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Désamorcer la radicalisation religieuse par l’éducation et la formation. Proposition de formations et de supports pédagogiques à des fins préventives à l’adresse des directeurs, enseignants, médiateurs et équipes mobiles Fédération Wallonie-Bruxelles. Pour le Ministère de l’Éducation, de la Culture et de l’Enfance. Dossier pédagogique: « L’Islam en Belgique et sur les bancs de l’école »

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Désamorcer la radicalisation religieuse par l’éducation et la formation.Proposition de formations et de supports pédagogiques à des fins préventives à l’adresse des directeurs, enseignants, médiateurs et équipes mobiles Fédération Wallonie-Bruxelles. Pour le Ministère de l’Éducation, de la Culture et de l’Enfance.

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• Islam belge : dynamiques et questionnements 4

• Être musulman belge: entre élaboration identitaire et devenir 23

• Je suis Charlie, un peu, beaucoup …. ou pas ? 31

• Les origines de l’humain et sa problématique actuelle dans l’enseignement 36

• Bibliographie sélective sur l’islam en Belgique 48

• Brève chronologie de l’islam 55

• La campagne pro-djihad : Un dispositif de propagande moderne et sophistiqué 57

• La lutte contre la radicalisation religieuse en Europe : un bref aperçu des moyens de prévention 58

• A propos d’emridNetwork 59

Sommaire

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Islam belge : dynamiques et questionnements

Ce dossier aborde des aspects liés aux dimensions religieuses, de croyances, des populations

musulmanes en Belgique.

Pour saisir comment les musulmans en Belgique ont vécu et, surtout, vivent aujourd’hui leurs rapports à la société belge, il importe de considérer leurs vécus subjectifs. Ceux-ci sont modelés par des attentes et des besoins, mais aussi des offres religieuses différenciées, sachant que le tout est aussi influencé par l’évolution de nombreuses données contextuelles, à la fois historiques, socio-économiques, politiques et démographiques. Toutefois, pour comprendre au mieux les transformations de ces modes de présence en Belgique, évolutives, et les enjeux y afférents, qui s’imposent progressivement, deux autres champs du social doivent être aussi présentés simultanément, en lien à leurs interactions réciproques. Nous pensons ici à l’élaboration de savoirs – très inégaux - sur cette présence et, parallèlement, voire en tension avec celui-ci, à la construction et au marquage des imaginaires.

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§ Musulmans de Belgique : une brève histoire du temps présent

La présence des musulmans en Belgique commence avant les années soixante. Ces

dernières sont habituellement reconnues comme décennie la plus significative, en lien à l’arrivée importante de musulmans. On note pourtant que, dès 1928, un rapport statistique du consul turc établi à Anvers recense un peu moins de six milles individus provenant du monde musulman : ils représentent moins d’un pourcent de la population totale du pays, alors estimée à moins de huit millions de personnes1. Au-delà de son caractère anecdotique, ce comptage pose des jalons tangibles pour une genèse de l’islam belge sachant qu’une présence musulmane est ensuite conjoncturellement signifiée lors de la guerre de 1940, liée au passage de troupes françaises issues des infanteries de colonies africaines. Cet investissement militaire fut totalement ignoré, voire oublié jusqu’il y a peu. Mais une œuvre de mémoire s’opère désormais, surtout depuis ces cinq dernières années, entre autres à partir du travail de certains acteurs associatifs, d’artistes, mais aussi par la volonté de personnalités politiques originairement issues des contextes maghrébo-africains. Outre le pèlerinage mémoriel, les commémorations de la Bataille de Gembloux constituent désormais aussi l’occasion de revendiquer un droit à la pension pour les rescapés de ces troupes française d’Outre-Mer et d’illustrer une facette identitaire afro-musulmane pétrie de liberté et de lutte contre le nazisme.

Ce moment reste encore peu connu en dehors des communautés arabo-musulmanes. Cette démarche significative est d’autant plus importante, au niveau symbolique, que les mémoires des relations entre musulmans et non musulmans se raccrochent sinon uniquement à des évènements certes marquants, mais très lointains, à l’instar des croisades franques, entre le 11ème et le 13ème siècle2 - où les papes chrétiens ont appelés à la guerre sainte contre les musulmans - ou encore, surtout du côté musulman, aux expériences douloureuses de la colonisation et des luttes pour les indépendances.3 Ces évènements constituent autant de signes de fragilisation et de dépeçage du monde musulman ces deux derniers siècles ; la Belgique y est plus ou moins indirectement associée en tant que puissance occidentale, par certains, bien qu’elle n’ait pas directement participé à de telles entreprises dans le monde musulman. 4

Au-delà de cette période peu connue du début du siècle, une présence plus significative de

personnes originaires de pays musulmans, en Belgique, commence aux lendemains de la seconde guerre mondiale. Elle se développe surtout à partir des années soixante. Ces personnes viennent

1 Traduction par Y. Michot, « Les Musulmans de Belgique en 1928 » in Le Conseil, n. 5, janv. 1996, p. 33. 2 La statue de Godefroid de Bouillon qui trône au centre de Bruxelles, sur la Place Royale, vient d’ailleurs rappeler, à tort, combien ce dernier fut nommé roi du Royaume de Jérusalem, au terme de la première croisade. 3 Pour un bref exposé sur l’historique des imaginaires entre musulmans et non musulmans, voir (El Asri, 2008). 4 A partir de l’expérience coloniale au Congo, une représentation négative des Arabes a toutefois été entretenue, en lien à des tensions (uniquement économiques ?) qui ont existé entre des officiels belges et des élites arabes qui faisaient du commerce d’esclaves dans l’Est du Congo où se trouvaient d’importantes mines. Si cette image a aujourd’hui été oubliée (ce qui montre aussi comment les imaginaires se font et se défont), l’argument de libérer les congolais de l’emprise de ces commerçants fut notamment utilisé à la fin du 19ème siècle pour justifier la colonisation. Pour une analyse des discours qui circulaient dans les livres d’école dans la première moitié du vingtième siècle, voir A. De Baets (1991) “Gedaantewisseling van een heldendicht: Congo in de Geschiedenisboeken” in J.P. Jacquemin (ed.) Racisme, donker continent: clichés, stereotiepen en fantasiebeelden over zwarten in het Koninkrijk België [Le racisme, un continent sombre: clichés, stéréotypes et fantasmes sur les noirs dans le royaume de Belgique], Bruxelles: NCOS, pp. 45-56, cité par : (Manço & Fadil in Nielsen et al, 2010).

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alors essentiellement par le canal des trajectoires migratoires de travail, qui sont établies à partir de la signature d’accords bilatéraux passés, de 1964 à 1970, entre la Belgique et les pays du Maghreb, mais également avec la Turquie. Cette première phase de présence est qualifiée de « présence silencieuse » par le Prof. F. Dassetto, même si elle est ensuite colorée par l’apparition et la visibilité progressive de tenues et d’enseignes, jugées exotiques, rappelant la provenance des pays d’origine. Cette période, marquée par les migrations essentiellement masculines et organisées de travail, s’étale jusqu’à l’année 1974. Elle se caractérise surtout par l’importance accordée, par ces travailleurs migrants - célibataires ou non -, au labeur à accomplir souvent à la chaîne (notamment dans les mines, les chaines de montages automobiles, la sidérurgie ou encore dans les grands chantiers d’infrastructures publiques), à la région et/ou nation d’origine et aux perspectives d’un retour ultérieur au pays où sont parfois restées leurs familles. A cette époque, le référentiel aux cultures ethno-linguistiques d’origine reste important alors que le religieux semble se limiter à l’observance de pratiques rituelles. Ce dernier commence toutefois à être approprié par la dispense d’enseignements traditionnels au sein de salles de prières pionnières. Reste que c’est avant tout la discrétion et l’invisibilité de l’islam qui caractérisent les premiers moments de cette présence, notamment car les personnes ne pensaient initialement pas s’installer de manière définitive : l’islam est alors vécu dans un esprit de départ certain, un islam « laissé dans les valises », et il n’existe pas de revendication religieuse spécifique laissant entrevoir des signes d’ancrages structurels, d’établissements définitifs. Une première salle de prière constituée en ASBL de mosquée est tout au plus enregistrée, dénommée « Communauté Islamique et Culturelle de Schaerbeek » (A.K. Cami) et si le Pavillon oriental du Parc du Cinquantenaire est offert lors de la visite du Roi Faysal d’Arabie Saoudite par le Roi Baudouin en 1967, il faut noter que cette initiative relève avant tout d’une démarche unilatérale de type diplomatique. De son côté, l’Arabie Saoudite inaugurait, cinq ans plus tôt, une organisation panislamique avec l’objectif de prêcher le message religieux de l’islam, la Ligue Islamique Mondiale. 5 Quoi qu’il en soit de ces initiatives politico-diplomatiques qui sont assez éloignées des préoccupations courantes des Belges, les personnes originaires de pays musulmans présentes en Belgique sont mentionnées en tant que « travailleurs étrangers » ; ils représentent une sorte de minorité externe temporaire venue contribuer à la reconstruction du pays, principalement dans le secteur primaire. Mais une ambiguïté demeure car si ces migrations résultent avant tout de préoccupations économiques, notifiées par le patronat, elles rencontrent aussi des préoccupations politiques d’ordre démographique. Parallèlement au rapport Sauvy qui, en 1962, promeut d’encourager des politiques démographiques de regroupements familiaux variés afin de conjurer le déclin de la Wallonie (Manço, n.d.), les travailleurs sont effet invités à venir s’installer de préférence avec leur famille (Attar, 1992 cité par Manço, non daté). C’est ainsi que l’historienne A. Morelli estime ainsi que la moitié des 100.000 Maghrébins qui viendront s’établir en Belgique entre 1961 et 1977 sont des femmes (Morelli, 1992 cité par Manço, non daté).

Dans le courant de ces années 1950 et 1960, l’intérêt académique pour les dimensions religieuses de ces travailleurs apparaît inexistant. La construction des savoirs sur l’islam (et non pas tant sur les musulmans eux-mêmes) relève avant tout de disciplines telles que l’orientalisme et l’islamologie, qui se focalisent avant tout sur l’Orient, géographiquement éloigné, notamment à partir de l’étude de la langue, de l’histoire et de textes anciens. Le vécu des travailleurs immigrés peu qualifiés en Europe ne suscite alors guère d’intérêt et, à fortiori non plus les dimensions religieuses

5 En mai 1968, un Arrêté Royal accorde la personnalité civile au Centre Islamique et Culturel de Belgique qui s’installe dans le Pavillon oriental. L’islam accède ainsi légitimement à un édifice symbolique important, au cœur du quartier européen.

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de ce vécu, d’autant plus que celles-ci sont vues comme conjoncturelles et ne sont même pas rendues médiatiquement visibles.

Dans le courant des années 1970, la présence des musulmans en Belgique reste peu

explorée mais elle émerge comme une réalité qui est amenée à s’ancrer dans le paysage : non seulement ces travailleurs migrants sont intégrés économiquement mais la religion musulmane et les musulmans sont peu à peu reconnus à plein titre dans le paysage institutionnel belge. L’islam devient une des religions officiellement reconnues par l’État Belge en 1974 et un Arrêté Royal est promulgué en 1978 en vue de modifier les lois du Pacte scolaire pour introduire les cours de religion islamique dans l’enseignement officiel.

Les perceptions du monde musulman vont toutefois progressivement se complexifier et se transformer. Si les travailleurs issus de pays musulmans commencent sérieusement à prolonger leurs séjours en Belgique, ils n’en restent pas moins connectés aux réalités du monde musulman, qu’ils suivent au travers des ondes radiophoniques locales ou internationales. Or, dans la foulée de la mort de Nasser en 1971 et de la guerre israélo-arabe du Kippour, en 1973, où des États arabes échouent à envahir militairement Israël, les reconfigurations politiques et les identités nationales et collectives se placent progressivement au cœur des débats en lien à des transformations socio-politiques, voire géostratégiques, et politico-religieuses. D’une part, en réaction au soutien des Etats-Unis vis-à-vis d’Israël, les pays arabes décident d’un embargo sur le pétrole à destination des États occidentaux. Cette politique mène au choc pétrolier de 1973 et à une prise de conscience de l’Occident de sa dépendance directe des ressources pétrolières. En conséquence de la crise économique qui va alors sévir en Europe, l’immigration est arrêtée en 1974 et le regroupement familial reste un des seuls canaux de drainage pour l’immigration. Le chômage croît de manière spectaculaire (plus de 100.000 personnes en Belgique) et amorce une transformation des discours politiques et médiatiques. Une pétition du bourgmestre Roger Nols prône, par exemple, une réduction du nombre d’immigrés dans la commune de Schaerbeek. Au milieu des années 1970, le climat se transforme à un point tel que la couverture du magazine Pourquoi Pas s’intitule « Marre des Étrangers ? » (Dassetto, 1996). D’autre part, des changements sont perceptibles sur le plan de la pensée au sein du monde musulman : à la suite des échecs du panarabisme, la pensée réformiste, religieuse islamiste et politiquement engagée, s’y affirme fièrement, et de manière accrue. Face aux religiosités traditionnelles, elle tente d’échafauder des modèles révolutionnaires et des concrétisations d’expériences contemporaines d’État islamique. Cette pensée réformiste, articulée de façon concrète à la chose politique, connaît un certain écho auprès de musulmans d’Europe d’autant plus que des militants islamistes, réfugiés politiques entre autres, y affluent : en vertu de leurs capacités intellectuelles, organisationnelles, motivationnelles, ceux-ci vont progressivement façonner des cadres de référence pour les communautés musulmanes (Maréchal, 2009). Les tensions qui en résultent s’importent dans les débats locaux ; elles partagent les opinions musulmanes locales entre la nostalgie des grands souverains arabes, voire les nationalisations, et leurs enthousiasmes révolutionnaires. Notons toutefois que c’est le devenir des jeunes enfants nés en Belgique ainsi que la transmission des identités culturelles et religieuses qui demeureront longtemps une préoccupation centrale des milieux associatifs musulmans.

Dans ce contexte, la curiosité et l’intérêt scientifique pour les musulmans locaux restent finalement peu importants au milieu des années 1970, en dépit des avancées théologiques et institutionnelles qui se sont notamment produites dans le monde catholique dans la suite du Concile Vatican II où le magistère romain, pour la première fois de son histoire, a officiellement émis un

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jugement positif sur les religions du monde, dont l’islam, et appelé à la compréhension mutuelle.6 Du point de vue académique, une première recherche est menée par un étudiant, F. Hitchinson qui, en 1978, rédige un mémoire sous la direction du sociologue Karel Dobbelaere à la Katholieke Universiteit Leuven. L’étudiant se consacre aux aspects institutionnels et de l’organisation de l’islam en Belgique ; il recense notamment les premiers lieux de culte musulman dans le pays.

Dans les années 1980, sur fond de crise économique et de chômage croissant (300.000

chômeurs en 1980), les musulmans s’organisent sur les plans social et cultuel. Ils se structurent au niveau local notamment au travers d’un tissu associatif dense, qui reste marqué par des clivages linguistiques (berbérophones, turcophones, arabophones, albanophones, etc.) des pays d’origine voire aux différences ethniques-régionales. Mais, à l’instar des développements observés par le politologue Gilles Kepel en France, qui écrit Les banlieues de l’islam – Naissance d’une religion en France, en 1987, les musulmans de Belgique, où n’existent pas de banlieues à proprement parler, s’investissent aussi dans la construction d’un islam en Belgique, sur base d’un enthousiasme généreux et d’une vigueur religieuse inédite pour ce contexte migratoire. Le dynamisme est stimulé par un leadership constitué d’individualités actives dans le champ idéologique religieux, éventuellement reliées à des réseaux transnationaux. Les musulmans s’organisent au niveau intra-communautaire, où tout est à faire, à penser, à élaborer sur le plan de la pratique culturelle et culturelle, de l’assise socioéconomique et du discours religieux. La priorité n’est donc pas celle de communiquer pour répondre aux interpellations politiques et médiatiques de la société environnante ; cette focalisation sur les priorités communautaires peut être aussi reliée à divers facteurs qui doivent être pensé séparément, mais aussi conjointement. Nous pouvons notamment mentionner le souci pour les musulmans de sauvegarder les ancrages des origines aux nouvelles générations scolarisées dans un contexte nouveau, notamment la langue (El Asri, 2011) et la religion. Les parents veillent avant tout à assurer une bonne éducation à leurs enfants tout en réussissant à transmettre les héritages culturels dans un contexte quelque fois perçu comme étranger voire hostile à l’identité des origines. Même la normalisation juridico-politique de la présence qui se poursuit, notamment grâce à la Loi Gol de 1985 qui facilite l’acquisition de la nationalité belge, est parfois lue comme un défi identitaire et un risque d’accélération de la perte des traditions du pays d’origine. Notons aussi que parallèlement à ces articulations et ancrages progressifs, une initiative symbolique telle que l’inauguration d’une mosquée dans l’enceinte de l’aéroport de Bruxelles-national, en 1986, témoigne également d’une prise en compte à la fois banalisée et accrue de préoccupations de musulmans d’alors afin que ceux-ci puissent observer leurs pratiques religieuses.

Quelques évènements se déroulent toutefois à l’échelle de la scène internationale, coup sur coup, dès la fin des années 1970, qui modifient assez rapidement les regards. Le Pakistan, soutenu par l’Arabie Saoudite, met sur pied un régime islamique en 1977. En 1979, l’Ayatollah Khomeiny rentre à Téhéran et débute la révolution iranienne. En 1980, un coup d’État en Turquie va entraîner

6 Voir notamment le texte Nostra Aetate sur « les relations de l’Eglise avec les religions non chrétiennes du 28 octobre 1965. La sociologue A. S. Lamine affirme qu’en France, dans les milieux catholiques, une forme de paternalisme compatissant de certains croyants vis-à-vis des « immigrés » s’est affirmée dès le milieu des années 1970, mais elle estime aussi que cette attitude sociale a progressivement disparu au profit de la mise sur pieds d’un dialogue interreligieux plus ou moins institutionnalisé dans le courant des années 1980, lorsque les communautés musulmanes sont apparues plus importantes d’un point de vue quantitatifs, et ont progressivement été perçues comme une offre concurrente qu’il ne s’agissait plus d’ignorer naïvement (Lamine, 2004).

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l’exil de nombreux militants islamistes tandis qu’une action armée est menée en Afghanistan, soutenue par des réseaux islamistes, en vue de résister à l’invasion de l’ancien régime soviétique. Le président égyptien Anouar Sadate est assassiné en plein défilé militaire et en présence des caméras par un commando islamiste en 1981. Quant à la guerre Iran-Irak, si elle embrase la région et les attentions entre 1980 et 1988, elle semble opposer les idéaux d’expansion d’une révolution religieuse islamique à ceux d’un régime potentiellement laïc. Ces évènements renforcent le sentiment d’une montée en puissance du monde musulman sur la scène mondiale au travers de nombreux bouleversements. Le fait islamique pénètre les foyers européens par le prisme de l’écran de télévision, d’autant plus que, dans la foulée des enthousiasmes de la révolution iranienne, l’islam autrefois discret en Europe se rend plus visible au travers des activités religieuses, des personnes et des organisations. Les imaginaires des personnes musulmanes et non musulmanes commencent à être traversés de façon significative par la dimension religieuse islamique. En conséquence, malgré un processus continu d’imprégnation sociale des populations musulmanes, en lien notamment aux enfants qui naissent et se scolarisent, malgré une acclimatation de la présence des musulmans en Belgique, les crispations progressives autour de la figure de « l’Étranger » se déplacent partiellement autour de la figure de l’immigré, sachant que ces perceptions sont régulièrement teintées de racisme : F. Dassetto rappelle à cet égard que le Pourquoi Pas titrait précisément en 1980 « Comment peut-on être raciste ? » (Dassetto, 1996). Si, dans ce sillage, une loi anti racisme contre le « délit de faciès », dite Loi Moureaux, est votée en 1981, il n’empêche que les immigrés originaires des pays musulmans interpellent, en lien à la succession d’évènements politiques spectaculaires, voire leur mise en spectacle, qui développe un rapport spécifique de la société aux communautés musulmanes locales, empreint de considérations sécuritaires. Si ces interférences globales relayées par les médias, presque systématiquement, ne peuvent être qualifiées d’islamophobes, elles n’en sont pas moins l’expression d’une vraie incompréhension pour la chose islamique.

Tandis que les spécificités religieuses, ainsi que leurs transformations, sont méconnues dans les traitements médiatiques de l’information, des recherches académiques sur les populations musulmanes sont entamées, initialement à partir de la sociologie de la migration, en plein essor, dès le début des années mille neuf cent quatre-vingt: les travaux pionniers de Felice Dassetto et d’Albert Bastenier abondent rapidement comme des apports significatifs. Ils font état de la présence associative musulmane en Belgique dans les années 1980 ainsi que des aspects organisationnels de l’islam, largement couverts. Une attention particulière est attribuée aux salles de prières, au statut de la religion musulmane en Belgique et aux modalités de son insertion (Dassetto & Bastenier, 1984). Quant à la publication, par les mêmes auteurs, du titre : « Organisations musulmanes de Belgique et insertion sociale des populations immigrées », en 1985, elle s’inscrit dans le même sens d’une sociographie aussi objective que possible des dynamiques sociales en cours (Bastenier & Dassetto, 1985 ; 1990). Plus tard, au-delà des préoccupations liées à l’intégration d’enfants issus de migrations économiques (Evrard, 1982), c’est tout le débat de l’islam à l’école qui se pose (Bastenier & Dassetto, 1987 ; Blaise & De Coorebyter, 1990 ; Bouras, 1991). Des publications insistent également sur l’islam des vécus, celui des rituels du quotidien, du bon voisin et des pratiques sereines (Tribune immigrée, 1986 ; Reynaerts, 1986 ; Jenard & Claeys Bouuaert, 1988) ; elles témoignent d’une prise en compte croissante et assez sereine de l’ancrage de cette présence musulmane en Belgique. Le regard des chercheurs s’affine et finit aussi par se porter sur les courants islamiques, désormais plutôt à partir de l’angle d’une socio-anthropologie de la religion à proprement parler : les courants intra-islamiques sont ainsi progressivement distingués les uns des autres, et une analyse de mouvements religieux en exercice est entamée, à l’instar du mouvement missionnaire Tablîgh (Dassetto, 1988). Ce travail est significatif des choix opérés par les chercheurs mais celui-ci dépend, avant tout, des

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dynamiques associatives changeantes qui s’affirment sur le terrain. Le mouvement Tablîgh, qui représente un courant traditionniste visant à revitaliser la pratique quotidienne de l’islam auprès des musulmans à partir d’une emphase très forte portée sur l’exemplarité du Prophète, promeut une orthopraxie sise au plus près des comportements et enseignements de ce dernier. La promotion d’un ethos musulman très ritualisé y est vécu comme un canal important pour la ré-initiation et l’appropriation d’une pratique religieuse autonome. Ce courant a alors le vent en poupe en Belgique car il bénéficie du grand activisme de ses membres, qui organisent des rencontres de coreligionnaires, où qu’ils se trouvent, et accordent beaucoup d’attention à des accompagnements socioreligieux autant que cultuel des musulmans : parmi les acteurs pionniers de l’islam en Belgique, beaucoup ont redécouvert leur pratique de l’islam par ce canal missionnaire. Pour toute cette période, au cœur des recherches, c’est surtout le concept d’« islam transplanté » (Dassetto & Bastenier, 1984) qui permet de cerner et d’objectiver un processus d’intégration inédit dans l’Europe de l’après-guerre, à partir de dynamiques initialement venues de l’extérieur. Il y est alors question d’affirmer combien l’islam transplanté en Europe constitue une « réalité autonome qui ne se laisse organiser ni par les ambassades des pays musulmans, ni par le gouvernement belge ».

Au milieu des années mille neuf cent quatre-vingt, les relations entre musulmans et non

musulmans sont de nouveau affectées au gré de l’actualité événementielle : non seulement l’islam occupe le devant de la scène au gré de couvertures médiatiques ponctuelles, mais celui-ci apparaît désormais lié à des regroupements militants islamo-nationalistes divers, géographiquement proches, qui œuvrent pour des objectifs surtout reliés à la situation de pays majoritairement musulmans. L’activisme islamique se situe en Europe, et en Belgique même, ce dont témoigne cette interpellation forte du Pourquoi Pas du 2 mars 1983, qui titre sa couverture « Guerre sainte en Belgique ? », mais aussi notamment les attentats qui s’échelonneront entre décembre 1985 et septembre 1986 en France associés au groupe pro-iranien Fouad Ali Saleh. Le 20 avril 1986, une véritable secousse se produit dans l’opinion publique belge à l’occasion d’une manifestation de soutien au régime de Mouammar Kadhafi au cœur de Bruxelles. Des bombardements américains sur des villes libyennes ont suscité une vive émotion parmi les populations issues de l’immigration, qui entendent manifester leur mécontentement. L’islam apparaît désormais ouvertement dans la rue, de manière très vindicative et cette nouvelle visibilité d’une présence musulmane interpelle la population belge de souche ; le gouvernement obtient les pouvoir spéciaux (Bastenier, Dassetto, 1987bis)

En 1989, un cran de tensions supplémentaires est encore franchi : sur fonds des soulèvements palestiniens (Intifada) bientôt suivis par des attentats-suicide, une fatwa de mise à mort est délivrée par l’Ayatollah Khomeiny à l’encontre de Salman Rushdie, l’auteur de l’ouvrage Les versets sataniques. Cet avis religieux émanant d’un leader musulman frappe les esprits d’autant plus que ce livre, jugé blasphématoire à l’égard de la personnalité du Prophète, est brûlé dans le monde musulman, mais aussi en Grande-Bretagne. Le trouble, voire le malaise, des Occidentaux face à ces autodafés est important, d’autant plus qu’ils constituent aussi une remise en question de l’un de leurs principes fondateurs, voire sacré, la liberté d’expression. L’affaire constituera une première étape d’une opposition ensuite très médiatisée entre blasphème et liberté d’expression. L’impact émotionnel se renforce encore lorsque Abdallah al-Ahdal, le directeur du Centre culturel et islamique du Cinquantenaire est assassiné le 29 mars 1989 à l’âge de 35 ans avec Salem al-Buhairi, son bibliothécaire, en plein cœur du quartier européen de Bruxelles, vraisemblablement en lien avec les positions modérées adoptées à l’égard de S. Rushdie. Des revendications relatives à ce double homicide sont émises deux jours plus tard à partir du Liban, par un groupuscule dit « Jund al-

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Haqq », (litt. Les soldats de la vérité)7. Le cadre du strict ancrage local de l’islam belge est dépassé ; ce dernier apparaît désormais connecté de façon complexe et diverse aux réalités de l’islam global, qui l’affectent directement (Dassetto, 2006, pp. 3-18).

Les crispations autour de la scolarité de jeunes filles musulmanes en France et leur médiatisation sont une autre forme de répercussions du global sur le local. Le débat sur la polémique du foulard dans une école de Creil, en France, se répercute en Belgique francophone en 1989 et suscite des croisements intéressants de littératures, diversifiées, qui seront ultérieurement amenées à croître en volume et en intensité. A cette époque, par exemple, l’enseignant de religion islamique Hassan Amdouni publie un bref volume 8 qui se présente comme un argumentaire moral et juridique en faveur de la pratique du port du foulard. Ce livre, religieusement engagé, croise un article acerbe du juriste Foulek Ringelheim.9 A côté de l’école et de la pratique religieuse, c’est tout le débat sur la femme qui se trouve engagé et rapidement biaisé par des postulats idéologiques au sein de controverses de plus en plus nombreuses.10

De manière générale, les évènements polémiques ou dramatiques susmentionnés fonctionnent comme autant de marqueurs qui renforcent la suspicion, la méfiance et la crainte à l’égard des musulmans. Cela se produit d’autant plus aisément que la société belge, par-delà ses clivages, se pense de plus en plus comme étant sécularisée, sortie de l’emprise sociale des institutions religieuses, alors que se développent surtout des attitudes d’indifférence, de dédain voire d’hostilité vis-à-vis du religieux en général. Dans ce contexte tendu, lourd, vis-à-vis de l’islam, la méconnaissance cède de plus en plus de place à l’incompréhension réciproque, et dope les succès croissants de l’extrême-droite. Le Vlaams Blok a en effet constitué une charte politique anti-immigrée et il remporte 17 % des voix aux élections communales d’Anvers en 1988. Les transformations dans les attitudes sont probablement à rattacher aussi, entre autres, aux changements de rapports de force en termes démographiques dans les grandes villes, où la présence musulmane est non seulement plus importante, mais aussi plus visible, ce qui suscite chez de nombreux « belges de souche » ou dits « allochtones » (en Flandre), l’impression de ne plus « être chez eux » et donc d’être progressivement fragilisé ; une situation auxquelles les émeutes urbaines de Bruxelles en 1991 ne sont probablement pas étrangères même si elles ne se rapportent pas à des dynamiques religieuses mais bien plutôt à des processus d’exclusion sociale (Réa, 2001). Dans le contexte de montée grimpante de l’extrême-droite, de nombreuses questions se posent, qui concernent les relations entre État et islam, la laïcité (Anciaux, 1987) mais aussi, plus globalement, les rapports entre islam et Occident, où se confrontent les imaginaires et les histoires respectives (Bastenier & Dassetto, 1988).

Dans la décennie suivante, celle des années 1990, l’implantation de l’islam en Belgique s’organise davantage: plus de deux cents salles de prières sont dénombrées, en lien à une

7 Cf. http://www.lalibre.be/actu/belgique/article/403689/le-double-assassinat-de-la-mosquee-du-cinquantenaire.html & http://archives.lesoir.be/l-assassinat-de-l-imam-de-la-mosquee_t-19890331-Z01HKG.html Consultation le 13 mars 2009. 8 Hassan Amdouni, Le Hijab de la femme musulmane, Bruxelles, al-Imen, 1989, 63 p. 2001 (maintes fois réédité chez l’éditeur Ennour-Al Imen mais aussi, en 2004, chez Le Savoir Editions). 9 Foulek Ringelheim, « Les voiles de l’intolérance », in Journal des Procès, n°161, 1er déc. 1989, pp. 9-10. 10 Pour une approche analytique qui synthétise les discours ayant surgit à la suite de la polémique belge concernant le foulard : (Blaise & De Coorebyter, 1990). Plus de dix ans après, un ouvrage collectif offre une autre tentative de distanciation en faisant notamment le point sur les diverses significations et fonctions du port du foulard, ainsi que sur les dispositifs qui contribuent à marginaliser et discriminer celles qui le portent (Brion, 2004).

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importante vitalité du leadership associatif musulman, sachant que des questionnements multiples de la part d’une partie importante de la jeunesse de ces communautés émergent, qui est en recherche de sens relativement à son installation en Belgique. Des attitudes contrastées tentent de cohabiter dans le paysage. Nous pensons au prolongement de traditions religieuses qualifiées de soufisme (qui, indépendamment de ses formes organisationnelles, place l’emphase sur la relation personnelle du croyant au divin) et aux apports d’imams, plus ou moins bien formés, issus des contextes ethno-religieux particuliers. Il y a aussi l’arrivée des promotions de jeunes diplômés ou initiés des universités saoudiennes, notamment celle de l’Université de Médine, qui apparaissent rapidement très actifs. Enfin, de nouveaux discours, désormais énoncés en français, sont distillés dans un format de conférences publiques ou enregistrées, vont peu à peu interpeller une frange importante de la jeunesse, notamment ceux de Hassan Iquioussen, Ahmed Mahfoud, Yacob Mahi, Hani Ramadan et surtout Tariq Ramadan. Ce dernier dépasse entre autres la promotion des idées de droits et devoirs des musulmans en Europe pour celle de citoyenneté européenne11 – mais aussi d’autres, notamment ceux de leaders salafistes qui, dès le milieux des années 1990, se distancient de la société belge et promeuvent des formes de loyauté à l’égard de la seule grande communauté mondiale des musulmans notamment à travers la diffusion gratuite d’ouvrages et l’utilisation de sites internet sans cesse plus nombreux.

Dans le contexte belge des années 1990, l’islam est aussi désormais une affaire d’État. Un processus d’intégration politique des musulmans commence en 1994, à partir duquel des élus d’origine étrangère siègent dans de nombreux conseils communaux. Et les étapes pour l’établissement d’une représentation politico-religieuse des musulmans dans le paysage institutionnel belge sont également entamées sous l’égide de quelques convertis notoires : le gouvernement désigne un Conseil Provisoire des Sages en juin 1990, un Conseil Supérieur des musulmans de Belgique est ensuite élu en 1991 puis en 1999. Les prémisses de l’Exécutif (provisoire) des Musulmans de Belgique sont mises sur pieds (Dassetto in Bastenier & Dassetto, 1990 ; Sägesser & Torrekens, 2008).

Beaucoup d’événements conflictuels à l’échelle internationale s’accélèrent toutefois, où l’islam est toujours, de près ou de loin, posé dans le décor : l’Irak avec la guerre du Golfe et la guerre civile en Yougoslavie, en 1991, sachant que les musulmans éprouveront le sentiment d’une pratique politique de deux poids deux mesures face à un massacre qui se déroule pourtant en Bosnie, sur le sol européen. Il y a aussi les combats armés en Afghanistan, en Tchétchénie, en Libye ou encore en Algérie où les élections annulées à la suite de la victoire du Front Islamique du Salut en 1992, vont également mener à une guerre civile, à un vécu traumatisant face aux dérives radicale des maquis et notamment aussi à l’assassinat des moines de Tibéhirine.

Dans le champ du savoir, si la méconnaissance des spécificités religieuses continue à prédominer auprès du plus large public - alors même que la religion est devenue un facteur explicatif « évident », majeur, qui s’impose dans la prise en compte des dynamiques sociales, ainsi essentialisées -, de nouveaux travaux académiques imposent de modifier et diversifier les regards. La diversité voire les changements dans les vécus sont enfin pris en considération de manière plus systématique et distanciée, notamment dans les comportements au travail, à la sexualité (nuptialité, contraception et avortement) ainsi que les différences émanant de la diversité culturelle qui distingue les populations musulmanes (voir notamment Ayari, 1992 ; Leman, 1992 ; Guyaux, 1992 ; Lesthaeghe, 1997 ; Lesthaeghe, 2000). Un autre exemple peut être tiré du domaine juridique où l’on

11 Voir notamment Tariq Ramadan, Être musulman européen. Etude des sources islamiques à la lumière du contexte européen, Paris, Ed. Tawhid, 1999.

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envisage initialement la spécificité des situations vécues par les musulmans en matière juridique et la prise en compte de la spécificité du statut personnel des musulmans (Carlier & Verwilghen, 1992). C’est aussi l’évolution du droit belge lui-même qui est envisagée à partir de la prise en compte de mesures particulières dérivant du droit international privé touchant notamment des pratiques familiales telles que le mariage ou le divorce (Verwilghen, 1992 ; Foblerts, 1994 ; Foblets, 1996 ; Foblets 1998). Et, de manière générale, la prise en compte du champ du droit en tant qu’instrument de cadrage et de régulation des pratiques sociales au niveau de l’État, constitue une part très importante de la littérature (De Coorebyter, 1992 ; Blaise & De Coorebyter, 1993 ; Panafit, 1999). A partir d’une démarche (avant tout) socio-anthropologique, deux volumes de synthèse ressortent particulièrement de cette décennie, à l’initiative de Felice Dassetto. D’une part, c’est son ouvrage intitulé La construction de l’islam européen – une approche socio-anthropologique (Dassetto, 1996), qui incarne une toute première tentative de théoriser l’étude d’une implantation de l’islam et des musulmans en tant que processus de construction sociale, à partir de catégories d’analyse telles que les identités et appartenances, les organisations, le leadership et les sources du pouvoir, l’ancrage territorial, la « muslimité et l’espace public ». Cet ouvrage constituera une référence de base pour toute une génération de chercheurs au niveau européen. D’autre part, c’est le volume collectif Facettes de l’islam belge (Dassetto, 1997) qui constitue la première véritable tentative d’offrir un panorama variés des divers aspects du vécu musulman en Belgique : entre autres sur les appartenances et discours - dont la question de la conscience ethnique et celle des conversions -, sur les organisations et pratiques - dont les organisations turques et celles qui sont radicales -, sur l’islam dans son rapport aux institutions, notamment à partir de deux articles sur les relations entre le droit et l’islam à partir de cas de répudiation et de conflits relatifs au port du foulard. Mais, pour le chercheur, l’analyse des réalités musulmanes belges, en mouvement, impose donc aussi bientôt de penser une variable des échelles. Au-delà des allers et retours traditionnels de vacanciers aux pays d’origine, ou plus exceptionnellement lors du pèlerinage annuel à La Mecque, il y a désormais de plus en plus de connections qui sont établies par rapport à l’islam dans l’intimité quotidienne des foyers, grâce aux chaînes paraboliques et aux sites internet proposant des avis religieux ou des options matrimoniales, mais aussi au cœur des mosquées, notamment avec l’arrivée de prédicateurs pour le Ramadan qui font circuler les savoirs.

Depuis le milieu des années 1990 et jusqu’en 2012, les impacts, à la fois locaux et

internationaux de crises locales et/ou globales affectent de plus en plus les perceptions, et surtout les imaginaires des uns et des autres, musulmans et non-musulmans, puis intensifient leurs éventuelles réactions, voire leurs réactions réciproques, dans un monde désormais « glocalisé », pour reprendre le concept du sociologue Roland Robertson (Robertson, 1995). Les faits conflictuels apparaissent s’accélérer et l’importante couverture médiatique de ceux-ci renforce l’impression d’une récurrence de problèmes liés à la présence de l’islam, qui poussent certains politiques à évoquer, notamment, le thème de « l’échec de l’intégration ». En effet, par-delà une certaine routinisation des faits médiatiques dramatiques liés à l’islam sur la scène internationale depuis la fin des années 1970, un nouveau seuil de sensibilisation est franchi dans les sociétés européennes en 1995, avec la (re)découverte d’islamistes prônant le combat armé au sein de réseaux en transit en Europe, qui œuvrent pour affecter des dynamiques nationales au sein de pays musulmans puis, ultérieurement, après le 11 septembre 2001, qui défendent aussi ouvertement des objectifs plus globaux, situés à l’échelle d’un rapport de forces au niveau mondial, où les cibles sont parfois directement situées en Europe, de manière plus ou moins indifférenciée. Rappelons, la découverte, en Belgique, de cellules de soutien au Groupe Islamique Armé (GIA), algérien, au début des années

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1990, puis leur démantèlement en 1995 (réseau Ahmed Zaoui) ainsi que le démantèlement du réseau djihadiste de Farid Mellouk en 1998, qui semble avoir constitué le creuset d’un mouvement en gestation, le Groupe islamique combattant marocain (GICM). Rappelons que si de nombreux évènements dramatiques continuent ensuite de jalonner la décennie des années 2000, le caractère multinational des acteurs impliqués et/ou de la cause de leur lutte semble s’accroître : des guerres en Irak et en Afghanistan, depuis 2001, en passant par les attentats meurtriers de Casablanca, en 2003, et de Madrid, en 2004, entre autres, des personnes de nationalité belge ou ayant transité par la Belgique se trouvent parfois activement impliquées. En effet, l’ancien footballeur tunisien Nizar Trabelsi, qui a été arrêté en Belgique en 2001 pour sa préparation d’un attentat ainsi empêché, sur une base aérienne de l’OTAN, était relié à al-Qaïda. Les deux pseudo-journalistes qui se sont fait exploser pour assassiner Ahmad Shah Massoud, le commandant Tadjik de l’Alliance du Nord anti-talibanne, deux jours avant le 11 septembre 2001, en Afghanistan, étaient d’origine tunisienne en séjour illégal en Belgique tout en circulant avec des passeports belges. Quant à la veuve de l’un d’entre eux, la belge Malika al Aroud, d’origine marocaine, qui se présente comme veuve de martyr, elle a fini par être arrêtée en Belgique en 2008 pour son travail dans le recrutement de personnes en vue du djihad et a été jugée en mai 2010 ; elle joui(ssai)t d’une grande réputation dans certains milieux salafistes, notamment à partir de la diffusion de son témoignage empreint de ferveur religieuse, d’idéaux et d’engagements concrets. Entretemps, en 2005, l’actualité a encore suscité de l’incompréhension et de la stupeur car une convertie à l’islam, la première femme kamikaze occidentale, Muriel Degauque, s’était fait exploser en Iraq, de même que son époux.12 Ces évènements marquants et leurs suivis médiatiques ont jalonné une grande partie de l’actualité au sein des foyers belges, tout en occultant bien d’autres dynamiques bien moins spectaculaires mais peut-être tout aussi importantes, voire davantage, notamment celles qui, à la suite de l’emphase placée sur les notions de menace djihadiste et de sécurité dans les discours politiques, ont finis par altérer l’identité de l’État, les conceptions de la citoyenneté ou encore la gestion politique des dossiers liés à l’islam (Zemni, 2006).

Ces affaires ont d’autant plus marqué les esprits que, sur le plan de la pensée, deux

publications géopolitiques majeures sont éditées, qui analysent la nature des nouvelles relations internationales et confèrent un cadre de compréhension très englobant. En effet, elles développent des visions particulières sur les relations entre civilisations, où les rapports conflictuels entre civilisations occidentale et islamique semblent être particulièrement mis en exergue, essentiellement à partir d’une grille culturaliste (Zemni, 2011). Ces ouvrages connaîtront un retentissement mondial et seront interprétés, entre autres par de nombreux politiques et journalistes, comme des témoins de l’avènement d’une ère nouvelle, davantage polarisée et conflictuelle que par le passé.13 12 Sur son parcours : Chris De Stoop, Vrede zij met u, zuster. Het verhaal van een westerse zelfmoordterroriste [La paix soit avec toi, ma sœur. Le récit d’une kamikaze occidentale], Amsterdam De Bezige Bij, 2010. 13 Voir l’article de Samuel Huntington « The Clash of civilizations » in Foreign Affairs, vol. 72, no. 3, été 1993, pp. 22-49 et son ouvrage The clash of civilizations and the remaking of world order, New-York, Simon and Schuster, 1996, au sein desquels les clivages majeurs ne passent désormais plus par les idéologies ou les États mais par les civilisations, celles-ci étant comprises comme le niveau le plus élevé de regroupement humain fondé sur la culture. Nous pensons aussi à l’ouvrage de Benjamin Barber, Djihad versus McWorld, New York, Times Book, 1995 (traduit en français pour les éditions Desclée de Brouwer en 1996 sous le titre Djihad versus McWorld – Mondialisation et intégrisme contre la démocratie, alors que ce livre met davantage l’accent sur les formes de replis culturels au sens le plus large, en réaction aux dynamiques de globalisation). Notons que le Prof. F. Dassetto a ultérieurement tenté de repenser globalement, et de manière constructive, la complexité des relations entre Occidents et Islams : pour lui, si certes S. Huntington développe

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En conséquence de cela, dans la société belge, un rapport mitigé au musulman local se construit, à partir de deux dynamiques antinomiques. D’une part, il y a une prise en compte progressive des communautés musulmanes, au-delà du prisme de l’immigration. Une prise de conscience de l’implantation de long terme des populations en Belgique s’opère, qui apparaît désormais irréversible. Et cela gêne certains pans de la société puisque le Vlaams Blok s’est effectivement constitué en tant que parti anti musulman depuis 1993 (qui diffuse des idées telles que celle de la religion islamique envisagée comme une doctrine qui prêche la guerre sainte, l’extermination des infidèles, les conversions forcées, l’oppression des femmes etc.)14. Mais d’autre part, il y a aussi, parallèlement, presque sans transition, un passage des perceptions du musulman en tant qu’immigré à celles de l’intégriste local, cette fois susceptible de toucher au cœur de l’Europe. Et ces conceptions se diffusent d’autant plus aisément que les faits divers ne manquent pas, que les médias sont friands de ce type d’informations et que vont aussi apparaître des analystes auto-proclamés, mais médiatisés, de l’islamisme, notamment des politiques et des essayistes ; le succès populaire de leurs contributions va brouiller la compréhension des phénomènes en cours, et notamment les frontières entre les champs du savoir et celui des imaginaires, puisque les positions qui y sont adoptées ne témoignent pas d’une tentative d’objectivation aussi neutre que possible.

Ainsi, par-delà une coexistence assez indifférente voire flegmatique entre musulmans et non musulmans en Belgique, une sorte d’embarras et de malaise diffus, réciproques, voire des attitudes de rejet s’installent au cœur des relations. Les ressentis réciproques entre musulmans et non musulmans évoluent en effet, en rapport à des sentiments d’être discriminé et/ou jugé par l’autre, à la présence (de la peur) d’une certaine islamophobie 15, du racisme dans les deux sens et, plus généralement, de part et d’autre, à une crainte d’une dérive extrémiste des deux côtés : soit liée aux soupçons d’une emprise générale croissante du religieux chez les musulmans soit liée à la consolidation du soutien populaire auprès des partis d’extrême-droite. 16 Certes la découverte du corps sans vie de la petite Loubna Benaïssa en 1997 va propulser sa sœur Nabela, voilée et très digne, sur le devant de la scène médiatique, et contribuer à offrir une image positive de l’islam ainsi qu’une sorte de compassion de la société belge vis-à-vis de préoccupations musulmanes à l’instar de celles relatives à la consolidation de parcelles musulmanes dans les cimetières. Mais cette image est ensuite oubliée, sous le poids d’autres évènements très émotivement chargés car le grand public est choqué par les événements du World Trade Center à New-York et du Pentagone à Washington, en 2001. Ceux-ci attisent rapidement les rejets et polarisent les opinions (Saroglou & Galad, 2004), d’autant plus qu’ils sont ultérieurement ressassés à la lumière de nouveaux faits divers dramatiques, parfois géographiquement très proches, que constituent les assassinats racistes des parents de la famille Isnasni à Schaerbeek, de l’enseignant anversois Mohamed Achrak à Anvers (qui va notamment entraîner des émeutes dans la banlieue anversoise à l’instigation de la Ligue arabe européenne) ainsi que du politique populiste Pim Fortuyn aux Pays-Bas, en 2002 et du cinéaste une attitude frileuse, de repli, en enjoignant l’Occident de renoncer à l’universalisme et de consolider sa propre civilisation, il développe une vision plus complexe que celle d’une simple opposition dichotomique entre Islam et Occident (Dassetto, 2004, pp. 49ss). In fine, le contenu de ces deux ouvrages a souvent été ramené à des idées beaucoup plus manichéennes que ce qu’il n’y est réellement développé par leurs auteurs. 14 Du côté francophone, le Front National surfe aussi sur la vague de la lutte contre l’immigration et contre l’islam. Son succès électoral est toutefois beaucoup plus réduit et plus tardif, surtout entre 2004-2006. 15 En Grande-Bretagne, la publication du rapport Islamophobia Report par le Runnymede Trust en 1997 va contribuer à populariser cette idée - il n’empêche que la pertinence d’utiliser ce qualificatif ne va pas de soi. 16 Pour un état des lieux des nœuds qui se situent au cœur des relations entre musulmans et non musulmans, ainsi que les arguments qui les sous-tendent, à partir d’une méthodologie de forums réflexifs menés dans plusieurs grandes villes du pays : (De Changy, Dassetto, Maréchal, 2007).

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Théo Van Gogh en 2004, suite à la réalisation de son film Submission, critique vis-à-vis de l’islam. Dès 2002, la situation est suffisamment tendue pour inciter un collectif d’intellectuels

belges, originaires du Maghreb, à s’unir pour rédiger un ouvrage intitulé Rompre le silence qui vise à faire entendre diverses voix, alternatives aux discours extrémistes, mais aussi interpeller la société la plus large, en réveillant les consciences sur la dégradation du vivre ensemble face à laquelle il leur importe de réagir (Bousetta, 2002). Soucieuse de consolider la cohésion sociale, la Fondation Roi Baudouin lance aussi une initiative novatrice avec la création, en septembre 2003 du « Comité d’accompagnement de l’islam en Belgique ». A partir de rencontres assez régulières de chercheurs et de personnes de terrain, ce groupe avait vocation à animer une réflexion sur l’islam et les musulmans en Belgique et en Europe, à stimuler des débats en organisant des évènements mais aussi à relayer des constatations dont ceux de lacunes éventuelles en matière de recherche, éventuellement à commanditer. Ce groupe, qui a sensiblement évolué au cours du temps, s’est réunis jusqu’en 2009, et a interpellé le plus grand public ainsi que le monde politique à de multiples reprises.17

En dépit du caractère symbolique voire pratique de ces deux initiatives qui promeuvent un élargissement et une complexification des regards à destination du plus grand public, la portée de celles-ci s’est toutefois trouvée limitée, non seulement par l’importance des impacts psycho-sociaux liés aux actions radicales violentes susmentionnées, surtout localisées au niveau international, mais aussi par les expressions locales et internationales de multiples débats et/ou tensions, continus, qui se situent à de multiples niveaux et impliquent de nombreux acteurs très différents. Ceux-ci témoignent de questionnements voire de crispations de part et d’autre, entre musulmans et non musulmans en Europe et en Belgique, qui affectent les imaginaires au point que ceux-ci deviennent clairement le prisme essentiel à partir duquel sont appréhendés l’islam et les musulmans, au point que les discours académiques peinent à être entendu. Rappelons tout d’abord les affaires récurrentes de foulards, notamment à l’école, puis de burqa, où sont mobilisés des arguments aussi divers que ceux de l’autonomie et de la liberté de la personne ou encore ceux du prosélytisme et de la sécurité (parfois les mêmes par les personnes des deux camps), sachant que le dernier épisode qui illustre le plus virulemment cette tension relèvent d’une initiative de l’ex Vlaams Blok, rebaptisé Vlaams Belang à la suite d’une condamnation en justice pour racisme en 2004, qui lance une campagne d’affichage en février 2012 où An-Sofie Dewinter parade en bikini tout en ayant sa tête recouverte d’un niqab : pour elle, le public doit choisir entre deux référentiels qu’elle juge incompatibles : la liberté ou l’islam. Il y a aussi eu les tensions politico-diplomatiques et économiques liées à la diffusion par un journal danois des caricatures du Prophète de l’islam - jugées blasphématoires par des musulmans - en 2005, mais encore l’attentat contre le siège du journal satirique Charlie Hebdo, en novembre 2011, alors qu’il s’apprêtait à faire une nouvelle sortie sur le Prophète. Notons encore les déclarations virulentes du pape Benoît XVI à Regensburg, en septembre 2006, qui attribuent un caractère intrinsèquement irrationnel et violent à la religion musulmane, le débat maladroit souhaité par le gouvernement de Nicolas Sarkozy sur l’identité nationale en France qui a suscité une réaction acerbe de Guy Verhofstadt, président du groupe libéral au Parlement européen en février 2010, les tensions liées aux interpellations critiques croissantes sur le darwinisme et les théories de l’évolution, qui suscitent de sérieux malaises dans les écoles et constituent autant d’occasion de conflits de loyautés (El Asri, 2009), l’interdiction des minarets en Suisse en 2009 à la suite d’un référendum populaire, etc.

17 Pour un aperçu des activités de ce comité ainsi qu’un accès aux divers rapports, voir http://www.kbs-frb.be/otheractivity.aspx?id=193872&LangType=2060

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Outre l’existence de véritables questions de fonds mais aussi de certaines provocations de nature politiques-politiciennes auxquelles doivent se confronter nos sociétés démocratiques et pluralistes, ces tensions sont notamment liées à la consolidation de nouvelles générations définitivement ancrées dans les espaces nationaux européens et soucieuses d’affirmer leur identité multiple tout en exigeant que celle-ci soit explicitement reconnue dans sa dimension religieuse musulmane (notamment dans le prolongement de la diffusion de discours liés aux courants de l’islam politique ou du salafisme dans les décennies précédentes). Ces attitudes vindicatives et/ou de contestation sont assumées par des individus à titre personnel. Mais elles relèvent aussi de l’initiative de regroupements particuliers, sachant que certains d’entre eux sont, beaucoup plus rapidement que d’autres, tombés sous les feux de la rampe, de par le caractère volontairement provoquant de leurs revendications. D’une part, au début de la décennie 2000, il y eu par exemple eu la Ligue arabe européenne, un groupe nationaliste arabe et islamiste désormais dissous, fondé en 2000 par un étudiant d’origine libanaise, Dyab Abou Jahjah, qui a œuvré pour la cause palestinienne, la défense du port du foulard et la reconnaissance de la langue arabe comme 4ème langue officielle en Belgique, entre autres, mais qui a notamment été particulièrement épinglée pour sa création de milices ayant vocation à patrouiller dans certains quartiers anversois perçus comme dangereux ou encore pour sa demande de retrait d’affiches au parti écologiste Agalev pour offense à l’islam sachant que celles-ci affichaient un couple homosexuel en habits traditionnels musulmans. Plus tard, dans la deuxième moitié des années 2000, il y a notamment le groupuscule radical Sharia4Belgium, idéologiquement proche du mouvement Hizb al-Tahrir (Parti de la Libération), présent en Grande-Bretagne. Ses membres diffusent régulièrement sur Internet de courtes vidéos de conférences ou de mises en scène dont le caractère ouvertement provocant suscite au minimum malaises et désapprobations dans l’opinion publique et les médias : par exemple, ils critiquent le caractère dit vicié des régimes démocratiques, affirment la supériorité de l’islam, en appellent à la création de tribunaux islamiques pour gérer des dossiers de droit familial et prônent l’établissement d’un Etat islamique en Belgique en vue d’éradiquer les injustices. 18

A côté de ces acteurs et des faits qu’ils contribuent à créer, il faut aussi noter l’impact, souvent dévastateur sur les imaginaires, des pratiques sociales populaires liées à l’Internet : notamment des blogs ou des sections « commentaires », entre autres sur les sites d’actualité, qui, parfois malgré eux, contribuent à diffuser rapidement et de manière large des propos abrupts, surtout émotifs, dépourvus de contextualisation ou, surtout, d’argumentaires éclairés. Nous pointons également ces nombreux mails de méfiance et/ou de haine, récurrents, diffusés en chaîne plus ou moins fermées, qui circulent via des listes de mailing bien rôdées et qui martèlent, sous couvert d’arguments d’autorité très douteux, des opinions sous couverts de faits prétendument avérés. En l’absence d’éducation approprié en matière de critique de discours, il devient de plus en plus difficile pour le citoyen lambda de parvenir à se faire une opinion circonstanciée sur ces prétendues informations d’actualité.

18 Dans une vidéo qui circule depuis le mois de novembre 2011, aux tons un peu surréaliste, le leader du mouvement Sharia4Belgium condamne les pratiques dites polythéistes et idolâtres à l’instar des visites touristiques à l’Atomium, érigé pour l’Exposition Universelle de 1958 et qui incarne désormais Bruxelles. Sans que l’on puisse dire si cette structure architecturale, hautement symbolique, est remise en question en tant que témoignage d’un engouement voire d’une foi dans les progrès scientifiques et techniques, ce sont avant tout les visites populaires sur ce site, surplombé par le drapeau belge, qui sont contestées comme autant de pratiques jugées concurrentes aux authentiques pratiques religieuses qui honorent le seul Dieu unique.

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Face à ces très nombreuses interpellations qui affectent considérablement le vivre ensemble et la cohésion sociale, le rapport final des Assises de l’Interculturalité19 propose des jalons intéressants, comme autant de perspectives de compromis sur un certain nombre de questions concrètes. Mais il apparaît insuffisant, ne serait-ce que parce qu’il évite d’assumer frontalement le caractère spécifique de certaines revendications musulmanes tout en préconisant des adaptations favorisant, de manière générale, la prise en compte de revendications collectives particulières. Or, face au malaise civilisationnel européen, il faut désormais oser aller beaucoup plus loin dans les débats entre les musulmans et les non musulmans. Comme l’affirme le sociologue Felice Dassetto, il importe aussi de sortir des radicalismes civilisationnels, notamment en parvenant à produire des contre-théorisations efficaces. 20

§ La dynamique musulmane en Belgique

Depuis les années 2000, l’islam apparaît en tant que seconde religion d’Europe 21 et l’on parle

d’environ 500.000 personnes musulmanes et/ou originaires de pays musulmans en Belgique bien qu’en soit ces chiffres ne signifient pas grand-chose en soi puisqu’ils recouvrent des réalités très différentes en termes de référentiels culturels et de rapports au religieux (dans ses dimensions de foi, de pratique cultuelle, d’appartenance de groupe, de construction identitaire etc.). En quinze ans, la présence significative de musulmans en Belgique, qui remonte désormais à plus de quarante ans, s’est accrue et densifiée, spécialement dans les espaces urbains : les personnes de confession musulmane et/ou originaires d’un pays musulman représentent actuellement cinq-six pourcents de la population totale 22 et pas moins de dix-sept pourcents des habitants d’une ville telle que Bruxelles.

La visibilité de l’islam dans la sphère publique s’est également renforcée, voire normalisée,

sous plusieurs aspects. D’un point de vue politique, tout d’abord, il est considéré que, parmi les personnes originaires

d’un pays musulman ou leurs descendants, deux tiers sont @de nationalité belge et jouissent donc de tous les droits civiques et politiques associés à ce statut. Les conséquences en termes d’élection mais aussi d’éligibilité sont importantes et ne sont désormais plus ignorées par les partis politiques, même si ceux-ci témoignent d’un certain malaise quant à la prise en compte des sensibilités diverses liées aux votes communautaires.23 Certes, il y a eu la création de quelques partis de sensibilité musulmane, à l’instar du Parti Jeunes musulmans (PJM) et du Moslim Democratische Partij (MDF – Parti Démocratique Musulman, issu de la Ligue Arabe Européenne, susmentionnée), qui ont notamment participé aux élections régionales de 2004. Mais, alors que leurs projets

19 Assises de l’interculturalité – rapport final, Wavre, Les éditions Mardaga, novembre 2010, 126 p. 20 Felice Dassetto, « Sortir des radicalismes civilisationnels » in Le Monde, 12 août 2011 (disponible sur le site www.Lemonde.fr ). 21 Shireen T. Hunter, Islam, Europe’s second religion. The new social, cultural and political landscape, Westport, Greenwood Publishing, 2002, 295 p. ; voir aussi B. Maréchal, S. Allievi, F. Dassetto, J. Nielsen (eds), Muslims in the enlarged Europe – Religion and society, Leiden, Brill, 2003, 602 p. 22 Pour des chiffres relatifs à la démographie mais aussi des données factuelles, annuellement amendées, sur des aspects tels que l’organisation de l’enseignement islamique, sur la participation politique des musulmans, sur la question du dialogue interreligieux, sur les polémiques publiques etc. voir : (Fadil, Manço, Kanmaz, 2011). 23 Pour un suivi très attentif de la vie politique belge (entre autres), voir le blog de Pierre-Yves Lambert, www.suffrage-universel.be

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consistaient, notamment pour les premiers, à lutter contre les discriminations vécues par les musulmans (dans les domaines de l’enseignement, de l’emploi et du logement), ils sont restés très minoritaires ; les citoyens belges de confession musulmane ont davantage témoigné d’une volonté de s’intégrer dans le jeu politique des partis politiques majoritaires.

Ensuite, par-delà les déboires d’un organe chef de culte des musulmans - l’Exécutif des Musulmans de Belgique –, empêtré dans ses dysfonctionnements voire débordé par des instances essentiellement reliées aux pays d’origine, il n’empêche que de nombreuses dynamiques ont été enclenchées et suivent leur cours. Le processus de reconnaissance des mosquées, désormais régionalisé depuis 2001, avance : il permet désormais de soutenir financièrement certains bâtiments de culte mais aussi les officiers du culte qui y sont reconnus. Surtout, les cours de religion islamique qui sont dispensés par plus de six cent professeurs dans les écoles primaires et secondaires au profit de plus de 30.0000 jeunes par année font désormais l’objet d’un plus grand encadrement : la Communauté Flamande et la Communauté Française de Belgique ont effectivement désigné des inspecteurs de la religion islamique au milieu des années 2000. La création d’écoles islamiques, pourtant constitutionnellement possible, reste limitée ; ce qui semble attester du fait que l’offre existante paraît globalement satisfaisante pour les musulmans de Belgique même si cette question est notamment posée à l’aune des interdictions posées quant au port du foulard islamique dans les écoles.

Et en ce qui concerne les initiatives de dialogue interreligieux, si celles-ci semblent parfois mises à mal en lien à un désintérêt des jeunes pour ce types de relations, ce que semble notamment attester une organisation à l’instar de El-Kalima, à Bruxelles, de nouvelles dynamiques se mettent en place, notamment à partir de la création du conseil des leaders religieux en Belgique, inaugurée au Parlement Belge en 2007.

Depuis quinze ans, la présence de l’islam et sa visibilité se sont aussi diversifiées, au gré des sensibilités, personnelles et collectives, culturelles-religieuses. Entre autres, si l’on parle toujours d’environ trois cent lieux de culte, qui restent surtout organisés au gré de clivages ethno-nationaux d’origine, quelques mosquées émergent désormais clairement et, pourrait-on dire, fièrement, dans les paysages urbains mais aussi ruraux, en tant que lieux de culte musulman (Dassetto & Ralet, 2010 ; Kanmaz et al, 2011). Le centre islamique et culturel du cinquantenaire, à Bruxelles, est désormais progressivement concurrencé, d’un point de vue symbolique, par des bâtisses telles que l’imposant centre al-Amal, à Anderlecht.

De nouvelles tendances associatives voient aussi le jour, où certains courants idéologiques intra-musulmans émergent et/ou s’imposent. Nous pensons avant tout à ceux qui sont plus regroupés sous le vocable « salafiste », qui semblent désormais occuper, de manière prédominante, le terrain assocatif religieux auprès des jeunes (Dassetto, 2011) : avec des affiches très léchées et des discours qui se concentrent sur des questions de morale et de préceptes normatifs, ceux-ci diffusent un message qui promeut surtout un retour à l’exemplarité prophétique. La tendance des Frères musulmans, qui place davantage l’accent sur l’importance de contextualiser ce message islamique, semble s’être éclipsée de la scène au profit des salafistes, tout en leur ayant, peut-être malgré eux, créé un terrain favorable. Nous constatons également qu’il existe une plus grande volonté des groupements soufis d’assumer une plus grande visibilité médiatique à l’instar de ceux de la Boutchichiyya ou des Alawiyya (sachant que le soufisme, en général, reste très critiqué par les salafistes).

Enfin, du côté des communautés turques, à côté de l’islam traditionnaliste et nationaliste

prôné par la Diyanet (qui s’impose auprès d’environ 2/3 des mosquées turques ; Manço, 2010) et des

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courants anciennement rattachés à une organisation plus politique, celle des Milli Gorüs, nous observons aussi la visibilité croissante d’un courant missionnaire réformiste et rationnalisant, le courant Gülen, qui prône notamment l’importance de l’exemplarité. Ce mouvement a notamment fait un coup médiatique très important, en décembre 2010, en parvenant à ouvrir une Chaire, à son nom, au sein de la Katholieke Universiteit Leuven, en vue de promouvoir les relations interculturelles. Grâce aux financements obtenus, qui permettent d’inviter des universitaires au niveau européen, un cycle de formation y est organisé en vue d’appréhender, la scène islamique en relation aux questions de cohésion sociale.24

Ces changements sont partiellement croisés par d’autres, en lien notamment à l’émergence et à l’affirmation de jeunes générations, deuxième mais aussi désormais troisième, voire même quatrième : selon des manières très différentes, ils sont amenés à (re)construire (sans cesse) leurs rapports, mais aussi sur leurs apports, au contexte environnant ainsi qu’à leur tradition religieuse en fonction des évolutions économiques et sociales, politiques et culturelles en cours. Il suffit de mentionner l’émergence de quelques faits et tendances, parfois contradictoires, pour illustrer combien les dynamiques en cours sont vivaces et complexes. Citons par exemple l’affirmation publique, même minoritaire, d’homosexuels musulmans au sein de l’association Merhaba (Bienvenue) depuis 2002, ou encore celle de musulmanes prônant une réappropriation de leur voix par la promotion du concept de « féminisme islamique ». Ce dernier leur permet de s’affirmer comme des sujets réclamant des droits tout en questionnant les traditions religieuses-culturelles intra-islamiques et les perceptions des non-musulmans vis-à-vis des femmes musulmanes (voilées), souvent présentées comme autant d’emblèmes d’une domination patriarcale traditionnelle (Haddou, 2007 ; Djelloul, 2012 ; El Bachiri, 2011) tandis que subsistent, parallèlement, des discours conservateurs sur l’homosexualité, les femmes (El Hamdi in Dassetto, 2010) et la séparation des genres. Un autre exemple se rapporte à la création d’une association belge de jeunes professionnels musulmans (ABPM), qui promeuvent des initiatives concrètes en vue de stimuler la réussite spirituelle et matérielle, scolaire et professionnelle chez les jeunes tout en affirmant le caractère positif de leur appartenance plurielle25 tandis que d’autres mouvements très visibles, à l’instar du groupuscule radical Sharia4Belgium, susmentionné, se situe aux antipodes du modèle d’engagement citoyen de l’ABPM, mais aussi du think tank Vigilance Musulmane (qui. assure une veille de l’actualité socio-politique en vue d’éventuelles réactions publiques notamment quand ses membres estiment devoir réaffirmer certains principes dans le domaine des relations entre l’Etat et les religions autour du principe de la neutralité)26.

Pour continuer à illustrer, sous un autre angle, la complexité des processus en cours, citons encore l’intérêt de plus en plus prononcé pour la finance islamique, comme en atteste notamment la création d’une filière d’enseignement spécifique sur la finance islamique par l’Institut Cooremans, à Bruxelles, ouverte depuis le mois d’octobre 2011. Le pilotage du projet est assuré par Mohamed Boulif, un ancien président de l’Exécutif des musulmans de Belgique, spécialiste en économie et en finance islamique, qui est un des pionniers de la recherche sur la finance islamique en Europe et le promoteur central de son enracinement comme objet de connaissance et comme pratique économique pour les Musulmans Belges, même si celle-ci ne s’impose pas encore au cœur des institutions financières reconnues en Belgique (Sor in Dassetto, 2011).

24 Voir notamment leur site www.immrc.be 25 Voir notamment le site de l’ABPM, l’Association Belge des Professionnels Musulmans, créée en 2007 : www.abpm.be. 26 Voir leur site www.vigilancemusulmane.be

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Notons aussi les évolutions rapides et diversifiées dans le monde de l’entreprise, où des politiques de la diversité sont mises en œuvre et négociées à l’instar du cas de la Société de Transports Intercommunaux de Bruxelles (Lamghari, 2012), mais aussi en matière de production et de consommation de biens licites d’un point de vue islamique. Il semble loin le temps où lorsqu’on parlait de nourriture halal, on envisageait avant tout les boucheries islamiques, sachant que la présence de celles-ci n’est plus guère l’objet d’attentions.

Désormais de nouveaux marchés de niche, spécifiques, émergent, à l’instar des filières

d’achats communs à la fois bio et halal notamment 27 ou des espaces de bien-être personnel soucieux de rencontrer les exigences religieuses des publics-cibles, tout en restant ouverts aux publics les plus larges.28 L’évolution de ces tendances et pratiques économiques témoigne d’un changement significatif d’éthos ou plutôt d’une manière d’apparaître voire de communiquer, de signaler son islamité par de nouveau canaux en voguant sur la vague « tendance ».

Les nouveaux marchés qui se structurent suscitent bien des réticences mais aussi des convoitises car leurs produits dépassent désormais souvent les marchés strictement communautaires musulmans. Pensons notamment aux grandes foires islamiques – en Belgique, la première d’entre-elle est organisée durant l’automne 2012 à Tour et taxis à Bruxelles - et aux modes de prêt-à-porter islamique radicalement contemporaines comme HNA collection, qui parie sur l’élégance et la pudeur, mais aussi la ligne de vêtement Azira, qui produit un « design éthique à la fois pour le corps et l’esprit » et dont le magasin se situe sur la rue très branchée de la mode bruxelloise, la rue Dansaert. Il existe aussi des espaces féminins consacrés aux défilés de robes de soirées ou aux T-Shirt liant slogans religieux et culture urbaine. Et si le marché belge des productions culturelles-religieuses islamiques, notamment littéraires et musicales, voire humoristiques, témoigne de beaucoup de dynamisme, il reste relativement peu visible et viable par rapport aux marchés français ou britannique : son succès dépend des marchés d’exportation, plus vastes, éventuellement à partir de d’Internet, sous peine de rester confiné à des milieux peu visibilisés à l’instar des salles de fêtes ou des soirées caritatives (El Asri, 2012) .

En ce qui concerne les canaux d’informations et de communications médiatiques de l’islam belge, ils restent encore assez marginaux : ils s’instaurent essentiellement à partir de canaux alternatifs, plus ou moins informels, notamment en lien aux difficultés récurrentes de l’organe chef de culte, l’Exécutif des musulmans de Belgique, à actionner des ressources étatiques disponibles en la matière. En effet, sous l’effet d’initiatives privées, dynamiques, de nouveaux médias se créent à côté des traditionnelles radios dites arabes : des sites, à l’instar de islamic-event.be, mediane.tv ainsi que des radios sur le web, qui ont toutefois parfois du mal à survivre financièrement, à l’instar de de la chaîne Islamina 29. Celles-ci ne se contentent pas seulement de transmettre de l’instruction religieuse, mais aussi de diffuser des annonces événementielles sans parvenir à constituer de véritables plateformes de dialogues et de débats entre les musulmans de Belgique.

27 Sur cette dimension, voir notamment le reportage « Green halal » diffusé sur le site de Mediane TV, qui évoque la convergence de préoccupations sanitaires et éthiques pour promouvoir le bio halal http://www.mediane.tv/fr/page/green-halal-bio-alimentation-Gerlando-coprosain-Duvuvier-Baligant-Najjari.php 28 Voir notamment le site http://www.goform.be/ (vraisemblablement ex : www.oumma-gym.be) ; les notions de « respect » et de « pudeur », y sont clairement mentionnées, notamment à destination d’un public féminin musulman soucieux de ces questions. 29 Voir www.islamina.net

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Ces exemples non exhaustifs témoignent d’une vigueur intra-islamique d’autant plus méconnue que ce sont les frasques de quelques-uns qui occupent le plus souvent l’avant-scène médiatique, à l’instar des déconvenues internes à l’Exécutif des musulmans de Belgique30. Au-delà de l’actualité événementielle, il importe pourtant de se pencher sur les dynamiques de fonds. D’une part, la recrudescence récente des interventions des pays d’origines dans la fabrication de l’islam local, sachant que leurs initiatives illustrent combien leur influence n’appartient pas au passé et que leurs pratiques, pourtant dépassées, sont désormais réactivées tout en étant notifiées à partir de modalités nouvelles. D’autre part, il importe de sortir de l’ombre le dossier fondamental, mais jusqu’à présent délaissé voire malmené, de la formation des cadres de l’islam : professeurs de religion islamique, imams ou autres cadres musulmans à l’instar des aumôniers entre autres. Les médias y reviennent quelques fois, mais encore insuffisamment semble-t-il tant les besoins d’organisations structurelles sont importants : en effet, au-delà de la solution autrefois préconisée, qui visait à choisir l’option de l’importation des savoirs et des personnes, considérées alors comme la plus pragmatique sur le plan de la forme, il importe désormais de se donner vraiment les moyens d’articuler la pensée musulmane contemporaine à son contexte et de démocratiser l’accès aux savoirs islamiques sur le local, au-delà d’initiatives particularistes et communautaristes. Des personnalités politiques, flamandes et francophones, semblent vouloir adopter un profil proactif dans ce domaine mais il reste à espérer que leurs voix puissent être entendues.

30 Celui-ci est cette fois bloqué suite à la plainte de justice déposée par l’Alternative Démocratique des Musulmans de Belgique (ADMB) à son encontre car trois membres de cette plateforme - qui souhaite l’émergence d’un organe représentatif démocratique et indépendant -, ont été (illégalement ?) évincés de leur statut de membres de l’Assemblée de l’Exécutif, à la suite d’un vote de défiance exprimé à leurs égards par les proches des fédérations marocaines et turques, le 13 janvier 2012. Pour un bilan critique relatif à ces trente dernières années sur l’Exécutif des musulmans de Belgique : (Dassetto, 2012).

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La compréhension des populations musul-manes suscite des difficultés. Les enjeux politiques, la prépondérance des lectures idéologiques associées à l’islam, les violen-ces internationales, les crispations autour d’interminables débats comme ceux du foulard, des caricatures, font écran à l’ana-lyse du quotidien. Parfois même, le regard sur le quotidien et le vécu de nombreux musulmans confondent des adhésions, des pratiques, des modes de vie issus de tra-ditions et de coutumes, en provenance de zones rurales marocaines ou turques avec des pratiques « musulmanes », entendues au sens religieux.

Or les transformations du vécu sont, à plus d’un titre, devenues manifestes. De plus en plus on s’interroge sur ce que signifie « être musulman belge », vécu comme réalité subjective, comme reformulation, comme choix personnel qui a une autono-mie relative par rapport à l’héritage cultu-rel et familial. Les musulmans belges et européens opèrent des reconfigurations créatives de leurs appartenances. Être mu-sulman belge est un état réactualisable en permanence, et cela concerne particuliè-rement les jeunes générations.

Être musulman belge : entre élaboration identitaire et devenir

dossier

L’image monolithique de l’islam masque la diversité de la réalité vécue par les musulmans. Ils réélaborent sans cesse leurs identités dans leur engagement social, leurs pratiques religieuses, leur rapport aux normes, leurs modes d’expression culturelle. Cette reconfiguration est sous-tendue par des manières différentes de se référer aux textes religieux. Ceux-ci peuvent être interprétés différemment selon que l’on privilégie une lecture traditionaliste vouée à être transitoire, la distanciation des mystiques et des rationalistes ou une approche réformiste qui tente de synthétiser les différents courants.

Farid El AsriFarid El Asri est chargé de recherches en anthropologie au Centre interdisciplinaire d’études de l’islam dans le monde contemporain (Cismoc-UCL).

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dossier Être musulman belge : entre élaboration identitaire et devenir Farid El Asri

Il étAIt « unE FoI »…L’islam d’aujourd’hui hérite de l’histoire d’une présence qui, depuis quarante ans, cherche sa voie au sein de cette nouvelle complexité, qui se superpose à celle de la société belge. Des personnes de première, seconde et troisième générations, sans oublier les convertis, sont passées par le tamis de mutations sociales, se sont inves-ties dans des organisations, ont entamé des travaux de réflexion visant une recon-textualisation des sources religieuses, ont tenté d’établir des ponts transculturels, ont reformulé leurs identités.

Du point de vue belge, dans les années septante, les musulmans sont discrets, voire invisibles. Ensuite, vêtements et enseignes de commerce, qui rappellent d’autres pays, introduisent dans l’es-pace public une note « exotique ». Le grand tournant du monde musulman de la deuxième moitié des années septante ainsi que la révolution de Khomeyni po-sent la question de l’islam politisé. Dans les années quatre-vingt, les images des révolutions en Iran prédominent dans les médias, entrainant l’assimilation de l’islam à l’intégrisme. Cette période constituera une charnière pour un certain nombre de parents, qui reviennent à une pratique plus explicite de l’islam.

La décennie allant de la fin des années quatre-vingt à la deuxième moitié des années nonante constitue une parenthèse. Les médias se font moins acerbes, à la suite de la victoire du Vlaams Blok en 1989 et de la vitalité organisationnelle d’un lea-deurship musulman émergeant au sein de la communauté. L’institutionnalisation de

l’islam mettant en place un organe chef de culte contribuera à activer des cliva-ges nouveaux. Suit alors une période de surinvestissement sur la question de l’islam, tant dans les médias que dans les associations et les recherches académi-ques. Les frappes du WTC exacerberont le débat en rattachant l’islam local à l’islam mondial…

Pendant cette période, les questions qui ont émergé, comme problèmes publics, pour les non-musulmans certainement et, en partie, pour les musulmans, com-portaient deux aspects majeurs. D’une part, l’islam politique et l’inquiétude face aux extrémismes se traduisent par des préoccupations sécuritaires ; d’autre part, l’organisation et l’institutionnalisation de l’islam. Les deux questions ont d’ailleurs été en partie liées : un islam institué d’après la loi de financement des cultes constituerait un rempart contre les déri-ves politiques.

Cette attention parfois obsessionnelle des uns et des autres n’a pas permis de voir la profondeur du travail qui a tenté de refor-muler les identités et transformé le vécu intime de l’être musulman.

DE proFonDEs trAnsFormAtIonsCes transformations se sont effectuées par le biais d’un rapport privilégié aux textes de références de l’islam qu’on essaie d’expliciter et de relire. Dans ce travail, quelques intellectuels embléma-tiques, comme le cheikh Sadik Mohamed Charaf, ont joué un rôle essentiel. Cet Azharite égyptien a vécu au Togo avant d’arriver en Belgique en 1973 où il a ré-

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sidé jusqu’à son décès en 1993. Les vingt années de son implication en Belgique, dans le Benelux et dans toute l’Europe, ont eu des répercussions profondes dans le devenir des musulmans. Quinze ans plus tard, il demeure une figure impor-tante pour les musulmans, même si son héritage n’a pas encore fait l’objet de pu-blications. Cette méconnaissance est un signe de l’écart entre la vie de la commu-nauté musulmane et l’image qui en est donnée. Le cheikh marocain Hassan Ben Siddiq, membre d’une famille à la renom-mée internationale, fait également office d’autorité religieuse incontestable. Ses prêches et enseignement à la Mosquée et à l’Institut du Cinquantenaire ainsi que sa présidence du Conseil des théologiens constituent son apport le plus visible.

Des figures locales telles que des imams charismatiques, des personnalités actives ou des acteurs associatifs ont également apporté des contributions significatives. Ainsi, la position de réseaux ou de struc-tures européennes tels que le Conseil européen de la fatwa et de la recherche autorisant le recours à l’emprunt pour l’achat d’une maison, interdit en principe par l’islam, est significative de la réflexion. D’autres intellectuels européens prennent aussi position sur diverses questions et des leadeurs émergent parmi les généra-tions montantes. Par ailleurs, un travail autonome, de l’ordre du bricolage indivi-duel ou en groupe, s’opère. Universitaires, militants associatifs ou conférenciers ré-fléchissent, parfois en autodidactes, sur les textes fondateurs et le rapport qu’ils entretiennent avec eux ainsi que sur le devenir de l’islam en Belgique.

Si on résume, la réélaboration identitaire des musulmans et, plus particulièrement, des jeunes, s’appuie, en plus de l’engage-ment social, sur trois dimensions.

lA prAtIquE DE lA rElIgIonTout d’abord, la pratique de la religion tra-duit en comportement ce qui relève de la foi. Elle s’exprime à des degrés varia-bles, et des pratiques semblent être plus suivies que d’autres. Le nombre de mos-quées a doublé en vingt ans, mais il reste malgré tout insuffisant. La place ainsi que l’implication des femmes au sein des mos-quées sont importantes, notamment l’al-phabétisation de « mamans » de première génération. La pratique peut être qualifiée d’irrégulière et la prière quotidienne est, par exemple, beaucoup moins suivie que le jeûne du Ramadan. En effet, le rythme des cinq prières par jour complique la vie active. La prière ressortit davantage à une motivation individuelle.

Toutefois, il semble que l’on assiste à un éveil de la spiritualité, de la pratique et du sentiment d’appartenance à une communauté spirituelle plus vaste. Les démarches collectives et occasionnelles attirent davantage. Les puissants cataly-seurs que sont les fêtes du Sacrifice et de fin de Ramadan, la prière du vendredi, le jeûne du Ramadan ainsi que les pèlerina-ges annuels à La Mecque montrent, d’une part, la vitalité des pratiques et, d’autre part, leur reconstruction dans le contexte belge.

Pour ce qui est des fêtes, tant les enfants que les parents les voient comme un jour spécial à aménager dans l’agenda. Hier,

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les musulmans vivaient leur religion sans se poser de questions, discrètement et très souvent, dans l’indifférence de leurs concitoyens. Aujourd’hui, les choses ont changé : certaines pratiques soulèvent des interrogations parfois perturbantes. Ainsi lors de la fête du Sacrifice, dite « Kurban Bayram » en turc ou « Aïd Al Adha » en arabe, la question de l’abattage du mou-ton monopolise l’attention, suscite des polémiques au point d’occulter la fête elle-même.

On peut souligner des comportements divers : l’important taux de suivi des émissions religieuses sur les chaines paraboliques, la grande vitalité des mos-quées et des librairies qui enregistrent une grande affluence, le grand nombre de conférences, l’organisation de plus en plus structurée pour la protection des pèlerins, l’investissement dans les causes humanitaires, l’engagement plus intense dans la pratique, etc.

lA normELa deuxième dimension de la reconsti-tution identitaire concerne la norme. Les référentiels islamiques sont mobilisés comme ressource de sens et comme mode d’expression de celui-ci. Ces discours cherchent à identifier les référents iden-titaires qui font la spécificité musulmane et la possible latitude qu’ils laissent pour se situer dans l’espace culturel et civili-sationnel contemporain. L’intériorisation de la norme juridique par les musulmans crée des intersections entre les sphères traditionnelles héritées, le monde envi-ronnant et la référence à l’islam.

Des interrogations se posent quant au fait de savoir quelles sont les pratiques lici-tes et celles qui ne le sont pas aux yeux d’une interprétation religieuse. La pré-sence musulmane dans un espace où elle est démographiquement minoritaire pose des questions nouvelles qui touchent le quotidien, la culture, la vie familiale.

À cet égard, des notions d’un autre âge, qui ne relèvent pas de la norme, avaient classé le monde en deux catégories : le monde de l’islam et celui du non-islam. Où classer l’espace européen ? Si l’espace européen est celui du non-islam, alors le rapport à ses institutions pose problè-me. La participation à la vie sociale s’en trouverait réfutée, ce qui encouragerait le repli. Les lectures les plus tranchées pencheraient vers l’illégitimité de la pré-sence et de l’implication musulmanes et les pousseraient au départ. Dans les années précédentes, ces conceptions ob-solètes, dont il subsiste des survivances, ont troublé le devenir d’une présence se-reine en Europe. Aujourd’hui, il y a un consensus parmi les musulmans sur la légitimité de leur présence en Europe et sur la Constitution comme référence qui permet et garantit de vivre et de pratiquer librement leur religion. Mais à l’intérieur de ce cadre, les musulmans s’interrogent sur leur manière d’être musulman au quotidien.

Les questions sont nombreuses. Elles vont de l’implication politique à la sexualité en passant par la finance, la gestion du troi-sième âge et la nourriture. Ainsi voit-on se multiplier les initiatives commerciales d’offre de produits Halal, qui souffrent

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toutes de la question de déterminer l’ins-tance légitime qui peut garantir si un pro-duit est propre à la consommation. Des associations apparaissent et se fédèrent, mais la tâche est aussi épineuse qu’ar-due et le paramètre opportuniste de la conquête de nouveaux marchés n’est pas à ignorer.

Depuis quelques années, dans les codes vestimentaires, notamment féminins, se dessinent des modèles de tenues mariant un style qui plait aux yeux et à Dieu. Mais l’équilibre entre l’esthétique et l’éthique n’est pas toujours trouvé. On oscillera ainsi entre le proche-du-corps et l’extra-large. Aussi, vu le peu de concurrence, le risque existe d’uniformiser l’apparence des musulmanes qui s’habillent aux mêmes enseignes. Beaucoup se construi-sent donc leur propre style et promeuvent une créativité individualisée.

Les questions concernent également des choses aussi courantes que la musique : on s’interroge sur son caractère licite puis-que des théologiens imposent, depuis des siècles, des interdits ou des restrictions en raison de leur lecture des références coraniques et prophétiques. D’autres dé-fendront la position inverse sur la base d’arguments puisés aux mêmes sources. Une troisième voie mettra des conditions très précises. À l’heure des confluences culturelles, des Belges musulmans se penchent sur des genres nouveaux. On entendra, par exemple, des musiques traditionnelles réactualisées ou des re-codifications puisant dans les répertoires esthétiques contemporains.

l’ExprEssIon culturEllELa troisième dimension passe par l’ex-pression des musulmans. On entend par là, l’émergence, cette dernière décennie surtout, d’une intense visibilité de pro-duits culturels : films, chants, livres pour enfants, musique, théâtre, expositions… Il s’agit notamment de produits diver-tissants, artistiques ou didactiques qui ont été sélectionnés pour leur conformité à une éthique de la consommation mu-sulmane (pudeur langagière des paroles de chansons, films avec un sens ou une moralité, absence d’images ou de scènes jugées obscènes…). De plus en plus, des créations musulmanes sont produites pour les consommateurs de ce nouveau marché1. Bon nombre de ces produits sont désormais de création et de distribution locales et l’éclosion en Europe, ces cinq dernières années, de maisons de produc-tion au répertoire islamique aide à tra-duire la demande du consommateur. Des artistes musulmans font également appel à un répertoire qui ne fait pas nécessai-rement écho aux références musulmanes : ils mettent, par exemple, en avant des valeurs communes comme la paix ou la justice. Par cette omniprésence du sens dans la culture se construit sans doute un processus d’identification inédit au cœur de la réalité européenne.

DIvErsIté DEs lEcturEsLa recherche de référents identitaires est prégnante, mais elle suscite aussi des ré-ticences de la part de certains courants. Car, comme dans toute religion, se pose la question de la justification des choix en fonction de la lecture qui est faite des

1 Voir El Asri Farid, « Au croisement des mondialisations : le cas du chanteur Sami Yusuf », dans Recherches sociologiques et anthropologiques, Louvain-la-Neuve, volume XXXVII, n° 2, novembre 2006, p. 79-91

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textes fondateurs d’où découlent des atti-tudes et des positions à l’égard du monde environnant. Les réponses se font diver-ses en fonction de la méthode d’approche du texte.

Dans le rapport aux textes et au monde, trois grandes clés de lecture se juxtapo-sent, voire cohabitent en Belgique et en Europe. On pourrait les qualifier de tran-sition, de distanciation et de synthèse. Ces approches sont en connexion avec les traditions culturelles musulmanes et avec des dimensions issues du contexte euro-péen non musulman.

Notons que les schémas présentés ci-des-sous synthétisent une tendance domi-nante, mais chaque lecture comporte ses variantes et les adhérents peuvent partager une vision sans la vivre concrètement.

lA trAnsItIonDans des organisations traditionalistes telles Jamaa’at at-Tabliqh, étudiée en Belgique dès la fin des années quatre-vingt, l’islam est pragmatique et sim-ple. En font partie des personnes qui reviennent à la pratique religieuse en quête d’une prise en charge de la prati-que cultuelle autant que d’une culture du partage communautaire. Elles passent d’abord par le groupe pour découvrir un moment prophétique artificiellement re-constitué dans la simplicité de la pratique et de la vie. Ensuite, l’immersion inten-sive dans la collectivité, avec parfois des retraites de plusieurs mois, qualifiées de « sortie dans la voie de Dieu », fait place à un retour à la vie de tous les jours. Une fois l’individu culturellement autonome,

il rompt avec la dynamique forte du groupe. Les fidèles quittent parfois défi-nitivement ce prêt-à-prier issu d’un islam qui entend outiller le quotidien. Cela s’explique par l’atrophie de l’implica-tion dans les champs politiques, sociaux, citoyens, et l’exacerbation du rituel. Au fond, désengagés des défis de la société, ils restent pieds joints dans la lecture tra-ditionnelle d’école. Ces dernières années le mouvement parait s’être quelque peu essoufflé, à Bruxelles notamment.

Une autre approche, qui pourrait être considérée comme transitoire, est celle des courants « salafis », littéralement les sui-veurs des salaf, c’est-à-dire les compagnons du Prophète ainsi que les musulmans des trois premières générations de l’islam. L’approche des salafis est littéraliste et ils s’opposent méthodologiquement à toute réflexion sur le sens ou l’objectif du texte qu’ils considèrent comme des « dérives » d’interprétation. Il s’agit d’un rapport de premier degré au texte, d’un prêt-à-penser qui refuse toute implication dans la so-ciété. La rupture avec les défis de la so-ciété place ces adhérents dans une relative volatilité. Le salafisme est donc une lec-ture de transit, car elle n’est confortable que pour des célibataires ou des familles en retrait. Les choses se corsent avec la constitution d’une famille au moment où la société contredit l’illusion d’une cité idéale bâtie dans le repli.

Elle est aussi transitoire parce qu’elle est un tremplin qui répond de manière claire aux attentes des jeunes qui acceptent tem-porairement une remise en ordre par une prise en charge globale. Mais la nécessité

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de se construire ainsi que le simplisme et la démagogie de certaines réponses fi-nissent par nuancer le rapport au courant salafite.

lA DIstAncIAtIonLes espaces soufis belges sont des zones de distanciation momentanée avec l’agi-tation du monde et son apparente attrac-tion. Le soufi rompt avec la mondanité et promeut un ressourcement spirituel ou fraternel lors de liturgies ou de rencon-tres avec les initiés. Cette distanciation est souvent le fait de personnes fort ac-tives dans la société. Elle est davantage un « pas de côté » pour une activation de l’expérience du rapprochement du divin qu’un désengagement.

Paradoxalement, car presque à l’opposé des croyants du cœur que sont les soufis, on rencontre les tenants d’un rationalisme qui se qualifie de musulman. Ils criti-quent parfois les textes de réformistes li-béraux, d’humanistes, de laïques, certains se disant même agnostiques. Minoritaires dans le paysage, ils sont pourtant très médiatisés et sont souvent pris comme interlocuteurs privilégiés par différentes instances. Les rationalistes partent du mo-dèle occidental comme référence de base. Ils invoquent la primauté de l’individu et rejettent la pratique dans le privé qui est souvent limitée à une expression spi-rituelle volontariste. Ils privilégient une visibilité de l’islam civilisationnel plutôt que cultuel. Ce qui les caractérise, c’est la distanciation à la lettre du texte cora-nique et parfois au texte même. Certains mettent entre parenthèses la notion de la révélation dans la lecture du Coran, qui

est alors considéré comme un ouvrage littéraire jailli de l’histoire. Une dernière distanciation est celle qui est faite par rapport aux croyants musulmans. Prônant une assimilation à la société sécularisée, ils voient d’un mauvais œil la forte vi-sibilité de leurs coreligionnaires dans la sphère publique. Il y a là une sorte de dé-finition permanente de soi par une mise à distance de l’autre.

lA synthèsEUne quelconque convergence avec les deux premières dimensions parait im-possible. L’approche dite réformiste tente pourtant l’exercice en extrayant l’essence de chacune des lectures. Elle aspire à la nécessaire éducation spirituelle des sou-fis, au raisonnement dans le rapport aux références et aux enjeux des rationalistes, à une pratique vivante selon le modèle prophétique des traditionalistes, à une référence aux premières générations mu-sulmanes et à un rapport au texte des sa-lafis. La pensée réformiste cherche à créer, par l’outil de l’ijtihad (« effort »), des in-tersections entre le texte et le contexte mouvant. Son succès est dû, en partie, à sa capacité de rencontre avec un certain nombre de domaines qui touchent à la vie des musulmans et à la cohérence avec laquelle s’élabore son argumentaire reli-gieux. C’est l’objectif du texte coranique ou prophétique qui est recherché en prio-rité ; viennent ensuite les modalités de son application dans la réalité.

Entre ces différentes positions se dessinent des formes de rivalité, mais conjoncturel-lement une sorte de coexistence semble plutôt émerger. Ces démarcations de mé-

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thodes et de pensées font toutes appel aux mêmes sources. Elles ne peuvent toutefois être classées en modérées ou en radicales, ou en « bonnes » ou « mauvaises » voies. Les réalités sont plus complexes et rui-nent toute tentation de simplisme.

Depuis une quinzaine d’années, tous ces courants proposent des conférences, dif-fusent des supports écrits et audio. Après une période de traduction d’ouvrages classiques, on est passé à l’importation de références françaises, notamment, puis à l’apparition d’auteurs locaux. La plupart sont des éditions de mémoires, de pam-phlets moraux ou de guides des bonnes pratiques. Il s’agit de fait de balbutie-ments qui nécessitent une orientation critique, car beaucoup se laissent aller à des vulgarisations commercialisables sans pour autant constituer des œuvres fondamentales dont le marché a besoin. En effet, un vaste champ d’études reste à explorer, à penser et à éditer. Se dire reste vital. La culture, la mémoire, l’imaginaire, l’esthétique, la norme, la citoyenneté, l’interreligieux, la spiritualité sont autant de pistes ouvertes à la réflexion.

un IslAm loIn DEs clIchésComme pour toute réalité sociale, celle de l’islam chemine, change, se construit dans les débats, par essais et erreurs. À l’en-contre d’une image monolithique et figée de l’islam, souvent véhiculée, il importe de prendre en compte ces multiples pul-sations, de saisir les tendances qui voient le jour. Cela suppose une connaissance de l’intérieur qui ne soit pas celle de clichés et qui ne se braque pas sur des épiphéno-mènes, l’écume, qui restitue mal le deve-nir des grands courants. n

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Les vagues de représentations contemporaines du Prophète de l’islam confirment la structuration de perceptions réciproques déformantes. Ainsi, la contemporanéité traduit un conflit sémantique de l’image aux issues drama-tiques. La lutte engagée porte dès lors sur le droit au maniement des symboles, par le dessin et la satire, et sur la responsabilité qui découle des actes d’opinions. Les régimes du signifié et du signifiant, d’un référentiel religieux, et la liberté d’action et d’interprétation du sens restent entièrement questionnés.

1. Champ de mines de crayons

La forme primaire de l’expérience du temps illustre toujours l’évidence d’un avant au présent. Ainsi, la tragédie des événements parisiens du 7-9 janvier 2015 frappe dans nos consciences avec un arrière-goût de déjà-vu. Le con-temporain présenterait une sorte de mythe de Sisyphe autour de la question de la caricature du Prophète de l’islam.En effet, le scénario des premiers traits satiriques de Muhammad était déjà engagé, en 2006, par le quotidien danois Jyllands-Posten ; avant de résonner auprès de relais satiriques en France. L’idée était de défier le « tabou » de la non-représentation du prophète, depuis l’assassinat de Théo Van-Gogh aux Pays-Bas en 2004. L’embrasement fut alors planétaire et portait le choc de drapeaux brûlés, le boycott de produits danois et l’hystérie de manifestants à niveau jusqu’alors inégalé. Les morts se comptaient par centaines et les édifices de cultes chrétiens en Afrique où les bâtiments diplomatiques danois subirent le saccage de foules en transe. C’est un imam d’Aarhus au Danemark, relayé par des instances au Liban, qui fut le chef de file de cet embrasement. Parallèlement, les institutions musul-manes de France portaient cette affaire, de façon plus démocratique, devant les tribunaux. Charlie Hebdo était alors déjà en cause pour avoir muté en caisse de résonnace et en soutien aux caricaturistes danois. Ils illustrèrent donc les 12 images et qui furent réceptionnées comme une « défiance » et une « déviance » à la morale de beaucoup de croyants musulmans. Le « choc des photos » supplantait ainsi le « poids des mots » avec une portée internationale. Une bombe dans le turban, des vierges sur un nuage et un barbu exalté à l’épée saillante, voilà donc des clichés à la communication redoutable. Le pakistanais, l’iranien et le musulman italien s’improvisaient à loisir comme sémi-ologues de l’offense.

Notons que durant le Ramadan 2012, la sortie d’une série télévisée produite par la MBC1 sur le calife Omar a égale-ment suscité de vives polémiques, avant d’entrer progressivement dans les foyers et connaître un succès d’audi-tion considérable. Ce fut une révolution dans le monde sunnite où l’un des plus proche compagnon du prophète se trouvait incarné par un acteur. Sauf qu’au même moment, le film américain antimusulman « The innocent of Muslims » s’annonçait outrancièrement sur la toile. Réalisé sur la forme, dans la droite ligne de mauvaises séries Z, par un copte égyptien aux USA, la résonnance du « film » n’en fut pas moins puissante. Elle engrangea de grandes mobilisations à travers le monde et la fraicheur de la colère était intacte. Des images de provocations mal-faites et presque improvisées avaient malgré tout réussi à produire un tas de clichés de désolations et de morts. La colère n’en finit pas de croître, encore et encore, face à un Occident jugé suffisant et qui se permettait de cracher en sus sur les fondements de ce qui fait encore sens dans une partie du globe. L’effet des tensions sur les symboles était atteint et les identités à fleur-de-peau se réaffirmaient dans la globalisation.

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Quelques années plus tôt, c’est la chute du mur de Berlin et l’affaire Rushdie qui préoccupèrent l’actualité en 1989. Salman Rushdie venait de romancer le prophète au travers de son imagination débordante et considérée comme insupportable pour les critiques musulmanes. Au travers d’une mise en scène jugée comme une atteinte à l’in-tégrité et aux nobles mœurs du Prophète, l’émotivité le disuptera rapidement à l’insupportable. Depuis, une fatwa de Damoclès pèse toujours sur la tête du romancier d’origine musulmane.

Mais la genèse de la polémique, portant sur la représentation du Prophète de l’islam en Occident, remonte jusqu’en 1977 aux Etats-Unis. Le réalisateur Moustafa Akad, mort dans un attentat à Amman en 2004, venait de diffuser son biopic sur Muhammad : « Le Message » avec Anthony Queen et Irène Papas comme icône du cinéma international. Tout en respectant la non représentation du Prophète et de son entourage le plus proche à l’écran, et tout en ayant été cautionné par de grandes instances religieuses sunnites et chiites, ceci n’empêcha pas des émeutes d’éclater aux alentours des salles de projection à Washington et même l’organsiation d’une prise d’otages par un groupus-cules radical des Blacks Muslims. Le scénariste supposé d’origine juive était accusé d’infiltrer le projet afin de nuire à l’image du Prophète et la peur de voir utiliser ce support pour entaché le symbole de l’islam a suffit de mettre le feu au poudre. Aujourd’hui, le biopic est presque dans tous les foyers musulmans et constitue un support central d’initiation à l’islam et de pédagogie au sein des institutions musulmanes.La représentation du Prophète touche à une problématique qui repose sur une série de référentiels moraux et qui veille à ne pas entacher le statut du prophète par une incarnation limitant le champ de la représentation dans l’imaginaire. Le deuxième frein est bien entendu l’évitement de la représentation comme risque à l’idolâtrie. Seuls les Talibans ont effacés ce risque avec de la dynamite, éradiquant les statues de Bouddha en mars 2001 à Bâmiyân. Sinon, le débat du risque d’idolâtrie est caduc et la représentation est à éviter tant que faire se peut. Les miniatures persanes et les affiches où peintures représentant le prophète sont là pour en témoigner. Le vrai débat des caricatures portait donc sur l’opinion cachée derrière l’expression et sur le côté satirique de cari-catures réactualisant les deux marqueurs imputés à l’islam depuis le 8ième siècle par l’Eglise médiévale : la violence et la sexualité permissive. Et comme dirait un islamologue de renom en Belgique, on oscille toujours dans les clichés de l’islam en Europe entre « la Fatwa » et « la Fatma ». L’offense porte donc sur l’obsénité de figures sacrées et le déni par le contenu plutôt que sur le blasphème de forme. Mais le crime sans nom perd toujours tout argument.

2. Prévenir la radicalisation

Les récents événements en France ont ouverts une dangereuse boite de Pandore. Dix-sept morts et plus de deux-cents actes antimusulmans comptent déjà, en moins d’un mois, dans le palmarès de l’extrémisme et de l’amalgame. L’empathie collective a été forte et a redonné un brin d’espoir dans un climat tendu. Il s’agit à présent de compren-dre pour dépasser.Le décodage des pratiques et des discours musulmans continue de faire défaut, autant que les apports pragma-tiques permettant de dépasser les climats de méfiances réciproques et les controverses stériles. Prenons d’abord comme un état de fait majeur l’idée que les Musulmans sont définitivement sortis d’une logique migratoire nous apparaît centrales. Les Musulmans sont là pour rester et beaucoup sont d’ailleurs des européens de naissance. Le bon sens nous pousse à agir en conséquence de la réalité européenne dans son changement.

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Les défis que pose la présence musulmane en Europe sont importants et touchent de nombreux pôles de la société. Des pratiques religieuses qui interrogent les limites de la neutralité dans l’espace public, de la liberté de culte et d’expression, du respect des symboles de foi et des droits aux blasphèmes, jusqu’aux expressions les plus radicales du religieux exposent la palette des réflexions qu’il est urgent de mener au sein de la société. De plus, le facteur démographique densifie la visibilité de l’islam ainsi que les débats identitaires et les passions ou dérives qui en découlent. Il peut en émaner, en sus des aménagements pratiques, des tensions inédites fragilisant tout l’équilibre social, et jusqu’à réinterroger l’essence qui fonde le vivre-ensemble. L’interférence des actualités internationales dans le quotidien des citoyens et la localisation, en plein cœur de Paris, d’un extrémisme sanguinaire achève le processus de la peur cadencée.

Il en découle un précédent troublant où se renforcent les thèses extrêmes, les sacrifices de la citoyenneté sur l’autel des communautarismes et décomplexe les populismes les plus vifs sont décomplexés. Des politiques et des médias pointent, dans une évidence déconcertante, le slogan, « sans définition fixe », de l’intégration. Ils le traduisent d’ail-leurs, en plein janvier 2015, par l’échec. Un politique flamand a même brandit le Coran dans une hémicycle politique en le qualifiant de « Licence to kill ».

Les sociétés ouest-européennes possèdent une population d’origine musulmane importante et le défi consiste à composer avec une majorité tout en faisant face aux outsiders menaçants qui peuvent exister en son corps. L’Eu-rope attend donc, plus que jamais, des pistes concrètes et constructives pour endiguer les carences du savoir-faire. Car il faut malgré tout continuer d’avancer sereinement dans l’avenir et notamment sur la résolution des prob-lèmes dans leur complexité et la question de la prévention à la radicalisation est un des éléments qui compose la boîte-à-outils.

Des instruments pour une politique efficace et adaptée à la prévention des actes radicaux qui se réfèrent à une reli-gion, en l’occurrence à l’islam, peuvent s’envisager sans créer de la confusion, de l’essentialisation ou de l’amalgame. La Belgique est l’exemple même des pays européens les plus concernés par ce phénomène : elle est perçue depuis quelques années comme le lieu d’épanouissement des thèses djihadistes et le point de départ d’opérations violentes à l’étranger. De plus, l’attentat du Musée juif perpétré par Mehdi Nemmouche, le procès du groupe Sharia4Belgium à Anvers, les secousses récentes à Verviers et les interpellations sur Bruxelles ont reposés avec force la question des moyens mis en œuvre pour prévenir les dérives violentes à caractère religieux. C’est toute la matrice des in-stitutions religieuses, éducatives, des relais sociaux et culturels et des politiques qui sont notamment questionnés.

A cet égard, le politique ne peut plus limiter son action à la seule répression, par exemple, et cela pour plusieurs rai-sons. La première tient à la relative efficacité de la démarche répressive au vu des moyens financiers considérables qui y sont alloués depuis des années, tant au niveau national qu’européen. De ce constat découle une deuxième rai-son : plus le politique se désintéresse de la prévention à la radicalisation – autrement dit, plus il délègue cette ques-tion hautement sensible à des instances communautaires peu outillées à y faire face (famille, religion)- plus il ouvre la voie au renforcement des positions extrêmes qui tirent leur succès de l’instrumentalisation des actes radicaux et violents. Enfin, en troisième lieu, la non-prise en charge de la question des départs en Syrie et en Irak, notamment, peut contribuer à nourrir chez les familles, les enseignants et les travailleurs sociaux livrés à eux-mêmes d’intenses sentiments de désespoir et de frustration, ainsi qu’un ressentiment profond à l’égard du politique, dont l’inaction pourra être interprété comme le signe d’un manque d’intérêt pour la dimension humaine et sociale du problème.

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Aussi, la prévention de la radicalisation idéologico-religieuse devrait être l’objet d’une réelle prise en charge poli-tique. Toutefois, un examen attentif des différentes solutions de prévention testées chez nos voisins européens fait apparaître que seules des formations à la détection d’une radicalisation déjà en marche sont jusqu’à présent proposées. Le temps long de l’éducation jouera certainement comme facteur de prévention aux dérives. Promou-voir une éthique de la responsabilité c’est inciter à réinvestir prioritairement dans l’enseignement.

3. La craie et la règle du changement

Les défis que pose la présence musulmane en Europe sont importants et touchent de nombreux pôles de la société qu’il est désormais urgent de mener avec les enseignants : une palette de réflexions qui touchent aussi bien aux pratiques religieuses qui interrogent les limites de la neutralité dans l’espace public, jusqu’aux expressions plus radicales du religieux nécessitent un pas de côté pour la formation. L’enseignement public possédant en son sein une population de confession musulmane importante, souffre notamment d’une carence de pistes concrètes et constructives pour avancer sereinement dans l’avenir et ceci passe par la formation. Le décodage des pratiques et des discours musulmans fait défaut, autant que les apports pragmatiques permettant de dépasser les climats de méfiances réciproques et les controverses stériles.

Ainsi, la formation revêt une place centrale dans les priorités d’accompagnement des enseignants et de leurs ques-tionnements à vif. Ces derniers, qui sont au plus près des publics sensibles aux questions du radicalisme, atten-dent des réponses adéquates et des grilles de compréhension des réalités de l’islam européen. La formation des accompagnateurs de première ligne des jeunes générations apparaît donc comme cruciale, surtout au regard des attitudes et des risques des discours extrêmes en circulation.

Notons que depuis la fin des années 1960 déjà, des écoliers d’origine musulmane fréquentent les bancs d’écoles des pays européens. Cette présence inédite de l’islam, dans les établissements scolaires en contexte nouveau, ne posait pas les questions qui nous interpellent aujourd’hui. Les publics, les enjeux, les environnements médiatiques et les proportions ont changés.

Nous avons affaire, ici, à un défi générationnel important et qui demande des scénarios prospectifs insufflés par une fine connaissance du terrain et de ses enjeux. Notons qu’il reste peu d’options citoyennes de sortie de crise et les climats dus à une démocratisation de l’accès aux flux de données (à ne pas confondre avec la saine compréhen-sion des faits) ne facilitent pas les choses. De nombreuses question pendent sur le bout des lèvres de beaucoup d’acteurs musulmans et non-musulmans et elles sont le résultat d’un déficit en matière de connaissances et donc de compréhension. Ce qui a pour conséquence d’accentuer les mal-réponses, voire de renforcer les impasses d’un vivre-ensemble exigeant et harmonieux. Convaincu que le caractère inédit et urgent des départs en Syrie et en Irak ne doit pas conduire à produire des solutions d’urgence qui ne règleront pas le problème de fond, il convient de recourir à des méthodes pédagogiques précises, notamment en offrant des espaces de compréhension des enjeux en cours et qui sont adaptés aux acteurs de l’enseignement.

Ces méthodes de prévention s’inscrivent dans une logique de lecture complexe du fait religieux en Europe et d’an-ticipation de la radicalisation ou de l’acte violent qui la caractérise. La prévention requière une expertise transver-sale s’articulant au croisement de l’histoire, de la sociologie et des sciences islamiques.

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La sortie de crise passe par une maitrise cognitive des référentiels et des terrains socio anthropologiques. Dé-passer les blocages c’est passer par de la connaissance pluridisciplinaire (histoire, sociologie des religions, théol-ogie) nécessaire à la mise en œuvre d’un programme de prévention global. A ces savoirs théoriques s’ajoutent une expérience de terrain reconnue dans le champ pédagogique, la sphère religieuse et les milieux dits radicaux. L’approche de cette expérience se doit d’être un espace de formation rigoureux interagissant aussi bien avec la sociologie de l’islam, l’histoire des religions, l’islamologie que les questions liées à la géopolitique globale. Arrêter un enfant de huit ans pour refus d’une minute de silence est un non-sens pédagogique et un aveu d’impuissance. Il s’agit de faire appel au bon sens et à la restauration de la confiance. L’école est avant tout un espace de dialogue, mais il n’est plus le seul espace de connexion à la connaissance.

Conclusion

Nous traversons donc une crise majeure qui constitue un terreau favorable à l’entretien des imaginaires confirmés par la violence du réel. La probité intellectuelle exige une prise de position pour dénoncer, par principe, les dérives existantes où les tragédies de l’actualité. C’est pourtant dans ce climat de turbulences accrues que doit germer le dialogue qui fait front autant à la ghettoïsation de certaines lectures qu’à la méfiance entretenue à l’égard de l’au-tre. De part et d’autre des rives de la perception, il convient de faire appel à la nuance et à la complexification des réalités. Le rôle des médias, dans le dialogue entre les mondes, est en ce sens central. La dialectique entre éthique de conviction et éthique de responsabilité reste pleinement engagée, à fond.Pour dépasser le piège des blocs, poser l’impératif d’un dialogue productif, visible sur le terrain du quotidien et non pas circonscrit au partage de conceptions théoriques en rupture avec l’espace environnant, il faudra éduquer à l’altérité. En effet, à l’heure où la binarité du monde semble gagner du terrain, il convient de plaider pour une dé-marche de rencontre transformatrice. Promouvoir un réenchantement de la rencontre avec l’autre, sans angélisme stérile ni diabolisation à tout va. Une rencontre d’écoute qui sera un rameau constitutif d’un vivre ensemble en mu-tation et qui se traduit par une complémentarité de la dynamique réflexive avec l’éthique et les valeurs communes. Nous devons bien cela aux morts tragiques et inutiles de Paris. Dans les « Nouvelles Peurs », Marc Augé pointait du doigt que nous pressentions l’urgence mais que nous consta-tions l’impuissance. Aussi, l’histoire du temps présent est traversée par des peurs mais également par l’espoir. Et si la peur pas encore fini de poindre le bout du nez, il faut refuser de cesser d’espérer.

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Les origines de l’humain et sa problématique actuelle dans l’enseignement. Entre sciences modernes, convictions et (re)lectures du Coran

Comme dans de nombreux pays, il existe en Belgique un débat entre les tenants d’une certaine vision religieuse et, entre autres, celle de l’islam et des enseignements scientifiques ou des pratiques pédagogiques. Le débat portant sur les origines de l’Homme dans les écoles belges se caractérise par son aspect sensible, discordant et imprécis. Il est très sensible, car il confronte le domaine du savoir – la matière à enseigner – à celui du croire des apprenants (et parfois des enseignants eux-mêmes). Il est aussi discordant par les tensions et les conflits de loyauté générés entre savoirs scolaires et extrascolaires (foyer familial, formations complémentaires) auxquels se trouvent confrontés, selon les écoles, un nombre parfois important d’étudiants1. Enfin, il est imprécis parce que les enjeux et les finalités des échanges entre les tenants de positions divergentes ne sont jamais clairement objectivables et se trouvent en réalité plus passionnés que rationnels. Le débat est donc complexe, particulièrement lorsqu’il s’agit d’apprenants porteurs de convictions religieuses affirmées. Il peut concerner des élèves d’origine protestante ou des Témoins de Jéhovah. Les élèves appartenant à l’islam ne sont évidemment pas épargnés. Ils alimentent les séances portant sur la question des origines de l’humain par des angles d’approche relativement inédits et ce, tant par les supports, les revendications que par les attitudes. Nous nous limiterons, ici, au débat tel qu’il se déroule dans le contexte musulman.

1. Le contexte

Le programme de biologie propose, dans le cursus secondaire belge, une approche scientifique axée sur l’évolutionnisme et le darwinisme. Cette théorie scientifique provoque des interrogations mais aussi des résistances lorsqu’il s’agit d’assimiler la matière et de la restituer pour une évaluation de l’apprenant2. Il peut s’ensuivre un conflit qui alimente la crise d’autorité dont souffrent les enseignants, surtout dans les écoles à plus forte implantation populaire. Les arguments sont de provenances diverses : ils peuvent être exprimés ou resteront sous-entendus par les étudiants en classe. Pour les jeunes musulmans, ces arguments proviennent de la transmission familiale, là où l’existence du monde et l’origine de l’Homme se conçoivent comme résultant d’un acte divin créateur. Ils proviennent aussi

1 Cf. La formation interréseaux proposée en Communauté française de Belgique aux enseignants de religion sur « le conflit de loyauté vécu par les élèves vis-à-vis de ses pairs ou vis-à-vis de sa famille », FUNDP, 28 avril, 20 mai, 5 juin 2008. http://www.fundp.ac.be/universite/asbl/interfaces/outils/creationnisme

2 Notons tout de même que les enseignants biologistes et normaliens en formation ne sont eux-mêmes pas tous unanimes quant au contenu du programme portant sur la théorie de l’évolution. Cf. à ce propos Hugues Dorzee, « Quand Darwin dérange, des futurs professeurs refusent d’enseigner la théorie de l’évolution. Les ministres sont interpellés », Le Soir, 14 avril 2008.

Les origines de l’humain et sa problématique actuelle dans l’enseignement. Entre sciences modernes, convictions et (re)lectures du Coran

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des discours entendus dans des associations ou mosquées, ou véhiculés par une production de livres et d’autres outils médiatiques (dvd, cd-rom, logiciels, sites Internet). La question se pose de manière très spécifique en Belgique francophone. En effet, dans l’enseignement public obligatoire3, la loi prévoit un cours de religion de deux heures par semaine. Ce cours est dispensé par des enseignants4 proposés à la désignation et à la nomination par l’autorité religieuse5 (appelée Organe Chef de Culte). Cette autorité établit aussi le programme et les contenus de l’enseignement. Depuis 2004, cette fonction est assurée par trois inspecteurs de la religion islamique6 : ils ont le statut de fonctionnaires publics relevant des ministères de l’éducation compétente. Commencé peu après la reconnaissance de l’islam en Belgique en 1974, cet enseignement s’est progressivement amplifié : en effet, l’organisation de ces cours est obligatoire et répond à la demande des parents7. En raison de la fédéralisation de la Belgique, l’enseignement relève de la compétence des communautés linguistiques. On se limitera ici aux écoles francophones. Les cours de religion islamique concernaient en 2005 quelque 36.747 élèves du primaire et du secondaire pour l’ensemble des écoles relevant des institutions francophones (appelées Communauté française). Y enseignent actuellement quelque 480 enseignants. Les enseignants ont été recrutés par vagues successives depuis trente ans. Leur formation est assez diversifiée : elle peut être marquée par leur appartenance à divers courants de lecture musulmans ou, aussi, à des pays d’origine variés (avec une dominante d’enseignants marocains et turcs). Un dernier fait mérite d’être souligné : la féminisation de la profession est proportionnellement plus importante chez les enseignants musulmans que chez les autres titulaires de cours confessionnels et de morale. Ces enseignants sont en première ligne dans ce débat. Interpellés par les élèves, ils le sont aussi par les collègues qui enseignent la biologie, l’histoire ou le français ou par des collègues d’autres confessions. Ils sont les dispensateurs de savoirs religieux, avec, dans le sillage de leurs cours, une présentation des origines de l’Homme selon une conception musulmane. Ils servent aussi d’interface entre les apprenants et les enseignants d’autres cours. Leur mission est complexe à tous points de vue. En effet, il leur revient d’expliciter les domaines des 3 Appelé « officiel » en Belgique. Il s’agit du cycle primaire et secondaire pour un total de douze années

d’études. En communauté française, cf. http://www.enseignement.be/ En communauté flamande, cf.http://www.ond.vlaanderen.be/Frans/

4 Un arrêté de 1999 dresse la liste de leurs titres requis. Le décret du 27 mars 2002 (modifié en 2004 et en 2005) définit les cas de dérogation aux conditions statutaires. Décret relatif aux maîtres de religion et professeurs de religion http://www.cdadoc.cfwb.be/cdadocrep/html/2002/20020327s26632.htm

5 Cf. Arrêté royal portant sur la reconnaissance de l’Exécutif des musulmans de Belgique : http://staatsbladclip.zita.be/moniteur/lois/1999/05/20/loi-1999009579.html

6 Les inspecteurs des cours de religion islamique se chargent de la régularisation des enseignants en possession des titres requis ou entrant dans le cadre des conditions de dérogation. Aujourd’hui la nomination d’un nombre important d’enseignants est effective. http://reflex.raadvst-consetat.be/reflex/pdf/Mbbs/1999/09/18/63966.pdf

7 Au travers de l’article 24 de la Constitution, et suite à la communautarisation de l’enseignement en 1988, s’est dégagé un texte dont la mouture finale stipule que la communauté assure aux parents d’élèves le libre choix dans un enseignement qui se veut neutre (premier paragraphe). Cette neutralité est respectueuse des conceptions philosophiques, idéologiques et religieuses tant des parents que des élèves. De plus, il est précisé dans la Constitution que, pour les écoles de l’enseignement public subventionné, les pouvoirs publics proposent, lors du cursus de formation de douze années d’études, le choix entre l’enseignement d’une des religions reconnues ou de la morale non confessionnelle.

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savoirs ; ils doivent aussi situer le discours des uns et autres ; et, enfin, ils sont médiateurs dans les conflits qui peuvent surgir dans une classe, là où cette question des origines conduit ou a pu conduire à une impasse.

Couverture médiatique à l’école

Les malaises latents depuis pas mal d’années autour de ces questions sont entrés dans le domaine public. En 2007, la diffusion d’un discours musulman sur la création a été le catalyseur ou l’événement qui a porté sur la scène publique le débat où se confrontent les questions de foi musulmane et celles des sciences modernes, plus précisément des sciences ayant partie liée avec la modernité et ses cultures. Cette année-là, Adnan Oktar, publiait le volume qui a fait et fait toujours grand bruit en Allemagne, en France et en Belgique: Atlas de la création 8. Né à Ankara en 1956, l’auteur a signé son ouvrage sous le pseudonyme de Harun Yahya9 Celui-ci ne fait pas mystère de ses intentions. Il les explicite dans la page introductive de son site en version française. On ne peut être plus clair que lui lorsqu’il écrit : « La dictature darwiniste mondiale doit s’excuser pour avoir trompé le monde entier avec ses contre-vérités évidentes pendant 150 années »10. La diffusion de cet ouvrage11 résolument antidarwiniste a suscité localement des demandes de clarification. Son impact est plus symbolique qu’effectif. Il confirme cependant, et quelquefois auprès d’une partie des musulmans, des affirmations et des idées peu élaborées sur la question. De plus, beaucoup situent difficilement l’inspiration de la pensée de Harun Yahya12. Il n’empêche. L’inquiétude quant à l’impact de ces pensées sur la formation scientifique des jeunes générations a grandi. Elle donne lieu à la mise en route de recherches sur la situation dans les écoles : ces recherches sont confiées à l’Université Libre de Bruxelles. Quant à l’Université de Gand – Communauté flamande de Belgique –, elle leur consacre un budget de 200.000 euros sur quatre ans, son objectif étant de mettre sur pied un programme d’information dont le but est de contrer les thèses créationnistes. Selon les sondages, 20 % des flamands partagent ces thèses13.

8 Cf. Cet ouvrage à poussé à la mise sur pied d’un document qui à fait l’objet d’une Résolution du

Conseil de l’Europe sur le créationnisme : « Les dangers du créationnisme dans l’éducation », Rapport Commission de la culture, de la science et de l’éducation, Conseil de L’Europe, Doc. 11297, 8 juin 2007.

9 Voir dans ce volume les articles de Van den Borgh et Balhan. 10 http://www.harunyahya.fr11 L’envoi de quelque 2.000 exemplaires de cet ouvrage, jugé fort coûteux par la qualité de l’édition,

s’est fait de manière nominative en visant les universités, les écoles et quelquefois des enseignants qui le reçoivent à leur adresse privée en France, en Allemagne et en Belgique. Notons que la parution de ce livre a fait l’objet d’une circulaire de mise en garde en Communauté française de Belgique (Année scolaire 2006-2007) : http://www.adm.cfwb.be/upload/docs/1994_20070323171854.pdf

12 Harun Yahya reste assez isolé car il synthétise avec son groupe une réappropriation discursive de la thèse américaine de l’Intelligent Design. Ce qui constitue un cas d’école intéressant dans l’islamisation des théories créationnistes américaines. Une position que le sociologue suisse Réda Benkirane qualifie de cheval de Troie dans la tradition musulmane ou de nouvelle affaire Galilée. Cf. Réda Benkirane, « De la réfutation du créationnisme en islam », in Le Courrier, 30 octobre 2007.

13 Jean-Pierre Stroobants, « En Belgique, le combat contre le créationnisme s’organise », Le Monde, 8 février 2008.

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Parfois la question suscite des positions très alarmistes. Ainsi, à titre d’exemple, en septembre 2008, au moment de la rentrée scolaire en Belgique, un hebdomadaire belge, Le Vif l’Express, titrait : « Comment l’islam menace l’école »14 et présentait un rapport d’enquête réalisé au sein d’établissements bruxellois. Ce rapport d’enquête, intitulé « Comment l’islam gangrène l’école » a été dirigé par Soraya Ghali. Cette professionnelle de l’investigation grand public et « journaliste » constatait, entre autres, la contestation du darwinisme dans les écoles. Elle épinglait notamment que : « Ici ou là, des professeurs de sciences se frottent à des élèves contestataires, surtout musulmans, lorsqu’ils enseignent les théories de l’évolution pour expliquer l’apparition de l’être humain. Pour ces élèves, l’Univers et le vivant ont été créés par Allah. Ils perturbent les cours, provoquent de l’agitation, menacent et cherchent à imposer leur vérité. Il arrive même que des profs, à bout de nerfs, renoncent à dispenser les lois de l’évolution darwinienne, inscrites au programme de 6e secondaire. Pis, de futurs profs de science, d’origine musulmane, préviennent : ils refusent d’enseigner la théorie de l’évolution ! »15. Il convient aussi de rappeler ici que cette enquête a suscité une vive indignation, tant par le choix du vocabulaire – principalement dans les titres – que par la probité intellectuelle avec laquelle l’enquêtrice a mené son travail. Des politiques, un certain nombre d’acteurs associatifs et des citoyens musulmans ont pris position par rapport à ce qu’ils qualifient de publication stigmatisante, voire xénophobe (pour les titres) et certains se sont même tournés vers le Centre pour l’égalité des chances afin d’y ouvrir un dossier de plaintes. Le MRAX, organisme belge de lutte contre le racisme, l’antisémitisme et la xénophobie, a de son côté saisi à ce propos et pour ces motifs l’association des journalistes professionnels (AJP)16. Hormis ces événements liés à l’actualité, le défi du terrain est significatif d’un climat. Il importe de l’analyser. D’abord, parce que les aspects anecdotiques soulignés ici et là par l’un ou l’autre professeur témoignent d’une ambiance que tout le monde a intérêt à élucider. Mais il y a plus : la manière dont une matière scientifique est enseignée devant un parterre d’étudiants en résistance ou du moins en questionnement à propos de l’enseignement de la théorie de l’évolution darwinienne est éminemment révélatrice d’un malaise. Quand il s’agit d’éducation et de formation, il est fondamental de voir de près comment les apprenants opèrent des différences, des intersections et des articulations entre les différents pôles de savoirs qu’ils traversent et la manière dont ils entrent en échange avec l’enseignant. À ce stade, il nous semble donc tout à fait utile de jeter un regard dans l’univers des références du discours musulman. Pour permettre de repérer dans les sources « grand public » de l’information musulmane sur les questions de création et d’évolution, nous avons établi ici une bibliographie : elle est typologique, organisée par thèmes. Elle ne se prétend pas exhaustive, mais elle est assez représentative des tendances sur la question des origines. Nous avons donc dressé un inventaire à partir des quelques librairies islamiques bruxelloises et des sites francophones de ventes d’ouvrages sur l’islam en ligne. Cet inventaire appelle des compléments : ils sont centraux pour connaître les exégèses des récits coraniques qui ont trait aux origines du monde et à celles de l’Homme. Ces

14 Le Vif L’Express du 29 août au 4 septembre 2008. 15 Le Vif L’Express, op. cit., p. 34. 16 http://www.mrax.be/article.php3?id_article=683

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interprétations traduisent la manière dont les penseurs et intellectuels musulmans situent le fait scientifique en face du révélé. Ils font l’objet de l’analyse détaillée que je présente dans ce volume sous le titre « Discours musulmans et sciences modernes : un état de la question ».

2. Discours en librairies

Les enseignants de religion islamique ne disposent pas d’un programme étayé concernant les origines de la vie. L’inspection met à leur service un plan qui agence, dans les grandes lignes, le schéma à suivre dans chaque cycle d’enseignement, en présentant, sommairement, les matières à aborder dans chaque année du primaire et du secondaire. La latitude est donc importante et la manière de présenter cette matière n’est pas explicitement exposée. Du fait qu’elle est inévitable dans le traitement des questions de sens, cette présentation variera en fonction du profil des enseignants. Leurs formations respectives et la nature de leurs diplômes étant diverses, la situation ne permet pas d’uniformiser un discours sur la question. En fonction des attentes des apprenants, du profil de l’enseignant et des priorités établies, divers matériaux didactiques ou pédagogique seront ainsi convoqués pour préparer les cours. Dans les librairies islamiques, on trouve un certain nombre de supports qui traitent de la question des origines de la vie. Ainsi des documentaires, des supports audiophoniques, des livres ou des programmes sur ordinateur sont mis à la disposition du client et peuvent, au besoin, répondre à l’attente de certains professeurs ou d’étudiants. Dans le contexte européen et en Belgique, on trouve un large corpus de supports d’auteurs musulmans consacrés à la question scientifique. Ils sont diffusés dans les librairies islamiques, dans des magasins, dans des réunions d’associations, dans de grands rassemblements tels que ceux qu’organise à Paris l’Union des organisations islamiques de France au Bourget, là où se rend aussi un public belge non négligeable. Nous avons eu l’occasion de citer une partie des outils de diffusion qui ont contribué à l’amplification des discours musulmans contemporains. La capacité de l’édition et l’accroissement des moyens disponibles pour publier des livres, le développement de l’usage de cassettes, Dvd comme outils de diffusion, la multiplication des sites web, sont autant de vecteurs qui alimentent la question. Ceci montre la vivacité de la réflexion et l’éventail des approches respectives. Le caractère lucratif des rééditions et de l’émergence d’un certain nombre de supports de vulgarisation ne sont pas non plus à négliger. Aussi, le filtre de la langue reste un frein majeur : les ouvrages les plus élaborés et les plus consistants sur la question ne sont presque pas encore traduits en français. Nous nous centrons ici sur des livres, des cassettes, des Dvd et quelques sites web en français : ils portent sur la question des origines et, plus spécifiquement, sur les origines de l’Homme. Nous avons travaillé sur un corpus de 39 ouvrages, 9 cassettes (audio et vidéo), 22 Dvd, parus depuis 1976 et faisant partie du stock vivant des librairies. Ce corpus constitue un bon inventaire des sources dont peut disposer un musulman belge désirant se forger une opinion autour de ces questions. On peut sommairement les classer en cinq catégories générales.

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Il y a d’abord les supports qui abordent la question sous un angle essentiellement religieux, prenant appui sur le Coran et les traditions prophétiques pour élaborer une conception de l’univers et de l’Homme en islam. Ces références récurrentes sont généralement pré-darwinienne : datant d’avant le XIXe siècle, elles n’ont pas eu à tenir compte de la contemporanéité des débats en cours. D’autres références contemporaines prennent pied dans le champ religieux en explicitant une vision conceptuelle spécifique de l’Homme en islam. C’est le cas de Vision musulmane de l’Homme et de l’Univers publié en 2000 aux éditions Ennour. L’auteur, Temsamani Chebagouda Abdelhamid, est un enseignant de religion islamique bruxellois. Dans les productions de Tariq Ramadan, on trouve un certain nombre d’extraits d’ouvrages et de cassettes audiophoniques : son propos n’entend pas discuter l’aspect scientifique et la question de l’évolution en tant que telle, mais développe la conception de l’Homme en islam en invitant à un décentrage méthodologique en vue de comprendre, à partir du champ de vision musulman ladite conception de l’humain et du monde. La cassette audio produite par Tawhid : « La conception de l’homme en islam » en est un autre exemple17. C’est là un schéma de pensée qui s’ancre dans la foi musulmane et qui analyse les concepts coraniques qui touchent à l’humain : Dieu, souffle de Dieu, reins d’Adam, Fitra… Conscient de la réalité du débat, Tariq Ramadan fait de temps à autre des pas de côté hors du champ de référence de l’islam et de la vision qui en découle pour préciser que : « …la théorie de l’évolution des espèces proposée par Darwin est souvent mise en opposition à l’acte créateur tel qu’il est conçu dans la tradition chrétienne. La tradition musulmane ne rejette pas, quant à elle, une telle théorie, puisqu’on retrouve dans certains textes cette idée d’évolution des espèces ; elle est tout à fait admise sans remettre pour autant en cause une création spécifique de l’être humain à un moment donné de cette évolution. Par ailleurs, les biologistes n’ont pas de réponses définitives sur l’origine, et les hypothèses se discutent encore à l’heure actuelle » (Ramadan, 2002, p. 22s). D’autres ouvrages se veulent aussi des méditations sur les signes de Dieu dans le monde, lui-même considéré comme un livre de signes. Parmi ces publications nombreuses, citons ici le livre de Hébri Bousserouel : Ainsi qu’en vous-mêmes, ne voyez-vous donc pas ?(2002) ou les supports parus dans la collection : « Les vérités de la création » : ils mettent en avant des documentaires tels que : Les merveilles de la vie sous-marine.

b) Sciences modernes et sources musulmanes

Une seconde catégorie s’affirme par une approche générale articulant islam et science. Ainsi, les cassettes de Tariq Ramadan intitulées L’islam et les sciences modernes,développent la dialectique entre ces deux univers. Le livre de Yûsûf al-Qaradawi La religion à l’époque de la science (traduit et édité en 2003 par Arrisala de Paris) ou, du même auteur, Le prophète et le savoir (2001) s’inscrivent dans ce même schéma. D’autres ouvrages partent du postulat de la création divine de l’univers ou du couple adamique, avec quelquefois la mobilisation d’un argumentaire scientifique, lorsque le profil de l’auteur est de cette nature (Abdullah, 1997). Il arrive qu’il y ait également une dialectique permanente entre les arguments à références scientifiques et ceux des sources islamiques, voire une harmonisation des unes et des autres.

17 Il y a aussi des extraits dans son ouvrage « les musulmans d’Occident et l’avenir de l’islam » qui se penchent sur cette question (Ramadan, 2003).

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Maurice Bucaille est très représentatif de ce courant. Né en 1920 à Pont-l’Évêque, chirurgien de formation, cet auteur a pratiqué la médecine jusqu’en 1982 et il s’est entre-temps converti à l’islam. Formé à la langue arabe pour pouvoir s’investir dans une lecture directe du Coran, Bucaille y découvre et étudie des données qui lui parlent d’un point de vue scientifique. Le résultat d’une partie de ses travaux a été présenté dans « La Bible, le Coran et la science : les écritures saintes examinées à la lumière des connaissances modernes », étude publiée en 1976 (réédité chez Agora Pocket, 1999). Cet ouvrage à été rédigé et publié alors que Maurice Bucaille exerçait pour le Roi Faysal d’Arabie Saoudite. Son but est de rehausser l’image du Coran, notamment aux yeux des Occidentaux en montrant qu’il est équivalent, voire supérieur aux textes bibliques. L’auteur s’évertue également à montrer la compatibilité du texte coranique avec l’esprit occidental et en particulier avec les sciences modernes. Ces théories contribuent à donner au Coran un caractère d’authenticité et à montrer qu’il est de provenance divine. Le livre a eu un retentissement considérable dans le monde musulman : il s’est vu réédité à plusieurs reprises en plus des seize éditions en français et il a été traduit dans pas moins de dix langues différentes. La production de Maurice Bucaille a également intéressé un certain nombre de chercheurs en Europe. En 1981, cet auteur publie une étude qui intéresse directement notre propos : L’homme, d’ou vient-il ? La réponse de la science et des écritures saintes. Cet ouvrage, difficilement accessible au grand public, a cependant connu un large succès. En1988, Maurice Bucaille a publié une étude qui touche un domaine plus académique : Pharaons et la médecine. L’œuvre lui vaut l’obtention du prix d’Histoire de l’Académie Française ainsi que le prix général de l’Académie nationale de Médecine en 1991. Cette double reconnaissance dans le monde des croyants musulmans et dans celui des académiciens a étayé sa crédibilité scientifique, le dotant d’une véritable aura de rigueur intellectuelle qui rencontre les attentes de nombreux lecteurs. Retenons, dans le même esprit, la récente parution de La création de l’homme et son développement, d’Abdelkhaled, aux éditions Ennour (2008), ainsi que Embryogénèse de Nas. E. Boutammina, paru chez Al Bouraq en 2007 et, encore, le Mon père Adam du géologue égyptien Zaghloul an-Najjar. Ce livre n’est disponible qu’en arabe et existe aussi en version DVD. Du même auteur provient encore un coffret reprenant 10 vidéo CD portant sur L’interprétation scientifique des versets coraniques.

c) La science dans le Coran ou les miracles scientifiques du Coran

Cette troisième approche alimentera largement le champ littéraire islamique de productions diverses : elle représente le courant contemporain portant sur les « miracles scientifiques du Coran ». Il est intéressant de constater l’impact de ce courant et sa large vulgarisation. Zaghlûl an-Najjâr, membre du Conseil suprême des affaires islamiques d’Égypte, a été élu personnalité islamique de l’année 2006 à Dubaï pour ses travaux consacrés aux miracles scientifiques des sources scripturaires musulmanes. Il possède un site en arabe entièrement consacré aux miracles scientifiques du Coran et à la tradition prophétique (www.elnaggarzr.com). An-Najjâr est président du « Comité des miracles scientifiques du Coran et la Sunna » et est l’auteur d’une littérature importante en la matière. On la retrouve en abondance dans les libraires islamiques : Le Coran et l’univers ou L’islam et

a) Les sources musulmanes et l’anthropologie islamique

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la science moderne. Il s’agit de CD-Rom qui reprennent plus de 100 heures de conférences et, aussi, d’un coffret de 4 Dvd intitulé Les miracles du Coran.Tous ces supports vont côtoyer, dans les librairies islamiques, les classiques tels que Gloire à Dieu ou les mille vérités scientifiques du Coran de Kassab, Ceci est la vérité, sous forme de DVD et d’un livre qui reprend les travaux dirigés, depuis les années 1980, par le yéménite Abdelmajid az-Zendâni. Ce dernier, pharmacien de formation, confronte la production de scientifiques internationaux à des versets du Coran qui renferment des données considérées comme scientifiques. Cet auteur s’est internationalement rendu célèbre par ses dernières déclarations dans lesquelles il revendiquait avoir trouvé avec une équipe de chercheurs à Médine, le remède pour guérir le sida18.Retenons enfin l’ouvrage : Le Qur’an au sujet de la création et de l’expansion de l’univers de Tahir Ul-Qadri ainsi que les documentaires de Harun Yahya qui ont inondé le marché en quelques années : La réalité de la création et Le Coran mène vers la science(2006) ou le Connaître Dieu par la raison.

d) L’attaque de la théorie darwinienne dans la foulée du discours chrétien

C’est une quatrième voie : elle va dans le sens d’une déconstruction de la théorie darwinienne et conclut, de manière parfois offensive, dans le sens de sa relativisation. On trouve dans les étals des ouvrages tels que la : Thèse du Darwinisme : antithèse de l’islamparu en 2007, L’effondrement de la théorie de l’évolution en 20 questions, Le mensonge de l’évolution, Les désastres causés à l’humanité par le darwinisme par le célèbre Harun Yahya. Il y a également des livres tels que L’homme descend-il du singe ?, de Lala aux éditions Tawhid (2004) ou Dieu ou le hasard, il faut choisir, de Abdelkarim Ennour publié en 1999 ou les ouvrages de Bashmil (1964) ou Boutammina (2007). Restent aussi des approches plus concentrées sur le sujet que sur la réfutation de la position adverse : à titre d’exemple, retenons La théorie de Darwin, le hasard impossible de Mohamed Keskas. Cet agrégé de biologie-géologie présente son livre comme une analyse scientifique vue avec les lunettes du croyant. Il a d’ailleurs produit une réplique audiophonique et abrégée de son ouvrage (Hasan, 2007 ; Shirazi, 1972).

e) Interrogations sur les sciences et l’anthropologie musulmane

Il est difficile de trouver des ouvrages, existant par ailleurs, qui mêlent l’argument religieux à l’argument scientifique tout en posant la spécificité musulmane : celle-ci admet à la fois la création divine et une certaine évolution des espèces. Nous citons ici deux ouvrages : l’un, d’un auteur français, Tareq Oubrou, biologiste de formation, discute le darwinisme en connaissance de cause ; l’autre, d’un auteur égyptien, ‘Abd as-Sabûr Shahîn, ayant fait polémique, aborde des origines et de l’évolution de l’Homme en partant des sources islamiques. Tareq Oubrou19 est biologiste et Imam de la mosquée de Bordeaux. Quelques pages de son L’Unicité de Dieu, Des Noms et Attributs divins20 (Éd. Bayane, 2006) s’attardent à

18 Il appelle aujourd’hui encore les industries pharmaceutiques et les instances internationales à s’assurer de l’efficacité de sa découverte basée sur une tradition prophétique. http://www.youtube.com/watch?v=yeFr5t19aQs&feature=related

19 Voir son texte dans le chapitre 7 de ce volume.

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situer Charles Darwin dans son contexte de pensée. Utilisant la méthodologie de la démarcation prônée par Popper, l’auteur présente d’abord un cadre paradigmatique qui structure la pensée occidentale dominante selon une « épistémè judéo-chrétienne ». Il en vient alors à traiter de l’évolution depuis Saint Augustin jusqu’à Darwin. Il développe l’idée que cette notion est enfermée dans une vision linéaire de l’origine et du devenir humain, ce qui aura un impact décisif sur la pensée et le sens de l’histoire. C’est dans cette matrice qu’il classe la théorie darwinienne dont il se propose de discuter les contours. Oubrou situe en fait Darwin dans une vision atomiste ancienne de Démocrite ou de Spinoza dans laquelle Dieu est identifié à la nature. Il est pour lui un homme de son temps, tout en précisant que « sa vision scientifique correspond totalement au mouvement de sécularisation qui consiste à matérialiser la vérité de notre monde et de toute l’existence ». Prenant appui sur Popper, qui ne pensait pas que le darwinisme puisse expliquer les origines de la vie, l’auteur distingue entre théorie scientifique et explicitation formelle des origines de la vie. Il cite encore Popper pour affirmer que le darwinisme est, d’un point de vue épistémologique, un « programme scientifique de recherche » – titre d’un chapitre de La quête inachevée (Popper, 1989) et non une théorie scientifique. Tareq Oubrou avance que : « Le darwinisme a permis aux biologistes, naturalistes de l’époque, de sortir de la simple observation et de la classification pour passer à l’explication et à l’analyse, et d’accéder ainsi au statut scientifique dont jouissaient déjà les physiciens. Pour une fois que les biologistes ont une « théorie », la seule, ils ne sont pas prêts à l’abandonner ». Ainsi l’apport critique de Tareq Oubrou consiste à se positionner par une démarcation méthodologique sans rejeter le principe d’une évolution pour autant. Le livre de ‘Abd as-Sabûr Shahîn, Mon père Adam : entre mythe et réalité n’existe à notre connaissance qu’en arabe et se trouve difficilement en libraire. Les ouvrages qui s’écoulent le mieux dans les librairies islamiques sont en français. À la fin des années 1990, l’auteur égyptien rejeta une source souvent utilisée par des historiens et exégètes musulmans pour lire le Coran ou pour interpréter l’histoire ancienne. Les Isrâiliyyât sont en effet des récits rapportés qui n’ont pas de fondements historiques avérés et qui ont souvent éclairé quelques silences de l’histoire. Shahîn retrace ensuite le récit de la création de l’homme dans le Coran selon une historicisation de la révélation des versets coraniques. Il met en évidence que les versets mecquois et médinois s’agencent de telle sorte qu’ils présentent le récit de la formation de l’homme depuis la phase embryonnaire (‘Alaq) jusqu’à l’élection de l’humain comme lieutenant sur terre (sourate al-Baqara). Il précise que chaque verset rajoute un élément nouveau au verset précédent. Shahîn pointe une distinction entre le récit de la genèse coranique et celui de la genèse biblique : il reconnaît que certaines similitudes peuvent porter à comparaison mais, selon lui, il faut toujours clarifier ces convergences hâtives. Il traite ensuite du problème de la datation de l’apparition d’Adam. Il dit que Adam « fut le premier homme sur terre à représenter la génération devant assumer la responsabilité. Cette génération est celle qui a commencé par le Prophète Adam et qui continuera jusqu’au jour de la résurrection. Avant Adam, il n’y avait point la responsabilité de la charge à assumer, car il n’y avait encore ni prophète, ni loi, ni religion. ». La clé de la contribution de Shahîn réside dans le fait qu’il suppose une existence humaine avant 20 Dans le point « Des origines et de l’évolution en général : une question historique, scientifique,

philosophique ou théologique ? », situé dans le deuxième chapitre du livre, pp. 111-129.

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Adam. Il distingue ainsi l’Homme (al-Bachar) de l’humain (al-Insân). Pour lui, la paternité adamique renvoie à l’humain et non à l’homme. L’auteur admet une évolution de la nature sans pour autant être darwiniste : ainsi il réfute au travers de longues citations de scientifiques que la bipédie a toujours été une spécificité humaine. Il admet aussi les transformations biologiques subies par l’homme et suppose même la disparition d’espèces humaines et leur remplacement par des collectivités d’Hommes ayant un profil autre. En 1999, une des plus hautes instances religieuses du monde musulman, le Majma’ al-Buhuth al-Islamiyya, alors présidé par feu Cheikh Mutwalli Acha’rawi, n’a rien trouvé à redire au contenu de l’ouvrage, les thèses n’étant pas dogmatiquement en contradiction avec le Coran et la tradition prophétique.

Conclusion

Nous avons tenté de démontrer, à travers la présentation d’un corpus bibliographique, qu’il existe un vrai débat interne au monde musulman sur la question de la science et des origines et que cela se traduit par une importante diversité autant que par une densité de production en la matière. Notons que la dernière grille de lecture, portant sur les lectures critiques n’est pas assez diffusée et ne jouit pas d’une visibilité majeure dans le grand public. Il est aussi important de souligner que cette approche est relativement nouvelle et que les positions explicites sur la question des origines est pour beaucoup en réactualisation permanente. L’idée d’une évolution admise laissant cours à de multiples canaux d’interprétation ne va de toute façon pas uniformiser une position tranchée sur la question des origines, mais les approches continuent de s’enrichir mutuellement et gagnent en densité et en questionnements nouveaux. Le dédale interprétatif, axé tantôt sur le côté allusif ou métaphorique de versets, tantôt sur les silences du Coran, sont des invitations quasi explicites à la quête du savoir scientifique par le biais de lunettes qui débordent le corpus coranique. L’interdisciplinarité est donc encouragée et ce, sans jamais confondre un passage du Coran avec une formule scientifique. Hormis le fait que les actualités exacerbent en général les débats déjà sensibles au sein des établissements scolaires, celui portant sur les origines humaines et du monde a une particularité qui lui est propre. La nature des échanges entre un enseignant de biologie et un professeur de religion islamique ou protestante consistera par exemple à glisser de son contenu objectif vers ce qui semble motiver les positions réciproques. En effet, en arrière-fond de l’argumentation sur les origines, il existe un débat, sous-entendu, portant sur la foi ou la non-croyance supposées des uns et des autres. Il en ressort ainsi l’image que, lorsque quelqu’un prône avec force le darwinisme, il ne peut être que motivé par une vision du monde qui met Dieu entre parenthèse. Il en va de même pour une approche créationniste où celui qui tient compte de l’acte créateur comme causalité de la vie est considéré comme étant forcément conditionné et déterminé par un univers de foi qui l’empêche de construire rationnellement un raisonnement scientifique. Paradoxalement, le débat est ouvert, mais il est évité quant au fond. Les anathémisations de pensée établissent une binarité où, d’une part, on aura le « scientiste arrogant » et, d’autre part, le « croyant naïf rétrograde ». L’application de ces considérations sur les élèves sera de nature à générer des tensions internes dans la classe, voire des conflits de loyauté qui tiraillent les apprenants.

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Notons aussi que l’islam, religion présente depuis peu en Belgique, en Europe et dans le paysage scolaire, est associé et traité par le prisme des religions culturellement dominantes. Aussi, la religion musulmane sera d’emblée perçue comme religion créationniste, opposée donc aux thèses évolutionnistes. La cristallisation des thèses en deux pôles, religieux et non-religieux, va renforcer le clivage croyant-créationniste versusnon-croyant-évolutionniste. Le musulman est forcément opposé à la thèse darwinienne et soutient donc l’approche créationniste (incluant le concept de la fixité des espèces). Un certain nombre d’enseignants et d’élèves musulmans acceptent d’être confondus dans ce type de débat, trempant dans des conceptions indéfinies et acquiesçant pour l’essentiel aux approches juives, protestantes ou catholiques. Ceci parce que ces dernières semblent construire leur argumentation à partir d’un contenu commun (Adam, Dieu…) et, vu la temporalité, bénéficient d’une expertise certaine. Et ceci entretient l’idée même d’un front religieux commun contre le darwinisme. À la lecture des références majeures sur la question et loin des approches du turc Harun Yahya, la position musulmane sur la question des origines se fait une place à l’intersection des approches créationniste et évolutionniste. On peut dire que l’islam admet une sorte d’évolution et appuie le fait de la création divine de la nature. Il est en partie évolutionniste et créationniste donc, mais pas selon les définitions qu’on donne généralement de ces deux concepts. Le darwinisme et la fixité des espèces y sont alors tous deux critiqués. Dans l’enseignement, ces nuances se perdent par le manque de recul ou de temps, par méconnaissance des enseignants ou des apprenants sur la question ou parce qu’elles sont jugées impossibles à présenter sereinement. L’imposition d’un débat passionné de fait par la confrontation entre foi et raison scelle les choses. Nous avons synthétiquement présenté le débat portant sur le rapport à la science et aux origines de l’Homme au sein de quelques références musulmanes. La discussion se caractérise par la richesse, la complexité et la diversité. Limiter ce débat à Harun Yahya, dont la pénétration des idées dans les écoles belges et européennes est plus spectaculaire qu’effective, serait biaisé. Il reste pourtant des interrogations de fond au sein de nombreuses salles de professeurs en Belgique. Le débat restera d’actualité et le dépassionner serait de bon augure.

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Brève chronologie de l’islam

Muhammad

VIe siècle

• 571 : Naissance du Prophète de l’islam à La Mecque

• 577 : Décès de la maman de Muhammad à La Mecque

VIIe siècle

• 605 : Muhammad participe au chantier de la reconstruction de la Kaaba

• 610 : Début de la Révélation coranique dans la grotte de Hira aux alentours de La Mecque

• 622 : Hijra (Hégire ou émigration) du Prophète Muhammad à Yathrib (Médine) : Le prophète rejoint une partie de ses compagnons déjà exilés et s’installe dans la ville. L’année de l’hégire marque le début du calendrier Musul-man.

• 624 : Bataille de Badr : C’est la première lutte entre les médinois et les mecquois et qui se termine par la victoire des Musulmans.

• 625 : Bataille de Uhud : Revanche des Mecquois face à la défaite de Badr. Beaucoup plus nombreux, ils profitent d’une erreur stratégique des musulmans pour mettre ces derniers en déroute.

• 627 : Bataille du fossé : Le nom de “Bataille du fossé” vient de l’établissement d’une longue tranchée autour de Médine en vue de stopper la cavalerie Mecquoise.

• 628 : Traité d’al-Hudaybiyyah : Les Mecquois décidèrent d’établir un traité (appelé traité de Hudaybiyyah) avec Muhammad l’autorisant à se rendre à la Mecque pour effectuer le pèlerinage avec ses compagnons et ainsi en-gagé une trève de 10 ans.

• 629 : Premier pèlerinage des musulmans à la Mecque. C’est la première fois depuis l’Hégire que le prophète et ses compagnons revirent la Kaaba.

• 630 : Rupture du traité entre Muhammad et les Mecquois : Ceci à cause d’une attaque des Banu Bakr (alliés de la Mecque) contre la tribu de bédouins de Khuza’a (allié à Médine) & Prise de la Mecque par Muhammad.

• 632 : Pélerinage de l’Adieu : Muhammad effectue son dernier pélerinage avec ses compagnons. Il prononce le sermon de l’Adieu. Mort de Muhammad : Il est enterré jusqu’à nos jours dans sa mosquée à Médine.

Les califes

• 632-634 : Abu Bakr - premier calife de l’Islam

• 634-644 : Umar - second calife de l’Islam. Il s’empara successivement de la Syrie, la Perse mais également une partie de l’empire Byzantin, dont Jérusalem. Contrairement à son prédécesseur Abu Bakr, Umar mourra assassiné pendant sa prière dans la mosquée de Médine.

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• 644-656 : Uthman - troisième calife de l’Islam. Succédant à Umar, il fut, selon la tradition muulmane classique, le responsable de l’édification du corpus coranique : « la vulgate dite de Uthman ». Le calife fut victime d’un com-plot fomenté par des dissidents, qui l’assassinèrent dans sa demeure.

• 656-659 : Ali - quatrième calife de l’Islam. Le dernier calife dut faire face à de nombreuses tensions politiques internes, qui se traduisirent notamment par la rébellion du gouverneur de Syrie, Muawya. Ce dernier s’opposera à Ali tant et si bien qu’ils se déclarèrent mutuellement la guerre.

Dynasties

• 661–750 : Dynastie des Omeyyades (Damas siège du califat). Cette dynastie fut longtemps sujette à de nom-breux troubles.

VIIIe siècle

• 711 : Débarquement en Europe. Le 11 juillet 711, menés par Tarik ibn Zyad, les Musulmans défont les troupes de Rodrigue, le roi wisigoth qui règne sur l’Espagne chrétienne.

• 718 : Début de la Reconquista dans les Asturies. Échec du siège de Constantinople par les Arabes. La Reconquête commence en 718 lorsque les musulmans sont défaits à la bataille de Covadonga par le Wisigoth Pélage (Pelayo).

• 771 : Achèvement des conquêtes de l’Indus et de l’Espagne. L’empire Abbasside atteint des proportions jusqu’à lors inégalées.

• 732 : Défaite contre Charles Martel à Poitiers. Cette victoire a eu un retentissement important et est devenue à partir du XVIe siècle un symbole de la lutte de l’Europe chrétienne face aux conquêtes musulmanes.

• 750–1258 : Dynastie des Abbassides (Bagdad siège du califat). Malgré qu’elle fut maintenue pendant une très longue période, la dynastie Abbasside fit face à de nombreuses oppositions.

• 878 : Occultation du douzième imam, descendant de `Ali. Il s’agit de Muhammad al-Mahdî, né en 869 à Samarra (Irak).

• 1000 : Début des conquêtes en Inde par des souverains turc-musulmans. Mahmûd de Ghaznî, souverain de l’Empire ghaznévide de 997 jusqu’à sa mort, est responsable de la première vague d’invasion du territoire du Nord de l’Inde.

• 1037 : Mort du penseur Ibn Sina (Avicenne). Il reste connu pour ses travaux immenses dans le domaine de la médecine, mais également en philosophie et théologie.

• 1099 : Prise de Jérusalem par les croisés.

• 1187 : Saladin reprend Jérusalem aux croisés.

Brève chronologie de l’islam

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• 1198 : Mort du philosophe Ibn Rschd (Averroès).. Il est à la fois un philosophe, théologien, juriste, mathématicien et médecin arabe du

XIIe siècle.

• 1250–1517 : Dynastie des Mamelouks en Égypte. Les premiers mamelouks forment, au IXe siècle, la garde des califes abbassides à Bagdad. Ils régnèrent sur l’Égypte, la Syrie et le Hedjaz, vainquirent les Mongols à Aïn Jalut (1260), devinrent les protecteurs des Abbassides rescapés, dont ils recueillirent un descendant à qui ils donnèrent le titre de calife.

• 1258 : Destruction de Bagdad par les Mongols. Ceux-ci sont dirigés par Houlagou Khan, petit fils de Gengis Khan. La victoire des mongols sur les troupes du calife Al-Musta’sim marque la fin du règne des Abbassides, et le début de la dynastie des Ilkhans mongols.

• 1300 : Introduction de l’Islam dans les îles indonésiennes (Sumatra) par des marchands indiens. L’Indonésie est d’ailleurs aujourd’hui le pays musulman le plus peuplé au monde.

• 1419 : Le prince de Malacca se convertit à l’islam. Cette conversion serait due au commerce du port de Malac-ca avec les marchands musulmans. La conversion du prince aura pour effet de convertir la ville à l’Islam, cette dernière étant renommée par la suite en Iskandar Shah.

• 1453–1571 : apogée de l’Empire ottoman, entre la prise de Constantinople et la défaite navale de Lépante.

• 1492 : chute du Royaume de Grenade, fin de la reconquête chrétienne en Espagne.

• 1683 : échec relatif des Turcs ottomans devant Vienne. L’empire commence un lent déclin.

• 1798 : Bonaparte en Égypte.

Brève chronologie de l’islam

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La campagne pro-djihad : Un dispositif de propagande moderne et sophistiqué

Un dispositif de propagande moderne et sophistiqué

Ces dernières années ont vu le développement inédit des média en ligne (Youtube, Facebook et Twitter): ces espace de dif-fusion instantanée ont considérablement renforcé l’action prosélyte radicale, confinée jusqu’alors dans les forums de discus-sion. Cette publicité pro-jihad mêle des arguments politico-religieux et des modes de persuasion plus profanes.

Les arguments religieux

L’argumentaire djihadiste repose tout d’abord sur l’utilisation anachronique de notions héritées d’une certaine histoire de la civilisation musulmane. Parmi ces notions, il y a celle opposant le « lieu de la guerre » - ou « dar al-harb »- et le lieu de l’islam- ou « dar al-islam », territoire légiféré par le background religieux. Sur ce territoire de la guerre, le commun des musulmans peut déclarer et conduire un «jihad» contre l’oppresseur, et ce sans se référer à une autorité religieuse compétente puisqu’elle est elle-même perçue comme compromise avec le(s) pouvoir(s) politique(s) à destituer1. A cette privatisation du croire s’ajoute, dans la rhétorique djihadiste, une dimension fortement collective qui enjoint le mu-sulman à ordonner pour les autres le bien et à interdire le mal (« al-‘arf bil ma’rouf wal nahi ‘an al-munkar »). Cette notion fait écho à une vision homogène du social où foi, société et Etat ne devraient plus faire qu’un : la référence à l’unicité de la souveraineté («tawhid al-hakimiya») de Sayyid Qutb, membre des Frères musulmans torturé et tué dans les prisons de Gamal Abdel-Nasser, est ici tout aussi centrale que récurrente dans la profession de foi djihadiste. Enfin, et c’est une spécificité de la Syrie, l’obligation de partir est confortée par certains éléments de la tradition musulmane2 qui rapportent la venue du Mahdi (« le Guide suprême ») dans le Bilad as-Shâm (la Grande Syrie) et son combat acharné avec l’Antéchrist (ou Dajjal) : c’est ce qui rend le départ en Syrie particulièrement attractif pour les néo-djihadistes. Dans cette optique, la guerre en Syrie est, aux yeux des combattants, annonciatrice de l’Apocalypse.3

Les arguments profanes

Si la campagne pro-djihad s’appuie sur le bricolage d’une caution «religieuse» extraite de son contexte initial, elle mobilise aussi autour de thématiques plus profanes. Le djihadisme table également sur la force incitative des rétributions économiques : il s’adresse à une population sensible aux promesses d’argent facile et de sécurité financière assurée par l’Etat islamique. Les nouveaux djihadistes n’hésitent guère d’ailleurs à exposer tous les avantages associés à leur nouvelle vie (à travers des photos de vacances, des clichés heureux de vie de famille etc.) : à maints égards donc, le djihad est associé à une voie de promotion sociale et à un eldorado économique. Mais ce qui retient en définitive l’attention reste la souffrance des populations civiles et les images mortifères relayées par les nouveaux média sur Internet. Plus « parlantes » que tous les plaidoyers politiques et religieux, elles ne connaissent pas les barrières linguistiques. Par ailleurs, les scènes de déshumanisation ainsi mises en scène sont indissociables d’une stratégie d’auto-responsabilisation, voire de culpabilisation : le musulman ne peut décemment voir ces images sans agir et réagir, tel est le message qui y est véhiculé.

1 Sur la démocratisation du « jihad », voir les travaux de Bernard Rougier : Bernard ROUGIER, « Le jihad en Afghanistan et l’émergence du salafisme-jihadisme », dans Bernard ROUGIER (dir.), Qu’est-ce que le salafisme ?, PUF, Paris, 2008, pp.71.2 Un hadith rapporte ainsi que le Prophète de l’islam a dit : « Innal imane idha katourat al fitane bi châm » : lorsque les troubles (fitane) se multiplieront, la foi sera au Châm.» 3 La symbolique de la Syrie n’est pas propre à l’univers eschatologique musulman, et concerne aussi les évangélistes américains. Lire : http://www.slate.fr/monde/77348/syrie-bible-fin-monde-israel

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En France et en Allemagne

Les dispositifs français et allemands sont pour l’heure les enfants pauvres des politiques de prévention dans l’Union Eu-ropéenne. Ainsi, en France, la prévention se limite bien souvent en France à la détection d’une radicalisation déjà amorcée depuis quelques temps. En effet, le numéro vert « anti-djihad », les formations à destination du personnel et des travailleurs sociaux proposées par le CPDSI1, mais aussi le suivi psychologique de l’entourage familial de l’exilé interviennent en aval, à la fin d’un processus sans nécessairement fournir les outils et les moyens pour empêcher les départs suivants. En Allemagne, le « Bu-reau de consultation contre la radicalisation » mis en place par l’Office fédéral pour la migration et les réfugiés (Bundesamt für Migration und Flüchtlinge) reproduit le modèle français de prévention-détection.

En l’absence de solutions étatiques de prévention, les mesures de prévention émanent surtout des musulmans eux-mêmes, et du volontarisme social de certains imams de mosquées.

Au Royaume-Uni et aux Pays-Bas

Les politiques anglaises et néerlandaises en matière de prévention à la radicalisation se démarquent des orientations français-es et allemandes par leur aspect nettement plus interventionniste. Depuis l’assassinat de Theo Van Gogh par un activiste se réclamant de l’islam politique, les Pays-Bas ont ainsi entamé une réflexion sur la prévention dans le cadre de ce qu’ils ont appelé « l’approche globale ». La Grande- Bretagne s’est, quant à elle, doté d’un large arsenal préventif depuis les attentats de Londres en 2005 : baptisé « Channel », ce programme, inspiré de la lutte anti-bandes et antigangs, nouent bien des points communs avec son équivalent néerlandais. Le premier point commun est la mise en place de partenariats avec les associations « communautaires » : l’objectif est d’at-teindre les personnes vulnérables à la radicalisation. Des financements sont prévus pour l’organisation de dîners intercom-munautaires dans les quartiers dits « musulmans », pour celle d’évènements culturels... L’idée est de favoriser le dialogue entre les communautés et l’intégration de populations musulmanes perçues comme en rupture avec le reste de la société. A ces projets de mise en relation intercommunautaire s’ajoute une stratégie de promotion des interprétations dite « modérées » de l’islam. C’est la Grande-Bretagne qui a particulièrement investi cette option par l’intermédiaire des associations « Radical Middle-Way » (« Radicalement modéré ») et la fondation William. La politique de « counter-narratives » (« contre-discours ») se poursuit aussi sur la toile (et plus encore, sur les réseaux sociaux) où les conditions de vie « réelles » des djihadistes sur le front syrien sont exposées à des fins de dissuasion. Toutefois, le caractère communautariste voire discriminatoire des politiques de partenariats communautaires a été vivement dénoncé. Concentrées sur des quartiers à importante population musulmane, ces dernières ont donné l’impression qu’il ex-istait « un problème musulman ». Par ailleurs, elles ont indirectement produit une course aux ressources financières et aux subsides dans les milieux associatifs : du côté anglais, certaines associations «musulmanes» ont même été créées de toutes pièces pour reproduire le discours du gouvernement. Parfois, la répression a repris ses droits sur la prévention. Ainsi, des étudiants « pro-palestiniens » ont été dirigés vers des programmes de « déradicalisation » alors qu’ils ne présentaient aucun danger.

1 Le Centre de Prévention aux Dérives Sectaires Liées à l’Islam, fondée par Madame Dounia Bouzar, ambitionne surtout de détecter des symptômes de radicalisation déjà avérée, voir : http://www.cpdsi.fr/notre-approche/

La lutte contre la radicalisation religieuse en Europe : un aperçu des moyens de prévention

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A propos d’emridNetwork

La structure associative emridNetwork est une plateforme européenne de rencontre et d’échange de savoirs et de savoir-faire sur l’islam. Elle se donne pour principale ambition de promouvoir la transmission, la circulation et le partage des savoirs théologiques en phase avec le contexte belge et européen. Le canal de la formation (sous diverses formes) nous semble une priorité qui s’inscrit comme une contribution urgente au champ de la connais-sance religieuse islamique en Europe depuis Bruxelles.

Nos principaux objectifs

• Vitaliser un laboratoire de la connaissance sur les finalités et les sources de l’islam au cœur de l’Europe; • Mettre en exercice la diversité des rapports aux référentiels religieux par l’ouverture de débats critiques et exigeants, sans tomber dans l’anathémisation ni dans le consensuel mou. • Explorer sociologiquement et théologiquement les discours de Musulmans européens, • Engager des rencontres thématiques régulières sur les enjeux de l’islam en contexte belge et européen. • Susciter l’intérêt pour l’étude et la découverte de la tradition coranique et prophétique.

Réseau de recherche, de formation et d'étude sur l'islam européen.

emridNetworkeuropean muslim research on Islamic development

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A propos d’emridNetwork

Quel islam pour nos sociétés ? Au sein des contextes européens et belges notamment, le défi se veut particulièrement pertinent. Il en va de l’avenir du vivre-ensemble au sein de nos pays et des possibilités de dialogues sereins et tout aussi critiques et constructifs avec l’islam, les musulmans et tous les citoyens européens.

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« Vous devez être le changement que vous voulez voir dans ce monde. » M. Gandhi