40
émocratie participative ialogue environnemental D Ministère de l’Écologie, du Développement durable et de l’Énergie ACTES DU COLLOQUE Démocratie participative et modernisation du dialogue environnemental du 5 mai 2015 - Museum national d’Histoire naturelle

Démocratie participative ialogue environnemental D · Bertrand Arnauld de Sartre, ingénieur (ENTPE), a rejoint en 2002 la direction des Grands Travaux de la Communauté

Embed Size (px)

Citation preview

émocratie participative ialogue environnementalD

émocratie participative ialogue environnementalD

Ministère de l’Écologie, du Développement durableet de l’Énergie

ACTES DU COLLOQUE

Démocratie participative et modernisation du

dialogue environnemental du 5 mai 2015 - Museum national d’Histoire naturelle

- 3 -

La participation des citoyens permet d’enrichir et d’améliorer les décisions publiques et, en particulier, les projets d’aménagement. C’est ma conviction de longue date. Lors du Conseil National de la Transition Écologique (CNTE) du 6 janvier 2015, j’ai annoncé le lancement d’une réflexion sur la démocratisation du dialogue environnemental avec la création d’une commission spécialisée. Cette commission a été installée le 19 février 2015 et sa présidence a été confiée au sénateur Alain Richard. Ses préconisations feront l’objet d’un rapport qui me sera remis fin mai.

Beaucoup d’expériences préfigurent déjà ce qui doit devenir possible à plus grande échelle. La mise en application de la loi de transition énergétique pour la croissance verte ainsi que la loi de reconquête de la biodiversité, de la nature et des paysages va permettre aux citoyens de prendre plus activement part aux décisions qui les concernent. Le colloque du 5 mai est un point d’étape qui permettra à la commission de présenter l’avancement de ses travaux. Des chercheurs et des acteurs engagés sur le terrain interviendront pour apporter leur éclairage. Deux tables rondes sur les bonnes pratiques feront dialoguer collectivités locales, associations et maîtres d’ouvrage. La démocratie participative accélère et rend plus efficaces notre mutation énergétique et la révolution de la croissance verte.

- 5 -

PROGRAMME DU COLLOQUE

10h Ouverture par Ségolène ROYAL, ministre de l’Ecologie, du développement durable et de l’énergie

10h20 Edgar MORIN, philosophe et sociologue

10h50 Sandra LAUGIER, professeure de philosophie à la Sorbonne (Paris I)

11h10 Présentation des travaux de la commission spécialisée du conseil

national de la transition écologique, par

Alain RICHARD, ancien ministre et sénateur, Gérard MONEDIAIRE, professeur des Universités, et Marie-Line MEAUX, Présidente de section au Conseil général de l’environnement et du Développement durable

12h Ilaria CASILLO, Vice-présidente de l'Autorité régionale de garantie et

promotion de la participation et du débat public de Toscane 14h30 Table ronde : collectivités innovantes et dialogue territorial

- Philippe AUDIC, Président du Conseil de développement Nantes - Bertrand ARNAULD de SARTRE, Chef de Projet, Métropole de Bordeaux - Jean-Paul JEANDON, Maire de Cergy - Laura MICHEL, Maître de Conférences, Université de Montpellier

15h30 Table ronde : mobilisations citoyennes pour un dialogue

environnemental

- Chantal GAUDICHAU, Directrice de l’association Graine (Poitou-Charentes) - Floriane KARAS, Chargée de mission CPIE Bresse du Jura - Benoit JEHL, Directeur OPAC38 - Arnaud COLSON, Président de l’UNPG (Union nationale des producteurs de granulats

16h30 Loïc BLONDIAUX, Professeur des Universités au département de science politique de l’Université Paris I

- 6 -

La Commission spécialisée

Alain Richard, Ministre de la Défense de 1997 à 2002, est actuellement membre de la commission des lois et de la commission des affaires européennes du Sénat. Il anime actuellement les travaux de la commission spécialisée du Conseil national de la transition écologique sur la démocratisation du dialogue environnemental.

Laurence Monnoyer-Smith est Vice-présidente de la Commission nationale du débat public (CNDP) depuis avril 2013, et professeur des universités en sciences de l’information et de la communication à Université de Technologie de Compiègne. Elle a orienté la majorité de ses travaux sur l'usage des technologies de l'information et la participation du public au processus décisionnel.

Marie-Line Meaux est présidente de la 4e section "risques, sécurité, sûreté" au Conseil général de l'environnement et du développement durable au ministère de l'Écologie, du développement durable et de l'Énergie depuis août 2012. Elle est rapporteure de la commission spécialisée du Conseil national de la transition écologique sur la démocratisation du dialogue environnemental.

Gérard Monédiaire, docteur en droit et en sociologie, est professeur des Universités à Limoges et directeur du Centre de recherches interdisciplinaires en droit de l'environnement, de l'aménagement et de l'urbanisme (CRIDEAU). Ses recherches concernent plus particulièrement sur le développement durable et sur les questions de l'information et de la participation du public.

- 7 -

Les Grands Témoins

Edgar Morin, philosophe et sociologue, se consacre depuis vingt ans à relever le défi de la complexité qui s'impose, non seulement à la connaissance scientifique, mais aussi aux problèmes humains, sociaux et politiques. Aujourd'hui directeur de recherche émérite au CNRS, Edgar Morin est docteur honoris causa de plusieurs universités à travers le monde.

Sandra Laugier, philosophe française, a pour domaine d'étude la philosophie du langage, la philosophie des sciences et la philosophie morale. Elle est depuis 2010 professeure à l’université de Paris I Panthéon-Sorbonne et dirige le Centre de philosophie contemporaine de la Sorbonne.

Ilaria Casillo est maître de conférences à l’Université Paris Est Marne-la-Vallée (laboratoire Lab'Urba) Elle est vice-présidente de l'Autorité régionale de garantie et promotion de la participation et du débat public de Toscane.

Loïc Blondiaux est professeur de science politique à l'université Paris I Panthéon-Sorbonne et chercheur au Centre Européen de Sociologie et de Science Politique (CESSP). Il dirige le parcours "Ingénierie de la concertation" du Master professionnel "Affaires publiques" (Paris I) et préside, depuis sa création en 2008, le conseil scientifique du GIS «Participation du public, décision, démocratie participative ».

- 8 -

Première table ronde : collectivités innovantes et dialogue territorial

Bertrand Arnauld de Sartre, ingénieur (ENTPE), a rejoint en 2002 la direction des Grands Travaux de la Communauté Urbaine de Bordeaux (devenue Bordeaux Métropole) où il prend en charge des projets d'aménagement tels que les quais de Bordeaux, le pont levant Chaban-Delmas et le pont Jean-Jacques Bosc (qui a fait l'objet d'un exercice particulier de concertation de 2009 à 2011).

Philippe Audic a effectué une partie de sa carrière à EDF avant d’être directeur de l’Agence de développement économique de Nantes puis de l’Agglomération nantaise. Président du Conseil de développement de Nantes métropole depuis 2009, il est également Vice-président du CESER des Pays de la Loire et membre fondateur de la revue Place Publique.

Jean-Paul Jeandon, économiste de formation et ancien expert à la Commission européenne est maire de Cergy (95) depuis 2013. Il est très attaché à l’action de proximité, il poursuit des actions en faveur de la démocratie participative.

Laura Michel est maître de conférences en science politique à l’université de Montpellier, spécialisée dans l’analyse des politiques publiques. Elle a plus particulièrement travaillé sur les controverses environnementales liées aux projets industriels ou d’aménagement.

- 9 -

Deuxième table ronde : mobilisations citoyennes pour un dialogue

Environnemental

Arnaud Colson est directeur du Développement durable et de l’Environnement Groupe Lafarge pour ses activités françaises. Il pilote les partenariats avec Voies Navigables de France, Compagnie Nationale du Rhône, SNCF Réseau et les ONG. Il est également président de l’UNPG (Union Nationale des producteurs de Granulats).

Chantal Gaudichau est directrice du GRAINE Poitou-Charentes, réseau régional d'éducation à l'environnement, membre du réseau national Ecole et Nature. L’objectif du réseau « est le développement d'une éducation

pour tous et à tous les âges de la vie qui rende possible le

dialogue entre parties prenantes et la co-construction par les

citoyens d'un modèle de développement soutenable ».

Benoit Jehl est ingénieur en énergie et environnement et intègre l’OPAC38 en 2003. Il est directeur Développement Durable et Europe, à la fois garant de la démarche développement durable et chargé d'initier de nouvelles réflexions et projets, notamment par des partenariats à l'échelle européenne.

Floriane Karas, chargée de mission au sein du Centre permanent d’Initiative pour l’Environnement (CPIE) de Bresse du Jura, elle accompagne les démarches de développement durable. Dans ce cadre, elle s'intéresse particulièrement aux freins et aux leviers de la participation et notamment aux outils des démarches participatives.

- 10 - - 10 -

- 10 -

ACTES DU COLLOQUE

Démocratie participative et modernisation du

dialogue environnemental du 5 mai 2015 - Museum national d’Histoire naturell e

Programme du colloque 5

Intervenants 6

Ségolène ROYAL 11 Ministre de l’Ecologie, du Développement durable et de l’Energie

Les grands témoins 12 Edgar MORIN Philosophe et sociologue Sandra LAUGIER 14 Professeure de Philosophie à la Sorbonne (Paris I)

Présentation des travaux de la commission spécialis ée du CNTE 16 Alain RICHARD Ancien ministre et sénateur

Les grands témoins 21 Ilaria CASILLO Vice-présidente de l'Autorité́ régionale de garantie et promotion de la participation et du débat public de Toscane

Table ronde 1 – Collectivités innovantes et dialogu e territorial 23

Table ronde 2 – Mobilisations citoyennes pour un di alogue environnemental 30

Conclusion 35 Loïc BLONDIAUX Professeur des Universités au département de science politique de la Sorbonne (Paris I)

- 11 -

Ministère de l’Ecologie, du Développement durable et de l’Energie

Ségolène ROYAL

Ministre de l’Ecologie, du Développement durable et de l’Energie

Je suis très heureuse d’inaugurer ce colloque. Je remercie Edgar Morin d’être présent pour nous livrer son regard, affranchi des cloisonnements académiques. Je remercie le Muséum national d’Histoire naturelle pour son accueil. Je remercie Alain Richard de piloter le travail de la Commission spécialisée sur la démocratisation du dialogue environnemental. La démocratie participative doit permettre de relever les défis écologiques. Je remercie Laurence Monnoyer-Smith d’organiser cette rencontre. Ses travaux portent sur l’apport des technologies de l’information à la participation des citoyens au processus décisionnel. Je remercie Sandra Laugier de nous rappeler l’importance de « l’attention », au double sens du terme. Sa réflexion nous engage à écouter et prendre en compte les attentes de chacun. Cette exigence doit être au cœur de l’action publique. Je remercie Loïc Blondiaux qui recommande que les conditions d’une délibération informée soient loyalement réunies, pour parer aux manipulations et fausses promesses. Sa contribution à l’excellence environnementale et la démocratie participative est toujours précieuse. Nous avions introduit les budgets participatifs dans les lycées et créé des jurys citoyens pour l’évaluation des politiques régionales. Ce dispositif avait défrayé la chronique en 2007. Ces avis citoyens, dits profanes, furent remarquablement instructifs pour rectifier et enrichir nos politiques.

Mon attachement à la démocratie participative est ancien. L’efficacité des politiques dépend de leurs modalités de décision et d’application ainsi que de la mobilisation de l’intelligence collective en faveur de l’intérêt général. Négativement, la crise écologique est une crise de la démocratie. Positivement, l’efficacité écologique et la mutation énergétique requièrent d’associer les citoyens à l’action publique. Ces dispositifs n’ont pas vocation à désamorcer les conflits, en instrumentalisant la participation citoyenne. Les désaccords ne sont pas illégitimes. En revanche, l’opposition stérile doit être bannie et le dialogue constructif privilégié. Ce colloque constitue une étape essentielle de la modernisation du droit de l’environnement et de la démocratisation du dialogue environnemental. Je vous remercie d’être réunis avec vos compétences et vos engagements. Je remercie également les membres du CNTE, dont les préconisations feront l’objet d’un rapport, remis fin mai, qui donnera rapidement lieu à des décisions.

Des progrès en faveur de la participation des citoyens ont déjà été accomplis. Les lois de 1976, 1983, 1985, 1995 et 2002, ainsi que la Charte de l’environnement, y ont contribué et ont permis d’instaurer de nombreuses procédures. Certaines sont bénéfiques, d’autres manquent de lisibilité, d’où la nécessité de les inventorier. L’objectif est de garantir la participation des citoyens. Il est temps de sortir de cette situation paradoxale où l’abondance des textes s’accompagne d’une faible participation. Les projets d’aménagement qui suscitent de forts blocages témoignent des carences des processus de décision. Cet état des lieux engagera prochainement des actes.

Le 26 avril 2014, j’engageais la modernisation du droit de l’environnement. L’objectif est de simplifier et renforcer la sécurité juridique. Sept groupes travaillent à la planification environnementale, au permis unique, aux études d’impact, à la concertation, aux recours, à la séquence « éviter, réduire, compenser » et aux sanctions. Ces travaux, conduits par Alain Richard, auxquels Gérard Monédiaire a contribué, ont été présentés au CNTE en janvier. Ils ont inspiré les décisions que j’ai prises sans attendre, concernant notamment l’indépendance de l’autorité environnementale à l’échelle régionale. Le projet de décret réformant ce dispositif fait actuellement l’objet d’une consultation interministérielle.

En février, j’ai installé la Commission spéciale sur la démocratisation du dialogue environnemental. Elle s’est emparée du chantier de la démocratie participative, initié par le Président de la République en novembre. L’objectif est de moderniser sans alourdir, d’assurer la transparence sans allonger les délais et de faire participer les citoyens de façon effective. Ces sessions plénières s’achèveront le 11 mai. La plateforme a suscité

- 12 -

Ministère de l’Ecologie, du Développement durable et de l’Energie

plus de 400 contributions. Ce rapport me sera remis fin mai. En juin, je saisirai le CNTE. Les mesures retenues seront soumises aux arbitrages interministériels, notamment celui du Premier ministre, pour les améliorations et harmonisations qui concernent le Code de l’urbanisme voire le Code pénal. Elles seront présentées au Chef de l’Etat. Les dispositions législatives intégreront le projet de loi pour la reconquête de la biodiversité, qui arrivera en première lecture au Parlement en juillet. Fin septembre, je présenterai le bilan de la mise en œuvre de cette modernisation du droit et du dialogue environnementaux.

En conclusion, deux dimensions sont essentielles à l’efficacité et à la transparence des procédures. Premièrement, les territoires, comme espaces des projets d’aménagement et sources d’inspiration, ont un rôle crucial à exercer. Les projets qui échouent sont ceux auxquels les citoyens ne sont pas associés. Deuxièmement, la France, pourtant héritière d’une tradition centralisatrice, est riche d’expériences participatives. Les processus de décision changent, avec l’économie collaborative et la participation citoyenne aux projets de la transition énergétique. Le droit à l’expérimentation des territoires et le financement participatif des installations d’énergie renouvelable, que j’ai inscrits dans la loi, sont absolument innovants. Nous sommes capables de devenir exemplaires.

La COP21 nous y engage, car le débat mondial est similaire à celui que nous menons en France. Les pays émergents exigent que les débats sur le développement, sur les flux financiers et sur l’économie décarbonée soient exemplaires. Les pays riches sont trop enclins à donner des leçons de morale. Nous devons construire ensemble le nouveau modèle énergétique, qui permettra l’accès des pays les plus pauvres à la prospérité, mais aussi à l’éducation et à la culture. Distinguer ces questions serait une erreur. J’ai la responsabilité de la position de notre pays, mais aussi de l’exemplarité de l’Europe et de la société civile. Ce nouveau modèle ne doit pas servir l’instauration d’un nouveau rapport dominant.

Par ailleurs, j’observe l’essor des sciences participatives, qui démontrent l’engagement des citoyens. L’urgence climatique et énergétique constitue une chance démocratique. Sans démocratie, nous ne parviendrons pas à apporter de réponse à ces défis. Je suis déterminée à agir rapidement pour articuler la protection de l’environnement, l’équipement de la France et ces enjeux mondiaux. Nous devons mobiliser la société civile pour montrer que les solutions sont à portée de main, que les peuples ont commencé à s’en saisir. Nous devons porter cette ambition universelle d’une participation active des citoyens. Elle constitue le meilleur rempart contre la dégradation de notre bien commun. Je me tiendrai informée de vos échanges, dont j’attends énormément de résultats.

Les grands témoins Edgar MORIN

Philosophe et sociologue

Il est opportun de lier les problèmes civiques de la démocratie participative et de l’écologie. Ce lien se noue grâce au développement d’une nouvelle conscience politique et environnementale. Nous commençons à nous engager dans cette voie. La conscience écologique est née dans les années 1970 puis son développement a coïncidé avec la mise en lumière des conséquences des ravages que notre civilisation inflige à la nature. Elle fut difficile à introduire dans notre culture, car, en dépit de l’enseignement de Darwin, nous restons influencés par la Bible, par le message de saint Paul, par le discours de Descartes et par le monde industriel, qui considèrent l’homme comme le possesseur de la nature. Cette nouvelle éducation s’est constituée graduellement. Le problème du changement climatique suscite un mouvement qui aboutira, j’espère, à des actions planétaires concertées.

- 13 -

Ministère de l’Ecologie, du Développement durable et de l’Energie

Le problème de la conscience écologique ne concerne pas seulement notre interdépendance avec la nature, mais nous amène à transformer le mode de vie de notre civilisation. Nous sommes conduits à consommer et vivre différemment dans des villes toujours plus polluées. De son côté, la démocratie participative suscite de nombreuses résistances, car beaucoup pensent que la représentation élective suffit à assurer la juste contribution des citoyens. Or, des expériences comme celles nées à Porto Alegre et ailleurs montrent que les instances dirigeantes, quoiqu’élues, sont éloignées de la population. Cette situation provoque diverses crises, dont celle de la démocratie. En effet, en période de difficultés économiques, les angoisses et l’absence de foi en l’avenir amènent au repli sur soi et à la recherche de boucs émissaires. Alors, la démocratie tend à s’asphyxier.

Claude Lefort considère que la démocratie ne réside pas seulement dans le vote et le débat d’opinion, mais dans le fait de ne s’identifier à aucune vérité. Chaque parti au pouvoir développe sa propre vérité, puis il est remplacé par un autre parti et une autre vérité, mais la démocratie reste vide. Hormis les périodes de dictature, le peuple est à la recherche de ces vérités que fournissent les religions, les nationalismes, etc. Nous avons donc besoin d’une conscience démocratique en dépit de ce vide. Or, celui-ci peut être comblé par les instances de la démocratie participative, c’est-à-dire la création d’un lien direct qui assure le contrôle des instances gouvernantes, mais aussi le développement d’initiatives à partir de la société civile. Ces dernières sont multiples, par exemple l’agroécologie et les écoquartiers.

La démocratie participative est le lieu du développement des initiatives citoyennes. Souvent les entreprises empêchent l’éclosion des idées de ceux qui travaillent concrètement. De même, beaucoup d’initiatives ne sont aujourd’hui connues ni des administrations ni des partis. La démocratie participative est donc un moyen de contrôle et de vitalité politique. Cette formule doit faire l’objet d’une expérimentation, car les personnes les plus concernées sont souvent absentes de ses instances, qui peuvent être noyautées par des militants. Elle est donc une aventure magnifique et nécessaire. Une double revitalisation de la société, par le dialogue environnemental et le réveil civique, est indispensable.

Sur le plan agricole, nous vivons actuellement l’hégémonie de la grande monoculture quasi industrialisée. Par exemple, les élevages « concentrationnaires » se multiplient, les sols se dégradent, les pesticides altèrent les aliments. Cette réalité donne lieu à des réactions telles que l’agroécologie et l’agriculture fermière. Contre cette déshumanisation et cette dévitalisation, nous devons réagir en faveur de l’hygiène et de la santé. C’est pourquoi les AMAP se développent. L’objectif n’est pas de faire disparaître les supermarchés, mais de supprimer leur hégémonie sans contrepartie.

Nous disons que nous visons dans la « société de consommation ». Cette formule, telle l’expression « société de communication », ne désigne qu’un aspect de la réalité. Employons plutôt le terme « consumérisme » pour souligner son caractère pathologique. La publicité nous incite à consommer des produits dont les qualités en termes de santé, de beauté et de séduction nous sont vantées. Ces vertus sont cependant illusoires. Des phénomènes de fascination nous poussent en fait vers des produits standardisés. Ainsi, les personnes accablées de travail n’ont pas le temps de faire la cuisine.

Nous avons donc besoin d’une éducation à la consommation. Je regrette que ce thème si important soit négligé par les programmes scolaires, car la force sociale se trouve aujourd’hui chez les consommateurs. Autrefois, elle résidait chez les producteurs et les ouvriers, au travers de leurs syndicats. Aujourd’hui, ce monde s’est désintégré, mais les consommateurs ont le pouvoir, sans aller jusqu’au boycott, de sélectionner leurs achats. De même, notre monde industriel produit aujourd’hui des objets à obsolescence programmée, les métiers de la réparation ayant pratiquement disparu. Au lieu de persévérer dans la civilisation du jetable, entrons dans celle du réparable et de la consommation consciente. La conscience publique doit aussi être éduquée à propos de l’obsession du nouveau. Au surplus, les catégories sociales les plus humbles sont

- 14 -

Ministère de l’Ecologie, du Développement durable et de l’Energie

écartées, sont condamnées aux produits les plus mauvais. Il est donc temps que le consommateur, mais aussi le citoyen, se réveillent.

La notion de « bien-vivre » est utilisée par Rafael Correa, le Président de l’Equateur, pour désigner cette résistance à tout ce qui nous entraîne à vivre le moins bien possible. Nous devons résister à la domination du calcul qui est une domination de l’anonymat. Par le quantitatif, c’est-à-dire le PIB, le taux de croissance ou le sondage d’opinion, nous croyons aujourd’hui tout connaître, alors que le calcul ne permet pas de comprendre un être humain, par exemple ses sentiments. Le calcul nous transforme en objets manipulables. Nous nous trouvons dans une phase dangereuse, car l’obsession de la compétitivité et de la croissance, fondées sur le calcul, ignorent certaines réalités. Bien entendu, la société résiste par tous les moyens à cette machine qui, aux extrêmes, fait penser à la métaphore du film Matrix.

Le calcul et l’anonymat vont dans le sens d’un profit illimité et non régulé. L’accumulation capitaliste avait pu être encadrée dans l’Etat Providence, mais ce contrôle est révolu à l’époque de la mondialisation. Pour lutter contre le pouvoir du profit, la solution n’est pas d’augmenter les impôts des riches ou de supprimer les paradis fiscaux, car ces intérêts se déplacent. Les efforts de l’Europe en la matière sont loin de réduire les inégalités dans le monde. Nous ne mettrons pas fin à cette situation en adoptant des mesures coercitives, mais en faisant régresser ce pouvoir du profit « omnivalent » et omnipotent. Cela ne sera possible que par un réveil citoyen, par un effort d’éducation de notre civilisation, dans ce qu’elle comporte de positif et de négatif. Je souhaite, Madame la Ministre, que vous agissiez en ce sens.

Dans Le Monde, au sujet de l’affaire du barrage de Sivens, j’ai écrit que Rémi Fraisse avait été victime d’une « guerre de civilisation ». Evidemment, le mot était excessif. Nous vivons cependant bien une époque de « conflit » des civilisations. La société était fondée sur la convivialité, le bien-vivre, les rapports humains, le retour à la gratuité, la régression de l’intérêt personnel. Homo economicus n’est pas tout l’humain. Homo ludens, homo mythologicus, homo demens existent aussi. L’homme n’est pas seulement pure rationalité. Souvenons-nous de la merveilleuse époque de l’Allemagne de Weimar, qui produisait des chefs d’œuvre dans tous les domaines, avant d’être anéantie par l’hitlérisme. Ces dangers ne sont pas derrière nous.

Ce conflit des civilisations oppose le modèle en train de naître, fondé sur l’écologie et la démocratie participative, et une société qui n’est peut-être pas à l’agonie, mais est en train de se suicider, avec l’absence de régulation du profit. Nous devons aider une nouvelle culture à naître, à prendre conscience que ces aspects particuliers, de l’écologie, de la démocratie participative, de l’économie sociale et solidaire, sont reliés par l’aspiration collective à mieux vivre. Ils doivent être pensés dans l’esprit d’une métamorphose de notre civilisation.

*********

Projection d’un film

**********

Sandra LAUGIER

Professeure de Philosophie à la Sorbonne (Paris I)

La question de la participation citoyenne aux sciences est plus controversée que celle de la participation démocratique. Elle met en cause la frontière entre les citoyens ordinaires et les experts. Elle interroge la production de la science par les seuls professionnels. Elle est politique, car elle fait de la science notre bien commun. Le développement de la participation implique de ne plus concevoir le grand public comme une masse ignorante et apeurée, mais comme une collectivité citoyenne, capable d’apprécier les enjeux et de contester les arbitrages. Cette problématique est relancée par

- 15 -

Ministère de l’Ecologie, du Développement durable et de l’Energie

la participation des citoyens au recueil et à la circulation des données, par le big data et le crowdsourcing.

De nouvelles méthodes permettent de tracer les contours de cette contribution. Elles offriront d’intégrer l’ensemble des parties prenantes au processus de décision. Ces modes de production sont déjà à l’œuvre dans de nombreux programmes. Ils changent la donne de l’innovation, en mobilisant plus largement les populations dans les processus de recueil et de circulation de l’information. Ils rejoignent ainsi certaines actions comme le Do it Yourself biology.

Comme l’ont rappelé Mme la Ministre et M. Edgar Morin, le contexte du changement climatique rend cruciale la participation. L’enjeu de la science est le bien-vivre des générations présentes, futures, et les plus vulnérables. Les chercheurs ne sont plus en surplomb sur le monde. Les SHS ont exercé un rôle important dans l’intégration de l’humain, non seulement à la société et aux institutions, mais à la nature et au monde technique. Inversement, la science de la nature a intégré l’Homme. L’épistémologie est transformée par son inscription dans la chaîne causale de l’environnement, par les transformations qu’il lui fait subir.

Nous nommons cette dépendance réciproque de la société et de la nature le changement global. Cette problématique se retrouve dans les éthiques du care, qui étaient conçues autrefois en termes d’autonomie. Nous devons examiner ce dont nous dépendons et ce qui dépend de nous, comprendre ce que nous fabriquons. La sagesse grecque distinguait ce qui dépend et ne dépend pas de nous. La crise climatique souligne la nécessité de considérer l’importance de ce qui dépend de nous.

La valeur positive du progrès est altérée par diverses catastrophes et la conscience des inégalités mondiales. Nous appelons universels des droits qui ne peuvent être exercés par une partie de l’Humanité. Cette impossibilité pratique en questionne la valeur et nous conduit à considérer l’irréductible incertitude des résultats de l’action humaine ainsi qu’un grand nombre d’autres facteurs. La participation est destinée à élargir les données afin de produire des délibérations collectives.

Aristote nommait cette délibération la phronesis, la « décision pratique ». La connaissance actuelle relève de cette démarche, non plus de la certitude universelle ou de l’application aveugle de principes. Par exemple, la justice distributive peut conduire à des injustices. L’application des principes impose donc de tenir compte des intérêts de tous et réclame la participation. Cette thématique est autant épistémologique que politique. Ces décennies ont vu le développement d’une confiance nouvelle dans une communauté citoyenne capable d’apprécier les enjeux présents de la science.

La transformation de la décision publique est primordiale. Elle doit intégrer la compétence des citoyens, mais aussi définir la démocratie comme le gouvernement de la participation égale de tous, sans distinction relative au savoir. Elle doit tenir compte du développement de dispositifs de consultation permettant d’intégrer les responsables publics, les techniciens et les citoyens ordinaires. L’aide à la décision, dans la construction et l’évaluation des politiques publiques, ne peut recourir aux seuls experts.

Ces nouveaux impératifs éthiques et politiques nécessitent de considérer de nouvelles modalités de la décision publique. La participation permet la construction de sens et une plus grande inclusion, à partir de la prise en compte des données et des valeurs. Le big data produit un nouveau paradigme de la production des connaissances ; il permet à chacun d’agir d’après les informations disponibles, de faire prendre en compte son intérêt et son opinion. Ce sont de nouveaux outils démocratiques, même si se posent les questions de la qualité des données et de l’exploitation du travail gratuit.

Il est important d’examiner les enjeux sociaux et politiques du recueil des données afin de tracer les contours de cette science citoyenne, qui reconnaît la capacité des individus à intervenir dans les questions les concernant. Le philosophe du courant pragmatiste John Dewey appelle ce domaine « le public ». Le terme de « démocratie » devrait aujourd’hui y faire référence.

- 16 -

Ministère de l’Ecologie, du Développement durable et de l’Energie

Présentation des travaux de la commission spécialisée du conseil national de la transition écologique

Alain RICHARD

Ancien ministre et sénateur

Alain RICHARD

L’objet de la mission que nous a assignée Mme la ministre, à l’instigation du président de la République, est de modifier le dispositif actuel de débat sur les projets. Nous devons concevoir un système d’information et de délibération susceptible d’aboutir à une loi dans les prochains mois. Nous avons travaillé en équipe. Je remercie les personnes qui la composent, représentant des institutions, des sensibilités et des intérêts différents. Le travail est en cours, si bien que j’exprimerai avec réserve nos conclusions. Nous envisageons d’adresser plusieurs propositions au gouvernement.

• inscrire dans la loi le principe de la participatio n du public Nous donnerions une valeur juridique aux principes d’impartialité et de fidélité aux

objectifs de développement durable de la participation du public. Le juge pourrait ainsi apprécier la réalité d’une telle procédure.

• poser la question de la concertation en amont Nous appliquerions cette exigence d’entente préliminaire aux schémas qui

engagent les projets. Leurs auteurs doivent interroger les publics sur leur opportunité et leur cohérence.

• rendre obligatoire la concertation en amont sur les grands projets. Ils sont les plus susceptibles d’avoir un impact étendu sur l’environnement. Nous

retenons la liste de ceux qui sont obligatoirement soumis à la CNDP. Nous introduirions la possibilité pour le public d’intervenir dans le débat sur un projet, afin d’examiner la conformité à ses objectifs, son impact environnemental et l’authenticité de ses justifications socioéconomiques.

Pour les autres projets, nous constatons que ceux qui suscitent des controverses sont extrêmement limités. C’est pourquoi nous avons procédé par exception en stipulant que chaque porteur de projet serait invité à développer volontairement une participation en amont. A défaut, des « initiatives représentatives », c’est-à-dire des résidents, une collectivité de communes ou des associations agréées de défense de l’environnement, pourraient la réclamer. Cette action devrait être appréciée en fonction de l’étendue géographique du projet et de la représentativité des porteurs de l’initiative. En cas de reconnaissance, le maître d’ouvrage ou le porteur de projet serait amené à organiser une participation en amont. La CNDP aurait pour mission de décrire les conditions de cette concertation et d’en vérifier l’effectivité. Le garant dresserait une synthèse de l’ensemble des arguments utilisés dans le débat. Les conditions de la participation en amont nous sembleraient ainsi réunies.

Plusieurs mesures garantiraient que cette consultation en amont influence efficacement le déroulement des projets : le transfert de l’autorité environnementale au CGDD, annoncée par Mme la ministre, et la création d’une base de données des informations environnementales, prônée par le président de la République. Afin de ne pas alourdir les procédures, nous demandons la poursuite de la démarche d’autorisation unique. Nous souhaitons aussi assurer le porteur de projet sur les risques injustifiés

- 17 -

Ministère de l’Ecologie, du Développement durable et de l’Energie

d’allongement des délais d’instruction, car ce temps n’est actuellement pas maîtrisé. La CNDP constituerait un centre de ressources des savoir-faire de la participation. La volonté de cette commission est d’assurer la compatibilité entre la réalisation des projets et la protection de l’environnement. Un effort d’éducation citoyenne doit être mené afin de renforcer l’esprit de participation.

Marie -Line MEAUX

Le CGDD a dressé une synthèse des 430 contributions qui accompagnent les travaux de la commission. Elles visent à moderniser le cadre et la portée de la participation du public, à renforcer l’évaluation environnementale de la décision publique, à améliorer la place des acteurs de la participation et favoriser l’accès à une information transparente. Ces résultats seront mis en ligne à la fin du colloque.

Gérard MONEDIAIRE, Directeur du CRIDEAU

Mme la ministre m’a confié la présidence du groupe de travail sur la modernisation du droit de l’environnement avec pour tâche de le simplifier sans le faire régresser. Dans notre synthèse, nous avons distingué les propositions de fond et les améliorations ponctuelles des dispositifs existants. Je ne traiterai pas de ces dernières, même si elles revêtent une grande importance, étant issues de la pratique.

Nous avons relevé l’absence de principe directeur, même si l’article 7 de la Charte de l’environnement affirmait le principe de la participation, sans en expliquer le sens. Nous avons donc estimé nécessaire de préciser les causes et les finalités du processus participatif. Cet article devait établir un lien étroit avec le droit à l’information. Cependant, nous conviendrons qu’une participation non informée ou mal informée constitue une absurdité. Nous devions aussi tenir compte du cas particulier des procédures de participation dans des contextes transfrontaliers.

Nous avons également beaucoup discuté la question de la proportionnalité. Il n’est pas envisageable de soumettre tous les projets à une procédure unique. En outre, il n’est pas aisé de définir les critères qui distinguent un grand d’un petit projet, comme en témoigne la tragique affaire de Sivens – qui était un petit projet. Afin de contourner cette difficulté, nous avons développé l’idée du droit d’initiative, d’interpellation ou de pétition.

Nous avions également commencé à travailler sur la participation en amont, quoique de manière moins détaillée que la Commission Richard. Concernant la participation en aval, l’évolution du droit de l’enquête publique a été saluée. Le recours aux médias informatiques a été encouragé. Nous avons aussi soulevé la question de la participation de ceux qui ne participent pas. L’achèvement du processus de participation a également été soulevé. Le Conseil d’Etat a rappelé que l’élaboration est participative, mais pas la décision. C’est pourquoi nous avons souhaité que l’autorité décisionnelle justifie sa décision à l’égard des apports ou de l’absence d’apports des procédures de participation.

Michel MARIE, Collectif CEDRA

Comment les GP2I (Grands Projets Inutiles Imposés) seront-ils pris en compte dans cette démarche ?

Emmanuel BARBIER, RTE

Nous avons posé la question du « quand », mais pas celle du « qui ». Souvent, les porteurs de projets ne sont pas capables de répondre aux interrogations. Seul l’Etat le pourrait, mais il est absent.

Bruno GENTY, France Nature Environnement (FNE)

Le projet de loi renseignement pourrait conduire à une surveillance généralisée. Quelle garantie ont les citoyens engagés de ne pas être fichés ? Comment peuvent-ils être sûrs que la transparence ne se retourne pas contre eux ?

- 18 -

Ministère de l’Ecologie, du Développement durable et de l’Energie

Agnès POPELIN, FNE

Je me réjouis de l’établissement d’une concertation en amont. Toutefois, aucun budget, hormis celui du CNDP, n’est dévolu aux contre-expertises qui permettraient de fournir des réponses aux citoyens.

Sylviane SANCY

Que faisons-nous de ceux qui ne participent pas ?

Daniel IBANEZ, opposant au projet LGV Lyon-Turin

En accord avec les déclarations de FNE, je témoigne que les plaques d’immatriculation des participants aux réunions sur le Lyon-Turin ont été relevées par la police. Cette pression et ces menaces sont incompatibles avec le débat public. Le 14 mars, nous avons proposé que le public débatte des priorités et des opportunités. Cela supposerait que ces réunions n’opposent pas des intervenants et des auditeurs, mais associent des acteurs à égalité de pouvoir.

Alain RICHARD

La question des projets existants est très judicieuse, car il convient de toujours s’interroger sur la date d’effet d’une réforme. Si le gouvernement et le parlement suivent nos propositions, l’idée d’une participation anticipée portant sur l’ensemble des impacts et des objectifs des projets deviendra la règle. Je suggérerai alors que les projets existants, n’ayant pas fait l’objet d’une concertation, soient repris du début.

Il n’a pas été demandé à la commission d’examiner la question de la participation en amont de la définition d’une politique générale. Cette méthode n’a été appliquée qu’à des projets ou des schémas directeurs. Toutefois, je conseillerais aux décideurs de l’employer sur une politique emblématique.

Concernant les moyens, nous nous sommes rendu compte que le problème n’était pas tant celui de la contre-expertise en elle-même, mais de la prise en compte des expertises variées, notamment les expertises citoyennes. La législation donne la possibilité de décider d’une contre-expertise et de la financer. Il conviendrait que ce dispositif soit étendu aux concertations sur projet, avec un financement soit par le maître d’ouvrage, soit par la CNDP.

Concernant le public non participant, nous sommes confrontés au problème des résumés non techniques. En effet, la grande majorité des documents n’est pas accessible aux lecteurs de discernement moyen. Il n’est toutefois pas possible de demander des résumés sur tous les points, au risque d’immobiliser le projet. Il pourrait donc revenir au garant de la concertation de déterminer et financer les résumés de certains sujets.

Concernant l’information, celle-ci est disponible sur Internet, mais il s’avère néanmoins nécessaire de développer des méthodes afin d’en faciliter l’accès et en élargir la diffusion.

Il existe des méthodes plus ou moins efficaces pour favoriser la participation. Plus vous offrez la possibilité de s’exprimer sans avoir à formaliser, plus vous élargissez le public susceptible de prendre la parole. Concernant la loi sur le renseignement, le débat se poursuit.

Gérard MONEDIAIRE

Plusieurs questions interrogent l’intensité d’une culture partagée de la participation du public. La spontanéité à laisser participer est très inégalement répartie. En France, bien que nous n’ayons pas à être honteux des dispositifs en vigueur, la conception du service public et de l’intérêt général relève davantage d’une approche top-down que bottom-up. L’abbé Sieyès disait à Napoléon : « Le pouvoir vient d’en haut et la confiance vient d’en bas ». Lorsque la confiance disparaît, le pouvoir cesse d’être une autorité et devient une simple force à la légitimité douteuse. Il suffit d’assister à une audience publique du Pape

- 19 -

Ministère de l’Ecologie, du Développement durable et de l’Energie

au Québec pour mesurer la distance qui sépare notre pays de la culture américaine du notice and comment.

Hydro-Québec avait pour projet d’édifier une série de barrages dans le Grand Nord canadien. Les communautés amérindiennes y étant opposées par attachement à leurs terres sacrées, leurs avocats ont soumis une question à la délégation de cette entreprise. Surprise par cette démarche, elle a annoncé qu’elle étudierait ce point et apporterait une réponse lors de la prochaine audience publique. Dans les mêmes circonstances, un porteur de projet français réagirait peu souvent de la même façon.

Je pense que le droit pourra faire évoluer la culture de la participation s’il est doté de la vertu de l’effectivité. Devant le juge, des procédures de participation du public devraient avoir un effet sur la légalité de la décision adoptée in fine.

Patrick DEMANGEGE

Comme enseignant et militant, je m’interroge sur l’éducation à la participation citoyenne. En quoi consiste cette éducation à la citoyenneté ? Comment la mettre en œuvre concrètement, et ne pas en rester au simple stade des déclarations d’intention ?

Christian LEYRIT, président de la CNDP

Le droit à l’initiative citoyenne est majeur. D’ailleurs, 90 % des Français souhaitent son adoption. Les conférences de citoyens ont montré leur efficacité et mériteraient d’être développées. Je souhaite l’instauration de médiations en amont de tous les projets très conflictuels. Les citoyens ont droit à des expertises indépendantes pour se forger une opinion.

Françoise VERCHÈRE, vice-présidente du CÉDPA

Nous avons traité des dysfonctionnements des procédures. En revanche, nous avons peu parlé des pratiques répréhensibles du point de vue de la démocratie participative. Ainsi, les conflits d’intérêts et le mensonge aboutissent à une perte de confiance et des crispations. Ce volet éthique est indispensable pour prévenir les conflits.

Ben LEFETEY, porte-parole du Collectif du Testet

Chacun doit prendre conscience que ce débat intervient alors que les lanceurs d’alerte du projet de Sivens subissent les conséquences de leur engagement. Beaucoup sont menacés et agressés, sont condamnés à des amendes ou des peines de prison. Il est inacceptable, tout en respectant les procédures, de faire intervenir les gardes mobiles, comme à Roybon et Notre-Dame-des-Landes.

Il est inutile que des concertations interviennent en amont, si elles ne sont pas prises en compte. Pour tous ces projets, les avis défavorables des scientifiques ou des enquêtes publiques ont été négligés. La concertation ne présente d’intérêt que si le maître d’ouvrage ou le porteur de projet peut être sanctionné. Je suggère que l’avis du CNPN soit rendu obligatoire. La préfecture ne devrait pas être autorisée à passer outre certaines consultations.

Nous avons demandé que le recours suspensif soit systématique pour les projets nécessitant une déclaration d’utilité publique. Si tel était le cas, les maîtres d’ouvrage seraient bien plus prudents, méprisant le fait qu’une condamnation intervienne après l’achèvement des travaux.

Alain RICHARD

Je remercie le collectif des organisations qui se sont mobilisées contre un certain nombre de projets. Leurs propositions nous ont beaucoup aidés. Je n’ai pas parlé de la composante « nouvelles pratiques » de l’Etat et des organisations publiques, parce que nos travaux ne sont pas terminés. Cependant, nous partageons l’idée qu’en parallèle d’une

- 20 -

Ministère de l’Ecologie, du Développement durable et de l’Energie

législation qui encouragerait la participation en amont, il doit exister un guide de méthode des ministères, spécialement pour le MEDDE. D’autres opérateurs publics pourraient s’en inspirer. Les composantes de l’Etat doivent passer une nouvelle étape dans ce domaine.

- 21 -

Ministère de l’Ecologie, du Développement durable et de l’Energie

Les grands témoins Ilaria CASILLO

Vice-présidente de l'Autorité́ régionale de garantie et promotion de la participation et du débat public de Toscane

Ma première réflexion concerne la paralysie les grands projets d’infrastructure et les réponses que les pays européens apportent à ces situations. La seconde porte sur ce que donnent à voir ces tensions de l’état de santé de nos démocraties. 336 infrastructures ont été contestées en Italie en 2010. De semblables GP2I ont été attaqués en France, Angleterre et Allemagne. En Turquie, mentionnons les manifestations du parc Gezi. Ces conflits peuvent reconfigurer l’espace politique. Le projet Stuttgart 21 a conduit la CDU à perdre la majorité à la tête du Bade-Wurtemberg, au profit des Verts. De même, toutes les petites communes du Val de Suse, sur l’axe du Lyon-Turin, ont changé de majorité au début des années 2000.

Ces grands projets d’infrastructures conflictuels présentent en général trois phases.

• la contestation à l’échelle locale Le projet est contesté du fait de ses impacts sur la santé et l’environnement. A ce

stade, les opposants ne sont pas encore organisés et les autorités sont très peu attentives aux revendications. Elles arguent de l’utilité du projet et de son incompréhension. Les travaux n’ont alors pas débuté. Cette phase coïncide avec la montée en compétence des opposants.

• l’événement choc Dans un second temps, nous assistons fréquemment à des affrontements, comme

dans le cas de Stuttgart 21. Ils résultent souvent d’un acte matériel, par exemple l’ouverture du chantier, perçu comme insupportable. Les opposants le considèrent comme la volonté de fermer tout espace de discussion. En conséquence, le projet est paralysé et la contestation devient un modèle.

• la réaction selon les pays En général, cette phase conduit à une double impasse. Premièrement, l’ouverture

de l’espace de négociation se heurte à l’espoir des opposants de reprendre le projet du début. Deuxièmement, il est difficile d’articuler les justes solutions prônées par chaque partie et les dénouements possibles.

Les exemples français sont devenus des cas d’école. Le 23 avril, un projet de loi sur l’instauration du débat public, déposé devant le Sénat italien, faisait clairement référence au modèle français comme étant le plus développé en la matière. Cependant, les différents Etats se sont organisés différemment : la France et l’Allemagne ont plutôt tendance à se référer à des dispositifs réglementaires ; d’autres pays, comme les Etats-Unis et le Royaume-Uni ont davantage recours au Community organizing.

Au-delà des différents types de réponses, nous devons nous interroger sur les enseignements de ces conflits pour nos démocraties. Premièrement, ces protestations cumulent des attentes très diverses. Les chercheurs nous engagent à réformer le concept de citoyenneté en insistant sur sa dimension urbaine. La gestion de l’espace peut donner lieu à des injustices ou des dominations. L’occupation d’un emplacement constitue donc un outil de résistance significatif, mais témoigne aussi d’une intelligence des opposants qui mettent en œuvre une nouvelle façon de vivre et de s’engager.

Deuxièmement, ces protestations révèlent la contradiction de nos démocraties contemporaines. Cette crise, mise en lumière par Jürgen Habermas, concerne à la fois l’organisation et les productions de la politique. Elle a conduit les citoyens à s’éloigner des

- 22 -

Ministère de l’Ecologie, du Développement durable et de l’Energie

partis politiques qui ne fonctionnent plus comme des médiateurs et a provoqué une défiance envers les administrateurs et les décideurs qui perdent en légitimité. En réponse à cette crise, nous assistons au développement d’une participation informelle. Certains l’appellent « démocratie de surveillance », « de contrôle », « d’expression ». Ces termes signifient que des facteurs tels que la réduction des fonctions des Etats et l’affaiblissement des partis ont eu un effet sur la reconfiguration des espaces d’engagement. Certains chercheurs comme Luigi Bobbio ont mis en évidence combien certains courants comme le Mouvement 5 étoiles en Italie, les Citizen’s Assembly en Colombie britannique, la réécriture de la Charte constitutionnelle islandaise suite à la crise de 2008, etc., rejoignent les réflexions des penseurs de la démocratie délibérative. Ces pratiques alternatives sont déjà à l’œuvre et constituent une alternative à la crise de nos démocraties.

Ces conflits démocratiques acquièrent une véritable dimension heuristique. Dans ces moments, les individus redécouvrent leur citoyenneté, au travers de la défense de leurs intérêts, mais aussi d’échanges avec ceux qui sont touchés par les mêmes décisions politiques. Ils prennent conscience qu’avant d’exprimer leurs opinions, ils doivent débattre, se former et s’informer. Ils en viennent ainsi à distinguer les responsive decisions, qui constituent une réponse immédiate à un problème donné, des responsible decisions qui s’inscrivent dans la durée. Afin d’être en accord avec ces évolutions, il est nécessaire de renouveler, mais aussi de radicaliser la démocratie participative et délibérative. Nous disposerions ainsi de décisions offrant une plus grande légitimité et une meilleure qualité.

- 23 -

Ministère de l’Ecologie, du Développement durable et de l’Energie

Table ronde 1 – Collectivités innovantes et dialogue territorial Table ronde animée par Laurence MONNOYER-SMITH

Ont participé à cette table ronde :

Philippe AUDIC, président du Conseil de développement de Nantes

Bertrand ARNAULD de SARTRE, chef de Projet, Métropole de Bordeaux

Jean-Paul JEANDON, maire de Cergy

Laura MICHEL, maitre de Conférences, Université de Montpellier

Laurence MONNOYER-SMITH

Nous allons à présent examiner le cœur de ces pratiques participatives innovantes. Nos invités vous présenteront les différentes facettes des initiatives qu’ils développent sur leurs territoires, concernant des institutions, des maîtres d’ouvrage ou des associations.

Philippe AUDIC

Le Conseil de développement Nantes Métropole comprend 300 membres dont une centaine est assidue. Nous sommes très soucieux de notre autonomie de réflexion, essayant toujours de proposer une approche originale. Nous n’essayons pas de concurrencer la technostructure ; nous sommes partisans du tirage au sort et très soucieux de valoriser les initiatives citoyennes. Nous considérons le Conseil comme un lieu de formation et d’information des citoyens. Nous cherchons à organiser un débat horizontal, entre citoyens, par opposition au débat vertical, entre décideurs et citoyens.

Au centre-ville de Nantes, de grands projets d’aménagement portent sur les rives nord et sud de la Loire, ainsi que sur la réunion de différentes îles, pour une surface totale de 200 hectares. Dans vingt ou trente ans, ce cœur métropolitain amènera 40 000 habitants et 40 000 emplois supplémentaires. Des mobilités innovantes et de nouveaux franchissements du fleuve devront être envisagés. En 2030, l’agence d’urbanisme estime à 300 000 le nombre de franchissements supplémentaires quotidiens.

En 2013, la Communauté urbaine a saisi le Conseil de développement afin que nous lui fournissions des propositions de méthodologie pour organiser un débat public sur cette question du franchissement. Nous avons d’abord répondu qu’il convenait de travailler sur les causes de ces franchissements. Notre première proposition est d’interroger le développement de cette ville autour de la Loire. Quel lien recréer entre les habitants et ce fleuve ? Quels pratiques et usages développer ? Après un an d’étude, nous avons remis ce rapport en mars 2014. Nous avons travaillé sur la place du fleuve et du cœur métropolitain, pas seulement sur le franchissement.

Nous avons préconisé la création d’une commission de débat indépendante, composée de citoyens tirés au sort. Ce sont 24 personnes désignées à partir des listes des abonnés à l’eau. Nous avons prôné l’usage massif du numérique, afin que toutes les personnes qui souhaitent s’exprimer le puissent. Nous avons proposé des petites réunions, par exemple dans une entreprise dont les employés traversent le fleuve chaque jour. Nous avons recommandé un open data total, avec un document socle et la mise à disposition de toutes les études. L’objectif est de donner la parole aux sans voix et d’accepter les initiatives venues d’en bas.

- 24 -

Ministère de l’Ecologie, du Développement durable et de l’Energie

Laurence MONNOYER-SMITH

Pouvez-vous nous en dire davantage sur votre calendrier et votre organisation ? La montée en compétence et la méthodologie de ce Conseil sont tout à fait originales et remarquables. Elles ont un caractère « rhizomatique » au cœur de la société, avec ce tirage au sort, ces petites réunions et cette décentralisation du débat. Vous avez offert aux citoyens, via l’Internet, la possibilité d’organiser eux-mêmes des débats et leur avez donné les outils d’analyses de ces verbatim.

Philippe AUDIC

Le rapport a été remis en mars 2014. La municipalité a initié le débat mi-octobre, pour dix mois. L’ensemble s’achèvera le 30 mai 2015 par une journée citoyenne basée sur les techniques de World Wide Views. 500 personnes, tirées au sort pour la moitié et volontaires pour l’autre moitié, seront réunies en cinq endroits différents et travailleront en parallèle. Nous remettrons un rapport fin juin.

Certains points n’ont pas été retenus. Par exemple, la commission indépendante, composée de huit membres, n’est pas aussi indépendante que nous l’aurions souhaité, car elle comporte cinq citoyens et trois élus. En tant que président du Conseil de développement, j’ai été sollicité pour coprésider la Commission du débat. Un document socle a été rédigé par l’Agence d’urbanisme. Il précise tous les enjeux de ce centre-ville. Un site a été ouvert : www.nanteslaloireetnous.fr. A ce jour, il recueille 700 contributions citoyennes, 80 cahiers d’acteurs, 600 guichets Instagram, etc. 27 experts ont été auditionnés. Une cinquantaine d’initiatives citoyennes ont organisé des échanges.

Au final, nous sommes heureusement surpris de l’intérêt suscité, avec 9 000 fans sur la page Facebook, 500 abonnés Twitter. Il est réjouissant de constater que les habitants se sentent concernés par leur territoire et son devenir. Une proposition citoyenne porte sur un pont à transbordeur. Ce projet est ajouté à ceux de la Métropole, par exemple la construction d’un tunnel.

Laurence MONNOYER-SMITH

Monsieur Arnaud de Sartre va nous parler du projet de franchissement de la Garonne par le pont Jean-Jacques-Bosc.

Bertrand ARNAULD DE SARTRE

Ce projet de franchissement de la Garonne s’inscrit dans le cadre de Bordeaux Métropole et de Bordeaux Euratlantique. La décision a été prise fin 2007. Nous étions soumis à concertation au titre de l’article L. 302 du Code de l’urbanisme, mais le président de la communauté urbaine était très favorable à la démocratie participative. Il a souhaité que cet aménagement soit l’occasion d’une procédure pilote qui capitalise des expériences et soit réutilisable pour d’autres projets.

Ce processus a duré trois ans : une année pour préparer le dispositif, puis deux ans pour la concertation, qui se poursuivra jusqu’à la mise en service de l’ouvrage, conformément aux souhaits du public et des associations. Nous avons suivi trois principes :

� la confiance entre les acteurs et la légitimité ;

� la distanciation de l’ouvrage par rapport au dispositif ;

� la production progressive d’études.

Le projet a donné lieu à une charte concertée, organisant les rapports entre le maître d’ouvrage, les associations et les riverains. Une fois celle-ci adoptée, le processus a pu s’engager et un comité permanent de suivi et de concertation a été mis en place. Deux garants ont eu pour fonction d’assurer cette distanciation, Loïc Blondiaux et Jean Lafont, accompagnés d’un animateur. Un site Internet a permis aux citoyens de déposer leurs

- 25 -

Ministère de l’Ecologie, du Développement durable et de l’Energie

observations. Différentes études complémentaires et contre-expertises ont été produites à la demande des associations, conformément aux engagements de la charte.

Cette phase a abouti à la formulation de 19 recommandations, portées en réunions publiques devant les élus. Ce travail a été entièrement coconstruit avec le public et n’aurait pu être identique sans sa participation.

Laurence MONNOYER-SMITH

Monsieur le Maire de Cergy va à présent exposer l’opération de concertation Cergy Grand Centre.

Jean-Paul JEANDON

Le cœur de Cergy, conçu par Bernard Hirsch, date d’une quarantaine d’années. Il n’existe pas de centre-ville, mais seulement une galerie commerciale, avec un urbanisme de dalle typique des années 1970. Nous nous sommes demandé comment transformer ce centre commercial, administratif et universitaire en un véritable centre-ville. Dans cette agglomération de 100 000 habitants, ce centre correspond à 11 000 étudiants, 40 000 clients et environ 10 000 emplois.

Nous avons développé une démarche en trois étapes.

• les études en amont de la concertation Nous avons sollicité trois cabinets d’urbanisme, qui ont réfléchi sur les

problématiques de mobilité, de développement et de cadre de vie. Sur la base des conclusions de leurs trois projets, nous avons entamé la période de concertation. Parallèlement, les citoyens ont découvert le grand centre.

• le lancement d’une concertation approfondie En novembre 2012, 1 500 citoyens ont été tirés au sort, 200 ont répondu

positivement. Pour la première consultation, 400 personnes étaient présentes. Elles ont travaillé par groupes de sept ou huit, sous la conduite du cabinet Res publica et du cabinet d’urbanisme choisi. Plus de 220 propositions sont remontées. Pour chaque catégorie de population (salariés, collégiens, commerçants et habitants), nous avons organisé une concertation dans les locaux de Nilsen. Nous avons pu ainsi bénéficié d’une analyse différente selon l’utilisation de l’espace par chacun de ces acteurs.

• la mise en place de la plateforme numérique : « Gra nd Centre Je participe » Grâce aux différents outils, plus de 300 personnes ont collaboré via Internet. Sur

les 220 propositions retenues, que le cabinet d’urbanisme a analysées, 60 % ont été intégrées, 30 % abandonnées en cours d’étude et 10 % rejetées (en motivant les raisons de ce refus). Maintenir un tel dispositif de concertation pendant quatre mois n’a pas été facile, mais a été extrêmement productif.

Le PUR a intégré ces propositions, qui font actuellement l’objet d’une réflexion en interne et seront présentées en septembre avant le lancement des travaux en 2015.

Cette démarche a été extrêmement constructive et positive. Le cabinet d’urbanisme a apprécié de pouvoir prendre en compte la diversité des populations sur le territoire. Nous avons développé le Conseil d’initiative locale, fondé sur le tirage au sort, et la plateforme numérique « Cergy J’en parle », qui a vocation à perdurer.

En conclusion, il est nécessaire de développer l’ensemble des outils de concertation, quelle que soit la taille du projet.

Laurence MONNOYER-SMITH

Laura MICHEL a travaillé sur la mise en place des chartes de la concertation. Après ces trois comptes rendus, pouvez-vous nous indiquer, en tant que chercheuse, s’il existe différents outils pour enclencher cette dynamique ?

- 26 -

Ministère de l’Ecologie, du Développement durable et de l’Energie

Laura MICHEL

Diverses collectivités territoriales, à partir des années 2000, ont développé des chartes de la concertation afin d’organiser la démocratie participative et l’encadrer par des règles, au même titre que la démocratie représentative.

En 2013, nous avons organisé, avec l’Institut de la concertation, une « Journée des chartes », au cours de laquelle des collectivités pionnières ont fait part de leur expérience. Les acteurs concernés, toujours plus nombreux, sont une quarantaine aujourd’hui. Au départ, seules des agglomérations et des communautés étaient concernées, comme Bordeaux Métropole. Des villes plus modestes agissent désormais en ce sens, comme Fontaine (Isère), mais aussi des Conseils généraux.

Il existe deux grands types de chartes : certaines sont plutôt des chartes-manifestes, affichant des valeurs et des principes ; d’autres sont plus détaillées, proposant des règles et des engagements. Toutefois, se pose la question des limites à l’édiction de règles. En effet, jusqu’à quel point les chartes doivent-elles être contraignantes ?

Il est intéressant d’observer les modalités d’élaboration et d’adoption de ces chartes. Premièrement, la plupart des collectivités ont souhaité faire participer les habitants, mais aussi les élus et les services – et pas seulement ceux qui étaient directement concernés. Ils forment une sorte de tripartisme.

Deuxièmement, les habitants sont impliqués selon des modalités différentes. A ce titre, le tirage au sort ne constitue pas l’unique modalité. En outre, les collectivités souhaitant souvent conférer aux chartes une légitimité politique forte, elles les adoptent solennellement en conseil, avec la signature du président de la collectivité, du directeur des services techniques, etc.

Laurence MONNOYER-SMITH

Je laisse la parole à la salle.

Guillaume BLAVETTE

J’étais impressionné par ces témoignages. Je vis malheureusement dans l’agglomération rouennaise, où la participation se résume à quelques cafés organisés par-ci, par-là. Concernant les modalités, dans quelle mesure est-il aussi possible d’interroger les citoyens sur l’opportunité des projets ? Par exemple, la métropole de Rouen est rurale à 70 %. Monsieur Fabius souhaite la transformer en un ensemble métropolisé et urbain. Les citoyens n’ont jamais été consultés. Comment tenir compte de leur avis en amont, comme le suggérait Monsieur Richard ?

De la salle

La meilleure énergie étant celle qui n’est pas consommée, ne serait-il pas préférable d’habiter à l’endroit où l’on travaille, pour éviter ces franchissements de la Loire ? Cette question a-t-elle été examinée ? Comment avez-vous procédé au tirage au sort à partir des abonnés à l’eau, sachant que ces quittances correspondent souvent à des foyers ?

De la salle

Cergy compte 200 000 habitants. Sont-ce toujours les mêmes 200 personnes qui participent aux consultations ? Ne courrez-vous pas le risque d’une monopolisation de la parole ?

De la salle

Nous n’avons pas traité de l’évaluation de ces processus de concertation. Mesurez-vous la démarche elle-même ou ses impacts ?

- 27 -

Ministère de l’Ecologie, du Développement durable et de l’Energie

De la salle

Vous avez présenté les projets sous un angle positif. Comment avez-vous géré les oppositions ?

Laurence MONNOYER-SMITH

Concernant la Loire, la question du non-franchissement s’est-elle posée ? Par ailleurs, comment est organisé le tirage au sort ? Avez-vous envisagé la question de l’opportunité ?

Philippe AUDIC

Nous avons essayé d’inciter l’agglomération à ne pas travailler sur la seule question du franchissement, mais sur l’organisation du centre-ville et la place de la Loire. Nous avons tenté de travailler en amont, mais le franchissement était clairement le sujet de cette demande. A ma connaissance, personne n’a déposé une contribution sur le non-franchissement. La réalisation de ces quatre franchissements s’étalerait sur une période de vingt à trente ans. Nous devrons donc régulièrement réactualiser ce projet.

Par exemple, si quelqu'un décide un jour de mettre en place un péage, la question du franchissement se posera différemment. Le débat a débouché sur des propositions de court, moyen et long termes. La mission de la commission est de ne délaisser aucune des propositions formulées et de rendre un rapport aux élus, aux techniciens, aux participants aux débats et aux habitants de l’agglomération. Le tirage au sort est évidemment organisé selon certaines modalités. Le nombre de courriers envoyés est dix fois supérieur à celui des personnes retenues. Nous adoptons aussi des critères de géographie, de parité et d’âge.

Laurence MONNOYER-SMITH

Je vous propose de répondre à la question sur le risque de monopolisation de la parole.

Jean-Paul JEANDON

La consultation a duré quatre mois. Les 300 citoyens qui se sont exprimés sur Internet représentaient moins d’un tiers des participants. Par ce biais, nous touchions des personnes qui n’ont pas l’habitude d’assister à des réunions, des familles avec enfants et des jeunes. A Cergy, la moitié de la population a moins de 30 ans.

Ce sont souvent les mêmes intervenants qui participent aux réunions publiques. Les personnes qui utilisent l’Internet ou les forums sont plus constructives. Leurs propositions étaient très différentes. Un bilan a été dressé par Res publica. Le principal enjeu est de maintenir la présence des intervenants jusqu’au terme du processus, en résistant à la « fatigue participative ».

Laurence MONNOYER-SMITH

Comment avez-vous géré les opposants qui se seraient manifestés au cours de la concertation ?

Bertrand ARNAULD DE SARTRE

Je parlais tout à l’heure de légitimité. Nous rencontrons certaines oppositions de riverains. Toutefois, les premiers défenseurs du projet sont les autres associations et participants qui peuvent le redéfinir en le critiquant.

Philippe AUDIC

L’exigence du Conseil de développement était que nous adoptions un open data total. Cet objectif n’a pas été entièrement atteint, si bien que des associations se plaignent et

- 28 -

Ministère de l’Ecologie, du Développement durable et de l’Energie

réclament que certaines études leur soient communiquées. Les citoyens s’engagent dans le débat, mais se demandent sans cesse si leurs propositions seront prises en compte.

Laurence MONNOYER-SMITH

Nous allons prendre une seconde série de questions.

De la salle

En tant qu’élu de La Rochelle pendant 25 ans, j’ai piloté la politique de l’écologie urbaine. Cette démarche a permis de démontrer l’importance qu’accorde cette ville à la culture du dialogue.

Dans quel espace ai-je envie de vivre ? A son arrivée à la mairie, Michel Crépeau déclarait : « Je souhaite mettre l’homme au cœur du sujet. » Un dialogue était nécessaire, alors que Georges Pompidou souhaitait inversement mettre la voiture au cœur de la ville. A chaque fois qu’une question d’aménagement se pose, elle se transforme en une question de société qui impose le débat. Il ne suffit pas de réunir des centaines de personnes. Encore faut-il conduire les échanges et tisser un lien avec le public.

L’opinion est multiple. Chacun peut considérer que sa ville lui appartient. La stratégie et la pédagogie doivent donc mettre au jour toutes les composantes, afin de déterminer entre elles un intérêt commun. Lorsque toutes les logiques sont reliées, les populations prennent conscience du bon sens des solutions. Le peuple souverain n’a pas toujours raison.

De la salle

La question de l’opportunité est très importante. A Nantes, le franchissement de la Loire est nécessaire, car deux tiers des emplois sont situés au nord du fleuve et un tiers au sud. Cette convergence provoque des embouteillages. Il conviendrait de s’interroger d’abord sur la manière de rééquilibrer l’emploi.

J’ai été élue dans l’agglomération nantaise. Dans ma commune, anciennement PSU, nous ne parlions pas de démocratie participative, mais d’autogestion. Il n’existe pas une seule solution pérenne et figée de démocratie participative. Les structures doivent être sans cesse modifiées.

Michel MARIE

Un quartier sensible de Saint-Dizier a mis en place un comité citoyen. Il a fait appel à des volontaires : 30 personnes ont répondu, mais seulement 10 ont été retenues, afin de respecter a minima les obligations légales. Par conséquent, le dialogue participatif peut encore largement progresser.

Premièrement, je souhaitais savoir si les élus de Bure vous ont contacté ? Deuxièmement, j’observe que les personnalités présentes au début de cette journée ne sont plus présentes. Cette attitude est révélatrice. Pour Bure, nous avons mené des débats pendant deux ans, mais les parlementaires ne se sont jamais déplacés. La question est donc de savoir où se trouvent les décideurs.

De la salle

Ma question concerne les jurys et les jurés. Aviez-vous prévu des indemnités ou des rétributions pour garantir la durée de leur implication et pour corriger certains biais de ressources ?

De la salle

Aucun des trois intervenants n’a abordé la question du budget.

- 29 -

Ministère de l’Ecologie, du Développement durable et de l’Energie

Philippe AUDIC

A Nantes, nous n’avons prévu aucune indemnisation. Les participants contribuent à cinq séminaires d’une journée et demie, le vendredi après-midi et le samedi. Seuls les repas et déplacements sont pris en charge. Le budget s’élève à 600 000 euros.

Jean-Paul JEANDON

L’initiative de Cergy s’inscrit dans le cadre de la politique de la ville. Nous avons créé un Conseil d’initiative locale, nommé par tirage au sort, qui fait office de Comité citoyen. Notre budget en prestations directes auprès de Res publica s’élevait à 60 000 euros. S’y ajoutent la rétribution du cabinet d’urbanisme – bien qu’il n’ait pas strictement participé à la concertation – et la location de salle. Finalement, la concertation n’est donc pas si coûteuse.

Laura MICHEL

Un enjeu des chartes de la participation consiste à en suivre l’application dans le temps. Se pose ainsi la question des moyens affectés à ces comités de suivi, que ce soit en termes de budget et de temps.

Bertrand ARNAULD DE SARTRE

A Bordeaux, sur les deux ans de concertation active, le budget s’élevait à environ 350 000 euros, pour la rétribution du médiateur et la prise en charge des différentes études.

- 30 -

Ministère de l’Ecologie, du Développement durable et de l’Energie

Table ronde 2 – Mobilisations citoyennes pour un dialogue environnemental

Table ronde animée par Laurence MONNOYER-SMITH

Ont participé à cette table ronde :

Chantal GAUDICHAU, directrice de l’association Graine (Poitou-Charentes)

Floriane KARAS, chargée de mission CPIE Bresse du Jura

Benoit JEHL, directeur OPAC38

Arnaud COLSON, président de l’UNPG (Union Nationale des Producteurs de Granulats

Laurence MONNOYER-SMITH

Cette seconde table ronde porte sur la sensibilisation des citoyens à la démarche participative et les dispositifs mis en place par les associations pour favoriser leur montée en compétence. Nous examinerons les initiatives de la maîtrise d’ouvrage dans ce domaine.

Madame Gaudicheau, pouvez-vous nous parler de votre association et des actions de sensibilisation que vous menez ?

Chantal GAUDICHAU

Je dirige le GRAINE (Groupe Régional d’Animation et d’Initiation à la Nature et à l’Environnement) de Poitou-Charentes. Ces associations sont nées il y a vingt ans, suite à la prise de conscience environnementale dont parlait Edgar MORIN. Elles ont été initiées par des enseignants pour qui l’éducation à l’environnement était essentielle. Notre démarche étant davantage liée à l’éducation qu’à l’environnement, notre temporalité est moins rapide que celle d’autres intervenants qui ont des préoccupations pratiques. Nos démarches se rejoignent néanmoins. Selon le proverbe chinois, une crise est un changement qui a du mal à s’accomplir.

Depuis une trentaine d’années, nous connaissons un changement de société qui nécessite des moyens techniques, juridiques et éducatifs. L’éducation est formelle, mais aussi populaire. Elle s’adresse également aux adultes et a pour objectif de les rendre capables de participer au débat, de porter des initiatives et des solutions. C’est pourquoi nos réseaux d’éducation se situent bien en amont de la démocratie participative, afin que ces participants soient déjà dotés d’une conscience environnementale et soient informés des enjeux. Les élus, qui composent aussi notre public, sont souvent les plus réticents.

Nous faisons partie du réseau national Ecole et Nature. Grâce à ce maillage, un recensement des actions de mobilisation citoyennes est en cours. L’éducation à l’environnement suppose des modalités d’animation particulières. Animer une démarche participative suppose une méthodologie et constitue un métier à part. C’est pourquoi des formations professionnelles spécifiques se développent, comme en Poitou-Charentes, à l’Université de La Rochelle et à l’IFRÉE (Institut de Formation et de Recherche en Education à l’Environnement).

Cependant, nos réseaux associatifs d’éducation manquent de moyens financiers, alors qu’ils sont nécessaires pour ce dialogue participatif que nous appelons de nos vœux. Pourtant, nous dégagerions des économies en développant l’éducation à l’environnement,

- 31 -

Ministère de l’Ecologie, du Développement durable et de l’Energie

en amont des projets et des conflits qui peuvent en résulter. Gandhi a déclaré : « Un arbre qui tombe fait beaucoup de bruit, une forêt qui germe ne s'entend pas. »

Laurence MONNOYER-SMITH

Mme Karas nous présentera ce passage de la sensibilisation à la participation au travers de son expérience.

Floriane KARAS

Je travaille au CPIE (Centre Permanent d’Initiative pour l’Environnement) des Vosges et du Jura. Ces centres sont 80 en France et éduquent à l’environnement. L’une de nos modalités d’intervention consiste à accompagner, de façon participative, des projets en lien avec le développement durable.

Je vous parlerai du projet d’accompagnement d’un établissement qui accueille une centaine de personnes âgées.

Depuis un peu plus d’un an, le but est de réaménager le jardin attenant à cet établissement, en poursuivant quatre vocations : thérapeutique, écologique, sociale et intergénérationnelle. En d’autres termes, nous réaménageons cet espace vert afin qu’il soit plus favorable à la biodiversité, plus accessible pour les personnes âgées, plus simulant pour elles, et plus favorable aux rencontres, puisqu’il est ouvert au public. Concrètement, cette démarche prend la forme d’aménagements et d’animations réalisées par le CPIE.

Nous sommes éloignés du thème de la démocratie participative, car il n’existe pas d’enjeu en termes de décisions. Cependant, la nature du projet a une parenté avec les dispositifs de dialogue environnemental et d’aménagement. La posture du CPIE est celle d’un accompagnant et de la condition de sa réussite. Nous voulions accomplir ce projet avec les résidents et les salariés de l’établissement, pour qu’ils se l’approprient. Nous devons être à l’écoute d’autrui, de ses besoins, et non viser des résultats. Le projet est d’une richesse humaine inattendue, même si tout ce travail d’écoute n’est pas nécessairement apparent.

Je suis associée à un groupe de travail composé de personnes âgées, d’aides-soignants et de techniciens. Nous construisons un projet unique qui correspond aux besoins et qui a du sens pour tous. Les personnes ne s’intéressent pas à ce projet pour ce qu’il produit, mais pour ce qu’il représente. Pour tous ces projets participatifs, nous nous devons d’être honnêtes avec nous-mêmes. Nous devons donner les moyens aux personnes de s’exprimer, mais aussi respecter ce qu’elles disent. Nous devons nous porter à leur écoute avec humilité. Nous avons besoin de nous outiller et d’apprendre. Ces outils et méthodes existent. Il n’est pas nécessaire de les réinventer.

Laurence MONNOYER-SMITH

Des centaines d’initiative comme la vôtre irriguent le territoire. La participation n’a pas seulement pour objet l’aboutissement du projet, mais la transformation des individus qui le portent.

Floriane KARAS

Cette démarche est évidemment en lien avec l’éducation populaire. Nous avons la chance de disposer de cette ressource extraordinaire.

Laurence MONNOYER-SMITH

Monsieur Jehl nous parlera de la démarche originale mise en place par son établissement.

- 32 -

Ministère de l’Ecologie, du Développement durable et de l’Energie

Benoit JEHL

Je témoignerai de l’évolution de l’organisme en termes de participation et d’association des habitants à la question environnementale. Comment faire en sorte que ces personnes, qui bénéficient de logements sous conditions de ressources, ne soient pas pénalisées par l’augmentation de leurs charges, consécutive à une démarche écologique ?

L’OPAC38 concerne les HLM pour le département de l’Isère (38). Nous gérons 45 000 logements, des Alpes à Lyon. En termes de participation et de concertation, le secteur du logement social est déjà encadré. En effet, depuis quatre ans, les habitants bénéficient de quatre élus au sein d’un Conseil d’administration de 23 membres. Par ailleurs, nous avons l’obligation de soumettre au vote tout programme de travaux ou toute augmentation de loyer. A contrario, nous avons la possibilité d’appliquer unilatéralement la troisième ligne de quittance, concernant les travaux d’économie d’énergie. Nous pouvons reporter en plus du loyer une somme égale à la moitié des économies générées.

Historiquement, l’OPAC38 a élargi la problématique de la maîtrise des charges au développement durable. L’organisme s’est alors interrogé sur les modalités de la démarche, en réfléchissant à la rédaction d’une charte par exemple. Nous avons pris prétexte de l’Agenda 21, en 2002, qui prévoit une concertation avec les parties prenantes. Cette démarche est importante, car elle permet d’entendre et d’ajuster le programme ; elle est aussi contraignante, car nous sommes obligés de rendre des comptes aux habitants et collectivités participants. Ce travail de construction, au travers de forums et d’ateliers, a bénéficié de l’accompagnement de l’association Arènes. Le plan d’action n’est pas une fin en soi, mais un commencement, dans la mesure où nous souhaitons faire perdurer cet échange avec les parties prenantes.

Par exemple, un bailleur de logement social doit disposer d’un PSP (Plan Stratégique de Patrimoine) qui intègre notamment les éléments modifiés par le Grenelle de l’environnement, suite à un accord entre l’Etat et l’Union sociale pour l’habitat. Nous avons conduit un travail avec ces groupes participatifs, dans le cadre de l’Agenda 21, pour définir les objectifs de l’OPAC38, transposer et adapter ces injonctions en termes de réduction de la consommation d’énergie.

La démocratie participative est un moyen de prioriser les choix dans un contexte économique contraint.

Aujourd’hui, nous essayons d’insister sur le rattachement de chacune des parties prenantes à un territoire et de multiplier géographiquement ces temps de concertation – quitte à en diminuer le nombre – pour favoriser la mise en relation des différents acteurs concernés. En tant qu’organisme public, nous pouvons être interpellés par les habitants, sans disposer pour autant des éléments de réponse. C’est pourquoi il peut s’avérer utile que les collectivités nous soient associées. Nous avons appris de cette démarche de coconstruction. Nos interlocuteurs ont déclaré qu’ils voulaient bien participer, mais que la décision nous appartenait et que nous engagions notre responsabilité. Cette limite étant posée, nous poursuivons cette démarche et restons à la disposition des habitants.

Laurence MONNOYER-SMITH

Monsieur Colson est Directeur du Développement durable et de l’Environnement de Lafarge, mais aussi président de l’UNPG. Vous nous parlerez de la façon dont les producteurs de granulats sont associés à cette démarche de charte.

Arnaud COLSON

Nous représentons une activité fondamentale du BTP. Nous extrayons des ressources minérales. Ces granulats servent à produire des enduits, du béton, etc. Ces activités représentent 2 500 carrières en France et sont regroupées au sein de l’UNPG. Elle réunit 1 500 chefs d’entreprises et fait partie de l’UNICEM. Ce secteur est essentiel, mais pose un problème d’acceptabilité sociale, territoriale et environnementale.

- 33 -

Ministère de l’Ecologie, du Développement durable et de l’Energie

Je me souviens de l’émission de Louis Bériot et Michel Péricard, La France défigurée. Je suis convaincu que nous devons travailler à l’acceptabilité de ces projets. Dès 1992, nous avons adopté une charte. Chacun est libre d’y adhérer. Elle a pour objectif d’alimenter un fonds dédié à la recherche scientifique, la formation et la création de missions locales de concertation. Nous disposons de plus de 1 100 sites référencés, représentant 60 % de l’activité.

Il y a dix ans, le Museum d’Histoire naturelle, l’Université Toulouse 3 et différentes agglomérations ont produit une centaine d’études (disponibles sur le site de l’UNPG) sur la prise de conscience scientifique de l’impact tangible de nos activités sur le milieu naturel.

Nous sommes aussi intéressés par la formation. Auparavant, une école d’ingénieurs ne formait pas les étudiants à l’acceptation sociétale alors que cet aspect est désormais davantage intégré. Le groupe Lafarge est très investi dans ces questions, puisqu’il copilote la Chaire de développement durable de l’Ecole polytechnique. Nous devons décliner en top-down ces processus dans les entreprises.

Les commissions locales de concertation et de suivi constituent le pivot de notre fonctionnement. Le fonds finance des auditeurs qui parcourent la France et évaluent les sites selon des critères précis. Lorsque l’une de ces commissions met en évidence la nécessité de modifier un arrêté préfectoral sur un site donné, il faut être réactif. Nous parlons de schémas territoriaux et écologiques, mais il n’existe pas de cohérence entre ceux-ci.

Ma demande porte sur deux niveaux. Premièrement, je souhaite le développement du bon sens pour favoriser la mise en œuvre et la réponse du chef d’entreprise au marché. Deuxièmement, je revendique une meilleure organisation de l’Etat en faveur d’une meilleure acception sociétale des grands programmes.

Laurence MONNOYER-SMITH

Je vous propose que nous échangions avant de conclure.

Michel GUERITTE, président de l’association La Q.V.

Nous n’avons pas suffisamment parlé des GP2I. Avec Guillaume Blavette nous envisageons de dresser une liste spécifique des GP2I concernant le nucléaire. Le nucléaire a-t-il droit à un dialogue environnemental ? La démocratie participative s’adresse-t-elle au nucléaire ?

De la salle

J’habite Fontenay-aux-Roses et suis membre d’un comité de quartier. Je n’exerce donc pas de responsabilités comparables à nombre d’intervenants. Toutefois, les problèmes de représentativité, mais aussi de présence des femmes dans les associations d’habitants, se posent sur le terrain. Vous rendez-vous compte que, lors des changements de majorités communales, ces comités d’habitants servent de lien entre les équipes municipales successives ? Ces personnes tirées au sort détiennent la démocratie locale en assurant une continuité politique.

De la salle

Je milite activement contre l’aéroport Notre-Dame-des-Landes. J’ai parfois l’impression que les citoyens bénéficient d’une meilleure éducation environnementale que les politiques. Quant aux multinationales du BTP, l’éducation ne les concerne pas, puisque ce sont des acteurs économiques qui raisonnent en termes de profit.

Mme Michel mentionnait que les chartes ne sont pas contraignantes. Or les citoyens ont besoin de résultats et de réponses. Effectivement, pour Notre-Dame-des-Landes, depuis trois ans, nous réclamons en vain un rendez-vous à Mme la Ministre de l’Ecologie. Les chartes ne mettent pas fin à ces blocages.

- 34 -

Ministère de l’Ecologie, du Développement durable et de l’Energie

Mme Casillo parlait des GP2I. Vous ignorez peut-être que des groupes qui se mobilisent contre ces projets ont porté plainte, pour violation des droits de peuples, devant le Tribunal permanent des peuples de Turin. Une session a débuté le 14 mars et durera jusqu’en novembre. Nous entrons dans le processus de participation, mais avons besoin d’obtenir maintenant des résultats pour la démocratie et l’environnement. Nous attendons la réponse du gouvernement et des différentes instances.

De la salle

Je salue le représentant de l’UNPG pour son honnêteté intellectuelle. Il est le seul à avoir employé le terme « acceptabilité », qui était pourtant le maître mot de la réunion du CNTE du 6 janvier. Si l’ensemble de ce colloque et de ces échanges repose sur ce mot, la défiance et la désespérance perdureront.

Le 15 décembre 1992, Jean-Louis Bianco déclarait qu’il n’était plus possible que des projets ne soient pas contestés du fait de l’absence de débat démocratique. L’instruction-cadre de 2014-2005 comportait les mêmes propos. En 2015, le président de la République tient le même discours.

Si nous conservons la notion d’acceptabilité, c’est-à-dire comment duper le citoyen, nous ne progresserons pas. Ce mot doit être banni. Il doit exister une réciprocité dans l’échange avec les citoyens et un débat sur l’opportunité.

Agnès POPELIN

Les deux tables rondes ont mis en valeur les mobilisations citoyennes. Toutefois, le préalable serait une reconnaissance du statut de bénévole associatif.

Chantal GAUDICHAU

Ma présence auprès de Monsieur Colson ne doit pas donner lieu à un amalgame entre l’acceptabilité et l’éducation à l’environnement. L’éducation est émancipatrice, permet de se forger une opinion et de se mobiliser. La participation et la mobilisation sont distinctes. Je forme à la participation, alors que les réseaux FNE sont dédiés à la mobilisation.

Laurence MONNOYER-SMITH

Diverses personnes se sont émues de l’emploi du mot « acceptabilité ». Beaucoup de chercheurs, dont je fais partie, ont critiqué cette terminologie. Nous parlons davantage « d’appropriation » et nous intéressons à la façon dont une personne est capable de construire sa propre représentation. Cependant, la façon dont la maîtrise d’ouvrage use de ce vocabulaire n’a pas toujours cette acception négative. Les démarches de participation mises en place par les entreprises sont intéressantes et vertueuses à bien des égards.

- 35 -

Ministère de l’Ecologie, du Développement durable et de l’Energie

Conclusion Loïc BLONDIAUX

Professeur des Universités au département de science politique de la Sorbonne (Paris I)

Ce colloque examinait la participation des citoyens au processus de décision, en abordant ses justifications ainsi que ses conditions de légitimité et d’efficacité. Le gouvernement représentatif fut inventé à la fin du XVIIIe siècle par opposition à la démocratie. Ses pères fondateurs le considéraient comme une alternative à celle-ci et à l’absolutisme. Il n’a jamais été conçu comme un processus inclusif, donnant la possibilité au citoyen de participer au processus de décision. Samuel Hayat, dans son livre sur la Révolution de 1848, montre que cette époque oppose une conception exclusive et une conception inclusive de la représentation. Pour la première, la seule légitimité possible est l’élection. La seconde, qui implique des allers-retours permanents entre les citoyens et leurs représentants, a été écartée à l’aube de notre histoire politique contemporaine.

La survie du gouvernement représentatif est en jeu. Il connaît actuellement un double processus d’affaiblissement lié à son inefficacité et à sa perte de légitimité, ces deux processus s’entretenant mutuellement. Nous devons compléter ce constat d’une analyse des trois attitudes des citoyens à l’égard de leurs représentants.

• la défiance Le préjugé selon lequel les autorités ne cherchent pas à servir le bien commun

mais leur intérêt particulier tend à se répandre.

• l’indifférence La montée de l’abstention est partiellement liée au fait que les électeurs ne voient

plus l’intérêt de voter dès lors que l’alternance ne produit plus de changement des politiques publiques.

• la contestation Le Mouvement des Indignés ou l’Occupy movement contestent le principe même

de la représentation. Ils en présentent une critique radicale et cherchent de nouvelles formes d’accord et d’expression politiques, qui valorisent davantage le consensus. L’un de mes collègues australiens considère même que se dessine la fin de la démocratie représentative. Effectivement, un certain nombre de mouvements numériques refusent la représentation.

Parallèlement, des formes d’auto-organisation se développent au sein de collectifs, qui bannissent toute représentation et sont sans contact avec les institutions. Ils anticipent les défaillances de l’Etat et sa disparition prochaine. Dans ce contexte, quelles sont les justifications de la participation citoyenne au processus de décision ?

• la vérification de la promesse d’égalité Cette justification est au cœur de l’idée démocratique. La démocratie se définit,

selon Robert Dahl, comme la possibilité égale pour chaque citoyen d’influencer le processus de décision. La démocratie participative a pour enjeu de vérifier cette promesse. Nos démocraties représentatives sont de plus en plus inégalitaires. L’accès au processus de décision est très largement différencié.

• le maintien de l’intensité d’une vie démocratique L’existence d’institutions démocratiques n’est pas suffisante. La société doit être

aussi traversée par des formes d’intervention et d’expression. L’enjeu est le maintien d’une activité et d’un contrôle citoyen, afin d’éviter que l’indifférence domine.

- 36 -

Ministère de l’Ecologie, du Développement durable et de l’Energie

• l’action en faveur d’une contribution positive des citoyens Associer les citoyens à l’élaboration de la décision constitue un pari sur

l’intelligence citoyenne et sur l’expertise profane. Une partie des solutions aux problèmes contemporains se trouve dans la société. La participation doit être critique, mais aussi contributive.

• l’amélioration de la rationalité de la décision La participation citoyenne permet d’éprouver les projets, d’explorer les solutions

possibles, de changer la conception des rôles de l’Etat et de l’expert. L’enjeu est de rendre la décision plus légitime, mais aussi plus proche des problèmes à résoudre.

• la légitimation de la décision Les décisions qui font l’objet d’une véritable participation ont une probabilité plus

forte d’être légitimes. Plus la procédure aura été transparente et inclusive, plus ce résultat sera atteint.

Quel est l’état de cette participation ? La situation est contradictoire. Depuis la mort de Rémi Fraisse, nous assistons à un regain d’intérêt pour la démocratie participative. Dans le cadre institutionnel, différents acteurs évoquent ce thème, ainsi la Commission Richard. Dans la société civile, le mouvement des ZAD témoigne d’une telle revendication. Dans le domaine de la politique de la ville, le rapport Bacqué-Mechmache de 2013 réclamait plus de participation citoyenne. La Loi d’orientation pour la ville prévoit la création de conseils de citoyens pour l’élaboration des contrats de ville. Il existe donc une forme de revendication et de réponse institutionnelle. Dans le domaine de l’action publique locale, quelques municipalités investissent cette thématique et essaient d’institutionnaliser la participation. Une grande majorité reste aussi indifférente à cette question ou constate qu’elle ne rencontre pas d’écho dans la population. L’Assemblée nationale a créé une plateforme consultative pour l’élaboration du projet de loi sur la fin de vie. Cette démarche témoigne d’une forme de reconnaissance institutionnelle de l’importance de la participation. Des plateformes comme www.parlement-et-citoyens.fr essaient d’introduire la participation dans l’élaboration de la loi. Les initiatives sont très nombreuses.

Aujourd’hui, nous bénéficions de dispositifs favorisant la participation des citoyens. Plus aucun obstacle technologique ne s’y oppose. En revanche, la volonté politique fait défaut. Nous assistons à une professionnalisation des acteurs qui deviennent des techniciens de la participation. Nous observons des résistances. Une journaliste m’interrogeait hier sur la coïncidence de la tenue de ce colloque et du vote de la première version du projet de loi sur le renseignement. Le style du discours du gouvernement et de certains exécutifs locaux marque clairement un retour à des formes autoritaires de conception de la décision. Des dispositifs de surveillance et de répression se renforcent. Par exemple, le Mouvement des Indignés a contesté le système tandis que le gouvernement espagnol élaborait une loi répressive. Certains segments de l’Etat sont favorables à un retour à l’autorité, tandis que d’autres favorisent l’innovation et la transparence. L’initiative Etalab tente de développer une nouvelle conception de l’administration, tandis que le discours de modernisation du droit de l’environnement conduit souvent à sa régression. La situation est donc ambivalente.

Nous constatons la même ambivalence chez les citoyens. Certains croient encore à la possibilité d’organiser des formes de dialogue et d’interaction entre les représentants et les représentés, alors que d’autres y ont renoncé. Par exemple, PMO (Pièces et Main d’Œuvre) a déjà entravé deux débats publics. Dans une partie du mouvement social, il existe une attitude de critique radicale de la participation. De nombreux acteurs la soupçonnent de ne servir à rien. Enfin, la culture française se révèle un obstacle fondamental. Les élites politiques et techniques s’entretiennent dans le culte de leur supériorité, dans une forme de défiance et de condescendance. Il n’existe pas d’éducation à la participation, à la prise de parole. Le réflexe d’intervenir dans le débat public n’est pas intériorisé. Les formes de la pédagogie et les relations sociales mettent trop de distance entre les élites et les citoyens ordinaires.

- 37 -

Ministère de l’Ecologie, du Développement durable et de l’Energie

Quelles sont alors les conditions pour développer de nouvelles formes de participation ?

• savoir utiliser les dispositifs Il existe une technicité de la participation, depuis l’organisation d’une réunion

publique jusqu’à la création d’une plateforme numérique.

• favoriser les acteurs qui facilitent la participati on Les institutions de la délibération, comme la CNDP, encouragent le recours à un

tiers. Le face-à-face entre l’administration ou l’Etat et les citoyens n’est pas tenable.

• exiger la transparence des règles Elle a été rappelée à de nombreuses reprises au cours de ce colloque.

• donner la parole aux absents Nous ne devons jamais oublier que les dispositifs participatifs ne sont pas

sociologiquement représentatifs. Nous savons aujourd’hui comment inclure les publics les plus éloignés de la sphère politique. S’ils restent absents, nous ne devons néanmoins pas les oublier, mais garantir leur présence virtuelle.

En conclusion, sans anticiper sur les travaux de la Commission Richard, je m’étonne que la réforme territoriale n’ait pas donné lieu à plus de participation. Elle serait pourtant l’occasion d’introduire de nouveaux dispositifs. Par exemple, nous pourrions introduire une participation avant l’élaboration des SRAT. Les Conseils de développement pourraient aussi acquérir un rôle plus significatif au sein des intercommunalités.

Laurence MONNOYER-SMITH

Il me reste à vous remercier pour votre présence, votre écoute et vos contributions. La démocratie participative a de très beaux jours devant elle.

Ministère de l'Écologie, du Développement durable

et de l'Énergie

Hôtel de Roquelaure 246 boulevard Saint-Germain

75007 Paris

Tél. 33 (0)1 40 81 21 22

DIC

OM

-CA

B/CO

U/1

5105

-Jui

n 20

15