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DU COUPLE À LA FAMILLE : UNE APPROCHE SYSTÉMIQUE À GÉOMÉTRIE VARIABLE PERDEREAU F., GREMION J., MASCLET S. * , MIOCQUE D., PASSARD C. Thérapeutes familiaux (psychiatres, * infirmière) Centre de Santé Mentale et de Réadaptation de Paris – MGEN, 178 ter rue de Vaugirard 75015 Paris Le Centre de Santé Mentale et de Réadaptation de Paris (CSMRP), Etablissement de Santé Privé d’Intérêt Collectif géré par une mutuelle (MGEN), accueille principalement en hôpital de jour (3 HDJ sur Paris) des personnes souffrant de troubles psychiatriques sévères : psychoses, troubles de l’humeur, troubles de la personnalité, troubles des conduites alimentaires. A ces soins de jour, s’ajoutent une activité de consultation psychiatrique et de thérapie ambulatoire. L’unité de thérapie familiale du CSMRP existe depuis une vingtaine d’années mais son fonctionnement a évolué au cours du temps. Utilisation de la glace sans tain Dans les couples symbiotiques au fonctionnement souvent projectif, nous utilisons assez couramment cet outil pour permettre une écoute différente du partenaire. Cette utilisation peut intervenir dans les premières séances ou plus tard. A tour de rôle, chaque protagoniste est invité à « passer derrière le miroir » avec l’équipe de supervision et à écouter son partenaire échanger avec les thérapeutes. Les échanges portent essentiellement sur la relation de couple actuelle et idéale. Ce dispositif crée un effet de surprise et permet à la fois une prise de distance mais aussi une meilleure compréhension des besoins affectifs de l’autre. Le couple B. a la trentaine, ils se sont rencontrés à l’étranger, pays de Ioana alors qu’Arthur avait quitté la France pour son travail. En couple depuis 8 ans, il étaient revenus en France depuis 6 ans, Ioana ayant quitté sa famille avec laquelle elle avait peu de relations. Après avoir investi l’un et l’autre temps, argent et efforts dans la construction de « leur maison », ils se retrouvent plusieurs mois après la fin des travaux avec chacun un projet différent pour leur couple, qu’ils ne partagent pas (Ioana : un enfant – Arthur : l’installation). La violence, d’abord verbale devient physique et la séparation envisagée ne semble pas non plus être possible. Un cadre à l’architecture variable Parmi les processus à l’œuvre dans l’efficacité d’une psychothérapie, Bowlby évoquait plusieurs tâches pour le thérapeute dont la première est de fournir une base de sécurité thérapeutique. La thérapie doit permettre d’explorer les relations avec les personnes importantes pour chacun, ainsi que les modalités relationnelles avec le thérapeute ou les thérapeutes. Elle doit également permettre l’étude des modalités relationnelles actuelles du sujet à la lumière de ses expériences passées. Bien évidemment ces tâches, artificiellement séparées, ne sont pas des étapes distinctes et s’intègrent harmonieusement lors des séances en respectant chacun dans sa progression. Cette sécurité se co- construit entre famille et thérapeutes au fil des séances et nous tentons d’adapter nos rencontres au plus près des besoins et des possibilités des familles, en termes de fréquence mais aussi de participants. Pierre, âgé de 31 ans, souffre de symptômes psychotiques pseudo-obsessionnels très invalidants qui datent de l’enfance. Il vit dans un hôtel avec parfois des moments d’enfermement et il est suivi par une équipe de secteur. Il a relation d’emprise réciproque avec sa mère qui présente aussi des éléments psychotiques et une culpabilité importante de n’avoir pas pu protéger son fils de sa propre violence ni de celle de son père. Sa sœur de 5 ans sa cadette est celle qui « s’en est sortie », elle travaille mais porte le poids d’avoir été témoin de la maltraitance envers son frère ainsi que du suicide de son père. Avec cette famille, les séances, assez espacées, et au gré des présences de chacun ont permis la mise en récit à trois voix de l’histoire familiale traumatique et douloureuse. Pierre a pu investir certaines activités sur le CATTP, sa sœur débuter une vie amoureuse et avoir un projet d’enfant, Madame a pu les laisser faire. Malgré le poids financier d’un dispositif de thérapie familiale mobilisant plusieurs thérapeutes, ce type d’approche à géométrie variable semble profitable; il offre aux couples et aux familles une ouverture pour lutter contre l’homéostasie et leurs permet de retrouver des compétences affaiblies par le processus pathologique. Cette approche est aussi une action de prévention pour les apparentés non encore désignés. Pour les enfants des couples dysfonctionnels comme pour les fratries du patient désigné, ce dispositif à la fois souple mais aussi contenant, nous semble permettre d’éviter le développement de symptômes. Les couples que nous recevons sont le plus souvent dans une situation de crise avec au moins l’un des deux endossant la place du « malade » psychiatrique. Nous cherchons régulièrement à replacer le couple dans un système plus ouvert, que ce soit avec sa famille d’origine ou sa descendance dans un but d’évaluation et de prévention. Violaine et Anton, âgés d’une quarantaine d’années, se présentent sur les conseils d’un thérapeute libéral qui les adresse après une première séance. Parents de 3 enfants (2, 3 et 4 ans), ils arrivent après plusieurs mois extrêmement difficiles et l’un et autre sont extenués. Madame a repris un travail à mi temps dans la vente alors qu’elle se sentait déjà débordée par la vie familiale. Son compagnon ne travaille pas mais est très actif pour les tâches domestiques. Devant l’intensité des conflits, les symptômes dépressifs manifestes s’exprimant différemment chez l’un et l’autre, les thérapeutes ont invité les enfants de ce couple même si la demande initiale ne concernait que le couple. Cette rencontre n’était possible que grâce à une alliance thérapeutique suffisamment bien établie. Elle visait à évaluer le bien être des enfants mais aussi à autoriser le couple parental à solliciter éventuellement les thérapeutes pour des questions éducatives. De fait, elle interrogeait aussi la place des enfants dans ces conflits. Nous leur proposerons assez rapidement de passer l’un après l’autre derrière la glace avec l’équipe de supervision. Chacun d’eux sera amené à écouter l’autre grâce à cette mise à distance permise par le miroir. Ce décollage forcé de chaque membre du couple permet de décaler les échanges projectifs mutuels qui avaient cours lors des premières séances et dont ils étaient coutumiers. La place particulière au cœur d’une équipe de supervision silencieuse, respectueuse et attentive, dans la semi- pénombre inhérente à ce dispositif, majore probablement le ressenti émotionnel mais la présence des superviseurs permet de mieux le contenir. Ioana et Arthur arrêteront la thérapie de couple au bout d’une dizaine de séances, après avoir retrouvé de l’apaisement, une certaine autonomie et une qualité d’échanges relationnels. Chacun pouvait de nouveau profiter d’activités de loisirs sans son conjoint tout en maintenant un investissement professionnel. Depuis plus de 6 ans, notre équipe se compose de 5 thérapeutes formés à la thérapie systémique (4 psychiatres et 1 infirmière). Trois thérapeutes ne travaillent qu’au sein du CSMRP, les deux autres ont une autre activité institutionnelle ou libérale. Nous accueillons régulièrement des internes et des stagiaires en formation. Nous recevons les couples ou familles en binôme, les autres thérapeutes constitue l’équipe de supervision qui travaille derrière le miroir sans tain. Classiquement, la séance dure une heure environ. Elle se déroule en deux temps ponctué par un temps d’échange entre les co- thérapeutes et l’équipe de supervision avant de restituer à la famille le contenu de ces échanges. Par an, nous recevons une soixantaine de familles. Nous leurs proposons, après quelques entretiens d’évaluation, des séances mensuelles; la durée de la thérapie est variable : de quelques séances à plus d’une dizaine (c’est à dire sur plus d’un an). Dans 20% des cas environ, les familles nous sont adressées par des collègues du CSMRP. Les autres demandes émanent de confrères libéraux ou du secteurs. Parfois, les personnes viennent d’elles mêmes. Après un premier contact téléphonique avec la secrétaire et l’établissement d’une fiche de renseignements, nous accueillons des couples ou des familles où le plus souvent au moins l’un des protagonistes souffre d’un trouble psychiatrique avéré. Les objectifs de ces séances sont de permettre au patient désigné de s’extraire de la dynamique familiale favorisant le maintien du symptôme et à la famille de retrouver un élan vital et une flexibilité dans ses relations tant intra qu’extra familiales. Adriaen Van Ostade Portrait de famille Willem Grebner La famille Diederichs Willem Joseph Laquy Arent Anthoni Roukens et sa famille Edgar Degas La famille Bellelli Hendrick Cornelisz Van Vliet Portrait de Michiel van der Dussen et sa famille Loyset Liédet – Arbre de consanguinité Contact: [email protected]

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DU COUPLE À LA FAMILLE : UNE APPROCHE SYSTÉMIQUE À GÉOMÉTRIE VARIABLE PERDEREAU F., GREMION J., MASCLET S.*, MIOCQUE D., PASSARD C. Thérapeutes familiaux (psychiatres, *infirmière) Centre de Santé Mentale et de Réadaptation de Paris – MGEN, 178 ter rue de Vaugirard 75015 Paris

Le Centre de Santé Mentale et de Réadaptation de Paris (CSMRP), Etablissement de Santé Privé d’Intérêt Collectif géré par une mutuelle (MGEN), accueille principalement en hôpital de jour (3 HDJ sur Paris) des personnes souffrant de troubles psychiatriques sévères : psychoses, troubles de l’humeur, troubles de la personnalité, troubles des conduites alimentaires.

A ces soins de jour, s’ajoutent une activité de consultation psychiatrique et de thérapie ambulatoire. L’unité de thérapie familiale du CSMRP existe depuis une vingtaine d’années mais son fonctionnement a évolué au cours du temps.

Utilisation de la glace sans tain Dans les couples symbiotiques au fonctionnement souvent projectif, nous utilisons assez couramment cet outil pour permettre une écoute différente du partenaire. Cette utilisation peut intervenir dans les premières séances ou plus tard. A tour de rôle, chaque protagoniste est invité à « passer derrière le miroir » avec l’équipe de supervision et à écouter son partenaire échanger avec les thérapeutes. Les échanges portent essentiellement sur la relation de couple actuelle et idéale. Ce dispositif crée un effet de surprise et permet à la fois une prise de distance mais aussi une meilleure compréhension des besoins affectifs de l’autre.

Le couple B. a la trentaine, ils se sont rencontrés à l’étranger, pays de Ioana alors qu’Arthur avait quitté la France pour son travail. En couple depuis 8 ans, il étaient revenus en France depuis 6 ans, Ioana ayant quitté sa famille avec laquelle elle avait peu de relations. Après avoir investi l’un et l’autre temps, argent et efforts dans la construction de « leur maison », ils se retrouvent plusieurs mois après la fin des travaux avec chacun un projet différent pour leur couple, qu’ils ne partagent pas (Ioana : un enfant – Arthur : l’installation). La violence, d’abord verbale devient physique et la séparation envisagée ne semble pas non plus être possible.

Un cadre à l’architecture variable Parmi les processus à l’œuvre dans l’efficacité d’une psychothérapie, Bowlby évoquait plusieurs tâches pour le thérapeute dont la première est de fournir une base de sécurité thérapeutique. La thérapie doit permettre d’explorer les relations avec les personnes importantes pour chacun, ainsi que les modalités relationnelles avec le thérapeute ou les thérapeutes. Elle doit également permettre l’étude des modalités relationnelles actuelles du sujet à la lumière de ses expériences passées. Bien évidemment ces tâches, artificiellement séparées, ne sont pas des étapes distinctes et s’intègrent harmonieusement lors des séances en respectant chacun dans sa progression. Cette sécurité se co-construit entre famille et thérapeutes au fil des séances et nous tentons d’adapter nos rencontres au plus près des besoins et des possibilités des familles, en termes de fréquence mais aussi de participants.

Pierre, âgé de 31 ans, souffre de symptômes psychotiques pseudo-obsessionnels très invalidants qui datent de l’enfance. Il vit dans un hôtel avec parfois des moments d’enfermement et il est suivi par une équipe de secteur. Il a relation d’emprise réciproque avec sa mère qui présente aussi des éléments psychotiques et une culpabilité importante de n’avoir pas pu protéger son fils de sa propre violence ni de celle de son père. Sa sœur de 5 ans sa cadette est celle qui « s’en est sortie », elle travaille mais porte le poids d’avoir été témoin de la maltraitance envers son frère ainsi que du suicide de son père. Avec cette famille, les séances, assez espacées, et au gré des présences de chacun ont permis la mise en récit à trois voix de l’histoire familiale traumatique et douloureuse. Pierre a pu investir certaines activités sur le CATTP, sa sœur débuter une vie amoureuse et avoir un projet d’enfant, Madame a pu les laisser faire.

Malgré le poids financier d’un dispositif de thérapie familiale mobilisant plusieurs thérapeutes, ce type d’approche à géométrie variable semble profitable; il offre aux couples et aux familles une ouverture pour lutter contre l’homéostasie et leurs permet de retrouver des compétences affaibl ies par le processus pathologique. Cette approche est aussi une action de prévention pour les apparentés non encore désignés. Pour les enfants des couples dysfonctionnels comme pour les fratries du patient désigné, ce dispositif à la fois souple mais aussi contenant, nous semble permettre d’éviter le développement de symptômes.

Les couples que nous recevons sont le plus souvent dans une situation de crise avec au moins l’un des deux endossant la place du « malade » psychiatrique. Nous cherchons régulièrement à replacer le couple dans un système plus ouvert, que ce soit avec sa famille d’origine ou sa descendance dans un but d’évaluation et de prévention.

Violaine et Anton, âgés d’une quarantaine d’années, se présentent sur les conseils d’un thérapeute libéral qui les adresse après une première séance. Parents de 3 enfants (2, 3 et 4 ans), ils arrivent après plusieurs mois extrêmement difficiles et l’un et autre sont extenués. Madame a repris un travail à mi temps dans la vente alors qu’elle se sentait déjà débordée par la vie familiale. Son compagnon ne travaille pas mais est très actif pour les tâches domestiques. Devant l’intensité des conflits, les symptômes dépressifs manifestes s’exprimant différemment chez l’un et l’autre, les thérapeutes ont invité les enfants de ce couple même si la demande initiale ne concernait que le couple. Cette rencontre n’était possible que grâce à une alliance thérapeutique suffisamment bien établie. Elle visait à évaluer le bien être des enfants mais aussi à autoriser le couple parental à solliciter éventuellement les thérapeutes pour des questions éducatives. De fait, elle interrogeait aussi la place des enfants dans ces conflits.

Nous leur proposerons assez rapidement de passer l’un après l’autre derrière la glace avec l’équipe de supervision.

Chacun d’eux sera amené à écouter l’autre grâce à cette mise à distance permise par le miroir. Ce décollage forcé de chaque membre du couple permet de décaler les échanges projectifs mutuels qui avaient cours lors des premières séances et dont ils étaient coutumiers. La place particulière au cœur d’une équipe de supervision silencieuse, respectueuse et attentive, dans la semi- pénombre inhérente à ce d isposi t i f , majore probablement le ressenti émotionnel mais la présence des superviseurs permet de mieux le contenir.

Ioana et Arthur arrêteront la thérapie de couple au bout d’une dizaine de séances, après avoir retrouvé de l’apaisement, une certaine autonomie et une qualité d’échanges relationnels. Chacun pouvait de nouveau profiter d’activités de loisirs sans son conjoint tout en maintenant un investissement professionnel.

Depuis plus de 6 ans, notre équipe se compose de 5 thérapeutes formés à la thérapie systémique (4 psychiatres et 1 infirmière). Trois thérapeutes ne travaillent qu’au sein du CSMRP, les deux autres ont une autre activité institutionnelle ou libérale. Nous accueillons régulièrement des internes et des stagiaires en formation.

Nous recevons les couples ou familles en binôme, les autres thérapeutes constitue l’équipe de supervision qui travaille derrière le miroir sans tain. Classiquement, la séance dure une heure environ. Elle se déroule en deux temps ponctué par un temps d’échange entre les co-thérapeutes et l’équipe de supervision avant de restituer à la famille le contenu de ces échanges.

Par an, nous recevons une soixantaine de familles. Nous leurs proposons, après quelques entretiens d’évaluation, des séances mensuelles; la durée de la thérapie est variable : de quelques séances à plus d’une dizaine (c’est à dire sur plus d’un an).

Dans 20% des cas environ, les familles nous sont adressées par des collègues du CSMRP. Les autres demandes émanent de confrères libéraux ou du secteurs. Parfois, les personnes viennent d’elles mêmes.

Après un premier contact téléphonique avec la secrétai re et l ’établ issement d ’une f iche de renseignements, nous accueillons des couples ou des familles où le plus souvent au moins l’un des protagonistes souffre d’un trouble psychiatrique avéré.

Les objectifs de ces séances sont de permettre au patient désigné de s’extraire de la dynamique familiale favorisant le maintien du symptôme et à la famille de retrouver un élan vital et une flexibilité dans ses relations tant intra qu’extra familiales.

Adriaen Van Ostade Portrait de famille

Willem Grebner La famille Diederichs

Willem Joseph Laquy Arent Anthoni Roukens et sa famille

Edgar Degas La famille Bellelli

Hendrick Cornelisz Van Vliet Portrait de Michiel van der Dussen et sa famille

Loyset Liédet – Arbre de consanguinité

Contact: [email protected]