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Université Hassan II Faculté des Sciences juridiques, économiques et sociales Casablanca Introduction aux Relations internationales (Semestre 1, Ensemble 2) (Année universitaire 2016-2017) 1

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Université Hassan II

Faculté des Sciences juridiques, économiques et sociales

Casablanca

Introduction aux Relations internationales

(Semestre 1, Ensemble 2)

(Année universitaire 2016-2017)

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Pr Mohammed Kouddane

Introduction du Cours

La définition de la notion de Relations internationales et la détermination de l’objet du Cours

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Un enseignement universitaire qui prétend s’ériger en discipline scientifique doit d’abord commencer par définir son objet. Or la détermination de l’objet de l’enseignement des Relations internationales passe nécessairement par la définition de la notion de « Relations internationales ».

Selon une première approche, de nature politique, celle qui est la plus généralement partagée, cette définition prend appui sur le concept de Nation, d’où le qualificatif « internationales » accolé au terme « Relations » et qui signifie littéralement entre « Nations » ou entre Etats (A).

Même si elle cadre parfaitement bien avec l’intitulé officiel de la discipline de Relations internationales (celui de la nouvelle réforme de la Licence en Droit de 2014), cette première approche doit, toutefois, être complétée et enrichie par une seconde approche, plus sociologique que politique, que nous tenterons d’esquisser et de présenter ce qui va nous permettre d’élargir le champ de l’étude des Relations internationales (B).

A. L’approche politique classique des Relations internationales : la notion de « boules de billard »

Il est généralement admis que la notion de « Relation » ou de « Rapport » évoque celle d’ « Acteurs » entre lesquels ces relations peuvent s’effectuer. Il n’y a, par conséquent, pas de relations sans acteurs. Inversement, il ne saurait y avoir d’acteurs, non plus, sans relations dans la mesure où c’est l’idée même de relation qui évoque celle d’acteurs. De même, en effet, que l’acteur crée la relation avec d’autres acteurs de même, d’une certaine manière, la relation crée l’acteur en ce sens que l’une, la relation, serait totalement inconcevable sans l’autre, c'est-à-dire l’acteur. Le lien réciproque (ou dialectique) entre les deux termes de l’équation constituée par les faits sociaux (internes ou internationaux) est évident car ils sont fortement interdépendants.

Hegel le relèvera très clairement en affirmant que « Aussi peu l’être singulier n’est une personne effective sans relation à d’autres personnes, aussi peu l’Etat n’est une individualité effective sans rapport aux autres Etats », ce qui signifie, en d’autres termes, que pas plus que l’individu n’est une personne réelle sans relations à d’autres personnes, l’Etat n’est un individu réel sans relation à d’autres Etats. L’illustre philosophe ajoute que « La légitimité d’un Etat et, plus précisément de

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l’autorité de son prince, …. doit être accomplie par la reconnaissance des autres Etats. Mais cette reconnaissance exige une garantie, à savoir qu’il reconnaisse de même les Etats qui le reconnaissent c’est-à-dire qu’il les respectera dans leur indépendance… » (G.F. Hegel « Principes de la philosophie du Droit, Le Droit international », Flammarion, 1999, § 331, pp : 382-383).

Appliquée à l’analyse des Relations internationales, cette interdépendance entre Acteurs et Relations nous met en face d’une constatation simple qui consiste à opérer un lien logique entre « Relations internationales » et « Acteurs internationaux ». Autrement dit, la problématique de la définition de la notion de relations internationales est, en réalité, indissolublement liée à celle de l’identification des acteurs qui peuvent prendre part à la réalisation des dites relations.

Pour les classiques, ces « Acteurs internationaux » ne peuvent être que les Etats-Nations auxquels il faudrait reconnaitre un statut et un rôle privilégiés. Sur ce point, philosophes, juristes et théoriciens des Relations internationales sont unanimes et affichent un front uni. Pour eux, la scène internationale est quotidiennement rythmée par les différentes interactions entre les « Puissances » dans tous les domaines de la vie internationale (paix et guerre, économie et commerce, conflit et coopération, droits et développement humains, santé et éducation, culture et science….).

L’approche classique dans la réflexion théorique

Que l’Etat se trouve, selon la formule de Pierre Renouvin et Jean Baptiste Duroselle dans leur important ouvrage d’ « Histoire des Relations internationales », au cœur des relations internationales, personne n’en disconviendra. Il l’est même tellement « qu’on a peine à concevoir les relations internationales autrement que comme des relations entre Etats ». (Charles Zorgbibe, Les relations internationales, Presses universitaires de France, 5 ème édition, 1994, p, 69) . Pour cet auteur, on assiste à une véritable « idolâtrie de l’Etat » qui se manifeste dans les divers conflits contemporains comme celui du mouvement sioniste et des organisations palestiniennes qui tendent à mettre en place une entité étatique. En même temps, au lendemain des révolutions européennes des années 1989-1991, la tendance a été de jeter les fondations de nouvelles entités étatiques comme en ex Yougoslavie, ex Tchécoslovaquie, ex Urss tout comme au cours des décennies soixante et soixante dix avec l’arrivée sur la scène internationale d’une centaine de nouveaux Etats en Afrique et en Asie post coloniales.

En effet, pour une très grande partie de la doctrine juridique, économique et politique, par l’expression « Relations internationales » il convient d’entendre

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l’ensemble des rapports auxquels prennent part une catégorie très particulière d’acteurs appelés Etats qui présentent cette particularité d’être souverains et indépendants les uns par rapport aux autres.

Pour cette approche, c’est fondamentalement en cela où résident la spécificité, l’objet et l’essence de cette ancienne et récente discipline intitulée « Relations internationales ».

C’est incontestablement l’analyse « réaliste » américaine, née dans le contexte historique de la guerre froid, qui a donné à cette approche classique ses lettres de noblesse.

Pour ce « paradigme » (c'est-à-dire pour cette l’Ecole) « réaliste », en effet, l’acteur étatique constitue le pilier du système international dans la mesure où les Relations internationales ne peuvent se concevoir que par rapport à lui et à lui seul. Pour cette Ecole, la société internationale est fondamentalement une société interétatique et se trouve très largement dominée par les grandes puissances. C’est, au fond, cette caractéristique de cette société qui explique la dimension conflictuelle des relations qui s’y effectuent car en l’absence de toute autorité capable d’imposer à ses membres un ordre contraignant les Etats se trouvent livrés à eux-mêmes et sont naturellement portés à accroître leur puissance afin de préserver leur existence (leur sécurité nationale). Pour H. Morgenthau « La politique internationale peut être définie… comme un effort continuel pour maintenir et accroître la puissance de sa propre nation et pour restreindre ou réduire la puissance des autres nations ». (Lire: Politics Among Nations, The Struggle for Power and Peace). Cette donnée de la société internationale sera reprise par un autre représentant illustre de ce courant de pensée, Raymond Aron, pour qui l’Etat se trouve au cœur des relations internationales et pour qui, aussi, si on supprime un concept comme l’Etat, « l’histoire politique devient incompréhensible, fureur aveugle et tumulte chaotique ». Pour lui les agents privilégiés des Relations internationales dignes d’intérêt sont le diplomate et le soldat. « Deux hommes et deux seulement agissent pleinement non plus comme des membres quelconques mais en tant que représentants des collectivités auxquelles ils appartiennent : l’ambassadeur dans l’exercice de ses fonctions est l’unité politique au nom de laquelle il parle ; le soldat sur le champ de bataille est l’unité politique au nom de laquelle il donne la mort à son semblable ». (Lire : Raymond Aron, Paix et Guerre entre les Nations) . Les Historiens sont également du même avis. Pour Pierre Renouvin et Jean Baptiste Duroselle l’Etat et l’Homme d’Etat se trouvent au premier rang des relations internationales (Lire : Introduction aux relations internationales, Colin, 1964). Certains spécialistes, pourtant assez réservés sur cette manière de définir les relations internationales, n’hésitent pas à partager le même point de vue en affirmant que « la pratique diplomatique elle-même privilégie, sans aucune

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ambigüité, la primauté -voir l’exclusivité- de l’Etat » pour des raisons évidentes que ce dernier est omni- présent dans toutes les étapes de la vie de l’individu (naissance, décès…), même les autres acteurs de la vie internationale, à l’instar des entreprises multinationales ou les ONG, ont besoin d’une nationalité pour pouvoir exister et fonctionner ; bref, tout le corpus du Droit international et de la pratique diplomatique reflète et renforce la prédominance de l’Etat. (Lire, Bahgat Korany, Analyse des Relations internationales, Approches, Concepts et Données, Centre québécois de relations internationales, 1987, pp : 124,125). Pour lui, « il ne faut pas oublier que tout est encore organisé en fonction de l’Etat, et que la réalité internationale ne se comprend pas plus si l’Etat est écarté. En plus, les arguments, justifiés, concernant le décalage entre le module étatique et la réalité internationale, n’invitent pas à la négation de l’Etat comme acteur international mais indique, plutôt, ses différents types ». (Idem, p : 127).

C’est incontestablement Jean Jacques Rousseau qui a très largement contribué à réduire la société internationale à sa dimension exclusivement interétatique dans laquelle l’individu n’a qu’une place secondaire combien même il participe à un conflit armé en tant que soldat. Rousseau affirme à ce propos que « La guerre n’est point une relation d’homme à homme, mais une relation d’Etat à Etat, dans laquelle les particuliers ne sont ennemis qu’accidentellement, non point comme hommes ni même comme citoyens, mais comme soldats ; non point comme membres de la patrie, mais comme ses défenseurs. Enfin, chaque Etat ne peut avoir pour ennemis que d’autres Etats et non pas des hommes, attendu qu’entre choses de diverses natures on ne peut fixer aucun vrai rapport » (Jean-Jacques Rousseau : « Du contrat social ou Principes du droit politique », Librairie Générale Française, 1996, pp : 50- 51).

Cette vision « état-centrique » s’appuie, en réalité, sur une observation empirique simple et somme toute très évidente de la société internationale qui donne l’image réelle d’un espace géographique, humain, culturel et politique extrêmement morcelé, divisé et fragmenté entre une multitude de communautés organisées en entités autonomes et se trouvant dans une situation de juxtaposition et d’horizontalité les unes par aux autres. Cette horizontalité est déduite du principe cardinal de Droit international qui est celui de l’égalité souveraine des Etats consacrée par la Charte des Nations Unies de 1945 dans son article 2 § 2.

Comme on l’a très justement fait remarquer, cette présence des Etats sur la scène internationale n’a pas seulement pour effet le découpage territorial de l’espace en plusieurs entités ; mais elle a surtout pour effet d’isoler, les unes des autres, des populations qui vivent sous des régimes politiques, juridiques, administratifs, économiques, sociaux et culturels très différents les uns par rapport aux autres ( cela

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découle du principe sacro-saint de la souveraineté). Par conséquent, aussi longtemps que les entités étatiques subsistent encore les relations internationales ne peuvent se concevoir que par rapport à elles et à elles seules. Et si, par une pure hypothèse, ces Etats, acteurs majeurs sur la scène mondiale, viendraient, un jour, à disparaitre de cette scène les relations que nous qualifions aujourd’hui d « internationales » viendraient à changer totalement de nature. (Consulter à ce propos l’ouvrage très instructif, déjà cité dans la bibliographie, de Marcel Merle intitulé : « Sociologie des Relations internationales », Dalloz, pp : 93-94).

On ne peut mieux affirmer l’importance, la place et le rôle de l’Etat et des Etats sur la scène internationale puisque si, par définition, ils viendraient à disparaitre (ce qui est improbable, mais qui sait ?) les Relations internationales suivraient certainement le même sort. A la place nous aurions des rapports qui seraient analogues à ceux que l’on trouve dans les sociétés politiques internes.

Pour R. Aron, par exemple, ce qui permet de maintenir la thèse du caractère central des relations interétatiques ce sont des éléments d’ordre géopolitique comme le renforcement et l’universalité du phénomène étatique y compris dans les pays qui, naguère, adhéraient à l’idéologie de Marx et Engels du « dépérissement de l’Etat » avec la fin de la lutte des classes et la victoire du prolétariat dans les pays ex-socialistes. L’auteur français ajoute afin de renforcer davantage sa conception interétatique des relations internationales, « Je consens, affirme t-il, si le philosophe y tient, à ce qu’il n’y ait que des individus et que l’Etat, la nation, l’armée, n’existent pas de la même manière que les individus. Que l’on supprime ces concepts et l’histoire politique devient incompréhensible, fureur aveugle et tumulte chaotique » Raymond Aron : Penser la guerre, Clausewitz, p : 232). Ainsi, comme l’admet M. Merle, « c’est le besoin de retrouver, dans la confusion des événements les linéaments d’une conduite rationnelle qui justifie le maintien de concepts comme celui d’Etat », Sociologie des Relations internationales, p : 63.

Cependant, et jusqu’à preuve du contraire, l’Etat est omniprésent et les Relations que nous nous proposons d’analyser ne peuvent se concevoir qu’à travers le prisme étatique. C’est l’Etat, « flanqué de ses agents », qui demeure l’acteur central et c’est autour de la stratégie qu’il déplie que s’ordonnent les fils conducteurs de la politique internationale. Nier l’existence des Etats (…) équivaut à nier l’évidence pour Marcel Merle (ouvrage précité, p : 321 ). C’est, donc, dans la mesure où des relations concernent plus d’Etat qu’elles sont appelées « internationales ». Dans ces conditions, la société internationale est une société d’Etats dont ils constituent les composantes essentielles. Ils se trouvent dans une posture de face à face et le développement des organisations internationales, comme l’Organisation des Nations Unies ou d’autres organisations, comme on le verra, ne transforme pas radicalement cette donnée fondamentale des relations internationales qui rejaillit

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sur leur constitution et leur fonctionnement. L’un des organes principaux des Nations Unies, l’Assemblée générale en l’occurrence, constitue le microcosme de la société internationale dans son ensemble où chaque Etat dispose d’un siège et d’une voix (toutes ces questions seront traitées dans la troisième Partie du Cours). Par ailleurs, lrrfffrtaaaaxe réseau complexe de règles du Droit international public destinées à régir ces relations (que nous aborderons dans la dernière Partie du Cours) reste impuissant à modifier cette dimension foncièrement interétatique de la société internationale. Ce Droit reste très largement un droit de coexistence et de coopération entre Etats et non pas un Droit de « dépassement » de ces Etats (Serge Sur : Relations internationales, pp : 3 et 4).

Toutefois, il convient de souligner que cette vision de la matière ne cadre pas tout à fait avec la terminologie habituellement (et officiellement) utilisée afin de désigner cette science sociale particulière puisque les Relations dont il s’agit d’analyser la nature et l’objet sont qualifiées d’ « internationales » ce qui signifie littéralement entre « Nations ».

En réalité, l’utilisation de la notion d’Etat à la place de celle de « Nation » s’impose et se justifie très largement dans la mesure où cette dernière, en dépit de sa large diffusion et son utilisation pour désigner soit des disciplines comme le Droit « international », l’économie « internationale », le commerce « international » etc…ou bien des Institutions comme, par exemple, la Société des « Nations » ou l’ Organisations des « Nations » unies (ONU), est un concept vague, flou et ambigu en ce sens qu’il fait l’objet d’interprétations divergentes et renferme des réalités politiques très différentes. Il ne peut, par conséquent, pas constituer un critère précis et rigoureux permettant de donner une définition scientifique acceptable des Relations internationales. En effet, parfois le mot coïncide avec l’Etat qui l’incarne sur le plan politique et juridique. On parle, dans ce cas précis, d’Etat-Nation. C’est la situation idéale mais elle très rare. Parfois aussi, il préexiste à la formation de l’Etat (par exemple les « nations » allemande et italienne avant la réalisation de l’unité politique de ces deux pays). Parfois encore, il déborde le cadre d’un seul Etat pour englober plusieurs entités étatiques. C’est le cas, par exemple, de la Nation arabe qui s’étend sur plusieurs Etats arabes (22) membres de l’organisation de la Lihue arabe ; de la nation serbe, albanaise, kurde (dispersée sur plusieurs pays : Iran, Irak, Syrie et Turquie), touareg (Mali, Algérie, Niger)…Si l’on adoptait, comme critère de définition des Relations internationales, les groupes humains ethniquement homogènes la société internationale (celle des Nations) se trouverait dans un état de fragmentation tel que toute tentative de systématisation serait illusoire.

En revanche, le concept d’Etat, qui se présente comme un groupement humain (un peuple plutôt qu’une nation) vivant sur un espace territorial délimité par des frontières et soumis à l’autorité d’un pouvoir politique unique (le Gouvernement) qui

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détient, selon l’expression de Max Weber, « le monopole de la violence légitime » est plus à même de constituer un critère objectif, précis et neutre susceptible de constituer de définition des Relations internationales. Comme on l’a déjà rappelé, l’observation empirique montre que l’Etat est une composante essentielle de la société internationale et un acteur majeur des relations internationales. Il constitue la première des Institutions internationales. Ceci en dépit de la prolifération des organisations internationales qu’elles soient de coopération ou même d’intégration économique, politique ou militaire. En dépit aussi du processus de mondialisation qui, pour certains, constitue une réelle menace pour l’Etat non seulement dans son statut d’acteur majeur des relations internationales mais aussi et surtout dans son principe d’instrument d’expression politique des sociétés humaines (le berceau de la démocratie et de l’Etat de droit).

L’approche classique des Relations internationales dans l’observation empirique de la société internationale

Il va sans dire que cette dimension interétatique des Relations internationales est liée à la naissance des Etats souverains et à leur multiplication dans le monde. Après la Cité Etat et l’Empire, l’Etat demeure aujourd’hui l’unique forme d’organisation et d’encadrement politique et juridique qui permet à une collectivité humaine d’accéder à la vie internationale au point qu’il est impossible d’étudier celle-ci sans prendre en considération celui là. En effet, d’un bout à l’autre de la planète un seul modèle d’organisation a droit de cité : celui de l’Etat Nation. Pour la première fois dans l’Histoire de l’Humanité le monde est réellement la société des Nations qu’il a toujours prétendu être : le fait a rejoint le droit. Nous assistons actuellement à une véritable « Mondialisation » de l’Etat souverain à travers son universalisation en l’espace de quelques siècles seulement (du XIXème au XXème siècle où la Décolonisation a très largement contribué à accroître le nombre d’Etats -une centaine- dans le monde suivie par la fin de l’ex URSS, de l’ex Yougoslavie et de l’ex Tchécoslovaquie). Un seul chiffre permet de s’en rendre compte : au début du XXème siècle, 1/10ème de la population mondiale vivait dans un Etat indépendant. Aujourd’hui, au début du XXIème siècle, pratiquement tous les êtres humains (7 milliards) vivent sous l’autorité d’un Etat indépendant et souverain et l’ONU qui comptait, en 1945, 51 Etats seulement ne (qui avaient assisté à la conférence de San Francisco aux Etats Unis qui avait vu la fondation de l’ONU) en compte aujourd’hui pas moins de 193 Etats membres et le phénomène ne cesse de s’amplifier. D’autres chiffres sont particulièrement éloquents : en 1923 l’Europe comptait 23 Etats pour un total de 18 000 kilomètres de frontières ; aujourd’hui, ils sont 50 ayant en commun 40 000 kilomètres de frontières. Cette tendance à la prolifération étatique,

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c'est-à-dire la multiplication des Etats dans le monde, se trouve, aujourd’hui renforcée par les mouvements sécessionnistes observés, ces quinze à vingt dernières années, dans différentes régions du monde. Ainsi que l’admet un spécialiste de la question, Pascal Boniface, Directeur de l’Institut de Relations internationales et stratégiques de Paris, « l’émiettement du monde est global et dépasse les clivages Nord/Sud ou Est/Ouest. Il est spectaculaire dans les fédérations multinationales qu’étaient l’Union soviétique et l’ex-Yougoslavie. Mais la tendance désintégratrice est générale du Québec au Sri Lanka, de la Chine au Royaume Uni. Elle touche aussi l’Afrique où le principe réaliste de la préservation des frontières héritées de la colonisation (il s’agit de celui de l’intangibilité des frontières)

Par conséquent, l’Etat a réellement réalisé ce qu’aucune religion, aucun civilisation, aucun empire, aucune puissance n’ont pu réaliser : conquérir le monde et atteindre l’universalité (H.Lefevbre, De L’Etat, L’Etat dans le mode moderne, Collection, 10/18).

Ce processus de mondialisation de l’Etat, au centre comme à la périphérie du système de l’économie-monde capitaliste, s’explique, en partie, par une « interaction constante entre les processus de production capitaliste et les processus géopolitiques, étatiques et nationaux ». Il y a, par conséquent, un lien très étroit entre l’émergence et l’expansion de l’économie capitaliste et la naissance et la consolidation territoriale et administrative des Etats-Nations en Europe occidentale et l’élargissement du système interétatique à travers la mondialisation de l’Etat moderne (dans le reste du monde). A partir de là, l’Etat-Nation moderne s’impose comme la forme unique d’organisation politique, militaire et territoriale. (Lire l’excellente analyse de Ali Kazancigil, « Paradigme de la formation de l’Etat moderne dans la périphérie », in Bahgat Korany, précité, pp : 189-209).

Mais il faut bien souligner que « l’analyse attentive de la genèse de l’Etat démontre que celui-ci n’est pas imputable au système international : l’invention de l’ordre international moderne suit la construction de l’Etat au lieu de la précéder, relève des conséquences et non des causes… Indépendant du système international dans son invention, l’Etat a, en revanche, profondément marqué celui-ci, jusqu’ à le constituer à son image. A cette antériorité de l’Etat, le système international doit d’être devenu un système d’Etats-Nations (ou interétatique). Les principaux attributs de la logique étatique se retrouvent, en effet, comme (des) composantes (essentielles) du jeu international contemporain : territorialité, souveraineté, sécurité. La généralisation d’un ordre territorial homogène a conduit à l’universalisation du modèle national et à un découpage de l’espace (mondial) en territoires finis, institutionnalisés et présentés comme légitimes. Le principe de souveraineté a une double transposition internationale : il érige en postulat que le pouvoir ultime réside dans l’entité étatique nationale ; il suppose que celui-ci dispose du monopole de la violence physique

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légitime sur son propre territoire. Le principe de sécurité, enfin, connait une conséquence évidente : inventé pour assouvir le besoin de sécurité de ses sujets (en vertu du pacte hobbesien), l’Etat agira, nécessairement et de manière légitime, sur la scène internationale en vue de maximiser sa sécurité envisagée alors comme la marque première de l’intérêt national (conformément à l’Ecole réaliste des relations internationales) ». Lire Bertrand Badie et Marie Claude Smouts, Le retournement du monde, Sociologie de la scène internationale, Fondation nationale des Sciences politiques (FNSP) et Dalloz, 1992, pp : 15 et 16.

Mais il convient de souligner que dans le processus de formation de l’Etat Nation moderne et de son universalisation, le territoire et la frontière ont joué et continuent de jouer le premier sinon le rôle exclusif et déterminant dans le monde occidental, d’abord, et dans le reste du monde ensuite. Les plus récentes études sociologiques consacrées à l’Etat ont mis en évidence l’intimité du lien qui unit l’idée de territoire et le système international. Citons à ce propos les très fortes formules d’un spécialiste de la question qui n’hésite pas à affirmer que c’est de « la médiation territoriale que dérive le concert des nations… Dans son moment « international », la scène mondiale s’identifie en termes de territoires contigus et souverains, d’Etats-Nations, seuls habilités à la composer, de peuples qui n’existent que par leur support territorial, de souverainetés qui ne se comprennent et ne s’évaluent que par opposition à l’ingérence, de frontières qui doivent être sûres et reconnues dont on a le droit d’hériter mais non celui de les transformer. Suprême conséquence, le territoire distingue l’interne de l’externe, ce qui est « étranger » de ce qui ne l’est pas ; le territoire permet de désigner le barbare, l’étranger, l’autre, celui qu’on peut combattre mais à qui on peut aussi parler ». Bertrand Badie, La fin des territoires, Essai sur le désordre international et sur l’utilité sociale du respect, Fayard, L’espace du politique, 1995, p : 49.

En réalité, le territoire étatique constitue le support spatial du « pouvoir politique » exercé dans le cadre de l’Etat par les gouvernants conformément aux normes et aux institutions constitutionnelles en vigueur. Par conséquent, ainsi que l’admet un auteur, « l’analyse des relations internationales doit porter, avant tout et surtout, sur le rôle des gouvernants représentants exclusifs de cet acteur privilégie qu’est toujours l’Etat souverain » (ouvrage précité, p : 321). De là découle le caractère politique des relations internationales en raison du fait qu’elles mettent en présence des Pouvoirs politiques de différents Etats. De ce point de vue leur analyse relève de la Science politique puisque cette discipline a pour objet exclusif l’étude du Pouvoir politique. (Lire, Madeleine Grawitz, Méthodes des sciences sociales, Dalloz, 10 ème

Edition, pp : 257-262)

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L’approche classique dans la Jurisprudence internationale (la Cour permanente de Justice internationale-CPJI- et la Cour internationale de Justice-CIJ)

Cette tendance à l’inter étatisation des Relations internationales a été toujours renforcée par la jurisprudence internationale notamment celle de la Cour permanente de justice internationale (CPJI) et celle de la Cour internationale de Justice (CIJ). En vertu du Statut de la Cour actuelle, comme celle de l’ancienne Cour permanente, celles-ci ne sont compétentes que si le différend qui leur est soumis présente un caractère international ou inter étatique c'est-à-dire un différend opposant deux Etats. Ainsi, l’ancien Pacte de la Société des Nations (SDN) énonce que la Cour permanente de Justice internationales « connaitra de tout différend (ayant) un caractère international que les Parties (c'est-à-dire les Etats) lui soumettront ». De même l’article 34 du Statut de l’actuelle Cour dispose que « Seuls les Etats ont qualité pour se présenter devant la Cour ». L’article 35 suivant ajoute « La Cour est ouverte aux Etats parties au présent Statut ». Par conséquent, la condition essentielle pour se déclarer compétent que le juge doit vérifier est celle de la qualité des Parties au différend. Il doit donc se déclarer incompétent si cette condition n’est pas remplie notamment dans toutes les hypothèses où le différend n’est pas précisément international (dans le sens « inter étatique » du terme) c'est-à-dire un différend qui n’oppose pas des Etats entre eux mais qui oppose un Etat et une personne privée étrangère que cette personne soit physique ou morale. Logiquement, dans ce type de différend, le juge est tenu de se déclarer incompétent faute de la qualité étatique de l’une des deux Parties au différend. Dans le cas contraire, il risque de porter atteinte à l’une des dispositions fondamentales de son Statut qui a trait à la qualité des justiciables, ou de tout au moins de l’un d’eux, qui peuvent se présenter devant lui aux fins de règlement de leurs différends. Afin d’échapper à ce risque, le juge international n’a pas hésité, entrainé par sa logique inter étatique des affaires susceptibles de lui être soumises, à opérer une transformation d’un différend de nature privée et interne dans lequel une partie privée est impliquée en un différend international pour la simple raison que l’Etat national de la personne privée a accepté de prendre « fait et cause » pour son ressortissant devant une juridiction internationale en mettant en œuvre sa protection diplomatique. En s’efforçant de rechercher un fondement à sa compétence il a cru la trouver dans le « droit » de tout Etat « de faire respecter, en la personne de ses ressortissants, le Droit international ». Comme par un coup de baguette magique, l’intervention d’un Etat en faveur de ses ressortissants victimes de dommages à l’étranger suffit à transformer une relation interne en une relation a internationale mettant en face deux Etats : l’Etat national du ressortissant et l’Etat contre qui la réclamation est engagée. (Voir plus particulièrement les Affaires : Concessions Mavrommatis, Emprunts serbes et brésiliens dans la Jurisprudence de la Cours permanente de Justice internationale, CPJI).

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Avantage et inconvénient de l’approche classique

1. L’avantage : La réalité internationale quotidienne reste très largement dominée par l’action des Etats

En dépit de son caractère réducteur, cette analyse politique des relations internationales implique des conséquences extrêmement intéressantes qu’il convient de rappeler :

Elle tend à affirmer la tendance à la mondialisation des relations internationales en élargissant le « concert des Nations » au point que le système international devient vraiment universel fondé sur la participation de tous les Etats à la gouvernance internationale en matière de paix et de sécurité, d’économie, de coopération et d’échanges commerciaux, d’environnement et de droits humains... « La scène interétatique, admet Jean-Jacques Roche, est universelle, c'est-à-dire qu’elle s’étend à toute la planète et qu’elle donne à tous les Etats reconnus la possibilité d’y participer…L’Organisation des Nations Unies incarne cette universalisation » (Relations internationales, 3ème édition, 2005, p : 135).

Elle tend aussi à assurer une « Mondialisation » du Droit international, dans le sens public et privé du terme, s’étendant aux confins du système international et non plus à son « centre » seulement à travers la technique conventionnelle à travers laquelle les règles de droit s’élaborerait sur une base élargie et donc démocratique sur le fondement du principe cardinal de l’égalité souveraine des Etats (art. 2,§ 1 de la Charte des Nations Unies). Cette mondialisation du Droit serait le pendant de la tendance à l’universalisation planétaire de l’économie de marché qui constitue une donnée fondamentale de nos sociétés contemporaines au sein de laquelle tous les individus de la planète se trouvent reliés au même grand marché mondial. Ainsi qu’un auteur l’a admis, « Le processus d’internationalisation de l’économie est, à notre avis, un facteur puissant de recomposition du système juridique à partir du droit économique ». (Lire Gérard Farjat, « La notion de droit économique » in Archives de Philosophie du Droit », Droit et Economie, Tome 37, pp : 26-62 et notamment pp : 48-49). Par conséquent, Il convient de faire accompagner cette mondialisation économique à laquelle nous assistons aujourd’hui par une « mondialisation » d’un droit commun à toutes les Nations (donc à tous les Etats) et non point un droit hégémonique émanant d’un seul Etat ou d’un groupe restreint d’Etats ou un droit spontané issu spontanément du marché économique. (Lire

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l’excellent ouvrage collectif sous la direction de E. Loquin et C. Kessedjian « La Mondialisation du Droit », Litec, 2000).

Cette approche permet aussi de comprendre le processus d’ « institutionnalisation » des relations internationales par la constitution de multiples Organisations internationales et plus particulièrement le Système des Nations Unies au sein duquel les Etats jouent un rôle de premier plan comme on le verra.

En quatrième lieu, cette approche classique des relations internationales imprime au Système international la cohérence, la rationalité et la prévisibilité dans la mesure où les acteurs internationaux sont connus et identifiés et qui utilisent un même code de communication ce qui leur permettre d’engager dialogue et négociation notamment entre des protagonistes engagés dans un conflit politique ou armé : dans cette optique, il est très intéressant, par exemple, de poser la question de savoir pour quelle raison la guerre froide était-elle restée froide entre les Etats Unis et l’ex Union soviétique (entre 1947 et 1990-1991).

En cinquième lieu, cette vision classique des relations internationales implique une certaine stabilité du système international puisque chaque Etat dispose de moyens qui lui permettent de maintenir la paix civile à l’intérieur de ses frontières et en même temps assurer la paix et la sécurité internationales : l’Etat se trouve à l’interface des deux sociétés : interne et internationale.

Enfin, cette école de pensée à très largement contribué à enrichir la réflexion sur la nature et l’essence des relations internationales contemporaines. Rares sont, en effet, les Sciences sociales, où des auteurs appartenant à certaines grandes écoles (le Réalisme par exemple) ont croisé le fer avec leurs adversaires appartenant à d’autres grandes écoles (l’Idéalisme, le Libéralisme ou le Transnationalisme) sur les grands débats des relations internationales contemporaines et notamment la place de l’Etat et des autres acteurs internationaux sur la scène internationale.

2. L’inconvénient : Il ne faudrait pas que l’arbre cache la forêt

Faire de l’Etat l’acteur privilégié, sinon exclusif, des relations internationales, a-t-on très justement fait remarquer, « revient à mettre l’accent sur la nature particulière de ces relations parmi les autres phénomènes sociaux, mais aussi et surtout opérer une restriction très étroite du champ de recherche et d’investigation » (Marcel Merle, Sociologie des Relations internationales, ouvrage précité, p : 93) .

Par conséquent, il ne faut plus concevoir les relations internationales comme étant celles qui s’effectuent exclusivement entre Etats, comme on l’a longtemps considéré

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et que certaines théories, comme le Réalisme, ont porté en honneur. Les relations internationales ne peuvent plus, aujourd’hui, être considérées comme étant le champ clos et fermé du seul jeu politique et militaire où le diplomate et le soldat jouent les premiers rôles de la pièce qu’ils contribuent à écrire et à jouer en même temps sur la scène internationale.

Les analyses sociologique et économique nous donnent la clé de la définition des Relations internationales en s’appuyant sur le concept fondamental d’ « espace » international transcendant les différents territoires nationaux soumis à l’autorité des Etats.

C’est la question qu’il convient à présent d’analyser.

B. La définition sociologique des Relations internationales : la notion de « Relations transnationales »

Les relations « transnationales » peuvent être définies comme étant « toute relation qui se construit dans l’espace mondial au-delà du cadre étatique national et qui se réalise en échappant, au moins partiellement, au contrôle ou à l’action médiatrice des Etats. Comme telles, ces relations remettent en cause la souveraineté des Etats et la prétention de ceux-ci à revendiquer un droit exclusif à agir sur la scène internationale » (Lire Bertrand Badie et Marie-Claude Smouts Le retournement du monde, Sociologie de la scène internationale, p : 70).

Cette définition montre que les relations qui se réalisent sur la scène internationale ne sont pas uniquement dues à l’action des Etats mais à celles d’autres acteurs entre qui ces relations s’effectuent.

Par conséquent, aux relations classiques et traditionnelles entre Etats (étudiées dans A) viennent s’ajouter d’autres relations entre acteurs qui sont internationaux, puisqu’ils agissent sur la scène internationale, mais qui n’ont pas la qualité d’Etats.

L’Etat se trouve ainsi concurrencé sur son propre terrain par l’émergence et la multiplication de nouveaux acteurs qui ne cessent d’essaimer tout en échappant au contrôle et à la souveraineté des Etats.

Parmi ces acteurs internationaux il convient de citer : les Organisations intergouvernementales (OIG) ; les Organisations non-gouvernementales (ONG) ; les entreprises multinationales (EMN) et, enfin, les Individus Personnes physiques.

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Ces différents acteurs vont faire l’objet des Parties II, III, IV et V du cours.

L’étude de l’acteur étatique traditionnel sera abordée dans la Première Partie du cours.

Première Partie

La scène interétatique :

La place et le rôle de l’Etat dans l’analyse et l’évolution des relations internationales classiques

L’Ecole « étato-centrique » repose sur le caractère absolu de la place et du rôle des Etats dans les relations internationales

Pour beaucoup de philosophes, de juristes et d’historiens des Relations internationales :

« L’Etat constitue le concept clé du Droit international et la réalité politique fondamentale de la société internationale aujourd’hui encore malgré l’apparition

de nouveaux acteurs qu’ont fait surgir l’intensification des relations internationales mais aussi les progrès de la coopération internationale. L’Etat se présente, à notre

époque, comme le groupe politique terminal et faitier…C’est dans le cadre de l’Etat que se situent la mobilisation des ressources, l’allégeance des esprits,

l’accumulation des moyens de puissance, l’unité de direction politique »

Michel Virally (Académie de droit international de La Haye)

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« Supprimer l’Etat revient, en réalité, à rendre l’histoire politique totalement incompréhensible « fureur aveugle et tumulte chaotique »

Raymond Aron, Paix et Guerre entre les Nations

L’étude des Relations internationales (interétatiques) implique l’examen de 4 questions :

Chapitre I. Les analyses doctrinales des relations internationalesChapitre II. La genèse, le processus d’insertion et la classification des

Etats dans les Relations internationalesChapitre III. L’évolution des relations interétatiques de 1945 à nos

joursChapitre IV. La place et la fonction du Droit dans les relations

internationales

Chapitre I. Les analyses doctrinales des Relations interétatiques : entre le « Désordre hobbesien » et l’ « Ordre kantien » (Thomas

Hobbes et Emmanuel Kant)

Face à l’ampleur de la naissance des Etats souverains sur les décombres de la société féodale en Europe à partir du XVIème siècle et du système interétatique qui en est issu et que les traités de Westphalie en 1648 ont définitivement consacrés, face aussi à la persistance de ce même système interétatique dû aux révolutions nationales de la fin du XVIIIème siècle (révolutions anglaise, américaine et française),

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qui ont permis le passage de la souveraineté royale à la souveraineté nationale, face aussi au processus de décolonisation dans les pays du tiers-monde au lendemain de la seconde guerre mondiale qui a contribué au renouveau de l’inter étatisme (dans les années soixante du XXème siècle une centaine d’Etats afro-asiatiques sont arrivés sur la scène internationale), face, enfin, au processus de consolidation de ce même inter étatisme à la fin du XXème siècle (au cours des années quater vingt dix) par la multiplication du nombre des Etats à la suite de l’éclatement de l’ Union soviétique, de la Yougoslavie et de la Tchécoslovaquie (qui ont permis de « libérer une vingtaine d’Etats en Europe de l’Est) témoignant ainsi de la remarquable vivacité du principe des nationalités et de l’aspiration des peuples à se constituer en Etats indépendants et souverains, les spécialistes des relations internationales ont adopté deux visions totalement divergentes : les uns ont vite conclu que le caractère interétatique de la société internationale renferme un gêne pathogène susceptible d’engendrer une situation politique internationale rachitique c’est à dire désordonnée et anarchique pouvant mettre en péril la paix et la sécurité internationales (A) ; les autres ont, au contraire, vu dans cette tendance à l’inter étatisme sans fin de la société internationale un terreau très fertile pour l’éclosion de règles juridiques et d’institutions internationales susceptibles de renforcer les relations internationales et que l’Etat et sa souveraineté ne sont pas réfractaires à l’émergence d’un ordre international fondé sur le droit, la coopération et le respect mutuel (B).

A. La thèse de l’anarchie des relations internationales : le désordre hobbesien (celui de T. Hobbes) contre l’ordre kantien (celui d’E. Kant)

« La politique, dans la mesure où elle concerne les relations entre Etats, semble avoir pour signification ….la simple survie des Etats face à la menace que crée

l’existence d’autres Etats »

Raymond Aron

Paix et guerre entre les Nations,

P : 19

Définies comme étant des relations mettant face à face les seuls Etats, les relations internationales gémissent, depuis trois à quatre siècles, sous le poids de deux tares congénitales qui ont, à jamais marqué, du fer rouge, leur analyse théorique : d’une part, l’ « état de nature » et d’autre part, la « nature de l’Etat » .

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1. La théorie de l’ « état de nature »

Cette théorie découle d’une tradition héritée de la philosophie politique remontant à Thomas Hobbes (dans son ouvrage célèbre intitulé « Le Léviathan »), Jean-Jacques Rousseau (dans son ouvrage intitulé « Du Contrat social »), de Baruch Spinoza (dans son ouvrage intitulé « Traité de l’autorité politique ») et Wilhelm Friedrich Hegel dans son ouvrage « Principes de la philosophie du droit ») .

Cette vision pessimiste des relations internationales trouve son inspiration dans le récit de la naissance des sociétés politiques modernes c'est-à-dire des Etats-Nations fondée sur l’idée de la répudiation de l’ « état de nature » (sur le plan interne), par la conclusion d’un « Contrat social » entre individus opposés et vivant dans un état d’anarchie permanente due notamment à l’absence de pouvoir politique organisé.

C’est ainsi que pour T. Hobbes, par exemple, « Aussi longtemps que les hommes vivent sans pouvoir commun qui les tienne tous en respect, ils sont dans cette condition qui se nomme guerre et cette guerre est de chacun contre chacun » (Le Léviathan). La seule et l’unique solution pour sortir de cet état de nature consiste à instituer un pouvoir politique à l’abri duquel les individus pourront, enfin, retrouver la paix et la sécurité par le procédé du Pacte social c'est-à-dire du contrat conclu entre les individus de la collectivité. En effet, l’auteur précise que « La seule façon d’ériger un tel pouvoir commun apte à défendre les gens de l’attaque des étrangers et des torts qu’ils pourraient se faire les uns les autres… c’est de confier tout leur pouvoir et toutes leur force à un seul homme ou à une Assemblée qui puisse réduire toutes leurs volontés par la règle de la majorité en une seule volonté. Il s’agit d’une unité réelle de tous en une seule et même personne, unité réalisée par une Convention de chacun avec chacun passée de telle sorte que c’est comme si chacun disait à chacun : j’autorise cet homme ou cette assemblée et je lui abandonne mon droit de me gouverner moi-même à condition que tu lui abandonnes ton droit et que tu autorises toutes es actions de la même manière. Cela fait la multitude ainsi unie en une seule personne est appelée : République » (Le Léviathan). Il en résulté que l’ordre politique installé à l’intérieur des Etats (car en commun accord entre les hommes pour trouver une solution au désordre social régnant dans le pays à l’instar de la Libye actuelle) est un ordre qui n’est pas arbitraire dans la mesure où il repose sur le consentement des sujets qui désirent assurer leur propre sécurité.

Mais si l’état de société a pu être établi à l’intérieur des « Républiques », il n’en va pas de même à l’extérieur de ces mêmes Républiques, c'est-à-dire sur le plan international où, précisément, l’ « état de nature » subsiste intégralement en l’absence d’un pouvoir identique. Selon lui, « à tout moment les rois et les personnes qui détiennent l’autorité souveraine sont, à cause de leur indépendance, dans une continuelle suspicion et dans la situation et la posture des gladiateurs, leurs armes

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pointées, les yeux de chacun fixés sur l’autre : je veux parler ici des forts, des garnisons, des canons qu’ils ont aux frontières de leurs royaumes et des espions qu’ils entretiennent continuellement chez leurs voisins, toutes choses qui constituent une attitude de guerre ». La conséquence fondamentale de cette guerre de chacun cotre chacun, réside, aux yeux de Hobbes, dans le fait qu’ « il n’existe pas de propriété, pas d’empire sur quoi que ce soit, pas de distinction du tien et du mien : cela seul dont il peut se saisir apparient à chaque homme et seulement pour aussi longtemps qu’il peut le garder ». Ainsi la « loi » qui régit l’état de nature n’est donc pas autre chose que la loi de la jungle où la violence et la ruse constituent les deux vertus cardinales. S’agissant de la question du respect des traités conclus par les Etats, Hobbes affirme, en une phrase devenue célèbre : « Convenants without swords are only words ».

C’est évidemment sur cette dichotomie entre l’ « état social » interne et l’ « état de nature » externe que Hobbes et ses disciples vont insister beaucoup. Par conséquent, les relations internationales sont, par nature, très différentes des rapports sociaux qui s’établissent à l’intérieur des Républiques placées sous l’autorité du Pacte social : les premières gémissent durablement sous le règne de la force alors que les seconds sont régis par un pouvoir centralisé et hiérarchisé.

La pensée de Hobbes n’a pas manqué de faire des émules parmi les philosophes et les juristes qui se sont intéressés à l’analyse des Relations internationales de sorte que jusqu’ à Raymond Aron « la chaine est pratiquement constante de ceux qui se référent explicitement à l’état de nature pour caractériser les rapports internationaux » (M. Merle : Sociologie des Relations internationales, ouvrage déjà cité, p : 48).

Parmi eux il convient de citer les auteurs suivants : B. Spinoza, J-J Rousseau, H. Bergson, G.Burdeau, Jean Locke (Traité sur le Gouvernement civil), et surtout R. Aron dans son ouvrage fondamental, déjà cité, Paix et Guerre entre les Nations, édition Calmann Levy, 1962.

Une telle vision des relations internationales a très largement contribué à l’affirmation juridique et politique des Etats souverains sous la forme monarchique de droit divin notamment et a été aussi influencée par l’apparition de ces nouveaux sujets du Droit international en gestation et qui va ériger la notion de souveraineté en dogme absolu. L’absolutisme royal va conduire inévitablement à l’affirmation de la supériorité de la volonté de l’Etat souverain. Rien ne peut être imposé aux monarques sans leur consentement. C’est leur seule volonté qui compte sur le plan international. Dans cette hypothèse, l’incompatibilité est totale entre cette attitude « individualiste » et « nationaliste » et l’émergence d’un ordre de relations internationales qui pourrait s’imposer aux Etats et socialiser ces relations. Bien au contraire le Droit international découlant de cette situation va reconnaitre aux Etats

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des pouvoirs extrêmement importants et notamment celui de recourir à la guerre à leur guise pour accroitre leur gloire, prestige et puissance accentuant ainsi le caractère anarchique des relations entre ces Etats. Nicolas Machiavel, dans son ouvrage célèbre Le Prince, pouvait ainsi noter : « L’unique objet que doive se proposer le Prince, le seul art qu’il doive méditer et apprendre est celui de la guerre ; celui là seul est nécessaire à qui veut commander aux autres ». La guerre apparait ainsi comme un moyen nécessaire et normal de la politique internationale des monarques absolus. Le Droit international classique va très largement contribuer à reconnaitre aux Etats ce pouvoir de contrainte les uns vis-à-vis des autres. Cette situation perdurera même à la suite du transfert de l’autorité politique du Monarque de droit divin à la République à la suite des révolutions libérales que l’Europe connaitra à la fin du XVIIème en Angleterre et à la fin du XVIIIème siècle aux Etats Unis et en France. Par conséquent qu’il soit monarchique ou républicain, l’Etat continuera à bénéficier de cette compétence de recourir à la force armée. Dans cette perspective, l’Etat républicain héritera des prérogatives de l’Etat monarchique en ce qui concerne la compétence de guerre reconnue à l’Etat pour régler ses différends avec d’autres Etats. C’est à ce niveau que réside la principale contradiction du Droit international classique qui est « celle de prétendre pacifier les rapports entre ses sujets tout en laissant chacun d’eux également apprécier l’opportunité de son propre recours à la coercition armée ». Cependant, loin de ruiner l’autorité du Droit international, la constance de la guerre (dans les relations entre Etats) pouvait, en effet, apparaitre comme l’une de ses applications, l’ouverture d’un conflit armé y étant une compétence discrétionnaire également répartie entre tous les Etats » (Voir Pierre Marie Dupuy, L’Unité de l’ordre juridique international, RCADI, 2002, Volume 297, p : 219). Avec cette bénédiction du Droit, il ne faut pas s’étonner si la scène internationale va se transformer en un champ de bataille avec la récurrence des conflits armés et des guerres interétatiques dans l’Histoire des Relations internationales : 14-18, 39-45 pour ne citer « que » ces deux guerres vraiment « mondiales »). Cette situation a prévalu jusqu’en 1945 avec la Charte des Nations Unies qui va, pour la première fois dans l’Histoire des Relations internationales, interdire, explicitement, aux Etats de recourir à la guerre afin de régler leurs différends (Art. 2, § 4 qui affirme que « Les Membres de l’organisation s’abstiennent, dans leurs relations internationales, de recourir à la menace ou à l’emploi de la force, soit contre l’intégrité territoriale ou l’indépendance politique de tout Etat, soit de toute autre manière incompatible avec les buts des Nations Unies ») . A l’exception notable de la « légitime défense » prévue à l’Art. 51 de la même Charte qui annonce : « Aucune disposition de la présente Charte ne porte atteinte au droit naturel de légitime défense, individuelle ou collective, dans le cas où un Membre des Nations Unies est l’objet d’une agression armée, jusqu’à ce que le Conseil de Sécurité ait pris les mesures nécessaires pour maintenir la paix et la sécurité internationales ». Autrement dit, d’un point de vue strictement juridique,

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l’autorisation de recourir à la guerre aux Etats est toujours en vigueur jusqu’à aujourd’hui (Lire à ce propos le manuel de Paul François Gonidec et Robert Charvin : Relations internationales, Edition Montchrestien, 3 ème édition, pp : 247-269).

Dans ces conditions, la guerre étant reconnue comme un phénomène admis par le Droit international, il ne restait qu’une seule chose à faire : tenter de la règlementer, c'est-à-dire de l’ « humaniser » à travers le Droit international humanitaire (DIH) (Les Conventions de Genève du 12 août 1949 et leurs Protocoles additionnels du 10 juin 1977.

Pour Montesquieu, par exemple, « Entre les citoyens le droit de la défense naturelle n’emporte point avec lui la nécessité de l’attaque. Au lieu d’attaquer, ils n’ont qu’à recourir aux tribunaux. Mais entre les sociétés (c'est-à-dire les Etats), le droit de la défense naturelle entraine quelques fois la nécessité d’attaquer lorsqu’un peuple voit qu’une plus grande paix en mettrait un autre en état de le détruire et que l’attaque est, dans ce moment, le seul moyen d’empêcher cette destruction ». Lire L’Esprit des Lois, 1748. Ici, l’auteur justifie la guerre préventive à laquelle nous avons assisté en mars 2003 avec l’attaque américaine contre l’Irak.

Cette élaboration doctrinale vise à assoir l’idée que les relations nées de la naissance des Etats-Nations gémissent durablement « sous les affres d’une situation a-sociale dans laquelle l’Etat est un loup pour l’Etat ; les conflits entre les uns et les autres ne s’y règleraient, comme jadis entre MM. De Neandertal et de Cro-Magnon, qu’à coup de massues ou de missiles nucléaires, suivant le degré d’avancement de la technologie militaire du moment » !!! : Pierre-Marie Dupuy, « L’ Unité de l’ordre juridique international », Recueil des Cours de l’Académie de Droit international de La Haye, (RCADI), Volume 297, 2002, p : 77.

La même conception d’une société internationale anarchique (thèse de l’état de nature), se retrouve dans les courants réalistes modernes dont l’expression la plus affirmée, la plus affinée et la plus célèbre reste la vision des Relations internationales proposée par l’américain Hans Morgenthau dans son ouvrage célèbre qui a constitué et qui constitue encore la « bible » des Universités et des chercheurs américains et qui a très largement influencé les spécialistes des Relations internationales aux Etats Unis et à l’étranger aussi. Hans Morgenthau, « Politics Among Nations, The Struggle for Power and Peace, New York, 2end Edition, 1955 » (A Lire impérativement). La même conception est soutenue par Raymond Aron dans son ouvrage connu, déjà cité. Pour l’auteur français « La politique internationale a été, toujours et par tous, reconnue pour ce qu’elle est, politique de puissance, sauf, à notre époque, par quelques juristes, ivres de concepts ou quelques idéalistes qui confondaient leurs rêves avec la réalité » (R. Aron, Paix et Guerre entre les nations, 1962, p. 691)( A lire impérativement aussi).

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Le courant réaliste, forgé dans les années 30 et 40 du siècle dernier, soutient l’idée fondamentale de l’existence d’un système international anarchique au sein duquel les Etats-Nations tentent de maximiser leurs intérêts et leur puissance. A partir de 1945 la vision réaliste est devenue dominante notamment dans le contexte de la guerre froide afin d’expliquer l’affrontement idéologique et militaire entre les Etats Unis et l’Union soviétique.

La doctrine réaliste se fonde sur trois idées essentielles :

1. Les acteurs les plus importants des Relations internationales sont les Etats et que tous les autres acteurs dérivent des Etats leur existence et leur importance relative comme les Organisations internationales.

2. Les Relations internationales se caractérisent par l’anarchie c'est-à-dire par l’absence d’une d’autorité supérieure aux différentes unités politiques. Pour eux, la société internationale est d’autant plus conflictuelle qu’elle est hétérogène : elle est composée d’acteurs étatiques très différents tant par leur situation géographique, que par l’importance de leur puissance économique et militaire, par la divergence de leur régime politique, de leurs valeurs culturelles et de leurs conceptions idéologiques et religieuses.

3. Dans ce contexte anarchique les Etats adoptent des politiques rationnelles afin de maximiser leur puissance et leur sécurité en mobilisant leurs ressources politiques et militaires.

Afin de s’affirmer sur le « marché de la recherche » aux Etats Unis et ailleurs et d’assurer l’unité idéologique du courant qu’ils représentent, les réalistes ont dû croiser le fer avec leurs adversaires de toujours : les « Idéalistes ». Par conséquent, l’explication réaliste ne s’est pas développée dans un contexte historique vierge. Au contraire, c’est par une réaction contre l’idéa1lisme américain d’inspiration wilsonienne et exprimant une tendance générale du comportement collectif américain que le Réalisme s’est constitué en une école de pensée alternative. Il s’insurge contre la vision optimiste de la société internationale fondée sur le droit, les institutions internationales comme la SDN (Société des Nations) ou l’ONU (Organisation des Nations Unies), toutes les deux d’inspiration américaine ou la justice internationale exprimée par la Cour Permanente de Justice internationale (CPIJ) ou la Cour Internationale de Justice (CIJ).

En manifestant son souci de découvrir l’essence des Relations internationales et de dévoiler « Le » concept clé permettant de fournir une explication générale de ces Relations, l’Ecole réaliste pense, à l’instar de son chef de file incontesté Hans Morgenthau, les trouver dans la notion de « puissance » qui constitue, selon lui, l’élément explicatif central des relations internationales car le ressort profond du comportement de l’Etat est l’ « intérêt national » exprimé en termes de puissance. Dans une société internationale anarchique car dépourvue d’instruments de

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régulation (droit, institution, juge), les Etats sont livrés à eux-mêmes et sont naturellement conduits à accroitre leur puissance sur les plans économique, culturel et militaire (surtout) afin d’assurer la défense de leur intérêt national. Cette notion d’intérêt national est très importante dans la vision réaliste dans la mesure où chaque Etat cherche à le préserver en accroissant sa puissance ou bien encore en empêchant ses adversaires de développer leur propre puissance.

Par conséquent, l’objet de la politique étrangère d’un Etat et notamment celle des Etats Unis d’Amérique doit être, selon Morgenthau (qui joue ici le rôle du conseiller du Prince afin d’inspirer ses décisions), uniquement la défense de l’intérêt national qui ne se confond pas avec un idéal abstrait de justice et d’ordre car les principes moraux qui sont désirables dans les relations entre individus ne peuvent pas s’appliquer au comportement des Etats. Il estime que les intérêts d’une nation ne doivent pas être artificiellement identifiés aux prétendus intérêts de l’univers. Une nation, affirme t-il, n’a pas à défendre les intérêts généraux ; elle n’a pas, non plus, à défendre ceux de l’Humanité ; une nation, martèle t-i, défend ses intérêts propres.

En outre, chaque Etat reste totalement souverain dans la définition de son intérêt national vital et le seul juge de l’opportunité et de la nature des actions qu’il lui faut entreprendre pour le préserver et en assurer la meilleure défense possible y compris par le recours à la force armée sans se soucier d’accorder la moindre importance au droit international (qui interdit, pourtant, le recours à la force dans les relations internationales en vertu de l’art. 2 § 4 de la Charte des Nations unies qui stipule que « Les Membres de l’Organisation s’abstiennent, dans leurs relations internationales, de recourir à la menace ou à l’emploi de la force contre l’intégrité territoriale ou l’indépendance politique de tout Etat ») et sans, non plus, aller chercher auprès d’une quelconque instance internationale l’autorisation ou la légitimation de son action (auprès du Conseil de Sécurité des Nations Unies, à titre d’exemple qui seul autorise les Etats de recourir à la force armée en vertu du Chapitre VII de la Charte dans ses articles 39 et suivants).

De son côté, Raymond Aron cherche, lui aussi, à définir une théorie générale des Relations internationales. Il l’élabore sur la base d’un aspect qui lui parait spécifique à ces relations et qui résiderait dans la légitimité et la légalité du recours à la force armée par les Etats. En recherchant l’essence et la spécificité des Relations internationales il croit les avoir trouvées dans la légitimité et légalité du recours à la force armée de la part des acteurs étatiques. Dans les civilisations supérieures, dit-il, ces relations sont les seules, parmi toutes les relations sociales, qui admettent la violence comme normale. Reprenant à son compte l’idée de Max Weber qui définit l’Etat par son appropriation du monopole de la violence légitime, il estime que la société internationale se caractérise par l’absence d’une instance qui détient ce monopole de la violence légitime. La base de la réflexion d’Aron est donc celle de

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l’état de nature. Il admet aussi que la conduite spécifique des relations internationales, ce qu’il appelle la conduite diplomatico-stratégique du fait que les acteurs des relations internationales sont exclusivement le diplomate et le soldat, se déroule à l’ombre de la guerre. Pour lui, l’inexistence d’un législateur édictant des règles juridiques s’imposant aux Etats, l’absence d’une juridiction obligatoire pour dire le droit (hormis le cas de la Déclaration facultative de juridiction obligatoire prévue par l’art. 36 §§ 2,3,4,5 et 6 du Statut de la Cour internationale de Justice que les Etats peuvent remettre en cause pour échapper, précisément, à la compétence de la Cour pour connaitre des différends auxquels ils sont parties) et l’impossibilité d’une sanction organisée (à l’exception des dispositions du Chapitre VII de la Charte des Nations unies qui prévoient des sanctions économiques et militaires contre les Etats mais qui dépendent très largement du pouvoir illimité d’appréciation des Etats et notamment les plus puissants d’entre eux qui disposent d’un siège permanent au Conseil de sécurité et du droit de véto qui leur permettent de s’opposer à toute décision du Conseil) font de la société internationale une société sans loi qu’il n’hésite pas à qualifier de « société a-sociale ». Par conséquent, l’auteur se place explicitement dans la « filiation » de la théorie de l’état de nature inaugurée par son illustre prédécesseur T. Hobbes et dont il constitue le fidèle représentant.

Cette vision anarchique des relations internationales avec la possibilité de recours à la force en dernière instance par les Etats lorsque la défense de leurs intérêts nationaux l’exige a pour conséquence directe d’empêcher le droit international de se réaliser en tant qu’ordre normatif en sapant ainsi le fondement de l’analyse idéaliste de la paix perpétuelle par le développement de ce même droit comme on le verra avec l’analyse de l’approche légaliste des relations internationales. En effet, comme on le sait, le Droit international public positif, actuellement en vigueur, a tenté de régler, de façon définitive, les rapports séculaires de la force et du droit, dans les relations internationales, en substituant, en principe, le second à la première puisque ce droit se déclare ouvertement et explicitement incompatible avec la force en interdisant aux Etats de recourir à la menace ou à l’emploi de la force contre l’intégrité territoriale ou l‘indépendance politique de tout Etat (qu’il soit membre ou pas de l’Organisation des Nations unies). D’après la Jurisprudence de la Cour internationale de Justice (Affaire de la Barcelona Traction Power and Light Ltd) cette interdiction constitue une norme impérative du Droit international public (« jus cogens ») conformément à l’art. 53 de la convention de Vienne de 1969 sur le Droit des traités. Ce même Droit international impose aux Etats de régler pacifiquement leurs différends internationaux de telle manière que la paix et la sécurité internationales ne soient pas mises en danger (Art. 2, § 3 de la Charte des Nations unies). Dans l’affaire qui a opposé le Nicaragua aux Etats unis la même Cour internationale a admis que les Etats persistaient à désigner le recours à la force comme une violation du droit (CIJ, Recueil, 1986, § 186). Toutefois, consacrant le principe de l’interdiction du recours à la force, patiemment construit, et ayant

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résolu que « droit » et « force » sont totalement inconciliables, sauf dans le cas de la légitime défense prévue par l’art. 51 de la Charte des Nations unies, ce Droit international prend l’immense « risque quotidien de s’avouer incapable de faire assurer, par ses sujets (les Etats), le respect d’une obligation aussi fondamentale notamment devant le spectacle quotidien de sa constante négation par la persistance d’une violence endémique dans les relations internationales » d’aujourd’hui comme d’hier donnant ainsi à la vision réaliste des relations internationales une certaine légitimité laquelle vision soutient l’idée de l’irréductibilité des conflits armés dans les relations internationales à côté d’un droit qui, en principe, l’interdit expressément. (Pierre-Marie Dupuy, Recueil des cours de l’Académie de Droit international, 2002, p : 219-220). Cette récurrence du recours à la force par les Etats dans les relations internationales au détriment du droit qui l’interdit constitue « le fonds de commerce » de la pensée réaliste qui soutient qu’il serait illusoire de restreindre l’autonomie (ou la souveraineté) d’action des Etats par l’instauration de règlements juridiques des différends et donc de soumettre celle là à ceux- ci. Dans cette construction, le droit international ne joue qu’un rôle subalterne. Les juristes sont traités avec le mépris de penseurs hypnotisés par les phénomènes de force. Dans cette perspective, R. Aron peut dire que « la politique internationale a toujours été, par tous, reconnue pour ce qu’elle est, politique de puissance, sauf, à notre époque, par quelques juristes, ivres de concepts, ou quelques idéalistes qui confondaient leurs rêves avec la réalité » (Paix et Guerre entre les Nations, p : 691). Il ajoute que la « contrainte est jusqu’ à ce jour inséparable de toute politique » et que « la contrainte entre les Etats s’exprime par la menace ou l’usage de la force armée » (p : 765). Pour Morgenthau, parmi les moyens pouvant être utilisés par la diplomatie des Etats figure la menace d’user de la force ouvrage déjà cité, p : 507). Les auteurs réalistes pensent même que ces Etats peuvent recourir à la guerre de façon préventive afin d’assurer leur sécurité contre des menaces réelles ou virtuelles. L’exemple récent et frappant qu’on serait tenté de citer à cet égard est, bien évidemment, celui de l’utilisation de la force armée par les Etats Unis contre l’Irak en mars 2003 et qui a été engagée, par les Gouvernements américain et britannique, sur la foi d’un simple soupçon d’une menace (laquelle ?) en provenance de l’Irak qui aurait détenu des armes de destruction massive. Cette action s’inscrit dans la droite ligne de la réflexion de Nicolas Machiavel, auteur de l’ouvrage très connu intitulé « Le Prince », (publié en 1516) dans lequel l’auteur joue le rôle du conseiller du pouvoir politique en place en l’occurrence les monarques. Il dit, notamment, « Un Prince ne doit pas avoir autre objet ni autre pensée que le fait de la guerre et l’organisation et discipline militaires car c’est le seul art qui appartienne à ceux qui commandent » (p : 332). Les conseillers du Prince modernes ne disent pas autre chose. Parmi les conseillers du Prince américain il convient de citer l’Ecole néoconservatrice dont le pouvoir consiste à inspirer les décisions du Prince c'est-à-dire de celui qui exerce le pouvoir

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politique aux Etats Unis et notamment le Président américain qui détient, en vertu de la constitution américaine, le pouvoir de recourir à la force armée (la guerre). La nouvelle doctrine de cette Ecole de pensée a introduit dans le vocabulaire politique le concept de « menace critique » qui suffit à susciter une action destinée à l’écarter ou à l’éliminer. Se plaçant explicitement dans le cadre de la théorie hobbesien de l’état de nature, qui fait régner cette menace critique impliquant, pour l’Etat qui prétend être menacé, une guerre préventive permettant à cet Etat de prendre les devants et à engager une action armée de peur qu’un autre Etat ne le frappe ou n’acquiert un surcroit de puissance qui lui faciliterait une agression future : on aura reconnu, ici, l’ « anticipation » de T. Hobbes ou la « preemptive action » dans la pensée politique néoconservatrice américaine. Parmi les conseillers du Prince américain il convient de citer des noms comme Paul Wolfowitz, Richard Perle et Robert Kagan. Pour ce dernier, la société internationale continue à vivre dans un état de nature (dans un état hobbesien) et le Gouvernement américain ne doit pas hésiter à utiliser sa puissance militaire contre des Etats (l’Irak en l’occurrence) qui présentent une menace contre la sécurité mondiale et l’ordre libérale y compris par une action unilatérale sans de l’aval de l’Organisation des Nations unies (en l’occurrence le Conseil de sécurité) qui a fait l’objet d’un total mépris non seulement de ces conseillers(dont certains ont parlé de « La chute de l’ONU », sous la plume de R. Perle, voir Le Figaro du 11 av. 2003) mais également de beaucoup de membres de l’Administration américaine sous la présidence de G.W. Bush (2001-2008) (Voir R. Kagan « L’Europe postmoderne, Le Monde du 28-29 juil. 2002).

C’est, en effet, après le 11 septembre que la notion de « guerre préventive » a fait son entrée dans la pensée stratégique américaine permettant au gouvernement des Etats Unis d’employer la force contre des puissances (des Etats) hostiles susceptibles d’utiliser des armes de destruction massive (les ADM). La Maison Blanche avait clairement affirmé que des attaques préventives pourraient se révéler nécessaires afin de défendre les citoyens américains face à la menace représentée par les « Etats voyous » ou « délinquants » (« Rogues States » dans la terminologie américaine).

En réalité, cette « preemptive action » américaine contre l’Irak en mars 2003 servait les intérêts nationaux des Etats Unis consistant à affirmer leur hégémonie sur toute la région du Moyen Orient et au-delà sur de vastes régions s’étendant de l’Europe jusqu’en Asie (l’idée d’Empire est présente dans la pensée politique des dirigeants américains). A ce propos, lire l’excellente analyse géopolitique de Gabriel Robin parue dans la revue « Géopolitique » publié par de l’Institut International de Géopolitique, sous le titre : « Sens et enjeu de la guerre d’Irak », avril-juin 2003, pp : 3-10.

L’une, sinon l’unique, analyse pénétrante, approfondie et affinée de la politique étrangère américaine au cours des deux dernières décennies est incontestablement

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celle d’Emmanuel Todd dans son essai qui porte le titre de : Après l’Empire, Essai sur la décomposition du système américain. Gallimard, 2002 et 2004 avec la Postface de l’auteur. Dans cette perspective, « Pourquoi la- superpuissance solitaire- n’est-elle plus, conformément à la tradition établie au lendemain de la seconde guerre mondiale, fondamentalement débonnaire et raisonnable ? Pourquoi est-elle si active et déstabilisatrice ? Parce qu’elle est toute-puissante ? Ou, au contraire, parce qu’elle sent lui échapper le monde qui est en train de naître ? » (p : 14). L’auteur répond à la question en remarquant que « Sa (celle de l’Amérique) spécialisation planétaire est devenue, par le jeu de l’Histoire, la défense d’un principe démocratique perçu comme menacé : par le nazisme allemand, par le militarisme japonais, par le communisme russe ou chinois. La seconde guerre mondiale, puis la guerre froide ont, pour ainsi dire, institutionnalisé cette fonction historique de l’Amérique. Mais si la démocratie triomphe partout, nous aboutissons à ce paradoxe terminal que les Etats-Unis deviennent, en tant que puissance militaire, inutiles au monde et vont devoir se résigner à n’être qu’une démocratie parmi d’autres » (p : 21). L’auteur arrive à l’idée selon laquelle c’est ce sentiment de l’inutilité des Etats Unis, dans le monde post-guerre froide, est l’une des clefs qui permettent de comprendre la politique étrangère des Etats Unis » (p : 21). Il n’hésite pas à soutenir la thèse de « la dégénérescence de la démocratie américaine et la guerre comme possible » (p : 29) en qu’il est n’est pas exclu de « postuler des comportements agressifs de la part d’une caste dirigeante mal contrôlée et une politique militaire plus aventureuse » (p : 30). (Lire également dans le même sens : Eric Laurent : Les Guerres des Bush)..

Sur la même problématique, Lire la revue : « Diplomatie, Affaires stratégiques et relations internationales », septembre-octobre 2007, et notamment, l’analyse relative à La notion de guerre préventive et ses conséquences pour les relations internationales, pp : 76-84.

2. La théorie de la nature de l’Etat

La deuxième tare congénitale qui empêche les relations internationales d’évoluer vers plus d’ordre et de progrès est sa différence fondamentale avec les sociétés politiques internes qui constituent un modèle dont la société internationale devait s’inspirer.

Cette explication procède de l’idée erronée qu’il ne saurait y avoir d’ordre politique et juridique que celui qui est constitué sur la modèle étatique. Ainsi que l’admet le juriste internationaliste Pierre-Marie Dupuy dans son Cours à l’Académie de Droit international de La Haye (2002), « Tout se passe comme si on opposait ainsi à l’état de nature la nature de l’Etat, force de contrainte centralisée détenant, selon le mot

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de Max Weber, le monopole de la violence légitime, seul à même de fournir le dessein de tout ordre proprement juridique » (p : 79).

Cette idée est très claire dans la pensée politique de R. Aron qui affirme, dans son ouvrage Paix et Guerre entre les Nations, déjà cité, que « l’humanité n’aura pas accompli son unification dans un Etat universel, il subsistera une différence essentielle entre politique intérieure et politique étrangère. Celle- là tend à réserver le monopole de la violence aux détenteurs de l’autorité légitime, celle-ci accepte la pluralité des centres de forces armées. La politique, en tant qu’elle concerne l’organisation intérieure des collectivités, a pour fin immanente la soumission des hommes à l’empire de la loi. La politique, dans la mesure où elle concerne les relations entre Etats, semble avoir pour signification-idéal t objectif à la fois- la simple survie des Etats face à la menace que crée l’existence des autres Etats… Les Etats ne sont pas sortis, dans leurs relations mutuelles, de l’état de nature. Il n’y aurait plus de théorie des relations internationales s’ils en étaient sortis » (p : 19)

L’opposition entre l’ordre politique, juridique, social interne et le désordre international est fondamentalement radical que l’auteur n’hésite pas à qualifier la société internationale de « société a-sociale ». Pour lui, les relations internationales ne mériteraient même pas le qualificatif de « société ».

La même analyse est également partagée par le fondateur de l’Ecole réaliste américaine H. Morgenthau dans son ouvrage classique déjà cité (voir supra).

L’infériorité congénitale de la société internationale par rapport aux sociétés internes se trouve également exprimée sous la plume du politologue français George Burdeau dans son Traité de science politique, Tome 1, 2 ème édition, 1967.

On peut, donc, conclure et dire que les partisans de la thèse de l’anarchie des relations internationales sont unanimes pour affirmer que, contrairement aux sociétés internes, la société internationale est totalement désarticulée et inorganisée. Il manque à celle-ci une cohésion et une solidarité entre ses membres, conditions qu’elle ne peut réaliser en raison de l’absence d’un Parlement, d’un Exécutif et d’un Juge. En conséquence, les rapports internationaux ne peuvent être que des rapports anarchiques fondés sur le pouvoir discrétionnaire des Etats et caractérisée essentiellement par l’emploi de la force armée.

Le point commun entre tous les auteurs qui appartiennent à ce courant de pensée résidé dans la nostalgie d’un Etat impérial et universel tel qu’il avait été concrétisé par l’autorité de l’Empire romain qui s’étendait sur l’ensemble des territoires autour de la mer méditerranée et la tentative de sa reconstitution par le Saint Empire germanique dont le fondateur est Charlemagne (qui ne s’étendait, en réalité, que sur l’Allemagne et l’Italie actuelles).

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L’erreur essentielle de cette école de l’anarchie et du désordre des relations internationales consiste à faire de l’Etat l’obstacle infranchissable à l’émergence d’une société internationale ordonnée et régie par des règles de Droit et sa tendance à en faire une société qui ne cadre pas avec le modèle étatique.

B. La thèse de l’ordre et de la sortie de l’état de nature : l’ « Ordre kantien » contre le désordre hobbesien (Kant v. Hobbes).

L’idée selon laquelle les relations internationales, loin d’être anarchiques, sont, au contraire, ordonnées par des normes et notamment des normes juridiques, a trouvé de nombreux défenseurs et plus particulièrement chez les théoriciens du « droit naturel » pour qui « la conduite des Etats est, selon eux, soumise à un fond commun de valeurs morales et de règles juridiques, à la fois transcendantes et permanentes, qui ont pour effet de discipliner, d’organiser, de civiliser l’état de nature ».

L’inspiration de la théorie du Droit naturel repose sur la conception de l’homme considéré comme un être sociable et libre que le droit naturel protège parce qu’il concilie sa sociabilité et sa liberté. Si la société est nécessaire à l’homme, elle est aussi une société nécessairement juridique régie par le droit naturel qui garantit sa liberté et limite le pouvoir auquel il est soumis. Cette analyse a très largement influencé l’émergence aussi bien d’un droit naturel international mais aussi un droit naturel de l’homme pris isolément en tant que qu’être humain (l’origine de la doctrine des droits de l’homme).

Confronté au fait politique sans précédent de la naissance des Etats souverains, en Europe occidentale notamment avec l’émergence et la consolidation des monarchies absolues de droit divin, et réfléchissant sur cette situation d’un point de vue juridique certains auteurs n’ont pas hésité à promouvoir l’idée que l’Etat souverain est limité par le droit naturel qui lui est supérieur et que la société des Etats est une société nécessaire car ces derniers ont besoin de vivre, comme les individus, en société. Par conséquent, cette dernière possède une existence nécessaire et donc juridique puisqu’elle est régie par des règles du droit naturel qui est également nécessaire.

Cette tendance va s’affirmer de façon éclatante dans les œuvres du grand juriste hollandais Hugo de Groot plus connu sous le nom de Grotius (1583-1645). Avec lui va se constituer de façon définitive l’Ecole de la nature et du droit des gens ».

Pour cette Ecole, les Etats ont tendance, certes, à régler leurs conflits par le recours à la force armée à leur convenance conformément aux exigences dictées par le

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principe de la souveraineté très en vogue au moment de la formation des premiers Etats Nations en Europe notamment (à partir du XVIème siècle). Mais ces mêmes Etats doivent aussi prendre conscience qu’ils sont liés par les obligations issues du droit naturel. La raison leur commande d’instaurer entre eux des règles de droit international public et des systèmes de règlement pacifique de leurs conflits comme l’arbitrage par exemple leur permettant de renoncer aux aléas de l’équilibre des puissance et aux guerres récurrentes qui constituent des conséquences directes de l’Etat de nature qui caractérise leurs relations. Lire l’ouvrage de Pierre de Senarclens : Mondialisation, souveraineté et théories des relations internationales, Armand Colin, 1998, p : 25.

L’aspect le plus révolutionnaire dans la pensée de Grotius est celui qui consiste à limiter la souveraineté des Etats par le droit naturel. De ce point de vue, il peut être considéré comme le véritable fondateur d’un droit international destiné à régir les relations internationales. Mais surtout, il s’agit d’un effort des juristes qui pensent comme lui une sorte de « super légalité universelle s’imposant aux Etats naissants et susceptible de les unir à défaut d’une unité organique. Malheureusement, cette théorie du droit naturel n’a pas résisté à l’épreuve de la vie internationale. C’est pour cette raison qu’elle n’a pas pu sortir du cadre purement théorique. Elle n’a, par conséquent, pas pu exercer aucune influence sur le système inter étatique en cours de formation et qui excluait toute subordination de l’Etat souverain à un droit supérieur à lui.

Dans le cadre du débat éternel entre anarchie et ordre, il convient d’ « éviter de se placer dans l’univers mythique privilégié par la philosophie politique et revenir à l’analyse des premières manifestations concrètes du droit dans les rapports entre entités politiques organisées (comme les Etats par exemple mais pas seulement) ».

Or l’ « archéologie juridique » a permis de mettre en lumière des accords entre différentes politiques qui remontent au XIIIème siècle AVANT JC (vers 1270 avant la naissance du Christ).

On peur également évoquer, dans le cadre de ce débat, l’idée séduisante dans le but de porter définitivement remède à l’état de nature d »obtenir des Etats qu’ils concluent entre eux l’équivalent du Pacte social par lequel les individus sont censés avoir établi l’ordre et la sécurité à l’intérieur des Etats » Marcel Merle Sociologie des relations internationales, déjà cité, p : 52. Beaucoup d’auteurs ont préconisé cette solution qui a connu le succès que l’on connait dans le processus de formation des Etats Nations modernes sur la base de l’idée de « contrat social » chère à J.J. Rousseau et d’autres philosophes connus qui pensent comme lui.

Le meilleur exemple que l’on peut citer, à cet égard, est celui du grand philosophe allemand Emmanuel Kant dans son ouvrage de référence qui porte le titre Projet de

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paix perpétuelle, esquisse philosophique, paru en 1795 ( traduction de J. Gibelin, Vrin, 1992).

Pour lui, « L’état de nature entre des hommes vivant côte à côte n’est pas un état de nature ; celui-ci est bien plutôt un état de guerre… Cet état de paix doit donc être institué » il ajoute « Les peuples, en tant que Etats, peuvent être jugés comme des individus ; dans leur état de nature (c’est-à-dire indépendant de lois extérieures) ils se lèsent mutuellement déjà du fait qu’ils sont voisins et chacun, en vue de sa sécurité, peut exiger de l’autre qu’il se soumette, avec lui, à une CONSITUTION semblable à la constitution civile où chacun peut voir son droit garanti ». Lire Karl Jasper, Les grands philosophes : Kant (cité par P.M. Dupuy, p : 218).

Ainsi que le note, avec une très grande pertinence, le juriste français P.M. Dupuy, dans son cours à l’Académie de droit international de La Haye (2002), « Kant soulignait, ainsi, avec une grande clarté l’analogie qu’il décelait entre la normalisation des sociétés internes et celle de la société internationale. Dans un cas comme dans l’autre, pour triompher de la justice privée comme du recours anarchique à la force, il fallait qu’un pouvoir fût constitutionnellement seul à bénéficier de ce que Max Weber appellera un siècle plus tard « le monopole de la violence légitime ». L’idée d’instauration de la paix et celle de constitution universelle étaient, ainsi, une nouvelle fois, directement associées. Quels que soient les pièges engendrés par le mythe de l’état de nature, on doit, en effet, convenir que tout ordre juridique doit régler la façon dont il entend établir les rapports de la force et du droit, pour substituer, en principe, le second à la première » (p : 218-219).

C’est exactement ce que prévoit de faire la Charte des Nations Unies fondatrices de l’organisation des Nations Unies que l’on peut considérer comme une Constitution universelle dans la mesure que, à l’instar d’une constitution nationale, elle permet en place des organes auxquels elle confie des missions bien définies et notamment son Conseil de sécurité. De ce pont de vue cette Charte fait penser « Au contrat social si cher aux Lumières puisque la renonciation de tous à la force, sauf le cas de légitime défense, s’accompagne du transfert de la compétence coercitive entre les mains d’un organe centralisé, le Conseil de sécurité. Là encore, l’idée, constitutionnelle par excellence, d’un nouveau Pacte entre les Nations vient immanquablement à l’esprit tant en raison de la finalité assignée à la Charte que des normes nouvelles qu’elle institue » (p : 220-221).

On pourrait objecter que les Etats, en dépit de ce Pacte universel, pourront ne pas en tenir compte. Citons l’échec de la Société des Nations et les difficultés qu’éprouve l’Organisation des Nations unies pour assurer la paix et la sécurité internationale. Cette dernière a lamentablement échoué d’éviter la guerre anglo-américaine contre l’Irak en mars 2003 à laquelle nous avons déjà fait allusion supra. L’objection vient sous la plume de M. Merle lorsqu’il remarque que « le seul fait que les Etats

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préfèrent encore s’en remettre à eux-mêmes ou à leurs alliés du soin d’assurer leur propre sécurité plutôt que d’en déléguer la responsabilité à un organe collectif prouve que le seuil qui sépare l’état de nature de l’état de société n’a pas encore été franchi » (p : 54).

Il est, sans aucun doute, vrai que le respect du droit par les Etas est inversement proportionnel à leur puissance sur la scène international et au domaine (c'est-à-dire l’importance politique des matières concernées) régi par les règles de ce droit.

En réalité, et « contrairement à certaines idées reçues, l’emploi de la force n’échappe pas à tout encadrement juridique ne serait ce qu’en raison du fait que les Etats, décidant d’avoir recours à la menace ou à l’emploi de la force, sont politiquement obligés de justifier juridiquement leur comportement. Il est significatif que les interventions armées sont généralement situées par rapport à un principe de prohibition du recours à la force dont les Etats reconnaissent la positivité tout en s’efforçant de légitimer leur attitude par l’appel à d’autres règles de droit international qui autoriseraient, de façon ponctuelle et temporaire, une dérogation limitée au nom de la défense d’intérêts légitimes juridiquement protégées ». En outre, « les violations graves du droit international, outre qu’elles placent l’Etat qui s’en est rendu coupable, dans une position politiquement difficile au regard de l’opinion publique internationale, rendent juridiquement licites des réactions des autres Etats, soit en vertu des décisions du Conseil de sécurité (de l’ONU), soit au nom de la légitime défense, qui peuvent contribuer au rétablissement de la légalité internationale » Lire Denys Simon, Place et fonctions du droit dans les relations internationales, Revue Le Trimestre du Monde, III, 1991.

Si l’on quitte le domaine du droit international pour explorer d’autres pistes pouvant contribuer à la pacification des relations internationales on peut rappeler le paradigme libéral qui repose sur l’idée de la Paix démocratique et des Institutions internationales.

Pour les auteurs qui appartiennent à cette école de pensée la multiplication des régimes démocratiques dans le monde et la prolifération des organisations internationales pourront, à terme, aboutir à un monde apaisé et pacifique.

La construction de l’Europe peut être citée comme un modèle réussi de ce paradigme : les Etats européens semblent aujourd’hui vivre dans le monde kantien en quittant définitivement le monde hobbesien.

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Chapitre II. La Genèse, l’Insertion et la Classification des Etats dans les Relations internationales de l’Etat

L’Etat reste, et peut être pour longtemps encore, au cœur des Relations internationales en dépit de l’émergence de nouveaux acteurs sur la scène internationale comme les Organisations internationales, intergouvernementales (OIG) et non gouvernementales (ONG), les entreprises multinationales et les individus.

Il est, même, un acteur privilégié du système international en raison du statut de sujet de droit qui lui est reconnu par les règles du Droit international public en vigueur.

Son importance sur la scène internationale peut, en outre, être attestée par le succès qu’il ne cesse de remporter sur le plan politique international puisqu’il constitue l’unique forme d’organisation qui permet aux collectivités humaines d’accéder à la vie internationale. Le modèle étatique, celui de l’Etat-Nation est, désormais, universellement admis au point que, pour la première fois dans l’Histoire universelle, le monde est réellement la société des Nations qu’il a toujours prétendu être : le fait a rejoint le droit (en 1945, 51 Etats seulement ont présidé à la signature de la Charte des Nations Unies, en 2015, 193 Etats sont membres de l’Organisation des Nations Unies).

Tout semble conforter l’idée que l’Etat demeure encore l’acteur primordial des relations internationales et qu’il constitue la pièce maitresse de tout le système international et qu’on ne peut étudier celles-ci (les relations internationales) sans prendre en considération celui-ci.

En Relations internationales, l’étude de l’Etat suscite trois interrogations :

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La première interrogation porte sur la genèse de l’Etat c'est-à-dire sa formation historique, son processus d’extension dans le monde et son identification du point de vue des règles du droit international (A).

La deuxième interrogation a trait à son insertion dans le système des relations internationales à travers sa reconnaissance internationale et son admission dans les organisations internationales comme l’Organisation des Nations Unies (B).

La troisième et dernière interrogation porte sur la classification des Etats dans les Relations internationales et leur inégalité de fait (dans la réalité) en dépit du principe fondamental de l’égalité juridique des Etats consacré par les instruments internationaux comme la Charte des Nations Unies (C).

A. La genèse de l’Etat : formation, extension et identification (définition) de l’Etat du point de vue des relations internationales

La genèse de l’Etat peut être effectuée à travers le rappel de ses origines historiques (1), des différentes modalités qui ont permis son extension dans le monde (2) et, enfin, son identification c’est à dire sa définition selon les règles du Droit international public en vigueur (3).

1. Rappel des origines historiques de l’Etat : La révolution géopolitique du XVIème siècle et ses conséquences internationales

L’Etat-Nation est une construction historiquement datée et géographiquement située : il est né au XVIème siècle en Europe occidentale sous la forme monarchique et au terme d’un processus d’émancipation à l’égard de la Papauté et de l’Empire.

La consolidation de ce nouvel acteur étatique a été effectuée par les fameux Traités de Westphalie d’oct. 1643 qui vont la naissance des nouveaux Etats souverains et la nouvelle carte politique de l’Europe. En même temps ces accords ont lancé les bases du nouvel ordre politique et juridique européen en affirmant les principes cardinaux des nouvelles Relations internationales européennes : la souveraineté et l’égalité entre les Etats et l’interdiction de toute intervention dans leurs affaires intérieures. Ces mêmes principes sont toujours en vigueur jusqu’à aujourd’hui et font partie du Droit international positif (Charte des Nations Unies).

« Lorsque l’Etat-Nation triomphe en Europe, a-t-on fait remarquer, avec notamment les traités de Westphalie, il se forge alors un système international de fait qui ne résulte que de la composition d’ordres politiques émanant de dynamiques internes.

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Indépendant du système international dans son invention, l’Etat a, en revanche, profondément marqué celui-ci jusqu’à le constituer à son image. A cette antériorité de l’Etat, le système international doit d’être devenu un système d’Etats-Nations. Les principaux attributs de la logique étatique se retrouvent, en effet, comme composantes du jeu international : territorialité, souveraineté, sécurité ». B. Badie et M.C. Smouts, Le retournement du monde, Sociologie de la scène internationale, p : 13.

Avec l’avènement des monarchies absolues des XVIème et XVIIème siècles, en Europe notamment, on va assister à la consolidation de l’Etat et, par conséquent, la consolidation du système interétatique qui dominera les Relations internationales jusqu’à nos jours. Cette consolidation de l’Etat monarchique aboutira à l’exacerbation de sa souveraineté que le Droit international en gestation devait admettre en lui conférant les prérogatives les plus absolues et plus particulièrement celle de recourir librement à la guerre considérée comme un attribut essentiel de cette souveraineté que les rois n’avaient jamais hésité à user et abuser. Cette donnée fondamentale des Relations internationales avait été justifiée par certains auteurs qui dominaient la pensée politique à une époque où l’Etat souverain était en voie de parfaire sa formation. Parmi ces auteurs, qui avaient marqué cette époque par leurs idées, il convient de citer, plus particulièrement, Nicolas Machiavel qui écrivait, dans son ouvrage très célèbre intitulé Le Prince (publié en 1515) : « L’unique objet que doive se proposer le prince, le seul art qu’il doive méditer et apprendre est celui de la guerre ; celui là seul est nécessaire à qui veut commander aux autres ».

Tout se passait comme si la formation de l’Etat, dans sa phase monarchique, devait nécessairement aller de paire avec le recours, par cet Etat, à la guerre si bien qu’on n’a pas hésité à soutenir que si la guerre était très souvent à l’ordre du jour, à cette époque, cela s’expliquait par le fait que l’essentiel de la tâche monarchique, sur le plan international, était de faire la guerre. Cette dernière était de l’ « essence profonde » du système monarchique. Evoquant l’exemple du roi français Louis XIV, on n’a pas hésité à rappeler qu’ « on ne (faisait) pas la guerre pour mieux assurer la paix mais pour conquérir, pour agrandir son territoire. Louis XIV ne se (distinguait) donc pas foncièrement des autres souverains de son temps » (Gaston Zeller, Histoire des relations internationales, tome III, p. 9).

Les premiers juristes internationalistes, au cours des XVIème, XVIIème et XVIIIème siècles, confrontés à l’ avènement du fait géopolitique nouveau et sans précédent dans l’histoire des relations internationales, de l’Etat souverain et réfléchissant sur cet événement en juristes, avaient commencé par admettre l’idée que la société des Etats, à l’instar de la société des hommes, était une société juridique qui devait être nécessairement régie par des règles de droit même si cette société est

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composée d’Etats souverains. Pour eux, il n’y avait aucune incompatibilité entre le principe de la souveraineté des Etats et leur soumission à un ordre juridique international issu du droit naturel qui est leur est supérieur et qui constitue une limite à leur liberté sur le plan international. Cette « juridicisation » de la société internationale était soutenue par d’anciens auteurs, espagnols notamment, comme Francisco de Vitoria (1480-1546) et Francisco Suarez (1548-1617). Mais en dépit de cela, ces mêmes juristes n’avaient éprouvé aucune hésitation à admettre la légitimité du recours, par les Etats, à la guerre en réhabilitant la vieille doctrine de la « guerre juste » développée au Moyen Age par des penseurs comme Saint Augustin dans ouvrage intitulé La Cité de Dieu (publié en 412) et surtout Saint Thomas d’Aquin dans son célèbre ouvrage La Somme théologique (publiée au XIIIème siècle). Faute de l’interdire on a cherché à légitimer la guerre, le poids de la force étant plus fort que le droit. Parmi les juristes internationalistes qui étaient restés fidèles à la notion de guerre juste est, de loin, il convient de citer le juriste hollandais Hugo de Groot, plus connu sous le pseudonyme de Grotius (1583-1645).

Le droit international classique positif issu de la volonté des Etats par le moyen conventionnel (le courant volontariste), en vigueur jusqu’à la veille de l’adoption de la Charte des Nations Unies en 1945, a toujours admis la licéité du recours à la force par les Etats, dans les relations internationales, en dépit des différentes tentatives conventionnelles en vue, non pas de la proscrire, mais seulement soumettre son exercice à certaines conditions :

1. La Convention Drago-Porter de 1907 : limitant le recours à la force pour le recouvrement des dettes contractuelles contractées par les Etats.

2. Le Pacte de la SDN (Société des Nations) de 1919 : limitant le recours à la force entre Etats en cas d’échec des moyens pacifiques de règlement pacifique des différends (arbitrage ou règlement judiciaire)

3. La Convention Briand- Kellog de 1928 : dans laquelle les Etats signataires s’engagent à condamner le recours à la guerre pour le règlement des différends internationaux.

Depuis l’avènement de l’Etat Nation jusqu’en 1945, l’ordre juridique international n’avait pas tranché la question des rapports entre la force et le droit en substituant le second à la première puisque il a toujours admis, au profit de l’Etat, le recours en dernière instance à la guerre (la force armée) pour régler ses différends avec les autres Etats. Par conséquent, il s’est toujours exposé, pendant des siècles, « au danger de reposer sur une contradiction majeure : celle de prétendre pacifier les rapports entre ses sujets (les Etats, en l’occurrence), puisque, en définitive, c’est sa fonction principale que de pacifier les relations internationales, tout en laissant chacun d’eux également apprécier l’opportunité de son propre recours à la coercition armée… Loin de ruiner l’autorité du droit international, la constance de

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la guerre pouvait, en effet, apparaitre comme l’une de ses applications, l’ouverture d’un conflit armé y étant une compétence discrétionnaire également répartie entre tous les Etats ». Cela explique la récurrence de la guerre dans les relations internationales depuis que l’Etat existe sur la scène internationale (1ère et seconde guerre mondiale par exemple).

Depuis 1945, le droit international issu de la Charte constitutive de l’Organisation des Nations Unies, se déclare ouvertement incompatible avec la force puisqu’il proclame solennellement le principe fondamental, dans l’art. 2, § 4 de la Charte, de l’interdiction du recours à la force dans les relations entre Etats qui doivent assumer, en adhérant à la Charte, l’obligation juridique de « s’abstenir de la menace ou de l’emploi de la force soit contre l’intégrité territoriale ou l’indépendance politique de tout Etat, soit de toute autre manière incompatible avec les buts des Nations Unies ». Pour la première fois dans l’Histoire des relations internationales, la force se trouve soumise au droit, le recours à la force armée n’étant admis, pour les Etats, que dans le cas précis de la légitime défense prévue à l’art. 51 de la Charte des Nations Unies.

Mais, en s’affirmant comme étant irrémédiablement inconciliable avec la force, le droit international contemporain prend le grand risque de s’avouer incapable d’imposer aux Etats une obligation aussi fondamentale qui est celle de renoncer pour toujours à l’utilisation de la force dans leurs relations réciproques en raison notamment de la persistance des guerres et des conflits armés dans différentes régions du monde même après l’entrée en vigueur de la Charte des Nations Unies depuis 1945 (il s’agit là d’une négation réelle du droit et notamment de la norme de la prohibition du recours à la force entre Etats). Lire à ce sujet l’ouvrage de Christiane Alibert : Du droit de se faire justice dans la société internationale depuis 1945.

Parmi les exemples très récents de conflits armés qu’on peut citer est celui de la Syrie : un conflit armé interne qui se transforme en conflit régional avec l’intervention des Etats de la région comme la Turquie, l’Arabie saoudite, le Qatar notamment et en conflit international avec l’intervention militaire

des Etats Unis et de la Fédération de Russie.

Dans ce conflit, le droit est totalement absent

La dimension interétatique des Relations internationales n’a pas disparu avec la fin des régimes monarchiques en Europe. Elle s’est même consolidée avec l’émergence des Etats-Nations à l’issue des révolutions du XVIIIème siècle en Europe et en Amérique (les révolutions anglaise, américaine et fran çaise ).

En effet, bien que révolutionnaire, la nouvelle idéologie de la souveraineté nationale qui a remplacé la souveraineté royale et qui est issue des révolutions de la fin du XVIIIème siècle, ne va pas affaiblir le système interétatique né de la révolution

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géopolitique du XVIème siècle. Le nouvel Etat national héritera de tous les attributs de l’Etat monarchique. Par conséquent, sur le plan international, il reste un Etat souverain comme l’a été son prédécesseur ce qui va imprimer au système international son caractère interétatique.

Avec le processus de « décolonisation » de la deuxième moitié du XXème siècle, on va assister à un renouveau de l’inter étatisme puisque les nouveaux Etats d’Afrique et d’Asie, où une centaine de pays vont accéder à l’indépendance à partir des années 50 et 60, vont très largement contribuer à renforcer les bases interétatiques du système des relations internationales en revendiquant un approfondissement de la notion de souveraineté nationale. En effet, « l’inter étatisme que cette attitude renforce, favorise la loi du nombre et c’est bien parce que les Etats du Tiers Monde détiennent la majorité dans la société inter étatique et peuvent en retourner les mécanismes contre les puissances plus anciennes qu’ils inquiètent celles-ci. Placés sur la défensive, les Etats industrialisés réaffirment à leur tour leur attachement au principe de la souveraineté ». On va donc assister à un renforcement du principe de la souveraineté nationale et de son corollaire l’inter étatisme du système international.

A la fin de la guerre froide (1947-1989) la dimension inter étatique des relations internationales sera encore davantage renforcée avec la fin de l’ex URSS et de l’ex Yougoslavie (où une vingtaine d’Etats nouveaux vont naitre et devenir membres, à part entière, de la société internationale.

Depuis les attentas terroristes qui ont marqué la décennie 2000, inaugurée par ceux du 11 septembre 2001 aux Etats Unis, au Maroc, en Grande Bretagne, en Espagne, en France (le 13 nov. 2015), on constate un retour remarqué de l’Etat et des Etats à un moment où l’on a commencé à admettre l’idée, très largement partagée de par le monde, que l’ « humanité est entrée dans une ère radicalement nouvelle où l’économique a définitivement supplanté le politique, où les frontières sont devenues surannées et vont s’effacer d’elles mêmes, où les Etats apparaîtront bientôt aussi superflues qu’importuns et où et où il y n’y aura plus de place que pour le jeu miroitant et foisonnant des réseaux anonymes de toutes sortes. Comme tout s’auto-régulera spontanément on abandonnera les incommodes raideurs du gouvernement oreiller de la gouvernance. Il n’y aura plus qu’à laisser pousser librement les cent fleurs de la modernité et à laisser circuler partout les flux vivifiants de marchandises et de capitaux, d’hommes et d’idées, comme ruisselaient le lait et le miel de la Terre Promise ».

En guise de conclusion, on peut dire que de 1643 à 2015 le fondement de tout le système international reposera sur la persistance, la prolifération et la

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mondialisation de l’Etat souverain au point, qu’aujourd’hui, les 7 milliards d’êtres humains se trouvent répartis entre les 193 Etats existants membres de l’Organisation des Nations Unies. Par conséquent, il convient d’admettre qu’en dehors d’eux les relations internationales seront livrées à l’anarchie, au chaos et au désordre. Ils ne sont pas « le cœur de la société internationale mais ils en sont la colonne vertébrale, brisez-la et il ne reste qu’un pantin désarticulé. Aussi ne faut-il toucher que d’une main tremblante à ce qui fait l’armature l’ordre mondial ».

2. Les modalités de l’expansion du modèle étatique dans le monde : la tendance à la mondialisation de l’Etat et à la fragmentation de l’espace politique international

Du XVIème au XXème siècle l’Etat a réussi à conquérir l’ensemble de l’espace géopolitique mondial si bien qu’il a fini par prendre racine et s’implanter sur tous les continents par un processus d’expansion ininterrompu qui découle directement de l’expansion des pratiques politiques de l’Europe et de son droit public qui comportait deux volets, interne et externe. Sur le plan interne « il fournissait un cadre d’organisation politique et administratif suffisamment souple pour prendre en compte la diversité des expériences historiques et culturelles ». Sur le plan externe, « il se présentait comme un modèle pragmatique pour résoudre les contradictions existant entre l’égalité affirmée des Etats et les inégalités de fait ». Lire : Jean- Jacques Roche, Relations internationales, p : 99.

Selon la formule d’Henri Lefebvre, « L’Etat a réalisé ce qu’une religion, aucune église n’a réussi : conquérir le monde, atteindre l’universalité, entrer avec le marché mondial dans la définition du Planétaire. C’est là un processus extraordinaire (…). Quelles hypothèses émettre pour comprendre et tenter d’expliquer cette mondialisation ? S’agit-il d’une sorte de phénomène naturel ? S’agit-il d’une prolifération, peut-être monstrueuse, de cet être social surgi à la manière d’une existence d’une existence métaphysique ou biologique ? S’agirait-il d’une nouvelle espèce d’êtres organiques doués pour la lutte et la guerre sur la planète ? S’agit-il, au contraire, d’un déterminisme (historique ou économique) fondant une rationalité généralisée ou bien d’une stratégie politique, celle des premiers Etats dominants imposant au monde leur forme politique ? » Lire l’ouvrage déjà cité : De L’Etat, 1. L’Etat dans le monde moderne, collection, 10 18.

Cette expansion s’est étalée sur plusieurs siècles :

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- Les XVI et XVIIème siècles sont ceux de la naissance et de la consolidation de l’Etat en Europe (qui avait accompagné la naissance et la consolidation du système économique capitaliste).

- Le XVIIIème siècle est celui de l’Etat nord américain (les Etats Unis notamment)

- Le XIXème siècle est celui de l’Etat sud américain avec la naissance des Etats de l’Amérique centrale et du sud

- Le XXème siècle est celui de l’Etat afro-asiatique (Afrique et Asie) issu de la décolonisation et de l’Etat issu de la « décommunisassion » c’est à dire de la fin de l’Union soviétique et de la Yougoslavie.

3. Les éléments constitutifs de l’Etat : La théorie des 3 éléments et la neutralité du système des Relations internationales à leur égard

L’Etat est traditionnellement défini comme une collectivité qui se compose d’un Territoire et d’une Population soumis à un Pouvoir politique organisé. Par conséquent, du point de vue des relations internationales et du droit qui les régit (le droit international), pour qu’un Etat puisse exister il faut la réunion de 3 éléments constitutifs indispensables : un Territoire, une Population et un Gouvernement.

- A. Pas d’Etat sans un territoire délimité par des frontières : la neutralité des relations internationales sur la consistance du territoire étatique (territoires terrestre, maritime et aérien)

- B. Pas d’Etat sans une population vivant sur ce territoire : la neutralité des relations internationales sur l’importance du facteur démographique

- C. Pas d’Etat sans un gouvernement exerçant son autorité sur la population et le territoire : la neutralité des relations internationales sur la nature du facteur gouvernemental

A. Le territoire de l’Etat : il est constitué de trois espaces différents : un territoire terrestre, un territoire maritime et un espace aérien.

I. Le territoire de l’Etat L’espace géopolitique des Etats est un espace morcelé, fragmenté entre les Etats qui composent la société internationale. C’est celui du « cloisonnement » en ce sens que les différends pouvoirs politiques s’y

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répartissent sur des espaces clairement délimités. « Tenu tout à la fois pour un sanctuaire et un enjeu, le territoire donne à l’Etat une assise protégée par des frontières dont l’ensemble couvre la terre du quadrillage des souverainetés. Sans nul doute, ces limites conservent, à l’heure actuelle, toute leur valeur : armés d’escouades de juristes, nantis de lourdes archives, les Etats se disputent un cours d’eau devant le juge ou l’arbitre international. Cette représentation de l’Etat a trouvé sa consécration au temps du Traité de Westphalie : il était alors souverain, il affirmait sa affirmait son intégrité territoriale et son unité politique ». (Lire René-Jean Dupuy, Le dédoublement du monde, Revue générale de Droit international public, 1996,1, p : 314). Le territoire de l’Etat peut être étudié du point de vue du Droit international et de celui des Relations internationales. Du point de vue du Droit international, le territoire de l’Etat jouit d’une protection juridique très importante en vertu du principe cardinal qui est celui de l’ « intégrité territoriale » de l’Etat consacré par la Charte des Nations Unies. Les espaces maritimes et aériens sont également par des règles du droit international très précises fixées par des conventions internationales et notamment la convention de Montégo Bay (capitale de la Jamaïque) de 1982 (pour les espaces maritimes) et celle de Chicago de 1944 (sur l’espace aérien).Du point de vue des Relations internationales, l’étude du territoire présente un double intérêt : créateur de la cité politique d’une part et fondateur du système des relations internationales d’autre part :a. D’abord, c’est le facteur déterminant dans le processus de formation des

Etats-Nations sur le fondement du principe de « territorialité » qui signifie que « les individus sont soumis aux mêmes règles, aux mêmes normes, aux mêmes valeurs parce qu’ils relèvent du même territoire ». De ce point de vue, le territoire va jouer le rôle d’espace de réunification d’individus et de support de l’autorité politique. Selon un auteur, « une définition rigoureuse de l’Etat conduit à le situer dans l’espace et dans le temps. En tant qu’Etat-Nation, il est territorialisé…pour entretenir une communalisation politique c'est-à-dire un sentiment d’appartenance commune et solidaire de citoyens conscients de constituer une seule et même entité. Toute cette construction s’inscrit dans l’histoire, celle de l’Europe occidentale sortant du désordre médiéval ». Bertrand Badie et Marie-Claude Smouts, Le retournement du monde, Sociologie de la société internationale, p : 13. (Voir l’Introduction du cours).

b. Ensuite et surtout, c’est du territoire que dérive l’ordre politique international en opérant une distinction entre la sphère interne et la sphère internationale. En effet, selon la belle formule d’un auteur, « c’est donc bien de la médiation territoriale que dérive le concert des Nations »

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dans la mesure où la scène mondiale (la société internationale) « s’identifie en termes de territoires contigus et souverains, d’Etats-Nations, seuls habilités à la composer, de peuples qui n’existent que par leur support territorial, de souverainetés qui ne se comprennent et ne s’évaluent que par opposition à l’ingérence, de frontières qui doivent être sures et reconnues ». Le même auteur ajoute que « le territoire distingue l’interne et l’externe, ce qui est étranger de ce qui ne l’est pas ; le territoire permet de distinguer le barbare, l’étranger, l’autre, celui qu’on peut combattre, mais à qui on peut aussi parler ». Bertrand Badie, La fin des territoires, Fayard, 1995, p : 49). Dans cette perspective, la frontière (terrestre et maritime plus particulièrement) va faire l’objet d’une attention particulière de la part des responsables comme des spécialistes des relations internationales : Voire le numéro spécial de la revue trimestrielle publié par l’Institut international de géopolitique intitulé « Géopolitique » de Janvier 2009. On a pu affirmer que même si le monde reste ouvert au libre échange il reste, cependant, « compartimenté par des cloisons, le plus souvent des frontières nationales mais aussi des règles, des normes et des symboles » Michel Foucher, Le retours des frontières, Revue Géopolitique citée, p : 3.

II. La population de l’Etat : qui peut être analysée d’un point de vue du Droit international et d’un point de vue des Relations internationales

a. Du point de vue du Droit international : le problème de la distinction des nationaux et des étrangers sur le fondement de la question de la nationalité qui constitue le lien juridique qui relie une personne physique ou une personne morale à un Etat. Ce lien de nationalité est fondamental car il permet à un Etat d’exercer en faveur de ses nationaux, résidant à l’étranger et ayant subi des dommages, la « protection diplomatique ». Voir :

Affaire Nottebohm, CIJ, Arrêt, 1955 (pour les personnes physiques) et l’Affaire Barcelona Traction Light and Power Ltd, CIJ, 1970 pour les

personne morales).(Voir TD)

b. Du point de vue des Relations internationales : la question de la cohésion nationale et le maintien de l’unité nationale et les conflits internes qui peuvent en résulter et leurs répercussions internationales : l’ex Yougoslavie, l’ex URSS, l’Espagne avec le problème de sécession de la Catalogne…

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III. L’autorité politique : L’existence d’un ordre politique centralisé est la troisième condition de l’existence de l’Etat souverain : « il est indispensable pour assurer à celui-ci le rôle que le droit et la pratique internationale lui assigne : sans l’existence d’un centre monopolisant les fonctions d’autorité, représentant à titre exclusif la communauté nationale et disposant du monopole des allégeances citoyennes le dialogue d’Etat à Etat n’est pas possible, la mise en œuvre d’un Droit interétatique est défiée, tandis que la légitimité et l’efficacité des pratiques diplomatiques se trouvent remises en cause ». Bertrand Badie et Marie-Claude Smouts, Le retournement du Monde, Sociologie de la scène internationale, p : 29. L’autorité politique de l’Etat peut être analysée d’un point de vue du Droit international et d’un point de vue des Relations internationales :

a. Du point de vue du Droit international : le principe de la neutralité du droit international en ce qui touche à la nature du régime politique des Etats : il n’impose aucune forme particulière de Gouvernement : cela relève de la souveraineté de chaque Etat (l’ONU est totalement neutre à l’égard de cette question. La Charte des Nations Unies admet le principe de la non intervention des Etats dans les affaires intérieures des autres Etats). Le Droit international consacre le principe de la liberté des Etats d’adopter le régime politique de leur choix. Le choix du régime politique relève de la souveraineté des Etats qui s’exprime dans leur Droit constitutionnel.

b. Du point de vue des Relations internationales : le problème essentiel est celui de l’effectivité de l’autorité politique en place qui conditionne l’exercice de la reconnaissance internationale du Gouvernement par les autres Etats.

B. L’insertion de l’Etat dans les Relations internationales : le mécanisme de la Reconnaissance internationale (Voit TD)

C. La classification des Etats dans les Relations internationales : l’inégalité de fait face à l’égalité de droit proclamée par la Charte des Nations Unies (Voir TD)

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Chapitre III. L’évolution des Relations internationales de 1945 à nos jours

Avant de procéder à l’étude de l’évolution des Relations internationales depuis 1945, il convient de rappeler d’abord les différents facteurs d’évolution de ces relations.

1. Les facteurs d’évolution des Relations internationales : les facteurs géographiques, économiques et culturels

2. L’évolution des Relations internationales de 1945 à nos jours : les principales phases d’évolution des Relations internationales

1. Les facteurs d’évolution des Relations internationales (Voit TD) :

- Les facteurs naturels géographiques : l’Ecole de la Géopolitique La Géopolitique, ainsi qu’elle été très précisément définie, « étudie les Etats comme phénomènes spatiaux pour tenter de comprendre les bases de leur puissance ainsi que la nature de leur interaction. Aux yeux des géopoliticiens, la puissance est solidement enracinée dans la nature du sol même. A l’instar du géant Antée, fils de la déesse de la terre Gaïa et de Poseidon, dieu de la mer, qui, dans la mythologie grecque, tirait sa force du contact avec le sol sur lequel il se tenait, l’Etat puise sa puissance dans la nature du territoire qu’il occupe. La planète possède une multitude de climats, de types de végétations, de sols, de formation géologiques, et de reliefs. Et c’est précisément cette variété qui a fait de sa surface bien plus que la scène sur laquelle se déroulait l’histoire de l’humanité ». Pour F. Ratzel les Etats sont considérés comme des organismes qui entretiennent un rapport nécessaire avec leur sol et doivent être, pour cette raison, étudiés d’un point de vue géographique. C’est le fondateur de la « Géographie politique ». Pour lui, la politique internationale est très largement influencée par les facteurs géographiques.Pour Sir Halford Mackinder, le facteur le plus important pour un Etat consiste à bénéficier d’une position géographique centrale sur la carte du monde. Il

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soutient l’idée selon laquelle il existe un « pivot du monde » (le cœur du monde ou « heartland »), constitué par la partie continentale de l’ « Eurasie » en raison de sa masse terrestre. Pour lui, la puissance ou l’Etat qui en a la maitrise contrôle l’ « île du monde » (world island) c'est-à-dire les trois continents : Europe, Asie et Afrique. Il conclut son idée en affirmant que l’évolution des relations internationales résultera des variations du rapport de force existant entre le pivot du monde et les terres de l’anneau extérieur qui entourent le heartland, c'est-à-dire, en définitive, entre la puissance terrestre et la puissance maritime : ce schéma explicatif a réellement correspondu à la période des relations internationales qui s’est étalée de 1947 à 1989 (la Guerre froide) : expansionnisme soviétique contre le « containment » américain.

- Les facteurs économiques : l’Ecole de la Géo-économie : elle a pour objet l’analyse des stratégies d’ordre économique décidées par les Etats dans le cadre d’une politique visant à protéger leur économie nationale. Cette école tente d’appréhender le niveau d’affrontement auquel sont parvenus les Etats dans le cadre des REI. Parmi les auteurs qu’il convient de citer à cet égard est l’auteur américain Lester THUROW dans son ouvrage intitulé : Head to Head : The Coming Economic Battle Among Japan, Europe And America, 1992. Mais le néologisme de « Géo-économie » a été lancé par un stratège américain du nom d’Edward LUTTWAK dans son célèbre ouvrage intitulé The Endangered American Dream, 1993. Pour lui, les Etats définissent puis mettent en œuvre des politiques de conquête d’essence exclusivement économique et non plus militaire comme cela avait été le cas auparavant. Dans sa démonstration, l’auteur emploie des termes puisés dans le jargon militaire pour décrire les stratégies géoéconomiques des Etats. Par exemple, pour lui, « les capitaux investis constituent l’équivalent de la puissance de feu des Etats ; à l’équilibre de la terreur du temps de la guerre froide se substitue le bras de fer commercial et technologique entre les Etats Unis et ses principaux partenaires commerciaux notamment le Japon et l’Union européenne ; la pénétration des marchés étrangers par les entreprises avec l’aide des Etats remplace les bases et les garnisons militaires déployées à l’étranger ainsi que l’influence diplomatique ». Le thème de la guerre économique a retenu l’attention de plusieurs chercheurs en Relations internationales parmi lesquels il convient de citer plus particulièrement les auteurs suivants : Delbecque et Harbulot : La guerre économique.

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- Les facteurs idéologiques et culturels : l’Ecole de la Géo-culture : le fondateur est Samuel HUNTINGTON dans son ouvrage intitulé Le choc des civilisations (The Clash Of Civilisations) (Voir TD).

2. L’évolution des Relations internationales de 1945 à nos jours

Cette évolution est passée par 4 périodes nettement distinctes : cette division n’est pas arbitraire dans la mesure où elle peut être justifiée de la manière suivante :

Les différentes dates d’évolution représentent des cassures très nettes dans la longue période étudiée.

A. De 1945 à 1947 : la période de l’ « Idéologie des Nations Unies » et ses conséquences internationales notamment sur le plan institutionnel : ONU

et ses institutions spécialisées : FMI, BIRD, GATT…..OMC

B. De 1947 à 1989 : la période de la « Guerre froide » et ses conséquences internationales notamment les clivages Est- Ouest (idéologique) et Nord-

Sud

1. Le clivage Est-Ouest

Le monde a connu entre 1947 et 1989 un conflit majeur de nature essentiellement idéologique mais qui n’avait jamais dégénéré en guerre

mondiale ouverte qui aurait, si elle avait eu lieu, débouché sur une guerre nucléaire.

La paternité de l’expression « Guerre froide » appartient au journaliste canadien Walter Lippmann

Il a inventé l’expression en 1947 pour décrire le conflit naissant entre les Etats Unis et l’ex URSS et leurs alliés respectifs

On peut donner de la Guerre froide la définition suivante :C’est un « état de tension dans lequel chaque antagoniste cherche à

renforcer sa position, et par contrecoup, à affaiblir celle de son adversaire en recourant à des moyens divers pouvant impliquer le recours aux armes mais sans aller jusqu’à l’affrontement armé direct entre les Etats Unis et

l’Union soviétique »

Par conséquent, l’année 1947 constitue une année matrice parce qu’elle constitue le passage d’une période marquée par l’idéologie des Nations

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unies dans la guerre à une autre période marquée par l’idéologie des Nations désunies dans la paix.

Fondamentalement, le conflit Est-Ouest avait été un conflit idéologique et politique avant d’être un conflit économique et militaire

Les aspects militaires et économiques du conflit découlaient directement de sa dimension politico-idéologique

La réalité essentielle du conflit consistait à, pour chacun des deux camps, à amener l’autre camp à se transformer de l’intérieur, à adopter une

nouvelle conception de l’ordre politique, économique et social, à adopter une autre conception de l’homme et du monde

Le conflit portait sur le choix d’un seul modèle qui devait, seul, prévaloir : soit le modèle de la démocratie libérale avec son cortège de l’économie de marché et du respect des droits de l’homme d’une part ; soit, d’autre part,

la démocratie socialiste accompagnée de l’économie dirigéeLa guerre froide est née du choc entre ces deux modèles totalement

opposés et irréconciliables De la vont découler deux stratégies internationales concrètes initiées par les deux principaux protagonistes du conflit : du côté soviétique, c’est la lutte révolutionnaire, pour laquelle l’action internationale de Moscou et

celle des différents partis communistes nationaux étaient coordonnée, qui devait prévaloir afin de mettre en place des systèmes politiques et sociaux communistes ; du côté américain, c’est la stratégie du « containment » qui

avait été mise en ouvre pendant tout la période du conflit afin de faire échouer le projet révolutionnaire de l’URSS, de pousser ce pays à

renoncer et à stopper net sa stratégie d’exportation de son modèle dans d’autres régions dans le monde notamment en Europe, en Asie, en Afrique

et en Amérique latine (Amérique centrale et du sud)Les relations internationales nées de ce conflit majeur ont été marquées par le triple signe de la hiérarchie entre les puissances (les grands et tous les autres), du cloisonnement (le symbole étant le « Mur » de Berlin qui

séparait deux mondes totalement différents) et de l’organisation (dans les domines économique et militaire notamment).

Le choc entre les deux modèles politiques et sociaux a très largement dominé tout le débat idéologique qui a marqué le XXème siècle

Ce débat a définitivement été tranché en 1989-1990-1991 dans le sens du modèle de la démocratie libérale et de l’économie de marché.

Lire à ce propos l’ouvrage de Francis Fukuyama intitulé La fin de l’Histoire et le dernier homme.

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Il est très intéressant d’expliquer comment ce conflit majeur avait été soigneusement géré par les différents acteurs en présence même si la

guerre froide ne l’avait été que pour les grandes puissances Cette ne l’avait pas été ainsi pour les pays de la périphérie du système international (les guerres chaudes en Afrique, en Asie et en Amérique

latine dans une moindre mesure)

C. De 1989 à 2001 : la période du renouveau de l’idéologie des Nations Unies : l’âge d’or du Multilatéralisme : diplomatique, militaire et

économique : la fin de la triple rupture idéologique, économique et militaire entre l’Est et l’Ouest

C’est la période du triomphe du « Multilatéralisme » entre 1990-1991 (la guerre contre l’Irak) et 2001 (attentas terroristes du 11 sept. 2001)

Pendant cette période on va assister au retour triomphal de l’ancienne « Idéologie des nations Unies » dans les principaux domaines de la vie

internationale :1. Dans le domaine du maintien de la paix et de la sécurité internationales on assiste à un renouveau du rôle du Conseil de

Sécurité de l’ONU : la première guerre contre l’Irak en 1990-1991 après son invasion du Koweït

2. Dans le domine économique et commercial , le multilatéralisme va consister à mettre en place un nouveau système des échanges économiques internationaux avec la création de l’Organisation

mondiale (multilatéral) du Commerce (OMC) à Marrakech les 14 et 15 avril 1994

3. Dans le domaine des droits de l’homme on va assister à la création de la Cour pénale internationale (CPI) en juillet 1998 à Rome en Italie

Cette Cour est compétente pour juger les crimes de guerre, de génocide et contre l’humanité

4. Dans le domaine de la préservation de l’environnement : les Etats ont décidé de conjuguer leurs efforts afin de limiter l’émanation des gaz à effet de serre (GES) responsables du réchauffement du climat avec la

signature de l’Accord de Kyoto au Japon en 1997

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La Conférence de Paris a pour objet d’atteindre le même but avec le projet d’un accord plus ambitieux encore (limiter les GES afin de limiter le

réchauffement du climat à 2% seulement d’ici à 2100)

D. De 2001 à aujourd’hui (2015) : la fin du « multilatéralisme » et la tendance vers l’ « Unilatéralisme » dans les relations internationales

Le cas des Etats Unis est très intéressant à cet égardLire à ce propos

Emmanuel Todd : Après l’EmpireEt

Joseph Nye Jr : Le leadership américain : Quand les règles du jeu changent

Chapitre IV : La place du Droit dans les relations internationales : les Relations internationales sont-elles soumises à des règles de Droit ?

Deux thèses s’affrontent sur la place et le rôle du Droit dans les Relations internationales :

A. La thèse de la négation du Droit dans les relations internationales : le Droit international n’existe pas parce que les Relations internationales sont totalement anarchiques (Voire l’Introduction du Cours)

B. La thèse de l’affirmation du Droit dans les Relations internationales : sur le plan doctrinal (l’Ecole du Droit naturel et l’Ecole du Droit volontaire) et surtout sur le plan de l’observation empirique :

1. Sur le plan doctrinal : les thèses

2. Sur le plan empirique :

La multiplication des traités internationaux multilatéraux dans différents domaines de la vie internationale qu’il s’agisse du maintien de la paix et de la sécurité internationales, des échanges économiques, des relations diplomatiques et consulaires, de l’ environnement, du partage des mers et des océans et de leurs

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formidables ressources naturelles, des droits de l’homme, de la guerre ; la prolifération des organisations internationales, universelles et régionales ; le développement des règlements arbitraux et juridictionnels des différends entre Etats constituent autant d’ indices révélateurs de la présence du Droit dans le fonctionnement quotidien de la société internationale même si l’intérêt porté au Droit international est « inversement proportionnelle » à la puissance des Etats et à l’importance des matières régies par les règles du Droit international. En effet, « les grandes puissances ont tendance à s’affranchir plus fréquemment du respect de la règle juridique tandis que les Etats plus faibles ont intérêt à défendre et à renforcer la soumission des rapports internationaux au droit ». Toutefois, il convient de remarquer que tous les Etats, y compris les grandes puissances, sont très souvent obligés de justifier juridiquement leur comportement quand ils décident de recourir à la menace ou à l’emploi de la force contre un autre Etat ou contre une entité non étatique comme un groupe terroriste armé. Ainsi que certains juristes l’admettent, « il est (très) significatif que les interventions armées sont généralement situées par rapport à un principe de prohibition du recours à la force dont les Etats reconnaissent la positivité tout en s’efforçant de légitimer leur attitude par l’appel à d’autres règles de droit international qui autoriseraient, de façon ponctuelle et temporaire, une dérogation limitée au nom de la défense d’intérêts légitimes juridiquement protégés ». C’est le cas précisément de la légitime défense prévue à l’article 51 de la Charte des Nations Unies. Par conséquent, la tendance dominante aujourd’hui est celle de la « juridicisation » des relations internationales c'est-à-dire leur soumission aux règles de droit même si le respect du droit international par les Etats est « généralement inversement proportionnelle à l’importance politique des matières concernées » c'est-à-dire que « l’application correcte du droit se retrouve plus dans la vie quotidienne de la société internationale que dans les périodes de crise ou de tension grave ; l’Etat accepte plus volontiers de soumettre à la règle de droit la gestion de ses échanges internationaux courants que la solution d’un conflit dans lequel il considère, à tort ou à raison, que ses intérêts essentiels et sa survie sont impliqués ». Lire Denys Simon, Place et fonctions du droit dans les relations internationales, Le Trimestre du Monde, 1991, III.

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