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)U MME AUTEUR AUX DITIONS PRSENCE AFRICAINE i

LES NOUVEAUX CONTES D'AMADOU-KOUMBA. LEURRES E T LUEURS, pomes. CONTES E T LA V AN E S ( Grand prix littraire de rAfrique noire d'expression franaise 1964J.

BIRAGO DIOP

LES CONTES DAMADOU-KOUMBA

P R S E N C E A F R IC A IN E25 B IS,E U E

DES

C O L E S

PARIS Va

ISBN 2-7087-0167-3

Prsence Africaine, 1961,D roits de reproduction, de traduction, d adaptation rservs pour tous pays.La loi du 11 m ars 1957 n au to risan t, au x tcrm ss des alinas 2 e t 3 de larticle 41, d une p a rt, que les copies ou reproductions s tric tem en t rserves lusage du copiste e t non destines une utilisatio n collective , e t d au tre p a rt, que le* analyses e t les courtes citatio n s dans u n b u t d exem ple e t d illu stra tio n , toute reprsentation ou reproduction intgrale ou partielle, faite sans le consentement de l'a u te u r ou de ses a y a n ts d ro it ou a y a n ts cause est illicite (alina 1er de lartele 40). C ette reprsentation ou rep ro d u ctio n , p a r quelque procd que ce soit, c o n stitu erait donc une contrefaon sanctionne p a r les articles 425 e t suivants d u code pcnaL

A mes filles : N E N O U et D D E pour qu'elles apprennent et n'ou blient pas que l'arbre ne s'lve qu'en enfonant ses racines dans la Terre nourricire.

INTRODUCTION

Bak, tu dors? Oui, grand-mre! Tant que je rpondais ainsi, grand-mre savait que je ne dormais pas, et que, tremblant de frayeur, jJcoutais, de toutes mes oreilles et de tous mes yeux ferms, les contes terrifiants o intervenaient les Gnies et ls Lutins, les Kouss aux longs cheveux; ou que, plein de joie comme les grands qui coutaient aussi, je suivais Leukle-Livre, madr et gambadant, dans ses intermi nables aventures au cours desquelles il bernait betes et gens au village comme en brousse et jusque dans la demeure du roi. Quand je ne rpondais plus la question de grand-mre, ou quand je commenais nier que je dormisse, ma mre disait : Il faut aller le coucher , et grand-mre me soulevait de la natte qui se rafrachissait dans lair de la nuit et me mettait au lit aprs que je lui eus fait promettre, dune voix pleine de sommeil, de me dire la suite

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CONTES DAMADOU KOUMBA

. le lendemain soir, car en pays noir, on ne doit dire les contes que la nuit venue. Grand-mre morte, jeus dans mon entourage dautres vieilles gens, et, en grandissant leur ct, j ai bu linfusion dcorce et la dcoction de racines, j ai grimp sur le baobab . Je me suis abreuv, enfant, aux sources, jai entendu beau coup de paroles de sagesse, jen ai retenu un peu. Jai vu et jai entendu les derniers MBandakatts (clowns chanteurs et danseurs); jai entendu les Ritikatts sur leur violon monocorde, qui ntait quune calebasse tendue dune peau de lzard, faire parler, rire et pleurer un crin de cheval. Jai entendu les Lavankatts rciter dune traite le Coran tout entier, et, pour se dlasser de leur exploit, mler aux versets sacrs la satire aux dpens des jeunes filles laides et des vieilles avaricieuses. Plus tard, sous dautres deux, quand le temps tait sombre et le soleil malade, jai ferm sou vent les yeux et, de mes lvres, montaient des Kassaks que lon chantait dans * la Case des Hommes ; jai cout ma mre et surtout grandmre qui disait encore les dboires de BoukilHyne, poltronne et vaniteuse, les malheurs de Khary Gaye, lorpheline, les tours de Djabou N Daw, lenfant terrible, les triomphes de Samba Sytan, le diabolique et les avatars dAmary-leDvot. Ce retour fugitif dans le pass rcent temprait lexil, adoucissant un instant la nostalgie tenac et ramenait les heures claires et chaudes que l< n napprend apprcier quune fois que lon en est loin. Lorsque je retournai au pays, nayant presque

INTRODUCTION

il

rien oubli de ce quenfant j avais appris, jeus le grand bonheur de rencontrer, sur mon long che min, le vieux Amadou Koumba, le G riot1 de ma famille. Amadou Koumba ma racont, certains soirs et parfois, de jour, je le confesse les mmes histoires qui bercrent mon enfance. Il men a appris dautres quil maillait de sentences et dapophtegmes o senferme la sagesse des anctres. Ces mmes contes et ces mmes lgendes quelques variantes prs je les ai entendus, galement au cours de mes randonnes sur les rives du Niger et dans les plaines du Soudan, loin du Sngal. Dautres enfants, pareils celui que je fus, et dautres grands, semblables mes ans, les cou taient avec la mme avidit sculpte sur leur visage par les fagots qui flambaient haut. Dautres vieilles femmes, dautres griots les di saient, et les chants qui les entrecoupaient et que tous reprenaient en chur, taient souvent ryth ms par le roulement du tam-tam, ou scands sur une calebasse renverse. La mme frayeur entrait dans lauditoire avec les souffles de la brousse, et la mme gaiet qui enfantait le rire. La frayeur et la gaiet qui palpitent aux mmes heures, dans tous les villages africains quenveloppe la vaste nuit. Si je nai pu mettre dans ce que je rapporte lambiance o baignaient lauditeur que je fus et %( i ) Griot : Terme du vocabulaire colonial franco africain = D iali au Soudan, Guwl au Sngal (de larabe Qawwal rcitant de la secte Soufi) : conteur, chanteur, gnalogiste, dpositaire de la tradition qui est uniquement orale.

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C O NTES DAMADOU KOUMBA

ceux que je vis, attentifs, frmissants ou recueil lis, cest que je suis devenu homme, donc un enfant incomplet, et partant, incapable de recrer du merveilleux. Cest que surtout il me manque la voix, la verve et la mimique de mon vieux griot. Dans la trame solide de ses contes et de ses sentences, me servant de ses lices sans bavures, j ai voulu, tisserand malhabile, avec une navette hsitante, confectionner quelques bandes pour coudre un pagne sur lequel grand-mre, si elle revenait, aurait retrouv le coton quelle fila la premire; et o Amadou Koumba reconnatra, beaucoup moins vifs sans doute, les coloris des belles toffes quil tissa pour moi nagure.

FARI LANESSE

Sortir de son propos souvent peine y tre entr pour mieux y revenir, tel faisait laccoutume Amadou Koumba, dont je rapporte rai les dits et dont un jour sans doute je conterai les faits. Souvent, sur un mot de lun de nous, il nous ramenait loin, bien loin dans le Temps. Souvent aussi, un homme qui passait, le geste dune femme, faisaient surgir de sa mmoire des contes et les paroles de sagesse que le grand-pre de son grand-pre avait appris de son grand-pre. Le long de la route du Sud que nous avions -emonte un jour durant, des carcasses rcures flanc par les charognards, et des cadavres tous es stades de putrfaction avaient remplac les bornes qui navaient jamais exist. Cadavres et carcasses dnes qui apportaient au Soudan les charges de colas de la Cte.

14 ;:> 'CONTES DAMADOU KOUMBA )

(J'Avais dit : * Pauvres nes! quest-ce quils endurent! , T u les plains, toi aussi? avait rpliqu Amadou Koumba. Cest bien de leur faute pour tant sils en sont l aujourdhui; sils sont les esclaves des esclaves... Si les ordres impts et prestations de Dakar retombent, aprs avoir pass du Gouverneur au Commandant de cercle, du Commandant de cercle au Chef de Canton (sans oublier linterprte), du Chef de Canton au Chef de village, du Chef de village au Chef de famille, du Chef de famille sur leur chine coups de triques. Comme jadis (car je ne crois pas quil y ait quelque chose de chang) du Damel-le-roi aux Lamanes-vices-rois, des Lamanes aux Diambours-hommes libres, des Diambours aux Badolos de basse condition, des Badolos aux esclaves des esclaves... Si lne en est aujourdhui o il en est, cest quil la bien cherch. Aux temps anciens, bien anciens, dont ils nont certainement pas comme nous perdu la mmoire, les nes, comme tous les tres sur terre, vivaient libres dans un pays o rien ne manquait. Quelle premire faute commirent-ils? Nul ne la jamais su et nul ne le saura jamais peut-tre. Toujours est-il quun jour une grande scheresse dvasta le pays sur lequel sabattit la famine. Aprs des conseils et des palabres interminables, il fat dcid que la reine Fari et des courtisanes sen iraient la recherche de terres moins dsoles, de rgions plus hospitalires, de pays plus nourri ciers. Au royaume de N Guer quhabitaient les hommes, les rcoltes semblaient plus belles quen aucun autre pays. Fari voulut bien sy arrter.

F A R I L A N ESSE

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Mais comment disposer sans risques de toutes ces bonnes choses qui appartenaient aux hommes? Un seul moyen peut-tre : se faire homme soimme. Mais lhomme cde-t-il volontiers son semblable ce qui lui appartient, ce quil a obtenu la sueur de ses bras? Fari ne lavait jamais entendu dire. A la femme, peut-tre, lhomme ne devait rien refuser, puisque, de mmoire dtre vivant, lon navait jamais vu un mle refuser quelque choee une femelle ou la battre moins quil ne ft fou comme un chien fou. Fari dcida donc de rester femelle et de se mtamor phoser en femme, sa suite galement. Narr, le Maure du roi de N Guer, tait peuttre le seul sujet du royaume pratiquer sincre ment la religion du Coran. A cela, il navait aucun mrite, puisquil devait se montrer digne de ses anctres qui avaient introduit par la force lIslam dans le pays. Mais Narr se distinguait encore des autres par sa couleur blanche dabord, ensuite par ceci quil ne pouvait pas garder le plus infime des secrets. E t de nos jours encore, lon dit dun rapporteur quil a aval un Maure . Narr tait donc pratiquement fervent et ne manquait aucune des cinq prires de la journe. Quel ne fut pas son tonnement, un matin, en allant faire ses ablutions au lac de N Guer, dy trouver des femmes qui se baignaient. La beaut de lune delles quentouraient les autres tait telle que lclat du soleil naissant en tait terni. Narr oublia ablutions et prires et vint en courant rveiller Bour, le roi de N Guer : Bour ! Bilahi ! Walahi ! (En vrit ! au nom de Dieu. ) Si je mens, que lon me coupe le cou ! ai trouv au lac une femme dont la beaut ne

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CONTES D'AMADOU KOUMBA

peut se dcrire! Viens au lac, Bour! Viens! Elle nest digne que de toi. Bour accompagna son Maure au lac et ramena la belle femme et sa suite. E t fit delle son pouse favorite. Quand lhomme dit son caractre : Attendsmoi ici , peine a-t-il le dos tourn que le caractre marche sur ses talons. L homme n est pas le seul souffrir de ce malheur. L ne, comme les autres cratures, le partage avec lui. Cest pourquoi Fari et ses courtisanes, qui au raient d vivre heureuses et sans souci la cour du roi de N Guer, sennuyaient et languissaient chaque jour davantage. Il leur manquait tout ce qui fait la joie et le bonheur pour une nature dne : braire et pter, se rouler par terre et ruer... Aussi demandrent-elles un jour Bour, prtextant les grandes chaleurs, lautorisation, qui leur fut accorde, daller se baigner tous les jours au crpuscule dans le lac. Ramassant les calebasses, les marmites et tous les ustensiles sales, elles allaient ainsi, tous les soirs, au lac o, rejetant boubous et pagnes, elles pntraient dans leau en chantant : Fari hi! kan! Fari h it han! Fari est une nesse, O est Fari la reine des nes Qui migra et nest pas revenue ? Au fur et mesure quelles chantaient, elles se transformaient en nesses. Elles sortaient ensuite de leau, courant, ruant, se roulant et ptant. Nul ne troublait leurs bats. Le seul qui let

F A R I L A N E SSE

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pu faire, le seul qui sortt du village au crpus cule pour ses ablutions et la prire de Timiss, Narr-le-Maure, tait parti en plerinage La Mecque. Fatigues et heureuses, Fari et sa suite reprenaient leur corps de femme et sen retour naient chez Bour, calebasses et marmite rcu res. Les choses auraient pu peut-tre durer toujours ainsi, si Narr avait pri en chemin; sil avait t pris l-bas vers lest dans un royaume bambara, peulh ou haoussa et maintenu en esclavage; ou sil avait prfr demeurer, le restant de ses jours, prs de la Kaaba pour tre plus prs du paradis. Mais Narr revint un beau jour, et juste ment la tombe de la nuit. Il alla, avant de saluer le roi, vers le lac. Il y vit les femmes, et, cach derrire un arbre, il couta leur chanson. Son tonnement fut plus grand que le jour o il les y avait trouves, en les voyant se changer en anesses. Il arriva chez Bour, mais il ne put rien dire de ce quil avait vu et entendu, tant il fut . questionn sur son plerinage. Mais, au milieu de la nuit, son secret, qui stait mis en travers du couscous et du mouton dont il stait gav, ltouffait. Il vint rveiller le roi : Bour ! Bilahi ! Walahi ! Si je mens, que lon me coupe la tte, ta femme la plus chrie nest pas un tre humain, cest une nesse! Que racontes-tu l, Narr? Les gnies t onts tourn la tte sur le chemin du salut? Demain, Bour, demain, inch allah je te le prouverai. J B fradcraaia matin, Narr appela Diali, le f>aj usiden du roi,et lui apprit la chansn de Aprs le djeuner, lui dit-il, lorsque notre

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CONTES D'AMADOU KOVMBA

reine favorite caressera sur sa cuisse la tete de Bour pour quil sendorme, au lieu de chanter la gloire des rois dfunts, tu joueras sur ta guitare et tu chanteras la chanson que je viens de t apprendre. C est L a Mecque que tu as appris cette .chanson? senquit D iali, curieux comme tout griot qui se respecte. ' Non ! Mais tout l heure, tu verras la puis sance de ma chanson, rpondit Narr-le-Maure. Bour somnolait donc, la tte sur la cuisse de sa favorite, pendant que N arr racontait nouveau son plerinage, lorsque Diali qui, jusque-l, fre donnait doucement en frlant sa guitare, se mit chanter : Fari h il hanl Fari h it hanl L a reine tressaillit. Bour ouvrit les yeux. Diali continua : Fari h il hanl Fari est une nesse. Bour, dit la reine, en pleurant, empche Diali de chanter cette chanson. Pour quelle raison, ma chre femme? Je 1 a trouve trs jolie, moi, dit le roi. C est une chanson que N arr a appris L a Mecque, expliqua le griot. Je t en supplie, mon matre! gmit la favo rite. Arrte-le. Elle me fait mal au cur, car on la chante chez nous aux enterrements. Mais ce nest pas une raison pour faire taire D iali, voyons!

F A R I L AN ESS E E t Diali chantait toujours : Fari est une nesse O est Fari la reine des nes Qui migra et n est pas revenue?

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Soudain, la jambe de la reine qui supportait la tte de Bour se raidit et sous le pagne apparut un sabot et puis une patte. L autre jambe se trans forma, ses oreilles s allongrent, son beau visage galement... Rejetant son royal poux, Fari, redevenue nesse, ruait au milieu de la case, dcrochant la mchoire de Narr-le-Maure. Dans les cases voisines, dans les cuisines, dans la cour, les ruades et les hi ! han ! indiquaient que les sujettes de Fari avaient, elles aussi, subi le mme sort que leur reine. Comme leur reine, elles furent matrises coups de triques et entraves; de mme que tous les nes qui, inquiets du sort de leur reine et de leurs pouses, partirent leur recherche et pas saient par le royaume de N Guer. A Et cest depuis N Guer et depuis Fari, que les anes peinent coups de triques et trottent, char ges, par tous les sentiers, sous le soleil et sous la/ lune.

UN JUGEMENT

Certes, Golo, le chef de la tribu des singes, avait un peu exagr en visitant, cette nuit-l, le champ de pastques de Demba. Il avait d convo quer le ban et larrire-ban de ses sujets, qui ne staient pas contents darriver la queue leu leu et de faire la chane pour se passer les pas tques une une. Us avaient, en bandes, saut et franchi la haie deuphorbes. Les euphorbes sont les plus btes des plantes, elles ne savent que larmoyer, mais pour quelles larmoient, il faut quon les touche. Golo avait touch aux euphorbes et autre chose encore. Lui et sa tribu avaient saccag tout le champ. Us staient conduits comme de vulgaires chacals; et tout le monde sait que, si les chacals passent pour les plus grands amateurs de pastques que la terre ait enfants, ils demeurent galement, jusqu nos jours, les tres les plus mal levs qui vivent sous le soleil, ou plutt sous la lune. Golo et sa tribu staient comports comme de

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C O NT ES D AM AD O U KOUMBA

vrais fils de chacals parce quils savaient fort bien que ces pastques ntaient pas celles du vieux Medjembe qui, lui, avait jadis administr une si belle correction l aeul de tous les singes quil lui avait pel les fesses. L a marque, ainsi que le souvenir, en taient rests jamais toute sa descendance. Demba se serait certainement comport connut le vieux Medjembe,_ puisque Golo avait agi comme Thile-le-chacal, qui, lui aussi, eut jadis affaire avec le premier cultivateur de pastques, mais Golo ni aucun de ses sujets n avaient attendu 1 arrive de Demba. t Golo avait exagr, cest entendu, et Demba n avait pas t content, le matin, en dcouvrant l tendue des dgts faits dans son champ; mais de l passer sa colre sur Koumba sa femme, il y avait un foss. Ce foss, cependant, Demba le franchit en mme temps que le seuil de sa demeure. Il trouva que l eau que Koumba lui offrait genoux en le saluant n tait pas assez frache. Il trouva que le couscous tait trop chaud et pas assez sal et que la viande tait trop dure, il trouva que cela tait ceci et que ceci tait cela, tant il est bien vrai que l hyne qui veut manger son petit trouve quil sent la chvre... L as de crier, Demba se mit rouer Koumba d e coups, et, fatigu de la battre, il lui dit : - Retourne chez ta mre, je te rpudie. Sans mot dire, Koumba se mit ramasser ses effets et ustensiles, fit sa toilette, revtit ses plus beaux habits. Ses seins pointaient sous sa camisole brode, sa croupe rebondie tendait son pagne de n galam. A chacun de ses gracieux mouvements, tintaient ses ceintures de perles et

UN JUGEMENT

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son parfum enttant agaait les narines de Demba. Koumba prit ses bagages sur sa tete et franchit le seuil de la porte. Demba fit un mouvement pour la rappeler, mais il sarrta et se dit : Ses parents me la ramneront. Deux, trois jours, dix jours passrent sans que Koumba revnt, sans que les parents de Koumba donnassent signe de vie. L on ne connat lutilit des fesses que quand vient lheure de s asseoir. Demba commenait savoir ce qutait une femme dans une maison. Les arachides grilles sont de fort bonnes choses, mais tous les gourmets, et mme ceux qui ne mangent que parce que ne pas manger cest mourir, sont daccord pour reconnatre quelles sont meilleures en sauce sucre pour arroser la bouillie de mil, ou sale et pimente pour accom moder le couscous aux haricots. Demba voyait venir le moment o il serait oblig dtre de cet avis. Son repas du jour ne lui tait plus port aux champs; et, le soir, il allumait lui-mme le feu pour griller arachides ou patates douces. H est dfendu l homme fait de toucher un balai, et pourtant, comment faire quand la pous sire, les cendres, les coques darachides et les pluchures de patates envahissent chaque jour un Peu Plus le sol de la case? L on ne travaille vraiment bien que le torse nu. Mais lorsque la journe finie, on endosse son ioubou, l on voudrait bien que ce boubou ne soit Pas aussi sale que le foie d'un chien; et pourtant, est-il digne dun homme qui mrite le nom d'hotnme ^e prendre calebasse, savon et linge sale * daller la rivire ou au puits faire la les sive?

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CO NTES DAMADOU KOUMBA

Demba commenait se poser toutes ces ques tions, et beaucoup dautres encore. Sa sagesse, peut-tre un peu en retard, lui rptait : L on ne connat lutilit des fesses que quand vient lheure de sasseoir, s La continence est une vertu bien belle, sans aucun doute, mais cest une bien pitre com pagne. Elle est trop mince pour remplir une couche et Demba trouvait maintenant son lit trop large pour lui seul. Koumba, par contre, sapercevait, chaque jour qui passait, que ltat de rpudie pour une femme jeune et accorte, dans un village rempli de jeunes hommes entreprenants, navait absolument rien de dsagrable, bien au contraire. Qui voyage avec son an et son cadet fait Je plus agrable des voyages. A ltape, lan soccupe de trouver la case et le cadet fait le feu. Koumba, qui tait retourne chez elle, qui y avait retrouv ses anes et ses cadettes, et qui, en outre, passait leurs yeux pour avoir tant souf fert dans la case de son mari, tait gte et choye par tout le monde. Quand il y a trop ramasser, se baisser devient malais. Cest pourquoi les griots-chanteurs et les dialis-musiciens, aux sons de leurs guitares, ex hortaient en vain Koumba choisir parmi les prtendants qui, ds le premier soir de son arri ve, avaient envahi sa case. Ce ntait, aprs le / repas du soir, que chants et louanges des griots \ ladresse de Koumba, de ses amies et de ses pr tendants, que musique des dialis rappelant la gloire des anctres. Un grand tam-tam tait projet pour le di manche qui venait, tam-tam au cours duquel Koumba devait enfin choisir entre ses prten

UN JUGEMENT

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dants. Hlas ! le samedi soir, quelquun vint Q 06 personne nattendait plus, et Koumba moins < lue quiconque. C tait Demba, qui entrant dans case de ses beaux-parents, leur dit : Je viens chercher ma femme. Mais, Demba, tu l as rpudie! Je ne lai point rpudie. On alla chercher Koumba dans sa case, < lu.e remplissaient amis, griots, prtendants et musi ciens. T u mas dit de retourner chez ma mre, dclara Koumba, et elle ne voulut rien savoir pour reprendre le chemin de la case de son poux. Il fallut aller trouver les vieux du village. MalS ceux-ci ne surent qui, de l poux ou de l pouse, avait raison; qui des deux croire, ni que dcider : Koumba tait revenue toute seule dans demeure de ses parents, do elle tait partie efl bruyante et joyeuse compagnie pour la case son mari. Sept jours, puis sept autres jours encore sept jours avaient pass et Demba ntait pas venu la rclamer, donc elle n avait pas fm> selon toute vraisemblance, la couche de son poux; une femme est chose trop ncessaire pour quon la laisse sen aller sans motif grave. Cepen dant, une lune entire ne stait pas coule de puis le dpart de Koumba de la demeure de son mari et son retour dans la case familiale; la spa' ration pouvait, si les poux voulaient s entendfe> ne pas tre dfinitive, car Demba navait paS rclam sa dot ni ses cadeaux. E t pourquoi ne leS avait-il pas rclams? Parce que, justement, rpondit Demba, 3e navais pas rpudi ma femme.

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CONTES D'AMADOU KOUMBA

Parce que, justement, prtendit Koumba, tu mavais rpudie. En effet, lpoux qui rpudie sa femme perd la dot paye aux beaux-parents et les cadeaux faits la fiance et ne peut plus les rclamer. Mais qui n a pas chass son pouse na rclamer ni dot, ni cadeaux. La question tait trop claire pour la subtilit de ices sages vieillards, qui les envoyrent ceux de MBoul. De MBoul, Demba et Koumba furent N Guiss, de N Guiss MBadane, de MBadane Thiolor. Koumba disait toujours : * Tu mas r pudie , et Demba disait partout : Je ne t ai pas rpudie. Us allrent de village en village et de pays en pays, Demba regrettant sa case et son lit et les calebasses de couscous, le riz si gras que lhuile en ruisselait des doigts la saigne du bras; Koumba, pensant sa courte libert, sa cour empresse, aux louanges des griots, aux accords des guitares. Ils furent Thioye, ils furent N Dour. L un disait toujours : non! lautre disait partout : si! Les marabouts, dans les pays musulmans, cher chaient dans le Coran, feuilletaient le Farata et la Souna dont les prceptes nouent et dnouent les liens du mariage. Chez les Tidos paens, les fticheurs interrogeaient les canaris sacrs, les cauris rougis au jus de colas et les poulets sacri fis. Koumba disait partout : Tu mas rpu die. Demba disait toujours : Je ne t ai pas rpudie. * Us arrivrent un soir enfin Maka-Kouli. Maka-Kouli tait un village qui ne ressemblait aucun autre village. Dans Maka-Kouli, il n%

UN JUGEMENT

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avait pas un chien, il ny avait pas un chat. Dans Maka-Kouli, il y avait des arbres aux ombrages frais et pais, tamariniers, fromagers et baobabs, il y avait des tapates encerclant les demeures, des palissades entourant la mosque et les cours ensa bles de la mosque; il y avait des cases en paille et la mosque en argile. Or arbres, tapates, paille des cases et murs de la mosque sont endroits o Khatj-le-chien, malappris jusquen ses vieux jours, lve la patte tout instant; et lurine de chien plus que tout autre urine, quelle que soit la partie du corps ou le pan du boubou qui y touche, rduit nant la plus fervente des prires. L ombre des arbres est faite pour le repos des hommes et pour leurs palabres et non pour les urines des chiens, pas plus que le sable fin qui tapissait les cours de la mosque, sable blanc comme du sucre que des niers allaient chercher chaque lune sur les dunes qui bordent la mer, ne pouvait servir de dpotoir Woundou-le-chat qui y cacherait ses incongruits. Cest pourquoi, dans Maka-Kouli, il ny avait ni un chien ni un chat. Seuls sy roulaient dans la poussire et se dispu taient les os, pour samuser, les tout petits enfants qui ne savaient pas encore parler; car, Maka-Kouli, ds quun enfant pouvait dire sa mre : Maman, porte-moi sur ton dos , on lenvoyait lcole apprendre le Fatiha et les autres sourates du Coran. Demba et Koumba arrivrent donc un soir Maka-Kouli. L demeurait, entour de ses fer vents disciples, Madiakat-Kala, le grand mara bout qui avait fait lon ne savait plus combien de fois le plerinage de La Mecque. Du matin au soir et souvent du soir au matin, ce ntait dans ce village que prires, rcitations

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CO NTES DAMADOU KOUMBA

de litanies, louanges Allah et son prophte, lectures du Coran et des Hadits. Demba et Koumba furent reus dans la de meure de Madiakat-Kala comme le sont, dans toutes les demeures, les voyageurs venus de trs loin. Koumba dna en compagnie des femmes et Demba partagea le repas des hommes. Lorsque, tard dans la nuit, il fallut aller se coucher, Koumba refusa daccompagner Demba dans la case qui leur avait t prpare : Mon mari ma rpudie , expliqua Koumba; et elle raconta le retour des champs de Demba en colre, les cris quelle avait subis et les coups quelle avait reus. Demba reconnut avoir cri, oh ! mais pas si fort quelle le prtendait; il avoua avoir lev la main sur sa femme, mais ce n avait t que quelques bourrades de rien du tout; mais il ne lavait point rpudie. Si, tu mas rpudie! Non, je ne t ai point rpudie! E t la discussion allait renatre lorsque Madia kat-Kala intervint et dit Tara, la plus jeune de ses femmes : Emmne Koumba avec toi dans ta case, nous claircirons leur affaire demain, inch allah ! Les deux poux allrent donc se coucher cha cun de son ct, comme chaque soir depuis cette nuit de malheur que Golo et sa tribu denfants gts, ignorant sans doute les consquences de leurs actes, ou sen moquant tout simplement (ce qui tait beaucoup plus probable car les singes savaient tout ce qui se passait chez les hommes) avaient employe saccager le champ de pas tques.

UN JUGEMENT

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Un jour nouveau se leva et semblable aU^ autres jours de Maka-Kouli, scoula en labe^f e en prires; en labeur pour les femmes, en pr'eres pour les hommes. Madiakat-Kala avait dit la veille : s0US claircirons leur affaire demain sil plat Difu* *. Cependant la journe passait sans quil ai1 appel ni interrog les deux poux. Koumba va. aid les femmes aux soins du mnage et a cuisine. Demba avait particip aux prires hommes et cout les commentaires du sav 'an marabout. Le soleil, sa journe termine, avait quitt son champ arros dindigo o dj, annonant une belle rcolte pour la nuit, poussaient les Pre' mires toiles. L e muezzin, successivement aUX quatre coins de la mosque, avait lanc aux v* s du soir l izan, l appel des fidles la prire crpuscule. Madiakat-Kala, l iman, guida ses talibs le long et rude chemin du salut si plell dembches. Les corps se courbrent, se plirent, les fro touchrent le sable blanc comme du sucre, J es ttes se redressrent, les corps se relevrent et gnuflexions se succdrent au rythme des verSe sacrs. A la dernire, les ttes se tournrent , droite, puis gauche, pour saluer l ange de dil et l ange de gauche. A peine finit-il de dire : Assaloumou koum , que Madiakat-Kala se retourna bf8 quement et demanda : O est l homme qui a rpudi sa femme? Me voici, rpondit Demba au dernier des fidles. Homme, ta langue a enfin devanc ton cS~

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CONTES DAMADOU KOUMBA

prit et ta bouche a consenti dire la vrit. Dites sa femme de retourner tranquillement chez sa mre, son mari a reconnu devant nous tous quil lavait rpudie. Voil pourquoi, dit Amadou-Koumba, lon parle encore chez nous du jugement de Madia kat-Kala.

LES MAMELLES

Quand la mmoire va ramasser du bois mort, elle rapporte le fagot quil lui plat... L horizon bouch mencercle les yeux. Les verts de lt et les roux de lautomne en alls, je cherche les vastes tendues de la savane et ne trouve que les monts dpouills, sombres comme de vieux gants abattus que la neige refuse densevelir parce quils furent sans doute des mcrants... Mauvais tisserand, lhiver narrive pas gre ner ni carder son coton; il ne file et tisse quune pluie molle. Gris, le ciel est froid, ple, le soleil grelotte; alors, prs de la chemine, je rchauffe mes membres gourds... Le feu du bois que lon a soi-mme abattu et dbit semble plus chaud quaucun autre feu... Chevauchant les flammes qui sautillent, mes penses vont une une sur des sentiers que bordent et envahissent les souvenirs.

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Soudain, les flammes deviennent les rouges re flets dun soleil couchant sur les vagues qui on dulent. Les flots fendus forment, sur le fond qui fuit, des feux follets furtifs. Las de sa longue course, le paquebot contourne paresseusement la Pointe des Almadies... Ce nest que a les Mamelles? avait de mand une voix ironique ct de moi... Eh ! oui ! Ce ntait que a, les Mamelles, le point culminant du Sngal. A peine cent mtres daltitude. J avais d le confesser cette jeune femme qui avait t si timide et si efface au cours de la traverse, que je n avais pu rsister lenvie de lappeler Violette. E t cest Violette qui demandait, en se moquant, si ce ntait que a les Mamelles, et trouvait mes montagnes trop mo destes. J avais eu beau lui dire que plus bas, puisquelle continuait le voyage, elle trouverait le Fouta-Djallon, les Monts du Cameroun, etc., etc. Violette n en pensait pas moins que la nature navait pas fait beaucoup de frais pour doter le Sngal de ces deux ridicules tas de latrites, moussus ici, dnuds l... Ce n est que plus tard, aprs ce premier retour au pays, bien plus tard, quau contact dAmadou Koumba, ramassant les miettes de son savoir et de sa sagesse, j ai su, entre autres choses, de beaucoup de choses, ce qutaient les Mamelles* ces deux bosses de la presqule du Cap-Vert, les dernires terres dAfrique que le soleil regarde longuement le soir avant de sabmer dans la Grande Mer... Quand la mmoire va ramasser du bois mort, elle rapporte le fagot quil lui plat...

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Ma memoire, ce soir, au coin du feu, attache dans le meme bout de liane mes petites mon tagnes, les pouses de Momar et la timide et blonde Violette pour qui je rapporte, en rponse, tardive peut-tre, son ironique question, ceci que ma cont Amadou Koumba.

Lorsquil sagit dpouses, deux nest point un bon compte. Pour qui veut sviter souvent que relles, cris, reproches et allusions malveillantes, g il faut trois femmes ou une seule et non pas deux. Deux femmes dans une mme maison ont tou jours avec elles une troisime compagne qui non seulement n est bonne rien, mais encore se trouve etre la pire des mauvaises conseillres Cette compagne cest lEnvie la voix aigre et acide comme du jus de tamarin. Envieuse, Khary, la premire femme de Mofflar, 1 tait. Elle aurait pu remplir dix calebasses de sa jalousie et les jeter dans un puits, il lui en serait rest encore dix fois dix outres au fond de son cur noir comme du charbon. Il est vrai que Khary navait peut-tre pas de grandes rai. sns Tftre trs, trs contente de son sort. En Khary tait bossue. Oh ! une toute petite bosse de rien du tout, une bosse quune camisole bien empese ou un boubou ample aux larges plis Pouvait aisment cacher. Mais Khary croyait Que tous les yeux du monde taient fixs sur sa bosse. Elle entendait toujours tinter ses oreilles les cns de Khary-khougu Khary-khougu !

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(Khary-la-bossue!) et les moqueries de ses com pagnes de jeu du temps o elle tait petite fille et allait comme les autres, le buste nu; des com pagnes qui lui demandaient chaque instant si elle voulait leur prter le bb quelle portait sur le dos. Pleine de rage, elle les poursuivait, et malheur celle qui tombait entre ses mains. Elle la griffait, lui arrachait tresses et boucles doreilles. La victime de Khary pouvait crier et pleurer tout son saoul; seules ses compagnes la sortaient, quand elles navaient pas trop peur des coups, des griffes de la bossue, car pas plus quaux jeux des enfants, les grandes personnes ne se mlent leurs disputes et querelles. Avec lge, le caractre de Khary ne stait point amlior, bien au contraire, il stait aigri comme du lait quun gnie a enjamb, et cest Momar qui souffrait maintenant de lhumeur ex crable de sa bossue de femme. Momar devait, en allant aux champs, emporter son repas. Khary ne voulait pas sortir de la mai son, de peur des regards moqueurs, ni, plus forte raison, aider son poux aux travaux de labour. Las de travailler tout le jour et de ne prendre que le soir un repas chaud, Momar stait dcid prendre une deuxime femme et il avait pous Koumba. A la vue de la nouvelle femme de son mari, Khary aurait d devenir la meilleure des pouses, la plus aimable des femmes et cest ce que, dans sa navet, avait escompt Momar il n en fut rien. Cependant, Koumba tait bossue, elle aussi. Mais sa bosse dpassait vraiment les mesures dune honnte bosse. On et dit, lorsquelle tour

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nait le dos, un canari de teinturire qui semblait porter directement le foulard et la calebasse poss sur sa tete. Koumba, malgr sa bosse, tait gaie douce et aimable. Quand on se moquait de la petite KoumbaKhough du temps o elle jouait, buste nu, en lui demandant de prter un instant le bb quelle avait sur le dos, elle rpondait, en riant plus fort que les autres : a mtonnerait quil vienne avec toi, il ne veut mme pas descendre pour teter. Au contact des grandes personnes, plus tard, Koumba qui les savait moins moqueuses peut-tre que les enfants, mais plus mchantes, n avait pas chang de caractre. Dans la demeure de son poux, elle restait la mme. Considrant Khary comme une grande sur, elle svertuait lui plaire. Elle faisait tous les gros travaux du m nage, elle allait la rivire laver le linge, elle vannait le grain, et pillait le mil. Elle portait, chaque jour, le repas aux champs et aidait Momar a son travail. Khary n en tait pas plus contente pour cela bien au contraire. Elle tait, beaucoup plus qu avant, acariatre et mchante, tant lenvie est une gloutonne qui se repat de nimporte quel mets, en voyant que Koumba ne semblait pas souffrir de sa grosse bosse. Momar vivait donc demi heureux entre ses deux femmes, toutes deux bossues, mais lune gracieuse, bonne et aimable, lautre, mchante! grognonne, et malveillante comme des fesses 1 aurore. Souvent, pour aider plus longtemps son mari, Koumba emportait aux champs le repas prpar de la veille ou de laube. Lorsque binant ou sar

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clant depuis le matin, leurs ombres staient blot ties sous leurs corps pour chercher refuge contre lardeur du soleil, Momar et Koumba sarr-*' taient. Koumba faisait rchauffer le riz ou la bouillie, quelle partageait avec son poux; tous deux sallongeaient ensuite lombre du tamari nier qui se trouvait au milieu du champ. Koumba, au lieu de dormir comme Momar, lui caressait la tte en rvant peut-tre des corps de femme sans dfaut.

Le tamarinier est, de tous les arbres, celui qui fournit lombre la plus paisse; travers son feuillage que le soleil pntre difficilement, on peut apercevoir, parfois, en plein jour, les toiles; cest ce qui en fait larbre le plus frquent par les gnies et les souffles, par les bons gnies comme par les mauvais, par les souffles apaiss et par les souffles insatisfaits. Beaucoup de fous crient et chantent le soir qui, le matin, avaient quitt leur village ou leur de meure, la tte saine. Ils taient passs au milieu du jour sous un tamarinier et ils y avaient vu ce quils ne devaient pas voir, ce quils nauraient pas d voir : des tres de lautre domaine, des gnies quils avaient offenss par leurs paroles ou t>ar leurs actes. Des femmes pleurent, rient, crient et chantent dans les villages qui sont devenues folles parce quelles avaient vers par terre leau trop chaude dune marmite et avaient brl des gnies qui passaient ou qui se reposaient dans la cour de leur demeure. Ces gnies les avaient attendues

LE S MAMELLES Nombre dun tamarinier et avaient chang leur tete. Momar ni Koumba navaient jamais offens ni blesse, par leurs actes ou par leurs paroles les genies; ils pouvaient ainsi se reposer lombre du tamarinier, sans craindre la visite ni la vengeance de mauvais gnies. Momar dormait ce jour-l, lorsque Koumba, qui cousait prs de lui, crut entendre, venant du tamarinier, une voix qui disait son nom; elle leva la tete et aperut, sur la premire branche de 1 arbre, une vieille, trs vieille femme dont les cheveux, longs et plus blancs que du coton gren, recouvraient le dos. E s-tu en paix, Koumba? demanda la vieille Paix seulement, Marne (Grand-mre), rpondit Koumba. . Koumba, reprit la vieille femme, je connais ton bon cur et ton grand mrite depuis que tu reconnais ta droite de ta gauche. Je veux te rendre un grand service, car je t en sais digne. P^jne lune, sur la colline dargile de N Guew, les filles-gnies danseront. Tu iras sur la colline lorsque la terre sera froide. Quand je tam-tam battra son plein, quand le cercle sera bien anime, quand sans arrt une danseuse remd ira is ne/ ? t r e danseuse, tu t approcheras et tu e'Seme < sera ct de toi : ul Tiens prends-moi lenfant que j ai sur le dos, c est a mon tour de danser. Le vendredi, par chance, Momar dormait dans la case de Khary, sa premire femme. Les derniers couchs du village staient enfin retournes dans leur premier sommeil, lorsque

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Koumba sortit de sa case et se dirigea vers la colline dargile. De loin elle entendit le roulement endiabl du tam-tam et les battements des mains. Les fillesgnies dansaient le sa-ndiaye, tournoyant lune aprs lune au milieu du cercle en joie. Koumba sapprocha et accompagna de ses claquements de mains le rythme tourdissant du tam-tam et le tourbillon frntique des danseuses qui se re layaient. # Une, deux, trois... dix avaient tourn, tourne, faisant voler boubous et pagnes... Alors Koumba dit sa voisine de gauche en lui prsentant son dos : Tiens, prends-moi lenfant, cest mon tour. La fille-gnie lui prit la bosse et Koumba senfuit. Elle courut et ne sarrta que dans sa case, ou elle entra au moment mme o le premier coq chantait. La fille-gnie ne pouvait plus la rattraper, car ctait le signal de la fin du tam-tam et du dpart des gnies vers leurs domaines jusquau prochain vendredi de pleine lune.

Koumba n avait plus sa bosse. Ses cheveux finement tresss retombaient sur son cou long et mince comme un cou de gazelle. Momar la vit en sortant le matin de la case de sa premire pouse, il crut quil rvait et se frotta plusieurs fois les yeux. Koumba lui apprit ce qui stait pass. La salive de Khary se transforma en fiel dans sa bouche lorsquelle aperut, son tour, Koumba

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qui tirait de leau au puits; ses yeux sinjectrent de sang, elle ouvrit la bouche sche comme une motte dargile qui attend les premires pluies, et amre comme une racine de sindian; mais il n en sortit aucun son, et elle tomba vanouie. Momar et Koumba la ramassrent et la portrent dans sa case. Koumba la veilla, la faisant boire, la mas sant, lui disant de douces paroles. Quand Khary fut remise sur pied, chappant l'touffement par la jalousie qui lui tait monte du ventre a la gorge, Koumba, toujours bonne compagne, lui raconta comment elle avait perdu sa bosse et lui indiqua comment elle aussi devait faire pour se dbarrasser de la sienne.

Khary attendit avec impatience le vendredi de pleine lune qui semblait narriver jamais. Le soleil, tranant tout le long du jour dans ses champs, ne paraissait plus press de regagner sa demeure et la nuit sattardait longuement avant de sortir de la sienne pour faire patre son trou peau dtoiles. Enfin ce vendredi arriva, puisque tout arrive. Khary ne dna pas ce soir-l. Elle se fit rpter par Koumba les conseils et les indications de la vieille femme aux longs cheveux de coton du tamarinier. Elle entendit tous les bruits de la premiere nuit diminuer et svanouir, elle couta natre et grandir tous les bruits de la deuxime nuit. Lorsque la terre fut froide, elle prit le che min de la colline dargile o dansaient les filleseenies.

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C tait le moment o les danseuses rivalisaient d adresse, de souplesse et dendurance, soute nues et entranes par les cris, les chants et les battements de mains de leurs compagnes qui for maient le cercle, impatientes elles aussi de mon trer chacune son talent, au rythme acclr du tam-tam qui bourdonnait. K h ary sapprocha, battit des mains comme la deuxime pouse de son mari le lui avait indiqu; puis, aprs quune, trois, dix filles-gnies en trrent en tourbillonnant dans le cercle et sor tirent haletantes, elle dit sa voisine : Tiens, prends-moi l enfant, cest mon tour de danser. A h non, alors ! dit la fille-gnie. C est bien mon tour. T iens, garde-moi celui-ci que l on m a confi depuis une lune entire et que per sonne nest venu rclamer. Ce disant, la fille-gnie plaqua sur le dos de K h ary la bosse que Koumba lui avait confie. L e premier coq chantait au mme moment, les gnies disparurent et K h ary resta seule sur la colline dargile, seule avec ses deux bosses. L a premire bosse, toute petite, lavait fait souffrir tous les instants de sa vie, et elle tait! l maintenant avec une bosse de plus, norme, plus qunorme, celle-l! C tait vraiment plus quelle ne pourrait jamais en supporter. Retroussant ses pagnes, elle se mit courir droit devant elle. E lle courut des nuits, elle cou rut des jours; elle courut si loin et elle courut si vite quelle arriva la mer et sy jeta. Mais elle ne disparut pas toute. L a mer ne vou lut pas l engloutir entirement. Ce sont les deux bosses de Khary-Khougu qui

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surplombent la pointe du Cap-Vert, ce sont elles que les derniers rayons du soleil clairent sur la terre dAfrique. Ce sont les deux bosses de Khary qui sont devenues les Mamelles.

NGOR-NIEBE

N Gor Sene tait un srre de pure race, noir charbon, un srre de Diakhaw. S il fut une fois de sa vie a la barre de Sangomar, au bord de la grande^ mer, N Gor Sne n alla jamais vers la nord ni vers lest. Il navait donc jamais entendu parler^ des malheurs de Mawdo, le vieux peulh qui, l-bas, dans le Macina, il y a de cela des annees et des annes, stait oubli un soir de palabre jusqu faire entendre devant tout le monde un bruit incongru. Chacun, vieux et jeunes, s tant regard et layant dvisag ensuite, Mawdo s tait lev et, plongeant dans la nuit, avait disparu vers le sud. Il avait march nuit et jour, il avait march des lunes et des lunes, il avait travers le pays des markas, les terres des bambaras, les villages des miniankas et les champs^ bossels des snfos qui resemblent en saison sche dimmenses cimetires. Il tait rest sept fois sept ans dans la fort, au pays des hommes nus. Puis, lentement, du pas dun vieil

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lard las et us, il sen tait retourn vers le Macina, la nostalgie des vastes tendues desschant son pauvre cur. Il marcha encore des lunes et des lunes et arriva enfin un soir sur les rives du Niger. D immenses troupeaux avaient travers, ce jour-l, le fleuve gonfl et rapide. Les bergers, recrus de fatigue, devisaient autour des fagots flambant haut. Mawdo stait approch dun foyer pour rchauffer ses membres gourds et per clus lorsquil entendit : Je te dis que ce nest pas si vieux que cela! Je t assure que cest plus vieux. Ecoute, mon pre ma dit que ctait l anne du pet . Le vieux Mawdo entendit et, sen retournant, plongea dans la nuit et alla finir ses vieux jours l-bas, l-bas, dans le sud... N Gor Sne navait jamais entendu parler des malheurs de Mawdo, le pauvre vieux peulh; ce pendant, depuis quil avait reconnu sa droite de sa gauche, il navait jamais voulu manger des haricots. Quelle que ft la manire dont on les prpart, quelle que ft la sauce dont on les accommodt, sauce larachide pimente ou loseille acide, quelle que ft la viande qui les accompagnt : ctelettes de chvre ou cou de mouton, tranches de buf ou dantilope, N gor n avait jamais touch aux nibs, jamais un grain de haricot navait franchi sa bouche. Chacun savait que N Gor tait celui-quine-mange-pas-de-haricots. Mais, explique qui pourra, personne ne lappelait plus par son nom. Pour tout le monde il tait devenu N Gor-Nib, pour ceux du village et pour ceux du pays. Agacs de le voir toujours refuser de saccrou

N GOR-NIEBE

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pir autour dune calebasse o pointait une tache noire du nez dun nib, ses camarades se jurrent un jour de lui en faire manger. N Dn tait une belle fille aux seins durs, la croupe ferme et rebondie, au corps souple comme une liane, et N Dn tait lamie de N Gor Sne. C est elle que vinrent trouver les camarades d son ami qui lui dirent : N Dne, nous te donnerons tout ce que tu voudras : boubous, pagnes, argent et colliers, si tu arrives faire manger des nibs N Gor qui commence vraiment nous tonner, nous, ses freres, car il ne nous explique mme pas les rai sons de son refus. Aucun interdit na touch sa tamille concernant les haricots. Promettre une femme jeune et jolie, une coquette, pagnes et bijoux! Que ne ferait-elle pour les m enter? Jusquo nirait-elle pas? Faire manger quelquun un mets quaucune tradition ne lui defend de toucher, quelquun qui dit vous aimer et qui vous le prouve tous les soirs? Rien de plus aise sans doute, et N Dn promit son tour. Trois nuits durant, N Dn se montra plus gentille et plus caressante qu laccoutume lorsque griots, musiciens et chanteurs prenaient cong aprs avoir gay les jeunes amants. Sans dormir un seul instant, elle massa, elle venta, elle caressa N Gor, lui chantant de douces chan sons et lui tenant de tendres propos. Au matin de is)ei^e ^nuit N Gor lui demanda : N Dn, ma sur et ma chrie, que dsi res-tu de moi? . N Gor mon oncle, dit la jeune femme, mon aim, tout le monde prtend que tu ne veux pas manger des haricots, mme prpars par ta mre.

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Je voudrais que tu en manges faits de ma main, ne serait-ce quune poigne. Si tu maimes vrai ment comme tu le dis, tu le feras, et moi seule le saurai. _ Ce n est que cela, le plus grand de tes d sirs? Eh bien ! mon aime, demain, tu feras cuire des haricots, et, lorsque la terre sera froide, je les mangerai, si cest l la preuve quil te faut de mon grand amour. Le soir, N Dn fit cuire des haricots, les ac commoda la sauce arachide, y mit piment, clous de girofle et tant dautres sortes dpices quon ny sentait plus lodeur ni le got des haricots. Quand N Gor se retourna dans son deuxime sommeil, N Dn le rveilla doucement en lui caressant la tte et lui prsenta la calebasse si apptissante. N Gor se leva, se lava la main droite, sassit sur la natte, prs de la calebasse, et dit son amante : N Dn, il est dans Diakhaw une personne qui tu donnerais ton nez pour quelle vive si elle venait perdre le sien, une personne dont le cur et le tien ne font quun, une amie pour laquelle tu nas aucun secret, une seule personne qui tu te confies sincrement? Oui ! fit N Dn. Qui est-ce? Cest Thioro. Va la chercher. N Dn alla chercher son amie intime. Quand Thioro arriva, N Gor lui demanda : Thioro, as-tu une amie intime, la seule per sonne au monde pour qui tu ouvres ton cur? Oui ! dit Thioro, cest N Gon. Va dire N Gon de venir.

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Thioro alla qurir N Gon, sa plus-que-sur. Quand N Gon vint, N Gor l interrogea : N Gon, as-tu une personne au inonde qui ta langue ne cache aucun secret, pour qui ton cur soit aussi clair que le jour? Oui, cest Djgane, dit la jeune femme. Djgane arriva et dclara, la question de N Gor, que ctait avec Sira quelle partageait ses secrets. N Gor lui dit d aller chercher Sira, son amie intime. Sira vint et sen fut appeler la seule confidente de sa vie, K hary. K h ary partit et ramena celle avec qui elle changeait les plus intimes secrets. T an t et si bien que, dans la case, N Gor, accroupi devant sa calebasse de haricots, se trouva entour de douze femmes venues appe les l une par l autre. N Dn ma sur, dit-il alors, je ne mange rai jamais de haricots. S il m tait arriv de man ger ces nibs prpars par toi ce soir, demain toutes ces femmes l auraient su, et, damies in times en amies intimes, de femmes maris, de maris parents, de parents voisins, de voisins compagnons, tout le village et tout le pays l auraient su. E t dans la nuit, N Gor Sne sen retourna dans sa case, pensant que cest le premier toupet de K otj Barma qui avait raison : Donne ton amour la femme, mais non ta confiance. >

MAMAN-CAMAN

Les btes les plus btes des btes qui volent, marchent et nagent, vivent sous la terre, dans leau et dans lair, ce sont assurment les camans qui rampent sur terre et marchent au fond de leau. ,\ Cette opinion nest pas mienne, dit Amadou \ Koumba, elle appartient Golo, le singe. Bien que tout le monde soit daccord sur ce point que Golo est le plus mal embouch de tous les tres, tant le griot de tous, il finit par dire les choses les plus senses, selon certains, ou du moins par faire croire quil les dit, affirment dautres. Golo disait donc, qui voulait lentendre, que les Camans taient les plus btes de toutes les btes, et cela, parce quils avaient la meilleure mmoire du monde. L on ne sait si ctait, de la part de Golo, louange ou blme, un jugement mis par envie ou par ddain. En matire de mmoire, en effet, le jour o le Bon Dieu en faisait la distribution, 4

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Golo avait d arriver certainement en retard. Sa tte lgre, malgr sa grande malice, oublie bien vite, aux dpens de ses ctes et de son derrire pel, les mauvais tours quil joue chacun et tout le temps. Son opinion sur les camans, il avait pu donc lmettre un jour que lun des siens avait eu maille partir avec Diassigue, la mre des camans, qui, sans aucun doute, stait venge un peu trop rudement dune toute petite taquine rie. Diassigue avait bonne mmoire. Elle pouvait mme avoir la mmoire la meilleure de la terre, car elle se contentait de regarder, de son repaire de vase ou des berges ensoleilles du fleuve, les btes, les choses et les hommes, recueillant les bruits et les nouvelles que les pagaies confient aux poissons bavards, des montagnes du FoutaDjallon la Grande Mer o le soleil se baigne, sa journe termine. Elle coutait les papotages des femmes qui lavaient le linge, rcuraient les cale basses ou puisaient de leau au fleuve. Elle enten dait les nes et les chameaux qui, venus de trs loin, du nord au sud, dposaient un instant leurs fardeaux de mil et leurs charges de gomme et se dsaltraient longuement. Les oiseaux venaient lui raconter ce que sifflaient les canards qui pas saient, remontant vers les sables. Donc Diassigue avait une bonne mmoire; et, tout en le dplorant, au fond de lui-mme, Golo le reconnaissait. Quant sa btise, Golo exagrait en laffirmant, et mme, il mentait comme un bouffon quil tait. Mais le plus triste dans laffaire, cest que les enfants de Diassigue, les petits camans, commenaient partager lopi nion des singes sur leur mre, imitant en cela Leuk-le-Livre, le malin et malicieux livre,

M AM AN-CAIM AN dont la conscience est aussi mobile que les deux savates quil porte accroches la tte, du jour o il les enleva pour mieux courir, et qui, depuis, lui servent doreille. Thile-le-Chacal, que la peur dun coup venu don ne sait jamais o, fait tou jours courir, mme sur les sables nus, droite et a gauche, pensait aussi comme Golo, comme Leuk, comme Bouki-lHyne, poltronne et voleuse, dont le derrire semble toujours flchir sous une vole de gourdins; comme Thioye-le-Perroquet, dont la langue ronde heurte, sans arrt le bec qui est un hameon accrochant tous les potins et racontars qui volent aux quatre vents. Sguela-Panthre, cause de sa fourberie, aurait, peuttre, volontiers partag l opinion de tous ces badolos de basse condition, mais elle gardait trop rancune Golo des coups de bton qui lui meur trissaient encore le mufle et que Golo lui adminis trait chaque fois quelle essayait de lattraper en bondissant jusquaux dernires branches des arbres. Les enfants de Diassigue commenaient donc, eux aussi, croire que Golo disait la vrit. Ils trouvaient que leur mre radotait parfois un peu trop peut-tre. Ctait lorsque, lasse des caresses du soleil, ou fatigue de regarder la lune sabreuver sans arrt plus de la moiti de la nuit, ou dgote de voir passer les stupides pirogues, nageant, le ventre en lair, sur le fleuve qui marche aussi vite quelle,s, Diassigue runissait sa progniture et lui racon tait des histoires, des histoires dHommes, pas des histoires de Camans, car les camans nont pas dhistoires. E t cest peut-tre bien cela qui vexait, au lieu de les rjouir, les pauvres petits camans.

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Maman-Caman rassemblait donc ses enfants et leur disait ce quelle avait vu, ce que sa mre avait vu et lui avait racont et ce que la mre de sa mre avait racont sa mre. Les petits camans billaient souvent quand ellejeur parlait des guerriers et des marchands de Ghna que leur arrire-grand-mre avait vu pas ser et repasser les eaux pour capturer des esclaves et chercher lor de N Galam. Quand elle leur parlait de Soumangourou, de Soun Diata Kita et de lempire de Mali. Quand elle leur parlait des premiers hommes la peau blanche que sa grandmre vit se prosternant vers le soleil naissant aprs stre lav les bras, le visage, les pieds et les mains; de la teinte rouge des eaux aprs le passage des hommes blancs qui avaient appris aux hommes noirs se prosterner comme eux vers le soleil levant. Cette teinte trop rouge du fleuve avait forc sa grand-mre passer par le Bafing et le Tinkisso du fleuve Sngal dans le roi des fleuves, le Djoliba, le Niger, o elle retrouva encore des hommes aux oreilles blanches qui descendaient aussi des pays des sables. Sa grand-mere y avait encore vu des guerres et des cadavres; des cadavres si nombreux que la plus goulue des familles camans en et attrap une indigestion pendant sept fois sept lunes. Elle y avait vu des empires natre et mourir des royaumes. Les petits camans billaient quand Diassigue racontait ce que sa mre avait vu et entendu : Kouloubali dfaisant le roi du Manding. N Golo Diara qui avait vcu trois fois trente ans et avait battu, la veille de sa mort, le Mossi. Quand elle leur parlait de Samba Lame, le toucouleur, qui avait t matre du leuve, matre de

MAMAN-CAMAN Brack-Oualo, matre du Damel, roi du Cayor et matre des Maures, ce qui rend encore si vaniteux les pcheurs toucouleurs qui chantent sa gloire au-dessus de la tte des petits camans et trou blent souvent leurs bats avec leur longues perches. , Diassigue parlait, les petits camans baillaient ou rvaient dexploits de camans, de rives lointaines do le fleuve arrachait des p pites et du sable dor, o lon offrait, chaque anne, aux camans, une vierge nubile la chair frache. Ils rvaient ces pays lointains, l-bas au Pinkou, o naissait le soleil, des pays o les camans taient des dieux, ce que leur avait racont, un jour, Ibis-le-Plerin, le plus sage des oiseaux. . Ils rvaient daller l-bas dans les lacs immenses du Macina, entendre les chants des rameurs Bozos et savoir sil est bien vrai, ce que leur avait dit Dougoudougou, le petit canard, que ces chants ressemblaient davantage ceux des femmes du Oualo,. qui venaient laver leur linge tout prs de leurs trous, qu ceux des piroguiers omonos, dont les anctres taient venus des montagnes du sud, sur les rives du Niger ... 1 poque o la mre de Diassigue remontait le grand fleuve. . Ils rvaient du Bafing et du Bakoy, du fleuve bleu et du fleuve blanc qui se rejoignaient l-bas, uDafoulabe, et donnaient le fleuve quils habi taient. Ils rvaient de ces lieux dpousailles o ce que racontaient les Poissons-Chiens, rien ne ' | Sparait les eaux des deux fleuves, qui cependant gardaient chacun, longtemps, longtemps, sa cou leur. Ils auraient voulu, rve de petits camans,

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Ba^er ^ dans leau des deux fleuves, un cot du corps dans le fleuve bleu, lautre ct dans le fleuve blanc et larte du dos au soleil brlant. Ils rvaient souvent de faire le mme chemin que leur arrire-grand-mre, de passer du Sngal au Niger par le Bafing et le Tinkisso. Comme les dents de leurs^ parents, les rves des petits camans poussaient indfiniment... Ils rvaient de hauts faits de camans et Diassigue, la Maman-Caman, ne savait leur raconter que des histoires dhommes; elle ne savait leur parler que de guerres, de massacres dhommes par dautres hommes... Voil pourquoi Jes petits camans taient prts a partager lopinion de Golo sur leur mre, opi nion que leur avait rapporte Thioker-le-Perdreau, le plus cancanier des oiseaux.

Un matin, des corbeaux passrent trs haut audessus du fleuve en croassant : Un soleil tout nu un soleil tout jaune Un soleil tout nu daube htive Verse des flots dor sur la rive Du fleuve tout jaune... Diassigue sortit de son trou, flanc de rive, et regarda les corbeaux sloigner. Au milieu du jour, dautres corbeaux suivirent, qui volaient plus bas et croassaient

M AM AN-CAIMAN Un soleil tout nu un soleil tout blanc Un soleil tout nu et tout blanc Verse des flots dargent Sur le fleuve tout blanc...

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Diassigue leva le nez et regarda les oiseaux sloigner... Au crpuscule, dautres corbeaux vinrent se poser sur la berge et croassrent : Un soleil tout nu un soleil tout rouge Un soleil tout nu et tout rouge Verse des flots de sang rouge Sur le fleuve tout rouge... Diassigue sapprocha, pas larges et mesurs, son ventre flasque raclant le sable et leur de manda ce qui avait motiv leur dplacement et ce que signifiait leur chant. Brahim Saloum a dclar la guerre Yli, lux dirent les corbeaux. Toute emue, Diassigue rentra prcipitamment chez elle. Mes enfants, dit-elle, lmir du Trarza a dclar la guerre au Oualo. Il nous faut nous loigner dici. Alors le plus jeune des fils camans inter rogea : Mre, que peut nous faire, nous, ca mans, que les Ouoloffs du Oualo se battent contre les Maures du Trarza? . Mon enfant, rpondit Maman-Caman, 1 herbe seche peut enflammer lherbe verte. Al lons-nous-en Mais les petits camans ne voulurent pas suivre leur mre.

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Ds quavec son arme il eut travers le fleuve et mis le pied sur la rive nord, sur la terre de Ghanar, Yli devina lintention de son ennemi : lloigner le plus possible du fleuve. En effet, les Maures, qui taient venus jusquau fleuve lancer dfi ceux du Oualo, semblaient maintenant fuir devant les Ouoloffs. Us ne voulaient livrer bataille que loin, bien loin au nord, dans les sables, quand les noirs ne verraient plus le fleuve qui les rendait invincibles chaque fois quils sy trempaient et y buvaient avant les combats. Yli, avant de poursuivre ceux du Trarza, ordonna ses hommes de remplir les outres que portaient les chameaux et les nes et dfense leur fut faite dy toucher avant que lordre n en ft donn. . Pendant sept jours, larme du Oualo poursui vit les Maures; enfin Brahim Saloum fit arrter ses guerriers, jugeant les Ouoloffs assez loigns du fleuve pour souffrir de la soif ds les premiers engagements et la bataille sengagea. Les terribles combats durrent sept jours pen dant lesquels chaque Ouoloff eut choisir son Maure et chaque Maure eut combattre son noir. Yeli dut se battre seul contre Brahim Saloum et ses cinq freres. Il tua lmir le premier jour. Pendant cinq jours, il tua, chaque jour un frre. Le septime jour, il ramassa sur le champ de bataille, abandonn par larme du Trarza, le fils de Brahim Saloum. L hritier du royaume maure portait une blessure au flanc droit. Yli le ramena avec lui, dans sa capitale. Tous les marabouts et tous les gurisseurs furent appels pour soigner le jeune prince captif.

MAMAN-CAMAN Mais tous les soins qui lui taient prodigus paraissaient aggraver la blessure.

Un jour, vint enfin la cour de Brack-Oualo, une vieille, trs vieille femme, qui ordonna le remde efficace. Ce remde ctait : en application, trois fois par jour, sur la plaie, de la cervelle frache de jeune caman.

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Vivre seul et se moquer dautrui, se moquer dautrui, de ses soucis comme de ses succs, cest l, saps conteste, un sage et raisonnable parti. Mais ignorer absolument les rumeurs, les potins, et les cancans, cela peut amener parfois des ds agrments au solitaire. # Si Kakatar-le-Camlon, le Camlon sage et circonspect jusque dans sa dmarche, avait fray plus souvent avec les habitants de la brousse ou mme avec ceux des villages, il aurait su ce que tout un chacun pensait de Golo-le-Singe. Il aurait connu lopinion des hommes et le sentiment des btes lendroit de cet tre malfaisant, mal lev, mal embouch, querelleur et malicieux, menteur et dbauch, dont la tte ntait pleine que de vilains tours jouer au prochain. Il aurait su pourquoi Golo avait les paumes des mains noires force de toucher tout, et les fesses peles et rouges davoir reu tant de coups. Leuk-le-Livre lui aurait sans doute dit pourquoi Golo n tait

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pas un compagnon souhaitable; Thile-le-Chacal, Bouki-lHyne et mme Bakhogne-le-Corbeau lui auraient appris pourquoi Golo ntait pas fr quenter assidment. MBotte-le-Crapaud lui au rait avou que, pour sa part, jamais dans sa fa mille personne navait fait de Bagg-le-Lzard son compagnon de route, car il y a compagnon et compagnon; et que sans nul doute, la socit de Golo-le-Singe n tait pas faite pour lui, Cam lon. Mais Kakatar ne hantait pas les mmes parages que tous ceux-l; et, sil lui advenait daventure den aviser un sur son hsitante et titubante route, il savait prendre la teinte des objets qui lentouraient jusqu ressembler lcorce dun vieux baobab, aux feuilles mortes qui lui servaient alors de lit, ou aux herbes vertes contre lesquelles il sadossait. Un jour, cependant, au bord dun sentier, Golo-le-Singe, qui passait en gambadant, put dis tinguer Kakatar coll contre le flanc dune termi tire. Oncle Kakatar, as-tu la paix? salua Golo dune voix doucereuse. Force fut au taciturne solitaire, dont lhumeur tait moins changeante que la couleur de la peau, de rpondre la politesse. Car Assalamou aleykoum > nest pas plus beau que Aleykoum salam , et lon doit payer, lon peut payer cette dette sans sappauvrir. E t puis, rendre un salut na jamais corch la bouche. La paix seulement! rpondit donc Kakatar, de mauvaise grce, il est vrai. Mais il ne connais sait pas assez Golo, sil pensait tre dbarrass de lui si peu de frais.

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O donc se dirigeaient vos jambes si sages, mon oncle? senquit le curieux. Je men allais vers N Djoum-Sakhe 1, expli qua Kakatar, que le singe approchait de si prs quil commenait prendre la teinte du pelage de son interlocuteur. Ce que voyant, et sans doute aussi la ressemblance aidant de leurs queues qui leur servaient tous deux parfois de cinquime main, Golo se crut autoris plus de familiarit : Eh bien ! oncle, je t accompagne et je me ferai facilement ton allure. Ils sen allrent donc tous deux vers N DjoumSakhe, Golo essayant en vain, ds les premiers pas de se rgler lallure balance et hsitante de son compagnon qui ttait dabord lair et sem blait chaque instant chercher sil ny avait pas une pine sur son chemin. N y tenant plus, Golo se mit trotter droite et gauche, devant et derrire, pour revenir de temps autre tenir un petit propos son compagnon. Le sentier n tait pas long qui menait N Djoum-Sakhe, mais lallure de ces voyageurs, dont lun avait toujours lair de marcher sur des braises ardentes et sautillait tout le temps et dont lautre semblait avancer sur un troupeau de hris sons, lallure de ces deux voyageurs ntait pas des plus rapides. Le soleil ardait dur et dru audessus de leur tte quils navaient pas encore parcouru la moiti de la moiti du sentier deN Djoum-Sakhe. Golo et Kakatar sarrtrent lombre dchiquete dun palmier, en haut duquel pendait une gambe, une calebasse-gourde. (i)N Djoum-Sakhe : Vise-grenier =

pas bien loin.

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Tiens, fit Golo, qui tait au courant de tout, tiens, N Gor espre ce soir une bonne rcolte de vin de palme; mais nous mouillerons bien nos gorges avant lui, car il fait vraiment trop chaud. Mais ce vin de palme nest pas nous! sahurit Camlon. E t puis aprs? interrogea le Singe. Mais le bien dautrui sest toujours appel : a laisse . Golo ne releva mme pas la remarque; il tait dj en haut du palmier, il avait dcroch la gourde et buvait grands traits. Quand il eut tout vid du liquide frais, mousseux et ptillant, il laissa choir la gourde, qui faillit craser son compagnon. Il redescendit et dclara : Le vin de palme de N Gor tait vraiment dlicieux. Nous pouvons continuer notre chemin, mon oncle. E t ils repartirent. Ils ntaient pas encore bien loin du palmier lorsquils entendirent derrire eux des pas plus assurs et plus pesants que les leurs. Ctait N Gor qui avait retrouv sa gourde en miettes au pied de larbre, et non, comme il sy attendait avec juste raison, l-haut, au flanc du palmier et remplie de vin de palme. Quand Golo, qui stait retourn, laperut, il pensa tout d abord se sauver et laisser son compagnon sexpliquer avec lhomme ; mais il n et pas t digne de sa race sil avait agi aussi simplement. Pensez donc ! et si Kakatar sexpliquait avec N Gor et laccusait, lui, Golo, qui prenait la fuite, pas assez loin certainement ni assez long temps sans doute pour ne point tomber un jour ou lautre entre les mains du saigneur de palmiers. Il sarrta donc et dit son compagnon den faire

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autant, ce qui ne demandait pas beaucoup defforts celui-ci. N Gor vint eux avec la colre que lon devine : On a vol mon vin de palme et cass ma gourde. Connaissez-vous le coupable, si ce nest lun de vous deux? Camlon se tut, se gardant bien daccuser son compagnon de route. Moi, je le connais, fit le Singe. Kakatar tourna un il et regarda Golo. _ Cest celui-l, fit ce dernier en dsignant dun index le Camlon. Comment, cest moi? suffoqua Kakatar, cest toi qui la bu! N Gor, dit le Singe, nous allons marcher tous les deux, ce menteur et moi, et tu verras que cest celui qui titube qui a bu ton vin de palme. Ayant dit, il marcha, sarrta bien droit : Suis-je ivre, moi? demanda-t-il, puis il com manda : Marche maintenant, toi, Camlon, toi qui dit ne pas tre ivre. Kakatar avana, puis sarrta en titubant, comme le font tous les Camlons de la terre. Regarde, N Gor, dit Golo, un buveur ne peut se cacher. N Gor prit Kakatar-le-Camlon, le battit vi goureusement et lui dit en labandonnant : Si je ne t ai pas tu cette fois-ci, remercie le bon Dieu et ton camarade. N Gor sen retourna vers son palmier, et les deux voyageurs reprirent leur chemin. Vers le soir, ils atteignirent les champs de N DjoumSakhe. J ai froid, dit Kakatar, nous allons, pour me rchauffer, mettre le feu ce champ. Non pas, certes, dit le Singe.

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Je te dis que nous allons incendier ce champ, affirma Camlon, qui alla chercher un tison et mit le feu au champ. Mais il n en brla quune partie et le feu steignit vite. Les gens de N Djoum-Sakhe avaient cependant aperu la flambe. Us taient accourus et sinformaient : Qui a mis le feu ce champ? Je ne sais pas, j ai vu la flamme et je me suis approch, dclara Kakatar. ~ Comment? stonna le singe, tu ne veux pas insinuer que cest moi qui ai incendi ce champ? Puisquil ne veut pas avouer que cest lui le coupable, regardez donc nos mains. Ayant dit, le Camlon tendit ses mains, la paume en tait blanche et nette. Fais voir les tiennes maintenant, toi qui dis ne pas tre lincendiaire, commanda Kakatar. Golo tendit ses mains, la paume en tait noire comme celle de toutes les mains de tous les singes de la terre. ,*7- Regardez, triompha le Camlon, lincen diaire ne peut se cacher. On attrapa Golo, qui se souvient encore cer tainement de la correction quil reut et qui, de puis ce temps-l, ne frquenta plus jamais Kakatar-le-Camlon.

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Koupou-Kala, le Crabe aux longs yeux qui se balancent droite et gauche, Crabe qui n a que deux doigts chaque main, mais possde quatre pattes de chaque ct du ventre, ne sortait pas la journe durant et vivait tant que le soleil chauf fait dans sa case sans lumire creuse dans largile. Il ne mettait le nez dehors que la nuit venue, quand les troupeaux dtoiles entraient dans les pturages du ciel. Pour ses sorties, Crabe choisissait de prfrence les nuits o la lune fatigue confiait Bouki-lHyne la garde des troupeaux et non Khand-ndre-le-Tessonde-canari. Car Crabe savait que Bouki mangeait un grand nombre dtoiles et que la nuit en tait plus sombre, tandis que Tesson-de-canari, en ber ger consciencieux, dfendait le troupeau contre tout le monde, contre Bouki-lHyne, contre Sgue-la-Panthre, contre Gaynd-le-Lion, contre Kpiile-le-Chacal; et le firmament, mme en

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labsence de Vre-la-Lune, tait encore trop clair au gr de Koupou-Kala. En ce temps-l, Crabe avait le dos rond, et ctait pour voir ce qui se passait derrire lui quil avait mis ses yeux au bout de deux petits btons. En ce temps-l aussi, il marchait, comme tout le monde sur terre, droit devant lui, et recu lait comme chacun quand quelque chose lef frayait dans la nuit noire. Dans ses sorties nocturnes, il nentrevoyait que N Djougoupe-la-Chauve-souris la gueule de chien, aux ailes en peau, il n entendait que le hululement de la mre Chouette, la plus grande sorcire des btes de nuit. Il ne risquait donc point de croiser sur son obscur chemin Kakatarle-Camlon, le sage Camlon aux pas circons pects, qui ne dambulait que sous le soleil brlant. L envie et-elle mme pris le sage lam bin de saventurer la lueur des toiles ou au clair de lune, que Crabe ne let certainement pas remarqu, occup quil tait tout le temps la qute de sa pitance. Crabe let-il mme par im possible remarqu, que fort probablement Kaka tar naurait pas condescendu lui raconter ce qui lui arriva le jour o il alla sur le sentier de N Djoum-Sakhe en la compagnie de Golo-leSinge. Kakatar le lui et-il racont, que sans aucun doute, Koupou-Kala n en aurait tenu compte, et il sen serait mme moqu. Car, fr quentant la Nuit, Crabe pensait avoir beaucoup appris et croyait en savoir plus que beaucoup dautres qui ne vivaient que le jour. Un jour, trouver manger devint difficile sous le soleil, et impossible en pleine nuit. Force fut Koupou-Kala de ne point rentrer avant laurore et de continuer sa tourne pour avoir de quoi rem

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plir son ventre; cest ainsi quil rencontra Kantioli-le-Rat. Kantioli, lui aussi habitait sous terre, mais il sortait de nuit comme de jour; seulement, il mar chait tellement vite croire quil avait peur de sa longue queue; il marchait tellement vite quil navait mme pas le temps de lancer un bonjour aux gens quil croisait sur son chemin. Encore moins avait-il le temps de sattarder des palabres, couter potins et ragots, entendre celui-ci, prter son oreille pointue celui-l. Il voyait bien, sur sa route, et cela chaque jour que Dieu faisait, MBotte-le-Crapaud, Leuk-le-Livre et dautres encore, dont Golo-le-Singe. Il navait jamais pris langue avec aucun deux ni reu conseil de personne concernant ses relations. Golo ne lavait pas arrt lombre paisse dun tama rinier, ni au pied dune termitire, pour lui nar rer ce qui lui tait arriv le jour o par chant, aurait certainement prtendu limpu ,avait accompagn le lent, hsitant et indcis Kakatar sur le sentier de N DjoumSakhe. Des conseils des uns et des cancans des autres^ Kantioli-le-Rat aurait peut-tre tir une leon, savoir : en matire de frquentations, mieux vaut choisir ceux de sa race et de sa condition. Mais R at tait toujours trop press dans ses courses pour ecouter et entendre quiconque, bien quil st le plus souvent en quels lieux aller tout droit pour trouver sa nourriture. Son allure fut cependant plus lente, moins tranche et moins dcide ce jour o trouver manger tait devenu difficile et cest pour cela qu il sarrta en croisant Koupou-Kala-le-Crabe et salua celui-ci fort poliment :

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Djma n ga fanane? (As-tu pass la nuit en paix?) oncle Crabe? Djma rek! (en paix seulement!) Crabe, comme on peut le penser, ne disait pas tout fait la vrit en rendant son salut. Mais allez donc vous servir dune formule de politesse autre que celle que votre pre et le pre de votre pre ont toujours employe. Lorsquon est bien lev, rpond-on que lon va mal quelquun qui sinquite de votre sant? Cela ne sest jamais entendu et ne sentendra jamais tant quil y aura des gens qui ont reu un semblant dducation. Serait-on lagonie que lon doit toujours r pondre, lorsque lon a su un peu vivre, que lon est en paix, en paix seulement. Djma rek! Que le corps est en paix, en paix seulement, t djma rek! , le corps souffrirait-il de dix et sept maux; que la maison est en paix, en paix seulement, * Djma rek! ny aurait-il rien manger, et les femmes sy disputeraient-elles de laube au crpuscule et bouderaient-elles du cr puscule laurore. Non encore au terme de sa qute infructueuse et de ses dmarches inutiles jusque-l, KoupouKala ne fit donc aucun effort pour rpondre selon lusage au salut de Kantioli qui continuait interroger : O donc te conduisent tes nombreuses et savantes pattes? La question, bien que normale et attendue de tout voyageur poli rencontr sur son chemin, dut paratre sans doute oiseuse Crabe, car cest dune voix plus que sche quil rpondit : Probablement sur le mme chemin o te mnent les quatre tiennes. Sur le chemin qui remplira mon ventre.

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Rat ne parut point se vexer du ton peu amne de son interlocuteur, et cest fort gentiment quil proposa Eh bien! nous allons faire route ensemble. Crabe acquiesa des deux yeux quil rabattit puis releva, et ils sen allrent. Au milieu du jour, ils arrivrent au pied dun palmier dont les cheveux, attendant toujours que le ciel les tresse, entouraient des amandes gon fles de chair. Va chercher un rgime damandes, toi qui grimpes si bien et qui as des dents si pointues, dit Koupou-Kala Rat. Rat grimpa, rongea le pied dun rgime et cria : Attrape, Crabe! Attends, dit Crabe, il faut que j aille cher cher de quoi me faire un coussinet pour la tte avant de porter le rgime. E t il sen alla. Il sen alla trouver Ftt-la-Flche, qui, en ce temps-l, avait dj le nez pointu, mais navait pas encore t chez Teug-le-Forgeron pour y mettre un bout de fer; pour voler plus loin et plus haut, Ftt se mettait aussi parfois deux plumes au derrire. Ftt, demanda Crabe, si tu vois Kantioli-leRat, est-ce que tu seras capable de le toucher en haut dun trs haut palmier? Certainement, rpondit Ftt-le-Flche, que semblait indigner pareille question o perait un doute sur sa puissance. Que mon pre KhlalArc my envoie et tu verras ! Nous le verrons, fit Crabe. Nous le verrons quand je dirai : allons-y!

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Il sen alla plus loin et rencontra Makhe-laTermite : Mre Makhe, grande dvoreuse de bois mort, interrogea-t-il, si tu voyais Ftt qui vole si vite, mme sans ailes, et son pre Khla, pour rais-tu leur faire un boubou d argile avant de les avaler? Sans aucun doute je le pourrai, affirma mre Termite. Nous le verrons, quand je dirai : allons-y! E t Crabe continua sa route et croisa Skheu-le Coq, qui il demanda : - Skheu, toi qui rveilles le monde et rem plis de terreur Mlinte-la-Fourmi, la terrible Fourmi, si tu rencontres Makhe-le-Termite, n aurais-tu pas peur pour ton bec devant cette mangeuse de bois mort? Oserais-tu la piquer? _ Montre-moi une termite et tu verras, fit simplement le Coq. Nous le verrons quand je dirai : allons-y! Attends-moi l dit Crabe, qui sen alla trouver Thile-le-Chacal. Thile, lui dit-il, si tu trouvais, sur ton che min, Skheu-le-Coq si vaniteux, qui fait tant de bruit et empche le monde de dormir, pourrais-tu le saisir? Bien sr! dclara Thile-le-Chacal. Nous le verrons quand je dirai : allons-y ! E t crabe sen alla voir Khatj-le-Chien. Khatj, peux-tu attraper Thile-le-Chacal qui ne marche ni ne court tout droit? Wawaw! Wawaw! (Oui! Oui!) rpon dit le Chien. Nous le verrons quand je dirai : allons-y! Viens avec moi. E t Crabe retourna sur ses pas, accompagn de

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Khatj-le-Chien. En chemin, il dit Thile-leChacal, Makhe-la-Termite, Skheu-le-Coq, de suivre; il prit Ftt-la-Flche et son pre KhlalArc. Quand ils furent tous au pied de larbre, au sommet duquel Kantioli-le-Rat attendait tou jours, tenant son rgime damandes de palme, Koupou-Kala-le-Crabe cria : allons-y! Alors Khatj-le-Chien attrapa Thile-le-Chacal, Thile mordit Skheu-le-Coq, Skheu piqua Makhe-la-Termite, Makhe entoura dargile Khala-lArc, Khla lcha Ftt-la-Flche, qui alla toucher Kantioli-le-Rat. et Kantioli laissa tomber le rgime damandes sur Koupou-Kala-le-Crabe, qui, de ce jour-l, eut le dos aplati et marche depuis vers sa main droite et vers sa gauche, mais jamais plus droit devant lui.

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Koupou-Kala-le-Crabe qui, une fois dans sa vie sortit en plein soleil, stait jur de ne plus fr quenter ni les btes poil ni le peuple plumes. Il ne stait jamais vant de la msaventure qui lui aplatit le dos pour toujours, le jour o en compagnie de Kantioli-le-Rat, il avait voulu jouer celui-ci un mauvais tour, un tour de Crabe. Non seulement Kantioli, mais dautres aussi, Ftt-la-Flche et son pre Khla-lArc, mre Makhe-le-Termite, Skheu-le-Coq, Thile-leChacal. De cette quipe, seul Khatj-le-Chien tait sorti sans dommage. Car Khatj-le-Chien, condition quil ait pris un peu dge et reu quelques coups en sa jeunesse, se montre le plus sage des sages parmi les btes. Khatj-le-Chien pouvait frquenter sans ptir quiconque. Cela, cest Leuk-le-Livre qui laffirmait, et si Leuk-leLivre laffirmait, on pouvait le croire sans peine, car il connaissait son monde. Ni Kantioli-le-Rat, ni Khla-lArc, ni Makhe-

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le-Termite, ni Skheu-le-Coq, ni Thile-le-Chacal navaient souffl mot de ce qui leur tait arriv. L eussent-ils cri haute voix aux quatre vents du firmament que Ganar-la-Poule, qui pourtant souvent tend loreille en penchant la tte, ne let pas entendu. La qute des grains pars au pied des mortiers est une besogne trop absorbante pour que lon perde son temps couter dautres ru meurs que le froissement des ailes de Sotjnete-laSauterelle aux coudes pointus, de Sochte fille unique et orpheline, cousine de N Djrre-le-Criquet la famille innombrable; que lon perde son temps couter dautres rumeurs que le Kt! Kt! Kt! des mandibules de Makhe-le-Termite rongeant le toit des paillotes ou la paille des cltures. Rat stait promis de navoir plus affaire quaux longs-museaux et au peuple des fouis seurs. Ftt-la-Flche restait sur le dos de KhlalArc son pre et ne faisait plus de commission pour personne. A supposer que Ganar-la-Poule lcoutt, mre Makhe-le-Termite ne se ft point aventure cer tainement venir ouvrir son cur Ganar, car elle navait pas une confiance des plus aveugles dans les yeux de celle-ci qui aurait pu lon ne sait jamais la confondre avec un grain de riz mal dcortiqu. Trop imbu de son mtier dpoux, et sachant assez bien ce quil faut dire et ce quon ne doit pas confier aux femmes, Skheu-le-Coq ne stait pas abaiss conter Ganar-la-Poule une histoire dans laquelle il navait pas tenu un rle trop reluisant. Ce ntait point par crainte de Ganar-la-Poule on le pense ni de Skheu-le-Coq on

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sen doute que Thile-le-Chacal ne hantait pas les mmes lieux que ces gens plumes qui ne volaient pas bien loin ni trs haut et qui mar chaient sur terre. Mais Skheu-le-Coq et son pouse vivaient plus souvent avec les hommes que dans la brousse, et les hommes avaient des gour dins, des pieux et mme parfois des btons qui crachaient du feu. Thile-le-Chacal navait donc pas eu loccasion de narrer Ganar-la-Poule ses malheurs. Seul Khatj-le-Chien aurait pu lui raconter com ment les choses staient passes. D abord parce quil sen tait tir son honneur et son avan tage, ensuite parce quil frquentait Ganar-laPoule. Pas aussi assidment que Skheu-le-Coq, bien sr et pour cause, mais assez souvent pour lui rapporter les ragots du village et mme les cancans de la brousse. Car Khatj-le-Chien est le Maure des Animaux, cest le plus indiscret des indiscrets. Mais si Khatj est le plus grand des indiscrets, sil possde la langue la plus longue du monde, il ne rapporte que ce qui lui plat, et il ne le rap porte qu ceux qui lui plaisent. E t Khatj-leChien jugeait souvent Ganar-la-Poule indigne de ses confidences, car il la prenait pour la plus stupide des btes et mme des btes vtues de plumes. Il comprenait trs bien pourquoi dans le village les mamans dfendaient aux petits enfants de manger de la cervelle de poulet, en effet, la cervelle de poulet trouble lintelligence, comme une motte dargile fait dune calebasse deau. Khatj-le-Chien comprenait, et excusait mme, avouait-il parfois, les mgres qui attendaient davoir chasser Ganar-la-Poule gare dans la case ou dans la cuisine, pour soulager leur noir

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cur charg de fiel, pour faire des allusions et dire des malveillances ladresse de leurs voi sines. Personne ne sy trompait, et seule Ganarla-Poule prenait ces injures pour elle-mme. Si Ganar-la-Poule tait bte, cest parce quelle n avait jamais voulu demander conseil Nne-lCEuf, quelle na jamais considr comme son an. On voulut un jour savoir qui de Nne-lCEuf et de Ganar-la-Poule tait le plus g. Kotj-barma, le sage Kotj, avait rpondu : Nne-l uf. Car NnelCEuf savait beaucoup plus de choses que Ganarla-Poule et bien avant elle. Si ds la cration du monde, Nne-lCEuf navait pas su entre autres choses que Dodje-le-Caillou ntait pas pour lui un bon compagnon de route, Ganar-la-Poule ne serait jamais venue sur terre. Nne-lCEuf ne stait donc jamais oubli jusqu frayer avec Dodje-le-Caillou et Ganar-la-Poule put ainsi arri ver terme. Sortie de lCEuf, la Poule avait grandi; mais malgr son ge elle narrivait pas reconnatre le chemin qui conduit au march, ny tant toujours alle et nen tant revenue que pendue lenvers, les pattes ficeles et la tte en bas, au bout dun bras ou dun bton pos sur lpaule, alors que tout le; monde, btes et gens, sy rendaient et en revenaient sur leurs deux jambes et sur leurs quatre pattes. Si Ganar-la-Poule avait demand conseil Nne-lCEuf, qui est son pre et son fils, et qui savait beaucoup, Nne-lCEuf lui aurait appris entre autres choses que pour prendre de bons compagnons il faut choisir parmi ceux de son ge; que pour tre bons convives, rien de mieux que davoir des mains droites de; mme largeur, des

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mains qui, puisant dans une calebasse, font des boulettes de couscous de mme grosseur, peu importe ensuite la grandeur de la bouche ou la grosseur du ventre de chacun. Cette leon, cest Khatj-le-Chien qui la donna un jour Ganar-la-Poule. Cest la seule quelle ait pu retenir, et il nest mme pas certain quelle lait retenue toute. Les hommes ntaient pas encore revenus des champs. Les femmes taient au puits et les en fants leurs jeux. Sur le foyer entre les trois cailloux duquel Safara-le-Feu, faute de quoi man ger, stait assoupi, Tjine-la-Marmite stait refroidie quand Khatj-le-Chien sapprocha, suivi de Ganar-la-Poule. La marmite tait pleine de riz, dont les grains de dessus taient dj secs, car toute lhuile tait descendue au fond. Khatj, qui savait ce quil en tait, avait, ds son arrive, enfonc son museau tout au-dedans et se dlectait des grains gras et ruisselants dhuile. Ganar-la-Poule, elle, ne picorait que les grains secs de dessus. Quand ils eurent tous deux le ventre plein, Khatj-le-Chien retira son museau aussi gras quune motte de beurre et dit sa compagne : Amie, tu as vraiment beaucoup apprendre. Sache pour commencer que lon ne doit manger dun mets quaprs stre assur de ce quil y a au fond du plat. Cest depuis ce jour que Ganar-la-Poule gratte et parpille tout ce quelle trouve avant dy mettre le bec.

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Aux yeux de ses parents, MBott-le-Crapaud tait encore trop jeune sans doute. Toujours est-il que ceux-ci n avaient jusque-l jug utile de lui apprendre que quelques rudiments de ce qui fai sait le fondement de la sagesse du clan. Sils lui avaient conseill de ne point frayer avec Bagg-leLzard, qui ne savait que courir tel un esclave faisant une commission pour son matre; sils lui avaient, maintes fois dj, recommand de se mfier de Djanne-le-Serpent, qui savait, si fort propos, prendre la teinte et la forme dune liane; de le fuir, mme quand il se dshabillait et lais sait son boubou contre lcorce des branches four chues, ils avaient jug que ses oreilles taient encore trop frles pour lui conter la msaventure qui arriva leurs aeux, par la faute de lun deux trop ambitieux; msaventure o faillit prir, jamais, tout le peuple des crapauds. Il y avait de cela des lunes et des lunes, des mares staient remplies de leau du ciel et

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staient dessches aux ardeurs du soleil, lon ne savait plus combien de fois; des gnrations et des gnrations de crapauds ont pass depuis sur terre et rempli de leurs voix des nuits incalcu lables, qui, depuis, sont alles rejoindre les anctres, lorsque larrire-arrire-grand-pre de larrire-arrire-grand-oncle de Mamou-Mamatt MBott, larrire-grand-pre des grands-parents de MBott-le-Crapaud avait rencontr sur son chemin la fille du vieux Calao, la terreur du peuple serpent, et en tait tomb amoureux. Il avait demand la fille serpentaire en mariage. On la lui avait accorde. Un jour le vieux Calao, dont la vue avait beau coup baiss, flnant de son pas lent et balanc, avait rencontr sur un sentier un crapaud; celui-ci n avait-il pas eu le temps, ou peut-tre simple ment lintention de le saluer? (Car il ne faut point croire que tous les crapauds furent toujours, ou sont devenus de nos jours, dune politesse extrme. ) Le vagabond sautillant ne sexpliqua pas. A supposer quil let voulu faire, Calao-le-vieux ne lui en avait pas offert loccasion; projetant son long cou sur ce qui bondissait devant ses yeux qui n taient plus assez bons, il avait referm son bec sur le crapaud qui tel une boulette de pte de mil copieusement enrobe dune sauce filante de gombo avait suivi docilement le chemin qui mne au ventre. Dire, avait pens Calao-le-vieux, dire que j ai failli terminer mes jours dj si longs, sans connatre cette chair succulente, ni le got du crapaud. Il sen tait revenu au village et avait racont la chose son griot.

LES MAUVAISES COMPAGNIES

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Matre, avait dit celui-ci, il ne tient qu vous de vous en rgaler, toi, tes enfants et tes amis. Mais comment faire? senquit le vieux ser pentaire. Matre, un gendre refusera-t-il jamais son beau-pre une journe de travail au champ? Pas chez nous. Ni ailleurs, Matre! Demande donc au tien de venir payer sa dette de gendre en retournant ton champ. Cest un bon fils dans son village, il viendra avec ses amis et les amis de ses amis. Il en fut ainsi, quand Calao-le-vieux envoya dire au mari de sa fille quil tait temps quil vnt lui prter ses bras, car la lune des semailles ap prochait. Griots et tam-tams en tte, le gendre avec ses amis, les amis de ses amis et les amis de leurs amis partirent au premier chant du coq de KeurMBott leur village, pour tre Keur-Calao avant leur lever du soleil. Ils y furent de bonne heure, et dcids abattre une besogne digne deux, sen allrent tout droit au champ de Calao-le-vieux. Les tam-tams bourdonnaient, et les chants quils rythmaient rendaient agrable le travail. Tamtams et chants rveillrent ceux du village, et le premier de tous, le Griot de Calao-le-vieux, qui alla dire son Matre : Matre, je crois bien que votre festin est prt. Calao-le-vieux, sa progniture, ses amis et leur progniture savancrent lentement vers le champ quils entourrent de tous cts; puis ils bon dirent sur les laborieux crapauds occups arra cher les mauvaises herbes et retourner la terre. Griots, musiciens et chanteurs ayant t happs6

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CONTES D'AMADOU KOUMBA

les premiers, les tam-tams et les voix se turent et lon n entendit plus, un long temps, que le clapclap des becs qui se fermaient, souvraient et se refermaient. Sautillant, bondissant, boitant, les pauvres cra pauds cherchaient senfuir, pour finir dans la nuit noire des ventres des Calaos. Seuls, trois dentre eux, dont larrire-arriregrand-pre de larrire-arrire-grand-pre de Mamou-Mamatt-MBott, larrire-grand-pre des grands-parents de MBott-le-Crapaud, purent se sauver et vinrent raconter Keur-MBott leur triste et tragique quipe. Cette; histoire du clan faisait partie de lenseignement des jeunes crapauds; mais seule ment quand ils taient so