17
DÉVELOPPEMENT DURABLE ET AIDE PUBLIQUE À LA SANTÉ Mamadou I Barry De Boeck Supérieur | « Mondes en développement » 2011/1 n°153 | pages 41 à 56 ISSN 0302-3052 ISBN 9782804165116 DOI 10.3917/med.153.0041 Article disponible en ligne à l'adresse : -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- https://www.cairn.info/revue-mondes-en-developpement-2011-1-page-41.htm -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Distribution électronique Cairn.info pour De Boeck Supérieur. © De Boeck Supérieur. Tous droits réservés pour tous pays. La reproduction ou représentation de cet article, notamment par photocopie, n'est autorisée que dans les limites des conditions générales d'utilisation du site ou, le cas échéant, des conditions générales de la licence souscrite par votre établissement. Toute autre reproduction ou représentation, en tout ou partie, sous quelque forme et de quelque manière que ce soit, est interdite sauf accord préalable et écrit de l'éditeur, en dehors des cas prévus par la législation en vigueur en France. Il est précisé que son stockage dans une base de données est également interdit. Powered by TCPDF (www.tcpdf.org) © De Boeck Supérieur | Téléchargé le 19/06/2022 sur www.cairn.info (IP: 65.21.228.167) © De Boeck Supérieur | Téléchargé le 19/06/2022 sur www.cairn.info (IP: 65.21.228.167)

Developpement durable et aide publique a la sante

  • Upload
    others

  • View
    5

  • Download
    0

Embed Size (px)

Citation preview

Page 1: Developpement durable et aide publique a la sante

DÉVELOPPEMENT DURABLE ET AIDE PUBLIQUE À LA SANTÉ

Mamadou I Barry

De Boeck Supérieur | « Mondes en développement »

2011/1 n°153 | pages 41 à 56 ISSN 0302-3052ISBN 9782804165116DOI 10.3917/med.153.0041

Article disponible en ligne à l'adresse :--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------https://www.cairn.info/revue-mondes-en-developpement-2011-1-page-41.htm--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------

Distribution électronique Cairn.info pour De Boeck Supérieur.© De Boeck Supérieur. Tous droits réservés pour tous pays. La reproduction ou représentation de cet article, notamment par photocopie, n'est autorisée que dans leslimites des conditions générales d'utilisation du site ou, le cas échéant, des conditions générales de lalicence souscrite par votre établissement. Toute autre reproduction ou représentation, en tout ou partie,sous quelque forme et de quelque manière que ce soit, est interdite sauf accord préalable et écrit del'éditeur, en dehors des cas prévus par la législation en vigueur en France. Il est précisé que son stockagedans une base de données est également interdit.

Powered by TCPDF (www.tcpdf.org)

© D

e B

oeck

Sup

érie

ur |

Tél

écha

rgé

le 1

9/06

/202

2 su

r w

ww

.cai

rn.in

fo (

IP: 6

5.21

.228

.167

)© D

e Boeck S

upérieur | Téléchargé le 19/06/2022 sur w

ww

.cairn.info (IP: 65.21.228.167)

Page 2: Developpement durable et aide publique a la sante

Mondes en Développement Vol.39-2011/1-n°153 41

DOI : 10.3917/med.153.0041

Développement durable et aide publique à la santé

Mamadou I BARRY1 epuis une vingtaine d’années, deux éléments caractérisent les discours internationaux sur l’aide au développement. Le premier est le consensus

sur la nécessité d’organiser les programmes de développement et l’aide publique au développement (APD) autour du concept de développement durable (DD). Le second est le regain d'intérêt, depuis la fin des années 1990, pour les problèmes de santé affectant les pays en développement (PED), alors que le rapport mondial de l’ONU sur la gouvernance publié en 1995 ne faisait pas encore mention de la santé (Dixneuf, 2003). La notion de développement durable (DD) a progressivement suscité une nouvelle approche de l'action publique internationale. Ses principes touchent à la fois à l’économie, au social et à l’environnement. Le projet de DD rassemble divers acteurs (États, organisations non gouvernementales (ONG), entreprises privées, communauté scientifique, collectivités locales, etc.) impliqués dans la gestion des problèmes de développement. Il se manifeste, outre les discours, par un accroissement continu et important des flux d’aide à la santé. La concomitance de ces deux phénomènes (un consensus sur le développement durable et un accroissement de l’intérêt pour la santé) incite à interroger leurs relations éventuelles. Les recommandations en termes de DD sont-elles prises en compte dans l'aide à la santé ? Sont-elles à l'origine de la hausse de cette aide ? Il est difficile, dans un domaine aussi complexe que l'aide au développement (caractérisé par une multitude de déterminants et un manque de données détaillées sur une longue période), d’établir des relations de causalité ou des liens avérés entre discours et pratiques. Dès lors, l'ambition de cet article est de montrer que malgré le consensus politique, institutionnel et scientifique autour du DD, celui-ci ne semble pas être la principale explication des évolutions de l’aide à la santé. Pour étayer cette thèse, nous présentons d’abord (1) les liens établis dans les discours officiels entre DD et aide à la santé, à travers une présentation des différents sommets et textes institutionnels qui ont jalonné les

1 Université de Lille1-CLERSE (UMR 8019). [email protected] [email protected]. Je remercie les rapporteurs pour leurs commentaires, ainsi que Bruno Boidin pour ses

suggestions et sa relecture. Je reste seul responsable du contenu de cet article.

D

© D

e B

oeck

Sup

érie

ur |

Tél

écha

rgé

le 1

9/06

/202

2 su

r w

ww

.cai

rn.in

fo (

IP: 6

5.21

.228

.167

)© D

e Boeck S

upérieur | Téléchargé le 19/06/2022 sur w

ww

.cairn.info (IP: 65.21.228.167)

Page 3: Developpement durable et aide publique a la sante

42 Mamadou I BARRY

Mondes en Développement Vol.39-2011/1-n°153

années 1990. Nous montrons ainsi comment la santé a été érigée au rang de priorité internationale. Dans un deuxième temps (2), nous examinons l’évolution des flux d’aide publique à la santé et leur place dans l’APD, pour en établir les grandes tendances. Enfin (3), nous cherchons à déterminer dans quelle mesure cette évolution de l’aide prend en compte les objectifs et les principes du développement durable.

1. LA SANTÉ ET LE DÉVELOPPEMENT DURABLE : FONDEMENTS THÉORIQUES ET DISCOURS OFFICIELS

Dans cette section nous présentons d’abord les fondements théoriques du développement socialement durable et les implications de cette notion pour l’aide à la santé2. Puis nous relatons la mobilisation internationale pour le développement durable, en particulier dans sa dimension humaine et sociale.

1.1 Le développement socialement durable : analyse théorique et implications en termes de politiques d’aide à la santé

Qu’est ce que le développement socialement durable et comment pourrait-il se décliner dans les politiques d’aide à la santé ? La notion de développement socialement durable, qui occupe une place de plus en plus importante dans les réflexions sur le développement durable, est proposée par des auteurs tels que Ballet, Dubois et Mahieu (2004) ou Dubois et Mahieu (2002). Ces derniers insistent sur l’importance de la dimension sociale du développement durable à côté des dimensions économique et environnementale. Cette approche implique un renouvellement assez radical des modes de pensée du développement. La problématique du développement "socialement durable" ne se réduit pas à la dimension sociale, à la pauvreté, mais considère l’ensemble des interactions entre sphères économique, écologique et sociale, ainsi que leurs effets sur les situations de pauvreté ou d’exclusion. À partir de la conception de Sen envisageant le développement comme une extension des capabilities3, le développement socialement durable peut se définir comme "un développement qui garantit aux générations présentes et futures l’amélioration des capacités de bien-être (sociales, économiques ou écologiques) pour tous, à travers la recherche de l’équité, d’une part, dans la distribution intra-générationnelle de ces capacités et, d’autre part, dans leur transmission inter-générationnelle" (Ballet, Dubois et Mahieu, 2004, 5). L’Agenda 21, adopté en 1992 lors du Sommet de la Terre de Rio, avait déjà fixé plusieurs objectifs de développement humain mais sans considérer de façon

2 Le contenu du secteur "santé et population" sera précisé dans la partie 2. Pour ne pas

alourdir le texte, nous utiliserons fréquemment le terme "aide à la santé". 3 Dans la suite du texte nous utiliserons le terme "capacités".

© D

e B

oeck

Sup

érie

ur |

Tél

écha

rgé

le 1

9/06

/202

2 su

r w

ww

.cai

rn.in

fo (

IP: 6

5.21

.228

.167

)© D

e Boeck S

upérieur | Téléchargé le 19/06/2022 sur w

ww

.cairn.info (IP: 65.21.228.167)

Page 4: Developpement durable et aide publique a la sante

Développement durable et aide publique à la santé 43

Mondes en Développement Vol.39-2011/1-n°153

explicite et approfondie la question de la transmission intergénérationnelle des capacités. Les cinq objectifs prioritaires concernaient directement ou indirectement la santé4 : la satisfaction des besoins en matière de soins de santé primaires ; la lutte contre les maladies transmissibles ; la protection des groupes vulnérables ; la santé des populations urbaines ; la réduction des risques pour la santé occasionnés par les pollutions et les menaces écologiques. Si santé et développement deviennent alors intimement liés dans les enjeux définis à l’échelle internationale, le cadre théorique du développement socialement durable ne sera précisé que dans les travaux publiés à partir des années 2000. Ces derniers vont préciser les liens entre les politiques de santé et les différents principes et objectifs du développement durable. Deux enjeux majeurs peuvent être identifiés. Le premier est celui de l’accès aux soins et de l’équité intra-générationnelle. Les problèmes de santé étant, dans les pays pauvres, fortement concentrés dans les couches les plus défavorisées de la population (Berthélemy et Seban, 2009 ; Berthélemy, 2008), la question de l’équité dans les politiques de santé se pose avec force. L’équité suppose garantir l’accès aux soins aux plus pauvres et au plus grand nombre grâce aux différentes formes de solidarité. Selon A. Sen (1999), l’équité en santé ne signifie pas seulement de considérer la santé prise isolément, mais doit être abordée dans le cadre plus large de l’impartialité et de la justice des accords sociaux. Dans cette perspective, les politiques de santé devraient consacrer plus de ressources et de programmes aux groupes défavorisés. Le respect du principe de l’équité exige donc des politiques de santé publique adaptées à des objectifs de promotion des services de soins de base et de prévention qui soient accessibles à tous. Le deuxième enjeu est celui de la construction des capacités et de l’équité intergénérationnelle. Selon Ballet, Dubois et Mahieu (2004), la durabilité sociale du développement suppose à la fois la construction de capacités et une transmission équitable de ces capacités d’une génération à l’autre. Concernant le premier point, la littérature insiste sur le fait que le comportement d’une personne face aux difficultés sociales, économiques et sanitaires résulte d’une combinaison de capacités ayant des déterminants très divers (par exemple, les personnes pauvres s’appuient sur certaines capacités - travail, éducation, liens sociaux horizontaux -, dans la mesure où elles ne possèdent pas les autres - capital financier, liens sociaux verticaux -). Cette réalité exige des stratégies multisectorielles ou des approches globales. La transmission des capacités passe par le renforcement de l’éducation, de la formation et de l’investissement dans les équipements ou les institutions, permettant que les capacités d’aujourd’hui soient léguées aux générations à venir.

4 Qui ressortent aussi des Objectifs du Millénaire pour le développement (OMD).

© D

e B

oeck

Sup

érie

ur |

Tél

écha

rgé

le 1

9/06

/202

2 su

r w

ww

.cai

rn.in

fo (

IP: 6

5.21

.228

.167

)© D

e Boeck S

upérieur | Téléchargé le 19/06/2022 sur w

ww

.cairn.info (IP: 65.21.228.167)

Page 5: Developpement durable et aide publique a la sante

44 Mamadou I BARRY

Mondes en Développement Vol.39-2011/1-n°153

1.2 La montée en puissance du développement humainement et socialement durable dans les objectifs internationaux

En 1990, le Programme des Nations unies pour le développement (PNUD, 1990), à travers l’indicateur de développement humain, affirmait avec force la place centrale de la santé et de l’éducation dans la "quête" du développement. Les sommets qui ont suivi renforcèrent cette orientation (tableau 1).

Tableau 1 : Les différents sommets en lien avec les dimensions sociale et humaine du développement durable depuis 1992

Sommets Année Objectifs et recommandations en lien avec le développement

humain et social Conférence de Rio

1992 Objectif : mettre l’Homme au centre des préoccupations relatives au développement/assurer la solidarité intragénérationnelle. Recommandation majeure : mettre en place les Agendas 215.

Sommet de Copenhague

1995 Objectif : assurer le développement social. Recommandation : lutter contre le chômage, l’exclusion…

Rio+5 1997 Objectif : faire le point sur les engagements de la conférence de Rio. Recommandation : renforcer les Agendas 21.

Sommet du Millénaire

2000 Objectifs : faire le point sur les engagements de Copenhague et renforcer les engagements de la communauté internationale pour le développement humain. Recommandation : orienter l’aide vers les Objectifs du Millénaire pour le développement (OMD). Trois des huit objectifs portent sur la santé.

Sommet de Monterrey

2002 Objectifs : réunir les fonds nécessaires à la réduction de la pauvreté et à l’atteinte des OMD. Recommandation : atteindre les engagements d’aide au développement.

Ces conférences, consacrées aux objectifs de développement durable, ont inscrit le développement humain et la santé dans les programmes politiques internationaux. Ainsi, les dimensions sociale et humaine du développement durable ont acquis une place de choix dans les stratégies de développement. Ces initiatives ont également permis que se dégage un consensus autour d’un développement que l’on qualifierait de " socialement durable ", c'est-à-dire qui accroît les capabilities (au sens de Sen, 1999) tout en respectant une certaine équité intra-générationnelle et inter-générationnelle (cf. 1.1 supra). Simultanément, on a assisté, de la part d’institutions majeures, à une inflexion des politiques de développement pour une meilleure intégration de la dimension humaine. La Banque mondiale et le Fonds monétaire international, traditionnellement concentrés sur les objectifs macroéconomiques, ont lancé l’initiative "pays pauvres très endettés" (PPTE), conditionnant l’allègement de la dette à un engagement des pays pour la santé et l’éducation et, plus généralement, le développement humain. Durant les années 1999-2000, l’Organisation mondiale de la santé (OMS) s’est dotée d’un groupe spécial chargé d’élaborer une stratégie de lutte contre la pauvreté (Gwatkin, 2000),

5 Les objectifs de l’Agenda 21 en termes de santé sont présentés dans le point 1.1.

© D

e B

oeck

Sup

érie

ur |

Tél

écha

rgé

le 1

9/06

/202

2 su

r w

ww

.cai

rn.in

fo (

IP: 6

5.21

.228

.167

)© D

e Boeck S

upérieur | Téléchargé le 19/06/2022 sur w

ww

.cairn.info (IP: 65.21.228.167)

Page 6: Developpement durable et aide publique a la sante

Développement durable et aide publique à la santé 45

Mondes en Développement Vol.39-2011/1-n°153

élargissant ainsi la place de la santé dans le développement. Dès 2001, selon Moatti (2008, 966), le rapport de la Commission Macroéconomie et Santé de l’OMS, présidée par Jeffrey Sachs, considérait comme établi que "l’amélioration de l’état de santé des populations constitue un input décisif pour la réduction de la pauvreté, la croissance économique et le développement à long terme", et que ce point avait "été grandement sous-estimé jusqu’à présent" par les politiques publiques (WHO, 2001). En 2006, les rapports annuels du PNUD et de la Banque mondiale insistent sur l’importance de l’équité comme l’un des piliers les plus importants du DD. Ceci constitue une évolution notable pour la Banque mondiale. Enfin, les multiples déclarations du G8 en faveur de la santé dans les PED témoignent de l’engagement des plus grands donateurs bilatéraux (Evian en 1998, Okinawa en 2000, Tokyo en 2008) pour améliorer le développement humain par la santé. Au total, l'analyse des discours et des prises de positions laisse entendre que l’on serait passé d’une approche où l’accumulation matérielle représentait l’objectif principal des politiques de développement à une perspective nouvelle qui redonne à l’Homme une place centrale, comme l’exigent les principes et les objectifs du DD.

2. LA SANTÉ DANS LES FLUX D’AIDE AU DÉVELOPPEMENT : UNE ATTENTION ACCRUE

L’évolution des discours internationaux et des stratégies en faveur de la lutte contre la pauvreté va dans le sens d’une attention accrue pour le secteur social en général et le sous-secteur de la santé en particulier. Une façon de vérifier l'effectivité de la prise en compte des principes du DD dans les politiques d’aide au développement, et plus particulièrement d’aide à la santé, est d’observer l'évolution des flux d’aide par secteur et sous-secteur.

2.1 Une attention accrue pour le secteur social…

Trois grands secteurs composent l’APD6 : les infrastructures et les services sociaux, les infrastructures et les services économiques, l’aide plurisectorielle ou transversale7. L’analyse simultanée des graphiques 1 et 2 montre que la reprise de l’aide des pays donateurs à la fin des années 1990 a été très bénéfique au secteur "infrastructures et services sociaux" que nous appellerons désormais secteur "social". On a assisté (graphique 1) à un accroissement continu de l’aide consacrée à ce secteur à partir de 1997, avec une accélération à partir de 2001.

6 Les données relatives aux graphiques figurent dans l’annexe. 7 Les grands secteurs se composent ainsi : Infrastructures et services sociaux (110 : éducation,

120 : santé, 130 : politique en matière de population/santé et fertilité, 140 : distribution d'eau et assainissement, 150 : gouvernement et société civile, sécurité, 160 : infrastructure et services sociaux divers) ; Infrastructures et services économiques (210 : transports et entreposage, 220 : communications, 230 : énergie, 240 : banques et services financiers, 250 : entreprises et autres services) ; Destination plurisectorielle/transversale (410 : protection de l'environnement général, 430 : autres multi-secteurs).

© D

e B

oeck

Sup

érie

ur |

Tél

écha

rgé

le 1

9/06

/202

2 su

r w

ww

.cai

rn.in

fo (

IP: 6

5.21

.228

.167

)© D

e Boeck S

upérieur | Téléchargé le 19/06/2022 sur w

ww

.cairn.info (IP: 65.21.228.167)

Page 7: Developpement durable et aide publique a la sante

46 Mamadou I BARRY

Mondes en Développement Vol.39-2011/1-n°153

Cette évolution se traduit par une place accrue du secteur social dans l’aide publique au développement (graphique 2). En effet, la part du secteur social est passée de près de 28% de l’aide totale en 1995 à près de 42% en 2009, alors que la proportion de l’aide pour le secteur économique (infrastructures et services économiques) a diminué dans le même temps de 24 à 16%.

Graphique 1 : Évolution de l’aide publique au développement par grand secteur (dollar constant, 2008)

Source : Présentation de l’auteur, d’après des données du Comité d’aide publique au développement (CAD8).

Graphique 2 : Part de l'aide engagée pour les grands secteurs dans l'aide publique totale (dollar constant, 2008)

Source : Présentation de l’auteur d’après des données du CAD.

8 Base de données disponible en ligne sur le site : http://stats.oecd.org/index.aspx?lang=fr

0

10

20

30

40

50

60

70

1995 1996 1997 1998 1999 2000 2001 2002 2003 2004 2005 2006 2007 2008 2009

Année

En

mill

iard

s de

$

Infrastructure et services sociaux Infrastructure et services économiques

Destination plurisectorielle/transversale

0

5

10

15

20

25

30

35

40

45

1995 1996 1997 1998 1999 2000 2001 2002 2003 2004 2005 2006 2007 2008 2009

Année

En

pour

cent

age

de l'

aide

tota

le

Infrastructure et services sociaux Infrastructure et services économiques Destination plurisectorielle/transversale

© D

e B

oeck

Sup

érie

ur |

Tél

écha

rgé

le 1

9/06

/202

2 su

r w

ww

.cai

rn.in

fo (

IP: 6

5.21

.228

.167

)© D

e Boeck S

upérieur | Téléchargé le 19/06/2022 sur w

ww

.cairn.info (IP: 65.21.228.167)

Page 8: Developpement durable et aide publique a la sante

Développement durable et aide publique à la santé 47

Mondes en Développement Vol.39-2011/1-n°153

2.2 …en particulier dans les secteurs santé et population

L’usage des statistiques du Comité d’aide publique au développement de l’Organisation de la coopération pour le développement économique (OCDE) suppose de prendre quelques précautions. En effet, le CAD9 publie des données qui ne prennent en compte que les activités ayant un lien direct avec la santé et la population et ne retiennent pas l’aide destinée à d’autres secteurs exerçant un impact indirect. Tout en fournissant une base cohérente de statistiques sur l’aide à la santé, le système de notification du CAD peut donc légèrement sous-estimer l’aide susceptible d’influencer le niveau de santé (sont par exemple exclus des statistiques d’aide à la santé les sous-secteurs eau, hygiène, éducation et l’aide médicale en cas de catastrophe).

Graphique 3 : Évolution de l’aide publique consacrée au secteur "santé et population" entre 1995 et 2009 (dollar constant, 2008)

Source : Présentation de l’auteur d’après des données du CAD.

Dans le secteur social, le sous-secteur "santé et population10" a le plus bénéficié de la reprise de l’aide publique au développement. Ce poste a vu l’effort qui lui est consacré augmenter de façon continue depuis 1998, avec une accélération à

9 Le CAD définit l’APD pour la santé et la population comme l’APD destinée aux hôpitaux et

aux dispensaires, y compris dans les établissements spécialisés, comme les sanatoriums pour tuberculeux, la protection maternelle et infantile, les autres services médicaux, y compris la lutte contre les maladies et les épidémies, les programmes de vaccination, les soins infirmiers, la fourniture de médicaments, les services de démonstration relatifs à la santé… ; l’administration de la santé publique et les programmes d’assurances ; les politiques/programmes en matière de population et de gestion administrative, les soins en matière de fertilité, la planification familiale, la lutte contre les maladies sexuellement transmissibles (MST) et virus de l’immunodéficience humaine (VIH)/sida, la formation de personnel en matière de population, de santé et de fertilité.

10 Ce poste correspond aux catégories : 120 (santé) et 130 (population/santé et fertilité) sur le système de notification des pays créanciers.

0

5

10

15

20

25

1995

1996

1997

1998

1999

2000

2001

2002

2003

2004

2005

2006

2007

2008

2009

Année

En

mill

aird

s $

Santé et Population Moy. mobile sur 3 pér. (Santé et Population)

© D

e B

oeck

Sup

érie

ur |

Tél

écha

rgé

le 1

9/06

/202

2 su

r w

ww

.cai

rn.in

fo (

IP: 6

5.21

.228

.167

)© D

e Boeck S

upérieur | Téléchargé le 19/06/2022 sur w

ww

.cairn.info (IP: 65.21.228.167)

Page 9: Developpement durable et aide publique a la sante

48 Mamadou I BARRY

Mondes en Développement Vol.39-2011/1-n°153

partir de 2001. L’aide à la santé et à la population passe de 4 à 20 milliards de dollars (constants, 2008) entre 1995 et 2009 (graphique 3). Quand on compare le sous-secteur "santé et population" et d’autres sous-secteurs du domaine social et économique (graphique 4), on peut tirer quelques enseignements sur l’importance acquise par la santé.

Graphique 4 : Part de l’aide à la santé et à la population dans l’APD totale comparée à celles d’autres sous-secteurs

0

2

4

6

8

10

12

14

1995 1996 1997 1998 1999 2000 2001 2002 2003 2004 2005 2006 2007 2008 2009

Année

En

pour

cent

age

de l'

aide

tot

ale

Education

Santé et Population

Energie

Agriculture, Sylviculture, Pêche

Industries Manufacturières, Extractives, Construct Source : Présentation de l’auteur d’après des données du CAD.

Entre 1995 et 2009, la part de l’APD pour la santé et la population est passée de 7,0% à 12,5%, tandis qu’elle n’augmentait que de 5,0% à 8,6% pour l’éducation et diminuait respectivement pour l’énergie et l’agriculture de 10,7% à 4,3% et de 9,3% à 5,9%. En 1995, la part de la santé dépassait l’éducation et recevait à peu près le même volume d’aide que l’agriculture. L’augmentation ultérieure de l’aide à la santé ne traduit donc pas une logique de rattrapage dans la mesure où la santé n’occupait pas une place désavantageuse au départ. En réalité le rattrapage a prévalu seulement vers la fin des années 1980 et au début des années 1990 pour corriger le fait que, durant les plans d’ajustement structurel, les préoccupations macroéconomiques et financières ont éclipsé la santé. La simultanéité, d’une part, du consensus sur les objectifs et principes du DD, d’autre part, de l’augmentation de l’aide consacrée à la santé, laisse penser que le premier phénomène expliquerait largement le second. La décomposition de l’APD consacrée à la santé va permettre l’identification des ressorts de son augmentation et la confrontation de ces derniers aux principes du DD.

© D

e B

oeck

Sup

érie

ur |

Tél

écha

rgé

le 1

9/06

/202

2 su

r w

ww

.cai

rn.in

fo (

IP: 6

5.21

.228

.167

)© D

e Boeck S

upérieur | Téléchargé le 19/06/2022 sur w

ww

.cairn.info (IP: 65.21.228.167)

Page 10: Developpement durable et aide publique a la sante

Développement durable et aide publique à la santé 49

Mondes en Développement Vol.39-2011/1-n°153

3. LA HAUSSE DE L’AIDE À LA SANTÉ RÉPOND- ELLE AUX PRINCIPES DU DÉVELOPPEMENT DURABLE ?

En identifiant les sources de la hausse de l’aide à la santé et en les confrontant aux principes et objectifs du DD, on pourra répondre à la question de savoir si c’est le consensus sur la pertinence des principes du développement durable qui a stimulé l’aide publique à la santé. Dans un premier temps, on s’intéressera aux origines de la progression de l’aide à la santé. Dans un second temps, on confrontera les origines de la hausse de l’aide aux principes et objectifs du DD.

3.1 L’origine de la hausse de l’aide

Nous cherchons, d’une part, à montrer l’importance du sida dans la progression récente de l’aide à la santé, d’autre part, à suggérer que ce phénomène traduit une prise en compte seulement partielle des principes et des objectifs de DD.

3.1.1 Une évolution marquée par un changement de priorité

Le secteur "Santé et population" est composé de trois sous-secteurs selon la définition du CAD : santé générale, santé de base et population et fertilité. Certes, tous les sous-secteurs de l’aide à la santé ont vu le volume d’aide qui leur est consacré augmenter depuis la fin de la décennie 1990 de façon continue, mais un examen plus détaillé montre que cette augmentation est plus ou moins forte selon les sous-secteurs11, modifiant ainsi largement les proportions, donc les priorités ressortant de l’analyse des flux d’aide (graphiques 5 et 6). À partir de 1998-1999, et de façon plus prononcée en 2000-2001, la composition de l’aide à la santé a fortement changé en faveur du sous-secteur "population et fertilité". Les fonds pour ce secteur, qui représentaient 31,7% (1,75 milliards $) de l’aide à la santé pour la période 1998-1999, ont atteint 51,4% (9,88 milliards $) pour la période 2008-2009. À l’inverse, sur la même période, la part des programmes généraux de santé a diminué, passant de 41,2% à 12,1%. Enfin, le sous-secteur "santé de base" est passé de 27,0% à 36,5%. La forte progression de l’aide à la santé est donc largement due à la croissance du sous-secteur "population et fertilité" qui inclut la lutte contre le sida. Or, cette maladie a la particularité d’être la seule à avoir mobilisé la communauté internationale au niveau le plus important : le Conseil de sécurité des Nations unies. Le fait que ce conseil ait débattu, en 2000, du sida, pour reconnaître qu’il constitue une menace pour la sécurité mondiale, illustre la prise en compte

11 Les sous-secteurs sont : santé générale (politique de santé et gestion administrative,

éducation et formation médicales, recherche médicale, services médicaux) ; santé de base (soins et services de santé de base, infrastructure pour la santé de base, nutrition de base, lutte contre les maladies infectieuses, éducations sanitaires, formation de personnel de santé.) ; population santé et fertilité (politique/programmes en matière de santé et gestion administrative, soins en matière de fertilité, planification familiale, lutte contre les MST et VIH/Sida, formation de personnel en matière de population, santé et fertilité).

© D

e B

oeck

Sup

érie

ur |

Tél

écha

rgé

le 1

9/06

/202

2 su

r w

ww

.cai

rn.in

fo (

IP: 6

5.21

.228

.167

)© D

e Boeck S

upérieur | Téléchargé le 19/06/2022 sur w

ww

.cairn.info (IP: 65.21.228.167)

Page 11: Developpement durable et aide publique a la sante

50 Mamadou I BARRY

Mondes en Développement Vol.39-2011/1-n°153

croissante des risques liés à la santé publique dans les réflexions géopolitiques contemporaines. L’Assemblée générale de l’ONU a consacré à cette épidémie une session extraordinaire en juin 2001 et l’ONUSIDA a établi un partenariat avec l’International Crisis Group. Aux États-Unis, deux rapports de la CIA ont également souligné l’importance de la menace (Gordon, 2002 et 2000).

Graphique 5 : Évolution des sous-secteurs de l’aide pour "la santé et la population" entre 1996 et 2009 (dollar constant, 2008)

Source : Présentation de l’auteur d’après des données du CAD.

Graphique 6 : Part de chaque sous-secteur de la "santé et population" dans l’aide totale du secteur

0

10

20

30

40

50

60

1996-1997 1998-1999 2000-2001 2002-2003 2004-2005 2006-2007 2008-2009

Année

Par

t da

ns l'

aide

tot

ale

à la

san

Santé Générale Santé de Base Population&Fert. Source : Présentation de l’auteur d’après des données du CAD.

La décomposition de la croissance de l’aide permet de tirer des informations intéressantes quant aux sources de l’accroissement de l’aide à la santé, désignée dans le tableau 2 sous l’appellation usuelle "santé et population". Si entre 1997 et 2009, l’aide à la santé et à la population a enregistré un taux de croissance de 339,9%, c’est grâce aux efforts consentis en faveur du sous-secteur "population et fertilité" ; en dehors de ce dernier, l’aide à la santé a connu un taux de croissance de 236,4%, inférieur à celui de l’aide pour le secteur "population et fertilité" (544,8%). Si la part de l’aide à la santé restait

0

2

4

6

8

10

1996-1997 1998-1999 2000-2001 2002-2003 2004-2005 2006-2007 2008-2009

Année

Mill

iard

s de

dol

lars

(co

ntan

ts, 2

008)

Santé Générale Santé de Base Population&Fert.

© D

e B

oeck

Sup

érie

ur |

Tél

écha

rgé

le 1

9/06

/202

2 su

r w

ww

.cai

rn.in

fo (

IP: 6

5.21

.228

.167

)© D

e Boeck S

upérieur | Téléchargé le 19/06/2022 sur w

ww

.cairn.info (IP: 65.21.228.167)

Page 12: Developpement durable et aide publique a la sante

Développement durable et aide publique à la santé 51

Mondes en Développement Vol.39-2011/1-n°153

quasiment stable (de 5,1% en 1997 à 6,3% en 2009), celle de l’aide pour le poste "Population et Fertilité" augmentait fortement, passant de 2,6% à 6,2% de l’aide totale entre 1997et 2007. Ce sous-secteur inclut la lutte contre le sida. Ses autres composantes (les programmes en matière de santé et de gestion administrative, les soins en matière de fertilité, la planification familiale, la formation de personnel en matière de population santé et fertilité) qui sont des préoccupations anciennes de santé publique dans les pays en développement n’ont jamais conduit à une mobilisation comparable à celle du Sida. C’est cette dernière qui a conduit à la récente accélération de l’aide à la santé. Tableau 2 : La composition de l’aide publique à la santé et à la population pour

1997, 2007 et 2009 (milliards de dollars, 2008)

1997

2007

2009Taux de croissance 1997-2007 (en %)

Taux de croissance 1997-2009 (en %)

Santé et population (SP) 4,66 17,21 20,51 269,10 339,91 Dont "population et fertilité" 1,57 9,09 10, 09 480,50 544,86 Dont "santé" 3,10 8,13 10,42 162,31 236,39 APD totale 60,56 136,11 163,43 124,75 169,86 Part de la SP (en %) 7,70 12,65 12,55

Part "population et fertilité" (%) 2,58 6,67 6,18Part de la santé (en %) 5,12 5,97 6,38

Source : Calcul de l’auteur à partir des données du CAD.

3.1.2 Un ratio d’aide publique à la santé par AVCI12 qui confirme la place du sida comme priorité

La priorité est accordée à la lutte contre le SIDA et les maladies sexuellement transmissibles tandis que les autres maladies infectieuses et nutritionnelles, malgré leur contribution plus importante à la charge de morbidité, suscitent une attention moindre (tableau 3).

Tableau 3 : Aide publique au développement par AVCI (dollars 2002)

Catégorie de maladie APD par AVCI pour les interventions directement attribuables à la maladie

APD par AVCI incluant les interventions générales attribuables à la maladie

Maladies infectieuses (exclu MST et VIH/Sida)

2,09 4,27

MST et VIH/Sida 21,88 24,06 Santé maternelle et périnatale 9,29 11,46 Déficiences nutritionnelles 6,30 8,45 Maladies non transmissibles 0,00 2,18 Blessures 0,00 2,17

Source : Traduit de Mackellar (2005), d’après des données du CAD.

Les maladies non transmissibles ne bénéficient d’aucune intervention spécifique. Mais cette remarque est à tempérer puisque l’APD ne retient que les

12 AVCI : Années de vie perdues corrigées d’invalidité. C’est l’un des indicateurs utilisés par

l’OMS pour mesurer les besoins sanitaires des PED. Les AVCI sont mesurées par rapport à la mortalité et à la morbidité. La morbidité est pondérée en fonction de la gravité de l’affection. Les AVCI équivalent à la somme des années de vie perdues (AVP) à cause de la maladie et des années de vie vécues avec une incapacité (AVI).

© D

e B

oeck

Sup

érie

ur |

Tél

écha

rgé

le 1

9/06

/202

2 su

r w

ww

.cai

rn.in

fo (

IP: 6

5.21

.228

.167

)© D

e Boeck S

upérieur | Téléchargé le 19/06/2022 sur w

ww

.cairn.info (IP: 65.21.228.167)

Page 13: Developpement durable et aide publique a la sante

52 Mamadou I BARRY

Mondes en Développement Vol.39-2011/1-n°153

aides dont l’objectif principal est la santé. L’APD pour l’assainissement, l’eau ou d’autres infrastructures, bien qu’ayant un impact sur la santé, n’est pas comptabilisée. Les maladies sexuellement transmissibles, sida inclus, bénéficient de 24,06 $ par AVCI, alors que les autres maladies infectieuses, plus importantes en termes d’AVCI et considérées comme prioritaires par Bell et Fink (2005), ne reçoivent que 4,27 $ par AVCI. Le sida et la santé maternelle constituent les premières priorités des donateurs.

3.2 Le fossé entre les principes de DD et la réalité de l’aide

L’absence de priorité claire accordée à la satisfaction des besoins de base et à la protection des groupes vulnérables, combinée à un effort explicite pour la lutte contre les maladies transmissibles, pose la question de la prise en compte effective des principes et des objectifs du développement durable dans la hausse de l’aide publique à la santé. Comme une politique de développement, pour être considérée durable dans le domaine social ou celui de la santé, exige une prise en compte de l’accessibilité aux soins de santé de base, de la construction des capacités13 et de l’équité inter et intra-générationnelle, il convient d’évaluer l’attention qui leur est portée par les donateurs.

3.2.1 La hausse de l’aide à la santé et les besoins sanitaires de base

Avec la hausse de l’aide à la santé, les sous-secteurs "santé générale" et "santé de base" ont vu leurs parts baisser (respectivement de 36,58% à 14,78% et de 36,02% à 32,03% entre 1996 et 2007). Or ces sous-secteurs concentrent des besoins importants des PED dans le domaine de la santé. Aujourd’hui il semble difficile d’entreprendre une politique de santé "socialement durable" dans les PED sans qu’une priorité claire ne soit donnée à l’accessibilité aux soins de base et au soutien aux politiques nationales de santé à travers une approche sectorielle élargie. Une stratégie cherchant à atteindre des objectifs de développement durable dans le domaine de la santé devrait donc se traduire par une augmentation des parts des postes de dépense comme les infrastructures et les soins de base, l’éducation à la santé et le personnel, la nutrition de base14. Il convient d’ajouter que les soins de santé destinés aux populations pauvres et marginalisées sont souvent très fragmentés et grossièrement sous-financés (Moore et Showstack, 2003). L’OMS, à travers le titre de son rapport de 2008, "Les soins de santé primaires : maintenant plus que jamais !", pose de façon cruciale les problèmes actuels des PED et indique ce qui devrait être la priorité, à savoir la satisfaction des besoins de base et le combat contre les soins mal ciblés15.

13 Voir la partie 1 pour plus de détails sur l’importance de la construction des capacités et des

soins de base pour atteindre les objectifs en matière de DD. 14 On peut noter, cependant, que l’accroissement de l’aide n’est pas une condition suffisante

pour garantir l’élévation du niveau de santé, puisque la santé est multi-déterminée. 15 Selon l’OMS (WHO, 2002), l’essentiel des ressources va aux maladies à grands frais, aux

services curatifs, négligeant la prévention primaire et la promotion de la santé, pourtant susceptibles de permettre une réduction pouvant atteindre 70% de la charge de morbidité.

© D

e B

oeck

Sup

érie

ur |

Tél

écha

rgé

le 1

9/06

/202

2 su

r w

ww

.cai

rn.in

fo (

IP: 6

5.21

.228

.167

)© D

e Boeck S

upérieur | Téléchargé le 19/06/2022 sur w

ww

.cairn.info (IP: 65.21.228.167)

Page 14: Developpement durable et aide publique a la sante

Développement durable et aide publique à la santé 53

Mondes en Développement Vol.39-2011/1-n°153

3.2.2 La gestion verticale des priorités

La hausse de l’aide à la santé ces dernières années résulte, en grande partie, de la lutte contre le sida, en particulier à travers le dispositif du Fonds mondial de lutte contre le sida, la tuberculose et le paludisme. Si les priorités de ce fonds répondent à des problèmes cruciaux des PED dans le domaine de la santé16, il n’en demeure pas moins que la concentration des financements sur la lutte contre les maladies infectieuses tend à favoriser une approche verticale du développement humain qui entre en contradiction avec la transversalité et la répartition équilibrée des ressources inhérentes au concept de développement durable. De façon générale, on peut définir les programmes verticaux comme des programmes dirigés, supervisés et mis en œuvre totalement, ou dans une large mesure, par un service spécialisé faisant appel à des personnels de santé affectés à cet effet. Cette attention quasi exclusive portée à quelques maladies se vérifie pour les grands donateurs bilatéraux comme les États-Unis et le Royaume-Uni. Cette exceptionnelle capacité de mobilisation des ressources est peu utilisée pour garantir des acquis de base plus larges et éviter des déséquilibres destructeurs. En 2008, dans son rapport annuel, la Banque mondiale rappelle que, malgré les milliards de dollars investis dans la santé en Afrique, le manque de personnel de santé est toujours un problème et constitue un obstacle majeur à l’accès des pauvres aux services de soins. L’organisation verticale des politiques de santé ne permet pas non plus de bâtir des systèmes de santé efficaces et capables de garantir l’accès aux soins de santé primaires pour le plus grand nombre et la durabilité des acquis sanitaires. Les programmes verticaux ont été critiqués parce que dictés par des valeurs éthico-compassionnelles (Eddy, 1991), manquant de fondement empirique (Unger, Killingsworth, 1986) et mettant excessivement l’accent sur l’efficacité. On leur impute aussi une fragmentation des services, une création de barrières entravant l’accès et générant du gaspillage (McKeown, 1979). Ils éloignent la majorité de la population de la prévention et de l’accès aux services généraux (Bryant, 1969). Ils limitent l’efficacité du système de santé en encourageant la duplication tout en diminuant leurs probabilités de durabilité car, dès lors que les ressources supplémentaires émanant de donateurs extérieurs sont épuisées, tout s’arrête (Brown, Cueto, Fee, 2004). En somme, les programmes verticaux peuvent entraver le développement d’approches globales nécessaires dans le cadre de la lutte contre les inégalités sociales et les déterminants de la mauvaise santé au sens large (Gish, 1982). Ils affectent négativement le processus de développement de la santé (Sen, Koivusalo, 1998). Pourtant, comme l’ont rappelé Hamdouch et Depret (2005), le principal problème des PED est la carence institutionnelle, qui se traduit par un manque d’infrastructures efficaces.

16 Le relatif essoufflement de l’aide en faveur de la lutte contre le sida, depuis 2008, engendre

de légitimes inquiétudes sur la poursuite de l’action contre cette maladie. Néanmoins, cette tendance récente ne remet pas en cause la prédominance du VIH/sida dans l’effort global.

© D

e B

oeck

Sup

érie

ur |

Tél

écha

rgé

le 1

9/06

/202

2 su

r w

ww

.cai

rn.in

fo (

IP: 6

5.21

.228

.167

)© D

e Boeck S

upérieur | Téléchargé le 19/06/2022 sur w

ww

.cairn.info (IP: 65.21.228.167)

Page 15: Developpement durable et aide publique a la sante

54 Mamadou I BARRY

Mondes en Développement Vol.39-2011/1-n°153

3.2.3 La construction des capacités

Des secteurs ou sous-secteurs pouvant permettre une construction des capacités sont marginalisés par les donateurs au regard des flux d’aide. Le développement des capacités nécessiterait une répartition "équilibrée" de l’aide à la santé puisque les "capacités" reposent sur une multitude de déterminants (infrastructures, formation du personnel de santé, éducation, nutrition…). Une affectation déséquilibrée de l’aide à la santé en faveur de quelques maladies, sans tenir compte de toutes les réalités épidémiologiques des PED, n’est ni favorable à la construction des capacités, ni à leur durabilité. Mackellar (2005) et Shiffman (2005) expliquent cette surreprésentation du sida par l’incapacité des pays du sud à s’en sortir seuls car cette maladie, difficile à contrôler, fait peser un risque sur la santé publique internationale. Au regard des préoccupations relatives au développement durable, cette interprétation montre que l’existence de "biens communs ou intérêts communs" entre le Nord et le Sud ne conduit pas forcément à des politiques de développement socialement durables.

CONCLUSION

Les différents sommets internationaux de ces quinze dernières années ont fait du développement durable le cadre d’organisation des politiques d'aide au développement. Ils ont propulsé les dimensions sociales et humaines en général, et plus particulièrement la santé dans les PED, comme des enjeux prioritaires. À ces occasions, et grâce au travail des universitaires, les différents critères d’évaluation de la prise en compte des principes et des objectifs du développement durable dans le domaine de la santé ont été précisés : l’accessibilité aux soins de base, l’équité intra et intergénérationnelle et la construction des capacités. De l’analyse de l’évolution et la composition des flux d’APD à la santé, deux enseignements principaux se dégagent. - Loin d’être le reflet de l’ensemble des principes du développement durable, la

hausse de l’aide à la santé est fortement dépendante de la lutte contre le sida, qui constitue, certes, un enjeu majeur mais ne peut résumer les efforts nécessaires en faveur de la santé dans les PED.

- Les ressources supplémentaires mobilisées pour la santé ont été réparties de façon déséquilibrée en défaveur de la santé générale et de la santé de base, pourtant reconnues comme plus favorables aux pauvres.

Si l’aide à la santé a augmenté conformément aux recommandations des tenants du DD, cet accroissement repose, en réalité, sur une approche verticale de la santé et de l’aide peu conforme aux principes du DD. La percée de l’aide à la santé s’est traduite par une répartition très déséquilibrée en défaveur des secteurs pro-pauvres, posant d’importants problèmes de durabilité sociale. S’il est en soi cohérent et souhaitable d’agir conjointement contre le sida et pour le DD, la façon dont l’aide à la santé a été organisée depuis la fin des années 1990 ne semble pas respecter les principes d’un développement socialement durable, en termes d’équité et de construction des capacités. La répartition effective des flux d'aide ne permet pas de mettre en œuvre la santé telle qu’elle est envisagée

© D

e B

oeck

Sup

érie

ur |

Tél

écha

rgé

le 1

9/06

/202

2 su

r w

ww

.cai

rn.in

fo (

IP: 6

5.21

.228

.167

)© D

e Boeck S

upérieur | Téléchargé le 19/06/2022 sur w

ww

.cairn.info (IP: 65.21.228.167)

Page 16: Developpement durable et aide publique a la sante

Développement durable et aide publique à la santé 55

Mondes en Développement Vol.39-2011/1-n°153

par certains auteurs (Ballet, Dubois, Mahieu, 2004 ; Tizio, 2004) comme une interface vertueuse entre croissance et développement humain.

BIBLIOGRAPHIE

BALLET J., DUBOIS J.-L., MAHIEU F.-R. (2004) À la recherche du développement socialement durable : concepts fondamentaux et principes de base, Revue Développement durable et territoires, Dossier 3,

http://developpementdurable.revues.org/document1165html. BANQUE MONDIALE (2008) Les objectifs du millénaire pour le développement, Rapport sur

le développement sur le Monde, Washington, Banque mondiale. BELL C., FINK C. (2005) Aide et santé, Revue d’économie de développement, n°2-3

septembre, 135-166. BERTHÉLEMY J.-C (2008) Les relations entre santé, développement et réduction de

la pauvreté, Comptes Rendus Biologies, Vol. 331, n° 12, décembre, 903-918. BERTHÉLEMY J.-C., SEBAN J. (2009) Dépenses de santé et équité dans l’accès aux

services de santé dans les pays en développement, Revue d’économie du développement, Vol.1-2, n° 23, 33-71.

BRYANT J. H. (1969) Health and the developing world, Ithaca, Cornell University Press. BROWN T. M., CUETO M., FEE E. (2004) The World Health Organization and the

transition from “international” to “global”public health, Cape Town, Global Health Trust, (http://www.ghwatch.org/2005report/ghw.pdf).

DIXNEUF M. (2003) La santé enjeu de gouvernance mondiale ?, Les études du Centre d'études et de recherches internationales Sciences Po (CERI), n°99, décembre. www.ceri-sciencespo.com/publica/etude/etude99.pdf

DUBOIS J.-L., MAHIEU F.-R. (2002) La dimension sociale du développement durable, réduction de la pauvreté ou durabilité sociale, in Martin J.-Y. (ed.), Développement durable? Doctrines, pratiques, évaluations, Paris, IRD éditions, 73-94.

EDDY D. M. (1991) What care is essential? What services are basic?, Journal of the American Medical Association, 265, 786-788.

GISH O. (1982) Selective primary health care: old wine in new bottles, Social Science and Medicine, 16, 1049-1053.

GORDON D. (2002) The Next Wave of HIV/AIDS: Nigeria, Ethiopia, Russia, India and China, National Intelligence Council, September, 26 p.

GORDON D. (2000) The Global Infectious Disease Threat and its Implications for the United States, National Intelligence Council, Januar, 38 p.

GWATKIN D. R. (2000) Inégalités de santé et santé des pauvres : que sait-on et que peut-on faire ? Bulletin de l’Organisation mondiale de la Santé, 78 (1), 3-18.

HAMDOUCH A., DEPRET M.-H. (2005) Carences institutionnelles et rationnement de l’accès à la santé dans les pays en développement : repères et enjeux, Mondes en développement Vol. 33, n°131, 11-28.

MACKELLAR L. (2005) Priorities in Global Assistance for health, aids, and population, OCDE Development Center, working paper n°244, June.

MCKEOWN T. (1979) The role of medicine: dream mirage or nemesis? Oxford, Blackwell. MOATTI J.-P. (2008) Économie de la santé dans les pays en développement : ce que la

lutte contre le sida a changé, Comptes Rendus Biologies, Vol. 331, n° 12, 964-972.

© D

e B

oeck

Sup

érie

ur |

Tél

écha

rgé

le 1

9/06

/202

2 su

r w

ww

.cai

rn.in

fo (

IP: 6

5.21

.228

.167

)© D

e Boeck S

upérieur | Téléchargé le 19/06/2022 sur w

ww

.cairn.info (IP: 65.21.228.167)

Page 17: Developpement durable et aide publique a la sante

56 Mamadou I BARRY

Mondes en Développement Vol.39-2011/1-n°153

MOORE G., SHOWSTACK J. (2003) Primary care medicine in crisis: towards reconstruction and Renewal, Annals of Internal Medicine, 138, 244-247.

PNUD (1990) Rapport sur le développement humain, New York, PNUD Editions. SHIFFMAN J. (2005) Donor funding priorities for communicable disease control in

developing countries, unpublished working paper, Department of Public Administration, Maxwell School of Public Administration, Syracuse University, New York, p. 40

SEN A. (1999) Development as freedom, Oxford, Oxford University press. SEN K., KOIVUSALO M. (1998) Health care reforms in developing countries,

International Journal of Health Planning and Management, 13, 199-215. TIZIO S. (2004) Quelle légitimité pour les politiques de santé face aux objectifs de

développement durable ? Et les dimensions humaine et sociale du développement durable, Revue Développement durable et territoires, Dossier 3,

http://developpementdurable.revues.org/document1159.html. UNGER J. P, KILLINGSWORTH J. R. (1986) Selective primary health care: a critical

review of methods and results, Social Science and Medicine, 22, 1001-1013. WHO (2001) Macroeconomics and health: investing in health for economic development, Report of

the Commission on Macroeconomics and Health, Geneva. WHO (2002) Réduire les risques et promouvoir une vie saine, Rapport sur la santé dans le

monde, OMS Genève.

Annexe : Aide publique au développement totale et pour la santé (en milliards dollars constants 2008)

AnnéeSanté

Générale Santé de

Base Population/Santé&Fert.

Santé et Population

APD totale

1995 0,98 1,47 1,57 4,02 57,44 1996 1,78 1,72 0,86 4,36 63,58 1997 1,54 1,56 1,57 4,66 60,56 1998 2,48 1,50 1,82 5,80 70,56 1999 2,06 1,49 1,68 5,22 78,13 2000 2,00 2,31 2,48 6,80 85,18 2001 2,01 2,08 2,51 6,60 85,93 2002 2,12 2,77 3,31 8,20 99,32 2003 2,35 3,04 4,61 10,00 115,01 2004 2,69 3,33 4,54 10,57 116,72 2005 2,72 4,78 5,46 12,95 142,86 2006 3,49 5,44 7,01 15,94 148,22 2007 2,45 5,68 9,09 17,21 136,11 2008 2,14 6,16 9,68 17,98 153,40 2009 2,53 7,90 10,09 20,51 163,43

Source : Base de données de l’OCDE, Système de notification des pays créanciers (SNPC).

***

© D

e B

oeck

Sup

érie

ur |

Tél

écha

rgé

le 1

9/06

/202

2 su

r w

ww

.cai

rn.in

fo (

IP: 6

5.21

.228

.167

)© D

e Boeck S

upérieur | Téléchargé le 19/06/2022 sur w

ww

.cairn.info (IP: 65.21.228.167)