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DU PÉRIMÈTRE SCÉNIQUE EN ART : RE PENSER LA SKÉNÉ? E S B A M a E P C C RDV IV FAIRE AVEC L’ESPACE OU FAIRE JOUER LE «TOURNANT SPATIAL» EN ART ANNE VOLVEY, JULIE PERRIN ET LAURENT PICHAUD 1 EN PRÉAMBULE 2 LE TOURNANT SPATIAL DE L’ESBAMA Gérard Mayen 6 FAIRE AVEC L’ESPACE OU FAIRE JOUER LE « TOURNANT SPATIAL » EN ART Anne Volvey, Julie Perrin et Laurent Pichaud PLATEforme 30 Amandine Contat 32 Adrien Blondel 36 Anaïs Guiraud 40 Floriana Marty 43 Amandine Contat 44 Kyoko Kasuya 45 Van Nguyen 47 Chloé Richez 48 Ini Lee 49 Marilina Prigent 50 Eun-Kyung Lee 51 Morgane Lagorce 52 Jimmy Richer

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DUPÉRIMÈTRESCÉNIQUE

EN ART :RE PENSERLA SKÉNÉ?

E S B A M a

E P C C

R D V I V

FAIRE AVEC L’ESPACE OU FAIRE JOUER LE «TOURNANT SPATIAL» EN ARTANNE VOLVEY, JULIE PERRIN ET LAURENT PICHAUD 

1 EN PRÉAMBULE

2 LE TOURNANT SPATIAL DE L’ESBAMA Gérard Mayen

6 FAIRE AVEC L’ESPACE OU FAIRE JOUER LE « TOURNANT SPATIAL » EN ART Anne Volvey, Julie Perrin et Laurent Pichaud 

PLATEforme30 Amandine Contat32 Adrien Blondel36 Anaïs Guiraud40 Floriana Marty43 Amandine Contat44 Kyoko Kasuya45 Van Nguyen47 Chloé Richez48 Ini Lee49 Marilina Prigent 50 Eun-Kyung Lee51 Morgane Lagorce52 Jimmy Richer

LESCAHIERSSKÉNÉ

École Supérieure desBeaux-Arts de Montpellier

Agglomération130, rue Yehudi Menuhin

34000 Montpellier

Cette publication a été éditéepar l’ESBAMA dans le cadre

du groupe de recherche :

DU PÉRIMÈTRESCÉNIQUE EN ART :

RE/PENSER LA SKÉNÉ?

Directeur généralPhilippe Reitz

Directeur de la publicationChristian Gaussen

Rédactrices en chefJoëlle Gay, Corine Girieud

et Claude Sarthou

Comité de rédactionVirginie Lauvergne,

Michel Martin,Martine Morel,Annie Tolleter

Conception graphiqueChristian Bouyjou

Impression et façonnageIn-octo Montpellier

PLATEforme

Amandine Contat est étudiante de 4e année à l’ESBAMA

Adrien Blondel est étudiant de 5e année à l’ESBAMA

Anaïs Guiraud est étudiante de 4e année à l’ESBAMA

Floriana Marty est étudiante de 5e année à l’ESBAMA

Amandine Contat est étudiante de 4e année à l’ESBAMA

Kyoko Kasuya est étudiante de 5e année à l’ESBAMA

Van Nguyen est étudiante de 4e année à l’ESBAMA

Chloé Richez est étudiante de 4e année à l’ESBAMA

Ini Lee est étudiante de 5e année à l’ESBAMA

Marilina Prigent est étudiante de 5e année à l’ESBAMA

Eun-Kyung Lee est étudiante de 4e année à l’ESBAMA

Morgane Lagorce est étudiante de 4e année à l’ESBAMA

Jimmy Richer est étudiant de 4e année à l’ESBAMA

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En préambule

La recherche en école des beaux-arts se doit, plus que partout ailleurs, d’interroger sa propre méthodologie. Accompagnés d’artistes, de cher-cheurs, d’institutionnels et d’étudiants, nous avons choisi l’heuristique et le pédagogique comme champ d’expérimentation pour questionner le concept de périmètre scénique en art. Est-il nécessaire et suffisant pour matérialiser les formes et les conditions de la représentation ? Contour, aire, surface ou plateau, sont-ils les supports déterminants d’un espace de présentation, de représentation, d’exposition ?

Ce quatrième rendez-vous porte sur une conférence performative orchestrée par la chercheuse en danse Julie Perrin, la géographe Anne Volvey et le danseur chorégraphe, Laurent Pichaud. Ils ont rendu à la vue un espace arpenté et connu de nous tous, la galerie de l’école, le Pré Carré, nous rappelant que l’espace est toujours à interroger dans son inscription historique, économique, sociale et politique.

Ce cahier s’ouvre par une chronique qui pose le contexte du rendez-vous et propose également un bilan de cette première année du groupe de recherche. Il se poursuit par une discussion des trois protagonistes de la conférence Le Tournant spatial dans l’art contemporain. Cette forme du trilogue tente de conserver la confrontation des disciplines et des points de vue mise en jeu lors du rendez-vous performatif. Enfin, il nous semble nécessaire de prévenir le lecteur quant aux dernières pages de ce cahier. Nos objectifs pédagogiques sont clairement affichés, la PLATEforme en est la démonstration qui recueille les réflexions des étudiants. Afin de ponc-tuer l’année qui se termine, une sélection de leur production est présentée, jouant plus spécifiquement de la notion de périmètre scénique en art.

Le comité de rédaction

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Le tournant spatial de l’ ESBAMA

Gérard Mayen

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Ne jamais cesser de question-ner ce qui vient se refléter sur l’époustouflante vitrine de l’École Supérieure des Beaux-Arts de Montpellier Agglomération

Laurent Pichaud est resté (presque seul) à l’intérieur de la galerie de l’ ESBAMA. Praticien de l’in situ, ce chorégraphe s’active à la mise en action de sa stratégie de fouille, révélant des traces peu vues de l’espace. En cela consiste l’un des moments de la conférence-performance qu’il donne dans cet établissement, sur le thème du Tournant spatial de l’art contempo­rain. Une conférence à trois voix et trois corps, dont les deux autres intervenantes sont les universi-taires Julie Perrin, chercheuse en études de danse, et Anne Volvey, géographe appliquant son savoir disciplinaire aux lieux de l’art.

À l’instant ici évoqué, toutes deux sont sorties de la salle, et du bâtiment même. Accompagnées de l’essentiel de l’auditoire, elles arpen-tent le trottoir qui longe la vitrine en façade de l’établissement, épous-touflante par sa longueur, sa taille, dans un quartier plutôt voué par ailleurs à la banalité résidentielle. À travers cette généreuse paroi vitrée, il est donc alors possible d’obser-ver Laurent Pichaud occupé à son intervention.

Nous sommes en train de regar-der Laurent Pichaud qui regarde le lieu de l’école d’art. Mais en

premier plan, la vitrine renvoie aussi le reflet de ce qui se passe à l’extérieur ; où nous nous trouvons. À fleur de verre, nous voici en train de pouvoir nous regarder nous-mêmes en train de regarder Laurent Pichaud en train de regarder le lieu de l’école d’art. Mais la géographe Anne Volvey vient aussi d’attirer les curiosités, dans l’assistance, sur les significations multiples qui sont à révéler, via une méthodolo-gie de terrain, dans les éléments paysagers, et les usages socialisés de l’environnement de l’école. Pour l’instant déjà, il est à considérer que parmi les voisins, les passants, cer-tains sont en train de nous regarder en train de nous regarder nous-mêmes en train de regarder Laurent Pichaud en train de regarder lui-même l’école d’art.

Ces regards qui nous regardent le font plutôt depuis une position dans notre dos, nous qui sommes orientés vers la vitrine, puisque polarisés sur une action se déroulant à l’inté-rieur. Cet instant sera noté comme très particulièrement révélateur, par plusieurs étudiants participant ensuite au cercle critique touchant à cette conférence-performance. Tel aura aussi été notre cas personnel. Comment ne pas connecter cet ins-tant de focalisation sur l’action, son image, son reflet, avec la sensation que nous relations dans notre pré-cédente chronique, qui consistait à envisager comment toute l’intense activité performative développée

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au sein de la galerie de l’ ESBAMA semblait tendre à pencher, à glisser contre cette fameuse paroi vitrée ?

Sur son versant plutôt géogra-phique, le discours d’Anne Volvey éveille aussi l’attention sur les stratégies des instances politiques pratiquant une dévolution à la fonc-tion artistique, de certains lieux sinon moins qualifiés ; cela impli-quant que la fonction artistique mue elle-même en une fonction directe-ment publique, selon des visées de fabrication d’image.

Il faut alors se remémorer un paradoxe qui anima les poli-tiques urbaine et culturelle du Montpellier de la fin du vingtième siècle. Lorsque Georges Frêche misa sur le développement culturel pour tirer la ville de sa léthargie, il investit d’abord dans de grandes et brillantes structures de pro-duction et diffusion artistiques, propices à de puissants effets retour de vitrine médiatique : festivals (Montpellier Danse, Radio-France) et établissements (opéra, orchestre philharmonique, centre dramatique national, centre chorégraphique national).

Au regard de quoi, de longues années durant, les lieux de forma-tion, ou de diffusion démocratique plus traditionnelle, semblèrent fort négligés dans cette ville (biblio-thèques, musée, Conservatoire, École des beaux-arts). On s’en désola. On fit campagne. Un renver-sement vint à se produire. En une

décennie, médiathèque(s), musée Fabre, Conservatoire et École des beaux-arts firent à leur tour l’objet d’un investissement volontariste.

De ce même mouvement, un quartier jusque là dit des Abattoirs – pour trace d’une activité tombée en disgrâce symbolique – devenait quartier des Beaux-Arts. On en voyait l’école se métamorphoser, en partie déménager, s’agrandir et s’équiper ; et dorénavant briller d’une époustouflante vitrine. Naguère sous-estimée, ressortant au registre un peu gris, anonyme, des activités de formation, cette école requalifiée, soudain mise en vitrine, entraînait avec elle la réputation de tout un quartier.

Il faut avoir vécu ces époques en citoyen montpelliérain, pour se souvenir de l’heureuse griserie, et de la réelle mise en mouvement, que pareil projet recelait.

Au moment où la géographe de l’art m’invite à considérer que la ville pourrait me regarder en train de regarder un artiste en train de regarder (l’école), je me prends soudain à regretter quasiment qu’il y faille un artiste pour agir là indu-bitablement. Pour fouiller. Révéler. Manifester une lisibilité. S’agiter, me dis-je un instant, presque agacé. Comme par bouffée de radicale abstraction conceptuelle, il me plai-rait d’envisager à cet instant que la Skené à repenser, pour se suffire, en son époque antique, à ficher quatre bâtons dans le sol, pourrait L

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se jouer, ici et aujourd’hui, en une galerie vide d’artiste, où la seule vitrine, époustouflante vitrine de l’ ESBAMA de Montpellier, dirait déjà l’investissement des devenirs artiste ; cela, d’un regard en attente, chargé de sa ville en mouvement. C’est absurde.

Ces quelques lignes sont les dernières que l’actuel cycle de l’atelier Skené de l’ ESBAMA de Montpellier m’amène à rédiger. Ce cycle m’aura fait passer outre les effets de vitrine, pousser la porte, monter les étages, et derrière la scène me glisser en coulisses de la formation. Par quelle part de néces-saire dissimulation à la vue, la Skené se conçoit-elle aussi ? Là se tend un équilibre peu soupçonné, incessant, entre exigences d’un cadre posé de transmission de savoirs constitués, et licences des échappées attendues vers l’élaboration de formes créa-tives singulières.

Il est assez convenu de rappeler cela à propos d’une école supérieure de formation en art. Il est moins courant de s’y mêler soi-même sans avoir ni statut d’enseignant, ni d’ar-tiste. À cette adresse en ville, même sans avoir à y fouiller, l’époustou-flante vitrine de l’ ESBAMA de Montpellier désignerait la portée d’un tournant spatial qui n’est pas près de finir d’en indiquer le prin-cipe en devenir.

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Faire avec l’espace ou faire jouer le « tournant spatial » en art

Recomposition d’un échange épistolaire entre Anne Volvey, Julie Perrin et Laurent Pichaud 

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À l’invitation du groupe de recherche « Du périmètre scénique en art : re/penser la Skéné », Anne Volvey (géographe, spécialiste d’art plastique), Julie Perrin (chercheuse en danse) et Laurent Pichaud (artiste chorégraphique) proposent le 21 février 2013 une rencontre dans la galerie de l’École Supérieure des Beaux-Arts de Montpellier Agglomération. Ils prolongent dans ce texte leur dialogue dans un après coup réflexif qui intègre des retours d’expérience (les leurs mais aussi ceux du public).

L’introduction que nous n’avions pas faiteCette rencontre, annoncée comme une conférence à trois, nous l’avons pensée selon des modalités inhabituelles : donner une conférence sur le « tournant spatial » de l’art contemporain dans une galerie d’art (et non dans un auditorium), y déployer une forme dialogique, performative et progressivement participative. Cette conférence traitant de la spatialité et plus particulièrement de démarches artistiques qui font du lieu le ressort central d’une transformation de la position traditionnelle du spectateur et, consécutivement, de l’auteur de l’art et de la forme artistique, exigeait d’interroger la situation même de cette rencontre via une pratique col-lective – un faire avec l’espace. Aussi nous avons proposé de faire de cette situation même l’objet de notre réflexion et de le faire travailler en actes devant, puis avec le public présent d’étudiants, d’enseignants, de chercheurs et de critiques, afin de faire émerger l’enjeu des rapports critiques de l’art contemporain avec les lieux. Cette conférence était une expérimentation à la fois entre nous qui tentions de faire converger ici, dans une forme com-plexe, des interrogations communes placées sur des trajectoires distinctes, et avec le public aux identités, motivations et connaissances différenciées.

Dans l’amont préparatoire de la conférence, prenant au sérieux les inter-rogations méthodologiques du groupe de recherche Skéné de l’ ESBAMA autour de la notion de « périmètre scénique en art » et les articulant à l’expérience préalable de Laurent Pichaud dans le cadre du ]domaines [ nomade 1 ainsi qu’aux dialogues antérieurs de Julie Perrin et Laurent Pichaud 2, nous avons choisi de mobiliser les méthodes d’enquête en sciences sociales pour faire jouer cette situation à l’endroit de ses acteurs

1. Les étudiants de l’école avaient assisté à ]domaines[ nomade, 1-10 octobre 2012, présenté dans le cadre du programme ] domaines [, centre chorégraphique national de Montpellier Languedoc-Roussillon s’inscrivant dans la saison Montpellier danse.2. Notamment dans le cadre de La semaine des arts 2011 de l’université Paris VIII – Saint-Denis.

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– institutionnels (ESBAMA) ou étudiants 1. Organisée en trois moments clés (cf. schéma ci-dessous), « Prendre place », « Déplacer », « Question de place », la conférence a mis en jeu pour la mettre en question la norme de la place spectatrice en art (la spatialité spectaculaire) dans le déploiement de trois points de vue issus des études en danse, de la géographie de l’art et de l’art chorégraphique, autour d’une série de placements et de déplace-ments effectifs.

« Prendre place » et « Déplacer » invitaient le public au placement dans la galerie puis à son replacement sur le fondement de consignes et d’outils cartographiques ; faisaient entendre les paroles situées des étudiantes inter-viewées ; proposaient une délocalisation en actes au-delà de la baie vitrée qui marque la limite sur la rue (et le quartier) de la galerie (et de l’école) afin de faire réfléchir le spectateur qui se regarde regardant la danse de Laurent Pichaud. Se mettait alors en place un principe de délocalisation

1. Nous remercions Joëlle Gay, Corine Girieud (deux des membres fondatrices du laboratoire Skéné), Virginie Lauvergne, Gérard Mayen (associés comme enseignants aux activités du laboratoire) qui ont bien voulu répondre à nos questions, Thierry Guignard (responsable technique) qui a accepté de nous communiquer les plans de la galerie, Morgane Lagorce et Van Nguyen (étudiantes) qui ont bien voulu se prêter à un entretien dont la galerie de l’ ESBAMA était à la fois l’objet et le lieu. Fa

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pour déstabiliser la position spectatrice au sein du périmètre scénique tra-ditionnel. De l’autre côté de la vitre peut s’ouvrir une mise en perspective de méthodes propres à engager le spectateur dans une activité créatrice. Ce qui les caractérise, c’est leur manière de « faire avec » toutes les dimensions (matérielles et idéelles) du « périmètre scénique » – par opposition à « avoir lieu dans » le périmètre scénique. Mobilisant une pratique d’observation des lieux et d’enquête sur le rapport vécu aux lieux, la situation nouvelle ouvre, en effet, le champ d’une mise au travail du public dans la requali-fication de ce périmètre. Cette méthodologie de terrain peut être mise en perspective avec d’autres pratiques, la fouille archéologique en particulier – une fouille 1 qui avait été l’un des motifs de ] domaines [ nomade. Dans ce troisième moment, « Question de place », le « périmètre scénique » (terrain ou champ de fouille dûment balisé) n’est plus cadre de présentation mais plutôt espace-ressource d’une pratique participative et relationnelle qui le reconstruit pour l’instaurer en forme artistique : un objet-lieu d’art devenu le régime spatial de visibilité de cet œuvré collectif.

Travaillant dans le prolongement des stratégies spatiales du Land Art états-unien (l’in situ – l’alternative à l’objet trouvée dans le lieu 2 –, l’out­door – l’en dehors des institutions muséales –, et le changement d’échelle de la forme artistique) mises en évidence par Anne 3, notre dialogue a cherché à faire apparaître la question fondamentale du lieu en art et à exemplifier la radicalité du principe spatial d’un art contextuel et relation-nel. Assimilant la scène à la galerie, il a mis au travail dans le champ de recherche en danse contemporaine une proposition des arts plastiques et l’analyse géographique qui peut en être faite, afin d’y travailler la question complexe de l’in situ. L’enjeu est, en effet, de ne pas cantonner la pensée de la spatialité de l’art et de la danse in situ à la seule considération d’un rap-port d’extériorité entre objet (ou forme artistique) et lieu (d’art ou culturel,

1. Issue d’une pièce précédente de Laurent Pichaud : mon nom, une place pour monument aux morts (2011) où une « fausse » fouille archéologique était organisée au pied des monuments aux morts des villes où se jouait la pièce. Lors du ]domaines[ nomade une fouille avait été organisée en intérieur au pied d’un poteau d’un studio de danse… ici reprise au pied d’un des poteaux de la Galerie de l’ ESBAMA.2. D. Oppenheim « L’objet était vraiment la cible. L’objet d’art était ce à quoi l’on tentait de trouver une alternative. (…) Le lieu prit en quelque sorte la place de l’objet. » (cité dans G. Tiberghien (1995), Land Art, éd. Carré) et de Christo « L’essentiel de [nos] projets est la prise de possession de l’espace » (cité dans M. Yanagi (1989), « Interview de Christo », in Christo from the Lilja Collection, éd. des Musées de Nice).3. Voir par exemple, A. Volvey (2010), « Spatialités du Land Art à travers l’œuvre de Christo et Jeanne-Claude », in A. Boissière, V. Fabbri et A. Volvey (éd.), Activité artistique et spatialité, Paris, L’Harmattan, pp. 91-134.

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public ou non), mais de développer une compréhension performative et relationnelle de la pratique artistique, de faire ressortir le principe spatial qui la fait fonctionner et de montrer comment l’objet (ou la forme artis-tique) se trouve noué(e) au lieu par ce faire avec l’espace dans un rapport de co-construction réciproque 1. C’est le contraire de l’objet d’art in situ, qui, posé là, vient remplir le lieu et n’accède en effet qu’à une simple spatialité localisationnelle (ou topographique).

Ainsi ce dialogue en actes, par le statut de son cadre scénique qui d’objet d’une réflexion pour un public devenait champ d’un en-commun pratique, tentait de faire jouer le « tournant spatial » de l’art contemporain.

Dialogue prolongé Laurent Pichaud : Je suis le premier à arriver chez moi donc j’ai le privi-

lège d’écrire en premier après cette longue journée commune à Montpellier où nous avons élaboré in situ les dernières mises en place de notre proposi-tion et sommes finalement passés à l’acte.

Qu’avons-nous vraiment fait en regard de ce que nous avions prévu ? J’ai aimé la tentative et le déroulement vécus, et l’évidence finale de nos trois chemins singuliers tendus vers le projet commun et vers les propositions des deux autres aussi, propositions que nous avions « projetées » mais dont nous ne connaissions pas encore le potentiel.

Dans les retours d’expérience que j’ai reçus quant à la globalité de la soirée (pour ceux qui sont restés jusqu’au bout… et qui sont venus m’en parler !), ce qui a été le plus nommé fut la « courbe » quasi dramaturgique de la soirée : un début un peu froid et déboussolant, un climax avec la danse à l’intérieur de la galerie doublement commentée par vous deux depuis l’extérieur, et le final autour de la « fausse fouille » qui a été vécu comme un temps très émouvant. Devant ma surprise face à ce terme « émouvant », en demandant aux personnes de préciser, j’ai surtout entendu que le retour physique dans la galerie après le passage dehors, additionné au dialogue à trois final où chacun était « à sa place dans le respect de l’autre et dans le plaisir de l’échange », a créé une « émotion » humaine très effective...

Anne Volvey : Nous avons essayé de faire autre chose qu’une conférence classique : faire travailler des positions et, via celles-là, des positionne-ments en prenant pour référent les stratégies spatiales du Land Art et

1. Une manière de faire « chorésique » (selon les termes d’A. Berque) qu’on retrouve chez de nombreux artistes contemporains, notamment chez des artistes aussi différents que Ernest Pignon-Ernest ou Till Roeskens. Cf. A. Berque, « Lieu », in J. Lévy et M. Lussault (dir.), Dictionnaire de la géographie et de l’espace des sociétés, Belin, 2003. Fa

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pour modèle une œuvre paradigmatique du Land Art états-unien (la série Gallery Transplant, 1969, de Denis Oppenheim 1 ). Il me semble que tout cela était un assemblage construit de directions préalablement esquissées à partir d’une prise en considération des textes programmatiques de Skéné, textes qui exposent un projet de recherche en mettant l’accent sur la ques-tion méthodologique de l’art et de son étude ; un assemblage de directions données à éprouver dans une forme un peu complexe, ouverte et par-là même risquée. Et il me semble que nous l’avons tenu. Même confusément, après tous ces jeux de placement/déplacement, le « faire avec l’espace » (ou l’œuvre de l’art avec l’espace/le lieu), qu’il se soit fait pratique de terrain ou pratique de fouille archéologique, a été mis en avant dans sa dimension méthodologique pour faire apparaître le mouvement de dépassement actuel d’un art dans l’espace/le lieu à un art avec l’espace, comme condition de formes artistiques relationnelles et contextuelles.

C’est d’une certaine façon ce dont témoignent les retours d’expérience que tu as entendus Laurent, quand ils mettent en avant cette qualité esthé-tique qui signe une relationnalité en train d’être vécue – même si, à mon sens, le « retour » dans la galerie autour du champ de fouille n’a pas été suffisamment abouti puisqu’il n’a pas su véritablement engager le public. Au bord du champ de fouille, nous avons finalement opté pour un exposé de nos intentions, de nos références, de l’état de nos réflexions, devant les acteurs rassemblés assis autour de nous, négligeant de faciliter l’expé-rience que nous avions préalablement imaginée : soit, celle de la puissance engageante des faire avec l’espace. Nous l’avions pourtant faite lever dans l’étape précédente (« Déplacer ») à travers une enquête de terrain qui avait glissé de l’observation des dimensions matérielles du lieu à l’investigation du rapport du public au lieu. Nous l’avions aussi posée dans le périmètre de fouille où les effets du public (sacs et manteaux) abandonnés à la faveur des précédents déplacements, prélevés par Laurent dans le mouvement de sa danse, se trouvaient déposés dans l’idée qu’ils seraient remobilisés et réinvestis. Mais c’est bien l’acte de fouille comme manière de faire avec les dimensions du lieu (ici les dimensions mémorielles), propre à engager le collectif dans une œuvre d’art participative, sur lequel nous avons achoppé. Si in fine le didactisme et la métaphore méthodologique l’ont emporté sur l’expérience concrète d’œuvrer d’art ensemble le périmètre, les retours

1. Les documentations de l’œuvre montrent Oppenheim arpentant une marre à oiseaux à Ithaca ou une réserve foncière sur le port de New Jersey, traçant avec les pieds le plan à échelle de salles de musées dans lesquels il expose par ailleurs, et activant à travers cet acte de découpage les propriétés du lieu en un objet-lieu d’art. L’objet et le lieu se trouvent co-construits dans la pratique artistique, la forme artistique en constitue le régime de visibilité spatial.

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nous disent que la fouille a accédé néanmoins à quelque chose d’une expé-rience de relationnalité.

Julie Perrin : Lors des échanges à la suite de notre proposition, certains participants m’ont aussi parlé d’une progression qui faisait sens, en par-ticulier à partir de l’obligation (dans laquelle la situation les mettait) de changer régulièrement de point de vue (y compris à cause de l’inconfort : le bruit ou le froid dans la rue, la chaleur à l’intérieur). Certains ont apprécié la prise de risque de la proposition. Nous avons bel et bien partagé collec-tivement cet inconfort d’une situation inhabituelle construisant, comme le mentionne Laurent, un en-commun progressif.

J’ai été frappée pour ma part par le radical changement lors de la deu-xième entrée en salle-scène à partir de la consigne donnée par Laurent « chercher sa place ». Je maintiens cette ambiguïté entre galerie et scène, car je crois que nous l’avons maintenue dans notre proposition, dès lors que nous posions régulièrement la question du « périmètre scénique » de l’art tout autant que de la situation de conférence. Le vocabulaire de la scène s’insinue alors, quand bien même l’art (ou la conférence) a lieu hors du théâtre ; la question du vivant, de l’histoire de l’exposition et de la théâ-tralité est en jeu. Lors de la deuxième entrée, donc, la consigne « chercher sa place » reconfigure radicalement le groupe, les postures de chacun, la marche. Tout s’est ralenti. Chacun était dans une attention très grande à l’environnement, à la situation. Comme si quelque chose allait se produire soudain… chose dont nous tous étions bel et bien les acteurs. L’activité est devenue collective et soucieuse de chacun. Pour moi, il y a déjà là quelque chose d’un faire avec l’espace, collectivement. Cela a permis d’ailleurs, je crois, que l’attention ne s’éparpille pas totalement dans la rue (car la situa-tion sonore était difficile). Et que chacun se sente aussi très autonome dans ses choix face à la situation sans que cela nous disperse pour autant : cer-tains sont restés à regarder ce qui se passait dans la galerie – la danse de Laurent – ; d’autres ont discuté entre eux ; d’autres ont écouté les commen-taires énoncés par Anne et moi ; certains se sont lancés joyeusement dans l’enquête sur le quartier dans l’étape 2 « Déplacer ».

Laurent Pichaud : C’est vrai que les entrées-sorties successives ont re-disposé les personnes différemment que ce soit vis-à-vis d’elles-mêmes ou vis-à-vis du groupe, et c’est vrai aussi que dès le « chercher sa place » cha-cun redevenait singulier à l’intérieur d’une communauté. Mais ce qui m’a le plus frappé ce n’est pas tant cette deuxième entrée, comme tu le notes Julie, mais plutôt la suivante, lors du retour dans la galerie après le temps passé Fa

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à l’extérieur : comment le lieu s’est habité à ce moment-là, nous compris, autour de la fouille, chacun à son endroit physique et sensible. Comment tout était en place pour l’écoute relationnelle...

C’est d’ailleurs peut-être un point de « réussite » de notre proposition. Lorsque l’on donne une consigne à faire à des spectateurs, il y a le risque que cela crée un rapport un peu trop autoritaire et/ou pédagogique, où l’on attend de l’autre qu’il accepte et consente à passer à l’acte alors qu’il n’est pas venu pour ça… Mais pour ce troisième retour dans la galerie, il n’y avait pas de consigne spécifique : on était dans la simple résonance de ce que notre dramaturgie avait généré et je pouvais sentir combien chacun a alors paisiblement porté sa présence aux autres : que ce soit les auditeurs-spectateurs ou nous trois. Je crois que c’est à ce moment-là, devant et avec les personnes qui avaient choisi de rester avec nous, que j’ai compris que la traversée de l’inconfort pouvait mener à un confort créé et non à un confort que nous aurions construit ou demandé.

Mais nous pourrions parler aussi de la nature de l’inconfort qui a été à l’œuvre au début pour certains, voire de la résistance pour d’autres qui ont profité de la première sortie pour quitter la conférence… Je pense entre autres à ce besoin chez certains spectateurs de construire systématique-ment une frontalité, quitte à changer de place autant que nécessaire pour la prolonger, ou à l’inverse ceux qui ne bougeront pas de peur d’être sollicités trop ouvertement par les intervenants.

Julie Perrin : Cette nécessité ressentie de changer de place est préci-sément ce que nous recherchions. Néanmoins, nous avions espéré que le spectateur inventerait d’autres rapports, d’autres points de vue et serait conduit à se défaire d’une spatialité spectaculaire de prédilection (la frontalité).

Anne Volvey : Ce sont certes des indices de résistances mais, comme je l’ai dit plus tôt, tout autant de l’échec ou du non aboutissement de notre proposition…

Une interrogation : l’inconfort pour les participants reposerait-il, par ailleurs, sur le fait que notre proposition et propos n’avaient pas été suf-fisamment explicités pour les spectateurs ? Mais plus d’explicitation n’aurait-il pas entravé ou perverti les « déplacements » ? Car cette aug-mentation progressive de la qualité de la présence des uns aux autres et de l’écoute des uns et des autres par l’ébranlement de la position spectaculaire était celle que nous cherchions à construire.

La manière dont vous en parlez, mais aussi mon propre vécu de ce 13

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final, évoquent d’ailleurs chez moi le paradoxe du « trouvé/créé » dans l’approche relationnelle des processus narcissiques-identitaires proposée par le psychanalyste anglais D. W. Winnicott. Comme si, après tous ces déplacements préparatoires (déplacements psychiques associés à des agir vécus), la fouille, avait été cet espace « trouvé/créé » où chacun « jouant en présence de l’autre » (espace transitionnel) recomposait, dans l’expérience transférentielle d’une relationnalité et d’une spatialité originelles, le sens de la relation au monde qui l’entoure et, à travers elle, de son identité subjec-tive. Il y aurait donc eu quelque chose de transitionnel à l’œuvre dans cette situation de fouille – fouille devenue « aire d’illusion » (espace potentiel) pour une créativité collective.

Julie Perrin : Je crois en effet qu’exposer au préalable trop précisément notre programme n’aurait pas garanti la réalisation de l’expérience. En revanche, nous aurions pu davantage analyser ou décrire à la fin, lors de l’échange, ce qui s’était déroulé au regard de nos attendus. Notre échange présent nous permet d’y revenir.

Laurent Pichaud : Oui, et pour le coup les outils artistiques sont à inter-roger dans ce genre d’adresse aux spectateurs un peu décalée. On sait que les spectateurs viennent en attente d’une conférence – avec tous les codes implicites que cela comporte –, et on sait aussi que nous allons décaler ces codes dominants. Du coup la marge qui nous est offerte est fine : soit on annonce d’entrée ce que l’on va faire, soit on attend que le passage à l’acte explicite à la fois le contexte de la conférence ET le décalage que l’on sou-haite opérer. Je n’ai pas de solutions acquises là-dessus, mais comme nous avions souhaité que le décalage passe aussi par le passage à l’acte dans l’ex-périmentation, nous devions accepter que les spectateurs n’en sachent pas trop.

Je sais que de mon côté, artistiquement, je me suis longtemps protégé de demander directement quelque chose aux spectateurs (et inviter des spec-tateurs à expérimenter des situations via des consignes 1 est un outil très nouveau pour moi…) Par contre que l’écriture dramaturgique d’un spec-tacle leur permette de « mettre en crise » leurs habitudes de spectateurs (comme le dit Jean-Louis Comolli) est un idéal sur lequel j’aime réfléchir.

Intégrer la parole du spectateur ou bien intégrer son corps en

1. Pour découvrir des exemples de consignes, vous pouvez vous reporter au 1er numéro des Cahiers Skéné consacré à ]domaines[ nomade : Joëlle Gay, Corine Girieud, Claude Sarthou (dir.), Du périmètre scénique en art : re/penser la Skéné, Cahier n°1, École supérieure des Beaux Arts Montpellier Agglomération, 2013. Fa

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mouvement est délicat… car anormal dans le code spectaculaire, et l’utilisation possiblement participative de la parole ou « du geste » des spec-tateurs dans un cadre normé (celui du spectacle ou celui de la conférence) vient faire rupture à la convention séparatiste entre ceux qui font et ceux qui réagissent. Et passer d’une rupture demandée à une rupture consentie n’est pas des plus simples…

Julie Perrin : Nous avons d’emblée posé cette question. En effet, la situa-tion posée s’annonçait ainsi : « Vous venez à une conférence, mais il n’y a pas de chaises pour s’asseoir. Les conférenciers ne sont pas rassemblés mais mobiles, permettant à la parole de surgir soudain d’un autre endroit. Enfin, nous sommes dans une galerie d’art : observons le lieu ensemble, selon différents modes et supports successifs ». L’on pourrait dire que notre proposition s’est nourrie autant des sciences sociales (l’enquête de ter-rain s’insinue dans le format de notre proposition) que de la pratique des artistes, leurs façons d’interroger les situations, de les déplacer, y compris bien sûr leurs pratiques discursives (les artistes ont inventé des formats de conférence variés). D’où le statut hybride de la proposition : elle combine diverses pratiques – scientifiques, artistiques – toutes aussi inventives. Elle intègre l’observation, la description, l’analyse et un extrait dansé présenté comme œuvre d’art autant que comme construction de savoir.

Anne Volvey : Oui, au-delà des franchissements de limites énoncés plus tôt, elle atteignait précisément la question de la discontinuité épistémique (contenu de savoir) et épistémologique entre art et science. Une question au cœur des problématiques de Skéné, et plus généralement du passage des écoles d’art au LMD 1, et résolue souvent par une focalisation sur la méthode et sa pratique, par où se rejoignent art et science décloisonnés. Même si, comme je l’ai dit plus tôt, le format du dialogue ne permettait qu’une référence métaphorique et ludique aux méthodologies dites qualita-tives 2 des arts et sciences sociales contemporaines.

1. Suivant le processus de Bologne, les écoles d’art passent à une structuration de leur formation en Licence (3 années), Master (2 années) et Doctorat.2. L’expression méthode qualitative renvoie à deux aspects de l’histoire épistémologique des sciences sociales contemporaines, tous deux liés au basculement de celles-ci dans l’approche culturelle et interprétative. Ces méthodes, en effet, ne sont plus tendues vers l’accès aux faits tels qu’en eux-mêmes (réalisme scientifique), mais cherchent à accéder aux pensées qui produisent les faits et les agencent en univers de significations, aux rapports aux faits et en retour à leur puissance configurante sur ceux-ci (constructivisme réaliste). Elle renvoie donc d’une part, au renouveau des méthodologies de terrain (l’enquête par entretien, l’observation), d’autre part, au sein de celles-ci, au développement de l’intersubjectivité comme moyen d’accès à l’univers de significations de l’autre.

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Ce format de rencontre, par tous ces franchissements, posait aussi la question de l’autorité du discours même. Qui détient le savoir dans ce type de proposition ? Et le dire associé au faire peut-il prendre forme d’œuvre (ou encore, le dire sur l’art peut-il être l’œuvre de l’art) ? Enfin, que se passe-t-il quand le discours devient dialogique – dialogue co-construit non seulement par l’artiste et le chercheur, mais aussi par le public devenu participatif ? Cette question du « discours autorisé » a été traitée en art plastique par J.-M. Poinsot 1 par exemple, pour montrer que, pris en charge par l’artiste, il devient instrument d’auto-construction de sa figure – une sorte d’auto-portrait discursif qui emprunte au discours critique et s’impose comme œuvre. Si l’artiste élabore lui-même l’ana-lyse de sa pratique et la donne à expérimenter comme forme artistique, si le chercheur transforme l’énoncé scientifique en forme artistique, si artiste, chercheur et public ensemble co-construisent cette forme et en font le moyen d’une relationnalité, d’un en-commun partagé, alors quelle place reste-t-il au critique d’art ? Comment Gérard Mayen, critique de danse présent dans la galerie, et les étudiants de l’ ESBAMA invités sous sa conduite à réfléchir a posteriori à notre proposition trouveront-ils leur place dans ce circuit critique ? Il n’y a plus place pour un discours d’au-torité, pour un discours autorisé : la parole des universitaires est à égalité avec celle de l’artiste. Y a-t-il place pour une autre parole critique, chez les spectateurs, pour le critique d’art ?

Julie Perrin : La prise de parole du public est restée malaisée à la fin de

la soirée, dans l’étape 3 « Question de place », alors même que nous avions diversement échangé dans la rue, à propos des histoires personnelles liées à ce carrefour devant l’école. Des récits individuels avaient été amorcés par petits groupes. Nous avons rapporté certains de ces récits à tous : le retour dans la galerie a aussi été le temps d’un partage des récits singuliers.

J’aimerais revenir sur la danse que tu as proposée dans ce cadre, Laurent, lors de l’étape 2 « Déplacer ». Anne et moi nous sommes lancées dans un commentaire en direct, jouant surtout du cadrage : nous étions au départ très proches de la baie vitrée ; nous avons nommé ce que nous voyions, gui-dant ainsi potentiellement l’attention de tous. Il a été question des lignes tracées par ta danse, de ta verticalité en résonance à celle de la colonne au centre de la galerie. De ton orientation, de dos au départ, et des espaces que ton regard sur le lieu ouvrait (élargissant le périmètre de ton action).

1. Cf. J.-M. Poinsot, Quand l’œuvre a lieu. L’art exposé et ses récits autorisés, Genève / Villeurbanne : Mamco / Art Edition, 1999. Fa

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Puis nous avons reculé peu à peu, soulignant le cadre de la vitre, la pré-sence de la façade et des étages au-dessus, et la rue enfin : nous regardions Laurent regardant le lieu, mais nous pouvions aussi être regardés par les passants et de plus nous pouvions nous voir regarder dans le reflet de la vitre. Nous avons souligné cette mise en abîme, ces différents cadres, les échelles successives depuis lesquelles on pouvait envisager la situation.

Anne Volvey : On pourrait ajouter aussi notre lecture de la danse de Laurent comme pratique d’in situ qui visait la connaissance et l’appropria-tion du lieu et sa mise en forme dans une chorégraphie.

Le décollement par rapport à la vitre, puis à la façade a aussi ouvert la focale à partir de laquelle nous pouvions faire du terrain et envisager ce faire comme une des manières possibles d’œuvrer le lieu d’art. Si les commentaires de Julie reprenaient à l’extérieur de la galerie les principes analytiques de son élaboration de la question de la place dans « Prendre place », les miens venaient s’articuler à la lecture du plan de la galerie et de l’extrait de la carte topographique au 1/25 000e, qui avait soutenu les pre-miers déplacements du public… La carte, représentation de l’espace issue d’une réduction de celui-ci dont témoigne l’échelle est en effet une média-tion traditionnelle de la pratique de terrain – y compris dans le Land Art, puis l’art contemporain.

PoursuiteJulie Perrin : Je n’ai pas nommé une chose que je voyais pourtant :

Laurent, ta proposition dansée reprenait un extrait d’une danse exis-tante créée pour le théâtre. Tu étais dans un questionnement sur le lieu, mais aussi dans une pratique de la citation. Comment relies-tu cela dans ta démarche en situation ? Anne, de ton côté, comment analyses-tu dans tes travaux sur le Land Art états-uniens la question de l’écart : dans quel écart avec la situation s’inscrit le geste de l’artiste ? Ce n’est pas parce qu’un artiste a analysé finement une situation qu’il choisit forcément de s’y fondre.

Laurent Pichaud : De mon côté il y avait deux niveaux de citation. Le premier je l’ai annoncé en introduction à la conférence : que se passerait-il si j’essayais d’adapter le ]domaines [ nomade dans la galerie alors qu’il avait été créé dans les bâtiments du centre chorégraphique national aux Ursulines. Le deuxième est plutôt l’auto-citation d’un extrait d’une pièce chorégraphique déjà repris lors du ] domaines [ (indivisibilités, 2011, duo avec Deborah Hay), pièce créée pour un plateau de théâtre et dansée ici

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dans la galerie qui n’est pas un lieu de représentation théâtrale.Pour ce deuxième niveau, citer une pièce pour théâtre, que ce soit dans

le ]domaines [ nomade ou dans notre conférence, se fait toujours de manière très précise :

– Au CCN c’était une séquence dans le studio Bagouet, lieu scénique par excellence, où je pouvais interroger cette danse «spectaculairement théâtrale» sur scène MAIS au milieu d’un campement aménagé par les spectateurs lors de la séquence précédente.

– Dans le cas de notre conférence, si j’ai pensé à cette séquence quand nous préparions la conférence, c’est parce que nous évoquions le fait de placer les auditeurs-spectateurs dehors me regardant dedans. Cela me per-mettait encore une fois de jouer avec le code habituel : la danse « scénique » se regarde habituellement à travers un « cadre de scène » DONC ici, grâce à la baie vitrée et grâce à votre double commentaire simultané, l’« habitude scénique » était à la fois évoquée et sensiblement perturbée.

Artistiquement, je ne revendique jamais une destruction du spectacle – j’active la plupart du temps, simultanément, le code spectaculaire habituel et un décalage que j’invente en regard du site... et ce décalage, je souhaite l’activer dans une forme d’indiscernabilité – est-ce un geste artistique, est-ce un geste ordinaire ? – dont les composants varient selon et grâce au site.

Julie Perrin : L’indiscernabilité, c’est précisément ce dont parle Barbara Formis avec grande nuance dans son ouvrage Esthétique de la vie ordi­naire 1 : si la vie peut être assimilée à l’art, ce n’est que dans la mesure où art et vie sont deux instances distinctes mais intrinsèquement indisso-ciables. Certaines œuvres ouvrent un régime d’indiscernabilité, qui n’est ni une esthétisation de la vie, ni une banalisation de l’art. Comment pour toi s’articule indiscernabilité et code spectaculaire ? Est-ce compatible ?

Laurent Pichaud : Si j’emploie le mot indiscernabilité c’est justement parce que j’avais entendu Barbara Formis la veille là-dessus, et que j’aimais les nouveaux enjeux liés à ce mot. Mais il faut sans doute que je mesure mieux l’emploi d’un tel nouveau concept.

En fait avant je le disais autrement : je pensais et disais par exemple (et là je parle de ce que j’ai trouvé comme solutions aux problèmes posés par mon nom, une place pour monument aux morts) que les actions inven-tées devaient être au maximum faisables à la fois par les artistes ET les passants-devenus-spectateurs.

1. Barbara Formis, Esthétique de la vie ordinaire, PUF, Paris, 2010. Fair

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Je pense à l’utilisation des boules de pétanque par exemple, à la manière que nous avons de les utiliser : on les manipule comme toute boule de pétanque, on pointe, on tire, avec le double sens guerrier qui m’intéressait. Mais la mise en scène artistique de ce geste est complètement décalée – le cochonnet est remplacé par un corps allongé au sol –, ou bien la mise en espace le rend partageable – on crée un cercle autour de ce corps allongé au sol pour que les passants-devenus-spectateurs soient côte à côte des « performeurs » qui vont lancer les boules de pétanque vers le corps au sol. Lors de la représentation au Pont-de-Claix (dans l’Isère), un homme s’est lancé avec nous dans ce rituel­boules (c’est le titre de la séquence) et tout a continué de manière fluide…

Donc pour répondre à ta question : « Comment pour toi s’articule indis-cernabilité et code spectaculaire ? Est-ce compatible ? » Je répondrais que dans le cas de cette pièce oui, c’est compatible si on remplace le mot indiscernabilité par indistinction. Pour plusieurs séquences de cette pièce, même si habituellement c’est le performeur qui agit puisqu’il est celui qui convoque, qui est la force invitante de l’action, il y a indistinction de compétence ET de positionnement spatial. C’était d’ailleurs un point qui résolvait une question structurelle que posait ce projet : que pouvons-nous faire, qui que nous soyions, face à ces monuments aux morts qui nous convoquent tous et chacun à nos endroits différents…

Je n’ai malheureusement pas pensé à nommer cela aussi précisément le soir de la conférence : que je fasse de l’in situ ne signifie pas que je balaye mon rapport à une danse spectaculaire. Dans mon travail, je ne sépare pas mes différentes pratiques qui se nourrissent les unes des autres : moments plastiques, travail de la consigne chez les spectateurs, etc.

Julie Perrin : Je voudrais revenir sur ce que tu as dit concernant la citation. Tu parles d’une part d’adaptation, d’autre part d’auto-citation d’une pièce créée pour la scène et déplacée hors-la-scène. Autrement dit, tu interroges selon deux modalités l’identité de l’œuvre chorégraphique dans le temps, au fur et à mesure des choix successifs de lieux de représen-tation. Sans doute cela décale-t-il les débats existants dans le champ des arts plastiques concernant l’art in situ et l’espace public et conduit à pré-ciser de quel faire avec l’espace il s’agit là. Daniel Buren insiste fortement sur le fait que l’œuvre d’art n’est jamais autonome, bien que le musée en donne l’illusion (le musée est un artifice, car se faisant passer pour neutre, il fait croire à l’autonomie de l’œuvre). L’art hors du cadre muséal révèle et exacerbe cette non-autonomie de l’œuvre. Dans cette logique, dépla-cer une œuvre lui semble tout à fait incohérent dès lors qu’elle ne peut se

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penser comme entité isolée et s’affirme comme hétérogène ou métisse 1. Le déplacement d’une œuvre de danse est en revanche constitutif du cadre économique et institutionnel de sa diffusion : à quelles conditions peut-elle alors remettre en jeu pour chaque lieu un faire avec l’espace tout en préser-vant son identité – identité qui conduit à la faire apparaître sous le même titre en différents lieux ? Une danse in situ (au sens d’Oppenheim, où le lieu devient l’alternative à l’œuvre d’art) est-elle enfin envisageable, dans cette logique de diffusion et d’identité de l’œuvre chorégraphique ? L’association de « danse » et « in situ » rend complexe la possibilité même de penser la circulation de l’œuvre dansée. Or tes projets in situ ne sont précisément pas conçus comme des événementiels, mais comme des œuvres qui peuvent être diffusées ailleurs tout en renouvelant leur lien inextricable, leur attention à la situation (géographique, historique, sociale, sensible…) présente. Ce renouvellement est intrinsèque à la logique de l’œuvre. Cela explique ton utilisation du terme « adaptation » : la pièce adapte ses logiques propres de composition avec le réel à la réalité présente. Dans tes pièces, cela opère d’autant mieux que tu travailles souvent à partir de ce que j’appelle des lieux génériques : le monument aux morts, le gymnase. Des lieux qui ont des caractéristiques propres au-delà de la singularité d’un contexte. On se retrouve donc avec des pièces in situ, dont l’identité demeure à travers celle du lieu, malgré le changement d’emplacement.

Pour domaine nomade qui devient une pièce qui va tourner, il me semble que tu déplaces ce principe : ce n’est plus tant le lieu (générique) qui assure l’identité de l’œuvre que le procédé même proposé. Des consignes de marche, de perception, de positionnement dans les lieux guident le dérou-lement de la pièce quel que soit le lieu où elle sera programmée. Dans ce cas, c’est encore le lieu qui est au cœur du projet dans un faire avec l’espace pris en charge directement par les spectateur-participants. En fait c’est peut-être l’équilibre entre une identité assurée par des logiques de compo­sition avec le réel et une identité imposée par la nature du lieu qui s’inverse avec ]domaines [ nomade.

Concernant l’auto-citation et l’emprunt d’une pièce pour la scène trans-posée ici dans la galerie, tu opères quelque chose que Buren dénoncerait : pour lui, on ne déplace pas les œuvres du musée dans la rue. Est-ce à dire que l’art se réinvente entièrement hors de l’institution muséale ou théâ-trale ? Que les savoirs singuliers de l’artiste sont dynamités, rejetés et à réinventer à chaque fois ? Une telle position ne tient pas me semble-t-il.

1. D. Buren, À force de descendre dans la rue, l’art peut-il enfin y monter ?, éd. Sens & Tonka, coll. Dits et Contredits, Paris, 1998 (réed. 2004), p. 76. Fa

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D’ailleurs, la reprise des rayures chez Buren ne témoigne-t-elle pas d’une permanence quelle que soit la situation ? On peut aussi se demander à quelles conditions le geste dansé est capable de se réinventer au contact d’une situation, alors même qu’il s’est forgé pendant la formation du dan-seur selon une logique perspectiviste et un mode d’adresse théâtral. Un geste dansé échappant à ces logiques est-il véritablement possible ? Quelle danse en surgirait ? De ce point de vue, tu soulignes bien que la question du cadre et des codes scéniques reste centrale dans ton approche. Le geste quotidien – comme une forme d’emprunt au réel – est-il la seule réponse à un faire avec la situation ? Reste à savoir ce que tu cherches précisément par cette sortie du théâtre d’une danse pensée pour lui : est-ce une façon pour toi de confronter ce matériau et d’observer comment il résiste à un autre contexte ? D’observer une nouvelle forme de rencontre avec le lieu, de métissage ? Que veux-tu faire jouer dans cette confrontation ? Tu as déjà en partie répondu à cette question tout à l’heure.

Laurent Pichaud : Le problème, c’est que l’on parle de la citation d’in­divisibilités comme d’un extrait d’une pièce faite pour théâtre, ce qui spatialement était le cas, mais il faut quand même préciser que la partition chorégraphique que je m’étais créée pour ce duo a été aussi pensée comme un matériau doublement in situ. In situ dans l’œuvre de Deborah Hay avec qui j’ai créé ce duo (c’était une forte idée chorégraphique pour moi : peut-on faire de l’in situ dans l’œuvre de quelqu’un d’autre ?), mais aussi in situ dans le théâtre, puisque tout le dispositif scénique a été pensé en tant que tel : spectateurs rentrant dans le théâtre par le plateau, liberté de s’asseoir sur le plateau ou dans les gradins habituels, liberté de mouvement durant le spectacle, scénographie d’enseignes lumineuses important l’extérieur à l’intérieur, ouverture des portes du théâtre pendant la représentation per-mettant aux bruits de la rue de s’introduire jusqu’à nous…

La possibilité de citer des extraits de ce matériau chorégraphique tient donc à son projet initial : créée à partir d’un in situ théâtral – avec ce que cela comporte de « faire voir par la danse » par exemple –, cette gestuelle est structurellement suffisamment poreuse pour intercepter et s’inscrire dans d’autres contextes spatiaux ou réels… De plus, dans le cas de son utilisation dans la conférence, j’ajouterais : le fait que la scène-galerie sur laquelle j’ai cité cette gestuelle était jonchée des sacs et des manteaux lais-sés par les spectateurs sortis, faisait écho à la situation d’indivisibilités et à sa première citation dans le ]domaines [ nomade pendant lesquelles les ou le danseur évolu(aien)t au milieu des corps spectateurs « campant » sur le plateau.

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Il me semble que c’était d’ailleurs un point qui nous intéressait tous les trois lors de la préparation de la conférence : les spectateurs allaient être en regard et séparés de leurs traces personnelles – manteaux, sacs – pendant qu’ils me regarderaient danser, et que cette séparation, puis l’enfouissement de leurs effets personnels dans le périmètre de la fouille, pouvaient servir à ce qu’ils se pensent « libérés » de l’assignation spectaculaire habituelle pour devenir co-acteurs de la fouille… Nous pensions d’ailleurs, mais tel n’a pas été le cas, que cela allait leur permettre, pour récupérer leurs affaires personnelles, de jouer avec les instruments de la fouille laissés à leur intention…

De plus, pour essayer de répondre précisément à tes questions : « À quelles conditions le geste du danseur est capable de se réinventer au contact d’une situation ? Le geste quotidien – comme une forme d’emprunt au réel – est-il la seule réponse ? », je répondrai simplement qu’un geste, au delà de son invention, s’interprète. Et que nous avons, nous danseurs, une panoplie d’outils disponibles pour interpréter ce geste in situ :

– Comprendre par exemple que l’adresse au spectateur en extérieur de théâtre ne nous place pas comme le seul focus de la situation, puisque le réel environnant intercepte et complète notre geste chorégraphique. Cela demande d’ailleurs un travail assez fin de présence-retrait, voire de présence-absence, pour laisser aussi la place aux autres éléments présents dans l’environnement. Le théâtre à l’italienne est construit comme une perspective qui resserrera le danseur au centre du jeu scénique, l’in situ en extérieur organise lui, la plupart du temps, une focale inverse : il ouvrira le panorama à partir du danseur 1.

– Comprendre que le geste créé in situ et pour l’in situ est un geste inter-dépendant avec le contexte du site, et que donc, comme je l’ai déjà exprimé, ce geste fait tout autant voir l’environnement qu’il est lui-même perçu grâce à l’environnement. Pour l’interprète cela modifie là encore la manière dont il va porter son geste vers les spectateurs ou les passants, puisque son geste a une forme de fonction médiatique entre le regard spectateur et l’en-vironnement. Ce geste, dans l’invention de son interprétation au moment de la représentation, se doit d’être relié et situé : il se fait ici, dans le main-tenant d’un Réel qui excède sa seule intention. Il devient même équivalent à toutes les autres lisibilités que le site réel génère : regard sur le social, sur l’architecture, sur l’urbanisme, sur l’intime…

1. J’ai d’ailleurs souvent précisé que : « dans l’in situ que je pratique, la scène c’est le champ de vision de chaque spectateur ». Cf. numéro 1 des Cahiers Skéné consacré à ]domaines[ nomade, op. cit.

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Ces qualités d’interprétation placent donc le danseur in situ comme une force simultanée à toutes les autres composantes du Réel dans lequel son geste l’inscrit. C’est pourquoi, comme tu le remarques, le geste in situ flirte souvent avec le geste quotidien : par rapprochement, par capillarité, par universalité, il semble être une réponse plus directe à la volonté de s’ins-crire dans ce Réel non artistique qui l’accueille. Mais, comme exemplifié précédemment, il y a d’autres outils – consignes, stimulation-participa-tion du corps spectateur… – pour apprécier l’inscription et l’incarnation réflexive d’un geste artistique dans un Réel non artistique.

Sinon, pour répondre de manière plus prospective, je prolongerais jus-tement avec le fait que le ]domaines [ nomade n’est peut-être pas à penser comme un travail uniquement in situ. Et que la traversée de l’in situ dans mes pratiques artistiques depuis une dizaine d’années m’amène à réfléchir dorénavant sur des données plus proches de ce que l’on appelle l’art et la vie (pour reprendre une autre appellation issue des arts plastiques). Je pourrais presque dire que le ]domaines [ nomade utilise tout autant, sans aucune hiérarchie et selon les besoins de l’écriture dramaturgique, des outils issus du spectaculaire – corps dansant virtuose fortement différencié du corps spectateur qui le regarde, séparation entre celui qui fait et celui qui réagit –, ou des outils issus des pratiques in situ – « faire voir par la danse », inscription-porosité du corps actant, indistinction du corps specta-teur et du corps performeur, etc. Sans parler des autres outils mentionnés plus haut : consignes, installations plastiques et scénographiques engageant le corps du spectateur, qui excèdent les seules questions liées à la notion de représentation.

Ce souhait d’art et vie correspond pour moi à un approfondissement de la question de l’inscription d’une démarche artistique, voire de sa fonction, dans un Réel et un sociétal plus large.

Anne Volvey : Pour ma part, je n’ai pas analysé à proprement parler ce décalage sur lequel tu m’interroges. En effet, il faut sans doute se méfier d’une compréhension à la fois réaliste et matérialiste de la question du lieu en art – une tendance qui traverse souvent les approches non géogra-phiques de la spatialité – et par conséquent d’un certain positivisme en la matière. Les manières de faire avec l’espace que sont les méthodes dont nous parlons (le terrain, la fouille), d’une part, ne sont plus considérées comme des méthodes positivistes tendues vers un réalisme cognitif (un savoir vrai sur le lieu), mais plutôt comme des manières individuelles ou collectives de se mettre en relation avec le lieu/l’espace pour co-construire

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ensemble un sens du lieu et des identités, et leur donner un régime de visi-bilité spatiale dans l’objet-lieu d’art. D’autre part, les dimensions du lieu qui sont levées par le truchement des méthodes ne sont pas toujours, loin s’en faut, des dimensions matérielles, mais aussi des valeurs, des représen-tations et des significations attachées au lieu et rechargées, reconstruites dans la méthode. On peut soutenir cette position aussi bien pour l’art que pour les sciences sociales, posant alors, en retour, la question de l’enjeu pour le sujet cherchant (artiste ou chercheur), du faire avec l’espace/le lieu dans tous ses dimensions. Ainsi, la question de l’écart que tu interroges, me semble renvoyer à celle du rapport de l’œuvre (dans sa dimension formelle) à la réalité du lieu (dans sa dimension matérielle) et, plus généralement, à sa fonction de représentation. Mais peut-être n’ai-je pas bien saisi l’enjeu de ta question.

Laurent Pichaud : La comparaison art visuel/danse et tout ce que cela implique en terme historiographique et méthodologique est importante. Si je m’arrête à mon propre cas, la première pièce que j’ai pu faire en extérieur : lande part, solo pour extérieurs de théâtre (2001), avec son titre explicitement en référence au Land art, était plus facilement perméable aux pratiques sculpturales qu’à l’histoire de la danse elle-même, censée être mon champ de connaissance. Et je me suis souvent pris de plein fouet cette inculture du monde de la danse vis-à-vis de pratiques in situ : soit parce que les personnes qui en étaient critiques ne connaissaient rien aux arts visuels, soit parce que l’on me disait que ce que je faisais avait déjà été fait auparavant dans les années 1960, avec souvent le même exemple : Trisha Brown dansant sur les toits de New York… Il m’aura fallu le dialogue avec Julie et les lectures annexes qu’il a déclenché pour trouver des argu-ments adaptés au milieu de la danse – ce n’est pas parce que les artistes des années 1960 œuvraient à l’extérieur qu’ils étaient pour autant intéressés par une réflexion sur l’in situ, entre autres... Lorsque le DVD Early works de Trisha Brown est apparu dans le commerce (2004, chez Artpix), il a d’ailleurs été très facile de voir combien cette danse, auparavant documen-tée toujours par la même photo en noir et blanc, semblait être une danse de signes-sémaphores créée en studio et importée sur les toits.

Julie Perrin : En effet, il est important de rappeler que certains perfor-mers du Judson Dance Theater (New York, 1962-64), Carolee Schneemann en particulier, déplorent que la réalité du lieu – l’église de la Judson – ne soit pas prise en compte et qu’une frontalité classique continue d’opérer dans un lieu pourtant atypique pour une représentation publique. Les

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artistes du Judson ont tous pratiqué la scène dans leur parcours antérieur (chez Waring ou Cunningham) et maîtrisent parfaitement ses rouages. À partir de quoi s’élabore leur réflexion sur le lieu ? Comment vient-elle modifier leur démarche artistique ?

La pièce de Trisha Brown à laquelle tu fais référence – Roof and Fire Piece (1973) – semble en effet prendre New York comme décor et non comme partenaire. (Elle soulève néanmoins la question du spectateur et du point de vue : cette danse sur les toits est invisible de la rue, et des specta-teurs sont rassemblés sur un même toit d’où ils l’observent). Mais peut-on en dire autant pour Man Walking Down the Side of a Building (1970) qui est une réponse directe à l’architecture new-yorkaise ? Ou pour Group Primary Accumulation (1973) où les danseuses sont placées sur des radeaux flottants sur un lac ? Il faut rappeler que Trisha Brown était proche de Gordon Matta-Clark. Par ailleurs, on voit combien la définition de la pratique en danse s’élargit à cette période, entraînant avec elle un intérêt renouvelé pour le hors-la-scène. Ainsi Trisha Brown dit qu’elle travaille autant dans un studio que quand elle se promène poussant son landau dans les rues de New York (l’art et la vie, encore). C’est d’ailleurs dans la rue que les danseurs semblent travailler Leaning duets (1970) 1. Enfin, dans le projet Street Dance (1964) de Lucinda Childs, le lieu semble bien rempla-cer la danse (ou l’objet d’art, pour reprendre l’expression d’Oppenheim) : depuis la fenêtre du loft de la chorégraphe et suivant les indications don-nées sur l’enregistrement diffusé par une bande sonore, les spectateurs sont invités à regarder les danseurs qui évoluent dans la rue mais surtout la vie elle-même, les enseignes, etc. En synthèse, il est difficile de trancher et une recherche reste à conduire sur la nature et la diversité des pratiques en extérieur dans les années 1960 à New York ! Ce qui est certain en revanche c’est que la production critique en danse sur ces questions est alors en retard par rapport à celle émanant des artistes visuels, du Land Art, en particulier.

Anne Volvey : Les années 1960 sont précisément le moment du tour-nant spatial des arts plastiques. Comme j’ai essayé de le montrer dans mes textes, les stratégies spatiales du Land Art états-unien fondent une nouvelle matrice pour l’art contemporain qui met au centre la pratique artistique et place l’objet dans la perspective de celle-ci. Le faire avec l’espace – et non plus l’être dans l’espace (objet d’art localisé quelque

1. Sur Trisha Brown, cf. Emmanuelle Huynh, Denise Luccioni, Julie Perrin (coord.), Histoire(s) et lectures : Trisha Brown / Emmanuelle Huynh, les presses du réel, Dijon, 2012.

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part et dont la spatialité est déploiement dans le lieu) ou de l’espace (objet représentant la spatialisation de rapports de pouvoir entre caté-gories d’identité) – devient condition de l’œuvre et est mis en vue dans la spatialité même de l’objet-lieu d’art. Il est aussi devenu condition du développement d’une dimension épistémique de l’art – pratique artistique et savoirs spatiaux se trouvant liés dans une esthétique des phénomènes de cognition. La notion de tournant spatial (spatial turn) est une notion propre aux sciences sociales et humaines contemporaines (notamment à l’analyse littéraire), posée en 1989 par le géographe californien Ed. Soja et élaborée depuis par d’autres théoriciens 1, qui ouvre sur deux horizons théoriques différents. Pour certains, le tournant spatial désigne l’intérêt nouveau porté par les approches scientifiques aux conditions spatiales des processus culturels, sociaux et historiques et la montée en puissance consé-cutive de nouveaux objets de pensée (échelle, territoire, frontière, carte et cartographie, etc.). Pour d’autres, cette attention nouvelle portée à l’espace constitue le critère d’un changement commun de paradigme scientifique, celui du post-modernisme quand il s’attache à rendre compte de la société post-moderne à la fois dans son hyper-connectivité multiscalaire et dans son localisme. Enfin, pour les géographes 2, la question du tournant spatial pose celle du tournant géographique, c’est-à-dire celle de la reconnaissance sociale et scientifique de la pertinence des outils méthodologiques, théo-riques et conceptuels d’une discipline historiquement attachée à rendre intelligible la dimension spatiale des phénomènes sociaux.

Julie Perrin : Cette logique historiographique autour du tournant spa-tial des arts plastiques ne correspond que partiellement à ce qui se passe dans l’histoire de la danse moderne occidentale. Il n’est pas toujours pos-sible de faire coïncider l’histoire de la danse avec celle des grands courants de l’histoire de l’art. Si les années 1960-70 sont effectivement le moment d’une pratique chorégraphique hors-la-scène – relativement restreinte, ne l’oublions pas – aux États-Unis ou en France (de même que cela coïncide dans l’histoire du théâtre à la remise en question du lieu théâtral et à l’ex-ploration de lieux insolites, friches, etc.), ce hors-la-scène est présent dès les débuts de la danse moderne dans les années 1920, ou encore dans les années 1950 en Californie. La danse moderne (de Duncan, de Laban) se

1. E. Soja, Postmodern Geographies: The Reassertion of Space in Critical Social Theory, London, Verso Press, 1989. B. Warf et S. Arias (éd.), The spatial Turn. Interdisciplinary perspectives, London, Routledge, 2008. J. Döring et T. Thielmann (éd.), Spatial Turn: Das Raumparadigma in den Kultur- und Sozialwissenschaften, Transcript, 2009.2. J. Lévy, Le Tournant géographique, Belin, 1999.

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définit d’emblée dans une relation problématique au lieu de représentation occidentale : à sa structuration (au logique de regard qu’il impose) et au cadre économique et social qu’il suppose. Surtout, le théâtre semble parfois contrevenir à l’apparition d’un geste inédit qui s’invente (se projette) alors en extérieur, dans les parcs en particulier ou dans quelques communautés utopiques dans la nature. L’histoire de la danse est ainsi faite d’allers et retours entre scène et hors-scène.

Il me semble que notre dialogue ouvre un gros chantier dont seules les premières strates ont été fouillées.

Julie Perrin Enseignante chercheuse au département danse de l’université Paris 8. Elle est l’auteure de Figures de l’attention. Cinq essais sur la spatialité en danse, Les presses du réel, Dijon, 2012.

Laurent Pichaud À ce jour l’auteur de plus d’une dizaine de pièces, présentées en France et en Europe. Issu du champ chorégraphique, depuis quelques années le souci du lieu de présentation est devenu une constante dans sa démarche – chaque projet est associé à un contexte spécifique, un lieu en lui-même pouvant suffire à définir le sujet d’une pièce. Qu’il s’agisse de lieux de vie « réelle » ou d’espaces singuliers aménagés, voire d’un théâtre, c’est toujours la globalité d’un espace visuel qui participe à l’écriture. Ceci le conduit à reconsidérer les modalités de l’adresse au spectateur en cherchant à trouver une égalité de présence entre performer et spectateur. 

Anne Volvey Géographe, spécialiste d’art plastique contemporain. Elle a (co)dirigé des numéros de revue (Spatialités de l’art, numéro thématique du T.I.G.R., 129-130, 2007), ouvrages (Activité artistique et spatialité, Paris, L’Harmattan) et colloques sur la question de la spatialité de l’art contemporain (Art et géographie, Université Lumière Lyon 2, février 2013). Elle a notamment publié « Le Terrain transi-tionnellement : une transdisciplinarité entre Géographie, Art et Psychanalyse », in Y. Brailowski et H. Inglebert (éd.), 1970-2010: Les Sciences de l’homme en débat, Nanterre, Presses Universitaires de Paris Ouest, « Œuvrer d’art l’espace. Entretiens avec Till Roeskens et La Luna (artistes) », in EchoGéo [Revue en ligne], (rubrique « Sur le métier »), « Spatialités du Land Art à travers l’œuvre de Christo et Jeanne-Claude », in A. Boissière, V. Fabbri et A. Volvey (éd.), Activité artistique et spatialité, Paris, L’Harmattan, et avec M. HOUSSAY-HOLZSCHUCH (2007), « La Rue comme palette. La Pietà sud–afri-caine, Soweto/Warwick, mai 2002, Ernest Pignon-Ernest », T.I.G.R., 33 : 129-130. Professeure dans le département de géographie de l'Université d'Artois à la rentrée 2013.

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PLATE forme

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Lors de la conférence de Laurent Pichaud, Anne Volvey et Julie Perrin, il a fallu décrypter, par des actions successives, le lieu dans lequel se jouait la conférence-per-formance. Cet espace de la galerie de l’école est occupé de façon diffé-rente par les étudiants en fonction des programmations. Certains y évoluent avec familiarité, d’autres non, allant jusqu’à le méconnaître. J’ai suivi cette conférence en l’écou-tant dans un autre lieu autant chargé d’histoire et de vécus, dans lequel je me déplace avec autant de familiarité que dans l’école.

L’ancienne caserne militaire est proche de l’école des beaux-arts. Je l’arpente pendant la conférence. Lorsque l’on pose le pied dans cette longue allée, on se retrouve face à de grands bâtiments qui se dres-sent majestueusement, propres et imposants. Ils abritent aujourd’hui une école et un internat. Pendant longtemps je me suis attachée, en sillonnant ces lieux, à ne voir que son actuelle fonction : celle d’accueillir des jeunes personnes étudiantes. Mais après cette confé-rence, j’ai voulu connaître le passé de ces murs. Cette mémoire par strates successives émerge lorsque Laurent Pichaud mime les gestes d’un archéologue en train de recher-cher la trace d’une vie passée. Qu’est-ce qui fait vivre les lieux ? Qu’est-ce qui les compose outre un sol, des murs, un plafond et des fenêtres ? Qu’est-ce qu’ils marquent

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d’une présence/absence des corps (décors aussi) ?

Au moyen-âge, la terre sur laquelle ont été construits les bâti-ments abritait un cimetière israélite. En 1867, ils sont créés pour être un nouveau séminaire diocésain, un petit séminaire, dévolu à l’appren-tissage. En 1907, ils servent à loger le régiment d’infanterie. Durant la première guerre mondiale, ils deviennent un hôpital complé-mentaire. En 40, ils accueillent des élèves de l’école principale du ser-vice de santé de la Marine. Et en 43 et 44, la milice s’y installe avec les familles. Des résistants y sont interrogés, torturés ou assassinés. En 45, les bâtiments redeviennent hôpital complémentaire où les pri-sonniers d’Allemagne sont rapatriés et accueillis. Aujourd’hui, ils ont été transformés en internat. Son stade, à côté, a été construit sur un ancien cimetière de religieuses. Ces bâti-ments ont donc endossé plusieurs fonctions au fil des siècles, aux antipodes les unes des autres mais toujours liées à l’enseignement ou à des moments clé de la vie.

Quant à l’école des beaux-arts, elle a vu par son implantation et la dénomination du quartier et de ses rues adjacentes, une succession d’appellations assez significatives : quartier des abattoirs et, pour l’ancien bâtiment de l’école, rue du marché aux bestiaux – tou-jours dans le même périmètre de vie, d’action et de culture.

Actuellement, l’ ESBAMA est rue Yehudi Menuhin… une réhabili-tation en quelques sortes. J’écoute cette conférence à l’internat en me projetant dans la galerie de l’école, puis chez moi en superposant les deux lieux d’enseignement. Mes différentes déambulations dans ces espaces, associées à ma mémoire des lieux créent des associations et des assemblages.

Ce qui fait le lieu, sa marque, c’est son histoire, les traces phy-siques de ce qui a été, de ce que les murs ont abrité. C’est l’histoire de Simonide de Céos dans L’Objet du siècle de Gérard Wajcman, un homme qui échappe de justesse à un tremblement de terre lors d’un banquet et qui peut reconnaître ses amis défigurés et les désigner grâce aux ruines, aux débris d’objets, res-tés là, emplis de traces mémorielles qui permettent, lors de la recons-titution mentale de Simonide de remettre chaque convive à sa place.

Amandine Contat

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La skéné : prise de conscience que nous sommes ici et maintenant. C’est le temps de la réflexion du spectateur sur lui-même, moment où celui-ci est invité à circons-crire son espace et à en percevoir les strates qui le composent. Ces strates sont temporelles, politiques, sociales, religieuses, historiques. Autant de caractéristiques qui vont nous guider dans la perception du spectacle qui est en train de se dérouler.

Pour préciser mon propos je souhaiterais m’appuyer sur deux expériences qui illustrent mon rapport à la Skéné. Dans un pre-mier temps, j’aimerais parler d’un spectacle vu le 19 février 2013 au Centre National Chorégraphique de Montpellier (CCN), puis dans un second temps, je traiterai d’une conférence performative présentée au sein de l’Ecole des beaux-arts de Montpellier le 21 février 2013.

Il est 20 h, je vais au CCN pour voir le spectacle (M)imosa / Twenty Looks or Paris is Burning at the Judson Church, une représentation développée autour du voguing, discipline urbaine apparue dans les années 80 faisant référence au défilé de mode et aux danses de rue, et de reconnaissance pratiquées dans un clan, une bande ou une commu-nauté. Le spectacle – deux heures de représentation – se présente dans un format plutôt conventionnel, et se déroule dans l’espace institution-nel qu’est le centre chorégraphique

de Montpellier. Les danseurs sont sur scène et le public, assis sur les gradins. Cependant, en dehors du cadre classique de cette représenta-tion, je fais l’expérience d’une Skéné particulière. Lorsque les lumières indiquent le début du spectacle, ma voisine de droite se lève et entre en scène. Elle improvise une frénésie de gestes sur une musique répétitive et électronique. Durant ces déclinai-sons de mouvements compulsifs je regarde Marlène Monteiro Freitas qui entre au fur et à mesure dans la peau d’une junkie new-yorkaise, puis dans celle d’une carioca dan-sant une samba désaxée, puis en prêtresse antique en plein rituel et pour finir, en patiente hystérique du docteur Charcot. Face à ce déroulement étonnant, j’imagine, je cherche, je réfléchis et je pars à New York, Rio, Athènes et Paris, traver-sant les âges et restant conscient que je suis ici et maintenant au sein de cette représentation.

Le spectacle (M)imosa m’invite à appréhender la Skéné de façon originale. Prenons comme point de départ sa définition antique qui comporte deux points essentiels. Le premier est le suivant : la Skéné est un abri sommaire formé d’une toile et de quatre piquets se situant au fond de la scène. On y déposait matériaux, outils, table rudimen-taire avec projets, dessins, tracés, etc. Par dérivation, la skéné est devenue scène car le mur du fond de scène formé par la cabane a créé

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l’angle avec le plateau pour dessiner un cadrage et un autre espace, celui du décor peint.

Ainsi (M)imosa propose aux spectateurs la fusion de ces deux espaces – la Skéné antique et la scène des comédiens – grâce à la mise en valeur d’une scénographie poreuse autour du décor et de la relation danseur/spectateur ou encore de la notion de coulisses et de ce que l’on cache habituellement au regardeur. (M)imosa invite à la mise à distance de ce que nous voyons et ce que nous ressentons, entre la mise à nue d’une scéno-graphie simple et dépouillée et la capacité des danseurs à entrer avec brio dans les personnages qu’ils incarnent. Ainsi dans un sens resserré je venais d’appréhender véritablement cette notion antique de Skéné qui se révélait être cette cabane – ou abri sommaire – dans laquelle une partie du spectacle se joue comme la préparation des comédiens, des décors, et les say-nètes en aparté. Mon esprit était invité à ressentir ces passages de la scène à la Skéné métaphorique-ment présente, nous impliquant dans un travail d’imagination et de recadrage perpétuel sur ce qu’est la notion de scène, et ce que nous dési-rons projeter au cœur de celle-là ; ainsi je n’ai pas boudé mon plaisir.

Deux jours plus tard, j’assistais à une conférence performative pro-posée par Julie Perrin – critique et maître de conférence à Paris 8,

Anne Volvey – auteur et maître de conférence en géographie, et Laurent Pichaud – artiste cho-régraphe, enseignant au CCN de Montpellier. Cette intervention s’ef-fectuait dans l’espace de la galerie des Beaux-Arts. Après le spectacle rodé et séducteur aux rouages biens huilés de (M)imosa, j’étais face à une forme plus fragile et plus expérimentale de la Skéné. Les deux chercheuses nous ont invités à expérimenter physiquement l’espace grâce à divers exercices de sugges-tions. J’étais en désaccord avec ce déroulement expérimental car nous étions dans une forme littérale de cette recherche de la Skéné. Ainsi, dans ce dispositif, je me mettais en résistance, me sentant dirigé physi-quement et mentalement vers une approche un peu trop participative de la Skéné à mon goût.

Cependant, appréciée ou non, cette proposition fut le point de départ de ma réflexion du/sur le spectateur actif/passif, et sur la capacité à appréhender le travail de la scène au sens le plus large possible. Lorsque nous étions dans la galerie, notre corps et notre esprit étaient au travail mais mal-gré tout, je suis resté dans l’état du spectateur passif, car tout était dit ! Pourtant ce fut l’occasion d’ap-prendre en rédigeant cette critique, que l’espace de la Skéné pouvait être plus large que je ne le pensais et qu’il fallait absolument le circons-crire, ou tout au moins en prendre

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conscience. J’ai pu mettre cela en valeur en cherchant à m’échapper de cette littéralité et en m’appuyant non pas sur l’espace de la scène que nous venions d’expérimenter mais en réfléchissant sur le pourquoi de cet événement ? Agir et établir une scène en dehors des institu-tions conventionnelles entraîne en effet de facto de multiples ques-tions sur la volonté artistique des protagonistes à être hors les murs et sur leurs projets politiques et esthétiques. Ils s’engagent dans des rapports de pouvoirs, de commu-nications, pour servir une véritable vision artistique qui peut entrer en accord ou en désaccord selon les sensibilités de chacun. Ainsi face à cette littéralité de la Skéné, j’ai commencé à chercher après coup, là où les suggestions des chercheuses n’ont pas été soumises, comme le lieu choisi (soit la galerie), les liens professionnels avec l’école de Montpellier, l’intérêt de vouloir venir prendre parole dans une école d’art, ou encore les recherches qu’elles ont pu développer avant de venir. Autant de questions qui m’ont entraîné vers une autre approche de la Skéné, à la fois politique et fragile qui a pu ouvrir un autre champ de recherches qui n’a pas été évoqué dans le spectacle (M)imosa : celui d’une affirmation politique et engagée.

Pour clore ces deux approches de la Skéné je dirais que le format de la conférence a tenté de circonscrire

physiquement et formellement la Skéné. Cependant cela ne peut m’être imposé extérieurement par cette forme trop abrupte dans le but de me faire prendre conscience de la Skéné. C’est, en effet, une réflexion que je dois mener per-sonnellement. Ainsi, suggérer et faire chercher les limites de la Skéné est selon moi une opération vaine, car seul le spectateur doit pouvoir les expérimenter physi-quement ou mentalement, afin que celui-ci puisse prendre du plaisir à l’événement auquel il participe, en prenant part à la réflexion. Ainsi l’espace restreint de la Skéné pro-posé par (M)imosa fut une occasion importante pour le spectateur d’en expérimenter l’approche et ses transformations, sans oublier toutefois que la mise en scène et le spectacle sont rejoués et modi-fiés à chaque représentation et que celui-ci s’inscrit dans une démarche volontairement impliquée autour de ces questions d’espaces.

Adrien Blondel

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Scène I int. jour (fin de journée)GALERIE DE L’ ESBAMA

3 protagonistes principaux : Laurent Pichaud, chorégraphe ;

Julie Perrin, théoricienne de la danse ;

Anne Volney, géographe. De nombreux figurants

Il fait assez froid et la lumière com­mence à se faire rare. La salle se remplit peu à peu. L., J. et A. sont dispersés parmi le public. Irritations et protestations en tous genres des figurants se font déjà sentir quant au manque d’assises quelconques prévues pour l’occasion. Ces sursauts de mécontentements ne passent pas inaperçus, ils emplissent la salle et lui confèrent une ambiance assez

délétère. J. s’approprie les médi­sances de certains et les propose en tant qu’introduction à une prose semi­récitée sommant les figurants de réfléchir quant à l’espace qu’ils occupent.

Figurante 325 – Porte une robe courte à fleurs ; ses collants sont troués. Lance son sac au sol. Elle s’assoit négligemment en tailleur ; ne se rend pas compte que l’on voit sa culotte.

Figurant 26 – Habillé d’une tenue claire ; un pantalon beige ; neuf. Il cherche son équilibre ; semi-assis/semi-accroupi. Son pantalon est trop petit.

Figurante 198 – Veste en jean ; pantalon en jean. Cheveux

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courts ; cernes voyants ; sourcils brossés vers le haut. Elle s’al-longe sans soucis au sol.

Figurante 06 – Très grande et mince ; les cheveux longs ; vêtue de noir. Appuyée contre un mur, elle ne cesse de rouler des yeux.

Figurante 112 – Petite ; blonde ; les yeux maquillés. Elle oublie sa veste. Fera des allers-retours supplémentaires.

Figurant 84 – Les cheveux gri-sonnants, appuyé au mur à la manière d’un mannequin sorti tout droit d’un magazine de mode désuet, tient sa veste sur son épaule.

Figurant 12 – Il a réussi à agrip-per une chaise. Une parka vert kaki sur le dossier ; il épie les moindres sons et mouvements de ses yeux pointus.

Figurante 222 – Une frange qui tombe jusqu’au nez. Un gros manteau ; un sac sur chaque épaule ; elle regarde autour d’elle. Elle ne restera pas longtemps.

J., L. et A. introduisent leurs propos. Les figurants fourmillent encore : des retardataires arrivent ; d’autres s’empressent de quitter les lieux. On les voit partir à travers la baie vitrée. L. propose un exercice. La masse de figurants sort de la salle. Elle reste vide un moment. Tous rentrent d’une démarche lente. 50 % des figurants traînent des pieds ; 20 % regardent leur portable ; 30 % discutent entre eux. Plusieurs

mouvements de sortie et rentrée du groupe. À chaque déplacement, le groupe perd un ou deux figurants.

Scène II ext. jour (fin de journée)PARVIS DE L’ ESBAMA

Allers­retours visuels et auditifs entre la baie vitrée et les rues extérieures. On aperçoit les affaires personnelles des figurants laissées à l’intérieur de la salle. L. exécute quelques mou­vements de danse puis s’affaire à mettre en scène un champ de fouille (filet orange fluo, piquets, mètre dérouleur, etc.). J. et A. lancent une micro­enquête sur les lieux entou­rant l’ ESBAMA. 15 % des figurants y participent ; 60 % regardent L. à travers la baie vitrée ; 17 % discutent entre eux ; 5 % regardent leur por­table ; 3 % s’en vont.

Figurant 28 - Une veste noire avec une capuche en fourrure, il regarde les taches de peintures sur le sol.

Figurant 65 - Très grand ; vêtu de noir ; lunettes, chapeau foncé. Fait une blague sur une crotte de chien qui se trouve à ses pieds.

Figurante 123 – Cheveux blonds attachés ; grosses lunettes de vue. Le soleil couchant se reflète sur ses cheveux ; elle suit des yeux les moindres mouvements de L.

Figurante 325 – Une veste trop légère sur sa robe ; elle tortille des jambes pour se réchauffer. Elle évite volontairement et

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grossièrement le questionnaire de J. et A. Elle espère secrètement que L. va faire jaillir un extinc-teur sur la baie vitrée à travers laquelle elle le regarde.

Figurantes 333, 47 et 98 – L’air assez jeune ; l’une d’entre elles a les sourcils très broussailleux. Répondent avec enthousiasme et sincérité au questionnaire de J. et A.

Figurante 112 – Frissonne ; elle retourne chercher sa veste à l’in-térieur de la salle.

Figurante 06 – Curieuse ; elle seule ose retourner à l’intérieur de la galerie pour observer les mouvements de L. de plus près.

Figurante 35 – Cheveux coiffés en épi ; lâche immédiatement un sarcasme sur la figurante 06.

Figurant 26 – Veste bleue fon-cée ; observe L. d’un œil distrait ; replace sa mèche de cheveux grâce à son reflet dans la vitre.

Figurant 02 – Chemise à carreaux verte et bleue ; son ventre gar-gouille. Il hausse les épaules et quitte le parvis. Plus tard, il met-tra une pizza au micro-onde qu’il mangera beaucoup trop chaude.

Scène III int. nuitAPPARTEMENT DE

FIGURANT 02

On le voit retourner à son domicile sous la lumière des lampadaires ; son sac à bandoulière saute à chaque enjambée.

La clé tourne dans la serrure, il s’installe sur son canapé. Il y a déjà un creux à l’endroit où il a pour habitude de s’installer. Il se délecte de ne pas avoir à se poser la ques-tion / à se demander où poser son corps ; un sourire serein s’incruste sur son visage. Son corps, il préfère l’oublier. Lui, tout ce qu’il veut, c’est s’enfoncer dans son coussin.

Anaïs Guiraud

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Une fois passée la surprise liée à la forme expérimentale de cette confé-rence, nous écoutons Julie Perrin nous décrire l’espace dans lequel nous sommes réunis, galerie de l’école, lieu d’exposition et de repré-sentation, depuis peu auditorium en cas de conférences, anciennement lieu de passage de diplômes. Sa voix est douce et monocorde, ses descriptions-suggestions sont entre-coupées de longs silences et dès les premières minutes sur ce ton yogi, des réactions multiples et contradic-toires commencent à me travailler. Nous revenons à cette question fondamentale : comment regarder un espace environnant et habité qui nous est familier ? Comment laver le regard ?

Pendant que je rumine, les des-criptions continuent, les spectateurs observent des détails relevés, mon-trés à voir. Mais moi je le connais cet espace ! Je l’ai habité, je l’ai expérimenté à de nombreuses reprises. La conscientisation de l’es-pace relève-t-elle d’une observation attentive, scrupuleuse et métho-dique ou d’une connaissance intime découlant de l’expérience déroulée dans le temps ?

La conscience que j’ai de ce lieu est indissociable de mon histoire avec cet espace. Cette réflexion sommaire m’évoque instantanément Julien Gracq et la nouvelle topologie qu’il établit dans son livre La Forme d’une ville, une topologie organisée

selon le vécu et la mémoire. C’est comme ça, assise par terre, bercée par la voix de Julie Perrin que j’ai commencé à repenser à mon his-toire personnelle et à me remémorer mes multiples rencontres avec cet espace. Et voilà le lieu réel devient un tremplin pour l’imaginaire, et les souvenirs font surface.

Pour une publication précé-dente, j’ai réalisé un dessin-plan de la galerie (mettant en évidence mon souvenir des positionnements des artistes actant ce soir-là). Justement, quelqu’un me distribue le vrai plan et me fait sortir de mes pensées : mes approximations de dimensions sont vraiment voisines de la réalité, les proportions de mon dessin sont cohérentes avec le docu-ment que l’on vient de me fournir ; je commence à avoir l’œil.

Ma première rencontre avec la galerie, enfin celle que ma mémoire classe en première position, était un vendredi de 2008. Tous les élèves de première année étaient présents pour une initiation au judo. Nous étions en chaussettes, le sol y est très glissant. Puis je pense à Anne, aux deux murs peints de larges bandes jaunes qui allaient du pla-fond jusqu’au sol en recouvrant les plinthes, lors de son diplôme. Je regarde les murs d’Anne que j’avais peints avec beaucoup d’application et de respect pour mon aînée. Anne n’est plus mais ses murs sont tou-jours jaunes.

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C’est juste devant, en surim-pression, qu’il y a la caravane de Malaki. Cette fois on est dans l’obs-curité, les objets s’animent et sont bruyants. Le mirador dans l’entrée en impose, il a l’air plus massif dans le noir ; l’obscurité gomme les dimensions réelles du lieu. En réalité, il frôle le plafond, ce qui a ralenti sa construction et posé des problèmes de montage. Passage en pleine lumière : Soo perchée en haut de ce mirador me dit qu’elle n’a vraiment pas le temps pour une pause ! Et finalement, c’est la pre-mière fois que je superpose ainsi et là, dans ce lieu, les temporalités d’expériences vécues dans la galerie. Sous mon regard, aujourd’hui, dans l’expérience de cette temporalité, ce flash-back momentané a fait coha-biter en un instant dans cet espace : des canaris et une Renault 21, une caravane et des bottes qui chantent, mon prof d’histoire de l’art pieds nus et sans lunettes, des artistes en action et des petites mains au mon-tage, la jet-set de l’art contemporain et d’anonymes visiteurs.

Hier et maintenant, ces diffé-rentes temporalités se sédimentent en un feuilleté d’impressions qui donnent une épaisseur à ma mémoire et enrichissent mon regard.

Floriana Marty

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À Penly, le 4 mai 2013

Je suis descendue d’un bus au milieu d’une grande route malgré les nombreuses voitures qui pas-saient à toute vitesse. J’ai marché sur la route et ensuite, j’ai traversé des champs d’herbe. Je marchais à côté de la mer contre le vent, en écoutant la voix des mouettes.

Je suis arrivée dans un village bien arrangé et propre. Je voyais beaucoup de nouvelles maisons. Elles sont presque toutes iden-tiques. Il y avait un panneau écrit

« résidence » à l’entrée de chaque quartier. Deux hommes habillés en uniforme bleu foncé sont sortis. Ils ont fixé leurs yeux sur moi en mar-chant. Alors j’ai dit bonjour, mais ils m’ont ignoré et sont partis.

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Silhouette

Faire une pièce sur et avec les mouvements du corps.

L’idée est de dessiner le corps (en l’occurrence le mien) dans sa relation avec le lieu grâce à du Scotch. Je cherche à comprendre comment le corps entre en interac-tion avec l’espace et le lieu, et à faire trace de ces actes

Répéter.Je répète ces possibilités lors de

plusieurs séances de recherches sur la position de mon corps dans l’es-pace de la salle pour me dessiner avec du Scotch, comme une manière de m’exprimer.

Explorer.J’explore la relation de mon corps

avec le lieu, le positionnement du Scotch en fonction du mouvement du corps.

Déplacer, placer, situer.Je me déplace doucement et

je répète cette action à plusieurs endroits, j’investis plusieurs places : sur le sol, sur la vitre, sur le mur.

Synchroniser.Dans chaque situation, il y a

des mouvements, des vitesses, des rythmes, des gestes différents. Le Scotch suit mon corps avec le rythme de l’intérieur comme si je dessinais un personnage sur papier.

Faire empreinte.Le Scotch donne naissance à un

nouvel objet, une silhouette qui a pris forme par le mouvement, le geste, le sentiment et aussi le bruit du déroulement. J’entends la circu-lation à l’intérieur, j’ai l’impression que je tire quelque chose d’im-matériel de mon corps qui donne naissance à une empreinte sur les lieux.

Le corps dans l’espace passe de trois dimensions à deux dimensions : sur le plan du lieu il ne reste qu’une silhouette. « Cela a été ». Une chose s’est passée et dans le présent, un peu de sa substance reste pour devenir une trace de délimitation entre moi et l’espace en réaction. Je suis comme un témoignage de moi-même. L’image projetée sur le sol se situe à la limite entre le corps dynamique et l’espace statique, entre le fragile et le solide. La sil-houette fabrique une relation entre mon corps et le sol et crée ainsi un environnement sensoriel, reflet de lui-même grâce au bruit de Scotch. Cela permet de connecter ensemble le déroulement spatio-temporel, le geste, le parcours.

Le geste présente et trace ma propre énergie et chaque séance se rejoue comme un passage de ma propre écriture, comme une histoire intime. Comme le dessinateur, je me retrouve dans la situation du dessin ce qui consiste à saisir l’équi-libre entre le plein et le vide, entre

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l’intérieur et l’extérieur, entre l’ar-tiste et le public.

Cette expérimentation se pré-sente comme un jeu d’écriture pour lui-même et pour jouer ce qui se passe à l’intérieur de notre propre corps, pour rentrer dans la mémoire subtile, dans le mouvement, dans le sentiment. C’est le corps qui parle.

Le travail avec le corps soulève des inquiétudes, de l’intérêt et de l’étrangeté à la fois. Par cet exer-cice j’ai l’impression de devenir une autre, je me concentre, je ressens le temps qui passe autour de moi, j’entends les mouvements. Je suis là et je ne suis pas là. Pour ma part, le regard du spectateur me touche, c’est un regard qui n’est pas comme d’habitude, il y a une tension entre

moi et les spectateurs comme s’il n’y avait pas de distance. Mon regard est concentré sur mon corps sans poser de questions, tout est dans la scène et dans le jeu d’ensemble. Par les silhouettes je ressens la limite du corps dans l’espace ; au delà des silhouettes c’est une libération du corps et de l’esprit. Alors je me rends compte que cette expérience est une recherche du désir du corps, il amène vers la rencontre dans une autre langue d’expression : celle du corps.

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Selon Jean-Marc Bustamante, « Something is missing ».

L’architecte anglo-irakienne Zaha Hadid a atteint les sommets

de la reconnaissance en recevant le prix Pritzker en 2004.

En 2006, elle remporte le projet Betile à Cagliari pour la construction d’un musée

d’arts nuragique et contemporain, les travaux n’ont jamais commencé.

Selon Jean-Marc Bustamante, « Something is missing ».

Chloé Richez

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Les espaces du souvenir

Les musées sont par excellence des lieux où se concentrent plusieurs espaces et temporalités hétérogènes. Foucault l’inscrit parmi les hétérotopies, ces « lieux autres », localisations physiques d’utopies. Ce sont des espaces concrets qui hébergent l’imaginaire.

Le musée Henri-Prades à Lattes propose la réactivation d’un passé antique, en passant par la reconstitution historique. Le visiteur est amené à marcher sur des ruines et par sa vision, reconstruire ce qui est absent.

La visite résulte donc à la fois d’un déplacement physique et visuel, et d’une extrapolation mentale de type virtuel. En marchant à travers les ruines, on reconstitue un passé imaginé. Les vestiges archéologiques sont alors comme des souvenirs dévoilés après le retrait de la marée.

Visiter, traditionnellement, est assuré également par la médiation de la parole, celle du guide-interprète. En détournant la visite-guidée institutionnelle et en utilisant les outils mis à disposition par le musée que sont les audiophones, j’ai cherché à offrir au visiteur la possibilité de cheminer sur un autre espace : l’espace constitué par ses propres souvenirs de lieux oubliés. Des ruines intimes de sa propre mémoire. Le discours informatif ou explicatif a cédé à une

divagation poétique, faite de bribes de souvenirs. Ces souvenirs tiennent lieu de vestiges que le visiteur est amené à découvrir par une fouille invisible, un creusement progressif dans les strates de son passé.

Le médiateur n’est alors plus celui d’un guide qui montre et indique, mais celui d’un corpus de voix faisant voir des espaces absents. C’est l’oreille qui se fait voyante et la bouche qui voit : « La bouche voit et l’œil entend » pour reprendre les termes de J-F Lyotard dans Discours, Figures.

Sur le site rien d’anormal en apparence, on marche entre les ruines, sur un terrain plat, jonché de pierres délimitant l’ancienne présence de demeures. Si une scène se crée à ce moment-là, elle n’est pas visible à l’œil de l’observateur, elle se monte dans un espace intérieur, l’espace mental de celui qui écoute. Et si elle se mesure, c’est en temps de remémoration et non plus en terme de superficie spatiale.

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DUPÉRIMÈTRESCÉNIQUE

EN ART :RE PENSERLA SKÉNÉ?

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FAIRE AVEC L’ESPACE OU FAIRE JOUER LE «TOURNANT SPATIAL» EN ARTANNE VOLVEY, JULIE PERRIN ET LAURENT PICHAUD 

1 EN PRÉAMBULE

2 LE TOURNANT SPATIAL DE L’ESBAMA Gérard Mayen

6 FAIRE AVEC L’ESPACE OU FAIRE JOUER LE « TOURNANT SPATIAL » EN ART Anne Volvey, Julie Perrin et Laurent Pichaud 

PLATEforme30 Amandine Contat32 Adrien Blondel36 Anaïs Guiraud40 Floriana Marty43 Amandine Contat44 Kyoko Kasuya45 Van Nguyen47 Chloé Richez48 Ini Lee49 Marilina Prigent 50 Eun-Kyung Lee51 Morgane Lagorce52 Jimmy Richer

LESCAHIERSSKÉNÉ

École Supérieure desBeaux-Arts de Montpellier

Agglomération130, rue Yehudi Menuhin

34000 Montpellier

Cette publication a été éditéepar l’ESBAMA dans le cadre

du groupe de recherche :

DU PÉRIMÈTRESCÉNIQUE EN ART :

RE/PENSER LA SKÉNÉ?

Directeur généralPhilippe Reitz

Directeur de la publicationChristian Gaussen

Rédactrices en chefJoëlle Gay, Corine Girieud

et Claude Sarthou

Comité de rédactionVirginie Lauvergne,

Michel Martin,Martine Morel,Annie Tolleter

Conception graphiqueChristian Bouyjou

Impression et façonnageIn-octo Montpellier

PLATEforme

Amandine Contat est étudiante de 4e année à l’ESBAMA

Adrien Blondel est étudiant de 5e année à l’ESBAMA

Anaïs Guiraud est étudiante de 4e année à l’ESBAMA

Floriana Marty est étudiante de 5e année à l’ESBAMA

Amandine Contat est étudiante de 4e année à l’ESBAMA

Kyoko Kasuya est étudiante de 5e année à l’ESBAMA

Van Nguyen est étudiante de 4e année à l’ESBAMA

Chloé Richez est étudiante de 4e année à l’ESBAMA

Ini Lee est étudiante de 5e année à l’ESBAMA

Marilina Prigent est étudiante de 5e année à l’ESBAMA

Eun-Kyung Lee est étudiante de 4e année à l’ESBAMA

Morgane Lagorce est étudiante de 4e année à l’ESBAMA

Jimmy Richer est étudiant de 4e année à l’ESBAMA