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Droit de la presse écrite dans les pays Maghrebins : la réalité et les défis Organisation islamique pour l’Education, les Sciences et la Culture -ISESCO- 1433H - 2011 Dr. Ali Karimi Traduit de l’arabe par : M. Mohamed Talha

Droit de la presse écrite dans les pays Maghrebins : la ... · En fait, en Algérie, comme en Tunisie et au Maroc, les législations coloniales portant sur les médias revêtaient

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Droit de la presse écritedans les pays Maghrebins :

la réalité et les défis

Organisation islamique pour l’Education, les Sciences et la Culture -ISESCO-1433H - 2011

Dr. Ali Karimi

Traduit de l’arabe par :

M. Mohamed Talha

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Photocomposition, montageet impression : ISESCO

Rabat - Royaume du Maroc

Dépôt légal : 2011 MO 1662ISBN : 978-9981-26-526-4

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Préface

Dans les cinq pays du Maghreb, la presse est régie par un ensemble de lois.Cependant, l'assimilation et l'application de ces lois appellent ces pays àrenouveler leur système législatif et développer leurs plans et politiquesgénérales, en vue d'honorer leurs engagements internationaux en la matière.

Soucieuses d'appuyer les efforts que les pays du Maghreb déploient pourdévelopper leurs plans et politiques médiatiques, et dans le cadre de l'intérêtqu'elles vouent au développement des plans et lois relatifs à la presse dans cespays, notamment en ce qui concerne la démocratisation de la communication etla promotion du droit à l'information, l'Organisation islamique pour l'Education,les Sciences et la Culture (ISESCO) et l'Organisation des Nations unies pourl'Education, la Science et la Culture (UNESCO) (Bureau de Rabat), ont demandél’élaboration d’une étude intitulée : Les droits de la presse dans les pays duMaghreb : la réalité et les défis. Cette étude décrit la situation et le processusjuridique du fonctionnement de la presse au Maroc, en Mauritanie, en Algérie eten Tunisie avant, pendant et après l'occupation française.

L'étude contient deux chapitres. Le premier traite des sources législativesrelatives aux médias dans les pays susmentionnés, à travers la présentation etl'analyse des lois sur l'information sous le protectorat français et après lesindépendances. Il y est également question de l'effet de la constitution et desengagements juridiques internationaux sur les lois relatives à l'information. Ledeuxième chapitre, lui, traite du contenu des lois sur l’information dans lesquatre pays, ainsi que les obstacles qui entravent leur application. Par ailleurs, cechapitre aborde la question du droit à l'information et la mise en place desentreprises médiatiques, la définition de la dimension pénale des lois surl'information, l'identification des insuffisances et des failles des lois quiréglementent la presse dans ces quatre Etats du Maghreb.

D'après cette étude, on constate que les pays du Maghreb ont tous besoind'élaborer un code des médias qui intègre, de manière complète et globale, aussibien les médias éléctroniques et audiovisuels que la presse, afin de remédier à ladispersion des textes de loi dans ce domaine. De fait, si certains textes figurentdans le code pénal, d'autres se trouvent dans les lois qui réglementent letraitement électronique des données.

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En publiant la présente étude en langues arabe et française, l'ISESCO et leBureau de l'UNESCO à Rabat saluent le travail remarquable réalisé par sonauteur Dr Ali Karimi ainsi que celui du traducteur, M. Mohamed Talha. Notresouhait est que cette étude soit utile aux professionnels des médias et auxétudiants des instituts et facultés de journalisme dans les Etats membres et qu'ellecontribue à l'enrichissement de la bibliothèque médiatique du monde islamique.

Dieu est Celui qui accorde le succès et guide vers le droit chemin.

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Dr Abdulaziz Othman Altwaijri

Directeur général de l'Organisation islamiquepour l'Education, les Sciences et la Culture

(ISESCO)

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Plan de l’étude

Présentation de l'étude et de ses objectifs ……………………………........

Chapitre premier : la législation maghrébine relative aux médias dansles pays maghrébins …………………………….......

Première Section : les lois relatives à la presse maghrébine avant et sous leprotectorat : entre pluralisme et restrictions ……............

Premièrement : les débuts de la codification du domaine de la presse dansles pays maghrébins .............................................................

1. La liberté non codifiée : le modèle marocain ...........................................

2. La liberté contrôlée : le modèle tunisien ..................................................

Deuxièmement : quelques éléments de la législation coloniale réglementantle secteur des médias dans les pays maghrébins ...................

1. L'expérience tunisienne : l'application de la législation colonialerelative au domaine des médias ...............................................................

2. L'expérience marocaine : une législation coloniale : deux poids, deuxmesures ...................................................................................................

Deuxième section: les législations magrébines relatives aux médias dans lapériode postcoloniale : de la liberté aux restrictions ........

Premièrement : les législations maghrébines relatives aux médias etl’illusion d’ouverture ..........................................................

Deuxièmement : les premières lois édictées sous l'influence du contextepolitique .............................................................................

Troisième section : les effets des dispositions constitutionnelles et desengagements contractés au niveau international sur lalégislation relative au domaine des médias dans lespays maghrébins .............................................................

Premièrement : les effets du changement politique et des amendementsconstitutionnels sur les lois relatives aux médias dans lespays maghrébins ..................................................................

Deuxièmement : l'intérêt porté aux droits de l'homme et ses effets sur leslois relatives au domaine de l’information .....................

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Troisièmement : la corrélation entre le droit de l'information dans les paysmagrébins et le droit international de l'information ............

Deuxième chapitre : le droit de l'information dans les pays maghrébins :le contenu et les handicaps ……………………….....

Première Section : le droit à l'information et la création des entreprises depresse dans la législation relative à l’information dansles pays maghrébins .....................……...........................

Premièrement : le principe du droit à l'information .......................................

Deuxièmement : la création d'entreprises de presse .......................................

1. Le dépôt de déclaration comme modalité de création des journaux etpériodiques ..............................................................................................

2. Le directeur responsable du journal .........................................................

Troisièmement : la rectification, l’auto-rectification et le droit de réponse ….

Deuxième section : la législation relative au domaine de l'information et sesdispositions pénales dans les pays maghrébins …..........

Premièrement : l'incitation aux crimes et délits selon les lois relatives audomaine de l'information dans les pays maghrébins ...........

1. La provocation à la violence et au terrorisme ..........................................

2. L'incitation à la discrimination raciale et confessionnelle .......................

3. Le manquement à l'obligation de respect dû aux chefs d'Etat ................

Deuxièmement : les délits d'injure et de diffamation contre les personnes ......

1. La diffamation dans les lois maghrébines relatives à l’information ........

Troisièmement : l'interdiction des publications pour cause d'atteinte à lamorale et aux mœurs publiques ............................................

Troisième Section : les insuffisances et les lacunes des lois réglementant lapresse dans les pays maghrébins ……...............................

Premièrement : l'absence de la notion de code dans les législations relativesà la presse dans les pays maghrébins ...................................

1. Les aspects non traités par les législations relatives à la presse ...............

a) Le statut du journaliste professionnel ..................................................

b) Le Conseil supérieur de la Presse ........................................................

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2. Le manque d'intérêt aux médias électroniques ........................................

Deuxièmement : les aspects constituant des handicaps pour la liberté del’information dans les pays maghrébins .............................

1. La notion de récépissé et la nature de l'autorité habilitée à la réceptionde la déclaration ......................................................................................

2. L'invocation des considérations d'ordre public ........................................

3. Un droit des médias ou un droit pénal des médias ? ................................

4. Du droit pénal de l'information au recours au droit pénal ........................

Conclusions et recommandations ................................................................

Bibliographie .................................................................................................

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Présentation de l'étudeet de ses objectifs

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L'objectif de cette étude consiste à mener une recherche sur la réalité juridiquede la presse -il s’agira dans tout l’ouvrage des médiats diffusés par écrit- dans lesEtats maghrébins qui ont été colonisés par la France. La recherche appréhenderacette réalité dans son évolution à travers trois périodes : précoloniale, colonialeet postcoloniale. Les débuts balbutiants de la législation relative au secteurmédiatique dans certains de ces Etats seront mis en évidence. Il s'agit notammentde la Tunisie avant qu'elle ne tombe sous le coup du colonisateur français, où desdécrets ont réglementé le domaine de la presse et affirmé le respect d'une certaineliberté, ou du Maroc où ce domaine, contrairement au secteur audiovisuelréglementé en vertu d'une loi qui, dès 1907, en accorde le monopole à l'Etat,n'était pas codifié, malgré l'essor relatif qu'il a connu à l'époque et en dépit desquelques signes qui indiquaient l'orientation vers cette codification.

Nous rencontrons ces signes quand nous nous référons au projet deconstitution de 1908. Celui-ci, en effet, consacre la liberté de presse et desmédias. Nous pouvons même risquer l'hypothèse d'un pluralisme dans ledomaine de la presse à l'époque précoloniale, malgré l'absence de règlesjuridiques pour l'encadrer et le protéger. En outre, l'étude de l'état de la législationrelative aux médias dans les Etats maghrébins au temps du colonialisme françaisnous met devant la nécessité de nous référer à la loi qui régissait la pratique dujournalisme en France, celle qui a été promulguée le 29 juillet 1881, sous latroisième République. En effet, ce cadre juridique a constitué la source législativedont se sont inspirées toutes les législations qui ont été édictées par la Francepour réglementer les médias dans ses colonies nord-africaines.

En fait, en Algérie, comme en Tunisie et au Maroc, les législations colonialesportant sur les médias revêtaient un caractère discriminatoire, malgré le fait quela loi métropolitaine en a été la source d'inspiration. Alors qu'il appliquait lesdispositions à caractère libéral de cette loi, ainsi que les dispositionsréglementaires y afférentes, à la presse française et anglaise, le colonisateur aédicté des lois et des décrets réglementaires visant à restreindre la liberté de lapresse d'orientation nationaliste en arabe ou en français ou en hébreu et éditée parles citoyens de ces Etats.

u Pourquoi tel retour à cet arrière-fond historique ? Quelle relation y a-t-ilentre ce contexte et les lois réglementant, dans la période postcoloniale, lesmédias dans les pays maghrébins qui constituent l'objet de la présenteétude? Nous pensons que la compréhension de la réalité juridique actuellede la presse écrite maghrébine n'est possible que si nous nous référons auxlois de référence qui ont vu le jour avant l'avènement de l'indépendance et

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(1) Le Pacte royal est un discours constituant un cadre d'orientation de ce que devait faire legouvernement formé par le parti de l'Istiqlal le 8 mai 1958 et présidé par Al Haj AhmedBalafrij. Il y avait dans ce discours des signes forts quant aux orientations qui devraient cadrerles dispositions de la loi relative aux droits et libertés.

(2) La loi fondamentale du Royaume, qui était une sorte de mini-constitution est adoptée le 2 juillet1961.

qui, sans nul doute, ont imprégné de leur esprit les législations relatives audomaine des médias au moment de leur élaboration, immédiatement aprèsl'indépendance.

En réalité, il ne fait pas de doute qu'il y a une relation, que ce soit en termesde restrictions ou d'ouverture libérale et pluraliste, entre les dispositionslégislatives et réglementaires de cette époque et ce qui est en vigueur à l'heureactuelle.

u Certains contenus de ces législations revêtent un caractère d'ouverturelibérale, alors que d'autres ont conservé en l'état ce qui était en vigueurpendant la période coloniale. Plus encore, des dispositions plus fortementrestrictives que celles prévues par la législation coloniale relative auxmédias ont été intégrées au cadre législatif de la période postcoloniale.

u Des changements et des transformations déterminantes, à caractèrepolitique, ont eu lieu dans les pays où l'Etat monopolisait tout le secteur desmédias écrits et audiovisuels ou dans les pays qui prétendent s'orienter versle pluralisme en matière de médias, notamment dans le domaine de lapresse. Entre la Mauritanie, l'Algérie, la Tunisie et le Maroc il se produiraau milieu des années 1960 du siècle dernier, plus précisément au printempsde 1965, une concordance de fait dans l'attitude prise vis-vis des médias, etplus spécialement à l'égard de la presse. Cette attitude était réfractaire à toutpluralisme. Si cette attitude ne s'est pas traduite en termes juridiques danscertains pays, elle n'en était pas moins réelle dans les faits.

A titre d'exemple, le Maroc, qui prétend suivre une orientation libérale etpluraliste dans le domaine, se livrait à des pratiques qui restreignaitprogressivement la liberté d'expression reconnue par la loi avant d'être consacréepar le Pacte royal daté du 8 mai 19581 et la loi fondamentale du Royaume de juin19612, et encadrée par la constitution du 1er juin 1962. Une succession demodifications - du 1er juin 1959, de septembre 1959, du 28 mai 1960, de 1962 etde 1963 - est venue éroder progressivement la teinte libérale de la libertéd'expression au Maroc. Mais ce fut l'état d'exception qui vint asséner le coupfatal à l'orientation libre, libérale et pluraliste de la presse. Les différents autrespays de la région n'ont pas été à l'abri de ce processus : leurs législations

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respectives ayant organisé le secteur des médias ont connu le même sort en 1965,année qui, à cet égard, peut être considérée comme une année de référence. Eneffet, la conjoncture politique était décisive dans la mesure où elle a imposé cetteorientation sous l'influence du contexte international bipolaire de l'époque, ou ducontexte régional arabe qui se caractérisait par la domination de la ligne politiqueradicale et de ses orientations nationalistes teintées de progressisme, sinon muespar un esprit révolutionnaire. Cette période fut close de façon concrète par ledéclenchement de la quatrième guerre arabo-israélienne de 1973 au niveaurégional, et par la Conférence d'Helsinki de 1975 au niveau international.

Vers le milieu des années 1970, plusieurs facteurs ont émergé et eu sansconteste un effet sur le législateur des médias, dans la totalité ou la quasi-totalitédes pays maghrébins, notamment dès les années 1975 et 1976. Il se trouvaégalement sous l'influence des transformations démocratiques qui mûrissaient etcommençaient à se cristalliser dans la péninsule ibérique, précisément enEspagne et au Portugal en 1975.

Si en apparence ces lois visaient à codifier la liberté des médias, cette libertédemeurait restreinte en raison des conditions, des entraves et des lignes rouges, etc.qui en réduisaient la portée. Toutefois, elles ont constitué l'amorce d'une successionde législations nouvelles qui reflétaient l'évolution du contexte international, maisaussi le contexte national de tous les pays maghrébins. Aussi bien en Tunisie et enAlgérie qu'en Mauritanie, la législation affirmait avec force le respect dupluralisme des médias et de la liberté d'opinion et d'expression. Ainsi donc, dès1975 et jusqu'au milieu des années 1980, des indices pointaient vers l'ouverture etla liberté d'expression et des médias, accompagnés de signes implicites et timidesdonnant à comprendre qu'il y avait une orientation vers le pluralisme. Mais cetteorientation s'est conçue dans la prudence, dans la mesure où les pouvoirs publicsavaient garde d'en finir complètement avec la politique anti-pluraliste qui avaitprévalu depuis l'indépendance jusqu'à cette date. En effet, pendant cette période,nous rencontrons des formules pimpantes dans le document constitutionnel quiinsiste avec autant de force sur «la liberté d'expression et d'opinion» et sur «laliberté de l'information». Cette insistance est claire dans la constitutionmauritanienne de 1975 et dans la constitution algérienne de 1976. Toutefois, uneseconde vague de lois codifiant le secteur des médias vint vider de leur substance,comme ce fut le cas en Algérie en 1982 et en Tunisie en 1975, les dispositions quiaffirment la liberté d'opinion, d'expression et des médias. Ces dispositions, faut-ille rappeler, figuraient aussi bien dans les chartes nationales que dans lesconstitutions des différents pays maghrébins - la Tunisie, l'Algérie et la Mauritanie.En effet, ces nouvelles lois sont ouvertement anti-pluralistes et consacrent lemonopole par l'Etat ou le parti de la presse et audiovisuel.

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Il va sans dire que nous sommes devant une contradiction entre les niveaux deproduction de la norme juridique. D'un côté, la liberté d'opinion est affirmée par laconstitution ; il en va implicitement de même pour le principe pluraliste commefondement du mode de fonctionnement du secteur des médias et l'interdiction detoute pratique monopolistique dans ce secteur. Or, ce pluralisme se trouve aboli parles lois ordinaires. Nous concluons alors à l'existence d'une violation du principejuridique selon lequel les lois ordinaires ne sauraient être contraires aux règlesconstitutionnelles, sinon celles-là seraient anticonstitutionnelles et justiciables derecours. Ce débat revêt des dimensions bien plus larges quand on y intègre lesviolations par ces Etats de leurs engagements internationaux qu'ils ont contractés ensignant et en ratifiant la Déclaration universelle des droits de l'homme et le Pacteinternational des droits civils et politiques, etc.

u Une nouvelle série de changements consécutifs ont eu lieu, vers la fin desannées 1980 et le début des années 1990, aux niveaux national, régional etinternational. Les conséquences de ces changements sur le Maroc, laTunisie, l'Algérie et la Mauritanie étaient visibles. L'ouverture du champmédiatique fut une de ces conséquences. En furent témoins les changementssurvenus respectivement en Tunisie le 7 novembre 1987 et en Algérie en1988. Le même type de changement fut constaté en Mauritanie et au Maroc.Ces changements se sont traduits par l'élaboration et la promulgation denouvelles lois réglementant le domaine des médias et de la communication,des lois complètement différentes des cadres législatifs et réglementairesantérieurs caractérisés par leur caractère restrictif et monopolistique. Ellesinstaurent le pluralisme médiatique et la liberté de presse et del'information. Il s'agit d'une troisième génération de lois venues codifier cedomaine dans une perspective basée sur le pluralisme et animée par unesprit d'ouverture. Cette vague a touché la Tunisie en 1989, l'Algérie en1990 et la Mauritanie en 1991. Ce fut l'entrée dans une ère où lesorientations en matière médiatique et de communication revêtent uncaractère d'ouverture et de pluralisme libéral.

u Il sera procédé dans la seconde partie de cette étude à l'examen des contenusde cette troisième génération de lois. Cet examen se fera selon une approchecomparative pour déterminer les points de convergence et de divergenceentre ces lois, tout en montrant qu'au plan de leur organisation et articulationinternes, elles présentent quasiment la même structure. Ceci n'empêche pasde constater quelques différences concernant certains aspects thématiques.L'analyse portera sur ces aspects et, tout particulièrement, sur l'organisationadministrative du secteur des médias et le mode de création des entreprisesde presse dans le cadre des législations de ces pays.

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Comment le texte juridique traite les infractions, les crimes et délits commispar la presse ? Quel est le régime pénal institué par ces lois ? Quel est le régimepénal appliqué aux crimes commis par la presse ? Est-ce le régime pénal propreau domaine des médias ou plutôt le droit pénal tout court ? Est-ce parce que ceslois ne se suffisent pas à elles-mêmes en matière de traitement des crimescommis par la voie de la presse qu'il y a recours aux dispositions du droit pénalgénéral ?.

u Il y a également d'autres points essentiels qui sont communs à tous cescadres juridiques. Elles concernent la suspension, l'interdiction et la saisiedes journaux et revues. Quel est le rôle assigné à l'administration en cettematière ? Pourquoi la justice est tenue à l'écart de ce genre d'affaires ? Endécidant et en exécutant la décision de suspension et d'interdiction desjournaux et revues, le pouvoir exécutif n'est-il pas à la fois juge et partie ?

u Mais il existe aussi des affaires où il est question d'injures, de diffamationset d'atteintes à la vie privée des individus, d'atteinte à l'ordre public, à lamorale et aux mœurs publiques, d'incitations de toutes sortes, y comprisl'incitation des forces militaires et des forces de l'ordre à la désobéissance etl'incitation des gens à ébranler les bases de l'économie nationale et à perdreconfiance dans les institutions nationales. Cette étude procèdera égalementà l'examen d'un ensemble de lacunes et d'insuffisances. Parmi ces lacuneset insuffisances, nous soulignons ce qui suit :

u Comment ces lois traitent les problèmes posés par les nouvellestechnologies d'information et de communication, notamment les médiasélectroniques tels que l'internet ? Est-ce que l'expression «et tout moyenélectronique» employée par certaines lois pour traiter la problématiqueposée par l'internet, en tant que technologie d'information et decommunication nouvelle est suffisante pour tel traitement ? Se pose aussi laquestion des problèmes multiples et divers posés par la presse électronique.

Le traitement de tels problèmes nécessite la révision des cadres juridiquesactuels dans tous les pays maghrébins. En fait, de nombreux aspects de cescadres législatifs devraient faire l'objet de modifications.

u Il y a parmi ces aspects l'autorité auprès de laquelle se fait le dépôt dedéclaration comme dans le cas de certains pays tels que la Tunisie, laséparation entre le droit pénal et de droit relatif aux médias, l'attribution detoutes les prérogatives en matière d'interdiction et de suspension desjournaux et revues à l'autorité judiciaire, la définition du concept d'ordrepublic, la codification et l'organisation des médias électroniques et lacréation de conseils supérieurs de la presse.

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En général, les législations relatives aux médias dans les pays maghrébins sontétroitement liées aux contraintes de la conjoncture politique. En effet les règleséditées par celles-là puisent leur teneur et leurs orientations dans celle-ci. Cetterelation est constatable dans chacun des pays du Maghreb. Ceci est compréhensibledans la mesure où la règle juridique est l'expression infaillible de la réalité dont elleémerge et, dès lors, il est illusoire de comprendre et de percer à jour sa vérité en lacherchant dans le ou les textes qui l'énoncent et, au contraire, il faut la chercher dansson contexte politique d'émergence. Ainsi, les lois réglementant le secteur desmédias promulguées au Maroc, comme en Tunisie et en Mauritanie, ainsi que lesamendements qui y ont été introduits, que ce soit dans un sens restrictif ou dans lesens de l'ouverture pluraliste, s'imprègnent immanquablement des effets produitspar le contexte politique, économique et social. Pour comprendre ces textes de loiet saisir les objectifs poursuivis par le législateur, il serait superflu d'interroger destextes inertes et muets ; il faut, plutôt, examiner les conditions politiques,économiques et sociales d'émergence de ces textes de loi. Nombreux sont lesexemples qui témoignent des effets de ces conditions sur les lois réglementant lesecteur des médias dans les pays maghrébins, aussi bien dans le sens de l'ouvertureque dans un sens restrictif. C'est ce à quoi nous conduit l'examen de l'évolution deces législations à travers les différentes périodes suivantes :

1. La période de l'indépendance qui prend fin vers la fin des années 1970.

2. La période qui commence au milieu des années 1970 et au début desannées 1980 jusqu'au début des années 1990.

3. La période dans laquelle se profila le nouvel ordre mondial et tous lesconcepts dont il est porteur : la démocratie, le néolibéralisme, les droitsde l'homme, etc.

Les données et les réalités propres à chacune des périodes susmentionnées ontinfluencé les lois relatives aux médias dans l'ensemble des pays maghrébinsconstituant l'objet de la présente étude. En fait, ces données et réalités ont pousséle législateur dans chacun de ces pays à y inoculer une dose mesurée etéquilibrée d'ouverture, brossant ainsi les traits d'une nouvelle période qui estactuellement en cours de configuration, selon un rythme d'évolutionextraordinairement accéléré. C'est ce constitue la quatrième période.

4. Pendant cette nouvelle période, les lois relatives aux médias promulguéesau lendemain de l'indépendance, et même depuis l'adoption des politiquesd'ouverture dans le domaine, sont devenues incapables de relever laplupart des défis posés par la réalité de la société, de la science et de laconnaissance. En effet, s'imposa pendant cette période la nécessité deréviser les lois relatives aux médias pour leur imprimer plus d'ouverture

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qu'elles n'en avaient auparavant, et les doter d'une charge libérale réelle.Sous l'influence de cette revendication, se posa avec insistance la questiondu rétrécissement du rôle du pouvoir exécutif vis-à-vis des médias et deson éloignement de ce qui concerne le contrôle, la régulation et lacriminalisation. Cette orientation passe par l'abolition des dispositionsqui, du temps des orientations anti-pluralistes, accordaient à ce pouvoirdes prérogatives le mettant en mesure de restreindre la liberté des médiaset l'attribution à l'autorité judiciaire, considérée comme censée être neutre,du pouvoir de prendre des décisions prononçant la saisie ou la suspensionou l'interdiction des journaux et revues, quand ces derniers commettentdes infractions qui appellent la prise de telles décisions judiciaires. En fait,il est déraisonnable d'attribuer de telles prérogatives au pouvoir exécutif,en l'occurrence le ministère de l'intérieur, qui, dans ce cas, se trouve êtreà la fois juge et partie.

Une autre problématique capitale s'est posée pendant cette quatrième période.Elle concerne la volonté de développer les lois réglementant le secteur del'information et de la communication dans les pays maghrébins pour qu'ellessoient en phase avec les différentes évolutions que connaît ce secteur dans lecadre de la dynamique amorcée, au début du troisième millénaire, par lamondialisation. En effet, il n'y a aucune raison valable de se passer de laréglementation des médias électroniques dans le contexte actuel caractérisé parle développement des technologies multimédias et l'extension tentaculaire deréseau internet.

Les lois classiques réglementant le secteur des médias ne sont plus en mesurede fournir des qualifications pertinentes des infractions et des crimesélectroniques qui sont commis sur l'internet et par la presse électroniqueconsidérés comme supports médiatiques nouveaux et développés. Les règlesfournies par ces lois ne sont plus capables de désigner, ni suffisantes pourappréhender et contrôler, ce type de crimes tout à fait nouveau commis sur leréseau internet. Parmi ces crimes l'on compte l'atteinte à la vie privée desindividus, l'incitation à la haine et à la violence, le terrorisme, l'atteinte à l'ordrepublic, à la morale et aux mœurs publiques, etc.

Nous somme aujourd'hui devant de nouveaux types de crimes commis sur leréseau internet et sur d'autres supports électroniques. Nous sommes donc fondésde formuler l'interrogation suivante : les expressions imprécises que nousrencontrons dans les lois réglementant le secteur de l'information et de lacommunication dans les pays maghrébins, telles que la formule «et tout moyenélectronique» utilisée dans l'article 38 du texte législatif marocain en la matière,ou d'autres formulations similaires employées par les législations relatives au

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même domaine dans le reste des pays maghrébins, sont-elles encore suffisantes ?Peut-on par le seul moyen de ces expressions vagues qui signifient tout et rien,réduire les innombrables violations commises sur les supports électroniquesd'information et de communication ? Ou avons-nous, au contraire, besoin denouvelles lois qui sont en mesure de contrôler ces violations ? Les lois dontdisposent actuellement les Etats maghrébins et qui ne sont guère qu'un palliatifpour meubler l'immense vide normatif dans ce domaine sont, elles aussi,insuffisantes. Ce sont des lois si timides et si inoffensives qu'elles sont sans prisesur les crimes commis sur le réseau internet. Ainsi, hormis le commerceélectronique et les contrats électroniques, le secteur de l'information et de lacommunication, ne constituant pas un centre d'intérêt pour le législateurmaghrébin, et arabe en général, demeure en dehors de toute couverture normative.

Nous sommes également devant la nécessité impérieuse d'un code globalpour réglementer le domaine de la presse, d’audiovisuel et de la presseélectronique, ainsi que le statut du journaliste professionnel dans ce domaine.Cette nécessité concerne chacun des pays maghrébins constituant l'objet de laprésente étude. Ces codes doivent prévoir des institutions de régulation et decontrôle pour encadrer la pratique de la presse et de l’audiovisuel. Certainesinstitutions de ce genre existent bel et bien, mais elles n'ont pas encore atteint leniveau de maturité nécessaire pour fonctionner comme des instruments decontrôle et de régulation et, ainsi, permettre à la pratique médiatique dans lespays maghrébins de se hisser au niveau de progrès souhaité.

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Chapitre premier :

la législation relative aux médiasdans les pays maghrébins :

ses références de base et sondéveloppement

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Depuis l'apparition de ses premières règles au 19ème siècle, la législationrelative aux médias est passée par plusieurs stades, lors desquels certainsprincipes ont été conçus. Ceux-ci demeurent observés jusqu'aujourd'hui. En fait,certains pays du Maghreb ont édicté des lois réglementant la presse avant mêmequ'ils n'aient été mis sous protectorat français. L'expérience de la Tunisie estsignificative à cet égard. Il en va de même au Maroc où les premières loisrelatives aux médias ont vu le jour depuis 1907. La constitution de 1908 quicontient des principes encadrant la presse, a consacré la pratique qui prévalait àl'époque, à savoir une pratique médiatique pluraliste et libre. L'on peut dire quel'exercice de la liberté de presse dans un cadre pluraliste existait déjà dans larégion du Maghreb, avant l'apparition des règles du droit positif et laréglementation du secteur des médias. Le principe qui consiste à «ordonner lebien et interdire le mal», et le principe du «conseil» orientaient déjà la pratiquemédiatique dans les pays du Maghreb, tout comme dans l'ensemble des autrespays arabo-musulmans. Les deux principes se complètent l'un l'autre ets'interdéfinissent. Le premier concerne la communauté dans son ensemble et lesecond s'adresse à «ceux qui gouvernent»3. Davantage, il existait souvent dansces pays des débats et des écrits opposés au point de vue de l'autorité. Au niveaudu Maghreb, nombreux sont les exemples qui témoignent de cet état de fait.Nous nous contenterons de citer le cas du journal «At-taâoun», édité à Fès avantque le Maroc ne soit mis sous régime de protectorat. Il critiquait le mode degouvernement des autorités en place et leur soumission aux puissancesétrangères. Nous constatons la même liberté de ton dans les autres paysmaghrébins, notamment lorsque, pour la première fois, apparut la presse, etfurent édités des journaux par des étrangers. Ces journaux défendaient lesintérêts des puissances coloniales occidentales : française, espagnole et italienne.Vinrent alors leur faire pendant une catégorie de journaux nationalistes. Unepartie de ceux-ci défend les intérêts des régimes en place ; l'autre exprimait lesambitions d'une élite intellectuelle et politique qui, étant sous l'influence desévolutions politiques qui se produisaient dans le monde, aspirait au changement.

Il était nécessaire de codifier et de réglementer cette pratique de la presse surle modèle de ce qui était d'usage dans les autres Etats qui ont édicté des lois pourcontrôler et réglementer la presse et prévenir l'anarchie et les violations desdroits des individus. Ainsi, les lois ayant vu le jour pendant cette périodeaffirment la liberté de presse et n'en interdisent pas la pratique pluraliste. Ce fut

(3) Mohammed Idrissi Alami Machichi, Le droit aux sources inconnues, publication del'Association de développement des recherches et études judiciaires, Rabat, 1991, p. 115.

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le cas parce que ces lois n'étaient pas à l'abri des influences exercées par lecontexte international de l'époque, caractérisé dans l'ensemble par la liberté depresse.

Plus d'intérêt fut porté à la promulgation de lois plus avancées en matière deréglementation du domaine de la presse et la radio, lorsque les quatre paysmaghrébins furent colonisés par la France. Vit le jour alors une législationcoloniale pour organiser le domaine des médias en Algérie, en Tunisie, au Marocet en Mauritanie. En Tunisie une loi fut édictée en 1884. Au Maroc, ce fut la loidatée du 27 avril 1914. La constitution de l'arsenal juridique réglementant ledomaine des médias se poursuivra après dans les pays maghrébins.

Au Maroc, par exemple, se succédèrent les législations suivantes : la loi du 27avril 1914, le dahir du 20 novembre 1920, le dahir du 26 juin 1936 et le dahir du18 octobre 1937. La même évolution eut lieu en Tunisie et dans les autres paysmaghrébins colonisés par la France.

Si au Maroc la loi du 27 avril 1914 était imprégnée du caractère libéral de laloi française datée du 1881, une législation coloniale vit le jour en Tunisieaussitôt après l'instauration du protectorat. Ce fut la loi du 14 octobre 1884. Cetteloi, tout comme celle qui sera édictée au Maroc par le colonisateur, s'est inspiréedes principes de la loi française susmentionnée. Cependant, au Maroc comme enTunisie et dans les autres pays maghrébins, deux cadres juridiquesréglementaient le domaine de la presse ; l'un, applicable aux étrangers, étaitouvert et libéral ; l'autre était répressif et contenait des restrictions réduisant laliberté d'opinion, d'expression et de presse. Ce second cadre fut introduit dans laloi relative à la presse sous prétexte d'adapter le pays colonisé aux exigences durégime de protectorat.

Ainsi, souvent les premiers articles des législations coloniales appliquéesdans les pays maghrébins affirment la liberté de presse. Mais l'on constateaussitôt dans certaines autres dispositions des restrictions qui réduisent de façonclaire l'application de ce principe.

Première Section : les lois relatives à la presse maghrébine avant etsous le protectorat : entre pluralisme etrestrictions

Le pluralisme en matière de presse dans les quatre pays maghrébins n'était paslié à l'entrée sur scène du colonisateur français. Au contraire, il était déjà pratiquédans certains de ces pays avant que ceux-ci n'aient été colonisés. Dans la plupartd'entre eux, des journaux virent le jour qui défendaient des orientations et desintérêts différents. Alors que certains de ces journaux furent créés par les

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gouvernements de ces pays pour défendre leurs propres points de vue, d'autresexprimaient les opinions de l'élite intellectuelle et politique originaire de ces mêmespays. Une troisième catégorie de journaux apparut pour défendre les intérêts de telleou telle autre puissance représentées par des missions diplomatiques étrangères dansles pays maghrébins.4

Premièrement : les débuts balbutiants de la codification du domaine de la pressedans les pays maghrébins

L'on peut se contenter ici de caractériser deux modèles assez distincts pourmettre en lumière ce point et assez significatifs et représentatifs pour donner uneidée sur ce qu'était le cas dans les autres pays. Il s'agit du modèle marocain et dumodèle tunisien.

1. La liberté non codifiée : le modèle marocain u Il existait au Maroc, depuis la fin du 19ième siècle et le début du 20ième et avant

la mise de l'empire chérifien sous régime de protectorat français, nombre dejournaux d'obédiences diverses. Certains d'entre eux étaient solidaires desintérêts de l'Etat français qui cherchait à s'approprier les ressources qu'offraitle Maroc ; d'autres défendaient les intérêts de la Grande Bretagne ; unetroisième catégorie de publications périodiques faisaient valoir les intérêtsde l'Allemagne, de l'Espagne et d'autres pays. Certains de ces journaux,périodiques et publications étaient publiés dans la langue du pays dont ilsdéfendent les intérêts ; d'autres utilisaient la langue arabe.5 Outre cesjournaux et publications d'obédiences et d'orientations diverses quidéfendaient des intérêts distincts, il y avait une catégorie de presse quifaisaient office d'organes de presse du «Makhzen» de l'Etat marocain. Uneseconde catégorie exprimait le point de vue du mouvement national naissant.Ce mouvement était constitué de l'élite intellectuelle et politique conscientedes intrigues et des complots que les puissances étrangères oudrissaientcontre l'Etat chérifien. Cette tendance -au moins en partie- se réflétait àtravers un nombre de journaux tels que «As-saâadah» qui exprimait lesorientations de la France et de ses sympathisants et «Lissan Al Âarab» quivéhiculait les opinions des jeunes lettrés et éclairés de l'université AlKaraouiyine. Ce dernier journal a joué un rôle capital dans la permanence del'enthousiasme des jeunes et des oulémas. Il incitait également lesresponsables à engager le Maroc sur une voie qui l'amènerait à laconstitution d'un Etat, doté d'institutions tenant leur légitimité d'une

(4) Zine Al Âbidine Al Kettani, La presse marocaine : sa naissance et son évolution, 1820-1912,tomes I et II, édition non datée, p. 131.

(5) P. José Molard, Le régime marocain de la presse marocaine, Ed. de La Porte, Paris, 1972, p. 42.

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constitution, à l'instar de ce qui est à l'œuvre dans l'empire ottoman, «l'Etatsuprême», ou l'empire persan, ou encore l'empire japonais qui était appelé enAsie «le Soleil Levant». Et ce fut sur les colonnes de ce journal que futpublié le premier projet de constitution marocaine en 19086.

Ainsi l'apparition de la presse au Maroc a suscité une attitude de prudence et decirconspection de la part du peuple, et même du côté du gouvernement. Cetteattitude s'explique par les appréhensions nourries en particulier à l'égard del'ouverture sur l'Europe, cette ouverture ayant été considérée comme étantsusceptible de porter atteinte à l'unité du pays et à son indépendance par rapport auxpuissances européenne. C'était la crainte de la colonisation qui a réellement retardél'apparition de l'impression et de la presse au Maroc. C'est ce qui explique égalementle fait qu'il n'y avait aucune loi pour réglementer la presse avant 1912, alors qu'il yavait de nombreux journaux publiés dans différentes villes, telles que Tanger,Tétouan, Fès, Rabat et Casablanca. Parmi ces journaux, nous citons à titred'exemples «At-taâoun», édité à Fès en 1906 par Cheikh Mohammed Ben AbdelKébir Al Kettani, «Sinan Al Kalam» édité, lui aussi, à Fès en 1907 par MohammedAl Âbed Ben Ahmed Ben Soudah, et «Tanbih Al Moustabid» édité en 1908 parMohammed Ben Yahya As-skali.

L'on constate que ces trois journaux s'animaient d'un souffle nationaliste et setrouvaient unis dans leur combat mené contre le journal «As-saâadah»7 quidéfendait les intérêts français. Certains soutiennent que le sultan du Maroc couvraitde sa haute bienveillance les propriétaires des publications nationalistes quis'inscrivaient dans une ligne d'opposition au courant étranger et féodal, et que cesderniers recevaient soutien et encouragements de sa part.8

Il ressort de ce qui précède que l'apparition du journalisme au Maroc était liéeaux conflits entre les différentes puissances coloniales et à l'activité de leursreprésentations diplomatiques qui se sont léguées pour entamer son unitéterritoriale. Ce complot se manifesta notamment après la conférence d'Algésiras, en1906. Ses épisodes se succédèrent jusqu'à la signature de l'Accord du protectorat le30 mars 1912. Ce fut alors que les autorités françaises déplacèrent le siège dujournal «As-saâadah»9 qui défendait les intérêts de la France de Tanger à Rabat.Elles n'en restèrent pas là puisqu'elles livrèrent une guerre contre les journaux quicontinuaient d'être imprimés à Tanger, notamment «Idhhar Al Haq», et resserrèrent

(6) Cf. les articles de cette constitution dans Allal Al Fassi, Investigations sur le mouvementconstitutionnel au Maroc, Publications du Parti de l'Istiqlal, 1968.

(7) Dès sa création en 1904, le journal «As-saâadah» était imprimé à Tanger, mais, suite àl'instauration du protectorat, il commença à être tiré à Rabat.

(8) Zine Al Âabidine, op.cit. pp. 187-188. (9) Lorsque son siège avait été déplacé à Rabat en 1913, le journal «As-saâadah» devint le porte

parole de la Résidence générale française.

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l'étau autour de l'ensemble des journaux de langue arabe qui entraient régulièrementau Maroc à partir de l'Orient, notamment de l'Egypte et de la Syrie, et d'autres paysmusulmans.

u Il est à noter que dès son apparition au Maroc, le journalisme jouissait d'uneliberté totale et qu'aucune entrave ni restriction ne plombaient l'élan libre etpluriel de la pratique journalistique. Ces conditions profitaient aussi bien auxjournaux de langue arabe qu'à la presse étrangère. Celle-ci comme ceux-làcritiquaient, en toute liberté, aussi bien le gouvernement marocain que lesactions des missions diplomatiques étrangères.

Avec l’instauration du protectorat au Maroc, toutes les libertés, notamment laliberté d'expression, de presse et de rassemblement, furent confisquées. Cettepolitique liberticide laissa, pendant dix ans, le champ libre à un seul journal delangue arabe, «As-saâadah» et à d'autres nouveaux journaux de langue françaisedirigés par les sociétés coloniales. Ces derniers,«La Vigie Marocaine» enl'occurrence, travaillaient à faire du marché marocain un prolongement des marchésoccidentaux. Ceci n'empêcha pas la publication de certains journaux par desmarocains, tels que «Al Akhbar Al Maghribia» édité en 1912 à Casablanca par BadrEd-dinne Al Badraoui et «At-tarakki» qui recommença à être publié en 1913 àTanger. Toutefois ces journaux étaient limités en nombre et sans influence notable.

L'absence d'une loi réglementant la liberté de presse avant l'imposition duprotectorat au Maroc ne signifie nullement que le pays a laissé le champ libre auxjournaux, sans attirer leur attention sur les dépassements qu'ils auraient pucommettre. En est témoin l'avertissement adressé par le ministre des Affairesétrangères aux propriétaires des journaux et des publications édités à Tanger, enraison de la liberté qu'ils prenaient d'adresser des critiques gênantes tout aussi bienau gouvernement qu'aux représentations diplomatiques. Le ministre Torres les asommés de se départir de ce ton critique à l'excès, sous peine de «suspension», et encas de récidive, d'interdiction10.

Le pluralisme qui caractérisait la pratique journalistique au Maroc pendant cettepériode a joué un rôle important dans la dynamisation du débat politique entre lesdifférents courants, lequel débat s'exacerbait au point de passer de l'expression desdivergences à l'opposition ouverte et à l'entrechoc. Il arrivait que les différentestendances eussent des points de vue relativement similaires à propos de certainspoints, ou distincts sur d'autres. De même, l'Etat pouvait se trouver gêné par ce quela presse publiait, notamment lorsque le ton critique de celle-ci le vise lui-même ouses institutions ou encore son mode de gouvernement. Mais il faut reconnaître qu'àcette période, il n'y avait pas de cadre juridique au Maroc pour réglementer la presse

(10) Zine Al Âbidine Al Kettani, op. cit. p. 195.

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et que l'Etat n'avait aucune notion claire de ce qu'est le pluralisme ni des modalitésde son application et de son cadrage. Cependant, si la situation de la presse seprésentait telle qu'on vient de la caractériser, il n'en allait pas de même pour lesmédias audio -pour ne pas dire audiovisuels-, c'est-à-dire la radio.

En effet, en ce qui concerne le domaine des médias audiovisuels, la situationétait radicalement différente. En fait, l'Etat chérifien s'était fermement opposé àtoute tentative de création de radios libres dans un contexte caractérisé par leconflit qui opposait l'Allemagne à la France dans leur course à coloniser leMaroc. Ce fut le cas jusqu'au lendemain du «coup d'Agadir», moment oùl'Allemagne se retira de cette course et laissa le champ libre à la France dedécider du sort du Maroc après avoir obtenu, aux termes de l'accord de 1911, unecontrepartie de sa concurrente, à savoir l'occupation de territoires situés au-delàdu bassin du Congo.11 Avant la signature de ce compromis, chacune des deuxpuissances tenta de créer sa propre radio sur le territoire marocain. Sur fond decette concurrence, l'Etat chérifien prit, en 1907, un dahir royal aux termes duquelil se donne le monopole exclusif du domaine audiovisuel. Ce dahir fut enregistréau Bureau international de la poste et du télégraphe.12

Si, comme nous en avons déjà fait mention, les prémices du pluralismemédiatique dans le domaine de la presse commencèrent à poindre au Maroc vers lafin du 19ième siècle et au début du 20ième, la situation dans le domaine del’audiovisuelle prit une tendance contraire. En effet, cette presse était monopoliséepar l'Etat et demeurait ainsi à partir de la date du dahir précité. Ce monopole seconsolida pendant la période coloniale. Mais dans cette même période, et en dépitde l'apparente proclamation du principe du pluralisme médiatique, la liberté de lapresse était l'objet de nombreuses restrictions. Celles-ci étaient de nature à vider ceprincipe de sa substance, tout en maintenant le monopole du domaine audiovisueldétenu par l'Etat. Mais la lecture de la loi de 1928 permet de noter qu'il y a desexceptions au régime de monopole, lequel sera maintenu avec la loi de 1959 etjusqu'à 2002.13

Si tel était le cas au Maroc concernant le principe du pluralisme, notamment dansle domaine de la presse, quelle était alors la situation en Tunisie qui a connu en lamatière quasiment la même évolution que le Maroc ?

(11) Jamal Guenane, Les relations franco-allemandes et les affaires marocaines de 1901 à 1911,S.N.E.D, Alger, 1975.

(12) Mohammed Idrissi Machichi Alami, Le droit aux sources inconnues, publications del'Association de développement des recherches et études judiciaires, Rabat, 1991, p. 116.

(13) Najib Lamnini, Le régime juridique des médias écrit et audio-visuel au Maroc, thèse dedoctorat d'Etat, Faculté de droit de Casablanca, 2007, p. 150.

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2. La liberté contrôlée : le modèle tunisienQuand elle fit son apparition en Tunisie pendant le 19ième siècle par le

truchement des étrangers, la presse était perçue comme un produit nouveau. Audépart, elle répondait aux besoins en information des sujets étrangers. Ceux-ciétaient en majorité des italiens. Ceci explique le fait que les premiers journauxapparus en Tunisie en 1838 appartenaient à des Italiens. Il y avait parmi cesjournaux «Il Giornale di Tunisi e di Carthagine» et «Il Corriere di Tunisi». Celui-là revenait à deux réfugiés politiques italiens.

Nul besoin de rappeler que la première loi réglementant la presse en Tunisieremonte à 1859. Cette loi fut édictée sous forme de décret pris par le Bey. A cetteépoque, son objectif de cette loi fut d'autoriser la création d'une imprimerie et lapublication d'un journal en langues arabe et italienne par un négociant anglaisnommé Richard Holt. Ce journal était dédié spécialement aux annonces, à lapromotion des marchandises et aux informations à caractère commercial. Ildevait se garder d'aborder des sujets ou de publier des informations ayant uncontenu politique.

Cette autorisation a créé un précédent dans la mesure où elle a ouvert la voieà la publication d'autres journaux. Toutefois, «Il Corriere di Tunisi» devintaussitôt un journal officiel qui faisait désormais office de porte-parole dugouvernement tunisien et fut rebaptisé «Le Réveil Tunisien».14 La mission et lesorientations de cette publication furent définies par le décret-loi du 18 juillet1860. Un autre décret fut pris le 26 décembre 1875 pour appliquer lesdispositions réglementant les études dans l'université «Az-zaytounah» auximprimeries et aux librairies. Ainsi, toute publication devait avoir l'accordpréalable de l'institution religieuse. En fait, la prise d'ampleur de la pratiquejournalistique devait à cette époque mettre directement ou indirectement mal àl'aise le milieu religieux, le milieu gouvernemental et la souveraineté de laTunisie et constituer potentiellement une menace d'atteinte à l'aura du bey.

Deuxièmement : quelques éléments de la législation coloniale réglementant lesecteur des médias dans les pays maghrébins

1. L'expérience tunisienne : l'application de la législation colonialerelative au domaine des médias

Au lendemain de l'instauration du protectorat en Tunisie en vertu du traité du«Bardo» signé le 12 mai 1881, la presse connut un essor rapide. Le premier

(14) Ce fut dans le cadre de ce changement que le général Hassan Abou Abdellah, président duconseil municipal de Tunis et conseiller du Bey pour les affaires extérieures, affirma que lejournal «Le Réveil Tunisien» devait réserver une place à la publication des décisionsofficielles qui sont prises par le Premier ministre.

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journal édité sous le régime de protectorat fut «Tunis-Journal». Ce fut le 18février 1984. La première législation coloniale visant la réglementation de lapresse écrite en Tunisie fut le décret du 14 octobre 1884, pris sous Paul Cambon,le Résident général. Elle était totalement inspirée de la loi française promulguéeen date du 29 juillet 1881.

De toute évidence, les expériences coloniales du Maroc et de l'Algérie, etmême de la Mauritanie en témoignent aussi, le colonialisme n'est pas seulementla domination d'un Etat faible par un autre plus puissant, mais également ladomination culturelle de l'Etat colonisateur dont la culture oblitère et annihilecelle du pays colonisé. Les rapports de force entre la culture française et laculture des pays maghrébins n'échappent pas à cette loi. Dans le domaine de lapresse, la France a appliqué deux registres juridiques distincts ; l'un promeutl'ouverture et la liberté au profit des étrangers, alors que l'autre est anti-pluraliste,répressif et restrictif et élaboré pour étouffer les voix des Tunisiens. En effet, desmesures et des amendements furent introduits pour imposer des restrictions à laliberté de presse des journaux nationalistes, sous prétexte d'adapter le pays auxexigences de la Résidence française.15 Alors que le premier article du décretsusmentionné affirme que «la presse et la librairie sont libres», d'autresdispositions de ce même décret prévoient des restrictions claires qui entraventl'application du principe défini dans l'article suscité. En effet, la création et lapublication des journaux ne pouvaient avoir lieu qu'en vertu d'une autorisationspéciale. Les propriétaires de ces journaux devaient produire à titre préalable etobligatoire une caution de 10.000 pesetas pour les journaux à vocation politiqueet de 5.000 pesetas pour les autres catégories de presse. Ces montants sont verséspar les journaux à titre de caution pour payer les amendes lorsqu'ils aurontcommis une infraction ou un délit.

L'article 12 va jusqu'à prévoir l'éventualité de suspendre et d'interdire unjournal en vertu d'un décret entériné par le Résident général. Cette dispositionvisait principalement les journaux publiés en langue arabe. Mais elle s'appliquaaussitôt à ceux qui étaient publiés en langue française et dirigés par les militantsqui revendiquaient l'indépendance de la Tunisie.

Ainsi, la tension politique provoquée par les revendications nationalistes à lafois politiques et syndicales poussa la Résidence générale française à l'édictiond'une série de décrits-lois qui confisquèrent les libertés publiques, y compris laliberté de presse et de l'information.

Dans le domaine propre de la presse, un alinéa fut introduit dans le décret de1904 en vertu d'un autre décret pris le 26 janvier 1926. Cet alinéa stipule que

(15) Gilles Rossignol, Statut de la presse et des journalistes en Tunisie de 1859 à 1969.

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«lorsque une publication est suspendue ou saisie, son tirage ne peut avoir lieu,même sous un titre nouveau». En outre, l'article 4 du même décret rend facile lapoursuite des auteurs d'articles et d'éditoriaux, indépendamment du public auquels'adressent ces derniers. Ce risque devient plus grand quand ces derniers incitentà la haine ou au mépris à l'égard du bey ou du régime de protectorat ou,généralement, à l'endroit des fonctionnaires et des responsables politiquesfrançais et tunisiens. Cette disposition est également applicable à ceux quicherchent à provoquer parmi la population un sentiment de mécontentementsusceptible de mettre à mal l'ordre public.

u En effet, cette disposition permit la suspension de plusieurs journaux. Tel,par exemple, fut le cas en 1934 du journal «Al Âmal» qui ne revint sur lascène médiatique qu'en juin 1937. Pis encore, les personnes poursuivies necomparaissaient pas devant les tribunaux tunisiens, mais elles étaient,plutôt, justiciables des juridictions françaises. C'était seulement lorsqu'ils'agissait d'injure ou de diffamation adressées à des personnes, ou d'atteinteà la morale et aux mœurs publiques que les Tunisiens comparaissaientdevant, et se trouvaient condamnés par, la justice tunisienne.

u Quant au décret du 6 août 1936, il modifia les dispositions essentielles dudécret de 1884. Ainsi, l'article premier de ce nouveau décret affirme unenouvelle fois que «la presse et la librairie sont libres». Mais l'article 4 de cemême décret stipule que tout journal publié en arabe ou en hébreu doit êtreobligatoirement dirigé par une personne de nationalité tunisienne, et restemuet quant à la nationalité des directeurs des journaux publiés en languefrançaise.

Chaque journal doit faire dépôt d'une déclaration de publication auprès duprocureur de l'Etat et du Secrétaire général du gouvernement. Doivent figurerdans la déclaration le titre, la spécification du tirage quotidien ou périodique de lapublication, le nom, la nationalité, le lieu de résidence des propriétaires et dudirecteur de la publication, la dénomination de l'imprimerie chargée de sonimpression et la langue de publication. Le journal ou le périodique doitcommencer à être publié dans un délai de trois jours à compter de la date de ladéclaration. Ce délai se trouve réduit à 24 heures pendant la période des élections.

L'article 4 de ce nouveau décret est réservé aux crimes et aux infractionscommises par la presse. En outre, cet instrument réglementaire stipule que lesjournaux et des périodiques qui circulent à l'intérieur du territoire tunisien, maisqui sont imprimés en dehors de ce territoire mis sous régime de protectoratfrançais, peuvent faire l'objet d'une interdiction en vertu d'une décision prise parle Premier ministre tunisien et paraphée par le Résident général français enTunisie ou par son délégué à l'intérieur dudit territoire.

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u Dans un contexte marqué par l'ampleur des revendications et desprotestations nationalistes contre la politique coloniale discriminatoire,notamment au lendemain des évènements d'avril 1938, trois décrets-loisfurent pris, dont :

u le décret du 5 juillet 1937. Ce texte rendit plus sévères les peines applicablesà ceux qui commettent des délits d'injure ou de diffamation à l'égard du beyet de ses ministres, ainsi qu'à l'endroit des membres de sa famille, ou quiexpriment des attitudes méprisantes à l'égard des cultes, ou encore quiincitent à porter atteinte, ou qui portent atteinte, aux droits français et auxautorités françaises en Tunisie.

Le contexte de la Seconde Guerre mondiale eut des effets sensibles sur ladynamique de l'activité médiatique. En effet, ce fut durant cette période que ledécret du 20 avril fut pris. Ce texte réglementaire interdit la diffusion et lapublication des informations militaires de quelque nature que ce soit. Son objectiffut d'empêcher la diffusion de telles informations au profit du grand public. Raisonpour quoi ledit décret a attribué au gouvernement le pouvoir d'interdire la diffusionet la publication, ou la suspension de la circulation, de ce genre d'informations,parce que la circulation de celles-ci est de nature à porter atteinte à l'institutionmilitaire. Ainsi, en date du 3 août 1939, les autorités publiques interdirent ladistribution, la mise en vente, la présentation au public (ou la détention) à des finsde distribution de tracts et de publications étrangères promouvant des courantsétrangers et pouvant ainsi porter atteinte à l'intérêt national.

u Un régime de censure de la presse fut institué en vertu du décret du 8septembre 1939. Ainsi, il fut créé à cet effet un organe à cette mission sousla direction et l'autorité du Résident général. Cet organe était le service de lapropagande et du contrôle des informations relatives à la situation militaire,diplomatique et économique.

Ainsi, si le Maroc se dota du premier cadre législatif colonial réglementant ledomaine médiatique depuis l'édiction de la première loi datée du 27 avril 1914,16

laquelle fut suivie d'une série de lois consécutives jusqu'en 1956 visant à imposerdes restrictions à la liberté de presse, l'on constate le même processus en Tunisieoù la législation coloniale réglementant le domaine de la presse compte toute unesérie de textes consécutifs : le décret de 1884, le décret de 1904, le décret du 29janvier 1926, le décret du 6 août 1936, le décret du 17 février 1937, le décret du28 juin 1938 et les décrets pris dans le contexte de la Seconde Guerre mondiale,dont essentiellement le décret du 20 avril 1939 et le décret du 8 septembre 1939.

(16) Pierre-José Molard, Le régime juridique de la presse au Maroc, Ed. de La porte, Paris, pp. 40-42.

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En Tunisie, comme dans les autres pays maghrébins, la liberté de presse et leprincipe du pluralisme, étaient reconnus par le texte juridique, mais ils étaient,dans la pratique, plombés par des restrictions aussi bien avant qu'après la Premièreet la Seconde Guerre mondiales. En effet, aucune mesure ne fut prise aulendemain de la Seconde Guerre, ni même après la création de l'Organisation desNations Unies et l'émergence de la pensée promouvant les droits de l'homme et ladémocratie et, corrélativement, la paix et la sécurité internationales. Rien de teln'eut lieu sous le gouvernement de Vichy, ni du temps de la «France libre». Toutdemeura en l'Etat dans les colonies et aucune mesure ne fut prise pour affranchirla liberté de presse et le pluralisme des restrictions qui leur étaient imposées parles législations coloniales. Au Maroc et en Tunisie, tout comme en Algérie et enMauritanie, la liberté de presse et le principe du pluralisme demeuraient lettremorte. Au contraire, la France libre continuait d'appliquer un régime dissuasif,sinon répressif, à la presse dans les pays maghrébins.

1. L'expérience marocaine : une législation coloniale : deux poids,deux mesures

Deux après l'instauration du régime du protectorat au Maroc, la France entrepritla mise au point d'un cadre législatif pour réglementer l'exercice de la liberté depresse. En fait, elle avait conscience du fait que le recours de l'élite intellectuelle etpolitique marocaine à l'application orientée du principe «ordonnant le bien etproscrivant le mal», et à l'utilisation de la presse à cette fin, constituerait un moyende la déloger du Maroc. En outre, la guerre de pacification se poursuivait et larésistance au nord, au sud et au centre tenait bon jusqu'à une date proche dumoment de l'éclatement de la Seconde Guerre mondiale. Le dernier foyer derésistance, l'Anti-Atlas, s'éteignit en 1934. Cette situation fut une des raisons quipoussèrent la Résidence générale française à créer un cadre législatif favorable àses intérêts pour réglementer le secteur de la presse. Les modifications ultérieures,qu'elle y introduisait, visaient à contrer les campagnes de presse initiées par lemouvement national marocain contre le régime de protectorat et à favoriser unepresse qui servirait ses objectifs coloniaux.

Ainsi, dès le 27 avril 1914, la Résidence française a pris un ensemble dedécrets-lois et de décisions administratives ayant un caractère discriminatoire àl'égard de la presse nationaliste. L'objet de ces décrets et décisions fut deréglementer la création des entreprises de presse, le domaine de l'édition et de lapublication. Il arriva même que deux lois aient été édictées en l'espace de 48heures par la Résidence générale française. En témoigne la succession des textessuivants : le dahir du 28 août 1939 modifiant le dahir du 30 mars 1939 punit toutediffusion ou publication d'informations relatives à l'armée au Maroc qui ne sontpas livrées par le gouvernement lui-même, ou dont celui-ci n'a pas autorisé la

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diffusion ou la publication. Immédiatement suivit le dahir du 30 août 1939 quirend possible la saisie et la suspension des publications susceptibles de perturberla défense nationale et de rendre malaisée sa mission.17

Ces cadres législatifs soulèvent une problématique juridique en rapport avecla hiérarchie des différentes sources de la règle de droit. C'est le cas, par exemple,d'un ordre donné par le commandant de l'armée française au Maroc qui modifieles dispositions d'un dahir ayant valeur de loi.

Le premier dahir réglementant le secteur de la presse au Maroc date du 27avril 1914. Il est constitué de 54 articles qui portent sur la librairie, l'imprimerie,les publications périodiques et les crimes commis par la presse. Ce dahir fitl'objet de plusieurs modifications dictées par la conjoncture politique nationale etinternationale de l'époque. Ces modifications furent introduites en vertu du dahird'août 1939 et du dahir du 14 février 1945,18 ainsi que du dahir de 1951 qui futunique en son genre dans la mesure où il prévoit des peines sévères qu'on netrouve même pas dans le droit pénal.

L'ensemble de ces textes juridiques qui réglementaient le secteur de l'éditionet de la presse revêtaient un caractère discriminatoire envers la pressenationaliste. Ceci trahit l'attitude hargneuse du législateur colonial à l'égard de lapresse publiée par les marocains musulmans ou juifs, pour exprimer lessentiments du citoyen marocain et son attitude de refus à l'égard du régime deprotectorat, ou au moins sa revendication concernant l'engagement de réformesdans le cadre de ce régime. Le caractère repressif de la législation colonialeréglementant le domaine de la presse est tel que celle-ci ne s'est pas limitée àl'idée de dissuasion qui est manifeste dans le dahir du 27 avril 1914, mais elles'est endurcie davantage dans d'autres textes de lois promulgués respectivementen 1920, 1936 et 1937.

La législation coloniale ayant réglementé le secteur de la presse étaitquasiment la même dans les pays maghrébins colonisés par la France. En fait, ilsemble qu'il n'existe pas de différence notable entre les cadres juridiques quiétaient respectivement appliqués dans le domaine de la presse au Maroc, enTunisie, en Algérie et en Mauritanie.

Force est donc de conclure de ce qui précède qu'il y avait toujours une attituded'ouverture vis-à-vis de la presse qui défendait les intérêts de l'Etat colonisateuret à laquelle s'appliquaient à la lettre les dispositions de la loi du 29 juillet 1881,alors que la presse nationaliste locale publiée aussi bien en langue arabe qu'en

(17) B.O., n° 1688 du mars 1945, p. 110. (18) Mohammed Idrissi Alami Machichi, Le droit aux sources inconnues, publication de

l'Association de développement des recherches et études judiciaires, Rabat, 1991, p. 126.

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langue française faisaient l'objet d'un ensemble de restrictions et d'un contrôlerigoureux assurés par des dispositions et des modalités réglementaires. En fait, ily avait entre la pratique de la presse proche du colonisateur et celle de la pressenationaliste un fossé non couvert par les dispositions libérales de la loi françaisede 1881, ni par les autres lois connexes. Ainsi, à chaque fois que la pressenationaliste tentait de dévoiler les pratiques du colonisateur, elle se trouvait alors,sinon interdite ou suspendue, du moins saisie ou censurée.

Il est question ici de connaître la nature de la relation entre l'ouverturepolitique que connut l'ordre régional propre à l'ensemble maghrébin, et lepluralisme dans le domaine de l'information. L'ouverture partielle que connut laplupart des pays maghrébins immédiatement après le départ du colonisateurfrançais y induisit-elle un le pluralisme en matière d'information et de presse ?Dans le cas d'une réponse affirmative à cette question, ce pluralisme se refléta-ilau niveau des lois et des législations qui, l'indépendance conquise, vinrentréglementer à nouveaux frais le secteur des médias dans les pays maghrébins ?

Deuxième section : les législations magrébines relatives aux médiasdans la période postcoloniale : de la liberté auxrestrictions

Pendant la période coloniale, le domaine des médias dans les pays maghrébinsétait organisé par une législation élaboré par le protectorat. A l'heure del'indépendance, ces pays commencèrent à abandonner de façon partielle etprogressive la législation coloniale relative au domaine médiatique. En effet,l'arsenal juridique règlementant ce domaine hérité de la période coloniale ne fut pasabandonné totalement et d'un seul coup. Certains textes coloniaux ont été maintenuspour encadrer l'exercice des droits et des libertés publiques, notamment la libertéd'opinion et d'expression. Ie convient, à titre d'exemple, de faire mention ici de la loide 1936 qui, au Maroc, est restée en vigueur jusqu'en 1994,19 malgré le fait que laloi du 15 novembre 1958 avait pour objectif d'abandonner irréversiblement lalégislation appliquée au domaine de presse pendant la période coloniale.

Premièrement : les législations maghrébines relatives aux médias et l'illusiond'ouverture

Le chercheur qui s'intéresse aux questions portant sur le droit de l'informationet de la communication dans les pays maghrébins qui étaient colonisés par la

(19) Concernant le contexte dans le quel cette loi fut supprimée, cf. Ali Karimi, Les droits del'homme et les libertés publiques au Maroc entre la réalité juridique et les contraintes ducontexte politique, REMALD, 2003.

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France depuis 1830 dans le cas de l'Algérie, 1881 dans le cas de la Tunisie et1912 dans le cas du Maroc, ne peut manquer d'être frappé par un trait généralqui caractérise la plupart de ces pays au lendemain de leur indépendance, et quiconsiste en ceci que les législations coloniales relatives au domaine des médiasqui y étaient appliquées se ressemblent, et que ces pays furent libérés du joug ducolonialisme français au milieu des années 1950 ou des années 1960 du siècledernier. Autre trait caractéristique commun à noter sous cet aspect : ils tentèrentd'abolir les législations coloniales qui y réglementaient les droits et les libertés,y compris le droit de l'information et de la communication. En effet, les Etatsmaghrébins mirent en place des cadres législatifs dont certains pourraient êtrequalifiés de libéraux. Tel est le cas, par exemple, de la loi marocaine promulguéele 15 novembre 1958 ou de la loi tunisienne édictée le 9 février 1956,20 qui, elle,était légèrement teintée de libéralisme. L'article premier de cette loi affirme lepluralisme et met l'accent sur la liberté d'information et de communication. Eneffet, il prévoit «la liberté de presse et de publication». L'on trouve intégralementla même formulation dans la loi marocaine promulguée le 15 novembre 1958. Demême, la loi tunisienne qui était en vigueur à la même époque, affirme avec forceet de façon plus au moins détaillée la liberté de publication et de presse. Mais,aussitôt, l'Etat commença à imposer des restrictions aux orientations libérales, sitant est que l'on puisse parler effectivement de libéralisme et d'ouverture à proposdes médias qui avaient dû supporter les restrictions oppressives imposées par leslégislations coloniales codifiant le secteur de l'information et de la presse.21

Au début les législations maghrébines relatives au secteur de l'informationfurent marquées par le sentiment de fierté que donna aux Etats indépendantsl'exploit de la décolonisation et par l'enthousiasme qui en résulta. En effet, l'espritdu législateur, au Maroc et en Tunisie comme en Algérie et en Mauritanie, étaitencore enveloppé d'euphorie. Elles devaient également porter l'empreinte ducontexte politique national et de sa dynamique de lutte de pouvoir entre lespartenaires politiques (le cas du Maroc). Y est présent aussi le souvenir desrestrictions répressives, oppressives et confiscatoires imposée par le colonisateurà la presse du mouvement de libération nationale. Aussi, une fois au pouvoir, cemouvement a-t-il édicté des lois animées par un esprit de liberté et d'ouverture,même s'il n'était pas fervent adepte du pluralisme.

(20) Al Mostapha Ar-Ribani, Les lois réglementant la profession de journaliste dans les pays duMaghreb arabe : étude comparative, mémoire élaboré pour l'obtention du diplôme des étudessupérieures en journalisme, l'Institut supérieur de l'information et de la communication,Rabat, 1988- 1989, p. 47.

(21) Lambaraâ Abdellatif, La presse nationale et la question démocratique, mémoire élaboré pourl'obtention du diplôme de l'Institut supérieur de journalisme, Rabat, 1986, p. 75.

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Après l'indépendance, et au moment où ce mouvement au pouvoir élaboraitles législations relatives aux médias, il n'y avait pas d'instruments internationauxappelant à la liberté de presse, excepté les mentions qui en sont faites dans laDéclaration universelle des droits de l'homme adoptée le 10 décembre 1948, oudans les activités des Nations Unies et de ses agences spécialisées telles quel'UNUSCO, ou la Convention internationale de 1953 sur le droit de réponse22 etle Projet de Convention relative à la liberté de l'information.

Au moment où les Etats maghrébins (ou au moins certains d'entre eux)commencèrent à mettre en place leurs législations concernant l'information,l'intérêt porté aux droits de l'homme sur la scène internationale était plutôt defaible intensité. Ceci est dû au contexte de cette époque qui était tellementmarqué par la guerre froide et par un ordre mondial bipolaire statique, à tel pointque la communauté internationale se préoccupait peu des questions relatives à laliberté d'information, d'expression et des droits de l'homme en général.

Quant à l'ordre régional arabe où s'incère l'ensemble maghrébin sur lequelporte la présente étude, l'intérêt qui y était porté à la question de la libertéd'information n'était pas plus accusé qu'ailleurs pendant cette période. Bien aucontraire, l'opinion unique et les orientations anti-pluralistes prévalaient dans lespays qui y appartiennent, notamment après la guerre de Suez, et même quelquesannées avant l'éclatement de cette guerre.

Les facteurs qui viennent d'être mentionnés marquèrent de leur empreinte lesdifférentes législations relatives au domaine de l'information et de la presseadoptées par les pays maghrébins, ce qui explique l'écartèlement où elles setrouvaient entre deux tendances antinomiques concernant la liberté d'opinion etd'expression et la liberté d'information : la tendance aux restrictions et la tendanceà l'ouverture. Dans certains cas, la tendance libérale dominait de façon complète,mais aussitôt la tendance aux restrictions de la liberté d'expression prit le dessus.Dans d'autres cas, cette liberté se trouva d'emblée restreinte, le pouvoir en placeayant mis les différents médias à leur merci et au service de leurs intérêts.

Deuxièmement : les premières lois édictées sous l'influence du contexte politique

Les premières lois promulguées pendant la période postcoloniale pourréglementer le secteur des médias semblaient animées par un esprit d'ouvertureet réaffirmer la liberté des médias, notamment écrits, loin de toute orientationrestrictive, sous peu que cette liberté ne porte pas atteinte aux soubassementspolitiques et religieux de l'Etat et ne constitue pas une source de menace pour lasécurité et l'ordre publics, ni une remise en question de la morale et des mœurs

(22) Roger Pinto, La liberté de l'information et de l'opinion, Ed. Domat, 1995, pp. 28-30.

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publiques. Cette tendance se manifeste dans les premières législations relatives àla presse. Quant aux médias audio-visuels, ils furent monopolisés par l'Etat danstous les pays maghrébins.23 Mais les orientations libérales du départ furentaussitôt abandonnées en Tunisie et en Algérie. Quant au Maroc, ce changementde cap fut progressif.

Si les médias audio-visuels étaient dès le départ monopolisés par l'Etat dansla plupart des pays maghrébins, ce monopole s'étendit à la presse en Tunisie eten Algérie, et même en Mauritanie à partir de 1963. Au Maroc, l'Etat s'employaità vider progressivement la loi du 15 novembre 1958 de sa substance libérale.Cette tendance restrictive se laissait constater entre 1960 et 1965, l'année où futdécrété l'Etat d'exception.

L'on ne peut comprendre les raisons qui ont poussé les quatre Etatsmaghrébins à imposer des restrictions à la liberté des médias et à les incorporerdans leurs législations respectives réglementant ce secteur, sans se référer aucontexte politique interne de ces Etats et, tout aussi, à la conjoncture politiqueinternationale et régionale. C'est l'examen de ces deux registres de contexte quipermet d'éclaircir les raisons de ce changement de tendance.

Si nous examinons le cas du Maroc, dont la première loi postcoloniale futlibérale et animée d'un esprit pluraliste tendant à exclure la possibilité d'uneformation partisane dominante ou, au moins, à en limiter la capacité dedomination du champ politique, l'on s'aperçoit que le conflit interne entrel'opposition et la Palais au Maroc gagna en acuité au lendemain de la révocationdu gouvernement formé par le parti de l'Istiqlal et dirigé par Moulay AbdellahIbrahim, pendant la période allant de décembre 1958 à mai 1960, et qu'enconséquence la loi de 1958 commença à perdre son caractère libéral depuis cettedernière date jusqu'à 1965, année où l'Etat d'exception fut décrété. L'oncomprend également comment les évènements politiques internes qui suivirentles deux tentatives de coup d'Etat, le premier en 1971 et le second en 1972 et lesévènements du 3 mars 1973 vinrent à bout de ce qui restait de libéral dans la loirelative à l'information et à la communication. Ce coup de grâce lui fut assénépar les modifications qui furent introduites le 10 avril 1973 dans cette loi, dansle sens d'un verrouillage complet de la liberté d'opinion et d'expression.

En Algérie, qui venait d'arracher en 1962 son indépendance au colonisateurfrançais, le gouvernement eut vite conscience de l'importance Les médias et fitmain basse sur ce secteur stratégique. Ainsi, il promulgua le 31 décembre 1962une loi qui réaffirme l'application des lois qui étaient en vigueur pendant la

(23) Sur la monopolisation des médias audiovisuels par les Etats maghrébins, cf. l'ouvrage collectifintitulé «L'information au Maghreb», CERES Production, Collection Enjeu, Tunisie, 1992.

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période coloniale, à l'exception des dispositions qui sont de nature à porteratteinte à la souveraineté nationale ou à la remettre en cause. Cette loi futdéfinitivement supprimée par l'ordonnance datée du 5 juillet 1973.

Il faut noter qu'en juillet 1962, avant même la formation du premiergouvernement algérien provisoire issu des Accords d'Evian, l'Etat transmit unmessage télégraphique à toutes les régions, i.e. les wilayas, du pays, aux termesduquel les gouverneurs disposent du pouvoir de contrôler le contenu desjournaux et des publications avant d'en autoriser la publication, et de saisir tousles exemplaires desdits journaux et publications, au cas où ils n'observent pasleurs instructions. En outre, le gouvernement algérien décida de mettre lesentreprises de presse sous la tutelle du gouvernement et du parti à compter dumois d'août 1963, de se donner le monopole de la diffusion des informations etde nationaliser la presse en septembre 1964.24

Ainsi, le gouvernement produisit pendant la période allant de 1962 jusqu'à lapromulgation de la loi réglementant le secteur des médias en Algérie, en 1982,plusieurs textes : la loi portant réglementation des entreprises de presse, la loi denovembre 1967 relative à la réglementation de la presse, le statut de la professionde journaliste de septembre 1968 et la loi relative à l'organisation de l'édition etdes droits d'auteur de 1973.

Une série de décrets suivit la loi de 1967, dont ceux qui transformèrent lesentreprises publiant les journaux «Ach-chaâb» et «Al Mojahid», à Alger, «An-nasr», à Constantine, et «Al Jomhouria», à Oran, en sociétés nationales àcaractère commercial. De ce fait, la presse devint contrôlée et dirigée par l'Etatet les sociétés qui les géraient prirent la forme d'établissements publics dotésd'une autonomie administrative et financière relative.

Quant à la presse hebdomadaire, elle demeurait en grande partie sous lecontrôle du Front de Libération national (FLN). Il convient de noter également quela loi réglementant le domaine de l'information et de la communication promulguéeen 1982 attribue, exclusivement à l'Etat et au FLN, le droit de publier des journauxd'information. Mais elle donne aux institutions culturelles et d'enseignement, auxassociations et aux syndicats la faculté de publier des journaux spécialisés.

Aussi importants soit-ils, les textes de loi et réglementaires susmentionnésn'étaient pas assez développés pour combler le vide juridique qui caractérisait lesecteur de l'information en Algérie, en général, et le domaine de la publication et del'édition, en particulier. Ainsi, l'on constate que même la loi pénale algérienne envigueur depuis 1966 fait mention, dans les articles 298 et 299 des délits d'atteinte à

(24) Brahim Brahimi, La liberté de l'information à travers les deux Codes de la presse (1982-1990)en Algérie, L'information au Maghreb, ouvrage collectif, Tunisie, 1992, pp. 182-213.

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l'honneur des personnes, d'outrage et d'atteinte à la vie privée, et en particulier auxinjures et aux diffamations, sans pour autant définir de façon claire et précise laprocédure à suivre lorsque ces délits sont commis par voie de presse.

Il ressort de ce qui précède que l'Etat algérien s'empara du secteur des médias,d'abord en l'arrachant des mains du colonisateur, ensuite en le nationalisant pourpouvoir s'en assurer le monopole et le contrôle. Ce processus est bien caractérisépar le professeur Ibrahim Ibrahimi dans sa thèse élaborée sous le titre : «Lepouvoir et la presse en Algérie», lorsqu'il écrit : «Entre 1962 et 1965, laresponsabilité de la direction des organes d'information était assurée par leshommes politiques. A partir de 1965, cette responsabilité était assumée par descadres administratifs au lieu et place de ces derniers». Il semble que cechangement fut la conséquence du changement politique survenu en Algérie, à lasuite du coup d'Etat du 19 juin 1965.

Ce fut alors que l'Etat algérien prit une série d'ordonnances pour réglementerle secteur des médias, tout en maintenant en vigueur la loi française de 1881,mais sans pour autant l'appliquer. Dans sa thèse soutenue en 1976, et consacréeau domaine des médias en Algérie, Al Houceine Siyah fait, à titre d'exemple,référence à un jugement prononcé par le tribunal d'Alger en date du 1er août 1968.Pour punir un délit de diffamation, le juge appliqua la loi pénale algérienne du 8juin 1966 plutôt que la loi française du 29 juillet 1881.

En Algérie encore, l'organisation du secteur des médias consistait en unmonopole étatique qui mit la presse au service de l'administration, c'est-à-dire auservice du pouvoir exécutif. Ainsi, le contrôle des médias par l'Etat se renforçapar un vide juridique terrible. En fait, l'Algérie ne se dota de sa première loi pourréglementer le domaine des médias qu'en 1982. Toutefois, cette loi n'est au fondqu'un instrument juridique pénal, dans la mesure où elle est faite de dispositionsqui punissent la pratique journalistique plus qu'elles ne protègent la profession dejournaliste.

Il ressort de ce qui précède qu'il y a, semble-t-il, des traits communs entre lesexpériences des pays maghrébins, en ce qui concerne l'organisation juridique dusecteur des médias et la relation entre les lois édictées dans ces pays et la législationcoloniale, notamment la loi française de 29 juillet 1881. Cette loi demeurait envigueur pendant la période postcoloniale en Algérie, et constituait une sourced'inspiration dans les autres pays, à savoir le Maroc, la Mauritanie et la Tunisie.

En effet, le décret relatif à la presse fut pris en Tunisie le 9 février 1956,immédiatement après la signature en 1955 de l'Accord franco-tunisien relatif àl'autonomie. Ce texte juridique s'est largement inspiré de la législation françaiserelative à la liberté de presse parue sous la troisième République. Cette influence

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se manifeste dans le contenu du premier article de la loi tunisiennesusmentionnée, lequel réaffirme «le principe de la liberté de la presse et de lapublication». L'on rencontre la même disposition dans la législation marocainedu 15 novembre 1958. Les autres articles de cette loi constituent uneréglementation, de la liberté de la presse et de la publication.

Ainsi, l'article 45 de cette loi supprima une série de décrets qui imposent desrestrictions à la presse écrite en Tunisie pour la réduire au silence. Il y a parmices décrets :

u Le décret de 6 août 1936, le décret du 15 septembre 1939, le décret du 9 août1944 et le décret du 4 janvier 1945.

Un décret additif fut pris le 7 novembre 1957. Il avait pour objectif de faciliterla mission attribuée au ministre de l'Intérieur de renforcer la nouvelleorganisation du secteur de l'information et de la presse. En effet, il apporta desmodifications revêtant une importance d'ordre pratique. Il facilita l'opération dedépôt légal et réglementa la saisie des journaux étrangers, en cas d'atteinte àl'ordre public. Deux autres textes vinrent renforcer le nouvel arsenal juridique,l'un d'eux est rendu public le 10 août 1957 et l'autre le 30 août 1961. Tous lesdeux avaient pour but de contrôler le financement étranger de la pressetunisienne.

Malgré les modifications dont elle fit l'objet, la loi du 9 février 1956 revêtaitun caractère provisoire, et n'avait pas la valeur d'un véritable code en mesured'organiser l'exercice de la liberté d'opinion et d'expression. Comme il en a étédéjà fait mention, cette loi fut promulguée à la veille des négociations entre laFrance et la Tunisie au sujet de l'indépendance, et bien avant les changementsd'ordre juridique survenus en Tunisie, notamment la Constitution de 1959 quiinstaura le régime républicain en lieu et place du régime monarchique, et garantitl'exercice des libertés publiques. Toutefois, la pratique révéla l'insuffisance de cetexte et son inadéquation à la situation qui prévalait dans le pays, notammentaprès la promulgation des autres lois telles que le Code de la procédure pénale,le Code de la procédure civile, le Code du commerce, le Code militaire, la loiélectorale et la loi relative à la radio et à la diffusion, etc.

En outre, la loi de 1956 ne réserva aux conditions et aux formalités du dépôtlégal que deux articles qui pèchent par défaut de précision et de clarté. De même,les sanctions qu'elle prévoit n'étaient pas adaptées à la situation qui prévalait àl'époque en Tunisie. Si nous ajoutons à ces faiblesses le fait qu'elle fut constituéedans sa totalité d'emprunts à la législation française du 29 juillet 1881, alorstoutes ces considérations et des raisons suffisantes pour appeler à sa révision.

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Sans doute, ces considérations et ces arguments étaient-ils ceux qui furent mis enavant pour justifier l'opportunité de l'amendement de 1975.

En Mauritanie, qui a obtenu tardivement son indépendance, l'on peut dire qu'iln'y avait pas de véritables médias. En effet, la radio nationale diffusait sesprogrammes à partir du Sénégal jusqu'à 1960, l'année où elle commença à le faireà partir de Nouakchott. Quant à la presse écrite, elle était rare et thématiquementpeu développée. Parmi les journaux les plus importants publiés à cette époque enMauritanie, il y avait «Mouritania Al Jadida», qui était le porte-parole dugouvernement, et «Ach-chaâb», organe de presse du parti, et «Al Ouakaîâ»contrôlé par le syndicat «Al Moâlimine Al Ârab», qui promouvait une idéologiearabiste-nationaliste.25

C'est dire, vu cette situation, que la Mauritanie devait partir de la case zéropour créer et organiser un secteur des médias. Etant donné que ce pays a obtenuson indépendance, à un moment décisif de l'histoire de l'ordre régional arabe, etmême maghrébin, que cet ordre était fortementémarqué par le courantnationaliste- arabiste révolutionnaire, et que ce contexte particulier a conditionnédans une large mesure, l'organisation sociale et politique interne de laMauritanie, la politique de celle-ci en matière de droits et de liberté publiques,notamment en ce qui concerne la liberté de presse et d'expression, était marquéepar les restrictions que l'Etat a imposées au secteur de l'information et de lapresse. Il faut rappeler, également, que les législations qui réglementaient lapresse pendant la période coloniale, et même sous le régime d'autonomie de1958, étaient encadrées par la «Loi-cadre» édictée par la France, à titre deréférence de base pour les législations relative au domaine de l'information, etqui avait pour but de contrôler les territoires d'outre-mer de la France.26

Le gouvernement mauritanien essaya d'introduire des modifications dans lecadre juridique réglementant la liberté de presse et les autres droits et libertéspublics, tels que la liberté de création des associations et la liberté derassemblement. Toutefois, ce cadre juridique demeure jusqu'à l'heure actuellesous l'emprise des législations coloniales. Mais, en 1963, une loi relative àl'information et à la communication fut promulguée en Mauritanie. Tout commeles lois réglementant le domaine de l'information dans les autres paysmaghrébins, elle n'était guère qu'une version arabe de la loi française de 1881.

(25) Al Mostapha Ar-Ribani, Les lois réglementant la profession de journaliste dans les pays duMaghreb arabe, Op.cit. p. 85.

(26) Mohammed Ould Ahmed Ould Hamed, Le cadre législatif et réglementaire du paysageaudiovisuel en Mauritanie, Etude comparative, mémoire élaboré pour l'obtention du diplômedes études supérieures, Faculté des lettres et des sciences humaines de Benmsik, Casablanca,2007-2008, p. 36.

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Néanmoins, la Mauritanie suivra l'exemple de l'Algérie à partir de 1965, et serainfluencée par les évolutions survenues en Tunisie. En outre, la tendance, dansles différents pays maghrébins, à la domination d'un parti unique ne l'a pasépargnée. Plus encore, l'Etat d'exception décrété au Maroc ne sera pas sans effetsur son voisin du sud.

Il ressort donc des évolutions survenues pendant la période allant del'indépendance des pays maghrébins jusqu'aux années 1970 que malgré lesvariations constatées entre ces différents pays, en ce qui concerne le pluralismemédiatique ou le respect de ce pluralisme, il y a des similitudes entre les modesde traitement répressifs réservés à la liberté de presse, y compris leur tendancecommune à imposer des restrictions au pluralisme médiatique. Cette tendance estconstatée même dans les pays dont les lois énoncent le principe du respect de cepluralisme. Ainsi, l'on travaillait aux pays maghrébins à défaire les loisréglementant le secteur de l'information et de la communication de leurs aspectslumineux et libéraux, en y introduisant des modifications qui avaient pour but deréduire le périmètre de liberté offert par le texte initial.

En dépit des différences qui existaient pendant cette période entre lesexpériences juridiques des pays maghrébins dans le domaine des médias, cesimposèrent tous, et en même temps, à l'exercice de la liberté de presse desrestrictions quasi-similaires. A cet égard, l'an 1965 est, peut-être, une datehistorique, en ce qui concerne la répression de la liberté de presse et du nonrespect du principe du pluralisme dans tous les pays du Maghreb arabe. Cettedégradation est liée principalement au contexte politique de l'époque. En effet, auMaroc, les restrictions imposées aux libertés, et tout particulièrement à la libertéde presse27, furent consécutives à l'Etat d'exception décrété en juin 1965. EnAlgérie, au lendemain du coup d'Etat survenu le 19 juin 1965, une répressionterrible vint étouffer la liberté de presse, et anéantir le principe du pluralisme,sachant que cette liberté et ce principe subissaient bien avant cette date les effetsrestrictifs du cadre législatif réglementant la liberté d'opinion et d'expression.28

Le même changement eut lieu cette année en Tunisie, où des restrictions furentimposées à la liberté de presse et au pluralisme sur lesquels il y avait déjà degrands points d'interrogation.

u En Mauritanie, l'an 1965 fut marqué par un changement d'orientation versl'anti-pluralisme médiatique. Ce changement s'inscrit dans la politique duparti unique.

(27) Cf. Ali Karimi, L'arrière-fond politique des restrictions de la liberté d'opinion et d'expression auMaroc, le Bulletin marocain des études en communication, n° 31, mars, 2001, pp. 21-36.

(28) At-Taher Ben Khalf El-Lah, Du pluralisme politique à la liberté de l'information et au pluralismemédiatique, la Revue algérienne de la communication, n° 5, hiver 1991, pp. 59-72.

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Si l'année 1965 est synonyme du parti unique dans le champ politique et dumonopole de l'Etat dans le domaine des médias, notamment la presse, dans lestrois Républiques du Maghreb arabe, au Maroc, elle n'en a pas moins fait date ence qui concerne l'anéantissement du pluralisme au lendemain de l'institution del'Etat d'exception.

Ce changement ne naquit pas ex nihilo, mais il fut, plutôt, l'effet d'unedynamique politique. Certains éléments de ce contexte politique se situaient auniveau international, d'autres au niveau de l'ensemble régional arabe, et mêmeafricain, et d'autres encore au niveau national et interne. L'action conjuguée deces éléments de contexte politique réduisit la liberté et la pluralité des médias.

Troisième section : les effets des dispositions constitutionnelles et desengagements contractés au niveau internationalsur la législation relative au domaine des médiasdans les pays maghrébins

La période qui a commencé au lendemain de la Conférence sur la sécurité et lacoopération en Europe, tenue à Helsinki en juin 1975, a eu une influence sur lelégislateur maghrébin dans le domaine des médias. Il fut influencé également parl'arrivée des démocrates au pouvoir aux Etats-Unis en 1976, sous l'égide de JimmyCarter et par l'entrée en vigueur des deux Pactes internationaux au début de 1976.S'ajoutent à ces évènements le changement survenu dans certains pays de l'ensemblerégional européen tels que l'Espagne et le Portugal, la promulgation de nouvelleslois dans la région et l'adoption, ici et là, de nouvelles constitutions. Ces lois etconstitutions portaient la marque du droit international des droits de l'homme ;raison pour laquelle elles réaffirment l'engagement pour le respect du pluralisme etdu droit à l'information.

Premièrement : les effets du changement politique et des amendementsconstitutionnels sur les lois relatives aux médias dans les pays maghrébins

Après 1975, des changements eurent lieu ici et là dans le Maghreb arabe. Ceschangements furent l'amorce d'un processus de réglementation du secteur desmédias dans le sens d'un pluralisme contrôlé, c'est-à-dire formel. En fait, pendantcette nouvelle ère, des données nouvelles eurent une influence incontestable surla liberté des médias. Si le texte constitutionnel use de formules pimpantes àrésonance démocratique, il n'en va pas de même dans la réalité pratique, et mêmeau niveau du texte juridique relatif au domaine de l'information et de lacommunication, où nous constatons qu'il y a toujours des restrictions qui pèsentsur la liberté de presse et sur l'exercice pluraliste de cette liberté. En effet, nous

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rencontrons dans les constitutions respectives de la Tunisie (1976), de l'Algérie(1976), de la Mauritanie (1975) et du Maroc (1972) des expressions enchantéesconcernant les libertés et les droits de l'homme, ainsi que des libertés spécifiquestelles que la liberté de l'information et la liberté d'opinion et d'expression.29

Cependant, nous constatons également qu'il y a des textes spécifiques qui imposentdes restrictions à ces libertés et interdisent le pluralisme. Parfois ces restrictionssont prévues par le texte de loi lui-même, comme en Algérie, en Tunisie et enMauritanie. Au Maroc, ces restrictions furent imposées par la pratiqueadministrative et bureaucratique, sinon même par le moyen du texte juridique,comme ce fut le cas en vertu des modifications du 10 avril 1973 qui furentintroduites en conséquence des évènements du 3 mars 1973. Ces évènements et lesmodifications qui l'accompagnèrent coïncidèrent avec le moment extrême de l'Etatd'exception. Ainsi, malgré le fait que la liberté de l'information et de lacommunication est garantie par la Constitution de 1972, des restrictions furentimposées à cette liberté. Toutefois, une certaine décrispation se produisit en 1972,ce qui rendit possible une ouverture relative. Les signes avant-coureurs de cettetendance se laissèrent constater également dans les autres pays maghrébins.

Au milieu des années 1970, des changements profonds eurent des effetspositifs sur la situation de la liberté d'opinion et d'expression dans la plupart despays maghrébins. Ainsi, nous pouvons constater, par exemple, un changementpartiel sensible en Algérie. Seulement, ce changement fut limité au niveauinterne et similaire à ceux qui eurent lieu au Maroc, en Tunisie et en Mauritanie.En 1976, l'Algérie se trouva à un tournant décisif : une Charte nationale et uneConstitution virent le jour30 ; au sein de l'Etat des institutions politiquesressuscitérent après une longue période d'hibernation. En effet, des électionslégislatives furent organisées en 1977 (ce fut le cas également au Maroc). Ce sontlà des signes de changement qui commençaient, depuis 1983, et malgré lesslogans socialistes, à annoncer en Algérie une certaine ouverture libérale. Un deces signes se laissa constater lors de la tenue du cinquième congrès du FLN :l'éloignement des théoriciens du choix socialiste.31 Le domaine des médiasconnut une évolution rendue possible par les voix qui, de l'intérieur même del'appareil de l'Etat et de l'appareil du parti, mettaient l'accent sur la nécessitéd'instaurer le pluralisme dans le secteur des médias et de la culture, mettant en

(29) Albert Bourgi et Pierre Wiess, Régimes politique du tiers-monde, série Constitutions, Etats de laLigue arabe, Les nouvelles éditions africaines, 1979.

(30) En 1976, la Charte nationale fut votée en Algérie. En décembre de la même année, laConstitution fut adoptée.

(31) Brahim Ibrahimi, Le pouvoir et la presse en Algérie : doctrine de l'information et idéologiepolitique, Thèse de doctorat d'Etat, Université de droit, Paris, 1987, p. 520.

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avant que l'enfermement et le recours à la censure excessive sont inefficaces dansun contexte mondialisé ouvert, caractérisé par l'abolition des frontières renduepossible par la révolution technologique moderne que connaît le domaine de lacommunication et des industries culturelles. Ces nouvelles orientations expriméespar certains responsables, et qui coïncidèrent avec la fin des années 1970 et ledébut des années 1980, appelaient à la nécessité de réaffirmer le «droit du citoyenà l'information». Ce fut là l'amorce d'un processus de changement, certes lent ethésitant, en faveur du pluralisme médiatique en Algérie.

Cette lenteur et cette attitude hésitante trouvent leur justification dans lescontraintes de la période qui s'étale entre 1962 et 1988. En effet, l'on usait dutexte constitutionnel à la fois pour réduire et pour légitimer les restrictionsimposées à l'exercice de la liberté. Ainsi, alors que l'article 19 de la constitutionde 1963 réaffirme «la liberté d'opinion et d'expression», ce qui signifie que laRépublique garantit la liberté de la presse et des autres médias, la liberté decréation des associations, la liberté d'expression, la liberté de rassemblement,c'est-à-dire qu'elle reconnaît expressément le pluralisme médiatique et politique,ces libertés se trouvent sitôt objet de restrictions imposées par l'autorité publique.C'est ce que l'on rencontre dans l'article 22 du même document constitutionnelqui stipule ce qui suit : «Personne ne peut user des libertés susmentionnées pourporter atteinte à l'indépendance de la nation, à l'intégrité du territoire national, àl'unité nationale, aux établissements de la République, aux ambitions socialistesdu peuple et à l'unité du Front de Libération national».

Si nous examinons le cadre juridique organisant le domaine des médias telqu'il ressort de la Constitution de 1976, nous constatons qu'il reprend lesdispositions de celle de 1963. En effet, l'article 55 de la Constitution de 1976affirme que la liberté d'expression et la liberté de rassemblement sont garantieset qu'elles ne peuvent être invoquées pour mettre en question les bases de larévolution socialiste». Cette philosophie met en forme la première loiréglementant le secteur des médias et de la communication, promulguée enAlgérie le 6 février 1982. En réalité, ce texte puise la plupart de ses dispositionsdans la constitution de 1976. L'article premier de la loi de 1982 met l'accent enparticulier sur le fait que «le secteur des médias est un des secteurs desouveraineté nationale». Ces évolutions annoncèrent le début d'un changementqui conduira, notamment après l'engagement de l'Union soviétique dans unepolitique d'ouverture et la montée en puissance de l'idéologie libérale au niveauinternational, à une transformation d'une portée hautement significative.

Loin de chercher les causes du processus de changement amorcé en Algérieen 1988, ce qui nous intéresse ici est plutôt les conséquences de ce processus entermes de pluralisme politique et médiatique. Si les journaux en Algérie étaient,

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jusqu'à 1989, contrôlés par le pouvoir en place, et ce malgré l'ambianced'ouverture dans laquelle entra le pays, la constitution de 1989 vint mettre fin aumonopole détenu par l'Etat dans le domaine de la presse, en reconnaissant lepluralisme médiatique et la liberté de publication et d'expression.32 En effet, nousrencontrons l'énoncé de ce concept de pluralisme dans les articles suivants :

L'article 63 qui stipule que «nulle atteinte à la liberté de croyance et à laliberté d'opinion». Cette disposition est plus claire dans l'article 83 qui prévoit cequi suit :

«La liberté de création intellectuelle, artistique et scientifique est protégée».En vertu de cette disposition, «les droits d'auteur sont protégés par la loi». Cemême article stipule qu'«il est interdit de saisir tout imprimé ou enregistrementou tout autre moyen de communication et d'information, sauf en vertu d'unedécision judiciaire».

Nous rencontrons également des dispositions dans l'article 39 de la mêmeconstitution qui mettent l'accent sur des aspects sensibles liés aux médias,notamment ce qui relève de la vie privée des personnes, la protection de leurhonneur contre les injures et les diffamations. Cette constitution réaffirmeégalement le respect du principe de la confidentialité de toutes sortes decorrespondances et de communications privées, et insiste sur la nécessité degarantir cette confidentialité.

Au lendemain de l'adoption de la Constitution de février 1989, une nouvelleloi réglementant le domaine de l'information et de la communication futpromulguée le 3 février 1990, pour mettre le cadre législatif en phase avec lesdispositions de ladite constitution concernant les questions du pluralisme et de laliberté de l'information. Cette loi compte 106 articles. L'article 2 est un desimportants, en termes de protection de la liberté de l'information et de lacommunication. Il affirme que le droit à l'information est concrétisé par le droitdu citoyen à avoir, de façon complète et objective, accès aux faits et opinions quiconcernent la société aux niveaux national et international, et par le droit à laparticipation à l'information à travers l'exercice des libertés fondamentales enmatière de réflexion, d'opinion et d'expression, conformément aux articles 35,36, 39 et 40 de la Constitution».

Mais, en dépit du changement et de l'évolution qu'elle connut sous l'effet descirconstances internationales, régionales et internes, la législation algérienneréglementant le domaine des médias, tout comme les législations des autres pays

(32) Mohamed Kirat, La liberté de la presse en Algérie avant octobre 1988 : contraintes et difficultés,in L'information au Maghreb, col. Enjeux, Cérès production, Tunisie, 1992, p. 135.

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maghrébins, notamment celles qui concrétisent dans leurs dispositions leprincipe du pluralisme, devait faire l'objet de modifications pour accompagnerles évolutions qui ont lieu actuellement dans le secteur des médias et pourépouser les orientations générales du régime politique, telles qu'elles sontformulées par la constitution révisée le 28 novembre 199633 (Notons le fait quecette révision coïncide avec l'amendement constitutionnel qui eut lieu au Marocle 13 septembre 1996).

u Quant à la Mauritanie, elle ne fut pas à l'abri de l'influence de la conjonctureinternationale. Cette influence se manifesta par quelques avancées enmatière de pluralisme et de liberté d'information et d'expression, même sices avancées, tout comme celles réalisées dans les autres pays de la région,demeuraient timides au départ. Ainsi, la Mauritanie a fait sien le principe dudroit à la critique constructive et de l'autocritique qui faisaient déjà partiedes orientations du parti. Ce choix se concrétisa au niveau de la Chartenationale mauritanienne adoptée par le congrès du parti en 1975. Mais,quelque temps après cette date eut lieu le coup d'Etat de 1978. A la suite dece changement, exactement entre 1978 et 1991 quatre gouvernementsmilitaires d'exception se succédèrent. Ceux-ci continuaient d'appliquer enmatière d'information et de communication les décisions prises et les loisédictées par le gouvernement civil précédent, malgré l'amendement de laCharte nationale en 1985 élaborée par le Comité national de salut.Toutefois, il n'y avait pas de dispositions dans cette charte qui traite desmédias, de la liberté de l'information et de la communication et dupluralisme médiatique..

La nouvelle donne dans la région du Maghreb Arabe ne fut pas sans influencesur la Mauritanie. En effet, le changement qui eut lieu en Tunisie le 7 novembre1987 et celui qui eut, en 1988, des effets profonds sur le régime algérien, ainsique la fondation de l'Union du Maghreb Arabe en février 1989, constituent tousdes facteurs qui contribuèrent à l'induction de transformations porteusesd'ouverture en Mauritanie. Les effets de ces facteurs furent renforcés par leschangements abrupts produits au niveau international et au niveau dansl'ensemble régional arabe. En fait, la Mauritanie ne fut à l'abri ni desconséquences de la seconde guerre du Golfe, ni des effets de la configuration dunouvel ordre mondial, notamment de la vague déferlante de la démocratie et desdroits de l'homme, et de l'ampleur enveloppante prise par le libéralisme sauvage.

(33) Al Azâr Nasseddine, La liberté de presse en Algérie entre une réglementation répressive, unecrise économique, un pouvoir autoritaire et l'insécurité, la Revue arabe des droits de l'homme,n° 4, 1997, pp. 97.

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Elle n'eut alors d'autre choix que de s'adapter à ces changements et de surfer surcette vague, ce qui l'amena à l'adoption du pluralisme dans le domaine desmédias.

Pour s'adapter à cette nouvelle donne, la Mauritanie adopta une nouvelleconstitution le 20 juillet 1991.34 Le préambule de celle-ci réaffirme le respect desdroits et libertés promus par la Déclaration universelle des droits de l'homme, laCharte africaine des droits de l'homme et des peuples de 1981 et les conventionsinternationales qu'elle avait ratifiées. Dans le chapitre premier de cette constitution,l'article 10 réaffirme le respect des libertés individuelles, y compris la libertéd'opinion, la liberté d'expression, la liberté de réflexion et la liberté de créationintellectuelle, artistique et scientifique. Ces principes réunis renvoient clairement àla liberté de l'information et de la communication et au pluralisme dans l'exercicede cette liberté. Ainsi, l'article 11 de cette même constitution réaffirme le respectdu principe du pluralisme en stipulant que «….les partis politiques et lesgroupements politiques contribuent de façon efficace à former et à exprimer lavolonté politique, sous réserve du respect des principes de la démocratie….».

L'inscription de la révision constitutionnelle dans le cadre du processusd'ouverture amorcé en Mauritanie, tout comme dans les différents autres paysmaghrébins, ouvrit la voie vers la promulgation de la loi n° 23-19 du 25 juillet1991 qui réglemente le secteur des médias. Cette loi contient d'importantesdispositions concernant la liberté de presse, le respect de la vie privée desindividus et le devoir de s'abstenir de tout acte outrageant ou injurieux oudiffamatoire, etc. En effet, son préambule s'ouvre sur l'énoncé suivant : «Le droità l'information consiste dans le droit du citoyen d'être informé de manièrecomplète et objective des faits et opinions intéressant la société au plans nationalet international et dans le droit de participer à l'information. Il constitue une deslibertés humaines auxquelles s'attache le peuple mauritanien». En outre, l'article1 de cette loi stipule que «cette ordonnance-loi vise à définir les conditions del'exercice de la liberté d'expression et de communication des idées et desopinions politiques, ainsi que les sanctions appliquées en cas d'infraction auxrègles qui réglementent cette liberté». Quant à l'article 2, il prévoit ce qui suit :«la presse, les imprimeries et les librairies sont libres dans l'ensemble duterritoire de la République».

Mais cette loi n'est plus avancée que les législations des autres pays de larégion. En effet, les dispositions qu'elle contient n'étaient pas du goût desorganisations de la société civile et des professionnels des médias, qui n'ont pas

(34) Cette constitution fut adoptée le 12 juillet 1991 et fut promulguée par la loi n° 022-91 datée du20 juillet 1991.

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manqué de formuler des critiques à leur égard. Le cas significatif de ladisposition qui attribue au ministère de l'Intérieur le pouvoir d'intervenir poursaisir les journaux n'est qu'un exemple entre autres.

Pour dépasser ces travers et s'adapter aux exigences des évolutions politiquesque connut la Mauritanie, une autre loi fut promulguée quand le pouvoir passaaux mains du Conseil militaire pour la Justice et la Démocratie. Il s'agit del'ordonnance-loi 017- 2006 sur la liberté de la presse qui, comparativement à laloi précédente, apporta nombre d'améliorations, notamment en ce qui concernela réduction du pouvoir du ministère de l'Intérieur, celui-ci ne devant plusintervenir dans le domaine des médias. D'ailleurs, le pouvoir attribué à cedépartement en vertu de la loi précédente était largement critiqué.35 L'article 2 decette nouvelle loi stipule que «le droit à l'information et la liberté de presse, entant que manifestations de la liberté d'expression, sont des droits reconnus auxcitoyens. Ces droits sont exercés conformément aux principes constitutionnels,des dispositions réglementaires et de la déontologie professionnelle et nepeuvent faire l'objet de restrictions qu'en vertu de la loi et à condition que cesrestrictions soient nécessaires pour protéger la société démocratique». Quant àl'article 3, il reconnaît «le droit du journaliste d'avoir accès aux sourcesd'information et de protéger ses sources dans tous les cas, à l'exception de ceuxprévus par la loi pour lutter contre les crimes et les délits, et en particulier lesatteintes à la sécurité de l'Etat et le terrorisme. Il est également tenu detransmettre en toute honnêteté et fidélité les informations recueillies.»

En général, l'on peut dire que la loi mauritanienne réglementant le secteur del'information et la communication de 1991 est plus explicite sur la plupart desquestions générales liées à la liberté de l'information et au pluralisme. En outre,elle met en relation les évolutions survenues dans ce domaine et les changementsayant cours au plan international. Mais elle présente quelques défauts qui luivalurent de vives critiques. Il s'agit notamment des restrictions36 auxquelles ellesoumet l'exercice de la liberté de l'information et de la communication, et quisont de nature à réduire le périmètre de la liberté de presse. Ainsi la loi de 2006,qui porte une nouvelle teinte libérale vint supprimer ces restrictions.

Deuxièmement : l'intérêt porté aux droits de l'homme et ses effets sur les loisrelatives au domaine de l'information

L'on peut admettre que la période qui commence au milieu des années 1970est celle qui marque le début d'intérêt à la réglementation, contrôlée et calculée,et parfois restrictive, de la liberté de l'information dans les différents pays

(36) Dam Jabr, La réalité et les perspectives du paysage médiatique en Mauritanie, mémoire de find'études, l'Institut supérieur de l'information et de la communication, Rabat, 2008-2009, p. 18.

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maghrébins concernés par la présente étude. En effet, ce fut dans cette période,exactement en 1975, que la Tunisie édicta une nouvelle loi pour réglementer ledomaine des médias. L'Algérie adopta une année après, en 1976, la Chartenationale qui réaffirme le respect de la liberté de l'information, mais il fallutattendre six ans après (1982) la promulgation de la première loi spécifiant lesmodalités d'organisation de l'exercice de cette liberté. En Mauritanie, la libertéde l'information fut réaffirmée par la Charte nationale de 1975. Au Maroc, unnouveau cadre réglementaire organisant le secteur de l'information fut mis enplace dès le printemps de l'année 1973, et fut considéré comme s'inscrivant dansle cadre de l'aménagement, à partir de 1975-1976, d'une marge démocratique.

La conjoncture politique internationale et régionale et le contexte politiqueinterne des pays maghrébins spécifiques à la période qui s'étale entre le milieu desannées 1950 et le début des années 1960 jusqu'au milieu des années 1970,façonnèrent le contenu des lois relatives au secteur de l'information et de lacommunication édictées par ces pays. En effet, elles reflètent réellement lecontexte international et, de façon coextensive, la situation politique et le vécu danschacun de ces derniers. Ce fut dans ce contexte et pour la première fois que denouvelles lois sur l'information et la communication furent adoptées en Tunisie eten Mauritanie, et même, quelque temps après, en Algérie. Il fut de même au Marocoù les restrictions sur la liberté de l'information et de la communication, qui étaientparalysantes après les évènements du 10 avril 1973, commencèrent à s'alléger.

La caractérisation des influences exercées sur le législateur maghrébin dansle domaine de la réglementation de la liberté de l'information conduit às'interroger sur la manière dont les changements que connut l'ordre internationalmenèrent, à partir du milieu des années 1970, et plus exactement en 1975 et1976, à une démocratisation plus poussée et à une promotion plus engagée desdroits de l'homme. Il faut rappeler que ces deux années sont deux dates deréférence. En effet, ce fut en 1975 que se tint à Helsinki, capitale de la Finlande,la Conférence sur la sécurité et la coopération en Europe. Celle-ci mit l'accent surla question de la démocratie et des droits de l'homme, y compris la liberté del'information et la liberté d'opinion et d'expression. En 1976, deux évènementscapitaux eurent lieu ; le premier fut l'entrée en vigueur des deux Pactesinternationaux consacrés aux droits de l'homme adoptés par l'Assembléegénérale de l'ONU depuis 196637 ; le second l'arrivée des démocrates au pouvoiraux Etat-Unies d'Amérique sous l'égide de Jimmy Carter. Ce dernier lança le

(37) En effet, l'article 19 du Pacte international des droits civils et politiques réaffirme le respectde la liberté de l'information et la liberté d'opinion et d'expression. Ainsi, il a fait de ce quiavait été énoncé à ce propos par la Déclaration universelle des droits de l'homme de 1948 unerègle juridique liante.

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slogan de la démocratie et des droits de l'homme, et fit du respect des droits del'homme une condition préalable à l'octroi d'aides aux Pays alliés des Etats-Unis.

L'action conjuguée de ces trois facteurs avaient des effets incontestables surles Etats maghrébins. En effet, les recommandations de la Conférence d'Helsinki,en particulier, exercèrent une influence sur le législateur maghrébin dans ledomaine de l'information et de la communication. D'autre part, il ne fut pas àl'abri des effets des évènements qui eurent lieu dans le voisinage européenimmédiat, à savoir les changements qui, à partir de 1975, conduisirent l'Espagneet le Portugal vers la démocratie. Encore une fois, ce ne fut pas un hasard si, dansle sillage de ces évènements et changements, les premières lois dignes de ce nomfurent promulguées pour réglementer le domaine des médias respectivement enTunisie (en 1975) et en Algérie (1982)38, sans oublier les signes, clairs etsignificatifs à cet égard, inscrits dans la Charte nationale mauritanienne et laCharte nationale algérienne adoptées respectivement en 1975 et en 1967.

La période des années 1970 portait en elle les prémices d'une nouvelle ère nonmoins déterminante pour les lois réglementant le domaine des médias dans lespays maghrébins. Cette ère commença au milieu des années 1980 et s'étendrajusqu'au début du troisième millénaire. Elle revêt une importance particulièredans la mesure où les changements, caractérisés ci-haut, aboutirent à lapromulgation, en Tunisie, en 197539, et en Algérie, en 198240, de lois qui méritentd'être appelées des codes de la presse. Mais au fond elles demeurent dans leslimites de leur qualité de lois, même si elles visent en apparence à réglementer laliberté de l'information. En fait, elles soumettent cette liberté à des restrictionsqui sont autant d'entraves et de conditions requises pour éditer un journal ou unpériodique. Elles sont également restrictives dans la mesure où elles tracentdifférentes et multiples lignes rouges à ne pas franchir par la presse. Elles le sontencore, dès lors qu'elles transforment une législation propre au domaine del'information et de la presse en une loi pénale au sens plein du terme. En effet,les dispositions relatives aux amendes et aux sanctions y sont prédominantes.Mais, les restrictions les plus paralysantes pour la liberté de presse résident dansle fait que ses lois ne reconnaissent cette liberté qu'au parti et à l'Etat, quidétiennent le monopole des médias. Dés lorspeut-on dans ces conditionsrestrictives parler de liberté des médias, aussi bien écrite qu'audiovisuels.Pourtant, il faut reconnaître que ces lois sont les préludes d'autres nouvelles lois

(38) La loi de 1982 réglementant le domaine des médias est la première véritable loi en la matièreen Algérie. Ceci vaut également pour la loi tunisienne de 1975 portant code de la presse.

(39) La loi tunisienne sur la presse n° 32 de l'an 1975, promulguée le 28 avril 1975, portant codede la presse.

(40) La loi algérienne n° 82-01 datée du 6 novembre 1982.

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promulguées en réponse aux exigences dictées par le contexte national etinternational des deux pays, tout comme des autres pays maghrébins.

Après avoir retracé la ligne d'évolution des lois réglementant le secteur desmédias dans ces pays, il reste de savoir si l'orientation pluraliste dans laquelle ceslégislations ont fini par s'inscrire, pour s'adapter aux évolutions exigeantl'engagement dans cette voie, fut adoptée sous l'effet des déclarations et desconventions internationales et des décisions issues des sessions régionalesorganisées par l'UNESCO.

Troisièmement : la corrélation entre le droit de l'information dans les paysmagrébins et le doit international de l'information

Un des aspects essentiels sur lesquels il faudrait mettre l'accent, concernantl'examen du traitement de la question de l'ouverture du secteur médiatique par leslois réglementant ce dernier, consiste à montrer la relation qui existe entre ceslois et le concept de pluralisme, tel qu'il se décline dans le droit international desmédias. En termes plus précis, nous voulons savoir si, en mettant en place lescadres législatifs réglementant le secteur des médias, dans un contexte marquépar les manifestations de la tendance pluraliste, le législateur maghrébin a pris encompte les instruments internationaux qui ont assis les bases du pluralismemédiatique, et quelle influence ces instruments ont exercée sur les loismaghrébines en la matière.

Le pluralisme est une propriété, si fondamentale de la liberté d'opinion etd'expression, que l'on ne peut admettre que cette liberté soit amputée de cettedimension. Vue son importance, la question du pluralisme fut traité par laDécision 59 datée du 14 décembre 1946 prise par l'Assemblée générale de l'ONUlors de sa première réunion. Cette importante décision fut appuyée par laConférence des Nations Unies sur la liberté de l'information, tenue à Genève, en1948.41 Etant donné que la notion de pluralisme est constitutive de la liberté del'information, l'article 91 de la Déclaration universelle des droits de l'homme l'aréaffirmée de façon implicite. Elle a été spécifiée de façon plus détaillée et plusprécise par l'article 19 du Pacte international des droits civils et politiques. Sansdoute les législations maghrébines en la matière furent-elles généralementinfluencées, ne serait-ce qu'au plan de la terminologie et du vocabulaire, par cesinstruments internationaux au moment de l'élaboration des premières loisréglementant le domaine de l'information. Elles furent également influencées parles documents internationaux qui apparurent au moment de leur élaboration. Atitre d'exemple, nous renvoyons ici à l'influence exercée par la Convention

(41) Roger Pinto, La liberté de l'information et le droit international, éd. Economica, Paris, 1984, p. 43.

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relative au droit international de rectification adoptée par l'Assemblée généralede l'ONU en 1953, et entrée en vigueur le 24 août 1963. Nous pouvons mêmeaffirmer que ce que nous rencontrons dans les différentes législationsmaghrébines, au sujet «de la rectification et du droit de réponse», est puisé àmême cette convention, même si ledit droit de rectification prévu par cettedernière relève du domaine de l’audiovisuel et non de celui de la presse.

C'est un fait que l'ONU, sur la base des activités de l'Assemblées générale, apris, tout au long de la période s'étalant de 1946 jusqu'aux années 1990, plus de 43décisions portant sur la liberté de l'information et l'exercice pluraliste de cetteliberté. Elle a également tenu deux conférences entre 1968 et 1992, où elle aréaffirmé la nécessité du respect de la liberté de l'information et du pluralisme dansle domaine des médias.42 Il est également certain que la liberté de l'information etle pluralisme dans le domaine des médias ont occupé un espace de plus en pluslarge, dans le domaine d'intérêt et d'action de l'UNESCO. Cet intérêt coïncida avecun moment crucial dans l'histoire des relations internationales, un moment marquénotamment par l'émergence du nouvel ordre économique mondial. En fait, l'on nepouvait ne pas noter pendant cette période comment l'UNeSCO proposa, sous lapression et parfois sous l'instigation du groupe des Etats non alignés, l'idée dunouvel ordre médiatique, aux termes duquel l'échange des données et desinformations doit être équilibré et juste. Cette proposition fut rejetée par les Etats-Unis qui, du coup, cessèrent d'être Etat membre de l'UNESCO. La Grande-Bretagne suivit un an après.

Les positions américaine et britannique reflétèrent la doctrine, connue sous lenom de «reaganisme-thatchérisme», en matière de relations économiquesinternationales. La promotion de cette doctrine signifiait le néolibéralisme sauvageà l'échelle planétaire, et l'accélération du rythme de démantèlement de l'Etat-providence. En raison de cette tendance, la position de l'UNESCO devint plusflexible au sujet de l'échange équilibré et juste des données et des informations.Mais cette flexibilité se mua en un recul plus accusé, quelque temps avant et aprèsla chute du mur de Berlin. Ce fut ainsi que l'idée du nouvel ordre médiatique futabandonnée au début de la promotion de la politique de la glasnost initiée parGorbatchev, suivie par l'acceptation résignée de la logique libérale du marché del'information et la domination de ce marché par les grandes puissances.43

(42) L’article du communiqué de la Première Conférence des Nations Unies sur les droits del'homme tenue à Téhéran énonce que «la liberté de l'information et la liberté d'expression etde conscience» et lie l'exercice de ces libertés à l'évolution des technologies et à les effets decette évolution sur les droits de l'homme, notamment la liberté de l'information et de lacommunication.

(43) Alain Kiyindou et Michel Mathieu, L'évolution de l'économie libérale et liberté del'expression, Bruylant, 2007, pp. 293-294.

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Quelque temps avant et pendant cette période, les différents Etats maghrébinsétaient conscients de l'importance des changements internationaux survenus dansle domaine des médias, de la démocratie et des droits de l'homme. Ainsi, ilss'orientèrent tous, de la Tunisie à la Mauritanie, en passant par l'Algérie et leMaroc, vers le pluralisme dans le domaine de la presse. Peut-être la promotioninitiée par l'UNESCO du pluralisme dans le secteur des médias44, ainsi que leschangements et les transformations produits aux niveaux international etrégional, et même interne, eurent-ils une influence palpable sur le domaine desmédias dans ces pays, ce qui les poussa après à introduire des amendements etdes modifications dans les lois réglementant ce domaine, dans le sens d'uneorientation pluraliste.

Ainsi, pendant les années 1990, les quatre pays maghrébins furent influencésdans les orientations pluralistes qu'ils imprimèrent à leurs législations respectivesrelatives au domaine de l'information, par une série de déclarations internationales.Celles-ci se succédèrent à partir de la seconde guerre du Golfe45, dans un contextemarqué par l'émergence du nouvel ordre mondial. Les déclarations essentiellessont au nombre de quatre. Leur importance est telle qu'on ne peut en aucun cas ennier l'effet déterminant sur les législations maghrébines dans le domaine del'information. Elles sont toutes issues de sessions d'études organisées parl'UNESCO en Afrique, en Asie, en Amérique Latine et dans le monde arabe. Ellesmarquèrent de leurs empreintes la liberté de l'information et le pluralisme desmédias dans les pays maghrébins, à partir du début des années 1990. Elles sesuccédèrent comme suit :

u La Déclaration de Windhoek : elle est une des importantes déclarations enmatière de liberté de l'information et de pluralisme. Elle est issue de lasession d'étude organisée par l'UNESCO à Windhoek, en Namibie, entre le29 avril et 3 mars 1991. Elle a pour objet et but de promouvoir une presseafricaine libre et pluraliste. Elle exerça son influence sur les paysmaghrébins, ou au moins sur certains d'entre eux, dans le sens d'unrenforcement du pluralisme des médias dont les prémices remontent aumilieu des années 1980 et de la rupture avec les orientations qui faisaient

(44) Il convient de rappeler à cet égard deux évènements importants : la Conférence de l'UNESCOdans sa 20e session, tenue le 20 novembre 1978 et «la Déclaration sur les principesfondamentaux concernant la contribution des organes d'information au renforcement de lapaix et de la compréhension internationales…» qui mettent l'accent sur les décisions de l'ONUconcernant le pluralisme et l'indépendance des médias, notamment les articles 2, 5 et 11.

(45) L'UNESCO avait déjà convoqué une réunion non officielle au mois de février 1990 poursoutenir l'Europe de l'Est et l'Europe centrale, à la suite de l'effondrement de l'Unionsoviétique, à prendre les mesures visant à la promotion d'une presse indépendante. Laconvocation de cette réunion eut lieu en accord avec le département de l'information à l'ONU.Ce fut ainsi que celle-ci organisa des sessions régionales portant sue la question des médias.

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de l'Etat le détenteur du monopole du secteur de la presse, sans parler desmédias audiovisuels qui étaient complètement monopolisés par l'Etat dansces pays.

u La Déclaration d'Alma-Ata : elle est issue, elle aussi, de la session d'étuderégionale tenue par l'UNESCO au Kazakhstan, entre le 5 et 9 octobre 1992.Elle réaffirme les principes de Windhoek qu'il considère comme étant unévènement majeur et déterminant, concernant la promotion des médiaslibres et indépendants. Mais, elle met également l'accent sur la nécessitéd'encourager l'émergence de médias pluralistes en Asie, notamment aprèsl'effondrement du bloc communiste. En effet, la Déclaration d'Alma-Ata ainsufflé une dynamique pluraliste dans les lois maghrébines réglementant lesecteur de l'information, et frayé la voie à l'ouverture d'un débat public surla question de la liberté de l'information et du pluralisme des médias. Elle amême rendu possible la remise en question du monopole de la presse audio-visuelle détenu jusqu'alors par l'Etat. Ainsi au Maroc, les recommandationsdu premier colloque national sur les médias organisé au printemps del'année 1993 portent la marque de la Déclaration d'Alma-Ata.

Suivit la Déclaration de Santiago, au Chili, issue de la session d'étude organiséepar l'UNESCO dans ce même pays entre le 2 et 6 mai 1994.46

Mais la Déclaration qui exerça l'influence la plus décisive sur le secteur del'information et sur les législations y afférentes, non seulement dans les paysmaghrébins, mais tout aussi bien dans la plupart des pays arabes, poussant les unset les autres à l'ouverture, à l'adoption d'orientations pluraliste et à la révision deslois, fut celle de Sanaa. En effet, ce fut sur la base de cette Déclaration que desmodifications et des améliorations furent introduites dans les lois égyptienne,jordanienne, yéménite, algérienne et mauritanienne, etc.

u La Déclaration de Sanaa est issue de la session d'étude tenue par l'UNISCOau Yémen, entre le 7 et 11 janvier 1996. Elle rappelle les étapes parcouruespar le traitement de la question de la mise en place des conditions appropriéesà l'exercice de la liberté de l'information et au pluralisme au niveauinternational. Ainsi, elle fait un rappel de l'article 19 de la Déclarationuniverselle des droits de l'homme, de l'article 19 du Pacte international desdroits civils et politiques et des décisions de l'Assemblée générale de l'ONUet de la Conférence générale de l'UNESCO relative à la liberté del'information et au pluralisme, ainsi que les principes prévus par lesDéclarations de Windhoek, d'Alma-Ata et de Santiago, etc.

(46) Cf. à ce sujet Alain Kiyindou et Michel Mathieu, l'évolution de l'économie libérale et le libertéde l'expression, Bruylant, p. 295.

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u Quant à la liberté de l'information dans l'ensemble régional arabe, cetteDéclaration met l'accent sur la nécessité pour les pays constituant cetensemble de fournir les garanties constitutionnelles pour l'exercice de laliberté de l'information, et de renforcer ces garanties lorsqu'elles sont déjàprévues par la constitution, tout en affirmant que la tendance desgouvernements à tracer des «lignes rouges» à ne pas franchir par la libertéde l'information constitue une restriction inacceptable de cette liberté.

La Déclaration de Sanaa insiste également sur la nécessité d'encourager lesjournalistes à créer des entreprises de presse indépendantes, dont ils assurenteux-mêmes la direction et le financement et, le cas échéant, de leur accorder dessubventions, sans pour autant s'ingérer dans la définition ou l'orientation de leurslignes éditoriales. En outre, les aides internationales consenties aux pays arabesdevraient, recommande-t-elle, viser à développer les médias écrits etélectroniques qui soient indépendants vis-à-vis des gouvernements. Plus encore,les aides ne devraient être accordées aux médias publics qu'en cas de leurindépendance éditoriale par rapport à ces derniers. Elle met également l'accentsur la nécessité de permettre aux individus d'être propriétaires, à titre privé etautonome, de médias radios, télévisés et électroniques.

La Déclaration de Sanaa créa un large espace de revendication en faveur desacteurs qui, dans le monde arabe, aspirent au pluralisme, à la liberté del'information et à la levée du monopole de l'Etat dans le domaine des médiasaudiovisuels. Elle contient également une suggestion subtile concernantl'importance que les médias électroniques revêtiraient dans l'avenir, ce quiexplique l'accent qu'elle met sur la nécessité pour l'Etat de se garder de faire mainbasse sur ce type particulier de médias et d'en favoriser la libre expression.

La Déclaration de Sanaa coïncide avec l'élaboration par l'UNESCO d'unprogramme international visant à encourager la création de médias privés etindépendants des gouvernements. Ainsi, le premier axe de ce programme,notamment le quatrième des volets dont il est constitué, celui qui étaitprogrammé au titre des années 1994 et 1995, met l'accent sur l'importancestratégique du changement produit dans le domaine de l'information. Cet axes'intitule «la promotion de la presse et le développement des médias pluralisteset indépendants qui sont considérés comme étant une composante essentielle detoute société démocratique». Ainsi donc le modèle occidental libéral est devenuprédominant ou qui, du moins, cherche à l'être au niveau médiatique.47

D'une manière générale, bien qu'elle ait fait l'objet d'une certaine régulationcontrôlée et calculée, une évolution réelle vers le pluralisme et la liberté de

(47) Cf. la Déclaration de Sanaa dans la Revue arabe des droits de l'homme, n° 4, année 1997.

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l'information s'est amorcée dans la plupart des pays arabes. Les principesformulés par la Déclaration de Sanaa ne sont pas restés lettre morte. Bien aucontraire, cette Déclaration a eu une influence certaine sur le législateur, et mêmesur le pouvoir exécutif arabe et sur les différents pays maghrébins. A titred'exemple, il s'est produit au Maroc une importante évolution dans le domaine dela presse, en particulier après que des modifications essentielles et capitalesavaient été introduites dans la loi du 10 avril 1973, en vertu de la loi n° 00-77promulguée en 2002.

Eut lieu, également au Maroc la libéralisation du secteur audiovisuel en vertu dela loi n° 03-77 promulguée en 2005, etc. En outre, un projet de loi est mis à l'heureactuelle au débat qui constitue, une nouvelle fois encore, un projet de révision de laloi réglementant la presse dans le sens d'une codification plus libérale.

u En Tunisie la loi de 1988 fut révisée à plusieurs reprises : en 1991, 1993, 2001et 2006. Pourtant, des voix se lèvent encore qui n'ont cesse de revendiquer larévision de la loi réglementant le domaine de l'information et de lacommunication, pour obtenir une liberté et un pluralisme plus larges.

u En Mauritanie, la loi réglementant le domaine de l'information et de lacommunication a évolué, elle aussi, vers la liberté et le pluralisme. Ainsi,elle fut remplacée par une autre législation qui a su s'adapter aux exigencesd'ouverture du contexte national mauritanien. Il s'agit de la loi n° 710promulguée le 12 juillet 2006. En outre, le Conseil supérieur del'audiovisuel fut institué en 2007.

u Quant à l'Algérie, sous l'effet des évènements qui donnèrent lieu à l'adoptionde la constitution de 1989, révisée en 1996, des revendications exigèrent larévision de la loi à caractère libéral réglementant le domaine des médiaspour qu'elle consacre la liberté de l'information et le pluralisme. Cesrevendications furent d'autant plus pressantes qu'elles furent exprimées dansun nouveau contexte international.

Il ressort des développements précédents que le modèle libéral occidental enmatière médiatique tend à s'imposer au niveau mondial, exigeant l'ouverture dusecteur de l'information et de la communication, l'adhésion à la doctrinedémocratique et des droits de l'homme à travers le monde, y compris dans les paysmaghrébins. Seulement, il existe une différence de degré d'engagement dansl'adoption de cette doctrine. Les signes de cet engagement résident en partie dansle fait que ces pays cherchent à promulguer de nouvelles lois, pour réglementer dedomaine de l'information, et que certains d'entre eux créent les conditionsfavorables à la création de médias privés et indépendants, non seulement dans ledomaine de la presse, mais tout aussi dans le secteur de l'audiovisuel.

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Nous vivons à l'heure actuelle les évènements d'une ère qui s'est installéedepuis assez de temps, à une échelle mondiale. La spécificité de cette ère est telleque les restrictions imposées à la liberté de la presse sont superflues. En effet, larévolution qui s'est produite dans le domaine de l'information et de lacommunication a rendu ces restrictions sans prise sur la réalité. Rien ne justifieplus donc au niveau de l'ensemble du Maghreb, et même au niveau du mondearabe, le recours aux restrictions pour museler la presse ou pour en empêcher lepluralisme. En fait, tous ces pays et ces sociétés sont submergés par le flotd'informations qui circulent à travers le réseau internet, et qui ont vidé lesnotions de souveraineté et de frontières de leur sens et de leur substance.

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Deuxième Chapitre :

le droit de l'information dans lespays maghrébins :

le contenu et les handicaps

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L'objet de ce chapitre consiste en l'examen du contenu des législationsmaghrébines relatives au domaine de l'information, conçues en révision de cellesqui avaient été élaborées et adoptées pendant les années 1970 et au début desannées 1980 en Tunisie, en Mauritanie, au Maroc et en Algérie. Pour enaméliorer le contenu, ces dernières lois furent à plusieurs reprises objet derévisions et de réaménagements. D'autres fois, le but de ces révisions etréaménagements fut de revenir sur ce qui était positif dans ces cadres législatifs,c'est-à-dire de soumettre la liberté de l'information à des modalités restrictivesqui consistent en des pratiques administratives, comme ce fut le cas en Algérieavec la promulgation de la loi de 1990, qui vint en lieu et place de la loi de 1982.Néanmoins, des insuffisances se manifestèrent dans ce nouveau cadre législatif,et devinrent plus accusées au lendemain de la grande crise algérienne de 1992.De nos jours, un mouvement de revendication appelle avec force et insistance àle réviser. L'on constate la même série de révisions et modifications successivesdans les autres expériences législatives maghrébines. En Tunisie, par exemple,une nouvelle loi sur la presse fut promulguée en 1988 et fut l'objet de multiplesactualisations : en 1991, 1993, 2001 et 2006. Pourtant, tout comme dans lesdifférents autres pays maghrébins, des revendications n'ont cesse d'exiger unenouvelle révision. Sans doute, les cadres législatifs, respectivement mauritanienet marocain, relatifs au domaine de l'information, qui furent mis à jour au débutdu troisième millénaire, sont-ils à cet égard les exemples les plus significatifs. Eneffet, en Mauritanie, le législateur donna à la loi de 1991 une teinte libérale etpluraliste. Cette loi fut révisée en 2006 dans le sens d'une plus grande ouvertureet d'un pluralisme plus large. Pourtant, des voix s'élèvent encore pour unenouvelle révision.

Quant au Maroc, où fut promulguée une loi libérale en 1958, pour réglementerle domaine de l'information, celle-là fut à plusieurs reprises révisée dans un sensrestrictif. La dernière de ces révisions restrictives date du 10 avril 1973.Cependant, cette tendance restrictive s'estompa après l'adoption de la Constitutionde 1992 qui réaffirme le respect des droits de l'homme, tels qu'ils sont reconnusau niveau international, et au lendemain de la tenue du premier Colloque sur laliberté de l'information et de la communication, en avril 1993, dans lequel unappel fut lancé pour la révision réglementant le domaine de l'information et de lapresse. Cette révision eut lieu en 2002. Pourtant, le processus de revendicationdemeure ouvert pour revenir aux orientations libérales de la loi de 1958.

Cette introduction nous conduit à poser les questions suivantes : quelles sontles contenus des lois qu'on souhaite réviser ? Quels sont dans ces lois les aspectsqui présentent encore un relief restrictif concernant l'exercice de la liberté de

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l'information et le pluralisme ? Comment traitent-elles l'aspect relatif àl'organisation administrative du secteur des médias ? En partant de la création desentreprises de presse œuvrant dans le domaine de la presse, comment ellestraitent le droit à l'information et le droit d'accès à l'information ? etc. Il estégalement important de savoir les principes qui sont au fondement du systèmepénal propre à la presse, et de présenter quelques exemples des crimes et délitscommis par voie de presse ou par tout autre média, tels que les délits portantatteinte à l'ordre public ou affectant des personnes, et de montrer les dispositionsapplicables concernant l'interdiction qui frappent la presse. Il faut égalementaborder d'autres questions qui sont traitées par certaines législations et passéessous silence par d'autres, ou encore qui font l'objet d'un texte particulier édictéindépendamment de la loi réglementant le domaine de la presse.

Première Section : le droit à l'information et la création desentreprises de presse dans la législation relativeà l'information dans les pays maghrébins

Parmi les questions sensibles qui font l'objet d'un débat houleux entre lesacteurs et les observateurs du domaine des médias, d'une part, et les responsableschargés de la gestion de ce domaine et de l'encadrement de l'exercice de la libertéde l'information, d’autre part, la question de la liberté de création des entreprisesde presse revêt un caractère particulier. Elle tient sa pertinence et sa légitimité dela pensée libérale. Nous trouvons la formulation des principes qui la fondent dansla Déclaration (française) des droits de l'homme et du citoyen et dans lesdifférents instruments et conventions internationaux. Quant au droit àl'information, l'on peut dire qu'il est relativement nouveau et qu'il fait partie de lanouvelle génération des droits de l'homme.

Comment donc les législations maghrébines réglementant le domaine del'information traite ces deux questions ?

Premièrement : le principe du droit à l'information

Le droit à l'information constitue un des principes majeurs du droitinternational des droits de l'homme. Il est lié à la liberté d'opinion, d'expressionet à la liberté de l'information dans les préambules et les dispositions desconstitutions. Il s'agit d'un droit étroitement lié à la liberté de presse, l'un et l'autreétant constitutifs de la liberté d'expression reconnue aux citoyens. Cependant,une lecture attentive et pointilleuse des lois, réglementant le domaine del'information dans les pays maghrébins, nous conduit vers un ensemble decontradictions et de divergences entre ces lois. Ces contradictions et divergencesse constatent dès les tout premiers articles. En effet, en sus des accords qui vont

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jusqu'à l'identité des dispositions, il y a également entre elles des différences etdes divergences.48

Si nous examinons, par exemple, le cas de la loi algérienne n° 90-70 datée du 3avril 1990, nous trouverons que l'article premier de cette loi stipule ce qui suit :«(La présente loi) a pour objet de fixer les règles et les principes de l'exercice dudroit à l'information». L'article 2, lui, précise et explique ce qu'est le droit àl'information : «Le droit à l'information consiste dans le droit du citoyen d'êtreinformé de manière complète et objective des faits et opinions intéressant lasociété aux plans national et international et dans le droit de participer àl'information par l'exercice des libertés fondamentales de pensée, d'opinion etd'expression, conformément aux articles 35, 36, 39 et 40 de la Constitution».

D'autres spécifications portant sur les modalités relatives à l'exercice du droità l'information font l'objet des articles 3 et 4 de la loi algérienne.

Il faut noter que les autres législations maghrébines, telles que les loismauritanienne et marocaine, comportent des titres et des articles qui réaffirmentce droit, dont on peut prétendre qu'il n'est apparu dans le droit internationalqu'après le lancement de l'idée du nouvel ordre mondial de l'information et à unmoment où commençaient à apparaître des droits nouveaux, consécutivement aulancement de l'idée du nouvel ordre économique mondial. C'est fut dans cecontexte qu'apparurent le droit au développement et le droit à l'information, quisont des droits rangés dans la catégorie de la troisième génération des droits del'homme. Néanmoins, les législations maghrébines réglementant le domaine del'information ne furent sensibles d'une manière claire au droit à l'informationqu'après la fin des années 1980 ou à la fin des années 1970. Ainsi, l'on constateraqu'en Mauritanie, le respect de ce droit est réaffirmé dans l'exposé des motifs dela loi relative à la liberté de la presse.49

Nous lisons dans l'exposé des motifs de cette loi ce qui suit : «Le droit àl'information, le droit pour chacun de connaître la vérité sur les problèmes qui leconcernent, sur ceux de son pays comme sur les affaires du monde, est une deslibertés fondamentales de l'être humain que le peuple Mauritanien se reconnaît».

La loi de 1991 réaffirme le respect du droit à l'information dans l'exposé deses motifs, mais elle n'en donne pas de spécifications supplémentaires dans le

(48) Le droit à l'information peut être considéré comme un droit nouveau, au même titre que le droitau développement, au patrimoine commun de l'humanité. Cf. au sujet des droits rangés dans lacatégorie de la troisième génération des droits de l'homme : René Cassin, Pour une troisièmegénération des droits de l'homme, Revue internationale des droits de l'homme, 1974, p. 136.

(49) Cf. l'exposé des motifs de la «loi relative à la liberté de la presse» promulguée en Mauritanieen vertu de l'ordonnance-loi datée du 25 juillet 1991.

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reste du texte. En revanche, la loi n° 017-2006 a traité ce droit dans l'article 2 d'untitre préliminaire. Le premier alinéa de cet article stipule ce qui suit : «Le droit àl'information et la liberté de presse, en tant que constitutifs de la libertéd'expression, sont des droits garantis au citoyen».50

Il ressort de cet article de la nouvelle loi mauritanienne la réaffirmation du«droit de l'information» et non du «droit à l'information», sachant qu'il existe unegrande différence de teneur entre les deux principes. En effet, le droit àl'information appartient à la troisième génération des droits de l'homme, alorsque le droit de l'information fait partie des droits traditionnels développés par laphilosophie des lumières et réaffirmés par les déclarations révolutionnaires du18e et du 19e siècles. Il existe donc entre les deux une grande différence designification. Dans tous les cas, l'article 2 susmentionné est la seule dispositionqui traite de ce droit dans la nouvelle loi mauritanienne sur la liberté de la presse.Celle-ci met en corrélation le droit à l'information et la liberté d'expression, pourdonner à l'exercice de la liberté de la presse une orientation pluraliste.51

Quant au Code marocain de la presse, il lie ensemble la liberté de publicationdes journaux à la liberté de l'imprimerie et de l'édition. Il s'agit d'une libertégarantie par la loi et liée au droit à l'information. Il convient de noter que le droità l'information n'a pas été pris en charge par la loi de 1958, même si elleréaffirme le respect de la liberté de la presse et reconnaît de manière implicite ledroit de l'information. Il n'est pas prévu non plus par la loi de 1973. Toutefois, lepremier Colloque national sur l'information, organisé en 1993, a soulevé laquestion du droit à l'information, considérant qu'il devrait être intégré commeélément essentiel aux amendements à apporter à la loi. Ce droit fut effectivementincorporé dans la loi 00-77 de 2002, mais il a fait l'objet d'une dispositioncondensée dans un seul alinéa, sans être suffisamment spécifié. Ainsi, letraitement qui lui a été réservé est similaire à celui constaté dans la loimauritanienne. Contrairement à ces deux législations, la loi algérienne a réservéquatre articles au droit à l'information. Ainsi, la législation marocaine n'a pris encompte ni les dispositions référentielles de la Constitution, ni le référentieljuridique international, semblable en cela à celles de certains autres Etats arabes.En effet, le premier article de la loi marocaine lie la liberté de l'information,

(50) L'ordonnance-loi 017-2006 relative à la liberté de la presse prise par le Conseil militaire pourla justice et la démocratie, publiée au Bulletin officiel de la République mauritanienne, n° 1113en date du 31 juillet 2006, p 411.

(51) Cf. la loi mauritanienne promulguée en date du 25 juillet 1991, in Abdellah khalil, La pressearabe et la liberté d'expression, l'Encyclopédie législative arabe, le centre du Caire pour lesdroits de l'homme, 2005-2006.

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incarnée dans la liberté de publication des journaux et la liberté de l'imprimerie,de l'édition et de la librairie, d'une part, et le droit à l'information, d'autre part, dela manière suivante52 : «La liberté de publication des journaux, de l'imprimerie,de l'édition et de la librairie est garantie conformément aux dispositions de laprésente loi. Les citoyens ont droit à l'information».

En outre, «tous les médias ont le droit d'accéder aux sources d'information etde se procurer les informations de sources diverses, sauf si lesdites informationssont confidentielles en vertu de la loi. Ces libertés sont exercées conformémentaux principes constitutionnels, aux dispositions légales et à la déontologie de laprofession. Les médias doivent transmettre honnêtement et fidèlementl'information».

Il ressort de ce qui précède que la législation marocaine a condensé en un seularticle le traitement réservé à la question du droit à l'information, et cecontrairement à la législation algérienne qui, elle, a réservé à cette questionquatre articles. Sous cet aspect, et sous réserve de la différence de degré deprécision et de spécification, des affinités existent entre la loi marocaine et la loimauritanienne relative à la liberté de l'information, concernant l'intégrationindifférenciée de la liberté de presse et de l'information, d'une part, et le droit del'information et le droit à l'information, d'autre part.

u Du côté tunisien, la loi n° 85 datée du 2 août 1993 n'a fait aucune mentiondu principe du droit à l'information. Toutefois, l'article premier de cette loistipule que «la liberté de la presse, de l'édition, de l'impression, de ladistribution et de la vente des livres et des publications et de la librairie estgarantie et exercée dans les conditions définies par le présent Code».53

Les législations, réglementant le secteur des médias dans les paysmaghrébins, commencèrent à s'intéresser de plus en plus au droit à l'information,à partir du moment où l'UNESCO appela à la nécessité de l'édification d'unnouvel ordre mondial de l'information. En effet, à la suite de cet appel, l'onconstatera l'introduction de ce principe dans les modifications qui visent àinoculer une dose d'ouverture aux législations adoptées dans les paysmaghrébins, notamment avec l'amorce de ce que nous avons appelé «la troisièmegénération des législations magrébines dans le domaine de l'information».

Les dispositions prévues par ces législations et qui portent sur le droit àl'information demeurent, cependant, insuffisantes, parce qu'elles ne précisent pas

(52) La loi n° 00-77 promulguée par le dahir n° 1-02-207 du 3 octobre 2003, publiée au bulletinofficiel n° 5075 du 20 janvier 2003.

(53) Mohammed Hamdane, Les législations relatives au domaine de l'information en Tunisie, textesfondamentaux, l'Institut du journalisme et des sciences de l'information, Tunisie, 2005, p. 12.

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le contenu du droit du citoyen ou des citoyens à l'information, et ne déterminentpas les obligations qui incombent à l'Etat en vertu de cette loi. En outre, elles neréglementent pas les moyens légaux d'accès des médias aux sourcesd'information et aux différentes sources de données, et ne fournissent aucunemodalité concernant les doléances. Outre ces insuffisances, ces législationslimitent l'exercice du droit à l'information et le droit d'accès aux sources dedonnées aux médias, privant ainsi de ce droit le simple citoyen ou individu.54

Il ne fait pas de doute qu'au moment de l'élaboration des lois maghrébines, lelégislateur fut influencé par le contenu du second alinéa de l'article 19 du Pacteinternational des droits civils et politiques, lequel prévoit ce qui suit : «Toutepersonne a droit à la liberté d'expression ; ce droit comprend la liberté derechercher, de recevoir et de répandre des informations et des idées de touteespèce, sans considération de frontières, sous une forme orale, écrite, impriméeou artistique, ou par tout autre moyen de son choix-». Cependant, cet articlesoumet cette liberté à un ensemble de restrictions, telle que le respect des droitsdes autres et de leur réputation ou la préservation de la sécurité nationale, del'ordre publique, de la salubrité publique et des mœurs publiques.

A supposer que la liberté d'expression implique la liberté d'accès àl'information et aux sources d'informations, les journalistes appartenant aux paysmaghrébins objet de la présente étude jouissent-ils effectivement de ce droit ? Lecitoyen maghrébin a-t-il le droit d'accès et de prise de connaissance desinformations relatives aux affaires publiques qui l'intéressent ? Il ne fait pas dedoute qu'il ne jouit pas de ce droit, malgré la réaffirmation de ce dernier par lestextes de loi, et même parfois par les textes constitutionnels. Partant de ceconstat, la question suivante s'impose : comment faire pour créer les conditionsd'un débat public contradictoire et documenté sur les affaires publiques, quand lepublic est dans l'ignorance du contenu et du mode de gestion de ces affaires, etquand le gouvernement entoure de secret ses activités ?55 La situation secomplique davantage quand la bureaucratie pose des obstacles à la créationd'entreprises de presse.

Deuxièmement : la création d'entreprises de presse

La pensée libérale affirme, avec force, la nécessité du respect de la liberté del'information. L'expression la plus affirmée de cette liberté est la créationd'entreprises de presse. Cette pensée a influencé la Déclaration (française) des

(54) Transperancy Maroc, l'Association marocaine de lutte contre la corruption, le droit d'accès àl'information, octobre 2006.

(55) Ahmed Saïd, La liberté de la presse : la déontologie et les conditions d'exercice du journalisme,Friedrich-Ebert Stuftung, Fès-Maroc, 2005.

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droits de l'homme et du citoyen. Cette influence est manifeste dans le contenu del'article 11 de ladite Déclaration. La plupart des législations maghrébines, quiréglementent le domaine de l'information se sont inspirées de cet article, au pointque certains des pays maghrébins en ont incorporé l'esprit dans les préambules deleurs constitutions respectives adoptées au lendemain de l'indépendance. Cetteinfluence s'est exercée davantage au moment de la mise en place des législationsmaghrébines relatives au domaine de l'information, qui, au début, se sont inspiréesde la loi française de 1881 réglementant le domaine de l'information et de lacommunication, promulguée sous la troisième République française.

1. Le dépôt de déclaration comme modalité d'édition des journauxet périodiques

Toutes les législations maghrébines réglementant le domaine de l'information,notamment celles faisant partie de la troisième génération, traitent la question de ladéclaration et de l'autorité compétente pour la recevoir. Elles exigent le dépôt d'unedéclaration en trois exemplaires, préalablement à la création d'un journal ou d'unpériodique. Au Maroc, ce dépôt s'effectue auprès de l'autorité judiciaire depuis 1958.L'article 11 de la loi qui remonte à cette date le spécifie. Il en est de même en Algérie,conformément à l'article 14 de la loi de 1990, et en Mauritanie conformément àl'article 11 de la loi promulguée en 2006. Toutefois la loi tunisienne stipule, en sonarticle 13, que la déclaration est faite auprès du ministère de l'Intérieur. Cettedisposition est retenue dans la loi de 1988 et dans toutes les modifications qui yétaient introduites après, à savoir en 1993 et en 2001, etc. Ainsi, dans ce pays, l'article13 n'a été touché par aucune modification, le dépôt de déclaration auprès du ministèrede l'Intérieur étant une modalité qui remonte à la loi de 1975.56

Au Maroc, malgré les amendements successifs introduits en 1959, 1960 et1963, et notamment celui qui, en date du 10 avril 1973, changea de fond encomble la loi relative de la presse, pour soumettre la liberté de l'information à desrestrictions, la disposition qui prévoit le dépôt de déclaration auprès de l'autoritéjudiciaire demeurait et demeure toujours inchangée, et n'a fait à aucun momentobjet de modification.

Ainsi, le pluralisme en matière de publication de journaux et de périodiques, enparticulier, et des médias, en général, est au fond l'expression du pluralismepartisan et politique. Il est devenu un choix constitutionnel et politique stratégique,dans les différents pays maghrébins qui font l'objet de la présente étude.57

(56) Najib Lamrini, Les structures de la presse au Maroc, thèse de 3ème cycle, Université deGrenoble III, 1986, p. 28.

(57) Derradji Ahmed, Le droit de la presse et la liberté de l'information et d'opinion dans les paysarabes, Publisud, 1995, p. 28.

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Le concept de déclaration est substantiellement différent du conceptd'autorisation. Pour déposer une déclaration, concernant la création d'unpériodique ou d'une publication, un dossier est constitué à cet effet, en troisexemplaires ou plus, selon chacune des législations concernées, et signé dudirecteur de la publication pour être déposé auprès de l'autorité judiciaire ouadministrative, selon les dispositions de la loi de chacun des pays en question. Il està souligner que cette procédure est celle même qui est suivie pour la création d'uneentreprise commerciale ou industrielle, et qui entre dans le cadre de l'exercice de laliberté d'investissement.

Sauf quelques aspects de détail, il y a concordance en ce qui concerne lecontenu des lois maghrébines réglementant le domaine de l'information et de lapresse. En effet, la quasi-totalité de ces lois énumèrent les mêmes documentsconstitutifs du dossier de déclaration. C'est ce que confirment l'article 5 de la loimarocaine, l'article 11 de la loi mauritanienne, l'article 13 de la loi tunisienne etles articles 15, 16 et 17 de la loi algérienne. L'on note également que les loisrespectives de la Mauritanie, du Maroc et de la Tunisie ont assemblé tout ce quiconcerne le contenu du dossier de déclaration dans un seul article, alors que lalégislation algérienne donne une spécification détaillée de ce contenu. Mais au-delà de ces différences de détail, ces législations énumèrent ce qui suit, en ce quiconcerne les éléments constitutifs du dossier de déclaration :

u Le titre du journal ou de l'écrit périodique, le mode de publication et dedistribution, le nom du directeur de la publication, la dénomination del'imprimerie chargée de l'impression et la ou les langues de publication. Leslois respectives du Maroc et de la Tunisie contiennent des dispositionssimilaires concernant la définition du cadre juridique de l'entreprisepubliant le journal, ainsi que l'identification des noms, professions etadresses des membres du conseil d'administration de l'entreprise.

Outre ces éléments, la loi marocaine exige de ce type d'entreprise que ladéclaration contienne, le cas échéant, le numéro d'inscription au registre decommerce. De son côté, la loi algérienne stipule, dans le premier alinéa de sonarticle 18, ce qui suit : «Les titres et organes d'information sont tenus de justifieret de déclarer l'origine des fonds constituant leur capital social et ceuxnécessaires à leur gestion…..». En outre, l'article 19 de cette loi exige d'indiquerle capital du propriétaire et de son adresse, ainsi que le capital de la société oude l'entreprise. Quant à la loi Mauritanienne, son article 11 se limite à exiger quele dossier de déclaration contienne les statuts de l'entreprise qui publie lequotidien ou le périodique et, contrairement aux lois respectives du Maroc et del'Algérie, ne fait mention d'aucun autre détail supplémentaire.

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2. Le directeur responsable du journal

Les quatre législations maghrébines identifie, avec le même degré de précision,celui qui peut assumer la responsabilité de la direction du journal. Aux termes detoutes ces législations, le responsable de la direction du journal est presque lemême, que celui-ci soit une personne physique ou morale. Si le journal est publiépar une entreprise ou une association, dont le capital est la propriété de plusieurspersonnes, la déclaration déposée auprès du tribunal devrait contenir toutes lesinformations qui établissent la preuve que le journal ou le périodique est publié aunom de l'entreprise ou de l'association. L'objectif de cette disposition consiste àpermettre que la société ou l'association conserve la propriété du journal, ou dupériodique qui en est le porte-parole, en cas de changement susceptible d'affecterla composition du conseil d'administration de cette société ou association.58

Il arrive souvent qu'une société ou une association confie à une personne lamission de créer un journal ou un périodique qui en est le porte-parole. Dans cecas, l'intéressé dépose la déclaration en son propre nom, sans produired'informations susceptibles d'indiquer la création du journal ou du périodique aunom de l'entreprise ou de l'association ou le financement de cet organe de pressepar celle-ci. Cependant, en cas de litige entre la société ou l'association et ledirecteur du journal, celui-ci refuse de céder la propriété du journal ou dupériodique en question, prétendant que celle-ci lui revient à titre personnel et nonà la société ou l'association.

S'il faut que toute publication ait un directeur qui en soit le responsable,quelles sont alors les conditions que celui-ci devrait remplir ?

Le directeur responsable de la publication doit remplir un ensemble deconditions, fixées par les lois réglementant le domaine de l'information et de lapresse dans les pays maghrébins. Celles-ci présentent une marge dedifférenciation concernant la définition de ces conditions. L'on peut mettre enavant que la législation algérienne en la matière fournit des détails plus précisconcernant les conditions qui doivent être remplies par le directeur depublication. Ces conditions sont celles mêmes que l'on rencontre dans la loimarocaine qui, tout comme la loi algérienne, les spécifie en détail dans sonarticle 4. Il convient de noter ici que dans tous les pays maghrébins, la législationfixe pour la responsabilité de directeur de publication les conditions suivantes :

u Il doit porter la nationalité du pays dans lequel il est directeur de publication -il doit être majeur et saint d'esprit - il ne doit pas être condamné à une peine quil'aurait déchu de ses droits civiques. Nous rencontrons ces conditions dans

(58) Moulay Ali Al Mamouni, Le Code de la presse annoté, Rabat, 1986, p. 143.

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l'article 4 de la loi marocaine, l'article 22 de la loi algérienne, l'article 16 de laloi tunisienne et l'article 10 de la loi mauritanienne. Ce dernier article spécifieles conditions qui doivent être remplies par le directeur de publication d'unemanière très concise. En voici l'énoncé : «…Le directeur de publication ou, lecas échéant, le codirecteur, doivent être adultes, jouissant de leurs droitsciviques et n'être condamnés à aucune peine légalement prononcée».

Il y a un autre aspect problématique lié au statut de directeur de publication quiest traité par certaines des législations maghrébines, et passé sous silence par d'autres.Il s'agit du cas où le directeur de publication se trouve être membre du gouvernement.Dans ce cas, faudrait-il qu'il y ait un codirecteur qui se substitue à lui ?

Cet aspect ne constitue nullement un cas de figure théorique dont on peut toutjuste supposer l'occurrence, mais bien un cas réel qui se posa au Maroc sous legouvernement de l'alternance par entente. En effet, Il y avait dans cegouvernement des ministres qui étaient alors les directeurs des organes de pressede leurs partis respectifs. Le problème se posa lorsque, en amendement de la loide 1973, fut promulgué le Code de la presse de 2002, lequel interdit le cumul dela responsabilité ministérielle et la responsabilité de directeur de publication. Ilconvient de noter ici que le Premier ministre, Abderrahmane Al Youssfi, alorsdirecteur du journal «Al Ittihad Al Ichtiraki», le ministre de l'Habitat,Mohammed Al Yazghi, alors directeur du journal «Libération» et le ministre desdroits de l'homme, Mohammed Oujar, alors directeur du journal «At-Tajammouâ», se trouvèrent dans l'obligation de se dessaisir de la direction despublications susmentionnées.

Les législations maghrébines autres que les lois respectives du Maroc et de laMauritanie, ont perdu de vue le cas où le directeur responsable de la publication setrouve être membre du gouvernement. En effet, la loi mauritanienne est comparableà la loi marocaine, à cette différence près que celle-ci excepte le cas où le directeurde publication fait partie de ceux qui bénéficient des dispositions de l'article 39 dela Constitution, alors que celle-là fait exception du cas où il fait partie de ceux quijouissent de l'immunité parlementaire.

Dans le cadre du traitement réservé aux questions relatives à la création et à ladirection de l'entreprise de presse, et même la supervision de sa gestion, certainesdispositions du cadre législatif qui réglemente le domaine de l'information et de lapresse, dans les pays maghrébins concernés par la présente étude, traitent égalementla manière dont le directeur de publication assume la responsabilité des informationspubliées par le journal et qui, sans franchir le seuil de l'injure et de la diffamation,sont dénuées de vérité, ce qui, par la loi, donne à la personne ou l'entité concernéele droit d'y répliquer à travers le recours à la modalité juridique dite droit de réponse.

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Troisièmement : la rectification, l'auto-rectification et le droit de réponse

Se pose le cas de l'auto-rectification et du droit à la rectification, lorsqu'unjournal quelconque publie une information dénuée de vérité concernant uneinstitution, ou un établissement, ou une personne quelconque, ou toute entitérelevant du gouvernement ou autres. Pour lever toute confusion, rectifier ce qui estpublié par voie de presse, et pour que les lecteurs n'y ajoutent pas foi, alors lelégislateur a inventé la technique de l'auto-rectification ou le droit de rectification.60

L'auto-rectification signifie la rectification d'un article ou d'un sujet traité par unjournal d'une manière infondée.

Ainsi, le droit de rectification est un droit accordé en vertu de la loi auxfonctionnaires et agents de l'autorité publique, qui ont le sentiment d'être l'objetd'informations dénuées de vérité publiées par la presse, et portant sur l'exercice desfonctions dont ils sont investis. Dans ce cas, les directeurs de publication sont tenusde publier, à titre gratuit, dans les numéros ou le numéro suivant du quotidien ou dela publication périodique, toutes les rectifications qui leur auraient été adressées parles représentants des autorités publiques, sous peine d'amende financière et, parfois,de peine d'emprisonnement. Les législations relatives à l'information et à la presserespectivement en vigueur au Maroc, en Mauritanie, en Tunisie et en Algérie,contiennent des dispositions sanctionnant le refus de publier la rectification.

Quant au droit de réponse, ou de réplique61 à un article publié dans un journal,pour en démentir et réfuter le contenu, cette modalité est réservée aux gensordinaires. Dans ce cas également, le directeur de publication est tenu d'insérertoute réponse émanant de toute personne dont le nom est évoqué, ou auquel il estfait référence dans le journal, ou l'écrit périodique, dans les jours -fixés par leslois susmentionnées- suivant la date de la réception de la réponse ou dans lenuméro qui suit immédiatement, au cas où aucun numéro n'est paru avantl'expiration du délai. L'insertion doit être faite au même endroit et à la mêmepage où l'information avait été publiée, et en mêmes caractères que ceux utilisésdans l'article en question.

Concernant la manière dont les législations maghrébines traitent la questiondu droit de réponse et du droit de rectification, l'on remarque qu'au-delà del'affirmation de ces droits, elles n'y accordent pas toutes le même degré d'intérêt.

(60) Cette question ne concerne pas seulement la presse, mais elle s'étend également aux médiasaudiovisuels. Une convention fut adoptée sous l'égide des de l'ONU en 1953. Elle est appeléela Convention relative au droit international de rectification.

(61) Concernant la distinction entre le droit de réplique ou de réponse et le droit de rectification,cf. : Lamnini Najib, Régime juridique des médias écrits et audiovisuels au Maroc, Thèse dedoctorat d'Etat, Faculté de droit de Casablanca, 2007, T 1, pp. 38-39.

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En témoigne la variation en nombre d'articles réservés à cet aspect, par chacunede ces législations.

Dans la loi algérienne, dont les articles sont courts et fragmentés, le droit derectification et de réponse est traité dans 10 articles se succédant de 41 à 51. La loitunisienne leur réserve 9 articles, de 26 jusqu'à 34. Toutefois, seulement 4 articles,de 16 à 19, réglementent cet aspect dans la loi mauritanienne. Le nombre d'articlesy afférents dans la loi marocaine est plus réduit : seulement deux articles, 25 et 26.Il faut noter que l'on rencontre l'affirmation du droit de réponse et de rectificationdans la plupart des législations réglementant le domaine de l'information auxniveaux arabe et africain. Mais, il faut souligner également que les législationsmaghrébines en la matière ont puisé les détails des dispositions relatives au droitde réponse et de rectification dans la loi française, réglementant le même domainepromulguée le 29 juillet 1881, et dans les lois édictées pendant la période colonialequi, à leur tour, s'étaient inspirées de cette dernière loi, telle la loi sur la presseédictée au Maroc, le 27 avril 1914.62

Il faut préciser que les dispositions relatives au droit de réponse se limitentaux seuls écrits périodiques, et ne sont applicables ni aux livres, ni à la radio, nià la télévision. Ceci est visible dans les différentes législations maghrébines, saufla législation algérienne de 1990 qui règlemente aussi bien la presse que lesecteur audiovisuel.

Comme il en est déjà fait mention, la réponse reçue par le directeur depublication doit être publiée dans le numéro le plus proche, si aucun numéro n'estpublié avant l'expiration d'un délai de trois jours. La réponse doit être insérée aumême endroit où l'article en question avait été publié. Elle doit être publiée à titregratuit, si elle ne dépasse pas le double de la longueur dudit article. Si elle ledépasse, le prix d'insertion est dû pour le surplus seulement et calculé au prix desannonces judiciaires.63

Toutes les législations maghrébines font obligation au directeur de publicationde publier, à titre gratuit, la réponse, laquelle doit figurer au même endroit oùl'article qui l'aura provoqué avait été publié, et avec le même caractère que celuiutilisé pour la publication de ce dernier. Ce sont bien là les modalités prévues parla loi marocaine, dans le dernier alinéa de son article 26, et c'est sur ce point quecelle-ci se démarque de la loi mauritanienne, et même de la loi tunisienne. En effet,la loi mauritanienne stipule que la réponse doit être du même volume que l'article

(62) Cette loi constitue la législation coloniale de base dans le domaine de l'information au Maroc.Cf. à ce sujet : Mohammed Idrissi Âlami Al Machichi, op.cit. et Lamnini Najib, Régimejuridique des médias écrits et audio-visuels au Maroc, Thèse de doctorat d'Etat, Faculté dedroit de Casablanca, 2007.

(63) Moulay Ali Mamouni, Le Code de la presse annoté, Rabat, 1986.

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qui l'aura provoquée et qu'il est, néanmoins, possible d'augmenter sa longueurjusqu'à 50 lignes, même dans le cas où ledit article n'atteint pas cette longueur.Mais dans tous les cas, la longueur de la réponse ne doit pas dépasser 200 lignes,même dans le cas où l'article qui l'aura provoqué dépasse ce nombre de lignes. Cesont là les détails fournis par l'article 17 de cette loi, et que l'on retrouve égalementdans l'article 28 de la loi tunisienne. Cet article stipule que la longueur de réponsene doit pas dépasser celle de l'article qui l'aura provoquée. Mais, il ajoute que danstous les cas, le nombre de lignes de la réponse ne doit pas dépasser 200, même dansle cas où la longueur de l'article concerné dépasse ce nombre de lignes. La loialgérienne n'a pas accordé autant d'attention aux formalités liées à la longueur dela réponse, malgré l'importance qu'elles revêtent. Cette importance se rend, eneffet, visible quand, faute de définition de la longueur de la réponse, l'auteur decelle-ci peut délibérément en augmenter le volume jusqu'à couvrir toutes les pagesdu journal, mettant ainsi le directeur de celui-ci dans l'obligation de publier laréponse caractérisée dans toute son intégralité, sous peine d'être condamné auxsanctions prévues par la loi. Par ailleurs, en fixant la longueur de la réponse à 50lignes et en ajoutant que dans tous les cas, elle ne doit pas dépasser 200 lignes, laloi mauritanienne et la loi tunisienne ont péché par excès. C'est dire que la loimarocaine a réservé un traitement raisonnable à la question du droit de réponse etde rectification, en stipulant que la réponse ne doit pas dépasser le double de lalongueur de l'article qui l'aura provoquée, et que le prix d'insertion du surplus estcalculé au prix des annonces judiciaires.

En outre, la loi algérienne, notamment en son article 50, s'est inspirée de lalégislation égyptienne, en ce qui concerne la spécification des cas où la publicationou la diffusion de la réponse peuvent être refusées. Ces cas sont comme suit :

Le premier : si la réponse constitue en elle-même un délit de presse, au sensdes dispositions de ladite loi ;

Le second : si la réponse a déjà été publiée ou diffusée à la demande de l'unedes personnes autorisées, prévues à l'article de la loi susmentionnée.64

Au droit de réponse accordé à la personne correspond l'obligation faite aujournal de publier la réponse.65 Le droit de réponse est plus large que le droit derectification, parce que ce dernier porte sur de simples ajustements ayant pourobjet les cas d'invalidité de l'information intégralement ou partiellement publiée.

(64) L'article 49 de la loi algérienne stipule que : «Si la personne nommément visée parl'information contestée est décidée, incapable ou empêchée par une cause légitime, la réponsepeut être faite en ses lieu et place par son représentant légal ou dans l'ordre de priorité, par sesparents, ascendants, descendants ou collatéraux au premier degré».

(65) G. Le Breton, Libertés publiques et droits de l'homme, 1995, p. 394. Cf. également : Jamal AlÂtifi, La liberté de presse, 1974, p. 299.

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En revanche, le droit de réponse couvre des aspects aussi variés que laclarification, les suppléments ou compléments d'information, la limitation de lapertinence des critiques, la récusation d'accusations, la réduction aux dimensionsréelles des faits ou informations publiés, l'expression de l'opinion de la personneaffectée par l'information publiée.

Il ressort de ce qui précède que le droit de réponse bénéficie à la personnephysique, qu'il soit fonctionnaire ou autre, mais tout aussi à la personne morale,que cette personne soit visée nommément ou à travers un ensemble de signes quipermettent de l'identifier. La réponse ne doit pas porter atteinte à l'ordre public,ni affecter les intérêts légitimes des autres. Elle ne doit pas non plus faire outrageà l'honneur ou à la réputation du journaliste, ni traiter un autre sujet que celuiabordé par le journal.

Les législations maghrébines en matière d'information ont essayé de traitertous les aspects et les problèmes liés au droit de réponse et de rectification, ainsique les modalités de son exercice. Ce droit occupe une position médiane. Eneffet, il ne fait pas partie du régime pénal du secteur de l'information, lequelrégime revêt un caractère dissuasif et répressif ; il s'inscrit, plutôt, dans uneperspective préventive, sachant qu'il y a une différence nette entre ce régimepénal et cette logique préventive, et que cette différence n'est saisissable que parceux qui connaissent les finalités contrastées dont procèdent respectivement l'unet l'autre dans le domaine du droit de l'information et de la communication. Lalogique préventive, qui sous-tend le droit de réponse, vise à prévenir les crimespar voie de presse, parce que la publication dans la presse de certaines sortesd'informations constitue des crimes de presse, qui consistent en un mésusage dela liberté d'expression de l'opinion, c'est-à-dire la publication d'élémentssusceptibles de porter atteinte aux droits de la collectivité ou des individus. Etc'est bien la préservation de ces droits qui a poussé le législateur à criminaliserles actes qui les bafouent par voie de presse. Cette criminalisation se base aussibien sur l'aspect négatif du crime, à savoir le refus de la publication de la réponseou de la rectification, que sur son aspect positif, c'est-à-dire lorsque le crime setrouve être, par exemple, un propos injurieux ou diffamatoire. C'est sur ce doubleaspect que porte le régime pénal du droit de l'information.

Deuxième section : la législation relative au domaine del'information et ses dispositions pénales dansles pays maghrébins

Si la liberté de la presse est reconnue et l'exercice de cette liberté garanti,conformément aux dispositions des conventions et déclarations internationales,il y a également des limites qu'elle ne doit pas dépasser. Ces limites s'imposent

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dès que la liberté de presse risque de glisser vers l'injure, la diffamation etl'atteinte à l'honneur des personnes et à l'ordre public sous ses différents aspects :politique, social et économique. Nul besoin de rappeler que dès la périodeprécoloniale jusqu'à la période postcoloniale, en passant par l'épisode colonial,les lois maghrébines réglementant le domaine de l'information et de la pressecontenaient des dispositions qui criminalisent et prévoient des sanctions contreles journaux et les publications, lorsqu'ils passent outre ces limites. Et mêmelorsque ces lois intégrèrent l'option pluraliste dans leurs dispositions, abolissantainsi le monopole que détenaient l'Etat et le parti au pouvoir dans le domaine desmédias, elles n'abandonnèrent pas pour autant les dispositions qui interdisent etcriminalisent tous les délits et crimes susceptibles d'être commis par voie depresse, notamment les propos outrageants, les atteintes à la vie privée despersonnes et à l'ordre public ou la provocation à la haine et à l'intolérance, lediscours pro-terroriste et la discrimination raciale, etc. Ces aspects qui furentréglementés par le passé par les lois successives, codifiant la liberté del'information et de la presse, n'en demeurent pas moins traités par la législationactuelle. Celle-ci, comme celles-là, jugent légalement inacceptables lesdépassements susmentionnés et toute incitation à les commettre et rendent, enconséquence, le journal ou la publication périodique qui commettent cesdépassements passibles de peines d'emprisonnement ou d'amendes ou des deuxsanctions.

Premièrement : l'incitation aux crimes et délits selon les lois relatives audomaine de l'information dans les pays maghrébins

En entrant dans l'ère marquée par l'ouverture et le pluralisme du secteur del'information, les pays maghrébins ont porté un intérêt particulier à l'incitationaux crimes et délits par la voie de la presse. Raison pour laquelle, certains ontconsidéré que le traitement de cet aspect a transformé la législation réglementantle domaine de l'information en une «loi pénale de l'information», parce que cettelégislation prévoit de lourdes peines d'emprisonnement et d’amendes.L'incitation se fait par le moyen des différents médias. Si nous prenons l'exemplede la loi marocaine, nous constatons que l'article 38 qui peut être considérécomme la colonne vertébrale du régime pénal, propre au cadre législatiforganisant le secteur de l'information, contient des dispositions précises etdétaillées concernant les moyens susceptibles d'être utilisés pour inciter àcommettre des délits et des crimes par voie de presse. Nous relevons la mêmeorientation dans l'article 32 de la loi mauritanienne. En effet, sous cet aspect,elles sont quasi-identiques, notamment en ce qui concerne les sanctions prévuespour punir ceux qui incitent à commettre des crimes et des délits. Ellesconsidèrent, d'ailleurs, les auteurs de l'incitation comme étant complices du

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crime perpétré, si celle-ci est suivie ultérieurement d'effet.66 La loi tunisiennes'inscrit dans la même logique. Elle traite la question de l'incitation aux crimes etdélits par voie de presse en son article 42. Le législateur tunisien considère, luiaussi, l'auteur de l'incitation comme étant coauteur du crime ou délit de presse.Nous retrouvons la même assimilation dans la législation algérienne. Toutefois,celle-ci est moins précise que les autres lois maghrébines susmentionnées,notamment en ce qui concerne le traitement législatif de cet aspect. En effet,l'article 87 de la loi pénale traite la question de l'incitation d'une manièreimprécise. Il stipule ce qui suit : «L'incitation par tous les moyens d'informationaux crimes et délits contre la sûreté de l'Etat et l'unité nationale, expose, dans lecas où elle est suivie d'effet, le directeur de la publication et l'auteur de l'écrit àdes poursuites pénales comme complices des crimes et délits provoqués».

Pourtant, les législations maghrébines ne spécifient pas de manière précise lesmoyens d'incitation. Elles se limitent à mentionner l'incitation par tout moyend'information. Peut-être la législation marocaine est-elle plus claire et plus préciseen la matière. En effet, elle précise que l'incitation ne se limite pas seulement aumoyen de la presse, mais elle s'étend également aux médias audiovisuels etélectroniques.67 L'article 38 de la loi marocaine le précise en ces termes : «…parles autres moyens d'information audiovisuels et électroniques». Les législationsdes autres pays maghrébins ont omis d'intégrer dans la catégorie des moyensd'information les supports électroniques, alors que ceux-ci peuvent constituer unmoyen de choix pour l'incitation à la perpétration des crimes et délits. Ceslégislations ont-elles été adoptées, réaménagées et révisées avant la propagationextraordinaire des usages faits de l'internet et la complication des problèmes poséspar ce moyen d'information68, alors que la loi marocaine a fait l'objet d'unerévision en 2002, à un moment où l'usage des moyens électroniques d'informationcommençait à gagner du terrain et à poser divers problèmes, notamment en ce quiconcerne l'incitation au terrorisme et à la prostitution, etc. ? Le problème,néanmoins, ne se réduit pas à une question de date. Qu'à cela ne tienne, pourquoialors la révision de la législation mauritanienne, bien plus récente (en 2006) quecelle de la loi marocaine, n'a pas pris au sérieux l'incitation susceptible d'avoir lieupar les moyens d'information électroniques ?

(66) Bouchâïb Lalouh, Le régime juridique de la presse au Maroc, mémoire élaboré pour l'obtentiondu diplôme des études supérieures en droit, Faculté de droit de Rabat- Agdal, 1987, p. 95.

(67) Cf. Ali Karimi, Quelques éléments des législations arabes relatives à l'internet, communicationprésentée à la session d'étude organisée par l'ISESCO à Kairouan, Tunisie, 2009, site électroniquedu Centre marocain des droits de l'homme et de l'information : CMERDH.on.ma.

(68) Toutes ces législations ont été révisées pour y introduire une dose d'ouverture. Cetteorientation a été prise vers la fin des années 1980 ou au début des années 1990, excepté lecas de la législation mauritanienne qui a été révisé une première fois en 1991 et une secondefois en 2006.

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Le fait d'omettre de mentionner les moyens d'information électroniques, et deperdre de vue le rôle qu'ils pourraient jouer, dans l'incitation trouve-il sajustification dans le fait que la législation, relative au domaine de l'information, lesconsidère comme subsumés sous le concept de moyens d'information et la mentionqui pourrait en être faite n'est guère qu'une spécification supplémentaire ? Nouspouvons apporter des éléments de réponse à cette question en nous référant, parexemple, à la loi tunisienne. Les articles 42, 43 et suivants considèrent que leconcept de complicité englobe tous ceux qui incitent, directement, une ou plusieurspersonnes à commettre des crimes et des délits par la voie de la presse, ou par toutautre moyen d'information. Il est entendu que le sens de l'expression «tout autremoyen d'information» se réfère à l'internet, même si celui ou ceux qui ont rédigéla loi tunisienne de 1975 et les modifications qui y ont été introduites, notammenten 1988 et 1993, etc. ne pouvaient vraisemblablement se faire une idée del'ampleur prise de nos jours par l'internet.69 Ainsi, dans le cadre du traitementqu'elles réservent à la question de la provocation aux crimes et délits par voie depresse, les législations magrébines, réglementant le domaine de l'information,mettent l'accent sur ce qui suit :

1. La provocation à la violence et au terrorisme

Selon les caractérisations fournies par les différentes législations magrébinesréglementant le domaine de l'information, nous pouvons dire que la violence et leterrorisme renvoient dans ce cadre au meurtre, au pillage, au vol, à la destruction,aux actes incendiaires par le moyen des substances explosives, ou l'incitation àl'atteinte à la sureté de l'Etat, aussi bien extérieure qu'intérieure. Il convient depréciser, ici, que le législateur maghrébin a perdu de vue l'incitation qui pourrait sefaire au moyen de l'internet (nous essaierons de développer cet aspect avec plus dedétail dans la section suivante, laquelle indique les lacunes et les insuffisances quidemeurent en creux dans les législations maghrébines relatives au domaine desmédias). Une comparaison entre ces législations permet de noter une certainecommunauté de vue, concernant le traitement qu'elles réservent à cet aspect. Mais,ceci n'empêche pas de relever dans ce traitement certaines nuances qui portent surdes points de détail. En effet, la loi marocaine traite la question de l'incitation dansson article 38 qui punit l'acte d'incitation par une sanction répressive sévère d'un àtrois ans d'emprisonnement et une amende de 5.000 à 100.000, DH quand il s'agitd'une incitation par les moyens spécifiés dans l'article 38, et lorsque cette incitationprovoque les crimes suivants : le meurtre, le vol, l'acte incendiaire et la destructionpar le moyen des substances explosives. Davantage, la législation marocaine

(69) Jaouhar Jamoussi, Introduction au droit de l'internet et du multimédia, La Société tunisiennede l'édition, 2009, p. 149.

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applique les sanctions susmentionnées à ceux qui tiennent un discours soutenant cescrimes, et considère, de façon implicite que la tenue d'un tel discours est uneincitation à ces crimes, s'il est véhiculé par voie de presse.

La législation tunisienne s'inscrit dans la même orientation, en ce qui concernela provocation au meurtre, au vol et à l'acte incendiaire, et renvoie aux crimes etdélits punis en vertu des articles 208 à 213 et de l'article 219 du Code pénal. Enoutre, Comparativement aux sanctions prévues par la loi marocaine, les dispositionsrépressives de la loi tunisienne sont plus sévères. En effet, les peinesd'emprisonnement, appliquées par cette dernière à l'incitation au genre de crimessusmentionnés, sont d'un à cinq ans. Toutefois, s'agissant des amendes, sesdispositions sont moins pénalisantes que celles prévues par la loi marocaine.

La loi mauritanienne traite, elle aussi, cet aspect, mais de façon concise dansdeux alinéas de l'article 33. Il s'agit, dans le premier alinéa, de l'atteinte délibérée àla vie et à l'intégrité des personnes, alors qu'il est question, dans le second alinéa, desvols, des actes de destruction et de détérioration et des agressions qui causent ladétérioration délibérée des personnes. La législation mauritanienne applique dessanctions sévères à ces crimes. La peine est fixée à cinq ans d'emprisonnement etl'amende à 5.000.000 ouguiyas.

Quant à la législation algérienne, ses dispositions relatives à ce point précismanquent de clarté et pèchent par excès de concision. Ainsi, l'article 96 de cettelégislation stipule ce qui suit : «L'apologie directe ou indirecte, par tous moyensd'information, d'actes qualifiés, crimes ou délits, expose son auteur à unemprisonnement de 1 à 5 ans et à une amende de 10.000 à 100.000 DA.»

En général, on peut dire, au sujet de cet aspect, qu'il y a des points d'accord entreles législations maghrébines. En effet, si les lois respectives de la Tunisie et del'Algérie appliquent de lourdes peines d'emprisonnement et amendes à tout acted'apologie des crimes et délits, la loi marocaine s'inscrit dans la même logiquerépressive, lorsqu'elle punit aussi sévèrement tout discours qui constitue uneprovocation au meurtre, à la destruction, etc.

2. L'incitation à la discrimination raciale et confessionnelle

Le phénomène de l'incitation à la discrimination raciale et confessionnellecommence à produire ses premières manifestations, par le moyen des différentsmédias, qu'il s'agisse des médias écrit ou audiovisuel ou électronique. Pour lui faireface, les différentes législations internationales et nationales - conventionsinternationales, constitutions et lois ordinaires - ont prévu des dispositions pourinterdire l'incitation à la discrimination raciale et confessionnelle. Toutefois, cephénomène n'en continue pas moins de s'amplifier dans les différents types demédias, notamment avec l'essor de la presse électronique et la démultiplication

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extraordinaire des espaces de blog. En outre, souvent la presse qui incite à ces deuxtypes de discrimination, prétend ne faire qu'exercer la liberté de l'information et laliberté d'expression de l'opinion.

Il faut rappeler, dans ce cadre, que les lois relatives au domaine de l'information,à caractère aussi bien national qu'international, interdisent l'incitation à ladiscrimination, aux actes constituant une offense ou atteinte aux religions, mêmelorsque celles-ci revêtent un caractère minoritaire. Cette interdiction vise à prévenirles querelles et les attitudes de haine et d'intolérance entre les adeptes des différentesconfessions.70 Ces différentes sources de règles de droit réaffirment, également, leprincipe de la non-discrimination pour des raisons d'appartenance raciales etinterdisent l'attisement, et l'encouragement à l'attisement, des conflits d'ordre racial,par les différents moyens d'information, parce que tels actes sont de nature à porteratteinte à l'unité nationale et à provoquer des guerres civiles. Au niveauinternational, ces actes sont également susceptibles d'exacerber les attitudes et lessentiments de haine entre les peuples et entre les adeptes des différentesconfessions.71 L'importance de ces considérations se rend plus évidente dans lecontexte international actuel, marqué par le retour en force des identités ethniqueset religieuses, sachant que celles-ci sont devenues une variable à l'œuvre dans lesrelations internationales, à l'image de ce qu'elles étaient au 18e et 19e siècles.

Comment alors les législations maghrébines ont traité ce type d'incitation,notamment l'incitation à la discrimination religieuse ? Toutes les quatrel'interdisent, sous peine de sanctions. L'article 77 de la loi algérienne stipule que«quiconque offense par écrit, sons, images, dessins, ou tous autres moyensdirects ou indirects, l'Islam et les autres religions célestes est puni d'unemprisonnement de six (6) mois à trois (3) ans et d'une amende de 10.000 à50.000 DA ou de l'une des deux peines».

La loi marocaine a traité ce point dans son article 39. Celui-ci stipule que«Quiconque aura, par l'un des moyens énoncés par l'article 38, incité à ladiscrimination raciale, à la haine ou à la violence contre une ou plusieurspersonnes en raison de leur race, leur origine, leur couleur ou leur appartenanceethnique ou religieuse…..sera puni d'un emprisonnement d'un mois à un an etd'une amende de 3.000 à 30.000 DH ou de l'une des deux peines seulement».

Il ressort, de ce qui précède, que les peines appliquées par la loi marocaine àl'incitation à la discrimination raciale et religieuse sont plus allégiées que cellesprévues par la loi algérienne, tout comme par la loi tunisienne. En effet, celle-ci

(70) J. Robert, La liberté religieuse, R.D.I.C, n° 2, 1994. (71) Raghib Majid Lahlou, La liberté de l'information et le droit, la Nouvelle Maison d'Edition de

l'Université, Alexandrie, 2009, p. 270.

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contient des dispositions, plus détaillées que celles prévues par toutes les autreslégislations, concernant l'incitation à la discrimination raciale et religieuse. C'est ceque nous constatons à la lecture des articles 44, 48 et 53 de la loi tunisienne.L'article 44 stipule ce qui suit : «est puni de deux mois à trois ans d'emprisonnementet d'une amende de 1.000 à 2.000 dinars, celui qui, par les mêmes moyensmentionnés à l'article 42, aura, directement, soit incité à la haine entre les races, oules religions, ou les populations, soit à la propagation d'opinions fondées sur laségrégation raciale ou sur l'extrémisme religieux, soit provoqué la commission desdélits prévus à l'article 48 du présent code, soit incité la population à enfreindre leslois du pays». Pour montrer toute l'importance accordée à la religion, le Codetunisien de la presse réaffirme l'obligation de respect dû à la religion en son article48, notamment dans le dernier alinéa qui prévoit ce qui suit : «…. est puni de troismois à deux ans d'emprisonnement et d'une amende de 100 à 2000 dinarsquiconque, par les moyens susvisée, porte délibérément atteinte à un des cultesreligieux autorisés….». En outre, dans le dernier alinéa de l'article 53 du mêmecode, le législateur revient à la question de la ségrégation pour des raisonsd'appartenance religieuse ou raciale : «est puni d'un mois à une annéed'emprisonnement et d'une amende de 120 à 1.200 dinars quiconque commet, parles moyens susvisés, un acte injurieux contre toutes les personnes non spécifiées àcet article, mais appartenant à une race ou une religion déterminée, si l'injure visel'incitation à la haine entre les citoyens et les concitoyens».

Quant à la législation mauritanienne, elle n'a pas traité ce point dans le cadrede la provocation aux crimes et délits, mais elle l'a intégré à celui des délitscontre les personnes. Ainsi, l'article 40 de cette législation stipule : «est puni d'unan d'emprisonnement et d'une amende de 300.000 à 1.000.000 ouguiyas, ou del'une des deux peines seulement, quiconque commet, par les moyens susvisés, unacte injurieux contre une ou plusieurs personnes en raison de leur appartenanceou non appartenance à une race ou nation ou province ou confessiondéterminée». Ces dispositions sont comparables à celles prévues par les autreslégislations maghrébines, réglementant le domaine de l'information.

Il ressort de ce qui précède que toutes ces législations interdisent, sous peined'emprisonnement et d'amende, toute provocation, par les moyens d'information,aux différents types de discrimination, pour des raisons raciale ou religieuse, oumême régionale. Mais est-ce que les médias écrit, électronique et audiovisuelobservent-ils effectivement et infailliblement cette interdiction ? Ne constatons-nous pas, ici ou là, des dépassements où se trouvent impliqués des supportsélectroniques et même la presse ?

Les lois maghrébines, réglementant le domaine de l'information, ne se sontpas limitées au traitement de la question de l'incitation développée supra, mais

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elles ont également traité d'autres aspects qui entrent dans le cadre des crimes etdélits de presse, tels que le manquement à l'obligation de respect dû aux chefsd'Etat, la provocation des militaires et des forces publiques à la désobéissance età la perte de confiance dans l'économie nationale…etc.

3. Le manquement à l'obligation de respect dû aux chefs d'Etat

Le manquement à l'obligation de respect dû aux chefs d'Etat entre dans lecadre des crimes et délits portant atteinte à l'ordre public. Les lois maghrébines,réglementant le domaine de l'information, ont traité les atteintes à la dignité deschefs d'Etat et les manquements à l'obligation de respect dû à ces derniers. Ellesconsidèrent ces atteintes et ces manquements comme des crimes contre la chosepublique. Nous rencontrons cette caractérisation juridique dans la législationmarocaine, notamment en son article 41, mais elle fait défaut dans la législationalgérienne. Toutefois, l'article 97 de cette dernière laisse entendre parl'expression «chefs d'Etat» les chefs d'Etat des pays étrangers, ce qui exclut decette catégorie le chef d'Etat algérien. Cependant une modification a étéintroduite dans la loi algérienne, qui criminalise le manquement à l'obligation derespect dû au chef de l'Etat.

La législation mauritanienne classe ce manquement dans la catégorie des délitscommis contre la chose publique. Ainsi, l'article 35 de cette législation stipule ce quisuit : «est puni d'une amende de 200.000 à 2.000.000 ouguiyas quiconque commetun acte diffamatoire contre le Président de la République par les moyens prévus àl'article 32. Cette amende s'applique aussi à quiconque commet un acte diffamatoirecontre une personne qui exerce les fonctions dE Président de la République».

La loi tunisienne met, elle aussi, ce manquement au compte des délits contrel'ordre public. Des modifications relatives à ce point précis ont été introduites, endate du 2 août 1993, dans la loi de 1988. Ainsi, l'article 84 de la loi révisée stipulece qui suit : «est puni d'un à cinq ans et d'une amende de 1.000 à 2.000 dinarsquiconque porte atteinte à la dignité du Président de la République par un desmoyens visés à l'article 42».

Si nous réexaminons la loi marocaine relative au domaine de l'information,nous constations que même dans sa version, révisée dans le sens de l'allégementdes peines d'emprisonnement et des amendes, il prévoit en son article 41 delourdes sanctions, dépassant en cela tous les autres pays maghrébins, notammentla législation mauritanienne qui n'applique en la matière que des amendes. Ainsicet article stipule ce qui suit : «est punie d'un emprisonnement de 3 à 5 ans etd'une amende de 10.000 à 100.000 dirhams toute offense, par l'un des moyensprévus à l'article 38, envers Sa Majesté le Roi, les Princes et Princesses Royaux».Ces dispositions sont applicables également aux atteintes à la religion

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musulmane et à l'unité territoriale, ou aux institutions religieuses du Royaumeauxquelles renvoie la devise «Dieu - la Patrie - le Roi», c'est-à-dire à la religionmusulmane, l'institution monarchique et l'unité territoriale. Par ailleurs, la loimarocaine va jusqu'à stipuler que cette catégorie de manquements peut donnerlieu à la suspension ou l'interdiction du journal ou de l'écrit périodique. Il semble,concernant cet article, que, comparativement aux modifications qui avaient étéintroduites en date du 10 avril 1973, une évolution ait été réalisée. En vertu deces modifications, cet article n'évoque que l'offense envers le Roi, ou les princeset princesses. Il n'y était question ni de la religion musulmane, ni de l'unitéterritoriale. Par contre, les sanctions prévues à cette époque étaient très sévères.En effet, l'offense en question était punie de 5 à 20 ans d'emprisonnement oud'une amende de 100.000 à 1.000.000 dirhams. Le caractère excessif de cespeines s'expliquent par le contexte politique de l'époque, au lendemain desévènements du 3 mars 1973. Elles dépassent les dispositions prévues par le Codepénal lui-même, concernant la question de l'offense envers le Roi. En effet,l'article 179 de ce code prévoit une peine d'emprisonnement d'un à cinq ans etune amende de 200 à 1.000 dirhams. Les modifications qui ont été introduites en2002 ont allégé les peines sévères prévues par la loi de 1973, mais elles ontintégré dans cet article la question de l'atteinte à la religion musulmane et à l'unitéterritoriale, sachant que les peines appliquées à l'offense envers le Roi sont toutaussi applicables à celle-ci. Ceci met clairement en évidence toute l'importancedu principe du respect des bases politiques et religieuses du Royaume.

Deuxièmement : les délits d'injure et de diffamation contre les personnes

EIl existe deux catégories de délits contre les individus qui peuvent être commispar les moyens d'information écrits, audiovisuels et électroniques.

Il s'agit des délits d'injure et des délits de diffamation. L'acte injurieux est unacte illégal. Il est traité par les législations maghrébines relatives aux domainesde l'information à des niveaux différents et distincts. En effet, soit elles mettentl'accent sur son caractère illégal, soit elles en font tout simplement mention.L'acte injurieux est de deux sortes : explicite et implicite. Le premier typed'injure constitue un délit, alors que le second est juste une infraction.72 L'injureexplicite est constituée d'un ensemble d'éléments parmi lesquels il y a :

u le fait qu'elle doit renfermer une expression qui porte atteinte à la dignité ouune expression de mépris.

L'injure qui porte atteinte à la dignité et à la considération de la personneconstitue un outrage à l'honneur de celle-ci, quelle que soit la manière dont elle

(72) Bouchâïb Lalouh, Op.cit.

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est exprimée, alors que celle qui renferme un mépris ou une insulte est véhiculéepar des expressions violentes qui constituent ou non une atteinte à laconsidération de la personne, ce qui veut dire que pour qu'un propos soitconsidéré comme une injure, il n'est pas nécessaire qu'il constitue une atteinte àl'honneur ou à la considération de cette personne, le caractère injurieux étantinhérent à l'expression en soi.73

u La diffamation est considérée, elle aussi, comme un acte illégal puni par la loi,quand elle porte atteinte à la vie privée des personnes. Mais si les faits dontl'expression constitue une diffamation sont exacts et portent sur la vie publique,alors cette diffamation est considérée comme légale et entre dans le cadre de lacritique autorisée.74 Mais comment les législations maghrébines relatives audomaine de l'information traitent-elle la question de la diffamation ?

1. La diffamation dans les lois maghrébines relatives à l'information

La question de la diffamation est l'une des questions auxquelles le droit del'information dans les pays maghrébins a accordé une importance particulière. Lalégislation marocaine, par exemple, lui a réservé une série de dispositionscontenues dans les articles de 44 à 51 bis, ce qui constitue une preuve del'importance que le législateur lui a accordée, et de l'idée que l'on ne peut tirerprétexte de la liberté de l'information pour porter atteinte, par l'injure et ladiffamation, à l'honneur et à la vie privée des personnes. En effet, une importanceparticulière est accordée à la vie privée dans le domaine des droits de l'homme etle domaine de l'information. Ainsi, le respect de la vie privée des personnes estréaffirmé par les règles du droit international des droits de l'homme et du droitinternational de l'information. Le législateur marocain traite la question durespect de la vie privée dans le troisième titre du Code de la presse. Les articlesde 50 à 58 y ont consacrés. La loi mauritanienne réglemente cet aspect dans sontroisième titre, «les délits contre les personnes», dans une série d'articles allantde 37 à 43, semblable à cet égard aux législations tunisienne et marocaine. Quantà la législation algérienne, aucune mention n'est faite des actes injurieux etdiffamatoires dans le septième titre réservé aux dispositions pénales qu'ellecontient. L'allégation ou l'imputation d'un acte ou d'un fait déterminé sont parmiles éléments de définition juridique de la diffamation. En effet, il ressort del'article 44 du Code marocain de la presse que le délit de diffamation doit êtreconstitué de l'un ou de l'autre élément. Ainsi, la signification juridique de ladiffamation se présente comme suit, dans l'article susvisé : «Toute allégation ouimputation d'un fait qui porte atteinte à l'honneur ou à la considération des

(73) Roland Dumas, Le droit de l'information, PUF, Paris, 1981, p. 4. (74) Cf. au sujet de la critique autorisée : Îmad Abdelhamid An-Najjar, La critique autorisée dans

le droit comparé, le Caire, la Maison de la Renaissance Arabe, deuxième édition, 1996.

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personnes ou du corps auquel le fait est imputé est une diffamation». Nousretrouvons presque la même définition à l'article 50 du Code tunisien de lapresse. Cet article stipule ce qui suit : «est considéré comme diffamation touteallégation ou imputation expresse d'un fait qui est susceptible de porter atteinte àl'honneur ou à la considération de la personne ou corps officiel….». A quelquedifférence de formulation près, la loi mauritanienne donne la même définitionjuridique à la notion de diffamation. C'est ce que nous constatons à la lecture del'article 73 de cette loi : «toute allégation ou publication d'un fait portant atteinteà l'honneur ou à la considération de la personne ou du corps auxquels ce fait estimputé constitue une diffamation».

Les trois législations s'accordent donc à punir la publication d'un proposinjurieux ou diffamatoire. Cette disposition est applicable à l'injure ou ladiffamation que celles-ci soient exprimées de manière explicite contre lapersonne ou le corps auquel elle appartient ou d'une manière qui, sans la désignernommément, contient un signe se référant à la personne concernée, tel, parexemple, une qualité qui définit proprement celle-ci. Plus encore, il suffit qu'ils'agisse d'expressions diffamatoires formulées qui permettent d'identifieraisément la personne objet de l'injure ou de la diffamation.

C'est ce que laissent constater le second alinéa de l'article 44 du codemarocain, le premier alinéa de l'article 37 de la loi mauritanienne et le secondalinéa de l'article 51 du code tunisien.

Il existe également des similitudes entre les législations maghrébines,concernant les actes de diffamation commis contre les autorités judiciaires oul'armée de terre, de mer ou de l'air, ou les corps officiels et les administrationspubliques. Ainsi, concernant les sanctions ou les peines applicables à ladiffamation, le législateur maghrébin fait la distinction entre les cas suivants :

u Le cas des actes diffamatoires commis contre les institutions judiciaires, lesarmées de différentes sortes et les administrations publiques.

u Le cas des actes diffamatoires contre un ou plusieurs ministres en raison desmissions dont ils sont investis ou de la qualité publique qu'ils portent, ou lesagents de l'autorité publique, ou un fonctionnaire ou agent judiciaire, ou untémoin à la suite de la déposition qu'il aura faite.

Il faudrait faire ici la distinction entre l'atteinte à la vie privée et la critiqueautorisée. Un examen des législations maghrébines, relatives au domaine del'information et des révisions dont celles-ci ont fait l'objet, et qui sontrespectivement comme suit : la révision de 2002 au Maroc, les révisions de 1993,2001 et 2006 en Tunisie, la révision de 2006 en Mauritanie, permet de constaterqu'elles prévoient l'interdiction des actes diffamatoires commis par la voie de la

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presse contre les membres du gouvernement engagés dans l'exercice de leursfonctions, ou un fonctionnaire ou un agent de l'autorité publique ou toute personneresponsable d'un service public. Les législations maghrébines relatives au secteur del'information sanctionnent les actes diffamatoires, commis contre la cesresponsables et agents publics comme suit : le Code marocain de la presse en sonarticle 46, la loi mauritanienne en son article 39 et le Code tunisien de la presse enson article 52. L'on constate que ces législations font la distinction entre la critiqueautorisée, la diffamation et l'atteinte à la vie privée des personnes, en particulierquand celles-ci assument des responsabilités publiques et font partie de la catégoriede responsables et d'agents cités dans les articles susvisés, à savoir les agents del'autorité publique, les responsables gouvernementaux et les parlementaires, etc.Nous ne devons pas confondre la critique, autorisée que le journaliste est censépratiquer dans le cadre de la mission et des devoirs propres à la professionjournalistique et la critique ou la diffamation qui porte atteinte à l'honneur et à la vieprivée des personnes. Le périmètre de la critique autorisée doit s'élargir, pour autantque la personne à laquelle elle s'adresse revêt un caractère public, telle qu'unfonctionnaire chargé d'une responsabilité publique ou d'un ministre ou d'unparlementaire, etc. En effet, la vie privée de la personne publique appartient à celle-ci à titre exclusif ; plutôt, sa vie privée est consubstantielle à sa vie publique. L'onne peut, en fait, porter un jugement sur les actions qu'elle accomplit en tant quepersonne publique sans toucher à sa vie privée. C'est dire que la personne publiqueest sujette à la critique, aussi bien en tant que telle que comme une personne vivantde vie privée, celle-ci ayant inévitablement partie liée avec l'autre aspect, public, desa vie. Tout agissement de sa part ne le concerne pas à titre personnel, à l'exclusiondes autres. La personne publique est par définition la personne qui se trouve chargéed'un service à caractère public. Davantage, elle peut s'incarner en toute personnedont la nature de ses activités est liée à l'opinion publique, ou dont le comportementprocède de sa volonté de donner à celui-ci un écho dans la société et de se donneren exemple à suivre par les autres membres de cette société. Il s'agit d'une personnedont on peut dire qu'elle accepte a priori de faire l'objet des écrits journalistiques.

Il existe même des juristes spécialistes du droit de l'information et du droitinternational de l'information qui vont jusqu'à dire, à bon droit, que si la critique,la diffamation et l'injure sont au plan légal considérées comme des crimes, ellesn'en constituent pas moins, dans une perspective de critique politique, une pratiquede la critique autorisée.75 La critique autorisée s'inscrit dans l'esprit des préambulesdes constitutions respectives des pays maghrébins, lesquels préambulescontiennent des slogans formulés dans un registre de langage juridique bien

(75) Îmad Abdelhamid An-Najjar, La critique autorisée dans le droit comparé, le Caire, la Maisonde la Renaissance Arabe, deuxième édition, 1996.

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élaboré et précis. Ces slogans affirment la liberté de presse et d'opinion dans unsens démocratique. Au Maroc, par exemple, le respect de cette liberté est affirmépar la constitution, mais, dans les faits, la critique qui s'adresse aux responsablesgouvernementaux n'est pas autorisée. Peut-être la poursuite engagée contre NoubirAmaoui, à la suite de l'interview accordée en 1992 au journal espagnol «Al Pais»,est-elle la preuve la plus irréfutable de cette contradiction entre le principeconstitutionnellement affirmé et les faits de la pratique.76

Troisièmement : l'interdiction des publications pour cause d'atteinte à la moraleet aux mœurs publiques

Les législations maghrébines relatives au domaine de l'information prévoientl'interdiction de publier un ensemble d'écrits et de documents, sous couvert de laprotection des droits de la défense. C'est ce qui ressort de l'article 54 du Codemarocain de la presse qui interdit la publication des actes d'accusation et tousautres actes de procédure criminelle ou correctionnelle, avant d'être donnés enlecture en audience publique. En effet, cet article prévoit ce qui suit : «il estinterdit de publier les actes d'accusation et tous autres actes de procédurecriminelle ou correctionnelle avant d'en débattre en audience publique sous peinede 5.000 à 50.000 dirhams d'amende».

«En cas d'infraction constatée, les mêmes peines seront appliquées à lapublication, par tous moyens, de photographies, de gravures, dessins ou portraits,ayant pour objet la divulgation ou la reproduction de tout ou partie des circonstancesd'un crime ou délit, de meurtre, d'assassinat, parricide, infanticide, empoisonnement,menaces, coups et blessures, atteinte à la moralité et aux mœurs publiques ouséquestration par la force.

«Toutefois, il n'y aura pas de délit lorsque la publication aura été faite sur lademande écrite du juge chargé de l'instruction. Cette demande restera annexée audossier de l'instruction».

A quelques différences de formulation près, si ténues que l'on ne peut faire dedistinctions entres les deux textes, nous retrouvons le contenu de cet articleexhaustif, avec tous les détails et les précisions qu'il fournit, dans le Codetunisien de la presse.

Il existe une sorte de similitudes entre l'article 63 du code tunisien et l'article 54du code marocain en ce qui concerne l'obtention de l'autorisation du tribunal

(76) Une série de mémoires et de recherches soutenus sous la direction de l’auteur par les étudiantsdu troisième cycle à la Faculté de droit de Casablanca ou par les étudiants de l'Institutsupérieur de l'information de Rabat ont traité l'«affaire Amaoui» dans le cadre des poursuitesjudiciaires contre la presse.

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préalablement à la publication qui, faute de telle autorisation, ne devient légalequ'après que lecture en ait été faite des affaires qui sont soumises à la justice dudittribunal. Il en est de même concernant la fixation des peines appliquées à l'auteur decet acte, et ce, même lorsque la divulgation est réalisée par tout autre moyend'information, notamment par le moyens des photographies, etc.

En outre, les codes respectivement tunisien et marocain, au dernier alinéa desdeux articles respectifs visés ci-dessus, prévoient que l'autorisation depublication préalable enlève le caractère de délit à celle-ci, toutes les fois queladite publication fait l'objet d'une demande préalable présentée au juge chargéde l'instruction et jointe au dossier d'instruction. Quant à la législation algérienneréglementant la liberté de l'information, l'on constate qu'il ne s'écarte pas deslégislations marocaine et tunisienne. Ses dispositions en la matière sont, dansleurs détails mêmes, nettement similaires à celles prévues par celles-ci. C'est cequi ressort de l'article 89 de la loi algérienne qui reprend les dispositions des deuxautres législations, relatives à l'interdiction de la divulgation, par tout moyen,qu'il soit une photographie ou un dessin ou autres formes illustratives, qui relatetous ou partie des circonstances des crimes et délits, sous peine des sanctionsprévues par l'article 90 de cette même loi.

u Concernant la question des publications interdites, traitée de façon assezcirconstanciée par les législations maghrébines relatives au domaine del'information, nous constatons que la législation algérienne donne plus dedétails et se fait plus précise que les autres. Elle a consacré à cet aspect lesarticles 89, 90, 91, 92, 93, 94, 95 et 96, soit au total huit articles, alors que lalégislation marocaine l'a traité en trois articles, 54, 55 et 75. Moins encore, leCode tunisien de la presse ne lui a réservé que deux articles, 63 et 64.

L'interdiction prévue par le législateur maghrébin, dans le domaine del'information de la publication des informations judiciaires par les moyensd'information de toutes sortes, répond à l'exigence de prévenir le risque de débattredes poursuites judiciaires dans les lieux et espaces publics et, du coup, d'en faire desquestions d'actualité. Il y est également question de faire respecter par la presse lamorale et les modes de conduite propres à la société musulmane. S'il y a accord dansle traitement de cet aspect dans le sens de l'interdiction de la divulgation de ce typeparticulier d'informations, sauf autorisation du juge, et si, excepté la législationmauritanienne, ce traitement est opéré de façon suffisamment détaillée, leslégislations maghrébines en question, excepté le Code marocain de la presse, n'ontpas prêté attention aux faits susceptibles de porter atteinte, ou contraires, à la moraleet aux mœurs publiques.

Le législateur marocain a traité cette question sensible et controversée sous undouble rapport. Le premier aspect est lié aux délits qui portent atteinte aux

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mœurs publiques et revêtent un caractère général ; le second concerne lespublications contraires. Celui-ci est traité dans les articles 59 et 64 ; l'autre dansles articles 65 et 66.

Ainsi, l'article 65 du Code marocain de la presse punit quiconque aurafabriqué ou détenu en vue d'en faire commerce, distribution, location, affichageou exposition ou importé ou fait importer des dessins, des films et desphotographies pornographiques. Les peines sont particulièrement sévères quandde tels supports, à contenu licencieux, sont offerts à des mineurs. L'article 66 lesa, lui aussi, formellement interdits en raison de leur caractère licencieux et desdangers qu'ils constituent pour les mineurs ayant moins de 18 ans, et ce, quel quesoit le public auquel ils sont destinés, catégories jeunes ou autres. L'interdictiontrouve sa justification dans le caractère permissif de ces supports et dans l'aspectcriminel associé à leur circulation.77

Mais, pourquoi les autres législations maghrébines n'ont pas traité la questionde ce genre de publications, avec le même degré d'intérêt constaté chez lelégislateur marocain ? Est-ce parce que les législateurs dans les autres paysmaghrébins renvoient implicitement aux dispositions de la loi pénale en lamatière, lesquelles sont supposées être applicables au secteur de l'information ?Si telle est la raison de ce silence, celui-ci n'en demeure pas moins gros derisques, et n'en constitue pas moins une atteinte à l'autonomie du droit del'information qui est censé réglementer et punir toute provocation, par la voie dela presse et des autres moyens d'information, à la discrimination raciale, àl'atteinte à l'ordre public, au mépris des religions, au terrorisme et à la moralitédes jeunes gens. En effet, la presse se doit de respecter les valeurs et les bonnesmœurs de la société, de se garder de s'en affranchir et de se constituer en agentd'éducation aux bonnes mœurs, plutôt que de jouer à être un facteur inducteur decorruption et de déviation ou une voix incitant à l'immoralité.

Troisième section : les insuffisances et les lacunes des loisréglementant la presse dans les paysmaghrébinss

Il y avait un grand espoir de voir se renforcer la liberté de l'information et laliberté d'expression, à la suite des évènements politiques et l'engagement desrégimes maghrébins dans l'ère d'ouverture, vers la fin des années 1980 et le débutdes années 1990. Cet espoir s'est renforcé lorsque ces régimes ont affiché leurvolonté de se pencher sur les problèmes de l'information et des médias et de

(77) Ali Karimi, La jeunesse maghrébine et le droit à l'information : contribution au troisièmecolloque arabe organisé par le journal tunisien «Al Horra», en Tunisie, les 18 et 19 mai 2010.

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l'exercice des libertés dans ce domaine, et de dépasser les obstacles qui empêchentces libertés de se concrétiser, sachant que ces obstacles ont été érigés par latroisième génération de lois qui les réglementent, à savoir la loi de 1982 enAlgérie, la loi de 1975 en Tunisie et la loi de 1973 au Maroc. Ainsi les révisionsconstitutionnelles adoptées en 1988, en Tunisie, en 1989, en Algérie, en 1991 enMauritanie, et en 1992, au Maroc étaient décisives dans la mesure où elles ontréaffirmée le respect de la liberté de l'information, du pluralisme et du droit àl'information.78 Mais y avait-il effectivement une volonté sincère de rompre avecl'anti-pluralisme entretenu depuis 1965 par les quatre régimes maghrébins ?

La lecture des lois de la troisième génération qui réglementent le domaine del'information dans les pays maghrébins, permet de dire que la loi de 1988, enTunisie, la loi de 1990, en Algérie, et la loi de 1991, en Mauritanie, ont fait l'objetd'un débat entre les différents partenaires concernés par le secteur de l'informationpour traiter les aspects problématiques et les lacunes constatés dans ces lois etrevendiquer leur révision. En effet, des slogans sont scandés, ça et là, dans lespays maghrébins, revendiquant avec un ton inédit la concrétisation effective dupluralisme en matière d'information. Au Maroc, par exemple, le Colloque nationalorganisé au printemps 1993 s'est conclu par des recommandations, que legouvernement de l'alternance par entente s'est employé à traduire en dispositionsjuridiques. En Tunisie, de multiples tentatives ont été faites pour combler leslacunes de la loi de 1988. En Algérie, les acteurs du secteur de l'information et dela presse et du domaine des droits de l'homme revendiquent toujours l'instaurationdu pluralisme. En Mauritanie, la loi de 1991 a été révisée en 2006, mais unerévision plus poussée fait toujours l'objet de revendications formulées par lesacteurs du secteur des médias. De même, des revendications ont appelé à larévision du Code marocain de la presse de 2002, dès son entrée en vigueur. Ilexiste donc dans les pays du Maghreb une tendance revendicative permanente,appelant à une quatrième génération de lois pour réglementer le secteur del'information. Les revendications qui appellent aujourd'hui au Maroc à la révisiondu code de 2002 en témoignent. L'on observe la même tendance en Tunisie et enAlgérie. En fait, il existe nombre d'aspects qui doivent être traités par les loismaghrébines relatives au domaine de l'information. Certains d'entre eux sontévoqués dans les textes de ces lois, mais réglementés par d'autres lois autonomesrelatives à certains aspects institutionnels du secteur, telles que celles relatives àla création et aux attributions du Conseil supérieur de l'Information, ou pard'autres lois que celles réglementant la presse. D'autres encore, tel que le statut dejournaliste professionnel, sont réglementés par une loi spécifique dans certains

(78) El Fassi Fihry Ghyslane : Evolution des régimes politiques marocain et tunisien, étudecomparative, thèse de doctorat d'Etat, Faculté de droit de Rabat, Agdal, 2005, p. 129.

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pays ou intégrés à la loi sur la presse dans d'autres. D'autres aspectsproblématiques restent encore à traiter, à savoir la question de l'informationélectronique, l'interdiction et la suspension administrative,79 les concepts auxcontours imprécis, la transformation des lois réglementant le secteur del'information en loi pénale et même le recours aux dispositions du droit pénal,pour renforcer le dispositif répressif, etc.

Ces questions exigent, dans leur ensemble, une réflexion sur le mode detraitement qu'il faudrait adopter pour traiter les problèmes qu'elles posent etprocéder à une révision de la troisième génération de lois maghrébines,réglementant le domaine de l'information, en s'inspirant du droit comparé. Peut-être est-il utile de prendre l'exemple sur le projet de loi marocain actuellementsoumis au parlement. En effet, si ce projet fait l'objet d'améliorationssupplémentaires, il constituera en la matière un modèle avancé pour les lois de laquatrième génération.

Premièrement : l'absence de la notion de code dans les législations relatives à lapresse dans les pays maghrébins

Il est clair qu'il n'existe pas dans les pays maghrébins de loi relative audomaine de l'information qui ait la forme d'un code global, intégrant toutes lesquestions liées à la réglementation de ce domaine. En effet, il existe plusieurs loisqui réglementent le processus de production et de communication del'information, notamment dans le domaine de la presse, et qui traitent de façonautonome certains aspects particuliers du domaine global de l'information, enl'occurrence le Conseil supérieur de l'Information, le statut juridique dejournaliste professionnel et la presse électronique.

1. Les aspects non traités par les législations relatives à la presse

a) Le statut de journaliste professionnel

Les lois sur la presse qui ont été respectivement édictées dans les paysmaghrébins, après l'indépendance, auraient dû revêtir un caractère global etintégrer le statut de journaliste professionnel, plutôt que de l'exclure et d'en fairel'objet d'une loi spécifique, comme ce fut le cas en Tunisie ou au Maroc. En fait,les lois réglementant la liberté de la presse tunisienne et marocaine n'ont pasintégré le statut de journaliste dans leurs dispositions, celui-ci ayant fais dans lesdeux pays l'objet d'une loi spécifique. Ainsi, au Maroc, depuis la promulgation

(79) Cf. : une étude non publiée conduite et présentée en février 2005 par l’auteur pour le comptedu Ministère de la Communication au Maroc sur les lacunes les points de défaillancejuridiques qui entachent encore le Code marocain de la presse de 2002.

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de la loi de 1958, et même après les révisions de 1973, aucun intérêt ne fut portéà l'idée d'intégrer le statut de journaliste professionnel dans la loi sur la presse,celui-ci étant demeuré réglementé par la loi de 1942.80 Il s'agit d'une vieilleloi,faisant partie de l'arsenal juridique qui réglementait le domaine de la pressependant la période coloniale. Et même lorsqu'elle a été modifiée en 1995, lelégislateur n'a pas jugé opportun de l'incorporer au Code de la presse à l'occasionde sa révision en 2002. Elle est alors restée séparée de ce code.

Le statut de journaliste professionnel est réglementé par la loi mauritanienneen son article 6, qui dispose que celui-ci doit être titulaire d'un diplôme dejournaliste ou d'un diplôme d'études supérieures, et attester d'une expérience d'aumoins deux ans dans un média public ou privé, écrit ou audiovisuel. Son activitéessentielle rémunérée consiste à traiter et à transmettre les informations. Auxtermes de cet article, sont dotés de statut de journaliste professionnel lesmonteurs et les réalisateurs, ainsi que ceux qui prennent part au processus deproduction et de transmission des informations. Toutefois, les professionnels etles agents de publicité, ainsi que les coopérants à titre temporaire, en sont exclus.Ces dispositions ne couvrent pas tous les aspects liés à ce statut. Concernant saréglementation, cette loi renvoie, plutôt, à un décret qui spécifie notamment lesmodalités d'octroi de la carte de journaliste professionnel. Certes, la loimauritanienne n'a réservé au statut de journaliste professionnel qu'un seul article,mais, contrairement au Code marocain de la presse, elle l'a tout de même intégrédans son texte. Toutefois, comme il en a été précédemment fait mention, unprojet de loi est soumis au parlement marocain qui, au lieu de laisser à un autrecadre juridique - la loi portant statut de journaliste professionnel - que le Code dela presse le soin de le réglementer, intègre le statut juridique de journalisteprofessionnel dans son dispositif.81

Quant à la législation tunisienne, le statut de journaliste professionnel estintégré au Code du travail au lieu de faire l'objet d'une spécifique, l'incorporantainsi à un autre cadre juridique. Ainsi, le code précité le réglemente en unesuccession d'articles de 397 à 408.82

(80) Cf. : au sujet du journaliste professionnel dans le droit marocain : P. José Mollard, Le régimejuridique de la presse marocain, Faculté de droit de Rabat, 1963, p. 153.

(81) Il existe deux études sur la loi portant statut de journaliste professionnel au Maroc. (82) Cf. : le cCode du travail daté du 30 avril 1966, titre 15, publié au Bulletin officiel de la

République Tunisienne du 17 mai 1966, p. 930.

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Ainsi, si la loi mauritanienne sur la presse a réservé quelques dispositions à laréglementation du statut de journaliste professionnel, et renvoie à un décret pource qui concerne les points de détail, la loi algérienne de 1990 lui consacré tout untitre, à savoir le troisième qui est intitulé : «l'exercice de la profession dejournaliste», en en donnant une caractérisation réglementaire dans unesuccession d'articles allant de 28 à 40.

L'on distingue donc, en ce qui concerne le statut juridique de journalisteprofessionnel, quatre orientations dans la législation maghrébine réglementant ledomaine de l'information. La première le traite de façon détaillée dans le cadrelégislatif qui organise le secteur de l'information ; la loi algérienne s'y inscrit. Laseconde est constatée dans l'expérience marocaine : le Code de la pressen'accorde pas de place au statut de journaliste professionnel dans son dispositif,laissant le soin de le réglementer à une autre loi autonome. Dans la troisième,constatée dans l'expérience mauritanienne, la loi portant la liberté del'information l'évoque dans ses dispositions, mais, concernant la réglementationdétaillée du statut de journaliste professionnel, elle renvoie à un texte de loi àvenir ou déjà en vigueur, telle que la loi portant création du Conseil supérieur del'Audiovisuel. Dans la quatrième, celle de la législation tunisienne, le code de lapresse renvoie, concernant la réglementation du point en question, à un autrecode bien distinct du premier, à savoir le Code du travail. Cette dernièreorientation est caractéristique de l'expérience législative tunisienne.

b) Le Conseil supérieur de la Presse

Certaines législations magrébines réglementant le domaine de la presse n'ontpas été sensibles à l'idée de créer un Conseil supérieur de l'Information ou unConseil national de l'Information. Nous constatons jusqu'aujourd'hui, au Marocet en Mauritanie, que leurs lois respectives de 2002 et de 2006 ne font pasmention du conseil supérieur de la Presse, excepté une disposition dans lapremière loi disposant qu'il sera créé une institution ayant pour missiond'organiser et d'encadrer le secteur de la presse. Ainsi, l'article 5 de cette loiprévoit qu'«en vue de la régulation du secteur de la presse, il sera institué, par lavoie législative, une autorité indépendante de régulation». Se pose alors laquestion suivante : peut-on considérer que la création du «Conseil supérieur del'Audiovisuel» est la concrétisation des dispositions prévues par l'article susvisé? Il est sans doute le cas, d'autant plus qu'outre les dispositions relatives ausecteur de l'audiovisuel, la loi portant création de cette institution contient desdispositions ayant pour objet la régulation du secteur de la presse.83

(83) Cf. : la loi mauritanienne relative au secteur audiovisuel.

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Quant à la loi algérienne n° 70-09 du 3 avril 1990, elle a consacré au conseilsupérieur de l'Information une succession d'articles allant de 59 à 76, soit au total17. Ceux-ci définissent les missions attribuées à ce conseil. Ainsi, le premieralinéa de l'article 59 prévoit ce qui suit : «Il est institué un Conseil supérieur del'Information, autorité administrative indépendante de régulation, jouissant de lapersonnalité morale et de l'autonomie financière. A ce titre, il est chargé de veillerà l'application de la présente loi…». Il convient de rappeler qu'il existe en Algérieune loi unifiée, qui englobe le secteur de l'audiovisuel et le domaine de la presse.Ainsi, le conseil est chargé, entre autres attributions, de la régulation et ducontrôle de ces deux secteurs. Le cadre de la présente étude ne permet pas,cependant, de caractériser ces attributions.84

Le Code tunisien de la presse, même après sa révision, n'a fait dans son texteaucune mention du Conseil supérieur de l'Information. Le législateur tunisien luia, néanmoins, réservé une loi séparée dudit code. Le Conseil supérieur del'Information a été institué en Tunisie en vertu de l'ordonnance n° 238, prise en1989 et restructuré en vertu de l'ordonnance n° 999 du 2 mai 2002.85 Il faut noterqu'aux termes de certaines dispositions de cette ordonnance, ce conseil a été créépour assurer la régulation aussi bien du secteur de la presse que le domaineaudiovisuel, alors même que ce cadre institutionnel n'est pas intégré au Code dela presse et que celui-ci et la loi sur les médias audiovisuels sont indépendantsd'un de l'autre.

2. Le manque d'intérêt aux médias électroniques

Les législations maghrébines relatives au domaine de l'information n'ontporté d'intérêt aux médias électroniques, en particulier à l'internet dont lesdifférents aspects devraient être réglementés par la loi relative à l'information. Enfait, l'internet et les multimédias devraient être considérés comme faisant partieintégrante de la liberté, à savoir la liberté de pensée, d'expression et de création.En effet, l'objet de la législation réglementant les entreprises de presse estétroitement lié à l'internet, aussi bien au niveau de la gestion qu'au plan del'exercice des libertés, en l'occurrence la liberté de production, de maniement etde diffusion dans le réseau dont il est constitué et qui transcendent les frontièresgéographiques.

(84) Cf. concernant ce conseil, ainsi que son mode de composition et son règlement intérieur ettous les points y afférents la République Algérienne Démocratique et Populaire : Conseilsupérieur de l'Information, texte constitutif, 1991.

(85) Mohammed Hamdane, Les législations relatives au domaine de l'information en Tunisie,Textes fondamentaux, l'Institut du journalisme et des sciences de l'information, Départementdes recherches en communication, la Tunisie, 2005.

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En partant de ce constat, n'est-il pas opportun d'intégrer l'internet et saréglementation dans l'objet du code réglementant le secteur de l'information et dela communication ? Ce code ne devrait-il pas incorporer dans son objet lesmédias écrit et audiovisuel, les conseils supérieurs de l'audiovisuel et les conseilssupérieurs de la presse écrite, le statut de journaliste professionnel, lesdispositions réglementaires relatives à l'internet et aux multimédias, pourconstituer un seul cadre juridique global, contenant toutes les règles et toutes lesdispositions juridiques organisant l'ensemble varié des médias ? En examinant lecadre juridique du secteur de l'information dans chacun des pays maghrébins,nous ferons le constat qu'il n'y existe aucune réglementation de l'information oude la presse électronique, notamment les blogs et les sites électroniques. En effet,ce constat se rend clair à la lecture des textes de loi tunisien, mauritanien etalgérien en la matière. Concernant le Code marocain de la presse n° 00-77, il n'yexiste qu'une seule et unique mention se référant à l'information électronique,86

celle qui figure dans l'article 38 et qui est formulée dans les termes suivants : «ettout moyen électronique….». A défaut de réglementer l'internet par ces lois, l'onapplique aux délits et crimes commis par la voie de l'internet par d'autres loisintégrées essentiellement dans le Code pénal, telles que celles appliquées auxcrimes informatiques ou celles réprimant le terrorisme87, etc. Faute également deréglementer l'internet et d'intégrer les dispositions réglementaires y afférentesdans la loi relative au secteur de l'information dans tous les pays maghrébins,comment peut-on alors traiter les questions liées au voilement des sitesélectroniques ? Cette mesure est-elle assimilable à la saisie et la suspension, ouencore à l'interdiction de la presse ? Sinon, s'en remet-on en la matière àl'appréciation des autorités administrative ? Quelle loi appliquer alors ? Y a-t-illieu d'appliquer la loi réglementant le secteur de l'information et de lacommunication, alors que son domaine d'application se limite à la presse écrite? Peut-on alors appliquer une autre loi dans ce cas spécifique ? Dans tous les cas,ces questions demeurent sans réponses dans l'état actuel de la législation.

En fait, le Maroc a voilé des sites, dont «Youtube». La Tunisie, l'Algérie et laMauritanie ne s'empêchent pas de recourir à la même pratique. Mais quelle est labase juridique sur laquelle s'est appuyé le recours à cette mesure ? Celle-ci n'est-elle pas une confiscation de la liberté d'opinion et d'expression et une grave

(86) Concernant la manière dont la Maroc traite la question de l'internet et celles posées par lasociété de la science et du savoir, cf. : Nasser Hajji, L'insertion du Maroc dans la société del'information et de la communication, éd. Afrique Orient, 2001.

(87) Cf. : Le rapport de fin d'études intitulé «Les lois relatives au domaine de l'internet dans les lepays maghrébins», élaboré par les étudiants Jeddour Hichar et Jaârane Leila, sous la directiondu chercheur, Faculté de droit de Casablanca, 2008-2009, pp. 1-89.

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violation des dispositions des instruments internationaux des droits de l'homme,et même des principes formulés dans le préambules et les dispositions desconstitutions nationales respectives des pays maghrébins, lesquels dispositions etprincipes garantissent à toute personne le droit d'expression, d'opinion et del'information et le droit d'accès à l'information.88

Les opérations de voilement des sites par les autorités se multiplient en Tunisieet en Algérie. Il y est procédé sous prétexte que ces sites ne sont pas identifiables,visent à porter atteinte à la réputation des personnes et contiennent des menacesémanant d'organisations terroristes. Les sites sont voilés alors même que l'on scandedes slogans qui appellent à accorder un large espace de liberté au réseau internet.C'est bien pour cette raison que la question de savoir sur quelle base juridiques'appuie la mesure de voilement des sites électroniques demeure toujours pertinente,sachant que l'on peut aller jusqu'à la détention en cas de sites politiques d'opposition.Les cas où il a été question de voilement des sites électroniques et de poursuitesjudiciaires liées à l'usage de l'internet sont innombrables. En effet, et tout juste à titred'exemple, il a été procédé au voilement du site «le Progressiste» («At-Takaddomi»)et d'autres sites en Mauritanie. Cette pratique a également cours en Tunisie, auMaroc et en Algérie. La réglementation du domaine de l'internet se trouve éparpilléedans plusieurs lois. En effet, l'on trouve, dans l'ensemble des pays maghrébins, deséléments de cette réglementation dans plusieurs lois : la loi relative au commerce etaux contrats électroniques, la loi relative aux télécommunications, la loi punissantles crimes et délits informatiques, la loi anti-terroriste, la loi relative au secteuraudiovisuel et la loi relative aux informations personnelles. Mais, quelle relationexiste entre ces différents corpus juridiques et le cadre législatif le plus adéquat pourla réglementation de ce domaine, à savoir la loi réglementant le secteur del'information et de la communication ? En Tunisie, le premier article del'ordonnance présidentielle n° 50189 rendue le 14 mars 1997 stipule que «laproduction, la présentation, la distribution et la domiciliation des informations sontréglementées par le Code de la presse et la loi relative à la propriété littéraire etartistique». Cet article prévoit donc de façon claire que le Code de la presse n° 32de 1975, avec toutes les révisions qui ont été introduites et tous les textes qui en sontdes annexes, s'applique aux contenus véhiculés par le réseau internet.90 En outre,l'article 14 de cette loi exige des entités qui fournissent ces services qu'elles aient undirecteur qui soit responsable du contenu du service offert aux usagers, et ce,conformément aux dispositions du Code de la presse.

(88) Girolom Starrozzi, La liberté de l'information et le droit international, R.G.D.I.P, 1990, n° 4.(89) L'on peut consulter cette loi parue au Bulletin officiel de la République Tunisienne, n° 24 du

25 mars 1997, pp. 497-489. (90) Jaouhar Jamousi, Le droit de l'internet et des multimédias, op. cit. p. 135.

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Le législateur marocain a porté un certain intérêt à la réglementation del'internet, en tant que moyen d'information. En effet, il a réservé dans le Code dela presse nombre de dispositions aux infractions, délits et crimes commis par lavoie des médias, y compris l'internet. Il a également édicté une loi propre auxcrimes informatiques, en novembre 2003, à savoir la loi n° 30-07, notammentl'article 10-706. Des dispositions pareilles figurent dans la loi anti-terroriste,notamment l'article 2-218. A la lecture de ces lois, nous constatons que lesarticles susvisés reprennent dans les mêmes termes les dispositions de l'article 38du Code de la presse.

Tout comme tous les autres pays du monde, les pays maghrébins ont étésensibles aux évolutions qu'a connues le secteur de l'information et de lacommunication, parce qu'ils n'en ont pas été moins à l'abri. Raison pour laquelleils ont adopté des législations, à différents degrés de développement, pour larégulation du secteur de l'internet et le contrôle de la dynamique fougueuse quile traverse. Toutefois, faute de se donner les moyens juridiques adéquats, ceslégislations n'ont pu réaliser cet objectif de régulation et de contrôle. En effet, lephénomène de la provocation aux crimes terroristes par la voie de l'internet s'estdavantage amplifié. La même ampleur est constatée, concernant l'incitation à lacommission d'autres types de crimes, tels que la divulgation d'informationsconfidentielles à caractère sécuritaire et militaire, etc.

Les Etats maghrébins doivent intégrer les infractions, délits et crimes commispar la voie de l'internet à l'objet de réglementation de la loi, relative au domainede l'information et de la communication. Cette nécessité trouve sa justificationdans le fait que l'internet constitue un moyen de communication, d'informationet d'échange de données. C'est dire que l'internet fait partie intégrante de l'objetde la loi sur la presse, parce que les dispositions qui sont appliquées aux supportspapier et audiovisuel sont applicables à l’électronique, même en ce qui concernel'appel et la provocation au terrorisme. Ceci revient à dire qu'il faudrait ôter lescrimes commis sur le réseau internet de la loi pénale, pour les remettre à leurplace naturelle, à savoir le domaine d'objet de la loi réglementant le secteur del'information et de la communication, dans tous les pays maghrébins. Si lesmédias écrit et audiovisuel constituent un quatrième pouvoir, l'internet estdevenu le cinquième, ce qui met ces pays dans la nécessité de le réglementer, entant que moyen d'information par excellence, dans le cadre de la loi réglementantle quatrième pouvoir. C'est ainsi que les pays maghrébins auront un code unifiéet global de l'information et de la communication, qui réglemente trois supportsd'information et de communication, à savoir les supports papier, audiovisuel etélectronique.

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Deuxièmement : les aspects constituant des handicaps pour la liberté del'information et de la presse dans les pays maghrébins

La promulgation de la nouvelle génération de lois dans les pays maghrébinsest encore récente. Pourtant, des voix appellent déjà à la nécessité de les réviser.Des conflits ont opposé, au Maroc, les parties qui ont élaboré le projet de Codede la presse aux acteurs œuvrant dans le secteur de l'information et dans ledomaine des libertés et des droits de l'homme. Ce projet de code va devenir, parla suite, le Code de la presse en 2002, sans prendre en compte les observationssubstantielles émises par ces derniers et qui mettent le doigt sur les pointsdéfectueux du projet, lequel contenait des lignes rouges à ne pas franchir. Ainsi,aussitôt que des revendications de plus en plus amples avaient commencé àappeler à la nécessité de réviser la loi n° 00-77 de 2002, le gouvernement s'estengagé, depuis 2006, dans l'élaboration d'un projet de révision visant à comblerun nombre de défaillances constatées dans la loi susvisée, et surtout à mettre finaux pratiques de la bureaucratie administrative, telles que l'idée du récépisséprovisoire et du récépissé définitif, transformée dans cette loi, de façon purementarbitraire, en une règle juridique.91 Le nouveau projet vise à exclure toutes lespeines d'emprisonnement, excepté celles sanctionnant l'atteinte à la vie privéedes personnes et aux fondements religieux de l'Etat, avec une caractérisationprécise de la signification à faire revêtir, respectivement, à la notion d'atteinte àla vie privée des personnes et au concept de fondement religieux de l'Etat dansl'exposé des motifs de la loi, ainsi qu'aux notions d'ordre public et de suretépublique. En outre, ce projet est un cadre juridique global qui, outre la loi sur lapresse, englobe les dispositions relatives au statut de journaliste professionnelqui est encore réglementé par la loi de 1942 révisé en 1995, ainsi que la créationd'un Conseil supérieur de la Presse, à l'instar de la formule adoptée en Egypte eten Algérie.

En Algérie, il a été question, depuis les premières années du troisièmemillénaire, d'un projet de révision de la loi de 1991 modifiée en 1993. Certes,cette loi et la révision qui en a été faite revêtent un certain caractère libéral, maisil est besoin de la développer pour répondre aux exigences des acteurs œuvrantdans le secteur des médias et dans le domaine des libertés et des droits del'homme. Les revendications appelant à la révision des lois réglementant lesecteur de l'information, dans les autres pays maghrébins, se sont amplifiées au

(91) Najib Lamnini, Les régimes juridiques des médias écrits et audiovisuels au Maroc, thèse dedoctorat d'Etat, Faculté de droit de Casablanca, Maroc, 2007. Cf. également : Ali Karimi,L'arrière-fond politique des restrictions imposées par la législation marocaine relative ausecteur de l'information et de la communication à la liberté d'opinion et d'expression, leBulletin marocain des recherches en communication, 2003.

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milieu de la première décennie du troisième millénaire. En Tunisie, en effet, desdéclarations ont été faites qui ont exprimé l'intention de donner suite à cesrevendications. Il s'agit, en particulier, de la déclaration de 27 mai 2005, del’ex-président Ben Ali, à l'occasion de la célébration de la Journée nationale de laCulture, dans laquelle il a annoncé la suppression de la mesure relative au dépôtlégal et de la peine appliquée en cas de manquement à l'obligation y afférente. Lebut de la suppression de cette disposition était de donner une poussée libérale àla presse et à promouvoir davantage la liberté de publication en Tunisie. Une loicristallisant cette mesure a été promulguée en 2006.

Il existe encore des handicaps qui empêchent le plein exercice de la liberté del'information, dans les pays maghrébins. Raison pour laquelle des revendicationss'amplifient dans les milieux médiatique et des droits de l'homme, qui appellentà la révision des lois réglementant le secteur de l'information et de la presse dansces pays pour les rendre plus libérales et les expurger des dispositionshandicapant la liberté de l'information et de presse.

En effet, les handicaps, auxquels se trouvent confrontée la promotion de cetteliberté, sont constatés à même le contenu du texte juridique, tout comme dans leseffets de facteurs extra-juridiques, c'est-à-dire au niveau de la manière dontl'administration applique ce texte. En fait, les pratiques bureaucratiques de celle-ci en donnent souvent une application biaisée, basée sur une interprétationdifférente des, ou contraire, aux intentions du législateur. Toutefois, ceshandicaps sont également imputables au caractère imprécis de l'énoncé, ce quidonne lieu à des interprétations qui s'écartent de l'esprit du texte. Suivent ci-aprèscertains des obstacles qui empêchent l'exercice libre du droit de l'information.

1. La notion de récépissé et l'autorité habilitée à la reception de ladéclaration

La série d'obstacles commence, dès qu'il s'agit de déterminer l'autoritéhabilitée à recevoir la déclaration de l'édition d'un journal ou d'un périodique.Dans certains cadres juridiques, comme au Maroc, c'est à la justice que se trouveattribuée cette compétence. En effet, en vertu de la loi marocaine, la déclarationest adressée au procureur du Roi près le tribunal de première instance du lieu oùse trouve le siège principal du journal. Cette disposition est animée d'un certainesprit libéral, étant donné que la justice est censée être neutre. Ce principe estconsacré depuis la promulgation de la loi du 15 novembre 1958, et a toujours étérespecté, même pendant la période de répression dite de plomb, lors de laquelledes modifications ont été introduites dans cette loi, en vertu de la loi du 10 avril1973, pour soumettre la liberté de presse à de fortes restrictions. La loi n° 00-77contient en la matière la même disposition. Seulement, elle a inventé la

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procédure du récépissé provisoire et du récépissé définitif. Mais, à en juger parle contenu du texte du projet de loi soumis actuellement au Parlement, il y aaujourd'hui une volonté affirmée d'abandonner cette mesure.

En Algérie, la réglementation appliquée à la création des journaux et despériodiques est passée par deux étapes. Dans un premier temps, l'édition de cespublications était soumise, depuis 1963, au régime d'autorisation. Cettedisposition a été reprise par la loi de 1982. Dans un second temps, et sous leseffets des évènements de 1988, un changement en la matière a eu lieu dans unsens qu'on peut qualifier, dans une certaine mesure, de libéral. Cette orientationest manifeste dans la loi de 1990. En effet, l'article 14 de cette loi prévoit ce quisuit : «L'édition de toute publication périodique est libre. Elle est soumise, auxfins d'enregistrement et de contrôle de véracité, à une déclaration préalable, trente(30) jours avant la parution du premier numéro. La déclaration est enregistréeauprès du procureur de la République territorialement compétent du lieu deparution de la publication. La déclaration est faite sur papier timbré, signée par ledirecteur de la publication. Il lui en sera délivré sur le champ un récépissé». Ladisposition contenue dans cette dernière phrase vise à prévenir certaines pratiquesbureaucratiques de nature à empêcher l'édition de publications, alors même que ledossier de la déclaration contient touts les documents requis. Toutefois, l'article 6de cette loi prévoit que l'édition d'une publication en langue étrangère est soumiseà l'avis du Conseil supérieur de l'Information. Mais, en dépit de cette dispositionrestrictive, d'aucuns arguent que cette loi constitue une véritable révolution dansl'histoire de la presse algérienne.92

En Mauritanie, l'article 9 de la loi n°017 sur la liberté de la presse promulguéeen 2006 prévoit ce qui suit : «l'édition d'un journal est libre, sans autorisationpréalable et sans dépôt de caution, après dépôt de déclaration prévu par l'article11». Celui-ci prévoit qu' «avant l'édition de tout journal ou périodique au bulletinofficiel, un avis est signifié, par le moyen d'une déclaration, au parquet ou autribunal compétent….». Il ressort de ces dispositions que la législationmauritanienne est similaire à celles respectivement en vigueur au Maroc et enAlgérie. En effet, dans ce pays aussi, la déclaration est adressée à la justiceconsidérée comme étant une autorité neutre. Toutefois, la législationmauritanienne ne précise pas si cette déclaration est accompagnée ou non derécépissé. Cet aspect, en effet, y est passé sous silence.

Quant à la Tunisie, sa législation se démarque nettement des autreslégislations maghrébines concernant l'autorité habilitée à recevoir la déclaration.

(92) Mohammed Kirat, La liberté de la presse en Algérie avant octobre 1988, ouvrage collectif,L'information au Maghreb, la Tunisie, 1992, p. 166.

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En effet, dans ce pays, le dépôt de déclaration a lieu auprès de l'autoritéexécutive, plus précisément auprès du ministère de l'Intérieur. Malgré lesmodifications qui ont été introduites successivement en 1988, 1993 et 2001 dansla loi de 1975, celle-ci, contrairement aux trois autres législations maghrébines,persiste à désigner le pouvoir exécutif à la réception de la déclaration. Toutefois,tout comme les autres législations, elle prévoit que le récépissé est remisimmédiatement après dépôt de déclaration. En effet, l'article 13 de cette loiprévoit ce qui suit : «Une déclaration est remise au ministère de l'Intérieur avantl'édition de toute publication périodique. La déclaration est faite sur papiertimbré, signée du directeur de la publication. Il lui en sera délivré sur le champun récépissé».93 Si, comme toutes les autres législations, la loi tunisienne,influencée par la législation française, stipule que le récépissé est remisimmédiatement après dépôt de déclaration, cette disposition peut, cependant, êtrecontournée. Une telle pratique n'est pas moins possible en Algérie ou au Marocqu'en Tunisie. Néanmoins, la déclaration peut, en Tunisie, se transformer enautorisation dans la mesure où elle est remise au ministère de l'Intérieur, celui-ciétant à la fois partie et juge. Ce détournement n'est pas moins réel au Maroc eten Algérie où, pourtant, la déclaration est déposée auprès de l'autorité judiciaire,l'application y étant en réalité loin d'être conforme à la lettre et à l'esprit du textejuridique. C'est dire que la procédure de déclaration devient une procédured'autorisation. Il y avait au Maroc, par exemple, toujours moyen pour lesautorités administratives de contourner cette formule libérale, pendant la périodequi s'étale entre 1973 et 2002. Toutefois, le Code de la presse 00-77 a inventé latechnique du récépissé provisoire et du récépissé définitif qui permet de sedébarrasser des journaux et des publications indésirables.

2. L'invocation des considérations d'ordre public

Le terme est assez vague pour servir de moyen pour freiner les ardeurs de lapresse, et interdire l'édition et l'offre au public de journaux dans les pays objet dela présente étude. Nul ne conteste la nécessité de préserver l'ordre public et lasûreté intérieure et extérieure de l'Etat94. Il y a, cependant, danger à invoquer, sansles définir, les considérations d'ordre public et à s'en remettre à l'interprétationqu'en donnent les autorités administratives, et même l'autorité judiciaire.

La notion d'ordre public est un accordéon que l'on étend et comprime selon lesconditions et les circonstances politiques qui déterminent l'action de l'Etat. Certes, il

(93) Cet article figure dans toutes les lois successives tunisiennes : dans la loi n° 32 datée du 28février 1975, suivie de la révision qui en a été faite en vertu de la loi n° 85 datée du 2 août1993 et des modifications qui y ont été introduites en 2001.. etc.

(94) P. Bernard, La notion d'ordre public en droit administratif, L.G.Q.J, Paris, 1962.

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n'est pas question de porter atteinte à l'ordre public. Mais, il convient de noter quela violation de la liberté d'opinion et d'expression, ainsi que, de la liberté del'information constitue en soi une atteinte à l'ordre public. Ceci parce que ces libertéssont partie constitutive de ce dernier. Il ne faut pas accepter qu'elles soient violées,parce que la violation des droits de l'homme constitue une atteinte à l'ordre public.

Des décisions prononcées par la justice française, notamment par le Conseild'Etat, dans des affaires liées à la liberté de l'information, ont montré comment laportée conceptuelle de l'ordre public s'élargit et se rétrécit. Cette portée devientextensive dans des contextes marqués par les perturbations, tels que ceux de laPremière et la Seconde Guerre mondiales et se rétrécit en tant de paix et de stabilitépolitique.

Il y a dans les législations maghrébines des signes forts qui donnent àcomprendre que tous les journaux et tous les médias, qui rendent publiques desinformations de nature à porter atteinte à l'ordre public et à la sureté intérieure etextérieure, etc. sont passibles de sanctions. En Algérie, par exemple, la loi du 3 avril1993 prévoit des peines sévères à l'encontre de quiconque aura publié desinformations qui portent atteinte à la sureté de l'Etat ou à l'unité nationale, ou quiconstituent un outrage envers l'Islam, ou qui révèle des informations économiquesconfidentielles de l'Etat et les informations confidentielles à caractère stratégique,ou des informations confidentielles à caractère militaire ou sécuritaire de l'Etat. L'onrencontre les mêmes dispositions dans les différentes autres législationsmaghrébines. Au Maroc, par exemple, l'article 77, ainsi que d'autres articles de la loin° 00-77, traitent de cet aspect.

L'ordre public et la sureté intérieure et extérieure, et les questions de la morale etdes mœurs publiques sont traitées par l'article 19 du Pacte international des droitscivils et politiques. Cet article prévoit la possibilité pour l'Etat de soumettre la libertéd'opinion et d'expression à des restrictions, en vue d'assurer sa propre protectiondans certaines circonstances exceptionnelles. Toutefois, ces restrictions, qui revêtentun caractère provisoire, sont levées une fois le caractère exceptionnel de cescirconstances qui en ont justifié l'adoption n'est plus justifiable. En outre, lesmesures de restriction auxquelles se trouve soumis l'exercice de ces libertés doiventêtre prises en vertu d'une loi.

Il convient de noter que les Etats maghrébins invoquent de façon excessiveles considérations d'ordre public, et celles liées à la morale et aux mœurspubliques et à la sûreté de l'Etat. En général, ils prennent des mesures quirépriment à l'excès la liberté d'opinion et d'expression, prétextant que cette libertéconstitue une menace pour les fondements politiques et religieux de l'Etat. Cesmesures visent la presse qui échappe au contrôle de l'Etat, notamment la presse

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indépendante oul'opposition. Il ressort, de ce qui précède, que la loi quiréglemente le secteur de l'information, dans ces pays, se transforme dans les faitsen une loi pénale de l'information, en raison des peines d'emprisonnement et desamendes qu'elle prévoit.

3. Un droit des médias ou un droit pénal des médias ?

Toutes les législations magrébines, relatives au domaine de l'information quiconstituent l'objet de la présente étude, donnent l'impression forte qu'elles sonteffectivement des lois pénales réglementant la liberté de l'information et de lapresse. Cette impression trouve sa justification dans les dispositions répressivesqu'elles contiennent, et qui en constituent la majeure partie. En effet, malgré lasuppression ou l'allègement de certaines peines d'emprisonnement, le dispositifrépressif prévu par les législations maghrébines demeure toujours inhibitif. A titred'exemple, la législation marocaine a supprimé, en vertu des modifications qui yont été introduites en 2002, un ensemble de dispositions à caractère pénal. Lamême orientation est constatée, sous une autre forme, dans l'exemple tunisien. EnTunisie, en effet, un ensemble de sanctions d'ordre pénal a été supprimé de la loiréglementant le domaine de l'information et de la communication, pour être intégrédans la loi proprement pénal. Ainsi, le troisième titre de la loi tunisienne qui fixeles peines sanctionnant «l'affichage sur les murs, le transport et la vente sur la voiepublique» a été incorporé dans le Code pénal. Il en est ainsi, par exemple, pourl'article 35 qui a été inséré dans le Code pénal sous n° 315 bis, en vertu de la loi n°43 de 2001 du 2 mai 2002, l'article 37 qui a été, lui aussi, intégré dans ce code sousn° 303 bis en vertu de ladite loi, l'article 38 incorporé dans la loi pénale sous n° 303ter, ainsi que l'article 39 inséré dans la même loi sous n° 321 bis.95

Il convient de signaler également que d'autres peines ont été définitivementsupprimées, lors de la période transitoire qui a commencé au lendemain desévènements survenus en Tunisie à partir du 7 novembre 1987. Il s'agitprécisément des articles 40 et 41 supprimés en vertu de la loi n° 89 promulguéeen date du 2 août 1988.

Mais, en dépit des révisions dont la législation a fait l'objet en 2001 et,subséquemment, de la suppression de certaines peines, les acteurs du secteur del'information n'ont cesse de revendiquer d'autres modifications de cette loi dansle sens de la suppression de l'ensemble des peines d'emprisonnement. Les mêmesrevendications sont formulées par les acteurs actifs dans le champ médiatique etdans le domaine des droits de l'homme au Maroc, en Algérie et en Mauritanie.En effet, des voix s'élèvent qui appellent à la suppression de ces peines, d'autant

(95) L'article 45 a été également intégré dans le Code pénal sous n° 220 bis en vertu des statuts 43de 2001.

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plus qu'il existe une tendance générale dans tous les pays du Maghreb à lasuppression de certaines peines déjà allégées, comme au Maroc où cetallégement a été opéré en vertu de la loi de 2002.

En Algérie, un changement a touché, pendant la période allant de 1982 à1990, les dispositions relatives aux sanctions pénales. Ces dispositions figurentdans le cinquième titre en une succession d'articles allant de 85 à 128, soit autotal 43. Ce nombre élevé nous incline à croire que nous sommes plutôt devantune loi pénale, qu'en présence d'une loi réglementant la liberté de l'information.

Ce jugement vaut tout aussi pour la loi de 1990, malgré l'allégement dessanctions d'ordre pénal qui constituent une amélioration, comparativement à laloi de 1982. En effet, en dépit de l'orientation libérale dans laquelle elle a voulus'inscrire, la loi de 1990 n'est pas moins répressive que les lois respectivementmarocaine et tunisienne. Ce caractère répressif se rend visible à la lecture desarticles 77, 81, 82, 83, 86, 88, etc.96

Il faut rappeler que l'allégement insuffisant des sanctions pénales est l'effetdes évolutions politiques qu'ont connues ces pays. Il est également lié auxévolutions qu'a connues la question des droits de l'homme, dans un contexteinternational marqué notamment par l'émergence du nouvel ordre mondialcaractérisé par la mondialisation de l'idéologie libérale, de la démocratie et desdroits de l'homme, ce qui signifie la mondialisation de la liberté de l'informationet de la liberté d'opinion et d'expression.

4. Du droit pénal des médias au recours au droit pénal

L'on recourt souvent dans les pays maghrébins à l'application de la loi pénale,dans le cas des délits et crimes commis par la voie des moyens d'information. Eneffet, les législations réglementant la liberté de l'information au Maroc, en Algérie,en Tunisie et en Mauritanie sont souvent perçues par les chercheurs comme des loispénales sur la liberté de l'information. Pourtant, et malgré cette qualification, l'onrecourt souvent, quand il est question de poursuivre la presse, aux dispositions de laloi proprement pénale dans l'ensemble des pays objet de la présente étude, pour lesappliquer à des affaires liées à l'exercice de la liberté de l'information. Ce recours alieu dans le cas où l'objectif consiste à condamner le coupable à une peine pluslourde que celles, déjà assez lourdes, prévues par le texte de loi réglementant le

(96) La loi algérienne de 1990 a été considérée comme étant une loi pénale sur la liberté del'information. Le caractère pertinent de cette qualification se rend manifeste à la lecture desdifférents articles susvisés, notamment l'article 77 qui prévoit l'application d'une peine de 6 moisà 3 ans d'emprisonnement à tout acte outrageux envers les religions d'origine révélée et l'article84 qui condamne à une peine de 5 à 10 d'emprisonnement les publications qui constituent desmenaces à la sûreté de l'Etat et à l'unité nationale.

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secteur de l'information et lorsque celles-ci sont jugées insuffisantes. Le recours auxdispositions de la loi pénale est mû par le souci d'appliquer des peines plus sévères,et plus répressives, que celles prévues par la loi qui réglemente la liberté del'information. Le problème posé est que cette dernière loi est autonome ; il s'ensuitque, quand bien même elles seraient sévères au regard de la nature de leur domained'application, les peines prévues par la loi réglementant l'exercice de la liberté del'information sont celles qui doivent être appliquées, en cas de poursuite engagéecontre les médias.

Mais l'on a souvent recours aux dispositions de la loi pénale. Nous pouvons enadministrer la preuve en donnant des exemples de la pratique marocaine en lamatière. En effet, l'autorité judiciaire recourt dans plusieurs cas à l'application de cesdispositions, pour prononcer des jugements dans des affaires liées à l'exercice de laliberté de l'information. Il s'agit, en particulier, du recours à l'application de l'article87 du Code pénal dans plusieurs poursuites judiciaires. Les journalistes sont alorsinterdits d’exercice professionnel pour une période déterminée.

Il y a aujourd'hui obligation de mettre en avant la nécessité de réviser la loiréglementant le secteur de l'information au Maroc, en Tunisie, en Algérie et enMauritanie, en supprimant les peines qu'elle prévoit concernant les infractions,délits et crimes de presse. Une telle révision s'inscrit dans la tendance mondiale. Eneffet, le rapporteur spécial de l'ONU a demandé, dans son rapport sur «la promotionet la protection du droit à la liberté d'opinion et d'expression», à tous lesgouvernements de veiller à ce que les crimes de presse ne soient pas sanctionnés pardes peines d'emprisonnement, sauf ceux liés au racisme, à la discrimination racialeet à la provocation à la violence. En fait, la peine d'emprisonnement, commesanction, constitue une menace pour la liberté d'opinion, et son application uneviolation grave aux droits de l'homme tels qu'ils sont universellement reconnus. Ilsemble que les acteurs aussi bien dans le champ médiatique et le domaine des droitsde l'homme, que dans le champ politique aient bien saisi les raisons de l'intérêt quel'ONU porte à ce sujet. Cette prise de conscience est à l'origine des revendicationsincessantes, appelant à la suppression de nombre de sanctions à caractère pénal dela loi réglementant la liberté de l'information. Aussi timides soient-elles, desréponses positives à ces revendications se sont même faites sentir ici et là.

Il ressort de tout ce qui précède que les lois réglementant la liberté del'information, dans les pays maghrébins, ont connu une évolution, et parfois desrégressions concernant la liberté d'opinion et d'expression. C'était, dans un senscomme dans l'autre, en fonction du «thermomètre» du contexte politique internede ces pays, tout comme de la conjoncture politique internationale. En effet,entre 1975 et 1991, les lois sur la liberté de l'information ont connu une évolutionmarquée par des révisions à résonance libérale. En outre, au lendemain de la

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guerre du Golfe, et dans le contexte marqué par l'émergence du nouvel ordremondial, cette évolution a maintenu le cap dans le sens d'une libéralisation pluspoussée et de la levée du monopole qui, jusqu'à une date récente, était détenu parl'Etat dans le domaine de l'information.

Conclusion et recommandationsL'on peut conclure, de ce qui précède, qu'il y a des questions qui sont d'une

telle importance qu'on ne peut les ignorer. En effet, leur importance réside dansle fait qu'elles constituent des clés essentielles qui permettent de mettre enrelation l'évolution des lois réglementant le secteur de l'information et de lacommunication, dans les pays maghrébins, avec la réalité du pluralisme,considéré aussi bien dans son état d'inertie que dans sa dimension dynamique.Cette réalité a été caractérisée en réponse à l'interrogation suivante : comment ceslois qui avaient été anti-pluralistes dans la plupart des pays, objet de la présenteétude, ont eu après, sous les effets de changement induits par l’évolution ducontexte politique international, régional et national, tendance à un pluralismetimide, empreint de prudence et d'inquiétude et mêlé d'appréhensions nourriespar le risque qu'il y avait à voir les médias échapper au contrôle de l'Etat.

Ce stade a commencé au lendemain de l'indépendance des pays maghrébins.Les orientations qui le caractérisent sont marquées par l'esprit des législationscoloniales en matière d'information, et continuent de mettre en forme la pratiqueréglementaire dans la plupart de ces pays, alors même que des améliorations àcontenu libéral y ont été introduites pour canaliser l'euphorie de l'indépendanceet le rêve de liberté, en l'occurrence la liberté de l'information et la libertéd'opinion. L'Etat, dans certains de ces pays, a été jusqu'à édicter une loi libérale«similaire», jusqu'au détail de son dispositif, à la loi française, à des nuancesprès, traduisant les différences de contexte politique et religieux qui existaiententre l'Etat colonisateur français et l'Etat maghrébin colonisé.

Ce retournement de situation n'est pas né ex nihilo ; il était, plutôt, l'effet d'unedynamique politique dont certains ressorts trouvent leur origine dans laconjoncture internationale et régionale, arabe et africaine, tandis que d'autresprennent naissance dans le contexte national interne. Et c'est l'action conjuguéede tous ces facteurs qui a réduit l'espace de la liberté de l'information, etdésamorcé le processus d'ouverture pluraliste, et ce, même dans le pays où l'Etatse réclame d'une idéologie libérale et pluraliste (le Maroc).

L'étouffement du pluralisme médiatique, dans tous les pays maghrébins, estconstaté pendant la période allant de 1965 jusqu'à la fin des années 1980.Toutefois, dans la décennie intercalaire 1965-1975, des changements sont

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survenus ici et là qui ont orienté la réglementation du domaine de l'informationdans le sens de l'anti-pluralisme ou, au contraire, dans le sens contraire, celui dupluralisme ouvert, mais mesuré et contrôlé.

Pendant ce stade, une donne politique a influencé, de façon claire etdéterminante, le domaine d'exercice de la liberté de l'information et sa dimensionpluraliste. Ainsi, alors que les dispositions constitutionnelles, qu'il s'agisse desconstitutions de 1975 tunisienne ou algérienne, ou de la Constitution marocainede 1972, sont empreintes de libéralisme et formulées dans une rhétoriquedémocratique, et contiennent des formules pimpantes chantant la liberté et lesdroits de l'homme, nous constatons qu'il y a des textes et des modalitésparticulières de second ordre juridique qui soumettent cette liberté et ces droits àdes restrictions et qui interdisent le pluralisme. Quand, contrairement à ce qui estle cas en Algérie, en Tunisie et en Mauritanie, ces restrictions et cet anti-pluralisme ne sont pas imposés aux termes mêmes de la loi ordinaire, ils le sontde fait au Maroc, par une pratique administrative despotique.

En rapport avec ce qui précède, nous notons également que pendant cettepériode, les lois relatives à la liberté de l'information et de la communicationdans la plupart, sinon la totalité, des pays du Maghreb arabe, ont spécifié lesmodalités réglementaires de l'exercice de cette liberté, avant la formulation desprincipes généraux dont ces modalités devraient procéder. En effet, les loisréglementant la presse et les libertés publiques ont généralement étépromulguées avant l'adoption des constitutions qui devraient les encadrer. End'autres termes, les modalités de l'exercice de la liberté de presse et des autreslibertés publiques ont été spécifiées, avant de poser le cadre général dans lequelces modalités devraient s'inscrire. Les détails contenus dans le texte de loispécifique sont fixés antérieurement à la définition du principe général devantencadrer, dans la constitution, la liberté de l'information et la liberté de presse.Cette observation s'applique, en particulier, aux cas marocain et tunisien. Eneffet, les lois réglementant le domaine de l'information et de la communicationont été promulguées dans ces deux pays, avant l'adoption de la constitution et lapromulgation de la loi pénale.

Certains changements survenus dans les pays maghrébins ont marqué la finde cette période. Ils sont quasi similaires à ceux ayant eu lieu en 1965. Ils n'ontpas été sans effet sur la question du pluralisme et les lois réglementant la libertéde l'information, notamment à partir de 1975.

L'an 1965 fut le moment d'extinction de la dernière lueur de lumière pluralistedans la plupart des pays maghrébins. Nous avons montré au fil des analysesconduites, dans le cadre de la présente étude, comment cette lueur s'est consumée

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lentement, à un moment où l'intérêt s'est porté sur la construction de l'Etat-providence, qui accorde la primauté aux droits économiques sur les droits civilset politiques. Nous devons, cependant, rappeler que pendant cette période, lesEtats maghrébins n'avaient pas, au plan juridique, d'obligations contraingnantesau niveau international, excepté la Déclaration universelle des droits de l'hommedont les dispositions sont, à en juger par l'avis d'un courant promu par desspécialistes du droit international, dépourvues de caractère contraignant. Cetinstrument international promeut effectivement le pluralisme politique etmédiatique en son article 19. Toutefois, nous savons qu'au plan strictementjuridique, ce texte est issu d'une recommandation faite par l'Assemblée généralede l'ONU, et que les recommandations ne font pas obligation aux Etats de lesobserver ou de les mettre en œuvre. En outre, il n'est guère qu'une Déclarationdépourvue de tout caractère liant.

De surcroît, la réaffirmation par les préambules des constitutions adoptées parles pays maghrébins, pendant cette période, des principes formulés par cetteDéclaration, ainsi que par la Déclaration (française) des droits de l'homme et ducitoyen de 1789, n'est pas contraignante, les préambules étant, contrairement auxarticles, considérés comme dénués de caractère impératif (un courant du droitconstitutionnel met l'accent sur ce point).

Les prémices du changement en la matière se sont manifestées au moins avecl'adoption des principes généraux du pluralisme. Ces principes se sonttransformés en règles de droit ayant un caractère contraignat, notamment avecl'adoption par l'Assemblée générale de l'ONU du Pacte international des droitscivils et politiques en 1966. En effet, l'article 19 de ce pacte fait obligation auxEtats parties de les respecter. Certes, à cette date, le pacte n'était pas encore entréen vigueur, mais le législateur maghrébin devait, malgré lui, avoir à l'esprit lanécessité du respect du principe pluraliste, même s'il ne l'a pas intégré dans letexte juridique, a fortiori dans la pratique.

u Le contexte caractéristique de cette période portait la marque de la défaitede juillet 1967, et des critiques adressées aux régimes arabes, leurreprochant d'être anti-démocratiques. Il a également subi les effets de larévolution de mai 1968 et de la guerre d'octobre 1973, et était influencé parles actes de la Conférence internationale de l'ONU sur les droits de l'hommetenue à Téhéran en 1968. L'accent a été mis lors de cette conférence surl'importance de l'influence qu'exercent les technologies de l'information etde la communication sur les droits de l'homme et les libertés de l'individu.

Certes, l'action conjuguée de tous ces facteurs ont suscité l'intérêt à ladémocratie, aux droits de l'homme, à la liberté de l'information et au pluralisme

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des médias, mais, jusqu'en 1975, cet intérêt ne dépassait pas les limites dudiscours et des slogans, et ne s'est pas concrétisé dans la réalité de la pratique.

L'année 1975 a vu se produire des changements essentiels dans le domainedes droits de l'homme, au niveau international. En effet, la premièreConférence, sur la Sécurité et la Coopération en Europe, a amorcé unedynamique dont le contenu et les dimensions ont eu des conséquences décisivessur le domaine des droits de l'homme. Dans un espace de temps de moins d'uneannée, deux pactes internationaux des droits de l'homme sont entrés en vigueuren 1976. Les démocrates, y compris le président des Etats-Unis, Jimmy Carter,ont BRANDIle slogan de la démocratie comme composante essentielle dans lesrelations de l'Amérique avec ses alliés dans le monde, et exigé d'eux le respectdu principe démocratique et des droits de l'homme comme condition des aidesconsenties.

D'autres facteurs essentiels ont influencé, dans une certaine mesure, lechangement qui s'est produit dans la manière dont les Etats maghrébins ont traitéla question des droits de l'homme, de la liberté de l'information et du pluralismemédiatique. Il s'agit, en particulier, des changements survenus en 1975 dans levoisinage ibérique. En effet, les changements qu'a connus le Maroc à partir de1975, à savoir la marge démocratique consentie à cette époque, n'ont pas eu lieuindépendamment de ceux produits dans la péninsule ibérique. L'ouverture danslaquelle s'est engagé le Maroc n'était pas uniquement politique, mais tout aussiéconomique et sociale. En outre, la deuxième guerre civile libanaise a poussé desjournalistes arabes à s'installer au Maroc. C'était dans ce contexte de changementque des élections pluralistes ont été organisées en 1976-1977, etc.

En Tunisie, l'influence de ces changements s'est manifestée aussi bien auplan politique qu'au niveau juridique. En effet, une loi réglementant la liberté del'information et de la communication a été promulguée. Elle réaffirme leprincipe du respect de la liberté de la presse, de l'imprimerie et de l'édition etexprime, de façon non expresse, l'attachement au pluralisme, ne serait-ce quesous sa forme embryonnaire, et dans un cadre juste formel, sachant qu'elle a faiten 1975 l'objet d'un réaménagement radical inscrit dans les orientations d'unerévision constitutionnelle. Celle-ci a maintenu les principes majeurs promus parla constitution de 1959, concernant les libertés publiques, notamment la libertéde l'information et la liberté de presse. Au-delà des principes relatifs aupluralisme et à la liberté de l'information formulés, ici ou là, ce qui importe iciest la coïncidence de ces changements avec l'évolution qu'a connue le domainedes droits de l'homme, y compris la liberté de presse et le pluralismemédiatique, dans les deux années 1975 et 1976.

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Ces changements se sont répercutés sur un pays de l'ensemble régionalmaghrébin. Ce pays n'est autre que l'Algérie. En effet, même si les médias y ontété, depuis 1965, sous le contrôle de l'Etat et du parti, la loi fondamentale a faitl'objet d'une modification, en vertu de l'ordonnance n° 76-97 du 22 novembre1976. Cette modification consiste en l'addition d'un titre - le quatrième -entièrement réservé aux libertés fondamentales et aux droits de l'homme et ducitoyen. Ce titre comprend une longue série d'articles, allant de 39 à 73. Malgrél'orientation constatée au niveau du texte constitutionnel, vers la restriction de laliberté de presse, à travers la nécessité du respect des fondements de l'Etat et dela révolution socialiste, le traitement de la question des libertés et des droits del'homme par le décideur politique s'est inscrit, dans l'esprit des changementssurvenus, dans l'environnement régional de l'Algérie, et au plan international. Siles principes relatifs à la liberté de la presse et au pluralisme, prévus par la Chartenationale, ont été soumis à des restrictions imposées par la loi algérienne de1982, relative à la liberté de l'information et de la communication, leschangements successifs et rapides qui ont secoué le monde, notamment avecl'avènement de l'idéologie néolibérale, promue depuis le début des années 1980par le reaganisme et le thatchérisme, et la dynamique de changement qui atraversé l'Union Soviétique en 1985, ont été des signaux d'alarme pourl'ensemble des pays du Maghreb Arabe, concernant la question des droits del'homme, en particulier la liberté de l'information et la liberté de presse. En effet,ces changements ont poussé à l'engagement dans une ouverture pluraliste dans ledomaine de l'information et de la presse. Cette orientation s'est fortementimposée dès le milieu ou la fin des années 1980 : 1987 en Tunisie, 1988 enAlgérie, etc.

Ainsi, depuis le début des années 1990, le pluralisme a fait tache d'huile dans lespays maghrébins, à savoir la Tunisie, le Maroc, l'Algérie et la Mauritanie. En effet,des lois réglementant le domaine de l'information et de la communication y ont étépromulguées dans un esprit pluraliste. Parallèlement à cette mesure législative, desconstitutions ont été adoptées qui réaffirment le pluralisme, au plan aussi bienpolitique que médiatique.

Cette période a subi l'influence profonde de la dynamique de la mondialisation,du néolibéralisme sauvage au niveau économique et du discours qui fait lapromotion des droits de l'homme et de la démocratie. Toutefois, les lois qui étaienten vigueur dans le domaine de l'information et de la presse demeuraient imprégnéesde l'esprit restrictif du passé. De même, l'application de ces lois n'a pas rompu avecnombre de pratiques antérieures à la période marquée par l'ouverture pluraliste.

En effet, la pratique qui consiste à suspendre ou à interdire la publication dejournaux ou de périodiques, pour des raisons récusables est toujours courante, et

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nombre de journalistes sont poursuivis. De même, les considérations liées à lapréservation de l'ordre public et des fondements politiques et religieux de l'Etatsont toujours mises en avant pour justifier les poursuites judiciaires contre lapresse, sachant que les concepts d'ordre public et de fondements politiques etreligieux sont susceptibles de plusieurs interprétations et peuvent, alors, êtreinterprétées en fonction des objectifs du pouvoir exécutif. Davantage, le recoursà l'autorité judiciaire en cas d'affaires liées à l'exercice de la liberté del'information et la liberté de presse est rare, la tâche d'interdiction, de suspensionou de saisie étant souvent attribuée à l'autorité administrative, alors même quecelle-ci se trouve être dans ce cas juge et partie.

Enfin, à quoi ça rime aujourd'hui toutes ces mesures, dans un contextecaractérisé par la mondialisation de la communication et le développement destechnologies de l'information, notamment avec l'envahissement de ces pays, depuisle début ou au milieu des années 1990, par le réseau internet, lequel a réduit lemonde à la dimension d'un petit village virtuel ? Quelle signification peut-ondonner, dans un tel contexte, à la reconnaissance du pluralisme et même à la notionde monopolisation du secteur des médias par l'Etat ? L'internet n'a-t-il pas vidé desens tous les concepts traditionnels connus dans le secteur de l'information et de lacommunication ? Les notions de souveraineté et de frontières signifient-elles encorequoi que ce soit de pertinent, dans le contexte de la mondialisation des moyensd'information et de communication ? La souveraineté et les frontières ne sont-ellespas à chaque instant transgressées par le moyen des technologies de l’information etde la communication ?

Ces conclusions poussent à conduire une réflexion sur certains aspects liés audomaine de l'information et de la presse, pour en dégager quelques éléments dont ilest possible de recommander l'intégration dans les lois, relatives à ce domaine dansles pays maghrébins. Ces éléments sont comme suit :

Recommandations1. Il est temps que les différentes administrations relevant du pouvoir exécutif,

dans les pays maghrébins, cessent d'exercer la tutelle sur le secteur del'information et de s'abstenir d'y intervenir, en attribuant la compétence ducontrôle de l'exercice de la liberté de l'information et de presse à la justice.Il n'est pas raisonnable que le secteur des médias demeure dans une positionde dépendance qui le soumet à la volonté du pouvoir exécutif, dans tous lesaspects liés à son fonctionnement, y compris la création d'entreprises depresse, et en particulier la question de la déclaration et la remise du récépisséau dépôt de celle-ci. A propos de ce dernier point, l'autorité qui est censéerecevoir la déclaration doit être neutre ; c'est cette autorité neutre qui doit

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être chargée de juger si le dossier qui lui est remis à titre de déclarationcontient ou non les documents et les renseignements prévus par la loi pourl'édition d'un journal. Cette autorité ne doit relever ni du ministère del'Intérieur, ni du ministère de l'Information et de la Communication. Lepouvoir exécutif ne peut être à la fois juge et partie. Ainsi, il ne doit pas avoirla prérogative de saisir, de confisquer et de suspendre les journaux et autrespériodiques, en prétendant, par exemple, qu'ils portent atteinte à l'ordrepublic, à la sécurité publique, ou à la morale et aux mœurs publiques. Lepouvoir qui est censé juger, s'il y a ou non violation de ces principes, nesaurait être le ministère de l'Intérieur, mais, plutôt, le pouvoir judiciaire quiest censé être indépendant, impartial et neutre.

u Quant aux questions liées à l'éthique de la profession de journaliste et laviolation éventuelle des principes de cette éthique, le recours au jugementdes conseils supérieurs de l'information est de rigueur. D'où la nécessité, danschacun des pays maghrébins, de créer et de réglementer ces conseils dans lecadre du code portant réglementation globale du secteur de l'information etde la communication, i.e. une réglementation qui englobe les médias écrit,électronique et les conseils supérieurs de l'information audiovisuelle. Unetelle orientation dans l'organisation et la réglementation, du secteur enquestion, permet une différenciation et une distribution claires desresponsabilités et des rôles. En effet, seuls les professionnels du secteurpeuvent vraisemblablement avoir la connaissance suffisante du moded'exercice et des exigences éthiques de leur profession.

2. Concernant la relation entre la justice et les médias, il faut accorderl'attention nécessaire à la question essentielle suivante : le secteur del'information et de la communication est un domaine spécifique et sensible.Cette particularité exige du juge, qui statue sur les affaires liées à l'exercicede la liberté de l'information et de presse, de ne pas se limiter à l'arsenaljuridique en vigueur. En fait, l'application des dispositions juridiques n'estpas suffisante pour prononcer un jugement équitable et raisonnable dans undomaine aussi spécifique que le secteur des médias. Aussi, faut-il créer unejustice propre à la presse dans les tribunaux, concevoir et dispenser uneformation au profit des juges auxquels sera attribuée la compétence destatuer sur les affaires liées au domaine de l'information et de lacommunication. En effet, cette formation est à même de les faire imprégnerdes principes qui sous-tendent le fonctionnement de ce secteur spécifique. Ilest improbable qu'un juge, qui a l'habitude de statuer sur des affairesrelevant de la chambre correctionnelle ou criminelle, soit capabled'inventivité et d'équité, quand il est question d'affaires liées à l'exercice de

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la liberté de l'information et de presse, et aux crimes et délits commis par lavoie de la presse. En fait, il y a une grande différence de nature entre lesdeux domaines. D'où la nécessité, pour le juge, de développer uneconnaissance suffisante des outils et des mécanismes du secteur des médias,ainsi que des fins et des objectifs poursuivis par les acteurs qui s'yinvestissent. Fort de cette connaissance, il sera en mesure de rendre desjugements justes et équitables. Bref, il s'agit de créer une justice spécialiséedans le domaine de l'information et de la communication.

3. Le point ci-dessus nous amène à poser la question de la séparation entre ledroit pénal et le droit de l'information. Cette séparation est nécessaire, dansla mesure où ce dernier est doté d'une autonomie qui trouve sa justificationdans le caractère spécifique et sensible de son objet. Aussi, faut-il se limiterà l'application des peines et amendes, prévues dans les lois réglementant lesecteur de l'information et de la presse dans les affaires où il est question descrimes et délits commis par la voie de la presse, et s'abstenir de tout recoursaux dispositions de la loi pénale, à chaque fois que ces peines et amendessont jugées insuffisantes par le juge. D'où la nécessité de tracer une ligne dedémarcation entre le droit pénal et le droit de l'information et de lacommunication, ce dernier étant considéré comme étant doté d'uneautonomie qui lui vient de sa spécificité. Cette différenciation s'applique,sans exception, à tous les pays maghrébins objet de la présente étude.

4. Il faut soulever une autre question, qui concerne un aspect commun àtoutes les lois réglementant le domaine de l'information et de la presse,dans tous les pays maghrébins. Il s'agit de la nécessité, pour tous ces pays,de se doter d’un code de l'information qui constitue une réglementation desmédias électronique, écrit et audiovisuel. Ce code doit être global etcomplet, mettant ainsi fin à l'éparpillement des textes juridiques des loisréglementant le domaine de l'information. En effet, certains textes sontintégrés dans la loi pénale, d'autres dans le texte de loi relatif aux crimesinformatiques, et d'autres encore dans les textes réprimant les actions àcaractère terroristes, etc. Il est besoin d'un code global qui réglementel'ensemble des médias.

5. Il est aussi question de définir de façon précise, les concepts utilisés defaçon vague dans les dispositions de ces lois. En effet, ces concepts, telsqu'ils sont utilisés dans les textes de loi en vigueur, sont ambigus etsusceptibles de plusieurs interprétations, et peuvent donc être interprétés defaçon à légaliser ou légitimer la répression de la liberté de l'information etde la liberté d'expression. Il est donc besoin d'en clarifier, de façon précise,la teneur dans les dispositions générales préliminaires du Code national de

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l'Information. La définition précise de ces concepts vise à délimiterl'interprétation que le juge et le pouvoir exécutif peuvent en faire, etprévenir toute interprétation extensive qui constitue une déviationsémantique par rapport à la signification entendue par le législateur. Raisonpour laquelle, il faut d'emblée définir, par exemple, le contenu conceptueldes notions d'ordre public, de fondements politiques et religieux, de moraleet de mœurs publiques…

6. Il faut réserver, au sein de ce code, une section propre à l'informationélectronique. Il s'agit d’y spécifier certains crimes et délits commis par lemoyen du support électronique. Comment peut-on créer un journal en ligneélectronique ? Est-il possible d'appliquer les mesures déjà adoptées dans lecas de l'édition des journaux sur support papier, c'est-à-dire de déposer unedéclaration auprès de l'autorité judiciaire ? Les mêmes questions se posentdans le cas des blogs qui sont devenus de nos jours un espace de diffusiondes idées destructrices et d'échange d'injures, de diffamations et d'offenses,un espace où il est possible de porter impunément atteinte aux vies privéesdes individus, et à travers lequel l'on peut saper les fondements de l'ordrepublic dans son acception large, c'est-à-dire dans ses dimensions politique,social et économique. Pour prévenir de tels risques, il est nécessaire deréglementer les activités d'information et de communication en ligne.

7. Il est nécessaire d'élaborer et d'adopter une convention maghrébine quiconstruit un ensemble unifié de principes, pour la codification de la libertéde l'information et de presse, et l'exercice pluraliste de cette liberté. Cesprincipes doivent constituer un guide pour les législateurs nationaux. Ainsi,l'élaboration de la loi nationale interne, qui doit prendre la forme d'un codedevrait se baser sur ces principes. Cette convention spécifie les principesuniversellement reconnus en matière de liberté d'expression et d'opinion. Enoutre, les pays maghrébins sont tenus, dans l'élaboration de leurs lois en lamatière, d'assurer la conformité de celles-ci aux principes prévus par cetteconvention qui doit être considérée comme une loi de référence dansl'ensemble régional maghrébin.

Ce sont là les conclusions et les recommandations, constituant le fruit de laréflexion conduite par l’auteur, dans le cadre de la présente étude. Celle-ci est loinde prétendre à la perfection. Comme tout travail humain, elle est justiciable decritique et sujette à correction.

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