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 ALBERT FRANK-DUQUESNE LE DIEU VIVANT DE LA BIBLE Éditions de Sombreval www.Sombreval.com 2012

Dieu Vivant Bible Frank Duquesne

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ALBERT FRANK-DUQUESNE

LE DIEU VIVANT DE LA BIBLE

ditions de Sombrevalwww.Sombreval.com

2012

Dieu comme Unit

I. LE DIEU VIVANT NE SE CONNAT QUE PAR LA FOI Le Christianisme, dit saint Paul, de par sa nature mme, n'a point recours la dmonstrative sagesse de la raison, mais la force divine de l'Esprit-Saint : il induit en tat de foi, sans chercher contraindre la raison. L'objet de la foi n'est pas un thorme. Tout le dbut de la Premire aux Corinthiens est satur de cette ide. Un Chrtien n'a donc pas dmontrer l' existence de Dieu. C'est la besogne du philosophe. Le Chrtien philosophe n'a pas philosopher au nom du Christianisme. L'glise n'a donc pas prouver l'existence l'tre serait plus exact de Celui qui rsume en Soi toutes les raisons du donn universel. Quand l'glise parle, c'est pour apporter un tmoignage, non pour formuler dubitativement des problmes. Elle tmoigne de ce qu'elle sait ; elle adore ce qu'elle connat et le proclame sur les toits (Jean, 4:22 ; Matt, 10:27). Au lieu de se demander comment dmontrer sa suffisance qu'il est un Dieu, elle enseigne aux hommes, avec une autorit toute divine, ce qu'est Dieu. L'Ecriture Sainte nous fait, d'ailleurs, comprendre que l'existence de Dieu ne se dmontre pas comme un thorme. Bien qu'en effet la Bible soit pleine d'allusions au tmoignage de la Nature, de l'Histoire et de la conscience humaine bien qu'elle atteste l'hommage qu'elles rendent la nature morale de Dieu, aux attributs qui nous Le font qualifier de vivant , de personnel elle enseigne aussi que, pour saisir la porte de ces tmoignages, pour en extraire une certitude vivante et fconde, l'intelligence ne nous suffit pas : C'est par la foi donc, pas en vertu d'une contrainte logique c'est par la foi que nous comprenons la cration des mondes par le Verbe de Dieu (Hbreux, 11:3). Ne croyons pas, cependant, que, dans les premiers temps de l'humanit, nos premiers pres aient eu, de Dieu, des notions plus directes et plus faciles que nous. L'Eptre aux Hbreux nous rvle qu'il y fallait alors les mmes facults et les mmes efforts qu'aujourd'hui, pour surmonter les mmes obstacles et qu'il en sera toujours ainsi : C'est par la foi que le patriarche Hnoch fut transfr : car avant son transfert, il est attest qu'il plut Dieu1 Mais, sans foi, il est impossible de plaire Dieu. Car quiconque vient Dieu doit commencer par croire qu'Il est, et que ceux qui Le cherchent ont en Lui trouv Celui qui rcompense (Hbreux, 11:5-6). Autrement dit,1

C'est ainsi que saint Paul, avec les Septante, traduit l'expression : marcher avec Dieu.

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nous ne pouvons nous attendre ce qu'un enchanement d'impersonnelles et sches raisons, fonctionnant avec la fatalit d'un engrenage, nous amne, quasiment malgr nous, la conclusion force, inluctable, irrcusable, que Dieu est . Un expos de la Foi catholique n'a donc pas dbuter par une dmonstration, en bonne et due forme, par un enchanement de syllogismes au bout duquel Dieu ne pourrait manquer d'apparatre, autant dire automatiquement, comme un objet du discours, comme un rsidu de la machine--raisonner. On ne confondra d'ailleurs pas raison et intelligence. S'il suffisait, en effet, pour prouver l'existence de Dieu, d'un raisonnement en bonne et due forme, le doute ou la ngation ne seraient possibles qu'aux sots. Nous mettrions l'athe au rang de l'homme qui nie ou met en doute la sphricit de la terre. Son ignorance ou sa stupidit n'veilleraient en nous que l'ironie ou la piti. Mais, en fait, il est faux qu'un athe soit immanquablement un imbcile2. Sa faute est plus grave. On ne lui reproche pas un manque de logique. Or, la Bible tient pour coupable l'homme que la vue de l'univers o il se meut ne convainc pas du pouvoir ternel et de la divinit du Crateur (Romains, 1:20). Il aurait d, dit-elle, cder la sollicitation de ces tmoignages. C'est donc qu' la base des convictions religieuses, les facteurs moraux l'emportent sur les intellectuels. Cela ne veut pas dire qu'on doute de Dieu, ou qu'on Le nie, pour des motifs inavouables3. Mais cela signifie que l'incroyant manque de ces qualits morales : confiance, ouverture et humilit de l'esprit, simplicit du cur, dtachement de l'intelligence, doute de soi-mme, jeunesse et fracheur de l'me, merveillement , qui acheminent un homme vers la foi et lui en facilitent l'accs. La Sainte Ecriture nous met donc en garde contre la manie dmonstrative et raisonneuse. Rien ne peut nous dmontrer par a + b l'existence deIl est vrai que, pour le Psalmiste, l'insens a dit dans son cur : il n'y a point de Dieu (Psaume, 13:1; Psaume 52:1). Mais, pour les Juifs, les notions de sagesse et de folie sont d'ordre beaucoup plus moral qu'intellectuel. D'ailleurs, le Psalmiste ne dit pas : L'homme qui dit en son cur : il n'y a pas de Dieu, est un insens . Le Psalmiste affirme que, lorsqu'un homme veut vivre une vie sans frein, une vie de folie , il doit commencer par tre un athe pratique; il doit traiter Dieu comme s'il n'existait pas, quelle que soit d'ailleurs l'orthodoxie superficielle de sa profession de foi doctrinale. L'athisme se fait un univers sans ordre ni sens, insens . 3 Cependant, trop souvent, ds que pointe, dans une me, le pressentiment de Dieu, on s'empresse de douter, le plus vite et le plus possible...2

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Dieu. L'homme escalade une chelle et, tout coup, se trouve devant le vide : une telle distance le spare encore de Celui qu'il veut atteindre, que l'escalade s'arrte net, s'avre inadquate porter plus haut ; il faut sauter, bondir. Or, les forces manquent. C'est donc Dieu qui nous enlve... La logique nous a fait grimper jusqu' l'chelon le plus haut. Mais, alors, Dieu stimule et fortifie d'autres facults humaines, pour qu'un bond dcisif nous dpose Ses pieds. 2. LA FOI, NON RAISONNE , MAIS RAISONNABLE Il ne peut donc s'agir, pour nous, d'assimiler cette proposition : Dieu est, celles qu'on peut formuler propos de la rotation terrestre ou de l'galit des angles la base d'un triangle isocle. Il ne s'agit pas, cette fois, d'un fait indubitablement tabli par la science, exhaustivement prouv par la raison. Au surplus, nous serions fort empchs de dmontrer notre propre existence et d'tablir logiquement, aux yeux d'autrui, la ralit de nos phnomnes de conscience. Mais, si l'objet de la foi ne se dmontre pas comme une vrit mathmatique, il donne lieu tout un ensemble de preuves emportant, non l'assentiment forc de l'intelligence, mais, par-del toute espce de doute justifiable, notre conviction morale. La dmonstration peut n'tre pas formellement complte, mais elle est pratiquement certaine. Si notre croyance en lexistence de Dieu repose sur une assomption, celle-ci est plus que justifie. La raison nous amne jusqu'au dernier chelon, jusqu'au sommet de l'chelle. Mais arrivs l, il nous faut sauter , engager librement toute notre personne, sortir de la barque et marcher sur les eaux (Matt, 14:29). Mais cette raison, qui n'a pu que nous acheminer jusqu'au dernier chelon, nous retrouve et se remet notre service aprs le saut qu'elle est incapable de nous faire accomplir. Notre conviction n'est donc pas l'aboutissement d'un raisonnement quelconque, si logiquement chafaud soit-il ; il suffirait qu'une seule maille de cet enchanement ft trouve branlante, pour que l'ensemble s'croult. Et puis, cette lumire ne se transforme pas spontanment en mouvement . D'ailleurs, il en serait de mme si notre certitude chrtienne reposait sur tout un ensemble de raisonnements. De toutes les hypothses , la chrtienne supposer qu'elle soit une simple hypothse est celle qui satisfait le plus profondment aux exigences de la raison. S'il est impossible de prouver l'existence de Dieu, il est encore bien plus impossible de

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dmontrer le contraire. Au pis-aller, le philosophe estimera que l'une et l'autre solutions sont indmontrables. La logique peut donc mener l'agnosticisme, l'incertitude systmatise. Mais l'athisme, point. Or, professer l'agnosticisme, l'ignorance savante, abandonner tout espoir de rsoudre un problme d'aussi vitale importance, se refuser conclure, capituler devant la paralysie du jugement, nous semble une attitude indigne de la nature humaine, une manifestation de couardise intellectuelle, une vritable preuve de neurasthnie non morale, mais mentale un dsespoir dbouchant sur la trahison. Pareil dfaitisme doit tuer dans l'uf toute noble recherche, tout souci d'une connaissance libre de nos horizons. Certes, il y a des obstacles sur le chemin de la croyance, mais il y en a bien plus sur le chemin de l'incroyance, du moins pour quiconque ne se laisse pas tourdir par la griserie des formules, mais vise la connaissance interne et directe. 3. SECURUS JUDICAT ORBIS TERRARUM La plupart d'entre nous ont commenc de croire en Dieu parce que, dans leur enfance, leurs anciens le leur ont appris. Par aprs, on vrifie pour soi-mme... A moins d'tre congnitalement sceptiques, nous abordons ce grand problme dans un esprit de bienveillante neutralit. Ceux qui nous ont enseign que Dieu existe sont gnralement, par leur caractre et leur intelligence, dignes d'attention. Plus tard, nous dcouvrons que la grande majorit des hommes partage leur conviction, et que l'ide de Dieu n'est ni un fruit de la civilisation, ni l'invention d'une personnalit, d'une race ou d'une poque historique. Les tribus les plus sauvages, travers le temps et l'espace, ont vnr le crateur et souverain de l'univers. A part de rares exceptions, l'humanit tout entire adhre cette croyance. C'est l-dessus qu'on a tabli la fameuse preuve par le consentement du genre humain . Elle manque, en fait, de rigueur dmonstrative et de coaction logique ; mais elle fait moralement impression et possde une certaine force suggestive, qui provoque, au profit de la croyance, au moins une prsomption. Il en rsulte, en effet, que la nature humaine accepte spontanment, instinctivement, l'ide de Dieu. Est-il probable que, pratiquement, le genre humain se soit partout et toujours tromp en affirmant, d'instinct, la ralit d'une Puissance invisible ? Si cette universelle conviction n'est qu'une illusion, d'o provient celle-ci ? Comment a-t-elle pu se rpandre travers les pays et les sicles ? On ne peut s'occuper d'anthropologie sans connatre le caractre universel de la croyance en Dieu, mais

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comment en rendre compte ? La rduire la peur des fantmes, chez des peuplades d'ailleurs plus dgnres que primitives, comme font certains anthropologues, est une solution tmraire et superficielle. On peut admettre la persistance, du moins partielle, d'une Rvlation primitive. Ou bien l'on soutiendra que l'homme sain, l'homme normal, ouvrant les yeux ce qui se passe autour de lui, conclut normalement, l'existence d'un Substrat, d'une Base... Quoi qu'on imagine, il est certain qu'un fait aussi universel que la croyance en Dieu, aussi caractristique de l'homme, est un fait important, dont il faut tenir compte. Ajoutons qu' cette croyance beaucoup, parmi les grands noms de la science et de la philosophie, ont fermement adhr. Le nombre et l'lite adorent ensemble. Leurs raisons ne peuvent nous laisser indiffrents. Enfin, la maturit de l'exprience nous permet d'analyser, d'amener en pleine lumire, les raisons d'abord tout instinctives pour lesquelles nous-mmes n'avons pas pu nous empcher de chercher un sens l'univers et la vie. Sans Dieu, sans lien (subsistant par soi-mme) de cohrence et d'unit, sans modle, le monde n'est plus qu'un rve angoissant, o nous ne sommes srs de rien, o tout perd sa valeur, o nous-mmes inconsistants fantmes mentons, par notre persistance dans l'tre et notre exigence d'intelligibilit, au donn vritable, qui, n'tant pas plus vrai maintenant que tout l'heure faute de Vrit N'EST PAS. Devant ce choix entre l'affirmation suprme et le nant, nous concluons que le genre humain juge avec certitude (Saint Augustin) et nous pouvons dire nos anciens : Dsormais, nous croyons, non plus parce que vous nous l'avez dit, mais parce que nous avons entendu nous-mmes, et savons . (Jean, 4:42). 4. LE MONDE NOUS RFRE-T-IL A DIEU ? L'ensemble de rflexions qui nous achemine vers la croyance en Dieu fait suite, le plus souvent, l'observation du monde o nous vivons, nos rflexions sur son histoire et ses caractristiques. On affirme, gnralement, que l'existence mme, telle quelle, pure et simple, de l'univers, postule un crateur... S'il n'y avait pas eu Dieu pour le faire , dit-on couramment, comment notre univers serait-il parvenu l'existence? Le simple fait que le monde soit l , ne postule-t-il pas une Premire Cause? Conu sous cette forme populaire, cet argument n'a pas la force persuasive, voire contraignante, qu'on lui attribue volontiers. Il suppose la question dj rsolue. S'il pouvait tre prouv qu'avant telle

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date bien dtermine il n'y avait pas d'univers, donc que le monde a commenc, il faudrait, en effet, rechercher ce qui l'a fait passer du non-tre l'tre. Mais, seule, la Rvlation nous apprend, avec une irrcusable assurance et certitude, que l'univers a commenc d'tre. Et, bien entendu, nous ne parlons pas, ici, du monde sous l'aspect que lui trouve (ou prte) notre exprience sensorielle, mais de ses lments constitutifs les plus primordiaux. Cet argument classique, tir de la chane des causes physiques , auxquelles on cherche une impulsion premire, envisage l'enchanement des faits sous l'unique aspect, purement physique, des phnomnes. C'est jouer avec des ds truqus, c'est fonder une dduction absolue sur un ensemble d'apparences (c'est d'ailleurs le sens du mot phnomne). On allguera les conclusions de la thermodynamique en matire d'entropie. Mais asseoir la foi au Dieu vivant sur d'aussi alatoires hypothses plus hasardeuses encore que les reconstitutions des palontologistes n'est-ce pas une gageure ? S'il n'existe qu'un univers de matire et de force brute, aveugle, on pourrait, la rigueur et saint Thomas l'admet lui reconnatre une perptuit sans commencement. Reprenons donc l'argument de la Cause Premire, non plus sur le terrain physique, de la Nature telle qu'elle nous est donne (naturae nobis datae, dit saint Augustin), mais sur le terrain de l'ontologie, c'est--dire des principes mmes de l'existence. Le vrai problme n'est pas de savoir comment l'univers a commenc , mais comment il se fait qu'il soit, pourquoi il est, et ce qu'il est. Sous ce rapport, l'antique philosophie grecque avait raison, qui voyait dans l'tonnement la condition fondamentale de toute dmarche intellectuelle vers la vrit. L'Ecriture Sainte nous parle souvent de la jeunesse des croyants, renouvele comme celle de l'aigle ; elle invite les enfants louer le Seigneur , parce que de leur bouche jaillit la louange ; et ces paroles des Psaumes, d'ailleurs apparentes l'exigence vanglique : Si vous ne devenez pas pareils de petits enfants... , nous enseignent que le monde n'a de fracheur, d'originalit, donc de vraie vie, digne de ce nom, que pour les mes capables de s'tonner, de dcouvrir avec amour et ravissement le mystre, l'tonnante et persistante nouveaut des choses. Il faut ressentir ce qu'il y a d'trange, d'inattendu, d'intellectuellement rvoltant si Dieu n'est pas : Loi vivante, Ordre immanent ce que le monde soit. Telle est l'inertie de la matire que, logiquement, elle devrait tre mort-ne, ou, plutt, ne jamais natre.

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On en vient alors se demander : les atomes, et leurs corpuscules constitutifs : ions, protons, neutrons, lectrons et courants de force, champs lectromagntiques, rythmes quantiques, en quoi la science contemporaine rsout la matire, sont-ils ce qu'il y a de plus fondamental ? Ou bien n'y aurait-il l que des phnomnes, des apparences, voire des mythes, masquant l'ultime ralit ? Ces lments primordiaux, ne seraient-ils pas, cette substance, ce substrat, ce que l'activit mentale et les concepts sont l'esprit? La science avoue qu'elle ne parle pas des choses elles-mmes, mais de l'impression qu'elles nous laissent. Au reste, ces choses existent-elles par ellesmmes ; ont-elles une existence relle ; ou bien est-ce l'intelligence humaine qui morcelle le donn universel et continu, qui le rifie, comme dit Bergson ? Si le monde n'est pas satur d'esprit, s'il n'a ni sens, ni porte, comment pourrait-il y avoir des choses, et des choses ? Car toute entit distincte n'existe comme telle que par ses rapports : elle est qualifie par ses relations. Ainsi, un point n'existe que grce l'entrecroisement de deux lignes ; une ligne n'a d'tre que par l'intersection des plans... Autrement dit, la fonction de toute chose dtermine sa nature. Mais, la notion de fonction comporte celle de but, d'activit ordonne. Peut-on dire, ds lors, que les choses ont une existence relle, sinon dans la mesure o elles sont intelligibles ? Tout ce qui est rel, est ipso facto rationnel , dit trs justement Hegel. L'existence mme du monde nous fournit, par consquent, des raisons mtaphysiques de pressentir l'immanence en lui d'une Intelligence qui le meut : mens agitat molem. Si la science actuelle ne peut tablir, comme nous l'avons rappel plus haut, avec une irrcusable vidence, que l'univers date , qu'il a commenc, on ne peut cependant nier qu'elle tend suggrer une telle conception. Les recherches thermodynamiques du sicle dernier, portant sur la dgradation de l'nergie , ont abouti la formulation de l'entropie ; autrement dit, l'univers, mme dans l'tat d'homognit indiffrencie que la science assigne son stade initial, a commenc, tout comme d'ailleurs il doit finir. La thorie de la chaleur nous contraint d'admettre un vritable et total dbut de toutes choses la cration ou de supposer qu'une inexplicable subversion automatique des lois naturelles a lieu chaque fois que l'entropie ncessiterait l'intervention divine. Les atomes fondamentaux n'ont eux-mmes rien de ncessaire ni d'ternel. Chaque molcule, nous dit Herschel, est manifestement un produit . Maxwell, qui cite ce propos, le commente ainsi : La science, en retraant l'histoire de la matire, est bloque par une double constatation : d'une part, la

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molcule est un produit ; mais, de l'autre, elle n'est due aucun des processus que nous appelons naturels . Avant mme de considrer le destin cosmique des lments, nous sommes amens poser la question de leur origine ; les atomes et leurs composants, les forces quoi la physique moderne rduit toute matire, n'ont pas en euxmmes leur propre raison d'tre. Supposons qu' l'origine rgne un ordre rudimentaire, suffisant pour orienter le devenir des choses. Cet ordre n'est pas limit tel ou tel tre ; il est ncessairement universel. En effet, pour qu'une seule chose soit dans l'ordre, pour qu'elle ait un sens, une signification, un nom (Gense, 2:19), pour qu'elle soit vraiment une certaine chose et cette individualisation rudimentaire permet, seule, un dveloppement, un devenir de cette chose ; car, si elle n'est pas elle-mme, il n'y a pas de raison pour qu'elle devienne ceci plutt que cela pour qu'une chose soit distincte, il faut qu'elle ait des rapports prcis et qualifiables avec tout ce qui n'est pas elle. Mais, ces rapports distinguent et individualisent, ipso facto, les autres choses. Ds lors que, nous supposons de l'ordre dans le monde, il est universel : dans le temps comme dans l'espace. Si, par contre, l'origine, une seule chose est en dsordre, tout est indtermin, pour la simple raison que, dans cette hypothse, il n'y a plus de choses ; car ce qui constitue les tres distincts, c'est l'ensemble de leurs rapports caractristiques. Cette universelle indtermination ne permet pas que les choses s'orientent dans tel sens plutt que dans tel autre. Au surplus, l'tre et l'ordre sont identiques, puisque l'ordre, la dtermination, la signification ce sont de quasi-synonymes distingue telle chose de telle autre et lui confre par consquent son tre propre. Qu'il y ait ou non une origine peu nous importe, en ce moment le chaos est strile. Les milliards d'annes n'y font rien. Un dsordre ternel reste ternellement strile. L'indtermination, qu'elle ait ou non un dbut, ne peut jamais dboucher sur autre chose qu'elle-mme. Le nier, serait attribuer au chaos une mystrieuse capacit d'ordre. Ce serait abolir le dterminisme idoltr par la science moderne et attribuer au dsordre, au nant, l'inertie, ce genre d'initiatives absolument libres que les croyants appellent des miracles. Mais, l'ternit ne se ramne pas tel ou tel point primitif. Si l'ordre rgne aujourd'hui, il a rgn voici mille milliards de sicles et, par rapport l'ternit, cette date-l n'tait pas plus ancienne que 1950 ; dans l'ternel et immuable Maintenant, il n'y a rien d'antrieur, ni de postrieur.

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Notre univers n'est pas un chaos. Les forces dont nous parlons si facilement comme si elles taient sans mystre, comme si leur nature nous tait connue, comme s'il s'agissait de choses , d'entits individualises et dment classes, catalogues, ces forces, quelles qu'elles soient, ont agi sur la matire, ou peut-tre celle-ci a-t-elle manifest son dynamisme inhrent, d'une manire qui nous fait tenir pour pratiquement certaine l'intervention d'une Volont intelligente, d'une Pense non seulement pense, mais pensante, et qui Se pense, d'une Ide efficace et qui ne devrait l'tre qu' soi-mme, d'une Sagesse qui se poserait elle-mme hors tous les cadres : espace, temps, enchanement causal, etc. bref d'une Sagesse ternelle. Ni la matire aveuglment dynamique, ni de brutes forces agissant au hasard sur une matire inerte, n'eussent pu transformer le chaos en cosmos, produire la rcurrence, l'ordre, l'unit, l'harmonie, la rgularit, la beaut ; parce que le chaos a pour lui, s'il est primordial, une infinit de chances, une avance , un droit acquis (une force acquise, plutt), qui ne laisse mme pas l'ombre d'une occasion favorable n'importe quelle combinaison ordonne. On pourrait, la rigueur, imaginer un monde sans Crateur ; mais le ntre, celui de notre exprience, est inconcevable sans Dieu. Si la plus rcente physique semble impliquer une conclusion, c'est que l'univers, satur de finalit, exprime l'esprit ; Jeans, Eddington, Whitehead, Alexander l'admettent sans ambages. Si nous savions avec certitude qu'il n'y a pas de Dieu, nous pourrions nous rsigner voir, dans ce caractre mental du donn universel, pour parler comme Jeans, une proprit inhrente la nature mme de l'univers. Mais, rien ne nous accule l'athisme, et, ds lors, l'hypothse suivant laquelle l'vidente signification du monde manifeste la prsence active d'une pense directrice, tant la plus simple, est ipso facto la plus vraisemblable. Nous n'avons pas nous prononcer ici sur la valeur scientifique de la thorie volutionniste : cette hypothse de travail en vaut une autre, bien qu'il y ait des chances qu'elle soit dtrne, d'ici quelques annes (vers 1944, le R. P. Pedro Descoqs a recueilli et publi, ce sujet, les curieux tmoignages de scientistes patents). En tout cas, loin de nuire la croyance en un Crateur, la thse volutionniste y pousse et la favorise. Elle s'adapte minemment la conception chrtienne des causes finales. Une volution sans but, sans orientation, une volution titubante et dsordonne, voire rgressive, pourrait tre oppose aux implications du thisme : serait-ce mme une volution ? Mais un processus cosmique tendant un maximum de complexit, l'adaptation de plus en plus intelligente de tous les tres leur

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milieu, et de l'ambiance aux choses, atteste, semble-t-il, l'attirante primaut du but, donc de l'esprit, agissant sur la matire et sur la force de quelque faon que soit conue la nature de l'une et de l'autre comme l'aimant sur la limaille de fer. On aboutit ainsi, en considrant la Nature inanime, non pas aux inluctables squences et conclusions du discours logique, ni davantage aux encombrantes et massives vidences de l'observation sensorielle et de l'exprimentation scientifique, mais ce que nous appelions plus haut une certitude morale, de mme ordre, mutatis mutandis, que le got, cette intelligence du cur , que l'apprciation du beau ou du bien. Cette certitude morale s'affermit d'ailleurs au spectacle des phnomnes vitaux. Supposons un instant que l'univers anorganique tout entier d'ailleurs plein d'nigmes : lumire, chaleur, lectricit, magntisme, allotropie, catalyse, etc. donc tous les systmes solaires et plantaires, avec l'harmonieuse beaut de leurs lments : liquides, solides et gazeux ; supposons que tout cela soit d au jeu fortuit d'atomes ternels (bien que l'ternit mme de ce jeu, suppos qu'on voie dans l'ordre une russite imprvisible et rare, ait pour consquence l'infinit des combinaisons possibles, de sorte qu'il n'y a aucune raison pour que l'une d'elles parvienne l'tre plutt qu'une autre... puisqu'elles sont en nombre illimit, brasses d'ailleurs de toute ternit)... mais soit, fermons les yeux la logique... : il n'en reste pas moins que les phnomnes vitaux sont irrductibles au hasard. Il est certain dans la mesure o les sciences dites exactes peuvent nous fournir des certitudes qu' l'poque o notre systme solaire consistait en gaz chauffs blanc, la vie organique y tait impossible. Supposons un instant que l'nergie d'o jaillirent nos atomes est ternelle ; la vie organique, elle, ne l'est pas. Comment a-telle commenc ? La biologie ne connat aucun tre vivant qui soit n sans parents ; elle ajoute qu'il fut un temps o les conditions d'existence sur cette terre y rendaient le sjour impossible aux tres vivants comme aux germes. Ici encore, l'incroyance contraint ses adeptes nier l'vidence, rejeter les affirmations de la science, pour faire un acte de foi dans la gnration spontane. Le premier germe, l'poque o le globe commena d'tre habitable, fut le fils du hasard : une heureuse et fortuite rencontre d'lments chimiques mit au monde une cellule. Nous en serions les descendants... Mais, l'heure actuelle, o les conditions d'closion sont tout aussi favorables, sinon plus, comment se fait-il qu'il n'y ait plus de gnrations spontanes ? Car jamais l'on n'est parvenu controuver srieusement les expriences

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classiques de Pasteur. Ainsi, la thse athe exige, non seulement des actes de foi, mais aussi des miracles ! Du reste, l'abme sparant les formes les plus nobles de la vie anorganique des formes les plus infrieures de l'organique comparez, par exemple, un cristal et la moindre cellule protoplasmique n'a pas cess d'tre infranchissable. On dira que l'volution fait accder la matire anorganique au stade organique. Mais, gardons-nous de personnaliser l'volution, comme au XVIIIe sicle on personnifiait la Nature . L'volution est, suivant une hypothse biologique de plus en plus corrige voir Quinton, De Vries et autres continuateurs de Mendel le comportement des varits animales, accumulant au cours des ges une telle quantit de transformations infinitsimales, qu' la longue elles constituent des espces nouvelles. C'est le comment suppos pour expliquer certaines ressemblances entre espces diffrentes. Ce n'est certainement pas un pourquoi. Attribuer l'origine de la vie l'volution quivaut dire que, si les enfants viennent au monde, c'est parce qu'ils grandissent... Au surplus, ce que nous savons, depuis un demi-sicle, touchant les mutations ou brusques variations biologiques, nous fait considrer l'volution comme une activit subite et capricieuse, comme un phnomne pisodique peut-tre cyclique utilisant la matire et l'nergie pour ses propres fins, mais sans driver d'elles. Cet univers fut jadis inapte tolrer la vie ; il reste inapte la produire : d'o provient-elle ? Et, d'abord, quelle est sa nature ? Dans la Revue scientifique du 2 janvier 1892, Milne-Edwards crit : La fonction existe avant l'organe. Loin d'en tre le produit, c'est elle, au contraire, qui va le faonner pour une destination donne . Dans le mme numro de la mme revue, Marcellin Berthelot cite, en l'approuvant, cette autre phrase de Milne-Edwards (sance du 21 dcembre 1891 l'Acadmie des Sciences) : La vie n'est pas une force organisatrice de la matire pondrable. Elle est une flamme permanente, c'est--dire une apparence purement cinmatique, un certain systme de mouvements coordonns, centraliss par des conditions purement mcaniques, dans une direction unique, et entretenus par la consommation d'une nergie indpendante de cette direction mme . Ainsi, d'une page l'autre, le mme auteur renverse compltement la vapeur. Page 10, la fonction vitale, la vie, prexiste l'organe matriel et le faonne comme ferait une force intelligente pour une destination donne .

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Mais, la page 9, Milne-Edwards, emport par les exigences de l'incroyance, nie le rle organisateur de la vie. Il en vient nier qu'elle existe ; elle n'est qu'un leurre, une apparence, une forme illusoire, comme la flamme d'une bougie. Et, cependant, il ne peut s'empcher d'voquer un systme de mouvements coordonns et centraliss, dans une direction unique . Mais, se reprend gravement le matrialiste, par des conditions purement mcaniques . En franais, on appelle conditions les faits sans l'existence desquels d'autres faits ne se ralisent pas. Nous rvler que le systme de mouvements coordonns et centraliss dans une direction unique toutes expressions impliquant un choix conscient est d des conditions , n'a rien de fracassant pour l'intelligence. Dieu aussi est une condition ou, plutt, LA Condition absolue donc, la CAUSE. Mais ces conditions de la vie seraient mcaniques . Qu'est-ce dire ? En grec, mchan veut dire machine. Relisons donc MilneEdwards : la vie est un systme de mouvements coordonns, centraliss par des conditions purement machinales, dans une direction unique... Si donc, entre des milliards de mouvements et des combinaisons possibles, certains sont coordonns et centraliss en vue d'un but unique, c'est, pour le scientisme matrialiste, cause de conditions imprcises et mystrieuses, mais qui permettent de comparer ce systme si compliqu une machine bien entendu, une machine qui, s'tant fabrique toute seule, se rgle elle-mme et rpare elle-mme ses pices accidentes. Donc, une machine miraculeuse. A notre exprience, une telle machine n'existe pas. Les Robots les plus compliqus ne se fabriquent pas eux-mmes. Comme quoi la ngation systmatique de l'esprit crateur dbouche sur un inextricable rseau d'absurdits. Peut-tre relirait-on avec fruit quelques lignes de Claude Bernard : Il ne faut pas confondre les causes et les conditions ; tout est l. Le savant ne peut placer le dterminisme des phnomnes que dans leurs conditions, qui jouent le rle de causes prochaines. Les causes premires sont hors de sa porte... Il y a des causes finales, c'est vident ; mais il ne faut pas se hter d'en inventer (Physiologie gnrale, p. 326, en note). Et encore, dans le mme livre : Quand on considre l'volution d'un tre vivant, on voit clairement que son organisation est la consquence d'une loi organognique qui prexiste d'aprs une ide prconue... Cette puissance organisatrice n'existe pas seulement au dbut de la vie ; elle poursuit son uvre chez l'adulte (ibid., pp. 177-178) ... Dans les corps vivants, les forces

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directrices ou volutives des phnomnes sont vitales , spcifiques, tandis que leurs forces excutives sont les mmes que dans les corps bruts , donc mcaniques (ibid., p. 320, en note). Il y a comme un dessin vital qui trace le plan de chaque tre et de chaque organe. Les actions chimiques et synthtiques de l'organisation et de la nutrition se manifestent comme si elles taient domines par une force impulsive gouvernant la matire, faisant une chimie approprie un but et mettant en prsence les ractifs, la manire du chimiste lui-mme. C'est cette puissance ou proprit volutive qui, seule, constitue le quid proprium de la vie ; car il est clair que cette proprit volutive de l'uf, qui produira un mammifre, un oiseau ou un poisson, n'est ni de la physique ni de la chimie . (La Science exprimentale, pp. 209 sq.) Pour les primaires du scientisme, Claude Bernard tait, au tournant du sicle, le grand-pontife des sciences biologiques. En physiologie, en embryologie, en pathologie, sa parole faisait autorit. Or, voyez comme, pour lui, le phnomne vital est irrductible aux agents physico-chimiques. Il reprsente, dans l'univers, un lment spcifique, original : quid proprium. C'est l ce que nous, Chrtiens, appelons la cration particulire des tres vivants (Gense, 1:11-13). A un stade plus lev d'existence merge, parmi les tres anims, et apparat, avec l'homme, la conscience-de-soi, rflchie. Admettons un instant que le corps humain soit issu des formes infrieures de la vie organique. Mais aucune volution, aucune slection, n'a jamais pu confrer aux animaux le don purement humain de la rflexion. Jamais la ruse, l'intelligence ni la mmoire d'un animal ne l'ont fait accder au domaine de l'introspection. Ces facults constituent en quelque sorte la matire premire de la rflexion. De mme que la vie utilise les molcules matrielles pour faonner un habitacle, ainsi la conscience-de-soi use, chez l'homme, des lments psychiques qu'il a en commun avec les animaux suprieurs, pour en tirer, par voie de synthse, ce phnomne propre notre espce : l'acte rflchi, la conscience de la conscience. Pour nombre de philosophes, la distance qui spare l'tre organique de l'anorganique semble moins radicale, moins infranchissable que celle qui spare la vie simplement sensorielle et sensible de la vie vraiment et pleinement consciente. Nous nous trouvons devant une force qui, s'emparant des formes animales les plus adquates, leur insuffla cette conscience-de-soi, cette conscience du Moi qui en fit des hommes. Nouveau problme, dont l'Ecriture Sainte nous donne la cl : La poussire retourne la

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terre et redevient ce qu'elle y tait, et l'esprit retourne Dieu qui l'avait donn (Ecclsiaste, 12:9). Ainsi, la science droulant devant nous les tapes successives de la manifestation cosmique, nous nous trouvons acculs l'absurde, l'impensable, chaque fois qu'aux problmes poss par ce dveloppement nous apportons les solutions de l'incroyance. Si, par contre, nous pressentons qu'un principe de causalit, immanent au monde et l'vertuant de l'intrieur, tout en restant distinct et indpendant du monde pouvant se permettre l'immanence en vertu de sa transcendance, explique le devenir universel, nous aboutissons une solution difficile concevoir, mais plausible et satisfaisante. Trois genses nous posent chacune un problme : gense de la matire, gense de la vie, gense de l'esprit. Aucune d'entre elles ne pouvait normalement, naturellement et fatalement, dboucher sur l'autre. Cependant, quand la matire fut prte recevoir la vie, quand la vie fut apte servir de support la conscience libre, la vie et la conscience-de-soi surgirent. Nous en conclurons qu' ces trois genses un agent crateur intervint. Et il apparat nettement que cette force cratrice agit de propos dlibr, pour raliser un projet. Plus nous examinons le tmoignage de la nature, plus l'vidente adaptation graduelle de l'univers ses enrichissements successifs nous semble intentionnelle et sage. A supposer qu'un monde imaginaire puisse exister sans Crateur, il est vident que notre univers ne le pourrait pas. A mesure que la science tend ses investigations, elle nous rvle un cosmos d'ordre et d'harmonie. Certes, si nous avions une absolue certitude de l'inexistence de Dieu, cet ordre devrait nous apparatre, malgr l'absurdit de cette conception, comme aveugle et fortuit. Mais, il est beaucoup plus simple de conclure d'un ordre vident l'vidence d'une force ordonnatrice, donc capable d'intelligence et de volont. Des forces aveugles agissant au hasard sur une matire brute ne peuvent avoir contraint le chaos l'ordre, et produit l'harmonie, la synergie et la beaut. Elles ne peuvent si bien synthtiser les existences individuelles aprs les avoir littralement cres que chacune y trouve les garanties essentielles de son bonheur et de sa destine. L'ide d'volution, loin de porter atteinte la croyance en Dieu crateur, nous semble au contraire, comme nous l'avons indiqu dj plus haut, militer en sa faveur. Une volution sans but ni signification, une volution faisant rgresser le monde de l'ordre au chaos, pourrait permettre un doute quant au dogme chrtien. Mais une

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volution menant de l'homognit l'htrognit, de la force brute l'intelligence consciente, adaptant graduellement les tres leur milieu, et vice-versa, nous prsente en ralit la matire, la force, la vie et la conscience elle-mme comme des instruments aux mains d'un suprme Ordonnateur. Pour peu qu'on envisage en ses phases successives l'histoire de la Nature et l'adaptation respective des destines individuelles ce devenir universel surtout dans les rgnes animal et vgtal on ne peut manquer de discerner en tout cela l'action sous-jacente d'une Volont sage et puissante. John Stuart Mill, qui pourtant ne fermait pas les yeux devant les dfauts et les cruauts de la Nature, a cependant formul comme suit ses conclusions personnelles dans son essai posthume On Theism : Dans l'actuel tat de nos connaissances, il faut, je pense, admettre que les adaptations observes dans la Nature rendent trs probable la thse d'une cration intelligente et dlibre. 5. NOSTALGIE DE L'IDAL ET CONSCIENCE MORALE Puisqu'il s'agit ici de rsumer les constatations qui dblaient le terrain o germera la croyance, en acculant l'absurde l'incroyance, on ne peut aboutir qu' des motifs de crdibilit , non pas de l'intellectuellement coercitif, mais du probable et du plausible. Or, cette probabilit, cette plausibilit, tirent une vigueur nouvelle de l'tude de nos facults mentales et morales. Demandons-nous donc comment le Chrtien parvient la notion de Dieu. Car il faut qu'il AIT une notion de Dieu, une notion chrtienne de Dieu. On rencontre, en effet, des Chrtiens qui n'ont aucune ide du Crateur, et qui n'en prouvent pas le besoin. Les meilleurs de ceux-l Le servent et L'implorent ; mais comment servir parfaitement c'est-dire par une adoration raisonnable (Romains, 12:1), par un culte adapt Celui qu'on honore, et donc seul digne de Lui comment servir raisonnablement un Inconnu ? Aux Samaritains, Jsus reprochait d'ignorer la nature de Dieu : Pour nous, dit-Il, nous adorons ce que nous connaissons . Trop de Chrtiens lvent leurs autels, comme les Athniens du 1er sicle, au Dieu inconnu . C'est eux qu'aujourd'hui saint Paul devrait dire : Ce Dieu que vous adorez sans Le connatre, je viens vous Le rvler (Actes, 17:23). La psychologie actuelle nous enseigne, juste titre, qu'on ne peut pas compartimenter l'activit mentale et morale de l'homme : il

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n'y a pas d'acte de volont pure, ou d'intelligence brute , isole, sans harmoniques motionnelles ou volontaires. Pour tre pleinement humain, pour tre rel, tout acte doit reflter l'ensemble de notre personne et, par consquent, de nos facults. Je ne puis, par exemple, dsirer une chose que si j'en ai une reprsentation mentale. Rciproquement, je ne puis me reprsenter un objet, sans prouver son gard un minimum d'apprciation et d'apptition. Je ne pourrais aimer un tre totalement inconnu, au point que, tout en prononant son nom, j'aurais l'esprit vide de tout concept et de toute image. N'avoir aucune notion de Dieu et n'en vouloir aucune, quivaut prtendre admirer un paysage en tenant les yeux obstinment ferms. Mais il y a plus grave, parce qu'en fait il est impossible l'homme d'abolir en lui l'intelligence. Rien ne se fait, rien n'est l'objet de nos dsirs et de notre vouloir, qui ne soit ipso facto prsent l'esprit sous forme d'image ou de concept. On nous objectera les tres fabuleux de l'antique mythologie. A quoi nous rpondrons que les Anciens s'en faisaient des images, empruntes de bric et de broc aux rsidus de l'exprience sensorielle. Le danger, c'est qu'en l'absence d'images ou de reprsentations adquates l'objet, soit qu'elles en reprsentent exactement les traits, physiques ou moraux, soit qu'elles en suggrent la nature, par infrence et par analogie, en l'absence de concepts utiles, dis-je, on s'en forgera d'autres, le plus souvent fallacieux, donc dangereux. On pourrait modifier lgrement un texte fameux de Pascal et dire que travailler bien penser , c'est le principe d'une Religion en esprit et en vrit , digne du Verbe illuminateur et du Pre des lumires. Sinon, se faire une notion trompeuse de Dieu, on court le risque de crer des idoles mentales et d'adorer un Dieu qui ne serait pas le vrai Dieu. L'idoltrie n'est qu'une forme subtile de l'idoltrie. C'est pourquoi la teneur de la foi, son contenu intellectuel , importe bien plus qu'on ne croit gnralement. Plus ou moins consciemment, elle oriente et colore la pratique, la vie du Chrtien, la rciproque tant d'ailleurs tout aussi vraie. Nos ides, par exemple, touchant la nature morale de Dieu, Sa Providence, Son immanence, la Personne et la Mdiation de Jsus-Christ, la Chute de l'homme et la Grce de Dieu, le rle de l'Eglise et l'essence des Sacrements, contribuent former ou dformer! les principes de notre conduite, les directives de notre vie religieuse. Le dogme, dirait Tanquerey, est gnrateur de la pit . Prenons un seul exemple : si, chez certains fidles, le sens eucharistique semble s'tre altr, amenuis ; si trop d'entre eux ont vis--vis du Pain cleste et suprasubstantiel (Luc,

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11:3) , dont nos mes ont un besoin beaucoup plus quotidien que nos corps du pain matriel, une attitude d'embarras et d'effroi, c'est prcisment parce qu'ils sont ignorants du plus prcieux des Sacrements, de sa vraie nature et de son vritable rle dans l'conomie du Salut. Il existe donc une authentique notion chrtienne de Dieu. Comment y parvient-on ? Aprs tout, notre facult cratrice est, dans le domaine des ides, trs limite. Nous ne pouvons mettre en uvre que les lments fournis par notre exprience, soit sensorielle, soit mentale. Ces lments, nous pouvons les combiner, en faire une synthse qui nous fournisse une forme imaginaire. Mais, il nous est impossible de nous reprsenter effectivement une quatrime dimension, un sixime sens, une couleur absolument inconnue dans notre univers. Cependant, les idals de l'homme, bien qu'ils soient suggrs et mme postuls par son exprience, la dpassent, la transcendent infiniment. Le fini le mne, semble-t-il, au seuil de l'infini ; l'imparfait l'achemine vers le parfait. Les bornes troites de sa puissance l'inquitent au point qu'il se met rver d'une puissance illimite. Ses connaissances fragmentaires, sa science conjecturale lui font souhaiter l'existence d'un esprit, d'une intelligence en possession plnire de toute la vrit. Ses efforts les plus fconds n'arrivent pas satisfaire l'artiste ; la beaut parfaite reste inaccessible son dsir. Or, cet idal, cette infinie perfection, n'est pas au pouvoir de l'homme, parce qu'il n'en est pas le crateur. Nul d'entre nous ne se l'est faonn. Chacun sait, d'une certitude inbranlable, que cet idal, son idal, n'a pas besoin de lui pour tre. L'idal est l ; il nous prcde, il nous dpasse, il nous survit. Nous-mmes ne pouvons que tenter d'en saisir, partiellement et fugitivement, l'ternelle ralit. La substance mme de notre pense n'est pas nous ; nous n'en usons que par emprunt. Toute conqute intellectuelle n'est qu'une dcouverte : nous avanons pas pas dans un royaume o d'autres ont pntr avant nous ; peuttre ont-ils explor dj ces contres plus lointaines et plus belles, que nous ne faisons encore que pressentir et, parfois, vaguement entrevoir. Ces vues s'appliquent surtout au domaine de la morale. Un homme peut perdre la longue tout sens de la beaut ; il peut, de mme, atteindre un tel degr d'alination morale, qu'il en arrive je ne sais quelle indiffrence morbide et dprave envers le bien et le mal. Mais, pour tout homme de conscience saine et normale, l'idal moral est une ralit comportant pour lui, ds qu'il en a dcouvert la nature, une obligation qu'il ne songe pas discuter mme s'il s'y soustrait. Comme le disait jadis Mgr Darboy, il est plus difficile de

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connatre son devoir que de le faire . Car l'idal moral s'impose nous. A mesure que nous en dcouvrons les implications, plus notre conscience en approfondit la connaissance, plus imprieux nous en apparat aussi l'indiscutable appel. Il est comme une injonction vivante, en nous sans (tre) nous , comme disait Fnelon, croissant en grce et en sagesse , et se dveloppant comme tout tre vivant. Vis--vis de lui, nous nous connaissons responsables. Le ngliger, l'humilier, le renier par nos actes, devient pour nous, de plus en plus, une source de malaise. Un honnte homme se pardonnera tel solcisme, telle erreur de logique. Mais il ne se pardonnera pas d'avoir agi contre sa conscience. Et, chaque fois qu'il se sera rapproch de son idal moral, chaque fois qu'il en aura fragmentairement ralis l'image en sa propre vie, il se rendra compte, avec une vidence tellement immdiate qu'il ne pourra mme rver de la discuter, qu'il ne l'a pas cr lui-mme, cet idal, mais qu'il lui a, pour ainsi dire, fait cho par ses actes, qu'il lui a prt, pour un instant, le visage, le vivant, miroir, de sa propre personne. C'est ce que l'Ecriture Sainte appelle accomplir la vrit (Jean, 3:21). Acceptant pour nous-mmes la suprmatie de la loi morale, nous lui attribuons intuitivement un empire universel. Certes, l'observation de cette loi contribue d'une faon gnrale au bonheur du monde et de chaque homme en particulier ; mais la conscience humaine n'accepte point d'y voir tout bonnement un code individuel et social adopt par un gosme bien entendu. Ds qu'on veut universaliser la porte de cette injonction morale, toute motivation relative s'croule. Une seule base est possible : c'est que le bien est ncessairement bien4, et que l'univers existe en vue du bien, pour raliser le bien. Plus nous tentons d'atteindre la perfection par une vie qui l'objective et la corporise, plus nous nous dcouvrons loigns d'elle mesure que nous approchons ; mais plus aussi cette dcouverte, loin de nous dcourager, en ralit nous stimule et nous donne force pour nous en rapprocher davantage. Qu'on nous permette d'clairer cette question par un exemple choisi dans notre exprience personnelle. Nous connaissons un fort honnte et loyal garon, qui donnait, il y a quelques annes, dans l'antimilitarisme anarchisant le plus outrancier. Aujourd'hui, le voil patriote, et, ces derniers temps, il mettait un jugement svre sur un personnage ayant trahi, dit-il, son honneur de soldat . Cet honneur militaire, jadis ni, est donc maintenant dcouvert et honor. Mais, si demain notre homme tait rappel l'arme comme simple soldat, s'il4

Application la morale du principe (ontologique) d'identit.

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y retrouvait les monotones corves et la tyrannie mesquine de certains grads, la servitude de la vie militaire l'empcherait-elle d'en voir la grandeur ? Son idal succomberait-il plus ou moins vite au choc des ralits quotidiennes ? Ou bien, s'il y croit suffisamment pour lui offrir en sacrifice toute la kyrielle des petites injustices et dsillusions, s'il fait abngation de soi-mme au profit de son idal, ne se crera-t-il pas graduellement un univers o cet idal est roi ? Ne transformera-til pas, comme un alchimiste des mes oprant sur soi-mme, les conflits les plus sordides en occasions de service et, de victoire ? En lui offrant sa vie, sa personnalit, n'ouvre-t-il pas son idal accs dans le monde concret, dans le domaine de la vie corporise ? Et, mesure qu'il donne cet idal la vie objective et concrte, sa propre vie, n'en reoit-il pas en retour la vie suprieure, la vie incorruptible, d'une comprhension, d'une inexhaustible dcouverte qui l'ennoblissent et le font devenir ce qu'il connat ? N'est-ce pas l, derechef, ce que l'Ecriture Sainte appelle faire la vrit , l'accomplir et la raliser, en acceptant d'en devenir l'incarnation fidle, aux dpens mme des aises et satisfactions immdiates ? N'est-ce pas l ce que Jsus appelle perdre sa vie pour la retrouver au centuple , et cette vie suprme ne consiste-t-elle pas, prcisment, connaitre le Pre et Celui qui Le manifeste aux hommes (Jean, 17:3) ? Car tous les idals parcellaires y compris celui de l'honneur militaire sont des reflets partiels de l'Idal parfait, infini et vivant, de DIEU. L'exprience mme nous apprend, en effet, qu'on ne peut compartimenter les idals et qu'il n'y a pas un idal de beaut, un autre idal de bont, distinct de l'idal de puissance, qui ne serait lui-mme ni l'idal de sagesse, ni l'idal de saintet. En fait, la perfection mme et l'absolue incorruptibilit de tout idal vraiment digne de ce nom nous mettent sur la voie de l'unique Idal, en quoi toute perfection trouve sa vivante synthse. Infinit, absolue richesse, libert souveraine, impossibilit totale de la moindre imperfection, ces diverses notes se ramnent celle d'intgrale puret. Or, la puret la plus haute, la puret spirituelle, la puret consciente et dlibre, porte le nom de saintet. Il n'y a donc aucune idoltrie, aucune idoltrie non plus, contempler face face cet Idal de toutes les perfections, s'imprgner de Sa rayonnante splendeur, pour se prosterner enfin devant Lui en murmurant : Saint, Saint, Saint, le Seigneur, Dieu tout-puissant, Qui tait, Qui est et Qui sera (Apoc, 4:8).

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6. RLE DEMONSTRATIF DE LA BIBLE La Rvlation corrobore, complte et scelle le faisceau de prsomptions fourni par la nature et l'esprit humain. Si la Rvlation seule nous invitait croire en Dieu, on pourrait la rigueur rcuser son tmoignage isol. Mais, comme dit John Stuart Mill dans l'essai posthume dj cit, l'auteur du message suppos n'est pas purement imaginaire ; indpendamment du message lui-mme, il y a en effet des raisons de croire sa ralit : raisons qui... suffisent largement jeter bas la prsomption d'improbabilit qu'on opposerait l'authenticit du message . Il va sans dire qu'en citant le philosophe britannique, nous soulignons simplement les pas qu'il a faits dans la direction de la vrit chrtienne ; nul ne nous souponnera d'estimer sa position suffisante. Esprons aussi que nul ne nous reprochera de ne pas le faire parler en catholique... Disons mme qu'une forte prsomption de probabilit favorise la thse d'une Rvlation authentique, avant mme qu'on en consulte le tmoignage crit. Le Crateur, dont l'homme et la nature nous suggrent l'existence, s'Il a partout sem Ses traces, n'est-ce pas pour que Ses cratures intelligentes se mettent Sa recherche ? Or, l'Eglise, d'Abraham jusqu' nous, affirme travers quarante sicles qu'elle a reu du Crateur Sa graduelle Rvlation, accommode la progressive rceptivit des humains. Elle affirme qu'une srie prliminaire de Rvlations fragmentaires plusieurs reprises et de diverses manires (Hbreux, 1:1) l'a peu peu prpare recevoir la Rvlation dfinitive et plnire. Parmi toutes les dmonstrations qui font pencher vers la croyance en Dieu, nous en connaissons peu qui soient aussi suggestives qu'une tude de l'Histoire, dont la Bible seule nous fournit la cl. Car, si nous scrutons les vies individuelles pour en discerner le sens, si nous tudions l'exprience religieuse des Anciens dans la perspective des sicles, si nous tentons de comprendre l'orientation, le pourquoi des vicissitudes ethniques, chaque instant nous dcouvrons d'irrcusables traces d'ducation, de formation morale l'cole de l'exprience et, pour tout dire, de discipline providentielle. Au nadir mme de l'Histoire, au plus profond du bourbier, la Vie divine S'est directement manifeste aux hommes. Et, comme ils n'en croyaient plus que le tmoignage de leurs sens, c'est leurs facults sensorielles qu'Elle S'est rvle, sous forme de vie humaine. La vie et la mort de Jsus-Christ ne font aucun doute pour les hommes normaux. Mais, les consquences historiques de cette vie et de cette mort, les infrences qu'il est permis d'en tirer, font l'objet d'une lgitime discussion lgitime, pourvu qu'elle soit

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sincre et loyale : noble, comme dit l'Ecriture Sainte (Actes, 17:11). Cette discussion, plus rigoureux est l'examen qu'elle provoque, plus ferme aussi sa conclusion : savoir que la doctrine de l'Eglise touchant Jsus-Christ est raisonnable, droite, probe, sincre, vrace et seule capable de rendre compte de tous les faits. Nous ne voulons pas encore aborder ici le problme du Christ et de Sa divinit ; mais, d'ores et dj, nous pouvons dire que Sa vie et Son uvre sont inexplicables, si le Dieu dont Il dclarait provenir n'existe pas. Autrement dit, l'Histoire du Christ et de l'Eglise ajoute un nouvel lment d'vidence au puissant faisceau de prsomptions d l'observation de l'homme et de la nature. Cet ensemble d'arguments nous semble dmontrer suffisance l' existence de Dieu, avec cette vigueur de certitude morale qui appartient au domaine, non des preuves logiques, mais des lments qui contribuent former une conviction judiciaire, se faire une religion . La mentalit qui convient la scrutation de la Bible et de l'Histoire n'est pas celle du logicien, mais se rapproche de celle du jur en Cour d'Assises. 7. CONFIRMATION PAR L' EXPRIENCE Seuls, des esprits sans vritable contact avec la vie nous reprocheraient cette absence de preuves, cette carence de force contraignante, au sens logique et mathmatique. Innombrables sont, en effet, les objets de connaissance dont nous sommes certains, sans tre capables d'en administrer rigoureusement la preuve. Pouvez-vous me prouver, dirai-je l'athe mari, que votre femme ne vous trompe pas ? Dans la ngative, dois-je en conclure qu'elle vous trompe ?... Pouvons-nous prouver que Jules Csar a vcu ? que l'univers n'est pas tout simplement un rve que nous faisons ? que le mouvement est une ralit5, que nous-mmes existons ? Quand Diogne dmontrait la ralit du mouvement en marchant, lorsque Descartes formulait son Cogito, ergo sum, c'taient autant d'appels de la tyrannie logistique l'intuitif bon sens de l'humanit. Les biens les plus prcieux, ceux-l mme qui donnent un sens et une valeur la vie humaine, en sorte qu'elle s'lve au-dessus de l'pisodisme animal et de ses faits, btes et bruts, pour acqurir une porte universelle, ces5

Classique est, depuis l'Antiquit, la dmonstration logique de l'impossibilit et de l'irralit du mouvement, car l'objet reste immobile en chacun des endroits o, successivement, il se trouve.

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trsors de nos mes : l'amour, l'honneur, l'amiti, le dvouement, la gnrosit, sont-ils objets d'vidence logique ? Au contraire : ils dconcertent, ils contredisent, ils irritent cette facult pdante et bte aveugle et bte comme une machine calculer. Croit-on, ds lors, que Dieu puisse tre l'objet d'exprimentation tatillonne ou de syllogismes pdants ? A cela, deux raisons la premire, ontologique, tenant la nature mme de Dieu ; l'autre, morale. Dieu, par dfinition mme, est l'universel substrat, l'irrductible et ultime donc premire Ralit. Autrement dit, si chaque tre a besoin d'tre expliqu , c'est--dire analys, donc ramen ses lments constitutifs le problme de leur nature tant, pour les tres relatifs et contingents, identique au problme de leur origine tous les tres, par consquent, soit rels, soit possibles, trouvent en Dieu leur dfinitive explication . Vouloir, Son tour, Lui trouver une raison d'tre et une origine en L'analysant, Le dissociant et Le rduisant en des facteurs constitutifs permettant de le ramener un super-Dieu plus Dieu que Lui, est donc absurde. Au surplus, cela ne ferait que reculer l'invitable terme final de toute rductibilit. Mais, en quoi consiste prcisment la preuve logique, qui doit toujours pouvoir tre formule en forme de syllogisme ? En ce que la conclusion, incertaine au premier abord, devient certaine parce qu'elle tait incluse dans la majeure. Cette dernire est la mre, la mineure est le forceps, et la conclusion joue le rle de l'enfant. Par exemple : tous les hommes ont un corps, or Pierre est un homme, donc Pierre est en possession d'un corps. Au fond, le syllogisme sert expliciter toute la teneur, souvent ignore, de la majeure. Si l'existence de Dieu devait tre la conclusion d'un syllogisme, c'est que la majeure impliquerait un fait plus universel, encore, que cette existence ; celle-ci serait la consquence incluse dans ce fait qui, lui, en rendrait compte. Condition pralable toute dmarche de la pense pense de la pense Dieu ne peut tre analys, c'est--dire trait, donc considr, comme un lment de la pense. Et, sans analyse, comment remonter de cette pseudo-conclusion sa pseudo-majeure ? Dieu n'est pas le carr de l'hypotnuse. Ce qu'on appelle l'existence de Dieu ne peut donc faire l'objet d'une dmonstration menant bon gr mal gr n'importe qui, et quelles que soient ses dispositions d'esprit, l'aveuglante certitude de ce fait concret, qui n'est pas une ide, un terme de syllogisme, mais une prsence relle, d'ordre absolument unique ; et cela, prcisment, cause de la nature mme de Dieu, dont il semble que d'aucuns sous-estiment le caractre apophatique, ce qu'aprs plusieurs Pres grecs Von Hgel appelait the otherness of God, l alt-

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rit de Dieu. Ni Grgoire de Nysse, ni le Pseudo-Denys ne se fussent jamais permis de traiter Dieu comme un thme, comme un objet. Car il existe une manipulation intellectuelle de Yahweh. Et, d'autre part, si Son existence tait logiquement dmontrable, de telle sorte qu'elle dt apparatre au bout d'une enfilade de syllogismes aussi fatalement qu'un total au bout d'une addition, ce rsultat trop prvisible serait pour nous sans intrt. Ce qui constitue l'attrait passionnant de l'exprience chrtienne, ce qui fait d'elle un drame au vrai sens du mot cet lment d'incertitude, ces tnbres, ces ttonnements si magistralement dcrits par Pascal, bref, tout ce qui fait de la recherche et de la dcouverte de Dieu une aventure engageant, non seulement la crbralit, mais l'homme tout entier, et chaque homme, tout cela s'vanouirait si l'on pouvait dmontrer l' existence de Dieu comme un thorme. Qui donc aurait cure de vrifier ce que nul ne pourrait mettre en doute ? On se contenterait d'adhrer, intellectuellement et passivement, ce thorme religieux. A quoi bon chercher, si, d'avance, le philosophe, la tte bien remplie, l'emporte sur ces pauvres et ces petits qui n'ont d'autre richesse que la puret du cur ? Tout le climat de la foi tout ce qu'elle implique de courage, d'audace et pourtant d'humble simplicit ferait place au mcanisme implacable d'une science impersonnelle, trangre tous. L'existence de Dieu, chaque homme doit, au contraire, en conqurir personnellement, et de haute main, la conviction. C'est la grande aventure, le merveilleux roman de toute me humaine, que de marcher sur les traces de Dieu, que d'aller sa dcouverte, pour que Lui-mme nous trouve (Galates, 4:9). Tant d'autres explorateurs ont, avant nous, franchi cet ocan, pour nous revenir plein de souvenirs enthousiastes sur le Continent qu'ils ont trouv. Chacun pourtant doit, son tour, tre un autre Colomb. Chacun doit redcouvrir Celui qui nous attire et nous attend ternellement. Est-ce possible? Oui. Et le Concile du Vatican nous en donne solennellement l'assurance6.Menant leur terme les dmarches dogmatiques de Clment XI, de Grgoire XVI et de Pie IX (Denz., 1391, 1.622, 1650), le Concile du Vatican dclare anathme quiconque aura dit que Dieu unique et vrai, notre Crateur et Seigneur, ne peut, par le truchement des choses cres, tre assurment connu par la lumire rationnelle de l'humaine raison (sessio 3, can. 1, de Revel., Denz. 1806). On cite moins, du mme Concile, ce texte-ci : C'est cette rvlation que tous les hommes doivent de pouvoir, mme dans l'tat prsent du genre humain (allusion au pch originel), connatre facilement, avec une certitude ferme et sans mlange d'erreurs, celles des choses divines qui ne sont pas de soi inaccessibles la raison humaine . En 1910, le serment antimoderniste de Pie X prcise comme suit le certe cognosci6

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Mais l'intelligence pure et simple n'est pas la voie ; elle aplanit et dblaie la voie. La purification est tout aussi ncessaire. Alors, seulement, l'effort spirituel un effort toujours repris malgr mille chutes et la prire sereine et forte, au Nom du Christ, permet finalement au croyant de s'exclamer, comme Jacob aprs la lutte avec l'Ange : J'ai vu Dieu face face et mon me est sauve . Mais troite et douloureuse est souvent la voie qui mne l'illumination. C'est un itinraire que Jsus-Christ Lui-mme nous a dcrit : cette voie, c'est la vrit, la perspective droite et bien nette, la route austre qui mne Dieu. Il n'y a pas d'autre voie que la vrit, pour nous acheminer vers l'affranchissement spirituel (Jean, 8:32). Tout ce qui n'est pas Dieu n'est qu'un signe, une ralit craturelle ayant valeur de symbole (Jean. 4:8) de 1'Etre ou du nant. Ce qui n'est pas, ce qui n'existe que par emprunt, s'il prtend possder l'tre, devient mensonge et nous gare loin de Dieu. La seule voie qui ne doive pas, c'est la vrit. Non cette vrit toute formelle et morte, que les scientistes trouvent au fond de leurs prouvettes et lesposse de la formule vaticane : Dieu, principe et fin de toutes choses, peut tre assurment connu et, qui plus est, mme rendu vident par les choses cres, c'est-dire par les uvres visibles de la cration, comme la cause par l'effet. Les uvres visibles excluent les invisibilia du Credo, donc le monde anglique ; elles comprennent donc aussi bien les ralits intrieures de l'homme (voir Blondel et la mthode d'immanence, tant prne par le Cardinal Deschamps, paladin de l'infaillibilit pontificale en 1870) que ces spectacles de la nature o Elie vainement s'attendit trouver Yahweh. Dieu, dit Pie X, peut tre, non pas dcouvert (inveniri), mais indiqu , dsign, dcrit, mis en lumire (demonstrari). La forme impersonnelle et passive de la phrase nous fait voir qu'elle vise, non l'hypothse, mais la thse. Il n'y est pas question de la dcouverte automatique, par la premire crapule venue, sans grce, immanquablement, en dpit du Pch originel et de ses squelles, de Dieu, captur par quiconque jetterait l'hameon du syllogisme. Aussi l'auteur, simple autodidacte, cde-t-il volontiers sa parole a un thologien professionnel : Notons que la connaissance de Dieu, dont le Concile (du Vatican) revendique la possibilit (sans se prononcer sur les questions de fait), est une connaissance d'ordre moral et religieux, source d'obligation quant aux devoirs majeurs. Le principe objectif de cette connaissance se trouve dans les choses cres : expression o l'on ne saurait voir la recommandation d'aucun systme particulier. Le principe subjectif est la lumire naturelle (par opposition : surnaturelle) de la raison humaine, raison tant prendre ici au sens gnral de facult de connaissance, et non pas ncessairement de connaissance syllogistique [] Mais le Concile n'exclut nullement la ncessite de conditions morales, ni celle de grces intrieures, pour mener la dcouverte de Dieu. L'intrt majeur de la dfinition du Vatican est d'tablir que la connaissance de Dieu n'est pas trangre la capacit connaturelle de la raison, et que, de mme que la grce suppose la libert, la foi suppose la raison qu'elle restaure et surlve

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philosophes au bout de leurs ratiocinations. Mais la vrit venue, la vrit faite homme, la vrit ralise par nous (Jean, 3:21). C'est donc une vie que cette vrit, la seule vie qui n'ait point rompu le contact avec la Source de toute vie, la seule vritable vie. C'est pourquoi l'Homme unique et extraordinaire que saint Jean dnomme le Vritable , l'Homme qui a pleinement vcu cette vie de vrit qui est la seule voie, parce qu'Il en avait seul la plnitude et le secret, a pu dire de Lui-mme : Je suis la Voie, et la Vrit, et la Vie (Jean, 14:6). Il faut donc vivre. Mais vraiment vivre ! Car une vraie vie dhomme na rien de commun avec nos simulacres de bourgeois, soigneusement l'abri de tout enthousiasme, de toute flamme, de toute exagration . Il faut oser vivre dangereusement, courir des risques, viser haut, toujours plus, et mme, au plus profond de nos chutes, implorer Dieu pour qu'Il fasse de nous des Saints. Oh ! comme alors cette vie, que les imbciles dclarent vide et bte , devient au contraire dramatique et passionnante ! D'invisibles armes nous entourent et nous attirent (Hbreux, 12:1) ; si prcieuse est toute me que le Ciel et l'Enfer se penchent sur ses dbats. Et, peu peu, les offrandes mmes et les sacrifices que nous consentons ce que nous avons reu de lumire, le prix que l'Evangile nous presse de payer pour la possession de la Perle unique, le marchand de la Parabole cherche d'abord le joyau, puis, l'ayant trouv, vend tous ses biens, devient pauvre, et c'est alors seulement que la Perle devient sienne ! oui, c'est notre appauvrissement (Matthieu, 19:21), la perte mme de ce qu'autrefois nous nommions notre vie (Jean, 12:25), qui nous enrichit de l'adorable Prsence. Cette irrcusable exprience est offerte tout homme. La plupart la ddaignent. Ceux qui, l'ayant obtenue, ne l'ont pas refuse, ne pourraient plus douter. Or, chaque me ainsi conquise et console contribue grossir ce flot de tmoignages, toujours en marche, qui dtermine d'autres mes croire. Quiconque a pass par l est un tmoin et peut affirmer que Dieu, non seulement S'est autrefois rvl, mais est toujours accessible qui s'approche de Lui comme il plat Dieu seul. 8. DIEU EST ESPRIT Abandonnons le clair-obscur des spculations humaines pour la pleine lumire de la Rvlation divine et cherchons connatre, grce l'enseignement mme de Dieu, ce qu'Il est et comment il nous est

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permis de Le concevoir. Cette nature de Dieu, Notre-Seigneur la rsume en trois mots : DIEU EST ESPRIT (Jean, 4:24). Si l'Evangile portait : Dieu est un esprit, cette faon de s'exprimer classerait Dieu dans une catgorie d'tres les esprits dont Il ne serait qu'un spcimen. Mais, l'expression du Seigneur : Dieu est esprit ne confine pas Dieu dans une classe dtermine; elle dcrit simplement Sa nature. Dj, le Christ avait dit Nicodme : Ce qui est n de l'Esprit est esprit (Jean, 3:6). De mme, Il lit plus tard Ses disciples : C'est l'Esprit seul qui donne la vie; quant la chair, elle est strile. Et Mes paroles sont esprit et vie (Jean, 6:63). Traduisons plus exactement ce verset : L'Esprit, c'est ce qui cre la vie . Non seulement l'Esprit engendre la vie et lui donne naissance en la communiquant (Jean, 3:6, texte grec), mais Il la fait, Il la cre purement et simplement : to zopoion (Jean, 6:63). Du Christ, Second Adam , saint Paul atteste qu'Il est UN Esprit crant la vie, l'encontre du Premier Adam , qui s'est born la recevoir (1 Corinth, 15:45). Mais, l'Esprit Lui-mme, l'Esprit considr en soi, l'Esprit absolu, c'est, selon NotreSeigneur, le principe de la vie. L'Ancien Testament nous enseigne, d'ailleurs, qu'aprs avoir form l'homme de la poussire terrestre, l'ternel Dieu lui insuffla l'Esprit de vie, de sorte que l'homme devint un tre vivant (Gense, 2:7). Remarquons en passant que la Bible use du mot nephesch pour dsigner la vitalit infrieure, le principe d'animation, que l'homme partage avec les animaux. Mais, en l'occurrence, c'est le pluriel chayth qu'elle emploie, expression rserve pour caractriser le principe de vie suprieure, que Dieu possde en propre et daigne communiquer aux hommes. C'est donc l'Esprit des vies qu'il faudrait traduire : l'unique Esprit de qui proviennent toutes les manifestations de la vie. Il est difficile de dfinir la vie ; Bichat y voyait, il y a plus d'un sicle, l'ensemble des forces rsistant la mort . Ce n'est pas une lapalissade. Il suffit, en effet, de jeter un coup d'il sur la nature et sur nous-mmes pour perdre toute illusion sur la prtendue facilit de la vie. La faim, la soif, la fatigue, le sommeil et la mort ne s'attaquent pas au corps seulement. Facile descensus Averni : la descente aux enfers est facile disait Virgile il y a 2.000 ans. Cette constatation est le pain quotidien de notre exprience. Pour peu que nous nous laissions faire, nous aussi manifesterions cette dgradation de l'nergie , dont la physique moderne nous affirme l'inluctable fatalit. La loi des choses, ce qui leur est le plus naturel et le plus normal, c'est l'inertie, le repliement sur soi-mme, la stagnation. Ce repos d'inaction

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dans la mort, nous n'y chappons physiquement, durant quelques annes, que par de perptuels artifices : nourriture, vtements, soins de tout ordre. A la longue, la rsistance elle-mme nous fatigue et, malgr nous, notre organisme s'abandonne. Il nous chappe et nous trahit. Au dsert, quand souffle le simoun, les chameaux se cachent la tte dans le sable et attendent la mort. Ainsi nous-mmes, en cette rgion obscure et profonde o nos penchants et nos tendances s'laborent l'insu du Moi conscient, nous aussi nous dtendons pour le sommeil final. D'un ami dcd, Goethe disait qu'il tait mort parce qu'il n'avait plus le courage de vivre . Le courage, parce que, pour vivre, il faut lutter. Il en est de mme pour la vie intellectuelle et morale. Nos facults s'estompent et nous n'y pouvons remdier. Nos forces passionnelles, aprs avoir ralis le mal ou le bien, se dissipent et, trop souvent, nous baptisons sagesse et patience ce qui n'est qu'impuissance et rsignation. Pendant quelques annes, l'homme le plus fort s'agite et s'vertue. Certes, il extriorise son Moi par son uvre. Mais, qu'il soit artiste, philosophe, homme d'tat ou tout bonnement pre de famille, il n'a pu que transmettre une vie qu'il a lui-mme reue, vie d'ailleurs partielle et prcaire, sans aucune garantie d'indpendance et de prennit. Au fond, nous ne cherchons nous perptuer extrieurement par l'uvre d'art, l'action politique ou la procration que parce que nous sommes intuitivement certains, avertis par un irrcusable instinct, que nous ne sommes pas capables de nous perptuer nous-mmes. Nos personnes, nos institutions, nos civilisations s'effritent et redeviennent poussire. Et, pendant les quelques annes passes icibas dans l'antichambre de la mort qui donc a dit que tous les hommes sont des condamns mort en sursis ? nous ne cessons pas de mourir chaque instant. L'Eternel est la seule ralit permanente. Tout ce qui va et vient, tout ce qui passe, tout ce qui se mesure et s'value, tout ce qui nat, crot et meurt, tout ce que nous empruntons au monde extrieur titre prcaire et variable, tout cela n'a pas de ralit profonde, et, si c'est uniquement pour cela que nous vivons, nous sommes pareils ces tristes hros des lgendes mdivales, qui vendent leur me au Diable pour des pices d'or, et qui dcouvrent tt ou tard que cet or s'est transform en feuilles dessches. Nos vies mme les plus pauvres en biens matriels, et les plus dsoles, les plus frappes par la malchance seraient autrement sereines, paisibles, heureuses, si, tout en gotant des biens temporels que notre Pre cleste a crs pour que

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nous en jouissions, nous usions de ces biens tout en sachant que ce ne sont que des ombres, que des masques, des paravents phmres derrire lesquels nous attend, immobile et patiente, l'ternit vivante de Dieu. Nous autres, qui nous croyons vivants, qui nous imaginons avec une purile vanit plus rels, plus actifs que les morts, que ceux que NOUS appelons les morts et qui nous dit qu'eux, les dfunts, ne nous appellent pas, nous autres, les MORTS ? nous donc, qu'est-ce que nous cherchons travers toute notre vie ? Quel en est le suprme idal, le but stable et permanent, l'orientation profonde ? Le ple commande les mouvements de l'aiguille aimante : quel est notre ple ? Est-ce la Source ternelle, inpuisable, de la Vie, d'une Vie dont les formes et les apparences, les expressions et les fruits peuvent varier, mais qui, de plus en plus, se rapproche de Celui qui est Lui-mme la Vie vivante ? Est-ce, au contraire, ce que l'Ecriture Sainte appelle le Rien, la Bagatelle, l' image de ce monde qui passe ? De quel ct sommes-nous, nous autres ? Du ct de la Vie relle, indestructible, victorieuse, ou du ct des fantmes, des apparences, des pauvres possessions qui se dissipent dans nos mains : argent, vanit, sensualit ? De quoi nos existences terrestres sont-elles faites ? Sont-elles des tres de chair et d'os, rendant au toucher un son plein ou des imitations empailles, qui rsonnent creux ? Nous qui mourrons bientt car le temps fuit de plus en plus vite nous qui devrons tout abandonner, nous sentir un jour basculer au bord du noir abme, sommes-nous inscrits au Livre des Vivants, irons-nous, comme dit un Psaume, dans la Terre des Vivants, ou bien sommes-nous destins au grand gout des mes, la poubelle spirituelle ? Que valons-nous ? Que sommes-nous, maintenant, en cet instant mme ? Des vivants ou des morts ? Et qu'est-ce donc que la Mort ? Est-ce uniquement cette dissociation priodique des formes matrielles servant, dans le monde physique, de point d'appui physique nos mes spirituelles ? Non. Car nous mourons chaque instant. D'une mort physique et d'une mort morale. Chaque fois que les infirmits de la Chair, que les paralysantes lourdeurs et lenteurs de la Matire portent atteinte au jaillissement crateur de la Vie, chaque fois que la Vie est blesse au flanc, la Mort triomphe, frappe et svit. La peur, le doute, l'angoisse, la mfiance, l'envie, l'avarice, l'gosme, toutes dficiences qui mutilent et parfois brisent l'lan de la Vie fconde en actes, en ralisations tout ce qui paralyse notre

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rayonnement, notre expansion tout ce qui nous contracte, nous dessche et nous ptrifie : ce sont des offensives de la Mort. L'nigmatique pouse de Loth, dans l'Ancien Testament cette femme hante par son pass, ptrifie par les visions de ce pass dont elle s'emplissait le regard avec l'pouvante de ceux qui n'attendent aucun Rdempteur elle ne pouvait plus avancer, se dlivrer, marcher de pair avec les vivants : elle semblait vivre et c'tait une morte ! Et prcisment parce que la sant physique suit souvent pas pas la sant morale, nos lassitudes et nos dcrpitudes qui surviennent chaque instant dans nos existences terrestres marquent comme un sillage matriel nos priodes d'abandon, de dfaite, de lchet, de trahison : Je m'approcherai de l'Autel de Dieu , dit un Psaume, du Dieu qui sature de joie mon cur rajeuni! Vivre, c'est se crer sans cesse soi-mme moralement, avec l'aide de ce Dieu qui nous redonne chaque instant, proclame un autre Psaume, la jeunesse de l'aigle . Vivre, c'est comme un fleuve magnifique charriant la fois, dans ses alluvions, la boue et les ppites d'or avoir tellement en vue le But, le But seul ce But sacr, divin, dont Jsus dit qu'il est l'Unique Chose Ncessaire qu'on se soucie de moins en moins des choses mortes et vides, des coques dessches du pass, des hochets et des vanits, des masques et des apparences, pour se donner corps et me au devoir et la joie de faire, d'agir, de crer, de mettre sur pied des uvres profitables nos frres, de laisser derrire nos existences terrestres un tel sillage de bonnes uvres, que ceux qui les considrent en rendent grces Dieu. Vivre, c'est RENDRE GLOIRE A YAHWEH. A cette vie vcue, emprunte, participe, vie reue, comme dit saint Paul, vie toujours hypothque par l'inertie, le mme Aptre oppose la Vie qui se donne et se communique, la Vie-en-soi, ternelle et rayonnante, que, pour la distinguer essentiellement de la premire, Ruysbroeck l'Admirable appelle het levende Leven, la Vie vivante. C'est la notion la plus positive qui soit. Insistons-y : cette vie nergtique, cette vie par elle-mme doue de propulsion le perpetuum mobile des Anciens, mais qui n'est perptuellement en mouvement que parce qu'elle transcende le mouvement ce n'est pas l'ombre de vie, l'existence le mot lui-mme veut dire : provenance, emprunt ce n'est pas cette force, conditionne et limite, que nous recevons et ne sommes en tat de garder que parce qu'On ne cesse de nous l'infuser, mais, dans son originelle et souveraine plnitude, l'ocan sans rives de l'tre. Cette vie diffusive de soi, c'est ce que nous

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dnommons l'esprit, le diffuseur de vie : to pneuma esti to zopoon (Jean, 6: 63), le souffle. Littralement, le mot signifie : souffle. De mme que la parole de Dieu est la manifestation de Sa pense, ainsi, dans le symbolisme biblique, le souffle de l'Eternel est l'extriorisation de sa puissance, analogiquement conue et reprsente comme un rythme vital. Une fois de plus, la notion d'esprit associe les ides d'nergie et de vie. Par contre, tout ce qui, naturellement inerte, doit recevoir l'impulsion de l'esprit, tout ce qui ne serait pas sans l'esprit, tout ce que l'esprit arrache au nant c'est la cration ex nihilo c'est ce que nous dnommons matire. Le monde est donc, en soi, essentiellement matire, c'est--dire pure cration, passive possibilit d'tre, et n'est mme puissance (au sens aristotlicien) que parce que Dieu le conoit ternellement comme crable . Car, non seulement la ralit concrte du monde, mais mme sa possibilit, sa virtualit donc sa ralit abstraite tant un intelligible, prsuppose une Intelligence. Nous dirons donc, contre Platon, que le monde n'existe pas par soi-mme. Pour qu'il y ait des choses, c'est--dire des distinctions, il faut qu'il y ait un ordre, donc une pense pralable. La matire est donc cette chose paradoxale : du nant gratifi d'existence. Evidemment le rien n'a pas d'existence propre : il est ce qui n'est pas. Mais, ds qu'il y a quelque chose, ce quelque chose existe rellement, contrairement aux doctrines de l'Orient, mais d'une ralit constamment suspendue dans le vide, toujours en quilibre instable, puisque, n'ajoutant rien la plnitude de Dieu, il n'a rien de ncessaire. On ne peut non plus parler du nant comme d'un principe : ce qui n'est pas ne peut inaugurer aucune squence. Dieu, source de tous les possibles, en objective et manifeste quelques-uns : ce sont les mondes qu'il Lui plat de crer. Or, ces mondes craturels sont tous hypothqus par leur tare essentielle : livrs eux-mmes, ils cesseraient d'tre. Voil donc deux mouvements, si l'on peut dire, ou plutt deux tendances : l'une, naturelle l'univers cr, est lassitude, abandon de l'effort, inertie ; son aboutissement absolu, c'est le nant. Dans la mesure o les choses de ce monde s'abandonnent cette propension, elles sont matire, elles sont comme dit Jsus-Christ chair paralyse . Peu importe qu'il s'agisse d'tres inanims, d'animaux ou d'hommes : le Moi humain, pour autant qu'il est simple principe d'animation, naturel comme dit saint Paul, appartient la chair, est une forme de ce monde qui passe . Mais, par contre, dans l'exacte mesure o des tres rsistent l'inertie et s'abandonnent au principe de toute vie, ils participent l'esprit, qui est force active, jaillissement crateur, effort.

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D'o le vers goethen : Wer immer strebend sich bemht, Den knnen wir erlosen ! (Qui toujours cherche et s'vertue Est susceptible de rachat !) Cette vie nergtique saint Paul dit : nergn, c'est--dire communiquant son nergie c'est l'esprit. Telle en est notre notion concrte et positive. Par ailleurs, la formule Dieu est Esprit est susceptible aussi d'une interprtation ngative : Dieu n'est ni matire, ni chair, ni rien d'phmre ou d'analysable (c'est--dire de rductible et de dissociable). Il n'a donc aucune consistance, ft-ce en la plus subtile et plus thrique substance matrielle, comme certains Pres de l'Eglise en ont attribu aux Anges. Il n'y a, pour Dieu, ni matire grossire ni matire subtile . Tout ce qui est susceptible d'valuation quantitative, tant sujet la croissance comme la dcroissance, est contraire la simplicit de l'inchangeable ternel. Selon le Christ Luimme, il est infiniment au-del de toute forme (Jean, 5:37). Il n'occupe donc aucun lieu dans l'espace et ne peut, par consquent, avoir aucun rapport spatial avec quoi que ce soit : Il n'est ni au-dessus , ni en-dehors , ni au-dedans de nous. IL EST. L'espace luimme, dtermin par l'tendue de l'univers, par l'impntrabilit foncire des choses en tant qu'elles manifestent le principe de la quantit signe du non-Dieu n'a pas d'existence en dehors de la cration. Il est le rapport des choses entre elles, la fois antagonisme et liaison rciproques. Ce n'est donc ni Jrusalem, ni sur le Mont Garizim que les Juifs pouvaient Le trouver localement : Dieu est Esprit, et ceux qui veulent vraiment L'adorer doivent L'adorer en esprit et en vrit. C'est donc partout qu'on Le trouve, par une recherche qui n'a rien d'extensif, parce qu'elle doit tre intensive, parce qu'Il est au cur de toute chose l'tre crateur de son tre emprunt, la vie vivante de sa vie vcue, la ralit la plus intime et donc la plus secrte, la plus universelle et, par consquent, la moins connue : Le Royaume de Dieu n'est pas ici ou l ; il n'a rien qui puisse attirer l'attention. Car voici : le Royaume de Dieu est audedans de vous . Cet au-dedans doit tre, d'ailleurs, prcis... Il n'a rien de spatial, cela va de soi. Pourquoi ? Parce que, nous rvle Jsus-Christ, Dieu n'a rien de formel, de figur, rien qui permette de L'entendre ou de Le voir (Jean, 5:37). Nul ne peut

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Le connatre que par le Fils, par Son Verbe demeurant en nous (Jean, 5:38). Mais, qu'est-ce qu'une forme ? C'est une limite. Toute limite est impossible Dieu. Pas plus que nous ne pouvons, par consquent, fixer Dieu des bornes spatiales ou temporelles, pas plus ne pouvons-nous Lui fixer des limites mentales : Dieu est grand, mais Son impntrable grandeur nous chappe (Job, 26:14) Qui peut sonder l'Esprit de l'Eternel ? (Isae, 40:13). Car Mes penses ne sont pas vos penses, dit Yahweh ; autant les cieux sont levs audessus de la terre, autant Mes penses sont leves au-dessus de vos penses (Ibid., 55:8-9). C'est pourquoi l'ide que nous nous faisons de Dieu, quelque grandiose et sublime qu'elle soit, ne Le fixe pas plus qu'un lieu quelconque dans l'espace. Rien d'humain, rien de cr, ne peut, comme tel, nous rvler le Trs-Haut : Car ainsi parle le Trs-Haut, dont la demeure est ternelle : J'habite dans la saintet, et Je suis avec l'homme contrit et humili... Quelle maison pourriez-vous Me btir, quel lieu Me donneriez-vous pour demeure ? (Isae, 57:15 et 66:2). Lui-mme tant Saint, Son essence mme tant par rapport la corruptibilit de toute chose cre SAINTET, nous Le trouverons partout o nous trouverons la Saintet. Tout ce qui, dans le monde entier, est saint, ne l'est que par Sa prsence : Soyez saints, parce que Je suis Saint (Lvitique, 11:44). Nous ne prendrons donc pour Dieu aucun faux dieu, aucune idole, rien d'phmre, rien de cr, aucune image, matrielle ou mentale, car les mentales sont, elles aussi, nes de la chair comme les physiques. Dieu seul est Dieu ; les notions que nous nous faisons de Lui ne sont pas Dieu. Tout au plus, peuvent-elles nous faire songer Lui, comme les autels de pierre levs par Jacob en souvenir de l'Eternel. 9. DIEU, SOURCE D'TRE POUR SOI-MME Certes, il y a des esprits, c'est--dire des tres qui, bien que crs, sont tellement permables Sa prsence et Son action, qu'ils participent Sa saintet, donc Sa spiritualit. Ainsi, le miroir reflte fidlement celui qui s'y regarde ; ainsi le verre, entirement transparent aux rayons du soleil, participe son rayonnement et projette son tour la chaleur et la clart. Mais tout tre cr a commenc d'tre ; mme le supposer cr de toute ternit, il aurait pu ne pas tre. Il a sa source, sa raison d'tre en Dieu et dpend donc en toutes choses de Lui, alors que Dieu, sans autre origine que Lui-mme, ne dpend absolument de rien. Il est, ternellement. Son existence mieux vaudrait dire : Son tre est le fait ncessaire et primordial sur quoi

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tout repose, en dfinitive. Le mystre de l'tre dpasse d'ailleurs notre pense. Alors que, tous, nous avons commenc d'tre, nous ne pouvons pas nous reprsenter notre nant antrieur. Si, faisant abstraction de tous les attributs qui diffrencient entre elles les cratures, nous ne rflchissons qu' leur qualit unique et fondamentale d'tre, de prsence, alors qu'elles auraient pu ne pas exister, le caractre unique, inexplicable, brut , de leur prsence doit nous stupfier. Essayons, par un persistant effort, de concentration, d'ascse intellectuelle et de dpouillement conceptuel, d'anantir mentalement tous les objets de cet univers. Nous n'en garderons pas moins l'image vague et rudimentaire, mais relle de l'espace occup jadis par eux. Nous leur attribuerons une prsence invisible. Mais, abolir mentalement l'espace ? l'extrme rigueur, une gymnastique svre de l'entendement analogue au Yoga hindou nous permettrait de rsorber mme l'espace dans le Moi. Mais le Moi lui-mme ? Le Bouddhisme tend le faire disparatre nivrti, d'o nirvna par l'extinction du dsir. Mais l'extinction du dsir prsuppose le dsir de l'extinction. Poussons jusqu'au bout notre mditation du type yogu ; le Moi se rduit n'tre qu'un regard, un il mental. Pouvons-nous, son tour, le supprimer mentalement ? Non, puisque, le Moi seul subsistant dans cette hypothse, l'acte mme par lequel il tenterait de se nier serait... un acte, une manifestation d'existence ! Nous ne pouvons donc affirmer notre nant qu'en le niant. Cependant, nous avons pu nier l'univers tout entier, l'abolir mentalement. Autrement dit, son abolition concrte, puisqu'elle est concevable, est possible. Cela suffit pour que lui manque tout caractre ncessaire et absolu. Mais moimme, que suis-je pour autrui, sinon partie de cet univers contingent ? Les autres peuvent me supprimer par la pense, tout comme j'ai fait moi-mme pour eux. Une double conclusion s'ensuit. 1 l'univers tout entier, moi-mme y compris, pourrait ne pas tre ; 2 mais, comme le non-tre, le nant, n'existe pas, il est impensable ; en dernire instance, un concept ultime survit tous les autres : c'est celui de l'tre. Je me l'attribue moi-mme, vous en faites autant ; mais nous avons vu que cette attribution est tout arbitraire. Donc, l'tre est indpendant des tres. Eux, passent ; lui, demeure. Il possde donc ternellement et parfaitement les attributs que les tres n'ont qu'imparfaitement et passagrement. Alors qu'IL EST, eux, deviennent. Aussi le Prologue du IVe vangile rserve-t-il Dieu le verbe tre et aux cratures le verbe devenir. Peut-tre un symbole, une image, pourront-ils nous suggrer une comprhension plus exacte de ce rapport entre les tres et Dieu. Un

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homme souffle dans une pipe en terre et produit des bulles d'eau savonne. Ces bulles existent, elles sont distinctes de celui qui les cre, chacune d'entre elles a ses dimensions et ses couleurs caractristiques. On ne peut pas dire quelles ont seulement l'air d'exister. Leur prsence n'est pas apparente, mais relle. Cependant, la bulle n'existe qu'aussi longtemps que son crateur continue de souffler ; s'il s'arrte, elle clate et cesse d'tre : O Eternel, si Tu leur retires Ton souffle, toutes choses expirent ; mais, si Tu leur envoies Ton souffle, elles sont cres (Psaume 103:29-30). Imaginons un instant que la bulle soit consciente, sa faon. son niveau mental de bulle, peut-elle voquer sa propre mort ? Peut-elle suffisamment chapper soi-mme pour se considrer du dehors et se reprsenter comme n'existant pas ? Comme une vraie bonne bulle, prisonnire de l'espace et du temps, elle ne peut s'imaginer le monde sans elle, ni son propre anantissement. Ainsi, tout homme sait qu'il doit mourir un jour, mais n'y croit pas... Enfin, la bulle peut-elle, par elle-mme, parvenir la connaissance du souffleur ? Cette connaissance n'appartient pas l'horizon intellectuel des bulles. Tout au plus, notre bulle se rendra-t-elle compte de ceci : c'est que la force qui la maintient dans l'tre, qui la propulse, tout en lui restant immanente faute de quoi, la bulle claquerait se renouvelle mystrieusement, sans qu'elle, la bulle, y soit pour quelque chose ou y comprenne quelque chose. Elle ne peut donc connatre, par elle-mme, le souffleur, que sous le masque de sa propre impulsion vitale. Bulle, connais-toi donc toi-mme ! Supposons, maintenant, que le souffleur communique la bulle quelque chose de ses propres pouvoirs d'intellection : la bulle connatra son crateur, c'est--dire qu'elle saura nommer son impulsion cratrice. Elle l'identifiera. Mais, elle reste elle-mme bulle comme avant. Elle pourra mme se rvolter contre le souffleur, vouloir sa propre guise vivre sa vie . Suprme rbellion : elle affirmera qu'il n'y a pas de souffleur, mais une force aveugle, ternellement issue de nulle part. Elle dira mme qu'elle est elle-mme son propre souffleur (c'est le panthisme) ou qu'il n'y a pas de bulle, qu'elle-mme n'existe pas, qu'il n'y a qu'un souffleur, sans doute excentrique, qui s'imagine tre devenu bulle (c'est la thosophie orientale). Il n'empche que, bel et bien, la bulle existe, qu'elle n'est pas le souffleur, mais qu'elle n'existe que par son souffle. C'est l'histoire mme de nos rapports avec Dieu : livrs nousmmes, nous ne serions pas. Ce que nous avons d'tre, nous l'empruntons Dieu. La formule augustinienne : tota vita gratia sola, est donc rigoureusement vraie. Comme il ne peut y avoir, entre l'Etre et le

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nant, entre l'Etre et ce qui n'est pas, aucun rapport qui ne provienne de l'Etre, il va de soi que Dieu n'a cr le monde par aucune prtendue ncessit de nature . Il n'y a ni commune mesure, ni rien qui puisse donner lieu, entre Dieu et l'homme, entre Dieu et toute crature, des relations autres qu'un acte de souveraine volont chez l'Un, et de totale mendicit chez l'autre. En disant donc que Dieu seul EST, nous ne nions pas la ralit des autres existences. Nous disons simplement que les mots tre vie prsence n'ont de sens absolu que pour Lui. Les cratures existent rellement, mais leur existence est relative et contingente ; alors que Dieu est, parce qu'Il est, et pour nulle autre raison. Aucune autre volont que la Sienne ne Le pose dans l'tre ; d'ailleurs, Il n'A pas l'tre : Il EST l'tre. Il n'A pas tel ou tel attribut ; IL EST, c'est pourquoi S