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    LA CLASSE MOYENNE, CEST QUI ?Invisibles, discrtes et mconnues

    par Driss Ksikes, Elsa Coslado & Michel Peraldi Plus un sablier quune montgolfire

    Par Michel Peraldi, Driss Ksikes, Ahlame Rahmi et Adil el Mezouaghi

    Linversion des mythes Par Michel Praldi & Pierre Vergs

    Classe mondialise et ignorePar Shana Cohen

    Lautre sexePar Fadma At Mous & Ahmed Bendella Limage faonne par la publicit

    par Elsa Colsado

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    ETUDE DE TERRAIN

    onue pour tre la premire dune srie venir sur la classe moyenne, cette tude est ne dune boutade.

    Ctait en mai 20081. Nous tenions une runion prliminaire2 pour rflchir aux recherches mener dans ce sens. Incidemment, une remarque nous a mis sur la voie emprunter : Au Maroc, la classe moyenne ne sauto-dfinit pas. Do la difficult de dterminer a priori qui en fait partie. Une ide a alors jailli : Allons parler ceux qui passent leur temps les dfinir, les reprsenter ou les cibler. Tout le monde a t daccord pour en faire notre point de dpart.

    Le CESEM mne depuis une tude prliminaire (elle fait lobjet du dossier ci-aprs) pour identifier les valeurs de la classe moyenne. Les chercheurs partent de lhypothse suivante : les

    producteurs et leaders dopinion et de tendance sont, du fait de leurs occupations, des dtecteurs de styles de vie et de manires de se comporter propres aux couches moyennes. Le banquier, le restaurateur, le vendeur de voitures, le publicitaire, lditoria-liste, le promoteur immobilier, tous

    objectivent des gots et opinions dont ils sont subjectivement les porteurs ou, du moins, des observa-teurs aguerris.

    A lorigine, une dfinition problmatiqueLe choix de cette approche (mlant le statistique et le non-statistique) trouve sa justification dans la nature mme des couches moyennes, que lon prfre dsigner au pluriel, et que les chercheurs en sciences sociales ont du mal identifier comme un

    groupe homogne, porteur dun projet social, voire dune culture monolithique.

    Il est clair, selon Alain Touraine, quau dbut des annes 90, la socit post-industrielle marque le passage dune socit verticale, dite de classe,

    avec des gens en haut et des gens en bas, une socit horizontale, o limportant est de savoir si on est au centre ou la priphrie3. Outre le fait que la socit marocaine est composite et diffremment stratifie, (on reviendra plus longuement sur la spcificit du cas marocain), le concept mme de centre, o logerait cette fameuse classe moyenne, nest ni stable, ni homogne. Baudelot, Establet et Malemort parlent de masse glatineuse beaucoup plus fluide que les classes sociales situes

    Lance en mai 2008, cette tude qualitative nous a permis dapprhender la problmatique des classes moyennes travers les chiffres et les valeurs. Partant de statistiques officielles ou recoupes et de 325 pages dentretien, les articles contenus dans ce dossier permettent peine de cerner la question pi-neuse de la dfinition : la classe moyenne, cest qui ?

    Invisibles,mconnuesetdiscrtes

    La classe moyenne, cest qui ?

    C

    INTRO

    Il y a eu, sur le sicle industriel au Maroc, formation dune classe moyenne issue de la dgradation (dans le sens purement physique, non moral) des bourgeoisies urbaines

  • 37La revue ECONOMIA n5 / fvrier - mai 2009

    aux extrmes de la socit4. Quant Pierre Bourdieu, il identifie les classes moyennes la partie mouvante des stratifications sociales, la part mobile dune ossature beaucoup plus stable quon ne le pense (globalement, la grande majorit des fils douvriers deviennent des ouvriers, les employs font des employs et les patrons des patrons). Enfin, Alain Rosan-vallon estime trs justement que la socit dite des classes moyennes se caractrise surtout par une formidable rorganisation des modes de diffrenciation. Ceux-ci ne sont plus uniquement collectifs (exprims en termes de revenus, de diplmes, etc.) ; ils deviennent plus individuali-ss. Les statistiques traditionnelles savrent inaptes dcrire ce nouvel univers social, plus atomis et plus individualis, aux contours plus fluctuants et plus instables5.

    Thoriquement, ceci nous conforte dans notre parti pris mthodologique (tude qualitative). En effet, liden-tification de ces catgories sociales ncessite lidentification et lmer-gence de pratiques de diffrenciation, de consommation, et dexpression dopinions, plus que la recherche dun sentiment dappartenance ou un positionnement social fixe dans une hirarchie. Mais entendons-nous bien sur le sens de cette identification. En gros, les sociologues identifient deux processus par lesquels se forment lesdites catgories moyennes : un processus ascendant des couches populaires, empruntant lascenseur social par le biais de lacquisition dun capital scolaire et lautre, moins connu, descendant, par fragmentation et dgradation de certaines fractions bourgeoises ou apparentes.

    La mesure de la ralit marocaineLa justesse de cette approche se vrifie-t-elle laune de la ralit

    marocaine ? La question est dautant plus plausible que le caractre minoritaire de ces couches ontolo-giquement instables, rduit terrible-ment leur visibilit. Sur la thse de la mobilit, ascendante et descendante, il est important de rappeler, en cho Pierre Vermeren, que contrairement la Tunisie, le Maroc na pas tabl historiquement sur lcole pour favoriser une ascension sociale massive. Ceci explique peut-tre la prfrence, dans le contexte maro-

    cain, du terme dlite. Normal, dans la mesure o la formation des lites avant et aprs lindpendance semble tre un processus de reproduction et de rinvention de vieilles lites, plutt quun rel processus de promotion et dmergence. Cest le cas par exemple des bourgeoisies fassies qui nen finissent pas doccuper et de roccuper des positions de puissance, tant dans la fonction publique que dans lconomie, dplaant ainsi et reconvertissant leur capital culturel, social et conomique. Cest vrai dans le sens inverse, galement. Car il y a eu, sur la longue dure du sicle industriel au Maroc, formation dune classe moyenne issue de la dgradation (dans le sens purement physique, non moral) de ces bourgeoi-sies urbaines descendues, dans la fonction publique notamment. Ces catgories issues des anciens mondes capitalistes ne sont pas rduites la pauvret ou la prcarit, elles sont simplement devenues des groupes improductifs dun point de vue industriel et capitaliste.

    Paralllement ces lites urbaines, deux logiques semblent avoir t luvre dans la lente constitution des classes moyennes. Premirement, laccs limit des enfants de corps intermdiaires de la fonction publique (principal vivier de promotion dans les annes 60-80) un systme scolaire litiste, susceptible de les autonomi-ser. Deuximement, leffet paradoxal des alliances matrimoniales. Elles agissent comme un moteur de

    promotion sociale, en cas de mariages dindividus autonomes et intgrs conomiquement (quand deux cadres suprieurs convolent) et comme un ralentisseur de lascenseur social en cas de fratrie largie, de progniture abondante ou dpouse rduite au rle consommateur de femme au foyer. Ces formes de solidarit dues la tribu, au clan ou la famille expliquent lexistence au Maroc - et cest lun des traits de complexit qui le caractrisent sociologiquement - dune quasi-couche moyenne, dont les moyens objectifs ne lui permettent pas de sortir de la prcarit ou dune situation de survie perptuelle, malgr des niveaux de revenus et parfois mme un capital scolaire important.

    Ces quelques lments de dchif-frage, conjugus leffet indirect des transferts des migrs sur la stabili-sation de certaines couches au milieu de la pyramide sociale, ne peuvent dissiper les doutes, incertitudes et approximations qui persistent, quant

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    au volume, la nature et au statut des classes moyennes au Maroc. Le rapport du Cinquantenaire, produit en janvier 2006, voque une srie de couches et de strates mal identifies (qui) nont pas donn au pays une vritable classe au sens de strate homogne, avec une conscience dappartenance commune qui aurait pu jouer un rle moteur dans la dynamique sociale.

    De la difficult de quantifier une population mobile et invisiblePour y voir plus clair, nous avons donc procd une tude qualitative en deux temps. Dans la premire phase, nous avons men des entretiens individuels, auprs de porteurs dopinion (directeurs de journaux, publicitaires, acteurs politiques et de la socit civile), producteurs de messages destination de ces clas-ses, auprs dacteurs conomiques (banquiers, promoteurs, amnageurs, etc.), porteurs de projets qui les ciblent spcifiquement. A partir des diffrents modes de vie objectivs par les interviews, nous avons dtermin les habitus des classes moyennes, en termes de dpenses et de modes de consommation. A partir de l, nous avons men une tude statistique, croisant plusieurs donnes officielles, afin de simuler des scnarios plausibles. Combien sont-ils ? Combien dpensent-ils ? Ces questions rcurrentes, aucune tude, pour le moment, ny a apport de rponses prcises, exhaustives et tayes. Faute de baromtre fiable, nous avons procd notre niveau une estimation, cohrente avec les modes de comportement objectivs par notre tude sur les valeurs. Cela permet, moyennant quelques croisements de donnes nationales6, de quantifier la population ayant accs

    aux voyages, lachat dune voiture, la proprit immobilire Ces indicateurs chiffrs, qui demeurent encore tayer et affiner (en fonction de donnes officieuses, informelles, introuvables dans les catgories statistiques disponibles), ne consti-tuent quun premier pan de ltude.

    Des 325 pages dentretien issues de ce travail, nous allons tenter, par un travail sur le lexique, de dterminer les contours de ces couches moyen-nes en termes de valeurs, dethos et de mode de comportement (lirep 46-52), tout comme leur positionne-ment dans lespace public (lirep 53-59) et la place de la femme au sein de ce spectre, encore mystrieux (lire p 60-64). Nous explorerons aussi cette pineuse hypothse : les modes de vie et les aspirations de cette catgorie sociale sont en partie fabriqus par les porteurs de tendance, par le biais de la publicit.

    Remarques prliminairesPartant de la question ponyme de ltude (La classe moyenne, cestqui ?), ce travail prliminaire vous dira partiellement quelles profes-sions ils et elles exercent, mais nira pas jusqu valuer la part dinformel dans les revenus et la part dirrationnel dans les dpenses. Il ne vous apprendra pas non plus o

    ils rsident, au quartier prs. Cette cartographie, prcise et prcieuse, pourrait tre laboutissement du pro-jet de recherche que nous comptons taler sur trois ans. En revanche, les pages ci-aprs vous renseigneront sur leurs modes de vie, leurs habitus, partiellement sur les types de position quelles adoptent par rapport la chose publique, et accessoirement sur leur nombre prsum.

    Incit, la suite du discours royal du 20 aot 2008, tenir compte srieuse-ment de ces classes moyennes long-temps dlaisses, le gouvernement est lafft dinformations et dtudes prcises pour ne pas se tromper de cible. Depuis quelques semaines, chaque ministre y va de son brains-torming pour apporter des lments de rponse une politique voulue den haut. Dans la socit civile, le sujet redevient dactualit, vu le besoin de redynamiser la citoyennet en berne. Et dans les partis politiques, contexte pr-lectoral oblige, le besoin de cerner au mieux cette prcieuse et diffuse classe moyenne, cliente idale des mcanismes de reprsentation, cre une demande dinformation accrue. Ce dossier, fruit dune tude de six mois, loin de prtendre contenter des attentes diverses et non harmonises, est un premier acte qui en appelle dautres.

    Ce dossier, fruit dune tude de six mois, loin de prtendre contenter des atten-tes diverses et non harmonises, est un premier acte qui en appelle dautres.

    La classe moyenne, cest qui ?

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    ETUDE DE TERRAIN

    lus un sablier quune mon-tgolfire ! Ce titre un peu nigmatique voque en fait deux manires contrastes de reprsenter, dans

    une vision sociodmographique, ce fameux milieu que composeraient dans le paysage social, les couches moyennes. Une socit peut tre dite en montgolfire, lorsque la pyramide combinant les chelles de revenus, niveau des diplmes et professions est presque plate en son sommet, largement vase au centre et en cube vers le bas. Cest la forme gnrale que prennent aujourdhui la plupart des socits dites avances, o les carts se sont radicalement rduits ces dernires annes entre, disons le monde stable des classes

    ouvrires, devenu dailleurs de plus en plus celui des employs, et celui des cadres, avec, au sommet, une minorit de riches, et dans le bas un volant de pauvret rduit, mme sil est plus important et consistant que le monde des riches. En revanche, la figure du sablier voque une socit dont le centre est en quelque sorte trangl, goulot troit darticulation entre un bas, monde de pauvret et de prcarit, largement vas, et un col troit, celui des riches et des nantis, qui forme la partie haute. Entre, les deux, un troit goulot, celui de ces couches moyennes, dotes de revenus rguliers sans tre riches,

    labri de la prcarit sans pour autant possder.

    Catgories dmogra-phiques et incertitudes statistiquesNul doute aujourdhui que, au regard des quelques donnes que lon peut rassembler sur les niveaux de revenus et de diplmes, le Maroc est bien une socit en sablier. Du moins, bien sr, si lon se contente, et comment faire autrement, de ce qui est mesurable en la matire Car il y a deux inconnues de taille qui donnent la socit marocaine des contours trs flous : la question des conomies et revenus informels dune part, dont on pressent limportance sans en mesurer ne serait-ce que les contours, et la migration de lautre, vaste continent inconnu o 3 292 599 personnes difficilement identifiables socialement, (source, chiffres consulaires marocains 2008), continuent pourtant participer, leur manire, la richesse gnrale du pays.

    Sur la seule base des catgorisations

    Le fait dtablir et de tenir le budget des mnages nest pas dans les murs, mais ces simulations permettent plus ou moins dobjectiver des modes rels de consommation

    Peut-on faire parler les chiffres pour identifier qui appartient la classe moyen-ne et qui ny appartient pas ? Lapproche a en elle-mme ses limites mais, en partant dindicateurs de comportement, de revenus et de consommation, il est possible (moyennant quelques nuances) de cerner statistiquement les contours exigus de cette catgorie sociale.

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    La classe moyenne, cest qui ?

    CHIFFRES

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    socioprofessionnelles, on peut rpartir la socit maro-caine en quatre grandes fractions de taille et de dmo-graphie videmment ingales. La pauvret bien sr, la grande pauvret mme1, celle qui domine le monde rural

    montagneux, caractrise par le sous-dveloppement, lanalphabtisme et des conditions de vie qui condamnent ceux qui les vivent des comportements de survie. Selon les chiffres, controverss du HCP, cette situation concerne

    Mthodologie des simulations chiffres

    Afin de permettre aux lecteurs de La Revue Economia de mettre des chiffres sur les mots, et de pouvoir se situer dans lchelle variable des classes moyennes, nous avons procd des simulations de segments de dpenses. Partant du principe conomique que la classe moyenne doit se suffire elle-mme pour vivre (et non survivre) et de la dfinition sociologique qui veut que la classe moyenne soit en mesure deffectuer une mobilit sociale, nous avons retenu sept postes de dpense : logement, transport, ali-mentation, consommation non alimentaire (habille-ment, eau, lectricit, tlphone), sant & ducation, loisirs et pargne. (en sus de la capitalisation du bien immobilier acquis par crdit bancaire)

    Nous avons alors cherch un talon pour dterminer le seuil de dpense en fonction de revenus objectifs. Le point de dpart sur lequel repose notre calcul a donc t une circulaire du ministre de lHabitat et de lAmnagement du territoire qui fixe, pour les loge-ments destins la classe moyenne, une fourchette de prix allant de 500 000 700 000 DH, avec un taux de crdit maximal quivalent 45% du salaire et des mensualits qui varient entre 4000 et 6000 DH. Cela vous donne tout de suite une ide du plancher classe moyenne, tel que fix par le gouvernement. Il se situe, par mnage, au pire 8880 DH (quand le couple dbiteur paie 4000 DH par mois) et au mieux 11110 DH (quand la mensualit atteint 6000 DH). Or, une fois confront aux dpenses basiques -pour une vie digne et autonome - le minimum ne rsiste pas la loi du rel (il ne permet mme pas de couvrir convenable-ment les frais de consommation et dducation). Nous avons donc pris le maximum gouvernemental (11 110 DH) comme point de repre.

    Sur quelle base avons-nous fix le seuil de dpenses par rubrique ? Nous nous sommes rfrs pour

    chaque poste des statistiques rcentes et officielles (voir tableau).

    Vu que les classes moyennes ne peuvent tre rduites une mdiane mathmatique (il y a une grande dif-frence entre la moyenne des dpenses nationales : 3550 dh et les dpenses supposes ou relles des classes moyennes voir tableau 2), car multiples (plus ou moins laise conomiquement, grant des familles plus ou moins nombreuses ), nous avons choisi dapprhender leurs dpenses en fonction de revenus segments en quatre catgories (lventail varie entre 11 110 et 25 000 DH par mnage). Nous avons ventil les dpenses en fonction de scnarios dmographiques et socitaux assez reprsentatifs. Certes, le fait dtablir et de tenir le budget des mnages nest pas dans les murs, mais ces simulations permettent plus ou moins dobjectiver des modes rels de consomma-tion. Certes, les carts proposs pourraient paratre arbitraires mais ils couvrent, des degrs variables, les diffrents postes de dpense refltant les modes de comportement typiques de la classe moyenne.

    Jusque-l, lexercice est classique. Mais pour rap-procher ces segments de dpenses des revenus rels et les rapprocher de profils sociaux, nous nous sommes adosss aux chiffres officiels disponibles en la matire (les salaires des fonctionnaires et cadres). Nous sommes conscients de la part dinconnu non reflte par ces chiffres, qui dcoule des revenus patrimoniaux, des doubles emplois informels, des solidarits familiales, et autres sources non thiques, diffuses mais non quantifiables. Pour affiner encore plus le calcul, il faudra attendre ltude du Haut Com-missariat au Plan (en cours de finalisation) sur les catgories sociales. Peut-tre alors pourrons-nous transformer nos simulations scnarises en reprsen-tations authentifies.

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    9% des Marocains en 2007 2. Cest un problme rural essentiellement mme si, tous les travaux ethnogra-phiques en attestent, il existe bien des pauvrets urbaines, Casablanca

    notamment. Pour lessentiel, ces pau-vrets urbaines sinscrivent cependant dans un second grand groupe social caractris par la prcarit plus que par la pauvret. Ce groupe est form des revenus et des conditions de vie qui, sils sont suffisants pour vivre lgrement au-dessus de la misre, sont cependant fortement soumis des alas et des fragilits 3. Cest la situation qui caractrise une grande partie des urbains vivants en bidon-ville ou dans dautres formes dhabitat prcaire, comme certains quartiers populaires des grandes villes. Ces deux univers, constitus en gros de 30 % de la population marocaine totale, peuplent le fond du sablier.

    Profession, diplme et salaire Au-dessus, on peut donc regrouper des mondes socioprofessionnels dont les revenus sont grosso modo assez stables, qui vont des catgories demploys et douvriers des grandes entreprises au monde de la

    petite fonction publique, englobant certaines catgories de petits cadres. Ces catgories, selon les chiffres du recensement publis par le Haut Commissariat au Plan (HCP), repr-

    sentent par exemple, pour les cadres suprieurs et moyens, les professions librales, les chefs dentreprise et les responsables de la fonction publique, un peu plus de 837 000 personnes, en grande majorit (prs de 85%) installes dans les villes. Mme chose pour les employs, les intermdiaires financiers et commerciaux et les commerants qui taient 1,7 million selon les mmes sources en 2004 avec, l encore, un taux trs fort durbains (70%). Les deux catgories confondues constituent un peu plus de 20 % de la population active marocaine.

    On peut aborder ces donnes par un autre critre, peut-tre plus expressif que la profession, le niveau de diplme. En 2004, ils taient 670 000 avoir un niveau suprieur ou gal au bac. Il est dailleurs intressant de signaler que, chez les cadres moyens par exemple, ils sont 187 sur les 478 000 avoir un niveau dtudes suprieur au bac, soit un

    peu plus de 39 % de la catgorie On est loin cependant davoir dessin l des contours trs prcis aux univers sociaux que nous cherchons iden-tifier. Car, mme si ces mondes sont minoritaires, il y a, lintrieur de ce petit centre, de grandes disparits On peut le voir par des donnes sur les salaires et les niveaux de revenu.

    Dans la fonction publique marocaine par exemple, les salaires mensuels, hors primes et gratifications exceptionnelles, sont trs variables selon les statuts et les ministres employeurs. Les conditions de vie varient videmment selon que lon est clibataire ou mari, avec ou sans enfants, rural, urbain ou mtropoli-tain. Allons dans la description fine: un membre des forces auxiliaires (mokhazni) mari, pre de 2 enfants, peroit un salaire mensuel net de 2475,73DH, une (ou un) secrtaire dadministration publique mari(e), mre/pre de 2 enfants gagne2312,61 DH. Un professeur univer-sitaire, mari et pre de 2 enfants,

    Ils sont 1,7 million demploys, dinter- mdiaires financiers et commerciaux, et de commerants, dominante urbaine (70%)

    Tableau 1 :Diffrence entre la moyenne des dpenses nationales et les dpenses minimales des classes moyennes

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    peut percevoir un salaire mensuel net variant, selon le grade, de 12 388,71 DH 24 437,83 DH. Un inspecteur des finances, membre du corps de lInspection gnrale des finances, mari et pre de 2 enfants, peut percevoir un salaire mensuel net, variant selon le grade, de 3 727,35 DH 21 617,65DH4.

    Laccs une cole haut de gamme, un facteur discriminantPardon pour cet inventaire un peu fastidieux. Il permet de comprendre que, lorsque le cot annuel dune scolarit dans une cole prive marocaine prise varie entre 15 000 et 20 000 DH (estimation sommaire base dun sondage restreint), et quelle slve dans la mission

    franaise pour les lves marocains 25 272 DH (en maternelle) et 30 456 DH (au lyce)5, le nombre des fonctionnaires potentiellement capables doffrir cette scolarit haut de gamme leurs enfants se compte en quelques milliers peine. Et il ne suffit donc pas dtre membre de la fonction publique pour appartenir aux classes moyennes, surtout si lon tient compte de la dfinition que nous en donnons dans ce dossier : tre en capacit de faire, pour soi ou par ses enfants, un mouvement de promotion sociale.

    Lincertitude et le flou de cette catgorie tient donc justement aux tensions que peuvent gnrer des conditions de vie trs contrastes. Pour terminer la description som-

    maire de ce paysage social marocain, signalons quau-dessus de ces couches moyennes, rsident ceux que lon peut dsigner comme nantis, la fois parce quils ont des conditions de vie confortables, mais surtout parce quils peuvent envisager de matriser relativement le long terme, voire de rendre meilleur leur avenir.Ils peuvent le faire, soit en offrant des tudes longues et diplomantes leurs enfants, soit en acqurant des biens, immobiliers surtout, soit les deux. Laissons pour un autre dossier le sommet trs pointu de cette pyramide, constitu par les quelques grandes familles dindustriels ou daffairistes qui constituent au Maroc lunivers des riches et revenons au dtroit du sablier.

    Tableau 2 : Base des simulations des catgories de classes moyennes au Maroc

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  • 43La revue ECONOMIA n5 / fvrier - mai 2009

    On peut donc affirmer simplement que, sil est un univers socialement flou, qui va des petits fonctionnaires, des employs du secteur priv, jusquaux cadres, publics et privs, formant une classe moyenne, sauve de la prca-rit, il est travers de frontires trs prcises, de barrires leves, entre ceux qui ont des moyens de mobilit sociale et damlioration significative de leurs conditions de vie, et ceux qui ne les ont pas. Selon la situation du conjoint, le nombre denfants charge, le poids des dpendances familiales et le lieu de rsidence, selon enfin la possibilit daccder, outre son salaire, des revenus rentiers

    (primes, bnfices extrieurs), les diffrences ne seront pas simplement daisance mais socialement cruciales car, revenu et statut gal, certains auront des moyens de mobilit sociale, notamment par laccs de leurs enfants la scolarisation dans des tablissements privs, que dautres nauront pas.

    familiales, vous vous autorisez quelques carts, mais trs calculs. En gnral, les mois se suivent et se ressemblent. Le calcul est vite fait. Il ne vous reste plus rien, pour voyager dignement par exemple. Quant pargner pour les tudes de vos enfants lavenir, vous en rvez, mais nen avez tout simplement pas les moyens.

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    A peine dans la classe moyenne

    Un mnage gagne entre 11 100 et 14 450 DH par moisVous tes un couple de mdecins travaillant dans le public ou un commandant de la gendarmerie mari une infirmire, voire un professeur-assistant de luniversit partageant sa vie avec une femme au foyer. Vous payez mensuellement la banque une crance de 4000 DH qui vous donnera, au bout de 15 ans, le droit de jouir librement de votre appartement situ dans un quartier assez priphrique. Un autre crdit bancaire prlve de votre revenu 1000 DH mensuellement et vous autorise rouler dans une Renault Logan ou une Fiat Siena. Vous ne vous autorisez pas plus de deux pleins dessence par mois, juste ce quil faut pour aller au travail et conduire vos deux chrubins lcole. Leur scolarit vous cote 1000 DH par mois, voire le double si vous tes plus regardant sur la qualit de lenseignement, ou si doutez que ce soit la meilleure cole possible pour quils puissent sen sortir dans lavenir. Mis part cela, vous vous en sortez peine : vous tenez bien manger (cest la moindre des choses) et, entre le march et le supermarch, vous ne dboursez pas moins de 4000 DH par mois. Confort minimal oblige, leau et llectricit, votre habillement, la beaut de Madame, les habits des enfants, et cet incontourn-able portable qui vous connecte vos patients (pour le mdecin) ou vos subalternes (pour le commandant), vous cotent de 1000 1500 DH par mois. A la rentre scolaire, en priode de ftes et loccasion de visites

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    En 2008, 9000 lves marocains taient inscrits, toutes classes confondues, dans un des tablissements de lAEFE (Agence de lenseignement franais ltranger), les plus priss et dsirs par les parents marocains6. Cest un chiffre incontestable qui donne bien la mesure de ltroitesse du sablier.

    Mme en largissant le cadre de rfrence et en adoptant une acception lastique des classes moyennes, on se rend compte que le nombre dlves inscrits dans des coles suprieures pouvant les mener au march du travail demeure ridicule. A lentre, 22 4567 dentre eux se retrou-vent dans lenseignement suprieur priv (toutes gammes confondues). Aucune tude objective ne permet dvaluer le nombre de sortants intgrs dans le march du travail. Mais si lon prend le cas dune cole cote sur le march, les dernires statistiques (2008) nous apprennent quune

    promotion de Bac+5 connat une dperdition de 25% et accde au march hauteur de 70% (au bout de 3 mois). Sachant que des diplms aussi demands ne courent pas les rues, trs peu sortent annuellement avec des chances aussi leves de faire fructifier leur formation dans un emploi valorisant. Par ailleurs, le nombre de laurats issus des instituts et coles suprieurs marocaines publiques, censs faire fonctionner lascenseur social, ne dpasse pas 37398 jeunes cadres (ingnieurs, managers, journalistes). Le programme 10 000 ingnieurs tente de pallier ce manque, mais les chemins de traverse quil emprunte

    La classe moyenne, cest qui ?

    Le leurre des chiffres sur la proprit

    Laccs la proprit est un des mythes rcurrents qui semblent dterminer lappartenance la classe moyenne. Ce nest pas si faux que a, mais regarder de prs les statistiques marocaines sur la question, lindice est trompeur. Ainsi, selon les donnes du recen-sement gnral de la population en 2004, les ouvriers et manuvres agricoles et de la pche (y compris ouvriers qualifis) constituent le plus grand contingent de propritaires 28,5%, suivis par la catgorie des artisans et ouvriers qualifis (ouvriers de lagriculture non inclus) qui constitue 20,62% des propritaires. Les cadres suprieurs, professions librales, fonctionnai-res, ainsi que les responsables hirarchiques et les directeurs dentreprises ne constituent que 6,53% de leffectif de propritaires. Ces donnes valent par ce quelles ne rvlent pas : la taille et le standing des proprits. Notez que si la villa isole est en grande majorit occupe par des propritaires (83,4%, de classe vraisemblablement aise), 91,4% des habitants (pauvres ou prcaires) de constructions sommaires ou type bidonville sont propritaires, dans la plupart des cas de constructions spontanes, illgales mais qui sont tout de mme lobjet de transactions immobi-lires. En gros, 70% des Marocains sont propritaires de leur logement et le pourcentage de propritaires

    au sein de chaque groupe professionnel varie entre 50% 92%,. Par exemple, 50% des cadres suprieurs sont propritaires, 67,45% des commerants le sont aussi, 49,5% des chefs dentreprises et responsables de la fonction publique possdent un logement et le pourcentage slve 92,7% pour le cas des exploitants agricoles et pcheurs.

    Un achat majoritairement autofinanc. Le financement du logement par des fonds propres est la forme nettement dominante : elle concerne 81% des logements. Cette tendance concerne lensemble des logements, quel quen soit le type. Cette moyenne oscille entre 73% pour limmeuble et 89% pour la villa. Corrlativement, les autres sources de financement sont nettement en recul. Laide familiale vient au second rang (9% des logements) avec une variation de 3% (pour la villa) jusqu un pic de 15% pour la mai-son marocaine traditionnelle. Le crdit bancaire est la troisime source de financement (5%), totalement absente pour certaines formes dhabitat (cest le cas de la construction sommaire et de lhabitat rural) ou trs marginale comme pour la maison marocaine tradition-nelle (0,2%). Cest limmeuble collectif qui bnficie le plus du crdit (17% des logements). Cet indice est peut tre le plus parlant. Les classes moyennes, gnra-lement tributaires dapports bancaires, demeurent rellement minoritaires.

    Aucune tude objectivene permet dvaluer le nombre

    de sortants intgrs dansle march du travail

  • 45La revue ECONOMIA n5 / fvrier - mai 2009

    (formations ingales entre les universits et les coles) laissent sceptique.

    Le tlphone portable et Internet, des critres de mesure fiables ?Une autre manire, elle aussi statistiquement sommaire et floue, de mettre en vidence ces catgories, passe par la description des comportements, des habitudes de consommation, et des sgrgations quelles gnrent. Certes, par exemple, la possession dun poste tlpho-nique mobile nest plus discriminante (fin septembre 2008, selon les donnes de lANRT, ils sont 22 461 000 abonns au parc mobile). En examinant cependant le type dabonnement, on constate que 96,04% des abonnements sont en prpay, contre 3,96% pour le post-pay. En somme, 2,86% de la population marocaine, peut soffrir le luxe dun abonnement longue dure (de 12 24 mois) pour son tlphone mobile. Cest le type dabonnement qui classe, plus que la possession dun appareil mobile

    Autre exemple, labonnement Internet. Les chiffres des abonns, jusquen 2007, nous renseignaient sur trois indicateurs daisance : la possession dun ordinateur, celle dune ligne de tlphone fixe et un abonnement longue dure. Ils taient 15% de Marocains possder un ordinateur dans leur foyer en 2006, 1,3% la mme date taient abonns Internet, soit 390 000 lignes Certes, en 2008, les chiffres ont explos, avec un parc Internet qui a plus que doubl, atteignant 689 545 lignes.

    Regardons cette bulle de plus prs. Lintroduction des services Internet 3G au Maroc depuis le mois davril 2007 explique cette explosion. Ils sont 200 306 abonns au service dInternet 3G en fin septembre 2008, soit une augmentation de 512,12% en une anne. Or, cest l o le

    Moyennement classe moyenne

    Un mnage gagne entre 14450 et 16650 DH par mois

    Vous tes un couple dagent dautorit (cad) et dinstitutrice, dingnieur dans le priv et de cadre commerciale ou encore de manager dans un call center et professeur de lyce. Vous habitez, soit Fs dans un appartement assez spacieux qui vous cote 4000DH par mois, soit Tanger dans un espace similaire dont la valeur mensuelle slve 6000 DH. Vous avez opt pour une voiture conomique, dont la mensualit au crdit ne dpasse pas les 1000 DH ou avez cd la tentation dune berline qui vous cote 500 DH de plus. Ct consommation dessence, vous tes, soit conome (2 pleins par mois = 600 DH), soit trs mobile. Ct alimentation, vous tes dans la norme et vous vous permettez un rgime assez riche en viande, ce qui fait grimper votre facture mensuelle (tous besoins con-fondus) plus de 4500 DH. Vos quipements mnagers vous cotent assez cher en consommation dlectricit (750DH). Ct tlphone, vous faites partie des 33% dabonns recenss par lANRT qui paient 500 DH par mois. Vous avez deux trois enfants. Vous les avez mis dans une cole prive, assez rpute pour son srieux, et qui vous cote 1000 DH par tte. Vous parvenez peine mettre de ct quelques centaines de dirhams par mois pour ventuellement partir en vacances, et pour les plus prvenants ou calculateurs dentre vous, alterner pargne longue dure et voyage en famille.

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    bt blesse. Ces services peuvent tre sans engagement et sans abonnement, ne ncessitent pas une ligne fixe de tlphone, offrent mme la possibilit de recharger labonnement pour une journe et un montant de 10 DH. Lun des oprateurs offre mme un ordinateur un prix trs modique, en contrepartie dun abonnement 3G. Du coup, labonnement Internet ne peut plus tre pris pour un indicateur fiable de classement social

    La voiture et le crdit la consommationMme chose, plus tonnante peut-tre, pour les

    propritaires de vhicules de tourisme, ils taient 88 020 en 2005 acqurir une voiture neuve et 295 841 acheter une voiture doccasion, sur un parc total de 1 477 330 de voitures la mme anne9. Au Maroc, la voiture, contrai-rement au standard des pays dvelopps, est encore un bien discriminant. Autre indicateur, encore plus net, sur le crdit bancaire : 116 585 particuliers ont obtenu une autorisation de crdit en 200610, ce qui parat tre, dans la reprsentation courante, un critre trs stratgique didentification de comportements classes moyennes. Un bmol, ce nombre modique de bnficiaires de crdits la consommation englobe aussi des demandeurs

    voyage organis. Pour ceux dentre vous qui ont un revenu mensuel plafonn 20 000 DH, sachez que vous faites partie, selon les chiffres de la CNSS, d peine 4% des happy few marocains.

    Rsolument classe moyenne

    Un mnage gagne entre 16 650 et 20 000 DH par moisVotre couple est compos dun professeur universitaire habilit et dune administratrice adjointe. Ou dun pro-fesseur-assistant de mdecine et dune externe nouvel-lement recrute dans son service. Soit vous habitez Mekns et choisissez de rester dans le mme apparte-ment achet il y a quelques annes, et pour lequel vous payez toujours 4000 DH par mois. Cela vous laisse suf-fisamment de marge pour mettre votre unique enfant dans une cole haut de gamme, type mission franaise; soit vous habitez Rabat et, vu loffre de logements en construction, choisissez de faire plafonner votre crdit immobilier au taux de 45% du salaire prvu par les autorits financires, ce qui vous amne payer une mensualit onreuse de 9000 DH. Dans les deux couples, vous avez des charges incom-pressibles (alimentation, consommation non ali-mentaire) qui absorbent entre 6000 et 7000 DH de votre budget. L o vous vous dmarquez les uns des autres, cest sur la part que vous consacrez aux loisirs et/ou lpargne. En optant pour une cole de qualit, vous semblez avoir de la suite dans les ides et payez men-suellement la banque une pargne pour les tudes suprieures de votre fils/fille (entre 500 et 1000 DH) et partez en voyage quand vous pouvez. Vous autres, frus dapparat, vous conomisez entre 25 000 et 35 000 DH par an pour aller bronzer lt en Mditerrane ou en KfkXc1;\(--,'~)'''';?

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    occasionnels (rentre scolaire, fte du mouton ). Or, dans ce cas, laccs au crdit donne parfois peine un semblant dappartenance (aux classes moyennes), parce que les personnes concernes sen sortent par -coups.Notez que dans le secteur du crdit la consommation, comme dans la vente de voitures, un revenu considr comme de classe moyenne dbute 2500 DH par mois, une fois tous les crdits pays. Certaines franges de la classe moyenne constituent, du coup, la catgorie sociale la plus endette auprs des banques et en ce sens, la plus fragile linstabilit des prix la consommation, car tenue rembourser ses dettes.Autre critre trs discriminant, les vacances et plus encore, les voyages ltranger, spcialement en Europe : ils sont 243 672 Marocains en 2005 avoir obtenu des visas

    touristiques pour les pays de la zone Schengen, soit 0,82% de la population marocaine. La mme anne, ils taient un peu moins de 1,9 millions de Marocains tre sortis du territoire marocain, dont un peu moins de 600 000 par avion.

    Au final donc, quel que soit le caractre parfois impres-sionniste des donnes recueillies, elles permettent de mettre en lumire ce que lon a appel ici un effet sablier. Pour autant que lon puisse identifier des comportements de classes moyennes, dans la socit marocaine, ils sont, minoritaires, distinctifs et sgrgatifs, plus que porteurs deffets de masse.

    Au seuil de llite

    Un mnage gagne entre 20 000 et 25 000 DH par moisDans votre couple, le mari est conseiller juridique du gouvernement et lpouse, secrtaire ; ou bien vous tes tous deux professeurs universitaires assistants. Troisime option, lun est architecte et lautre dentiste. Quelle que soit la formule, vous faites partie, informel mis part, de la crme de la classe moyenne. Vous habitez un appartement ou une maison, avez peut-tre deux voitures et suffisamment de marge finan-cire pour mettre vos deux enfants dans des coles renommes. Vous avez la possibilit dpargner jusqu 5000 DH par mois. Les plus cultivs dentre vous en consacrent une certaine somme (indfinie par les statistiques) lart et au divertissement, une sortie restaurant mensuelle, et en laissent de ct pour les vacances, les imprvus et lavenir. Les plus conomes peu-vent accumuler une belle somme pour acqurir dautres biens, foncier ou immobilier (lacquisition de rsidences secondaires dans les nouvelles villes comme Tamesna en attestent). Et les plus entrepre-nants songent investir dans une activit qui rapporte ou boursicotent (lclosion des petits porteurs est reprsentative de cette tranche de revenus).

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    ETUDE DE TERRAIN

    l serait rducteur de penser quun groupe social ne se dfinit que par ses composantes sociodmo-graphiques. Les groupes

    sociaux sont des acteurs collectifs qui valent aussi par les reprsentations, les mythes, voire les fantasmes qui se btissent en leur nom. Ainsi en

    est-il des classes moyennes qui, dans toute leur (courte) histoire, ont t associes notamment au thme du progrs, de lascenseur social. Et ont t utilises finalement comme argument sociologique que lon substitue une vision dialectique et binaire de la socit : entre bour-geoisie et proltariat, entre riches et pauvres, les classes moyennes ont souvent servi, dans la littrature politique comme dans les sciences sociales, penser autrement que dans lantagonisme, les hirarchies et les segmentations sociales.

    En partant dentretiens qualitatifs, mens auprs de prescripteurs de la classe moyenne, et dune analyse lexicale des thmes et valeurs phares qui en dcou-lent, cet article dfinit les contours symboliques de lobjet de notre tude. Quels profils ont-elles ? Que pensent-elles ? Que consomment-elles ? Comment se reprsentent-elles le monde ?

    mythesdes

    I

    Tous les types dacteurs que nous avons rencontrs ciblent la classe moyenne. Lattention porte cette classe est variable dune personne lautre et non dun secteur lautre.

    La classe moyenne, cest qui ?

    VALEURS

  • 49La revue ECONOMIA n5 / fvrier - mai 2009

    Une mthode pour dcrypter les valeursLa recherche que nous avons entreprise en complment de ce dossier, sur les reprsentations et les associations dides que pouvait susciter le terme de classe moyenne, visait donc complter lapproche sociodmographique par une analyse des mythes et des valeurs attachs au nom des classes moyennes. Et il nous semblait que les mieux mme de nous aider construire cet environne-ment de mythes et de valeurs taient ceux qui, par leur mtier ou leur rle dans la socit, sont directement confronts ces groupes sociaux : des banquiers pourvoyeurs de crdits, des patrons de presse soucieux de leur lectorat, des leaders politiques la recherche dun lectorat, des promoteurs immobiliers.

    Tous les types dacteurs que nous avons rencontrs ciblent la classe moyenne. Lattention porte la classe moyenne est variable dune personne lautre et non dun secteur lautre. Par exemple, certains acteurs conomiques, comme Marwa, ont lanc une marque entirement ddie la classe moyenne. Dautres, comme Toyota, consacrent seulement une gamme de produits la classe moyenne. Dans les deux cas, le pro-duit et son prix sont conus de telle sorte quil soit dsirable et accessible cette catgorie de population.Nous avons donc recueilli en tout 350 pages dentretiens, organiss selon les mthodes de lanalyse lexicale (lire encadr), pour en sortir justement les lexiques arguments qui forment, autant quune vision des classes moyennes dans le Maroc urbain contemporain, une reprsentation de la socit marocaine dans laquelle se dveloppent ces classes moyennes. Soyons lucides en effet, il est difficile de parler dune partie sans construire le tout. Autrement dit, il est quasiment

    impossible de dfinir, critiquer ou discuter des classes moyennes sans voquer et construire toutes les strates de la socit marocaine, et les valeurs, a priori positives ou ngatives, quon y attache.

    - La classe moyenne est intressante parce que, par elle seule peut venir une grande partie du changement quon attend au Maroc- Il y a des valeurs qui caractrisaient la socit marocaine, elles perdurent au sein des classes moyennes, telles

    les valeurs familiales, religieuses ;

    La classe moyenne, cest lautre, lindfinissable juste milieuPremire surprise et premier paradoxe : aucun de nos interlocu-teurs nemploie le pronom nous pour parler des classes moyennes, alors mme que par leur niveau de diplme, de revenus ou leur position dans la socit, ils seraient fonds le faire. Certains mme insistent : Je ne veux surtout pas tre porte-parole. On parle donc de ils ou elles, mais pas de nous. Dune certaine manire, cette distance donne le ton gnral du propos, car le statut des classes moyennes, telles quon en parle, est un statut ambivalent, de quasi-inexistence. Outre le ton globalement plutt

  • 50

    morose sur lequel on en parle, on y reviendra, les classes moyennes sont un phnomne trange, inconsistant. Si lon fait une typologie rapide des points de vue, on trouve trois grandes catgories darguments : les classes moyennes nexistent pas ou quasiment pas au Maroc, elles sont venir, un futur probable. Elles existent mais si faiblement quelles nont pas de rle ni de statut social, politique ou culturel, et bien souvent du mal se faire reconnatre. Enfin, elles existent mais fuient, disparaissent, mutent ou migrent ds que possible, mme si ce nest quen rve, ce qui est dj, au moins par la pense, une manire dabsence.

    - Il y a une classe moyenne qui sest dveloppe depuis quelques annes qui ntait pas trs importante mais je pense quelle le devient de plus en plus.- Le brouillard ne sest pas encore dissip pour quelle merge. - Elle est absente au niveau politique - La classe moyenne est trs troite et trique.- La classe moyenne est en devenir.- On peut difficilement la cerner, comprendre exactement quelles sont ses aspirations profondes, en quoi est-ce quelle croit. - Est-ce quelle voit rellement le bout du tunnel ?

    Ce statut paradoxal tient bien sr la dfinition quon donne du groupe classe moyenne. Avec une grande unanimit, nos interlocuteurs voient dans la classe moyenne un groupe mergent, nouveau. Lorsquils parlent de classe moyenne, ils nvoquent pas un groupe stable, ancr histori-quement dans la socit locale. On ne fait jamais rfrence par exemple aux artisans et commerants et autres petits entrepreneurs traditionnels du

    bazar ou des mdinas qui, pourtant, si lon sen tient strictement aux nomenclatures de positions et de revenus, sont bien au milieu. On ne se rfre pas davantage aux fonctionnai-

    res, employs dEtat, qui constituent pourtant ceux qui devraient tre le plus logiquement dsigns comme tels. En fait, il y a un large consensus implicite pour considrer que, lorsquon parle de classe moyenne, on dsigne un phnomne mergent, un groupe en formation, en devenir, voire mme, pour certains, notamment chez les acteurs politiques, un groupe encore inexistant ou presque et dont on attend lavnement.

    Etranges tiraillements entre tradition et modernitLe mythe des classes moyennes se dcline en effet comme un mythe de lavnement de la modernit, une modernit toujours en perspec-tive, toujours en dcalage avec une tradition rsistante, ractive. Cest dailleurs bien cette ambivalence, qui peut donner, selon certains, de vrita-bles tourments, qui caractrisent les classes moyennes dans ce qui prend figure dun dbat permanent entre tradition et modernit. Tout semble se passer comme si, dans la so-cit marocaine, les clivages sociaux tenaient dabord la manire dont on vit cette tension entre tradition et modernit. Les pauvres et les prcaires seraient entirement dans la tradition, voire dans ses formes les plus archaques et rsistantes, qui tiennent par exemple des formes violentes et despotiques dautorit. Le pre donne des ordres ses enfants. Donc forcment, ceux-ci vont craindre leurs parents. La femme elle fait ce quon lui dit de faire.

    Quand lautorit dit quelque chose, eh bien ! Cest lautorit. Lautorit qui mane du gouvernement ou du roi. La boucle est boucle. Ce sont des choses qui nont pas encore volu la campagne et qui ont pas mal volu en ville.

    Quant aux nantis, ils seraient dans une sorte de traditionalisme raisonn, paisible et matris dans les apports assums de modernit, par exemple dans lducation des enfants. La classe moyenne serait caractrise par une tension permanente entre ces deux termes, objet de conflit intrieur ou au contraire darrangements, mais jamais dfinitivement rsolue, sauf dans la fuite Car, cest aussi dans

    La classe moyenne serait caractrise par une tension permanente entre tradition et modernit, objet de conflit intrieur ou au contraire darrangements, mais jamais dfinitivement rsolue, sauf dans la fuite

    La classe moyenne, cest qui ?

  • 51La revue ECONOMIA n5 / fvrier - mai 2009

    cette classe moyenne que rside le plus clairement les vellits de dpart et de migration, la tentation de lailleurs.

    Oui, lattrait de ltranger est trs important pour la classe moyenne. Les gens nont plus quun rve, comment quitter le Maroc pour aller vivre ailleurs. Et, bien sr, donne incontournable lorsquil sagit de ltranger, la rfrence au colonia-lisme apparat.

    Le colonialisme a contribu lapparition de la classe moyenne.Cest dans ce type de phrase que lon comprend tous les ressorts argu-mentaires de cette reprsentation singulire : si les classes moyennes sont bien associes la modernit, dans un dbat manichen entre tradi-tion et modernit, cette modernit est trs clairement associe ltranger, voire plus prcisment lEurope.

    Et la tentation nest pas loin alors de considrer les classes moyennes ainsi mergentes comme une irruption, une tranget, au sein de la socit marocaine. Cest un autre mythe rcurrent associ aux classes moyennes que celui selon lequel la modernit au Maroc vient forcment

    du dehors, de ltranger. Une vision en quelque sorte insulaire de la socit marocaine, o tout se passe comme si le changement ne pouvait provenir que du dehors, associant alors de faon ambigu, ceux qui, dedans,

    sont porteurs de changement et dtranget. Ainsi donc se raconte le mythe marocain des classes moyennes, ce qui explique toute lambiva-lence de la reprsentation, presque inquite, dont elles font lobjet dans lintervalle de tradition et moder-nit. Inquite, puisque la tradition signale lintgration dans une identit culturelle, religieuse, linguistique, et la modernit, lappel du lointain, de lailleurs. Ainsi, les classes moyennes sont formes de ceux qui aspirent prcisment cet ailleurs, aux limites de la trahison. En effet, indiquent les interviews, la pression sociale est toujours trs forte, mme dans les milieux aiss. Le regard des autres et les valeurs religieuses sont encore souvent les points de repres collectifs avec lesquels les situations et les personnes sont values.

    La tentation nest pas loin de considrerles classes moyennes ainsi mergentes comme une irruption, une tranget

  • 52

    Un individualisme inquiet, consommateur et fragileEntendons bien que le discours sur les classes moyennes ne fait pas forcment lapologie de lun ou lautre camp, prenant parti pour la tradition ou pour la modernit. Nous sommes de faon gnrale dans un discours relativiste, du style il y a du bon et du mauvais partout. Ce nest donc pas lopposition entre modernit et tradition qui est remarquable ici, mais le rcit de leur impossible suture et rconciliation, comme caractristique qui singularise les classes moyennes. Il est trs significatif par exemple dentendre que les individus ont beaucoup perdre justement, dans lindividualisme, et notamment la solidarit qui dcoule de la force des liens familiaux. Les interviews reconnaissent par ailleurs que cette distance permet, en contrepartie, de saffranchir de la soumission lautorit, parfois trs despotique, du pre.

    Or, quelles sont ces formes concrtes et tangibles de la modernit, ces emprunts ltranger ? Bien peu de chose vrai dire, ou plutt bien peu de valeurs et de catgories morales ou thiques. La seule expression dune valeur ou dun concept concerne lindividualisme. Pour le reste, ce sont dabord des objets ou des rituels (manger au Mac Do, acqurir un portable ou un cran plat ) qui signalent la modernit. Les signes vont de la parabole la femme fashion, de la pilule contraceptive la villa. - Les classes moyennes sont entres dans la socit de consommation.- Cest une couche qui joue un rle de levier, et de modernisation de la socit, ce sont des gens qui ont un niveau dinstruction et un pouvoir

    dachat. - La cliente aujourdhui, elle est fire davoir une marque marocaine qui rpond aux normes des marques europennes- Le couple classe moyenne type habite dans un quartier correct. Il circule en voiture, une berline de moyenne gamme. Il a des revenus autour de 20 000 dirhams et passe ses vacances parfois en Espagne, parfois au Maroc. Il a un budget de vacances de 15 20 000 dirhams.

    Ces objets visibles daccs la classe moyenne supposent, certes,

    un accs facile au crdit, mais aussi des abus et des surendettements. Cest le pendant implicite du discours marketing qui encourage la monte dune classe moyenne sur une base conomique incertaine. Le crdit est souvent li limmobilier. Laccession la proprit permet certes dtre matre chez soi, mais les entretiens montrent que de nombreux autres enjeux sont sous-jacents pour les classes moyennes : par exemple, le prestige social quoffre la proprit dune villa, mais aussi, la possibilit de la mise distance de la grande famille qui sopre dans un mouve-ment dindividuation plus spcifique aux classes moyennes qu dautres catgories sociales. Les enjeux sont aussi dordre conomique, lhabitat tend devenir un bien marchand qui fait partie de la stratgie dconomie domestique de la famille. Lacquisition et vente du ou de logements a souvent dop la mobilit sociale et conomi-que de la famille.

    Formation discrte dune classe disparate Pour comprendre comment on en est arriv l, il faut faire un petit retour en arrire dans lhistoire rcente. Aprs lindpendance, lun des mots dordre des Etats issus de la dcolonisation porte sur la formation volontaire et lencadrement de ceux qui constitue-ront bientt les classes moyennes: fissus de mobilits descendantes pour les bourgeoisies (fassie et soussie au Maroc), issus des classes populaires et paysannes montantes, par linstruction. Shana Cohen1 dcrit bien ce processus propos du Maroc et parle de la formation dune classe moyenne moderne nationale, charge de porter lexemple dune transformation sociale, sur fond de nationalisme, daccs la modernit, selon un carr de valeurs

    La classe moyenne, cest qui ?

  • 53La revue ECONOMIA n5 / fvrier - mai 2009

    peu prs identiques : rationalisation conomique, instruction gnralise, hygine, mancipation des minorits domines. Cette classe moyenne est videmment porte par la capacit quont alors les Etats denrler et dembaucher, pour former une bureaucratie de fonctionnaires.

    Si lon poursuivait ce travail, il faudrait videmment sinterroger sur le destin de cette classe moyenne nationale moderne dont le rle moteur navait de sens que parce quelle pouvait se penser comme en expansion perptuelle. Les mondes populaires les suivaient dautant plus facilement quils pouvaient aspirer voir leurs enfants se transformer, eux aussi, en fonctionnaires Or lexpansion justement sest arrte. Mais npiloguons pas : la nouvelle classe moyenne qui se forme aujourdhui, est celle dont on peut reprendre le nom

    que lui donne S. Cohen, une classe moyenne globale. Mais elle se forme discrtement, presque secrtement, si lon en croit nos interlocuteurs, sur un mode radicalement diffrent.

    Ce nouveau mode, loin dtre assimi-lable un style de vie homogne ou une manire dtre standard, consti-tue pour lun de nos interviews, une promesse, pour dautres, un gage dquilibre social, mais pas encore une ralit prsente, dterminante.La classe moyenne est la seule classe qui donne lespoir dun vritable moteur pour lconomie.

    Les classes moyennes ne sont donc pas des exemples, mais des

    enclaves, elles ne sont pas imites, mais jalouses. Et ceux qui en sont membres ne russissent pas dans un train gnral mme illusoire, davance sociale. Ils russissent un par un et chacun pour soi, ports par une morale et une seule, que lon dira individualiste, et dans un contexte gnral, conomique et social, de prcarit et de fragilit. Ce nest donc pas vraiment le processus de formation des classes moyennes qui change, et pas davantage leur place dans la socit. On est bien toujours confront des groupes sociaux porteurs de changement, chargs dtre lavant-garde de transforma-tions sociales et culturelles quelles exprimentent, en quelque sorte sur

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    un contexte de prcarit et de fragilit

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