DOQUET, C. Représentations Du Discours Dans Un Entretien Écrit

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DOQUET, C. Représentations du discours dans un entretien écrit

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  • Reprsentations du discours dans un

    entretien crit: un parcours gntique

    Claire Doquet1 (com participao de Frdric Fau2)

    Rsum: Cet article analyse la reprsentation du discours dans lcriture dun entretien avec Antoine Culioli qui constitue l'ouvrage Variations sur la linguistique. Ltude examine dans les 10 premires minutes de lentretien les diffrentes occurrences de la reprsentation du discours - discours autre et discours en train de s'noncer - et leur devenir au cours de l'criture. L'ensemble aboutit la mise en vidence de la temporalit spcifique l'entretien oral destin tre publi, o s'entrecroisent la situation nonciative relle de l'entretien oral et une situation nonciative projete , celle de la future lecture de l'ouvrage non encore publi. Mots-clefs: nonciation crite. Gntique textuelle. Mtadiscours. Abstract: This article analyses the reprsentation of the speech during writing an interview with Antoine Culioli, published in the book Variations sur la linguistique. That is a linguistic study, covering the 10 first minutes. The different occurrences of representation of speech are examined (representation of another speech / representation of the speech in process of making), like their fate during writing. The general purpose shows the specific temporality of a oral interview as intended for publication, where the real speech situation of the oral interview meets the projected speech situation of reading the not yet published book. Keywords: Writing. Genetic text analysis. Metadiscourse. Resumo: Este artigo analisa a representao do discurso outro no processo de escrita de uma entrevista com Antoine Culioli, que constitui a obra Variations sur la linguistique. O estudo examina nos 10 primeiros minutos da entrevista as diferentes ocorrncias da representao do discurso - discurso outro e discurso no prprio processo de enunciao - e de seu desenrolar durante a escrita. Os resultados pem em evidncia a temporalidade especfica da entrevista oral destinada a ser publicada, em que se entrecruzam a situao enunciativa real da entrevista oral, e uma situao enunciativa projetada, aquela da futura leitura da obra ainda no publicada. Palavras-chave: Enunciao escrita. Gentica textual. Metadiscurso.

    1 Doutora em Cincias da Linguagem pela Universit Sorbonne Nouvelle Paris 3 (2003), Professora da Universit Sorbonne Nouvelle Paris 3. 2 A partir de abordagens inspiradas na anlise de discursos, Frdric Fau consultor em comunicao e formao.

  • Revista Investigaes Vol. 28, n Especial, Dezembro/2015

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    1995. Un linguiste clbre accepte dtre interview par quelquun

    qui se prsente comme nayant que peu voir avec la linguistique, qui de

    fait nest pas linguiste de profession mais a termin son cursus

    universitaire par un Diplme dEtudes Approfondies dirig par

    Jacqueline Authier-Revuz.3 Une premire srie dentretiens stale sur 2

    ans, linterviewer les retravaille et fournit lditeur, linguiste galement,

    un manuscrit en six chapitres qui va rester plusieurs annes dans ses

    tiroirs. En 2000, le grand linguiste reprend contact pour ajouter des

    lments ce texte dj abondant. Nouvelle rencontre, nouvel entretien:

    transcrit puis rcrit par linterviewer, Frdric Fau, il sera relu et

    modifi par linterview, Antoine Culioli. La runion des diffrents

    textes, organise en 7 journes , formera un succs de librairie:

    Variations sur la linguistique4.

    On voit ce bref portrait gntique que louvrage de Culioli et Fau

    sest crit de faon non linaire, avec des retouches, reprises, longues

    pauses et retours en arrire. De quelle manire se marquent ces alas et

    retours dans la matire verbale? Comment se dit lattention la langue,

    dautres discours, linguistiques ou non, enfin au discours en train de se

    tenir, au in vivo de lnonciation? Pour tracer des pistes dinvestigation

    de ces questions, nous nous livrons ici un balisage de phnomnes

    mtadiscursifs, dont nous observerons lvolution du discours oral au

    texte publi, travers ltude des 10 premires minutes du dernier

    3 Tous nos remerciements vont Jacqueline Authier pour sa relecture attentive du prsent article et ses conseils de rcriture dont, comme toujours, la pertinence n'a d'gal que la gnrosit avec laquelle ils sont donns. 4 Antoine Culioli, 2002: Variations sur la linguistique. Entretien avec Frdric Fau. Paris, Klincksieck. 2me dition 2009.

  • Claire Doquet

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    entretien, qui a constitu le 7me chapitre de louvrage. Sont recenses les

    marques de reprsentation du discours, ventuellement supprimes ou

    ajoutes au gr des diverses rcritures. Ce dernier chapitre, - cette

    dernire journe - constitue un sous-corpus intressant parce que crit a

    posteriori, donc autonome par rapport au reste de louvrage. Pour ce

    parcours gntique, nous disposons des tats de texte suivants:

    la transcription initialement faite par Frdric Fau, qui est ponctue

    comme de lcrit et reflte avec parfois de lgers dcalages le discours

    tenu: tat de texte T1;

    la premire rcriture par Frdric Fau: tat de texte T2;

    la deuxime rcriture, que Frdric Fau a remise Antoine Culioli:

    tat de texte T3;

    la rcriture par Culioli: tat de texte T4.

    A ces quatre tats vient sajouter une transcription effectue pour

    les besoins de notre recherche actuelle partir de lenregistrement oral

    lui-mme, produite selon les conventions du Groupe Aixois de

    Recherches en Syntaxe (Blanche-Benveniste & Jeanjean 1987) et se

    voulant le plus proche possible de loral, que nous avons nomme T0.

    Cette version du texte est chronologiquement postrieure aux autres

    mais elle devrait tre la premire du fait de sa proximit verbale avec

    loral initial, do le choix de cette numrotation. Le plus important

    retenir est que lorsquil a travaill sur lentretien, Frdric Fau navait sa

    disposition que sa transcription T1. T0 va nous servir de repre pour

    reconstituer loral, et singulirement mesurer lcart entre le discours

    rellement prononc et celui que le transcripteur avait labor dans sa

    tche premire de consignation de lentretien oral, pour tenter de cerner,

    avant mme les rcritures, les transformations oprs spontanment

    sur un oral tenu, en vue de sa mise lcrit.

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    Aprs la relation des circonstances de llaboration du texte5, suivie

    dune mise au point sur les catgories linguistiques utilises, nous

    relverons dans la transcription T0 les lments de reprsentation du

    dire et du discours6 pour les classer et examiner leur devenir, en vue de

    tracer le parcours gntique de ces lments de loral la publication

    crite.

    1 Variations sur la linguistique: la gense du 7me jour

    A lpoque de lentretien entre F. Fau et A. Culioli, la thorie que ce

    dernier a dveloppe na pas encore t expose de manire

    systmatique. Ses publications scientifiques, dj relativement

    nombreuses, sont dissmines dans des revues diverses, souvent sous

    une forme peu accessibles aux universitaires eux-mmes (par exemple, le

    cours de DEA ronotyp7). Le premier tome de Pour une linguistique de

    lnonciation parat ce moment chez Ophrys, inaugurant une

    dmarche de mise disposition des articles de Culioli, dmarche dans

    laquelle devraient tout est au conditionnel cette poque -

    prcisment sinscrire ces entretiens.

    5 Cette premire partie a t crite par linterviewer, qui occupe dans cet article une position dinformateur, avec toutes les limites que ce rle induit. Le Frdric Fau de lpoque est bien lointain, et le Frdric Fau daujourdhui a rapidement d apprendre se mfier de la fausse familiarit quil entretenait avec cet autre lui-mme, source de reconstructions sincres, mais fantasmes, de petits rarrangements avec les faits, de rationalisations soutenues par le prcieux auxiliaire des limites de la mmoire, le tout tenant lieu de justifications devant telle ou telle partie que, immanquablement, le Frdric Fau daujourdhui ne concevrait pas de la mme manire. 6 Nous diffrencions les reprsentations du dire, qui renvoient l'nonciation (les verbes de parole par exemple) des reprsentations du discours, qui renvoient l'nonc (dsignateurs mtadiscursifs comme ces mots , par exemple). Dans la plupart des cas, comme dans le discours rapport, ce sont la fois le dire et le discours qui sont reprsents. 7 Notes du sminaire de Dea [Texte imprim]: 1983-1984 / A. Culioli / Poitiers: Universit de Poitiers , 1983-84. http://www.sudoc.fr/003380475

  • Claire Doquet

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    La thorie en elle-mme ne se laisse pas aisment saisir. Elle parat

    stre dveloppe en marge de la linguistique traditionnelle, propose un

    appareil de concepts inhabituels (oprations, repres). Pire encore, elle

    mord sur un ensemble de champs extralinguistiques: la topologie au

    premier chef, puis lanthropologie, une certaine psychologie. Tmoin de

    ces dbordements: limposant appareil de notes - Quelques concepts

    emprunts par A. Culioli la logique et aux mathmatiques - tabli par

    J.P. Descls et gliss la fin des Variations sur la linguistique. Les

    relations entre tous ces champs sont extrmement difficiles cerner.

    Ces obstacles, videmment, sont en mme temps la raison dtre

    de ces entretiens: offrir un premier point dentre dans une thorie trs

    peu accessible. En un sens, ils rendent aussi la tche de linterviewer plus

    simple: consultant pour les entreprises, il nest ni universitaire, ni

    journaliste, mme si ces deux champs ne lui sont pas totalement

    trangers8. Il se voit ainsi dlest des enjeux de lgitimit dans ces deux

    champs9. Personne nayant encore interrog A. Culioli, il est aussi dgag

    des comparaisons avec un existant. Enfin, la thorie tant pour le

    moment peu accessible, il peut se fixer lobjectif modeste et rassurant

    den apporter un premier point dappui.

    Bref, linterviewer occupe une position sur une double frontire, ni

    vraiment dedans ni totalement dehors, qui nchappe assurment pas

    A. Culioli, lui donne une certaine libert empreinte de linconscience

    ncessaire. Une situation qui va sans doute faciliter le vaste bricolage

    au sens noble du terme- qui va senclencher au cours des sances.

    Premire consquence trs pratique de sa formation de demi-

    8 Outre son DEA en linguistique, Frdric Fau a t pigiste pendant quelques mois pour LEvnement du jeudi. 9 Il serait naf de croire que lintervieweur est dgag de tout enjeu dimage. Disons simplement que certains enjeux majeurs, notamment acadmiques, sont neutraliss par sa position spcifique.

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    linguiste: Frdric Fau na quune ide intuitive peine plus labore

    que la conception spontane- de ce quest le franais oral. Il ne suivra

    donc aucune rgle scientifique de transcription des entretiens10. Pour

    autant, cette position loblige aller chercher des appuis dans ces deux

    domaines demi-connus. Linterviewer se tourne donc vers deux sources

    de lgitimit, lune journalistique, Brigitte Salino, lautre scientifique,

    Jacqueline Authier.

    Commenons par la seconde. Elle a initi et dirig le DEA de

    linterviewer. Une runion denviron 2 heures viendra soutenir la

    prparation des entretiens, et fournira linterviewer la plupart11 des

    grands thmes de sa grille de questionnement. J. Authier est donc la

    source quasi unique des questions poses, louvrage donnant ainsi une

    sorte de reflet de ce que linterviewer sest appropri de lenseignement

    de cette dernire. Enfin, un entretien direct entre J. Authier et A. Culioli

    viendra complter la srie dentretiens avec Frdric Fau, rendant cette

    parole encore concrtement plus prsente, mme si elle ne sera

    montre que par quelques mots de la prface de Michel Viel.

    Sur le plan du travail dinterview lui-mme, cest une journaliste,

    Brigitte Salino qui sera la source et la rfrence. Brigitte Salino est

    critique de thtre au Monde. Elle est rpute pour sa rigueur

    dontologique, la qualit de ses interviews et son rejet de toute facilit et

    de tout sensationnalisme, ce qui en fait une rfrence en phase avec les

    principes dA. Culioli. Elle donne linterviewer lensemble des principes

    qui vont guider son travail de recueil des donnes puis de conception et

    10 A comparer lexplicitation faite par Claudine Normand en fin de prface des Onze rencontres (voir page 11, lajout Indications typographiques . 11 Les autres sources tant la lecture du tome 1 de Pour une linguistique de lnonciation , Ophrys, la relecture des PDLG de Benveniste et de Lintroduction une science du langage de Milner.

  • Claire Doquet

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    de rdaction de louvrage:

    premier principe: le ncessaire montage des verbatims, donc la

    recombinaison dlments dispatchs; cette position, linterviewer la

    retrouve dans la prface de Quelque part dans linachev , interview

    de Janklvitch par Berlowitz, posant en substance quil ny a aucune

    vrit reproduire le magntophone; linterviewer sautorisera donc, par

    exemple, couper une phrase ou un syntagme issus du 9me entretien

    pour lenchevtrer une squence situe au premier entretien, le tout

    tant susceptible de figurer en page 2 du texte final valid. Ce travail de

    montage se fait selon des modalits complexes et surtout, mises en

    uvre de manire intuitive (comme le sentiment dune unit

    thmatique, ou dune formulation plus claire, prcise, ou plus

    heureuse quune autre);

    second principe: supprimer, ou au moins attnuer, linformation

    redondante ou inutile (notion qui va linverse des principes de

    linterviewer, mais quil va suivre tout de mme), rduire et viter les

    effets de rel ;

    troisime principe: neutraliser autant que faire se peut les enjeux

    dimage personnelle; en pratique, cela revient poser des questions

    associes aux propos tenus sans jamais, selon les mots de Brigitte Salino,

    chercher paratre intelligent ;

    quatrime principe, enfin: sur-prparer son interview, matriser la

    matire afin de afin dviter les chappatoires trop faciles de la part de

    linterview; comme dj vu, la thorie dA. Culioli et la formation de

    linterviewer ne permettent pas de rpondre totalement une telle

    exigence.

    Une troisime logique vient sentremler celles, scientifique et

    journalistique, de ces deux premires sources: celle de lditeur, porte

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    par Michel Viel. Sans aller jusqu parler de marketing , cette logique

    peut tre qualifie dditoriale, en ce quelle est soucieuse danticiper les

    attentes du lectorat pour produire un ouvrage accessible et

    commercialisable. Elle amne lditeur donner linterviewer deux

    orientations clefs: demander Culioli de multiplier les exemples, perus

    comme simples et surtout attractifs la lecture, et le laisser parler le plus

    possible. A ce moment-l, lditeur semble penser en effet que A. Culioli

    va drouler son discours presque seul, sans le support de questions et de

    relances -qui se rvleront en fait tre indispensables.

    Enfin, Frdric Fau se donne pour principe de conserver une forte

    oralit dans ces entretiens, sappuyant pour cela sur une approche

    intuitive des phnomnes doralit et de leur transposition lcrit.

    Quelques prcisions doivent encore prsenter les spcificits de

    lentretien du 7me jour . Il a lieu en 2000, donc prs de 4 ans aprs la

    fin dune srie initiale de 11 autres entretiens, et cette fois-ci la demande

    dAntoine Culioli. Ayant parcouru pour ne pas dire puis- le champ de

    ses connaissances, linterviewer na donc plus vritablement de questions

    poser. A. Culioli, de plus, demande modifier le mode de validation:

    alors quil a tenu ne pas intervenir, ou le moins possible, sur la

    proposition de texte donne par Frdric Fau sur les journes

    prcdentes, il demande cette fois rcrire cet entretien.

    Mais revenons avant le dbut des entretiens. A partir du dispositif

    expos ci-dessus, A. Culioli accepte donc dengager des entretiens, mais

    sans engagement: linterviewer propose en effet quil puisse les

    interrompre quand bon lui semble. Interview et interviewer

    sentendent aussi sur le fait que ce dbut de travail ne vaut en aucun cas

    autorisation de publication. A partir de l, linterviewer travaille sur la

  • Claire Doquet

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    base des principes suivants, plus ou moins malmens par la ralit du

    travail: la fidlit au dire initial de Culioli ne pouvant se traduire par une

    reproduction fidle du magntophone, elle prendra la forme, du moins

    dans la pratique de linterviewer12, dune reconstruction / proposition

    valide par Culioli. Il sagira donc, en accord avec ce dernier, de produire

    un mentir vrai (selon le mot dAragon, cit par Culioli lui-mme lors

    dune conversation sur ces principes), dune reconstruction fidle .

    Devant limpossibilit de retransmettre la vrit des entretiens,

    les pulsations des intonations et des multiples phnomnes

    paralinguistiques, le duo interviewer interview fait donc le choix qui

    sexplicite au fur et mesure des entretiens en cours- de faire reposer la

    fidlit -impossible- au texte initial parl sur une proposition de tenant

    lieu. Ce tenant lieu est non seulement diffrent par essence, en ce que

    lcrit ne peut reproduire loral, mais aussi par choix selon les principes

    de montage13 vu ci-dessus, qui peuvent mener une reconstruction

    loigne du texte initial14. Ce texte tenant lieu propos par Frdric Fau

    est enfin valid par A. Culioli pour obtenir le texte publi.

    12 Bien videmment, de ce que la retranscription fidle soit impossible ne dcoule pas ncessairement quil faille suivre les principes ci-dessus noncs. 13 Au sens que cette opration peut prendre en cinma. 14 A titre dexemple: une conversation en fin dentretien, alors que le magntophone est coup, peut servir prciser ou affiner des extraits du texte enregistr. De mme, les complments issus de lentretien avec J. Authier ont t redistribus tout au long du texte reconstruit, chaque fois quils semblaient linterviewer de nature clarifier tel ou tel point. Lattention de linterviewer se porte donc plus sur le rsultat du processus que sur la reprsentation - lgitimation du processus dlaboration.

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    2 Lentretien comme genre reprsentant un discours

    Quil figure dans la presse (Authier-Revuz & Lefebvre, ici-mme)

    ou dans un ouvrage comme cest le cas de celui que nous examinons,

    lentretien crit reflte un entretien oral pass dont il donne une

    reprsentation. Cette reprsentation se fait par un transcodage de loral

    lcrit qui excde videmment la seule transcription: dun discours

    oral, linterviewer qui est aussi rcriveur fait un discours crit, avec les

    spcificits syntaxiques, nonciatives, organisationnelles qui lui sont

    propres. Un axe possible de recherche, exploit ailleurs,15 consisterait en

    ltude de multiples traces de ce transcodage. Cest une spcificit plus

    restreinte de lentretien crit que nous souhaitons clairer dans les lignes

    qui suivent: la manire dont, intrinsquement, le discours en train de se

    produire va tre reprsent, cit, repris, mis en correspondance avec

    dautres discours, au gr des questions et des rponses. Lensemble de ce

    mtadiscours va tre analys selon deux versants: la reprsentation du

    discours autre (RDA) et lauto-reprsentation du dire (ARD). Ces deux

    versants de la reprsentation du discours lintrieur de lentretien sont

    observs au plan interne: nonobstant le fait que lentretien relve

    intgralement du Discours Rapport, en loccurrence comme le

    montrent Authier-Revuz & Lefebvre ici-mme un type particulier de

    DD, on voit apparatre, au sein de ce DD, des formes de reprsentation

    du discours et ce sont elles que nous allons tudier. Il sagit, nous lavons

    dit, dun premier parcours ouvant sur des tudes ultrieures et destin

    slectionner des points sensibles du point de vue de la gntique,

    15 Doquet C. ( par.) Ecrire la parole. Modalits de mise lcrit dentretiens avec Antoine Culioli. In G. dOttavi & P.-Y. Testenoire (eds), Le cours de linguistique. Formes, genses et interprtations de notes dauditeur. Langages. Avec la participation de F. Fau.

  • Claire Doquet

    11

    permettant dexplorer la fois la progression dune parole et les

    modifications successives de sa mise lcrit.

    2.1 Exemples de Reprsentation du Discours Autre.

    Comme le rappelle ici-mme Frdrique Sitri, lanalyse de la

    Reprsentation du Discours Autre a t refonde par Jacqueline Authier-

    Revuz partir de trois traits dfinitoires:

    sur le plan smantique, le discours autre est reprsent comme

    objet du dire ou comme source du dire (X dit: p vs daprs X,

    p)

    sur le plan smiotique, lnonc e est reprsent en usage ou avec

    autonymisation (Discours Indirect vs Discours Direct)

    sur le plan nonciatif, lancrage nonciatif des deux actes A et a est

    unifi ou lon a deux ancrages distincts ou un ancrage partag entre A et

    a.16

    Les formes de RDA, distingues par ces traits, sont au nombre de 5

    et peuvent tre illustres par les exemples canoniques suivants17:

    Discours Indirect (DI): le discours autre (DA) est objet du dire,

    lnonc est reprsent en usage, lancrage nonciatif des actes A et a

    est unifi. Exemple: Jean a dit son dsaccord (ou Jean a dit quil ntait

    pas daccord).

    Discours Direct (DD): le DA est objet du dire, lnonc reprsent

    est autonyme, lancrage nonciatif des actes A et a est distinct.

    Exemple: Jean a dit: je ne suis pas daccord .

    Bivocal ou Discours Indirect Libre (DIL): le DA est objet du dire,

    lnonc est reprsent en usage, lancrage nonciatif est partag entre

    16 Repris F. Sitri, ici-mme. 17 Les exemples qui suivent sont repris J. Authier-Revuz, documents internes.

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    A (ancrages rfrentiels) et a (ancrages modaux). Exemple: Jeani se

    fche: est-ce quon le croit naf?

    Modalisation Autonymique dEmprunt (MAE): le DA est source du

    dire, lnonc reprsent est autonyme, lancrage nonciatif des actes A

    et a est unifi. Exemple: Jai assur , comme dirait Marie.

    Modalisation de lAssertion comme Seconde (MAS): le DA est source

    du dire, lnonc est reprsent en usage, lancrage nonciatif des actes

    A et a est unifi. Exemple: Daprs Jean, jai fait ce quil fallait.

    Le corpus que nous explorons met en jeu des formes de RDA qui

    correspondent rarement aux formes canoniques cites supra. Le

    Discours Autre mis en jeu est de quatre types:

    1. Discours tenu par dautres que les protagonistes de la situation

    interlocutive, en dautres moments et dautres lieux. Par exemple, chez

    Culioli:

    on dit trs souvent que cest une raction indigne

    Le on renvoie ici un nonciateur imprcis, dont le caractre non

    rfrenc est renforc par le groupe adverbial trs souvent. Cest un cas

    de DI canonique avec reprsentation par L de l'nonciation par l d'un

    DA.

    2. Discours dun des protagonistes de la situation interlocutive, voqu

    par lautre pendant lentretien et tenu antrieurement. Par exemple, Fau

    interrogeant Culioli:

    quest-ce que vous souhaitez / vous aujourdhui ajouter / que

    vous navez pas pu dire ou commenter par rapport ce que

    vous nous racontez + donc + dans les pages qui prcdent

    Il sagit trs clairement dun discours autre, au double sens de

    discours dun autre (Fau reprsente en DI le discours de Culioli) et tenu

  • Claire Doquet

    13

    un moment diffrent de celui de lnonciation immdiate. Cette mise en

    correspondance par un des deux locuteurs de diffrents moments de

    lentretien ou extraits du livre nous parat constituer une spcificit des

    entretiens livresques, destine compenser le caractre ncessairement

    discontinu de lnonciation relle qui se trouve reprsente de manire

    unifie dans le livre, et dont ce type de commentaire manifeste la

    continuit.

    3. Discours dun des protagonistes tenu auparavant, externe lentretien.

    Par exemple, Culioli voquant une des notions quil a mises au jour:

    une attitude qui est fonde sur + ce que jai appel euh

    lajustement+

    Le DA nest pas prcisment situ dans le temps mais il est

    clairement celui du locuteur l dans des circonstances externes la

    situation nonciative. Ce type dnonc marque une tanchit entre le

    discours en train de se tenir et le discours tenu plus tt, ailleurs; il ny a

    pas de difficult le sparer du discours en train de se tenir. Rappelons

    que le Discours Autre nest pas rductible au Discours dAutrui: cest un

    discours tenu dans une situation nonciative disjointe de celle pendant

    laquelle sopre la RDA. Le Discours Autre est un discours autre que celui

    qui est tenu dans lici-maintenant de lnonciation et repris dans cet ici-

    maintenant.

    4. Discours dun des protagonistes tenu peu avant et repris

    anaphoriquement. Par exemple, Culioli renvoyant ses propos

    antrieurs par le biais de lanaphorique cela:

    je suis peut-tre euh un petit peu optimiste en disant cela il y a

    encore des secteurs + o euh on nopre pas cette

    transformation +

  • Revista Investigaes Vol. 28, n Especial, Dezembro/2015

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    Ici, le discours autre est le discours du locuteur l un autre

    moment que celui concident strictement son nonciation (en

    loccurrence, quelques instants plus tt). Cest un cas de RDA o

    discours reprsent et discours reprsentant sont proches, voire

    contigus. Pour autant, ils ne concident pas, ce qui nous conduit, la

    suite de Jacqueline Authier-Revuz (1995), faire entrer ce type dnonc

    dans la RDA.

    2.2 LAuto-Reprsentation du Dire

    LAuto-Reprsentation du Dire (ARD) est la reprsentation, par un

    nonciateur, de son nonciation au moment mme o elle se droule

    (Authier-Revuz 1992). Alors que lobjet dun nonc de RDA est un

    discours autre, lobjet dun nonc dARD est le discours en train de se

    faire. Cette spcificit repose sur la jonction de deux plans: celui de lacte

    que lnonciation accomplit, instance reprsentante, et celui de lacte qui

    sy trouve comme objet reprsesnt. Disjoints dans la RDA, ces deux

    plans concident dans lARD (Authier-Revuz & Doquet, 2012). Voici deux

    exemples topiques de lauto-reprsentation du dire:

    les noncs performatifs au sens strict: je te baptise, je vous remercie,

    etc.

    des noncs o lacte de parole se trouve reprsent simultanment

    sa tenue: je vous dis au revoir .

    Notre corpus comporte des noncs du deuxime type, sortes

    d'noncs performatifs au sens large o laccomplissement de lacte

    reprsent, le fait de dire simplement quelque chose, saccompagne de sa

    reprsentation par lnonc modalisant. Pourtant ces noncs ne

  • Claire Doquet

    15

    prennent jamais la forme simplement assertive d'un je dis que. Ce sont le

    plus souvent des modalisations, comme par exemple, chez Culioli:

    donc pour dire les choses plus simplement + nous sommes

    passs l aussi et dune faon trs nette + dune attitude [] qui

    transmettait des information claires euh simples + sans

    dformation + une attitude qui est fonde sur [...]

    Lnonc soulign modalise le discours qui le suit immdiatement,

    il laffecte dun commentaire qui porte sur lui, avant sa profration, de la

    mme manire que le feraient des modalisations signifiant lemprunt,

    opacifiantes comme pour employer les mots de X ou non opacifiantes du

    type pour poursuivre le raisonnement de Y. Mais il ne sagit pas

    demprunt, donc pas de RDA: la modalisation exprime le fait de dire, et

    de dire simplement, sans rfrence interdiscursive. Cet exemple comme

    d'autres que nous passerons en revue par la suite manifeste le fait que

    la modalisation autonymique ne relve pas fondamentalement de la

    RDA; celle-l fait partie de l'ARD.

    Certains extraits de notre corpus jouent sur les frontires de la

    concidence / non-concidence entre actes reprsentant et reprsent,

    par exemple en introduisant une incertitude quant la ralisation de

    lacte de discours, comme dans lexemple suivant:

    on pourrait + dire + deux choses + en: schmatisan:t + de

    faon peut-tre assez grossire +

    Le conditionnel prsent, associ au pronom on, dralise lacte de

    parole qui na plus dauteur quindirect et de ralisation que virtuelle.

    Sans quitter lauto-reprsentation du dire, ce type dnonc inscrit une

    discordance dans la concidence stricte des deux actes dnonciation,

  • Revista Investigaes Vol. 28, n Especial, Dezembro/2015

    16

    comme le feraient des noncs, absents de notre corpus, du type je nose

    mme pas vous dire que X, o le segment reprsentant nie lnonciation

    mme de lnonc reprsent, ou je vais vous dire une chose: X ou X, jai

    failli dire Y, o lnonc reprsentant exprime un dcalage temporel,

    dans le sens de lantriorit ou de la postriorit, avec lnonciation

    reprsente.18

    Etablir une distinction entre RDA et ARD n'implique pas que ces

    deux types de reprsentation du discours ne puissent cohabiter. Au

    contraire, dans le corpus que nous observons, il n'est pas rare de voir

    figurer, dans le mme nonc, des formes diverses de reprsentation du

    dire, comme ici (Culioli):

    dun ct + le mouvement + qui euh +stait amorc + si je

    peux le dire euh sans prtention + peut-tre euh + ds + en,

    particulier larticle que javais crit sur la formalisation en

    linguistique + et qui euh + tait beaucoup + trop + dcal + par

    rapport aux recherches de lpoque + pour: tre euh + peru +

    Les segments souligns sont: pour le premier, une modalisation

    autonymique relevant de l'ARD et pour le second, la dsignation d'un

    discours autre relevant de la RDA. S'ajoutent ces marques de mta-

    discours de nombreuses pauses, parfois assorties du ponctuant oral euh,

    qui peuvent tre considres comme des indices de retours sur le dire19 -

    espace propice l'mergence d'un mta-discours - de la part du locuteur.

    Dans cet exemple, une possibilit supplmentaire de mta rside dans la

    18 Jacqueline Authier-Revuz (2004) a tudi ces modalits irralisantes du dire, consistant en un dire de X qui se fait sur le mode auto-reprsent de ne pas se faire (p.86). Elle met en vidence le fait que ces formes, marquant des degrs divers la rticence, jusqu limpossibilit de dire, un mode de dire sur le mode de ne pas dire o le dire comme absent se fait dfaut lui-mme (p.97). 19 A l'crit, les pauses observes lors de l'criture, quand celle-ci est enregistre avec ses donnes temporelles, peuvent tre associes une activit mta-discursive du fait de leur corrlation rgulire avec des ratures (Doquet 2011).

  • Claire Doquet

    17

    manire dont Culioli dsigne son article: la formalisation en linguistique

    est, comme on le sait, le titre mme de l'article qu'il voque20; le fait de

    ne pas le mettre entre guillemets est un choix du transcripteur, qui a

    pour consquence d'en faire un segment non autonyme.

    Les diffrents modes de reprsentation du discours s'entremlent

    donc, sans pour autant se confondre, dans les questions et rponses qui

    forment cet entretien. Le fait de disposer de 5 tats du texte va nous

    permettre de nous interroger sur la manire dont ces diffrentes strates

    de reprsentation du dire et du discours interviennent dans les

    diffrentes tapes de la rcriture, selon quelles sont ou non en

    concidence avec le discours en train de se faire.

    3 Trajets d'noncs de RDA et d'ARD: entre rejet spontan de

    loralit et figurations de la spontanit

    Nous tudierons tout d'abord dans cette partie le passage,

    spontan, des paroles prononces loral leur transcription crite au

    moment de llaboration de louvrage. Cette transcription, numrote T1,

    est une reprsentation dj infidle du discours tenu: infidlit lie au

    simple transcodage, qui implique videmment la perte de canaux de la

    communication orale (gestuelle, prosodie etc.), mais aussi infidlit

    dans la restitution de la matire verbale. Au-del de labsence, attendue

    dans ce type de tche, de consignation de faits de prononciation, ce sont

    les mots eux-mmes qui sont parfois omis, ou remplacs par dautres,

    dans des modifications que le transcripteur a senties, lpoque, comme

    anodines, ou bien quil savait devoir faire par la suite et quil a anticipes

    20 Culioli, A. (1968) La formalisation en linguistique . Cahiers pour lanalyse, n9. 107-117.

  • Revista Investigaes Vol. 28, n Especial, Dezembro/2015

    18

    dans la transcription. Par exemple, lcart entre ces deux segments, lun

    appartenant T0 (transcription selon le GARS, Blanche-Benveniste &

    Jeanjean 1987), lautre T1 (transcription spontane effectue au

    moment de llaboration du texte):

    (3.1) ce que jai appel euh lajustement+ qui ne veut pas dire

    naturellement euh lajustement+ au sens de cest de + cest trs

    trs ajust+ nest-ce pas?

    (3.2) ce que jai appel lajustement, qui ne veut pas dire

    naturellement que cest trs ajust

    Outre la disparition des euh et des marques de reprise/rptition

    loral (au sens de cest de + cest trs), on observe les modifications

    suivantes:

    suppression de la rptition de ladverbe trs

    suppression de loprateur phatique nest-ce pas assorti de la

    modalit interrogative de la phrase,

    reformulation syntaxique du complment du verbe dire, qui dun GN

    tendu devient une compltive.

    Cet exemple montre que la transcription spontane effectue par

    linterviewer au moment de ldition du livre est relativement loigne

    de loral: mme si les modifications effectues naffectent que trs peu le

    sens de lnonc, nombre de modifications sont effectues qui

    outrepassent la simple normalisation des scories de loral, comme la

    suppression de marques dhsitation ou de rptitions/reprises, dont E.

    Richard (2015) a bien montr le caractre inhrent la syntaxe et

    linterprtation des discours.21

    21 Cf galement Noailly & Richard, sous presse.

  • Claire Doquet

    19

    3.1 La RDA: Discours Direct, Discours Indirect

    3.1.1 Un DD classique dans un DD gnralis:

    Dans cet entretien, qui fonctionne sur un mode spcifique de

    Discours Direct dcrit ici-mme par J. Authier-Revuz & J. Lefebvre, on

    trouve des noncs qui font apparatre du DD ordinaire :

    (3-1) + il ny a pas des + phnomnes dont on dirait ++ cela

    nappartient pas au domaine linguistique ++

    (3-2) / il ny a pas+ + mettre en cause cette transformation +

    je veux dire dire a nest pas vrai a nest pas a qui sest

    produit

    Ce DD est situ dans la virtualit travers lemploi du conditionnel

    (3-1) et de linfinitif (3-2), lensemble tant situ dans des structures

    ngatives. Contrastivement lensemble du discours, donn comme le

    reflet dun oral qui a effectivement t tenu, les noncs ponctuels en

    DD sont des segments autonymes dont la ralit est au contraire

    virtualise et mme nie. La troisime occurrence de DD prsente dans

    la transcription littrale est une interrogation mtalangagire:

    (3-3) alors il y a + un envers de la mdaille+ euh est-ce quon

    dit un envers ou un avers euh+ bon+ euh+ on changera

    Labsence de guillemets dans ce texte qui nest pas destin tre

    communiqu n'enlve pas le caractre autonyme des noncs

    reprsents, qui se trouve dailleurs marqu, pour deux dentre eux, par

    la transcription T1: pour (3-1), la transcription T1 insre un double point

    qui constitue une partie de la ponctuation de discours direct attendue et

    pour (3-3), la suppression des dterminants est un marqueur de lemploi

  • Revista Investigaes Vol. 28, n Especial, Dezembro/2015

    20

    autonyme des deux noms22:

    (3-1 T1) il ny a pas des phnomnes dont on dirait: ceci

    nappartient pas au domaine linguistique.

    (3.3 T1) on dit envers ou avers? on changera23

    Le DD prsent en (3-2) est, quant lui effac dans la transcription

    T1, qui a donc tranch , partir de loral, soit en indiant fortement

    lautonymie, soit en supprimant le segment en DD. Loccurrence (3-3)

    disparatra en T4, lorsque surgira la formulation adquate: ni avers, ni

    envers, mais revers de la mdaille. Lautonymie de (3-3) disparat donc en

    T4, avec la formulation il y a un revers de la mdaille, que Culioli

    transformera, en T5, en considrons le revers de la mdaille. Seul lnonc

    (3-1) subsistera, jusqu ltat final, dans la formulation de T1 que Culioli

    ne souhaitera pas retoucher.

    3.1.2 Au centre et aux entours du Discours Indirect

    Jacqueline Authier-Revuz (1993) a caractris le discours rapport

    comme prsentant au minimum un trait smantique de dire et une

    information sur llment contenu dans le message dont est rapporte

    lnonciation. Elle en dduit une bordure interne du DR: lnonc ils

    ont parl de thtre relve du DR, tandis que ils ont parl pendant

    une heure nen relve pas, du fait que lon ne sait rien, ici, du contenu

    des changes. Sur cette base, nous considrerons comme prototypique

    22 Cf. Benetti, 2008 ou plus rapidement Riegel et al., p.164. 23 Ltat du texte en (3-3 T1) est rvlateur dun tat intermdiaire: le transcripteur a beaucoup supprim de loral, mais justement les lments conservs sont les lments en DD. Au moment de la transcription T1, il ne conserve pas lpaisseur du phras oral, lensemble des hsitations et ponctuants oraux, mais au contraire limine spontanment ce qui ne ressortit pas linterrogation principale: la forme phonique dun mot. Cest un vritable choix du scripteur que de pousser les segment envers et avers vers lautonymie.

  • Claire Doquet

    21

    du DI les noncs suivant:

    3-4 on dit trs souvent que cest une raction indigne

    3-5 on veut++ disqualifier cet autre sujet pour ce quil a dit

    votre propos

    o les segments souligns, jugements de paraphrase (Authier-Revuz,

    2001) par rapport ce qui est reprsent comme ayant t dit, indiquent

    plus directement en (3-4) quen (3-5) la teneur des propos reprsents.

    De la mme manire, lexemple (2-2) o cela renvoie anaphoriquement

    un extrait du discours prcdent relve pleinement du DI.

    Nous suivons galement Authier-Revuz pour inclure dans le DI ce

    que Genette, par exemple, a appel le Discours Narrativis:

    3-6 larticle que javais crit sur la formalisation en linguistique

    + et qui euh + tait beaucoup + trop + dcal + par rapport aux

    recherches de lpoque + pour: tre euh + peru

    Ces trois noncs en DI ne sont pas supprims dans la

    transcription T1, mais le transcripteur va faire d'un segment de (3-4),

    l'adjectif indigne, un lot textuel:

    3-4 T1 on dit trs souvent que cest une raction indigne

    Le DI, loin de disparatre, se complexifie donc en laissant

    apparatre le versant autonyme de l'nonc. On peut en conclure que les

    DI ne sont pas sentis par le transcripteur comme ne pouvant pas, a

    priori, figurer dans un crit, d'autant qu'ils demeureront inchangs

    jusqu la version publie. On aperoit ici, malgr le caractre

    quantativement trs restreint des observations, un trait possiblement

    contrastif entre DI et DD: seul un nonc en DD sur les trois recenss

    dans la transcription T0 est conserv jusqu' l'tat final du texte, tandis

  • Revista Investigaes Vol. 28, n Especial, Dezembro/2015

    22

    que tous les noncs en DI demeurent inchangs de T0 T4. Il faudrait

    tenter, en examinant une portion plus large de l'entretien, de confirmer

    ce constat et d'expliquer cette diffrence. Intuitivement, on peut avancer

    que, le DD l'oral reposant sur l'intonation, il est sans doute plus

    difficile conserver lors des multiples rcritures que le DI qui repose

    sur la syntaxe. Une deuxime raison pourrait tre que, l'entretien

    relevant lui-mme intgralement d'une forme spcifique de DD,

    l'intgration d'un autre DD est moins facile que celle d'un DI.

    3.1.3 Modalisations autonymiques d'emprunt

    On repre dans cet extrait de la transcription de loral la prsence

    de deux modalisations autonymiques:

    3-10 sous leffet en mme temps de ce quon a appel les tudes

    sur la cognition

    3-11 une attitude qui est fonde sur + ce que jai appel euh

    lajustement+

    La modalisation autonymique, qui marque ici lemprunt, est

    assure par le verbe de parole appeler, dont le sujet est (3-10) une entit

    humaine non dfinie, soit le locuteur dans un temps T-1. On pourrait

    ajouter ce relev lexemple (3-6) tudi supra: la formalisation en

    linguistique tant prcisment le titre de larticle dont parle le

    locuteur, il pourrait figurer entre guillemets et ressortir pleinement la

    modalit autonymique; on serait alors dans un cas similaire (3-11). Ces

    modalisations, figurant galement en T1, ne semblent pas heurter

    spontanment la langue crite et vont subsister jusqu la version finale.

  • Claire Doquet

    23

    4 L'ARD: le cadre auto-reprsentatif dun discours qui reprsente

    sa profration

    LAuto-Reprsentation du Dire apparat comme un trait

    caractristique de notre corpus, au moins en ce qui concerne la

    transcription T0. En effet, l'ARD englobe le discours, qui commence par

    un segment d'ARD (segment soulign):

    (4-1) il faut dire dj no:s + nos lecteurs qui nous ont

    accompagns dans les + pages prcdentes que ben pour + de

    nombreuses raisons + notamment le le besoin de se donner du

    recul/ par rapport ce quon sest dit on se revoit l 3 ans aprs

    + euh les pages qui prcdent

    Cet nonc est le premier de linterviewer, il ouvre la rencontre. A

    son tour, cest sous lgide du dire que Culioli va introduire sa premire

    rponse:

    (4-2) on pourrait + dire + deux choses + en: schmatisan:t +

    de faon peut-tre assez grossire

    Ces deux manires dintroduire un discours mettent en avant le

    fait quil est prcisment en train de snoncer, tout en marquant un

    lger dcalage temporel et aspectuel et en dsancrant le propos de sa

    situation dnonciation: il faut dire et on pourrait dire , ce nest

    pas je dis . Avec il impersonnel comme avec on, la parole, tout en

    saffirmant, dit son caractre dcal, qui peut constituer la fois une

    modalisation du discours et un indice du fait que les deux protagonistes

    savent que leur dialogue est un pr-texte, au sens o il va tre rcrit

    pour entrer dans un cadre nonciatif reprsent qui viendra se substituer

    lnonciation relle.

  • Revista Investigaes Vol. 28, n Especial, Dezembro/2015

    24

    4.1 L'ARD rection de la phrase:

    Dans les deux exemples prcdents, le segment d'ARD contient le

    verbe principal de la phrase, suivi d'un simple complment GN ou d'une

    compltive. C'est le cas galement dans:

    (4-3) il ny a pas+ + mettre en cause cette transformation + je

    veux dire dire a nest pas vrai a nest pas a qui sest produit

    (4-4) je nsuis pas en train dopposer moi-mme qui serait une

    sorte de+ dexemple de vertu+ et defficacit dautres mais

    enfin+ on le constate+

    (4-5) je dois dire que lorsque moi-mme je reprends+ dans

    certains cas les explications que jai pu donner je maperois

    que+ ce travail+ est un travail+ qui est+ sans arrt remettre

    sur le mtier

    (4-6) on peut considrer + que + non seulement + notre

    attitude l gard des observations a chang + [mais=en mme

    temps il y a eu une extension du champ des observations] ++

    Mis part opposer en (4-4), dont linscription dans une structure

    ngative ne supprime pas le caractre dauto-reprsentation du dire,

    toutes ces occurrences comportent le verbe dire, signalant donc

    simplement le fait quun locuteur est en train de parler. Dans tous nos

    exemples, dire est linfinitif et employ dans une structure verbe

    modal. Au contraire dARD qui raffirment clairement le dire et du

    mme coup, le dit les noncs relevs, tout en nonant lnonciation,

    Lexemple (4-6), que le verbe recteur, considrer, situe aux limites de

    lARD, participe de cette expression de la modalit pistmique,

    renforce par lauxiliaire modal.

  • Claire Doquet

    25

    4.2 L'ARD Modalisation Autonymique:

    En revanche, dans les quatre autres exemples, le segment d'ARD

    est une modalisation syntaxiquement accessoire et situe au cur de la

    phrase, dans laquelle elle cre comme une suspension:

    (4-7) donc pour dire les choses plus simplement + nous

    sommes passs l aussi et dune faon trs nette

    (4-8) chez moi je dois le dire hein la recherche dune

    mtalangue qui soit rigoureuse et en mme temps assez souple

    XX??ce qui rend le tout assez??XX difficile euh est quasiment

    obsessionnelle

    (4-9) le mouvement + qui euh + stait amorc + si je peux le

    dire euh sans prtention ds + en, particulier larticle que

    javais crit sur la formalisation en linguistique

    (4-10) on dit trs souvent que cest une raction indigne+ et

    problme tout bte+ nest-ce pas? euh dabord quest-ce que

    cest une raction un texte un nonc un moment donn

    qui est profr par autrui+

    Alors que les six segments relevs supra s'noncent au plan du

    contenu, les quatre derniers, en suspension au sein des phrases qui les

    accueillent, affectent leurs entours d'une modalit autonymique, qui ne

    peut tre classe comme RDA car il ne s'agit pas d'une modalisation

    autonymique d'emprunt et qui illustre le fait que la modalisation

    autonymique est partie prenante de l'ARD. Nos noncs marquent ici la

    non-concidence interlocutive. On peut mme parler ici dune certaine

    rticence dire, que renforcent les nombreuses pauses lintrieur

    mme des groupes syntaxiques. De la mme manire, lexemple (4-10)

    correspond une nonciation hache qui marque un discours nallant

    pas de soi. Cet exemple, qui contient la fois (1) une boucle mta-

  • Revista Investigaes Vol. 28, n Especial, Dezembro/2015

    26

    nonciative avec terme catgorisant (problme tout bte) et un oprateur

    phatique (nest-ce pas?) dont lassemblage forme un nonc non intgr

    syntaxiquement au reste de la phrase, (2) une reprise/reformulation de

    termes ( un texte / un nonc) et (3) un marqueur oral dhsitation,

    cumule les indices dune coute attentive de son propre discours par le

    locuteur, qui sans cesse le met distance et le module, le segment mta-

    nonciatif attestant de cette activit mta-discursive constante.

    4.3 Devenir des segments d'ARD:

    Sauf (4-4), qui n'a pas t consign au moment de la transcription

    initiale, tous les segments dARD sont reprables dans T1. Leur sort est

    ensuite trs variable:

    Deux noncs, (4-7) et (4-10), vont subsister jusqu' l'tat final du

    texte, bien que (4-10) soit largement retravaill pour devenir:

    (4-10 T5) Et on dit trs souvent que cest une raction

    indigne . Problme: est-ce que nous pouvons introduire le

    terme indignation []?

    L'criture, sans supprimer la modalit autonymique, en a t la

    dimension phatique qui introduisait un dcalage nonciatif

    supplmentaire, permettant au mot problme de se poser pour le lecteur

    et non plus seulement pour l'interlocuteur empirique de l'change oral.

    Trois noncs (4-4, 4-5 et 4-8) disparaissent entre T1 et T2, en mme

    temps que les empans de texte plus larges dont ils font partie. S'ils sont

    supprims, ce n'est donc pas forcment pour eux-mmes mais en tant

    qu'ils sont pris dans un segment textuel jug supprimable.

    Les quatre noncs restants vont tre supprims galement, mais

    cette fois-ci le scripteur maintient leur environnement proche pour ne

  • Claire Doquet

    27

    supprimer que les segments d'ARD. (4-6) et (4-9) disparaissent entre T1

    et T2, (4-1) et (4-2) entre T2 et T3. Les noncs deviennent:

    4-1 T3: Pour diffrentes raisons, notamment le besoin de

    prendre du recul, nous nous revoyons trois ans aprs les pages

    qui prcdent.

    4-8 T2: dun ct le mouvement amorc depuis larticle que

    javais crit sur la formalisation en linguistique acquiert de plus

    en plus de force

    4-6 T4: Ensuite, non seulement notre attitude lgard des

    observations a chang, mais il y a eu une extension du champ

    de ces observations.

    Dans ces trois noncs, le scripteur a supprim le segment d'ARD,

    ce qui a pour effet, en (4-1) et (4-6), de simplifier la phrase, qui n'est plus

    dpendante de la construction factitive il faut dire , en (4-6), de

    linariser le propos, que suspendait la modalisation si je puis le dire sans

    prtention, et d'en gommer l'opacit. En (4-2), sachant que cet exemple

    constituait les premiers mots d'une des rponses de Culioli, la

    suppression du segment d'ARD permet de figurer plus nettement un

    change, puisque l'nonc, averbal, ne tient que comme une rponse la

    question qui le prcde: que souhaitez-vous ajouter aujourdhui?

    4-2 T3: Deux choses, en schmatisant de faon assez grossire.

    De la mme manire que le rappel par l 'interviewer du pass de

    l'entretien, dont nous avons cit un exemple au dbut de cet article et qui

    permet de simuler a posteriori une continuit temporelle, cette mise en

    scne de l'change spontan le naturalise et le fait apparatre comme une

    conversation btons rompus, dont la transcription T0 montre qu'il en

    est assez eloign.

  • Revista Investigaes Vol. 28, n Especial, Dezembro/2015

    28

    Le bilan quantitatif du devenir des segments d'ARD aboutit donc

    la suppression de 80% d'entre eux, la majorit tant supprime pendant

    les phases de rcriture par l'interviewer (seulement 1 segment supprim

    spontanment en T1, aucun supprim par Culioli). L'ARD semble

    donc constituer un trait de l'oralit que l'criture va massivement

    gommer, et pour autant elle n'est pas sentie, dans l'immdiatet de la

    transcription initiale, comme accessoire ou ne devant en aucun cas

    demeurer. Il est galement intressant de constater que dans les

    modifications visant des segments qui comportent de l'ARD, c'est l'ARD

    elle-mme, et l'ARD seule, qui est l'objet des suppressions dans la moiti

    des cas. Probable cheville de l'nonciation orale, dont nous avons vu

    qu'elle introduisait chacune des premires prises de parole des deux

    interlocuteurs, l'ARD ne rsiste que rarement aux diverses rcritures

    qui tendent reconstruire une cohrence discursive o ces marques du

    in vivo de l'nonciation, dont l'interviewer s'tait pourtant donn pour

    but de rester proche, paraissent constituer des obstacles au lissage du

    discours oral mis l'crit.

    5 Cest--dire : oprateur smantique ou nonciatif?

    L'ARD se manifeste, de manire topique, par des noncs tels que

    ceux tudis supra. A ces noncs, trs nombreux (10 occurrences pour

    10' d'entretien) et massivement construits autour du verbe dire,

    s'ajoutent dans la seule transcription T0 8 occurrences du mot cest--

    dire. Le plus souvent traite comme un oprateur de reformulation

    paraphrastique (Flottum, 1994) introduisant une quivalence

  • Claire Doquet

    29

    smantique, la locution fonctionne parfois comme une cheville entre

    deux segments du discours, le segment droite venant illustrer celui de

    gauche. Elle peut galement, dans notre corpus, tre vue comme une

    cheville valeur mta-nonciative, qui la ferait entrer parmi les

    oprateurs de l'ARD.24

    Voici les occurrences de cest--dire locution:

    (5-1) larticle que javais crit sur la formalisation en

    linguistique + et qui euh + tait beaucoup + trop + dcal + par

    rapport aux recherches de lpoque + pour: tre euh + peru +

    que depuis ce moment-l euh ce que en un sens je pressentais

    + cest--dire + une critique du structuralisme +++ pour des

    raisons trs prcises euh

    (5-2) ne plus faire les distinctions + qui taient opres +

    entre dun ct le syntaxique le smantique le pragmatique

    euh+ et le prosodique dailleurs aussi + cest--dire davoir une

    conception qui est une conception plus + globalisante + mme

    si le terme est un peu dangereux + des phnomnes

    linguistiques + cest--dire que notre conception des

    observables, de ce point vue-l+ a chang ++ me semble-t-il

    bon

    (5-3) tout en prenant=en compte aussi des problmes

    concernant ce quest + la construction de valeurs rfrentielles

    cest--dire tout le problmes en fin de compte des attitudes

    que nous avons lors dun change verbal +

    (5-4) ce que jai appel lajustement+ qui ne veut pas dire

    naturellement euh lajustement+ au sens de cest de + cest trs

    trs ajust+ nest-ce pas? mais cest dire des ttonnements,

    24 J. Authier-Revuz a tudi, dans son article de 1987, le rle de c'est--dire et elle voque une quivalence pragmatique mais pas synonymique. C'est--dire serait un oprateur de relance qui implique une continuit entre segments gauche et droit. Nous faisons l'hypothse, taye par le corpus disponible, qu lcrit, on ne garderait que les occurrence o c'est--dire est de nature paraphrastique.

  • Revista Investigaes Vol. 28, n Especial, Dezembro/2015

    30

    des incertitudes+ en fin de compte une conception beaucoup

    plus++ difficile apprhender

    (5-5) une illusion qui est de confondre une glose+ cest--dire

    le terme+ que nous apprhendons dans la signification de

    faon intuitive rapide et dun autre ct une mtalangue [qui

    doit avoir des proprits dobjectivit] qui est autre chose que

    la glose

    Lquivalence smantique, saillante dans la manire dont les

    premiers travaux sur les marqueurs de reformulation

    paraphrastiques ont abord cest--dire (Glich & Kotschi 1983), est bien

    prsente en (5-2) pour la premire occurrence de cest--dire qui fait le

    lien entre deux groupes infinitifs; elle est galement prdominante en (5-

    3), (5-4) et (5-5), o la locution cest--dire met en relation deux GN dont

    le second est une paraphrase smantique le premier.

    En (5-1), cest--dire met en relation deux GN tendus: larticle que

    javais crit sur la formalisation en linguistique et une critique du

    structuralisme. La structure de lnonc opacifie un peu cette

    construction, qui repose non sur une quivalence smantique stricte

    mais sur un dcalage entre le segment gauche, renvoyant un objet crit,

    et le segment droit, renvoyant son contenu. Il sagit donc plutt dune

    identification rfrentielle par mtonymie fonde sur la syntaxe en

    discours, non sur les proprits de la langue. De la mme manire, il ny

    a pas dquivalence smantique entre les segments lis par le second

    cest--dire de (5-2) qui met en relation un fait et sa consquence: dans

    ce cas-l galement, la glose par un oprateur mta-nonciatif du type ce

    qui revient dire est la plus adapte.25

    25 A partir d'un corpus provenant de dbats parlementaires, Agns Steuckardt (2007) a montr que le

  • Claire Doquet

    31

    On trouve aussi, deux reprise, cest--dire employ avec que, donc

    comme conjonction:

    (5-6) tout cela euh sest + confirm + cest--dire que ++ sauf +

    lorsqueuh il sagit ++ de linguistique descriptive + une langue

    qui na jamais t dcrite etc. et o il y a notre disposition un

    certain nombre + dinstruments + qui sont + ns du

    structuralisme et qui sont de trs bons instruments + sauf

    pour cela + on a lheure actuelle une volution qui sest

    confirme +

    (5-7) notre attitude l gard des observations a chang +

    mais=en mme temps il y a eu une extension du champ des

    observations ++ et ceci est extrmement=important cest--

    dire que + nos observations ne sont plus des observations

    compartimentes

    Dans ces exemples, cest--dire nest pas un marqueur de

    paraphrase; la conjonction introduit entre les segments gauche et droit

    non un rapport dquivalence, mais un rapport dexplicitation,

    dillustration du segment gauche par le segment droit. Dans leur

    typologie de reformulations, Martinot & Romero (2009/2010) classent

    cest--dire que comme un introducteur, par opposition aux

    synthtiseurs que seraient en fait ou des substantifs de synthse sans

    dterminant . Cette interprtation, qui parat aller de soi pour (5-6),

    est plus discutable pour (5-7) o la valeur synthtisante est bien prsente

    dans le segment droit. Quoi quil en soit, lintrt de ce type de

    prsentation est de mettre en vidence que la conjonction cest--dire

    que ne relie pas, comme la locution cest--dire, deux segments de mme

    jeu des reformulations se situe dans la relation entre les noncs plus que dans linstruction que le connecteur pourrait donner cette relation. En particulier, les connecteurs cest--dire et autrement dit, introduisent rgulirement de fausses paraphrases.

  • Revista Investigaes Vol. 28, n Especial, Dezembro/2015

    32

    niveau mais que le segment droit est une explicitation du segment

    gauche. Alors que lon pourrait parfaitement inverser les segments en (5-

    5), ce nest pas possible en (5-6) et beaucoup moins facile en (5-7):

    (5-5b) une illusion qui est de confondre le terme+ que nous

    apprhendons dans la signification de faon intuitive rapide+

    cest--dire une glose+ et dun autre ct une mtalangue [qui

    doit avoir des proprits dobjectivit] qui est autre chose que

    la glose

    *(5-6 b) ++ sauf + lorsqueuh il sagit ++ de linguistique

    descriptive + une langue qui na jamais t dcrite etc. et o il y

    a notre disposition un certain nombre + dinstruments + qui

    sont + ns du structuralisme et qui sont de trs bons

    instruments + sauf pour cela + on a lheure actuelle une

    volution qui sest confirme + cest--dire que tout cela euh

    sest + confirm +

    *? (5-7 b notre attitude l gard des observations a chang +

    mais=en mme temps il y a eu une extension du champ des

    observations ++ et ceci est extrmement=important ) cest--

    dire que + nos observations ne sont plus des observations

    compartimentes

    La conjonction cest--dire que fonctionne, dans ces exemples,

    comme un instrument de bouclage mta-nonciatif qui provoque un

    retour (non opacifiant) sur le segment gauche et qui est suivi dune glose

    explicative. On pourrait, dans les deux cas, gloser cest--dire que par ce

    qui revient dire que, o la valeur mta-nonciative est plus vidente du

    fait du caractre moins fig de lexpression. Ce constat fait, on peut

    revenir sur les occurrences de la locution cest--dire pour se demander

    si elle na pas, galement, une valeur mta-nonciative, dont

    tmoignerait la glose ce qui revient dire, ou ses quivalents que lon

  • Claire Doquet

    33

    pourrait gloser par / reformuler en, etc. Plus prcisment, voyons si lon

    pourrait remplacer cest--dire par ce qui revient dire, et pas par ce qui

    est quivalent , ou ce qui a le sens de, qui signifieraient une stricte

    relation smantique sans intervention du niveau mta-nonciatif.

    Observons dabord les exemples o cest--dire relie deux lments

    smantiquement quivalents. En (5-4) et (5-5), il parat aussi ais de

    remplacer cest--dire par qui a le sens de que par que lon pourrait gloser

    par. Cest peut-tre li, pour (5-4), au qui ne veut pas dire prcdent,

    paraphrasable par qui signifie, et qui situe la comparaison au plan de

    lquivalence smiotique. En (5-2) et (5-3) en revanche, la glose ce qui

    revient dire est plus adapte que ce qui signifie, surtout pour (5-3) o

    cest--dire a une valeur rcapitulative que prendrait par exemple un

    reformulateur tel que pour le dire autrement; laffinit de (5-2) avec la

    strate mta est atteste par ailleurs par la prsence de mtalangage: le

    terme est une boucle mta-nonciative opacifiante qui prcde de peu

    cest--dire et invite en donner une interprtation mtalinguistique.

    En (5-1), la valeur mta-nonciative apparat clairement: une glose

    smiotique ne conviendrait pas pour remplacer cest--dire, alors quune

    glose mta-nonciative aurait tout fait sa place:

    larticle [...] sur la formalisation en linguistique, cest--dire

    une critique du structuralisme

    ce qui revient dire que lon pourrait qualifier de

    *ce qui signifie

    *qui a le sens de

    Cest--dire aurait donc une valeur mta-nonciative qui

    apparaitrait plus nettement dans un contexte de non quivalence

  • Revista Investigaes Vol. 28, n Especial, Dezembro/2015

    34

    smantique entre les deux segments relis par la locution. Cette dernire

    outrepasse donc, dans une part ici non ngligeable de ses emplois, son

    statut de marqueurs de reformulation paraphrastiques largement

    tudi par ailleurs. Faut-il pour autant linclure parmi les marqueurs de

    lARD? Cela semble difficile de prime abord, du fait de la porte

    temporelle de cest--dire. Mme si, dans un certain nombre de

    contextes, cest--dire signifie je dis autrement, dans linstantanit de

    mon nonciation, on entend galement une valeur gnralisante.

    Toutefois, en y regardant mieux, on saperoit que la valeur gnralisante

    de cest--dire est le plus souvent associe sa valeur paraphrastique

    tandis que cest--dire mta-nonciatif porte sur linstant de

    lnonciation: la mise en relation de deux signes de la langue est

    temporellement non borne; lnonciation de soi comme nonciateur,

    en revanche, na cours que dans linstant nonciatif lui-mme. Ce cest--

    dire l pourrait donc figurer parmi les outils privilgis de lAuto-

    Reprsentation du Dire.

    Parmi les 8 occurrences de cest--dire (que) releves en T0, une

    seule, celle de lexemple (5-6), va demeurer jusquen T4. Cest--dire de

    (5-3) et cest--dire que de (5-7) nont pas t transcrits en T1; ils ont donc

    t sentis spontanment comme ne devant pas figurer dans lcrit et font

    place des virgules, les deux noncs devenant:

    (5-3 T1) tout en tenant compte aussi des problmes concernant

    ce quest la construction des valeurs rfrentielles, tout le

    problme en fin de compte des attitudes que nous avons lors

    dun change verbal

    ( 5-7 T1) Et ceci est extrmement important, nos observation

    ne sont plus compartimentes

  • Claire Doquet

    35

    Ce sont les deux seules occurrences de suppression de la

    locution/conjonction seule, puisque les autres cest--dire, quand ils sont

    supprims, le sont en mme temps que le paragraphe qui les inclut

    (lensemble du paragraphe disparat en T2 pour (5-4) et T3 pour (5-2) et

    (5-5); (5-1) est compltement reformul et cest--dire disparat lors de

    cette reformulation gnrale en T2).

    Les critres selon lesquels nous avons examin les occurrences de

    cest--dire ne permettent pas dexpliquer la raison pour laquelle la

    locution /conjonction a t conserve en (5-6), ni pourquoi elle disparat

    en (5-3) et (5-7). Les deux passages, visibles en (5-3 T1) et ( 5-7 T1), dune

    locution une ponctuation pausale qui est un signe spcifiquement

    crit, illustrent le fait que la premire consignation crite du discours

    oral constitue le point de dpart dun passage lcrit et quau moment

    mme o il coute lentretien, le transcripteur sinscrit dj dans cette

    perspective dcriture. Ce mouvement gnral se trouve confirm par

    une srie de faits nonciatifs qui affectent en particulier la catgorisation

    des discours et que nous allons examiner maintenant.

    6 Aux limites du Discours Rapport: flottements de la rfrence et

    de la temporalit

    Outre les cas de RDA et d'ARD avrs, on repre dans l'entretien

    nombre de dsignateurs de l'nonciation elle-mme ou du discours en

    train de se tenir, dont l'tude rvle dilatation du temps de l'nonciation

    crite et la varit des faons dont les interlocuteurs investissent cette

    temporalit stratifie.

  • Revista Investigaes Vol. 28, n Especial, Dezembro/2015

    36

    6.1 Catgorisation du discours par les verbes de parole:

    Suivant le principe selon lequel le DR doit donner a minima une

    information sur le contenu du discours reprsent, nous nsconsidrons

    pas comme DI les segments suivants:

    6-1 rebonjour puisque que lon vient dj de se parler

    6-2 pour + de nombreuses raisons + notamment le le besoin de

    se donner du recul/ par rapport ce quon sest dit on se revoit

    l 3 ans aprs + euh les pages qui prcdent

    6-3 quest-ce que vous souhaitez / vous aujourdhui ajouter /

    que vous navez pas pu dire ou commenter par rapport ce que

    vous nous racontez + donc + dans les pages qui prcdent

    En (6-1) et (6-2), les verbes portent bien un trait smantique de

    dire mais rien nindique le contenu des discours, qui de ce fait ne

    peuvent tre considrs comme reprsents. En revanche, dans la partie

    souligne de (6-3), on identifie de manire indirecte les contenus grce

    la spcification locative dans les pages qui prcdent.26 Cette localisation

    intresse lanalyse car elle indique que linterviewer, sil parle et sattend

    ce que linterview lui rponde oralement, est dj pleinement inscrit

    dans la mise lcrit des noncs: il situe spatialement comme lcrit

    le discours reprsent alors que dans un change oral sans finalit

    crite, un reprage temporel, chronologique, du type de ce que vous

    nous avez racont lors de nos prcdents entretiens, serait attendu.

    Prononce oralement, en face face, la spcification dans les pages qui

    26 Ce constat doit-il nous conduire considrer comme du DI l'exemple (6-3) ? D'un point de vue formel, la rponse est ngative. Si l'on identifie le contenu ou tout au moins le thme de ce pseudo-DI, c'est par le biais d'une infrence thmatique. Nous voil confronts ici une difficult de classement: il est trs frquent de voir, dans la presse par exemple, des DA identifis par leur origine spatio-temporelle (ex: le discours de Dakar de N. Sarkozy, cf Wikipedia https://fr.wikipedia.org/wiki/Discours_de_Dakar) plutt que par leur contenu. La question serait donc, nous semble-t-il, creuser.

  • Claire Doquet

    37

    prcdent manifeste lintrication, dans cette interview, de loral et de

    lcrit, le fait que loral est l pour fournir une matire (r)crire et que,

    dans linstantanit de la profration, linterviewer sinscrit

    simultanment en rfrence trois temporalits: le moment prsent -

    de lnonciation, le moment pass - o ont t tenus les entretiens

    prcdents et le moment - venir o il crira linterview et o la

    rfrenciation spatiale ira de soi. Il est notable que lnonciation du GN

    les pages qui prcdent, prsent en (6-2) et en (6-3), soit

    systmatiquement prcde dune pause, assortie dune ponctuation de

    discours marquant en (6-2) lhsitation (euh) en en 6-3 la reprise (donc).

    Ces lments ont une fonction de mise en suspens de ce qui suit; sil est

    difficile, en labsence dindications prcises, de parler de modalisation, le

    fonctionnement discursif est trs proche: un nonc mis en suspens par

    un segment syntaxiquement accessoire et qui apporte, mme si ce nest

    pas univoque, un sme dhsitation et de rserve que remplirait

    galement un modalisateur tel que si jose dire.

    En labsence dinformations sur le contenu du discours

    reprsenter, le choix des verbes se parler, se dire, ajouter, dire,

    commenter, raconter - catgorise les actes de parole ( 6-1 6-3). Au

    contraire des DI recenss prcdemment, ces noncs vont subir des

    modifications importantes ds la transcription T1, o ne figurent pas

    lexemple (6-1) et o (6-2) et (6-3) sont devenus:

    6-2 T1 pour de nombreuses raisons, le besoin de se donner du

    recul, on se revoit trois ans aprs les pages qui prcdent.

    6-3 T1 quest ce que vous souhaitez vous ajouter que vous

    navez pas pu dire ou commenter ce que vous nous avez

    racont dans les pages prcdentes?

  • Revista Investigaes Vol. 28, n Especial, Dezembro/2015

    38

    Le segment de RDA par rapport ce qu'on s'est dit ne figure pas en

    (6-2 T1), non plus que le dictique aujourdhui en (6-3 T1), tandis que

    racontez est formul avez racont. Ds la transcription initiale donc,

    linterviewer a omis certains segments de loral et en a transform

    dautres, qui accrochaient le discours son nonciation (aujourdhui) ou

    le situaient dans une temporalit non borne (valeur tendue du prsent

    racontez). Cette transcription premire sinscrit dans lcriture future, o

    le reprage dictique semble samoindrir.

    6.2 Dplacement des repres dictiques de l'nonciation orale

    l'nonciation crite:

    Les lments de dsignation dun discours tenu recenss dans le

    corpus, sont les suivants:

    (6-4) bon a cest un point +

    (6-5) je suis peut-tre euh un petit peu optimiste en disant cela

    il y a encore des secteurs + o euh on nopre pas cette

    transformation +

    (6-6) + il ny a pas des + phnomnes dont on dirait ++ cela

    nappartient pas au domaine linguistique ++

    En (6-6), cela est dictique, dans lnonciation seconde du DD.

    En (6-4) et (6-5), a et cela, bien quallomorphes du mme pronom

    dmonstratif, nont exactement ni la mme valeur, ni le mme effet

    contextuel. En (6-5), cela joue le rle bien connu de pronom de reprise,

    avec une valeur rsomptive (le pronom reprend au moins une quinzaine

    de lignes). Il sagit dun emploi relevant de la deixis du discours27, trs

    27 Avec le dictique de discours on ne rfre pas par une relation de corfrence une entit qui serait dj donne dans le discours, un personnage par exemple. On dsigne plutt le contenu discursif dun ensemble de propositions qui viennent dtre nonces, sans que ce contenu ait jamais

  • Claire Doquet

    39

    frquent pour les pronoms dmonstratifs (Himmelmann 1996, Guillot

    2006). En (2.2), a est galement un dictique de discours mais sa

    configuration smantique et nonciative est tout fait diffrente: alors

    que cela, en position de COD, est inclus dans une structure

    argumentative o il se contente de renvoyer un rfrent discursif, a

    sujet dtach, associ au ponctuant discursif bon, comporte un sme

    affrent monstratif et, de ce fait, une dimension dictique dans

    lacception courante du terme28. Il semble rfrer au discours tenu de

    deux manires: le sens de ce discours, quil construit en entit la

    manire de cela en (3), mais galement le matriau linguistique, le

    discours lui-mme, repris par cest un point au sens de cest une partie de

    mon argumentation. En ce sens, a a une valeur opacifiante, cr par la

    dimension autonymique du renvoi (a [= ces mots-l], cest un point).

    Lnonc nentre pas dans la configuration syntaxique de la modalisation

    autonymique, il nest dailleurs pas proprement parler un modalisateur;

    mais il a en commun avec la modalisation autonymique de renvoyer la

    fois aux signifis seuls et aux signes qui les portent. Est donc

    immdiatement mise en jeu lopposition entre des signes

    smiotiquement simples et des signes doubles , qui renvoient la fois

    un contenu extra-langagier et aux mots qui le portent.

    Dans les cas examins, le reprage dictique parat samoindrir

    mais plus qu une diminution relle de la deixis, il sagit de lamorce

    dun changement de repres, qui va se confirmer par la suite: on passe

    dun reprage partir de lnonciation effective (dictiques comme

    t dsign auparavant au moyen dune expression rfrentielle particulire. (Guillot, 2006: 57). C. Guillot ajoute que le dictique discursif permet dintroduire un nouveau rfrent dans le discours (ibid.). 28 Selon Benveniste, les dictiques dlimitent l'instance spatiale et temporelle coextensive et contemporaine de la prsente instance de discours contenant je . (Problmes de linguistique gnrale 1, p.253).

  • Revista Investigaes Vol. 28, n Especial, Dezembro/2015

    40

    aujourdhui ) un reprage partir de lnonciation venir, celle qui

    se produit au moment de la lecture individuelle de louvrage,

    nonciation dont les repres temporels sont ceux du moment de la

    lecture et les repres spatiaux, ceux du livre.29

    Comme l'a montr galement notre tude de c'est--dire, la

    transcription T1 semble se faire dans la gestion simultane de plusieurs

    temporalits: celle de lnonciation orale juste tenue, celle du geste de

    transcription immdiate, celle de lcriture future. Lomission immdiate

    dun terme prononc mais senti comme ne devant pas subsister rompt le

    pacte implicite habituel de la transcription: fournir un matriau qui va

    finalement constituer le matriau de base, puisquune fois la

    transcription effectue on ne revient plus loral do limportance

    dterminante de la transcription initiale. Elle rvle galement la force

    de la contrainte de production lcrit au travail, pour paraphraser une

    recherche anthropologique et linguistique mene sur la dernire

    dcennie - qui pousse le transcripteur, mu par lexigence dun rsultat,

    se dtourner lgrement, spontanment et peut-tre en partie

    inconsciemment, des pratiques en usage.

    29 Partant de lpisode du Quart-Livre de Rabelais o lon voit des paroles et des bruits, gels sous la banquise, se rchauffer et restituer le tumulte originel, D. Maingueneau indique que la lecture nest pas ce rchauffement qui permettrait de librer une parole qui aurait t gele dans le signes typographiques, de revenir lnergie dune nonciation originelle, authentique. Le lecteur construit des chemins toujours indits partir dun agencement dindices lacunaire; le texte ne permet pas daccder une voix premire, mais seulement une instance dnonciation qui est construite partir de ce texte. Maingueneau D., Manuel de linguistique pour le texte littraire, Armand Colin, 2010.

  • Claire Doquet

    41

    7 Conclusion

    Cette tude des diffrents tats de texte correspondant l'criture

    d'un entretien oral permet d'affirmer l'hypothse d'un traitement

    diffrentiel, au cours de la rcriture, des occurrences de RDA et d'ARD

    selon leurs types (DD, DI, modalisation autonymique). Il apparat de

    faon assez nette, bien que statistiquement non significative du fait du

    petit nombre d'occurrences traites, que le DD et le DI s'opposent du

    point de vue de leur devenir lors de la mise l'crit, le DI tant bien plus

    rsistant que le DD, aussi bien l'tape de la transcription initiale, o en

    l'occurrence le scripteur n'avait pas de projet construit d'exhaustivit,

    que plus tard, au gr des rcritures.

    Nous avons galement pu montrer que l'ARD ne rsistait pas au

    passage l'crit, puisque 80% des occurrences de l'oral disparaissent et

    que pour la moiti d'entre elles, cet effacement est cibl sur les segments

    d'ARD, le co-texte proche restant stable. Cette tude nous a galement

    conduits reconsidrer c'est--dire, gnralement trait comme un

    oprateur de paraphrase, pour en faire apparatre la valeur mta-

    nonciative. Le nombre d'occurrences de l'ARD et de c'est--dire dans

    ces 10 minutes d'entretien montre l'importance, pour nos locuteurs, de

    se dsigner comme tels et de parler de l'nonciation et du discours qu'ils

    sont en train de tenir. Nous aimerions vrifier cette rgularit sur un

    corpus largi, avec l'hypothse que l'ARD, ici accompagne de son

    indicateur c'est--dire, est une spcificit de l'oral qui fonctionne, selon

    toute vraisemblance, comme une routine introductive des noncs,

    occupant la place du prambule du paragraphe oral mis en vidence par

    Marie-Annick Morel:

    Les premiers lments du prambule ont, en fait, pour

  • Revista Investigaes Vol. 28, n Especial, Dezembro/2015

    42

    fonction de mettre en place progressivement un consensus co-nonciatif, un pralable commun ncessaire pour linterprtation de ce qui va suivre. Ils ont pour rle dexpliciter en premier larticulation ce qui vient dtre dit ( ligateur au sens de Bader 1986) ainsi que la position modale du parleur ( modus au sens de Bally 1932). (MOREL, 2006).

    Dans le cas de l'ARD, c'est prcisment la position modale du

    parleur qui est exprime, en particulier par la variation de je dois dire

    on pourrait dire, en passant par on peut considrer. De toute vidence,

    cette analyse l'a sans cesse montr, les deux interlocuteurs ont une

    tendance forte se reprsenter en train de parler, et aussi pour

    l'interview tout au moins reprsenter, dsigner ce qu'ils viennent

    de dire. Le discours boucle sur lui-mme sans cesser de progresser. Pour

    paraphraser Jacqueline Authier-Revuz faisant de ses objets de travail des

    rouages de l'nonciation ,30 on pourrait dire que le discours boucle sur

    lui-mme et s'appuie sur ce bouclage pour progresser.

    Le dernier enseignement de ce travail, et sans doute un des plus

    importants, est la stratification temporelle dans laquelle s'inscrit

    l'entretien oral ds lors qu'il est destin tre publi et les consquences

    de ce phnomne sur l'ensemble de l'criture et mme sur sa

    transcription initiale. Ds cette premire opration dbute en effet la

    mise l'crit, non rductible la graphie, marque par le dplacement

    des repres, temporels et dictiques, d'un ancrage dans la situation relle

    d'interlocution qui prside l'interview la figuration de cet ancrage,

    textuel cette fois, et permettant au lecteur, dans l'nonciation toujours

    nouvelle que constitue sa coopration interprtative (Eco, 1979) avec

    le texte, d'investir nonciativement l'entretien dont il devient le tmoin.

    30 ainsi le secteur spcifique de mta(pi)-linguistique inscrit dans une structure mta-nonciative doit-il tre saisi la fois en tant que discours spontan de reprsentation du langage, et en tant que rouage de lnonciation, et, plus prcisment, en tant que discours spontan comme rouage de lnonciation. (AUTHIER-REVUZ, 1995, p.21).

  • Claire Doquet

    43

    Rfrences

    AUTHIER-REVUZ, J. Lauto-reprsentation opacifiante du dire dans certaines formes de couplage. DRLAV 36-37, Universit Paris VIII, Saint-Denis, 1987.

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    Recebido em 10/12/2015. Aprovado em 20/12/2015.