34
DISCOURS A LA NATION Ascanio Celestini David Murgia FESTIVAL DE LIEGE Festival international des arts de la scène / Liège - Fédération Wallonie Bruxelles

DISCOURS A LA NATION à la... · DISCOURS A LA NATION A REMPORTE LE PRIX DU PUBLIC FESTIVAL OFF/AVIGNON 2013 et LE PRIX DE LA CRITIQUE 2013 David Murgia est nommé aux Molières

  • Upload
    others

  • View
    4

  • Download
    0

Embed Size (px)

Citation preview

  • DISCOURS A LA NATIONAscanio Celestini

    David Murgia

    FESTIVAL DE LIEGEFestival international des arts de la scène / Liège - Fédération Wallonie Bruxelles

  • DISCOURS A LA NATION A REMPORTE

    LE PRIX DU PUBLIC FESTIVAL OFF/AVIGNON 2013 et

    LE PRIX DE LA CRITIQUE 2013

    David Murgia est nommé aux Molières 2015 (Meilleur espoir

    pour Discours à la Nation)

    Un comédien seul en scène pendant 1h20. Magistral. Seul et arrogant, cynique et insolent, burlesque et immoral…Un homme-tribun qui semble avoir la nation entière à ses pieds. Et pour l’épauler dans ce discours-fleuve d’une époustouflante densité, David Murgia peut compter sur la présence discrète, mais ô combien subtile, d’un comparse guitariste qui donne à ce spectacle une touche de fantaisie supplémentaire.Le texte d’Ascanio Celestini est une fois de plus brillant, drôle et grinçant. Comme de coutume, ce digne héritier de Dario Fo brouille les pistes. Ses

    mots glissent et rebondissent. Pour nous amener dans une analyse du monde contemporain d’une extrême (sé)vérité, à la fois lucide et cruelle.Entre textes à double sens, dénon-ciation en creux et slogans féroces, le spectateur se laisse embarquer dans un récit à plusieurs voix, de la lutte des classes à la fabrication du pain, de la haute finance à l’im-migration, d’une improbable histoire de parapluies au sort des prostituées de l’Est.Avec verve et cynisme, David Murgia nous force à regarder les puissants d’aujourd’hui droit dans les yeux. Et nous confronte, dans un ultime éclat de voix, aux vices et aux failles du système actuel. Avant de nous planter là, au pied de la scène, avec nos sourires jaunes, nos doutes et, pourquoi pas, nos envies de rivo-luzione silenziosa.La reprise de ce Discours à la nation, encensé par la critique et plusieurs fois primé est une occasion de (re)voir un grand spectacle.

    Une création d’Ascanio Celestini

    et David Murgia

    Texte et mise en scène :

    Ascanio Celestini

    Interprétation :

    David Murgia

    Composition et

    interprétation musicale :

    Carmelo Prestigiacomo

    Adaptation française :

    Patrick Bebi

    Création Lumières :

    Danilo Facco

    Scénographie :

    Chloé Kegelart

    Régie Lumière :

    Manu Savini

    Régie son :

    Philippe Kariger/Julien Courroye

    Une coproduction du Festival de

    Liège et du Théâtre National/

    Bruxelles.

    Avec le soutien de L’ANCRE/

    Charleroi dans le cadre de

    ‘Nouvelles Vagues’.

    Durée : 1h20

    Couverture © Hélène Legrand

    Dos de couverture © Antonio Gomez Garcia

    © Antonio Gomez Garcia

  • © Hélène Legrand

  • Le spectacle a déjà été présenté

    177 fois :

    Création – Festival de Liège (BE) (19, 20 et 21.01.13) Charleroi (BE) – Théâtre de l’Ancre (23 et 24.01.13) Herve (BE) – Festival Paroles d’Hommes (18.02.13) Rennes (FR) – Festival Mythos (19 et 20.04.13) Bruxelles (BE) – Théâtre National (du 23.04 au 4.05.13)Avignon (FR) – La Manufacture (du 8 au 27.07.13) Bruxelles (BE) – KVS (12.10.13) Verviers (BE) – Centre culturel (24 et 25.10.13) Huy (BE) – Centre Culturel (26.10.13) Bruxelles (BE) – Wolubilis (31.10.13) Figeac (FR) – BlaBlaBla Festival des beaux parleurs (9.11.13) Marseille (FR) – La Cité Maison Théâtre (11.11.13) Ciney (BE) – Centre culturel (13 et 14.11.13) St-Denis (BE) – Moulin de St-Denis ( du 15 au 17.11.13) Bruxelles (BE) – Théâtre National (du 26.11 au 14.12.13) Seraing (BE) – Centre culturel - Festiv’Art (28.04.14) Mons (BE) – Manège (29 et 30.04.14) Stavelot (BE) – centre culturel (6.05.14) Namur (BE) – Théâtre (du 7 au 9.05.14) Andenne (BE) - Centre culturel (10.05.14) Theux (BE) – Centre culturel (14.05.14) Charleroi (BE) – Ancre (du 15 au 23.05.14) Arras (FR) – Théâtre à l’italienne (26 et 27.05.14) Luxembourg (LU) – Festival MonoDrama (21.6.14) Bar-Le-Duc (FR) – Festival de Rue Renaissance (5 et 6.7.14) Tournée CCAS (FR) (du 8 au 16.07.14) Bruxelles (BE) – Festival Bruxellons – (25.07 et 13.08.14) Spa (BE) – Festival de Spa (11 et 12.08.14) Aurillac (FR) – Festival d’Aurillac (du 21 au 23.08.14) Paris (FR) – Les Théâtrales Charles Dullin (6.12.14) Fosses (FR) – Espace Germinal (7.12.14) Tournai (BE) (9 et 10.12.14) Château Arnoux (FR) – Théâtre Durance (12.12.14) Istres – Théâtre de l’Olivier (FR) – (16.12.14) Paris (FR) – Théâtre du Rond Point (du 6 .01 au 1.02.15) Louvain-la-Neuve (BE) – Atelier Jean Vilar (du 3 au 7.02.15) Dinant (BE) – (10.02.15) Nivelles (BE) – (12.02.15) Anderlecht (BE) – (27.02.15) Vielsam (BE) – (28.02.15) Bruxelles (BE) – Théâtre National (du 3 au 7.03.15) Bertrix (BE) – (10.03.15) Saint-Nazaire (FR) – (17 et 18.03.15) Nantes (FR) – (du 19 au 21.03.15) Blois (FR) – Halles aux grains (23.03.15) Liège (BE) – Mnema (du 26 au 29.03.15) Noisy-le-Sec (FR) – (31.03.15) Le Kremlin-Bicêtre (FR) (1.04.15) Vernouillet (FR) (2.04.15) Firminy (FR) – (3.04.15) Andrézieux Bouthéon (FR) – (4.04.15)

    Cebazat (FR) – Le Sémaphore (7.04.15)Lyon (FR) - Théâtre de la Croix Rousse (du 8 au 11.04.15) Montceau-les-Mines (FR) - L’Embarcadère (12.04.15) Dijon (du 15 au 17.04.15)Soignies – Centre Culturel (21.04.15)Flémalle – Centre Culturel (22.04.15)Ostende – De Grote Post (23.04.15)Tubize – Centre Culturel (24.04.15)Saint-Ghislain – Maison de la culture (25.04.15)

    Il sera encore en tournée :

    Dinant (28.04.15) Nivelles (21.05.15) Stavelot (8.07.15) Citadelle de Namur (30.08.15)

    Et sera encore présent toute la

    saison 15-16 en Belgique et à

    l’étranger (déjà une trentaine de représentations confirmées)

  • http://www.canalplus.fr/c-emissions/c-le-before-du-grand-journal/pid6432-les-extraits.html?vid=1204661&hc_location=ufi

    Mars 15

    Diffusion intégrale du spectacle.

    Enregistré en janvier 2015 au Théâtre du Rond Point/Paris

    http://fictions.franceculture.fr/emission-fictions-theatre-et-cie-discours-a-la-nation-2015-01-18

    http://www.canalplus.fr/c-emissions/c-le-before-du-grand-journal/pid6432-les-extraits.html?vid=1204661&hc_location=ufihttp://fictions.franceculture.fr/emission-fictions-theatre-et-cie-discours-a-la-nation-2015-01-18

  • Date : 02 FEV 15

    Pays : FrancePériodicité : Quotidien ParisOJD : 40558

    Page de l'article : p.24Journaliste : Charles Silvestre

    Page 1/1

    L'ACTEUR DAVID MURGIA S ADRESSE AU PUBLIC COMME À UNE ASSEMBLEEPHOTO HELENE LEGRAND

    La pluie, le revolver,et le capitaliste

    Discours à la nation, d'Ascanio Celestins raille cruellement les« camarades » qui s'abritent sous le parapluie des patrons

    Dans le pays imaginé par Ascamel Celestins il pleut toutle temps f es hommes sediffei encrent entie ceux qui ont unparapluie et ceux qui n'en ont pasInutile pour les hommes « sans »de prendre leurs pai aplme A quoiça sert de se decout nr pour couvi lrl'auti e n Dans les deux cas «lemonde ne change pas, seule ta placedans le monde change » Cette rouene est le piincipe de base de Discoursalanarton(l) Son auteur enchaîneles petites fables ou le dominantrompu a la dialectique qu'on croiraitinspirée du Livre des retournementsde Biecht, la retouine a son a\ antagepour couillonner le domineII V a le discours du levohei \ la

    leunion, l'homme pose le revolversur la table ou le gai de dans sa pocheMaîs il "v pense tout le temps II penselevoKei Le discours du pam celuiqui est au dessus en mange un merceau, celui qui est en dessous ramasseles miettes ll serait absurde que cedernier pienne le pain car lesmiettes ne tombent pas de bas enhaut C'est « la pure loi de la gravite » Si le pam es! vole, c'est p< mr« accroissement » du commerce etde toute facon, pam acheté et painvole « ont la même faveur »

    « Gramsci aurait fait ça »L'homme au parapluie et le voleur

    en It iiie, ont un nom Berlusconill n est jamais nomme, maîs sonombie plane La nation dont il estquestion est une métaphore La puissauce du capitalisme moderne estd'avoir, jusqu'apieuve du contraire,gagne les cerveaux Chez l'auteur,il -y a comme une lage ll prête au

    dominant un discours qui raillecruellement ses « camarades » quiI ont « deçu », ceux qui, habituesaux gouv el nants, se sont nus a parlercomme eu\ Un nom i échappe a cedesastre Gramsci L'indomptablecommuniste aurait nomme ministreduTiavailunprecarre unpoeteministre de la Culture, un pacifisteministre de la Defense « Gramsciaurait fai fca» , répète t il

    I a force du spectacle est dans ledispositif et le jeu de l'acteur, quirendent haletant un propos qui pourlait païaitre théorique Sur scene,des cagettes rangées, comme dansle depot d'un magasin, deviennentmanipulées a la main une présidenceofficielle, une tribune de meeting,un fauteuil use, le coffre d une vieillelampe levieuxdesoidredelaboutique se tait oïdie nouveau DavidMurgia, jeune acteur, maîs déjàconfirme, prend un parti passionnant II dit ce texte revolver en repienant a son compte, le mécanismele mot sort elu barillet, percute,frappe le spectateur, suivi d'un oufde soulagement II chante au finaldeux chansons douces qui contrastent avec le récit En duo avec unguitariste étonnant, baïaque, bouleà zero lunettes teintées, mi matfloso, mi rocker Apres le discours,on prend le large

    CHARLES SILVESTRE

    (I) Texte eî rn se en scene dASCcinioCelest ni Cetait au Theatre duRond Pont En rournep IPS I/ er18 mars a Saint Naza re du 19 au21 mars a Nantes le 23 mars a Blois9 I avril au Kremlin Bicetre le 3 avrila Firm ny du 8 au ll avril a L>on

    février 15

  • 4 AVENUE DE CORBERA75012 PARIS - 01 53 02 06 60

    JAN 15Mensuel

    OJD : 72982

    Surface approx. (cm²) : 152N° de page : 15

    Page 1/1

    ROND-POINT3429262400507/XHM/ALA/2

    Tous droits réservés à l'éditeur

    PROPOS RECUEILLISTHÉÂTRE DU ROND-POINTTEXTE ET MES ASCANIO CELESTINI

    DISCOURS A LA NATIONAscanio Celestini crée un théâtre en lutte qui fait parler les dominantsavec autant de drôlerie que de caustique lucidité, afin de réveiller lesopprimés. David Murgia l'interprète avec jubilation.

    « Le théâtre est politique parce qu'il est un actepublic Dans mon cas, j'observe les contradic-tions de la langue pour ouvrir des points devue différents de ceux auxquels la vie quoti-dienne nous a habitués. Je raconte l'histoired'un pays métaphorique, où il y a une guerrecivile. Un conflit auquel tout le monde est habi-tué, comme si la guerre était vraiment la conti-nuation de la politique par d'autres moyens,comme le disait Clausewitz. Les citoyens

    David Murgiainterprète le texted'Ascanio Celestini.

    de cette nation attendent la fm de la guerrecomme on attend la fm de la pluie, commequelque chose d'absolument naturel

    LE PUISSANT VEUT CONVAINCRE LE PEUPLED'ACCEPTER LA LOI DU GROS POISSONQUI MANGE LES PETITS.Entre pluie et guerre, on aperçoit les citoyens,maîs aussi les futurs tyrans qui veulent lepouvoir pour rétablir la dictature. Pour obtenirle consensus, ils doivent sortir, se montrer a lafenêtre et parler au peuple. Leur instrumentest le discours. Le puissant veut convaincrele peuple d'accepter la loi du gros poisson quimange les petits. J'ai confié ce texte à DavidMurgia, qui l'aborde avec sa gestualité et safaçon de gérer la parole»

    Propos recueillis par Catherine Robert(traduction de Paolo Gorietti)

    Théâtre du Rond-Point, 2 bts av. Franklin-D.-Roosevelt, 75008 Paris. Du 6 janvier au1er février à 21h, dimanche à 15h30,relâche lundi. Têt. 01 44 SS 98 21.

    Réagissez sur www.journal-laterrasse.fr

    janvier 15

  • Date : 22/28 JAN 15

    Pays : FrancePériodicité : Hebdomadaire

    Page de l'article : p.27Journaliste : Gilles Costaz

    Page 1/1

    théâtre culture

    Un homme et une fable

    David Murgia joue avec brio un « discours »provocateur de l'Italien Adriano Celestini.

    la méchanceté pour dire k bonte. surgissent d'un ton blagueur, mas-

    U n auteur italien, AscamoCelestini, vient à Parispour nous gratifier d'unDiscours a la. nation !C'est évidemment un anti-discours, une provocation contrela pensee dominante, le pompeuxdu langage officiel et les conven-tions du spectacle.Ce Celestini est loin d'être uninconnu Cinéaste et romancier,il s'inscrit dans la marginalitépolitique de son pays et voit sespieces souvent ]ouees, même enFrance : tabbnca, plein dc ten-dresse pour le monde ouv ner, a etemonte aux Abbesses par CharlesTordjmann, Radio clandestine.Memoire des fosses ardeatines,sur un massacre dc plus dc troiscents Italiens en 1944, a ete ]oue etèdite a Montpellier (Espaces 44).ll est venu mettre lui-même en scene

    cet autre texte au Rond-Point, entenant compte du projet de l'acteurDavid Murgia, qui assure avec luila conception du spectacle et joueen solo.Solo, pas tout à fait. Il y a aussi unmusicien, Cannelo Prestigiacomo,qui ponctue le discouis de varia-tions rêveuses et rageuses sur uneguitare electrique. Maîs l'ora-teur occupe le centre d'une scenepresque vide et feimee par quelquescageots. L'homme nous dit qu'il atoujours un revolver avec lui ct qu'ilne s'en sert que pour le poser sur lestables de reunion, juste pour avoirla paix. Il avait declaie en ouvertureque les armes se vendaient mieuxque lc pain maîs qu'il faisait un for-midable commerce du pain, dont ilavait pris le monopole.C'est la drôlei le complexe, jamaisdroite, dc cette ècriture qui prêche

    Discoursà lanation,theâtre duRond-Point,ParisJusquauI1 févrierTraductionde Patrick 8ebiaux editionsNoirsur Blanc

    Le personnage qui s'exprime n'estjamais le même ; il est tantôt vic-time tantôt bourreau Maîs, aufond, tout est réquisitoire contrele cynisme, tout est jeu avec lecynisme.L'orateur situe le régime politiquedont il parle dans un pa) s où il pleuttout le temps II y a donc ceux quiont un parapluie et ceux qui n'enont pas. c'est son image de la luttedes classes. De génération en géné-ration, dcs familles bénéficient d'unpépin et d'autres ne parviennentjamais à en obtenir unDans ces conditions, raut-il envouloir a ceux qui ne respectentpas le système et pratiquent levol ? Faut-il montrer du doigt lesvoleurs qui sentent mauvais ct ontsur les doigts les traces des pou-lets dérobes, et saluer ceux quimettent la respectabilité de leurcôte, s'enrichissent grâce a toutesles roueries de l'économie et duvol al 'echellemondialeetontdesmains manucurecs ? Ces questions

    quant une philosophie qui se situe-lait du côté de l'anarcliisine et del'altermondiahsme.Celestini jongle avec les points dev ue et les rôles. Toujours souriantet affable, David Murgia - etonliant d'aisance, d'une v itesse d'elo-cution remarquable —déroule cethumour qui prend toujours àcontre-pied et détourne les tech-niques du recit populaireCelestini est un fabuliste moderne.Il a l te rne un recit du type fa i tdivei s (une femme se plaint dela presence d un cadavre gênantdev ant la porte de son immeuble)et de courts contes finissant parune morale —les spectateurs n'ou-blieiont pas sa fable de la chèvre,du chou et du loup. « E ternels, lebâton et la carotte », conclut-ilau terme de cette harangue qui,peut-être trop joueuse, nous plaîtmoins que les précédents textes del'auteur, maîs qui, bien assenée, estd'une difference réjouissante.

    > Bi Iles Costaz

    janvier 15

  • Au départ, « Discours à la nation » est une somme de monologues typiques du théâtre italien né de Dario Fo dans les années 1980 : ce « théâtre-récit », ou « théâtre de narration » aux accents poli-tiques et situationnistes. Ascanio Celestini, l’auteur du spectacle que j’évoque ici, est devenu très engagé, puis reconnu en Italie, et écrit ce genre de théâtre. Écrivain et dramaturge, ses textes sont publiés en romans par Einaudi, et il a aussi sorti un album de chansons, plusieurs documentaires, et a lui-même adapté son roman « La Brebis galeuse » (2010). En France, six de ses textes ont paru Aux éditions Théâtrales, au Serpent à Plumes ou chez Notabilia depuis « Luttes des classes » en 2013.

    Cette version française de « Discours à la nation » rassemble des textes publiés en 2011 de l’autre côté des Alpes, et des monologues politiques et satiriques écrits ensuite par l’auteur. Ce sont ces derniers, une huitaine, qui sont interprétés par David Murgia depuis plus d’un an, entre France et Belgique.

    Ça commence comme de l’Henri Michaux, avec des personnages indéfinis, métaphoriques et uni-versels. Puis la satire arrive et ça se politise nettement, et le spectacle se place alors délibérément sous les augustes références de l’immense Jonathan Swift, l’auteur des « Voyages de Gulliver » -à qui Celestini rend hommage dans un texte démarqué sur celui où Swift expliquait que la misère serait éradiquée en Irlande quand on y mangerait les bébés- et Antonio Gramsci, écrivain et cofon-dateur du Parti communiste italien en 1921 (dont il est, forcément question dans le récent film « Pasolini » d’Abel Ferrara, plusieurs fois cité sur scène.

    On est saisi dès le deuxième monologue de ce spectacle, « Camarades », où un tribun s’adresse à un foule imaginaire et se pose comme gouvernant (candidat ? patron ?) et, à travers un réquisitoire satirique et glacial, démontre par la maïeutique comment le libéralisme a retourné le vocable et la rhétorique des ouvriers contre eux, comment ensuite il a retourné le prolétariat (par exemple un ouvrier) contre un nouveau sous-prolétariat (par exemple, un travailleur immigré). Comment les inventeurs de la lutte des casses, les marxistes, ont pour le moment perdu la guerre des mots, et comment les tenants du libéralisme ont su baisser la valeur des idéaux en abaissant le sens de toute chose.

    « Discours à la nation » au Rond-Point :le bon sens du théâtre politique

    L’affiche du spectacleNous sommes toujours « Charlie ». Nous sommes toujours entre solidarité, rage, recherche d’utopies, de paix et de solutions. Entre rire jaune et rire vrai.Cette pièce tombe à pic, entre théâtre de l’absurde, incantation politique, et pur bonheur de jeu de scène. Elle se joue à Paris (Théâtre du Rond-point) jusqu’au 1er février, avant de se jouer aux quatre coins de la France et e la Belgique jusqu’à fin avril. Elle est ce qu’il faut pour voir un beau texte en hiver ; du sens, du jeu, pleins de verve.

  • La suite est aussi satirique, mais peut-être plus burlesque emprunte d’un jeu de gestes et de mo-nologues jouant sur le comique de répétition. A l’écoute, on croit parfois entendre des échos de Prévert.

    « Discours à la nation » est interprété par David Murgia, qui évolue sur une scène où s’empilent des cageots, disséminés çà et là. Il les bouge au gré des besoins et de la situation, parfois d’un air déterminé et selon une logique qui lui est propre. Il lui arrive de monter dessus pour interpréter un texte. Il arrive aussi que, empilés, certains de ces cageots figure un miroir, un animal, ou un homme.

    Une mise en scène minimaliste et étudiée, qui figure un monde bordélique contrecarré par des mots, politiques et en délire, qui finissent par tomber droit et par faire sens. Le soir où j’ai vu la pièce –trois jours après les exécutions à Charlie-, Murgia est même parvenu à s’amuser de deux micros tombant en rade, n’oubliant alors son propre texte que très peu. C’est dire si, d’un mo-nologue à l’autre de ces extraits choisis du livre de Celestini, la colonne vertébrale tient un haut niveau de sens.

    Le comédien est accompagné à la guitare par Carmelo Prestigiacomo, auteur d’une musique électrique légère, chargée de ponctuer la succession de textes divers qui composent pourtant une œuvre cohérente.

    Un jeu simple, à froid et subtil, un texte politique résonnant dans les actualités les plus récentes : par ces mots et par ces notes, par cette mise en scène surprenante, ces monologues somme tout complètement tapés (notamment « Silhouettes », avec cet homme froid comme la mort qui nous parle de son flingue et de nos pulsions de mort à tous), « Discours à la nation » est un texte abs-trait, intemporel, capable de vite se greffer sur une situation politique actuelle, ou sur nos vies universelles. Entre rire salutaire et vérités oubliées.

    « Discours à la nation » d’Ascanio Celestini, traduit de l’italien par Christophe Mileschi, Notabilia, 2014, 263 p, 19 €

    « Discours à la nation » conception, texte et mise en scène : Ascanio CelestiniInterprétation : David MurgiaComposition et interprétation musicale : Carmelo PrestigiacomoThéâtre du Rond-Point (Paris) jusqu’au 1et février, 21h – infos et prix : theatredurondpoint.frQuelques dates en France : les 17 et 18 mars au Centre Culturel de Saint-Nazaire ; 19, 20 et 21 mars au Grand T à Nantes ; 23 mars à la Halle aux Grains à Blois ; 31 mars au Théâtre des Bergeries à Noisy le Sec ; le 1er avril à l’Espace culturel André Malraux

  • Discours à la nation -Ascanio Celestini Théâtre du Rond-Point

    L’art du rire de résistance

    Quelques caisses de bois en fond de scène, une guitare, un globe terrestre lumineux, un comédien, un musi-cien et une pièce composée de textes très habilement écrits. Discours à la Nation d’Ascanio Celestini est un texte pamphlétaire sur notre société moderne et les régimes sociaux-démocrates. Les mots ne pourraient être que pamphlétaires, ils sont de surcroît littéraires. Avec une plume intelligente, ironique, l’auteur italien nous entraîne dans des paraboles saisissantes pour dénoncer les travers de chacun.

    La technique, digne d’un Ron Mueck ou d’un Jeff Koons, est d’une redoutable efficacité et amuse. En procédant à un changement d’échelle –l’auteur choisit d’incarner et de grossir à l’extrême la mauvaise conscience- l’en-semble des faits décrits par le conteur produit sur le spectateur un effet de miroir déconcertant. Les horreurs extrêmes, grotesques et cyniques prononcées par le conteur renvoient directement à nos petites lâchetés quotidiennes, nos pensées inavouées. Pire, elles renvoient à de nombreuses réalités médiatiques actuelles.

    L’homme au parapluie et Camarades sont des philo-fables qui devraient être enseignées dans toutes les écoles de France pour montrer ce que ne devrait pas être l’économie. Dans la droite ligne de Dario Fo et de ses textes critiques sur l’absurdité de nos sociétés occidentales, Ascanio Celestini fustige l’inaction et l’endormis-sement consenti de nos sociétés démocratiques individualistes en perte d’idéaux et de combats utopiques collectifs. « Le monde ne change pas, c’est juste ta place dans le monde qui change ». La solidarité écono-mique sonne faux, la lutte des classes n’a plus de nom.

    Le texte agit comme un habile électrochoc comique qui égratigne. Un brin anarchiste, un brin caricatural et transgressif. L’objectif théâtral d’éveil des consciences est atteint. Un très jolie liberté d’expression à dé-couvrir. « Et si un jour les Martiens atterrissent, espérons qu’ils seront plus sérieux et plus fâchés que vous. Espérons qu’eux, ils la feront, votre utopique et magnifique révolution. Celle dont vous ne réussissez même plus à rêver. »

    Sébastien Mounié

  • SYLVESTRE SBILLE

    D avid Murgia est un artisteengagé. Mais pas dans lesens post-soixante-huitarddu terme. Au sens premier.Engagé: corps et âme. Pascomme un révolutionnaireaux sourcils froncés. Plutôt comme le JeanGabin des années 30. Le chantre du RéalismePoétique cher à Jean Renoir, celui qui achèteles droits d’auteur de «Quai des Brumes» etqui va voir Prévert en personne pour lui de-mander d’adapter le livre en scénario. Gabinétait à l’époque le centre de cette petitetroupe; Carné, Prévert, Renoir, Duvivier… Ilen était l’énergie.

    Murgia est comme lui. Un agitateur departicules. Un créateur exacerbé. Il va aucontact. Les pièces qu’il joue, il ne les choisitpas au hasard. Il va les chercher, commepour ce «Discours à la Nation». Depuis desannées, il adore les textes d’Ascanio Celestini,cet auteur italien qui, sous Berlusconi, sepermet de jongler avec les mots des prolé-taires. Ces mots chargés de mépris qu’onleur adresse, il les renvoie, par un salvateureffet boomerang, à la face des nantis et despuissants. Murgia le rencontre. Dans sonmeilleur italien, celui hérité du Papa, le voiciqui convainc l’auteur transalpin de se lancerdans une écriture/répétition à quatre mains.

    Cette fois, ce sera au tour des riches deprendre la parole. Les hommes de pouvoirse succèdent à la tribune. David Murgia estseul en scène, ou presque: un guitariste jouedans l’ombre. Le regard aimantant, les gestesprécis, le phrasé parfait, tout participe àl’hypnose collective. Nous voici sous l’em-prise d’un leader charismatique aux idéeslarges, trop larges. Il nous explique par A + Bque nous sommes là pour être dominés. Quec’est l’ordre des choses. Un état naturel. Quenous le demandons presque, avec nos doscourbés. Que c’est pour notre bonheur. Etnous l’écoutons. Et nous le croyons.

    Illusion perdueSur scène, David Murgia est un géant. Pour-tant, on lui trouve des airs de Gavroche,parce qu’il n’est pas grand, qu’il a la cas-quette facile, le sourire espiègle, et l’œil in-telligent. Mais il est bien plus que cela. Il estun acteur acharné, boulimique, conscient desa mission. Une mission importante, incon-tournable. Donner du plaisir aux gens, soit.Mais aussi donner du sens à leur vie. Le mé-tier d’acteur comme vecteur d’une éduca-tion permanente? Pourquoi pas… Mais au-delà de l’engagement, il y a l’envie, et il y a letalent. Rien ne sert de discourir, il faut parlerà point. Et l’homme a ce charme qui, com-biné à une liberté totale dans les zones à in-vestiguer, fait les plus grands.

    Maman d’origine espagnole, Papa d’origineitalienne, il y a une bonne ambiance chez lejeune David, qui grandit près de Liège.«J’étais un innocent bon vivant. En grandissant,j’ai ressenti l’envie de comprendre mieux lemonde. J’avais peur de choisir un métier pourtoute ma vie. Le Conservatoire, c’était une ported’entrée, pour rencontrer des gens qui pouvaientme raconter le monde, m’apprendre à avoir unregard critique sur lui.»

    À voir «Discours à la Nation», on la sent,cette envie de changer le monde. On se sou-vient tous d’un soir de notre existence, dansune salle quelque part, de ce moment, de cespectacle qui nous a touchés, et qui a plantéen nous une graine. David Murgia, ça se voit,a cette ambition-là. «C’est une illusion que jene regrette pas d’avoir perdue, depuis mon ado-lescence, où je croyais que le théâtre pouvaitchanger les choses. C’est le travail des hommespolitique, a priori. Le comédien, lui, il travaillesur les mots. Et les mots, eux, peuvent changer lemonde. Les mots qualifient le monde, le déter-minent. La crise, la solidarité, la démocratie…Nous, on observe comment les classes diri-geantes les emploient, ces mots. Comment ils lesconfisquent, les vident de leur substance… Com-ment ça détermine nos vies. À nous de réinter-préter ces mots, leur trouver d’autres significa-tions possibles. Leur redonner une dimension àtravers la bouche d’un acteur… ça, je ne sais passi ça peut changer le monde, mais ça peut êtreune énergie active, constructive…»

    Déjà au Conservatoire de Liège (plus pré-cisément l’ESACT), il ne fait pas comme les

    autres. Avec ses petits camarades il crée ungroupe, le Raoul Collectif, pour un travail defin d’études qui doit se faire sans pédagogue.Et le résultat ne se fait pas attendre. Dès l’an-née de leur sortie, ils enchaînent les repré-sentations, avec un spectacle écrit, mis enscène et joué tous ensemble: «Le Signal duPromeneur». «C’est comme si le spectacle avaitdécidé lui-même qu’il ne voulait pas se faire avecquelqu’un qui décide pour tout le monde. Il fal-lait que toutes les singularités émergent et ex-plosent dans le spectacle. Aujourd’hui, c’estcomme un laboratoire.»

    Retour vers le futurPuis commence la grande aventure du ci-néma. Dans «La régate» (Bernard Bellefroi,2009), Murgia incarne le copain d’entraîne-ment du héros. Et déjà tout le monde trouveson rôle «trop court». On en voulait plus, unsigne qui ne trompe pas. Mais c’est dans«Rundskop» qu’il montre pour la premièrefois l’étendue de sa gamme. Dans le rôle dugamin débile qui s’en prend au héros, dansles flash-back qui nous ramènent aux an-nées 80, il est impressionnant. Ceux qui l’ontrepéré dans «La régate» ne le reconnaissentpas. La majorité croit à un vrai fou furieuxdégoté on ne sait où.

    En 2012 le public peut enfin l’admirerdans un premier rôle. Cette «Tête la pre-mière» lui vaut le Magritte. Un film très tou-chant, filmé à l’arrache, mais où c’est l’huma-nité et la sincérité qui prennent le pas sur laperformance de «Rundskop». On découvre

    un garçon «comme dans la vraie vie». Quiparvient à imposer sa douceur. Il fait preuved’un naturel et d’une présence rares. La ca-méra l’adore.

    Et lui, qu’est-ce qu’il aime au cinéma?Quand on lui pose la question, David Murgiane cherche pas la réponse qui lui donneraun air avantageux. Il répond: «‘Retour vers lefutur’. Quand j’étais petit, c’était mon film pré-féré. C’est un film qui qualifie une époque. C’estmon enfance. Et puis cette façon qu’on avait devoir l’an 2000… C’est le fantasme sur unmonde, qui s’est déjà radicalement transformédepuis. Mais je suis aussi capable de m’enfilertrois films de Chris Marker, quand ça me prend.Ou du Lars Von Trier. J’ai un goût qui changeavec les saisons!»

    Il ne sait pas de quoi il est capable, DavidMurgia. Simple comédien, il joue sur lesmots, il joue sur les consciences, il plante desgraines, et il donne du plaisir. Ça ne se voitpas, qu’il est un grand artiste. À cause de ses25 ans à peine, à cause de ses airs candides, àcause du sourire en coin, de l’œil qui pétille.À cause de l’humilité et des doutes qui assail-lent l’artiste. Mais après avoir vu son specta-cle, nous n’avons plus aucun doute: DavidMurgia change le monde.

    «Discours à la Nation», au Théâtre Natio-nal, reprise du 26 novembre au 14 dé-cembre. Rés. 02/203.53.03 ou www.thea-trenational.be. En avaril et mai 2014, lespectacle tournera également dans desvilles de Wallonie et à Arras.

    56 L’ECHO SAMEDI 23 NOVEMBRE 2013

    Culture

    «Discours à la Nation» vient deremporter le Prix du Meilleur Spectacle(Prix de la Critique)… Cet été, il étaitrevenu d’Avignon avec le Prix du Publicdu Festival OFF. L’année dernière, c’étaitle Magritte du Meilleur Espoir Masculinpour «La tête à l’envers». Pour lenouveau prodige du cinéma belge, lesprojets se bousculent…

    © SASKIA VANDERSTICHELE/HÉLÈNE LEGRAND

    «Le comédientravaille sur lesmots. Et les mots,eux, peuventchanger le monde.Les mots qualifientle monde, ledéterminent.»David Murgia

    David Murgia,

    corpset

    âme

    novembre 2013

  • 16 janvier 201216 janvier 2012

    ! Passionnant depuis sa première édition, le Festival de Liège permet de décou-vrir des compagnies internationales comme de jeunes artistes de chez nous.! Pour son ouverture, Ascanio Celestini et David Murgia, deux habitués de lamanifestation, ont travaillé ensemble à un « Discours à la nation ».

    Pour démarrer…Avec des compagnies venues d’Ita-lie, du Chili, d’Irlande mais aussi detrès jeunes créateurs de la Commu-nauté française, l’édition 2013 duFestival de Liège propose à nou-veau bon nombre de découvertes.Petit tour d’horizon des premiersjours.! Discours à la nation. David Mur-gia porte les récits d’Ascanio Celes-tini (lire ci-contre). (du 18 au 20 auManège)! Constellation 61. Action 30 re-vient sur les années 60 où, en Ita-lie, on remet en cause profondé-ment les idées reçues sur la santémentale. Une performance quimixe en direct des images, dessons, des musiques et des dessins,mêlant archives et création contem-poraine. (19 et 20 au Théâtre de laPlace)! Furie de Sanghe/Emorragia ce-rebrale. Un huis clos familial où pè-re, fils et tante voient débarquer lafiancée du jeune homme qui va ca-talyser tous les conflits, toutes lesviolences de ce noyau familial. Unspectacle dont les auteurs veulentinterroger les archétypes de la ré-gion des Pouilles, en Italie. (22 et23 au Manège, en italien, surtitré)! En pratique. Festival de Liège,du 18 janvier au 9 février, à Liège,Charleroi, Mons, Herve et Bruxel-les. Infos et réservations : www. fes-tivaldeliege.be.

    CULTURE

    S ur le vaste plateau du Ma-nège à Liège, un petit tasde caisses en bois est sur-monté d’une mappemonde éclai-rée. A l’avant-scène, David Mur-gia répète son texte sous l’œilcomplice d’Ascanio Celestini au-teur du Discours à la Nation quiouvre le festival. A ses côtés, Pa-trick Bebi, comédien, fait officede traducteur. La réunion de cestrois-là est comme un résumédu Festival, devenu en quelquesannées un rendez-vous incon-tournable au point d’être citépar certains journalistes fla-mands comme le meilleur festi-val de théâtre en Belgique.

    Ascanio Celestini en est unedes toutes premières révéla-tions. Découvert en Italie par

    Jean-Louis Colinet, directeur dela manifestation, il débarquechez nous en 2003. Depuis, il estde toutes les éditions et ses tex-tes ont été montés en français àde nombreuses reprises, notam-ment au Rideau de Bruxelles.

    C’est à Liège que Celestini ren-contre Patrick Bebi, invité à tra-duire en direct un de ses specta-cles. Les deux hommes se ren-contrent pour la première foisl’après-midi même du spectacle.Et le soir, c’est un régal, le duo selivrant à un incroyable jeu deping pong verbal.

    Quant à David Murgia, on ledécouvre en 2009 dans Le cha-grin des ogres, première mise enscène de son frère Fabrice Mur-gia. Le spectacle est la révélation

    du festival et tourne encore au-jourd’hui. Deux ans plus tard, ilrevient avec Le Signal du Prome-neur, du Raoul Collectif dont ilest l’un des membres. C’est la ré-vélation de l’édition 2011. Entre-temps (et depuis) on le voit au ci-néma, à la scène et partout oùson incroyable énergie le pousseà s’exprimer.

    Cette année, tous trois sont àl’affiche. David joue le texte d’As-canio tandis que Patrick est l’undes interprètes de La grande etfabuleuse histoire du commercede Joël Pommerat, autre habi-tué de la manifestation.

    Comme tous les participants àcelle-ci, ces artistes ont en com-mun de passer par le théâtrepour parler des grandes ques-

    tions qui hantent nos sociétéscontemporaines. Mais loin deplonger dans un théâtre mili-tant, ils créent des œuvres quin’assènent aucune vérité maisquestionnent le spectateur. Desspectacles d’une beauté souventrenversante, utilisant autantl’image et le son que le mot.

    Cette année, pour la premièrefois, Ascanio Celestini restera enretrait, cédant le plateau à sonjeune collègue belge. « C’estJean-Louis Colinet qui m’a de-mandé de proposer une mise enscène. Il y a eu, depuis quelquesannées, de nombreuses adapta-tions de mes textes en français,en allemand, en roumain...Mais Jean-Louis voulait voircomment moi, je mettrais en scè-ne mes propres textes sans lesjouer. »

    Après avoir été à la rencontred’Ascanio Celestini à Rome, Da-vid Murgia est évidemment prêtà se lancer dans l’aventure :« Pour moi, c’est un grand espa-

    ce de liberté. Ascanio a besoinque l’acteur s’approprie les cho-ses. Il dit qu’on n’apprend pas àjouer à un acteur. Ce serait com-me lui apprendre à respirer. »

    Pour ce spectacle, Celestini apuisé dans les multiples récitsqu’il raconte lui-même dans sesdivers spectacles. Mais alorsqu’il donnait souvent la paroleaux gens du peuple, il fait cettefois parler les gens de pouvoir

    qui s’adressent au peuple, avecparfois un cynisme étonnant.Notamment dans ce discours oùun grand patron s’adresse aux ci-toyens en s’étonnant qu’ils ne serévoltent pas contre les genscomme lui. « Je crois que nosgouvernants pensent vraimentcela, sourit Celestini. Parfois,quelqu’un comme Berlusconi ledit. Je ne crois pas qu’ils pensentvraiment ce qu’ils disent dans

    leur discours. Ils le disent parceque ça marche. Le type qui faitla pub pour Coca, il n’a pas be-soin de croire à ce qu’il dit. C’estun jeu. Les discours de la politi-que officielle fonctionnent com-me cela aussi. Moi, j’ai imaginéun homme qui dit vraiment cequ’il pense. Et bien sûr, il y a ducynisme dans son discours. »

    Et quand on lui demande s’ilveut faire bouger les gens avec

    ses spectacles, il répond : « J’es-père que personne n’a le pouvoirde faire bouger les gens de maniè-re aussi évidente. L’écriture doitpousser à penser qu’il y a d’au-tres points de vue possibles. C’estcomme un massage. Ca réveilledes sensations. Hitler, lui, fai-sait bouger les masses. J’espèrebien qu’aucun acteur au mondene détient un pouvoir aussi puis-sant. » ■ JEAN-MARIE WYNANTS

    « L’écriture doit pousser à penser qu’il y a d’autrespoints de vue possibles » ASCANIO CELESTINI

    + TÉLÉVISION

    AU PROGRAMME

    Voice vs VoiceSolide concurrence pour laRTBF : « The Voice », avecBertignac, commence le2 février sur TF1. © EPA

    SCÈNES Le rendez-vous biennal ouvre vendredi avec « Discours à la Nation »

    Bon à découperCe bon est valable pour un ou plusieurs produits au choix issus de séries diff érentes et non valable pour l’achat de plusieurs numéros

    identiques d’une même série. Ce bon est strictement personnel.

    Off re valable dans la limite des stocks disponibles. Produits en vente en librairies, hors grandes surfaces.Avis aux abonnés": vous pouvez acquérir ces produits via la librairie de votre choix.*Avis aux lecteurs": action sans obligation d’achat. Ce bon peut être obtenu sur simple demande écrite, accompagnée d’une enveloppe aff ranchie auprès du journal Le Soir, Service Abonnements, 100 rue Royale, 1000 Bruxelles.Avis aux diff useurs de presse": si vous n’avez pas reçu le produit mentionné sur ce bon, contactez notre service administratif": 070.22.10.10.1 Veuillez indiquer ci-contre votre numéro

    PV AMP.2 Ce bon doit être renvoyé dans le mois,

    exclusivement dans l’enveloppe Rossel «"retour bons"». Un contrôle du nombre de bons rentrés par rapport au nombre de produits plus vendus sera eff ectué. En cas de discordances, l’éditeur se réserve le droit de ne plus assurer la livraison de ses produits au point de vente.

    FIGURINESF TINTIN!"#$%&&'()*%+#,-.(*'&&'

    nes

    tor

    au pl

    umea

    u

    31

    © 2

    013

    Disn

    ey

    Figurines Tintin

    Nestor au plumeau1 fi gurine + 1 livret

    + 1 passeport

    12,99!€*Off re valable

    du 16/01 au 29/01/2013

    La maison de Mickey N°10

    Le livre": L’ouïe"; DVD": Mickey et les couleurs";

    Le hoquet de Donald

    9,99!€*Off re valable

    du 10/01 au 22/01/2013

    Le corps humain N°18

    Le coff ret et le fascicule

    6,95!€*Off re valable

    du 15/01 au 21/01/2013

    9826242

    490000

    !"#$%!"#$%'()"#$*"#

    7 Boules de cristal

    édit

    ions

    mou

    lin

    sart

    Bon de réduction de 2!€

    Les Mystères des 7 boules de cristal

    14 € - 2 € = 12 €Off re valable

    du 14/12/2012 au 20/01/2013

    9 8 2 6 2 4 2 4 4 2 0 0 9

    Le théâtre comme miroir du mondeau Festival de Liège

    Deux révélations des éditions précédentes du festival s’associent pour ouvrir l’édition 2013 : David Murgia porte la parole d’Ascanio Celestini pour un spectacle dans lequel les deux hommesont repris des textes de l’auteur italien tout en adaptant certaines parties de ceux-ci à la situation de notre pays. © ANTONIO GOMEZ GARCIA.

    Le Soir Mercredi 16 janvier 2013

    29

    www.lesoir.be 1NL

  • 23 janvier 2013

    22/01/13 20:30 - LE_SOIR du 23/01/13 - p. 34

    ! Effet pervers : en inscrivant Tombouctou sur la lis-te du patrimoine en péril, l’Unesco en fait une cible.! Derrière les destructions, c’est l’islam de la tolé-rance qui est en ligne de mire.! Anne Morelli parle de guerre psychologique.

    ENTRETIEN

    H istorienne, Anne Morelli est directri-ce adjointe du Centre interdisciplinai-re d’étude des religions et de la laïcité del’Université libre de Bruxelles. Elle ensei-gne également la critique historique, lescontacts de culture, l’histoire des religionset la didactique de l’histoire. Elle élargit laréflexion, du Mali à la Yougoslavie, de l’Af-ghanistan aux républiques protestantes ennos pays.

    Les destructions de biens culturels visantà l’anéantissement d’une identité, d’unereligion, d’un peuple ont cours depuis lanuit des temps. C’est une stratégie effica-ce de la part de l’agresseur ?Le vainqueur est toujours le vaincu. Il es-saie d’effacer les traces du vaincu, que cesoit en politique, culture ou religion.Quand le christianisme a gagné sur le pa-ganisme, les temples romains ont été dé-truits ou transformés en lieux de cultes duvainqueur. Très avisé, l’officier romain Po-lyeucte s’est distingué au IIIe siècle en abat-

    tant toutes les idoles romaines en Arménie.Il est devenu à la fois un martyr et un hé-ros !Les exemples sont légion. Bouddhas deBamyian, annihilation du patrimoine armé-nien de Turquie et d’Azerbaïdjan.En 1999, les Albanais ont profané ou dé-truit 150 monastères serbes, des merveillesdu Moyen Age, sur un territoire devenu à

    majorité musulmane aujourd’hui. En Af-ghanistan, les bouddhas de Bamyian ontété dynamités en 2001 par les talibans par-ce qu’ils étaient les symboles d’une religionprécédente. Qu’ont fait les Américains enIrak ? C’est un exemple politique : ils ontfait sauter la statue de Saddam Hussein, lesymbole du pouvoir à abattre. Même choselors de la chute du Mur où les statues de Sta-line ont été renversées.Les lieux de culte demeurent les principa-

    les cibles ?Effacer les signes de l’« ennemi » est cou-rant, comme on change les noms de rues oula topographie d’une ville. Les événementsdu Mali s’inscrivent dans cette ligne. Pen-dant la guerre de Yougoslavie, les lieux deculte ont été particulièrement visés car ils’agit aussi d’une guerre psychologique.Et dans nos régions ?

    Nous l’avons vécu au XVIe siècle quandune grande partie de nos régions était pro-testante, à Tournai, Anvers, Bruxelles, Bru-ges, Gand, etc. Lors de la reconquête catholi-que – comme à Cordoue et Tolède lors de la« reconquista » contre les Arabes –, on a re-converti les lieux de culte protestant en cul-tes chrétiens. C’est une tactique de déstabili-sation psychologique très fréquente tout aulong de l’histoire. ■ Propos recueillis par

    DOMINIQUE LEGRAND

    A Gao, la population a déci-dé de surveiller elle-mê-me le tombeau des Askiaconstruit au XVe siècle, au tempsde l’empire songhaï. Un remparthumain ! A Tombouctou, les des-tructions de mausolées et de mos-quées se sont multipliées depuisl’occupation du nord du Mali parles islamistes radicaux. La portesacrée de la mosquée Sidi Yahia,une des trois principales de la vil-le, a été détruite.

    Les islamistes du groupe arméd’Ansar Dine entendent réduireà néant les seize mausolées de laville. Ils protestent ainsi « aunom de Dieu » contre la décisionprise par l’Unesco de placer la vil-le de Tombouctou sur la liste dupatrimoine mondial en péril enraison de la présence de ces isla-mistes armés dans la région. Fon-dée entre le XIe et XIIe siècle pardes tribus touaregs et surnom-mée « la cité des 333 saints »,Tombouctou fait partie du Patri-moine mondial depuis 1988.

    Invoquant la Convention deLa Haye pour la protection desbiens culturels en situation deconflit, la directrice générale del’Unesco répond par un appel lan-cé à toutes les forces militaires en-gagées au Mali : « Je demandeaux forces armées de tout mettreen œuvre pour protéger le patri-moine culturel du pays, déjà gra-vement endommagé. » Irina Bo-kova a fourni aux états-majorsles éléments topographiques rela-

    tifs à la localisation des sites. Sesefforts appuient la mise en œu-vre des résolutions adoptées parle Conseil de sécurité sur la situa-tion au Mali en 2012. Toutes ontcondamné la destruction du pa-trimoine culturel en appelant àsa protection. Effet pervers, celalui accorde une place centrale…

    Ces édifices de terre et de sablene sont pas seulement des mer-veilles du patrimoine de l’huma-nité dont il faut défendre la pé-rennité. En les ciblant, les extré-mistes portent un acte de des-truction qui va bien plus loin quele patrimoine matériel. Ces édifi-ces sont le symbole d’un islamd’ouverture et de tolérance queles combattants du groupe arméislamiste d’Ansar Dine enten-dent éradiquer.

    Il est ici question de purifica-tion culturelle. Comment quali-fier autrement les destructionsdélibérées des mosquées de Tom-bouctou ? Pourquoi s’en prendreau patrimoine musulman de la« perle du désert » ? Deux fac-teurs entrent en jeu : l’inscrip-tion au Patrimoine mondial enpéril de l’Unesco et l’aversion desintégristes pour l’idolâtrie.

    Eric Huysecom, directeur dulaboratoire Archéologie et Peu-plement de l’Afrique à l’Universi-té de Genève, est également pro-fesseur à l’Université de Bama-ko. Sur le terrain, il dirige une im-portante mission archéologique.L’anthropologue suisse fait lepoint sur la double dimensionsymbolique des mausolées deTombouctou : « Les habitantsfont souvent appel aux saints in-humés dans ces mausolées pour

    obtenir des bénédictions pour laréussite de récoltes ou des expédi-tions caravanières, du bonheurdurant le mariage, etc. Ces monu-ments sont le témoignage d’un is-lam d’ouverture tant dans le do-maine des arts, de la littératureque des sciences ou de la médeci-ne, mais aussi d’un islam de tolé-rance. Cette image est contraire àcelle que prônent les mouve-ments intégristes et radicaux :les cultes personnalisés dessaints inhumés dans ces mauso-lées sont incompatibles avec unislam où seul le Prophète peutêtre invoqué. »

    Experte de la culture dogon,commissaire d’exposition au Mu-sée du Quai Branly, Hélène Le-loup rappelle : « Les plus gran-

    des destructions ont eu lieu il y a80 ans, pas seulement au Malimais au Nigeria et d’autres paysd’Afrique. Après la Seconde Guer-re mondiale, les objets rituels, lastatuaire, les masques devaientêtre rassemblés pour partir enune belle flambée, une manièred’éradiquer les croyances ances-trales au profit de religions chré-tiennes ou islamistes modérées.En fait, ces objets ont été récupé-rés pour nourrir les musées et lemarché de l’art. Chaque pays aconnu ce problème. » C’est aunord du Mali que se concentre lamajorité des sites de l’Unesco, oùl’islam et les mythes anciens etcosmogonie des animistes coha-bitent sans heurts dans des villescomme Djenné, une des cités lesplus anciennes d’Afrique subsa-harienne, ou encore le site natu-rel de la falaise de Bandiagara,creuset de la statuaire dogon. ■ DOMINIQUE LEGRAND

    ! P.11 LA SITUATION! P.17 LES CRAINTES DE MSF

    « Effacer les signes de “l’ennemi” est courant, comme on chan-ge les noms de rues ou la topographie d’une ville » ANNE MORELLI

    « Je demande aux forcesarmées de tout mettreen œuvre pour protégerle patrimoine culturel »

    Anne Morelli : « Une guerre psychologique »

    E poustouflant ! Hilarant !Féroce ! Trois des qualifica-tifs qui revenaient sur bien deslèvres à l’issue de Discours à lanation en ouverture du Festivalde Liège.

    « Epoustouflant » pour la per-formance de David Murgia quiporte avec une aisance incroya-ble les textes de son comparseAscanio Celestini. Campantune succession de personnagesavec un aplomb extraordinaire,il donne constamment l’impres-sion de parler comme il respire,créant diverses personnalités àpartir d’infimes détails.

    « Hilarant » pour cette suc-cession de discours où le comé-dien, retrouvant le débit ultra-rapide de son auteur et metteuren scène, fait vivre des personna-ges d’un cynisme achevé.

    « Féroce » pour la manièredont Celestini donne pour lapremière fois la parole aux puis-sants de ce monde pour mieuxmontrer à quel point nousavons toutes les raisons de lesfaire tomber de leur piédestal.

    Chemise bariolée, pantalonmoulant et santiags aux pieds,David Murgia entre en scèneavec un petit côté macho décon-tracté. Ses premiers mots debienvenue semblent improvisésmais on comprend vite qu’ilsfont partie de la succession detextes concoctée par Celestini.

    Pas une once de douteTous sont des discours ou des

    adresses directes au public. De-vant un tas de caissettes en boiset une mappemonde illuminée,le jeune comédien entreprendde nous livrer un petit cours degéopolitique et d’économie. Etc’est aussi percutant que déca-pant. Le marché globalisé, les ré-voltes étouffées, la loi de la sélec-tion naturelle, la démission dessyndicats, la toute-puissance del’économie… tout y passe avecune férocité d’autant plus gran-de que les différents personna-ges campés par David Murgian’affichent pas une once de dou-te ou de remords. Tous sontsûrs d’eux, hilares devant notresoumission. « Camarades ! »,lance ce grand patron s’adres-sant aux ouvriers en se marrantcomme une baleine.

    Avec trois fois rien, l’acteur seconstruit un podium, une ta-ble… A ses côtés, le guitaristeCarmelo Prestigiacomo créedes ambiances discrètes et sertde partenaire muet.

    Un véritable régal où, à tra-vers le rire, les métaphores etles petites fables, on met en lu-mière les aberrations les pluscriantes de nos sociétés moder-nes. A voir sans hésitation. ■ JEAN-MARIE WYNANTS

    Ces 23 et 24 janvier à l’Ancre à Charle-roi (www.ancre.be) et du 23 avrilau 4 mai au Théâtre National(www.theatrenational.be).

    ALGÉRIE

    AZAWADMAURITANIE

    MALI

    GUINÉE

    Niger

    Bamako

    KonnaMopti

    NIGER

    LE SOIR - 23.01.13

    300 km

    BURKINA FASO

    Grandes mosquées deDjingareyber, Sankoréet Sidi YahiaTombouctou

    Tombeau des AskiaGao

    Villes anciennesde DjennéDjenné

    Falaise de BandiagaraPays Dogon

    Biens inscrits sur la liste du Patrimoine mondial de L’Unesco

    La porte sacrée de lamosquée de Sidi Ya-hia : ce dégât collaté-ral vise à la fois un si-te classé et un édificesortant du culte exclu-sif de Mahomet. © D.R.

    PATRIMOINE L’Unesco voit là une « négation d’un islam de tolérance »

    Au Mali, les sites de l’Unescodeviennent une cible symbolique

    FESTIVAL DE LIÈGE

    LACULTURE

    « Discoursà la nation » :hilarantet salutaire

    David Murgia passe d’un discours àl’autre avec un naturel irrésistible.© ANTONIO GOMEZ GARCIA

    Le Soir Mercredi 23 janvier 2013

    34

    1NL www.lesoir.be

    23 janvier 2013

    22/01/13 20:30 - LE_SOIR du 23/01/13 - p. 34

    ! Effet pervers : en inscrivant Tombouctou sur la lis-te du patrimoine en péril, l’Unesco en fait une cible.! Derrière les destructions, c’est l’islam de la tolé-rance qui est en ligne de mire.! Anne Morelli parle de guerre psychologique.

    ENTRETIEN

    H istorienne, Anne Morelli est directri-ce adjointe du Centre interdisciplinai-re d’étude des religions et de la laïcité del’Université libre de Bruxelles. Elle ensei-gne également la critique historique, lescontacts de culture, l’histoire des religionset la didactique de l’histoire. Elle élargit laréflexion, du Mali à la Yougoslavie, de l’Af-ghanistan aux républiques protestantes ennos pays.

    Les destructions de biens culturels visantà l’anéantissement d’une identité, d’unereligion, d’un peuple ont cours depuis lanuit des temps. C’est une stratégie effica-ce de la part de l’agresseur ?Le vainqueur est toujours le vaincu. Il es-saie d’effacer les traces du vaincu, que cesoit en politique, culture ou religion.Quand le christianisme a gagné sur le pa-ganisme, les temples romains ont été dé-truits ou transformés en lieux de cultes duvainqueur. Très avisé, l’officier romain Po-lyeucte s’est distingué au IIIe siècle en abat-

    tant toutes les idoles romaines en Arménie.Il est devenu à la fois un martyr et un hé-ros !Les exemples sont légion. Bouddhas deBamyian, annihilation du patrimoine armé-nien de Turquie et d’Azerbaïdjan.En 1999, les Albanais ont profané ou dé-truit 150 monastères serbes, des merveillesdu Moyen Age, sur un territoire devenu à

    majorité musulmane aujourd’hui. En Af-ghanistan, les bouddhas de Bamyian ontété dynamités en 2001 par les talibans par-ce qu’ils étaient les symboles d’une religionprécédente. Qu’ont fait les Américains enIrak ? C’est un exemple politique : ils ontfait sauter la statue de Saddam Hussein, lesymbole du pouvoir à abattre. Même choselors de la chute du Mur où les statues de Sta-line ont été renversées.Les lieux de culte demeurent les principa-

    les cibles ?Effacer les signes de l’« ennemi » est cou-rant, comme on change les noms de rues oula topographie d’une ville. Les événementsdu Mali s’inscrivent dans cette ligne. Pen-dant la guerre de Yougoslavie, les lieux deculte ont été particulièrement visés car ils’agit aussi d’une guerre psychologique.Et dans nos régions ?

    Nous l’avons vécu au XVIe siècle quandune grande partie de nos régions était pro-testante, à Tournai, Anvers, Bruxelles, Bru-ges, Gand, etc. Lors de la reconquête catholi-que – comme à Cordoue et Tolède lors de la« reconquista » contre les Arabes –, on a re-converti les lieux de culte protestant en cul-tes chrétiens. C’est une tactique de déstabili-sation psychologique très fréquente tout aulong de l’histoire. ■ Propos recueillis par

    DOMINIQUE LEGRAND

    A Gao, la population a déci-dé de surveiller elle-mê-me le tombeau des Askiaconstruit au XVe siècle, au tempsde l’empire songhaï. Un remparthumain ! A Tombouctou, les des-tructions de mausolées et de mos-quées se sont multipliées depuisl’occupation du nord du Mali parles islamistes radicaux. La portesacrée de la mosquée Sidi Yahia,une des trois principales de la vil-le, a été détruite.

    Les islamistes du groupe arméd’Ansar Dine entendent réduireà néant les seize mausolées de laville. Ils protestent ainsi « aunom de Dieu » contre la décisionprise par l’Unesco de placer la vil-le de Tombouctou sur la liste dupatrimoine mondial en péril enraison de la présence de ces isla-mistes armés dans la région. Fon-dée entre le XIe et XIIe siècle pardes tribus touaregs et surnom-mée « la cité des 333 saints »,Tombouctou fait partie du Patri-moine mondial depuis 1988.

    Invoquant la Convention deLa Haye pour la protection desbiens culturels en situation deconflit, la directrice générale del’Unesco répond par un appel lan-cé à toutes les forces militaires en-gagées au Mali : « Je demandeaux forces armées de tout mettreen œuvre pour protéger le patri-moine culturel du pays, déjà gra-vement endommagé. » Irina Bo-kova a fourni aux états-majorsles éléments topographiques rela-

    tifs à la localisation des sites. Sesefforts appuient la mise en œu-vre des résolutions adoptées parle Conseil de sécurité sur la situa-tion au Mali en 2012. Toutes ontcondamné la destruction du pa-trimoine culturel en appelant àsa protection. Effet pervers, celalui accorde une place centrale…

    Ces édifices de terre et de sablene sont pas seulement des mer-veilles du patrimoine de l’huma-nité dont il faut défendre la pé-rennité. En les ciblant, les extré-mistes portent un acte de des-truction qui va bien plus loin quele patrimoine matériel. Ces édifi-ces sont le symbole d’un islamd’ouverture et de tolérance queles combattants du groupe arméislamiste d’Ansar Dine enten-dent éradiquer.

    Il est ici question de purifica-tion culturelle. Comment quali-fier autrement les destructionsdélibérées des mosquées de Tom-bouctou ? Pourquoi s’en prendreau patrimoine musulman de la« perle du désert » ? Deux fac-teurs entrent en jeu : l’inscrip-tion au Patrimoine mondial enpéril de l’Unesco et l’aversion desintégristes pour l’idolâtrie.

    Eric Huysecom, directeur dulaboratoire Archéologie et Peu-plement de l’Afrique à l’Universi-té de Genève, est également pro-fesseur à l’Université de Bama-ko. Sur le terrain, il dirige une im-portante mission archéologique.L’anthropologue suisse fait lepoint sur la double dimensionsymbolique des mausolées deTombouctou : « Les habitantsfont souvent appel aux saints in-humés dans ces mausolées pour

    obtenir des bénédictions pour laréussite de récoltes ou des expédi-tions caravanières, du bonheurdurant le mariage, etc. Ces monu-ments sont le témoignage d’un is-lam d’ouverture tant dans le do-maine des arts, de la littératureque des sciences ou de la médeci-ne, mais aussi d’un islam de tolé-rance. Cette image est contraire àcelle que prônent les mouve-ments intégristes et radicaux :les cultes personnalisés dessaints inhumés dans ces mauso-lées sont incompatibles avec unislam où seul le Prophète peutêtre invoqué. »

    Experte de la culture dogon,commissaire d’exposition au Mu-sée du Quai Branly, Hélène Le-loup rappelle : « Les plus gran-

    des destructions ont eu lieu il y a80 ans, pas seulement au Malimais au Nigeria et d’autres paysd’Afrique. Après la Seconde Guer-re mondiale, les objets rituels, lastatuaire, les masques devaientêtre rassemblés pour partir enune belle flambée, une manièred’éradiquer les croyances ances-trales au profit de religions chré-tiennes ou islamistes modérées.En fait, ces objets ont été récupé-rés pour nourrir les musées et lemarché de l’art. Chaque pays aconnu ce problème. » C’est aunord du Mali que se concentre lamajorité des sites de l’Unesco, oùl’islam et les mythes anciens etcosmogonie des animistes coha-bitent sans heurts dans des villescomme Djenné, une des cités lesplus anciennes d’Afrique subsa-harienne, ou encore le site natu-rel de la falaise de Bandiagara,creuset de la statuaire dogon. ■ DOMINIQUE LEGRAND

    ! P.11 LA SITUATION! P.17 LES CRAINTES DE MSF

    « Effacer les signes de “l’ennemi” est courant, comme on chan-ge les noms de rues ou la topographie d’une ville » ANNE MORELLI

    « Je demande aux forcesarmées de tout mettreen œuvre pour protégerle patrimoine culturel »

    Anne Morelli : « Une guerre psychologique »

    E poustouflant ! Hilarant !Féroce ! Trois des qualifica-tifs qui revenaient sur bien deslèvres à l’issue de Discours à lanation en ouverture du Festivalde Liège.

    « Epoustouflant » pour la per-formance de David Murgia quiporte avec une aisance incroya-ble les textes de son comparseAscanio Celestini. Campantune succession de personnagesavec un aplomb extraordinaire,il donne constamment l’impres-sion de parler comme il respire,créant diverses personnalités àpartir d’infimes détails.

    « Hilarant » pour cette suc-cession de discours où le comé-dien, retrouvant le débit ultra-rapide de son auteur et metteuren scène, fait vivre des personna-ges d’un cynisme achevé.

    « Féroce » pour la manièredont Celestini donne pour lapremière fois la parole aux puis-sants de ce monde pour mieuxmontrer à quel point nousavons toutes les raisons de lesfaire tomber de leur piédestal.

    Chemise bariolée, pantalonmoulant et santiags aux pieds,David Murgia entre en scèneavec un petit côté macho décon-tracté. Ses premiers mots debienvenue semblent improvisésmais on comprend vite qu’ilsfont partie de la succession detextes concoctée par Celestini.

    Pas une once de douteTous sont des discours ou des

    adresses directes au public. De-vant un tas de caissettes en boiset une mappemonde illuminée,le jeune comédien entreprendde nous livrer un petit cours degéopolitique et d’économie. Etc’est aussi percutant que déca-pant. Le marché globalisé, les ré-voltes étouffées, la loi de la sélec-tion naturelle, la démission dessyndicats, la toute-puissance del’économie… tout y passe avecune férocité d’autant plus gran-de que les différents personna-ges campés par David Murgian’affichent pas une once de dou-te ou de remords. Tous sontsûrs d’eux, hilares devant notresoumission. « Camarades ! »,lance ce grand patron s’adres-sant aux ouvriers en se marrantcomme une baleine.

    Avec trois fois rien, l’acteur seconstruit un podium, une ta-ble… A ses côtés, le guitaristeCarmelo Prestigiacomo créedes ambiances discrètes et sertde partenaire muet.

    Un véritable régal où, à tra-vers le rire, les métaphores etles petites fables, on met en lu-mière les aberrations les pluscriantes de nos sociétés moder-nes. A voir sans hésitation. ■ JEAN-MARIE WYNANTS

    Ces 23 et 24 janvier à l’Ancre à Charle-roi (www.ancre.be) et du 23 avrilau 4 mai au Théâtre National(www.theatrenational.be).

    ALGÉRIE

    AZAWADMAURITANIE

    MALI

    GUINÉE

    Niger

    Bamako

    KonnaMopti

    NIGER

    LE SOIR - 23.01.13

    300 km

    BURKINA FASO

    Grandes mosquées deDjingareyber, Sankoréet Sidi YahiaTombouctou

    Tombeau des AskiaGao

    Villes anciennesde DjennéDjenné

    Falaise de BandiagaraPays Dogon

    Biens inscrits sur la liste du Patrimoine mondial de L’Unesco

    La porte sacrée de lamosquée de Sidi Ya-hia : ce dégât collaté-ral vise à la fois un si-te classé et un édificesortant du culte exclu-sif de Mahomet. © D.R.

    PATRIMOINE L’Unesco voit là une « négation d’un islam de tolérance »

    Au Mali, les sites de l’Unescodeviennent une cible symbolique

    FESTIVAL DE LIÈGE

    LACULTURE

    « Discoursà la nation » :hilarantet salutaire

    David Murgia passe d’un discours àl’autre avec un naturel irrésistible.© ANTONIO GOMEZ GARCIA

    Le Soir Mercredi 23 janvier 2013

    34

    1NL www.lesoir.be

    22/01/13 20:30 - LE_SOIR du 23/01/13 - p. 34

    ! Effet pervers : en inscrivant Tombouctou sur la lis-te du patrimoine en péril, l’Unesco en fait une cible.! Derrière les destructions, c’est l’islam de la tolé-rance qui est en ligne de mire.! Anne Morelli parle de guerre psychologique.

    ENTRETIEN

    H istorienne, Anne Morelli est directri-ce adjointe du Centre interdisciplinai-re d’étude des religions et de la laïcité del’Université libre de Bruxelles. Elle ensei-gne également la critique historique, lescontacts de culture, l’histoire des religionset la didactique de l’histoire. Elle élargit laréflexion, du Mali à la Yougoslavie, de l’Af-ghanistan aux républiques protestantes ennos pays.

    Les destructions de biens culturels visantà l’anéantissement d’une identité, d’unereligion, d’un peuple ont cours depuis lanuit des temps. C’est une stratégie effica-ce de la part de l’agresseur ?Le vainqueur est toujours le vaincu. Il es-saie d’effacer les traces du vaincu, que cesoit en politique, culture ou religion.Quand le christianisme a gagné sur le pa-ganisme, les temples romains ont été dé-truits ou transformés en lieux de cultes duvainqueur. Très avisé, l’officier romain Po-lyeucte s’est distingué au IIIe siècle en abat-

    tant toutes les idoles romaines en Arménie.Il est devenu à la fois un martyr et un hé-ros !Les exemples sont légion. Bouddhas deBamyian, annihilation du patrimoine armé-nien de Turquie et d’Azerbaïdjan.En 1999, les Albanais ont profané ou dé-truit 150 monastères serbes, des merveillesdu Moyen Age, sur un territoire devenu à

    majorité musulmane aujourd’hui. En Af-ghanistan, les bouddhas de Bamyian ontété dynamités en 2001 par les talibans par-ce qu’ils étaient les symboles d’une religionprécédente. Qu’ont fait les Américains enIrak ? C’est un exemple politique : ils ontfait sauter la statue de Saddam Hussein, lesymbole du pouvoir à abattre. Même choselors de la chute du Mur où les statues de Sta-line ont été renversées.Les lieux de culte demeurent les principa-

    les cibles ?Effacer les signes de l’« ennemi » est cou-rant, comme on change les noms de rues oula topographie d’une ville. Les événementsdu Mali s’inscrivent dans cette ligne. Pen-dant la guerre de Yougoslavie, les lieux deculte ont été particulièrement visés car ils’agit aussi d’une guerre psychologique.Et dans nos régions ?

    Nous l’avons vécu au XVIe siècle quandune grande partie de nos régions était pro-testante, à Tournai, Anvers, Bruxelles, Bru-ges, Gand, etc. Lors de la reconquête catholi-que – comme à Cordoue et Tolède lors de la« reconquista » contre les Arabes –, on a re-converti les lieux de culte protestant en cul-tes chrétiens. C’est une tactique de déstabili-sation psychologique très fréquente tout aulong de l’histoire. ■ Propos recueillis par

    DOMINIQUE LEGRAND

    A Gao, la population a déci-dé de surveiller elle-mê-me le tombeau des Askiaconstruit au XVe siècle, au tempsde l’empire songhaï. Un remparthumain ! A Tombouctou, les des-tructions de mausolées et de mos-quées se sont multipliées depuisl’occupation du nord du Mali parles islamistes radicaux. La portesacrée de la mosquée Sidi Yahia,une des trois principales de la vil-le, a été détruite.

    Les islamistes du groupe arméd’Ansar Dine entendent réduireà néant les seize mausolées de laville. Ils protestent ainsi « aunom de Dieu » contre la décisionprise par l’Unesco de placer la vil-le de Tombouctou sur la liste dupatrimoine mondial en péril enraison de la présence de ces isla-mistes armés dans la région. Fon-dée entre le XIe et XIIe siècle pardes tribus touaregs et surnom-mée « la cité des 333 saints »,Tombouctou fait partie du Patri-moine mondial depuis 1988.

    Invoquant la Convention deLa Haye pour la protection desbiens culturels en situation deconflit, la directrice générale del’Unesco répond par un appel lan-cé à toutes les forces militaires en-gagées au Mali : « Je demandeaux forces armées de tout mettreen œuvre pour protéger le patri-moine culturel du pays, déjà gra-vement endommagé. » Irina Bo-kova a fourni aux états-majorsles éléments topographiques rela-

    tifs à la localisation des sites. Sesefforts appuient la mise en œu-vre des résolutions adoptées parle Conseil de sécurité sur la situa-tion au Mali en 2012. Toutes ontcondamné la destruction du pa-trimoine culturel en appelant àsa protection. Effet pervers, celalui accorde une place centrale…

    Ces édifices de terre et de sablene sont pas seulement des mer-veilles du patrimoine de l’huma-nité dont il faut défendre la pé-rennité. En les ciblant, les extré-mistes portent un acte de des-truction qui va bien plus loin quele patrimoine matériel. Ces édifi-ces sont le symbole d’un islamd’ouverture et de tolérance queles combattants du groupe arméislamiste d’Ansar Dine enten-dent éradiquer.

    Il est ici question de purifica-tion culturelle. Comment quali-fier autrement les destructionsdélibérées des mosquées de Tom-bouctou ? Pourquoi s’en prendreau patrimoine musulman de la« perle du désert » ? Deux fac-teurs entrent en jeu : l’inscrip-tion au Patrimoine mondial enpéril de l’Unesco et l’aversion desintégristes pour l’idolâtrie.

    Eric Huysecom, directeur dulaboratoire Archéologie et Peu-plement de l’Afrique à l’Universi-té de Genève, est également pro-fesseur à l’Université de Bama-ko. Sur le terrain, il dirige une im-portante mission archéologique.L’anthropologue suisse fait lepoint sur la double dimensionsymbolique des mausolées deTombouctou : « Les habitantsfont souvent appel aux saints in-humés dans ces mausolées pour

    obtenir des bénédictions pour laréussite de récoltes ou des expédi-tions caravanières, du bonheurdurant le mariage, etc. Ces monu-ments sont le témoignage d’un is-lam d’ouverture tant dans le do-maine des arts, de la littératureque des sciences ou de la médeci-ne, mais aussi d’un islam de tolé-rance. Cette image est contraire àcelle que prônent les mouve-ments intégristes et radicaux :les cultes personnalisés dessaints inhumés dans ces mauso-lées sont incompatibles avec unislam où seul le Prophète peutêtre invoqué. »

    Experte de la culture dogon,commissaire d’exposition au Mu-sée du Quai Branly, Hélène Le-loup rappelle : « Les plus gran-

    des destructions ont eu lieu il y a80 ans, pas seulement au Malimais au Nigeria et d’autres paysd’Afrique. Après la Seconde Guer-re mondiale, les objets rituels, lastatuaire, les masques devaientêtre rassemblés pour partir enune belle flambée, une manièred’éradiquer les croyances ances-trales au profit de religions chré-tiennes ou islamistes modérées.En fait, ces objets ont été récupé-rés pour nourrir les musées et lemarché de l’art. Chaque pays aconnu ce problème. » C’est aunord du Mali que se concentre lamajorité des sites de l’Unesco, oùl’islam et les mythes anciens etcosmogonie des animistes coha-bitent sans heurts dans des villescomme Djenné, une des cités lesplus anciennes d’Afrique subsa-harienne, ou encore le site natu-rel de la falaise de Bandiagara,creuset de la statuaire dogon. ■ DOMINIQUE LEGRAND

    ! P.11 LA SITUATION! P.17 LES CRAINTES DE MSF

    « Effacer les signes de “l’ennemi” est courant, comme on chan-ge les noms de rues ou la topographie d’une ville » ANNE MORELLI

    « Je demande aux forcesarmées de tout mettreen œuvre pour protégerle patrimoine culturel »

    Anne Morelli : « Une guerre psychologique »

    E poustouflant ! Hilarant !Féroce ! Trois des qualifica-tifs qui revenaient sur bien deslèvres à l’issue de Discours à lanation en ouverture du Festivalde Liège.

    « Epoustouflant » pour la per-formance de David Murgia quiporte avec une aisance incroya-ble les textes de son comparseAscanio Celestini. Campantune succession de personnagesavec un aplomb extraordinaire,il donne constamment l’impres-sion de parler comme il respire,créant diverses personnalités àpartir d’infimes détails.

    « Hilarant » pour cette suc-cession de discours où le comé-dien, retrouvant le débit ultra-rapide de son auteur et metteuren scène, fait vivre des personna-ges d’un cynisme achevé.

    « Féroce » pour la manièredont Celestini donne pour lapremière fois la parole aux puis-sants de ce monde pour mieuxmontrer à quel point nousavons toutes les raisons de lesfaire tomber de leur piédestal.

    Chemise bariolée, pantalonmoulant et santiags aux pieds,David Murgia entre en scèneavec un petit côté macho décon-tracté. Ses premiers mots debienvenue semblent improvisésmais on comprend vite qu’ilsfont partie de la succession detextes concoctée par Celestini.

    Pas une once de douteTous sont des discours ou des

    adresses directes au public. De-vant un tas de caissettes en boiset une mappemonde illuminée,le jeune comédien entreprendde nous livrer un petit cours degéopolitique et d’économie. Etc’est aussi percutant que déca-pant. Le marché globalisé, les ré-voltes étouffées, la loi de la sélec-tion naturelle, la démission dessyndicats, la toute-puissance del’économie… tout y passe avecune férocité d’autant plus gran-de que les différents personna-ges campés par David Murgian’affichent pas une once de dou-te ou de remords. Tous sontsûrs d’eux, hilares devant notresoumission. « Camarades ! »,lance ce grand patron s’adres-sant aux ouvriers en se marrantcomme une baleine.

    Avec trois fois rien, l’acteur seconstruit un podium, une ta-ble… A ses côtés, le guitaristeCarmelo Prestigiacomo créedes ambiances discrètes et sertde partenaire muet.

    Un véritable régal où, à tra-vers le rire, les métaphores etles petites fables, on met en lu-mière les aberrations les pluscriantes de nos sociétés moder-nes. A voir sans hésitation. ■ JEAN-MARIE WYNANTS

    Ces 23 et 24 janvier à l’Ancre à Charle-roi (www.ancre.be) et du 23 avrilau 4 mai au Théâtre National(www.theatrenational.be).

    ALGÉRIE

    AZAWADMAURITANIE

    MALI

    GUINÉE

    Niger

    Bamako

    KonnaMopti

    NIGER

    LE SOIR - 23.01.13

    300 km

    BURKINA FASO

    Grandes mosquées deDjingareyber, Sankoréet Sidi YahiaTombouctou

    Tombeau des AskiaGao

    Villes anciennesde DjennéDjenné

    Falaise de BandiagaraPays Dogon

    Biens inscrits sur la liste du Patrimoine mondial de L’Unesco

    La porte sacrée de lamosquée de Sidi Ya-hia : ce dégât collaté-ral vise à la fois un si-te classé et un édificesortant du culte exclu-sif de Mahomet. © D.R.

    PATRIMOINE L’Unesco voit là une « négation d’un islam de tolérance »

    Au Mali, les sites de l’Unescodeviennent une cible symbolique

    FESTIVAL DE LIÈGE

    LACULTURE

    « Discoursà la nation » :hilarantet salutaire

    David Murgia passe d’un discours àl’autre avec un naturel irrésistible.© ANTONIO GOMEZ GARCIA

    Le Soir Mercredi 23 janvier 2013

    34

    1NL www.lesoir.be

    22/01/13 20:30 - LE_SOIR du 23/01/13 - p. 34

    ! Effet pervers : en inscrivant Tombouctou sur la lis-te du patrimoine en péril, l’Unesco en fait une cible.! Derrière les destructions, c’est l’islam de la tolé-rance qui est en ligne de mire.! Anne Morelli parle de guerre psychologique.

    ENTRETIEN

    H istorienne, Anne Morelli est directri-ce adjointe du Centre interdisciplinai-re d’étude des religions et de la laïcité del’Université libre de Bruxelles. Elle ensei-gne également la critique historique, lescontacts de culture, l’histoire des religionset la didactique de l’histoire. Elle élargit laréflexion, du Mali à la Yougoslavie, de l’Af-ghanistan aux républiques protestantes ennos pays.

    Les destructions de biens culturels visantà l’anéantissement d’une identité, d’unereligion, d’un peuple ont cours depuis lanuit des temps. C’est une stratégie effica-ce de la part de l’agresseur ?Le vainqueur est toujours le vaincu. Il es-saie d’effacer les traces du vaincu, que cesoit en politique, culture ou religion.Quand le christianisme a gagné sur le pa-ganisme, les temples romains ont été dé-truits ou transformés en lieux de cultes duvainqueur. Très avisé, l’officier romain Po-lyeucte s’est distingué au IIIe siècle en abat-

    tant toutes les idoles romaines en Arménie.Il est devenu à la fois un martyr et un hé-ros !Les exemples sont légion. Bouddhas deBamyian, annihilation du patrimoine armé-nien de Turquie et d’Azerbaïdjan.En 1999, les Albanais ont profané ou dé-truit 150 monastères serbes, des merveillesdu Moyen Age, sur un territoire devenu à

    majorité musulmane aujourd’hui. En Af-ghanistan, les bouddhas de Bamyian ontété dynamités en 2001 par les talibans par-ce qu’ils étaient les symboles d’une religionprécédente. Qu’ont fait les Américains enIrak ? C’est un exemple politique : ils ontfait sauter la statue de Saddam Hussein, lesymbole du pouvoir à abattre. Même choselors de la chute du Mur où les statues de Sta-line ont été renversées.Les lieux de culte demeurent les principa-

    les cibles ?Effacer les signes de l’« ennemi » est cou-rant, comme on change les noms de rues oula topographie d’une ville. Les événementsdu Mali s’inscrivent dans cette ligne. Pen-dant la guerre de Yougoslavie, les lieux deculte ont été particulièrement visés car ils’agit aussi d’une guerre psychologique.Et dans nos régions ?

    Nous l’avons vécu au XVIe siècle quandune grande partie de nos régions était pro-testante, à Tournai, Anvers, Bruxelles, Bru-ges, Gand, etc. Lors de la reconquête catholi-que – comme à Cordoue et Tolède lors de la« reconquista » contre les Arabes –, on a re-converti les lieux de culte protestant en cul-tes chrétiens. C’est une tactique de déstabili-sation psychologique très fréquente tout aulong de l’histoire. ■ Propos recueillis par

    DOMINIQUE LEGRAND

    A Gao, la population a déci-dé de surveiller elle-mê-me le tombeau des Askiaconstruit au XVe siècle, au tempsde l’empire songhaï. Un remparthumain ! A Tombouctou, les des-tructions de mausolées et de mos-quées se sont multipliées depuisl’occupation du nord du Mali parles islamistes radicaux. La portesacrée de la mosquée Sidi Yahia,une des trois principales de la vil-le, a été détruite.

    Les islamistes du groupe arméd’Ansar Dine entendent réduireà néant les seize mausolées de laville. Ils protestent ainsi « aunom de Dieu » contre la décisionprise par l’Unesco de placer la vil-le de Tombouctou sur la liste dupatrimoine mondial en péril enraison de la présence de ces isla-mistes armés dans la région. Fon-dée entre le XIe et XIIe siècle pardes tribus touaregs et surnom-mée « la cité des 333 saints »,Tombouctou fait partie du Patri-moine mondial depuis 1988.

    Invoquant la Convention deLa Haye pour la protection desbiens culturels en situation deconflit, la directrice générale del’Unesco répond par un appel lan-cé à toutes les forces militaires en-gagées au Mali : « Je demandeaux forces armées de tout mettreen œuvre pour protéger le patri-moine culturel du pays, déjà gra-vement endommagé. » Irina Bo-kova a fourni aux états-majorsles éléments topographiques rela-

    tifs à la localisation des sites. Sesefforts appuient la mise en œu-vre des résolutions adoptées parle Conseil de sécurité sur la situa-tion au Mali en 2012. Toutes ontcondamné la destruction du pa-trimoine culturel en appelant àsa protection. Effet pervers, celalui accorde une place centrale…

    Ces édifices de terre et de sablene sont pas seulement des mer-veilles du patrimoine de l’huma-nité dont il faut défendre la pé-rennité. En les ciblant, les extré-mistes portent un acte de des-truction qui va bien plus loin quele patrimoine matériel. Ces édifi-ces sont le symbole d’un islamd’ouverture et de tolérance queles combattants du groupe arméislamiste d’Ansar Dine enten-dent éradiquer.

    Il est ici question de purifica-tion culturelle. Comment quali-fier autrement les destructionsdélibérées des mosquées de Tom-bouctou ? Pourquoi s’en prendreau patrimoine musulman de la« perle du désert » ? Deux fac-teurs entrent en jeu : l’inscrip-tion au Patrimoine mondial enpéril de l’Unesco et l’aversion desintégristes pour l’idolâtrie.

    Eric Huysecom, directeur dulaboratoire Archéologie et Peu-plement de l’Afrique à l’Universi-té de Genève, est également pro-fesseur à l’Université de Bama-ko. Sur le terrain, il dirige une im-portante mission archéologique.L’anthropologue suisse fait lepoint sur la double dimensionsymbolique des mausolées deTombouctou : « Les habitantsfont souvent appel aux saints in-humés dans ces mausolées pour

    obtenir des bénédictions pour laréussite de récoltes ou des expédi-tions caravanières, du bonheurdurant le mariage, etc. Ces monu-ments sont le témoignage d’un is-lam d’ouverture tant dans le do-maine des arts, de la littératureque des sciences ou de la médeci-ne, mais aussi d’un islam de tolé-rance. Cette image est contraire àcelle que prônent les mouve-ments intégristes et radicaux :les cultes personnalisés dessaints inhumés dans ces mauso-lées sont incompatibles avec unislam où seul le Prophète peutêtre invoqué. »

    Experte de la culture dogon,commissaire d’exposition au Mu-sée du Quai Branly, Hélène Le-loup rappelle : « Les plus gran-

    des destructions ont eu lieu il y a80 ans, pas seulement au Malimais au Nigeria et d’autres paysd’Afrique. Après la Seconde Guer-re mondiale, les objets rituels, lastatuaire, les masques devaientêtre rassemblés pour partir enune belle flambée, une manièred’éradiquer les croyances ances-trales au profit de religions chré-tiennes ou islamistes modérées.En fait, ces objets ont été récupé-rés pour nourrir les musées et lemarché de l’art. Chaque pays aconnu ce problème. » C’est aunord du Mali que se concentre lamajorité des sites de l’Unesco, oùl’islam et les mythes anciens etcosmogonie des animistes coha-bitent sans heurts dans des villescomme Djenné, une des cités lesplus anciennes d’Afrique subsa-harienne, ou encore le site natu-rel de la falaise de Bandiagara,creuset de la statuaire dogon. ■ DOMINIQUE LEGRAND

    ! P.11 LA SITUATION! P.17 LES CRAINTES DE MSF

    « Effacer les signes de “l’ennemi” est courant, comme on chan-ge les noms de rues ou la topographie d’une ville » ANNE MORELLI

    « Je demande aux forcesarmées de tout mettreen œuvre pour protégerle patrimoine culturel »

    Anne Morelli : « Une guerre psychologique »

    E poustouflant ! Hilarant !Féroce ! Trois des qualifica-tifs qui revenaient sur bien deslèvres à l’issue de Discours à lanation en ouverture du Festivalde Liège.

    « Epoustouflant » pour la per-formance de David Murgia quiporte avec une aisance incroya-ble les textes de son comparseAscanio Celestini. Campantune succession de personnagesavec un aplomb extraordinaire,il donne constamment l’impres-sion de parler comme il respire,créant diverses personnalités àpartir d’infimes détails.

    « Hilarant » pour cette suc-cession de discours où le comé-dien, retrouvant le débit ultra-rapide de son auteur et metteuren scène, fait vivre des personna-ges d’un cynisme achevé.

    « Féroce » pour la manièredont Celestini donne pour lapremière fois la parole aux puis-sants de ce monde pour mieuxmontrer à quel point nousavons toutes les raisons de lesfaire tomber de leur piédestal.

    Chemise bariolée, pantalonmoulant et santiags aux pieds,David Murgia entre en scèneavec un petit côté macho décon-tracté. Ses premiers mots debienvenue semblent improvisésmais on comprend vite qu’ilsfont partie de la succession detextes concoctée par Celestini.

    Pas une once de douteTous sont des discours ou des

    adresses directes au public. De-vant un tas de caissettes en boiset une mappemonde illuminée,le jeune comédien entreprendde nous livrer un petit cours degéopolitique et d’économie. Etc’est aussi percutant que déca-pant. Le marché globalisé, les ré-voltes étouffées, la loi de la sélec-tion naturelle, la démission dessyndicats, la toute-puissance del’économie… tout y passe avecune férocité d’autant plus gran-de que les différents personna-ges campés par David Murgian’affichent pas une once de dou-te ou de remords. Tous sontsûrs d’eux, hilares devant notresoumission. « Camarades ! »,lance ce grand patron s’adres-sant aux ouvriers en se marrantcomme une baleine.

    Avec trois fois rien, l’acteur seconstruit un podium, une ta-ble… A ses côtés, le guitaristeCarmelo Prestigiacomo créedes ambiances discrètes et sertde partenaire muet.

    Un véritable régal où, à tra-vers le rire, les métaphores etles petites fables, on met en lu-mière les aberrations les pluscriantes de nos sociétés moder-nes. A voir sans hésitation. ■ JEAN-MARIE WYNANTS

    Ces 23 et 24 janvier à l’Ancre à Charle-roi (www.ancre.be) et du 23 avrilau 4 mai au Théâtre National(www.theatrenational.be).

    ALGÉRIE

    AZAWADMAURITANIE

    MALI

    GUINÉE

    Niger

    Bamako

    KonnaMopti

    NIGER

    LE SOIR - 23.01.13

    300 km

    BURKINA FASO

    Grandes mosquées deDjingareyber, Sankoréet Sidi YahiaTombouctou

    Tombeau des AskiaGao

    Villes anciennesde DjennéDjenné

    Falaise de BandiagaraPays Dogon

    Biens inscrits sur la liste du Patrimoine mondial de L’Unesco

    La porte sacrée de lamosquée de Sidi Ya-hia : ce dégât collaté-ral vise à la fois un si-te classé et un édificesortant du culte exclu-sif de Mahomet. © D.R.

    PATRIMOINE L’Unesco voit là une « négation d’un islam de tolérance »

    Au Mali, les sites de l’Unescodeviennent une cible symbolique

    FESTIVAL DE LIÈGE

    LACULTURE

    « Discoursà la nation » :hilarantet salutaire

    David Murgia passe d’un discours àl’autre avec un naturel irrésistible.© ANTONIO GOMEZ GARCIA

    Le Soir Mercredi 23 janvier 2013

    34

    1NL www.lesoir.be

    22/01/13 20:30 - LE_SOIR du 23/01/13 - p. 34

    ! Effet pervers : en inscrivant Tombouctou sur la lis-te du patrimoine en péril, l’Unesco en fait une cible.! Derrière les destructions, c’est l’islam de la tolé-rance qui est en ligne de mire.! Anne Morelli parle de guerre psychologique.

    ENTRETIEN

    H istorienne, Anne Morelli est directri-ce adjointe du Centre interdisciplinai-re d’étude des religions et de la laïcité del’Université libre de Bruxelles. Elle ensei-gne également la critique historique, lescontacts de culture, l’histoire des religionset la didactique de l’histoire. Elle élargit laréflexion, du Mali à la Yougoslavie, de l’Af-ghanistan aux républiques protestantes ennos pays.

    Les destructions de biens culturels visantà l’anéantissement d’une identité, d’unereligion, d’un peuple ont cours depuis lanuit des temps. C’est une stratégie effica-ce de la part de l’agresseur ?Le vainqueur est toujours le vaincu. Il es-saie d’effacer les traces du vaincu, que cesoit en politique, culture ou religion.Quand le christianisme a gagné sur le pa-ganisme, les temples romains ont été dé-truits ou transformés en lieux de cultes duvainqueur. Très avisé, l’officier romain Po-lyeucte s’est distingué au IIIe siècle en abat-

    tant toutes les idoles romaines en Arménie.Il est devenu à la fois un martyr et un hé-ros !Les exemples sont légion. Bouddhas deBamyian, annihilation du patrimoine armé-nien de Turquie et d’Azerbaïdjan.En 1999, les Albanais ont profané ou dé-truit 150 monastères serbes, des merveillesdu Moyen Age, sur un territoire devenu à

    majorité musulmane aujourd’hui. En Af-ghanistan, les bouddhas de Bamyian ontété dynamités en 2001 par les talibans par-ce qu’ils étaient les symboles d’une religionprécédente. Qu’ont fait les Américains enIrak ? C’est un exemple politique : ils ontfait sauter la statue de Saddam Hussein, lesymbole du pouvoir à abattre. Même choselors de la chute du Mur où les statues de Sta-line ont été renversées.Les lieux de culte demeurent les principa-

    les cibles ?Effacer les signes de l’« ennemi » est cou-rant, comme on change les noms de rues oula topographie d’une ville. Les événementsdu Mali s’inscrivent dans cette ligne. Pen-dant la guerre de Yougoslavie, les lieux deculte ont été particulièrement visés car ils’agit aussi d’une guerre psychologique.Et dans nos régions ?

    Nous l’avons vécu au XVIe siècle quandune grande partie de nos régions était pro-testante, à Tournai, Anvers, Bruxelles, Bru-ges, Gand, etc. Lors de la reconquête catholi-que – comme à Cordoue et Tolède lors de la« reconquista » contre les Arabes –, on a re-converti les lieux de culte protestant en cul-tes chrétiens. C’est une tactique de déstabili-sation psychologique très fréquente tout aulong de l’histoire. ■ Propos recueillis par

    DOMINIQUE LEGRAND

    A Gao, la population a déci-dé de surveiller elle-mê-me le tombeau des Askiaconstruit au XVe siècle, au tempsde l’empire songhaï. Un remparthumain ! A Tombouctou, les des-tructions de mausolées et de mos-quées se sont multipliées depuisl’occupation du nord du Mali parles islamistes radicaux. La portesacrée de la mosquée Sidi Yahia,une des trois principales de la vil-le,