des autoriteacutes mais uniquement de la situation personnelle de Mme Airey dont on ne saurait tenir lrsquoIrlande pour responsable sur le terrain de la Convention

Cette dissemblance entre les circonstances des deux causes est indeacuteniable mais la Cour nrsquoapprouve pas la conclusion qursquoen

tire le Gouvernement Tout drsquoabord un obstacle de fait peut enfreindre la Convention agrave lrsquoeacutegal drsquoun obstacle juridique (arrecirct Golder preacuteciteacute p 13 par 26) En outre lrsquoexeacutecution drsquoun engagement assumeacute en vertu de la Convention appelle parfois des mesures positives

de lrsquoEacutetat en pareil cas celui-ci ne saurait se borner agrave demeurer passif et il nrsquoy a () pas lieu de distinguer entre actes et omissions

(voir mutatis mutandis lrsquoarrecirct Marckx preacuteciteacute p 15 par 31 et lrsquoarrecirct De Wilde Ooms et Versyp du 10 mars 1972 seacuterie A no 14 p 10 par 22) Or lrsquoobligation drsquoassurer un droit effectif drsquoaccegraves agrave la justice se range dans cette cateacutegorie drsquoengagements

26 Le Gouvernement appuie son argument principal sur ce qursquoil considegravere comme les conseacutequences de lrsquoavis de la

Commission dans chaque contestation relative agrave un droit de caractegravere civil lrsquoEacutetat devrait fournir une aide judiciaire gratuite Or la

seule clause de la Convention qui reacutegisse expresseacutement cette derniegravere question lrsquoarticle 6 par 3 c) (art 6-3-c) concerne les

proceacutedures peacutenales et srsquoaccompagne elle-mecircme de restrictions au surplus drsquoapregraves la jurisprudence constante de la Commission nul

droit agrave une aide judiciaire gratuite ne se trouve en soi garanti par lrsquoarticle 6 par 1 (art 6-1) En ratifiant la Convention ajoute le Gouvernement lrsquoIrlande a formuleacute une reacuteserve agrave lrsquoarticle 6 par 3 c) (art 6-3-c) pour reacuteduire ses obligations dans le domaine de lrsquoaide

judiciaire en matiegravere peacutenale a fortiori on ne saurait selon lui preacutetendre qursquoelle ait tacitement accepteacute drsquooctroyer une aide judiciaire

illimiteacutee dans les litiges civils Enfin il ne faut pas drsquoapregraves lui interpreacuteter la Convention de maniegravere agrave reacutealiser dans un Eacutetat contractant des progregraves eacuteconomiques et sociaux ils ne peuvent ecirctre que graduels

La Cour nrsquoignore pas que le deacuteveloppement des droits eacuteconomiques et sociaux deacutepend beaucoup de la situation des Eacutetats et

notamment de leurs finances Drsquoun autre cocircteacute la Convention doit se lire agrave la lumiegravere des conditions de vie drsquoaujourdrsquohui (arrecirct Marckx preacuteciteacute p 19 par 41) et agrave lrsquointeacuterieur de son champ drsquoapplication elle tend agrave une protection reacuteelle et concregravete de lrsquoindividu

(paragraphe 24 ci-dessus) Or si elle eacutenonce pour lrsquoessentiel des droits civils et politiques nombre drsquoentre eux ont des prolongements

drsquoordre eacuteconomique ou social Avec la Commission la Cour nrsquoestime donc pas devoir eacutecarter telle ou telle interpreacutetation pour le simple motif qursquoagrave lrsquoadopter on risquerait drsquoempieacuteter sur la sphegravere des droits eacuteconomiques et sociaux nulle cloison eacutetanche ne seacutepare

celle-ci du domaine de la Convention

La Cour ne partage pas davantage lrsquoopinion du Gouvernement sur les conseacutequences de lrsquoavis de la Commission

On aurait tort de geacuteneacuteraliser la conclusion selon laquelle la possibiliteacute de comparaicirctre en personne devant la High Court

nrsquooffre pas agrave Mme Airey un droit effectif drsquoaccegraves elle ne vaut pas pour tous les cas concernant des droits et obligations de caractegravere

civil ni pour tous les inteacuteresseacutes Dans certaines hypothegraveses la faculteacute de se preacutesenter devant une juridiction fucirct-ce sans lrsquoassistance drsquoun conseil reacutepond aux exigences de lrsquoarticle 6 par 1 (art 6-1) il se peut qursquoelle assure parfois un accegraves reacuteel mecircme agrave la High Court

En veacuteriteacute les circonstances jouent ici un rocircle important

En outre lrsquoarticle 6 par 1 (art 6-1) srsquoil garantit aux plaideurs un droit effectif drsquoaccegraves aux tribunaux pour les deacutecisions relatives agrave leurs droits et obligations de caractegravere civil laisse agrave lrsquoEacutetat le choix des moyens agrave employer agrave cette fin Lrsquoinstauration drsquoun

systegraveme drsquoaide judiciaire - envisageacutee agrave preacutesent par lrsquoIrlande pour les affaires ressortissant au droit de la famille (paragraphe 11 ci-

1215

dessus) - en constitue un mais il y en a drsquoautres par exemple une simplification de la proceacutedure Quoi qursquoil en soit il nrsquoappartient pas

agrave la Cour de dicter les mesures agrave prendre ni mecircme de les indiquer la Convention se borne agrave exiger que lrsquoindividu jouisse de son droit effectif drsquoaccegraves agrave la justice selon des modaliteacutes non contraires agrave lrsquoarticle 6 par 1 (art 6-1) (voir mutatis mutandis lrsquoarrecirct Syndicat

national de la police belge du 27 octobre 1975 seacuterie A no 19 p 18 par 39 et lrsquoarrecirct Marckx preacuteciteacute p 15 par 31)

La conclusion figurant agrave la fin du paragraphe 24 ci-dessus nrsquoimplique donc pas que lrsquoEacutetat doive fournir une aide judiciaire gratuite dans toute contestation touchant un droit de caractegravere civil

Affirmer lrsquoexistence drsquoune obligation aussi eacutetendue la Cour lrsquoadmet se concilierait mal avec la circonstance que la

Convention ne renferme aucune clause sur lrsquoaide judiciaire pour ces derniegraveres contestations son article 6 par 3 c) (art 6-3-c) ne traitant que de la matiegravere peacutenale Cependant malgreacute lrsquoabsence drsquoun texte analogue pour les procegraves civils lrsquoarticle 6 par 1 (art 6-1)

peut parfois astreindre lrsquoEacutetat agrave pourvoir agrave lrsquoassistance drsquoun membre du barreau quand elle se reacutevegravele indispensable agrave un accegraves effectif

au juge soit parce que la loi prescrit la repreacutesentation par un avocat comme la leacutegislation nationale de certains Eacutetats contractants le fait pour diverses cateacutegories de litiges soit en raison de la complexiteacute de la proceacutedure ou de la cause

Quant agrave la reacuteserve irlandaise agrave lrsquoarticle 6 par 3 c) (art 6-3-c) on ne saurait lrsquointerpreacuteter de telle sorte qursquoelle influerait sur

les engagements reacutesultant de lrsquoarticle 6 par 1 (art 6-1) partant elle nrsquoentre pas ici en ligne de compte

28 La Cour constate ainsi agrave la lumiegravere de lrsquoensemble des circonstances de la cause que Mme Airey nrsquoa pas beacuteneacuteficieacute drsquoun

droit drsquoaccegraves effectif agrave la High Court pour demander un jugement de seacuteparation de corps Partant il y a eu violation de lrsquoarticle 6 par

1 (art 6-1)

32 Aux yeux de la Cour Mme Airey ne saurait passer pour avoir subi de la part de lrsquoIrlande une ingeacuterence dans sa vie

priveacutee ou familiale elle se plaint en substance non drsquoun acte mais de lrsquoinaction de lrsquoEacutetat Toutefois si lrsquoarticle 8 (art 8) a

essentiellement pour objet de preacutemunir lrsquoindividu contre des ingeacuterences arbitraires des pouvoirs publics il ne se contente pas drsquoastreindre lrsquoEacutetat agrave srsquoabstenir de pareilles ingeacuterences agrave cet engagement plutocirct neacutegatif peuvent srsquoajouter des obligations positives

inheacuterentes agrave un respect effectif de la vie priveacutee ou familiale (arrecirct Marckx preacuteciteacute p 15 par 31)

33 Le droit irlandais regravegle cette derniegravere sous beaucoup drsquoaspects Au sujet de mariage il prescrit en principe aux eacutepoux de cohabiter mais il leur accorde dans certains cas le droit de demander un jugement de seacuteparation de corps Par lagrave mecircme il reconnaicirct

que la protection de leur vie priveacutee ou familiale exige parfois de les relever de ce devoir

Un respect effectif de la vie priveacutee ou familiale impose agrave lrsquoIrlande de rendre ce moyen effectivement accessible quand il y a lieu agrave quiconque deacutesire lrsquoemployer Or la requeacuterante nrsquoy a pas eu effectivement accegraves nrsquoayant pas eacuteteacute mise en mesure de saisir la

High Court (paragraphes 20 agrave 28 ci-dessus) elle nrsquoa pu reacuteclamer la conseacutecration juridique de sa seacuteparation de fait drsquoavec son mari Elle a donc eacuteteacute victime drsquoune violation de lrsquoarticle 8 (art 8)

Document ndeg 6 CEDH Lopez Ostra c Espagne 9 Deacutecembre 1994 extraits

51 Il va pourtant de soi que des atteintes graves agrave lrsquoenvironnement peuvent affecter le bien-ecirctre drsquoune personne et la priver

de la jouissance de son domicile de maniegravere agrave nuire agrave sa vie priveacutee et familiale sans pour autant mettre en grave danger la santeacute de lrsquointeacuteresseacutee

Que lrsquoon aborde la question sous lrsquoangle drsquoune obligation positive de lrsquoEtat - adopter des mesures raisonnables et adeacutequates

pour proteacuteger les droits de lrsquoindividu en vertu du paragraphe 1 de lrsquoarticle 8 (art 8-1) - comme le souhaite dans son cas la requeacuterante ou sous celui drsquoune ingeacuterence drsquoune autoriteacute publique agrave justifier selon le paragraphe 2 (art 8-2) les principes applicables sont assez

voisins Dans les deux cas il faut avoir eacutegard au juste eacutequilibre agrave meacutenager entre les inteacuterecircts concurrents de lrsquoindividu et de la socieacuteteacute

dans son ensemble lrsquoEtat jouissant en toute hypothegravese drsquoune certaine marge drsquoappreacuteciation En outre mecircme pour les obligations positives reacutesultant du paragraphe 1 (art 8-1) les objectifs eacutenumeacutereacutes au paragraphe 2 (art 8-2) peuvent jouer un certain rocircle dans la

recherche de lrsquoeacutequilibre voulu (voir notamment les arrecircts Rees c Royaume-Uni du 17 octobre 1986 seacuterie A no 106 p 15 par 37 et

Powell et Rayner c Royaume-Uni du 21 feacutevrier 1990 seacuterie A no 172 p 18 par 41)

52 Il ressort du dossier que la station drsquoeacutepuration litigieuse fut construite en juillet 1988 par SACURSA pour reacutesoudre un

grave problegraveme de pollution existant agrave Lorca agrave cause de la concentration de tanneries Or degraves son entreacutee en service elle provoqua des

nuisances et troubles de santeacute chez de nombreux habitants (paragraphes 7 et 8 ci-dessus)

Certes les autoriteacutes espagnoles et notamment la municipaliteacute de Lorca nrsquoeacutetaient pas en principe directement responsables

des eacutemanations dont il srsquoagit Toutefois comme le signale la Commission la ville permit lrsquoinstallation de la station sur des terrains lui

appartenant et lrsquoEtat octroya une subvention pour sa construction (paragraphe 7 ci-dessus)

53 Le conseil municipal reacuteagit avec ceacuteleacuteriteacute en relogeant gratuitement au centre ville pendant les mois de juillet aoucirct et

septembre 1988 les reacutesidents affecteacutes puis en closant lrsquoune des activiteacutes de la station agrave partir du 9 septembre (paragraphes 8 et 9 ci-

dessus) Cependant ses membres ne pouvaient ignorer que les problegravemes drsquoenvironnement persistegraverent apregraves cette clocircture partielle (paragraphes 9 et 11 ci-dessus) Cela fut drsquoailleurs corroboreacute degraves le 19 janvier 1989 par le rapport de lrsquoAgence reacutegionale pour

lrsquoenvironnement et la nature puis confirmeacute par des expertises en 1991 1992 et 1993 (paragraphes 11 et 18 ci-dessus)

54 Drsquoapregraves Mme Loacutepez Ostra les pouvoirs geacuteneacuteraux de police attribueacutes agrave la municipaliteacute par le regraveglement de 1961 obligeaient ladite municipaliteacute agrave agir En outre la station ne reacuteunissait pas les conditions requises par la loi notamment en ce qui

concernait son emplacement et lrsquoabsence de permis municipal (paragraphes 8 27 et 28 ci-dessus)

55 Sur ce point la Cour rappelle que la question de la leacutegaliteacute de lrsquoinstallation et du fonctionnement de la station demeure pendante devant le Tribunal suprecircme depuis 1991 (paragraphe 16 ci-dessus) Or drsquoapregraves sa jurisprudence constante il incombe au

premier chef aux autoriteacutes nationales et speacutecialement aux cours et tribunaux drsquointerpreacuteter et drsquoappliquer le droit interne (voir entre autres lrsquoarrecirct Casado Coca c Espagne du 24 feacutevrier 1994 seacuterie A no 285-A p 18 par 43)

De toute maniegravere la Cour estime qursquoen lrsquooccurrence il lui suffit de rechercher si agrave supposer mecircme que la municipaliteacute se

soit acquitteacutee des tacircches qui lui revenaient drsquoapregraves le droit interne (paragraphes 27-28 ci-dessus) les autoriteacutes nationales ont pris les mesures neacutecessaires pour proteacuteger le droit de la requeacuterante au respect de son domicile ainsi que de sa vie priveacutee et familiale garanti par

lrsquoarticle 8 (art 8) (voir entre autres mutatis mutandis lrsquoarrecirct X et Y c Pays-Bas du 26 mars 1985 seacuterie A no 91 p 11 par 23)

1315

56 Il eacutechet de constater que non seulement la municipaliteacute nrsquoa pas pris apregraves le 9 septembre 1988 des mesures agrave cette fin

mais aussi qursquoelle a contrecarreacute des deacutecisions judiciaires allant dans ce sens Ainsi dans la proceacutedure ordinaire entameacutee par les belles-soeurs de Mme Loacutepez Ostra elle a interjeteacute appel contre la deacutecision du Tribunal supeacuterieur de Murcie du 18 septembre 1991 ordonnant

la fermeture provisoire de la station de sorte que cette mesure resta en suspens (paragraphe 16 ci-dessus)

Drsquoautres organes de lrsquoEtat ont aussi contribueacute agrave prolonger la situation Ainsi le ministegravere public attaqua le 19 novembre 1991 la deacutecision de fermeture provisoire prise par le juge drsquoinstruction de Lorca le 15 dans le cadre des poursuites pour deacutelit

eacutecologique (paragraphe 17 ci-dessus) si bien que la mesure est resteacutee inexeacutecuteacutee jusqursquoau 27 octobre 1993 (paragraphe 22 ci-dessus)

57 Le Gouvernement rappelle que la ville a assumeacute les frais de location drsquoun appartement au centre de Lorca que la requeacuterante et sa famille ont occupeacute du 1er feacutevrier 1992 jusqursquoen feacutevrier 1993 (paragraphe 21 ci-dessus)

La Cour note cependant que les inteacuteresseacutes ont ducirc subir pendant plus de trois ans les nuisances causeacutees par la station avant

de deacutemeacutenager avec les inconveacutenients que cela comporte Ils ne lrsquoont fait que lorsqursquoil apparut que la situation pouvait se prolonger indeacutefiniment et sur prescription du peacutediatre de la fille de Mme Loacutepez Ostra (paragraphes 16 17 et 19 ci-dessus) Dans ces conditions

lrsquooffre de la municipaliteacute ne pouvait pas effacer complegravetement les nuisances et inconveacutenients veacutecus

58 Compte tenu de ce qui preacutecegravede - et malgreacute la marge drsquoappreacuteciation reconnue agrave lrsquoEtat deacutefendeur - la Cour estime que

celui-ci nrsquoa pas su meacutenager un juste eacutequilibre entre lrsquointeacuterecirct du bien-ecirctre eacuteconomique de la ville de Lorca - celui de disposer drsquoune

station drsquoeacutepuration - et la jouissance effective par la requeacuterante du droit au respect de son domicile et de sa vie priveacutee et familiale

Il y a donc eu violation de lrsquoarticle 8 (art 8)

Document ndeg7 Soering c Royaume-Uni 07071989 extraits

I SUR LA VIOLATION ALLEacuteGUEacuteE DE LrsquoARTICLE 3 (art 3)

80 Selon le requeacuterant la deacutecision du ministre de lrsquoInteacuterieur de le livrer aux autoriteacutes des Eacutetats-Unis drsquoAmeacuterique entraicircnera si elle reccediloit exeacutecution un manquement du Royaume-Uni aux exigences de lrsquoarticle 3 (art 3) de la Convention ainsi

libelleacute

Nul ne peut ecirctre soumis agrave la torture ni agrave des peines ou traitements inhumains ou deacutegradants

A Applicabiliteacute de lrsquoarticle 3 (art 3) en matiegravere drsquoextradition

81 La violation alleacutegueacutee consisterait agrave exposer M Soering au syndrome du couloir de la mort (death row

phenomenon) On peut deacutecrire celui-ci comme une combinaison de circonstances dans lesquelles lrsquointeacuteresseacute devrait vivre si une fois extradeacute en Virginie pour y reacutepondre drsquoune accusation drsquoassassinats passibles de la peine capitale il se voyait condamner agrave mort

82 [hellip] la Commission rappelle que drsquoapregraves sa jurisprudence une expulsion ou extradition peut soulever un problegraveme au

regard de lrsquoarticle 3 (art 3) de la Convention srsquoil existe des raisons seacuterieuses de croire que la personne en cause subira dans lrsquoEacutetat de destination un traitement contraire agrave ce texte

[hellip]

84 La Cour abordera le problegraveme sur la base des consideacuterations suivantes

[hellip]

86 Lrsquoarticle 1 (art 1) aux termes duquel les Hautes Parties Contractantes reconnaissent agrave toute personne relevant de leur

juridiction les droits et liberteacutes deacutefinis au Titre I fixe une limite notamment territoriale au domaine de la Convention En particulier lrsquoengagement des Eacutetats contractants se borne agrave reconnaicirctre (en anglais to secure) aux personnes relevant de leur juridiction les

droits et liberteacutes eacutenumeacutereacutes En outre la Convention ne reacutegit pas les actes drsquoun Eacutetat tiers ni ne preacutetend exiger des Parties contractantes

qursquoelles imposent ses normes agrave pareil Eacutetat Lrsquoarticle 1 (art 1) ne saurait srsquointerpreacuteter comme consacrant un principe geacuteneacuteral selon

lequel un Eacutetat contractant nonobstant ses obligations en matiegravere drsquoextradition ne peut livrer un individu sans se convaincre que les

conditions escompteacutees dans le pays de destination cadrent pleinement avec chacune des garanties de la Convention En reacutealiteacute le

gouvernement britannique le souligne avec raison en deacuteterminant le champ drsquoapplication de la Convention et speacutecialement de lrsquoarticle 3 (art 3) on ne saurait oublier lrsquoobjectif beacuteneacutefique de lrsquoextradition empecirccher des deacutelinquants en fuite de se soustraire agrave la

justice

[hellip]

87 La Convention doit se lire en fonction de son caractegravere speacutecifique de traiteacute de garantie collective des droits de

lrsquohomme et des liberteacutes fondamentales (hellip) Lrsquoobjet et le but de cet instrument de protection des ecirctres humains appellent agrave comprendre

et appliquer ses dispositions drsquoune maniegravere qui en rende les exigences concregravetes et effectives (hellip) En outre toute interpreacutetation des droits et liberteacutes eacutenumeacutereacutes doit se concilier avec lrsquoesprit geacuteneacuteral [de la Convention] destineacutee agrave sauvegarder et promouvoir les ideacuteaux

et valeurs drsquoune socieacuteteacute deacutemocratique (hellip)

88 Lrsquoarticle 3 (art 3) ne meacutenage aucune exception et lrsquoarticle 15 (art 15) ne permet pas drsquoy deacuteroger en temps de guerre ou autre danger national Cette prohibition absolue par la Convention de la torture et des peines ou traitements inhumains ou

deacutegradants montre que lrsquoarticle 3 (art 3) consacre lrsquoune des valeurs fondamentales des socieacuteteacutes deacutemocratiques qui forment le Conseil

de lrsquoEurope

Reste agrave savoir si lrsquoextradition drsquoun fugitif vers un autre Eacutetat ougrave il subira ou risquera de subir la torture ou des peines ou

traitements inhumains ou deacutegradants engage par elle-mecircme la responsabiliteacute drsquoun Eacutetat contractant sur le terrain de lrsquoarticle 3 (art

3)(hellip) Un Eacutetat contractant se conduirait drsquoune maniegravere incompatible avec les valeurs sous-jacentes agrave la Convention ce patrimoine commun drsquoideacuteal et de traditions politiques de respect de la liberteacute et de preacuteeacuteminence du droit auquel se reacutefegravere le Preacuteambule srsquoil

remettait consciemment un fugitif - pour odieux que puisse ecirctre le crime reprocheacute - agrave un autre Eacutetat ougrave il existe des motifs seacuterieux de penser qursquoun danger de torture menace lrsquointeacuteresseacute Malgreacute lrsquoabsence de mention expresse dans le texte bref et geacuteneacuteral de lrsquoarticle 3

(art 3) pareille extradition irait manifestement agrave lrsquoencontre de lrsquoesprit de ce dernier aux yeux de la Cour lrsquoobligation implicite de ne

1415

pas extrader srsquoeacutetend aussi au cas ougrave le fugitif risquerait de subir dans lrsquoEacutetat de destination des peines ou traitements inhumains ou

deacutegradants proscrits par ledit article (art 3)

89 Ce qui constitue des peines ou traitements inhumains ou deacutegradants deacutepend de lrsquoensemble des circonstances de la

cause [hellip]

90 En principe il nrsquoappartient pas aux organes de la Convention de statuer sur lrsquoexistence ou lrsquoabsence de violations virtuelles de celle-ci Une deacuterogation agrave la regravegle geacuteneacuterale srsquoimpose pourtant si un fugitif allegravegue que la deacutecision de lrsquoextrader

enfreindrait lrsquoarticle 3 (art 3) au cas ougrave elle recevrait exeacutecution en raison des conseacutequences agrave en attendre dans le pays de destination

il y va de lrsquoefficaciteacute de la garantie assureacutee par ce texte vu la graviteacute et le caractegravere irreacuteparable de la souffrance preacutetendument risqueacutee (paragraphe 87 ci-dessus)

[hellip]

B Application de lrsquoarticle 3 (art 3) dans les circonstances de la cause

92 La proceacutedure drsquoextradition ouverte au Royaume-Uni contre le requeacuterant a pris fin avec la signature par le ministre

drsquoun arrecircteacute qui ordonnait la remise aux autoriteacutes ameacutericaines (hellip) quoique non encore exeacutecuteacutee cette deacutecision atteint de plein fouet

lrsquointeacuteresseacute Il faut donc rechercher agrave la lumiegravere des principes eacutenonceacutes plus haut si les conseacutequences preacutevisibles drsquoun renvoi de M

Soering aux Eacutetats-Unis sont de nature agrave faire jouer lrsquoarticle 3 (art 3)

98[hellip] Quoi qursquoil en soit selon le droit et la pratique de Virginie (hellip) et nonobstant le contexte diplomatique des relations

anglo-ameacutericaines en matiegravere drsquoextradition on ne peut dire objectivement que lrsquoengagement de signaler au juge au moment de la fixation de la peine les voeux du Royaume-Uni eacutecarte le danger drsquoune sentence capitale Dans le libre exercice de son pouvoir

drsquoappreacuteciation lrsquoAttorney de lrsquoEacutetat a deacutecideacute lui-mecircme de requeacuterir et persister agrave requeacuterir la peine capitale parce que le dossier lui

semble le commander (paragraphe 20 in fine ci-dessus) Si lrsquoautoriteacute nationale chargeacutee des poursuites adopte une attitude aussi ferme la Cour ne saurait guegravere conclure agrave lrsquoabsence de motifs seacuterieux de croire que M Soering court un risque reacuteel drsquoecirctre condamneacute agrave mort

donc de subir le syndrome du couloir de la mort

99 Partant la perspective de voir lrsquointeacuteresseacute exposeacute agrave ce syndrome comme il le redoute se reacutevegravele telle que lrsquoarticle 3 (art 3) entre en jeu

2 Sur le point de savoir si le risque drsquoexposer le requeacuterant au syndrome du couloir de la mort rendrait lrsquoextradition

contraire agrave lrsquoarticle 3 (art 3)

a) Consideacuterations geacuteneacuterales

100 Drsquoapregraves la jurisprudence de la Cour un mauvais traitement y compris une peine doit atteindre un minimum de graviteacute pour tomber sous le coup de lrsquoarticle 3 (art 3) Lrsquoappreacuteciation de ce minimum est relative par essence elle deacutepend de

lrsquoensemble des donneacutees de la cause et notamment de la nature et du contexte du traitement ou de la peine ainsi que de ses modaliteacutes

drsquoexeacutecution de sa dureacutee de ses effets physiques ou mentaux ainsi que parfois du sexe de lrsquoacircge et de lrsquoeacutetat de santeacute de la victime

La Cour a estimeacute un certain traitement agrave la fois inhumain pour avoir eacuteteacute appliqueacute avec preacutemeacuteditation pendant des heures

et avoir causeacute sinon de veacuteritables leacutesions du moins de vives souffrances physiques et morales et deacutegradant parce que de nature agrave

creacuteer [en ses victimes] des sentiments de peur drsquoangoisse et drsquoinfeacuterioriteacute propres agrave les humilier agrave les avilir et agrave briser eacuteventuellement leur reacutesistance physique ou morale (hellip) Pour qursquoune peine ou le traitement dont elle srsquoaccompagne soient inhumains ou

deacutegradants la souffrance ou lrsquohumiliation doivent en tout cas aller au-delagrave de celles que comporte ineacutevitablement une forme donneacutee

de peine leacutegitime (hellip ) En la matiegravere il eacutechet de tenir compte non seulement de la souffrance physique mais aussi en cas de long deacutelai avant lrsquoexeacutecution de la peine de lrsquoangoisse morale eacuteprouveacutee par le condamneacute dans lrsquoattente des violences qursquoon se preacutepare agrave lui

infliger

[hellip]

b) Les circonstances de la cause

i Dureacutee de la deacutetention avant lrsquoexeacutecution

[hellip]

106 [hellip] Un certain laps de temps doit forceacutement srsquoeacutecouler entre le prononceacute de la peine et son exeacutecution si lrsquoon veut

fournir au condamneacute des garanties de recours mais de mecircme il entre dans la nature humaine que lrsquointeacuteresseacute srsquoaccroche agrave lrsquoexistence

en les exploitant au maximum Si bien intentionneacute soit-il voire potentiellement beacuteneacutefique le systegraveme virginien de proceacutedures posteacuterieures agrave la sentence aboutit agrave obliger le condamneacute deacutetenu agrave subir pendant des anneacutees les conditions du couloir de la mort

lrsquoangoisse et la tension grandissante de vivre dans lrsquoombre omnipreacutesente de la mort

ii Situation dans le couloir de la mort

[hellip]

109 [hellip] Bien que la Cour nrsquoait pas agrave preacutejuger de la responsabiliteacute peacutenale et de la peine approprieacutee la jeunesse du

requeacuterant agrave lrsquoeacutepoque de lrsquoinfraction et sa condition mentale drsquoalors illustreacutees par le dossier psychiatrique existant figurent donc parmi les donneacutees qui tendent en lrsquoespegravece agrave faire relever de lrsquoarticle 3 (art 3) le traitement agrave subir dans le couloir de la mort

[hellip]

c) Conclusion

111 [hellip] Eu eacutegard cependant agrave la tregraves longue peacuteriode agrave passer dans le couloir de la mort dans des conditions aussi

extrecircmes avec lrsquoangoisse omnipreacutesente et croissante de lrsquoexeacutecution de la peine capitale et agrave la situation personnelle du requeacuterant en

particulier son acircge et son eacutetat mental agrave lrsquoeacutepoque de lrsquoinfraction une extradition vers les Eacutetats-Unis exposerait lrsquointeacuteresseacute agrave un risque reacuteel de traitement deacutepassant le seuil fixeacute par lrsquoarticle 3 (art 3) Lrsquoexistence en lrsquoespegravece drsquoun autre moyen drsquoatteindre le but leacutegitime

1515

de lrsquoextradition sans entraicircner pour autant des souffrances drsquoune intensiteacute ou dureacutee aussi exceptionnelles repreacutesente une consideacuteration

pertinente suppleacutementaire

En conclusion la deacutecision ministeacuterielle de livrer le requeacuterant aux Eacutetats-Unis violerait lrsquoarticle 3 (art 3) si elle recevait

exeacutecution

[hellip]

PAR CES MOTIFS LA COUR A LrsquoUNANIMITE

1 Dit qursquoil y aurait violation de lrsquoarticle 3 (art 3) si la deacutecision ministeacuterielle drsquoextrader le requeacuterant vers les Eacutetats-Unis drsquoAmeacuterique

recevait exeacutecution

Page 10: Dedh 2014 - Fiche 2

1015

144 Les laquo omissions raquo visent les cas ougrave il nrsquoy a eu aucune enquecircte et ceux ougrave seuls des actes de proceacutedure insignifiants ont eacuteteacute effectueacutes mais ougrave il est alleacutegueacute qursquoune enquecircte effective aurait ducirc ecirctre meneacutee Degraves lors que se preacutesente une alleacutegation un moyen de preuve ou un eacuteleacutement drsquoinformation plausible et creacutedible qui pourrait permettre drsquoidentifier et au bout du compte drsquoinculper ou de punir les responsables les autoriteacutes sont tenues de prendre des mesures drsquoenquecircte (Gutieacuterrez Dorado et Dorado Ortiz c Espagne (deacutec) no 3014109 sectsect 39-41 27 mars 2012 Ccedilakir et autres c Chypre (deacutec) no 786406 29 avril 2010 et Brecknell preacuteciteacute sectsect 66-72) Si vient agrave surgir posteacuterieurement agrave lrsquoentreacutee en vigueur un eacuteleacutement nouveau suffisamment important et deacuteterminant pour justifier lrsquoouverture drsquoune nouvelle instance la Cour devra srsquoassurer que lrsquoEtat deacutefendeur srsquoest acquitteacute de lrsquoobligation proceacutedurale que lui impose lrsquoarticle 2 drsquoune maniegravere compatible avec les principes eacutenonceacutes dans sa jurisprudence Toutefois si le fait geacuteneacuterateur eacutechappe agrave la compeacutetence temporelle de la Cour la deacutecouverte drsquoeacuteleacutements nouveaux apregraves la date critique ne pourra faire renaicirctre lrsquoobligation drsquoenquecircter que si le critegravere du laquo lien veacuteritable raquo ou celui des laquo valeurs de la Convention raquo (voir ci-dessous) a eacuteteacute satisfait

b) Le critegravere du laquo lien veacuteritable raquo

145 La premiegravere phrase du paragraphe 163 de lrsquoarrecirct Šilih pose que lrsquoexistence drsquoun laquo lien veacuteritable raquo entre le fait geacuteneacuterateur et lrsquoentreacutee en vigueur de la Convention agrave lrsquoeacutegard de lrsquoEtat deacutefendeur est une condition sine qua non pour que lrsquoobligation proceacutedurale deacutecoulant de lrsquoarticle 2 de la Convention devienne applicable

146 La Cour considegravere que lrsquoeacuteleacutement temporel est le premier et le plus important des indicateurs lorsqursquoil srsquoagit drsquoeacutetablir le caractegravere laquo veacuteritable raquo du lien A lrsquoinstar de la chambre dans son arrecirct elle ajoute que pour qursquoil y ait un laquo lien veacuteritable raquo le laps de temps eacutecouleacute entre le fait geacuteneacuterateur et la date critique doit demeurer relativement bref Bien qursquoil nrsquoexiste en droit aucun critegravere apparent permettant de deacutefinir la limite absolue de ce deacutelai celui-ci ne devrait pas exceacuteder dix ans (voir par analogie Varnava et autres preacuteciteacute sect 166 et Er et autres c Turquie no 2301604 sectsect 59-60 31 juillet 2012) A supposer mecircme que en raison de circonstances exceptionnelles il soit justifieacute de faire remonter ce deacutelai encore plus loin dans le passeacute il faudra qursquoil soit satisfait au critegravere des laquo valeurs de la Convention raquo

147 Toutefois la dureacutee du deacutelai qui seacutepare le fait geacuteneacuterateur de la date critique nrsquoest pas deacutecisive en elle-mecircme pour deacuteterminer si le lien est laquo veacuteritable raquo Comme lrsquoindique la deuxiegraveme phrase du paragraphe 163 de lrsquoarrecirct Šilih le lien sera eacutetabli si lrsquoessentiel de lrsquoenquecircte sur le deacutecegraves a eu lieu ou aurait ducirc avoir lieu posteacuterieurement agrave lrsquoentreacutee en vigueur de la Convention Cela englobe la conduite drsquoune proceacutedure visant agrave eacutetablir la cause du deacutecegraves et agrave faire reacutepondre les responsables de leurs actes ainsi que lrsquoadoption drsquoune part importante des mesures proceacutedurales essentielles au deacuteroulement de lrsquoenquecircte Il srsquoagit drsquoun corollaire au principe voulant que la Cour nrsquoait compeacutetence qursquoagrave lrsquoeacutegard des actes et omissions de nature proceacutedurale posteacuterieurs agrave la date drsquoentreacutee en vigueur Si toutefois la majeure partie de la proceacutedure ou les mesures proceacutedurales les plus importantes sont anteacuterieures agrave cette date la capaciteacute de la Cour agrave appreacutecier globalement lrsquoeffectiviteacute de lrsquoenquecircte agrave lrsquoaune des exigences proceacutedurales de lrsquoarticle 2 de la Convention peut srsquoen trouver irreacutemeacutediablement amoindrie

148 Eu eacutegard agrave ce qui preacutecegravede la Cour conclut que pour qursquoun laquo lien veacuteritable raquo puisse ecirctre eacutetabli il doit ecirctre satisfait aux deux critegraveres le deacutelai entre le deacutecegraves en tant que fait geacuteneacuterateur et lrsquoentreacutee en vigueur de la Convention doit avoir eacuteteacute relativement bref et la majeure partie de lrsquoenquecircte doit avoir eacuteteacute conduite ou aurait ducirc lrsquoecirctre apregraves lrsquoentreacutee en vigueur

c) Le critegravere des laquo valeurs de la Convention raquo

149 La Cour admet par ailleurs qursquoil peut exister des situations extraordinaires ne satisfaisant pas au critegravere du laquo lien veacuteritable raquo tel qursquoexposeacute ci-dessus mais ougrave la neacutecessiteacute de proteacuteger de maniegravere reacuteelle et effective les garanties offertes par la Convention et les valeurs qui la sous-tendent constitue un fondement suffisant pour reconnaicirctre lrsquoexistence drsquoun lien La derniegravere phrase du paragraphe 163 de lrsquoarrecirct Šilih nrsquoexclut pas cette eacuteventualiteacute qui constituerait alors une exception agrave la regravegle geacuteneacuterale que repreacutesente le critegravere du laquo lien veacuteritable raquo Dans toutes les affaires preacuteciteacutees la Cour a admis lrsquoexistence drsquoun laquo lien veacuteritable raquo parce que le laps de temps eacutecouleacute entre le deacutecegraves et la date critique eacutetait relativement bref et qursquoune part consideacuterable de la proceacutedure avait eacuteteacute conduite apregraves cette date La preacutesente affaire est donc la premiegravere agrave pouvoir relever de cette autre cateacutegorie agrave caractegravere exceptionnel Aussi la Cour doit-elle expliciter les modaliteacutes drsquoapplication du critegravere des laquo valeurs de la Convention raquo

150 A lrsquoinstar de la chambre la Grande Chambre estime que le renvoi aux valeurs qui sous-tendent la Convention signifie que lrsquoexistence du lien requis peut ecirctre constateacutee si le fait geacuteneacuterateur revecirct une dimension plus large qursquoune infraction peacutenale ordinaire et constitue la neacutegation des fondements mecircmes de la Convention Tel serait le cas de graves crimes de droit international tels que les crimes de guerre le geacutenocide ou les crimes contre lrsquohumaniteacute conformeacutement aux deacutefinitions qursquoen donnent les instruments internationaux pertinents

151 Le caractegravere odieux et la graviteacute de pareils crimes ont pousseacute les parties agrave la Convention sur lrsquoimprescriptibiliteacute des crimes de guerre et des crimes contre lrsquohumaniteacute agrave consideacuterer que ces infractions doivent ecirctre imprescriptibles et que les prescriptions qui existeraient en la matiegravere dans leur ordre juridique interne doivent ecirctre abolies La Cour considegravere neacuteanmoins que le critegravere des laquo valeurs de la Convention raquo ne peut pas srsquoappliquer agrave des eacuteveacutenements anteacuterieurs agrave lrsquoadoption de la Convention le 4 novembre 1950 car crsquoest seulement agrave cette date que celle-ci a commenceacute agrave exister en tant qursquoinstrument international de protection des droits de lrsquohomme Degraves lors la responsabiliteacute sur le terrain de la Convention drsquoune Partie agrave celle-ci ne peut pas ecirctre engageacutee pour la non-reacutealisation drsquoune enquecircte sur un crime de droit international fucirct-il le plus abominable si celui-ci est anteacuterieur agrave la Convention Bien qursquoelle soit sensible agrave lrsquoargument selon lequel mecircme aujourdrsquohui certains pays ont reacuteussi agrave juger des responsables de crimes de guerre commis au cours de la Deuxiegraveme Guerre mondiale la Cour souligne la diffeacuterence fondamentale qui existe entre la possibiliteacute de poursuivre une personne pour un grave crime de droit international si les circonstances le permettent et lrsquoobligation de le faire au regard de la Convention

III La theacuteorie des obligations positives

Document ndeg5 CEDH Airey c Irlande 9101979 extraits

1115

24 Selon le Gouvernement la requeacuterante a bien accegraves agrave la High Court puisqursquoil lui est loisible de srsquoadresser agrave elle sans

lrsquoassistance drsquoun homme de loi

La Cour ne considegravere pas cette ressource comme deacutecisive en soi La Convention a pour but de proteacuteger des droits non pas

theacuteoriques ou illusoires mais concrets et effectifs (voir mutatis mutandis lrsquoarrecirct du 23 juillet 1968 en lrsquoaffaire linguistique belge

seacuterie A no 6 p 31 paras 3 in fine et 4 lrsquoarrecirct Golder preacuteciteacute p 18 par 35 in fine lrsquoarrecirct Luedicke Belkacem et Koccedil du 28 novembre 1978 seacuterie A no 29 pp 17-18 par 42 lrsquoarrecirct Marckx du 13 juin 1979 seacuterie A no 31 p 15 par 31) La remarque vaut en

particulier pour le droit drsquoaccegraves aux tribunaux eu eacutegard agrave la place eacuteminente que le droit agrave un procegraves eacutequitable occupe dans une socieacuteteacute

deacutemocratique (cf mutatis mutandis lrsquoarrecirct Delcourt du 17 janvier 1970 seacuterie A no 11 pp 14-15 par 25) Il faut donc rechercher si la comparution devant la High Court sans lrsquoassistance drsquoun conseil serait efficace en ce sens que Mme Airey pourrait preacutesenter ses

arguments de maniegravere adeacutequate et satisfaisante

Gouvernement et Commission ont exposeacute agrave ce sujet des vues contradictoires lors des audiences La Cour estime certain que la requeacuterante se trouverait deacutesavantageacutee si son eacutepoux eacutetait repreacutesenteacute par un homme de loi et elle non En dehors mecircme de cette

hypothegravese elle ne croit pas reacutealiste de penser que lrsquointeacuteresseacutee pourrait deacutefendre utilement sa cause dans un tel litige malgreacute lrsquoaide que

le juge - le Gouvernement le souligne - precircte aux parties agissant en personne

En Irlande un jugement de seacuteparation de corps ne srsquoobtient pas devant un tribunal drsquoarrondissement ougrave la proceacutedure est

relativement simple mais devant la High Court Un speacutecialiste du droit irlandais de la famille M Alan J Shatter voit dans cette

juridiction la moins accessible de toutes en raison non seulement du niveau fort eacuteleveacute des honoraires agrave verser pour srsquoy faire repreacutesenter mais aussi de la complexiteacute de la proceacutedure agrave suivre pour introduire une action en particulier sur requecircte (petition)

comme ici (Family Law in the Republic of Ireland Dublin 1977 p 21)

En outre pareil procegraves indeacutependamment des problegravemes juridiques deacutelicats qursquoil comporte exige la preuve drsquoun adultegravere de pratiques contre nature ou comme en lrsquooccurrence de cruauteacute pour eacutetablir les faits il peu y avoir lieu de recueillir la deacuteposition

drsquoexperts de rechercher des teacutemoins de les citer et de les interroger De surcroicirct les diffeacuterends entre conjoints suscitent souvent une

passion peu compatible avec le degreacute drsquoobjectiviteacute indispensable pour plaider en justice

Pour ces motifs la Cour estime tregraves improbable qursquoune personne dans la situation de Mme Airey (paragraphe 8 ci-dessus)

puisse deacutefendre utilement sa propre cause Les reacuteponses du Gouvernement aux questions de la Cour corroborent cette opinion elles

reacutevegravelent que dans chacune des 255 instances en seacuteparation de corps engageacutees en Irlande de janvier 1972 agrave deacutecembre 1978 sans exception un homme de loi repreacutesentait le demandeur (paragraphe 11 ci-dessus)

La Cour en deacuteduit que la possibiliteacute de comparaicirctre en personne devant la High Court nrsquooffre pas agrave la requeacuterante un droit effectif drsquoaccegraves et partant ne constitue pas non plus un recours interne dont lrsquoarticle 26 (art 26) exige lrsquoeacutepuisement (paragraphe 19 b)

ci-dessus)

25 Le Gouvernement essaie de diffeacuterencier la preacutesente espegravece de lrsquoaffaire Golder Dans cette derniegravere souligne-t-il le requeacuterant avait eacuteteacute empecirccheacute de saisir un tribunal par un obstacle positif dresseacute sur son chemin par lrsquoEacutetat le ministre de lrsquointeacuterieur lui

avait interdit de consulter un avocat Ici au contraire il nrsquoexisterait de la part de lrsquoEacutetat ni obstacle positif ni tentative drsquoentrave le

deacutefaut alleacutegueacute drsquoaccegraves agrave la justice ne deacutecoulerait drsquoaucune initiative des autoriteacutes mais uniquement de la situation personnelle de Mme Airey dont on ne saurait tenir lrsquoIrlande pour responsable sur le terrain de la Convention

Cette dissemblance entre les circonstances des deux causes est indeacuteniable mais la Cour nrsquoapprouve pas la conclusion qursquoen

tire le Gouvernement Tout drsquoabord un obstacle de fait peut enfreindre la Convention agrave lrsquoeacutegal drsquoun obstacle juridique (arrecirct Golder preacuteciteacute p 13 par 26) En outre lrsquoexeacutecution drsquoun engagement assumeacute en vertu de la Convention appelle parfois des mesures positives

de lrsquoEacutetat en pareil cas celui-ci ne saurait se borner agrave demeurer passif et il nrsquoy a () pas lieu de distinguer entre actes et omissions

(voir mutatis mutandis lrsquoarrecirct Marckx preacuteciteacute p 15 par 31 et lrsquoarrecirct De Wilde Ooms et Versyp du 10 mars 1972 seacuterie A no 14 p 10 par 22) Or lrsquoobligation drsquoassurer un droit effectif drsquoaccegraves agrave la justice se range dans cette cateacutegorie drsquoengagements

26 Le Gouvernement appuie son argument principal sur ce qursquoil considegravere comme les conseacutequences de lrsquoavis de la

Commission dans chaque contestation relative agrave un droit de caractegravere civil lrsquoEacutetat devrait fournir une aide judiciaire gratuite Or la

seule clause de la Convention qui reacutegisse expresseacutement cette derniegravere question lrsquoarticle 6 par 3 c) (art 6-3-c) concerne les

proceacutedures peacutenales et srsquoaccompagne elle-mecircme de restrictions au surplus drsquoapregraves la jurisprudence constante de la Commission nul

droit agrave une aide judiciaire gratuite ne se trouve en soi garanti par lrsquoarticle 6 par 1 (art 6-1) En ratifiant la Convention ajoute le Gouvernement lrsquoIrlande a formuleacute une reacuteserve agrave lrsquoarticle 6 par 3 c) (art 6-3-c) pour reacuteduire ses obligations dans le domaine de lrsquoaide

judiciaire en matiegravere peacutenale a fortiori on ne saurait selon lui preacutetendre qursquoelle ait tacitement accepteacute drsquooctroyer une aide judiciaire

illimiteacutee dans les litiges civils Enfin il ne faut pas drsquoapregraves lui interpreacuteter la Convention de maniegravere agrave reacutealiser dans un Eacutetat contractant des progregraves eacuteconomiques et sociaux ils ne peuvent ecirctre que graduels

La Cour nrsquoignore pas que le deacuteveloppement des droits eacuteconomiques et sociaux deacutepend beaucoup de la situation des Eacutetats et

notamment de leurs finances Drsquoun autre cocircteacute la Convention doit se lire agrave la lumiegravere des conditions de vie drsquoaujourdrsquohui (arrecirct Marckx preacuteciteacute p 19 par 41) et agrave lrsquointeacuterieur de son champ drsquoapplication elle tend agrave une protection reacuteelle et concregravete de lrsquoindividu

(paragraphe 24 ci-dessus) Or si elle eacutenonce pour lrsquoessentiel des droits civils et politiques nombre drsquoentre eux ont des prolongements

drsquoordre eacuteconomique ou social Avec la Commission la Cour nrsquoestime donc pas devoir eacutecarter telle ou telle interpreacutetation pour le simple motif qursquoagrave lrsquoadopter on risquerait drsquoempieacuteter sur la sphegravere des droits eacuteconomiques et sociaux nulle cloison eacutetanche ne seacutepare

celle-ci du domaine de la Convention

La Cour ne partage pas davantage lrsquoopinion du Gouvernement sur les conseacutequences de lrsquoavis de la Commission

On aurait tort de geacuteneacuteraliser la conclusion selon laquelle la possibiliteacute de comparaicirctre en personne devant la High Court

nrsquooffre pas agrave Mme Airey un droit effectif drsquoaccegraves elle ne vaut pas pour tous les cas concernant des droits et obligations de caractegravere

civil ni pour tous les inteacuteresseacutes Dans certaines hypothegraveses la faculteacute de se preacutesenter devant une juridiction fucirct-ce sans lrsquoassistance drsquoun conseil reacutepond aux exigences de lrsquoarticle 6 par 1 (art 6-1) il se peut qursquoelle assure parfois un accegraves reacuteel mecircme agrave la High Court

En veacuteriteacute les circonstances jouent ici un rocircle important

En outre lrsquoarticle 6 par 1 (art 6-1) srsquoil garantit aux plaideurs un droit effectif drsquoaccegraves aux tribunaux pour les deacutecisions relatives agrave leurs droits et obligations de caractegravere civil laisse agrave lrsquoEacutetat le choix des moyens agrave employer agrave cette fin Lrsquoinstauration drsquoun

systegraveme drsquoaide judiciaire - envisageacutee agrave preacutesent par lrsquoIrlande pour les affaires ressortissant au droit de la famille (paragraphe 11 ci-

1215

dessus) - en constitue un mais il y en a drsquoautres par exemple une simplification de la proceacutedure Quoi qursquoil en soit il nrsquoappartient pas

agrave la Cour de dicter les mesures agrave prendre ni mecircme de les indiquer la Convention se borne agrave exiger que lrsquoindividu jouisse de son droit effectif drsquoaccegraves agrave la justice selon des modaliteacutes non contraires agrave lrsquoarticle 6 par 1 (art 6-1) (voir mutatis mutandis lrsquoarrecirct Syndicat

national de la police belge du 27 octobre 1975 seacuterie A no 19 p 18 par 39 et lrsquoarrecirct Marckx preacuteciteacute p 15 par 31)

La conclusion figurant agrave la fin du paragraphe 24 ci-dessus nrsquoimplique donc pas que lrsquoEacutetat doive fournir une aide judiciaire gratuite dans toute contestation touchant un droit de caractegravere civil

Affirmer lrsquoexistence drsquoune obligation aussi eacutetendue la Cour lrsquoadmet se concilierait mal avec la circonstance que la

Convention ne renferme aucune clause sur lrsquoaide judiciaire pour ces derniegraveres contestations son article 6 par 3 c) (art 6-3-c) ne traitant que de la matiegravere peacutenale Cependant malgreacute lrsquoabsence drsquoun texte analogue pour les procegraves civils lrsquoarticle 6 par 1 (art 6-1)

peut parfois astreindre lrsquoEacutetat agrave pourvoir agrave lrsquoassistance drsquoun membre du barreau quand elle se reacutevegravele indispensable agrave un accegraves effectif

au juge soit parce que la loi prescrit la repreacutesentation par un avocat comme la leacutegislation nationale de certains Eacutetats contractants le fait pour diverses cateacutegories de litiges soit en raison de la complexiteacute de la proceacutedure ou de la cause

Quant agrave la reacuteserve irlandaise agrave lrsquoarticle 6 par 3 c) (art 6-3-c) on ne saurait lrsquointerpreacuteter de telle sorte qursquoelle influerait sur

les engagements reacutesultant de lrsquoarticle 6 par 1 (art 6-1) partant elle nrsquoentre pas ici en ligne de compte

28 La Cour constate ainsi agrave la lumiegravere de lrsquoensemble des circonstances de la cause que Mme Airey nrsquoa pas beacuteneacuteficieacute drsquoun

droit drsquoaccegraves effectif agrave la High Court pour demander un jugement de seacuteparation de corps Partant il y a eu violation de lrsquoarticle 6 par

1 (art 6-1)

32 Aux yeux de la Cour Mme Airey ne saurait passer pour avoir subi de la part de lrsquoIrlande une ingeacuterence dans sa vie

priveacutee ou familiale elle se plaint en substance non drsquoun acte mais de lrsquoinaction de lrsquoEacutetat Toutefois si lrsquoarticle 8 (art 8) a

essentiellement pour objet de preacutemunir lrsquoindividu contre des ingeacuterences arbitraires des pouvoirs publics il ne se contente pas drsquoastreindre lrsquoEacutetat agrave srsquoabstenir de pareilles ingeacuterences agrave cet engagement plutocirct neacutegatif peuvent srsquoajouter des obligations positives

inheacuterentes agrave un respect effectif de la vie priveacutee ou familiale (arrecirct Marckx preacuteciteacute p 15 par 31)

33 Le droit irlandais regravegle cette derniegravere sous beaucoup drsquoaspects Au sujet de mariage il prescrit en principe aux eacutepoux de cohabiter mais il leur accorde dans certains cas le droit de demander un jugement de seacuteparation de corps Par lagrave mecircme il reconnaicirct

que la protection de leur vie priveacutee ou familiale exige parfois de les relever de ce devoir

Un respect effectif de la vie priveacutee ou familiale impose agrave lrsquoIrlande de rendre ce moyen effectivement accessible quand il y a lieu agrave quiconque deacutesire lrsquoemployer Or la requeacuterante nrsquoy a pas eu effectivement accegraves nrsquoayant pas eacuteteacute mise en mesure de saisir la

High Court (paragraphes 20 agrave 28 ci-dessus) elle nrsquoa pu reacuteclamer la conseacutecration juridique de sa seacuteparation de fait drsquoavec son mari Elle a donc eacuteteacute victime drsquoune violation de lrsquoarticle 8 (art 8)

Document ndeg 6 CEDH Lopez Ostra c Espagne 9 Deacutecembre 1994 extraits

51 Il va pourtant de soi que des atteintes graves agrave lrsquoenvironnement peuvent affecter le bien-ecirctre drsquoune personne et la priver

de la jouissance de son domicile de maniegravere agrave nuire agrave sa vie priveacutee et familiale sans pour autant mettre en grave danger la santeacute de lrsquointeacuteresseacutee

Que lrsquoon aborde la question sous lrsquoangle drsquoune obligation positive de lrsquoEtat - adopter des mesures raisonnables et adeacutequates

pour proteacuteger les droits de lrsquoindividu en vertu du paragraphe 1 de lrsquoarticle 8 (art 8-1) - comme le souhaite dans son cas la requeacuterante ou sous celui drsquoune ingeacuterence drsquoune autoriteacute publique agrave justifier selon le paragraphe 2 (art 8-2) les principes applicables sont assez

voisins Dans les deux cas il faut avoir eacutegard au juste eacutequilibre agrave meacutenager entre les inteacuterecircts concurrents de lrsquoindividu et de la socieacuteteacute

dans son ensemble lrsquoEtat jouissant en toute hypothegravese drsquoune certaine marge drsquoappreacuteciation En outre mecircme pour les obligations positives reacutesultant du paragraphe 1 (art 8-1) les objectifs eacutenumeacutereacutes au paragraphe 2 (art 8-2) peuvent jouer un certain rocircle dans la

recherche de lrsquoeacutequilibre voulu (voir notamment les arrecircts Rees c Royaume-Uni du 17 octobre 1986 seacuterie A no 106 p 15 par 37 et

Powell et Rayner c Royaume-Uni du 21 feacutevrier 1990 seacuterie A no 172 p 18 par 41)

52 Il ressort du dossier que la station drsquoeacutepuration litigieuse fut construite en juillet 1988 par SACURSA pour reacutesoudre un

grave problegraveme de pollution existant agrave Lorca agrave cause de la concentration de tanneries Or degraves son entreacutee en service elle provoqua des

nuisances et troubles de santeacute chez de nombreux habitants (paragraphes 7 et 8 ci-dessus)

Certes les autoriteacutes espagnoles et notamment la municipaliteacute de Lorca nrsquoeacutetaient pas en principe directement responsables

des eacutemanations dont il srsquoagit Toutefois comme le signale la Commission la ville permit lrsquoinstallation de la station sur des terrains lui

appartenant et lrsquoEtat octroya une subvention pour sa construction (paragraphe 7 ci-dessus)

53 Le conseil municipal reacuteagit avec ceacuteleacuteriteacute en relogeant gratuitement au centre ville pendant les mois de juillet aoucirct et

septembre 1988 les reacutesidents affecteacutes puis en closant lrsquoune des activiteacutes de la station agrave partir du 9 septembre (paragraphes 8 et 9 ci-

dessus) Cependant ses membres ne pouvaient ignorer que les problegravemes drsquoenvironnement persistegraverent apregraves cette clocircture partielle (paragraphes 9 et 11 ci-dessus) Cela fut drsquoailleurs corroboreacute degraves le 19 janvier 1989 par le rapport de lrsquoAgence reacutegionale pour

lrsquoenvironnement et la nature puis confirmeacute par des expertises en 1991 1992 et 1993 (paragraphes 11 et 18 ci-dessus)

54 Drsquoapregraves Mme Loacutepez Ostra les pouvoirs geacuteneacuteraux de police attribueacutes agrave la municipaliteacute par le regraveglement de 1961 obligeaient ladite municipaliteacute agrave agir En outre la station ne reacuteunissait pas les conditions requises par la loi notamment en ce qui

concernait son emplacement et lrsquoabsence de permis municipal (paragraphes 8 27 et 28 ci-dessus)

55 Sur ce point la Cour rappelle que la question de la leacutegaliteacute de lrsquoinstallation et du fonctionnement de la station demeure pendante devant le Tribunal suprecircme depuis 1991 (paragraphe 16 ci-dessus) Or drsquoapregraves sa jurisprudence constante il incombe au

premier chef aux autoriteacutes nationales et speacutecialement aux cours et tribunaux drsquointerpreacuteter et drsquoappliquer le droit interne (voir entre autres lrsquoarrecirct Casado Coca c Espagne du 24 feacutevrier 1994 seacuterie A no 285-A p 18 par 43)

De toute maniegravere la Cour estime qursquoen lrsquooccurrence il lui suffit de rechercher si agrave supposer mecircme que la municipaliteacute se

soit acquitteacutee des tacircches qui lui revenaient drsquoapregraves le droit interne (paragraphes 27-28 ci-dessus) les autoriteacutes nationales ont pris les mesures neacutecessaires pour proteacuteger le droit de la requeacuterante au respect de son domicile ainsi que de sa vie priveacutee et familiale garanti par

lrsquoarticle 8 (art 8) (voir entre autres mutatis mutandis lrsquoarrecirct X et Y c Pays-Bas du 26 mars 1985 seacuterie A no 91 p 11 par 23)

1315

56 Il eacutechet de constater que non seulement la municipaliteacute nrsquoa pas pris apregraves le 9 septembre 1988 des mesures agrave cette fin

mais aussi qursquoelle a contrecarreacute des deacutecisions judiciaires allant dans ce sens Ainsi dans la proceacutedure ordinaire entameacutee par les belles-soeurs de Mme Loacutepez Ostra elle a interjeteacute appel contre la deacutecision du Tribunal supeacuterieur de Murcie du 18 septembre 1991 ordonnant

la fermeture provisoire de la station de sorte que cette mesure resta en suspens (paragraphe 16 ci-dessus)

Drsquoautres organes de lrsquoEtat ont aussi contribueacute agrave prolonger la situation Ainsi le ministegravere public attaqua le 19 novembre 1991 la deacutecision de fermeture provisoire prise par le juge drsquoinstruction de Lorca le 15 dans le cadre des poursuites pour deacutelit

eacutecologique (paragraphe 17 ci-dessus) si bien que la mesure est resteacutee inexeacutecuteacutee jusqursquoau 27 octobre 1993 (paragraphe 22 ci-dessus)

57 Le Gouvernement rappelle que la ville a assumeacute les frais de location drsquoun appartement au centre de Lorca que la requeacuterante et sa famille ont occupeacute du 1er feacutevrier 1992 jusqursquoen feacutevrier 1993 (paragraphe 21 ci-dessus)

La Cour note cependant que les inteacuteresseacutes ont ducirc subir pendant plus de trois ans les nuisances causeacutees par la station avant

de deacutemeacutenager avec les inconveacutenients que cela comporte Ils ne lrsquoont fait que lorsqursquoil apparut que la situation pouvait se prolonger indeacutefiniment et sur prescription du peacutediatre de la fille de Mme Loacutepez Ostra (paragraphes 16 17 et 19 ci-dessus) Dans ces conditions

lrsquooffre de la municipaliteacute ne pouvait pas effacer complegravetement les nuisances et inconveacutenients veacutecus

58 Compte tenu de ce qui preacutecegravede - et malgreacute la marge drsquoappreacuteciation reconnue agrave lrsquoEtat deacutefendeur - la Cour estime que

celui-ci nrsquoa pas su meacutenager un juste eacutequilibre entre lrsquointeacuterecirct du bien-ecirctre eacuteconomique de la ville de Lorca - celui de disposer drsquoune

station drsquoeacutepuration - et la jouissance effective par la requeacuterante du droit au respect de son domicile et de sa vie priveacutee et familiale

Il y a donc eu violation de lrsquoarticle 8 (art 8)

Document ndeg7 Soering c Royaume-Uni 07071989 extraits

I SUR LA VIOLATION ALLEacuteGUEacuteE DE LrsquoARTICLE 3 (art 3)

80 Selon le requeacuterant la deacutecision du ministre de lrsquoInteacuterieur de le livrer aux autoriteacutes des Eacutetats-Unis drsquoAmeacuterique entraicircnera si elle reccediloit exeacutecution un manquement du Royaume-Uni aux exigences de lrsquoarticle 3 (art 3) de la Convention ainsi

libelleacute

Nul ne peut ecirctre soumis agrave la torture ni agrave des peines ou traitements inhumains ou deacutegradants

A Applicabiliteacute de lrsquoarticle 3 (art 3) en matiegravere drsquoextradition

81 La violation alleacutegueacutee consisterait agrave exposer M Soering au syndrome du couloir de la mort (death row

phenomenon) On peut deacutecrire celui-ci comme une combinaison de circonstances dans lesquelles lrsquointeacuteresseacute devrait vivre si une fois extradeacute en Virginie pour y reacutepondre drsquoune accusation drsquoassassinats passibles de la peine capitale il se voyait condamner agrave mort

82 [hellip] la Commission rappelle que drsquoapregraves sa jurisprudence une expulsion ou extradition peut soulever un problegraveme au

regard de lrsquoarticle 3 (art 3) de la Convention srsquoil existe des raisons seacuterieuses de croire que la personne en cause subira dans lrsquoEacutetat de destination un traitement contraire agrave ce texte

[hellip]

84 La Cour abordera le problegraveme sur la base des consideacuterations suivantes

[hellip]

86 Lrsquoarticle 1 (art 1) aux termes duquel les Hautes Parties Contractantes reconnaissent agrave toute personne relevant de leur

juridiction les droits et liberteacutes deacutefinis au Titre I fixe une limite notamment territoriale au domaine de la Convention En particulier lrsquoengagement des Eacutetats contractants se borne agrave reconnaicirctre (en anglais to secure) aux personnes relevant de leur juridiction les

droits et liberteacutes eacutenumeacutereacutes En outre la Convention ne reacutegit pas les actes drsquoun Eacutetat tiers ni ne preacutetend exiger des Parties contractantes

qursquoelles imposent ses normes agrave pareil Eacutetat Lrsquoarticle 1 (art 1) ne saurait srsquointerpreacuteter comme consacrant un principe geacuteneacuteral selon

lequel un Eacutetat contractant nonobstant ses obligations en matiegravere drsquoextradition ne peut livrer un individu sans se convaincre que les

conditions escompteacutees dans le pays de destination cadrent pleinement avec chacune des garanties de la Convention En reacutealiteacute le

gouvernement britannique le souligne avec raison en deacuteterminant le champ drsquoapplication de la Convention et speacutecialement de lrsquoarticle 3 (art 3) on ne saurait oublier lrsquoobjectif beacuteneacutefique de lrsquoextradition empecirccher des deacutelinquants en fuite de se soustraire agrave la

justice

[hellip]

87 La Convention doit se lire en fonction de son caractegravere speacutecifique de traiteacute de garantie collective des droits de

lrsquohomme et des liberteacutes fondamentales (hellip) Lrsquoobjet et le but de cet instrument de protection des ecirctres humains appellent agrave comprendre

et appliquer ses dispositions drsquoune maniegravere qui en rende les exigences concregravetes et effectives (hellip) En outre toute interpreacutetation des droits et liberteacutes eacutenumeacutereacutes doit se concilier avec lrsquoesprit geacuteneacuteral [de la Convention] destineacutee agrave sauvegarder et promouvoir les ideacuteaux

et valeurs drsquoune socieacuteteacute deacutemocratique (hellip)

88 Lrsquoarticle 3 (art 3) ne meacutenage aucune exception et lrsquoarticle 15 (art 15) ne permet pas drsquoy deacuteroger en temps de guerre ou autre danger national Cette prohibition absolue par la Convention de la torture et des peines ou traitements inhumains ou

deacutegradants montre que lrsquoarticle 3 (art 3) consacre lrsquoune des valeurs fondamentales des socieacuteteacutes deacutemocratiques qui forment le Conseil

de lrsquoEurope

Reste agrave savoir si lrsquoextradition drsquoun fugitif vers un autre Eacutetat ougrave il subira ou risquera de subir la torture ou des peines ou

traitements inhumains ou deacutegradants engage par elle-mecircme la responsabiliteacute drsquoun Eacutetat contractant sur le terrain de lrsquoarticle 3 (art

3)(hellip) Un Eacutetat contractant se conduirait drsquoune maniegravere incompatible avec les valeurs sous-jacentes agrave la Convention ce patrimoine commun drsquoideacuteal et de traditions politiques de respect de la liberteacute et de preacuteeacuteminence du droit auquel se reacutefegravere le Preacuteambule srsquoil

remettait consciemment un fugitif - pour odieux que puisse ecirctre le crime reprocheacute - agrave un autre Eacutetat ougrave il existe des motifs seacuterieux de penser qursquoun danger de torture menace lrsquointeacuteresseacute Malgreacute lrsquoabsence de mention expresse dans le texte bref et geacuteneacuteral de lrsquoarticle 3

(art 3) pareille extradition irait manifestement agrave lrsquoencontre de lrsquoesprit de ce dernier aux yeux de la Cour lrsquoobligation implicite de ne

1415

pas extrader srsquoeacutetend aussi au cas ougrave le fugitif risquerait de subir dans lrsquoEacutetat de destination des peines ou traitements inhumains ou

deacutegradants proscrits par ledit article (art 3)

89 Ce qui constitue des peines ou traitements inhumains ou deacutegradants deacutepend de lrsquoensemble des circonstances de la

cause [hellip]

90 En principe il nrsquoappartient pas aux organes de la Convention de statuer sur lrsquoexistence ou lrsquoabsence de violations virtuelles de celle-ci Une deacuterogation agrave la regravegle geacuteneacuterale srsquoimpose pourtant si un fugitif allegravegue que la deacutecision de lrsquoextrader

enfreindrait lrsquoarticle 3 (art 3) au cas ougrave elle recevrait exeacutecution en raison des conseacutequences agrave en attendre dans le pays de destination

il y va de lrsquoefficaciteacute de la garantie assureacutee par ce texte vu la graviteacute et le caractegravere irreacuteparable de la souffrance preacutetendument risqueacutee (paragraphe 87 ci-dessus)

[hellip]

B Application de lrsquoarticle 3 (art 3) dans les circonstances de la cause

92 La proceacutedure drsquoextradition ouverte au Royaume-Uni contre le requeacuterant a pris fin avec la signature par le ministre

drsquoun arrecircteacute qui ordonnait la remise aux autoriteacutes ameacutericaines (hellip) quoique non encore exeacutecuteacutee cette deacutecision atteint de plein fouet

lrsquointeacuteresseacute Il faut donc rechercher agrave la lumiegravere des principes eacutenonceacutes plus haut si les conseacutequences preacutevisibles drsquoun renvoi de M

Soering aux Eacutetats-Unis sont de nature agrave faire jouer lrsquoarticle 3 (art 3)

98[hellip] Quoi qursquoil en soit selon le droit et la pratique de Virginie (hellip) et nonobstant le contexte diplomatique des relations

anglo-ameacutericaines en matiegravere drsquoextradition on ne peut dire objectivement que lrsquoengagement de signaler au juge au moment de la fixation de la peine les voeux du Royaume-Uni eacutecarte le danger drsquoune sentence capitale Dans le libre exercice de son pouvoir

drsquoappreacuteciation lrsquoAttorney de lrsquoEacutetat a deacutecideacute lui-mecircme de requeacuterir et persister agrave requeacuterir la peine capitale parce que le dossier lui

semble le commander (paragraphe 20 in fine ci-dessus) Si lrsquoautoriteacute nationale chargeacutee des poursuites adopte une attitude aussi ferme la Cour ne saurait guegravere conclure agrave lrsquoabsence de motifs seacuterieux de croire que M Soering court un risque reacuteel drsquoecirctre condamneacute agrave mort

donc de subir le syndrome du couloir de la mort

99 Partant la perspective de voir lrsquointeacuteresseacute exposeacute agrave ce syndrome comme il le redoute se reacutevegravele telle que lrsquoarticle 3 (art 3) entre en jeu

2 Sur le point de savoir si le risque drsquoexposer le requeacuterant au syndrome du couloir de la mort rendrait lrsquoextradition

contraire agrave lrsquoarticle 3 (art 3)

a) Consideacuterations geacuteneacuterales

100 Drsquoapregraves la jurisprudence de la Cour un mauvais traitement y compris une peine doit atteindre un minimum de graviteacute pour tomber sous le coup de lrsquoarticle 3 (art 3) Lrsquoappreacuteciation de ce minimum est relative par essence elle deacutepend de

lrsquoensemble des donneacutees de la cause et notamment de la nature et du contexte du traitement ou de la peine ainsi que de ses modaliteacutes

drsquoexeacutecution de sa dureacutee de ses effets physiques ou mentaux ainsi que parfois du sexe de lrsquoacircge et de lrsquoeacutetat de santeacute de la victime

La Cour a estimeacute un certain traitement agrave la fois inhumain pour avoir eacuteteacute appliqueacute avec preacutemeacuteditation pendant des heures

et avoir causeacute sinon de veacuteritables leacutesions du moins de vives souffrances physiques et morales et deacutegradant parce que de nature agrave

creacuteer [en ses victimes] des sentiments de peur drsquoangoisse et drsquoinfeacuterioriteacute propres agrave les humilier agrave les avilir et agrave briser eacuteventuellement leur reacutesistance physique ou morale (hellip) Pour qursquoune peine ou le traitement dont elle srsquoaccompagne soient inhumains ou

deacutegradants la souffrance ou lrsquohumiliation doivent en tout cas aller au-delagrave de celles que comporte ineacutevitablement une forme donneacutee

de peine leacutegitime (hellip ) En la matiegravere il eacutechet de tenir compte non seulement de la souffrance physique mais aussi en cas de long deacutelai avant lrsquoexeacutecution de la peine de lrsquoangoisse morale eacuteprouveacutee par le condamneacute dans lrsquoattente des violences qursquoon se preacutepare agrave lui

infliger

[hellip]

b) Les circonstances de la cause

i Dureacutee de la deacutetention avant lrsquoexeacutecution

[hellip]

106 [hellip] Un certain laps de temps doit forceacutement srsquoeacutecouler entre le prononceacute de la peine et son exeacutecution si lrsquoon veut

fournir au condamneacute des garanties de recours mais de mecircme il entre dans la nature humaine que lrsquointeacuteresseacute srsquoaccroche agrave lrsquoexistence

en les exploitant au maximum Si bien intentionneacute soit-il voire potentiellement beacuteneacutefique le systegraveme virginien de proceacutedures posteacuterieures agrave la sentence aboutit agrave obliger le condamneacute deacutetenu agrave subir pendant des anneacutees les conditions du couloir de la mort

lrsquoangoisse et la tension grandissante de vivre dans lrsquoombre omnipreacutesente de la mort

ii Situation dans le couloir de la mort

[hellip]

109 [hellip] Bien que la Cour nrsquoait pas agrave preacutejuger de la responsabiliteacute peacutenale et de la peine approprieacutee la jeunesse du

requeacuterant agrave lrsquoeacutepoque de lrsquoinfraction et sa condition mentale drsquoalors illustreacutees par le dossier psychiatrique existant figurent donc parmi les donneacutees qui tendent en lrsquoespegravece agrave faire relever de lrsquoarticle 3 (art 3) le traitement agrave subir dans le couloir de la mort

[hellip]

c) Conclusion

111 [hellip] Eu eacutegard cependant agrave la tregraves longue peacuteriode agrave passer dans le couloir de la mort dans des conditions aussi

extrecircmes avec lrsquoangoisse omnipreacutesente et croissante de lrsquoexeacutecution de la peine capitale et agrave la situation personnelle du requeacuterant en

particulier son acircge et son eacutetat mental agrave lrsquoeacutepoque de lrsquoinfraction une extradition vers les Eacutetats-Unis exposerait lrsquointeacuteresseacute agrave un risque reacuteel de traitement deacutepassant le seuil fixeacute par lrsquoarticle 3 (art 3) Lrsquoexistence en lrsquoespegravece drsquoun autre moyen drsquoatteindre le but leacutegitime

1515

de lrsquoextradition sans entraicircner pour autant des souffrances drsquoune intensiteacute ou dureacutee aussi exceptionnelles repreacutesente une consideacuteration

pertinente suppleacutementaire

En conclusion la deacutecision ministeacuterielle de livrer le requeacuterant aux Eacutetats-Unis violerait lrsquoarticle 3 (art 3) si elle recevait

exeacutecution

[hellip]

PAR CES MOTIFS LA COUR A LrsquoUNANIMITE

1 Dit qursquoil y aurait violation de lrsquoarticle 3 (art 3) si la deacutecision ministeacuterielle drsquoextrader le requeacuterant vers les Eacutetats-Unis drsquoAmeacuterique

recevait exeacutecution

Page 11: Dedh 2014 - Fiche 2

1115

24 Selon le Gouvernement la requeacuterante a bien accegraves agrave la High Court puisqursquoil lui est loisible de srsquoadresser agrave elle sans

lrsquoassistance drsquoun homme de loi

La Cour ne considegravere pas cette ressource comme deacutecisive en soi La Convention a pour but de proteacuteger des droits non pas

theacuteoriques ou illusoires mais concrets et effectifs (voir mutatis mutandis lrsquoarrecirct du 23 juillet 1968 en lrsquoaffaire linguistique belge

seacuterie A no 6 p 31 paras 3 in fine et 4 lrsquoarrecirct Golder preacuteciteacute p 18 par 35 in fine lrsquoarrecirct Luedicke Belkacem et Koccedil du 28 novembre 1978 seacuterie A no 29 pp 17-18 par 42 lrsquoarrecirct Marckx du 13 juin 1979 seacuterie A no 31 p 15 par 31) La remarque vaut en

particulier pour le droit drsquoaccegraves aux tribunaux eu eacutegard agrave la place eacuteminente que le droit agrave un procegraves eacutequitable occupe dans une socieacuteteacute

deacutemocratique (cf mutatis mutandis lrsquoarrecirct Delcourt du 17 janvier 1970 seacuterie A no 11 pp 14-15 par 25) Il faut donc rechercher si la comparution devant la High Court sans lrsquoassistance drsquoun conseil serait efficace en ce sens que Mme Airey pourrait preacutesenter ses

arguments de maniegravere adeacutequate et satisfaisante

Gouvernement et Commission ont exposeacute agrave ce sujet des vues contradictoires lors des audiences La Cour estime certain que la requeacuterante se trouverait deacutesavantageacutee si son eacutepoux eacutetait repreacutesenteacute par un homme de loi et elle non En dehors mecircme de cette

hypothegravese elle ne croit pas reacutealiste de penser que lrsquointeacuteresseacutee pourrait deacutefendre utilement sa cause dans un tel litige malgreacute lrsquoaide que

le juge - le Gouvernement le souligne - precircte aux parties agissant en personne

En Irlande un jugement de seacuteparation de corps ne srsquoobtient pas devant un tribunal drsquoarrondissement ougrave la proceacutedure est

relativement simple mais devant la High Court Un speacutecialiste du droit irlandais de la famille M Alan J Shatter voit dans cette

juridiction la moins accessible de toutes en raison non seulement du niveau fort eacuteleveacute des honoraires agrave verser pour srsquoy faire repreacutesenter mais aussi de la complexiteacute de la proceacutedure agrave suivre pour introduire une action en particulier sur requecircte (petition)

comme ici (Family Law in the Republic of Ireland Dublin 1977 p 21)

En outre pareil procegraves indeacutependamment des problegravemes juridiques deacutelicats qursquoil comporte exige la preuve drsquoun adultegravere de pratiques contre nature ou comme en lrsquooccurrence de cruauteacute pour eacutetablir les faits il peu y avoir lieu de recueillir la deacuteposition

drsquoexperts de rechercher des teacutemoins de les citer et de les interroger De surcroicirct les diffeacuterends entre conjoints suscitent souvent une

passion peu compatible avec le degreacute drsquoobjectiviteacute indispensable pour plaider en justice

Pour ces motifs la Cour estime tregraves improbable qursquoune personne dans la situation de Mme Airey (paragraphe 8 ci-dessus)

puisse deacutefendre utilement sa propre cause Les reacuteponses du Gouvernement aux questions de la Cour corroborent cette opinion elles

reacutevegravelent que dans chacune des 255 instances en seacuteparation de corps engageacutees en Irlande de janvier 1972 agrave deacutecembre 1978 sans exception un homme de loi repreacutesentait le demandeur (paragraphe 11 ci-dessus)

La Cour en deacuteduit que la possibiliteacute de comparaicirctre en personne devant la High Court nrsquooffre pas agrave la requeacuterante un droit effectif drsquoaccegraves et partant ne constitue pas non plus un recours interne dont lrsquoarticle 26 (art 26) exige lrsquoeacutepuisement (paragraphe 19 b)

ci-dessus)

25 Le Gouvernement essaie de diffeacuterencier la preacutesente espegravece de lrsquoaffaire Golder Dans cette derniegravere souligne-t-il le requeacuterant avait eacuteteacute empecirccheacute de saisir un tribunal par un obstacle positif dresseacute sur son chemin par lrsquoEacutetat le ministre de lrsquointeacuterieur lui

avait interdit de consulter un avocat Ici au contraire il nrsquoexisterait de la part de lrsquoEacutetat ni obstacle positif ni tentative drsquoentrave le

deacutefaut alleacutegueacute drsquoaccegraves agrave la justice ne deacutecoulerait drsquoaucune initiative des autoriteacutes mais uniquement de la situation personnelle de Mme Airey dont on ne saurait tenir lrsquoIrlande pour responsable sur le terrain de la Convention

Cette dissemblance entre les circonstances des deux causes est indeacuteniable mais la Cour nrsquoapprouve pas la conclusion qursquoen

tire le Gouvernement Tout drsquoabord un obstacle de fait peut enfreindre la Convention agrave lrsquoeacutegal drsquoun obstacle juridique (arrecirct Golder preacuteciteacute p 13 par 26) En outre lrsquoexeacutecution drsquoun engagement assumeacute en vertu de la Convention appelle parfois des mesures positives

de lrsquoEacutetat en pareil cas celui-ci ne saurait se borner agrave demeurer passif et il nrsquoy a () pas lieu de distinguer entre actes et omissions

(voir mutatis mutandis lrsquoarrecirct Marckx preacuteciteacute p 15 par 31 et lrsquoarrecirct De Wilde Ooms et Versyp du 10 mars 1972 seacuterie A no 14 p 10 par 22) Or lrsquoobligation drsquoassurer un droit effectif drsquoaccegraves agrave la justice se range dans cette cateacutegorie drsquoengagements

26 Le Gouvernement appuie son argument principal sur ce qursquoil considegravere comme les conseacutequences de lrsquoavis de la

Commission dans chaque contestation relative agrave un droit de caractegravere civil lrsquoEacutetat devrait fournir une aide judiciaire gratuite Or la

seule clause de la Convention qui reacutegisse expresseacutement cette derniegravere question lrsquoarticle 6 par 3 c) (art 6-3-c) concerne les

proceacutedures peacutenales et srsquoaccompagne elle-mecircme de restrictions au surplus drsquoapregraves la jurisprudence constante de la Commission nul

droit agrave une aide judiciaire gratuite ne se trouve en soi garanti par lrsquoarticle 6 par 1 (art 6-1) En ratifiant la Convention ajoute le Gouvernement lrsquoIrlande a formuleacute une reacuteserve agrave lrsquoarticle 6 par 3 c) (art 6-3-c) pour reacuteduire ses obligations dans le domaine de lrsquoaide

judiciaire en matiegravere peacutenale a fortiori on ne saurait selon lui preacutetendre qursquoelle ait tacitement accepteacute drsquooctroyer une aide judiciaire

illimiteacutee dans les litiges civils Enfin il ne faut pas drsquoapregraves lui interpreacuteter la Convention de maniegravere agrave reacutealiser dans un Eacutetat contractant des progregraves eacuteconomiques et sociaux ils ne peuvent ecirctre que graduels

La Cour nrsquoignore pas que le deacuteveloppement des droits eacuteconomiques et sociaux deacutepend beaucoup de la situation des Eacutetats et

notamment de leurs finances Drsquoun autre cocircteacute la Convention doit se lire agrave la lumiegravere des conditions de vie drsquoaujourdrsquohui (arrecirct Marckx preacuteciteacute p 19 par 41) et agrave lrsquointeacuterieur de son champ drsquoapplication elle tend agrave une protection reacuteelle et concregravete de lrsquoindividu

(paragraphe 24 ci-dessus) Or si elle eacutenonce pour lrsquoessentiel des droits civils et politiques nombre drsquoentre eux ont des prolongements

drsquoordre eacuteconomique ou social Avec la Commission la Cour nrsquoestime donc pas devoir eacutecarter telle ou telle interpreacutetation pour le simple motif qursquoagrave lrsquoadopter on risquerait drsquoempieacuteter sur la sphegravere des droits eacuteconomiques et sociaux nulle cloison eacutetanche ne seacutepare

celle-ci du domaine de la Convention

La Cour ne partage pas davantage lrsquoopinion du Gouvernement sur les conseacutequences de lrsquoavis de la Commission

On aurait tort de geacuteneacuteraliser la conclusion selon laquelle la possibiliteacute de comparaicirctre en personne devant la High Court

nrsquooffre pas agrave Mme Airey un droit effectif drsquoaccegraves elle ne vaut pas pour tous les cas concernant des droits et obligations de caractegravere

civil ni pour tous les inteacuteresseacutes Dans certaines hypothegraveses la faculteacute de se preacutesenter devant une juridiction fucirct-ce sans lrsquoassistance drsquoun conseil reacutepond aux exigences de lrsquoarticle 6 par 1 (art 6-1) il se peut qursquoelle assure parfois un accegraves reacuteel mecircme agrave la High Court

En veacuteriteacute les circonstances jouent ici un rocircle important

En outre lrsquoarticle 6 par 1 (art 6-1) srsquoil garantit aux plaideurs un droit effectif drsquoaccegraves aux tribunaux pour les deacutecisions relatives agrave leurs droits et obligations de caractegravere civil laisse agrave lrsquoEacutetat le choix des moyens agrave employer agrave cette fin Lrsquoinstauration drsquoun

systegraveme drsquoaide judiciaire - envisageacutee agrave preacutesent par lrsquoIrlande pour les affaires ressortissant au droit de la famille (paragraphe 11 ci-

1215

dessus) - en constitue un mais il y en a drsquoautres par exemple une simplification de la proceacutedure Quoi qursquoil en soit il nrsquoappartient pas

agrave la Cour de dicter les mesures agrave prendre ni mecircme de les indiquer la Convention se borne agrave exiger que lrsquoindividu jouisse de son droit effectif drsquoaccegraves agrave la justice selon des modaliteacutes non contraires agrave lrsquoarticle 6 par 1 (art 6-1) (voir mutatis mutandis lrsquoarrecirct Syndicat

national de la police belge du 27 octobre 1975 seacuterie A no 19 p 18 par 39 et lrsquoarrecirct Marckx preacuteciteacute p 15 par 31)

La conclusion figurant agrave la fin du paragraphe 24 ci-dessus nrsquoimplique donc pas que lrsquoEacutetat doive fournir une aide judiciaire gratuite dans toute contestation touchant un droit de caractegravere civil

Affirmer lrsquoexistence drsquoune obligation aussi eacutetendue la Cour lrsquoadmet se concilierait mal avec la circonstance que la

Convention ne renferme aucune clause sur lrsquoaide judiciaire pour ces derniegraveres contestations son article 6 par 3 c) (art 6-3-c) ne traitant que de la matiegravere peacutenale Cependant malgreacute lrsquoabsence drsquoun texte analogue pour les procegraves civils lrsquoarticle 6 par 1 (art 6-1)

peut parfois astreindre lrsquoEacutetat agrave pourvoir agrave lrsquoassistance drsquoun membre du barreau quand elle se reacutevegravele indispensable agrave un accegraves effectif

au juge soit parce que la loi prescrit la repreacutesentation par un avocat comme la leacutegislation nationale de certains Eacutetats contractants le fait pour diverses cateacutegories de litiges soit en raison de la complexiteacute de la proceacutedure ou de la cause

Quant agrave la reacuteserve irlandaise agrave lrsquoarticle 6 par 3 c) (art 6-3-c) on ne saurait lrsquointerpreacuteter de telle sorte qursquoelle influerait sur

les engagements reacutesultant de lrsquoarticle 6 par 1 (art 6-1) partant elle nrsquoentre pas ici en ligne de compte

28 La Cour constate ainsi agrave la lumiegravere de lrsquoensemble des circonstances de la cause que Mme Airey nrsquoa pas beacuteneacuteficieacute drsquoun

droit drsquoaccegraves effectif agrave la High Court pour demander un jugement de seacuteparation de corps Partant il y a eu violation de lrsquoarticle 6 par

1 (art 6-1)

32 Aux yeux de la Cour Mme Airey ne saurait passer pour avoir subi de la part de lrsquoIrlande une ingeacuterence dans sa vie

priveacutee ou familiale elle se plaint en substance non drsquoun acte mais de lrsquoinaction de lrsquoEacutetat Toutefois si lrsquoarticle 8 (art 8) a

essentiellement pour objet de preacutemunir lrsquoindividu contre des ingeacuterences arbitraires des pouvoirs publics il ne se contente pas drsquoastreindre lrsquoEacutetat agrave srsquoabstenir de pareilles ingeacuterences agrave cet engagement plutocirct neacutegatif peuvent srsquoajouter des obligations positives

inheacuterentes agrave un respect effectif de la vie priveacutee ou familiale (arrecirct Marckx preacuteciteacute p 15 par 31)

33 Le droit irlandais regravegle cette derniegravere sous beaucoup drsquoaspects Au sujet de mariage il prescrit en principe aux eacutepoux de cohabiter mais il leur accorde dans certains cas le droit de demander un jugement de seacuteparation de corps Par lagrave mecircme il reconnaicirct

que la protection de leur vie priveacutee ou familiale exige parfois de les relever de ce devoir

Un respect effectif de la vie priveacutee ou familiale impose agrave lrsquoIrlande de rendre ce moyen effectivement accessible quand il y a lieu agrave quiconque deacutesire lrsquoemployer Or la requeacuterante nrsquoy a pas eu effectivement accegraves nrsquoayant pas eacuteteacute mise en mesure de saisir la

High Court (paragraphes 20 agrave 28 ci-dessus) elle nrsquoa pu reacuteclamer la conseacutecration juridique de sa seacuteparation de fait drsquoavec son mari Elle a donc eacuteteacute victime drsquoune violation de lrsquoarticle 8 (art 8)

Document ndeg 6 CEDH Lopez Ostra c Espagne 9 Deacutecembre 1994 extraits

51 Il va pourtant de soi que des atteintes graves agrave lrsquoenvironnement peuvent affecter le bien-ecirctre drsquoune personne et la priver

de la jouissance de son domicile de maniegravere agrave nuire agrave sa vie priveacutee et familiale sans pour autant mettre en grave danger la santeacute de lrsquointeacuteresseacutee

Que lrsquoon aborde la question sous lrsquoangle drsquoune obligation positive de lrsquoEtat - adopter des mesures raisonnables et adeacutequates

pour proteacuteger les droits de lrsquoindividu en vertu du paragraphe 1 de lrsquoarticle 8 (art 8-1) - comme le souhaite dans son cas la requeacuterante ou sous celui drsquoune ingeacuterence drsquoune autoriteacute publique agrave justifier selon le paragraphe 2 (art 8-2) les principes applicables sont assez

voisins Dans les deux cas il faut avoir eacutegard au juste eacutequilibre agrave meacutenager entre les inteacuterecircts concurrents de lrsquoindividu et de la socieacuteteacute

dans son ensemble lrsquoEtat jouissant en toute hypothegravese drsquoune certaine marge drsquoappreacuteciation En outre mecircme pour les obligations positives reacutesultant du paragraphe 1 (art 8-1) les objectifs eacutenumeacutereacutes au paragraphe 2 (art 8-2) peuvent jouer un certain rocircle dans la

recherche de lrsquoeacutequilibre voulu (voir notamment les arrecircts Rees c Royaume-Uni du 17 octobre 1986 seacuterie A no 106 p 15 par 37 et

Powell et Rayner c Royaume-Uni du 21 feacutevrier 1990 seacuterie A no 172 p 18 par 41)

52 Il ressort du dossier que la station drsquoeacutepuration litigieuse fut construite en juillet 1988 par SACURSA pour reacutesoudre un

grave problegraveme de pollution existant agrave Lorca agrave cause de la concentration de tanneries Or degraves son entreacutee en service elle provoqua des

nuisances et troubles de santeacute chez de nombreux habitants (paragraphes 7 et 8 ci-dessus)

Certes les autoriteacutes espagnoles et notamment la municipaliteacute de Lorca nrsquoeacutetaient pas en principe directement responsables

des eacutemanations dont il srsquoagit Toutefois comme le signale la Commission la ville permit lrsquoinstallation de la station sur des terrains lui

appartenant et lrsquoEtat octroya une subvention pour sa construction (paragraphe 7 ci-dessus)

53 Le conseil municipal reacuteagit avec ceacuteleacuteriteacute en relogeant gratuitement au centre ville pendant les mois de juillet aoucirct et

septembre 1988 les reacutesidents affecteacutes puis en closant lrsquoune des activiteacutes de la station agrave partir du 9 septembre (paragraphes 8 et 9 ci-

dessus) Cependant ses membres ne pouvaient ignorer que les problegravemes drsquoenvironnement persistegraverent apregraves cette clocircture partielle (paragraphes 9 et 11 ci-dessus) Cela fut drsquoailleurs corroboreacute degraves le 19 janvier 1989 par le rapport de lrsquoAgence reacutegionale pour

lrsquoenvironnement et la nature puis confirmeacute par des expertises en 1991 1992 et 1993 (paragraphes 11 et 18 ci-dessus)

54 Drsquoapregraves Mme Loacutepez Ostra les pouvoirs geacuteneacuteraux de police attribueacutes agrave la municipaliteacute par le regraveglement de 1961 obligeaient ladite municipaliteacute agrave agir En outre la station ne reacuteunissait pas les conditions requises par la loi notamment en ce qui

concernait son emplacement et lrsquoabsence de permis municipal (paragraphes 8 27 et 28 ci-dessus)

55 Sur ce point la Cour rappelle que la question de la leacutegaliteacute de lrsquoinstallation et du fonctionnement de la station demeure pendante devant le Tribunal suprecircme depuis 1991 (paragraphe 16 ci-dessus) Or drsquoapregraves sa jurisprudence constante il incombe au

premier chef aux autoriteacutes nationales et speacutecialement aux cours et tribunaux drsquointerpreacuteter et drsquoappliquer le droit interne (voir entre autres lrsquoarrecirct Casado Coca c Espagne du 24 feacutevrier 1994 seacuterie A no 285-A p 18 par 43)

De toute maniegravere la Cour estime qursquoen lrsquooccurrence il lui suffit de rechercher si agrave supposer mecircme que la municipaliteacute se

soit acquitteacutee des tacircches qui lui revenaient drsquoapregraves le droit interne (paragraphes 27-28 ci-dessus) les autoriteacutes nationales ont pris les mesures neacutecessaires pour proteacuteger le droit de la requeacuterante au respect de son domicile ainsi que de sa vie priveacutee et familiale garanti par

lrsquoarticle 8 (art 8) (voir entre autres mutatis mutandis lrsquoarrecirct X et Y c Pays-Bas du 26 mars 1985 seacuterie A no 91 p 11 par 23)

1315

56 Il eacutechet de constater que non seulement la municipaliteacute nrsquoa pas pris apregraves le 9 septembre 1988 des mesures agrave cette fin

mais aussi qursquoelle a contrecarreacute des deacutecisions judiciaires allant dans ce sens Ainsi dans la proceacutedure ordinaire entameacutee par les belles-soeurs de Mme Loacutepez Ostra elle a interjeteacute appel contre la deacutecision du Tribunal supeacuterieur de Murcie du 18 septembre 1991 ordonnant

la fermeture provisoire de la station de sorte que cette mesure resta en suspens (paragraphe 16 ci-dessus)

Drsquoautres organes de lrsquoEtat ont aussi contribueacute agrave prolonger la situation Ainsi le ministegravere public attaqua le 19 novembre 1991 la deacutecision de fermeture provisoire prise par le juge drsquoinstruction de Lorca le 15 dans le cadre des poursuites pour deacutelit

eacutecologique (paragraphe 17 ci-dessus) si bien que la mesure est resteacutee inexeacutecuteacutee jusqursquoau 27 octobre 1993 (paragraphe 22 ci-dessus)

57 Le Gouvernement rappelle que la ville a assumeacute les frais de location drsquoun appartement au centre de Lorca que la requeacuterante et sa famille ont occupeacute du 1er feacutevrier 1992 jusqursquoen feacutevrier 1993 (paragraphe 21 ci-dessus)

La Cour note cependant que les inteacuteresseacutes ont ducirc subir pendant plus de trois ans les nuisances causeacutees par la station avant

de deacutemeacutenager avec les inconveacutenients que cela comporte Ils ne lrsquoont fait que lorsqursquoil apparut que la situation pouvait se prolonger indeacutefiniment et sur prescription du peacutediatre de la fille de Mme Loacutepez Ostra (paragraphes 16 17 et 19 ci-dessus) Dans ces conditions

lrsquooffre de la municipaliteacute ne pouvait pas effacer complegravetement les nuisances et inconveacutenients veacutecus

58 Compte tenu de ce qui preacutecegravede - et malgreacute la marge drsquoappreacuteciation reconnue agrave lrsquoEtat deacutefendeur - la Cour estime que

celui-ci nrsquoa pas su meacutenager un juste eacutequilibre entre lrsquointeacuterecirct du bien-ecirctre eacuteconomique de la ville de Lorca - celui de disposer drsquoune

station drsquoeacutepuration - et la jouissance effective par la requeacuterante du droit au respect de son domicile et de sa vie priveacutee et familiale

Il y a donc eu violation de lrsquoarticle 8 (art 8)

Document ndeg7 Soering c Royaume-Uni 07071989 extraits

I SUR LA VIOLATION ALLEacuteGUEacuteE DE LrsquoARTICLE 3 (art 3)

80 Selon le requeacuterant la deacutecision du ministre de lrsquoInteacuterieur de le livrer aux autoriteacutes des Eacutetats-Unis drsquoAmeacuterique entraicircnera si elle reccediloit exeacutecution un manquement du Royaume-Uni aux exigences de lrsquoarticle 3 (art 3) de la Convention ainsi

libelleacute

Nul ne peut ecirctre soumis agrave la torture ni agrave des peines ou traitements inhumains ou deacutegradants

A Applicabiliteacute de lrsquoarticle 3 (art 3) en matiegravere drsquoextradition

81 La violation alleacutegueacutee consisterait agrave exposer M Soering au syndrome du couloir de la mort (death row

phenomenon) On peut deacutecrire celui-ci comme une combinaison de circonstances dans lesquelles lrsquointeacuteresseacute devrait vivre si une fois extradeacute en Virginie pour y reacutepondre drsquoune accusation drsquoassassinats passibles de la peine capitale il se voyait condamner agrave mort

82 [hellip] la Commission rappelle que drsquoapregraves sa jurisprudence une expulsion ou extradition peut soulever un problegraveme au

regard de lrsquoarticle 3 (art 3) de la Convention srsquoil existe des raisons seacuterieuses de croire que la personne en cause subira dans lrsquoEacutetat de destination un traitement contraire agrave ce texte

[hellip]

84 La Cour abordera le problegraveme sur la base des consideacuterations suivantes

[hellip]

86 Lrsquoarticle 1 (art 1) aux termes duquel les Hautes Parties Contractantes reconnaissent agrave toute personne relevant de leur

juridiction les droits et liberteacutes deacutefinis au Titre I fixe une limite notamment territoriale au domaine de la Convention En particulier lrsquoengagement des Eacutetats contractants se borne agrave reconnaicirctre (en anglais to secure) aux personnes relevant de leur juridiction les

droits et liberteacutes eacutenumeacutereacutes En outre la Convention ne reacutegit pas les actes drsquoun Eacutetat tiers ni ne preacutetend exiger des Parties contractantes

qursquoelles imposent ses normes agrave pareil Eacutetat Lrsquoarticle 1 (art 1) ne saurait srsquointerpreacuteter comme consacrant un principe geacuteneacuteral selon

lequel un Eacutetat contractant nonobstant ses obligations en matiegravere drsquoextradition ne peut livrer un individu sans se convaincre que les

conditions escompteacutees dans le pays de destination cadrent pleinement avec chacune des garanties de la Convention En reacutealiteacute le

gouvernement britannique le souligne avec raison en deacuteterminant le champ drsquoapplication de la Convention et speacutecialement de lrsquoarticle 3 (art 3) on ne saurait oublier lrsquoobjectif beacuteneacutefique de lrsquoextradition empecirccher des deacutelinquants en fuite de se soustraire agrave la

justice

[hellip]

87 La Convention doit se lire en fonction de son caractegravere speacutecifique de traiteacute de garantie collective des droits de

lrsquohomme et des liberteacutes fondamentales (hellip) Lrsquoobjet et le but de cet instrument de protection des ecirctres humains appellent agrave comprendre

et appliquer ses dispositions drsquoune maniegravere qui en rende les exigences concregravetes et effectives (hellip) En outre toute interpreacutetation des droits et liberteacutes eacutenumeacutereacutes doit se concilier avec lrsquoesprit geacuteneacuteral [de la Convention] destineacutee agrave sauvegarder et promouvoir les ideacuteaux

et valeurs drsquoune socieacuteteacute deacutemocratique (hellip)

88 Lrsquoarticle 3 (art 3) ne meacutenage aucune exception et lrsquoarticle 15 (art 15) ne permet pas drsquoy deacuteroger en temps de guerre ou autre danger national Cette prohibition absolue par la Convention de la torture et des peines ou traitements inhumains ou

deacutegradants montre que lrsquoarticle 3 (art 3) consacre lrsquoune des valeurs fondamentales des socieacuteteacutes deacutemocratiques qui forment le Conseil

de lrsquoEurope

Reste agrave savoir si lrsquoextradition drsquoun fugitif vers un autre Eacutetat ougrave il subira ou risquera de subir la torture ou des peines ou

traitements inhumains ou deacutegradants engage par elle-mecircme la responsabiliteacute drsquoun Eacutetat contractant sur le terrain de lrsquoarticle 3 (art

3)(hellip) Un Eacutetat contractant se conduirait drsquoune maniegravere incompatible avec les valeurs sous-jacentes agrave la Convention ce patrimoine commun drsquoideacuteal et de traditions politiques de respect de la liberteacute et de preacuteeacuteminence du droit auquel se reacutefegravere le Preacuteambule srsquoil

remettait consciemment un fugitif - pour odieux que puisse ecirctre le crime reprocheacute - agrave un autre Eacutetat ougrave il existe des motifs seacuterieux de penser qursquoun danger de torture menace lrsquointeacuteresseacute Malgreacute lrsquoabsence de mention expresse dans le texte bref et geacuteneacuteral de lrsquoarticle 3

(art 3) pareille extradition irait manifestement agrave lrsquoencontre de lrsquoesprit de ce dernier aux yeux de la Cour lrsquoobligation implicite de ne

1415

pas extrader srsquoeacutetend aussi au cas ougrave le fugitif risquerait de subir dans lrsquoEacutetat de destination des peines ou traitements inhumains ou

deacutegradants proscrits par ledit article (art 3)

89 Ce qui constitue des peines ou traitements inhumains ou deacutegradants deacutepend de lrsquoensemble des circonstances de la

cause [hellip]

90 En principe il nrsquoappartient pas aux organes de la Convention de statuer sur lrsquoexistence ou lrsquoabsence de violations virtuelles de celle-ci Une deacuterogation agrave la regravegle geacuteneacuterale srsquoimpose pourtant si un fugitif allegravegue que la deacutecision de lrsquoextrader

enfreindrait lrsquoarticle 3 (art 3) au cas ougrave elle recevrait exeacutecution en raison des conseacutequences agrave en attendre dans le pays de destination

il y va de lrsquoefficaciteacute de la garantie assureacutee par ce texte vu la graviteacute et le caractegravere irreacuteparable de la souffrance preacutetendument risqueacutee (paragraphe 87 ci-dessus)

[hellip]

B Application de lrsquoarticle 3 (art 3) dans les circonstances de la cause

92 La proceacutedure drsquoextradition ouverte au Royaume-Uni contre le requeacuterant a pris fin avec la signature par le ministre

drsquoun arrecircteacute qui ordonnait la remise aux autoriteacutes ameacutericaines (hellip) quoique non encore exeacutecuteacutee cette deacutecision atteint de plein fouet

lrsquointeacuteresseacute Il faut donc rechercher agrave la lumiegravere des principes eacutenonceacutes plus haut si les conseacutequences preacutevisibles drsquoun renvoi de M

Soering aux Eacutetats-Unis sont de nature agrave faire jouer lrsquoarticle 3 (art 3)

98[hellip] Quoi qursquoil en soit selon le droit et la pratique de Virginie (hellip) et nonobstant le contexte diplomatique des relations

anglo-ameacutericaines en matiegravere drsquoextradition on ne peut dire objectivement que lrsquoengagement de signaler au juge au moment de la fixation de la peine les voeux du Royaume-Uni eacutecarte le danger drsquoune sentence capitale Dans le libre exercice de son pouvoir

drsquoappreacuteciation lrsquoAttorney de lrsquoEacutetat a deacutecideacute lui-mecircme de requeacuterir et persister agrave requeacuterir la peine capitale parce que le dossier lui

semble le commander (paragraphe 20 in fine ci-dessus) Si lrsquoautoriteacute nationale chargeacutee des poursuites adopte une attitude aussi ferme la Cour ne saurait guegravere conclure agrave lrsquoabsence de motifs seacuterieux de croire que M Soering court un risque reacuteel drsquoecirctre condamneacute agrave mort

donc de subir le syndrome du couloir de la mort

99 Partant la perspective de voir lrsquointeacuteresseacute exposeacute agrave ce syndrome comme il le redoute se reacutevegravele telle que lrsquoarticle 3 (art 3) entre en jeu

2 Sur le point de savoir si le risque drsquoexposer le requeacuterant au syndrome du couloir de la mort rendrait lrsquoextradition

contraire agrave lrsquoarticle 3 (art 3)

a) Consideacuterations geacuteneacuterales

100 Drsquoapregraves la jurisprudence de la Cour un mauvais traitement y compris une peine doit atteindre un minimum de graviteacute pour tomber sous le coup de lrsquoarticle 3 (art 3) Lrsquoappreacuteciation de ce minimum est relative par essence elle deacutepend de

lrsquoensemble des donneacutees de la cause et notamment de la nature et du contexte du traitement ou de la peine ainsi que de ses modaliteacutes

drsquoexeacutecution de sa dureacutee de ses effets physiques ou mentaux ainsi que parfois du sexe de lrsquoacircge et de lrsquoeacutetat de santeacute de la victime

La Cour a estimeacute un certain traitement agrave la fois inhumain pour avoir eacuteteacute appliqueacute avec preacutemeacuteditation pendant des heures

et avoir causeacute sinon de veacuteritables leacutesions du moins de vives souffrances physiques et morales et deacutegradant parce que de nature agrave

creacuteer [en ses victimes] des sentiments de peur drsquoangoisse et drsquoinfeacuterioriteacute propres agrave les humilier agrave les avilir et agrave briser eacuteventuellement leur reacutesistance physique ou morale (hellip) Pour qursquoune peine ou le traitement dont elle srsquoaccompagne soient inhumains ou

deacutegradants la souffrance ou lrsquohumiliation doivent en tout cas aller au-delagrave de celles que comporte ineacutevitablement une forme donneacutee

de peine leacutegitime (hellip ) En la matiegravere il eacutechet de tenir compte non seulement de la souffrance physique mais aussi en cas de long deacutelai avant lrsquoexeacutecution de la peine de lrsquoangoisse morale eacuteprouveacutee par le condamneacute dans lrsquoattente des violences qursquoon se preacutepare agrave lui

infliger

[hellip]

b) Les circonstances de la cause

i Dureacutee de la deacutetention avant lrsquoexeacutecution

[hellip]

106 [hellip] Un certain laps de temps doit forceacutement srsquoeacutecouler entre le prononceacute de la peine et son exeacutecution si lrsquoon veut

fournir au condamneacute des garanties de recours mais de mecircme il entre dans la nature humaine que lrsquointeacuteresseacute srsquoaccroche agrave lrsquoexistence

en les exploitant au maximum Si bien intentionneacute soit-il voire potentiellement beacuteneacutefique le systegraveme virginien de proceacutedures posteacuterieures agrave la sentence aboutit agrave obliger le condamneacute deacutetenu agrave subir pendant des anneacutees les conditions du couloir de la mort

lrsquoangoisse et la tension grandissante de vivre dans lrsquoombre omnipreacutesente de la mort

ii Situation dans le couloir de la mort

[hellip]

109 [hellip] Bien que la Cour nrsquoait pas agrave preacutejuger de la responsabiliteacute peacutenale et de la peine approprieacutee la jeunesse du

requeacuterant agrave lrsquoeacutepoque de lrsquoinfraction et sa condition mentale drsquoalors illustreacutees par le dossier psychiatrique existant figurent donc parmi les donneacutees qui tendent en lrsquoespegravece agrave faire relever de lrsquoarticle 3 (art 3) le traitement agrave subir dans le couloir de la mort

[hellip]

c) Conclusion

111 [hellip] Eu eacutegard cependant agrave la tregraves longue peacuteriode agrave passer dans le couloir de la mort dans des conditions aussi

extrecircmes avec lrsquoangoisse omnipreacutesente et croissante de lrsquoexeacutecution de la peine capitale et agrave la situation personnelle du requeacuterant en

particulier son acircge et son eacutetat mental agrave lrsquoeacutepoque de lrsquoinfraction une extradition vers les Eacutetats-Unis exposerait lrsquointeacuteresseacute agrave un risque reacuteel de traitement deacutepassant le seuil fixeacute par lrsquoarticle 3 (art 3) Lrsquoexistence en lrsquoespegravece drsquoun autre moyen drsquoatteindre le but leacutegitime

1515

de lrsquoextradition sans entraicircner pour autant des souffrances drsquoune intensiteacute ou dureacutee aussi exceptionnelles repreacutesente une consideacuteration

pertinente suppleacutementaire

En conclusion la deacutecision ministeacuterielle de livrer le requeacuterant aux Eacutetats-Unis violerait lrsquoarticle 3 (art 3) si elle recevait

exeacutecution

[hellip]

PAR CES MOTIFS LA COUR A LrsquoUNANIMITE

1 Dit qursquoil y aurait violation de lrsquoarticle 3 (art 3) si la deacutecision ministeacuterielle drsquoextrader le requeacuterant vers les Eacutetats-Unis drsquoAmeacuterique

recevait exeacutecution

Page 12: Dedh 2014 - Fiche 2

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dessus) - en constitue un mais il y en a drsquoautres par exemple une simplification de la proceacutedure Quoi qursquoil en soit il nrsquoappartient pas

agrave la Cour de dicter les mesures agrave prendre ni mecircme de les indiquer la Convention se borne agrave exiger que lrsquoindividu jouisse de son droit effectif drsquoaccegraves agrave la justice selon des modaliteacutes non contraires agrave lrsquoarticle 6 par 1 (art 6-1) (voir mutatis mutandis lrsquoarrecirct Syndicat

national de la police belge du 27 octobre 1975 seacuterie A no 19 p 18 par 39 et lrsquoarrecirct Marckx preacuteciteacute p 15 par 31)

La conclusion figurant agrave la fin du paragraphe 24 ci-dessus nrsquoimplique donc pas que lrsquoEacutetat doive fournir une aide judiciaire gratuite dans toute contestation touchant un droit de caractegravere civil

Affirmer lrsquoexistence drsquoune obligation aussi eacutetendue la Cour lrsquoadmet se concilierait mal avec la circonstance que la

Convention ne renferme aucune clause sur lrsquoaide judiciaire pour ces derniegraveres contestations son article 6 par 3 c) (art 6-3-c) ne traitant que de la matiegravere peacutenale Cependant malgreacute lrsquoabsence drsquoun texte analogue pour les procegraves civils lrsquoarticle 6 par 1 (art 6-1)

peut parfois astreindre lrsquoEacutetat agrave pourvoir agrave lrsquoassistance drsquoun membre du barreau quand elle se reacutevegravele indispensable agrave un accegraves effectif

au juge soit parce que la loi prescrit la repreacutesentation par un avocat comme la leacutegislation nationale de certains Eacutetats contractants le fait pour diverses cateacutegories de litiges soit en raison de la complexiteacute de la proceacutedure ou de la cause

Quant agrave la reacuteserve irlandaise agrave lrsquoarticle 6 par 3 c) (art 6-3-c) on ne saurait lrsquointerpreacuteter de telle sorte qursquoelle influerait sur

les engagements reacutesultant de lrsquoarticle 6 par 1 (art 6-1) partant elle nrsquoentre pas ici en ligne de compte

28 La Cour constate ainsi agrave la lumiegravere de lrsquoensemble des circonstances de la cause que Mme Airey nrsquoa pas beacuteneacuteficieacute drsquoun

droit drsquoaccegraves effectif agrave la High Court pour demander un jugement de seacuteparation de corps Partant il y a eu violation de lrsquoarticle 6 par

1 (art 6-1)

32 Aux yeux de la Cour Mme Airey ne saurait passer pour avoir subi de la part de lrsquoIrlande une ingeacuterence dans sa vie

priveacutee ou familiale elle se plaint en substance non drsquoun acte mais de lrsquoinaction de lrsquoEacutetat Toutefois si lrsquoarticle 8 (art 8) a

essentiellement pour objet de preacutemunir lrsquoindividu contre des ingeacuterences arbitraires des pouvoirs publics il ne se contente pas drsquoastreindre lrsquoEacutetat agrave srsquoabstenir de pareilles ingeacuterences agrave cet engagement plutocirct neacutegatif peuvent srsquoajouter des obligations positives

inheacuterentes agrave un respect effectif de la vie priveacutee ou familiale (arrecirct Marckx preacuteciteacute p 15 par 31)

33 Le droit irlandais regravegle cette derniegravere sous beaucoup drsquoaspects Au sujet de mariage il prescrit en principe aux eacutepoux de cohabiter mais il leur accorde dans certains cas le droit de demander un jugement de seacuteparation de corps Par lagrave mecircme il reconnaicirct

que la protection de leur vie priveacutee ou familiale exige parfois de les relever de ce devoir

Un respect effectif de la vie priveacutee ou familiale impose agrave lrsquoIrlande de rendre ce moyen effectivement accessible quand il y a lieu agrave quiconque deacutesire lrsquoemployer Or la requeacuterante nrsquoy a pas eu effectivement accegraves nrsquoayant pas eacuteteacute mise en mesure de saisir la

High Court (paragraphes 20 agrave 28 ci-dessus) elle nrsquoa pu reacuteclamer la conseacutecration juridique de sa seacuteparation de fait drsquoavec son mari Elle a donc eacuteteacute victime drsquoune violation de lrsquoarticle 8 (art 8)

Document ndeg 6 CEDH Lopez Ostra c Espagne 9 Deacutecembre 1994 extraits

51 Il va pourtant de soi que des atteintes graves agrave lrsquoenvironnement peuvent affecter le bien-ecirctre drsquoune personne et la priver

de la jouissance de son domicile de maniegravere agrave nuire agrave sa vie priveacutee et familiale sans pour autant mettre en grave danger la santeacute de lrsquointeacuteresseacutee

Que lrsquoon aborde la question sous lrsquoangle drsquoune obligation positive de lrsquoEtat - adopter des mesures raisonnables et adeacutequates

pour proteacuteger les droits de lrsquoindividu en vertu du paragraphe 1 de lrsquoarticle 8 (art 8-1) - comme le souhaite dans son cas la requeacuterante ou sous celui drsquoune ingeacuterence drsquoune autoriteacute publique agrave justifier selon le paragraphe 2 (art 8-2) les principes applicables sont assez

voisins Dans les deux cas il faut avoir eacutegard au juste eacutequilibre agrave meacutenager entre les inteacuterecircts concurrents de lrsquoindividu et de la socieacuteteacute

dans son ensemble lrsquoEtat jouissant en toute hypothegravese drsquoune certaine marge drsquoappreacuteciation En outre mecircme pour les obligations positives reacutesultant du paragraphe 1 (art 8-1) les objectifs eacutenumeacutereacutes au paragraphe 2 (art 8-2) peuvent jouer un certain rocircle dans la

recherche de lrsquoeacutequilibre voulu (voir notamment les arrecircts Rees c Royaume-Uni du 17 octobre 1986 seacuterie A no 106 p 15 par 37 et

Powell et Rayner c Royaume-Uni du 21 feacutevrier 1990 seacuterie A no 172 p 18 par 41)

52 Il ressort du dossier que la station drsquoeacutepuration litigieuse fut construite en juillet 1988 par SACURSA pour reacutesoudre un

grave problegraveme de pollution existant agrave Lorca agrave cause de la concentration de tanneries Or degraves son entreacutee en service elle provoqua des

nuisances et troubles de santeacute chez de nombreux habitants (paragraphes 7 et 8 ci-dessus)

Certes les autoriteacutes espagnoles et notamment la municipaliteacute de Lorca nrsquoeacutetaient pas en principe directement responsables

des eacutemanations dont il srsquoagit Toutefois comme le signale la Commission la ville permit lrsquoinstallation de la station sur des terrains lui

appartenant et lrsquoEtat octroya une subvention pour sa construction (paragraphe 7 ci-dessus)

53 Le conseil municipal reacuteagit avec ceacuteleacuteriteacute en relogeant gratuitement au centre ville pendant les mois de juillet aoucirct et

septembre 1988 les reacutesidents affecteacutes puis en closant lrsquoune des activiteacutes de la station agrave partir du 9 septembre (paragraphes 8 et 9 ci-

dessus) Cependant ses membres ne pouvaient ignorer que les problegravemes drsquoenvironnement persistegraverent apregraves cette clocircture partielle (paragraphes 9 et 11 ci-dessus) Cela fut drsquoailleurs corroboreacute degraves le 19 janvier 1989 par le rapport de lrsquoAgence reacutegionale pour

lrsquoenvironnement et la nature puis confirmeacute par des expertises en 1991 1992 et 1993 (paragraphes 11 et 18 ci-dessus)

54 Drsquoapregraves Mme Loacutepez Ostra les pouvoirs geacuteneacuteraux de police attribueacutes agrave la municipaliteacute par le regraveglement de 1961 obligeaient ladite municipaliteacute agrave agir En outre la station ne reacuteunissait pas les conditions requises par la loi notamment en ce qui

concernait son emplacement et lrsquoabsence de permis municipal (paragraphes 8 27 et 28 ci-dessus)

55 Sur ce point la Cour rappelle que la question de la leacutegaliteacute de lrsquoinstallation et du fonctionnement de la station demeure pendante devant le Tribunal suprecircme depuis 1991 (paragraphe 16 ci-dessus) Or drsquoapregraves sa jurisprudence constante il incombe au

premier chef aux autoriteacutes nationales et speacutecialement aux cours et tribunaux drsquointerpreacuteter et drsquoappliquer le droit interne (voir entre autres lrsquoarrecirct Casado Coca c Espagne du 24 feacutevrier 1994 seacuterie A no 285-A p 18 par 43)

De toute maniegravere la Cour estime qursquoen lrsquooccurrence il lui suffit de rechercher si agrave supposer mecircme que la municipaliteacute se

soit acquitteacutee des tacircches qui lui revenaient drsquoapregraves le droit interne (paragraphes 27-28 ci-dessus) les autoriteacutes nationales ont pris les mesures neacutecessaires pour proteacuteger le droit de la requeacuterante au respect de son domicile ainsi que de sa vie priveacutee et familiale garanti par

lrsquoarticle 8 (art 8) (voir entre autres mutatis mutandis lrsquoarrecirct X et Y c Pays-Bas du 26 mars 1985 seacuterie A no 91 p 11 par 23)

1315

56 Il eacutechet de constater que non seulement la municipaliteacute nrsquoa pas pris apregraves le 9 septembre 1988 des mesures agrave cette fin

mais aussi qursquoelle a contrecarreacute des deacutecisions judiciaires allant dans ce sens Ainsi dans la proceacutedure ordinaire entameacutee par les belles-soeurs de Mme Loacutepez Ostra elle a interjeteacute appel contre la deacutecision du Tribunal supeacuterieur de Murcie du 18 septembre 1991 ordonnant

la fermeture provisoire de la station de sorte que cette mesure resta en suspens (paragraphe 16 ci-dessus)

Drsquoautres organes de lrsquoEtat ont aussi contribueacute agrave prolonger la situation Ainsi le ministegravere public attaqua le 19 novembre 1991 la deacutecision de fermeture provisoire prise par le juge drsquoinstruction de Lorca le 15 dans le cadre des poursuites pour deacutelit

eacutecologique (paragraphe 17 ci-dessus) si bien que la mesure est resteacutee inexeacutecuteacutee jusqursquoau 27 octobre 1993 (paragraphe 22 ci-dessus)

57 Le Gouvernement rappelle que la ville a assumeacute les frais de location drsquoun appartement au centre de Lorca que la requeacuterante et sa famille ont occupeacute du 1er feacutevrier 1992 jusqursquoen feacutevrier 1993 (paragraphe 21 ci-dessus)

La Cour note cependant que les inteacuteresseacutes ont ducirc subir pendant plus de trois ans les nuisances causeacutees par la station avant

de deacutemeacutenager avec les inconveacutenients que cela comporte Ils ne lrsquoont fait que lorsqursquoil apparut que la situation pouvait se prolonger indeacutefiniment et sur prescription du peacutediatre de la fille de Mme Loacutepez Ostra (paragraphes 16 17 et 19 ci-dessus) Dans ces conditions

lrsquooffre de la municipaliteacute ne pouvait pas effacer complegravetement les nuisances et inconveacutenients veacutecus

58 Compte tenu de ce qui preacutecegravede - et malgreacute la marge drsquoappreacuteciation reconnue agrave lrsquoEtat deacutefendeur - la Cour estime que

celui-ci nrsquoa pas su meacutenager un juste eacutequilibre entre lrsquointeacuterecirct du bien-ecirctre eacuteconomique de la ville de Lorca - celui de disposer drsquoune

station drsquoeacutepuration - et la jouissance effective par la requeacuterante du droit au respect de son domicile et de sa vie priveacutee et familiale

Il y a donc eu violation de lrsquoarticle 8 (art 8)

Document ndeg7 Soering c Royaume-Uni 07071989 extraits

I SUR LA VIOLATION ALLEacuteGUEacuteE DE LrsquoARTICLE 3 (art 3)

80 Selon le requeacuterant la deacutecision du ministre de lrsquoInteacuterieur de le livrer aux autoriteacutes des Eacutetats-Unis drsquoAmeacuterique entraicircnera si elle reccediloit exeacutecution un manquement du Royaume-Uni aux exigences de lrsquoarticle 3 (art 3) de la Convention ainsi

libelleacute

Nul ne peut ecirctre soumis agrave la torture ni agrave des peines ou traitements inhumains ou deacutegradants

A Applicabiliteacute de lrsquoarticle 3 (art 3) en matiegravere drsquoextradition

81 La violation alleacutegueacutee consisterait agrave exposer M Soering au syndrome du couloir de la mort (death row

phenomenon) On peut deacutecrire celui-ci comme une combinaison de circonstances dans lesquelles lrsquointeacuteresseacute devrait vivre si une fois extradeacute en Virginie pour y reacutepondre drsquoune accusation drsquoassassinats passibles de la peine capitale il se voyait condamner agrave mort

82 [hellip] la Commission rappelle que drsquoapregraves sa jurisprudence une expulsion ou extradition peut soulever un problegraveme au

regard de lrsquoarticle 3 (art 3) de la Convention srsquoil existe des raisons seacuterieuses de croire que la personne en cause subira dans lrsquoEacutetat de destination un traitement contraire agrave ce texte

[hellip]

84 La Cour abordera le problegraveme sur la base des consideacuterations suivantes

[hellip]

86 Lrsquoarticle 1 (art 1) aux termes duquel les Hautes Parties Contractantes reconnaissent agrave toute personne relevant de leur

juridiction les droits et liberteacutes deacutefinis au Titre I fixe une limite notamment territoriale au domaine de la Convention En particulier lrsquoengagement des Eacutetats contractants se borne agrave reconnaicirctre (en anglais to secure) aux personnes relevant de leur juridiction les

droits et liberteacutes eacutenumeacutereacutes En outre la Convention ne reacutegit pas les actes drsquoun Eacutetat tiers ni ne preacutetend exiger des Parties contractantes

qursquoelles imposent ses normes agrave pareil Eacutetat Lrsquoarticle 1 (art 1) ne saurait srsquointerpreacuteter comme consacrant un principe geacuteneacuteral selon

lequel un Eacutetat contractant nonobstant ses obligations en matiegravere drsquoextradition ne peut livrer un individu sans se convaincre que les

conditions escompteacutees dans le pays de destination cadrent pleinement avec chacune des garanties de la Convention En reacutealiteacute le

gouvernement britannique le souligne avec raison en deacuteterminant le champ drsquoapplication de la Convention et speacutecialement de lrsquoarticle 3 (art 3) on ne saurait oublier lrsquoobjectif beacuteneacutefique de lrsquoextradition empecirccher des deacutelinquants en fuite de se soustraire agrave la

justice

[hellip]

87 La Convention doit se lire en fonction de son caractegravere speacutecifique de traiteacute de garantie collective des droits de

lrsquohomme et des liberteacutes fondamentales (hellip) Lrsquoobjet et le but de cet instrument de protection des ecirctres humains appellent agrave comprendre

et appliquer ses dispositions drsquoune maniegravere qui en rende les exigences concregravetes et effectives (hellip) En outre toute interpreacutetation des droits et liberteacutes eacutenumeacutereacutes doit se concilier avec lrsquoesprit geacuteneacuteral [de la Convention] destineacutee agrave sauvegarder et promouvoir les ideacuteaux

et valeurs drsquoune socieacuteteacute deacutemocratique (hellip)

88 Lrsquoarticle 3 (art 3) ne meacutenage aucune exception et lrsquoarticle 15 (art 15) ne permet pas drsquoy deacuteroger en temps de guerre ou autre danger national Cette prohibition absolue par la Convention de la torture et des peines ou traitements inhumains ou

deacutegradants montre que lrsquoarticle 3 (art 3) consacre lrsquoune des valeurs fondamentales des socieacuteteacutes deacutemocratiques qui forment le Conseil

de lrsquoEurope

Reste agrave savoir si lrsquoextradition drsquoun fugitif vers un autre Eacutetat ougrave il subira ou risquera de subir la torture ou des peines ou

traitements inhumains ou deacutegradants engage par elle-mecircme la responsabiliteacute drsquoun Eacutetat contractant sur le terrain de lrsquoarticle 3 (art

3)(hellip) Un Eacutetat contractant se conduirait drsquoune maniegravere incompatible avec les valeurs sous-jacentes agrave la Convention ce patrimoine commun drsquoideacuteal et de traditions politiques de respect de la liberteacute et de preacuteeacuteminence du droit auquel se reacutefegravere le Preacuteambule srsquoil

remettait consciemment un fugitif - pour odieux que puisse ecirctre le crime reprocheacute - agrave un autre Eacutetat ougrave il existe des motifs seacuterieux de penser qursquoun danger de torture menace lrsquointeacuteresseacute Malgreacute lrsquoabsence de mention expresse dans le texte bref et geacuteneacuteral de lrsquoarticle 3

(art 3) pareille extradition irait manifestement agrave lrsquoencontre de lrsquoesprit de ce dernier aux yeux de la Cour lrsquoobligation implicite de ne

1415

pas extrader srsquoeacutetend aussi au cas ougrave le fugitif risquerait de subir dans lrsquoEacutetat de destination des peines ou traitements inhumains ou

deacutegradants proscrits par ledit article (art 3)

89 Ce qui constitue des peines ou traitements inhumains ou deacutegradants deacutepend de lrsquoensemble des circonstances de la

cause [hellip]

90 En principe il nrsquoappartient pas aux organes de la Convention de statuer sur lrsquoexistence ou lrsquoabsence de violations virtuelles de celle-ci Une deacuterogation agrave la regravegle geacuteneacuterale srsquoimpose pourtant si un fugitif allegravegue que la deacutecision de lrsquoextrader

enfreindrait lrsquoarticle 3 (art 3) au cas ougrave elle recevrait exeacutecution en raison des conseacutequences agrave en attendre dans le pays de destination

il y va de lrsquoefficaciteacute de la garantie assureacutee par ce texte vu la graviteacute et le caractegravere irreacuteparable de la souffrance preacutetendument risqueacutee (paragraphe 87 ci-dessus)

[hellip]

B Application de lrsquoarticle 3 (art 3) dans les circonstances de la cause

92 La proceacutedure drsquoextradition ouverte au Royaume-Uni contre le requeacuterant a pris fin avec la signature par le ministre

drsquoun arrecircteacute qui ordonnait la remise aux autoriteacutes ameacutericaines (hellip) quoique non encore exeacutecuteacutee cette deacutecision atteint de plein fouet

lrsquointeacuteresseacute Il faut donc rechercher agrave la lumiegravere des principes eacutenonceacutes plus haut si les conseacutequences preacutevisibles drsquoun renvoi de M

Soering aux Eacutetats-Unis sont de nature agrave faire jouer lrsquoarticle 3 (art 3)

98[hellip] Quoi qursquoil en soit selon le droit et la pratique de Virginie (hellip) et nonobstant le contexte diplomatique des relations

anglo-ameacutericaines en matiegravere drsquoextradition on ne peut dire objectivement que lrsquoengagement de signaler au juge au moment de la fixation de la peine les voeux du Royaume-Uni eacutecarte le danger drsquoune sentence capitale Dans le libre exercice de son pouvoir

drsquoappreacuteciation lrsquoAttorney de lrsquoEacutetat a deacutecideacute lui-mecircme de requeacuterir et persister agrave requeacuterir la peine capitale parce que le dossier lui

semble le commander (paragraphe 20 in fine ci-dessus) Si lrsquoautoriteacute nationale chargeacutee des poursuites adopte une attitude aussi ferme la Cour ne saurait guegravere conclure agrave lrsquoabsence de motifs seacuterieux de croire que M Soering court un risque reacuteel drsquoecirctre condamneacute agrave mort

donc de subir le syndrome du couloir de la mort

99 Partant la perspective de voir lrsquointeacuteresseacute exposeacute agrave ce syndrome comme il le redoute se reacutevegravele telle que lrsquoarticle 3 (art 3) entre en jeu

2 Sur le point de savoir si le risque drsquoexposer le requeacuterant au syndrome du couloir de la mort rendrait lrsquoextradition

contraire agrave lrsquoarticle 3 (art 3)

a) Consideacuterations geacuteneacuterales

100 Drsquoapregraves la jurisprudence de la Cour un mauvais traitement y compris une peine doit atteindre un minimum de graviteacute pour tomber sous le coup de lrsquoarticle 3 (art 3) Lrsquoappreacuteciation de ce minimum est relative par essence elle deacutepend de

lrsquoensemble des donneacutees de la cause et notamment de la nature et du contexte du traitement ou de la peine ainsi que de ses modaliteacutes

drsquoexeacutecution de sa dureacutee de ses effets physiques ou mentaux ainsi que parfois du sexe de lrsquoacircge et de lrsquoeacutetat de santeacute de la victime

La Cour a estimeacute un certain traitement agrave la fois inhumain pour avoir eacuteteacute appliqueacute avec preacutemeacuteditation pendant des heures

et avoir causeacute sinon de veacuteritables leacutesions du moins de vives souffrances physiques et morales et deacutegradant parce que de nature agrave

creacuteer [en ses victimes] des sentiments de peur drsquoangoisse et drsquoinfeacuterioriteacute propres agrave les humilier agrave les avilir et agrave briser eacuteventuellement leur reacutesistance physique ou morale (hellip) Pour qursquoune peine ou le traitement dont elle srsquoaccompagne soient inhumains ou

deacutegradants la souffrance ou lrsquohumiliation doivent en tout cas aller au-delagrave de celles que comporte ineacutevitablement une forme donneacutee

de peine leacutegitime (hellip ) En la matiegravere il eacutechet de tenir compte non seulement de la souffrance physique mais aussi en cas de long deacutelai avant lrsquoexeacutecution de la peine de lrsquoangoisse morale eacuteprouveacutee par le condamneacute dans lrsquoattente des violences qursquoon se preacutepare agrave lui

infliger

[hellip]

b) Les circonstances de la cause

i Dureacutee de la deacutetention avant lrsquoexeacutecution

[hellip]

106 [hellip] Un certain laps de temps doit forceacutement srsquoeacutecouler entre le prononceacute de la peine et son exeacutecution si lrsquoon veut

fournir au condamneacute des garanties de recours mais de mecircme il entre dans la nature humaine que lrsquointeacuteresseacute srsquoaccroche agrave lrsquoexistence

en les exploitant au maximum Si bien intentionneacute soit-il voire potentiellement beacuteneacutefique le systegraveme virginien de proceacutedures posteacuterieures agrave la sentence aboutit agrave obliger le condamneacute deacutetenu agrave subir pendant des anneacutees les conditions du couloir de la mort

lrsquoangoisse et la tension grandissante de vivre dans lrsquoombre omnipreacutesente de la mort

ii Situation dans le couloir de la mort

[hellip]

109 [hellip] Bien que la Cour nrsquoait pas agrave preacutejuger de la responsabiliteacute peacutenale et de la peine approprieacutee la jeunesse du

requeacuterant agrave lrsquoeacutepoque de lrsquoinfraction et sa condition mentale drsquoalors illustreacutees par le dossier psychiatrique existant figurent donc parmi les donneacutees qui tendent en lrsquoespegravece agrave faire relever de lrsquoarticle 3 (art 3) le traitement agrave subir dans le couloir de la mort

[hellip]

c) Conclusion

111 [hellip] Eu eacutegard cependant agrave la tregraves longue peacuteriode agrave passer dans le couloir de la mort dans des conditions aussi

extrecircmes avec lrsquoangoisse omnipreacutesente et croissante de lrsquoexeacutecution de la peine capitale et agrave la situation personnelle du requeacuterant en

particulier son acircge et son eacutetat mental agrave lrsquoeacutepoque de lrsquoinfraction une extradition vers les Eacutetats-Unis exposerait lrsquointeacuteresseacute agrave un risque reacuteel de traitement deacutepassant le seuil fixeacute par lrsquoarticle 3 (art 3) Lrsquoexistence en lrsquoespegravece drsquoun autre moyen drsquoatteindre le but leacutegitime

1515

de lrsquoextradition sans entraicircner pour autant des souffrances drsquoune intensiteacute ou dureacutee aussi exceptionnelles repreacutesente une consideacuteration

pertinente suppleacutementaire

En conclusion la deacutecision ministeacuterielle de livrer le requeacuterant aux Eacutetats-Unis violerait lrsquoarticle 3 (art 3) si elle recevait

exeacutecution

[hellip]

PAR CES MOTIFS LA COUR A LrsquoUNANIMITE

1 Dit qursquoil y aurait violation de lrsquoarticle 3 (art 3) si la deacutecision ministeacuterielle drsquoextrader le requeacuterant vers les Eacutetats-Unis drsquoAmeacuterique

recevait exeacutecution

Page 13: Dedh 2014 - Fiche 2

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56 Il eacutechet de constater que non seulement la municipaliteacute nrsquoa pas pris apregraves le 9 septembre 1988 des mesures agrave cette fin

mais aussi qursquoelle a contrecarreacute des deacutecisions judiciaires allant dans ce sens Ainsi dans la proceacutedure ordinaire entameacutee par les belles-soeurs de Mme Loacutepez Ostra elle a interjeteacute appel contre la deacutecision du Tribunal supeacuterieur de Murcie du 18 septembre 1991 ordonnant

la fermeture provisoire de la station de sorte que cette mesure resta en suspens (paragraphe 16 ci-dessus)

Drsquoautres organes de lrsquoEtat ont aussi contribueacute agrave prolonger la situation Ainsi le ministegravere public attaqua le 19 novembre 1991 la deacutecision de fermeture provisoire prise par le juge drsquoinstruction de Lorca le 15 dans le cadre des poursuites pour deacutelit

eacutecologique (paragraphe 17 ci-dessus) si bien que la mesure est resteacutee inexeacutecuteacutee jusqursquoau 27 octobre 1993 (paragraphe 22 ci-dessus)

57 Le Gouvernement rappelle que la ville a assumeacute les frais de location drsquoun appartement au centre de Lorca que la requeacuterante et sa famille ont occupeacute du 1er feacutevrier 1992 jusqursquoen feacutevrier 1993 (paragraphe 21 ci-dessus)

La Cour note cependant que les inteacuteresseacutes ont ducirc subir pendant plus de trois ans les nuisances causeacutees par la station avant

de deacutemeacutenager avec les inconveacutenients que cela comporte Ils ne lrsquoont fait que lorsqursquoil apparut que la situation pouvait se prolonger indeacutefiniment et sur prescription du peacutediatre de la fille de Mme Loacutepez Ostra (paragraphes 16 17 et 19 ci-dessus) Dans ces conditions

lrsquooffre de la municipaliteacute ne pouvait pas effacer complegravetement les nuisances et inconveacutenients veacutecus

58 Compte tenu de ce qui preacutecegravede - et malgreacute la marge drsquoappreacuteciation reconnue agrave lrsquoEtat deacutefendeur - la Cour estime que

celui-ci nrsquoa pas su meacutenager un juste eacutequilibre entre lrsquointeacuterecirct du bien-ecirctre eacuteconomique de la ville de Lorca - celui de disposer drsquoune

station drsquoeacutepuration - et la jouissance effective par la requeacuterante du droit au respect de son domicile et de sa vie priveacutee et familiale

Il y a donc eu violation de lrsquoarticle 8 (art 8)

Document ndeg7 Soering c Royaume-Uni 07071989 extraits

I SUR LA VIOLATION ALLEacuteGUEacuteE DE LrsquoARTICLE 3 (art 3)

80 Selon le requeacuterant la deacutecision du ministre de lrsquoInteacuterieur de le livrer aux autoriteacutes des Eacutetats-Unis drsquoAmeacuterique entraicircnera si elle reccediloit exeacutecution un manquement du Royaume-Uni aux exigences de lrsquoarticle 3 (art 3) de la Convention ainsi

libelleacute

Nul ne peut ecirctre soumis agrave la torture ni agrave des peines ou traitements inhumains ou deacutegradants

A Applicabiliteacute de lrsquoarticle 3 (art 3) en matiegravere drsquoextradition

81 La violation alleacutegueacutee consisterait agrave exposer M Soering au syndrome du couloir de la mort (death row

phenomenon) On peut deacutecrire celui-ci comme une combinaison de circonstances dans lesquelles lrsquointeacuteresseacute devrait vivre si une fois extradeacute en Virginie pour y reacutepondre drsquoune accusation drsquoassassinats passibles de la peine capitale il se voyait condamner agrave mort

82 [hellip] la Commission rappelle que drsquoapregraves sa jurisprudence une expulsion ou extradition peut soulever un problegraveme au

regard de lrsquoarticle 3 (art 3) de la Convention srsquoil existe des raisons seacuterieuses de croire que la personne en cause subira dans lrsquoEacutetat de destination un traitement contraire agrave ce texte

[hellip]

84 La Cour abordera le problegraveme sur la base des consideacuterations suivantes

[hellip]

86 Lrsquoarticle 1 (art 1) aux termes duquel les Hautes Parties Contractantes reconnaissent agrave toute personne relevant de leur

juridiction les droits et liberteacutes deacutefinis au Titre I fixe une limite notamment territoriale au domaine de la Convention En particulier lrsquoengagement des Eacutetats contractants se borne agrave reconnaicirctre (en anglais to secure) aux personnes relevant de leur juridiction les

droits et liberteacutes eacutenumeacutereacutes En outre la Convention ne reacutegit pas les actes drsquoun Eacutetat tiers ni ne preacutetend exiger des Parties contractantes

qursquoelles imposent ses normes agrave pareil Eacutetat Lrsquoarticle 1 (art 1) ne saurait srsquointerpreacuteter comme consacrant un principe geacuteneacuteral selon

lequel un Eacutetat contractant nonobstant ses obligations en matiegravere drsquoextradition ne peut livrer un individu sans se convaincre que les

conditions escompteacutees dans le pays de destination cadrent pleinement avec chacune des garanties de la Convention En reacutealiteacute le

gouvernement britannique le souligne avec raison en deacuteterminant le champ drsquoapplication de la Convention et speacutecialement de lrsquoarticle 3 (art 3) on ne saurait oublier lrsquoobjectif beacuteneacutefique de lrsquoextradition empecirccher des deacutelinquants en fuite de se soustraire agrave la

justice

[hellip]

87 La Convention doit se lire en fonction de son caractegravere speacutecifique de traiteacute de garantie collective des droits de

lrsquohomme et des liberteacutes fondamentales (hellip) Lrsquoobjet et le but de cet instrument de protection des ecirctres humains appellent agrave comprendre

et appliquer ses dispositions drsquoune maniegravere qui en rende les exigences concregravetes et effectives (hellip) En outre toute interpreacutetation des droits et liberteacutes eacutenumeacutereacutes doit se concilier avec lrsquoesprit geacuteneacuteral [de la Convention] destineacutee agrave sauvegarder et promouvoir les ideacuteaux

et valeurs drsquoune socieacuteteacute deacutemocratique (hellip)

88 Lrsquoarticle 3 (art 3) ne meacutenage aucune exception et lrsquoarticle 15 (art 15) ne permet pas drsquoy deacuteroger en temps de guerre ou autre danger national Cette prohibition absolue par la Convention de la torture et des peines ou traitements inhumains ou

deacutegradants montre que lrsquoarticle 3 (art 3) consacre lrsquoune des valeurs fondamentales des socieacuteteacutes deacutemocratiques qui forment le Conseil

de lrsquoEurope

Reste agrave savoir si lrsquoextradition drsquoun fugitif vers un autre Eacutetat ougrave il subira ou risquera de subir la torture ou des peines ou

traitements inhumains ou deacutegradants engage par elle-mecircme la responsabiliteacute drsquoun Eacutetat contractant sur le terrain de lrsquoarticle 3 (art

3)(hellip) Un Eacutetat contractant se conduirait drsquoune maniegravere incompatible avec les valeurs sous-jacentes agrave la Convention ce patrimoine commun drsquoideacuteal et de traditions politiques de respect de la liberteacute et de preacuteeacuteminence du droit auquel se reacutefegravere le Preacuteambule srsquoil

remettait consciemment un fugitif - pour odieux que puisse ecirctre le crime reprocheacute - agrave un autre Eacutetat ougrave il existe des motifs seacuterieux de penser qursquoun danger de torture menace lrsquointeacuteresseacute Malgreacute lrsquoabsence de mention expresse dans le texte bref et geacuteneacuteral de lrsquoarticle 3

(art 3) pareille extradition irait manifestement agrave lrsquoencontre de lrsquoesprit de ce dernier aux yeux de la Cour lrsquoobligation implicite de ne

1415

pas extrader srsquoeacutetend aussi au cas ougrave le fugitif risquerait de subir dans lrsquoEacutetat de destination des peines ou traitements inhumains ou

deacutegradants proscrits par ledit article (art 3)

89 Ce qui constitue des peines ou traitements inhumains ou deacutegradants deacutepend de lrsquoensemble des circonstances de la

cause [hellip]

90 En principe il nrsquoappartient pas aux organes de la Convention de statuer sur lrsquoexistence ou lrsquoabsence de violations virtuelles de celle-ci Une deacuterogation agrave la regravegle geacuteneacuterale srsquoimpose pourtant si un fugitif allegravegue que la deacutecision de lrsquoextrader

enfreindrait lrsquoarticle 3 (art 3) au cas ougrave elle recevrait exeacutecution en raison des conseacutequences agrave en attendre dans le pays de destination

il y va de lrsquoefficaciteacute de la garantie assureacutee par ce texte vu la graviteacute et le caractegravere irreacuteparable de la souffrance preacutetendument risqueacutee (paragraphe 87 ci-dessus)

[hellip]

B Application de lrsquoarticle 3 (art 3) dans les circonstances de la cause

92 La proceacutedure drsquoextradition ouverte au Royaume-Uni contre le requeacuterant a pris fin avec la signature par le ministre

drsquoun arrecircteacute qui ordonnait la remise aux autoriteacutes ameacutericaines (hellip) quoique non encore exeacutecuteacutee cette deacutecision atteint de plein fouet

lrsquointeacuteresseacute Il faut donc rechercher agrave la lumiegravere des principes eacutenonceacutes plus haut si les conseacutequences preacutevisibles drsquoun renvoi de M

Soering aux Eacutetats-Unis sont de nature agrave faire jouer lrsquoarticle 3 (art 3)

98[hellip] Quoi qursquoil en soit selon le droit et la pratique de Virginie (hellip) et nonobstant le contexte diplomatique des relations

anglo-ameacutericaines en matiegravere drsquoextradition on ne peut dire objectivement que lrsquoengagement de signaler au juge au moment de la fixation de la peine les voeux du Royaume-Uni eacutecarte le danger drsquoune sentence capitale Dans le libre exercice de son pouvoir

drsquoappreacuteciation lrsquoAttorney de lrsquoEacutetat a deacutecideacute lui-mecircme de requeacuterir et persister agrave requeacuterir la peine capitale parce que le dossier lui

semble le commander (paragraphe 20 in fine ci-dessus) Si lrsquoautoriteacute nationale chargeacutee des poursuites adopte une attitude aussi ferme la Cour ne saurait guegravere conclure agrave lrsquoabsence de motifs seacuterieux de croire que M Soering court un risque reacuteel drsquoecirctre condamneacute agrave mort

donc de subir le syndrome du couloir de la mort

99 Partant la perspective de voir lrsquointeacuteresseacute exposeacute agrave ce syndrome comme il le redoute se reacutevegravele telle que lrsquoarticle 3 (art 3) entre en jeu

2 Sur le point de savoir si le risque drsquoexposer le requeacuterant au syndrome du couloir de la mort rendrait lrsquoextradition

contraire agrave lrsquoarticle 3 (art 3)

a) Consideacuterations geacuteneacuterales

100 Drsquoapregraves la jurisprudence de la Cour un mauvais traitement y compris une peine doit atteindre un minimum de graviteacute pour tomber sous le coup de lrsquoarticle 3 (art 3) Lrsquoappreacuteciation de ce minimum est relative par essence elle deacutepend de

lrsquoensemble des donneacutees de la cause et notamment de la nature et du contexte du traitement ou de la peine ainsi que de ses modaliteacutes

drsquoexeacutecution de sa dureacutee de ses effets physiques ou mentaux ainsi que parfois du sexe de lrsquoacircge et de lrsquoeacutetat de santeacute de la victime

La Cour a estimeacute un certain traitement agrave la fois inhumain pour avoir eacuteteacute appliqueacute avec preacutemeacuteditation pendant des heures

et avoir causeacute sinon de veacuteritables leacutesions du moins de vives souffrances physiques et morales et deacutegradant parce que de nature agrave

creacuteer [en ses victimes] des sentiments de peur drsquoangoisse et drsquoinfeacuterioriteacute propres agrave les humilier agrave les avilir et agrave briser eacuteventuellement leur reacutesistance physique ou morale (hellip) Pour qursquoune peine ou le traitement dont elle srsquoaccompagne soient inhumains ou

deacutegradants la souffrance ou lrsquohumiliation doivent en tout cas aller au-delagrave de celles que comporte ineacutevitablement une forme donneacutee

de peine leacutegitime (hellip ) En la matiegravere il eacutechet de tenir compte non seulement de la souffrance physique mais aussi en cas de long deacutelai avant lrsquoexeacutecution de la peine de lrsquoangoisse morale eacuteprouveacutee par le condamneacute dans lrsquoattente des violences qursquoon se preacutepare agrave lui

infliger

[hellip]

b) Les circonstances de la cause

i Dureacutee de la deacutetention avant lrsquoexeacutecution

[hellip]

106 [hellip] Un certain laps de temps doit forceacutement srsquoeacutecouler entre le prononceacute de la peine et son exeacutecution si lrsquoon veut

fournir au condamneacute des garanties de recours mais de mecircme il entre dans la nature humaine que lrsquointeacuteresseacute srsquoaccroche agrave lrsquoexistence

en les exploitant au maximum Si bien intentionneacute soit-il voire potentiellement beacuteneacutefique le systegraveme virginien de proceacutedures posteacuterieures agrave la sentence aboutit agrave obliger le condamneacute deacutetenu agrave subir pendant des anneacutees les conditions du couloir de la mort

lrsquoangoisse et la tension grandissante de vivre dans lrsquoombre omnipreacutesente de la mort

ii Situation dans le couloir de la mort

[hellip]

109 [hellip] Bien que la Cour nrsquoait pas agrave preacutejuger de la responsabiliteacute peacutenale et de la peine approprieacutee la jeunesse du

requeacuterant agrave lrsquoeacutepoque de lrsquoinfraction et sa condition mentale drsquoalors illustreacutees par le dossier psychiatrique existant figurent donc parmi les donneacutees qui tendent en lrsquoespegravece agrave faire relever de lrsquoarticle 3 (art 3) le traitement agrave subir dans le couloir de la mort

[hellip]

c) Conclusion

111 [hellip] Eu eacutegard cependant agrave la tregraves longue peacuteriode agrave passer dans le couloir de la mort dans des conditions aussi

extrecircmes avec lrsquoangoisse omnipreacutesente et croissante de lrsquoexeacutecution de la peine capitale et agrave la situation personnelle du requeacuterant en

particulier son acircge et son eacutetat mental agrave lrsquoeacutepoque de lrsquoinfraction une extradition vers les Eacutetats-Unis exposerait lrsquointeacuteresseacute agrave un risque reacuteel de traitement deacutepassant le seuil fixeacute par lrsquoarticle 3 (art 3) Lrsquoexistence en lrsquoespegravece drsquoun autre moyen drsquoatteindre le but leacutegitime

1515

de lrsquoextradition sans entraicircner pour autant des souffrances drsquoune intensiteacute ou dureacutee aussi exceptionnelles repreacutesente une consideacuteration

pertinente suppleacutementaire

En conclusion la deacutecision ministeacuterielle de livrer le requeacuterant aux Eacutetats-Unis violerait lrsquoarticle 3 (art 3) si elle recevait

exeacutecution

[hellip]

PAR CES MOTIFS LA COUR A LrsquoUNANIMITE

1 Dit qursquoil y aurait violation de lrsquoarticle 3 (art 3) si la deacutecision ministeacuterielle drsquoextrader le requeacuterant vers les Eacutetats-Unis drsquoAmeacuterique

recevait exeacutecution

Page 14: Dedh 2014 - Fiche 2

1415

pas extrader srsquoeacutetend aussi au cas ougrave le fugitif risquerait de subir dans lrsquoEacutetat de destination des peines ou traitements inhumains ou

deacutegradants proscrits par ledit article (art 3)

89 Ce qui constitue des peines ou traitements inhumains ou deacutegradants deacutepend de lrsquoensemble des circonstances de la

cause [hellip]

90 En principe il nrsquoappartient pas aux organes de la Convention de statuer sur lrsquoexistence ou lrsquoabsence de violations virtuelles de celle-ci Une deacuterogation agrave la regravegle geacuteneacuterale srsquoimpose pourtant si un fugitif allegravegue que la deacutecision de lrsquoextrader

enfreindrait lrsquoarticle 3 (art 3) au cas ougrave elle recevrait exeacutecution en raison des conseacutequences agrave en attendre dans le pays de destination

il y va de lrsquoefficaciteacute de la garantie assureacutee par ce texte vu la graviteacute et le caractegravere irreacuteparable de la souffrance preacutetendument risqueacutee (paragraphe 87 ci-dessus)

[hellip]

B Application de lrsquoarticle 3 (art 3) dans les circonstances de la cause

92 La proceacutedure drsquoextradition ouverte au Royaume-Uni contre le requeacuterant a pris fin avec la signature par le ministre

drsquoun arrecircteacute qui ordonnait la remise aux autoriteacutes ameacutericaines (hellip) quoique non encore exeacutecuteacutee cette deacutecision atteint de plein fouet

lrsquointeacuteresseacute Il faut donc rechercher agrave la lumiegravere des principes eacutenonceacutes plus haut si les conseacutequences preacutevisibles drsquoun renvoi de M

Soering aux Eacutetats-Unis sont de nature agrave faire jouer lrsquoarticle 3 (art 3)

98[hellip] Quoi qursquoil en soit selon le droit et la pratique de Virginie (hellip) et nonobstant le contexte diplomatique des relations

anglo-ameacutericaines en matiegravere drsquoextradition on ne peut dire objectivement que lrsquoengagement de signaler au juge au moment de la fixation de la peine les voeux du Royaume-Uni eacutecarte le danger drsquoune sentence capitale Dans le libre exercice de son pouvoir

drsquoappreacuteciation lrsquoAttorney de lrsquoEacutetat a deacutecideacute lui-mecircme de requeacuterir et persister agrave requeacuterir la peine capitale parce que le dossier lui

semble le commander (paragraphe 20 in fine ci-dessus) Si lrsquoautoriteacute nationale chargeacutee des poursuites adopte une attitude aussi ferme la Cour ne saurait guegravere conclure agrave lrsquoabsence de motifs seacuterieux de croire que M Soering court un risque reacuteel drsquoecirctre condamneacute agrave mort

donc de subir le syndrome du couloir de la mort

99 Partant la perspective de voir lrsquointeacuteresseacute exposeacute agrave ce syndrome comme il le redoute se reacutevegravele telle que lrsquoarticle 3 (art 3) entre en jeu

2 Sur le point de savoir si le risque drsquoexposer le requeacuterant au syndrome du couloir de la mort rendrait lrsquoextradition

contraire agrave lrsquoarticle 3 (art 3)

a) Consideacuterations geacuteneacuterales

100 Drsquoapregraves la jurisprudence de la Cour un mauvais traitement y compris une peine doit atteindre un minimum de graviteacute pour tomber sous le coup de lrsquoarticle 3 (art 3) Lrsquoappreacuteciation de ce minimum est relative par essence elle deacutepend de

lrsquoensemble des donneacutees de la cause et notamment de la nature et du contexte du traitement ou de la peine ainsi que de ses modaliteacutes

drsquoexeacutecution de sa dureacutee de ses effets physiques ou mentaux ainsi que parfois du sexe de lrsquoacircge et de lrsquoeacutetat de santeacute de la victime

La Cour a estimeacute un certain traitement agrave la fois inhumain pour avoir eacuteteacute appliqueacute avec preacutemeacuteditation pendant des heures

et avoir causeacute sinon de veacuteritables leacutesions du moins de vives souffrances physiques et morales et deacutegradant parce que de nature agrave

creacuteer [en ses victimes] des sentiments de peur drsquoangoisse et drsquoinfeacuterioriteacute propres agrave les humilier agrave les avilir et agrave briser eacuteventuellement leur reacutesistance physique ou morale (hellip) Pour qursquoune peine ou le traitement dont elle srsquoaccompagne soient inhumains ou

deacutegradants la souffrance ou lrsquohumiliation doivent en tout cas aller au-delagrave de celles que comporte ineacutevitablement une forme donneacutee

de peine leacutegitime (hellip ) En la matiegravere il eacutechet de tenir compte non seulement de la souffrance physique mais aussi en cas de long deacutelai avant lrsquoexeacutecution de la peine de lrsquoangoisse morale eacuteprouveacutee par le condamneacute dans lrsquoattente des violences qursquoon se preacutepare agrave lui

infliger

[hellip]

b) Les circonstances de la cause

i Dureacutee de la deacutetention avant lrsquoexeacutecution

[hellip]

106 [hellip] Un certain laps de temps doit forceacutement srsquoeacutecouler entre le prononceacute de la peine et son exeacutecution si lrsquoon veut

fournir au condamneacute des garanties de recours mais de mecircme il entre dans la nature humaine que lrsquointeacuteresseacute srsquoaccroche agrave lrsquoexistence

en les exploitant au maximum Si bien intentionneacute soit-il voire potentiellement beacuteneacutefique le systegraveme virginien de proceacutedures posteacuterieures agrave la sentence aboutit agrave obliger le condamneacute deacutetenu agrave subir pendant des anneacutees les conditions du couloir de la mort

lrsquoangoisse et la tension grandissante de vivre dans lrsquoombre omnipreacutesente de la mort

ii Situation dans le couloir de la mort

[hellip]

109 [hellip] Bien que la Cour nrsquoait pas agrave preacutejuger de la responsabiliteacute peacutenale et de la peine approprieacutee la jeunesse du

requeacuterant agrave lrsquoeacutepoque de lrsquoinfraction et sa condition mentale drsquoalors illustreacutees par le dossier psychiatrique existant figurent donc parmi les donneacutees qui tendent en lrsquoespegravece agrave faire relever de lrsquoarticle 3 (art 3) le traitement agrave subir dans le couloir de la mort

[hellip]

c) Conclusion

111 [hellip] Eu eacutegard cependant agrave la tregraves longue peacuteriode agrave passer dans le couloir de la mort dans des conditions aussi

extrecircmes avec lrsquoangoisse omnipreacutesente et croissante de lrsquoexeacutecution de la peine capitale et agrave la situation personnelle du requeacuterant en

particulier son acircge et son eacutetat mental agrave lrsquoeacutepoque de lrsquoinfraction une extradition vers les Eacutetats-Unis exposerait lrsquointeacuteresseacute agrave un risque reacuteel de traitement deacutepassant le seuil fixeacute par lrsquoarticle 3 (art 3) Lrsquoexistence en lrsquoespegravece drsquoun autre moyen drsquoatteindre le but leacutegitime

1515

de lrsquoextradition sans entraicircner pour autant des souffrances drsquoune intensiteacute ou dureacutee aussi exceptionnelles repreacutesente une consideacuteration

pertinente suppleacutementaire

En conclusion la deacutecision ministeacuterielle de livrer le requeacuterant aux Eacutetats-Unis violerait lrsquoarticle 3 (art 3) si elle recevait

exeacutecution

[hellip]

PAR CES MOTIFS LA COUR A LrsquoUNANIMITE

1 Dit qursquoil y aurait violation de lrsquoarticle 3 (art 3) si la deacutecision ministeacuterielle drsquoextrader le requeacuterant vers les Eacutetats-Unis drsquoAmeacuterique

recevait exeacutecution

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1515

de lrsquoextradition sans entraicircner pour autant des souffrances drsquoune intensiteacute ou dureacutee aussi exceptionnelles repreacutesente une consideacuteration

pertinente suppleacutementaire

En conclusion la deacutecision ministeacuterielle de livrer le requeacuterant aux Eacutetats-Unis violerait lrsquoarticle 3 (art 3) si elle recevait

exeacutecution

[hellip]

PAR CES MOTIFS LA COUR A LrsquoUNANIMITE

1 Dit qursquoil y aurait violation de lrsquoarticle 3 (art 3) si la deacutecision ministeacuterielle drsquoextrader le requeacuterant vers les Eacutetats-Unis drsquoAmeacuterique

recevait exeacutecution