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1 CAPAVOCAT PROCEDURE CIVILE CORRECTION DU DST n°1 DU LUNDI 2 août 2010 Sujet n o 1 : Dissertation : « Nul ne plaide par procureur » « Nul ne plaide par procureur », mais chacun peut se faire représenter en justice. Ainsi dit, la formule paraît contradictoire. Si la maxime est restée la même depuis l’époque du droit romain, son sens, lui, a beaucoup évolué. D’abord conçue comme une interdiction de se faire représenter en justice, la règle « nul ne plaide par procureur » signifie aujourd’hui que le nom du mandant doit apparaître dans les actes de procédure. Il ne peut pas disparaître derrière le nom du représentant. Cette maxime permet ainsi au défendeur de connaître l’identité du demandeur et d’organiser sa défense en conséquence. Elle assure ainsi le respect des droits de la défense. Aussi importante qu’elle puisse paraître, cette règle n’a jamais été consacrée dans les textes, ni dans l’ancien Code de procédure civile, ni dans le Code actuel. Pourtant, la jurisprudence continue de l’appliquer et la Cour de cassation fonde parfois exclusivement son arrêt sur la maxime, ne retenant ainsi aucun texte dans son visa, ce qui est assez rare. L’absence de consécration de la règle « nul ne plaide par procureur » dans le Code de procédure civile est sans doute à l’origine d’une confusion quant à ses effets. De prime abord, il semble que cette règle soit une formalité tenant aux actes de procédure : ces derniers doivent mentionner le nom des titulaires de l’action en justice. Le non respect de cette règle devrait alors logiquement constituer un vice de forme et relever du régime de l’article 114 CPC. Toutefois, la jurisprudence la rattache à l’exigence d’un intérêt direct et personnel dont le défaut entraine l’irrecevabilité de l’action. La mise en œuvre de la règle « nul ne plaide par procureur » n’est dès lors pas aisée, ce d’autant que ses limites sont nombreuses. La jurisprudence l’écarte en effet dans un certain nombre d’hypothèses, lorsque ses inconvénients prennent le pas sur sa justification. Certains auteurs souhaiteraient même la voir disparaître totalement, pour permettre notamment l’exercice d’une action de groupe en France. On peut alors se demander si le maintien de cette coutume est opportun. L’histoire et le droit positif montrent que la mise en œuvre de la règle « nul ne plaide par procureur » peut se justifier (I), mais l’évolution du contentieux tend à la remettre assez largement en cause (II). I. La mise en œuvre de la règle Nul ne plaide par procureur La règle « nul ne plaide par procureur » n’est consacrée dans aucun texte et pourtant, elle est appliquée par la jurisprudence. Il faut alors revenir sur son origine pour en cerner le sens (A) et comprendre les effets (B). A. L’origine de la règle A l’origine, la règle « nul ne plaide par procureur » avait pour objectif d'assurer une présence effective des plaideurs devant le juge. En effet, à l’époque du droit romain, la procédure étant formaliste, l’interdiction de plaider par procureur était justifiée par la nécessité d'accomplir personnellement les formalités rituelles imposées aux parties. Ainsi, la règle « nul ne plaide par procureur » signifiait que les parties ne pouvaient pas se faire représenter dans l’exercice de l’action. Par la suite, la procédure est devenue de plus en plus complexe de sorte que la représentation en justice est devenue indispensable. Après une longue évolution, il fut admis la possibilité de choisir un mandataire pour se faire représenter en justice. Toutefois, quiconque plaidait par procureur devait faire figurer son nom dans tous les actes de la procédure. Seul le

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CAPAVOCAT PROCEDURE CIVILE

CORRECTION DU DST n°1 DU LUNDI 2 août 2010 Sujet no 1 : Dissertation : « Nul ne plaide par procureur » « Nul ne plaide par procureur », mais chacun peut se faire représenter en justice. Ainsi dit, la formule paraît contradictoire. Si la maxime est restée la même depuis l’époque du droit romain, son sens, lui, a beaucoup évolué. D’abord conçue comme une interdiction de se faire représenter en justice, la règle « nul ne plaide par procureur » signifie aujourd’hui que le nom du mandant doit apparaître dans les actes de procédure. Il ne peut pas disparaître derrière le nom du représentant. Cette maxime permet ainsi au défendeur de connaître l’identité du demandeur et d’organiser sa défense en conséquence. Elle assure ainsi le respect des droits de la défense. Aussi importante qu’elle puisse paraître, cette règle n’a jamais été consacrée dans les textes, ni dans l’ancien Code de procédure civile, ni dans le Code actuel. Pourtant, la jurisprudence continue de l’appliquer et la Cour de cassation fonde parfois exclusivement son arrêt sur la maxime, ne retenant ainsi aucun texte dans son visa, ce qui est assez rare. L’absence de consécration de la règle « nul ne plaide par procureur » dans le Code de procédure civile est sans doute à l’origine d’une confusion quant à ses effets. De prime abord, il semble que cette règle soit une formalité tenant aux actes de procédure : ces derniers doivent mentionner le nom des titulaires de l’action en justice. Le non respect de cette règle devrait alors logiquement constituer un vice de forme et relever du régime de l’article 114 CPC. Toutefois, la jurisprudence la rattache à l’exigence d’un intérêt direct et personnel dont le défaut entraine l’irrecevabilité de l’action. La mise en œuvre de la règle « nul ne plaide par procureur » n’est dès lors pas aisée, ce d’autant que ses limites sont nombreuses. La jurisprudence l’écarte en effet dans un certain nombre d’hypothèses, lorsque ses inconvénients prennent le pas sur sa justification. Certains auteurs souhaiteraient même la voir disparaître totalement, pour permettre notamment l’exercice d’une action de groupe en France. On peut alors se demander si le maintien de cette coutume est opportun. L’histoire et le droit positif montrent que la mise en œuvre de la règle « nul ne plaide par procureur » peut se justifier (I), mais l’évolution du contentieux tend à la remettre assez largement en cause (II). I. La mise en œuvre de la règle Nul ne plaide par procureur La règle « nul ne plaide par procureur » n’est consacrée dans aucun texte et pourtant, elle est appliquée par la jurisprudence. Il faut alors revenir sur son origine pour en cerner le sens (A) et comprendre les effets (B). A. L’origine de la règle A l’origine, la règle « nul ne plaide par procureur » avait pour objectif d'assurer une présence effective des plaideurs devant le juge. En effet, à l’époque du droit romain, la procédure étant formaliste, l’interdiction de plaider par procureur était justifiée par la nécessité d'accomplir personnellement les formalités rituelles imposées aux parties. Ainsi, la règle « nul ne plaide par procureur » signifiait que les parties ne pouvaient pas se faire représenter dans l’exercice de l’action. Par la suite, la procédure est devenue de plus en plus complexe de sorte que la représentation en justice est devenue indispensable. Après une longue évolution, il fut admis la possibilité de choisir un mandataire pour se faire représenter en justice. Toutefois, quiconque plaidait par procureur devait faire figurer son nom dans tous les actes de la procédure. Seul le

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Roi pouvait ne faire figurer que le nom de son mandataire. La règle s’énonçait alors de la manière suivante : « En France, nul ne plaide par procureur, hormis le Roi ». Juridiquement, on justifiait cette prérogative en disant que la justice émanait du Roi. Politiquement, cela permettait d’assurer la supériorité du Roi sur les seigneurs. Lorsque ces préoccupations politiques eurent disparu, les termes « hormis le Roi » disparurent à leur tour, de sorte que la formule redevint ce qu'elle était autrefois : « Nul en France ne plaide par procureur ». L’ancien Code de procédure civile ne mentionnait pas expressément une telle interdiction de plaider par procureur. Cependant, la règle a été appliquée par la jurisprudence, même si les décisions faisant référence à la maxime seule, à l'exclusion d'autres sanctions comme le défaut de qualité ou d'intérêt, sont relativement peu nombreuses. Le « nouveau » Code de procédure civile n’a pas non plus repris ce principe. Toutefois, la jurisprudence n’y a pas vu la volonté du pouvoir réglementaire de l’écarter. Ainsi, la Cour de cassation applique encore aujourd’hui ce principe (pour une application récente : Civ. 1re, 5 juin 2009), en se fondant parfois exclusivement sur cette maxime (Civ. 3e, 19 mars 2003 ; Civ. 2e, 29 novembre 2001 ; Com., 9 février 1999). Le principe suivant lequel « nul ne plaide par procureur » signifie désormais que le nom des mandants doit apparaître dans tous les actes de la procédure. La doctrine justifie le maintien de cette règle par la nécessité de garantir le respect des droits de la défense. En effet, la dissimulation de la véritable identité du demandeur est de nature à gêner sérieusement la présentation des moyens de défense. Une telle manœuvre peut, par exemple, priver le défendeur de la possibilité d'opposer des moyens personnels au demandeur, puisqu'il ne connaît pas son identité (par ex. : Paris, 10 décembre 1901). Il est donc nécessaire que le nom des mandants soit révélé afin que la partie adverse sache exactement contre qui elle défend ses droits et contre qui le jugement sera exécutoire. De plus, on trouve dans les nouveaux textes certaines exigences relatives à l'identification des parties comme dans les actes d’huissier de justice (art. 648 CPC). B. Les effets de la règle Le maintien de cette règle est donc justifié, mais sa portée actuelle est discutée. En principe, le nom du mandant doit figurer non seulement dans l’acte introductif d’instance (ce qui ne fait pas débat : Civ., 10 juillet 1939 ; Paris, 5 mars 1946 ; 9 juin 1958 ; Versailles, 10 juin 1993), mais également dans tous les autres actes de la procédure. Cette dernière exigence paraît excessive car elle risque de paralyser certaines procédures. C’est la raison pour laquelle une partie de la doctrine propose de limiter l’obligation de mentionner le nom du mandant à la seule demande introductive d’instance (H. Solus et R. Perrot). De même, l’effet procédural est assez incertain. Le problème est de savoir si la règle « nul ne plaide par procureur » est sanctionnée par une nullité pour vice de forme ou une fin de non-recevoir. On enseigne traditionnellement que la maxime « nul ne plaide par procureur » impose que l’intérêt à agir soit direct et personnel. Celui qui n’aurait pas un intérêt direct et personnel plaiderait donc par procureur. L’action est alors irrecevable, suivants l’article 31 CPC, et le défendeur peut soulever une fin de non-recevoir (article 122 CPC). La jurisprudence semble aller dans ce sens. Elle sanctionne en effet la violation de la règle « nul ne plaide par procureur » par l’irrecevabilité de l’action (v. par ex. : Civ. 2e, 14 octobre 2003 ; 2 avril 2003 ; Civ. 3e, 19 mars 2003). La Cour de cassation fait alors appel à la notion de défaut d’intérêt ou de qualité pour agir. Toutefois, selon certains auteurs (P. Julien et N. Fricero ; S. Guinchard et F. Ferrand), cette règle ne peut constituer qu’un vice de forme, relevant ainsi du régime de l’article 114 CPC. L’analyse conduisant à qualifier cette maxime de condition de recevabilité reposerait sur une confusion entre, d'une part, l'exigence purement formelle de la mention du nom du mandant dans les actes de procédure, résultant de la signification actuelle de la règle « nul ne plaide par procureur » et, d'autre part, l'exigence d'une qualité pour agir en la personne des parties à l'instance, posée par l'article 31 CPC. Il reste que suivant ce raisonnement logique, la nullité ne pourrait pas être prononcée en l’état actuel des textes. En effet, l’article 114 CPC prévoit que la nullité ne peut être obtenue que si la preuve d’un texte et d’un grief est rapportée. L’exigence d’un texte est écartée lorsqu’il

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s’agit d’une formalité substantielle, mais la mention du nom du mandant n’en n’est pas une (Civ. 2e, 1er février 1982). Or, comme nous l’avons vu, aucun texte ne consacre expressément la maxime. De fait, la nullité ne pourrait jamais être retenue. C’est peut-être ce qui explique que la jurisprudence a expressément écarté le régime de la nullité pour vice de forme (Civ. 2e, 10 juillet 1991) pour retenir celui des fins de non-recevoir. Au surplus, on peut penser que la Cour de cassation procède à une qualification formelle des parties au litige, en les identifiant suivant les actes de procédure uniquement, sans retenir la situation réelle. Le sens de la règle « nul ne plaide par procureur » a beaucoup évolué et les textes actuels ne l’ont pas consacré expressément, de sorte qu’il est permis de se demander si son maintien est opportun. On a vu qu’elle était justifiée par la nécessité de respecter les droits de la défense, mais son application, qui ne résulte d’aucun texte, est tout de même remise en cause dans un certain nombre d’hypothèses. II. La remise en cause de la règle Nul ne plaide par procureur La règle « nul ne plaide par procureur » est certes maintenue par la jurisprudence, mais elle en limite l’application en l’excluant dans un certain nombre de cas (A). Cela s’explique par les inconvénients pratiques qu’elle présente (B). A. Les limites de la règle L’application de la règle « nul ne plaide par procureur » est parfois exclue. Cela se justifie tantôt par le fait que la partie mandante est aisément identifiable par l'adversaire et qu'il est donc inutile de préciser son identité à peine de nullité des actes, tantôt par l'absence de représentation véritable. La partie mandante est aisément identifiable lorsque par exemple l'action est exercée par un représentant légal : par un père agissant au nom de son fils (Soc., 28 avril 1955), par les personnes que la loi habilite à défendre les intérêts d'un autre (Civ. 1re, 22 mars 1988), par un mandataire judiciaire (Civ., 16 février 1885), ou par un mandataire nommé par le tribunal pour défendre les intérêts des obligataires (Civ., 19 février 1884). Lorsqu'une action est exercée par le dirigeant d'une personne morale, la règle « nul ne plaide par procureur » est encore exclue de sorte que le nom des associés n’a pas à figurer dans les actes de la procédure. On justifie cette exclusion en considérant que c’est la personne morale elle-même qui agit en son propre nom. Or, elle ne peut le faire que par un intermédiaire. Elle agit comme personne morale titulaire du droit invoqué et non comme mandataire de ses membres. La seule question qui se pose est de savoir si celui qui prétend « représenter » la personne morale en a reçu le pouvoir, en ayant été régulièrement nommé et en exerçant les attributions que lui confèrent la loi et les statuts. Cette question relève ainsi de la nullité pour vice de fond (article 117 CPC) et non de la règle « nul ne plaide par procureur ». Cette exclusion concerne aussi bien les sociétés commerciales, que les sociétés civiles, ou les associations de la loi de 1901. Cependant, il ne peut en être de même lorsque la société ou le groupement ne bénéficie ni de la personnalité morale ni de la capacité d'ester en justice. Dans ces hypothèses, le représentant ad agendum désigné par les membres du groupement ou les associés de la société pour agir en leur nom est dans la même situation qu'un mandataire conventionnel. Par conséquent, les noms de tous les représentés doivent figurer dans les actes de procédure. C’est le cas par exemple de la société en participation (Paris, 5 mars 1946). L’application de la règle « nul ne plaide par procureur » dans cette hypothèse redevient nécessaire car la société ou le groupement n’ayant pas la personnalité morale, le défendeur ne pourra connaître l’identité des titulaires de l’action qu’à travers la mention de leur nom dans les actes de procédure. Enfin, l’exclusion de la règle « nul ne plaide par procureur » peut résulter des usages, comme c’est le cas en matière maritime (le capitaine d'un navire peut agir pour le compte de l'armateur, soit comme demandeur, soit comme défendeur, sans que l'armateur ne soit désigné dans les actes de procédure), ou encore de la loi, comme en matière prud’homale. En effet,

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certaines lois habilitent les syndicats professionnels à agir pour défendre les intérêts d’un salarié sans que ce dernier ne lui ait donné de mandat pour le faire. La seule condition est qu’il doit avoir été informé (Déc. C. constit., 25 juillet 1989). B. Les inconvénients de la règle On le voit, la règle « nul ne plaide par procureur » est écartée dans des hypothèses où son application alourdirait excessivement les actes de procédure et donc le déroulement du procès. En effet, dans les procès où les mandants sont en nombre élevé, la nécessité de justifier de leur identité soulève des obstacles matériels si importants que l'action ne peut pas être valablement exercée. Par ailleurs, l'identification obligatoire des mandants dans les actes de procédure fait obstacle à la mise en œuvre, en procédure civile française, de la « class action » américaine. Suivant cette procédure collective, le juge, après vérification qu’il existe des éléments communs dans les rapports entre les membres du groupe et l’une des parties au procès, rend un jugement bénéficiant à tous ses membres. La mise en œuvre de la règle « nul ne plaide par procureur » s’oppose ainsi à la recevabilité d’une telle class action. Cette maxime empêche par conséquent à la procédure civile française d’évoluer pour s’adapter aux contentieux moderne (notamment de la consommation) en permettant une action de groupe, faisant alors de la France l’un des derniers pays industrialisés à ne pas connaître une telle procédure. Pourtant, l’abandon de la règle « nul ne plaide par procureur » pourrait être envisagée. D’abord, comme nous l’avons vu, elle n’est prévue par aucun texte. Ensuite, elle peut être présentée non pas comme un principe, mais comme une exception. En effet, en théorie générale du mandat, le mandant est engagé dès lors que le tiers cocontractant a su qu'il y avait action pour le compte d'autrui, même si le nom du mandant ne figure pas dans l'acte. Ainsi, le mandat judiciaire soumis à la contrainte de la règle « Nul ne plaide par procureur » apparaît comme une exception. Enfin, en pratique, selon une partie de la doctrine, cette règle ne répond à aucun besoin réel (E. Garsonnet et C. Cézar-Bru). Les droits de la défense sont au premier chef assurés par le respect d’autres principes comme le principe du contradictoire qui impose la communication des pièces sur lesquelles la prétention est fondée. Dès lors, il pourrait être admis qu’en procédure civile, comme en droit des obligations, le principe est la possibilité de plaider par procureur et l’exception « nul ne plaide par procureur ».

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Sujet n° 2 : Commentaire de l’arrêt rendu le 20 mai 2009 par la troisième chambre civile de la Cour de cassation Le procès équitable, pris dans son sens large, repose sur un déroulement chronologique : l’accès aux tribunaux, le déroulement de la procédure et l’exécution des décisions de justice. Précisément, dans un arrêt rendu le 20 mai 2009, la troisième chambre civile de la Cour de cassation était confrontée à la question du droit d’accès à un tribunal du majeur incapable. En l’espèce, M. Jean X., majeur sous tutelle depuis le 4 septembre 1990, est propriétaire d’un immeuble. Celui-ci est vendu le 20 juin 1997 à Mme Y. pour le prix de 950.000 francs. Puis, ce bien immobilier est cédé à nouveau aux époux Z. pour le prix de 2.500.000 francs le 31 mai 2003. La mesure de tutelle dont M. Jean X. faisait l’objet est levée le 11 février 2003. M. Jean X. décide alors d’agir en rescision pour cause de lésion et assigne Mme Y., les époux Z. et l’Association de tutelle (ADT), qui était chargé de la gérance de ses biens. Les juges du fond considèrent que l’action de M. Jean X. est forclose au regard de l’article 1676 du Code civil qui prévoit que l’action en rescision pour cause de lésion doit être introduite dans un délai de deux ans à compter du jour de la vente. M. Jean X. se pourvoit en cassation en reprochant à la Cour d’appel d’avoir violé les articles 6 et 13 de la Convention européenne des droits de l'homme et l'article 1er du premier protocole additionnel à cette convention. Selon le moyen, toute personne dont les droits et libertés reconnus dans la Convention européenne des droits de l'homme ont été violés a droit à l'octroi d'un recours effectif devant une instance nationale, alors même que la violation aurait été commise par des personnes agissant dans l'exercice de leurs fonctions officielles. Au regard des faits, M. Jean X. considère que le point de départ du délai de forclusion commence à courir à compter non pas du jour de la vente, mais du jour où sa tutelle a pris fin. La question posée à la Cour de cassation est donc de savoir si le délai de forclusion de l’article 1676 du Code civil qui court à l’égard d’un majeur incapable porte atteinte au droit d’accès à un tribunal garanti par la Convention européenne des droits de l’homme. La Cour de cassation commence par rappeler implicitement la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme. Ainsi, si des restrictions légitimes au droit d’agir en justice sont admises, elles ne doivent pas porter atteinte à la substance du droit d’accès à un tribunal. En l’espèce, le délai de forclusion de l’article 1676 du Code civil conduit à restreindre les possibilités d’agir du majeur sous tutelle, mais ne le prive pas de tout droit d’agir, notamment parce que l’action en rescision pouvait être exercée par l’intermédiaire du représentant légal de l’incapable. Le pourvoi est donc rejeté. D’une manière générale, la Cour de cassation applique une solution classique qui peut apparaître sévère pour le majeur sous tutelle. L’arrêt de la Cour de cassation rendu le 20 mai 2009 rappelle donc d’abord la possibilité d’encadrer le droit d’agir du majeur sous tutelle (I), mais précise aussi la nécessité de préserver la substance du droit d’accès à un tribunal du majeur sous tutelle (II).

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I. La possibilité d’encadrer le droit d’accès à un tribunal du majeur sous tutelle En s’appuyant sur la portée de l’article 6§1 de la Convention européenne des droits de l’homme, la Cour de cassation rappelle que le droit d’accès à un tribunal est un droit consacré (A). Néanmoins, il ne s’agit pas d’un droit absolu : des restrictions légitimes sont possibles (B).

A. La consécration du droit d’accès à un tribunal Dans l’arrêt du 20 mai 2009, le pourvoi considérait que l’article 1676 du Code civil constituait une violation des garanties accordées par la Convention européenne des droits de l’homme. Cette dernière convention est de plus en plus souvent invoquée par les plaideurs pour souligner l’incompatibilité de certaines règles nationales avec les garanties de l’article 6§1. Les règles de délais sont le plus souvent concernées (Cass. ass. plén., 7 avril 2006), à l’image des faits de l’espèce. En l’espèce, la Cour de cassation ne remet pas en cause l’application de l’article 6§1 de la Convention européenne des droits de l’homme. Bien au contraire, elle rappelle que celui-ci consacre le droit d’accès à un tribunal. A proprement parler, l’article 6§1 de la Convention européenne des droits de l’homme ne fait pas référence au droit d’accès à un tribunal. Ce texte fixe les garanties du procès équitable mais ne traite pas la question de l’accès aux tribunaux. C’est la Cour européenne des droits de l’homme, dans son célèbre arrêt Golder rendu le 21 février 1975, qui a considéré que l’effectivité des garanties prévues par l’article 6§1 implique nécessairement de protéger le droit d’accès à un tribunal. Néanmoins, le droit d’accès à un tribunal ne présente pas un caractère absolu. Certes, comme l’indique le pourvoi dans la présente affaire, chaque personne a droit à un recours effectif. Cependant, ce recours peut faire l’objet d’un encadrement. C’est l’objet même des règles de procédure : elle impose des conditions et des limites au droit d’agir en justice. Parmi ces restrictions, les délais de forclusion occupent une place importante.

B. La légitimité des restrictions au droit d’accès à un tribunal Selon la Cour de cassation, l’article 6§1 de la Convention européenne des droits de l’homme, tout en consacrant le droit d’accès à un tribunal « permet à l'Etat de l'assortir de restrictions dans un but légitime […] ». La Cour de cassation fait ici écho à la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme qui reconnaît aux Etats parties une certaine marge de manœuvre pour réglementer le droit d’accès à un tribunal (CEDH,16 décembre 1992, Geouffre de la Pradelle c/ France ; 22 octobre 1996, Stubbings c/ Royaume-Uni). Néanmoins, ces restrictions doivent poursuivre un but légitime. Autrement dit, le droit d’accès à un tribunal peut faire l’objet de limitations à condition que celles-ci soient nécessaires pour atteindre une finalité légitime. La Cour européenne des droits de l’homme n’hésite pas à apprécier elle-même cette finalité : par exemple, elle a pu considérer que la volonté de réduire l’encombrement des tribunaux ne justifie pas le montant élevé des frais de procédure (CEDH, 19 juin 2001, « Kreuz c. Pologne »). En l’espèce, la Cour de cassation s’attelle à démontrer que le délai de forclusion de l’article 1676 du Code civil poursuit une finalité légitime. En effet, la Haute juridiction relève que le délai de forclusion de deux ans prévu par l'article 1676, alinéa 2, du code civil pour exercer l'action en rescision pour lésion « est justifié par la

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nécessité d'assurer la sécurité des transactions ». Un délai de forclusion plus long ou dont le point de départ serait modifié permettrait d’agir plus facilement sur le terrain de la rescision pour cause de lésion, conduisant à remettre en cause plus aisément les conventions déjà conclues. La sécurité juridique peut donc conduire à restreindre le droit d’accès à un tribunal. La légitimité des restrictions est une condition nécessaire, mais pas suffisante. Encore faut-il que les restrictions soient proportionnées, c'est-à-dire ne porte pas atteinte à la substance même du droit d’accès à un tribunal. II. La substance du droit d’accès à un tribunal du majeur sous tutelle préservée La Cour de cassation souligne que si des restrictions légitimes au droit d’accès à un tribunal sont possibles, elles ne doivent pas porter atteinte à la substance même de ce droit. En l’espèce, la substance de ce droit est préservée : une action en justice pendant la tutelle était possible (A). L’impossibilité d’agir postérieurement à la tutelle en raison de la forclusion ne remet pas en cause cette solution (B).

A. L’action pendant la tutelle Selon la Cour de cassation, le fait que le délai de forclusion de l’article 1676 du Code civil court à l’encontre du majeur sous tutelle n’est pas constitutif d’ « une entrave à l’accès aux tribunaux ». En l’espèce, il est vrai que M. Jean X. n’a pas pu agir en rescision pour lésion au moment où sa tutelle a été levée. En outre, pendant sa tutelle, M. Jean X. ne pouvait pas agir seul. Néanmoins, cette impossibilité d’agir pendant la tutelle était liée à la tutelle elle-même et non au délai de forclusion de l’article 1676 du Code civil. Ce délai de forclusion impose d’agir dans les deux ans qui suivent le contrat de vente, mais ne constitue pas une restriction absolue à l’action en justice. M. Jean X. s’est retrouvé dans l’impossibilité d’agir en raison de son incapacité et en raison de la négligence de son tuteur. En effet, la Cour de cassation relève que le majeur sous tutelle conserve la possibilité d’agir par l’intermédiaire de son représentant légal et une action aurait été possible en l’espèce pendant le délai de forclusion de l’article 1676 du Code civil. Dès lors, le droit d’accès à un tribunal du majeur sous tutelle n’est que partiellement remis en cause : des modalités particulières doivent être respectées, mais il n’apparaît pas impossible à mettre en œuvre. La substance de ce droit d’action apparaît donc préservée. Le raisonnement de la Cour de cassation suscite encore deux autres remarques. D’une part, la solution aurait été différente si une action par l’intermédiaire d’un représentant légal n’était pas possible. Dans ce cas, le délai de forclusion courant à l’encontre du majeur sous tutelle aurait conduit à priver celui-ci de son droit d’accès à un tribunal. D’autre part, l’atteinte à la substance est évidente lorsque l’action en justice est impossible. En revanche, on peut se demander si l’atteinte à la substance peut être caractérisée sans que l’action en justice ne soit impossible.

B. L’action après la tutelle Dans la présente affaire, le pourvoi tendait à faire admettre que l’impossibilité d’agir en raison de la forclusion postérieurement à la levée de la tutelle était une restriction excessive au droit d’accès à un tribunal. Implicitement, le pourvoi considérait que le délai de forclusion ne pouvait pas courir à l’encontre du majeur sous tutelle, débutant nécessairement à compter de la levée de celle-ci. La Cour de cassation rejette cette interprétation considérant que la forclusion est acquise, de sorte qu’une action en rescision pour cause de lésion n’est pas envisageable postérieurement à la tutelle.

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Cette solution appelle deux commentaires. En premier lieu, la position de la Cour de cassation apparaît logique : si le point de départ de l’action en rescision pour lésion intentée par un majeur pouvait être retardé à la levée de la mesure d’incapacité, les conventions pourraient être remises en cause sans véritable limite de durée, si ce n’est la durée de vie de la personne. En outre, une mesure d’incapacité, notamment une tutelle, n’a pas nécessairement vocation à être levée : l’action en rescision pour cause de lésion est donc hypothétique, sans être impossible, ce qui est source d’insécurité juridique. En second lieu, les conséquences de la décision de la Cour de cassation peuvent apparaître sévères pour le majeur incapable. On pourrait même considérer que la solution est contraire à l’adage « Contra non valentem agere non currit praescriptio » (contre celui qui est empêché d’agir la prescription ne court pas). Cependant, cet adage, aujourd’hui contenu à l’article 2234 du Code civil, est expressément écarté par l’article 1676 du Code civil, sans compter qu’il faut distinguer les délais de prescription et les délais de forclusion. De surcroît, M. Jean X. conserve une possibilité d’action : celle d’agir en responsabilité contre son tuteur…

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Sujet n° 3 : Cas pratique 1) En l’espèce, le demandeur à l’action invoque un préjudice physique suite à une chute provoquée par un scooter. N’ayant qu’un hématome léger, le juge estime qu’aucun préjudice ne peut être invoqué et déclare l’action irrecevable, faute d’intérêt légitime à agir. La question est de savoir si le juge pouvait retenir la sanction de l’irrecevabilité en se fondant sur l’inexistence du préjudice invoqué par le demandeur. Aux termes de l’article 31 CPC, l’action est ouverte à tous ceux qui ont un intérêt légitime au succès ou au rejet d’une prétention. Le problème est alors de savoir si l’intérêt est légitime lorsque le droit invoqué n’existe pas. En effet, la jurisprudence retenait autrefois la notion d’intérêt légitime juridiquement protégé. Dès lors que le droit ne protège pas l’intérêt, celui n’est pas légitime. La notion d’intérêt légitime sème ainsi quelque peu la confusion et a bien souvent pour effet d’obliger la Cour de cassation à rappeler que le droit invoqué est une condition du succès et non de la recevabilité de la demande (voir par ex. : Civ. 3e, 27 janvier 1999 ; Civ. 2e, 6 mai 2004 ; 13 janvier 2005 ; 18 février 2007 ; 26 octobre 2006 ; 15 novembre 2007). En l’espèce, le préjudice invoqué certes n’existait pas, mais il s’agit d’une condition du succès et non de recevabilité de la demande. Ainsi, le juge ne pouvait pas se fonder sur l’inexistence de ce préjudice pour déclarer la demande irrecevable. C’est ce que la Cour de cassation a encore rappelé récemment (Civ. 2e, 15 octobre 2009). Il faut donc en conclure que si le demandeur interjetait appel, il aurait toutes les chances de faire annuler la décision des juges du premier degré et donc d’obtenir une décision sur le fond. Pour autant, sans qu’il soit besoin d’en faire une longue analyse, il paraît assez clair que son action est vouée à l’échec sur le fond. Les conseillers de la cour d'appel, après avoir déclaré l’action recevable, décideront sûrement que la demande n’est pas fondée et la rejetteront. De fait, il peut être conseillé au demandeur de ne pas interjeter appel, ou de revoir le fondement de son action en justice. 2) En l’espèce, une association est créée pour agir en justice dans l’intérêt « des piétons dans le milieu urbain ». Elle souhaite agir en justice contre une société de livraison de pizzas qui met en danger selon elle les piétons. La question est d’abord de savoir si une association peut agir pour défendre un intérêt collectif. En vertu de l’article 31 du Code de procédure civile : « L'action est ouverte à tous ceux qui ont un intérêt légitime au succès ou au rejet d'une prétention, sous réserve des cas dans lesquels la loi attribue le droit d'agir aux seules personnes qu'elle qualifie pour élever ou combattre une prétention, ou pour défendre un intérêt déterminé. » En principe, même si cela n’est pas directement prévu par les textes, l’intérêt à agir doit être direct et personnel (Chambres réunies, 15 juin 1923). Toutefois, l’article 31 CPC réserve l’hypothèse où une habilitation législative a permis d’agir en conférant la qualité. La jurisprudence admet l’action des associations ayant reçue une habilitation législative. En l’espèce, il ne semble pas que l’association ait reçu une habilitation législative.

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Pour autant, la jurisprudence admet également la recevabilité de l’action exercée par une association défendant une « grande cause », même hors habilitation législative (Civ. 1re, 2 mai 2001 pour une association de défense de l’environnement par exemple). Tel est le cas par exemple des associations de lutte contre les violences routières (TGI Paris, réf., 9 octobre 1984). Par analogie, il est permis de penser qu’une association de protection des piétons sera considérée par les juges comme défendant une grande cause. Même sans habilitation législative, cette association devrait alors être recevable en son action. Si tel était le cas, il faut alors examiner deux obstacles à la recevabilité de l’action en justice. D’abord, l’association a été constituée après la survenance de l’accident. La question est alors de savoir si une association peut agir en justice pour des faits antérieurs à sa constitution. Dans cette hypothèse, la jurisprudence considère que l’action est possible, mais encore faut-il que les statuts prévoient l’hypothèse d’une action résultant d’un fait antérieur (Civ 1ère, 27 mai 1975). En l’espèce, les statuts, en prévoyant de lutter pour la protection des piétons dans le milieu urbain, ne limitent pas son action dans le temps, mais ne prévoient pas non plus spécifiquement l’hypothèse d’une action résultant d’un fait antérieur. La réponse est donc incertaine. Il n’est pas sûr que les juges admettent la recevabilité d’une action de cette association, résultant d’un fait antérieur. Ensuite, les statuts prévoient seulement que l’association a pour objet la protection des piétons dans le milieu urbain, sans préciser les moyens de cette lutte. Les statuts ne prévoient notamment pas que l’association peut agir en justice. La question est alors de savoir si une association dont les statuts ne prévoient pas qu’elle peut agir en justice est néanmoins recevable. Traditionnellement, la jurisprudence déclarait irrecevable de telles actions en justice, retenant que l’exercice de l’action en justice devait être expressément prévu par les statuts de l’association (Civ. 3e, 10 octobre 1978). Cependant, la Cour de cassation a récemment assoupli sa jurisprudence. Elle a en effet décidé que même hors habilitation législative, et en l'absence de prévision statutaire expresse quant à l'emprunt des voies judiciaires, une association peut agir en justice au nom d'intérêts collectifs dès lors que ceux-ci entrent dans son objet social (Civ. 1re, 18 septembre 2008 ; Civ. 3e, 1er juillet 2009). De fait, la seule condition désormais pour qu’une association qui défend une grande cause soit recevable à agir est que l’intérêt collectif qu’elle invoque en justice entre dans ses statuts. En l’espèce, tel est bien le cas. Ainsi, même en l’absence de précision sur les moyens de protéger les piétons dans le milieu urbain, l’association devrait être recevable à agir en justice pour défendre les intérêts des piétons. Toutefois, comme nous l’avons vu, il n’est pas sûr qu’elle soit recevable en son action contre la société en l’espèce, les faits étant survenus avant sa création. 3) En l’espèce, une association de nationalité étrangère assigne un défendeur devant le juge français. L’action est déclarée irrecevable au motif que l’association n’a pas été déclarée préalablement à la préfecture. L’association fait appel.

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La question est alors de savoir si une association non déclarée à la préfecture est recevable à agir en justice.

Aux termes de l’article 32 CPC, toute prétention émise par une personne dépourvue du droit d’agir est irrecevable. Comme l’entité dépourvue de capacité de jouissance ne peut par définition disposer d’un droit, on devrait en conclure dès lors qu’elle est irrecevable à agir. Pourtant, la jurisprudence n’est pas claire sur cette question.

Elle sanctionnera l’action tantôt pour nullité pour vice de fond (V. par exemple s’agissant

d’une association non déclarée : Civ. 2e, 20 mars 1989), tantôt à raison d’une fin de non recevoir (V. par exemple Civ. 2e , 18 novembre 2003), ce qui est plus logique car il y aura alors défaut du droit d’agir. La Cour de cassation, lorsqu’elle retient qu’il s’agit d’un vice de fond, considère que l’irrégularité ne peut être couverte (Civ. 2e, 12 février 2004 et 20 janvier 2005 ; Com. 3 octobre 2006 et 13 mars 2007) et récemment, la Cour de cassation a retenu la même solution en se fondant sur les articles 32 et 117 CPC (Civ. 2e, 24 mai 2007).

En l’espèce, l’association n’a pas été déclarée à la Préfecture, de sorte qu’on peut penser que son action est soit irrecevable, soit nulle pour vice de fond, sans régularisation possible. Toutefois, s’agissant d’une association de nationalité étrangère qui n’a pas d’établissement en France, la procédure de l’article 5 de loi du 1er juillet 1901 ne peut pas lui être opposée. De fait, on peut se demander si la formalité de la déclaration préalable à la Préfecture n’est pas, dans cette hypothèse, un obstacle de nature à porter atteinte à son droit d’agir en justice. En effet, l’article 5 de la loi du 1er juillet 1901 prévoit que lorsque l’association a son siège social à l’étranger, la déclaration préalable en vue de l'obtention de la capacité juridique doit être faite à la préfecture du département où se situe le siège de son principal établissement. Ainsi, cette procédure n’a vocation à s'appliquer qu’aux associations étrangères qui souhaitent s'établir sur le territoire français pour exercer une activité. L’article 5 de la loi de 1901 n’envisage pas la question de la capacité d'ester en justice d'une association, comme en l’espèce, qui a son siège social à l'étranger, n'exerce aucune activité en France, mais souhaite introduire ponctuellement une action en justice en France. Par conséquent, on peut penser que le juge ne peut pas restreindre l’accès aux tribunaux français aux associations établies à l’étranger dès lors que la loi ne le fait pas.

C’est ce qui a conduit la Cour européenne des droits de l’homme à considérer, dans une espèce similaire, que la sanction de l’irrecevabilité de l’action intentée par une association ayant son siège social à l’étranger et n’exerçant aucune activité en France était contraire à l’article 6§1 CESDH, comme portant atteinte à son droit au juge (CEDH, 15 janvier 2009, « Ligue du monde islamique et organisation islamique mondiale du secours islamique c/ France »). En conclusion, si l’association fait appel, elle devrait pouvoir obtenir la réformation de cette décision de première instance.

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Sujet spécial Paris V Question n° 1 Pour être recevable à agir en justice, il faut avoir un intérêt à agir, une qualité pour agir et la capacité de jouissance. D’abord, l’action n’est recevable que si l’on dispose d’un intérêt à agir, qui se définit comme l’utilité de l’action en justice. On considère en effet qu’on ne peut pas saisir les juridictions pour des questions purement académiques. L’intérêt doit exister, être légitime, être né et actuel, enfin être direct et personnel. L’existence de l’intérêt s’apprécie au jour de la demande en justice. Cette solution jurisprudentielle est constante (v. par ex. Civ. 2e, 13 février 2003). De plus, l’appréciation de l’existence de l’intérêt relève du pouvoir souverain des juges du fond (Civ. 1re, 4 novembre 1980). L’intérêt doit être légitime. Cette condition découle directement de l’article 31 CPC. Elle conduit parfois les juges à confondre l’intérêt à agir avec le bien fondé de la demande. Pourtant, la Cour de cassation rappelle souvent que l’intérêt à agir n’est pas subordonné à la démonstration préalable du bien-fondé de l’action (par ex. : Civ. 1re, 17 mai 1993). C’est ainsi que par exemple, la Cour de cassation a jugé qu’un passager clandestin avait un intérêt légitime à demander réparation à la SNCF en cas d’accident pendant le transport. L’intérêt doit être né et actuel. Cette condition découle de la jurisprudence. Cela signifie qu’il est impossible d’agir pour défendre un intérêt futur ou éventuel. Il existe toutefois quelques exceptions. Par exemple, l’article 145 CPC permet de demander au juge d’ordonner une mesure d’instruction avant tout procès. L’intérêt est alors futur et éventuel, le procès étant incertain. L’intérêt doit être direct et personnel. Cette condition découle de la jurisprudence (Chambres réunies, 15 juin 1923). Elle applique en effet l’adage : « Nul ne plaide par procureur ». Pour une partie de la doctrine, cette condition se confond avec la qualité pour agir en justice. Elle soulève le problème de l’action des groupements que nous développerons plus loin. Ensuite, il faut avoir une qualité pour agir en justice. Lorsque l’action est ouverte, ou banale, cette condition se confond avec l’intérêt direct et personnel. Lorsque l’action est fermée, ou attitrée, le demandeur doit justifier d’une qualité pour agir en justice. En effet, la loi peut restreindre le droit d’agir en justice en le limitant à certaines personnes. Tel est par exemple le cas de l’action en divorce. Seuls les époux ont la qualité pour agir en justice. Enfin, l’action n’est recevable que si l’on dispose d’une capacité de jouissance. Il faut exister juridiquement. Ainsi, l’action intentée par ou contre une personne décédée est irrecevable. Question n° 2 En l’espèce, le demandeur à l’action invoque un préjudice physique suite à une chute provoquée par un scooter. N’ayant qu’un hématome léger, le juge estime qu’aucun préjudice ne peut être invoqué et déclare l’action irrecevable, faute d’intérêt légitime à agir. La question est de savoir si le juge pouvait retenir la sanction de l’irrecevabilité en se fondant sur l’inexistence du préjudice invoqué par le demandeur. Aux termes de l’article 31 CPC, l’action est ouverte à tous ceux qui ont un intérêt légitime au succès ou au rejet d’une prétention. Le problème est alors de savoir si l’intérêt est légitime lorsque le droit invoqué n’existe pas. En effet, la jurisprudence retenait autrefois la notion d’intérêt légitime juridiquement protégé. Dès lors que le droit ne protège pas l’intérêt, celui n’est pas légitime. La notion d’intérêt légitime sème ainsi quelque peu la confusion et a bien souvent pour effet d’obliger la Cour de cassation à rappeler que le droit invoqué est une

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condition du succès et non de la recevabilité de la demande (voir par ex. : Civ. 3e, 27 janvier 1999 ; Civ. 2e, 6 mai 2004 ; 13 janvier 2005 ; 18 février 2007 ; 26 octobre 2006 ; 15 novembre 2007). En l’espèce, le préjudice invoqué certes n’existait pas, mais il s’agit d’une condition du succès et non de recevabilité de la demande. Ainsi, le juge ne pouvait pas se fonder sur l’inexistence de ce préjudice pour déclarer la demande irrecevable. C’est ce que la Cour de cassation a encore rappelé récemment (Civ. 2e, 15 octobre 2009). Question n° 3 L’association est une personne morale. Comme toute personne morale, l’association peut agir en justice pour défendre son intérêt direct et personnel. Par exemple, elle peut agir pour contester la résiliation du bail des locaux qu’elle occupe. Au-delà de la défense de leur intérêt direct et personnel, les associations se sont vues reconnaître, par la loi et par la jurisprudence, la qualité pour agir dans l’intérêt collectif et pour agir dans l’intérêt d’autrui. D’une part, certaines associations peuvent agir dans un intérêt collectif lorsqu’elles ont obtenu une habilitation législative. L’intérêt collectif se définit comme l’intérêt d’une catégorie de personnes. Tel est par exemple le cas des associations de consommateurs (art. L. 421-1 à 9 C. conso.). La jurisprudence a également permis à certaines associations, qui défendent une grande cause, d’agir en justice pour défendre un intérêt collectif, hors habilitation législative. Tel est par exemple le cas d’une association de protection de l’environnement (Civ. 1re, 2 mai 2001). La jurisprudence exige alors que l’intérêt défendu entre dans l’objet social de l’association. D’autre part, certaines associations, dites ligues de défense, peuvent agir pour la défense collective des intérêts individuels de leurs membres (Civ. 23 juillet 1918). Il doit s’agir de l’intérêt de tous ses membres ou d’une partie de ses membres (Com., 19 jan. 1999), mais cela doit alors être une partie significative de ses membres. Précisons enfin que le décret n° 2008-799 du 20 août 2008 a créé un nouvel article 1263-1 CPC qui permet l’action de substitution des associations de lutte contre les discriminations. Question n° 4 L’association a été constituée après la survenance de l’accident. La question est alors de savoir si une association peut agir en justice pour des faits antérieurs à sa constitution. Dans cette hypothèse, la jurisprudence considère que l’action est possible, mais encore faut-il que les statuts prévoient l’hypothèse d’une action résultant d’un fait antérieur (Civ 1ère, 27 mai 1975). En l’espèce, les statuts, en prévoyant de lutter pour la protection des piétons dans le milieu urbain, ne limitent pas son action dans le temps, mais ne prévoient pas non plus spécifiquement l’hypothèse d’une action résultant d’un fait antérieur. La réponse est donc incertaine. Il n’est pas sûr que les juges admettent la recevabilité d’une action de cette association, résultant d’un fait antérieur.

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Question n° 5 En l’espèce, une association est créée pour agir en justice dans l’intérêt « des piétons dans le milieu urbain ». Elle souhaite agir en justice contre une société de livraison de pizzas qui met en danger selon elle les piétons. La question est d’abord de savoir si cette association peut agir pour défendre un intérêt collectif. Comme nous l’avons vu, la jurisprudence admet la recevabilité de l’action d’une association qui, hors habilitation législative, défend une grande cause. Tel est le cas par exemple des associations de lutte contre les violences routières (TGI Paris, réf., 9 octobre 1984). Par analogie, il est permis de penser qu’une association de protection des piétons sera considérée par les juges comme défendant une grande cause. Même sans habilitation législative, cette association devrait alors être recevable en son action. Toutefois, les statuts prévoient seulement que l’association a pour objet la protection des piétons dans le milieu urbain, sans préciser les moyens de cette lutte. Les statuts ne prévoient notamment pas que l’association peut agir en justice. La question est alors de savoir si une association dont les statuts ne prévoient pas qu’elle peut agir en justice est néanmoins recevable. Traditionnellement, la jurisprudence déclarait irrecevable de telles actions en justice, retenant que l’exercice de l’action en justice devait être expressément prévu par les statuts de l’association (Civ. 3e, 10 octobre 1978). Cependant, la Cour de cassation a récemment assoupli sa jurisprudence. Elle a en effet décidé que même hors habilitation législative, et en l'absence de prévision statutaire expresse quant à l'emprunt des voies judiciaires, une association peut agir en justice au nom d'intérêts collectifs dès lors que ceux-ci entrent dans son objet social (Civ. 1re, 18 septembre 2008 ; Civ. 3e, 1er juillet 2009). De fait, la seule condition désormais pour qu’une association qui défend une grande cause soit recevable à agir est que l’intérêt collectif qu’elle invoque en justice entre dans ses statuts. En l’espèce, tel est bien le cas. Ainsi, même en l’absence de précision sur les moyens de protéger les piétons dans le milieu urbain, l’association devrait être recevable à agir en justice pour défendre les intérêts des piétons. Toutefois, comme nous l’avons vu, il n’est pas sûr qu’elle soit recevable en son action contre la société en l’espèce, les faits étant survenus avant sa création. Question n° 6 En l’espèce, une action en diffamation est intentée. La question est de savoir quelle est la juridiction compétente en matière de diffamation. Alors que l’article R. 221-15, 2° COJ prévoyait autrefois que l’action en diffamation relevait de la compétence exclusive, c'est-à-dire quel que soit le montant de la demande, du tribunal d’instance, le décret n° 2009-1693 du 29 décembre 2009, relatif à la répartition des compétences entre le tribunal de grande instance et le tribunal d'instance, a supprimé cette disposition. De fait, la compétence en matière de diffamation dépend désormais du montant de la demande. Si la demande est supérieure à 10 000 euros, le tribunal de grande instance est compétent et si la demande est inférieure à 10 000 euros, le tribunal d’instance est compétent (art. L. 221-4 COJ).

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En l’espèce, il est demandé 9 000 euros de dommages-intérêts, 1 500 euros au titre de l’article 700 CPC et 150 euros au titre des dépens. La question est alors de savoir quel est le montant du litige. S’agissant du taux de compétence, l’évaluation du litige doit être faite suivant le montant de la demande principale. La jurisprudence en déduit a contrario que la demande formée au titre de l’article 700 CPC (frais irrépétibles) ne constitue pas une prétention dont la valeur, ajoutée à celle de la demande principale, doit être prise en considération pour la détermination de la valeur du litige (Civ. 3e, 6 janvier 1981). Il en va de même avec la demande de remboursement des dépens (qui sont les frais de justice). Par conséquent, en l’espèce, la valeur du litige est de 9 000 euros, de sorte que le tribunal d’instance est compétent. Question n° 7 En l’espèce, une association de nationalité étrangère assigne un défendeur devant le juge français. L’action est déclarée irrecevable au motif que l’association n’a pas été déclarée préalablement à la préfecture. L’association fait appel. La question est alors de savoir si une association non déclarée à la préfecture est recevable à agir en justice.

Aux termes de l’article 32 CPC, toute prétention émise par une personne dépourvue du droit d’agir est irrecevable. Comme l’entité dépourvue de capacité de jouissance ne peut par définition disposer d’un droit, on devrait en conclure dès lors qu’elle est irrecevable à agir. Pourtant, la jurisprudence n’est pas claire sur cette question.

Elle sanctionnera l’action tantôt pour nullité pour vice de fond (V. par exemple s’agissant

d’une association non déclarée : Civ. 2e, 20 mars 1989), tantôt à raison d’une fin de non recevoir (V. par exemple Civ. 2e , 18 novembre 2003), ce qui est plus logique car il y aura alors défaut du droit d’agir. La Cour de cassation, lorsqu’elle retient qu’il s’agit d’un vice de fond, considère que l’irrégularité ne peut être couverte (Civ. 2e, 12 février 2004 et 20 janvier 2005 ; Com. 3 octobre 2006 et 13 mars 2007) et récemment, la Cour de cassation a retenu la même solution en se fondant sur les articles 32 et 117 CPC (Civ. 2e, 24 mai 2007).

En l’espèce, l’association n’a pas été déclarée à la Préfecture, de sorte qu’on peut penser que son action est soit irrecevable, soit nulle pour vice de fond. Question n° 8 En l’espèce, l’association est de nationalité étrangère qui n’a pas d’établissement en France. Par conséquent, la procédure de l’article 5 de loi du 1er juillet 1901 ne peut pas lui être opposée. De fait, on peut se demander si la formalité de la déclaration préalable à la Préfecture n’est pas, dans cette hypothèse, un obstacle de nature à porter atteinte à son droit d’agir en justice. En effet, l’article 5 de la loi du 1er juillet 1901 prévoit que lorsque l’association a son siège social à l’étranger, la déclaration préalable en vue de l'obtention de la capacité juridique doit être faite à la préfecture du département où se situe le siège de son principal établissement. Ainsi, cette procédure n’a vocation à s'appliquer qu’aux associations étrangères qui souhaitent

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s'établir sur le territoire français pour exercer une activité. L’article 5 de la loi de 1901 n’envisage pas la question de la capacité d'ester en justice d'une association, comme en l’espèce, qui a son siège social à l'étranger, n'exerce aucune activité en France, mais souhaite introduire ponctuellement une action en justice. Par conséquent, on peut penser que le juge ne peut pas restreindre l’accès aux tribunaux français aux associations établies à l’étranger dès lors que la loi ne le fait pas.

C’est ce qui a conduit la Cour européenne des droits de l’homme à considérer, dans une espèce similaire, que la sanction de l’irrecevabilité de l’action intentée par une association ayant son siège social à l’étranger et n’exerçant aucune activité en France était contraire à l’article 6§1 CESDH, comme portant atteinte à son droit au juge (CEDH, 15 janvier 2009, « Ligue du monde islamique et organisation islamique mondiale du secours islamique c/ France »). En conclusion, si l’association fait appel, elle devrait pouvoir obtenir la réformation de cette décision de première instance.