32
MOBILITÉ ET JUSTICE PÉNALE. L'IDÉOLOGIE MOBILITAIRE COMME SOUBASSEMENTS DU MANAGÉRIALISME Christophe Mincke Ed. juridiques associées | Droit et société 2013/2 - n° 84 pages 359 à 389 ISSN 0769-3362 ISBN 9782275028781 Article disponible en ligne à l'adresse: -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- http://www.cairn.info/revue-droit-et-societe-2013-2-page-359.htm -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Pour citer cet article : -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Mincke Christophe,« Mobilité et justice pénale. L'idéologie mobilitaire comme soubassements du managérialisme », Droit et société, 2013/2 n° 84, p. 359-389. -------------------------------------------------------------------------------------------------------------------- Distribution électronique Cairn.info pour Ed. juridiques associées. © Ed. juridiques associées. Tous droits réservés pour tous pays. La reproduction ou représentation de cet article, notamment par photocopie, n'est autorisée que dans les limites des conditions générales d'utilisation du site ou, le cas échéant, des conditions générales de la licence souscrite par votre établissement. Toute autre reproduction ou représentation, en tout ou partie, sous quelque forme et de quelque manière que ce soit, est interdite sauf accord préalable et écrit de l'éditeur, en dehors des cas prévus par la législation en vigueur en France. Il est précisé que son stockage dans une base de données est également interdit. 1 / 1 Document téléchargé depuis www.cairn.info - Universidad de Valencia - - 147.156.224.138 - 02/05/2015 21h50. © Ed. juridiques associées Document téléchargé depuis www.cairn.info - Universidad de Valencia - - 147.156.224.138 - 02/05/2015 21h50. © Ed. juridiques associées

DRS_084_0359

Embed Size (px)

DESCRIPTION

-------

Citation preview

Page 1: DRS_084_0359

MOBILITÉ ET JUSTICE PÉNALE. L'IDÉOLOGIE MOBILITAIRECOMME SOUBASSEMENTS DU MANAGÉRIALISME Christophe Mincke Ed. juridiques associées | Droit et société 2013/2 - n° 84pages 359 à 389

ISSN 0769-3362ISBN 9782275028781

Article disponible en ligne à l'adresse:

--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------http://www.cairn.info/revue-droit-et-societe-2013-2-page-359.htm

--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------

Pour citer cet article :

--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------Mincke Christophe,« Mobilité et justice pénale. L'idéologie mobilitaire comme soubassements du managérialisme »,

Droit et société, 2013/2 n° 84, p. 359-389.

--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------

Distribution électronique Cairn.info pour Ed. juridiques associées.

© Ed. juridiques associées. Tous droits réservés pour tous pays.

La reproduction ou représentation de cet article, notamment par photocopie, n'est autorisée que dans les limites desconditions générales d'utilisation du site ou, le cas échéant, des conditions générales de la licence souscrite par votreétablissement. Toute autre reproduction ou représentation, en tout ou partie, sous quelque forme et de quelque manière quece soit, est interdite sauf accord préalable et écrit de l'éditeur, en dehors des cas prévus par la législation en vigueur enFrance. Il est précisé que son stockage dans une base de données est également interdit.

1 / 1

Doc

umen

t tél

écha

rgé

depu

is w

ww

.cai

rn.in

fo -

Uni

vers

idad

de

Val

enci

a -

- 14

7.15

6.22

4.13

8 -

02/0

5/20

15 2

1h50

. © E

d. ju

ridiq

ues

asso

ciée

s D

ocument téléchargé depuis w

ww

.cairn.info - Universidad de V

alencia - - 147.156.224.138 - 02/05/2015 21h50. © E

d. juridiques associées

Page 2: DRS_084_0359

Droit et Société 84/2013 359

Mobilité et justice pénale. L’idéologie mobilitaire comme soubassements du managérialisme

Christophe Mincke

Institut national de criminalistique et de criminologie (INCC), Tour des finances, Direction opérationnelle Criminologie, 7e étage, boîte 71, Centre administratif Botanique, boulevard du Jardin botanique 50, B-1000 Bruxelles.

<[email protected]>

Résumé

Le discours du management connait un succès considérable dans le do-maine de la justice pénale ; à tel point qu’on est en droit de se demander comment des instances répressives adhérant depuis des décennies à des registres discursifs à mille lieues du managérialisme ont pu adopter cette conception de la gestion des organisations. Dans ce texte, nous défendons l’idée que le managérialisme est une déclinaison particulière d’une idéolo-gie plus générale : l’idéologie mobilitaire. Fondée sur quatre impératifs (activité, activation, participation, adaptation), elle trouve son origine dans une profonde mutation des rapports à l’espace-temps. Où l’évolution d’une catégorie fondamentale de l’entendement modifie la perspective d’une société sur le monde. Au travers d’exemples tirés de récentes réformes des normes pénales, nous tenterons de montrer en quoi la pénalité ressortit de plus en plus à une axiologie fondée sur la figure de la mobilité.

Activation – Activité – Adaptation – Management – Mobilité – Participation.

Summary

Mobility and Criminal Justice. “Mobilitarian Ideology” (idéologie mobilitaire) as the Basis for Managerialism

In the field of criminal justice, managerial rhetoric has been so successful to the point that one might wonder why the corrections system, which for decades adhered to a discourse that could not be further from a managerial vision, was able to adopt a managerialist stance in administrating the penal system. This contribution argues that managerialism simply constitutes a specific variation of a more general ideology: the “mobilitarian ideology” (idéologie mobilitaire). Based on four principles (activity, activation, partici-pation, and adaptation), the ideology originates from a profound change in our relation to time and space and has become a fundamental category for understanding and perceiving our world. Based on recent examples of reforming penal norms and standards, we show how penality increasingly relies on an axiology based on the principal of mobility.

Action – Activation – Adaptation – Management – Mobility – Participation.

Doc

umen

t tél

écha

rgé

depu

is w

ww

.cai

rn.in

fo -

Uni

vers

idad

de

Val

enci

a -

- 14

7.15

6.22

4.13

8 -

02/0

5/20

15 2

1h50

. © E

d. ju

ridiq

ues

asso

ciée

s D

ocument téléchargé depuis w

ww

.cairn.info - Universidad de V

alencia - - 147.156.224.138 - 02/05/2015 21h50. © E

d. juridiques associées

Page 3: DRS_084_0359

C. MINCKE

360 Droit et Société 84/2013

L’histoire du présent article en explique les contours. En 2010 nous nous ren-dîmes à Québec pour participer à un passionnant colloque portant sur les « instru-ments juridiques dans le jeu politique ». Il y était question de « jeu politique » au sens large, aussi avions-nous proposé une contribution issue de notre thèse 1 et portant sur l’usage du droit comme ressource dans les échanges survenant au cours de la médiation pénale. Il s’agissait pour nous, à partir du constat empirique de la marginalisation du droit, de nous interroger sur les représentations sociales qui pouvaient soutenir la mise en place, par l’État, de modes de résolution des conflits appelés à faire l’économie des règles qu’il édicte lui-même. Partant de notre étude de la médiation, nous faisions l’hypothèse du développement d’une idéologie mo-bilitaire qui lui correspond et contient les ferments d’un déclassement large de l’idée même de législation. Les organisateurs estimèrent notre proposition cohé-rente par rapport au sujet du colloque, mais, n’étant pas politologue et ayant con-duit une recherche de sociologie pénale, il est clair que nous nous trouvions aux marges de celui-ci. C’est une position appréciable, mais qui a ceci d’inconfortable que, lorsqu’une publication est envisagée autour du noyau dur du sujet, des marges, l’on passe aux faubourgs.

Que faire dès lors que le sujet avait évolué vers un questionnement des rapports entre managérialisme et droit ? Puisque nous avions entretemps poursuivi notre exploration de l’idéologie mobilitaire, le mieux nous sembla de tenter, à partir de ces travaux, de rejoindre la question du managérialisme.

L’objet du présent texte est dès lors d’interroger les rapports entre un managéria-lisme dont tout donne à penser qu’il est devenu la pensée organisationnelle domi-nante et un cadre discursif plus large, qui, au travers d’une valorisation de la mobilité, pense la société à frais nouveaux. En nous penchant sur la question – nouvelle pour nous – du managérialisme, il nous a en effet paru y retrouver une série de caractéris-tiques de l’idéologie mobilitaire dont nous pensons qu’elle constitue actuellement un discours particulièrement puissant de description et de prescription du réel. Nous faisons donc l’hypothèse d’un managérialisme comme application « locale » d’un discours plus large. Ce dernier s’applique à de nombreux domaines, bien au-delà des questions de management. À ce titre, il constitue un substrat dont le managérialisme, entre autres discours, se nourrit et sur lequel il prospère.

Cette mise en contexte sera pour nous l’occasion de nous interroger sur l’ampleur de la rupture managériale : le nouveau registre discursif entretient-il avec les discours organisationnels antérieurs des relations de continuité ou de rupture ? Nous tenterons également d’indiquer en quoi il nous semble que la contextualisa-tion mobilitaire aide à mieux comprendre la nature du managérialisme et ses rap-ports avec d’autres mutations de notre société.

Après un aperçu de la conception du managérialisme à laquelle nous nous référe-rons, nous détaillerons quatre caractéristiques saillantes des conceptions contempo-

1. Christophe MINCKE, La médiation pénale face à ses idéaux fondateurs. De l’utopie à l’aveuglement, Bruxelles : Kluwer, 2010.

Doc

umen

t tél

écha

rgé

depu

is w

ww

.cai

rn.in

fo -

Uni

vers

idad

de

Val

enci

a -

- 14

7.15

6.22

4.13

8 -

02/0

5/20

15 2

1h50

. © E

d. ju

ridiq

ues

asso

ciée

s D

ocument téléchargé depuis w

ww

.cairn.info - Universidad de V

alencia - - 147.156.224.138 - 02/05/2015 21h50. © E

d. juridiques associées

Page 4: DRS_084_0359

Mobilité et justice pénale. L’idéologie mobilitaire comme soubassements du managérialisme

Droit et Société 84/2013 361

raines de la pénalité 2. Ensuite, nous présenterons en quoi ces caractéristiques nous semblent liées à la question de la mobilité et, plus spécifiquement, à une « idéologie mobilitaire ». Enfin, à partir de l’idéologie mobilitaire, nous réinterrogerons le managé-rialisme, afin de comprendre le contexte dans lequel il prend place et d’éclairer sa portée.

Nous le voyons, l’ambition n’est pas mince, aussi n’aurons-nous pas la préten-tion de faire le tour des questions que nous annonçons ici. Nous tenterons plutôt, en prolongement d’une première tentative en ce sens 3, de jeter des ponts et de tester des hypothèses, espérant avoir l’occasion, ultérieurement, de les creuser plus avant. Il s’agira donc ici de tracer des perspectives, bien plus que d’apporter des réponses définitives.

Signalons encore que le cadre théorique auquel il sera fait référence ici est en cours d’élaboration puisque nous nous attelons actuellement, avec Bertrand Montulet, à la rédaction d’un ouvrage en faisant un large développement et proposant l’application de ce cadre de pensée aux discours sur la prison.

I. Managérialisme et justice pénale Nous aborderons la question du managérialisme en matière pénale en nous ba-

sant sur les travaux de Dan Kaminski 4. Ceux-ci prennent place à la suite de nom-breux travaux tentant d’expliquer les mutations récentes de l’action en matière pénale. On ainsi été avancés, le paradigme de la justice négociée 5, celui de la res-ponsabilisation croissante des justiciables et des acteurs du système 6, celui du développement d’une justice en temps réel 7 ou de l’accélération du temps juri-dique 8, voire l’idée du développement d’un droit en réseau 9 ou de la progression d’une gestion pénale par le « flou » 10.

2. Notons d’emblée que les situations que nous décrirons seront pour l’essentiel empruntées à la situation belge. Il nous paraît cependant relativement aisé de leur trouver des équivalents dans d’autres contextes occidentaux.

3. Christophe MINCKE, « Mobilité et justice pénale. Nouvelle idéologie, nouvelles pratiques ? », in Dix ans de maisons de Justice, bilan et perspectives. Actes du colloque des 2 et 3 décembre 2009, Bruxelles : SPF Justice, 2011, p. 281-298.

4. Dan KAMINSKI, « Pénalité, management, innovation », Revue de droit pénal et de criminologie, 9-10, 2008, p. 867-886 ; ID., « L’affiliation managériale de la pénalité », in Isabelle BRANDON et Yves CARTUYVELS (dir.), Judiciaire et thérapeutique : quelles articulations ?, Bruxelles : La Charte, 2004 ; ID., « Le management de la prévention », in Dan KAMINSKI et Peter GORIS (dir.), Prévention et politique de sécurité arc-en-ciel. Actes de la journée d’études du 28 mars 2003, Bruxelles : Réseau interuniversitaire sur la prévention, 2003, p. 57-72 ; ID., « Trouble de la pénalité et ordre managérial », Recherches sociologiques, 1, 2002, p. 87-107.

5. Françoise TULKENS et Michel VAN DE KERCHOVE, « La justice pénale : justice imposée, justice participa-tive, justice consensuelle ou justice négociée ? », Revue de droit pénal et de criminologie, 5, 1996, p. 529-579.

6. Françoise DIGNEFFE et Thierry MOREAU (dir.), La responsabilité et la responsabilisation dans la justice pénale, Bruxelles : Larcier, De Boeck, 2006.

7. Benoit BASTARD et Christian MOUHANNA, Une justice dans l’urgence. Le traitement en temps réel des affaires pénales, Paris : PUF, 2007.

8. Philippe GÉRARD, François OST et Michel VAN DE KERCHOVE, L’accélération du temps juridique, Bruxelles : Facultés universitaires Saint-Louis, 2000.

9. François OST et Michel VAN DE KERCHOVE, , De la pyramide au réseau ? Pour une théorie dialectique du droit, Bruxelles : Facultés universitaires Saint-Louis, 2002.

10. Yves CARTUYVELS et Dan KAMINSKI, « Bougés et flous du pénal », in Yves CARTUYVELS et al. (dir.), Le pénal au bord du futur. En hommage à et avec Lode Van Outrive, Paris : L’Harmattan, 1998, p. 119-129.

Doc

umen

t tél

écha

rgé

depu

is w

ww

.cai

rn.in

fo -

Uni

vers

idad

de

Val

enci

a -

- 14

7.15

6.22

4.13

8 -

02/0

5/20

15 2

1h50

. © E

d. ju

ridiq

ues

asso

ciée

s D

ocument téléchargé depuis w

ww

.cairn.info - Universidad de V

alencia - - 147.156.224.138 - 02/05/2015 21h50. © E

d. juridiques associées

Page 5: DRS_084_0359

C. MINCKE

362 Droit et Société 84/2013

Dans ce contexte, D. Kaminski propose un système susceptible d’unifier l’inter-prétation de phénomènes apparemment disjoints en recourant à la catégorie du managérialisme. Pour lui, le système pénal vit une importante crise de ses légitima-tions aboutissant à sa « définalisation » : l’évacuation de la question, traditionnel-lement fondamentale, de la légitimation.

Il caractérise les récentes évolutions de la pénalité comme relevant de quatre tendances principales : l’accroissement de l’activité du système pénal, la redistribu-tion des compétences en son sein (vers l’amont, d’une part, et sous la forme d’une agrégation de différentes logiques à la logique pénale, d’autre part), l’émergence des thématiques de la proximité et de la participation. Il relève également deux invariants pénaux : l’imposition d’une peine et le devoir de punir.

Pour établir une synthèse des évolutions contradictoires qu’il relève, D. Kaminski propose la piste de l’introduction en matière pénale de théories organisationnelles existant dans d’autres secteurs et, plus précisément, du managérialisme. Celui-ci se caractériserait par un souci gestionnaire de maîtrise des coûts et par une exploita-tion populiste de la thématique de la sécurité. Il aurait tiré profit de la modification des conceptions de la justice passant de l’idée d’une justice aveugle à celle d’un mécanisme de gestion des flux de dossiers et de personnes pour imposer la vision d’une justice comme entreprise de transformation gestionnaire d’inputs en out-puts, indépendamment de tout souci politique (définalisation).

Les trois dimensions fondamentales du managérialisme seraient le souci de la productivité (centré sur l’optimisation des flux), celui de l’efficience (centré sur une rationalisation et une maîtrise des coûts) et celui du service à la clientèle 11.

La question qui se pose alors est celle de l’intégration du managérialisme dans le système de gestion étatique. S’agit-il d’un changement radical ou d’une évolution en vue de préserver le système existant ? Plutôt que de voir dans le managérialisme un nouveau modèle de gestion qui succéderait à des prédécesseurs et concurrents, D. Kaminski défend l’idée de la coexistence actuelle de différents modèles auxquels il est simultanément fait recours. Ainsi, quatre modèles s’interpénétreraient 12 : la bureaucratie, le managérialisme, le partenariat coopératif et le marché compétitif. Du fait du développement du managérialisme, le système pénal emprunterait aux quatre modèles en un métissage qui constituerait la grille de lecture adéquate des évolutions actuelles.

11. Dan KAMINSKI, « Trouble de la pénalité et ordre managérial », art. cité, p. 95.

12. Ibid., p. 98-99.

Doc

umen

t tél

écha

rgé

depu

is w

ww

.cai

rn.in

fo -

Uni

vers

idad

de

Val

enci

a -

- 14

7.15

6.22

4.13

8 -

02/0

5/20

15 2

1h50

. © E

d. ju

ridiq

ues

asso

ciée

s D

ocument téléchargé depuis w

ww

.cairn.info - Universidad de V

alencia - - 147.156.224.138 - 02/05/2015 21h50. © E

d. juridiques associées

Page 6: DRS_084_0359

Mobilité et justice pénale. L’idéologie mobilitaire comme soubassements du managérialisme

Droit et Société 84/2013 363

Figure 1 Différents mode d’action étatique

Source : Dan KAMINSKI, « Trouble de la pénalité et ordre managérial », art. cité, p. 98.

Chacun de ces quatre modèles d’action entretiendrait une affinité particulière avec l’un des quatre types de rapport au consentement à la justice pénale théorisés par Françoise Tulkens et Michel van de Kerchove 13.

Figure 2

Mode d’action étatique et rapport au consentement à la justice

Bureaucratie Justice imposée

Managérialisme Justice consensuelle

Partenariat coopératif Justice participative

Marché compétitif Justice négociée

Source : Dan KAMINSKI, « Trouble de la pénalité et ordre managérial », art. cité, p. 100.

Le système actuel serait donc en premier lieu caractérisé par un métissage, bien

davantage que par le choix d’un modèle spécifique. La combinaison circonstan-cielle de divers modèles – plutôt que leur succession diachronique – bloquerait l’évolution du modèle observé.

Plus précisément, le système actuel reposerait sur une hiérarchisation entre les systèmes. La politique pénale ne pourrait être que bureaucratique 14 mais laisserait se développer en son sein des pratiques et organisations managériales afin de s’adapter à une exigence de réforme permanente. Au sein de ces dernières, s’ouvri-raient des fenêtres, toujours locales et temporaires, de pratiques partenariales avec des acteurs extérieurs et de pratiques contractuelles fondées sur un appel au privé

13. Françoise TULKENS et Michel VAN DE KERCHOVE, « La justice pénale : justice imposée, justice participa-tive, justice consensuelle ou justice négociée ? », art. cité.

14. Ibid., p. 102.

Environnement stable

Fixationd’objectifs

à court terme

Fixation d’objectifs à long terme

Bureaucratie Consolidation

Institutionnalisation Modèles de régulation fonctionnelle

Managérialisme Objectifs, cibles et évaluation

Productivité et efficience Contrôles hiérarchisés

Environnement instable

Partenariat coopératif Consultation

Valeurs partagées Réseau

Marché compétitif Analyse de marché

Mécanismes de marché Contrat

Doc

umen

t tél

écha

rgé

depu

is w

ww

.cai

rn.in

fo -

Uni

vers

idad

de

Val

enci

a -

- 14

7.15

6.22

4.13

8 -

02/0

5/20

15 2

1h50

. © E

d. ju

ridiq

ues

asso

ciée

s D

ocument téléchargé depuis w

ww

.cairn.info - Universidad de V

alencia - - 147.156.224.138 - 02/05/2015 21h50. © E

d. juridiques associées

Page 7: DRS_084_0359

C. MINCKE

364 Droit et Société 84/2013

(voir figure 3). D. Kaminski défend donc la thèse selon laquelle le managérialisme n’est qu’un raffinement de la bureaucratie dont la fonction est la pérennisation de celle-ci dans un contexte fortement mouvant.

Figure 3

Rapports entre les divers modèles d’action étatique en matière pénale

Intégration bureaucratique du champ pénal

Organisation et pratiques managériales

Fenêtre partenariale

Fenêtre

contractuelle

Source : Dan KAMINSKI, « Trouble de la pénalité et ordre managérial », art. cité, p. 102. Ainsi, le maintien du système bureaucratique qu’est, par exemple, le système de

justice pénale, serait-il rendu possible par le développement en son sein de pra-tiques managériales, telles que l’attribution des mandats de chef de corps au mérite et pour un temps déterminé, l’introduction d’éléments d’autonomie de gestion financière au niveau des juridictions ou le monitoring des instances concernées selon des logiques de gestion des flux de dossiers et d’efficience productive. Parallè-lement, de manière locale et temporaire, seraient ouvertes des fenêtres partenariale (partenariat coopératif) et contractuelle (marché compétitif). Ressortirait à la pre-mière le développement de réseaux non hiérarchisés de coopération avec des ac-teurs privés dans le but, par exemple, de développer des stratégies de prévention intégrée de la délinquance. L’État s’assurerait alors la coopération de réseaux sco-laires, d’associations, d’hôpitaux, de structures d’aide sociale, etc. La fenêtre contrac-tuelle concernerait des négociations « libres », par exemple dans le cadre de la conces-sion au privé de tâches telles que la construction et l’entretien d’établissements péni-tentiaires (partenariats public-privé), ou dans celui de la mise sur pied d’une justice négociée permettant aux parties d’agir directement sur le devenir de leur conflit. L’ensemble de ces modes d’action coexisterait au service de la stabilisation du système originellement et nécessairement bureaucratique de la justice pénale.

Le managérialisme serait par ailleurs une réponse à la crise de légitimité de la pénalité en forme d’esquive de la question par une « définalisation » de l’action pénale, c’est-à-dire par un évitement de la question des fins de l’action 15.

II. Nouvelles logiques pénales Nous tenterons ici de dégager ce qui, parmi les soubassements idéologiques des

récentes évolutions de la pénalité, indique l’émergence d’une nouvelle rationalité

15. Ibid., p. 89 ; ID., « Le management de la prévention », op. cit., p. 53.

Doc

umen

t tél

écha

rgé

depu

is w

ww

.cai

rn.in

fo -

Uni

vers

idad

de

Val

enci

a -

- 14

7.15

6.22

4.13

8 -

02/0

5/20

15 2

1h50

. © E

d. ju

ridiq

ues

asso

ciée

s D

ocument téléchargé depuis w

ww

.cairn.info - Universidad de V

alencia - - 147.156.224.138 - 02/05/2015 21h50. © E

d. juridiques associées

Page 8: DRS_084_0359

Mobilité et justice pénale. L’idéologie mobilitaire comme soubassements du managérialisme

Droit et Société 84/2013 365

idéologique 16. Notre matériau principal sera constitué des modifications législa-tives des vingt dernières années en tant que discours public portant sur la pénalité, l’organisation de l’État et les modes de gestion des phénomènes et groupes crimi-nels par l’appareil étatique.

Il s’agit, entre autres, de l’introduction d’une procédure de médiation pénale (art. 216 ter du Code d’instruction criminelle [CIC], inséré par la loi du 10 février 1994) ou de la création de la médiation réparatrice (art. 3 ter, CIC, inséré par la loi du 22 juin 2005), des développements de procédures anciennes comme la libéra-tion conditionnelle (création des commissions de libération conditionnelles (loi du 18 mars 1998), puis du tribunal de l’application des peines (loi du 17 mai 2006), la réforme du droit de la protection de la jeunesse (loi du 15 mai 2006 modifiant la loi du 8 avril 1965), du développement d’une offre de surveillance électronique à domicile (notamment, loi du 17 mai 2006), de la création de nouvelles peines (tra-vail d’intérêt général et formation comme quasi-peines dans le cadre de la média-tion pénale, peine de travail autonome (loi du 17 avril 2002) et, depuis peu, la sur-veillance électronique comme mode d’exécution des courtes peines de prison), de l’aménagement de l’exécution de peines traditionnelles (introduction d’un plan de détention (art. 38, loi du 12 janvier 2005) et d’un plan de réinsertion sociale dans le droit pénitentiaire (art. 48, loi du 17 mai 2006), de la création du Collège des procu-reurs généraux (loi du 4 mars 1997) 17, voire de la consécration légale de pratiques vénérables comme le classement sans suite (art. 28 quater, CIC).

Nous y ajouterons des réformes organisationnelles comme l’introduction de systèmes informatisés de gestion du travail pénal et parajudiciaire, à l’image de la création du Système informatique parajudiciaire (SIPAR), système informatisé de gestion du travail des maisons de justice 18, ou le développement par le Collège des procureurs généraux de statistiques de flux pour le système judiciaire.

Il nous semble que ces évolutions peuvent être lues au travers d’un quadruple impératif que Bertrand Montulet et moi-même sommes occupés à caractériser dans le cadre d’une réflexion portant sur l’idéologie mobilitaire : activité, activation, participation et adaptation.

16. Ceci sans nier les permanences qui déterminent fortement la pénalité, tels, par exemple, la subsistance d’un fort attachement aux principes classiques de l’interprétation du droit pénal, le maintien d’une très forte hiérarchisation des interventions en matière répressive, la conservation, comme élément central des régulations, de l’instrument législatif ou encore la conservation d’éléments de rigidité comme la séparation des pouvoirs et la nomination à vie des magistrats. D. Kaminski, pour sa part, relève l’imposition d’une peine et le devoir de punir ; Dan KAMINSKI, « Trouble de la pénalité et ordre managérial », art. cité, p. 91.

17. Christophe MINCKE, « La réforme de l’article 151 de la Constitution : un emplâtre sur une langue de bois ? Sens ou non-sens de l’affirmation de l’indépendance du ministère public ? », Journal des procès, 368-369, 1999, p. 18-21, voir pages 16 et 19 ; ID., Efficacité, efficience et légitimité démocratique du ministère public : quand l’arbre cache la fôret, Leuven : Presses universitaires de Louvain, 2002.

18. Alexia JONCKHEERE, « SIPAR, un système informatique emblématique des transformations observables au sein des maisons de justice », Champ pénal / Penal field, séminaire « Innovations pénales », mis en ligne le 31 octobre 2007, consulté le 11 avril 2013, <http://champpenal.revues.org/2943>.

Doc

umen

t tél

écha

rgé

depu

is w

ww

.cai

rn.in

fo -

Uni

vers

idad

de

Val

enci

a -

- 14

7.15

6.22

4.13

8 -

02/0

5/20

15 2

1h50

. © E

d. ju

ridiq

ues

asso

ciée

s D

ocument téléchargé depuis w

ww

.cairn.info - Universidad de V

alencia - - 147.156.224.138 - 02/05/2015 21h50. © E

d. juridiques associées

Page 9: DRS_084_0359

C. MINCKE

366 Droit et Société 84/2013

II.1. Activité Une des valeurs cardinales de la pénalité actuelle est l’activité, en tant que telle,

sans distinction de nature ou de forme 19 ; cela se marque par sa valorisation, son imposition et le contrôle de son effectivité au moyen d’actions de monitoring.

C’est ainsi que se mettent en place des systèmes fondés sur l’activité du délin-quant comme principe de la réaction à la déviance : ce fut le cas avec la création d’une possibilité de proposition de travail d’intérêt général ou de formation au sein de la procédure de médiation pénale (loi du 10 février 1994). Ultérieurement, fut développée une peine de travail autonome (loi du 17 avril 2002) qui repose sur le même principe. L’activité du délinquant était alors prise comme principe de la me-sure qui lui était appliquée, alors que les modes classiques de réaction répressive reposent sur l’immobilisation carcérale ou sur la privation de moyens économiques.

L’activité peut également être sollicitée comme modalité de résolution d’un conflit en tant que telle, par exemple dans le cadre d’une procédure de média-tion 20. L’activité des justiciables – auteur et victime – est alors la base même de la procédure, puisque c’est de leur implication et de leurs capacités d’ajustements réciproques que l’on attend une issue au conflit 21. Il ne s’agit plus, pour l’appareil répressif, de se saisir d’individus considérés comme des objets passifs entre leurs mains, mais bien de solliciter leur intervention directe et active.

L’activité est donc devenue un principe, un impératif qui, en tant que tel, s’impose à tous. Il n’est plus question d’en faire le signe distinctif de celui qui a prise sur le cours des choses, mais bien de l’instaurer en fondement de la dignité humaine et donc en une aptitude dévolue à chacun. C’est ainsi que, dans les tra-vaux préparatoires de la loi (pénitentiaire) du 12 janvier 2005, la perte d’autonomie et de capacité à agir est vue comme le cœur des problèmes posés par l’institution carcérale. Elle débouche par ailleurs sur une perte des capacités d’action qui obè-rent sa réinsertion.

L’un des principaux obstacles est que le détenu ne peut plus s’occuper de rien, ce qui entraîne souvent chez lui un sentiment de frustration. La réglementation et la prise en charge par l’institution pénitentiaire mène[nt] le détenu dans une situation de profonde dépendance à l’égard d’autrui. […] celui-ci risque de perdre entièrement son sentiment de dignité […], de même que s’émoussent toute sa résistance morale sur le plan social et sa flexibilité qui lui permettent de fonctionner dans des contextes

19. À ce propos, rappelons que la cité par projets de L. Boltanski et È. Chiapello repose sur un (principe) « supérieur commun » qui est l’activité. Luc BOLTANSKI et Ève CHIAPELLO, Le nouvel esprit du capitalisme, Paris : Gallimard, coll. « NRF essais », 1999, p. 165 et suiv.

20. Il en existe deux en matière pénale, celle relevant de l’article 216 ter du CIC, prenant place à l’initiative du parquet, au sein des maisons de justice, et celle relevant de l’article 3 ter du CIC et mise en œuvre par des associations, à la demande des parties.

21. On renverra à ce propos aux considérations pléthoriques sur l’autonomie des parties et sur leur empo-werment dans le cadre de la médiation pénale ; Jacques FAGET, La médiation : essai de politique pénale, Ramonville Saint-Agne : Érès, 1997, p. 56 ; Daniel W. VAN NESS, « The Shape of Things to Come: a Framework for Thinking about a Restorative Justice System », in Elmar G.M. WEITEKAMP et Hans Jürgen KERNER (eds.), Restorative Justice. Theoretical Foundations, Cullompton : Willan Publishing, 2002, p. 2 ; Christophe MINCKE, La médiation pénale face à ses idéaux fondateurs. De l’utopie à l’aveuglement, op. cit., p. 31-32.

Doc

umen

t tél

écha

rgé

depu

is w

ww

.cai

rn.in

fo -

Uni

vers

idad

de

Val

enci

a -

- 14

7.15

6.22

4.13

8 -

02/0

5/20

15 2

1h50

. © E

d. ju

ridiq

ues

asso

ciée

s D

ocument téléchargé depuis w

ww

.cairn.info - Universidad de V

alencia - - 147.156.224.138 - 02/05/2015 21h50. © E

d. juridiques associées

Page 10: DRS_084_0359

Mobilité et justice pénale. L’idéologie mobilitaire comme soubassements du managérialisme

Droit et Société 84/2013 367

normaux, conditions nécessaires pour pouvoir vivre à l’avenir en respectant les normes dans la société libre 22.

On notera également que l’évolution récente des peines et mesures a fait la part belle aux dispositifs appelant un suivi longitudinal. Les peines et mesures sont donc aujourd’hui autant pensées sous la forme de la mise en place d’un monitoring que sous celle, classique, d’une privation de liberté, de biens ou de droits. L’exécution d’une peine de travail ou d’un travail d’intérêt général, le suivi d’un accord de mé-diation, la mise en œuvre d’une mesure de formation ou de thérapie, mais aussi les mesures de probation prétorienne ou de libération conditionnelle sont autant d’éléments qui ont profondément modifié la gestion des réactions aux déviances et qui, d’une manière globale, impliquent le suivi longitudinal d’une activité. La lo-gique du monitoring et de la traçabilité révèle à notre sens un intérêt pour l’activité, plus que pour l’emprise sur les corps ou sur les patrimoines 23.

Celui-ci transparaît même dans l’exécution des peines de prisons. C’est ainsi qu’alors que l’on réaffirme que l’emprisonnement ne doit priver que de liberté, la période d’incarcération est vue comme une période d’activité potentielle. C’est ce qui transparaît de l’instauration d’un plan de détention (art. 38-40, loi du 12 janvier 2005) faisant la synthèse des activités et objectifs que le détenu s’assigne pour son temps de peine.

Il ne faudrait pas en conclure que le souci de l’activité ne concerne que le justi-ciable. Les modes de gestion de l’appareil répressif lui-même s’apparentent fort à ceux que nous venons de décrire. Ainsi le Bureau permanent statistiques et mesure de la charge de travail (BPSM) est-il devenu l’un des instruments principaux d’une justice pensée sous la forme d’un diagramme de flux 24. La détermination d’une charge de travail type, la détection des surcharges, mais aussi des potentialités de traitement inexploitées sont autant de valorisations de l’activité considérée comme le bien le plus précieux d’une institution 25. De la même manière, dans les maisons de justice, des instruments de management tels que SIPAR (l’outil informatique gérant l’ensemble des dossiers et des actions menées dans leur cadre) ou le BPR 26 font-ils des assistants de justice des acteurs sous suivi 27. La codification de chacune

22. Rapport final de la commission « loi de principes concernant l’administration pénitentiaire et le statut juridique des détenus ». Rapport fait au nom de la commission de la Justice par Vincent Decroly et Tony Van Parys, Chambre, 2000, 50-1076/001, p. 66-67.

23. Il n’est bien entendu pas question d’affirmer ici que la libération conditionnelle est d’invention récente ni que le suivi dans le temps est une nouveauté absolue, plutôt qu’il est frappant de constater à quel point la pénalité s’ancre dans le flux temporel plutôt que de relever de l’instantanéité propre à la privation.

24. Dan KAMINSKI, « Trouble de la pénalité et ordre managérial », art. cité, p. 94 ; Christophe MINCKE, « Mo-bilité et justice pénale. Nouvelle idéologie, nouvelles pratiques ? », op. cit.

25. Ce qui nous évoque l’impératif de productivité identifié par Dan Kaminski.

26. Business process reengeneering, réorganisation des processus de travail mise en œuvre au sein des maisons de justice et fortement centrée sur la question de la charge de travail et sur la standardisation des modes de traitement des dossiers ; Alexia JONCKHEERE, « SIPAR, un système informatique emblématique des transformations observables au sein des maisons de justice », art. cité.

27. Voir à ce propos les travaux d’A. Jonckheere sur SIPAR ; Alexia JONCKHEERE, Des assistants de justice aux prises avec SIPAR. Un regard sur le management des maisons de justice, doctorat en criminologie, Louvain-la-Neuve : Université catholique de Louvain, 2011.

Doc

umen

t tél

écha

rgé

depu

is w

ww

.cai

rn.in

fo -

Uni

vers

idad

de

Val

enci

a -

- 14

7.15

6.22

4.13

8 -

02/0

5/20

15 2

1h50

. © E

d. ju

ridiq

ues

asso

ciée

s D

ocument téléchargé depuis w

ww

.cairn.info - Universidad de V

alencia - - 147.156.224.138 - 02/05/2015 21h50. © E

d. juridiques associées

Page 11: DRS_084_0359

C. MINCKE

368 Droit et Société 84/2013

de leurs actions permet d’établir des instruments de contrôle de l’activité et de la charge de travail. On notera que ce qui est mesuré, par le biais de la charge de tra-vail, c’est que des choses sont faites, pas que les choses adéquates le sont 28.

Il nous semble que l’on peut conclure à l’émergence, dans le champ pénal, d’un impératif faisant de l’activité une valeur centrale, là où la qualité, la Justice ou l’obéissance hiérarchique ont pu être autrefois valorisées. Les liens avec l’intérêt du management pour la productivité nous semblent assez évidents, ainsi qu’avec la définalisation managériale relevée par D. Kaminski. Il ne faudrait pas en conclure que l’activité ne s’impose que dans le cadre de la pénalité et dans des discours managé-riaux. Bien d’autres domaines y sont soumis, allant de la recherche d’un emploi à la gestion des parcours scolaires, en passant par l’entretien de relations familiales et affectives ou la gestion de la maladie : la passivité ou la limitation de l’activité à ce qui est strictement exigé n’est plus de saison. L’activité est une vertu cardinale.

II.2. Activation Si l’activité est exigée de chacun, il ne s’agit pas d’une activité mécanique, de

celles qui se développèrent sur les chaînes de montage du temps du fordisme ou dans les administrations gouvernées par une hiérarchie stricte et une division rigoureuse des tâches. Il n’est plus question de contraindre les corps, de forcer à des attitudes standardisées reposant sur une implication purement corporelle et désinvestie.

L’activité doit être créative plutôt que servile, elle doit impliquer la personne au-delà des apparences et des gestes. Pour être plus précis, la personne doit être au principe de son activité. Il n’est plus question pour elle d’être agie de l’extérieur ou de suivre un plan rigoureusement prédéterminé, mais de se montrer capable de discernement et d’initiative dans un réseau d’actions potentielles faiblement dé-terminé, tout constitué de potentialités plutôt que de procédures linéaires et con-traignantes. Deux exigences corrélées en découlent : d’une part, la mise en mou-vement doit idéalement procéder de la personne et, d’autre part, l’orientation du mouvement doit découler de son choix.

Ainsi a-t-on vu fleurir les mesures dépendant de l’acquiescement des parties au conflit (surveillance électronique, accord des parties à l’entrée de la procédure de médiation pénale, assentiment à une proposition de peine de travail). Les débats parlementaires relatifs à la peine de travail sont à cet égard évocateurs, qui abor-dent avec embarras la question du travail forcé. L’accord du contrevenant a été jugé nécessaire pour éviter cette qualification ; l’argumentation juridique qui sous-tend cette option ne tient pas 29, mais elle dit tout l’embarras face à la contrainte à l’activité. L’activité légitime doit découler d’une activation, c’est-à-dire de la mise en mouvement de soi par la personne, éventuellement après une incitation en ce sens. La justification de la coercition fait défaut. Cette injonction à une activité

28. Dan KAMINSKI, « Trouble de la pénalité et ordre managérial », art. cité.

29. Pierre REYNAERT, « Pourquoi tant de peines ? La peine de travail ou les métastases de la pénalité alterna-tive », in UNION BELGO-LUXEMBOURGEOISE DE DROIT PÉNAL (éd.), L’exécution des peines / De strafuitvoering, Bruxelles : La Charte, 2006, p. 339-389.

Doc

umen

t tél

écha

rgé

depu

is w

ww

.cai

rn.in

fo -

Uni

vers

idad

de

Val

enci

a -

- 14

7.15

6.22

4.13

8 -

02/0

5/20

15 2

1h50

. © E

d. ju

ridiq

ues

asso

ciée

s D

ocument téléchargé depuis w

ww

.cairn.info - Universidad de V

alencia - - 147.156.224.138 - 02/05/2015 21h50. © E

d. juridiques associées

Page 12: DRS_084_0359

Mobilité et justice pénale. L’idéologie mobilitaire comme soubassements du managérialisme

Droit et Société 84/2013 369

librement consentie, si l’on nous pardonne cet oxymore, est au cœur même de la logique de l’activation.

Dans le même ordre d’idée, l’aide aux détenus a pu être présentée comme une offre de service à une population pénitentiaire censée prendre l’initiative de la de-mande : « Tant dans l’intérêt du détenu que dans celui de la société libre, il faudra mettre tout en œuvre pendant la durée de la détention afin […] de mettre à [la] dispo-sition [du détenu] une offre – sans aucun caractère impératif – d’activités et de ser-vices aussi différenciés que possible, correspondant au mieux à ses nécessités et à ses besoins, notamment dans la perspective de sa réinsertion future dans la société libre 30. »

Si l’on se penche sur les acteurs institutionnels en matière pénale, on constate qu’une deuxième déclinaison de l’activation est très présente : injonction leur est faite d’orienter leur action, non en fonction de règles clairement préétablies, mais en fonction de leur appréciation des besoins du moment et des ressources dispo-nibles dans le système. Ainsi le ministère public est-il progressivement devenu une institution d’orientation des dossiers (et de pré-jugement) plutôt que l’acteur quasi mécanique de l’exercice de l’action publique et de l’exécution des jugements. Certes, la fonction d’orientation a toujours existé, de même que les tâches tradi-tionnelles subsistent, mais il n’en demeure pas moins que la première a pris le pas sur les secondes dans les discours relatifs au ministère public 31. Non seulement son action est sous monitoring permanent, mais, en outre, la gestion de son domaine de compétences est très largement laissée à son appréciation discrétionnaire. À cet égard, les directives de politique criminelle du Collège des procureurs généraux sont des instruments visant à encadrer cette action, mais leur nécessité n’est née que de la multiplication des voies d’action concurrentes, du flou de la loi et du développement de pratiques « créatives » d’application de la procédure pénale. Cet instrument fut par ailleurs instauré au sein d’un pouvoir non législatif et revient à une reconnaissance légale du pouvoir d’auto-orientation du ministère public.

Il nous semble que SIPAR peut être considéré de la même manière : à côté de sa fonction de mesure de l’activité, il joue un rôle important de routinisation et d’unifor-misation du travail des assistants de justice 32. Ce deuxième objectif vise à enserrer l’action dans des cadres stricts et à juguler l’initiative individuelle, ce qui sert une logique contraire à celle de l’activation. Il nous paraît cependant que le besoin de ce type d’instrument s’est fait sentir du fait même du flou des lois à appliquer, de l’indétermination des objectifs à poursuivre et de la diversité des contextes d’action. Cet instrument ne prend donc son sens que si l’on considère que le mot d’ordre est l’activation, impératif dont certains acteurs tentent de maîtriser les développe-ments, et les dérives potentielles. Cela nous semble d’autant plus être le cas que

30. Rapport final de la commission « loi de principes concernant l’administration pénitentiaire et le statut juridique des détenus », op. cit., p. 74.

31. Christophe MINCKE, « La légitimité oubliée du premier juge de l’affaire. Orientation des dossiers pénaux par le ministère public et garanties juridictionnelles », Revue de droit pénal et de criminologie, 83 (7-8), 2003, p. 945-981.

32. Alexia JONCKHEERE, « SIPAR, un système informatique emblématique des transformations observables au sein des maisons de justice », art. cité.

Doc

umen

t tél

écha

rgé

depu

is w

ww

.cai

rn.in

fo -

Uni

vers

idad

de

Val

enci

a -

- 14

7.15

6.22

4.13

8 -

02/0

5/20

15 2

1h50

. © E

d. ju

ridiq

ues

asso

ciée

s D

ocument téléchargé depuis w

ww

.cairn.info - Universidad de V

alencia - - 147.156.224.138 - 02/05/2015 21h50. © E

d. juridiques associées

Page 13: DRS_084_0359

C. MINCKE

370 Droit et Société 84/2013

SIPAR concerne essentiellement les modes circulatoires au sein de l’appareil de justice et non des critères de qualité relatifs au traitement des dossiers.

L’auto-orientation n’est pas qu’affaire de normes, elle peut aussi résulter de démarches de prospections visant à se créer un « marché ». Ainsi en va-t-il des mai-sons de justice qui mènent un considérable travail de démarchage auprès des par-quetiers (actions de sensibilisation, présentations, organisation de réunions visant à inciter à l’approvisionnement en dossiers, etc.) – notamment des stagiaires ou des jeunes magistrats. Il n’est pas question d’attendre passivement qu’arrivent des dossiers en comptant sur l’automaticité de l’application des normes en vigueur, il faut s’activer pour en provoquer l’afflux.

Sans doute l’un des exemples les plus frappants de cette logique d’activation est-il cette affirmation tirée des travaux préparatoires de la loi pénitentiaire précitée : « Le condamné est responsable du sens à donner à la détention car, après tout, il s’agit de “sa” peine. Le condamné obtient voix au chapitre en ce qui concerne le contenu de la peine 33. » On y voit le détenu, déjà invité à tracer les contours de son emprisonnement par le biais d’un plan de détention, devenir le porteur du sens de sa peine.

Cette tendance à reporter sur les acteurs du système – individuels ou collectifs – la charge de leur propre mise en mouvement, de leurs critères d’action et du sens de celle-ci a déjà été décrite en termes de responsabilisation 34. Il nous semble ce-pendant que cette notion n’est qu’une espèce particulière d’une catégorie plus générale : l’activation.

Celle-ci, c’est évident, n’est du reste pas mobilisée dans le seul domaine répres-sif. On la rencontre en matière d’allocations sociales, dont les bénéficiaires sont fermement invités à s’activer 35, mais aussi dans d’autres domaines, où la théma-tique du projet et de l’investissement personnel est développée. Ainsi, en matière de soins médicaux, voit-on se développer des appels à un engagement personnel du malade dans la lutte contre son affection. Le bon malade est alors dynamique et non le passif objet d’interventions médicales. De semblable manière, on voit, en milieu scolaire, se développer une appréhension du décrochage scolaire qui fait la part belle à l’activation de l’élève, lequel n’est plus un mineur irresponsable, objet des démarches du corps enseignant. Le désormais courant « contrat de discipline » est à cet égard la concrétisation d’une activation de l’élève à qui il est demandé d’être le moteur de sa propre réforme. On pourrait encore citer le monde du travail, également soumis à un impératif d’activation 36.

33. Proposition de résolution relative au rapport final de la commission « loi de principes concernant l’administration pénitentiaire et le statut juridique des détenus », 2003, p. 2-49.

34. Françoise DIGNEFFE, La responsabilité et la responsabilisation dans la justice pénale, op. cit.

35. Isabelle LACOURT, « “Quel est votre projet ?” L’insertion socioprofessionnelle des usagers dans les CPAS bruxellois », Brussels Studies, 5, 2007.

36. Didier VRANCKEN, « Psychologisation ou transformation des modes de traitement social de la “question sociale” ? », in Maryse BRESSON (dir.), Psychologisation de l’intervention sociale : mythes et réalités, Paris : L’Harmattan, 2006, p. 25-34 ; Didier VRANCKEN et Claude MACQUET, Le travail sur Soi, Paris : Belin, 2006, p. 83 et suiv.

Doc

umen

t tél

écha

rgé

depu

is w

ww

.cai

rn.in

fo -

Uni

vers

idad

de

Val

enci

a -

- 14

7.15

6.22

4.13

8 -

02/0

5/20

15 2

1h50

. © E

d. ju

ridiq

ues

asso

ciée

s D

ocument téléchargé depuis w

ww

.cairn.info - Universidad de V

alencia - - 147.156.224.138 - 02/05/2015 21h50. © E

d. juridiques associées

Page 14: DRS_084_0359

Mobilité et justice pénale. L’idéologie mobilitaire comme soubassements du managérialisme

Droit et Société 84/2013 371

II.3. Participation Si les deux premières catégories relevaient de la régulation du comportement

individuel des acteurs, les deux qui suivent sont relatives à leurs interactions avec leur environnement : la participation et l’adaptation.

La participation est devenue un véritable leitmotiv des politiques publiques ac-tuelles et, d’une manière générale, de la direction des conduites 37. Cette participa-tion s’entend de l’intégration à des projets 38 et donc de la mise sur pied d’actions coordonnées avec des tiers. Dans le domaine qui nous occupe, il peut s’agir de l’auteur et de la victime, appelés à participer à un processus de médiation pénale. Celui-ci est alors, non une soumission de l’auteur aux demandes de la victime, mais la mise en place d’une coopération en vue de la résolution de leur litige. Les parties, d’adversaires, deviennent partenaires d’un projet participatif 39. Celui-ci ne tire pas seulement son sens de l’aboutissement à un accord, mais également du chemine-ment commun. Il n’est alors plus question d’aboutir (à un accord) mais bien de participer (à un processus), le centre de gravité passe de l’objectif au processus et de la réaction (aux faits) à la participation. Un des sommets de la participation est sans doute la variante collective de la médiation qu’est la concertation restauratrice en groupe (CRG) qui vise à réunir des mineurs délinquants ainsi que l’ensemble des personnes concernées par l’infraction au sein d’un même processus de médiation. La mobilisation de proches par les parties est alors un enjeu important du proces-sus, qui indique le poids de la logique participative 40.

La participation est le signe et le promoteur d’une emprise sur sa propre vie, d’une autonomie. C’est ainsi qu’elle participe de l’empowerment de la victime. Celle-ci a été privée du contrôle de sa vie par la rupture que constitue l’infraction. Il est logique de lui proposer de reprendre barre sur le cours des choses en s’impliquant dans la résolution de ses problèmes. Dans ce contexte, l’aide n’est plus conçue que comme une offre. La victime est donc invitée à la comprendre, à prendre l’initiative de solliciter diverses interventions et à jouer un rôle moteur dans la mobilisation de l’aide qui lui est adressée. Il ne s’agit donc plus de la prendre en charge, mais bien de l’impliquer dans un processus participatif. Cette conception est particulièrement exigeante, notamment en termes de mobilisation de ses ressources personnelles 41.

37. On notera ici que l’acception que nous en retenons ici dépasse celle de Françoise TULKENS et Michel VAN DE KERCHOVE, « La justice pénale : justice imposée, justice participative, justice consensuelle ou justice négociée ? », art. cité, qui la limitent à une coopération relativement accessoire aux processus observés.

38. Nous retrouvons ici la thématique du projet chère à Luc BOLTANSKI et Ève CHIAPELLO, Le nouvel esprit du capitalisme, op. cit., dans leur description de la cité par projets.

39. Christophe MINCKE, La médiation pénale face à ses idéaux fondateurs. De l’utopie à l’aveuglement, op. cit., p. 32.

40. Valentine MAHIEU, Les offres restauratrices dans la justice des mineurs. Production législative et accom-modements locaux, mémoire de master en criminologie, Bruxelles : Université libre de Bruxelles, 2009, p. 109 et suiv.

41. Anne LEMONNE, « Image(s) de la victime dans le champ de la politique belge à l’égard des victimes », Revue de droit pénal et de criminologie, 7, 2011, p. 736-737.

Doc

umen

t tél

écha

rgé

depu

is w

ww

.cai

rn.in

fo -

Uni

vers

idad

de

Val

enci

a -

- 14

7.15

6.22

4.13

8 -

02/0

5/20

15 2

1h50

. © E

d. ju

ridiq

ues

asso

ciée

s D

ocument téléchargé depuis w

ww

.cairn.info - Universidad de V

alencia - - 147.156.224.138 - 02/05/2015 21h50. © E

d. juridiques associées

Page 15: DRS_084_0359

C. MINCKE

372 Droit et Société 84/2013

Le discours de la participation est également présent dans des domaines inat-tendus, comme le débat sur la prison. La thématique est en effet récurrente et même la gestion de la cantine semble propice aux processus participatifs, du moins aux yeux des parlementaires ayant débattu de la nouvelle loi pénitentiaire. Ce qui aurait pu être classiquement présenté en termes d’exercice d’un droit d’accès au marché des biens l’est ici comme l’intégration à un processus participatif 42.

Le principe de participation énoncé à l’article 7 peut être utilement appliqué, notam-ment afin de permettre aux détenus de protester dans l’hypothèse où, pour certains pro-duits, les prix de la cantine seraient supérieurs à ceux pratiqués dans la société libre 43.

Cette logique de la participation ne concerne pas que les individus, mais peut être appliquée à des acteurs collectifs. Sous la bannière de la coordination, des synergies et de l’intégration des politiques, c’est à une omniparticipation qu’ils sont conviés ; là où régnait, il y a peu encore, la séparation et l’équilibre des pouvoirs, la détermination rigide des compétences ainsi que les rapports hiérarchiques stricts. Ainsi, police, parquet, magistrats du siège, maisons de justice et services sociaux parajudiciaires sont présentés comme des partenaires plutôt que comme des su-bordonnés dans un système hiérarchique ou des voisins dans un système cloison-né. De plus en plus, le traitement d’un dossier est vu comme une œuvre commune et collaborative, plutôt que comme le résultat du cheminement au long d’un pro-cessus linéaire et successif. Nous sommes passés de la chaîne de montage – unidi-rectionnelle et reposant sur la distinction des interventions – au projet participatif. Ceci se marque, notamment, dans la représentation du fonctionnement du système judiciaire comme un diagramme de flux en faisant plus apparaître les frontières institutionnelles, mais en décrivant le traitement des dossiers comme une filière unifiée. Ainsi, la figure 4 représente le traitement des dossiers comme une œuvre participative, alors qu’interviennent le parquet, les maisons de justice, les juridic-tions d’instruction, les juridictions du fond, des acteurs associatifs, etc.

42. Un parallèle peut être fait ici avec la nécessité d’une « activation » des droits de victimes par leur mobi-lisation dans le cadre d’un éventail de possibilités d’actions. Ibid., p. 736.

43. Proposition de loi de principes, op. cit., p. 128.

Doc

umen

t tél

écha

rgé

depu

is w

ww

.cai

rn.in

fo -

Uni

vers

idad

de

Val

enci

a -

- 14

7.15

6.22

4.13

8 -

02/0

5/20

15 2

1h50

. © E

d. ju

ridiq

ues

asso

ciée

s D

ocument téléchargé depuis w

ww

.cairn.info - Universidad de V

alencia - - 147.156.224.138 - 02/05/2015 21h50. © E

d. juridiques associées

Page 16: DRS_084_0359

Mobilité et justice pénale. L’idéologie mobilitaire comme soubassements du managérialisme

Droit et Société 84/2013 373

Figure 4 Diagramme de flux 2 – arrondissement d’Anvers – cohorte 2006, chiffres 2011 44.

Source : Statistique annuelle du Collège des procureurs généraux, 2011, <http://www.om-mp.be/sa/jstat2011/f/home.html>, consulté le 27 août 2012.

44. La figure 4 représente le cheminement des dossiers dans le système judiciaire pénal belge. Certains termes en sont donc spécifiques. En voici une brève explication : « information » : processus de constitution d’un dossier répressif par le magistrat du ministère public ; « transaction » : sur proposition du procureur du Roi, extinction de l’action publique en échange du paiement d’une somme d’argent ; « médiation pé-nale » : procédure de médiation auteur/victime ou proposition de travaux d’intérêt général, d’une thérapie ou d’une formation aboutissant, en cas de succès, à une extinction de l’action publique ; « chambre du conseil » : juridiction d’instruction de premier degré.

Doc

umen

t tél

écha

rgé

depu

is w

ww

.cai

rn.in

fo -

Uni

vers

idad

de

Val

enci

a -

- 14

7.15

6.22

4.13

8 -

02/0

5/20

15 2

1h50

. © E

d. ju

ridiq

ues

asso

ciée

s D

ocument téléchargé depuis w

ww

.cairn.info - Universidad de V

alencia - - 147.156.224.138 - 02/05/2015 21h50. © E

d. juridiques associées

Page 17: DRS_084_0359

C. MINCKE

374 Droit et Société 84/2013

La participation impose donc une implication active des acteurs dans des pro-jets collectifs ; il est alors non seulement souhaitable de favoriser la participation, mais également obligatoire pour les acteurs de saisir des opportunités qui leur sont offertes. En découle une thématique, celle de la responsabilisation : les participants potentiels doivent répondre de leur (non-)implication. C’est ainsi qu’en matière de protection de la jeunesse domine aujourd’hui l’idée d’une nécessaire responsabili-sation du mineur délinquant et de ses parents. Si cette notion n’est pas explicitée, elle recouvre l’idée d’un investissement des personnes concernées. Une participa-tion active est mise en avant, sous la forme d’une prise de conscience et d’une répa-ration, par opposition à une « participation passive » sous la forme de l’attente inac-tive d’une réaction extérieure de la part du système répressif 45. C’est sur la base de cette exigence participative qu’il pourra être fait reproche aux acteurs d’avoir échoué à participer au projet ou à le mener à bien, ce qui peut, par exemple, se traduire par une orientation vers des procédures plus classiquement contrai-gnantes, à titre de sanction ; la menace est d’autant plus lourde qu’il est impossible pour quiconque de définir les contours précis de ses obligations participatives, et donc d’être sûr d’en avoir fait assez 46. Responsabilisation et participation sont donc bien intimement liées.

Enfin, la participation nous semble entretenir un rapport très étroit avec l’idée de service à la clientèle, présentée par D. Kaminski comme l’une des valeurs propres au managérialisme. En effet, dans un processus participatif, ce sont les participants qui jugent de leur implication et se déclarent satisfaits de ce qu’ils en retirent. Du moins ceux qui sont dans une position leur permettant de refuser la participation.

II.4. Adaptation Voilà donc les acteurs sociaux sommés d’être actifs en permanence de s’activer,

même, sans attendre qu’on les contraigne au mouvement, et de développer une activité sous un mode particulier : celui de la participation à des projets.

Bien entendu, qui souhaite (ou doit) participer à des projets est tenu de s’adapter à ceux qui lui sont proposés. Chacun présente en effet des caractéris-tiques spécifiques : durée, partenaires, domaine, moment de réalisation, etc. Il faut faire montre de flexibilité. De même, passant d’un projet à l’autre ou les menant simultanément, il faut en permanence adapter son comportement au contexte du moment et au projet qui est, à l’instant, pris en charge. C’est ainsi que les victimes confrontées au système belge d’aide pointent la difficulté que représente, pour elles, la nécessité de s’adapter en permanence au cadre réglementaire, aux objectifs et méthodes des différents services, etc. Pourtant, cette adaptation, cette attitude

45. Valentine MAHIEU, « La réforme de la loi sur la protection de la jeunesse de 2006 : consécration d’une approche restauratrice ? Analyse des travaux parlementaires et du discours d’acteurs de terrain », Revue de droit pénal et de criminologie, 6, 2012, p. 653, 658 et 659 ; Daniel W. VAN NESS, « Les programmes de média-tion victime/délinquant », Les cahiers de la justice, 1, 2006, p. 150.

46. Isabelle DELENS-RAVIER, « Mesures réparatrices et responsabilisation du mineur », in Françoise DIGNEFFE et Thierry MOREAU (dir.), La responsabilité et la responsabilisation dans la justice pénale, op. cit., p. 264-265.

Doc

umen

t tél

écha

rgé

depu

is w

ww

.cai

rn.in

fo -

Uni

vers

idad

de

Val

enci

a -

- 14

7.15

6.22

4.13

8 -

02/0

5/20

15 2

1h50

. © E

d. ju

ridiq

ues

asso

ciée

s D

ocument téléchargé depuis w

ww

.cairn.info - Universidad de V

alencia - - 147.156.224.138 - 02/05/2015 21h50. © E

d. juridiques associées

Page 18: DRS_084_0359

Mobilité et justice pénale. L’idéologie mobilitaire comme soubassements du managérialisme

Droit et Société 84/2013 375

active face à un champ de l’aide est présentée comme l’un des moyens d’assurer la reprise de possession de sa vie par la victime. À cet égard, Anne Lemonne et Inge Vanfraechem parlent du travail de mobilisation (de soi) de la victime 47.

De la même manière, un justiciable qui se voit proposer une médiation doit-il être capable de comprendre le processus, d’identifier les valeurs et les normes qui le sous-tendent, d’adopter le comportement adéquat et de développer un ensemble de demandes et de propositions susceptibles de rencontrer l’adhésion de la « partie adverse » ou, à défaut, de l’agent étatique ou de l’institution avec lesquels il est en contact. Les variations interindividuelles pouvant être importantes, l’adaptation n’est pas un vain mot. Dans un processus peu déterminé par l’application de normes juridiques 48, l’adaptation aux particularités du lieu et du moment est une qualité particulièrement précieuse. C’est ainsi que la remise en question des rôles d’auteur et de victime, préétablis à l’entrée dans la médiation pénale, est l’un des enjeux centraux de la procédure, et un point d’achoppement majeur 49. L’adapta-tion est une des exigences de la médiation, et une des principales difficultés du processus 50.

La responsabilisation elle-même peut être décrite comme un processus néces-sairement dialectique, dans lequel le justiciable qui s’engage doit trouver face à lui une collectivité qui le reconnait 51. La responsabilisation devient alors un processus d’ajustement mutuel, davantage qu’une simple reconnaissance de faits précisé-ment établis et d’une implication dans leur survenue.

Mais l’adaptation requise est aussi celle des travailleurs du système répressif auxquels on ne demande plus l’application mécanique d’une règle préexistante et prétendue claire, mais bien la détermination d’une action au regard de critères complexes. Ainsi les travaux préparatoires de la loi de principe du 12 janvier 2005 appellent-ils à la fois à une juridicisation des relations au sein de la prison, au tra-vers de l’énumération de droits et de l’organisation de voies de recours, et à une application souple des règles. C’est à l’acteur que revient le soin de décider des modes de traitement d’un cas, hors de toute automaticité.

Un recours trop automatique à la procédure disciplinaire, à la moindre infraction, n’est certes pas souhaitable. […] il est important pour les détenus que les gardiens ne « chicanent » pas sur le moindre petit détail et ne les traitent pas comme des enfants. Il est conseillé de maintenir une certaine souplesse mutuelle. En ce qui concerne les gardiens, il faut qu’ils forcent personnellement l’autorité auprès des détenus et qu’ils puissent eux-mêmes résoudre des problèmes sans constamment faire appel à la direc-

47. Anne LEMONNE, « Image(s) de la victime dans le champ de la politique belge à l’égard des victimes », art. cité ; Anne LEMONNE et Inge VANFRAECHEM, « L’évaluation des dispositifs mis en place à l’égard des victimes d’infractions : les principaux enseignements de la recherche du département de criminologie de l’INCC », in Anne LEMONNE, Inge VANFRAECHEM et Charlotte VANNESTE, Quand le système rencontre les vic-times. Premiers résultats d’une recherche évaluative permanente sur la politique en faveur des victimes, Gand : Academia Press, 2010, p. 163.

48. Christophe MINCKE, La médiation pénale face à ses idéaux fondateurs. De l’utopie à l’aveuglement, op. cit., p. 224.

49. Ibid., p. 208.

50. Ibid., p. 121-122.

51. Isabelle DELENS-RAVIER, « Mesures réparatrices et responsabilisation du mineur », op. cit., p. 265-266.

Doc

umen

t tél

écha

rgé

depu

is w

ww

.cai

rn.in

fo -

Uni

vers

idad

de

Val

enci

a -

- 14

7.15

6.22

4.13

8 -

02/0

5/20

15 2

1h50

. © E

d. ju

ridiq

ues

asso

ciée

s D

ocument téléchargé depuis w

ww

.cairn.info - Universidad de V

alencia - - 147.156.224.138 - 02/05/2015 21h50. © E

d. juridiques associées

Page 19: DRS_084_0359

C. MINCKE

376 Droit et Société 84/2013

tion. La souplesse dont ils pourraient faire preuve au niveau de l’autorité pourrait même leur permettre, dans d’autres circonstances, de compter sur la collaboration des détenus 52.

La procédure n’est à cet égard plus le tracé d’un parcours-type linéaire, mais un catalogue de mesures aux contours flous, un arsenal d’outils à utiliser au mieux de leurs capacités et des potentialités du système. C’est ainsi que la logique de « l’alternative » repose souvent sur l’argument qu’il convient d’offrir aux autorités un éventail le plus large possible de réactions, afin de leur permettre de choisir la mesure la plus adaptée au cas et d’éviter le recours aux mesures-repoussoir que sont, par exemple, la prison ou le placement en milieu fermé d’un mineur. Cette logique est notamment clairement présente dans l’exposé des motifs de la loi du 15 mai 2006 modifiant la loi de 1965 relative à la protection de la jeunesse 53.

En cela, le principe d’adaptation s’oppose à l’idée d’une procédure claire dans laquelle les fonctions assumées par les divers intervenants sont soigneusement distinguées. Dès lors, la séparation des pouvoirs et l’imperméabilité des compé-tences sont battues en brèche. Il n’est plus question de distinguer un ministère public exécutif d’un magistrat du siège judiciaire. Les fonctions s’indéterminent, le magistrat du ministère public devenant le premier juge de l’affaire 54, mais aussi un juge d’instruction aux pouvoirs réduits et le membre d’organes d’élaboration d’une politique criminelle dont les rapports avec la législation sont ambigus 55, tout en demeurant responsable des poursuites. Il est devenu vital que le ministère public puisse répondre à toute situation, satisfaire toute sollicitation. Pour cela, il doit jouir de capacités d’adaptations, et donc d’un arsenal de mesures bien fourni et peu contraignant. À cet égard, le critère d’applicabilité de la médiation pénale énoncé à l’article 216 ter CIC est un cas d’école : le magistrat peut proposer une médiation s’il pense que, dans l’hypothèse où il poursuivrait, il ne requerrait pas de peine de plus de deux ans d’emprisonnement. L’application des règles relatives à la correctionnalisation et aux circonstances atténuantes rend cette procédure pos-sible pour des crimes punis jusqu’à 20 ans de réclusion.

Cette indistinction touche d’autres acteurs de la chaîne pénale, comme l’assis-tant de justice qui, au sein des maisons de justice, ne sait s’il favorise la réappro-priation des conflits par les parties ou s’il est l’agent de sanctions prétoriennes, comme le policier qui, par le biais du traitement autonome policier, juge en quelque sorte l’opportunité des poursuites, comme le magistrat du fond qui décide d’une peine dont il ne sait si et comment elle sera appliquée. Tous ces acteurs sont invités à moduler leurs actions en permanence, en fonction de la connaissance

52. Proposition de loi de principes, op. cit., p. 187-188. On notera au passage la forte présence de la théma-tique de la coopération et de la réciprocité, laquelle renvoie à la question de la participation.

53. Chambre, 51-1467/001, p. 5 et suiv. On retrouve par exemple la même logique dans les travaux prépara-toires de la loi créant la peine de travail autonome (Proposition de loi modifiant le Code pénal et instaurant le travail d’intérêt général et la formation comme peine de substitution, Chambre, 2000, 50-0549/001, p. 4.).

54. Christophe MINCKE, « La légitimité oubliée du premier juge de l’affaire. Orientation des dossiers pénaux par le ministère public et garanties juridictionnelles », art. cité.

55. ID., Efficacité, efficience et légitimité démocratique du ministère public : quand l’arbre cache la forêt, op. cit., p. 72 et suiv.

Doc

umen

t tél

écha

rgé

depu

is w

ww

.cai

rn.in

fo -

Uni

vers

idad

de

Val

enci

a -

- 14

7.15

6.22

4.13

8 -

02/0

5/20

15 2

1h50

. © E

d. ju

ridiq

ues

asso

ciée

s D

ocument téléchargé depuis w

ww

.cairn.info - Universidad de V

alencia - - 147.156.224.138 - 02/05/2015 21h50. © E

d. juridiques associées

Page 20: DRS_084_0359

Mobilité et justice pénale. L’idéologie mobilitaire comme soubassements du managérialisme

Droit et Société 84/2013 377

qu’ils ont du contexte, dans un environnement largement privé de ses balises tradi-tionnelles, au premier rang desquelles la légalité 56.

Le mouvement d’adaptation mène donc, selon nous, à une indistinction des fonctions, ce qui nous renvoie à ce que D. Kaminski décrit en termes de déplace-ment en amont et d’intégration de la pénalité 57.

III. Idéologie mobilitaire et représentations spatiotemporelles Activité, activation, participation et adaptation nous semblent être quatre impé-

ratifs qui structurent fortement les mutations récentes de la justice. En tant qu’ils constituent des mots d’ordre et non des propositions soumises à la libre décision des acteurs, en tant qu’ils sont associés à un système de valeurs utilisé pour attri-buer des mérites et des démérites, il apparaît que nous avons affaire au dévelop-pement d’une véritable idéologie que nous qualifierons de mobilitaire. Nous pré-senterons ci-dessous cette hypothèse, sur laquelle nous travaillons actuellement avec Bertrand Montulet.

III.1. Idéologie mobilitaire Pourquoi ce terme de mobilitaire ? Parce que le point commun des quatre im-

pératifs précités est qu’ils constituent un appel à la mobilité. Il ne s’agit pas ici de pointer un mouvement physique, mais tout processus de mobilité, c'est-à-dire tout déplacement dans l’espace au cours du temps. Développer une activité dont on est le moteur (activation) et consistant en une participation à des projets au prix d’une adaptation constante à son environnement revient à se mettre en mouvement dans un espace social ou à essayer de maintenir un rapport à un environnement lui-même mouvant. Les mobilités concernées peuvent être des déplacements dans l’espace social, conceptuel, politique, moral, relationnel, etc.

Ainsi la médiation ne peut-elle aboutir à une solution du litige si les parties refu-sent de « faire un pas l’une vers l’autre », c'est-à-dire de renoncer à toute position figée tant en ce qui concerne leur rôle (auteur ou victime) qu’à propos de leurs exigences ou propositions. Plus encore, la nécessité d’une adhésion à la solution envisagée implique souvent de faire évoluer les conceptions des protagonistes sur les relations qu’ils ont entretenues avec la partie adverse – et désormais partenaire –, sur leur histoire, sur les normes qui permettent de qualifier les faits et d’élaborer une solution. La médiation pénale peut donc être vue comme un réel dispositif de mo-bilité. Il ne s’agit à notre sens pas d’une simple métaphore : les appels à l’activité, à l’activation, à la participation et à l’adaptation relèvent des mêmes ressorts que la valorisation des mobilités physiques, notamment en ce qu’il s’agit de critiquer tout ancrage et de valoriser toute labilité.

La mobilité est donc le terme qui permet de relier les différentes valeurs décrites ci-dessus. Nous assistons ainsi à l’émergence d’une idéologie se fondant sur la

56. Nicolas DELLA FAILLE et Christophe MINCKE, « Les mutations du rapport à la loi en droit pénal », Déviance et société, 26 (2), 2002, p. 142 et suiv.

57. Dan KAMINSKI, « Trouble de la pénalité et ordre managérial », art. cité, p. 90.

Doc

umen

t tél

écha

rgé

depu

is w

ww

.cai

rn.in

fo -

Uni

vers

idad

de

Val

enci

a -

- 14

7.15

6.22

4.13

8 -

02/0

5/20

15 2

1h50

. © E

d. ju

ridiq

ues

asso

ciée

s D

ocument téléchargé depuis w

ww

.cairn.info - Universidad de V

alencia - - 147.156.224.138 - 02/05/2015 21h50. © E

d. juridiques associées

Page 21: DRS_084_0359

C. MINCKE

378 Droit et Société 84/2013

mobilité valorisée pour elle-même et rendue impérative pour tous. La mobilité y devient une fin en soi, tandis que l’immobilité est un vecteur d’illégitimité. Cet imaginaire normatif aboutit donc à une imposition de la mobilité et de la produc-tion de signes de mobilité comme gage de conformité.

Il nous paraît que cette idéologie mobilitaire peut constituer un cadre d’expli-cation des évolutions récentes de la pénalité et de bien d’autres mutations. Cela dit, l’on peut légitimement s’interroger sur les raisons de l’émergence de cette idéologie mobilitaire et sur le substrat qui lui a permis de naître ; questions d’autant plus importantes qu’y répondre nous renverra à des considérations sur l’espace et le temps qui jalonnent les discours actuels sur la pénalité, au travers des thèmes de l’accélération, de l’urgence, du flou, du flux, du réseau, etc.

La thématique de la mobilité fait référence à la spatiotemporalité puisqu’elle s’entend du déplacement dans un espace au cours du temps. L’on peut donc faire l’hypothèse que, si le rapport à la mobilité change, ce pourrait être lié à une modifi-cation des relations à l’espace-temps.

III.2. Espace Il nous semble qu’aux figures actuelles de la mobilité – au sens que nous lui

donnons ici – est associée une figure spatiale particulière : celle du réseau. Or, qu’est-ce qu’un réseau ? Un tissu relationnel, un ensemble de potentialités d’échanges de communications. Il n’est pas une structure, mais un ensemble de relations potentielles. Son extension varie avec le temps, sous la forme d’extensions et de contractions en fonction des circonstances. Le réseau ne se représente que sous la forme d’instantanés figeant un moment particulier. Il n’est, par ailleurs, pas hiérarchisé. Certes, tous ses nœuds n’ont pas la même valeur, mais il s’agit davan-tage de multiplication des relations et d’importance de l’attractivité d’un nœud que de position dans une hiérarchie.

La figure du réseau correspond à une appréhension de l’espace sous la forme d’une étendue ponctuée de points d’attraction, mais fondamentalement étrangère à la notion de limite. Une limite est en effet inadéquate pour décrire un système en permanente contraction et extension et en interpénétration avec d’autres réseaux. La frontière n’est donc pas à même de décrire ou de prescrire le réseau.

On l’aura compris, cette représentation de l’espace comme étendue non délimi-tée par des frontières mais structurée par des pôles d’attraction – les nœuds du réseau – s’oppose à une vision contraire, pour laquelle l’étendue ne prend sens que par son découpage en territoires définis par leur frontière et au sein desquels une homogénéité est garantie. Chaque territoire est à son tour susceptible d’un décou-page en des entités territoriales de niveau hiérarchique inférieur. La frontière défi-nit chaque espace et assure sa cohabitation avec d’autres espaces de même niveau.

L’on peut songer, pour illustrer cette opposition, à la conception classique du processus judiciaire, laquelle reflète la séparation des pouvoirs. Le législateur dé-termine des normes qui contraignent fortement des magistrats (assis ou debout) et ces derniers sont censés se placer dans un rapport absolu de subordination par rapport à elles. Les magistrats du parquet ont pour fonction de requérir l’appli-

Doc

umen

t tél

écha

rgé

depu

is w

ww

.cai

rn.in

fo -

Uni

vers

idad

de

Val

enci

a -

- 14

7.15

6.22

4.13

8 -

02/0

5/20

15 2

1h50

. © E

d. ju

ridiq

ues

asso

ciée

s D

ocument téléchargé depuis w

ww

.cairn.info - Universidad de V

alencia - - 147.156.224.138 - 02/05/2015 21h50. © E

d. juridiques associées

Page 22: DRS_084_0359

Mobilité et justice pénale. L’idéologie mobilitaire comme soubassements du managérialisme

Droit et Société 84/2013 379

cation de la loi au nom de l’Exécutif, ce de manière mécanique, c’est-à-dire sans appréciation aucune de l’opportunité de le faire 58. Les juges, quant à eux, endos-sent un rôle de bouche de la loi, appliquant sans interprétation une loi censée claire et complète. On peut voir ce mode d’organisation de la coexistence d’institutions comme relevant d’une géographie reposant sur la notion de frontière. Cette spatia-lisation territoriale a des correspondances géographiques, sous la forme de la loca-lisation des différentes fonctions dans des lieux différents, ou encore de l’organi–sation spatiale particulière des salles d’audience 59. Les compétences sont ainsi organisées en circonscriptions, physique ou de compétences : des espaces entourés d’une limite, circonscrits.

De plus en plus, cette façon de concevoir l’œuvre judiciaire est battue en brèche par des évolutions remettant en cause le système de circonscriptions que nous venons de décrire. C’est ainsi que le maître-mot est devenu le travail en réseau, faisant intervenir dans un même champ – on ne peut parler de territoire de compé-tences – divers partenaires aux compétences et aux statuts divers. Magistrats, poli-ciers, travailleurs sociaux, secteur associatif développent des activités communes dans des synergies aux contours flous. Ainsi en va-t-il de la médiation pénale qui, à l’initiative du ministère public, voit intervenir des assistants de justice (non juristes) qui vont proposer aux parties un mode alternatif de résolution des conflits, au rang desquels un travail d’intérêt général, lequel devra être défini en concertation avec les structures publiques ou privées susceptibles d’accueillir les délinquants. Tant la distinction entre élaboration et application des normes que celles entre décision et application des sanctions, entre acteur et objet de l’intervention pénale, entre ac-teurs institutionnels et acteurs privés, entre logiques d’aide et de contrôle sont ici remis en question. C’est l’ensemble des frontières balisant autrefois la matière qui se voit remis en question.

D’autres illustrations pourraient être trouvées dans l’indistinction des interven-tions des divers acteurs publics du système répressif, avec des expériences de trai-tement policier autonome (classement sans suite policier), le développement d’une fonction de premier juge de l’affaire du ministère public ou l’institution, via le tri-bunal d’application des peines, d’une compétence judiciaire en matière d’exé-cution des décisions de justice 60. Plus que de transgressions ponctuelles des fron-tières, il nous semble qu’il faut pointer une mise en cause du principe même d’un fonctionnement judiciaire fondé sur l’idée de frontière.

Il n’est question ici, bien entendu, ni d’affirmer que le système classique était parvenu à définir des frontières claires et incontestables – il prétendait seulement le faire – ni que la situation actuelle est celle d’une étendue parfaitement ouverte. Ce

58. C’est bien entendu une conception officielle et non une pratique, Christophe MINCKE, « La légitimité oubliée du premier juge de l’affaire. Orientation des dossiers pénaux par le ministère public et garanties juridictionnelles », art. cité.

59. François GILBERT et Benoît DEJEMEPPE, La place du ministère public à l’audience : qu’en est-il de la fameuse « erreur de menuiserie » ? Faut-il faire descendre le parquet au même niveau que les autres parties ? Deux opinions contrastées en dialogue, <http://www.justice-en-ligne.be/rubrique221.html>, consulté le 6 mars 2013.

60. Christophe MINCKE, « Mobilité et justice pénale. Nouvelle idéologie, nouvelles pratiques ? », op. cit.

Doc

umen

t tél

écha

rgé

depu

is w

ww

.cai

rn.in

fo -

Uni

vers

idad

de

Val

enci

a -

- 14

7.15

6.22

4.13

8 -

02/0

5/20

15 2

1h50

. © E

d. ju

ridiq

ues

asso

ciée

s D

ocument téléchargé depuis w

ww

.cairn.info - Universidad de V

alencia - - 147.156.224.138 - 02/05/2015 21h50. © E

d. juridiques associées

Page 23: DRS_084_0359

C. MINCKE

380 Droit et Société 84/2013

qui nous intéresse ici est d’interroger les modèles de représentation spatiale, les-quels sont intimement liés à une question dont nous avons vu qu’elle nous impor-tait : celle de la mobilité. Cette mobilité impérative est en effet soutenue, à notre sens, par une nouvelle représentation sociale de l’espace, en forte rupture avec celle qui l’a précédée.

III.3. Temps Si la mobilité est liée à la question spatiale, elle l’est tout autant à celle du temps. À

l’appréhension contemporaine de la mobilité correspond une représentation tempo-relle sous forme de flux. Le temps y est vu comme une continuité qui n’est sécable que de manière artificielle et contrefactuelle. La caractéristique principale du temps est de passer en permanence et d’emporter constamment le réel avec lui. Il est dans ce cadre inutile de chercher à distinguer clairement des époques, d’instituer des mo-ments-charnières et de tenter d’en suspendre le cours par l’institution.

Cette conception est tellement triviale aujourd’hui qu’elle peut sembler sans al-ternative. Pourtant, une logique différente a longtemps été privilégiée : celle d’un temps fait d’une alternance de stases et de brusques moments de ruptures. Si, fac-tuellement, le temps coule en permanence dans ce modèle aussi, il n’y emporte plus constamment le réel avec lui. Le temps physique de l’écoulement continu est disjoint du temps social. Celui-ci, en tant qu’il est socialement institué se caracté-rise par une fixité qui oppose une résistance à l’écoulement et qui ne cède que bru-talement à des moments-charnières. Ce temps est segmenté comme l’était l’espace dans le second modèle présenté ci-dessus.

Les deux imaginaires temporels peuvent être illustrés au moyen de l’exemple de la procédure pénale. Dans son acception classique, celle-ci est faite du passage successif – et à sens unique – d’un acteur à l’autre, chaque passage marquant l’entrée dans une nouvelle phase, caractérisée par des objectifs propres et un travail qualitativement spécifique. Police, parquet, magistrats instructeurs, juges du fond jouissent de compétences qualitativement spécifiques. Le passage du dossier par ces divers acteurs instaure une séquence temporelle ponctuée de moments déci-sifs : dessaisissements, saisines, décisions, prononcés, introduction de recours, etc. Ils sont séparés par des stases qui, si elles ne sont pas (nécessairement) des pé-riodes d’inaction, n’intéressent pas le système en tant que tel, qui concentre ses descriptions et prescriptions sur les césures. Les variations temporelles qui affec-tent le parcours des dossiers tiennent alors à la durée du parcours par un dossier particulier de l’ensemble des stations du chemin de croix judiciaire, lequel demeure très largement uniforme.

Cette procédure classique, après être restée inchangée pendant un temps con-sidérable, a subi des modifications importantes au cours des vingt dernières an-nées, si bien qu’elle présente aujourd’hui, dans certains domaines, un visage radi-calement neuf qui témoigne d’une nouvelle manière de considérer sa temporalité. Les processus récemment mis sur pied reposent sur une circulation de l’infor-mation, des dossiers, des justiciables, selon des modalités nettement moins li-néaires et unidirectionnelles que par le passé. Devenu une véritable gare de triage

Doc

umen

t tél

écha

rgé

depu

is w

ww

.cai

rn.in

fo -

Uni

vers

idad

de

Val

enci

a -

- 14

7.15

6.22

4.13

8 -

02/0

5/20

15 2

1h50

. © E

d. ju

ridiq

ues

asso

ciée

s D

ocument téléchargé depuis w

ww

.cairn.info - Universidad de V

alencia - - 147.156.224.138 - 02/05/2015 21h50. © E

d. juridiques associées

Page 24: DRS_084_0359

Mobilité et justice pénale. L’idéologie mobilitaire comme soubassements du managérialisme

Droit et Société 84/2013 381

au cœur de nombreuses boucles récursives 61, le parquet est désormais placé en position de modulateur temporel. C’est ainsi qu’il peut décider directement de l’accélération du cours du traitement judiciaire en convoquant le prévenu par simple procès-verbal, ou de sa latence en classant sans suite, « mise au frigo » tou-jours provisoire. Il peut assortir le classement d’une (illégale) probation prétorienne faisant de ce temps de pause, un temps d’activité et de contrôle. Il lui est également loisible de provoquer un détour par des institutions tierces, comme les maisons de justice (proposition de médiation) 62 et des associations ou d’autres institutions publiques pour exécuter les accords passés en leur sein (travaux d’intérêt général, formation, thérapie). Dans ce cadre, de nouvelles temporalités se développent. Ainsi, lors de la mise en œuvre d’une médiation pénale, le déroulement temporel dépend-il essentiellement des disponibilités des parties, mais aussi de l’évolution de leur positionnement, du mûrissement de leur projet de résolution de conflit. Il n’est plus question de termes précis, même si, dans le monde judiciaire, le délai de prescription continue de s’écouler. Par ailleurs, que la procédure en médiation soit un succès ou pas, le dossier reviendra au parquet, pour une constatation de l’extinction de l’action publique ou pour une réorientation du dossier vers d’autres filières. Il n’est donc plus question d’une séquence temporelle déterminée et unidi-rectionnelle, faisant alterner stases et ruptures, mais bien d’actions de natures di-verses intervenant tout au long d’un processus de co-traitement des dossiers.

III.4. Morphologies spatiotemporelles Nous annoncions ci-dessus des évolutions spatiotemporelles, non seulement pour

indiquer que l’espace et le temps étaient concernés, mais aussi pour insister sur le fait qu’espace et temps étaient indissociables, l’un dépendant de l’autre et les représenta-tions de l’un et de l’autre se combinant en des morphologies spatiotemporelles.

Ainsi, une frontière ne peut se concevoir sans stabilité. Il est indispensable de penser qu’il est possible de lutter contre l’érosion du temps pour envisager de cons-tituer des limites. Sans cela, chaque jour, la frontière se voit déplacée et elle ne peut plus être considérée comme telle à proprement parler. Bien entendu, le temps s’écoule, ce qui débouchera, un jour ou l’autre, sur un effondrement brutal ou sur des modifications ponctuelles du tracé des limites. Ainsi en va-t-il de l’instauration d’une frontière entre le légal et l’illégal : même si la société change chaque jour, la norme reste en vigueur, jusqu’à ce que le hiatus apparaisse trop criant et que la législation soit adaptée ou qu’un nouveau sens lui soit donné par un revirement de jurisprudence. De la même manière, la temporalité qui correspond à la distinction stricte des « territoires de compétences » entre acteurs du système répressif est celle d’une claire distinction des différentes étapes qu’elle comporte et d’un marquage strict des modalités et moments de passage de l’une à l’autre. Le temps qui corres-pond à la frontière est donc bien celui d’une alternance de stases et de ruptures.

61. ID., « La légitimité oubliée du premier juge de l’affaire. Orientation des dossiers pénaux par le ministère public et garanties juridictionnelles », art. cité.

62. ID., V°« Médiation pénale », in Droit pénal et procédure pénale, Bruxelles : Kluwer, 2006.

Doc

umen

t tél

écha

rgé

depu

is w

ww

.cai

rn.in

fo -

Uni

vers

idad

de

Val

enci

a -

- 14

7.15

6.22

4.13

8 -

02/0

5/20

15 2

1h50

. © E

d. ju

ridiq

ues

asso

ciée

s D

ocument téléchargé depuis w

ww

.cairn.info - Universidad de V

alencia - - 147.156.224.138 - 02/05/2015 21h50. © E

d. juridiques associées

Page 25: DRS_084_0359

C. MINCKE

382 Droit et Société 84/2013

À l’inverse, si le temps est un flux constant, il ne peut plus être question de li-mites claires, mais bien d’une étendue dans laquelle les relations entre diverses zones d’influence sont en constante renégociation. De ce fait, la figure du réseau correspond à une temporalité qui a fait le deuil de l’idée même de rupture. Ainsi la critique de la loi comme instrument figeant le réel et prétendant déterminer la norme a-t-elle abouti à proposer un processus dans lequel c’est au moment de la résolution du conflit et entre les parties que se forge une norme à la validité pure-ment locale, qui ne fait jurisprudence ni pour les protagonistes ni, a fortiori, pour d’autres justiciables. De même, la procédure vue comme un réseau d’interventions concurrentes et collaboratives implique-t-elle une représentation de sa temporalité comme un flux dénué d’articulations claires.

Nous pensons donc que l’émergence de l’idéologie mobilitaire correspond à l’abandon d’une morphologie spatiotemporelle (que nous appellerons forme-limite car elle repose sur l’idée de délimitations) pour une autre (forme-flux puisqu’elle se caractérise par une perception du temps comme flux). Le développement du dis-cours idéologique qui nous occupe correspond ainsi à l’évolution d’un univers de sens par le biais des représentations spatiotemporelles.

Si, à la forme-limite, correspondait un discours axiologique marqué par l’ancrage – appartenance à un espace défini –, à la forme-flux correspond une idéologie mo-bilitaire. Celle-ci est la traduction impérative de l’omniprésence de la mobilité dans un monde lu par le prisme du flux constant du temps et du décloisonne-ment de l’espace. En découle un système de contrainte reposant sur quatre impé-ratifs : activité, activation, participation et adaptation, lesquels sont la traduction des nécessités découlant de l’immersion dans un contexte mouvant.

IV. La mobilité pour expliquer le managérialisme ? Si nous rejoignons les auteurs qui pensent que le managérialisme peut expli-

quer bon nombre des évolutions récentes de la pénalité, il nous paraît cependant souhaitable de monter en généralité en s’appuyant sur les éléments que nous ve-nons d’exposer brièvement.

L’ambition est de répondre à une question simple : qu’est-ce qui est neuf dans la situation actuelle ? Ce ne peut être la pénétration dans l’appareil de justice de théories et de pratiques éprouvées dans le cadre des entreprises et des organisa-tions privées. Ce type de mouvement n’est pas récent : des jeux de va et vient ont lieu entre ces mondes depuis bien longtemps. Il s’agit donc plus vraisemblable-ment de l’irruption d’une logique particulière, nommée managérialisme.

Mais l’on pourrait à bon droit s’interroger sur l’événement en question. S’agit-il simplement d’une colonisation provenant de l’extérieur ? Si c’est le cas, comment expliquer qu’elle ait lieu avec tant de facilité ? Certes, tout le monde n’est pas en-thousiaste, mais il n’est pas non plus question de conquêtes et de farouche résis-tance. Il semble plutôt qu’une évolution prenne place de manière relativement pacifique et se déroule sans faiblir depuis plus de vingt ans. La simple logique de l’irruption managériale nous semble incapable de rendre compte de ce qui est à l’œuvre actuellement.

Doc

umen

t tél

écha

rgé

depu

is w

ww

.cai

rn.in

fo -

Uni

vers

idad

de

Val

enci

a -

- 14

7.15

6.22

4.13

8 -

02/0

5/20

15 2

1h50

. © E

d. ju

ridiq

ues

asso

ciée

s D

ocument téléchargé depuis w

ww

.cairn.info - Universidad de V

alencia - - 147.156.224.138 - 02/05/2015 21h50. © E

d. juridiques associées

Page 26: DRS_084_0359

Mobilité et justice pénale. L’idéologie mobilitaire comme soubassements du managérialisme

Droit et Société 84/2013 383

Parallèlement, l’on ne peut s’empêcher de se demander s’il n’est bien question que de cela. S’agit-il simplement de la pénétration de discours et pratiques organi-sationnels dans le monde de la justice pénale ? Ce serait alors bien la première fois qu’une mutation importante s’y produit en déconnexion avec les autres secteurs de la société. Sans doute peut-on faire l’hypothèse qu’un lien doit être caractérisé entre l’introduction du managérialisme dans la justice pénale et d’autres mutations que l’on observe dans divers discours et pratiques sociaux.

Nous pensons que l’idéologie mobilitaire permet ainsi de répondre à ces trois questions : que se passe-t-il dans la justice pénale ? Comment les mutations ré-centes peuvent-elles si aisément être accueillies ? Quel lien ces évolutions entre-tiennent-elles avec d’autres qui sont concomitantes ?

IV.1. Évolutions récentes de la pénalité Les quatre évolutions récentes de la pénalité décrites par D. Kaminski nous pa-

raissent largement en phase avec les impératifs découlant de l’idéologie mobilitaire et à la forme-flux qui sous-tend cette dernière, sans pour autant les épuiser.

Ainsi l’activité croissante de l’appareil répressif pointée par D. Kaminski nous semble-t-elle relever, au moins partiellement, d’une soumission des systèmes ré-pressifs aux principes d’activité et d’activation. À tel point que nous nous deman-dons s’il serait toléré que les institutions concernées – police, parquets, juridictions, prisons, établissements de défense sociale, acteurs parajudiciaires, etc. – n’atteignent qu’un niveau raisonnable d’activité. Il semble au contraire que la surcharge soit devenue un impératif institutionnel et individuel, constituant en cela l’aboutis-sement d’une logique d’activité poussée en ses dernières extrémités.

En deuxième lieu, la redistribution des compétences au sein de l’appareil ré-pressif nous semble soutenue par la forme-flux. La morphologie spatiotemporelle qui lui correspond repose sur l’idée d’une interpénétration des espaces et sur la contrefactualité de toute limite. Dans ce cadre, la « spatialisation » strictement cloi-sonnée des compétences de l’État démocratique classique sous la forme d’une séparation des pouvoirs devient incompréhensible. De la même manière, les fron-tières claires entre élaboration et application du droit, entre exercice des poursuites et jugement au fond, entre condamnation et exécution des décisions de justice ou encore entre légalité et opportunité s’estompent.

En résulte une indifférenciation progressive des compétences, conduisant à des agrégations et à ce qui peut apparaître comme des déplacements, mais qui ressortit davantage, à notre sens, à des répartitions et à des « étalements » sur l’ensemble de la chaine décisionnelle et gestionnaire. Ces mouvements sont bien entendu encou-ragés par le fait qu’ils permettent de répondre davantage à l’impératif d’adaptation en rendant possible un considérable élargissement des modalités et finalités des interventions de chaque acteur.

Ils relèvent également de la logique de la participation, l’idée dominante n’étant plus celle d’un passage de relai au cours d’une procédure conçue comme linéaire et unidirectionnelle – à la manière d’une ligne du temps – mais celle d’un enchevê-trement de relations participatives au sein d’un système aux frontières internes

Doc

umen

t tél

écha

rgé

depu

is w

ww

.cai

rn.in

fo -

Uni

vers

idad

de

Val

enci

a -

- 14

7.15

6.22

4.13

8 -

02/0

5/20

15 2

1h50

. © E

d. ju

ridiq

ues

asso

ciée

s D

ocument téléchargé depuis w

ww

.cairn.info - Universidad de V

alencia - - 147.156.224.138 - 02/05/2015 21h50. © E

d. juridiques associées

Page 27: DRS_084_0359

C. MINCKE

384 Droit et Société 84/2013

incertaines. C’est ici que nous retrouvons la mutation des représentations tempo-relles qui correspond à la forme-flux : le passage à un temps-flux qui s’oppose à une temporalité scandée, dans laquelle se succèdent des passages de relai instantanés marquant l’ouverture de nouveaux temps de la procédure.

En troisième et quatrième lieux, D. Kaminski considère la valorisation de la proximité et de la participation comme caractéristique des récentes évolutions de la pénalité. Ces deux questions nous semblent intimement liées. D’un côté, la proxi-mité que D. Kaminski décline en quatre types : géographique, temporelle, relation-nelle et analogique 63 recouvre un large champ : celui de la distance relationnelle. Il s’agit d’estimer ce qui sépare deux entités, non seulement d’un point de vue phy-sique ou temporel, mais aussi dans tous les paramètres déterminant leur entrée en relation. La proximité relève donc, comme nous le soutenions en d’autres pages, de la question de l’accessibilité dont elle n’est qu’un cas particulier 64. D’un autre côté, la participation implique une entrée en relation puisqu’elle est, nous le disions ci-dessus, une activité déployée sur un mode relationnel, dans le cadre d’un projet collectif. La logique relationnelle – et donc la question de l’accessibilité – fait ici le lien avec la proximité. Participation et proximité relèvent ainsi d’une même ques-tion relationnelle dans un contexte conçu comme réticulaire et non hiérarchisé, dans lequel les cheminements institutionnels linéaires hiérarchiques sont dévalori-sés et où se pose la question de leur substitution.

Les mutations récentes de la pénalité décrites par D. Kaminski apparaissent donc comme parfaitement cohérentes avec l’hypothèse d’une évolution du rapport à la mobilité et à l’espace-temps. L’idéologie mobilitaire dont il était question ci-dessus, nous semble pouvoir constituer la toile de fond qui a nourri et légitimé les évolutions identifiées dans la pénalité. Bien qu’apparemment très diverses, celles-ci nous semblent tirer leur cohérence de cet arrière-plan.

IV.2. Managérialisme La mise en cohérence des mutations de la pénalité par D. Kaminski s’appuie sur

l’hypothèse d’une introduction de la logique managériale, laquelle se marquerait par un souci de la productivité, de l’efficience et du service à la clientèle. Il nous paraît que ce système de pensée lui-même peut être rapporté au développement d’une idéologie mobilitaire.

Pour ce qui est de la productivité en son sens actuel de gestion des flux, nous ren-voyons à ce que nous venons de dire de l’accroissement de l’activité du système ré-pressif. Il faut y ajouter le poids de la forme-flux et du projet participatif qui y est asso-cié : dans un espace-temps caractéristique du réseau, les processus sont ramenés à des circulations entre partenaires d’un projet. Le sens d’une action naît des transmis-sions en tant que telles. De là l’idéal organisationnel du réseau, qui est la fluidité ab-

63. Dan KAMINSKI, « De l’amour du prochain et de son châtiment », in Jacques FAGET et Anne WYVEKENS (dir.), La justice de proximité en Europe. Pratiques et enjeux, Paris : Érès, 2001, p. 133 et suiv.

64. Christophe MINCKE, « La proximité… quelle proximité ? Y a-t-il meilleure manière de terminer qu’en commençant ? », in Christophe MINCKE et Michel HUBERT (dir.), Ville et proximité, Bruxelles : Publications des Facultés universitaires Saint-Louis, 2011, p. 231-236.

Doc

umen

t tél

écha

rgé

depu

is w

ww

.cai

rn.in

fo -

Uni

vers

idad

de

Val

enci

a -

- 14

7.15

6.22

4.13

8 -

02/0

5/20

15 2

1h50

. © E

d. ju

ridiq

ues

asso

ciée

s D

ocument téléchargé depuis w

ww

.cairn.info - Universidad de V

alencia - - 147.156.224.138 - 02/05/2015 21h50. © E

d. juridiques associées

Page 28: DRS_084_0359

Mobilité et justice pénale. L’idéologie mobilitaire comme soubassements du managérialisme

Droit et Société 84/2013 385

solue d’une circulation sans friction de l’information, des dossiers, des justiciables, etc. L’activité, en tant que valeur fondamentale, ne peut se mesurer que par le biais de ces échanges. Dans une telle organisation, la traque des goulots d’étranglement est la stratégie par excellence d’amélioration des fonctionnements collectifs et la producti-vité, un souci permanent. On le voit, la question productiviste telle qu’elle se pose aujourd’hui est intimement liée aux logiques mobilitaires et à la forme-flux.

En ce qui concerne le service à la clientèle, il nous paraît relever pour l’essentiel de la logique relationnelle qui sous-tend la participation et l’adaptation. La valeur de la collaboration à un projet, la capacité même à assumer un projet, dépendent de la faculté de fournir au partenaire le service qu’il attend de nous. Il n’est plus question de servir l’intérêt collectif en tant qu’interprète autorisé – et donc hiérar-chiquement habilité à cette interprétation –, mais bien de satisfaire une demande décrite sous la forme d’un projet et qui requiert une capacité d’adaptation au con-texte et aux exigences du commanditaire. La relation au client n’est donc qu’une des déclinaisons de l’attribution relationnelle de valeur qui a cours dans un réseau. La qualité y est déterminée en fonction de l’appréciation des acteurs et non de critères de jugement prédéfinis.

Les impératifs mobilitaires sous-tendent donc les impératifs managériaux. Plus encore, ils nous permettent de comprendre différemment l’articulation du mana-gérialisme aux autres modèles de gestion. Souvenons-nous que, selon D. Kaminski, la situation actuelle reposerait sur la coexistence de quatre modèles de gestion (bureaucratie, managérialisme, partenariat coopératif et marché compétitif). Cha-cun de ceux-ci entretiendrait des relations privilégiées avec un modèle de justice décrit sous l’angle de son rapport au consentement (justice imposée, justice con-sensuelle, justice participative et justice négociée). Bien entendu, le managéria-lisme appliqué à la pénalité dépasse largement la question des modèles de justice, mais la voie indiquée par D. Kaminski permet une approche heuristique du rapport du managérialisme à l’idéologie mobilitaire. Elle lie en effet le managérialisme à un type particulier de relations entre acteurs de la justice.

Il nous paraît pourtant nécessaire d’opérer une distinction au sein des quatre binômes proposés. Celui que l’on pourrait nommer « bureaucratie/justice impo-sée » nous paraît relever d’un registre discursif nettement distinct de ceux sous-tendant les trois autres binômes, à tout le moins dans leur déclinaison contempo-raine. On ne sera pas surpris que nous affirmions que cette distinction se fonde sur la morphologie spatiotemporelle propre à ces différents discours.

D’un côté, le couple « bureaucratie/justice imposée » nous paraît clairement re-lever de la forme-limite en ce qu’il se fonde sur des répartitions territoriales de compétences, sur l’instauration de processus figés et linéaires progressant par sauts qualitatifs séparés par des stases temporelles. Il relève à notre sens de l’acception classique de la justice pénale, laquelle se fonde sur la spatiotemporalité de la forme-limite.

À l’inverse, les trois autres binômes trouvent leur soutien actuel dans des dis-cours relevant pour l’essentiel de l’idéologie mobilitaire. En effet, pour nous centrer

Doc

umen

t tél

écha

rgé

depu

is w

ww

.cai

rn.in

fo -

Uni

vers

idad

de

Val

enci

a -

- 14

7.15

6.22

4.13

8 -

02/0

5/20

15 2

1h50

. © E

d. ju

ridiq

ues

asso

ciée

s D

ocument téléchargé depuis w

ww

.cairn.info - Universidad de V

alencia - - 147.156.224.138 - 02/05/2015 21h50. © E

d. juridiques associées

Page 29: DRS_084_0359

C. MINCKE

386 Droit et Société 84/2013

sur la question des modèles de justice, il nous paraît qu’ils font droit, à des degrés différents, aux quatre impératifs : activité, activation, participation et adaptation.

Rappelons que F. Tulkens et M. van de Kerchove examinaient l’hypothèse du passage actuel d’un droit imposé à un droit négocié en matière pénale. Ils proposè-rent, outre un modèle parfaitement unilatéraliste, trois gradations dans l’implica-tion des justiciables, montrant à la fois que celle-ci n’était pas neuve, mais aussi qu’elle s’était récemment accrue. La justice participative recouvre les cas de figure dans lesquels une participation non décisive est demandée aux justiciables, comme c’est le cas, de manière traditionnelle, dans le cadre de la constitution de partie civile ou, de façon plus novatrice, dans celui de l’ouverture d’une possibilité pour les victimes de suggérer des devoirs d’enquête à un juge d’instruction ou de de-mander des mesures spécifiques dans le cadre d’une libération conditionnelle.

La justice consensuelle, elle, repose sur l’idée d’un assentiment du justiciable à une peine, une mesure ou une procédure, comme, par exemple, l’acquiescement obligatoire de l’infracteur à la peine de travail.

Quant à la justice négociée, elle repose sur l’idée d’une réelle négociation au cours de la gestion du dossier. La médiation pénale en est la mise en œuvre la plus fla-grante, l’auteur et la victime étant théoriquement libres de s'entendre sur une solu-tion qui leur convient et de déterminer tant les règles matérielles et procédurales qui s’appliquent à eux, que la nature et la quantité des actes à poser en réparation 65.

À notre sens, de la justice consensuelle à la justice négociée, il est question d’une gradation dans la participation et dans l’intensité de l’exigence mobilitaire. Activité, activation, participation et adaptation y sont des impératifs progressive-ment mobilisés, qu’il s’agisse de mettre sur pied des mesures et peines fondées sur les vertus de l’activité (travail, formation, voire thérapie dans une certaine mesure), d’attendre du prévenu ou du condamné une faculté d’activation (présence et res-pect des horaires, initiative de propositions concrètes, capacité à anticiper les at-tentes du système), d’exiger une participation, faible ou de grande ampleur, à la punition, serait-ce sous la seule forme d’un assentiment permettant d’impliquer le condamné dans la légitimation de sa peine ou encore de requérir des facultés d’adaptation notamment sous la forme d’une habilité à saisir les opportunités qui se présentent, à adopter les attitudes attendues et à gérer correctement, face à di-vers intervenants, le parcours de son dossier. Il nous semble ainsi que la question du consentement, au cœur de la typologie de F. Tulkens et M. van de Kerchove, rend partiellement compte d’une autre, plus large : celle de la mobilisation des acteurs dans le cadre du processus judiciaire 66.

65. Nous avons formalisé ceci sous la forme de deux idéaux, connexionniste et consensualiste, dans le cadre d’une étude du fonctionnement concret de la médiation pénale. Christophe MINCKE, La médiation pénale face à ses idéaux fondateurs. De l’utopie à l’aveuglement, op. cit., p. 36 et suiv.

66. Précisons tout de même qu’il s’agit pour nous de comprendre la signification donnée aujourd’hui à ces mécanismes, étant entendu qu’elle a plus que certainement considérablement varié au cours du temps pour les processus les plus anciens. Par ailleurs, il est bien évident que l’idéologie mobilitaire n’est pas le seul registre normatif mobilisé pour soutenir ces dispositifs. À cet égard, Benoît Frydman relevait la plurali-té des registres normatifs mobilisés parallèlement en soutien du sens à donner aux textes juridiques ; Benoît FRYDMAN, « Y a-t-il en droit des révolutions scientifiques ? », Journal des tribunaux, 5821, 1996, p. 813.

Doc

umen

t tél

écha

rgé

depu

is w

ww

.cai

rn.in

fo -

Uni

vers

idad

de

Val

enci

a -

- 14

7.15

6.22

4.13

8 -

02/0

5/20

15 2

1h50

. © E

d. ju

ridiq

ues

asso

ciée

s D

ocument téléchargé depuis w

ww

.cairn.info - Universidad de V

alencia - - 147.156.224.138 - 02/05/2015 21h50. © E

d. juridiques associées

Page 30: DRS_084_0359

Mobilité et justice pénale. L’idéologie mobilitaire comme soubassements du managérialisme

Droit et Société 84/2013 387

À l’inverse des justices participatives, la justice imposée, de facture nettement classique, repose sur des valeurs incompatibles avec l’idéologie mobilitaire : normati-vité légaliste stricte, intervention unilatérale d’organes étatiques se réclamant d’elle et de l’intérêt collectif, réification et réactivité des justiciables, professionnalisation du rapport à la justice, etc. Activité, activation, participation et adaptation sont à cet égard sans pertinence. Plus encore, dans bien des cas, elles sembleront indésirables.

On comprendra, au regard de ce qui précède, qu’il nous paraît difficile de dé-fendre l’hypothèse d’un managérialisme comme raffinement de la bureaucratie, comme adaptation cosmétique aux fins de la conservation du système 67. Si, au sens strict, il peut être considéré comme un des quatre modèles de gestion, il nous semble partager un registre discursif – mobilitaire – avec deux autres modèles et s’opposer au modèle bureaucratique. De ce fait, nous n’adhérons pas à l’idée d’une hiérarchisation des modes de gestion, la bureaucratie prédominante laissant se développer en son sein un managérialisme instrumentalisé, ce dernier permettant à son tour l’ouverture de fenêtres partenariale et contractuelle, toutes deux locales et temporaires. Plutôt que de rapports hiérarchiques et d’instrumentalisation, nous verrions l’investissement de la pénalité par un discours permettant de justifier le développement de certains types de pratiques – managériales, partenariales et contractuelles – à l’occasion du développement de relations complexes et de luttes entre positions relevant de l’ancrage et d’affiliations mobilitaires.

Conclusion Il nous paraît, pour conclure, que l’on peut considérer que le managérialisme,

en tant que déclinaison organisationnelle de l’idéologie mobilitaire, sert de substrat au développement de nouveaux types d’action et à la réinterprétation d’anciens mécanismes. À cet égard, l’opposition fondamentale se situe entre un mode organi-sationnel bureaucratique – typique d’une justice pénale classique et fortement institutionnalisée – peu susceptible d’une réinterprétation mobilitaire – et les trois autres modalités de gestion, partageant un rapport étroit à l’idéologie mobilitaire. Nous tendrions donc à distinguer, d’une part, la nouveauté d’un rapport à l’espace-temps et de l’idéologie qui l’accompagne et, d’autre part, la relative continuité des modes d’action sous la forme d’un mixte d’éléments anciens rhabillés de mobilité et d’apports récents plus radicalement mobilitaires.

Les tensions accompagnant l’irruption du managérialisme dans la pénalité nous semblent en bonne partie relever des tiraillements consécutifs au passage de l’ancrage à la mobilité et de la forme-limite à la forme-flux. Cette perspective permet de mettre en évidence la cohérence des évolutions en cours, sous un apparent désordre.

C’est d’autant plus le cas si l’on admet que, s’agissant de relations aux catégories fondamentales que sont l’espace et le temps, elles connaissent des déclinaisons di-verses. Ainsi l’appel à l’adaptation peut-il générer des initiatives de restitution aux parties de leur conflit et de privatisation de la résolution des litiges, au nom de l’élaboration d’un cadre de résolution et d’une solution parfaitement adaptés aux

67. Dan KAMINSKI, « Trouble de la pénalité et ordre managérial », art. cité, p. 102.

Doc

umen

t tél

écha

rgé

depu

is w

ww

.cai

rn.in

fo -

Uni

vers

idad

de

Val

enci

a -

- 14

7.15

6.22

4.13

8 -

02/0

5/20

15 2

1h50

. © E

d. ju

ridiq

ues

asso

ciée

s D

ocument téléchargé depuis w

ww

.cairn.info - Universidad de V

alencia - - 147.156.224.138 - 02/05/2015 21h50. © E

d. juridiques associées

Page 31: DRS_084_0359

C. MINCKE

388 Droit et Société 84/2013

parties, ainsi qu’aux lieu et temps considérés. Il peut aussi résulter dans un appel à une traçabilité maximale permettant d’évaluer en continu les réactions à fournir, débouchant alors sur des dispositifs de contrôle d’une foule d’indicateurs relatifs aux lieux, activités, paramètres personnels, etc. des individus visés. De même, la valorisa-tion de l’activation peut-elle amener à susciter et à accueillir favorablement les initia-tives des justiciables désireux de prendre en charge leur litige ou des acteurs du sys-tème répressif soucieux de gérer de manière autonome leur charge de travail, comme elle peut aboutir à une responsabilisation de l’individu, tenu pour comptable et des failles de l’organisation dont il relève, et des échecs survenus au cours du traitement de son dossier. Il nous semble ainsi que, sous des actions fortement antagonistes, portées par des acteurs souvent distincts et par des discours politiques généralement opposés, peut reposer une même logique, un même rapport au monde. En restituant au managérialisme un contexte, l’idéologie mobilitaire nous semble permettre de comprendre des évolutions concomitantes et apparemment paradoxales.

En fin de compte, le managérialisme n’est qu’une des déclinaisons d’un mouve-ment plus large. Il n’est que l’introduction d’un discours en provenance du monde de l’entreprise et dont cette caractéristique n’est pas ce qui fonde son originalité ; les modes antérieurs de gestion du système répressif devaient en effet beaucoup aux discours qui, à l’époque, définissaient les modèles industriels et entrepreneuriaux. Son originalité provient, selon nous, de son affiliation mobilitaire et donc de son adéquation à un ensemble de représentations sociales propres à notre époque.

Enfin, la pénétration du discours managérial dans des domaines dont on pou-vait penser qu’ils la rejetteraient catégoriquement peut s’éclairer si l’on admet qu’il est une déclinaison sectorielle de mutations plus larges, qui lui fournissent un cadre axiologique et conceptuel particulièrement accueillant. Et cette compréhen-sion se double logiquement d’une ouverture sur d’autres mutations intervenant dans des domaines étrangers à la pénalité ou à l’organisation de l’action collective. C’est ainsi que les évolutions du managérialisme en matière répressive et de la pénalité peuvent prendre place dans un contexte plus large, concernant également les relations familiales, les conceptions de l’aide sociale, les représentations en matière politique, les systèmes de légitimité morale, etc. L’on peut à cet égard évo-quer ici – sans qu’il soit possible de les développer – des parallèles avec l’émer-gence, ces dernières décennies, de modèles familiaux contractualistes, de pédago-gies actives, de gestions dynamiques de l’aide sociale, de prises en charge collabo-ratives des malades, de promotion de nouveaux modèles de vieillesse, lesquels reposent largement sur des conceptions spatiotemporelle relevant de la forme-flux et fondent leurs commandements sur les quatre impératifs mobilitaires. C’est dans ce contexte que les injonctions multiples adressées aux individus dans des sphères très diverses peuvent entrer en résonnance et apparaître comme relevant d’un rapport au monde commun 68.

68. L’auteur remercie Alexia Jonckheere pour sa relecture attentive et ses commentaires stimulants, ainsi que Anne Lemonne et Valentine Mahieu pour leurs suggestions.

Doc

umen

t tél

écha

rgé

depu

is w

ww

.cai

rn.in

fo -

Uni

vers

idad

de

Val

enci

a -

- 14

7.15

6.22

4.13

8 -

02/0

5/20

15 2

1h50

. © E

d. ju

ridiq

ues

asso

ciée

s D

ocument téléchargé depuis w

ww

.cairn.info - Universidad de V

alencia - - 147.156.224.138 - 02/05/2015 21h50. © E

d. juridiques associées

Page 32: DRS_084_0359

Mobilité et justice pénale. L’idéologie mobilitaire comme soubassements du managérialisme

Droit et Société 84/2013 389

L’auteur Christophe Mincke est docteur en droit et sociologue. Directeur opérationnel crimino-logie à l’Institut national (belge) de criminalistique et de criminologie et professeur aux Facultés universitaires Saint-Louis (Bruxelles), il développe actuellement avec Bertrand Montulet une réflexion sur le rapport de notre société à l’impératif mobilitaire et sur le poids de celui-ci dans les discours sur la prison. Parmi ses publications : — Ville et proximité (dir., avec Michel HUBERT), Bruxelles : Publications des FUSL, 2011 ; — « Mobilité et justice pénale. Nouvelle idéologie, nouvelles pratiques ? », in Dix ans de maisons de Justice, bilan et perspectives. Actes du colloque des 2 et 3 décembre 2009, Bruxelles : SPF Justice, 2011 ; — La médiation pénale face à ses idéaux fondateurs. De l’utopie à l’aveuglement, Bruxelles : Kluwer, 2010.

Doc

umen

t tél

écha

rgé

depu

is w

ww

.cai

rn.in

fo -

Uni

vers

idad

de

Val

enci

a -

- 14

7.15

6.22

4.13

8 -

02/0

5/20

15 2

1h50

. © E

d. ju

ridiq

ues

asso

ciée

s D

ocument téléchargé depuis w

ww

.cairn.info - Universidad de V

alencia - - 147.156.224.138 - 02/05/2015 21h50. © E

d. juridiques associées