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te Fonctions du langage» et Image publicitaire d'après les travaux de Georges Péninou Le langage, pour Jakobson, n'a pas la transmission des ( informations pour seule vocation et il appartient au linguiste d'avoir tenté de répertorier différentes fonctions du langage en rapport àce qu'il considère comme les «facteurs constitutifs de tout procès linguistique, de tout acte de communication verbale» 1 Soit le contexte qu'il faut comprendre comme synonyme de référent « verbal ou susceptible d'être verbalisé », le message lui-même, le destinataire et le destinateur du message, les moyens d'un contact entre l'un et l'autre ou «canal physiqueet ...connexion psychologiquet enfin un codecommun, ou au moins partiellement commun, au destinateur et au destinataire. EE_!!l~ort à ces six constituants, l'auteur notesix fonctions du langage susceptibles d'être priSëS en charge par les -;TIessages et dont il ès! possible de repérer les traces à l'intérieur de ceux-ci. Et il ajoute qu'il serait, dans la pratique, difficile de trouver un texte qui n'en manifeste qu'une seule. Soit respectivement: la fonction référentielle ou cognitive (« centration sur le contexte» ou «le référent» à propos duquel on donne à connaître un certain nombre d'informations), la fonction poétique (« accent mis sur le message pour son propre compte »), la fonction conative (orientation vers le destinataire), la fonction expressive ou émotive (centration sur le destinateur), la fonction phatique (centration sur le contact) et la fonction métalinguistique (centration sur le code) 2. _ Plusieurs chercheurs, à la suite de Jakobson, se sont efforcés de retrouver ces fonctions et de noter leur importance relative dans des énoncés de types différents ou de les appliquer, pour au moins cinq d'entre elles, à l'image. C'est ainsi que Georges Péninou crut pouvoir établir, avec de fortes variations selon le régime communicationnel choisi, l'intérêt de l'exercice dans les messages publicitaires de quatre J JAKOBSON, 1963 (1986, p. 213). Sans donc que l'on fasse intervenir le projet et le cadre communicationnels particuliers dans lequel il s'inscrit. 1 JAKOBSON, 1948 (1963, pp.209-248). 121

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orienter dans des directions pertinentes les questionnementssusceptibles de concerner les messages de tout ordre. A ce titre, sanspouvoir être érigée en modèle, elle fut et est encore abondammentutilisée dans le domaine de l'approche des messages publicitaires oùelle se révèle d'un appui précieux par différents aspects. Il convientdonc de s'y intéresser sans en occulter les points faibles et impré-cisions soulignés ci-dessous.- Le modèle de communication de type « ping-pong » auquel il est

fait référence, très influencé par la théorie cybernétique, fut par lasuite supplanté par un autre modèle, de type « orchestral », mieux apteà rendre compte des interactions, régulations et réajustementspermanents qui se manifestent tout au long des échanges entrepartenaires.- Les frontières entre les fonctions répertoriées sont imprécises et

parfois fragiles.- L'identification des fonctions ne doit pas être assimilée à celle

des formes sémiotiques par lesquelles elles s'inscrivent dans lesmessages, une même fonction pouvant théoriquement être assuméepar des formes diverses et une même forme pouvant endosser desfonctions différentes'.- L'énumération des fonctions est jugée insuffisante par certains

sémioticiens' qui demandent qu'un septième facteur decommunication, l'observateur, soit ajouté à ceux déjà signalés parJakobson auquel correspondrait une septième fonction - la fonction« spectaculaire» -, tandis que d'autres reprochent à la typologie dulinguiste de ne pas s'être explicitement positionnée par rapport à cequ'en termes barthésiens on pourrait appeler la dimension« symbolique» de la langue, entendons la dimension connotative etrhétorique de celle-cr',

Tout comme nous l'avons fait pour la sémiologie, lors du chapitreprécédent, c'est en l'élargissant et en l'ouvrant au besoin à despréoccupations contextuelles et communicationnelles qui ne furent pasoriginairement les siennes que nous nous réfèrerons à cet aspect des

J KUNKENBERG, 1996 (p. 48).2 GREIMAS et COURTES, 1986 (p. 45 et p. 95).J DELAS, 1993 (p. 43).

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travaux de Jakobson afin de l'adapter à l'étude de l'image et d'ennoter les aspects transférables les plus favorables à l'approche desimages issues de la publicité.

te Fonctions du langage» et Image publicitaire d'après lestravaux de Georges PéninouLe langage, pour Jakobson, n'a pas la transmission des (

informations pour seule vocation et il appartient au linguiste d'avoirtenté de répertorier différentes fonctions du langage en rapport à cequ'il considère comme les «facteurs constitutifs de tout procèslinguistique, de tout acte de communication verbale» 1

• Soit lecontexte qu'il faut comprendre comme synonyme de référent « verbalou susceptible d'être verbalisé », le message lui-même, le destinataireet le destinateur du message, les moyens d'un contact entre l'un etl'autre ou «canal physique et ... connexion psychologique» et enfinun code commun, ou au moins partiellement commun, au destinateuret au destinataire. EE_!!l~ort à ces six constituants, l'auteur note sixfonctions du langage susceptibles d'être priSëS en charge par les-;TIessages et dont il ès! possible de repérer les traces à l'intérieur deceux-ci. Et il ajoute qu'il serait, dans la pratique, difficile de trouverun texte qui n'en manifeste qu'une seule. Soit respectivement: lafonction référentielle ou cognitive (« centration sur le contexte» ou«le référent» à propos duquel on donne à connaître un certainnombre d'informations), la fonction poétique (« accent mis sur lemessage pour son propre compte »), la fonction conative (orientationvers le destinataire), la fonction expressive ou émotive (centration surle destinateur), la fonction phatique (centration sur le contact) et lafonction métalinguistique (centration sur le code) 2._Plusieurs chercheurs, à la suite de Jakobson, se sont efforcés de

retrouver ces fonctions et de noter leur importance relative dans desénoncés de types différents ou de les appliquer, pour au moins cinqd'entre elles, à l'image. C'est ainsi que Georges Péninou crut pouvoirétablir, avec de fortes variations selon le régime communicationnelchoisi, l'intérêt de l'exercice dans les messages publicitaires de quatre

J JAKOBSON, 1963 (1986, p. 213). Sans donc que l'on fasse intervenir le projet et lecadre communicationnels particuliers dans lequel il s'inscrit.1 JAKOBSON, 1948 (1963, pp. 209-248).

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}de ces fonctions: les fonctions référentielle, conative, poétique etphatique. Et il s'efforça de relever, pour quelques-unes d'entre elles,les formes visuelles privilégiées sous lesquelles on pouvait lesrencontrer'. Mais évoquons d'abord le délicat problème de la fonctionmétalangagière de l'image.

Exercice de la fonction métalangagière

ILes langues naturelles possèdent à l'évidence cette propriétéremarquable qui leur permet de faire retour sur elles-mêmes pour,avec leur propre code, parler de leur propre code, comme elles le fontpour les codes étrangers des autres systèmes sémiotiques; on en veutpour témoin cette étude sur les images publicitaires par exemple. Etdans la réalité de nombreux énoncés linguistiques manifestent cettefonction. L'existence d'une telle pr~riété non pas «~a-linguistique », ce qUI est impossible par définition même,....IMis

XmétalangagŒre, appliquée à l'image, est au contraire fort débattue etassez généralement contestée. Martine Joly notamment, Introduction àl'analyse de l'image, exprime à ce sujet une opinion qui se veut certesnuancée mais qui penche nettement dans cette dernière direction'.Nous verrons toutefois que le talent de quelques-uns, le savoir-faire etl'ambiance narcissique de la profession aidant, l'approche approfondiede certaines images publicitaires, exceptionnelles il est vrai, permetpeut-être, à qui veut bien s'en soucier, de retrouver la présencediscrète d'une telle fonction prise en charge toutefois par des v~plus indirectes qu'il ne l'est généralement fait dans les énoncéslinguistiques et, on peut le supposer dans le cas envisagé, nonpleinement intentionnelles (voir chapitre VI, étude de la publicité depresse Égoïste Platinum de Chanel).

Exercice de la fonction référentielle « centrée sur le contexte»ou l'objet référentiel du messageComme la publicité est toujours publicité «de quelque chose »,

note Péninou, elle « aura toujours un contenu référentiel exprimé avecforce ». De nombreux messages reprennent donc «fortement» à leur

1 PENINOU, 1972 (p. 121).2 JOLY, o. C., 1993 (p. 49).

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compte cette fonction.\Les images publicitaires prenant en charge unUnIvers aeréférence, sans qu'aucun personnage ne vienne apostropherdu geste ou du regard adressé à la caméra un éventuel destinatairepostulé par le message, relèvent essentiellement de cette fonction etsont baptisées par l'auteur «images à la troisième personne ». Ilapparaît toutefois aujourd'hui que ces derniers propos doivent êtrenuancés puisqu'il y a d'autres moyens de signifier un énonciataire àl'image que ces images dites «à la première personne» (cf. chapitreprécédent).

(

Exercice de la fonction conative « centrée sur le destinataire»Toujours dirigée vers un tiers dont la réaction est considérée

comme déterminante, la publicité a souvent intérêt à l'impliquerfortemerltdans ses messages ctne manque pas de le faire. Relèvent decette fonction les images publicitaires-qui jouent sur les mécanismesde « Pidentificâtion cinématographique primaire »1, ou si l'on préfère«l'identification iconique primaire », en faisant apparaître un~age installé en position frontale et regardant la caméra (ou, àdéfaut,_ pouvant être supposé regarder le regard du facteur d'image).Ce personnage sera perçu comme s'adressant au spectateur, dès lorsfantasmatiquement présent dans l'univers de la diégèse à titre d'objetde ces apostrophes oculaires et gestuelles, alors même que le récits'érige en discours par la place ainsi ménagée, comme en creux, à unéventuel destinataire postulé par le message.Mais il existe pour l'image, comme nous venons de le rappeler, des

moyens plus subtils', non évoqués par l'auteur, d'inscrire ledestinataire postulé dans le message. Ils furent signalés dans lechapitre précédent lorsque nous évoquions, sous l'influence detravaux postérieurs à ceux de Georges Péninou, différentes modalitéspossibles d'inscription dans l'image d'un spectateur postulé

1 Bien que les expressions « identification cinématographique primaire» et« identification cinématographique secondaire », empruntées à Christian Metz, ne lelaissent pas nécessairement entendre, les faits signalés à leur occasion sont aussiimputables aux images photographiques, dessins et représentations picturales. Peut-être serait-il préférable d'utiliser l'expression plus générale d'identification« iconique» primaire: identification au regard du « facteur » d'images.2 JOST, 1987 (pp. 19-22).

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« regardant» complémentaire du spectateur postulé «regardé»

signalé par ce dernier.

Il existe même une solution plus insidieuse puisqu'elle consiste à

agir sous couvert de la fonction référentielle. Il suffit pour cela de

miser sur les mécanismes de «l'identification cinématographique

secondaire» (ou plutôt «identification iconique secondaire ») en

affectant le personnage de traits particuliers et en le faisant évoluer

dans un environnement situationnel qui le désigneront au spectateur

ciblé comme surface possible d'identification-projection .

<, 1 Les messages publicitaires usent souvent conjointement des

ifférents procédés.

Exercice de la fonction poétique « centrée sur le message »Cette fonction rend compte du travail exercé sur le « côté palpable

des signes» sans nécessairement conférer au message la valeur

artistique dans la direction de laquelle certains auteurs, et Georges

Péninou lui-même parfois qui assimile dans une même formulation

«fonction expressive» et «fonction artistique », voudraient trop

exclusivement l'orienter. Comme le précise Roman Jakobson, elle

«outrepasse les limites de la poésie ». Même si certains mes-Sages

1 publicitaires attestent de qualités artistiques évidentes, le travail ~~

matière expressive ou sur « le côté palpable des signes » dont ils sont

le lieu obéit souvent à (J'autres impératifs : impératifs d'~

mémoriel, impératifs d'impact perceptif, ordre de circulation

programmée du sens, etc.

Utilisée à bon escient, la fonction poétique, lorsqu'elle nourrit des

ambitions véritablement artistiques, ne saurait d'ailleurs s'inscrire

avec excès dans les messages publicitaires, si l'on en croit Georges

Péninou, car elle risquerait par l'introduction d'une ambiguïté non

désirée, de nuire au contenu référentiel de celui-ci. «L'esthétique,

écrit-il, n'est ... pas en soi suspecte en publicité. Elle le devient quand

elle s'exerce de façon prépondérante, traduit exagérément une

motivation d'émetteur étrangère à la communication et renforce ainsi

~circuit~ commercialement peu souhaitable, de l'autisme ». Même

s'il faut compter avec d'heureuses exceptions, l'affirmation vaut

124

encore aujourd'hui puisqu'on la retrouve, sous une formulation

différente, dans une récente émission Culture Pub/.La frontière entre les fonctions, avons-nous déjà précisé, est parfois 1

ténue et une même trace ou configuration visuelle peut endosser des

fonctions différentes. Le travail sur les textures, formes, couleurs,

motifs et divers paramerresteëhniques de l'image peut donc 1corresponare -à un_souci artistique «non prépondérant ». Mais en

pu61icité tout particulièrefiïëïït" il peut aussi, voire surtout,

correspondre au souci d'organiser ces dernières à des fins d'impact 1

visuel, de guidage possible du regard vers telle ou telle information

jugée importante. Cëci conduit à évoquer une autre fonction du

langage essentielle en publicité : la fonction phatique.

Exercice de la fonction phatique « centrée sur le contact »Noyées dans la masse des autres messages de même nature et

proposées la plupart du temps à un public peu attentif, pour ne pas dire

réfractaire, les publicités, comme le remarque Georges Péninou, sont

de plus en plus condamnées à l'accentuation du contact avec le

destinataire et ceci à un double niveau. Il faut d'une part organiser le

message en sorte qu'on le remarque parmi les autres, mais il faut de

plus qu'on remarque en lui les informations considérées comme

majeures: éléments divers assurant la « signature / attribution» du

message, «visuel-produit» ou packaging, accroche visuelle ou

linguistique, etc. La valorisation des images par rapport au texte ainsi

que le travail de la matière expressive, même s'ils ne se réduisent pas

à de tels objectifs, sont donc fortement conditionnés par la vocation

phatique des messages publicitaires, sachant que la fonction phatique,

\

pour Jakobson, concerne les messages essentiellement orientés vers

l'établissement mais aussi la gestion du contact psychologique et

)

physique avec le destinataire. Soit, aussi bien l'organisation de sa

captation et circulation que de sa prolongation et interruption'.

L

1 Emission Culture Pub du 30 mai 1999.2 Cf. JAKOBSON, à propos des messages à vocation phatique: « Il y a des messagesqui servent essentiellement à établir, prolonger ou interrompre la communication, à

vérifier si le circuit fonctionne ... à attirer l'attention de l'interlocuteur ou à s'assurer

qu'elle ne se relâche pas ... », o. c. (p. 217).

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Exercice de la fonction expressive « centrée sur le destinateur»En raison de la diversité des interprétations retenues selon les

éléments du texte de Jakobson sur lesquels on a choisi de focaliserl'intérêt, la formulation «fonction expressive» est de maniementdélicat et est aujourd'hui employée par les uns ou les autres dans unsens plus ou moins large.Certains commentateurs' l'utilisent dans le sens très large de

« c~tion » du message sur le «destinateur» ou, si l'on préfère, de« mise en relief» par le message d'une instance énonciatrice source.Et ils le font en s'appuyant sur des propos de Jakobson lui-même'. Enagissant ainsi ils se situent toutefois au-delà du sens restrictif,également imputable aux propos de Jakobson, selon lesquels laJonction expressive renverrait esseirtïeJlemel!t à l'attitud~particufiêf à l'attitude « émotive », du sujet énonciateur « à l'égard dece dont il parle» et à l'attitude émotive «exprimée» sans êtrevraiment « représentée »... En effet, après avoir donné de Ïafunëtiônexpressive une définition potentiellement ouverte, le linguiste refermeaussitôt celle-ci en précisant que cette fonction, qu'il appelleégalement « fonction émotive », «tend à donner l'impression d'unecertaine émotion vraie ou feinte». Et il précise par la suite que « lacouche purement émotive, dans la langue, est présentée par lesinterjections ... (qui) s'écartent des procédés du langage «référentiel »en transmettant des informations de nature linguistique quioutrepassent « l'aspect cognitif'» de celui-ci.Ainsi, comme le soulignent Oswald Ducrot et Tzvetan Todorov,

l'expression d'un état psychique attribuable à l'énoncia~ur(« malheureusement il va venir »), qu'il ne faut pas nécessairementréduire au seul ordre de l'affectif, ne peut-elle être confondue avec lareprésentation du même état (« cela m'ennuie qu'il vienne »)imputable au même énonciateur', Dans le dernier exemple (« celam'ennuie qu'il vienne »), l'attitude imputable au sujet énonciateurdevient proprement l'objet cognitif auquel se réfère le message. Celui-

1 Cf. BONN ANGE et THOMAS, o. C., 1987, (pp. 81, 94 et 95).2 JAKOBSON, o. C., pp. 29 - 30 et p. 214.J DUCROT et TODOROV, (pp. 426-427). Les deux exemples proposés sont em-pruntés à ces auteurs. Il y a pour ceux-ci deux manières de signifier un étatpsychologique: « en l'exprimant» et « en le représentant, c'est à dire en en faisantl'objet de l'énoncé».

ci, en bonne logique, échappe alors à la fonction «purement))expressive et rejoint la fonction cognitive ou référentielle.L'énonciateur devient un élément du monde (ou du contexte) pris encharge comme le serait telle ou telle autre partie composante de celui-·1Cl.Dans le but d'éviter toute controverse on peut préférer utiliser la

trilogie élaborée par Patrick Charaudeau en l'adaptant à l'image. Lelinguiste déclare d'ailleurs lui-même qu'elle se réfère à descomportements langagiers «apparentés à ce que Roman Jakobson aappelé les fonctions du langage » tout en relevant d'une description«sensiblement différente ». Plutôt que de parler de «fonctionréférentielle », « conative » ou «expressive », on parlera alors demessa~es renvoyant à des comportements langagiers d'ordre «allo-cutif » , « élocutif v' ou « délocutif s", .

Al' opposé des fonctions précédentes, la fonction expressive,entendue au sens large ou restreint ci-dessus désigné, selon GeorgesPéninou', n'est guère présente dans les messages et imagespublicitaires. Le sémiologue s'exprime sur ce point de manière fortnette. « Le message de référence à l'émetteur est l'un des messagesfacultatifs du manifeste ». «" Le moi" du créateur n'a pas à s'yinvestir et s'efface au profit de la manifestation privilégiée du "vous"sollicité. Les traits expressifs de l'émetteur y seront en conséquence

1 JAKOBSON, o. c. (p. 31). « Nous avons mentionné les facteurs qui sont impliquésdans l'acte de parole, mais nous n'avons rien dit de toutes les interactions etpermutations qui sont possibles entre ces facteurs - par exemple les rôles d'émetteur etde receveur peuvent se confondre ou alterner, l'émetteur ou le receveur peuventdevenir le thème du message, etc. », « thème» étant ici pris au sens de « topic ».2 Charaudeau, 1983 (pp. 59-66). Un énoncé allocutif est un énoncé qui porte la tracede l'énonciataire en tant que tel. Ce type d'énoncé, signale l'auteur, pose aussiimplicitement et indirectement celle de l'énonciateur : « toute procédure langagièrequi implique le Tud est en même temps révélatrice de l'attitude du sujet énonçantJEé».J Un énoncé élocutif est un énoncé qui "porte la trace de la manière dont l'énonciateur(JEé) situe le propos énoncé (II) par rapport à lui-même". Il est donc dit quelque chosesur le l'énonciateur mais sans que l'énonciataire soit désormais impliqué dansl'énoncé en tant que destinataire du discours, ce qui interdit de confondre ce typed'énoncé avec le précédent.4 Un énoncé délocutif est un énoncé tel qu'il ne convoque ni l'énonciateur, nil'énonciataire5 PENINOU, o. C., 1972, p. 94 et p. 119.

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fpeu marqués, voire absents (l'identité de l'émetteur pouvant êtreoblitérée), la concession d'espace qui lui est léguée demeurant, en toutétat de cause, discrète». Et il donne pour témoignage le fait quel'inscription d'informations renvoyant à la source émettrice desmessages publicitaires est généralement rare, bon nombre d'entre euxrestant sans la moindre signature. Ceci même si divers contre-exemples, les affiches en particulier comme l'auteur le note lui-mêmeet, ajoutons-nous, bien des films publicitaires comme le spot Saxodont il fut déjà question au cours de cette étude, semblent s'inscrire enfaux contre une telle position.Il conviendra de revenir sur de telles affirmations.

De la fonction poétique à la fonction phatique dans l'imagepublicitaireEsthétique, sens et signalisation de l'informationSi l'on en croit diverses expériences sur les patterns de lecture, il

semble bien que tous les lieux de la surface d'une page de pressen'offrent pas le même pouvoir de sollicitation du regard. Pour unecible occidentale, la partie supérieure de la page de droite est ainsiconsidérée par certains comme l'emplacement théoriquement le plusavantageux. La position d'un spot dans la série télévisée oucinématographique proposée, celle de l'affiche sur la voie publiqueaffectent également leur chance de « toucher» la cible visée. Desconsidérations d'ordre « phatique », extérieures aux messages, ne sontdonc généralement pas étrangères aux lieux choisis pour faire figurerles annonces même si elles ne sont pas seules à intervenir.Dans l'intention d'attirer et de conserver l'attention du spectateur,

l'image publicitaire doit pouvoir également compter sur elle-même.Elle peut compter, dans le meilleur des cas du moins, sur l'intérêtsupposé de son contenu sémantique pour le public visé et sur sesqualités esthétiques. Mais elle peut faire aussi un tout autre usage dutravail sur la matière expressive plastique et ses paramètres. De fait,elle joue abondamment de ses composants plastiques non pas, ou dumoins non pas seulement, à des fins artistiques ou à des fins designification, mais à des fins ouvertement phatiques de signâlisation 1

:

signalisation du message lui-même ou signalisation de tel et tel

1 PENINOU, o. c., 1972 (p. 181).

128

éléments d'information compris dans ce dernier qu'on souhaite 1désigner à l'attention au début, à l'intérieur, ou à la fin d'un parcoursorganisé du regard.On sait, par exemple, qu'en vue d'une meilleure mémorisation, il

est souvent choisi de faire se clore le parcours visuel sur le produit,son empaquetage ou le logo de la marque. Ces derniers se retrouventainsi rituellement dans le dernier' ou l'avant-dernier plan des films, etdans le cas des annonces ou affiches, en bas et à droite de l'image,lorsque du moins l'on entend « calquer» plus ou moinsartificiellement l'ordre de lecture de l'image sur l'ordre occidental delecture des textes linguistiques. Et l'on sait également, qu'en vue del'implication positive du public, il est souvent choisi d'ouvrir leparcours visuel sur un contenu jugé accrocheur pour le public visé. Cetype de contenu se retrouve alors dans la première partie du film et,pour les raisons déjà signalées, en haut de la page dans le cas desannonces ou affiches de facture conventionnelle'.L'habileté du « créateur» consiste donc, dans le cas de l'image

publicitaire, à concilier les impératifs de l'esthétique et ceux du sens,plus ou moins revendiqués selon les cas, avec ceux de l'attractionproprement visuelle, grossièrement mobilisée ou subtilement dosée,qui ne sont, eux, jamais négligés.

Signalisation et composition de l'imageFrançois Molnar, dans le cadre des recherches qu'il menait au

CNRS, a montré que les premières « visites» marquant l'entrée dudestinataire dans l'image, variables dans leur ordre selon lespersonnes, étaient pour environ les dix premières d'entre elles nonseulement beaucoup plus brèves que les suivantes, mais surtoutbeaucoup plus liées aux propriétés objectives de l'image. «Durant lespremières fixations, la mémoire immédiate et les forces sémantiques

1 Le dernier plan, qui sert parfois de plan tampon, avertit Henri Joannis, n'est pasnécessairement le mieux indiqué. On peut donc lui préférer le précédent.2 Cette remarque ne signifie pas que l'on assimile l'image fixe unique et l'imagefilmique animée. Mise en séquences et souvent assortie d'un plus grand nombre dematériaux perceptifs (outre l'addition des mentions écrites, il faut compter sur lesbruits, les sons de la langue et les sons musicaux), cette dernière relève d'uneapproche bien plus complexe, comme en témoigne la réflexion menée, dans laprésente étude, sur le spot Saxo. Mais le facteur temps intervient aussi dans laperception de l'image fixe et unique, et le concepteur avisé ne le néglige pas.

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ne peuvent intervenir que faiblement pour calibrer la saccade. Lesmouvements oculaires dans ce cas sont principalement guidés par lesforces des propriétés physiques de la stimulation »1. Ainsi, d'après lesexpériences sur lesquelles il base ses travaux, les dix premiers lieuxvisités, variables dans leur ordre, ne sont guère différents pris dansleur ensemble d'une personne à l'autre, ce qui cesse d'être le cas pourles visites suivantes qui paraissent plus tributaires que les précédentesde facteurs sémantiques et subjectifs comme la culture et l'expérience,les stratégies d'apprentissage du sujet et les consignes de lecture qu'ilse donne. Or, sans même parler des affiches pour lequel le tempsd'exposition ne va guère au-delà, les toutes premières secondes sontdéterminantes en publicité. Ce sont elles qui décident de l'entrée dansle message ou de son occultation. Ignorants ou connaisseurs destravaux de F. Molnar, les « facteurs» d'images publicitaires agissenttrès généralement en accord avec le constat ci-dessus énoncé et jouentdu jeu éventuellement combiné de leurs différents composantsplastiques parfois associés à des effets annexes de répétition, .decadrage et de surcadrage. Et ils mêlent généralement les procédésutilisés pour capter l'attention du prospect (A) à des effetssémantiques destinés, avec plus ou moins d'efficacité, à rencontrer unintérêt plus soutenu de la part de la cible (1) afin de prolonger de cettemanière sa captation par l'image. On aura reconnu, exposés dansl'ordre requis, le premier et le second principes de la formule AIDAconnue de tous'.

jaune supposées opérer la capture du regard par la violence du lcontraste de luminosité offert.

• Ils peuvent également jouer sur les composants deforme et miseralors sur différents facteurs:- la dimension du document visuel lui-même et celle de la

figuration, à l'intérieur du document, du produit ou de tout autreélément choisi;- la position du document et de tel ou tel élément visuel choisi à

l'intérieur du document.Des lieux privilégiés, comme la position centrale ou le premier

plan de l'image douée par ailleurs d'une forte profondeur de champ>l'inscription sur une ligne de force ou sur un point fort, sont ainsiutilisés pour mettre en évidence le produit, son empaquetage ou touteautre information visuelle que l'on désire mettre en avant;- l'orientation des formes statiques ou dynamiques inscrites à

l'image.Les lignes matérialisées, suggérées ou délimitées par la surface de

séparation des surfaces colorées sont alors, comme par hasard,dirigées vers l'information qu'on veut ainsi « marquer» visuellement.Ou bien encore, lorsqu'il s'agit d'images animées, les mouvementsd'objets, les mouvements gestuels ou oculaires de personnagesdiégétiques et les mouvements ostensibles de la caméra sont dirigésvers le produit (cf. analyse ci-dessous proposée de la publicité Paris).

• Ils peuvent enfin jouer sur les composants de texture et susciterpar là un contact non plus seulement visuel, mais un effet de proximitéquasi tactile avec l'image en question., ~La publicité Egoïste Platinum, examinée dans le chapitre V saura

user discrètement de ce procédé.

Bien que les possibilités de croisement de tels jeux sur lescomposants à des fins signalétiques soient théoriquement fortnombreuses, plusieurs grandes configurations privilégiées prioritairesse distinguent dans l'imagerie publicitaire et sont susceptiblesd'opérer, souvent de manière complémentaire, dans un mêmedocument. La plupart furent remarquées, il y a longtemps, parGeorges Péninou. Il est possible de les regrouper en deux ensemblesdistincts selon que l'information visuelle sur laquelle on veutmobiliser l'attention est considérée comme étant d'emblée

Attraction visuelle et signalisation directe: sollicitation del'attention et jeu des composants plastiques• Pour capter le regard du public, les professionnels de l'image

publicitaire peuvent jouer sur les composants plastiques de couleur(dominance chromatique, luminance, saturation), avec effet decontraste ou de rappel, visant à solliciter le regard et à diriger sonparcours. C'est ainsi, par exemple, que les magazines, pendant desannées, furent envahis par des annonces racoleuses de couleur noire et

) 1 MOLNAR, 1983 (p. 99).r 2 AIDA: A (attirer), 1 (intéresser), 0 (décider), A (acheter).

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« prioritaire » ou doit surtout importer en conclusion du parcours

1visuel (a,b,c / d). Dans la première catégorie, les images à construc-tion« axiale» (a) et les images à construction « en profondeur» (b)jouent sur la position du produit qui vient occuper le centre (a) ou bienle devant de l'image (b). Les images à construction «focalisée » (c),en quelque sorte intermédiaires entre les deux catégories évoquées,jouent quant à elles sur l'orientation des lignes de forces. Celles-ciconvergent sur le produit qui concentre de cette manière l'attention.

\

Dans la seconde catégorie, les images à construction « séquentielle»r, (d), « les plus proches d'une construction cinétique», pour l'auteur,n'autorisent le regard à rencontrer le produit qu'en fin d'explorationvisuelle, à l'issue d'un parcours ménagé dans l'image qui lui aurapermis de rencontrer, auparavant, l'illustration « majeure» et enquelque sorte « apéritive» du manifeste'.

JI existe, nous semble-t-il, une cinquième configuration, égalementfort prônée en publicité, que l'on pourrait dénommer «constructioncirculaire» (e), oubliée par Georges Péninou. Celle-ci vise non passeulement à établir le contact en sollicitant l'attention par des moyensplastiques mais à le prolonger autant qu'il est possible de le faire enjouant également sur ces mêmes paramètres. Elle consiste à essayer defaire circuler le regard dans l'image, à la manière d'une vis sans fin, lepoint d'aboutissement du trajet visuel rejoignant le point d'attaque etsollicitant, en principe, le regard pour un nouveau parcours àrépétition.Deux publicités de presse pour le parfum Paris sélectionnées en

1997, l'une présentée en pleine page, l'autre, légèrement différente,présentée en double page, sont, du point de vue ici envisagé, tout à faitcaractéristiques. L'une et l'autre, que l'on pourrait dénommer « lebaiser risqué de la tour Eiffel» montrent un aviateur en position detrapéziste au bas de son hélicoptère embrasser, au sommet de lacélèbre tour, une jeune femme élégante en tenue de soirée et révèlenten vue plongeante un paysage parisien des plus prestigieux (Arc deTriomphe, Champs-Elysées, etc.) tandis que le flacon du produit,immense lui-même et au premier plan de l'image, se superpose aupaysage. Tout en jouant des constituants plastiques de dimension et deposition en faveur du produit (construction en profondeur), la

1 PENINOU. o. C., 1972, (pp. 183-184) et 1970 (pp. 95-109).

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première annonce (publicité sur une page unique) se signale aussi,dans sa majeure partie du moins, par une construction« séquentielle », en forme assez banale de « Z» inversé. Le regard duspectateur, discrètement dirigé par les lignes matérialisées, chute,après contemplation de la scène du baiser (scène « apéritive» initiale),sur le produit inscrit en position traditionnelle de verrouillage delecture (en bas et à droite de l'image), tandis que l'inscription trèsproche « Yves Saint Laurent», de couleur similaire à celle du produit,prolongeant l'activité du regard en la dirigeant vers la gauche pour larabattre aussitôt sur la droite en raison du sens de lecture, autorisel'association de la marque et du parfum avec le prestigieux paysageparisien auquel elle se superpose. Ceci, alors qu'à l'occasion du trajetprécédent l'analogie de forme et de dimension associée à l'effet decontiguïté avait déjà autorisé, par jeu métaphorique et métonymique,le rapprochement du produit avec le monument parisien parexcellence, la tour Eiffel.Par bien des aspects semblables mais néanmoins différente, la

publicité double page sans renoncer tout à fait à la construction en« Z » inversé (partie droite de l'annonce) ne laisse, quant à elle, planeraucun doute concernant la nature « circulaire» de l'organisationglobale du visuel'.

Il. Au-delà des théories jakobsonniennes: Attractionvisuelle et signalisation indirecte

Sollicitation de l'attention par contraste visuel avec les autrespublicitésLes moyens plastiques qui viennent d'être envisagés sont destinés

à opérer la captation du regard sans considération des publicitésenvironnantes. Or le fait que celles-ci fonctionnent pour la plupart surle même principe neutralise en grande partie la valeur opératoire deces procédés, aucune de ce point de vue ne se démarquant finalementdes autres. Aussi, plutôt que de viser le « viol» incertain du regard enpratiquant la surenchère de procédés visuels de plus en plus offensifs,on peut choisir au contraire l'apparente discrétion visuelle. Apparente

1 Ce document est extrait de la revue Elle, n" 2709, 1er décembre 1997.

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seulement, puisqu'il s'agit paradoxalement, en pratiquant la

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discrétion, d'avoir, par effet de contraste, quelque chance d'êtreremarqué dans un magma publicitaire où l'on cultive si peu cetteforme de vertu. Mais un tel choix, déjà risqué, devenu de plus en pluscourant, devient lui-même de ce fait de moins en mois efficace.

Sollicitation de l'attention par hermétisme perceptif et jeuherméneutiquePlutôt que de vouloir forcer directement l'attention perceptive du

public par le pouvoir d'attraction sensorielle des stimuli visuels ou dele solliciter indirectement par l'effet de contraste ménagé par rapportaux caractéristiques visuelles des messages environnant, d'autrespublicités optent pour une démarche radicalement différente.Par différents moyens - dimension microscopique, inversion de

position, voire même, dans certains cas, absence pure et simple del'élément clé donnant son sens à l'image -, on entrave alorsouvertement la perception et, par suite, la compréhension del'ensemble du message par le sujet. Et l'on compte, grâce à ce premiercontact prometteur mais aussi ostensiblement frustrant, qui laisse lepublic insatisfait, piquer la curiosité de ce dernier et faire en sortequ'il adopte de lui-même la démarche active nécessaire àl'appréhension voulue du propos publicitaire ou se résolve à attendreimpatiemment qu'on veuille bien lui fournir l'élément manquant à sacompréhension. L'effet d'attente, correctement manié, est, on le sait,facteur d'accroissement de l'attention perceptive et les publicitaires nefont pas faute de s'en priver. Ils ne laissent ainsi parfois découvrir lamarque et le produit au bénéfice desquels fut conçu le message qu'entoute fin de film ou après différents spots intermédiaires. Ou bien ilsles mentionnent dans une page de presse différente s'il s'agit d'uneannonce, voire même après une semaine de messages « apéritifs »énigmatiques comme il est désormais courant de le faire dans ledomaine de l'affichage.On ne compte plus les films publicitaires fonctionnant sur la base

d'un tel effet d'attente. L'un des plus spectaculaires, qui ouvritd'ailleurs la « Nuit des publivores » présentée à la télévision en 1992,est sans doute un film créé pour les cigarettes Marlboro. Pendantsoixante-quinze secondes, il laisse admirer un spectacle festif chinoisà ce point prestigieux qu'il transforme chaque spectateur en empereur

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du Soleil Levant, sans laisser jamais deviner, avant le tout dernierplan, au bénéfice de quel produit il est proposé. Quant aux campagnesde type leasing, l'une des plus connues fut effectuée pour l'entreprised'affichage Avenir et rendit le prénom Myriam célèbre dans la Franceentière. Ce dernier procédé, toutefois, doit être manié avec précautionet peut se retourner contre ses auteurs. Un mouvement antiraciste enfit notamment les frais qui, après une première semaine d'affichage,jugé trop provocant, fut lui-même accusé de racisme.Quant à l'affiche déjà évoquée pour la playstation Sony primée à

Cannes en 1999, qui se distingue par l'absence totale du produit (cequi est banal) et du logo de la marque (ce qui l'est beaucoup moins),elle s'inscrit à l'évidence, même s'il ne faut pas voir là la seule raisonde son succès, parmi les publicités qui misent sur l'entrave à laperception de l'élément visuel (formes minuscules inscrites enpeircing à la pointe des seins sous les T-shirts des deux personnages)qui se désignera pourtant comme essentiel dans un second temps.Entendons par là, après la mobilisation volontaire accrue de l'attentiondu prospect qui conduira à l'investigation perceptive active, onl'espère efficace, du document publicitaire en question. Ou bienencore après le recours au bouche à oreille, favorable au climat deconnivence positive, en l'occurrence teinté d'ésotérisme élitiste, trèssouvent recherché par les marques.On le constate, lorsqu'il s'agit de l'exercice de la fonction

phatique, en marge du peloton des messages mobilisant des moyensaussi directs qu'ostensibles, l'évolution de la publicité, en quêted'efficacité, la voue à innover en faisant une place autorisée à desmoyens visuels de gérer l'attention du spectateur de plus en plusindirects et subtils. Il appartient à l'analyste de l'image publicitaire dechercher à les reconnaître, dans les messages auxquels il a choisi des'intéresser. Et il lui faudra alors, comme il le fut déjà admis à proposde la recherche des signifiés implicites délivrés par l'image, accepter ànouveau de contrevenir au principe d'immanence pour s'intéresseraux contextes de communication particuliers dans lesquelss'inscrivent les documents publicitaires.

L'approche des fonctions du langage appliquées à l'image, souventdésignée comme complémentaire de l'analyse sémiologique classique,conduit, en raison même des exigences de sa pratique, aux mêmeconclusions que celles qui furent énoncées lors du chapitre précédent :

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l'image appréhendée comme fait de langage s'inscrit dans uneperspective de communication et ne le laisse pas oublier. Comme onpouvait s;y attendre, bien loin de pouvoir se limiter à la simple priseen considération, dans le fonctionnement interne de l'image, desfacteurs constitutifs de tout procès langagier, de tout acte decommunication langagière pour reprendre une formulation proche decelle de Jakobson' - quand bien même cela doit être fait aussi -, cetteapproche requiert que soit également pris en considération le contexteeffectif particulier de communication dans lequel elle s'inscrit.

III. Fonctions du langage, tentation confusionnelle etpublicité

Revenons maintenant aux fonctions du langage telles qu'elles ontété proposées par Jakobson en nous intéressant non seulement aumessage littéral délivré par l'image mais aussi à ce qui est signifiépar-devers lui de manière plus implicite et biaisée comme MartineJoly, invoquant le travail de Pierre Bourdieu sur la photographie defamille, autorise à le faire", Et reprenons les dernières conclusionstirées de l'analyse du spot Saxo que l'on peut formuler de la manièresuivante:a. les « images» du produit qui le montrent semblable à ce qu'il est

dans la réalité ne sont pas les seules à nous parler de lui, ni celles quisont nécessairement les plus propres à véhiculer « l'image»(représentation mentale) que l'on a choisi de délivrer de lui dans le~essage,b. ce qu'on nous dit sur le produit, lorsque l'on tient compte des

multiples données du spot (formulées tant au niveau implicitequ'explicite), le fait parfois moins ressembler à ce qu'il est dans laréalité qu'à ce qu'est supposé être le public auquel on destine lapublicité.

1 L'auteur s'intéressait aux énoncés de langue et parlait de procès « linguistique» etde communication « verbale ».2 Cf. JOLY (Martine), o. C., 1993 (p. 49).

En d'autres termes le spot nous révèle que la partie du message !publicitaire explicitement centrée sur l'objet référentiel n'est pasnécessairement celle qui supporte les prédicats essentiels qu'on veutlui conférer. Et il nous révèle également que les prédicats imputés à 1l'objet référentiel des messages publicitaires se confondent parfois defait avec ceux relatifs aux destinataires postulés par la sourceénonciatrice de ces mêmes messages. Sans vouloir reporter sur 1l'ensemble de l'imagerie publicitaire les informations prélevées sur unseul exemple, on peut voir dans ce dernier constat une tentation assecaractéristique du genre qui consisterait à rabattre l'une sur l'autre làfonction référentielle et la fonction conative. A des fins d'implication,\en nous parlant des produits, la publicité nous parle donc, au fond,souvent plus ou moins ouvertement de nous. Et certains professionnelsne s'en cachent pas qui, comme il le fut déjà signalé, ne craignent pasd'affirmer que sous couvert de l'objet c'est notre propre image qu'ilsnous vendent.

De la fonction conative à la fonction expressiveMais comme l'a très bien vu Patrick Charaudeau lorsqu'il constate

que derrière le « Tu » énoncé le « Je » énonciateur ne cesse égalementde s'affirmer', c'est, lorsqu'elle parle de la cible, indirectementtoujours aussi à elle-même que renvoie plus ou moins la publicité : àla manière dont elle a choisi d'appréhender le prospect, à la façondont, par rapport à lui, elle conçoit et envisage la communicationpublicitaire, etc. Et les étudiants, même néophytes, ne s'y trompentpas, tels ceux qui, par exemple, à l'heure de gloire des socio-styles etmunis de quelques informations appropriées, adoraient étiquetercertaines publicités, au seul vu des messages, selon les styles de vieprêtés à la cible par la source publicitaire énonciatrice, et donc selon lamanière dont on pouvait penser que celle-ci envisageait le prospect.La pêche était en effet souvent bonne... Il est plus facile encored'inférer, par la seule considération des données visuelles et sonorescomposant les messages publicitaires et celle de leur articulation, àquel modèle de destinataire on se réfère - automate pavlovien, être deraison ou être de désir et de plaisir mû par des motivations parfoissuperficielles, mais parfois aussi plus profondes et secrètes -, autre-

1 CHARAUDEAU, o. C., 1983, (pp. 60-61).

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ment dit à quel niveau préférentiel du fonctionnement de la cible viséeil fut décidé d'opérer par la source énonciatrice. Sur la base du constateffectué et d'un savoir minimal en matière de communicationpublicitaire propre à aiguiser et orienter la réflexion, on est dès lorsbien souvent également autorisé à émettre des hypothèses fortplausibles sur le crédit accordé, ou parfois le peu de crédit accordé,par cette même instance au produit et à son niveau d'implication pourle prospect'. On est donc ainsi plus ou moins directement renseignésur l'attitude et le positionnement de la source énonciatrice par rapportaux différentes données du message émis.Avec des variations envisageables importantes selon la nature des

options choisies en matière de communication, les images publi-citaires, comme l'a fort bien vu Georges Péninou, peuvent manifesterla possible prégnance des fonctions référentielle, conative, phatique et,avec une certaine réserve quand celle-ci se veut artistique, de lafonction poétique. Face à l'assaut de la concurrence, elles semblentmême de plus en plus manifester un goût très particulier (voiredémesuré) pour la fonction phatique. Et cette dernière est activéeparfois de manière très biaisée, décelable non pas toujours par la seuleconsidération de l'énoncé iconique envisagé pour lui-même maisseulement par référence au contexte de communication.Les images publicitaires n'ignorent cependant pas pour autant la

fonction expressive.Si l'on accepte de s'intéresser aux images au-delà du seul contenu

dénoté - ce que nous avons souvent dû faire au cours de ce chapitreafin de déceler les configurations visuelles dans lesquelless'inscrivaient les différentes fonctions -, on peut alors reprocher àl'analyse effectuée par Georges Péninou, qui se rapportait, il est vrai, àdes messages d'une autre époque, de ne pas avoir assez mis l'accentsur la fonction expressive des messages publicitaires au sens large oùil l'a lui-même définie2•

1 BROCHAND et LENDREVIE, 1993 (cf. propos sur le modèle béhavioriste, p. 124).2 ..• celle qui, comme il l'écrit lui-même, fait « référence à l'émetteur», « celle qui,centrée sur l'émetteur, illustre la relation entre le message et son énonciation» et« renseigne, dans la production, sur le producteur», o. c., 1972 (p. 122 et p. 115).

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Particularités de l'image publicitaire en rapport aux « fonctions»de l'imageCe n'est toutefois pas vraiment dans la direction de l'importance

préférentielle relative des fonctions assumées globalement par lapublicité, selon les objectifs de communication choisis, qu'il fautrechercher l'originalité majeure de son imagerie, mais bien plutôt dansla direction qui prolongeait les remarques qui furent faites lors del'examen de la publicité Saxo et qui conduisit au constat du rabat l'unesur l'autre des fonctions référentielle et conative.Nous avons signalé l'intérêt que la publicité était susceptible de

tirer de la confusion autorisée par les multiples usages du mot et del'objet « image» et de la croyance à la toute puissance des signes quifait, d'une certaine façon, chercher les bienfaits liés aux attributs del'image dans le produit (chapitre II).Nous avons également indiqué, en nous situant dans le

prolongement des travaux de Jean Baudrillard, que l'orchestrationd'un tel jeu de la confusion pointait aussi à travers l'associationfusionnelle organisée par la publicité entre le sujet du désir, l'objet dudésir et le désir lui-même, orchestration sensible aux différentsniveaux de fonctionnement du message publicitaire (chapitre 1). Laréflexion menée dans les deux derniers chapitres (chapitres III et IV)permet d'ajouter des précisions complémentaires concernant l'ins-cription d'un tel jeu dans les messages.

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Le jeu pointait déjà lorsque, traitant des connotations énonciatives,nous avions montré que les protagonistes de l'énonciation source etcible, ou si l'on préfère l'énonciateur et l'énonciataire, postulés parl'image publicitaire, se retrouvaient parfois comme par hasard, danscertains messages, confusément mêlés (chapitre III). Et il apparaît...__avecplus de constance et d'évidence encore, puisqu'il est d'unecertaine manière revendiqué par les professionnels, à travers la fusionparfois subtilement orchestrée par manipulation rhétorique entrel'objet référentiel majeur du message (le produit) et le destinataire decelui-ci. Il s'établit alors sur la base de l'assimilation confusionnelledes fonctions référentielle et conative endossées par l'image etquelquefois même sur celle des fonctions conative et expressive, cettedernière étant entendue ici au sens large déjà indiqué.

Mobilisation du travail sur la matière expressive de l'image - plusgénéralement dévolu à la fonction poétique dont la raison d'être est de

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mettre « en évidence le côté palpable des signes », de porter « l'accentsur le message pour son propre compte» - au bénéfice de la fonctionphatique prioritaire en publicité, même lorsqu'il ne le paraît pastoujours au seul vu du message pris indépendamment de son contextede réception, et donc d'une certaine manière subordination) de lafonction poétique à la fonction phatique ; orchestration du jeuconfusionnel entre fonction référentielle et conative, et au besoin entrefonction conative et expressive; tels paraissent bien être là des traitsfamiliers aux images publicitaires lorsqu'on les examine sous l'angleenvisagé dans ce chapitre.

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J Jakobson (o. C., p. 219) avait lui-même envisagé la subordination de la fonctionpoétique à des visées étrangères et notamment politiques. Dans la formulation 1 lilcelice, écrivait-il, « le rôle secondaire de la fonction poétique renforce le poids etl'efficacité de cette formule électorale».

CHAPITRE V

TYPOLOGIE DES IMAGES PUBLICITAIRESET DIRECTIONS D'APPROCHE CHOISIES

Il importe, comme il le fut montré, d'envisager l'image publicitaire \en référence au contexte d'énonciation, qu'il s'agisse du contexte deproduction ou du contexte de réception, ce qui implique de pouvoirconsidérer l'image publicitaire comme un élément particulier d'ununivers de communication particulier (celui de la communicationpublicitaire) renvoyant, à l'intérieur de cet univers, à des procédures,visées et stratégies de communication propres, comme il le fut déjàdéveloppé et illustré de diverses manières. Et la sémiologie de lapremière génération a dû souffrir des modifications et tolérerl'adjonction de disciplines annexes plus ou moins éloignées dupostulat initial d'immanence.Mais il demeure que l'image comme fait de communication reste

«un ensemble plastique doué de propriétés visuelles »' dont lefonctionnement interne alimente et parfois infirme l'approche qu'onen peut faire, ainsi qu'il peut arriver qu'on l'apprenne à ses dépens,même si l'on ne prétend plus qu'il enfante le sens à lui seul. .. Et il lefait en publicité de manière particulièrement volontariste, comme nousavons déjà eu l'occasion de le constater et comme l'impliquent les

J AUMONT, 1996 (p. 46).