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Diplomatie publique et stratégie de sécurité nationale aux États-Unis, de la Guerre froide à la Guerre contre le terrorisme Par Laurence Saint-Gilles Notre lutte est semblable à celle de la Guerre froide”. George W. Bush, discours présidentiel, Académie militaire de West Point, 1 er juin 2002. Après le 11 septembre 2001, la politique de communication de l’Administration Bush a été caractérisée par de fréquentes références à la Guerre froide et la mise en avant de ses analogies avec la Global War on Terror. Une telle comparaison explicite a suscité outre-Atlantique des débats parfois passionnés sur le rôle de la diplomatie publiquedans l’accomplissement des objectifs stratégiques des États-Unis au cours de ces deux époques décisives de leur histoire. La public diplomacy est communément définie comme l’ensemble des moyens qu’utilisent les gouvernements pour comprendre, informer et influencer les opinions publiques étrangères, afin de promouvoir leurs intérêts nationaux. 1 Cette expression a été forgée au milieu des années 1960 par des professeurs de Tufts University dans le souci de bien démarquer la politique culturelle, au sens large incluant l’“information honnête, de la propagandequi avait acquis au cours de la Guerre froide une connotation nettement péjorative. 2 Selon le Département d’État, la diplomatie publique exclut la propagande noire, la guerre psychologique et autres formes d’action clandestine. 3 Traditionnellement, elle se distingue aussi des public affairs, catégorie réservée à une audience intérieure. Or, depuis la création en octobre 1999 de la nouvelle fonction dUnder-Secretary for Public Diplomacy and Public Affairs, les frontières entre la première et les secondes sont devenues beaucoup plus floues. La mise en œuvre formelle de la diplomatie publique aux États-Unis est apparue, dans le cadre de la définition et de la mise en œuvre de l’endiguement (containment) en 1947, avec le vote la loi Smith-Mundt en janvier 1948. Elle conditionna la réussite du Plan Marshall et la formation d’une identité occidentale sous l’égide des États-Unis. Elle participa de l’arsenal idéologique qui contribua à leur assurer la victoire finale. Mais, paradoxalement, elle fut victime de son succès puisque la Guerre froide terminée, l’Administration Clinton décida, en 1998, au titre de la réorientation de sa stratégie, de 1 Cette définition figure sur le site Internet du Département d’État, à la rubrique “Public Diplomacy” : www.usdiplomacy.org/diplomacytoday/contemporary /public.php, et sur celui des anciens de l’USIA, “What is Public Diplomacy ?” : http:// www.public.diplomacy.org/1htm. 2 Keylor, 2004. 3 US Department of State, “Public Diplomacy”, op.cit. Published/ publié in Res Militaris (http://resmilitaris.net), vol.5, n°1, Winter-Spring/ Hiver-Printemps 2015

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Diplomatie publique et stratégie de sécurité

nationale aux États-Unis, de la Guerre froide à la

Guerre contre le terrorisme

Par Laurence Saint-Gilles

“Notre lutte est semblable à celle de la Guerre froide”. George W. Bush, discours présidentiel,

Académie militaire de West Point, 1er juin 2002.

Après le 11 septembre 2001, la politique de communication de l’Administration

Bush a été caractérisée par de fréquentes références à la Guerre froide et la mise en avant

de ses analogies avec la “Global War on Terror”. Une telle comparaison explicite a suscité

outre-Atlantique des débats parfois passionnés sur le rôle de la “diplomatie publique” dans

l’accomplissement des objectifs stratégiques des États-Unis au cours de ces deux époques

décisives de leur histoire.

La public diplomacy est communément définie comme “l’ensemble des moyens

qu’utilisent les gouvernements pour comprendre, informer et influencer les opinions

publiques étrangères, afin de promouvoir leurs intérêts nationaux”.1 Cette expression a été

forgée au milieu des années 1960 par des professeurs de Tufts University dans le souci de

bien démarquer la “politique culturelle”, au sens large incluant l’“information honnête”, de

la “propagande” qui avait acquis au cours de la Guerre froide une connotation nettement

péjorative.2 Selon le Département d’État, la diplomatie publique “exclut la propagande

noire, la guerre psychologique et autres formes d’action clandestine”.3 Traditionnellement,

elle se distingue aussi des public affairs, catégorie réservée à une audience intérieure. Or,

depuis la création en octobre 1999 de la nouvelle fonction d’Under-Secretary for Public

Diplomacy and Public Affairs, les frontières entre la première et les secondes sont

devenues beaucoup plus floues.

La mise en œuvre formelle de la diplomatie publique aux États-Unis est apparue,

dans le cadre de la définition et de la mise en œuvre de l’endiguement (containment) en

1947, avec le vote la loi Smith-Mundt en janvier 1948. Elle conditionna la réussite du Plan

Marshall et la formation d’une identité occidentale sous l’égide des États-Unis. Elle

participa de l’arsenal idéologique qui contribua à leur assurer la victoire finale. Mais,

paradoxalement, elle fut victime de son succès puisque la Guerre froide terminée,

l’Administration Clinton décida, en 1998, au titre de la réorientation de sa stratégie, de

1 Cette définition figure sur le site Internet du Département d’État, à la rubrique “Public Diplomacy” :

www.usdiplomacy.org/diplomacytoday/contemporary /public.php, et sur celui des anciens de l’USIA, “What

is Public Diplomacy ?” : http:// www.public.diplomacy.org/1htm . 2 Keylor, 2004.

3 US Department of State, “Public Diplomacy”, op.cit.

Published/ publié in Res Militaris (http://resmilitaris.net), vol.5, n°1, Winter-Spring/ Hiver-Printemps 2015

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supprimer l’organe (United States Information Agency : USIA) chargé de centraliser

l’action culturelle extérieure des États-Unis, organe désormais considéré comme une

couteuse relique de la Guerre froide.

En révélant au public et aux dirigeants américains l’impopularité insoupçonnée de

leur pays à l’étranger, les attaques terroristes du 11 septembre ont donné une actualité

saisissante aux propos du général Eisenhower, selon qui “ par rapport à la sécurité relative

que donnent les armements, la sécurité réelle ne peut exister que par la connaissance et la

compréhension mutuelles”.4 L’idée s’est alors généralement imposée que la tragédie du 11

septembre était d’une certaine manière imputable au désarmement unilatéral de l’Amérique

dans le domaine de la conquête des cœurs et des esprits au cours de la décennie précédente.

Après des années de désintérêt, la diplomatie publique retrouva les faveurs des

médias et de l’opinion américaine, qui virent en elle un moyen pacifique de contrer la

propagande malveillante afin de favoriser l’entente internationale et de combattre le

terrorisme. Alors qu’au cours des années précédentes, l’Administration et le Congrès

avaient minimisé l’importance de la diplomatie culturelle, la nécessité d’étendre et

d’intensifier son utilisation fut soudain réaffirmée par l’Administration républicaine de

George W. Bush.

Désormais rattachée au Département d’État, la public diplomacy ne pouvait être

dissociée des objectifs de la politique étrangère américaine ni échapper aux impératifs de la

“Global War on Terror” (GWOT) définie comme la nouvelle priorité stratégique de

Washington. Il était évident que la perception des États-Unis dans l’opinion publique aurait

des répercussions sur la contribution internationale à la lutte engagée et qu’elle pourrait

même en déterminer l’issue. Après les attentats, l’Administration Bush n’est donc pas

seulement entrée en guerre militairement contre le terrorisme, elle s’est aussi engagée dans

une vaste entreprise de mobilisation des opinions publiques internationales. En novembre

2002, la GWOT fut officiellement définie comme une “war of ideas” par le Président Bush

– expression qui faisait écho à ce que le Sénateur Mundt avait appelé “the war of words”

du lors du vote de la loi qui porte son nom. Au cours des semaines et des mois qui suivirent

les attentats, on assista de la part de l’Administration et du Congrès à un véritable effort

pour faire revivre la diplomatie culturelle à laquelle on attribuait désormais la victoire

ultime des États-Unis dans la Guerre froide.

Il y aurait donc bien eu en matière de public diplomacy un avant et un après 11

septembre. Toutefois, l’idée alors communément partagée d’un revival de la diplomatie

publique alimenta les controverses : les travaux de nombreux think tanks et des rapports

parlementaires soulignèrent les insuffisances et les incohérences de la communication

gouvernementale. La réapparition de la rhétorique (“hearts and minds”) de la Guerre froide

appliquée à la GWOT ne constituait nullement un retour au combat idéologique de la

4 Déclaration du général Dwight Eisenhower devant les membres du Congrès lors des débats du vote de la loi

Smith-Mundt en 1947.

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Guerre Froide, elle visait au contraire à dissimuler à l’opinion publique la rupture

stratégique fondamentale qui s’opérait avec la doctrine Bush.

La “Guerre des mots” (1947-1948) et ses antécédents

La diplomatie publique est inséparable de l’histoire des États-Unis depuis leur

fondation. C’est en utilisant avec talent leurs réseaux d’influence que les premiers

diplomates américains, à l’instar de Thomas Jefferson, surent gagner à leur cause le élites

françaises et les convaincre de soutenir leur Révolution. En revanche, la diplomatie

culturelle fédérale ne s’est institutionnalisée que tardivement : si l’on en perçoit les

prémices lors de la Première et surtout de la Seconde Guerre mondiales, elle ne prend

officiellement naissance qu’avec les débuts de la Guerre froide, en 1948, dans le cadre de

la mise en œuvre de la nouvelle doctrine de la politique étrangère américaine : celle de

l’“endiguement”. Dans l’esprit de son concepteur, George Kennan, ce containment

comportait un volet économique et financier, le Plan Marshall, annoncé en juin 1947. Mais

il comportait aussi une dimension idéologique résolument offensive. Le renforcement des

liens culturels transatlantiques et le développement d’un programme d’information en

direction des États européens étaient le corollaire de l’aide Marshall.

La loi Smith-Mundt de 1948 fut l’acte de baptême de la politique culturelle

américaine.5 Elle consacrait l’existence juridique des services culturels du Département

d’État. Pour surmonter les réticences de l’opinion et du Congrès, le Sénateur Mundt sut

persuader ses collègues que la réussite du Plan Marshall était conditionnée par un effort en

matière d’information et de diffusion culturelle en Europe, comme il l’expliqua dans un

article intitulé “Nous sommes en train de perdre la guerre des mots en Europe”.6 Car s’il

était nécessaire de faire des efforts pour l’Europe, il s’agissait aussi et surtout de lui faire

connaître l’étendue des sacrifices consentis par les Américains pour lui venir en aide :

Jusqu’ici, nous autres Américains nous sommes pour l’essentiel contentés

d’efforts visant à remplir les estomacs européens pendant que la Russie se

concentrait ses efforts sur la conquête des esprits. […] Nous pouvons toujours

soulager la famine en Europe et contribuer à l’avènement d’une génération

d’Européens sains de corps et vigoureux, mais leur esprit est prévenu contre

l’Amérique et séduit par l’étoile rouge russe (ibid.).

La loi Smith-Mundt visait à la fois à développer l’information sur les États-Unis à

l’étranger et à intensifier les échanges dans le domaine de l’enseignement pour coopérer

avec les autres nations. Un nouvel organisme, l’Office of International Education (OIE),

était créé au sein du Département d’État. Afin de remplir cette double mission, il

comportait deux sections, l’Office of International Information, chargé des medias (OII) et

l’Office of Educational Exchange (OEX) qui assurait le lien avec l’UNESCO, gérait les

bibliothèques à l’étranger et s’occupait des échanges. Cette dualité résultait d’un

5 US Information and Educational Exchange Act, 27 janvier 1948, Public Law 402, 80

th Congress.

6 Mundt, 1947.

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compromis entre ceux qui, au Département d’État, considéraient l’information comme une

priorité et ceux qui s’inquiétaient de sa montée en puissance.

À partir d’avril 1950, en réponse à la campagne pour la paix orchestrée par le

Kominform, le Président Truman lança la Campaign of Truth. Avec le déclenchement de la

Guerre de Corée, deux mois plus tard, l’OIE reçut enfin les crédits qui lui avaient jusque-là

manqué pour mettre en œuvre une campagne d’information à grande échelle. De fait, les

échanges culturels furent alors clairement intégrés dans les plans de guerre psychologique.

Ainsi, les deux services de la culture et de l’information furent réunis au sein de

l’International Information Administration (IIA). Comme cette fusion provoqua l’émoi des

milieux éducatifs qui s’inquiétaient de voir les échanges culturels assujettis aux impératifs

de la propagande, la nouvelle Administration Eisenhower créa à la fin de l’année 1953 une

agence indépendante intitulée United States Information Agency (USIA). Dans les

ambassades, c’est au personnel de l’USIA que revenait la conduite de la politique

culturelle, alors qu’à Washington l’International Educational Exchange Service du

Département d’État (IES) gérait les programmes d’échanges.7 De 1953 à sa disparition en

1999, c’est l’USIA qui fut en charge de la conduite de la public diplomacy à l’étranger.

L’histoire de la diplomatie publique paraît donc inséparable de celle de la Guerre

froide, période qui marque incontestablement son apogée. De fait, la Guerre froide

terminée, rares furent ceux qui au gouvernement ou au Congrès, s’élevèrent contre la

disparition de l’USIA. Ce n’est qu’à la suite des événements du 11 septembre 2001 que le

rôle de la politique culturelle fut de nouveau mis en lumière, et que l’USIA devint le

symbole de la lutte victorieuse des États-Unis contre le totalitarisme, au point que l’histoire

récente de la public diplomacy s’est souvent confondue avec celle de l’USIA. Or, comme

le rappellent certains historiens, cette histoire doit être replacée dans le cadre de

l’édification du “National Security State” à la fin des années 1940. Elle serait une

composante de la “guerre politique” de Guerre froide, définie comme…

une forme de conflit entre États dans laquelle chaque protagoniste cherche à

imposer sa volonté par des moyens autres que le recours à la force armée. Au

plan pratique, l’arme principale de la guerre politique peut se décrire comme un

mixte opératoire de diplomatie et de propagande.8

Ainsi, à la diplomatie publique reviendraient en principe les activités “visibles” de

“guerre politique”, laquelle comporte aussi des activités secrètes, voire subversives. À

l’appui de cette thèse, Liam Kennedy et Scott Lucas rappellent que dans les premiers mois

de son existence, le National Security Council (NSC) a pris deux directives essentielles : la

première, NSC 4, confiant au Département d’État la direction des activités de diplomatie

publique telles que Voice of America ou les échanges Fulbright, et une seconde, NSC 4-A,

qui réservait à la nouvelle CIA la tâche de diriger des opérations de guerre psychologique

7 L’IES est devenu partie intégrante du Bureau of International Cultural Relations (1959) puis du Bureau of

Educational and Cultural Affairs (1960). 8 Cité par Scott-Smith, 2005.

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de nature à contrer la propagande initiée ou inspirée par les Soviétiques.9 Ces deux

directives du NSC constituaient ainsi les deux faces d’une même politique, celle du

containment, décrit comme un Janus présentant un visage défensif à l’avant et offensif à

l’arrière. La loi Smith-Mundt érigeait la public diplomacy en héraut de la doctrine Truman.

Mais pour ces auteurs, cette diplomatie culturelle officielle n’était en réalité qu’une façade

dissimulant des activités moins avouables.

Dans son article de Foreign Affairs de 1947, Kennan avait expliqué qu’il comptait

endiguer le communisme au moyen de “contre-forces” qui, à ses yeux, ne devaient pas être

de nature militaire, mais faire appel aux forces locales de résistance au communisme.10

Les

propositions formulées en mai 1948 par George Kennan en vue de l’organisation d’une

“guerre politique” comportaient effectivement des dispositions offensives comme la

“création de comités de libération” et des activités subversives dans les pays situés au-delà

du rideau de fer, mais destinées également aux milieux anti-communistes des pays du

“Monde libre” menacés par la propagande soviétique. Ces propositions adoptées en

novembre 1948 par le NSC ont notamment débouché sur la création du National

Committee for a Free Europe, dont les directives provenaient du Département d’État mais

qui était financé par la CIA et dirigé par des anciens des services secrets. C’est au NCFE

qu’on doit notamment le lancement de Radio Free Europe en 1951.11

Avec le lancement

de la Campaign of Truth, on assista aussi au développement à grande d’échelle d’une

diplomatie privée présentée comme l’émanation du volontarisme du peuple américain,

mais où l’on découvrit plus tard le rôle des services secrets et de la CIA, comme en

témoigne le cas du Congrès de la Liberté de la Culture.12

À partir de 1956, le projet

“peuple à peuple” du Président Eisenhower encouragea des organisations privées

américaines à établir des contacts avec leurs homologues étrangères.13

Chacune des

grandes batailles idéologiques de la Guerre froide s’accompagna d’une nouvelle éclosion

d’organisations privées officiellement indépendantes du gouvernement donnant ainsi

naissance au “State-Private Network”.

Ainsi en 1983, dans le cadre d’un regain de la Guerre froide et de la bataille contre

l’Empire du Mal, l’Administration Reagan suscite la création du National Endowment for

Democracy, fondation privée chargée de promouvoir la démocratie dans le monde. Le

succès et les limites de la diplomatie publique de Guerre froide s’expliqueraient par cette

imbrication entre “overt” et “covert activities” rendant somme toute formelle et illusoire la

distinction entre “diplomatie culturelle” et propagande. L’histoire de l’USIA n’aurait

constitué au final que la partie “présentable” d’une action gouvernementale dont

l’efficacité s’expliquerait par la création d’un State-Private Network qui survécut à la fin

de la Guerre froide.

9 Kennedy & Lucas, 2005.

10 Kennan, 1947.

11 Faure, 2004.

12 Coleman, 1989 ; Grémion, 1995.

13 Keylor, 2004, op.cit., p.195.

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La thèse de Liam Kennedy et Scott Lucas démontre de façon convaincante la

contribution décisive de la public diplomacy dans l’accomplissement des objectifs

stratégiques des États-Unis durant la Guerre froide. Elle témoigne aussi de la complexité

de la “Doctrine Truman” qui, dans l’esprit de ces concepteurs, était bien offensive en dépit

de ce que pouvait laisser augurer l’expression défensive de “containment”. Pour autant, si

la Guerre froide est bien la date de baptême de la diplomatie publique, celle-ci ne peut être

considérée comme la fille de la “guerre politique” de la fin des années 1940. Elle est, en

réalité, l’aboutissement d’un mouvement historique beaucoup plus ancien.

La public diplomacy s’enracine en effet dans des structures et des programmes

préexistant largement à la Guerre froide comme l’Office of War Information (OWI) qui

préfigura dès 1942, l’OIE créé par la loi Smith-Mundt. De même, Voice of America,

considérée comme la radio emblématique de la Guerre Froide, a lancé ses premières

émissions vers l’Asie dès 1941. Quant au Foreign Leaders Program qui acquit une

dimension internationale dans les années 1950, il fut initié en Amérique Latine dès les

années 1940. Certes, ces premières initiatives gouvernementales visaient à préparer, puis à

soutenir l’effort de guerre américain mais elles s’appuyaient en fait très souvent sur

l’expérience des universités, fondations et institutions privées fortes d’une riche tradition

en matière d’échanges culturels.

Le premier organisme chargé de stimuler et de coordonner les échanges universi-

taires entre les États-Unis et le reste du monde, l’Institute of International Education,

naquit au lendemain de la Première Guerre Mondiale, de la collaboration d’un

universitaire, Stephen Duggan, et de la Fondation Carnegie. Cet organisme devait

contribuer à développer les échanges afin de favoriser la compréhension internationale et

de préparer les Américains à tourner le dos à l’isolationnisme. À la tête de l’IIE qu’il

dirigea pendant 27 ans, Duggan milita activement auprès du Département d’État pour la

création d’un organisme gouvernemental chargé de la diplomatie culturelle.14

De même, le

rôle joué par la Fondation Rockefeller dans le développement des relations universitaires et

scientifiques transatlantiques a été maintes fois souligné. Depuis les années 1920, celle-ci

mit en œuvre une méthode de “fertilisation croisée” consistant à attirer de jeunes

chercheurs européens aux États-Unis et à envoyer leurs homologues américains en Europe

afin de contribuer à l’avènement d’une communauté intellectuelle de part et d’autre de

l’Atlantique.15

L’idéologie atlantiste qui connut une grande vogue au début des années

1950 à travers les revues Preuves ou Encounters avait des origines intellectuelles bien

antérieures. “Les partenariats public-privé sont depuis toujours au centre des relations

qu’entretiennent les États-Unis avec le reste du monde”, rappelle l’historien Giles Scott-

Smith, qui souligne que l’interaction entre acteurs publics et privés ne saurait se réduire à

quelques cas de manipulations célèbres de la CIA comme le Congrès pour la Liberté de la

Culture.16

Ces exemples ne doivent pas faire oublier l’attachement que les nombreux

14

Institute of International Education, 1994. 15

Mazon, 1982. 16

Scott-Smith, 2005, op.cit.

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acteurs privés manifestèrent à l’endroit d’une certaine tradition américaine d’intégrité et de

liberté intellectuelle expliquant la naissance tardive de la public diplomacy ainsi que les

nombreuses réticences qui se sont élevées dans l’opinion lors du vote de la loi Smith-

Mundt. Ainsi le législateur dut-il spécifier que les activités gouvernementales n’avaient pas

vocation à se substituer à l’initiative privée, mais bien à l’encourager et à la soutenir.17

Les universités américaines – qui depuis longtemps avait développé leurs propres

programmes d’échanges – n’acceptèrent de se rallier au programme du Sénateur Fulbright

que lorsqu’elles eurent l’assurance que son objectif et sa philosophie étaient conformes à

leurs idéaux. D’autre part, c’est à la suite des inquiétudes exprimées par les milieux

universitaires quant à la fusion des services chargés de l’information avec ceux de la

culture, que l’Administration Eisenhower décida de confier les programmes culturels à une

agence indépendante de Département d’État. De plus, croire que l’on pouvait assujettir des

acteurs aussi variés, entretenant des relations complexes et ayant chacun leur propre

agenda, au service de la propagande, serait méconnaître les spécificités du monde des

universités et des grandes fondations, traditionnellement soucieuses de leur indépendance.

En outre, le domaine culturel n’a pas échappé aux contingences des rivalités de pouvoir

existant au sein d’une même Administration, ce qui fait dire à Giles Scott-Smith que la

public diplomacy n’a jamais été une structure monolithique engagée de façon permanente

au service des objectifs de la politique étrangère américaine. Il existait, en effet, au sein du

Département d’Éta, une ligne de fracture séparant les “politiques” qui demandaient que

l’action culturelle produise des résultats positifs immédiats et les “faucons de la culture”

qui croyaient avant tout aux vertus des échanges à long terme.18

À partir de la seconde

moitié des années 1950, les directeurs de l’USIA abandonnèrent la guerre psychologique

agressive des années 1950 et s’engagèrent dans une stratégie gradualiste de “promotion des

idéaux américains et d’encouragement au dialogue de l’autre côté du rideau de fer”.19

Pour nombre d’experts du Département d’État, c’est au credo d’Edward Murrow – “pour

être convaincant, on doit être cru, pour être cru il faut être crédible, pour être crédible, on

se doit à la vérité” – que l’on devait bien la victoire finale des États-Unis dans la “Guerre

des mots”.

Une “Guerre des idées”

Au lendemain des attaques terroristes du 11 septembre, l’Amérique prit conscience

qu’une part significative de la communauté internationale, en particulier dans le monde

arabo-musulman, haïssait les États-Unis au point de se mettre au service des groupes

terroristes.20

Cette découverte a relancé, dans les médias et le monde politique, le débat sur

l’apport de la diplomatie publique à l’accomplissement des objectifs de la politique

17

US Information and Educational Exchange Act, 27 janvier 1948, Public Law 402, 80th

Congress. Il s’agit

d’une restriction continue dans la section 1005 (22 USC § 1437). 18

Scott-Smith, 2005, op.cit. 19

Keylor, 2004, op.cit., p.195. 20

Epstein, 2005.

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étrangère. Au moment des attentats, celle-ci était en pleine réorganisation. Le transfert

d’une partie des activités de l’ancienne USIA vers le Département d’État avait provoqué la

création d’un sixième sous-secrétariat d’État chargé des relations publiques et de la

diplomatie publique.21

Or, son titulaire n’avait pas encore été officiellement confirmé par

le Sénat et son service n’était donc pas totalement opérationnel. Si ces changements

institutionnels n’avaient guère suscité d’intérêt dans les médias, il en alla tout autrement

après les attentats qui incitèrent la presse et le public à s’interroger sur le bien-fondé de la

nouvelle stratégie de communication de l’Administration Bush.22

Lors de sa prise de fonctions en tant que Secrétaire d’État, en mars 2001, le général

Colin Powell avait annoncé qu’il entendait imprimer un nouveau style à la politique

culturelle américaine. Il avait ainsi déclaré ainsi au Congrès qu’il allait “faire venir dans le

domaine de la diplomatie culturelle des gens qui [allaient] changer la manière – celle de

l’USIA autrefois – dont nous vendions notre politique étrangère”. Un mois avant les

attentats, il affirma que son but était de vendre le Département d’État et les valeurs

américaines au reste du monde.23

Le Département d’État n’avait pas encore de stratégie clairement définie en matière

de communication. Il lui importait avant tout de rompre avec les méthodes désuètes de

l’USIA considérée comme un vestige de la Guerre froide. Bref, il ne s’agissait plus de

“distribuer des brochures”.24

Les déclarations publiques du Secrétaire d’État relatives à la

“Brand America” indiquaient cependant que la confusion entre “public relations” et

“public diplomacy”, nouvelle tendance de l’ère post-Guerre froide, allait devenir la posture

officielle du Département d’État.

La création d’un nouveau poste d’Under-Secretary for Public Diplomacy and

Public Affairs et la nomination de Charlotte Beers, une publiciste de 66 ans, confirmaient

cette orientation. Comme le souligna la presse, Charlotte Beers n’était pas une diplomate

de carrière, et elle n’avait aucune expérience en matière d’action culturelle. En outre,

depuis sa prise de fonctions, elle avait multiplié les déclarations maladroites selon

lesquelles la public diplomacy était essentiellement une activité de marketing et les États-

Unis la marque la plus prestigieuse. De nombreux commentateurs considéraient que cette

approche simpliste était non seulement inappropriée, mais contre-productive et dangereuse

dans la mesure où réduire l’Amérique à une marque risquait de renforcer son image

matérialiste et mercantile auprès des populations démunies.25

Toutefois, après les attentats, Charlotte Beers infléchit rapidement son discours.

Devant la commission des Affaires Étrangères du Sénat à l’occasion de sa confirmation,

elle inaugura un nouveau style empreint d’émotions et renouant avec la “hearts and minds

rhetoric” de Guerre froide : “La promotion des intérêts américains passe non seulement

21

Nakamura & Weed, 2009. 22

Marteau, 2003, p.181. 23

Kennedy & Lucas, 2005, op.cit., p.309. 24

Marteau, ibid. 25

Rich, 2001.

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par nos politiques, mais encore par nos convictions et nos valeurs”.26

La “New Look

Public Diplomacy” fondée sur des slogans et la promotion de la “marque Amérique”

s’éclipsa donc rapidement au profit d’une conception plus traditionnelle de la diplomatie

culturelle se plaçant avant tout sur le terrain des idées et des valeurs. Car le message de

l’Amérique ne s’adressait pas seulement à des consommateurs, mais bien à des croyants

hostiles à toute démarche supposée porter atteinte à leurs convictions.

Dans les semaines et les mois qui suivirent les attentats, les dirigeants ne cessèrent

de réaffirmer le rôle central de la diplomatie publique comme outil de sécurité nationale :

elle diffuserait au monde le message de l’Amérique en guerre totale contre la Terreur,

comme elle l’avait fait jadis dans la lutte contre le totalitarisme communiste. De fait, dans

la Stratégie de Sécurité Nationale des États-Unis publiée en septembre 2002, le Président

Bush définit la guerre contre la terreur comme une “Guerre des idées”, expression qui fait

évidemment écho à la “Guerre de mots” du Sénateur Mundt, en 1948 : “This is a struggle

of ideas and this is an area where America must excel”.27

De fait, les efforts du gouvernement allaient bel et bien contribuer à une renaissance

de la diplomatie publique. Et, au nom d’une prétendue continuité idéologique entre la

Guerre froide et la Guerre contre la terreur, la première devint une référence omniprésente

dans les discours des dirigeants américains sur la seconde, tant au plan thématique ou

rhétorique que dans la définition d’une stratégie où le recours aux bons vieux outils de la

Guerre froide culturelle figurerait en bonne place.

Le 10 octobre 2001, la nouvelle Sous-Secrétaire d’État exposa devant la

Commission des affaires étrangères de la Chambre des représentants, la contribution de ses

services à la lutte antiterroriste et présenta sa nouvelle stratégie de communication : elle

visait à clarifier l’objectif du combat des États-Unis et de leurs alliés et à mieux cibler les

destinataires du message gouvernemental.

Afin de convaincre l’opinion internationale et de rallier le plus grand nombre de

nations à la coalition antiterroriste, ce message s’évertuait à démontrer que la guerre contre

le terrorisme n’obéissait pas seulement à une considération de sécurité interne mais qu’elle

correspondait à la poursuite d’un combat pour la liberté que les États-Unis avaient déjà

dirigé et remporté deux fois. À la tête de la coalition des nations civilisées, les États-Unis

poursuivaient un combat universel contre le terrorisme identifié comme la nouvelle

menace succédant au totalitarisme communiste.28

L’opinion publique internationale devait

être consciente que si les attentats s’étaient déroulés sur le sol américain, ils visaient en

réalité l’humanité tout entière. C’est ce qu’avait rappelé le Président Bush au lendemain

des attentats : “Cette attaque a eu lieu sur le sol américain, mais c’est une attaque dirigée

contre le cœur et l’âme du monde civilisé”. Cet aspect de la communication gouverne-

26

US Department of State Archive, 2001. 27

President George W. Bush, The National Security Strategy of the United States of America, septembre

2002. 28

Beers, 2001.

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mentale fit l’objet d’une campagne de sensibilisation sur le site Internet des services

d’information du Département d’État (IIP), The Networks of Terrorism, démontrant à

l’aide de témoignages de personnalités aussi diverses que Kofi Annan, Tony Blair ou

Pervez Musharraf que le combat contre le terrorisme était bien une préoccupation de

l’ensemble de communauté internationale. Car, et c’était là un aspect essentiel aux yeux du

Département d’État, cette guerre contre le terrorisme ne devait pas être perçue comme un

combat contre l’islam ou contre les musulmans. Il importait que cette distinction soit bien

claire ou alors l’action entreprise renforcerait leur anti-américanisme. C’est la raison pour

laquelle la riposte américaine contre les Talibans, initialement baptisée “Operation

Enduring Crusade” par le Président Bush fut rebaptisée Enduring Freedom sur les conseils

d’experts qui soulignèrent combien cette appellation pouvait être jugée infamante par les

musulmans.29

Charlotte Beers reconnaissait que cette partie du discours officiel était le

plus difficile à faire passer auprès des milieux islamiques.30

Un grand nombre de

ressortissants des pays du Moyen-Orient refusaient même d’admettre que les auteurs des

attentats puissent être des Arabes et considéraient la riposte américaine en Afghanistan

comme une agression injustifiée contre les musulmans.31

Le redéploiement des activités culturelles fut une des conséquences directes de la

Guerre contre le terrorisme. Alors que depuis les années 1990, celle-ci s’était focalisée sur

les pays d’Europe de l’Est dans la perspective de leur intégration future à l’Alliance

atlantique, après le 11 septembre, elle se réorienta en direction du Moyen-Orient et du

monde arabo-musulman dont les populations devenaient ses principales cibles.32

Une des

premières initiatives de Charlotte Beers fut le lancement de la Shared Values Initiative,

vaste campagne de relations publiques, placée sous le patronage du Council of American

Muslims for Understanding, association créée en avril 2002 sous l’impulsion du

Département d’État pour promouvoir une image positive de la vie des musulmans aux

États-Unis et expliquer aux Américains les valeurs de l’islam. Cette campagne s’inspirait

des méthodes publicitaires et reposait sur la diffusion de mini documentaires sur la vie

quotidienne des musulmans américains démontrant qu’il leur était possible de pratiquer

librement leur religion aux États-Unis. Cinq millions de dollars furent consacrés à l’achat

de temps d’audience dans les médias de pays du Moyen-Orient (ces spots ne furent jamais

montrés du fait de l’opposition des gouvernements égyptien, jordanien ou libanais).33

Après cet échec cuisant, le secrétaire d’État Colin Powell renoua avec les bonnes

vieilles méthodes de la défunte USIA – programmes d’échanges et d’information, deux des

plus grandes forces de l’Amérique pendant la Guerre froide.34

Promouvoir les échanges

culturels répondait à deux préoccupations complémentaires de la lutte antiterroriste : tout

29

Epstein, 2005, op.cit., p.1. 30

Beers, 2001, op.cit. 31

Stone, 2002. 32

Epstein, 2005, op.cit., p.7. 33

Plaisance, 2005. 34

Powell, 2002.

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d’abord, permettre aux musulmans modérés de découvrir par eux-mêmes les réalités de la

vie et des valeurs américaines afin qu’ils contribuent à diffuser dans leur pays une

information honnête et, en second lieu, cimenter la coalition antiterroriste dirigée par les

États-Unis en revitalisant notamment le lien transatlantique. Ainsi, à plusieurs reprises,

Charlotte Beers affirma qu’au moins 50% des dirigeants de la coalition antiterroriste

étaient d’anciens bénéficiaires des programmes d’échanges, et Colin Powell reconnut avoir

un dialogue beaucoup plus productif avec ces derniers qu’avec ceux qui ne s’étaient jamais

rendus aux États-Unis qu’à l’occasion de voyages officiels. Charlotte Beers voulait non

seulement augmenter le nombre de boursiers étrangers de 20 000 à 40 000, voire à 4

millions, mais elle comptait aussi faire appel aux quelques 700 000 anciens bénéficiaires

afin qu’ils témoignent de leur expérience américaine.35

Devant le congrès national annuel

du National Council for International Visitors (NCIV), elle rendit hommage aux 80 000

bénévoles répartis dans 44 États du pays qui depuis 40 ans assuraient le succès du plus

prestigieux programme d’échanges américain. À cette occasion, Charlotte Beers rappela

l’importance du programme NCIV et souligna que 1500 anciens “visiteurs” avaient occupé

des fonctions dans un cabinet ministériel. Deux membres du gouvernement afghan, son

président, Hamid Karzai, et sa vice-présidente, Simar Sanar, étaient d’anciens boursiers

américains.36

Quinze millions de dollars supplémentaires furent affectés par le Congrès au

programmes d’échanges pour 2002 afin d’accroître le nombre d’étudiants en provenance

du monde arabo-musulman. De nouveaux programmes comme le Partnership for Learning

furent créés afin de permettre aux étudiants arabes ou musulmans de vivre dans une famille

américaine et de fréquenter une des nombreuses grandes universités du pays. Entre 2002 et

2005, 40 millions de dollars furent alloués à ce nouveau programme. En tout, les dépenses

du Bureau des échanges et des affaires culturelles pour la région du Moyen-Orient, entre

2001 et 2004, s’élevèrent à 140 millions de dollars. En dehors des bourses d’études, le

Département d’État multiplia les initiatives pour améliorer la connaissance des langues, de

la géographie et de la culture des mondes nord-américain et musulman : apprentissage de

l’arabe dans les écoles et les universités américaines, projets de jumelages entre des écoles

secondaires américaines et établissements similaires des pays arabes.37

Le service d’information du Département d’État, l’International Information

Program, participa à cette réorientation en triplant le nombre de ses publications en arabe.

Au Moyen-Orient, il suscita des “coins américains”, inspirés des anciens centres culturels

américains démantelés au cours des dix années précédentes. Ces centres multimédias

furent installés dans des campus universitaires, des bibliothèques, des immeubles de

bureaux, voire dans des centres commerciaux afin de les soustraire à la menace terroriste et

de toucher plus facilement le public. Au cours de l’année 2004, une soixantaine de

nouveaux American Corners furent créés en priorité dans le monde arabo-musulman. Et,

35

Beers, 2002a. 36

Beers, 2002b. 37

Epstein, 2005, op.cit.

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entre 2001 et 2005 les dépenses affectées aux activités d’information au Moyen-Orient

furent portées à 8,7 millions de dollars.38

Enfin, la radio fut, de tous les outils de la diplomatie culturelle, le plus

emblématique de la Guerre froide. Beaucoup d’hommes politiques américains jugeaient

que les programmes de Radio Free Europe destinées aux populations d’Europe de l’Est

avaient contribué à renforcer la détermination des organisations dissidentes et à fissurer le

rideau de fer. À l’instar du député Ed Royce, un certain nombre de Congressmen étaient

convaincus qu’il était possible de réitérer en Afghanistan ce qui avait fait ses preuves en

Pologne ou en Tchécoslovaquie. De fait, au lendemain des attaques du 11 septembre, la

Voix de l’Amérique intensifia ses programmes en arabe, dari, farsi, pashto et urdu et, à

l’initiative du Congrès, Radio Free Afghanistan commença à émettre en janvier 2002. Et, à

partir, de mars 2002, une nouvelle radio destinée aux jeunes Arabes de moins de 25 ans,

Middle East Radio Network, baptisée Radio Sawa, diffusa dans cinq dialectes arabes des

programmes destinés aux millions d’auditeurs des territoires palestiniens, d’Égypte, d’Irak,

du Soudan et des États du Golfe.39

Ainsi, pour la première fois depuis le milieu des années 1990, les dépenses

affectées à la public diplomacy furent sensiblement relevées : elles représentaient pour les

années 2001 et 2002, 712 et 747 millions de dollars – des chiffres qui situaient le budget de

la diplomatie culturelle au niveau de ceux des années 1980 – mais qui au regard des

proclamations officielles d’ériger la diplomatie publique en priorité de la lutte antiterroriste

pouvaient sembler dérisoires.40

Après des années de désintérêt, la public diplomacy était redevenue un enjeu tant

pour le Congrès que pour le Président des États-Unis. Ainsi, le Président de la Commission

des affaires étrangères de la Chambre des représentants, le Républicain Henry Hyde, à

l’origine du Freedom Promotion Act of 2002, la replaça au cœur de la stratégie de sécurité

nationale : “La diplomatie publique […] a un rôle central à jouer pour rendre le monde

moins hostile envers les intérêts légitimes des États-Unis, leurs citoyens et leurs alliés”. Le

vote du Freedom Promotion Act devait contribuer à renforcer les pouvoirs du Sous-

Secrétaire d’État chargé des affaires et de la diplomatie publiques, et lui attribuer un

budget de 255 millions de dollars sur deux ans afin de développer et ses programmes

d’information et d’échanges en direction des pays arabes et musulmans. Or, ce projet, voté

à l’unanimité par la Chambre des représentants, ne fut jamais approuvé par le Sénat,

soulignant ainsi l’ambivalence de l’Administration Bush ; avant d’apporter son soutien au

Freedom Promotion Act, celle-ci avait d’abord fait connaître ses craintes que cette

nouvelle loi n’entrave la liberté d’action du Président dans la gestion de la politique

étrangère.41

L’annonce par la Maison Blanche, au cours de l’été 2002, de la création d’un

Office of Global Communications démontra que la Présidence entendait bien garder la

38

Epstein, ibid. 39

Anonyme, 2003. 40

Eptsein, 2005, op.cit. 41

H.R 3969 (107th), Freedom Promotion Act, 2002.

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haute main sur la promotion de l’image de l’Amérique à l’étranger et coordonner des

acteurs de la public diplomacy qui avaient parfois tendance à agir en ordre dispersé.42

Dès ses débuts, la “Guerre des idées” a souffert d’un manque de lisibilité et de

crédibilité dû notamment à la multiplicité d’intervenants, la communication gouverne-

mentale vers l’étranger n’étant pas du ressort exclusif du Département d’État. Ainsi, le 19

février 2002, deux journalistes du New York Times révélèrent l’existence de l’Office of

Strategic Influences, un bureau très confidentiel du Pentagone créé avec l’aide du Rendon

Group. Ce nouvel organisme aurait été chargé d’orchestrer des campagnes s’appuyant sur

des activités clandestines de désinformation ou “propagande noire”.43

Malgré l’annonce,

par le Secrétaire à la Défense, de la fermeture de ce bureau très controversé, la polémique

engendrée par ces révélations jeta un discrédit sur l’ensemble de la communication d’État.

De plus, les sondages démontraient que la diplomatie publique n’avait eu aucun impact

favorable sur la perception des États-Unis dans le monde. La Goblal War on Terror ne

recevait qu’un faible soutien de l’ensemble de la communauté internationale. À partir de

2002, la nouvelle doctrine de préemption annoncée par l’Administration Bush accrut le

fossé entre les États-Unis et l’opinion publique internationale, y compris chez les plus

anciens alliés des États-Unis :

En dépit d’un déluge d’expressions de sympathie envers l’Amérique à la suite

des attaques terroristes du 11 septembre 2001, le mécontentement à l’égard des

États-Unis s’est diffusé dans l’ensemble du monde au cours des deux dernières

années. L’image de notre pays a été ternie dans les endroits les plus variés :

parmi nos alliés de longue date, dans les pays en développement, en Europe de

l’Est et, de façon on ne peut plus spectaculaire, dans les sociétés musulmanes.44

L’intervention controversée des États-Unis en Irak, en mars 2003, a contribué à

exacerber l’anti-américanisme. Les sondages réalisés après le déclenchement de la guerre

d’Irak entre mars et juin 2003 révélèrent une telle dégradation de l’image des États-Unis

que celle-ci risquait d’affaiblir la coalition antiterroriste et de compromettre le dénouement

victorieux de la Global War on Terror.45

Dans le cadre de ces controverses, plusieurs think

tanks procédèrent à une première évaluation de la politique culturelle américaine conduite

depuis le 11 septembre.46

En juillet 2002, le Council on Foreign Relations publia un

rapport accablant :

La promesse que recelait la diplomatie publique américaine n’a pas été tenue,

obérée qu’elle est par un déficit de volonté politique, l’absence d’une stratégie

d’ensemble, un manque de spécialistes, des contraintes culturelles, des défauts

structurels, et une pénurie de ressources.47

42

Nakamura & Weed, 2009, op.cit., p.32. 43

Marteau, 2003, op.cit., p.190. 44

Pew Research Center, 2002. 45

Pew Research Center, 2003. 46

Peterson, 2002. 47

Council on Foreign Relations, 2002.

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Un an plus tard, un groupe d’experts du Moyen-Orient chargé d’étudier les moyens

d’améliorer l’efficacité de la politique culturelle américaine publia un mémoire au titre

évocateur : Changing Minds, Winning Peace.48

Il déplorait l’insuffisance de moyens et de

personnel qualifié ayant une connaissance suffisante des langues et cultures des peuples du

Moyen-Orient, le manque de coordination entre les divers départements ministériels en

charge de la communication gouvernementale, et l’absence d’une ligne directrice claire

définie par la Maison Blanche. La politique de communication da l’Administration Bush

était désormais considérée, de l’avis général, comme un véritable désastre.

Les personnalités auditionnées par la Commission d’enquête sur les attentats du 11

septembre n’hésitèrent pas non plus à épingler les erreurs de communication du

Département d’État : la confusion entre public relations et public diplomacy conduisait à

considérer cette dernière comme de simples “overseas public relations”. Or, la politique

culturelle ne devait pas se réduire à un simple monologue, mais chercher à instaurer un

véritable dialogue entre les sociétés et les cultures. La commission recommandait au

gouvernement américain d’adopter une attitude plus multilatérale et de joindre ses efforts à

ceux des autres nations. Elle appelait de ses vœux la création d’un forum qui prendrait pour

exemple l’OSCE – organisation qui pendant la Guerre froide contribua à normaliser les

relations Est-Ouest – afin d’engager un dialogue culturel entre les pays occidentaux et pays

islamiques. Car seules la connaissance et la compréhension mutuelles favoriseraient

l’établissement de la confiance entre Occidentaux et Musulmans, condition déterminante

pour mettre un terme au terrorisme global :

Si nous n’entretenons pas des relations de long terme empreintes de confiance

avec les populations musulmanes, la confiance ne sera pas au rendez-vous. Sans

elle, la diplomatie publique est de peu d’utilité.49

Les conclusions des experts aboutissaient tous au même constat : la principale

erreur de la communication gouvernementale était avant tout d’ordre stratégique :

appliquer à la Guerre contre le terrorisme les concepts de la Guerre froide sans

considération des changements intervenus dans le système international. Dans ce nouveau

système, où les relations diplomatiques ne sont plus l’apanage des États et de leurs

représentants mais où de nouveaux acteurs (multinationales, ONG, mouvements et réseaux

sociaux) façonnent les opinions publiques grâce aux nouvelles technologies, il est plus

difficile de contrôler ou de filtrer l’information et de prétendre conduire une guerre des

idées. À l’époque de l’USIA, la principale difficulté à laquelle se heurtaient les services

d’information américains était le brouillage des émissions par les Soviétiques : à l’heure

d’Internet, ils rencontrent d’autres défis, tels l’émergence des stations arabes de télévision

par satellite contestant la représentation occidentale des conflits du Moyen-Orient et

unissant communautés arabes et diasporas :

48

Advisory Group on Public Diplomacy for the Arab and Muslim World, 2003. 49

House International Relations Committee, 2004.

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Les choses étaient très différentes sous la Guerre froide. Les citoyens de

l’URSS et d’Europe de l’Est vivaient coupés de l’Ouest par leurs gouvernants.

Aujourd’hui, au contraire, Arabes et musulmans sont saturés d’opinions et

d’informations sur les États-Unis, souvent déformées par des journalistes ou des

propagandistes hostiles à l’Amérique.50

En outre, la révolution technologique permet d’exposer rapidement les contra-

dictions entre les valeurs proclamées et la réalité des actes politiques :

Nos valeurs et nos politiques ne sont pas toujours en accord. Souvent, notre

gouvernement soutient dans le monde arabe et musulman des régimes hostiles à

nos principes simplement parce qu’à court terme cela arrange certaines de nos

politiques.

Le débat sur la diplomatie publique, longtemps focalisé sur la forme du message

plus que sur son contenu, finit par rejaillir sur la politique étrangère. À la fin du premier

mandat de George W. Bush, les experts et membres du Congrès avaient admis que l’échec

de la public dipomacy n’était pas seulement un problème de communication, mais que la

politique étrangère elle-même était cause de ce discrédit : “Pour conclure, soyons clair :

recettes de communication, manipulations de l’opinion et propagande ne sont pas l’alpha

et l’oméga. La politique étrangère compte”.51

Dans son rapport consacré au bilan de la

public diplomacy depuis le 11 septembre, l’historienne Susan Epstein, reconnaissait que les

premiers pas de l’Administration Bush avaient eu un effet désastreux et contribué à ternir

durablement l’image des États-Unis dans l’opinion publique internationale :

Avant même les attaques de 2001, nombre de décisions de l’Administration

Bush Administration – les refus de ratifier le Traité de Kyoto, la création de la

Cour pénale internationale, l’interdiction des armes chimiques et le Traité sur

les missiles antimissiles balistiques, entre autres – avaient négativement affecté

l’opinion étrangère à l’égard des États-Unis.

Ainsi, la décision controversée de recourir à la guerre en Irak n’avait fait qu’aviver

un anti-américanisme déjà latent avant le 11 septembre dans certaines strates de l’opinion

publique. Il était illusoire de croire que la diplomatie publique puisse remédier à tout :

Certains spécialistes de politique étrangère et des membres du Congrès ont

toutefois mis en garde : la diplomatie publique n’est utile que si le message est

crédible. De récents sondages montrent que le gouvernement des États-Unis

continue de susciter le scepticisme dans une bonne partie du monde, et pas

seulement parmi les populations arabes et musulmanes. Beaucoup de ces

observateurs affirment que lorsque le message est démenti par les perceptions

ou l’expérience qu’on s’y forge par soi-même, la diplomatie publique est

inefficace. Ils ajoutent que si la politique étrangère américaine est la cause

première de la mauvaise opinion extérieure à notre endroit, alors il faut se

résoudre à l’idée que la diplomatie publique ne produira pas les effets que le

législateur en attend.52

50

Advisory Group on Public Diplomacy for the Arab and Muslim World, 2003, op.cit., p.21. 51

Ibid., p.18. 52

Epstein, 2005, op.cit., p.12.

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Conclusion

À la fin de l’année 2004, si la public diplomacy était unanimement considérée par

les experts et les historiens comme “une litanie de cafouillages et d’échecs spectaculaires”,

leurs avis divergeaient sur les causes de cet échec.53

Certains soulignaient ses ambigüités

originelles, liées au contexte de sa naissance et à son utilisation comme instrument de

political warfare emprunté à la Guerre froide. L’Administration Bush aurait donc exacerbé

des contradictions déjà latentes. Toutefois, si lors de la Guerre froide la diplomatie

publique put participer à l’accomplissement des visées de long terme de la politique

étrangère des États-Unis – vaincre le communisme –, ce ne fut jamais au prix du sacrifice

de sa mission première : par le biais des échanges et de l’extension des valeurs

démocratiques et libérales, créer un environnement international pacifique. Car la Guerre

froide était considérée comme “une parenthèse retardant mais n’annulant pas du tout le

programme wilsono-rooseveltien d’un monde safe for democracy”.54

Or, il en fut tout autrement dans le cadre de la “Guerre des idées”. La référence aux

temps héroïques de la Guerre froide, était censée galvaniser une opinion publique sensible

au discours messianique de l’Amérique et la convaincre qu’elle sortirait victorieuse du

combat contre le terrorisme comme elle l’avait fait au cours de la “Guerre des mots”. Mais

elle avait aussi un autre objectif : présenter la Global War on Terror comme une doctrine

aussi claire et universaliste que l’avait été en son temps celle du containment. Or, au-delà

des analogies rhétoriques, les deux doctrines comportaient bien des différences

fondamentales : alors que l’endiguement supposait d’attendre que l’adversaire, contenu

dans son expansion, finisse par se transformer de lui-même pour résoudre ses problèmes

intérieurs, la doctrine Bush imposait cette transformation en intervenant directement chez

lui. En outre, une fois l’URSS débarrassée de son carcan totalitaire, elle pourrait redevenir

un partenaire avec lequel les États-Unis accepteraient de renouer le dialogue afin d’établir

les relations internationales sur les bases libérales imaginées par Roosevelt. Or, la Guerre

contre le terrorisme n’entendait nullement consacrer l’ordre international existant. Au

contraire, au regard des nouvelles menaces et de leur caractère inédit, l’ordre onusien qui

n’avait pas été conçu contre le terrorisme, semblait revêtir un caractère obsolète. Et, c’est

sur le droit naturel de légitime défense que reposait la justification de la doctrine de la

préemption, l’Amérique se réservant le droit de recourir à la guerre pour écarter le danger

avant qu’il ne se concrétise.

L’action préventive prendrait le pas sur la dissuasion, l’autre pilier de la Guerre

froide, qui concevait l’intervention militaire comme le dernier recours face à la menace. La

défense de sa sécurité et de ses intérêts vitaux justifiait désormais un interventionnisme

illimité au nom de “la défense de la liberté” – et non plus du monde libre ou de l’ordre

international libéral – entraînant les États-Unis dans une guerre sans fin.55

Le message de

53

Kennedy & Lucas, 2005, op.cit., p.11. 54

Soutou, 2002. 55

Tertrais, 2004.

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l’Amérique était, aux yeux de tous, incompatible avec ses véritables objectifs stratégiques

et les nombreux projets visant à amender la diplomatie publique aboutissaient tous à cette

même conclusion : aucune réforme, même de grande ampleur, n’obtiendrait de résultats

tant que la politique étrangère resterait à ce point sourde aux attentes de l’opinion publique

internationale.

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