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DROIT PENAL DES AFFAIRES Droit pénal et concurrence : Entre droit interne et droit
de l’Union Européenne 8 avril 2016
Gregory Antonio Cassan
2
Introduction
I- Un droit économique
II- Un contrôle à postériori
Section 1 : Les infractions au droit de la concurrence
I- Les ententes
II- L’abus de position dominante
Section 2 : La répression des pratiques anticoncurrentielles
I- Les infractions administratives
II- Les infractions pénales
3
Dans son ouvrage Recherche sur la nature et les cause de la richesse des nations, Adam Smith
a considéré que la concurrence « contribue à améliorer le sort de tous ». Il a été démontré
ultérieurement que les regroupements de sociétés et la constitution de groupes industriels diminuait les
coûts de production et augmentait les moyens de mise en œuvre. De plus, ces regroupements
favorisaient la modernisation et la rationalisation des techniques de production et de
commercialisation.
Cependant, le libre jeu de la loi du marché n’aboutit pas tout seul à la concurrence. C’est la
raison pour laquelle un droit de la concurrence a progressivement vu le jour. Dans un premier temps, il
a été élaboré à l’échèle nationale à partir de la seconde moitié du 19 siècle, avant d’être repris par le
droit de l’Union Européenne qui le domine largement de nos jours.
Du côté du droit du droit de l’Union Européenne, le droit de la concurrence résulte du Traité
de Lisbonne du 13 décembre 2007. Il est d’abord fondé sur l’article 3 du Traité sur l’Union
Européenne (TUE) et l’article 119 § 1 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (TFUE).
En droit interne, on retrouve le Titre IV du Code de commerce.
Cependant, compte tenu du principe de primauté du droit de l’Union Européenne, le droit
interne est en état de dépendance étroite avec ce dernier. On assiste à une triple dépendance. Tout
d’abord dans son champ d’application, le droit interne ne peut régir que les seules situations qui
échappent à la conséquence exclusive du droit de l’Union. Ensuite dans son contenu, le droit interne
ne peut se permettre ce que le droit de l’Union défend, ni inversement autoriser ce que ce dernier
interdit. Enfin dans son inspiration, « le droit interne est lié par la politique économique commune,
dont les règles de concurrence ne sont que les moyens d’action, qu’imposent aux Etats membres les
traités »1.
Cette dualité des sources conduit à une fréquente application cumulative de ces deux droits2.
De plus, il ressort de ces deux droits des règles identiques. On retrouve le principe de prohibition des
ententes anticoncurrentielles3, la nullité de plein droit des accords qui se rapportent à une entente
4, et la
possibilité de justification des ententes5.
Cependant, des divergences persistent. Il est possible que le droit interne comprenne des
prohibitions que le droit de l’Union européenne ignore. De plus, le droit interne connait une double
dimension pénale et administrative des infractions du droit de la concurrence, alors que le droit de
l’Union Européenne ne revêt qu’une dimension administrative. La matière pénale concerne le délit de
participation frauduleuse à une pratique anticoncurrentielle6. La matière administrative vise les
pratiques anticoncurrentielles d’ententes, d’abus de position dominante et d’abus de dépendance
économique7
1 A. Decocq et G. Decocq, Droit de la concurrence, droit interne et droit de l’Union Européenne, LGDJ, 6
ème
édition, 2014, n°3. 2 Règlement n° 2003 / 1 du Conseil
3Article 101 al 1
er TFUE et l’article L 420-1 al 1
er du Code de commerce
4 Article 101 al 2 TFUE et l’article L 420-3 du Code de commerce
5 Article 101 al 3 TFUE et l’article L 420-4 du Code de commerce
6 Article L 420-6 du Code de commerce
7 Article L 420-1 et L 420-2 du Code de commerce
4
Ainsi, en droit interne, l’incrimination sera souvent de nature pénale et administrative. Le
tribunal correctionnel prononcera donc une condamnation pénale et l’Autorité de la concurrence une
sanction administrative. Ce cumul des sanctions semble aller à l’encontre du principe « ne bis in
idem » qui exclut la possibilité d’une double sanction pour les mêmes faits. A l’heure actuelle, le débat
porte essentiellement en matière boursière, un débat qui n’a pas encore tranché par les hautes
juridictions françaises et si une décision viendrait modifier le droit positif, cela se transposerait en
matière de concurrence. Notons que la Cour européenne des droits de l’homme semble avoir remis en
cause la coexistence de ces sanctions8.
I- Un droit économique
Le droit de la concurrence est la discipline du droit des affaires dans laquelle les concepts
juridiques et économiques sont les plus imbriqués.
A- Le pouvoir de marché
On retrouve ainsi le concept économique de « pouvoir de marché » qui a un rôle fondamental
dans la compréhension du droit de la concurrence. Il est compris comme « la maximisation du profit
de l’opérateur économique au détriment du consommateur »9.
Il est techniquement défini comme la capacité de maintenir durablement les prix au-dessus du
coût marginal de production sans subir de perte, mais au contraire avec profitabilité. La définition est
élargie à la capacité de maintenir la production en termes de quantité, qualité, diversité et innovation à
un niveau inférieur à celui qui résulte du jeu normal de la concurrence.
Dans ce contexte de droit économique, la politique européenne a été influencée par le droit
anti-trust américain qui, depuis le Sherman Act de 1890, appréhende les dysfonctionnements dans
l’économie de marché issus de comportements de captation émanant de la puissance économique.
Par ailleurs, en 1933, l’Ecole de Freiburg a été créée en Allemagne en opposition au nazisme,
et a développé la théorie de l’ordolibéralisme. Auréolée d’avoir été un foyer de résistance au nazisme,
elle incita les classes politiques à focaliser un concept clé de l’ordolibéralisme, « l’économie sociale de
marché », dont la libre concurrence est un des instruments de réalisation. Selon ce concept, les forces
du marché doivent être encadrées pour préserver la libre économie et doivent être orientées pour servir
la prospérité la mieux partagée.
Les règles de concurrence, quasiment inchangées depuis son introduction dans le Traité
instituant en 1951 une communauté du charbon et de l’acier, figurent actuellement dans le Traité sur le
fonctionnement de l’Union Européenne10
.
8 CEDH, 4 mars 2014, Grande Stevens et autres c/ Italie, n° 18640/10, n° 18647/10, n° 18663/10, n° 18668/10 et
n° 18698/10, Rev. sociétés 2014. 675, note H. Matsopoulou ; RSC 2014. 110, obs. F. Stasiak ; RTDF 2014, n° 2,
p. 149, obs. E. Dezeuze et N. Rontchevsky. 9 David Bosco, Catherine Prieto, Droit européen de la concurrence, Ententes et abus de position dominante,
Edition Bruylant, Parution : novembre 2013 10
Troisième partie « les politiques et actions internes de l’Union ».
5
À la différence des Etats-Unis et de son droit anti-trust, le droit européen de la concurrence n’a
pas pour seul objectif de prévenir et de sanctionner les captations du pouvoir de marché. Il œuvre
également pour la réalisation de l’objectif fondamental du Traité de Rome, créer un marché commun.
Cette création ex-nihilo soulève des difficultés que les Etats-Unis n’ont pas connues. Après
avoir obtenu des Etats membres la suppression des barrières douanière et des restrictions quantitatives
sous toutes les formes, il eût été malvenu de laisser les opérateurs économiques reconstituer avec des
moyens privés le cloisonnement des marchés nationaux.
B- Le marché pertinent
« Le marché pertinent » est un autre concept économique indispensable à la compréhension du
droit de la concurrence. « Il permet de définir le périmètre à l’intérieur duquel il convient d’apprécier
le degré de pression concurrentielle »11
. C’est ainsi que pourront être décelés les problèmes de
concurrence et les moyens de les résoudre.
Il s’avère que le marché pertinent est la combinaison d’un marché de produits ou services et
d’un marché géographique12
.
Un marché en cause comprend tous les produits ou services que le consommateur considère
comme interchangeable ou substituables en raison de leurs caractéristiques, de leur prix et de l’usage
auxquels ils sont destinés. Ainsi, chaque vitamine constitue à elle seule un marché pertinent13
.
Pour le marché géographique, le critère de la substituabilité est encore utilisé. Il s’agit de
savoir si les clients de ou des entreprises en cause transfèreront ou non leurs commandes vers des
entreprises plus éloignées en cas d’augmentation légère mais permanente des prix. Ainsi, le marché
géographique pertinent peut être très étroit en se limitant au seul pont de Gênes pour le service de
pilotage14
. Par contre, le marché géographique communautaire se confond avec le marché mondial des
logiciels d’exploitation des ordinateurs personnels avec Microsoft et son logiciel Windows15
.
C- Les modes d’appréhension du pouvoir de marché
Les comportements qualifiés de pratiques anticoncurrentielles peuvent être « ex-post », à
postériori, ou « ex-ante », à priori.
1- Le contrôle « ex-post » ou à postériori
Les contrôle « ex-post » des comportements qualifiés de pratiques anticoncurrentielles inclus
la prohibition des « ententes » et la prohibition des « abus de position dominante ».
La prohibition des « ententes » est fondé par l’article 101 § 1 TFUE qui repose sur deux
éléments constitutifs, la collusion et la restriction de concurrence. « La collusion » est constituée par
plusieurs formes de coordination entre entreprises, dans une gradation allant de l’accord à la pratique
concertée. Quant à « la restriction de concurrence », elle est caractérisée par l’objet ou par les effets.
11
David Bosco, Catherine Prieto, Droit européen de la concurrence, Ententes et abus de position dominante,
Edition Bruylant, Parution : novembre 2013 12
CJCE, 1978, aff.C 27/76, Affaire des bananes, Recueil de jurisprudence 1978 page 00207 13
CJCE, 1979, aff. 85/76, Hoffmann-La Roche, Recueil de jurisprudence 1979 page 00461 14
CJCE, 1991, aff.C-179/90, Porta di Genova, Recueil de jurisprudence 1991 page I-05889 15
TPICE, 2007, aff. T-201/04, Microsoft c/ Commission, Recueil de la jurisprudence 2007 II-03601
6
L’approche fondée sur les « effets » est importantes pour la mise en œuvre de l’article 101 § 3
TFUE lorsqu’il s’agit de bénéficier de règlement d’exemption par catégorie. La Commission a
subordonné ce bénéfice à l’absence de pouvoir de marché à travers des présomptions d’absence de
pouvoir de marché fixant des seuils variant selon le type de secteurs.
Les accords ayant un « objet » anticoncurrentiel sont ceux qui sont tellement susceptibles
d’avoir des effets anticoncurrentiels qu’li est inutile de rapporter la preuve de ces effets16
. S’agissant
de l’article 101 § 3 TFUE, la restriction par l’objet est si grave qu’elle est un obstacle au bénéfice de
l’exemption par catégorie.
La prohibition des « abus de position dominante » est définie par la Cour de justice comme
« le pouvoir de faire obstacle au maintien d’une concurrence effective sur le marché en cause en
fournissant la possibilité de comportements indépendants dans une mesure appréciable vis-à-vis de
ses concurrents, de ses clients et finalement des consommateurs »17
.
2- Les contrôle « ex-ante » ou à priori.
Il s’agit ici d’un contrôle préventif des mouvements structures ayant pour finalité la création
ou le renforcement d’une position dominante.
II- Un contrôle à postériori des pratiques anticoncurrentielles
Selon le domaine du droit européen de la concurrence, le rapport avec les droits nationaux
repose sur le cumul ou sur l’exclusion. Ainsi, l’enjeu diffère légèrement pour les deux critères
d’applicabilité que sont, l’affectation du commerce entre les Etats membres pour les pratiques
anticoncurrentielles, et la dimension communautaire pour le contrôle de concentration.
A- L’application cumulative du droit de l’Union Européenne et du droit interne en matière de
contrôle à postériori
En matière de « pratiques anticoncurrentielles », l’applicabilité du droit communautaire
n’exclut pas l’application des droits nationaux. La théorie de l’application cumulative, appelée
maladroitement « double barrière », a été consacrée par le Cour de justice18
.
La Cour en a cependant limité les conséquences excessives, en rappelant le principe de
primauté du droit communautaire en cas de solutions contradictoires, et en soumettant la possibilité
d’un cumul de sanctions au principe de l’équité.
Cette jurisprudence a été reprise et renforcée par l’article 3 du Règlement CE n° 1/2003. En
réalité, la « théorie de la barrière unique » l’emporte pour les ententes, mais un espace est laissé à des
solutions plus sévères des droits nationaux en matière d’abus de position dominante.
16
Lignes directrices concernant l’application de l’article 101 § 3 TFUE 17
CJCE, 1978, aff 27/76, United Brands, Recueil de jurisprudence 1978 page 00207 18
CJCE, 13 février 1969, aff. 14/68, Walt Wilhelm, Recueil de jurisprudence 1969 page 00001
7
B- L’exclusion du droit interne en matière de contrôle à postériori
En revanche, la solution est plus simple en matière de contrôle de concentrations,
l’applicabilité du droit communautaire emporte l’exclusion de l’applicabilité du droit national. C’est la
théorie du « guichet unique » qui est alors retenue19
.
Le droit européen de concentrations s’applique aux entreprises établis dans des Etats tiers, dès
lors que les opérations de concentration envisagées ont des effets à l’intérieur de la Communauté. Le
recours à la théorie des effets est désormais expressément reconnu par le juge communautaire20
.
Compte tenu de l’exclusion de l’applicabilité du droit interne en matière de « contrôle de
concentrations », il sera question dans cet exposé d’envisager le droit pénal et le droit de la
concurrence d’une part, en matière « d’ententes », et d’autre part, en matière « d’abus de positions
dominantes ».
19
Article 21 du Règlement CE n° 139/2004 20
TPICE, 1999, aff. T-102/96, Gencor, Recueil de jurisprudence 1999 page II-00753
8
Section 1: Les infractions au droit de la concurrence
Seront étudiées successivement les ententes (I) et l’abus de position dominante (II).
I- Les ententes
Le concept d’entent couvre une grande diversité de comportements. En premier lieu, les
« cartels » sont stigmatisés comme étant le cancer de l’économie. Ce sont des accords secrets qui ne
visent qu’à organiser entre concurrents une tricherie aux règles élémentaires de l’économie de marché
qui repose sur la spontanéité des comportements. En second lieu, et par contraste, les « ententes »
issues des contrats sont appréhendés avec circonspection. On assiste à une modernisation du traitement
de chacun de ces comportements.
Pour la modernisation du traitement des cartels, le seul constat d’un cartel suffit à emporter la
qualification de restriction par « l’objet » anticoncurrentiel. La véritable difficulté tient à la preuve du
concours de volontés. C’est dans la détermination de la sanction que la Commission a trouvé un levier
pour mieux armer sa lutte. Elle donne une immunité d’amendes pour le premier des membres de
cartels déclarant l’existence du cartel et fournissant les preuves utiles. Pour éviter les contestations par
les cartellistes sur la preuve de leur collusion, la Commission est allée encore au-delà en proposant
une réduction de l’amende contra la con-contestation des griefs.
Pour la modernisation du traitement des ententes, la Commission a concentré ses efforts sur
l’élaboration de règlements d’exemption.
A- Les formes de collusions
L’entente s’appuie sur un triptyque énoncé par l’article 101 TFUE : la pratique concentrée,
l’association d’entreprises et l’accord. Ces trois notions juridiques recouvrant des degrés différents de
concordance de volonté. La Cour de Justice de l’Union Européenne a ajouté une quatrième forme,
celle de l’imbrication de l’accord et de la pratique concertée qui donne corps à l’infraction unique et
complexe. 21
« L’association » est comprise dans son sens le plus large, seule compte la mise en place d’une
coordination. Les associations professionnelles sont bien connues pour abriter des ententes tant leur
fonctionnement suscite des tentations de coordonner les comportements sur le marché22
« L’accord » n’est pas un contrat aux effets juridiquement obligatoires. Ainsi, un contrat nul
ou inefficace au regard du droit national peut néanmoins être qualifié d’entente dès lors que la clause
litigieuse est l’expression de la volonté des parties.
La Cour de Justice a distingué la notion de « pratique concertée » de l’accord secret déclarant
que « La pratique concertée au sens de l’article 101 TFUE vise une forme de coordination entre
entreprises qui, sans avoir été poussée jusqu’à la réalisation d’une convention proprement dite,
substitue sciemment une coopération pratique entre elles au risques de la concurrence »23
. L’ancrage
de la notion de pratique concertée réside dans « la prise de contracte » et non plus sur l’élaboration
d’un véritable plan.
21
CJCE, 1999, aff. C-49/92 P, Anic, Recueil de jurisprudence 1999 page I-04125 22
TPICE, 2000, aff. T-43/95, Cartel du ciment, Rec. CJCE, II, p. 491 23
CJCE, 1999, aff. C-49/92 P, Anic, Recueil de jurisprudence 1999 page I-04125
9
Cependant, il faut distinguer les échanges légitimes d’informations de ceux qui ne le sont pas.
De même, il ne suffit pas d’apporter la preuve d’un simple constat d’un parallélisme du comportement
des opérateurs économiques.
Enfin, « l’infraction unique et complexe » est un infraction qui relève pour partie de la notion
d’accord et pour partie de celle de pratique concertée. Cependant, il n’est pas requis le cumul des
éléments constitutifs de l’accord secret et de la pratique concertée. Elle doit être entendue comme un
tout complexe.
B- L’appréciation de la restriction de concurrence
Le second élément constitutif de la prohibition des ententes au sens de l’article 101 TFUE tient
à l’existence d’une « restriction de concurrence ». L’élément majeur de l’appréciation du caractère
anticoncurrentiel d’un accord constitue à comparer la situation résultant de l’accord avec le cadre réel
où se produirait le jeu de la concurrence à défaut de cet accord24
. Cette comparaison permet de bien
analyser un objet et un effet anticoncurrentiel.
1- L’appréciation de « l’objet » anticoncurrentiel
La restriction de liberté ayant un objet anticoncurrentiel sont celles qui sont tellement
susceptibles d’avoir un effet négatif qu’il devient inutile de les rechercher in concreto. L’objet
anticoncurrentiel emporter ainsi une « présomption de nocivité ». L’effet n’est pas requis pour établir
l’infraction. En revanche, il peut avoir une incidence sur la détermination de l’amende. La
Commission a donné des illustrations.
La Commission n’a pas manqué à illustrer ces pratiques anticoncurrentielles. S’agissant des
accords « horizontaux », on a la fixation du prix, la limitation de la production et le partage des
marchés et de la clientèle. Quant aux accords « verticaux », on a l’imposition de prix de revente fixes
ou minimaux et l’interdiction de ventes passives sur un territoire donné.
2- L’appréciation de « l’effet » anticoncurrentiel
Cette appréciation n’a qu’une fonction subsidiaire. Elle s’impose qu’à défaut de la
qualification d’objet anticoncurrentiel. Le juge retient un standard élevé pour la preuve de l’effet
anticoncurrentiel25
. Cependant, l’effet peut être que « potentiel », c'est-à-dire que la pratique
anticoncurrentielle peut être appréhendé de manière préventive. De même, l’effet peut être que
« sensible », c'est-à-dire que l’accord peut être d’importance mineure, dénommé ainsi de minimis.
C- Les exemptions
Il s’agit d’un tempérament introduit par l’article 101 § 3 TFUE à la condamnation d’ententes
dès lors que leur nocivité anticoncurrentielle peut être compensée par des effets bénéfiques. C’est ainsi
également qu’est introduite une distinction entre l’exemption individuelle qui repose sur une
appréciation au cas par cas, et l’exemption par catégorie organisée par des règlements d’exemption par
catégorie.
24
Commission de 2004 des lignes directrices concernant l’application de l’article 101§3 TFUE 25
CJCE, 2005, aff. C-12/03 P, Tetra Laval, Conclusions de l'avocat général M. A. Tizzano du 25 mai 2004
10
1- L’exemption « individuelle »
Les accords secrets et les pratiques concentrée ne sauraient bénéficier de ce traitement de
faveur. La preuve doit être rapportée par les entreprises en cause, il s’agit d’une exception de défense.
L’article 101 § 3 TFUE énonce quatre conditions. La restriction de concurrence doit
contribuer au développement économique, de manière objective. Le consommateur doit tirer une part
équitable des avantages évoqués, autrement dit, elle doit contribuer au bien-être du consommateur. Les
principes de nécessité et de proportionnalité doit être apprécié entre la restriction de concurrence et le
bien fait invoqué. Enfin, il ne doit pas avoir d’élimination radicale de la concurrence.
2- L’exemption « par catégorie »
Le règlement d’exemption par catégorie n’a pas pour objet d’interdire. Il ne fait que poser un
cadre qui permet de faire présumer des gains d’efficacité suffisants pour compenser un éventuel effet
anticoncurrentiel. SI l’accord ne rentre pas dans le moule, cela n’entraine pas une qualification
d’illicéité. La seule conséquence est de faire perdre à l’accord le bénéfice de l’exemption par
catégorie.
Il incombe ensuite à l’autorité de la concurrence de rapporter la preuve d’une restriction au
sens de l’article 101 § 1 TFUE. On retrouve les règlements de la Commission relatifs aux catégories
d’accord verticaux, accords dans les secteurs de l’automobile, accords de recherche et de
développement, accord de spécialisation et des accords de transfert de technologie.
D- Les dispositions propres au droit interne
De son côté, l’article L 420-1 du Code de commerce dispose que « Sont prohibées même par
l'intermédiaire direct ou indirect d'une société du groupe implantée hors de France, lorsqu'elles ont
pour objet ou peuvent avoir pour effet d'empêcher, de restreindre ou de fausser le jeu de la
concurrence sur un marché, les actions concertées, conventions, ententes expresses ou tacites ou
coalitions, notamment lorsqu'elles tendent à : 1° Limiter l'accès au marché ou le libre exercice de la
concurrence par d'autres entreprises ; 2° Faire obstacle à la fixation des prix par le libre jeu du
marché en favorisant artificiellement leur hausse ou leur baisse ; 3° Limiter ou contrôler la
production, les débouchés, les investissements ou le progrès technique ; 4° Répartir les marchés ou les
sources d'approvisionnement ».
Ce texte ne donne pas une liste limitative, ainsi qu’il résulte du terme « notamment », des
pratiques d’ententes prohibées. Il se borne à énumérer quatre types de comportements
anticoncurrentiels, jugés répréhensibles, et réécrits en termes plus larges que le passé26
, afin de les
rapprocher des termes utilisé par l’article 101 § 1 TFUE.
26
Loi n°2001-420 du 15 mai 2001 - art. 52 JORF 16 mai 2001
11
II- L’abus de position dominante
L’article 102 TFUE déclare que la position dominante peut être détenue par « une ou plusieurs
entreprises » ce qui parait paradoxal puisqu’on parle souvent de monopoles perpétrés par une société.
On appréhende ainsi la position dominante qui ne constitue pas un abus en soi.
A- La position dominante
La Cour de justice définit la position dominante comme « le pouvoir de faire obstacle au
maintient d’une concurrence effective sur le marché en cause en fournissant la possibilité de
comportements indépendants dans une mesure appréciable vis-à-vis de ses concurrents, de ses clients
et finalement des consommateurs »27
.
Dans les orientations relatives à l’article 102 TFUE, la Commission établie un lieu
d’équivalence entre la définition jurisprudentielle de la position dominante et la notion économique de
pouvoir de marché. Celle-ci est définie comme « la capacité d’augmenter les prix rentablement au-
delà du niveau concurrentiel pendant un longue période sans subir de pression concurrentielles
effectives suffisantes »28
.
La Commission ajoute que pour augmenter les prix au détriment du consommateur il faut
comprendre l’influence négative sur les paramètres concurrentiels que sont la production, l’innovation,
la variété ou la qualité des biens ou des services.
Pour apprécier l’existence d’une position dominante, il faut prendre en compte des critères
comme la possibilité qu’ont les concurrents existants de renforcer leur position ou la possibilité laissée
à de nouveaux concurrents de pénétrer le marché. Ainsi, on parle de « barrière à l’entrée du marché »
qui peuvent d’abord être constituée par des avantages juridiques (comme des droits de propriété
intellectuelle) ou des avantages techniques (comme la lourdeur des investissements préalables requis)
ou l’effet de réseau29
(comme le logiciel d’exploitation pour ordinateur personnel de Microsoft).
B- L’abus
La notion d’exploitation abusive n’est pas définie dans le traité en des termes généraux. La
Cour de justice a très vite donné une interprétation téléologique donnant naissance à un standard
jurisprudentiel. Ainsi, l’intention de nuit n’est pas un élément constitutif de l’abus.
La Cour considère que l’abus est « une notion objective qui vise les comportements d’une
entreprise en position dominante qui sont de nature à influencer la structure d’un marché où, à la
suite précisément de la présence de l’entreprise en question, le degré de concurrence est déjà affaibli
et qui ont pour effet de faire obstacle, par le recours à des moyens différents de ceux qui gouvernent
une compétition normale des produits ou services, au maintien du degré de concurrence existant sur le
marché ou au développement de cette concurrence »30
.
27
CJCE, 1979, aff. 85/76, Hoffmann-La Roche, Recueil de jurisprudence 1979 page 00461 28
Communication de la Commission — Orientations sur les priorités retenues par la Commission pour
l'application de l'article 82 du traité CE aux pratiques d'éviction abusives des entreprises dominantes 29
TPICE, 2007, aff. T-201/04, Microsoft c/ Commission, Recueil de la jurisprudence 2007 II-03601 30
CJCE, 1979, aff. 85/76, Hoffmann-La Roche, Recueil de jurisprudence 1979 page 00461
12
Néanmoins, la Cour a pris le soin de préciser que l’article 102 TFUE « n’a aucunement pour
but d’empêcher une entreprise de conquérir, par ses propres mérites, la position dominante sur le
marché et ne vise pas non plus à assurer que des concurrents moins efficaces que l’entreprise en
position dominante reste sur le marché »31
.
1- La typologie des abus
Il existe une typologie qui distingue « les abus d’exploitation » des « abus d’éviction ».
La Commission a affirmé que les «abus d’exploitation » sont moins nocifs que les abus
d’éviction, dans la mesure où ils laissent la place à des concurrents pour réagir par un comportement
concurrentiel agressif. Ainsi, la pratique des prix élevés laisse l’opportunité à des concurrents de
pénétrer le marché en pratiquant des prix beaucoup plus bas. Néanmoins, cela suppose qu’il n’y ait
pas de barrière à l’entrée du marché.
« L’abus d’éviction » résulte quant à lui de l’entrave du libre jeu de la concurrence du fait
d’entreprises en position dominante qui poussent à l’excès leurs avantages concurrentiels. Elles
oublient ainsi leur responsabilité particulière qui consiste à préserver un degré suffisant de concurrence
sur les marchés où elles agissent. Selon les orientations32
, le critère majeur de l’éviction condamnable
réside dans le préjudice subi par le bien-être du consommateur.
Il existe plusieurs hypothèses d’abus d’éviction, qui sont les accords d’exclusivité, les ventes
liées et groupées, les prix prédateurs, la compression des marges, le refus de contracter, l’articulation
et la conciliation avec le droit de la propriété intellectuelle, et l’exercice abusif de procédure.
2- Les justifications possibles
Il s’agit d’une exception de défense. Il incombe donc à l’entreprise dominante de supporter la
charge de la preuve. Les orientations envisagent expressément cette possibilité d’échapper à une
condamnation.
On a d’une part « les nécessités objectives ». La Cour a admis le « droit de préserver ses
propres intérêts commerciaux, lorsque ceux-ci sont attaqués, et il faut lui accorder, dans une mesure
raisonnable, la faculté d’accomplir les actes qu’elle juge appropriées en vue de protéger ses dits
intérêts »33
.
On a d’autre part, « les gains d’efficacité ». La Cour vise « la possibilité de justification fondée
sur des critères d’efficacité économique et présentant un intérêt pour les consommateurs »34
.
31
CJUE, 2012, aff. C-209/10, Post Danmark, ECLI:EU:C:2012:172, publié(e) au Recueil numérique (Recueil
général) 32
Communication de la Commission — Orientations sur les priorités retenues par la Commission pour
l'application de l'article 82 du traité CE aux pratiques d'éviction abusives des entreprises dominantes 33
CJCE, 1978, aff. 27/76, United Brands, Recueil de jurisprudence 1978 page 00207 34
TPICE, 1999, aff. T-228/97 Irish Sugar, Recueil de jurisprudence 1999 page II-02969
13
C- Les dispositions propres au droit interne
De son côté, en droit interne, l’article L 420-2 alinéa 1er du Code de commerce, dont la
formulation s’inspire encore une fois très largement du droit de l’Union Européenne, dispose que « Est
prohibée, dans les conditions prévues à l'article L. 420-1, l'exploitation abusive par une entreprise ou
un groupe d'entreprises d'une position dominante sur le marché intérieur ou une partie substantielle
de celui-ci. Ces abus peuvent notamment consister en refus de vente, en ventes liées ou en conditions
de vente discriminatoires ainsi que dans la rupture de relations commerciales établies, au seul motif
que le partenaire refuse de se soumettre à des conditions commerciales injustifiées ».
Il résulte ainsi clairement du renvoi par l’article L 420-2 alinéa 1er du Code de commerce à
l’article L 420-1 du même code que l’exploitation abusive d’une position dominante est celle qui a
« pour objet ou peut avoir pour effet d’empêcher, de restreindre ou de fausser le jeu de la concurrence
sur un marché ».
14
Section 2: La répression des pratiques anticoncurrentielles
Seront envisagées la répression des infractions administratives (I) et pénales (II).
I- Les infractions administratives
du droit de l’Union européenne et du droit interne
La répression peut être fait tant par la sphère publique que dans la sphère privée.
A- La sphère publique
Pour la mise en œuvre des articles 101 et 102 du TFUE dans la sphère publique, la
Commission européenne dispose d’un pouvoir décisionnel de pleine compétence.
1- La Commission
Elle dispose par ailleurs d’un pouvoir discrétionnaire pour les appréciations économiques
complexes. Néanmoins, ses actes de mise en œuvre sont soumis à un contrôle juridictionnel de la
CJUE. Cette dernière veille notamment au respect des droits de la défense.
Le déclanchement de cette mise en œuvre relève aussi du pouvoir détenu par la Commission.
Elle détient notamment des moyens d’investigation et la possibilité de réaliser des enquêtes
sectorielles, ce qui lui a permis d’aboutir à des condamnations ou à des engagements dans le domaine
de l’électricité, du gaz de la banque de détail, de l’assurance et de la pharmacie. De plus, la
Commission peut traiter des plaintes qui sont désormais un moyen crucial et déterminant de recueillir
des informations. Les affaires Microsoft35
et Telefonica36
en sont des illustrations emblématiques.
Néanmoins, la Commission veut conserver une grande liberté pour y donner suite ou non, le principe
d’opportunité des poursuites l’y autorise.
C’est la communication des griefs qui déclenche l’ouverture officielle de la procédure. Les
destinataires ont un droit d’accès au dossier, puis un droit d’être entendus et également le droit de
demander la protection du secret des affaites.
2- La coopération au sein du Réseau Européen de Concurrence
La coopération peut être horizontale. Cette coopération est organisée autour de trois ressorts
principaux. La réallocation des cas entre les autorités nationales de concurrence, la circulation entre
elles des informations et les investigations pour le compte des unes et des autres. La répartition des
affaires vise à faire en sorte que seule l’autorité la mieux placée agisse te qu’il n’y ait pas à l’échelle
du réseau une dilution de moyens par une duplication d’efforts.
La coopération peut également être verticale. Cette coopération est organisée entre la
Commission et les ANC. Cependant, les ANC sont tenues d’informer la Commission avant leur prise
de décision. En outre, la Commission peut dessaisir une ANC et statuer seule.
35
TPICE, 2007, aff. T-201/04, Microsoft c/ Commission, Recueil de la jurisprudence 2007 II-03601 36
TPICE, 2012, aff. T-336/07, Telefonica, European Court Reports 2012 -00000, ECLI:EU:T:2012:172
15
3- Les procédures alternatives aux condamnations
Les procédures alternatives sont celles qui conduisent à une autre solution que la
condamnation à une amende du moins pleine et entière. Ainsi, hormis pour les infractions les plus
graves que sont les ententes secrètes, les entreprises ont d’abord la possibilité d’échapper à une
condamnation en proposant des « engagements ». Cette procédure présente l’avantage d’une
autocorrection de nature à remédier à la situation dans un court délai tout en préservant des ressources,
car elle lui épargne la lourdeur d’une procédure classique er les recours éventuels.
Les « programmes de clémences » sont, quant à eux, destinés aux ententes secrètes. Ils
aboutissent à une condamnation en bonne et due forme du bénéficiaire de la clémence. Seule,
l’immunité au regard de l’amende ou une exonération partielle est accordée.
4- Les sanctions
« L’amende » est souvent perçue par l’opinion publique et les médias comme étant
particulièrement lourde. Les montants sont pourtant relatifs au chiffre d’affaires et plafonné par le
Règlement CE n° 1/ 2003 à 10% du chiffre d’affaire total que l’entreprise a réalisé au cours de
l’exercice social précédent.
Cependant, il est permis de douter que les amendes parviennent véritablement à frapper le
profit illicite tiré de la pratique anticoncurrentielle. En réalité, la sanction la plus mal perçus par
l’entreprise tient à la « cessation de la pratique » et surtout à la mesure corrective qui l’assortit par voie
d’ « injonction » de faire ou de ne pas faire.
5- Les dispositions propres au droit interne
Aux termes de l’article L 464-2, I, alinéa 1er du Code de commerce « L'Autorité de la
concurrence peut ordonner aux intéressés de mettre fin aux pratiques anticoncurrentielles dans un
délai déterminé ou imposer des conditions particulières ». Il permet ainsi à l’Autorité de la
concurrence de prononcer des injonctions.
Par ailleurs, l’article L 464-2, II du Code de commerce permet à cette même autorité de
prononcer des astreintes. De plus, elle peut prononcer des mesures conservatoires prévues à l’article L
464-3 du même code ainsi que des sanctions pécuniaires prévues à l’article 464-3 du même code.
B- La sphère privée
Pour la mise en œuvre de 101 et 102 TFUE dans la sphère privée, la compétence est donnée
aux juridictions nationales37
qui bénéficient du même traitement que les autorités nationales de
concurrence et termes de déconcentration du pouvoir de prononcer des exemptions au titre de l’article
101 § 3.
37
Règlement (CE) n° 1/2003 du Conseil du 16 décembre 2002 relatif à la mise en œuvre des règles de
concurrence prévues aux articles 81 et 82 du traité
16
Cependant, la constitution d’un réseau entre les juridictions nationales et européennes
comparables à celui existant entre les ANC et la Commission n’est pas concevable en raison du
principe d‘indépendance des juridictions. Malgré l’absence de réseau, Il existe des liens institutionnels
entre les juridictions nationales et la Commission, sous l’intitulé de « coopération »38
. On a notamment
le moyen selon lequel les juridictions nationales peuvent demander à la commission de communiquer
des informations ou de délivrer des avis.
Dès los que les éléments constitutifs de l‘illicéité sont réunis, la nullité est absolue, sans
pouvoir d’appréciation du juge. L’injonction est prononcée, la réparation passant en premier lieu par la
cessation des faits illicites. Enfin, les dommages et intérêts sont exigés. Le principe posé d’un droit
pour toute victime à la réparation intégrale de leur préjudice des violations des articles 101 et 102
TFUE. Selon la Cour, « les actions en dommages et intérêts devant les juridictions nationales sont
susceptibles de contribuer substantiellement au maintient d’une concurrence effective dans
l’Union »39
.
II- Les infractions pénales du droit interne
Le Code de commerce40
réprime de quatre ans d’emprisonnement et de 75 000 euros
d’amende « le fait, pour toute personne physique, de prendre frauduleusement une part personnelle et
déterminante dans la conception, l’organisation ou la mise en œuvre de pratiques visée aux articles »
portant sur les pratiques anticoncurrentielles41
.
Le législateur français est parti du constat qu’li serait à la fois immoral et injuste de ne
sanctionner que les personnes morales pour leurs pratiques anticoncurrentielles. En l’absence de
sanctions pénales frappant notamment les personnes physiques, ces derrières auraient tendance à se
décharger trop facilement de leur responsabilité sur la personne morale42
. En d’autres termes,
l’incrimination du Code de commerce43
a pour objectif que l’entreprise ne fasse pas trop facilement
écran à la responsabilité des personnes physiques, nécessairement instigatrices des pratiques
anticoncurrentielles.
Ainsi, les ententes ou les abus de position dominante, peuvent donner lieu à l’application de
sanctions pénales, prononcées par le juge pénal, parallèlement aux sanctions particulières infligées par
l’Autorité de le concurrence aux entreprises, sur le fondement des articles L 420-1 et L 420-2 du Code
de commerce.
Il s’agit de deux procédures indépendantes, celle qui se déroule devant l’Autorité de la
concurrence vise les entreprises, au traves des personnes morales correspondantes, et à son terme,
seules peuvent être infligées à ces entreprises des sanctions pécuniaires et des injonctions. Celle qui a
lieu devant le tribunal correctionnel ne vise que des personnes physiques, et à son terme, la sanction
encourue est le prononcé d’une peine d’emprisonnement et d’une amende.
38
Règlement (CE) n° 1/2003 du Conseil du 16 décembre 2002 relatif à la mise en œuvre des règles de
concurrence prévues aux articles 81 et 82 du traité 39
TPICE, 2012, aff. C-199/11, Europese Gemeenschap, ECLI:EU:C:2012:684 40
Article L 420-6 alinéa 1er
du Code de commerce 41
Articles L 420-1 et L 420-2 du Code de commerce 42
W. Jeandidier, Droit pénal des affaires, Dalloz, 2003 43
Article L 420-6 du Code de commerce
17
Cependant, les rendues sur ce dernier fondement ont longtemps été peu nombreuses, une
vingtaine jugées entre 1988 et 2005. Toutefois, on constate depuis quelques années une saisine plus
fréquente du juge pénal en droit de la concurrence.
Pour caractériser cette infraction, le schéma traditionnel nous conduit à distinguer l’élément
matériel de l’élément moral.
A- Les éléments constitutifs du délit
Il existe un élément matériel et un élément moral. L’élément moral postule que l’auteur de la
pratique anticoncurrentielle doit avoir agi « frauduleusement », ce qui paraît impliquer selon la
doctrine un « acte de mauvaise foi ou de tromperie »44
, ce qui exclut la simple volonté ou la
conscience. L’élément matériel de dédouble en une condition préalable et l’élément matériel
proprement dit.
1- La pratique anticoncurrentielle.
L’article L 420-6 du Code de commerce vise expressément les pratiques anticoncurrentielles
de droit interne visées aux articles L 420-1 et L 420-2, qui sont les ententes, l’abus de position
dominante et l’abus de dépendance économique. Ces pratiques constituent la condition préalable de
caractérisation de l’infraction pénale.
Tout accord ou pratique concertée peut en principe entraîner l’application du texte, que la
pratique ait « un objet » ou « un effet » anticoncurrentiel. Cependant, il ne suffit pas de démontrer une
violation des dispositions des articles 101 et 102 du TFUE.
On ne manque pas à remarquer que l’abus de dépendance n’est pas mentionné par le droit de
l’Union européenne comme une pratique anticoncurrentielle. Ainsi, cet abus ne concernerait que le
droit interne et on le retrouve à l’article L 420-1 alinéa 2 du Code de commerce qui dit que « Est en
outre prohibée, dès lors qu'elle est susceptible d'affecter le fonctionnement ou la structure de la
concurrence, l'exploitation abusive par une entreprise ou un groupe d'entreprises de l'état de
dépendance économique dans lequel se trouve à son égard une entreprise cliente ou fournisseur. Ces
abus peuvent notamment consister en refus de vente, en ventes liées, en pratiques discriminatoires
visées au I de l'article L. 442-6 ou en accords de gamme ».
C’est l’intensité de l’abus qui constitue le critère de distinction entre l’abus de position
dominante et l’abus de dépendance économique, le premier cas s’étend à tout un marché alors que le
second est nécessairement limité à la sphère du cocontractant.
2- L’élément matériel proprement dit
L’attitude du prévenu doit répondre à deux conditions. Il s’agit ici de limiter les cas de
condamnation personnes ayant une réelle implication dans la pratique anticoncurrentielle.
44
A. Decocq et M. Pédamon, L’ordonnance du 1er
décembre… : JCI. Concurrence-Consommation 1987,
N° 51, p. 18
18
D’une part il doit avoir « pris une part personnelle (…) dans la conception, l’organisation ou la
mise en œuvre » de ces pratiques anticoncurrentielles45
. La participation de la personne doit être
prouvée, il n’y a pas de présomption de responsabilité à la charge des chefs d’entreprises. Cependant,
tout subordonné qui a personnellement participé à la pratique anticoncurrentiel peut être également
condamné au même titre que le dirigeant social46
.
D’autre part, il doit avoir pris une « part déterminante » dans cette conception, organisation ou
mise en œuvre47
. Cette seconde condition ne vise que les meneurs de pratiques anticoncurrentielles.
« Elle doit permettre aux personnes qui leur ont seulement emboîté le pas d’échapper à la
répression »48
.
B- La répression
Comme pour les infractions administratives, il existe une action publique et une action civile.
1- La sphère publique
Tout d’abord, les personnes punissables sont non seulement les personnes physiques, mais
aussi les personnes morales alors même que l’article L 420-6 du Code de commerce ne vise que les
personnes physiques. Le droit positif se fonde sur l’article 121-1 du Code pénal modifié par la réforme
de 200449
qui supprime le principe de spécialité de la responsabilité pénale des personnes morales. Par
ailleurs, il est vrai que l’Autorité de la concurrence exerce déjà une répression administrative à
l’encontre de ces dernières.
L’article L 420-6 alinéa 1er du Code de commerce punit de quatre ans d’emprisonnement et de
75 000 euros d’amende les auteurs de participation frauduleuse à une pratique anticoncurrentielle.
D’autres sanctions pénales sont prévues par le Code pénal50
. L’ensemble de ces peines sont
applicables aux personnes morales à l’exception de l’emprisonnement.
En ce qui concerne la prescription, compte tenu de la dissimulation de certaines de ces
infractions comme l’entente, elle ne court qu’à compter du jour où l’infraction est apparue et a pu être
constatée. Il est possible que l’infraction résulte d’un contrat, notamment pour les abus de position
dominante. Dans ce cas, la prescription ne court qu’à compter du dernier acte d’exécution de ce
contrat51
2- La sphère privée
Il suffit, pour qu’une constitution de partie civile soit recevable devant le juge d’instruction,
que les circonstances sur lesquelles elle s’appuie permettent à ce dernier d’admettre comme possible
l’existence du préjudice et la relation directe de celui-ci avec une infraction pénale52
. Cependant, la
constitution de partie civile sen matière de pratiques anticoncurrentielles sont rarement admises.
45
CA Paris, 20 avril 1971, JCP G 1972, II, n° 17011, note Guérin 46
Cass, crim., 16 mai 2001, n° 97-83.467 et n° 97-80.888 47
CA Rouen, 25 février 2002, LPA 13 décembre 2002, p. 4 48
Agathe Lepage, Patrick Maistre du Chambon et Renaud Salomon, Droit pénal des affaires, 4ème
édition,
Edition LexisNexis, Septembre 2015 49
Loi n° 2004-204, dite Perben II, du 9 mars 2004 50
Article 313-6 du Code pénal 51
Cass, crim., 19 mars 2008, n° 07-80-473 52
Cass, crim., 17 octobre 1972, n° 72-90.894