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Université Lumière Lyon II École doctorale : Lettres, langues, linguistique, arts Équipe de recherche : Interaction, corpus, apprentissage, représentations La didactique plurilingue des langues : obstacles et propositions Par Annemarie DINVAUT Thèse de Doctorat en Sciences du Langage Sous la direction de Robert BOUCHARD Présentée et soutenue publiquement le 5 décembre 2008 Membres du jury : Robert BOUCHARD, Professeur des universités, Université Lyon 2 Marinette MATTHEY, Professeur des universités, Université Grenoble 3 Jean-Emmanuel LE BRAY, Professeur des universités, université Grenoble 3 Jean-Charles POCHARD, Professeur des universités, Université Lyon 2 Diana-Lee SIMON, Maître de conférences, Université Grenoble 3

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  • Universit Lumire Lyon IIcole doctorale : Lettres, langues, linguistique, arts

    quipe de recherche : Interaction, corpus, apprentissage, reprsentations

    La didactique plurilingue des langues :obstacles et propositions

    Par Annemarie DINVAUTThse de Doctorat en Sciences du Langage

    Sous la direction de Robert BOUCHARDPrsente et soutenue publiquement le 5 dcembre 2008

    Membres du jury : Robert BOUCHARD, Professeur des universits, Universit Lyon 2 MarinetteMATTHEY, Professeur des universits, Universit Grenoble 3 Jean-Emmanuel LE BRAY, Professeurdes universits, universit Grenoble 3 Jean-Charles POCHARD, Professeur des universits,Universit Lyon 2 Diana-Lee SIMON, Matre de confrences, Universit Grenoble 3

  • Table des matiresContrat de diffusion . . 6Ddicace . . 7[Epigraphe] . . 8Introduction . . 9

    Dmarche . . 10Mthodologie et corpus . . 11

    Premire partie : savoirs savants et savoirs sociaux . . 21Introduction . . 21Chapitre I. Les savoirs savants sur le bilinguisme et lapprentissage des langues . . 22

    1. Echapper la confusion des langues . . 222. Un autre regard sur le locuteur bilingue et lapprenant . . 263. Du contexte au parcours . . 354. De la langue au locuteur . . 39

    Chapitre II. Les savoirs sur le culturel . . 401. Le souci de lisibilit . . 422. Lobservation des interactions et des contextes . . 433. Parcours rflexifs et trajectoires culturelles . . 474. Vers une didactique de linterculturel . . 49

    Chapitre III. Lobservation des migrations . . 531. Limmigration vue comme un processus dassimilation . . 532. Lhomme pluriel . . 593. Le parcours dtermin par limmigrant . . 62

    Chapitre IV. Les savoirs sociaux des lves . . 711. Les comptences plurilingues dans la culture orale enfantine . . 722. A lcole maternelle, une typologie doraux dans plusieurs langues . . 793. A lcole primaire, une coute rflchie des langues . . 89

    Deuxime partie. Quelques obstacles la transposition didactique des savoirs savants etdes savoirs sociaux des lves . . 101

    Introduction . . 101Chapitre I. Les messages institutionnels . . 103

    Diffrents discours des institutions europennes . . 1032. Les langues lcole et dans les textes ministriels . . 121

    Chapitre II. Les langues dans les manuels dHistoire . . 1341. Quelques reprages quantitatifs . . 1352. Quelques conceptions propos des langues . . 1363. Quelles valeurs et quelles fonctions pour quelles langues ? . . 1404. Rendre compte des ralits linguistiques, quels enjeux ? . . 144

    Chapitre III. Les outils pour les langues . . 1501. Les manuels de lyce . . 1502. Les manuels de langue lcole . . 156

    Troisime partie. Du savoir enseigner au savoir enseign . . 177

  • Introduction . . 177Chapitre I. Les mmoires professionnels . . 178

    1. Les cultures de lcole et des familles . . 1792. Les langues de la classe . . 1853. Lmergence dune mthodologie de linterculturel . . 187

    Chapitre II. Les rpertoires de chants et comptines en maternelle . . 1891. Les rpertoires . . 1912. Les sources . . 1923. Les conceptions exprimes . . 1944. Les enjeux dun rpertoire plurilingue . . 196

    Chapitre III. La premire sance de langue . . 1961. Les rpertoires plurilingues des lves . . 1982. Une didactique plurilingue ? . . 2013. Une amorce plus quune dmarche systmatique . . 203

    Quatrieme partie. Perspectives et propositions . . 206Introduction . . 206Chapitre I. Vers une didactique du continuum et de la pluralit ? . . 208

    1. Lgitimer . . 2082. Dsyncrtiser . . 2093. Distancier pour rendre visible et relier dautres savoirs . . 2104. Rduire lcart entre le savoir savant et le savoir enseign . . 2115. Programmer les apprentissages . . 2136. Programmer lvaluation . . 215

    Chapitre II. Perspectives pour la formation des enseignants . . 2161. Nouvelles identits des enseignants et nouveaux contextesdenseignement . . 2162. Le contexte spcifique de la formation lenseignement de langue lcole . . 2183. Lexploration des territoires didactiques, un objectif de formation . . 220

    Chapitre III. Des propositions de formation . . 2231. Conditions pralables . . 2232. La mise en uvre . . 225

    Conclusion . . 237Bibliographie . . 241Sitographie . . 254Conventions de transcription . . 256Annexes la deuxime partie . . 257

    Chapitre I, extraits du rapport Eurobaromtre, 2001 . . 257Chapitre II, manuels dhistoire . . 257Chapitre II, dcompte des cartes dans les manuels dHistoire . . 258Chapitre III, manuels de langue de lyce . . 259

    Pour langlais, Terminale . . 259Pour langlais, Premire . . 259

  • Pour langlais, Seconde . . 259Chapitre III, premier groupe de manuels de langues du primaire . . 260

    Pour lallemand, cycle 2 . . 260Pour lallemand, cycle 3 . . 260Pour lallemand, classe de sixime . . 261Pour langlais, cycle 2 . . 261Pour langlais, cycle 3 . . 262Pour langlais, sixime . . 263Pour lespagnol, cycle 3 . . 263Pour lespagnol, quatrime LV2 . . 263Pour lespagnol, adolescents et jeunes adultes . . 264Pour litalien, cycle 3 . . 264

    Chapitre III, second groupe de manuels de langues du primaire . . 264Pour lallemand . . 264Pour langlais . . 264Pour lespagnol . . 265Pour litalien . . 265

    Annexes la troisime partie . . 266Chapitre I, mmoires analyss . . 266Chapitre III, questionnaire aux enseignants et tableau rcapitulatif . . 267

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  • Ddicace

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    DdicaceA Yoko et Jan. A G., dont la mre tait cuisinire pour les mines, et qui sa premire rentrescolaire ne parlait que le cvenol familial et le polonais des mineurs. A J. et son amie italienne,qui conversaient en montbrisonnais et en frioulan, chacune comprenant la langue de lautre. A N.,enseignante franaise : enfant Alger, elle dcouvrit lors de son premier jour de classe quellenavait pas le droit de parler en arabe ses frres, mme pendant la rcration. A toutes cespersonnes plurilingues mobiles ou sdentaires, longtemps inaudibles ; pour que nous acceptionsdcouter ce quelles savent.

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    [Epigraphe] Le peu qu'on peut faire, le trs peu qu'on peut faire, il faut le faire, pour l'honneur, mais sansillusion. Thodore Monod

  • Introduction

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    Introduction

    Dans le contexte de lUnion europenne et dune immigration diversifie, lenseignant duprimaire enseigne la langue et la culture franaise et duque la citoyennet europenne.Depuis 1989, il enseigne galement une langue et culture trangre, et les objectifs decet enseignement ne se limitent pas au dveloppement de comptences linguistiques etculturelles dans une langue donne : les enseignants sont invits voir lenseignement deslangues comme un terrain pour lducation plurilingue et interculturelle :

    La formation en langues est une occasion privilgie de travailler sur la relation la diffrence () La tolrance est galement une valeur promouvoir, en tantquacceptation de la diffrence, dans le cadre dune rflexion mene sur lesrpertoires plurilingues. Il faut amener les tudiants prendre conscience de ladiversit de leur propre rpertoire afin quils puissent par la suite reconnatre etaccepter la diversit du rpertoire des autres. (Beacco, 2003 : 191-192)

    Cette thse sintresse ce nouvel enseignement des langues lcole primaire.Nous articulons notre tude autour dun constat et de deux hypothses. Le constat estempirique : ds 1989, premire anne de lenseignement de langues sur lensemble descoles primaires en France, nous avons t enseignante et formatrice denseignants pourcette jeune didactique des langues lcole. Nous avons constat, dans nos visites declasse et dans les temps de formation, un cart entre dune part les discours des didacticiensportant sur les apprentissages linguistiques et le plurilinguisme, et dautre part les pratiquesde classe et les discours des enseignants. Ce constat nous a amene formuler deuxhypothses. La premire est celle de limpact qua sur cet cart lenvironnement desenseignants. La seconde concerne les moyens mettre en uvre en formation pour lerduire.

    Bien que notre travail ait t impuls par l'enseignement des langues trangres l'cole, les formations que nous concevons s'adressent galement ceux qui enseignentune langue trangre comme ceux qui accueillent des enfants de migrants. Le nombred'enseignants de primaire spcialiss dans l'accueil de migrants diminue ; l'instituteur oule professeur d'cole gnraliste enseigne la fois le franais langue matire, le franaislangue seconde (aux enfants nouvellement arrivs) et la langue trangre. Eddy Roulet(2000 : 34 41) a dvelopp l'ide d'une didactique intgre de la langue maternelle etde la langue seconde et a retrac le parcours de cette option depuis Lancelot et Bally auXVIIme sicle jusqu' Hawkins et Adamczewski dans les annes 1960-1970. Ce qu'il crit propos de la didactique intgre du franais langue maternelle et langue seconde peuts'tendre la didactique de la langue trangre :

    Il est temps d'exploiter les proprits communes des langues et des discourset de reconnatre l'apport de certaines formes de rflexions mtalinguistiqueset mta discursive pour dvelopper une didactique intgre des languesmaternelles et secondes. C'est devenu une tche encore plus pressante avec ledveloppement dans tous nos pays des classes dites pluriethniques (2000 : 36).

    La formation la didactique des langues telle que nous la pratiquons tente d'ores et djdtre une formation une didactique intgre, et de rpondre aux besoins des enseignants

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    gnralistes, et la transposition (Chevallard, 1985) laquelle nous nous intressonspour ce travail est celle des savoirs sur les apprentissages langagiers sans cloisonnemententre langue maternelle, seconde et trangre.

    Nous nous fonderons en effet pour ce travail sur la dfinition que donne Yves Chevallard(1985) de la transposition didactique comme processus de transformation du savoir savantau savoir enseign ; ou plus prcisment comme le travail pour construire un objetdenseignement, un savoir enseigner partir des savoirs savants et des propositions tellesque celles faites par Bacco ou Roulet et voques dans les pages prcdentes. Cellesqui traitent des rpertoires plurilingues et pluriculturels appartiennent principalement lasociolinguistique implique en didactique des langues ainsi qu deux autres domaines deconnaissances : les tudes (inter)culturelles et celles portant sur les migrations. Mais, outrela transposition des savoirs savants, nous voulons prendre en considration galement dessavoirs sociaux, et en particulier ceux vcus par les lves eux-mmes (ou du moins parcertains dentre eux) quant ces questions de plurilinguisme et dinterculturalit. Dune part,en effet, les langues et les cultures des lves sont des objets non scolaires invitablementprsents dans la classe ; dautre part, la prise en compte des ressources linguistiqueset culturelles de lapprenant est lune des propositions marquantes des savoirs savantsdidactiques sur lesquels nous nous fondons. Il sagit donc dune double transpositiondidactique, qui soppose laction enseignante la plus frquente qui consiste chercher faire renoncer lapprenant ses savoirs sociaux pour les remplacer par des concepts issusdes savoirs savants. Lexemple le plus communment cit pour illustrer ce changement dereprsentation est celui de la course du soleil : le savoir social selon lequel il se lve lest et se couche louest na pas droit de cit lcole et doit tre remplac par celui dela terre qui tourne autour du soleil. Gnralement, cependant l ancien savoir social,bien que faux , perdure et coexiste avec le savoir enseign : il se montre dailleurs bienutile dans la vie quotidienne quand il sagit de sorienter par exemple. Or en didactique deslangues, contrairement la didactique de lastronomie, le but de lenseignement est surtoutde permettre aux lves de se dbrouiller quotidiennement grce aux langues apprises plusque de les rendre capables danalyser grammaticalement des noncs. Ni ltanchit entresavoirs savants et savoirs sociaux ni la supriorit des premiers sur les seconds ne sontdes lments de la didactique plurilingue.

    Une autre caractristique de la transposition didactique laquelle nous voulonscontribuer par ce travail tient ses objectifs : nous nenvisageons pas que soit constitue partir des savoirs sur les rpertoires plurilingues et pluriculturels une nouvelle disciplinescolaire qui serait le plurilinguisme . Il sagit plutt de construire une didactique plurilinguequi soit applicable chaque langue enseigne et qui participe une ducation plurilingue, la fois en puisant dans les savoirs savants et dans les savoirs sociaux des lves desressources et des outils au service de lenseignement des langues, et en permettant llve de dvelopper les comptences ncessaires aux apprentissages linguistiques etinterculturels tout au long de sa vie.

    Telle est donc notre question de recherche : quels sont les obstacles que rencontredans l cole franaise un tel projet de didactique intgre, dj vieux de presque trente ans(Eddy Roulet : 1980) et comment peut-on contribuer les surmonter ?

    Dmarche

  • Introduction

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    En continuant suivre une libre interprtation de lhypothse de Chevallard sur latransposition didactique, nous oprerons donc en quatre tapes :

    Tout dabord nous tudierons les savoirs transposer en abordant tour tour les savoirssavants sur le plurilinguisme et les savoirs sociaux correspondants, vcus par les lves.

    Dans une seconde tape nous nous pencherons sur les obstacles que semblerencontrer cette transposition et qui fait que perdurent en classes de langue des pratiquescorrespondant plus une juxtaposition de monolinguismes. Nous tudierons dune partlambigut des textes issus de la noosphre (institutions europennes, textes ministrielssur lenseignement des langues dans le primaire) mais aussi dautres textes scolaires, enparticulier des manuels de langues et dhistoire.

    Dans une troisime tape nous examinerons comment ces savoirs enseigner sontpris en charge par les enseignants eux-mmes. Nous utiliserons trois observables, dunepart les mmoires professionnels des jeunes enseignants en formation, dautre part lesrpertoires de chants et de comptines denseignants dj confirms, enfin les conceptionsdune premire sance de langue dvelopps par des enseignants occupant par ailleursdes fonctions de formateurs. Dans une dernire tape nous tenterons notre tour defaire quelques propositions didactiques afin de faciliter le dveloppement de la didactiqueplurilingue des langues.

    Mthodologie et corpusCette tude centre sur les pratiques enseignantes pour les langues lcole primairene dissocie pas les langues et les cultures des lves, ni lenseignement dune languetrangre et celui du franais langue de scolarisation pour les enfants de migrants, etcest ce qui nous amne tudier les savoirs sur le plurilinguisme et lapprentissagedes langues, sur le culturel et linterculturel, et sur lhistoire de limmigration. Convoquerplusieurs disciplines sest prsent aussi comme une ncessit pour tenter de rpondre notre questionnement : pourquoi lenseignant est-il souvent riv des pratiquesmonolingues dans un environnement plurilingue et alors que linstitution lui recommande deprendre en compte les savoirs sur ces ralits plurilingues ?

    Nous avons conduit notre rflexion partir de lobservation des situationsdenseignement de langue et de formation denseignants. Nous observons moins des faitsde langue ou des processus dapprentissage que nous ne mettons en lumire les relationsentre diffrentes composantes institutionnelles, culturelles et linguistiques de lespaceducatif, ce qui situe ce travail dans le champ de la sociolinguistique implique en didactiquedes langues. Nous avons choisi une dmarche qualitative et plusieurs sources de donnescomplmentaires : des textes institutionnels europens et nationaux, des manuels, desentretiens et des questionnaires auprs denseignants pour analyser la noosphre entresavoir savant et savoir enseign, des situations de classe et des productions denfantspour observer les rpertoires plurilingues et pluriculturels des lves. Notre corpus at constitu sur une priode assez longue, puisque nous avons effectu nos premiersrecueils de productions enfantines en 1999 et analys des supports publis en 2008. Sonanalyse apporte des lments de rponses notre premire hypothse sur limpact delenvironnement professionnel des enseignants et nous amne formuler une secondehypothse sur le bien-fond dun appui sur les ressources locales, que nous tentonsde vrifier par des situations de formation. Cette prsentation de notre mthodologie,

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    cependant, ne suffit pas rendre compte du cheminement de notre travail : les tapesnen sont pas successives, mais imbriques lune dans lautre. Chaque lment suscite denouvelles questions propos dun autre domaine : par exemple, ltude des manuels amne rexaminer les instructions officielles. Les entretiens avec des enseignants entranentde nouvelles orientations dans les formations. Etudes thoriques, analyses du corpus etpratiques de formation se sont nourries les unes des autres. Les diffrentes parties denotre corpus sont galement considres les unes en regard des autres, quil sagisse descrations enfantines, des rpertoires traditionnels et de ceux utiliss par les enseignants,des manuels dhistoire de lyce et des discours des enseignants sur les langues des enfantsde migrants, des premires units des manuels et de la premire sance de langue desenseignants.

    Notre premire hypothse, limpact de lenvironnement des enseignants sur latransposition didactique des savoirs, justifie un corpus large et diversifi. Cest la gense denotre travail qui nous a dabord amene recueillir les productions denfants, et en particulierleurs productions spontanes hors cadre scolaire. Constatant de manire empirique uncart entre les thmatiques abordes par les manuels de langue de primaire et cellesdes conversations quotidiennes des enfants de notre entourage, nous avions dans unpremier temps envisag une tude sur cette seule question. Llargissement de notre champde recherche nous a amen considrer ces productions denfants comme lune desmanifestations de leurs potentialits mta langagires. Nous les avons enregistres au fil duquotidien, dans des contextes familiaux ou dans des cours dcoles, et les avons analysesen les confrontant au rpertoire traditionnel de la culture enfantine, largement utilis dansles coles maternelles.

    Pour analyser les potentialits des lves, nous avons galement mis en place etenregistr plusieurs sances dans des classes de maternelle et de primaire. Ce sontles transcriptions des enregistrements en classe qui constituent notre corpus. A lcolematernelle, il sagit dactivits dveil aux langues, qui permettent aux lves de verbaliserleur rflexion et lobservateur de lanalyser :

    lactivit mtalinguistique des apprenants (qui) comporte une face merge(verbalise, observable) et une face interne (la rflexion, les processusconscients et inconscients) (Porquier, 1996 : 9)

    Notre questionnement propos des enfants en maternelle est double : quelles sont leurscomptences et connaissances plurilingues ? Les reprer et les solliciter peut-il contribueraux apprentissages ? Nous avons construit notre protocole partir dun double constatfait dans les classes de langue, en cole maternelle ou primaire : les supports de languesutilisent le plus souvent une illustration visuelle, des documents vido, mais aussi, pluslargement, des realia, des cartclairs 1, des illustrations dalbums, ainsi que la gestuelleexplicative et le mime. Ce trs large recours aux supports visuels peut paratre paradoxalsi lon considre que lobjectif premier et prioritaire est le dveloppement de lcoute etde la comprhension. Par ailleurs, lutilisation de supports audio-visuels est frquemmentsouponne de dclencher une attitude passive de la part des enfants. Ces constats nousont amene choisir des outils de mdiation qui privilgient lapproche auditive et desactivits centres sur lcoute active. Nous avons utilis des supports audio-visuels, maisnous avons dissoci les canaux sonores et visuels afin de crer un enjeu en demandantaux enfants de formuler des hypothses, valides ou infirmes par le visionnement dusupport. Nous avions galement la proccupation de miser sur une conomie dnergiepour les enseignants de maternelle comme du primaire : ils sont en effet sollicits pour

    1 Communment appeles flash-cards.

  • Introduction

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    enseigner les langues lcole, pour construire des projets, pour utiliser de nouveauxoutils. Dans ce contexte, il est prcieux dexplorer des dispositifs de classe qui prennentappui sur des gestes professionnels dj bien matriss dans dautres contextes : do lechoix de transfrer aux documents audio-visuels la typologie de textes crits, qui est undispositif pdagogique bien rd par de nombreux enseignants pour la matrise du franaislangue de scolarisation et langue-matire. Lidentification par les enfants de types dorauxtlvisuels dans diffrentes langues convoque des stratgies similaires au tri de textes :se concentrer sur les lments co-textuels et sur les fonctions du document. Outre ceslments, il sagira pour les enfants de formuler les indices qui leur permettent didentifierles langues entendues.

    En amont de cette typologie de documents tlvisuels, les enfants ont manipul desphotos de situations de communication et se sont exprims leur sujet. Les supportsutiliss ont t, pour cette premire tape, 72 photographies montrant des situations decommunication courante, dans des contextes familiers, et mettant en scne une varitdges, de types physiques, de milieux sociaux : une femme hsite dans un magasin entreplusieurs paires de chaussures, des enfants jouent dans une caravane, une famille prendle petit-djeuner, etc. Pour la seconde phase de lexprimentation, nous avons interrog lesenfants en grand groupe sur les missions quils regardent le plus souvent, et nous avonsconstruit un montage dextraits de ces missions (seul manque un extrait de documentaire)dans diffrentes langues. Chaque document tlvisuel tait de trois minutes au maximum :en allemand, un extrait de journal tlvis ; en anglais, un extrait de journal tlvis incluantun extrait de match de football ; en arabe, un jeu tlvis (il sagissait de deviner deschansons de varits), un dessin anim par ailleurs diffus par des chanes franaises,des marionnettes, une mission de cuisine (comprenant lusage par la prsentatrice demots franais : petits fours , montage , mousse au chocolat , gnoise , ) ;en espagnol, le discours dinvestiture de M. Zapatero au parlement espagnol, un extraitdactualits ; en franais, un match de football enregistr lors dun direct, une situation enclasse, un bulletin mto ; en italien, des publicits ; en portugais, un extrait de journaltlvis ; en russe, une scne familiale extraite de Derzou Ouzala, le film de Kurozawa.

    Le corpus pour lcole primaire nest pas recueilli dans le cadre dune situationexprimentale mais d'une situation de lenseignement ordinaire dune langue trangre lcole. Nous sommes intervenue soit de manire ponctuelle, en introduction delenseignement danglais ou ditalien assur ensuite par lenseignant de la classe, soit pourenseigner langlais deux fois par semaine dans une classe. Nous avons trs peu modifi lesconditions de travail habituelles des lves, et avons mis en place une activit de recueildes reprsentations et des capacits mta langagires des lves. Cette activit peut tremise en place avec peu de moyens par lenseignant, et permet autant de faire merger lesreprsentations et les ressources linguistiques des lves que de dvelopper leur rflexionsur les langues, grce au dbat qui sinstaure :

    Dans la classe, et cest encore plus vrai pour loral que pour lcrit, cest sur ledialogue et travers le dialogue que se dveloppe la rflexion mtalinguistique(). Cest aussi par le dialogue, dans une construction plusieurs, que cesjugements, ces commentaires peuvent saffiner, se confronter, prendre une formeplus objective. (Nonnon, 2004 : 325-326)

    La premire phase de lactivit est un dbat sur la question Quelle(s) langue(s)connaissez-vous ? ; il permet de convoquer des connaissances et de lister des langueset impulse un court dbat sur les langues communes lEurope et au continent amricain ;il dclenche peu lvocation dexpriences personnelles ou la rflexion mtalinguistique, et

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    nous ne le relatons pas ici. La seconde phase consiste faire couter au groupe classeun montage audio de diffrentes langues (allemand, anglais, arabe, boulonnais, crole,espagnol, italien, polonais, sonink, yiddish). Dans cette situation courante dveil auxlangues, les lves essayent didentifier les langues et justifient leurs hypothses. Lesenregistrements analyss ont t faits en dbut danne scolaire, juste avant le dbut delenseignement dune langue, de 2000 2003, avec sept groupes-classes diffrents. Lesclasses sont en Centre Ville, quatre dans un quartier dit favoris, trois en REP, RseaudEducation Prioritaire.

    Le corpus de notre deuxime partie est constitu de plusieurs passages obligs entreles savoirs et la classe : les textes institutionnels et les manuels. Nous avons analys lestextes des institutions europennes et nationales. Pour les premires, nous avons confrontles grandes orientations et les principales recommandations de lUnion europenne et duConseil de lEurope en matire de politique linguistique et culturelle deux outils. PourlUnion, les Eurobaromtres, et pour le Conseil de lEurope, le Cadre Europen Commun deRfrence pour les Langues. Gerhard Bach a analys lEurobaromtre 2001 en confrontantses rsultats aux objectifs de plurilinguisme du Cadre Europen Commun de Rfrencespour les Langues et du Livre Blanc. Ceci lamne dplorer que la ralit ne soit pas la hauteur des ambitions affiches. Nous avons adopt un point de vue diffrent, et nousnous sommes moins attache aux rsultats de lEurobaromtre qu la conception mme delenqute : ce sondage est-il en cohrence avec les objectifs de lUnion europenne ? Sesquestions permettent-elles de rendre compte de lexistence et des modalits des pratiquesplurilingues dans lespace europen ? Nous avons confront les orientations du LivreBlanc et du Cadre Commun de Rfrence pour les Langues aux enqutes conduites pourlEurobaromtre 54 de 2001 et celui de 2005 (63.4) sur les pratiques linguistiques, et celuipubli en septembre 2007 (278), rsultat dune enqute conduite en fvrier et mars 2007 surles comportements et valeurs culturelles. Nous avons analys la formulation des questions,la prsence ou labsence de certaines donnes, la terminologie employe pour dsigner lespratiques linguistiques et culturelles, autant dlments qui constituent un angle de vue quinest pas ncessairement celui des grandes orientations des institutions europennes.

    En ce qui concerne les textes ministriels franais, nous avons consult les titreset les mots-cls des textes parus au Bulletin Officiel partir de 1973, quil sagisse desprogrammes, de leur mise en place, des modalits dorganisation, des horaires, de laformation et/ou du recrutement des enseignants de langue au primaire et nous avonsexplor le texte entier des programmes de langues de 2002, 2007 et 2008 ; nous y avonsrecherch les occurrences des mots suivants : bilinguisme, franais langue trangre,franais langue de scolarisation, langue et culture dorigine, langue trangre, languergionale, langue vivante, plurilinguisme, ainsi que les termes dcrivant les objectifsassigns cette nouvelle discipline, ceux utiliss pour dsigner les lves en situationplurilingue, et les vocations de comptences plurilingues et des langues familiales.

    Les manuels dhistoire de lyce sont des donnes qui peuvent a priori tre considrescomme loignes de notre problmatique. Nous les avons analyss pour explorer quelquesfacteurs qui ont pu peser sur limage que les enseignants se font la fois de llve, delidentit linguistique du citoyen en devenir, et de leur propre mission. Nous avons tudi etcompar dix-neuf manuels dHistoire2, et nous y avons recherch les mentions des languesnationales, minoritaires ou rgionales, des politiques linguistiques, des vnements lis auxcultures et aux usages linguistiques, afin dapporter un clairage sur ce qui peut former

    2 Afin dallger la lecture, les rfrences aux manuels sont indiques par une lettre et un chiffre dans le corps du texte, sereporter la liste en annexe.

  • Introduction

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    le regard dun enseignant sur un citoyen parlant, lore du XXIe sicle. Les manuelsque nous avons tudis sont publis entre 1997 et 2003 ; situons-les par rapport lacarrire dun professeur des coles en exercice : celui-ci aura pu tudier lun des manuelsdHistoire de Premire publi en 1997, de Terminale publi en 1998. Peut-tre aura-t-il,en cours lmentaire ou en cours moyen, suivi un des manuels dits ou rdits en1985 et analyss par Suzanne Citron (1987 : 14), dont nous voquerons ltude. Analyserplusieurs ouvrages dun mme directeur de collection rpond en partie la question desavoir si le traitement des donnes linguistiques est le fait de la priode historique ou duniveau de classe. Le programme de Seconde couvre la priode de lAntiquit au milieudu XIXe, celui de Premire le monde contemporain du milieu du XIXe 1945, et celuide Terminale le monde de 1939 nos jours. Lorsque Alain Choppin analyse dans uneperspective en uvre de mthodes dapprentissage, rfrentielle, puisque les manuelstraduisent le programme et historique ldition scolaire franaise (2005 : 39-53), il attribueaux manuels quatre fonctions : instrumentale, par la mise prsentent les contenus ducatifs,documentaire par la prsentation de documents textuels et iconiques, et idologique etculturelle :

    Cest la fonction la plus ancienne. Depuis le XIXe sicle, avec la constitutiondes Etats-nations et le dveloppement, dans ce cadre, des principaux systmesducatifs, le manuel sest affirm comme lun des vecteurs essentiels de lalangue, de la culture et des valeurs des classes dirigeantes. Instrument privilgide la construction identitaire, il est gnralement ressenti, linstar de lamonnaie ou du drapeau, comme un symbole de la souverainet nationale. (2005 :40).

    Notre analyse des manuels dhistoire sattache moins la fonction instrumentale quauxtrois autres mentionnes. Dans un premier temps, nous avons recherch des indicateurs enterme quantitatif de limportance accorde aux phnomnes linguistiques dans les notionset faits historiques abords, dans la cartographie, les index et les mots-cls, dans lesdocuments et textes littraires insrs. Dans un second temps, nous avons analys lesconceptions mises en vidence dans les contenus, le choix des formulations et les analyseshistoriques.

    Pour avoir une image plus complte de ce qui a pu contribuer aux reprsentations dufutur enseignant, nous ne pouvions analyser la vision des pratiques linguistiques vhiculepar les manuels dhistoire de lyce sans le faire galement avec les manuels de languespour la mme priode : nous avons donc tudi six publications parues entre 1996 et2003. Par ailleurs, et afin de mieux comprendre limpact du CECRL sur plusieurs tapesde la scolarit, nous avons tudi sept publications postrieures lintroduction du CECRLdans les programmes. Ces treize publications (manuels, accompagns ou non de livretsde complment, cahiers dactivits, CD audio) concernent langlais, pour les classes deseconde, premire et terminale. Nous avons recherch quelles taient les conceptionsprsentes sur les langues et cultures cibles, via les illustrations et les textes choisis, surles stratgies plurilingues, via les activits et mthodologies proposes.

    Dans lenvironnement immdiat de la pratique enseignante pour les langues, nousavons tudi les manuels du primaire3. Nous avons dans un premier temps analys lecontrat didactique propos par les auteurs aux enseignants et aux lves, tel quil apparatdans la premire Unit du livre de llve et du livre dactivits, dans les principes et les

    3 Uniquement les livres. Nous navons pas analys les mallettes pdagogiques.

  • La didactique plurilingue des langues : obstacles et propositions

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    approches mthodologiques dveloppes dans les introductions lusage de lenseignantou dans le livre du matre, pour 76 manuels de langues (allemand, anglais, espagnol, italienet portugais)4 publis entre 1989 et 2003 pour les cycles 2 et 3 de lcole lmentaire, pourla sixime et pour la quatrime seconde langue du collge. Parmi ces manuels, nous avonscart ceux qui peuvent tre considrs comme des outils de complment (par exempleles mthodes construites partir de lexploitation dun conte traditionnel). Nos questions propos de lentre en matire de ces manuels portent essentiellement sur les rfrencesfaites la langue de scolarisation, aux langues des apprenants, sur le traitement qui en estfait et sur les prconisations aux enseignants en matire de prise en compte des acquisantrieurs des lves.

    Dans un second temps, nous avons analys dix manuels parus aprs lintroductionde la rfrence au Cadre Europen Commun de Rfrence pour les Langues dans lesprogrammes : il sagit de deux manuels dallemand langue vivante 2 pour le collge, et dehuit manuels pour le primaire, dont cinq pour langlais, deux pour lespagnol, un pour litalien.Nous avons considr comme un seul outil le manuel et les supports priphriques (livretsdactivit, guide pour lenseignant, ainsi que les publications dune mme collection pourplusieurs niveaux). Nous avons cherch dans quelle mesure cette modification dans lesprogrammes avait impuls de nouveaux choix de la part des auteurs, en particulier en cequi concerne la prise en compte des parcours langagiers des apprenants, la prsentationde la langue cible en termes de varits de langue (les accents, les lexiques diffrents),de zones de diffusion, mais aussi de pratiques plurilingues dans les pays concerns ; nousavons galement tudi si taient abords le dveloppement de stratgies plurilingues,la capacit sauto-valuer et reprer les comptences et stratgies transversales plusieurs langues, la reconnaissance des diversits linguistiques et culturelles. Nosindicateurs sont les illustrations, les prnoms des personnages de la narration qui estutilise par la plupart des mthodes, les situations de communication mises en scne, lesthmatiques abordes, les personnes clbres prsentes comme reprsentatives de laculture cible (artistes, crivains, cinastes, acteurs, sportifs, crateurs de mode). Nousnavons pas fait le comptage des dessins pour plusieurs raisons : frquemment, une plancheest reprise dans les pages suivantes sous forme de mdaillons, et le comptage savreraitpeu informatif sur ce qui nous proccupe ; de nombreux croquis de personnages ont unrle de signaltique attrayante et non dinformation sur la culture : cest le cas par exemplede lourson qui explique le rle des prpositions dans Wie gehts ? (2005 : 163) ; dautresdessins reprsentent les hros choisis par les auteurs et leur rptition illustre lanarration et ne constitue pas une information donne par les auteurs sur la culture du paysconcern ; de mme, en ce qui concerne les photos, nous navons pas fait le comptagedes hros du manuel, lorsque des comdiens sont photographis dans des scnesdu quotidien. Nous navons pas non plus fait le comptage de photos pour lesquelles il estdifficile davoir une vision prcise : foules vues de loin, personnes masques, de dos,

    Lanalyse du parcours quempruntent les savoirs pour tre transposs dans la classene suffit pas rendre compte de la rception de ces savoirs par lenseignant. Nous avonsanalys des pratiques enseignantes travers lanalyse de mmoires professionnels deprofesseurs des coles en formation initiale et laide de questionnaires et dentretiensauprs denseignants en exercice. Sont analyss ici cinquante des huit cent-soixante-deuxmmoires crits en 2004 par les professeurs dcole stagiaires des centres de Bourg,Lyon et St-Etienne de lIUFM. Nos critres de choix ont t, soit un lien direct avec le

    4 La liste des lments analyss pour les diffrentes mthodes, ainsi que les langues et les niveaux de classe concerns,figurent en annexe.

  • Introduction

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    culturel et linterculturel (ethnomusicologie, stages ltranger), soit une thmatique qui peutamener traiter des cultures des lves (les relations cole-famille), soit au contraire desthmatiques plus loignes, mais qui peuvent accueillir une rflexion sur linterculturel (lechoix de supports en littrature pour la jeunesse, lusage des Instructions Officielles). Cetteanalyse nest pas une tude quantitative : la question nest pas parmi tous les mmoires de2004, combien traitent de linterculturel ? , mais plutt : quelles informations la lecture dunecinquantaine de mmoires abordant des problmatiques diffrentes peut-elle nous apportersur la manire dont sont traites les langues et les cultures des lves lcole ? Dans lescinquante mmoires analyss5, quatre champs de rflexion peuvent permettre daborderces lments : les rles de lcole, la relation cole-famille, les cultures mentionnes, lesprofils dlves. Nous avons dans un premier temps analys comment ces points faisaientlobjet de reprage, domission, dvaluation, danalyse et de mise en interaction. Dans unsecond temps, nous analysons la manire dont les enseignants conoivent les interactionsdes diffrentes cultures prsentes dans la classe, puis dans une troisime tape, la maniredont ils abordent les langues de leurs lves. Nous ne citerons que les extraits du corpusles plus reprsentatifs des points de vue prsents dans les mmoires analyss.

    Nous avons soulign plus haut quel point les crations spontanes des enfantstmoignaient dune rflexion mtalangagire, et nous avons rappel les fonctionscommunes aux rpertoires de culture enfantine dans diffrentes langues. Ceci nousamne rechercher les points de contact entre les rpertoires plurilingues acquis parles lves dans leurs pratiques sociales et les rpertoires scolaires des enseignants dematernelle. Pour cela, nous avons explor les rpertoires de chants et comptines construitspar des enseignants de maternelle et avons recueilli leur rflexion sur ces rpertoires,au cours dentretiens avec les enseignants de trois coles maternelles. Nous faisionslhypothse que lenvironnement de ces trois coles pouvait, pour des raisons diffrentes,amener les enseignant-e-s choisir certaines comptines ou chansons dans des languesfamilires de leurs lves : la premire cole (A)6 dans une banlieue dfavorise de Saint-tienne, est depuis plusieurs annes frquente quasi exclusivement par des enfantsarabophones et turcophones. Pour lanne 2003-2004, anne de nos entretiens avec lesquatre enseignantes runies, un seul lve tait francophone et monolingue. Les deuxautres coles sont lyonnaises. Lune (B) compte plusieurs enfants rcemment arrivs enFrance, et plusieurs des parents dlves, majoritairement de classe moyenne, sont eux-mmes immigrs ou enfants dimmigrs. Les deux enseignantes rencontres enseignentlanglais et ont mont plusieurs projets sur la dimension internationale. Lautre (C) est lafrontire dun quartier favoris et dun quartier en Rseau dEducation prioritaire ; plusieursdes parents dlves de cette cole sont immigrs ou enfants dimmigrs ; il sagit de deuxformes dimmigration diffrentes, lune conomique et en provenance de pays du Sud,lautre de personnes statut social lev, familires de la culture de lcole maternelle, etvenant de pays de lUnion europenne ; aussi ces parents parlent-ils des langues dont ladiffusion, le prestige et le statut sont diffrents. Nous sommes reue dans cette cole pardeux enseignants dune mme classe.

    Si le traitement des rpertoires plurilingues des lves ds la maternelle peut lafois induire de la part des lves plus ou moins de confiance dans ses propres stratgiesplurilingues dapprentissage, et tre un indicateur des modes de didactique plurilingue,une autre tape importante est lentre dans une langue trangre enseigne lcole.

    5 Ils sont rfrencs dans le texte par une lettre et un chiffre qui renvoient la liste en annexe6 Nous utiliserons les lettres A, B, C pour dsigner ces coles dans les pages suivantes et dans le chapitre II de la troisime

    partie.

  • La didactique plurilingue des langues : obstacles et propositions

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    Nous avons pour cela interrog neuf enseignantes sur leur premire sance de langue(droulement, supports, recueil des reprsentations et du capital langagier des lves), surle vcu linguistique de leurs lves, en classe et en dehors de lcole, et sur lusage faitdlments de ce vcu au cours de leur enseignement. Les questionnaires portent sur ledbut de lenseignement de lallemand en sixime, de langlais en CP, CE2, CM1-CM2, etsixime, de litalien en CM1. Nous avons interrog, en 2003, trois enseignantes dcoleprimaire et deux de collge ( propos des classes de sixime) ; en 2008, deux enseignantesen cole primaire et deux en collge. Sept de ces enseignantes sont impliques dans laformation divers degrs, soit pour laccueil ponctuel de stagiaires trangers, soit en tantque titulaires du CAFIPEMF, matres ressources en langue vivante, matre de stage ausecondaire ou formateur associ. Nous avons utilis le questionnaire (en annexe) commegrille dentretien pour deux enseignantes, dans un premier temps, et les autres rponsesont t donnes par crit.

    Nous avons analys et mis en lien tous les lments ci-dessus (textes institutionnels,supports, entretiens, sances de classe, productions denfants), afin de construire uneimage des possibilits et des freins qui existent, dans lenvironnement de lenseignantdu primaire, lexploration et lexploitation des potentialits des lves. Nos corpusd'enseignants et d'enfants ont tous t recueillis dans la deuxime rgion d'immigrationen France, Lyon, St-Etienne et St-Chamond. Pour Lyon seul, Akinci, De Ruiteret San Augustin (2003) ont rpertori soixante-sept langues, outre le franais, dansl'environnement des enfants auprs desquels ils ont enqut.

    Nous avons tent de pratiquer une approche dethnographie ducative telle queMargarida Cambra Gin la conseille lobservateur de la classe de langue, approche quelledfinit (2003 : 18-19) comme la capacit sintresser la classe relle (et non rve),espace de rencontre de diffrentes cultures ; considrer la classe comme une micro-communaut culturelle ; prendre en compte les lments macro et micro du contexte,dans leur complexit et leurs multiples interactions.

    Une classe est insre dans une niche cologique de diffrentes macro cultures,et constitue galement une culture en soi, un mode de vie, un rseau designifications pour les membres du groupe (2003 : 65).

    Nous nous sommes efforce de suivre ses propositions, en particulier en ce qui concerne : la prise en compte de plusieurs lments du paysage de lenseignement des langues

    au primaire, outils, supports, textes officiels, milieu institutionnel et non-institutionnel, lapplication de diffrentes mthodes, observation, entretiens, immersion dans des

    classes, prises de notes, enregistrements et transcriptions, le choix de plusieurs activits, analyse, comparaison, mise en regard, interprtation ;

    mon intention est de dbusquer les interactions entre diffrents lments observs,quil sagisse dun contexte macro ou micro.

    La dernire partie de ce travail sefforce de rpondre notre seconde hypothse par despropositions pour lenseignement et la formation. Pour cela, nous nous rfrons destravaux sur la formation et la transposition didactique, et le corpus que nous avons utilispour valuer les dispositifs de formation sont une partie des productions de stagiaires de2003 2008. Au plan terminologique, et en particulier dans cette dernire partie, nousnavons pas introduit de termes ou dexpressions spcifiques, sinon une : explorant les liens diffrentes langues quont les enfants et les enseignants, liens construits par lacquisition,les apprentissages successifs dans des contextes divers, de lenvironnement familial lcole, de contacts occasionnels des migrations, nous dsignons plusieurs fois les

  • Introduction

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    langues quils ctoient sous le terme langues de vie . Nous avons utilis cette expressiondans nos crits, mais galement en situation, lors d'entretiens avec les enseignants etde formations. Encarni Carrasco a tudi les concepts de LM/L1, L2 et LE en regard duplurilinguisme en Espagne (2004 : 365-374), et constate la difficult quil y a choisirun terme pour rendre compte de multiples variables comme la filiation linguistique delindividu, son caractre mono- ou bilingue , (2004 : 367), mais aussi de :

    La multiplicit et la varit des contextes et des modes dappropriationlangagire, la relativisation des distances et de la perception de lextranitlangagire grce la mondialisation progressive des changes, audveloppement/diffusion des Technologies de lInformation et de laCommunication (TIC) et lacclration des processus de communications ; lespossibilits de plus en plus frquentes de rencontrer des locuteurs alloglottesgrce la dmocratisation des voyages de loisir et la libre circulation depersonnes lintrieur des zones de libre-change des traits conomiquesinternationaux favorisant la mobilit professionnelle et les changes scolaireset universitaires ; la multiplication daires de mtissage linguistico culturelmergeant du contact croissant et permanent de communauts provenantdhorizons divers, etc. (ibid : 373)

    Louise Dabne (1997, cite par Danile Moore, 2006 : 30) a distingu les statuts formelset informels des langues, et, pour le second, l'interaction des composantes conomiques,sociales, pistmiques (les exigences cognitives associes l'apprentissage de cettelangue), culturelles et affectives. Jean-Louis Calvet (1999, 2004) a rendu compte descontact des langues par un "modle gravitationnel", modle qui n'est pas construit partirde statuts figs. Calvet prend en compte les relations des langues entre elles et avec leurslocuteurs : sont distingues, outre une langue hyper centrale, l'anglais, des langues supercentrales de grande diffusion et au prestige important (le franais, l'hindi, le russe, ), deslangues centrales et des langues priphriques. Ce modle permet de dcrire diffrentesformes de plurilinguismes et de rendre compte de la relativit des statuts des languesselon le contexte. Notre formulation " langue de vie " n'vacue pas ces rflexions sur lesstatuts des langues et sur les interactions de ces statuts. Mais elle permet, pour des ateliersde formation qui privilgient la valorisation des diffrentes composantes des rpertoiresplurilingues des enseignants et des lves, de donner la priorit au lien que chaquepersonne a avec les langues voques, et lors d'entretiens d'enqutes, de prioritairementsolliciter lexpression sur lexprience vcue : une langue de vie peut avoir t appriseou simplement ctoye ; ponctuellement et partiellement pour un voyage professionnel oulors dune histoire amoureuse, grce une nounou ou avec des voisins, lcole ou envacances. Cest la relation entre la langue et chaque personne qui est privilgie, et non sonstatut ou une dsignation externe au locuteur. Notre hypothse est celle de la modificationdes reprsentations et des pratiques des enseignants grce la validation des rpertoiresplurilingues des enseignants et l'appui sur les ressources locales. Danile Moore rappellecombien cette revalorisation est difficile :

    Le statut informel des langues, et la dvalorisation dont celles-ci peuvent fairel'objet dans les communauts en contact, peuvent rendre difficiles les effortsde revalorisation, mme si le nombre de locuteurs est suffisamment lev pourpouvoir assurer dmographiquement la transmission des langues concerns, etleur enseignement dans le cadre scolaire (2006 : 31).

  • La didactique plurilingue des langues : obstacles et propositions

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    La tche est d'autant plus ardue pour des langues minores (langues rgionales nonenseignes ou non rpertories, langues de faible diffusion). Ce constat nous a amene choisir l'expression "langue de vie" afin de minorer les reprsentations en termes destatuts, et de valoriser les langues quelles qu'elles soient en tant que ressources pour lesapprentissages, ressources pour les membres de la communaut d'apprenants, stagiairesen formation ou lves. Cette formulation dsigne, au cours des entretiens et dans nosateliers de formation, tous les modes dexpression et de communication, tous les usagespartiels ou plus amples, indpendamment des statuts habituellement voqus (dialecte,langue orale, langue crite, etc.).

  • Premire partie : savoirs savants et savoirs sociaux

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    Premire partie : savoirs savants etsavoirs sociaux

    Introduction Les savoirs savants font partie de lenvironnement des classes que nous tudions : nousallons nous efforcer de montrer les parcours des savoirs, les interactions entre les disciplineset celles entre ces dernires et leurs contextes sociaux et historiques. Les savoirs savantsqui nous intressent ont pour objet les apprentissages linguistiques et le plurilinguisme,mais aussi linterculturalit et les parcours de migration. Les objets dtudes de ces troischamps, langues, cultures et mobilits, sont en constantes interactions : les sujets observspar les chercheurs sont dautant plus mme dexprimenter des transformations de leurspratiques (langagires, culturelles) et de faire des apprentissages lorsque lun de ces troispans de leur identit (la langue, la culture et/ou le lieu de vie) se modifie. La didactiquedes langues est interpelle par les trois champs, quil sagisse denseigner une languetrangre ou le franais langue seconde, de transmettre une culture cible ou de dvelopperdes comptences interculturelles, daccueillir un enfant de migrant ou de prparer leslves europens lexprience de la mobilit. Ceci peut tre considr comme lun desobstacles la transposition didactique : comment intgrer la didactique de chaque langueseconde ou trangre les acquis de la linguistique, de la sociologie, de lethnographie, delhistoire et les savoirs sociaux prsents dans la classe ? Le foisonnement et le dynamismedes travaux contribuent donner des savoirs une image floue et surdimensionne, danslaquelle lenseignant repre difficilement ce qui peut lui servir construire une mthodologiepour lenseignement des langues et un savoir enseignable . Ceci nous a amene rechercher, dans le parcours des tudes sur le plurilinguisme, les cultures et les migrations,litinraire commun ces trois grands domaines. Cest litinraire dun regard sur le mondeet de mthodologies de recherche : dune part, enseignants et lves voluent aujourdhuidans des environnements plurilingues et multiculturels, dans des espaces politiques,conomiques, culturels et linguistiques qui sont de moins en moins souvent exactementsuperposables les uns aux autres. Dautre part, c'est moins le contexte de l'enseignementet les objets d'tude des linguistes qui se sont modifis que leur lecture de ce contexte etde ces objets.

    Nous allons dabord analyser les manires successives dtudier les apprentissagesde langue et les situations de plurilinguisme, et voir comment la linguistique structurale at complte par la prise en compte des contextes des apprentissages, puis commentla priorit est aujourdhui donne la construction de comptences plurilingues par lesujet. Nous allons ensuite tudier les travaux sur le culturel : si les recherches de lafin du XIXme et du XXme sicles ont privilgi la catgorisation et la description decultures, les chercheurs se sont ensuite intresss aux interactions internes et externes,et observent aujourdhui la construction par les individus de leur propre culture, plurielle etdynamique. Puis nous nous intresserons aux parcours migratoires. Leur tude est ne plustardivement que celle des situations de plurilinguisme et des cultures. Mais comme pourles deux premires, les travaux sont partis de lacception dune immigration associe uneinstallation sur la dure et une assimilation, avant denvisager la possibilit que le sujet

  • La didactique plurilingue des langues : obstacles et propositions

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    migrant puisse la fois contribuer la transformation de la socit daccueil et conserverdes liens avec son pays dorigine. Depuis quelques annes, les migrations non dfinitives(migrations pendulaires, transmigrations, errances) et les parcours de petits groupes etdindividus font lobjet dobservations attentives, qui mettent en lumire la part de choix quele sujet a dans son parcours migratoire. Le linguiste, lethnologue et le sociologue passentde ltude des objets (les langues, les cultures, les processus migratoires) lobservation dela cration et de lusage que les individus sujets font de ces objets, pour observer aujourdhuiles sujets dans leurs mobilits et leurs changes ; ils passent aussi dune lecture du relfacilite par la catgorisation la perception dun continuum pluridimensionnel.

    Nous complterons ltude des savoirs savants par lobservation des savoirs sociauxdes enfants dans trois situations, lune informelle, deux scolaires : toutes trois sontsusceptibles dtre observes par les enseignants de lcole primaire. Il sagit de la cultureorale enfantine ; de la capacit des lves de maternelle identifier des langues et des typesdoraux tlvisuels ; des rpertoires plurilingues tels quils apparaissent dans une situationdveil aux langues . Ces observations nous permettront ensuite dapprcier lcart entreles savoirs sociaux des lves et les pratiques de classe, entre la ralit des rpertoireslangagiers et culturels des lves et la perception quen ont les enseignants.

    Chapitre I. Les savoirs savants sur le bilinguisme etlapprentissage des langues

    Nous abordons dans ce chapitre lvolution des savoirs savants sur les pratiques bilingueset leur impact sur les propositions didactiques en matire dobjectifs, dvaluation, de choixdes comptences et performances, en particulier pour lenseignement des langues lcoleprimaire.

    1. Echapper la confusion des langues

    1.1. Le bilinguisme marginalis

    Au 13me sicle, un homme bilingue tait rput tre un homme menteur et tenir deuxdiscours. Les humanistes, lorsquils sintressaient lenseignement et la pratique deslangues, ne sintressaient pas au plurilinguisme du plus grand nombre : les masses excluesde linstruction vivaient un plurilinguisme de contacts et le plus souvent oral. Les propositionsde Rabelais, Montaigne ou Comenius concernaient linstruction et les performances duneminorit drudits, qui tudiaient le latin ou d'autres langues pour apprendre et partager desconnaissances crites. Bien plus tard, en Europe, la scolarisation de masse concida aveclavnement des tats-nations fortement attachs lidentit linguistique, ce qui amena occulter les plurilinguismes existants. Par ailleurs, les tats europens du 19me sicle, enpleine expansion colonialiste, mesuraient le monde leur propre aune, et ne faisaient gurecas des plurilinguismes dAfrique et dAsie. Dans ce contexte, lcole avait pour mission depromouvoir et de valoriser la langue nationale ; une fois lusage des langues rgionalesdcourag, il fut considr que la plus grande partie des lves taient monolingues etque les lves bilingues reprsentaient une minorit problmatique. Dans des socits tout

  • Premire partie : savoirs savants et savoirs sociaux

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    entires tendues vers la stabilit de ltat nation, le bilinguisme fut alors dcrit comme unebizarrerie qui pouvait mme se rvler nocive pour lindividu :

    On a longtemps cru (ou fait croire) que le bilinguisme freinait le dveloppementdes capacits intellectuelles des enfants, quil tait responsable dchecs ou deretards scolaires, quil gnrait des troubles divers (dyslexie, bgaiements), brefquil pouvait induire des confusions mentales (Duverger, 1995 : 41).

    Dans ce contexte, lexemple du point de vue de Dahlem nest ni surprenant, ni exceptionnel ;son analyse, en 1935, est lun des exemples de lusage dune thorie linguistique des fins politiques, en loccurrence la construction dune argumentation en faveur delAuslanddeutschtum 7 : Dahlem dveloppe lide selon laquelle le bilinguisme provoquedes troubles de la personnalit, nuit lunit psychique de lindividu et correspond unedviance (cit par Van Overbeke, 1972 : 87). Sur la mme priode, lorsque le bilinguisme(ou le plurilinguisme) est envisag de manire positive, il est dcrit comme la matrise dunelangue au mme degr que pour une langue maternelle (Bloomfield, 1935, cit par ChristineHelot, 2005 : 46).

    A partir des annes 1960, le bilinguisme est lobjet dun nouveau regard ; il n'est plusvu uniquement comme la source potentielle de dficits langagiers. Les deux premirestransformations sont labandon de la rfrence une norme idale et celui de l'valuationde la seule production pour ltude du rel et lobservation dun ensemble de comptences.Mais le bilinguisme est encore vu comme une situation marginale, il est tudi launede pathologies ou de situations de rupture, dont lanalyse sert de point de dpart larflexion sur lapproche de plusieurs langues ds le plus jeune ge. Penfield (1959) prendcomme point de repre les lsions crbrales : il compare des enfants et des adultes dontles zones du langage ont t endommages et observe que les enfants retrouvent plusrapidement lusage de la parole, ce qui lamne encourager un enseignement prcoce deslangues secondes. Lenneberg (1967) isole les facteurs physiologiques, associe la plasticitdes circuits neuronaux aux meilleures conditions dacquisition du langage, et en dduitune priode sensible, argument qui a galement t utilis pour dfendre les situations debilinguisme prcoce.

    Dautres chercheurs analysent les situations de bilinguisme dans le contexte desparcours migratoires : Macnamara, dans les annes 1960, analyse des valuationsdenfants bilingues faites entre 1918 et 1962, compare les performances denfants etdadultes migrants et en conclut que le bilinguisme provoque des dficits langagiers. Sescritres pour valuer positivement des sujets bilingues sont les suivants : le minimumdinterfrences entre les langues, la qualit des modles linguistiques offerts lenfant,en particulier en famille, lassimilation la culture du pays daccueil, le temps consacr lapprentissage de chaque langue. Les trois premiers critres reposent sur une conceptiondes langues et des cultures comme des ensembles tanches et ferms, le quatrime sur laconception dapprentissages spars, sans construction de comptences utiles pour plusdune langue. Macnamara considre que le bilinguisme est la capacit dominer deuxsystmes linguistiques et pouvoir sen servir pour communiquer avec autrui. Dfinitionqui suppose laddition de la matrise de deux langues et non leur articulation. Ses tudesde groupes de migrants considrent le bilinguisme migratoire comme une tape entredeux monolinguismes : celui de la premire gnration avant son migration, puis celui dela troisime ou quatrime gnration dans le pays daccueil, une fois la langue nouvellecompltement assimile et la langue des ascendants oublie. Dans une socit qui tend prconiser lassimilation, la migration dfinitive est rpute aller de pair avec labandon du

    7 Thorie en faveur de lexpansion du germanisme

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    bilinguisme. Les comparaisons denfants et dadultes migrants ne permettent pas non plusdapprofondir lanalyse de situations de classe ordinaires.

    1.2. Une linguistique centre sur la langueLa langue est tudie pour elle-mme, les liens avec son contexte ou avec ses locuteurssont minors : Jean-Rmi Lapaire (2003 : 108 110) sest interrog sur cette absencepersistante de rfrence au contexte, en particulier de la part de Saussure ; cette occultation,selon lui, peut tre le rsultat dune prudence : dans le contexte historique des tats-nations, celui qui considrait pourtant lorganisation de la langue comme un fait social, etlangue et culture comme intimement lies, craignait aussi que ltude de ces liens ne sedilue dans un discours historique ou ethnographique . Do le choix dune csure entredune part, la langue et dautre part, les groupes qui lont cre, leurs cultures et leursenvironnements. Premire tape, poursuit Lapaire, vers le locuteur idal, ncessaire Chomsky pour construire sa grammaire universelle , thorie des proprits universellesdes langues. La priorit dans les schmas chomskiens est donne un programme innde comptences. Il soppose en cela Skinner et au comportementalisme, qui considrelapprentissage dune langue comme un systme de relations stimulus-rponse (Chomsky,1968, 2001 : 160). Il se concentre sur lorigine de la connaissance (1968, 2001 : 172), etencourage mettre au second plan tout ce qui relve des conditions dacquisition, insistantsur une ncessaire distance psychique (1968, 2001 : 67, 173) du linguiste, qui sesoustrait ainsi aux contingences des rels : vouloir rendre compte de la disparit entreexprience et connaissance (1968, 2001 : 174), il subordonne la premire la seconde : lelocuteur fait montre de sa comptence inne sil russit sapprocher le plus possible de lanorme dans chacune des langues en (bon) usage. Il ne prend pas en compte les variationsdes langues, ne considre pas les contextes sociaux ou historiques comme dignes dintrt.

    Mme sil existait une communaut linguistique homogne, son systmelinguistique ne saurait tre un cas pur . Toutes sortes daccidents de lhistoirelauraient plutt contamin, comme (en gros) dans lorigine romane versusgermanique du lexique de langlais. Le bon sujet denqute devrait donc tre unethorie du stade initial qui sabstrait de tels accidents 8, et non pas une matiresans importance (in The Minimalist Program, cit par Calvet : 2004 : 123)

    Le locuteur idal cr par Chomsky a deux compagnons : le monolingue pur qui nentamejamais sa forteresse linguistique, et le vrai bilingue qui possderait et juxtaposeraitune gale matrise de deux langues. Franoise Gadet (La variation sociale en franais,Paris-Gap, Ophrys, 2002, p. 17, cite par Calvet, 2004 : 14) souligne que cette linguistiquequi construit une homognit fictive de la langue pour dmontrer sa propre validit,reoit un accueil dautant plus favorable quelle est en cohrence avec les politiquesdencouragement de la standardisation linguistique menes par les tats-nations.

    1.3. Limpact sur la didactique et les situations denseignementCes conceptions sur la langue et sur le locuteur bilingue ont contribu des orientationsdidactiques. Lanalyse de lobjet langue sest diffuse dans les outils pour lenseignant etles manuels scolaires et a valoris la rflexion mtalinguistique, elle a permis de sloignerde la rgle vue comme une simple convenance ( a ne se dit pas ) et de lui prfrerlanalyse, et ce titre a pu contribuer une meilleure rflexion de llve. Mais lutilisationdune forme dite norme pour reprsenter les productions linguistiques dbouche sur un

    8 Cest nous qui soulignons.

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    hiatus entre pratiques effectives et reprsentations normatives (Bguelin, 2000 : 97) ;la norme linguistique supplante la langue relle, et le locuteur idal, dabord conu commeun modle thorique permettant de lire les productions linguistiques, devient pour desgnrations denseignants et dapprenants le modle imiter. Frdric Franois (1980) asoulign limpact de ces thories linguistiques sur la didactique : les enseignants visentles structures linguistiques plutt que les contenus et les activits de communication : lesproductions fictives du locuteur idal deviennent la rfrence pour valuer les performanceslangagires de lapprenant. Dans la classe de langue, lvaluation des apprenants estfaite en relation la norme, la production rve dun locuteur idal. Elle nglige lecontexte de la performance. Pour loignes quils paraissent, le courant de lenseignementdune langue travers les textes et la traduction et les courants linguistiques donnant lapriorit la communication orale peuvent se positionner de la mme manire vis--vis dela langue maternelle de lapprenant et de la langue cible : les langues sont traites demanire strictement spare et toute interfrence est vue comme une contamination plusque comme un processus. Marinette Matthey (1996 : 12-15) et Louis-Jean Calvet (2004 :114) ont analys comment la grammaire gnrative a cr plus quelle na dcrit un certainnombre dlments des langues quelle tudie ( tel point que Monsieur Jourdain dansses inversions multiples sen trouverait dqualifi dans son usage de la langue franaise).La thorie acquisitioniste a considr les productions des locuteurs laune des normestablies par la grammaire gnrative. Lanalyse contrastive (Lado, 1964, Rizzi, 1989, citspar Matthey, 1996 : 14) analyse les noncs corrects comme tant le fait de similitudesentre la langue 1 et la langue cible de lapprenant, et les erreurs comme le rsultat de tropgrandes distances entre les deux langues, erreurs rduites ainsi des incompatibilits delangues. Les atouts et les freins aux apprentissages ne sont pas supposs tre en lien avecles comptences dveloppes dans lusage dune premire langue, ils sont dclins partirde la comparaison entre les systmes linguistiques ; cette centration sur la langue amne considrer les connaissances acquises en Langue 1 comme autant de filtres ngatifs,dhabitudes nuisibles lapprentissage de la L2 (Fries et Lado, cits par Castelloti, 2001 :68). La grammaire gnrative mesure lcart entre la norme et la production, lanalysecontrastive explique lerreur par lcart ou la proximit entre deux langues ; dans les deuxcas, cest la langue qui est centrale, et non le locuteur.

    Ces applications didactiques de travaux sur les langues prsentent la normelinguistique comme un systme clos, pr-construit et stable, dont seul lexpert (le linguisteou lenseignant) dtient les cls. Les tenants de lanalyse contrastive souhaitent quelapprenant oublie sa L1 pour mieux apprendre une L2. Vronique Castellotti voquece mythe du tout L2 . Cet extrait de son corpus denseignant est rvlateur de la fictionqui circule parmi les enseignants :

    On dit btement aux lves : essayez de rflchir en espagnol, essayez de nepas traduire la phrase que vous avez dans votre tte en franais, de la diredirectement en espagnol (2001 : 69)

    Cette fiction runit trois croyances : les bienfaits du bain de langue 2, laisance despontanit verbale pour un apprenant dbutant, la capacit de lapprenant oublier laLangue 1, ou du moins, pourrait-on dire, la dconnecter. De ces reprsentations dcoulegalement le conseil, encore frquent, de ne pas faire tudier lespagnol des lvesqui ont dj appris une autre langue romane tant que le premier apprentissage nest passuffisamment stabilis. De mme, les valuations qui sont faites des locuteurs bilinguesamnent faire des prescriptions sur lge optimal pour apprendre une langue trangre,qui pour lessentiel insistent sur limportance davoir stabilis la formation de la personnalitet les apprentissages essentiels avant de prendre le risque dintroduire une seconde langue.

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    Dans la classe de langue, mme lorsque pour favoriser la communication sont misesen place des activits en dyades ou en petits groupes, lapproche didactique est centre sur des processus cognitifs individuels (Gajo & Mondada, 2000 : 17), et la raison souventinvoque, l encore, est le risque possible de contamination, si lapprenant vient entendreles erreurs dun autre lve.

    2. Un autre regard sur le locuteur bilingue et lapprenant

    2.1. De nouveaux terrains dobservations du bilinguismeLes recherches de Peal et Lambert, en 1962, auront un impact plus fort sur la didactique,car elles comparent des populations dlves en situation scolaire ordinaire. Deux groupesdlves montralais de classe moyenne sont tudis. Ne sont pas seulement valuesles comptences strictement linguistiques des enfants bilingues et monolingues, maisgalement leurs comptences langagires et diffrents savoir-faire et attitudes : il apparatalors que les enfants bilingues, lorsquils sont dans un contexte socio-conomique sansproblme particulier, font preuve dune plus grande flexibilit cognitive et dune meilleurecapacit dabstraction que les monolingues. Pearl & Lambert ne considrent plus lesbilingues comme des cas marginaux, les comparent des groupes ordinaires, veillent viter les biais tels que la comparaison denfants de catgories sociales trs diffrentes ;mme si, en loccurrence, les enfants bilingues observs ont en commun le fait davoir desparents francophones ayant pour leur enfant le projet dune ducation bilingue, ce qui dansle contexte canadien des annes 1960 pouvait dj constituer un avantage partag par cettecatgorie sur les lves monolingues anglophones (Bialystock, 2001 :188). Lewis Balkan(1970), de sa recherche en Suisse romande, conclut que les enfants bilingues prsententune meilleure plasticit verbale et perceptive que les enfants monolingues (Titone, 1974).Ces travaux vont permettre des passerelles plus importantes entre les recherches sur lebilinguisme et la didactique des langues. Cependant, la multiplicit des facteurs en jeu renddifficile une valuation et une comparaison fiables des bilingues et des monolingues.

    Accepting the standard assumption that no bilingual is ever equally competent inboth languages, how much language is needed before we agree that a person isbilingual ? 9 Bialystok, 2001 : 10)

    Question laquelle il est impossible de rpondre, faute de pouvoir valuer monolingueset bilingues dans des contextes semblables, ou les performances dun sujet bilingue dansdes situations identiques dans les deux langues concernes ; ce qui supposerait que lesujet fasse un va-et-vient entre deux univers identiques, y vive les mmes expriences etapprenne ainsi deux fois la capacit vivre des situations langagires semblables.

    McLaughlin finira par crire :It has not been demonstrated that bilingualism has positive or negativeconsequences for intelligence, linguistic skills, educational attainment, emotionaladjustment, or cognitive functioning. In almost every case, the findings ofresearch are either contradicted by other research or can be questioned onmethodological grounds. The one statement that is supported by researchfindings is that command of a second language makes a difference if a child is

    9 Si nous reconnaissons quaucun bilingue nest comptent de manire identique dans deux langues, quel est le degr de

    matrise dune langue requis avant de pouvoir qualifier une personne de bilingue ?

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    tested in that language a not very surprising finding 10 (1978, cit par Grosjean,2004, 37)

    Cest aussi ce que conclue Titone (1974) de son analyse de travaux faits sur le bilinguismeau cours du vingtime sicle : il souligne la fragilit de rsultats qui se fondent sur destmoignages de faible valeur scientifique, en nombre restreint ou qui privilgient des critresau dtriment dautres. Tout au plus peut-on avancer, en termes de comptences strictementlinguistiques, que les enfants bilingues ont un lexique plus tendu dans lune des deuxlangues, que leur lexique dans chaque langue est moins important que celui dun enfantmonolingue dans sa langue, et que leur matrise des deux langues leur permet de sengagerde manire quivalente dans des situations de communication similaires (Bialystok, 2001 :20). Ni la rfrence la norme linguistique ni les performances en situation dvaluationnormative ne suffisent valuer les comptences bilingues.

    2.2. Un nouveau regard sur les processus dapprentissage, dautres critresdvaluationLe regard port sur les erreurs se modifie. Si la notion de locuteur idal a pu influer lavision des enseignants en leur donnant des objectifs loigns du locuteur rel, la grammaireuniverselle de Chomsky considre nanmoins que lacquisition du langage passe par unesrie dessais erreurs. La reconnaissance du rle de ceux-ci dans lapprentissage amne ne plus stigmatiser les productions la frontire de deux langues. De mme, lareprsentation de lapprentissage cloisonn de chaque langue, Cummins (1981) opposecelle dun processus mental commun, un rservoir pense (think tank), qui peut conduireles apprentissages et la matrise de plusieurs langues. Ceci permet un regard diffrent surles phnomnes dalternance codique et dinterfrences : se donner comme objectif leurcomplte disparition est considr comme une fantaisie. Mackey, dj en 1962, montrecomment lalternance codique relve moins dun manque de comptences linguistiquesque de stratgies de communication ; il distingue trois facteurs dalternance codique danslinteraction : le thme abord, qui peut amener un locuteur insrer dans son discoursdes expressions dans une autre langue ; son interlocuteur, le recours une autre languepouvant alors tre le signe dune connivence, dun vcu partag ; la tension ou la fatigue.

    Les grands changements dans les travaux sur le bilinguisme sont associs leuradhsion au courant pragmatique de la linguistique : puisque les productions langagiresne sont pas seulement considres comme des reprsentations mais comme des actes(Austin, Searle), il est logique que langues et usagers de la langue soient tudis ensembleet dans leur rapport lun lautre. Par ailleurs, la matrise dune langue nest plus considrecomme fige, Krashen distingue les connaissances (le dclaratif) des comptences etdes performances (le procdural). Ces nouveaux points de vue donnent la priorit auxcomptences sur les connaissances et prennent en compte le contexte de la situationde communication, quil sagisse de lenvironnement social, pdagogique, ou du rle delinterlocuteur.

    10 Les consquences positives ou ngatives du bilinguisme nont pas t dmontres, quil sagisse de lintelligence,

    des comptences linguistiques, des rsultats scolaires, de ladaptation motionnelle, ou des processus cognitifs. Dans

    presque tous les cas, les rsultats des travaux sont contredits par dautres recherches ou peuvent tre contests pour des

    points de mthodologie. La seule conclusion qui puisse tre retenue des diffrentes recherches est la suivante : le degr

    de matrise dune langue 2 influe sur les rsultats des valuations, lorsque lenfant est valu dans cette langue. Ce qui

    nest pas une dcouverte trs surprenante.

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    Il nest plus attendu que le bilingue soit performant de manire identique dans deuxlangues, ni que le migrant passe dun tat de monolingue dans une langue celui demonolingue dans une autre langue ; Mackey, ds 1956, a montr que la matrise duneou plusieurs langues signifie la matrise de plusieurs comptences et connaissancesdiffrentes, des degrs divers selon les langues. La priorit nest plus donne auxconnaissances ni aux performances, mais aux comptences : lenfant bilingue nestplus considr comme un conteneur qui doit recevoir deux fois plus de connaissanceslinguistiques, il nest pas valu par rapport ses performances des tests sur un momentponctuel, mais comme un sujet qui dveloppe sur la dure des comptences lui permettantde rsoudre des situations dans deux langues (Bialystok, 2001 : 58-59). La production,enfin, nest plus la comptence phare qui sert dindicateur principal : la comprhensionest considre comme une comptence importante, ainsi que dautres comptences quipendant longtemps nont pas t prises en compte : les enfants bilingues ont une consciencephonologique plus fine et plus prcoce que ceux qui sont peu exposs une varit delangues (Perregaux, 1994). Ils rvlent une meilleure conscience de larbitraire signifiant-signifi, une perception auditive et une comptence de comprhension meilleures, quelleque soit la langue concerne ; ils font preuve de plus de crativit, ainsi que dune capacit la pense divergente (Coste, 1994 : 105-119). Lanalyse des discours ne se contenteplus de considrer les actes de langage, mais apprcie lensemble des situations decommunication, dans leur dimension verbale et non-verbale. Plus que la russite de testsdconnects du rel, sont considrs des lments observables de la ralit : signauxverbaux, signaux communicatifs, comportement des participants dans la communication,traitement de la situation (Ldi & Py, 1986 : 54). Ce tournant actionnel (Vernant, 1997) a unimpact sur la didactique et sur lvaluation des comptences, pour les apprenants de languetrangre comme pour les enfants en contexte bilingue : les pratiques langagires (verbalesou non-verbales) sont vues comme un tout, et cest lensemble des stratgies qui est valid.

    Enfin, il sagit moins dopposer population monolingue et minorit bilingue quedobserver les effets de formes varies dattitudes plurilingues divers degrs decomptences. La modification du discours sur le sujet bilingue nest donc pas le rsultatdun changement radical dapprciation ou une modification de la situation linguistique desenfants, mais plutt un largissement du regard et une diversification des points de vue.

    2.3. La prise en compte des contextes et des interactionsLattention porte aux contextes et aux interactions est un terreau fertile pour la modificationdu regard sur le bilinguisme et sur les apprentissages :

    La facult de langage, en tant que capacit cognitive de lespce humaine,est apprhende par Chomsky travers le systme de la langue (ensembledes connaissances linguistiques constituant la comptence du locuteur), lui-mme rduit la grammaire (entendue au sens de rgles syntaxico-lexicalesconstitutives de la phrase) ; or lenfant acquiert la syntaxe de sa languematernelle en interaction avec des phnomnes smantico-pragmatiques, dansdes situations de communication et en liaison avec son apprhension perceptivo-motrice du monde. (Fuchs et Le Goffic, 2003 : 90).

    Elle tend considrablement le nombre de paramtres prendre en compte, et amne convoquer des disciplines trs diffrentes : On ne peut pas dcrire de faon satisfaisantedes codes sans prendre en compte leur insertion sociale et historique (Calvet, 2004 : 54).

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    Lapproche interactioniste se dmarque dune linguistique qui ne sintresse qu lalangue hors contexte et hors variantes, et sinscrit dans la ligne des travaux de Bruner surlacquisition du langage : Bruner rappelle quel point linteraction entre interlocuteurs dansle contexte de lnonciation (1987 : 282-283) retentit sur les apprentissages et participede la zone proximale de dveloppement mise en lumire par Vygotsky. Il insiste galementsur laction conjointe de ce systme de support offert par ladulte lenfant, ou LASS, Language acquisition support system , et de la conscience que dveloppe lenfant lui-mme :

    Les enfants doivent pouvoir saider eux-mmes, et, pour ce faire, doivent prendreconscience de leurs propres activits.

    Ce maillage de ltayage par les interlocuteurs et du dveloppement conscient decomptences langagires devient un lment fort des tudes sur le bilinguisme :

    La conception de lapprenant comme individu intriorisant un systmelinguistique est abandonne en faveur de lide dun acteur social qui dveloppedes comptences langagires variables travers son interaction avec dautresacteurs sociaux. (Pekarek, 2000 : 5)

    Ceci amne ne pas tudier seulement lenvironnement de lenfant bilingue, mais aussi lesinteractions entre les diffrents acteurs des situations de communication, denseignement,dapprentissage, et limpact de ces interactions. Dune part, en termes de reprsentations :le regard port par le milieu scolaire ou mdico-scolaire sur lenfant, sa langue et son groupesocial est considr comme un facteur dterminant. Dautre part, lors des interactions elles-mmes : les travaux sur la conversation exolingue, que Marinette Matthey resitue danslensemble des thories de lacquisition (1996 : 26) amnent prendre en compte limpactde lattitude du natif et montrent comment les interactions exolingues suivent la fois lefil de la conversation explicite, et celui dun contrat didactique qui sinstaure plus ou moinsexplicitement entre le natif et lalloglotte (Bange, 1987), et autorise le natif guider lalloglottedans linteraction. Ce contrat didactique prend un poids plus important encore dans unesituation scolaire. Dans une telle approche, lvaluation ne considre pas seulement lesperformances, ni la construction de comptences sur la dure, mais le contexte le pluslarge possible des apprentissages et les effets de ce contexte sur le dveloppementdes comptences. Le discours nest pas le fait de comptences et de connaissancesacquises une fois pour toutes, mais dune construction en permanente mobilit, et duneco-laboration par les interlocuteurs. Les variantes du contexte dapprentissage sontmultiples et amnent considrer aussi bien des facteurs simples et trs directement lis lenseignement que dautres plus complexes et plus loigns du champ scolaire.

    La socio-linguistique a montr limportance du contexte scolaire : lopposition nestpas tant entre des coles bilingues considres comme litistes et des classes daccueilpour enfants de migrants, quentre des faisceaux de reprsentations et dinteractions quicrent des dynamiques dapprentissage positives ou ngatives, quil sagisse de lvaluationdes lves ou de choix didactiques. Le projet qui sous-tend la situation de bilinguismeest lui-mme considr comme facteur dterminant : selon quil sagit dune situation dedfense dune identit linguistique, comme en Catalogne ou au Tyrol du Sud, de parentsqui souhaitent ouvrir leur enfant une autre langue internationale, ou dune migrationconomique, les reprsentations sur les lves et les choix didactiques sont diffrents(Brohy & De Pietro, 1995). Le statut rserv la langue de llve dans le contexte scolaireest un autre lment de minoration ou de valorisation, selon que cette langue sera absenteou prsente dans les programmes, quelle y soit en tant que langue et culture dorigineou en tant que langue trangre enseigne tous les lves (Laparra, 1990 : 43). Ds

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    les annes 1970, sest dveloppe une rflexion sur limpact que le statut de la langue etdu groupe social a sur les apprentissages linguistiques. Elle a fait apparatre comment unfaisceau de facteurs contribue dqualifier la langue de certains apprenants, entamerleur confiance en soi et conduire les enseignants des choix didactiques qui accentuentles deux lments prcdents.

    Plusieurs mcanismes peuvent participer la dqualification de certaines langues dansdes situations de bilinguisme : outre celle induite par les rapports de force entre des groupes,lorsquune culture et une langue sont celles dun groupe dominant qui dprcie la languedu groupe opprim, la dqualification peut aussi tre le fait de ceux dont la langue est enposition basse : Maurice Van Overbeke (1972 : 59) analyse ce phnomne chez diffrentsgroupes (peuples coloniss, immigrants), qui, soit pour accder un meilleur statut, soitpour dfendre leur communaut, tudient la langue de culture du groupe dominant pluttque celle de leur propre groupe. Attitude que nous trouvons galement dans le contextescolaire ; les acquis langagiers de lenfant dans sa langue familiale seront valoriss oudprcis par un faisceau dlments : le regard port sur une langue dimmigration ou unelangue rgionale et sur le groupe de leurs locuteurs par les corps scolaire et mdico-scolaire(Duverger, 1995 : 41), la valorisation ou au contraire la dqualification de leur propre languepar les membres du groupe concern. Y participent les