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La diplomatie féministe D’un slogan mobilisateur à une véritable dynamique de changement ? Rapport n°2020-09-22 DIPLO-44 publié le 4 novembre 2020 Brigitte GRÉSY, Présidente du Haut Conseil à l’Égalité entre les femmes et les hommes Martine STORTI, Présidente de la commission « Enjeux européens et internationaux » Cléa LE CARDEUR, Commissaire aux affaires internationales, Rapporteuse Coline REAL et Anaëlle SCHIMBERG, Stagiaires

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La diplomatie féministe D’un slogan mobilisateur à une véritable

dynamique de changement ?

Rapport n°2020-09-22 DIPLO-44 publié le 4 novembre 2020

Brigitte GRÉSY, Présidente du Haut Conseil à l’Égalité entre les femmes et les hommesMartine STORTI, Présidente de la commission « Enjeux européens et internationaux »

Cléa LE CARDEUR, Commissaire aux affaires internationales, RapporteuseColine REAL et Anaëlle SCHIMBERG, Stagiaires

HCE - La diplomatie féministe - D’un slogan mobilisateur à une véritable dynamique de changement ?

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SOMMAIRELISTE DES ACRONYMES . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .3

SYNTHÈSE . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .5

RECOMMANDATIONS . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .9

INTRODUCTION . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 14

I – La « diplomatie féministe » : un cadrage conceptuel difficile et exigeant . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .16

1. Les pays précurseurs (Suède, Canada) : des engagements divers en matière de politique étrangère féministe . . . . . . . . . . . . 16

1-1 La politique étrangère féministe de la Suède . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .16

1-2 La politique d’aide internationale féministe du Canada . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .18

2. La diplomatie féministe de la France : une approche pragmatique et évolutive . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 19

3. La nécessité d’un cadrage conceptuel et méthodologique pour la mise en œuvre de la diplomatie féministe de la France . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 27

3-1 Deux objectifs fondateurs . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 27

3-2 Le périmètre et la méthode d’une diplomatie féministe : une intégration transversale du genre dans tous les domaines de la politique étrangère. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 28

3-3 Proposition de définition d’une diplomatie féministe retenue par le HCE . . . . . . . . . . 30

II – La mise en œuvre de la diplomatie féministe de la France : entre avancées et résistances . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .31

1. Quatre éléments d’un bilan contrasté . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 31

1-1 Un plaidoyer renforcé mais une irrigation insuffisante dans les différents domaines de la politique étrangère de la France . . . . . . . . . . . . . . .31

a) Un plaidoyer international renforcé en faveur des droits des femmes . . . . . . . . . . . . . 31b) Une priorité insuffisamment assumée et une diplomatie encore trop sectorielle . . .34

1-2 Une organisation administrative française qui doit renforcer ses modalités de pilotage et de redevabilité . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 35

a) Une première étape : la Stratégie internationale pour l’égalité entre les femmes et les hommes . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .35

b) Une inscription insuffisante de la diplomatie féministe dans l’organisation administrative française . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .36

c) Une implication encore inégale de l’ensemble des acteurs publics concernés (État, collectivités territoriales) . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .37

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1-3 Des moyens humains et financiers qui ne sont pas à la hauteur des enjeux . . . . . . . . . 39

a) Des ressources humaines insuffisantes au service de la diplomatie féministe . . . . . . .39b) Des financements difficiles à évaluer précisément . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 41

1-4 Une diplomatie féministe qui se conçoit encore trop largement sans les femmes . . . 45

a) Une parité inexistante dans la diplomatie française . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .45b) Un soutien trop faible aux mouvements féministes . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .45

2. Un état des lieux contrasté selon les différents axes d’intervention . . . . . . . . . . . . 46

2-1 Aide Publique au Développement : Faire de l’approche féministe une composante structurante de l’APD . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 47

2-2 Politique de défense et sécurité : Réaliser l’agenda Femmes, Paix et Sécurité . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 50

2-3 Politique commerciale : Intégrer le genre . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . 55

REMERCIEMENTS . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .59

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LISTE DES ACRONYMESADF : Assemblée des Départements de France

AEFE : Agence pour l’enseignement français à l’étranger

AF : Atout France

AFD : Agence Française de Développement

AGNU : Assemblée Générale des Nations Unies

AID : Association Internationale de Développement

AMF : Association des Maires de France

APD : Aide Publique au Développement

BAD : Banque Africaine de Développement

BF : Business France

CAD : Comité d’Aide au Développement de l’OCDE

CF : Campus France

CCNUCC : Convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques

CEDEF : Convention sur l’Elimination de toutes les formes de Discrimination à l’Egard des Femmes

CDFF : Conseil pour la diplomatie féministe française

CFI : Agence française de développement médias

CGCT : Code général des collectivités territoriales

CIPD : Conférence Internationale pour la Population et le Développement

CIRAD : Centre de coopération internationale en recherche agronomique pour le développement

COCAC : Conseiller .e de Coopération et d’Action culturelle

CNCD : Commission Nationale de la Coopération Décentralisée

CSW : Commission sur le Statut des Femmes

DAECT : Délégation pour l’Action Extérieure des Collectivités Territoriales

DGT : Direction Générale du Trésor (ministère de l’Économie et des Finances)

DPT : Document de politique Transversale

DSSR : Droits et santé sexuels et reproductifs

EF : Expertise France

FAD : Fonds africain de développement

FMI : Fonds Monétaire International

FMM : France Médias Monde

FNUAP : Fonds des Nations Unies pour la Population

FSPI : Fonds de Solidarité Prioritaire pour les Projets innovants

FV : France Volontaires

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GAP : Plan d’action Genre de l’UE

ICRW : International Center for Research on Women (Centre international de recherche sur les femmes)

IF : Institut français

IRD : Institut de recherche pour le développement

LEGAD : Conseiller .e juridique en opération (Ministère des Armées)

MEAE : Ministère de l’Europe et des Affaires étrangères

OCDE : Organisation de Coopération et de Développement Economiques

ODD : Objectif de Développement Durable

OMC : Organisation Mondiale du Commerce

ONU : Organisation des Nations Unies

ONG : Organisation non gouvernementale

OSI : Organisation de solidarité internationale

OTAN : Organisation du Traité de l’Atlantique Nord

PIB : Produit intérieur brut

PLF : Projet de loi de finances

PME : Petite ou moyenne entreprise

RFI : Radio France International

RP : Représentation permanente

SGNU : Secrétaire Général des Nations Unies

UE : Union Européenne

UNESCO : Organisation des Nations unies pour l’Education, la Science et la Culture

UNICEF : Fonds des Nations unies pour l’enfance

UNGEI : United Nations Girls’ Education Initiative (Initiative des Nations Unies pour l’éducation des filles)

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SYNTHÈSELa France a recours, depuis mars 2018, à l’expression « diplomatie féministe » lorsqu’elle évoque ses actions en termes de politique étrangère . Le HCE, mandaté expressément pour évaluer la stratégie internationale pour l’égalité entre les femmes et les hommes (2018-2022), feuille de route de la politique étrangère française en matière d’égalité, a donc estimé nécessaire de s’interroger au préalable sur cette notion à la charge symbolique forte, et sur sa mobilisation par la France . S’agit-il d’un simple jeu de langage, et donc d’un enjeu de communication ou bien d’une prise de conscience au plus haut niveau de l’importance d’intégrer l’égalité dans la politique étrangère de la France et donc d’une avancée majeure ?

Le HCE, dans ce rapport, pose les éléments d’une définition de ce concept novateur, établit un premier état des lieux de la diplomatie féministe à la française et formule 19 recommandations destinées à renforcer son cadre et sa mise en œuvre dans ses différents axes d’intervention .

La diplomatie féministe : une formule novatrice, un cadrage conceptuel exigeant

En utilisant l’expression de « diplomatie féministe » en 2018, la France rejoint le petit nombre de pays qui affichent une diplomatie féministe ou une politique étrangère féministe : la Suède depuis 2014 et le Canada depuis 2017, rejoints par le Mexique depuis janvier 2020 .

Il n’existe aucun texte adopté au plan international qui définisse ce concept et la référence au féminisme et son introduction dans le champ de la politique étrangère est nouvelle . Sa compréhension est à ce stade flexible et variable selon les États .

A la différence de la Suède, la France n’a pas formulé de cadrage théorique et privilégie une approche pragmatique et évolutive . Portée par l’engagement présidentiel de faire de l’égalité femmes-hommes la « grande cause du quinquennat », elle utilise le terme mobilisateur de diplomatie féministe pour défendre les droits des femmes dans un contexte international de remise en cause de ces droits, en particulier des droits sexuels et reproductifs . En dépit d’une ambition globale, le périmètre d’action de la diplomatie féministe française est néanmoins restreint : centré principalement autour de la diplomatie stricto sensu et de l’aide publique au développement, il n’inclut pas, à la différence de la Suède ou du Canada, l’entièreté des domaines de la politique étrangère et notamment la politique de défense et sécurité et la politique commerciale .

Cette formule novatrice rencontre encore des résistances parmi les acteurs et actrices de la politique étrangère française, liées à la mobilisation du terme « féministe » et il conviendrait, afin de recueillir une adhésion plus large, de définir précisément l’expression et de continuer à expliciter ses exigences et ses critères .

Une proposition de cadrage et de définition par le HCE qui vise une approche transformative

Le HCE, se fondant sur les auditions d’acteurs et d’actrices relevant des domaines institutionnels, associatifs ou de la recherche et sur les expériences suédoises et canadiennes, retient deux objectifs principaux : la promotion d’un féminisme universel contre toutes les formes de relativisme, qu’il soit religieux, culturel ou politique ainsi que la transformation des rapports de pouvoir (abolition du système patriarcal) . A cette fin, mener une diplomatie féministe nécessite d’adopter une approche intégrée de l’égalité entre les femmes et les hommes qui s’applique à tous les domaines de la politique étrangère - diplomatie stricto-sensu, aide publique au développement, défense et sécurité, commerce, environnement, culture… - et à toutes ses étapes (préparation, mise en œuvre, évaluation) .

Pour le HCE, la diplomatie féministe repose ainsi sur six principes fondamentaux, en reprenant à son compte les trois premiers principes posés par la Suède :

1 / Les droits : Placer la liberté, les droits des femmes et l’égalité entre les femmes et les hommes au cœur de l’action extérieure ;

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2/ La représentation des femmes : Assurer la pleine participation des femmes (personnels de l’État et mouvements féministes) à la co-construction et à la mise en œuvre de la diplomatie féministe ;

3 / Les ressources : Mobiliser des ressources conséquentes et pérennes, à la hauteur de l’enjeu et des ambitions .

Le HCE y ajoute également les trois principes suivants :

4/ Une approche transformative qui vise à modifier de manière durable et à abolir les structures inégalitaires du pouvoir patriarcal et qui s’inscrit dans la durée ;

5/ Une organisation institutionnelle dédiée et pérenne, qui permette d’assurer une coordination et une mise en cohérence des politiques menées et qui inclut un système de redevabilité ;

6/ L’affirmation d’une solidarité internationale avec les femmes en lutte pour leurs droits et leurs libertés .

Le HCE propose la définition suivante d’une diplomatie féministe :

« La diplomatie féministe est la politique d’un État qui place l’égalité entre les femmes et les hommes, la liberté et les droits des femmes, la lutte pour l’abolition du patriarcat au cœur de son action extérieure, dans l’ensemble de ses dimensions (aide publique au développement, diplomatie stricto sensu, commerce et économie, culture, éducation, influence, défense et sécurité, climat et environnement…).

Pour ce faire, elle assure la participation, à parts égales, des femmes et des mouvements féministes (dans le pays et à l’extérieur du pays) à sa co-construction et à sa mise en œuvre. Elle alloue des ressources importantes sur la durée à la réalisation de cet objectif et elle met en place, au sein de l’État, une organisation institutionnelle et administrative dédiée et pérenne, qui permette d’assurer la cohérence des politiques et qui inclut un système de redevabilité. »

La mise en œuvre de la diplomatie féministe de la France : entre avancées et résistances

Deux ans après l’adoption d’une diplomatie féministe, la mise en place de cette politique s’est accompagnée d’une mobilisation au sein de l’État et d’avancées réelles . Néanmoins des points sont à renforcer afin de faire de la diplomatie féministe une politique transformatrice et réellement inscrite dans le système institutionnel français .

◗ Un plaidoyer renforcé mais une irrigation insuffisante dans les différents domaines de la politique étrangère de la France

Caractérisée par un plaidoyer renforcé en faveur des droits des femmes dans le cadre multilatéral et par l’organisation d’événements diplomatiques phares (présidence française du G7, co-organisation du Forum Génération Egalité), la diplomatie féministe est encore trop faiblement mobilisée dans les échanges bilatéraux d’État à État et en dehors des grandes dates et événements dédiés . De plus, la mise sous silence de certains sujets (droits sexuels et reproductifs pendant la présidence française du G7) interroge sur la concurrence et la hiérarchie des enjeux au sein de la politique étrangère française . Le HCE, tout en comprenant la nécessaire prise en compte des différents intérêts de la nation, soutient que la diplomatie féministe peut et doit imprégner davantage les échanges diplomatiques et s’appliquer à l’ensemble de la politique étrangère française, y compris dans la politique de sécurité et de défense, ou la politique économique et commerciale.

◗ Une organisation administrative française qui doit renforcer ses modalités de pilotage et de redevabilité

Bien qu’il s’agisse d’une première étape importante pour l’inscription de la diplomatie féministe dans l’organisation administrative française, la Stratégie, au périmètre limité et qui n’engage que le MEAE et ses opérateurs, ne peut, en l’état, constituer la feuille de route d’une politique étrangère féministe globale et transformative . Le HCE note par ailleurs une implication encore inégale de l’ensemble des acteurs publics concernés . Placer la diplomatie féministe au cœur de l’action extérieure de la France nécessite d’impliquer l’ensemble des ministères concernés par l’action internationale, d’associer plus largement les collectivités territoriales et d’établir une instance de coordination placée sous l’autorité du Président de la république ou du Premier ministre, ainsi qu’un mécanisme de redevabilité pour l’ensemble des institutions concernées.

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◗ Des moyens humains et financiers qui ne sont pas à la hauteur des enjeux

Le HCE note qu’à la différence de la Suède et du Canada, il n’existe au sein du MEAE aucun service ni ambassadeur ou ambassadrice dédié .e à la politique étrangère féministe, que les personnels en charge des questions d’égalité femmes-hommes cumulent la plupart du temps plusieurs fonctions, que la Stratégie internationale de la France pour l’égalité entre les femmes et les hommes (2018-2022) n’est assortie d’aucun financement spécifique .

Si le document de politique transversale consacré à l’égalité femmes-hommes semble faire apparaître une progression des financements consacrés à la diplomatie féministe, la hauteur réelle de cet engagement est difficile à évaluer du fait du manque de clarté des informations . Par ailleurs, les contributions de la France aux organisations internationales (ONU Femmes, FNUAP) restent encore inférieures à celles des autres pays .

◗ Une diplomatie féministe qui se conçoit encore trop largement sans les femmes

Le HCE note qu’en dépit des progrès réalisés, la parité est encore inexistante aux postes à responsabilité dans la diplomatie et dans les ministères à forte composante internationale (ministère des Armées, ministère de l’Économie, des Finances et de la relance) .

L’implication des associations féministes nationales et internationales à la conception, la mise en œuvre et l’évaluation des politiques dédiées à l’égalité entre les femmes et les hommes dans le champ international doit encore être renforcée.

Un état des lieux contrasté selon les différents axes d’intervention

Le HCE estime qu’une diplomatie féministe, pour atteindre un objectif réellement transformatif, doit s’inscrire dans l’ensemble des domaines de la politique étrangère et propose des pistes pour renforcer sa mise en œuvre dans différents axes d’intervention .

◗ Faire de l’approche féministe une composante structurante de l’Aide publique au développement (APD)

L’intégration de l’approche genre est aujourd’hui clairement à l’agenda de l’APD française . Cependant, le HCE note que :

o Le niveau de l’APD genrée reste pour la France très en-deçà de la moyenne des pays du comité d’aide au développement de l’OCDE (26% pour la France dont 3% ayant pour objectif principal l’égalité femmes-hommes (marquage 2 OCDE) contre 42% dont 4% marqués 2 pour la moyenne des pays du CAD de l’OCDE en 2017-2018) et les objectifs fixés par la Stratégie internationale pour l’égalité femmes-hommes (50% des projets en volume marqués genre d’ici 2022), très en deçà des objectifs européens (85%) .

o Les chiffres communiqués par les différentes institutions en charge de l’APD genre (DG Trésor, MEAE, AFD) manquent de lisibilité et sont difficilement comparables .

o Des efforts doivent encore être faits pour renforcer le caractère réellement transformatif des projets d’APD et améliorer la qualité du marquage de l’aide .

Les ambitions de la France en termes de diplomatie féministe et d’APD féministe devront se décliner dans la loi de programmation relative au développement solidaire et à la lutte contre les inégalités mondiales, qui doit être votée à l’automne 2020 .

◗ Pour une politique de défense et sécurité féministe : Réaliser l’agenda Femmes, Paix et Sécurité

Le HCE salue l’adoption d’un plan mixité en mars 2019 au ministère des Armées . Il note toutefois la permanence du sexisme, en particulier dans les lycées et écoles militaires . Il relève que la France tarde à publier son 3ème plan national d’action « Femmes, Paix et Sécurité » et qu’elle n’a pas intégré ces enjeux à sa feuille de route pour une diplomatie féministe . Le HCE formule, dans ce rapport, cinq recommandations destinées à initier une politique de défense et de sécurité féministe, et notamment la poursuite des efforts destinés à permettre l’accès des femmes aux postes à responsabilité, l’intégration systématique de formations aux enjeux « Femmes, Paix et sécurité » dans les écoles militaires et le renforcement des outils de lutte contre les violences et les discriminations à caractère sexiste et sexuel au sein des forces armées .

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◗ Pour une politique commerciale féministe : Intégrer le genre

A la différence de la Suède et du Canada, la France n’inclut pas la politique commerciale dans le champ de sa diplomatie féministe . Le HCE formule, dans ce rapport, trois recommandations afin d’inclure une perspective de genre dans la politique commerciale : en assurant une représentation équilibrée des femmes et des hommes dans les équipes de négociation, en intégrant une perspective de genre dans les accords commerciaux, en portant ces enjeux dans les instances économiques mondiales .

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RECOMMANDATIONS

AXE 1 : Recommandations transversales pour une diplomatie féministe, véritable vecteur de changement

RECOMMANDATION N°1 : Faire des enjeux féministes une réelle priorité de la diplomatie dans toutes ses dimensions :

◗ Poursuivre et intensifier le plaidoyer multilatéral, notamment dans les réunions et négociations qui ne sont pas spécifiquement consacrées à ces sujets (Assemblée Générale des Nations Unies (AGNU) et Conseil de sécurité, G7, G20, institutions financières internationales, Convention-cadre des Nations Unies sur les changements climatiques (CCNUCC) et négociations environnementales…) et dans le cadre de l’Union européenne ;

◗ Renforcer les coopérations avec les instances internationales engagées sur les enjeux d’égalité et de droits des femmes (ONU Femmes, Fonds des Nations Unies pour la Population (FNUAP)), notamment au niveau local (bureaux pays) ;

◗ Renforcer le dialogue et les actions dans le cadre bilatéral, en intensifiant la mobilisation des ambassadeurs et ambassadrices, des consul .es générales .aux et des conseiller .es de coopération et d’action culturelle (COCAC) :

◗ Renforcer la communication autour des enjeux de la diplomatie féministe et de la Stratégie internationale pour l’égalité femmes-hommes, notamment par le biais de messages aux plus hauts niveaux (conférence des ambassadeurs et ambassadrices, journées du Réseau de coopération et d’action culturelle) ;

◗ Renforcer le caractère obligatoire et systématique de prise en compte des enjeux d’égalité femmes-hommes par les postes, notamment en rendant obligatoire leur inscription dans les plans d’actions des ambassadeurs et des ambassadrices et dans leurs bilans .

◗ Au-delà des actions de plaidoyer diplomatique, renforcer la prise en compte des enjeux de la diplomatie féministe, afin de les placer de manière plus systématique au cœur de l’action extérieure de la France, dans tous ses domaines, y compris la politique de sécurité et de défense, ou la politique économique et commerciale . (Voir axe 2 – recommandations par axes d’intervention) .

RECOMMANDATION N°2 : Renforcer l’inscription de la diplomatie féministe dans l’organisation administrative française :

◗ Maintenir un portage politique de haut niveau ;

◗ Établir une feuille de route interministérielle, et créer un Conseil pour la diplomatie féministe française (CDFF) placé sous l’autorité du Président de la République ou du Premier ministre, assorti d’un mécanisme de redevabilité qui implique l’ensemble des institutions concernées ;

◗ Impliquer tous les acteurs publics concernés :

◗ L’ensemble des ministères ayant une action internationale, aux côtés du MEAE et du ministère chargé de l’égalité ;

◗ Les collectivités territoriales, concernées par la coopération décentralisée, notamment en mobilisant les principales associations d’élu .es (Assemblée des départements de France (ADF), Association des maires de

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France (AMF), Régions de France, ex-ARF…) et en renforçant les actions de formations mises en place par la Délégation pour l’action extérieure des collectivités territoriales (DAECT) sur les enjeux de la diplomatie féministe et l’utilisation des marqueurs genre OCDE .

◗ Poursuivre et intensifier le déploiement en France de la budgétisation intégrant l’égalité entre les femmes et les hommes .

RECOMMANDATION N °3 : Renforcer les conditions de l’appropriation de cette diplomatie féministe par les acteurs et actrices de l’action extérieure de la France :

◗ Renforcer les formations sur les enjeux féministes et l’intégration d’une perspective de genre au MEAE et dans les ministères concernés :

◗ Rendre obligatoire la formation des agent .es et notamment des encadrant .es (ambassadeurs et ambassadrices, n°2, COCAC, directeurs et directrices, sous-directeurs et sous-directrices) aux enjeux d’égalité femmes-hommes et aux enjeux de la diplomatie féministe ;

◗ Passer de la sensibilisation à la formation (renforcer la durée, le contenu) et l’intégrer de façon pérenne au catalogue de la formation continue des personnels .

◗ Encourager le recours systématique à une communication inclusive sans stéréotype de sexe ;

◗ Renforcer les échanges avec la recherche en études de genre, et particulièrement genre et développement .

RECOMMANDATION N °4 : Mobiliser des moyens (ressources humaines et financières) à la hauteur des enjeux :

◗ Clarifier le prochain document de politique transversale (DPT) « politique de l’égalité entre les femmes et les hommes », afin de faire apparaître plus lisiblement les financements consacrés à la diplomatie féministe ;

◗ Accompagner la Stratégie internationale en matière d’égalité femmes-hommes d’un budget pluriannuel sécurisé ;

◗ Renforcer le soutien à ONU Femmes et au FNUAP afin de faire entrer la France dans le classement des 15 premiers donateurs d’ici 2022 ;

◗ Tenir les engagements financiers pris lors du G7, et notamment le fonds de 120 millions d’euros pour des associations du Sud;

◗ Renforcer les moyens humains au service de la diplomatie féministe, en nommant un .e Ambassadeur .rice en charge de la diplomatie féministe et du plan d’action « Femmes, Paix et Sécurité » au sein du MEAE, en nommant un .e Haut .e fonctionnaire à l’Égalité à plein temps au sein du MEAE et en renforçant substantiellement les équipes dédiées au sein du MEAE, y compris dans les ambassades .

RECOMMANDATION N °5 : Renforcer la participation des femmes à la diplomatie féministe :

◗ Renforcer les efforts pour atteindre la parité aux postes de décision dans la diplomatie et dans les ministères impliqués par la projection de la France à l’international :

◗ Appliquer la loi Sauvadet ;

◗ Fixer un objectif de nomination, chaque année, de femmes sur des postes qui n’ont jamais auparavant été occupés par une femme .

◗ Renforcer l’implication et le soutien aux associations investies sur les enjeux d’égalité entre les femmes et les hommes, de genre et de défense des droits des femmes :

◗ Mettre en place des soutiens conséquents et pérennes aux associations, notamment à travers le fonds de soutien aux organisations féministes ;

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◗ Faire évoluer les modalités de financement via l’AFD : lever les barrières en termes de taille, qui empêchent les petites associations locales d’accéder aux financements publics et inscrire ces partenariats dans la durée ; inclure le renforcement des associations féministes comme un objectif à part entière (subventions de fonctionnement) .

AXE 2 : Recommandations par axes d’intervention

Aide Publique au Développement : Faire de l’approche féministe une composante structurante de l’APD

RECOMMANDATION N°6 : Fixer des objectifs d’APD genrée plus élevés, en cohérence avec les ambitions de la diplomatie féministe :

◗ Pour 2022 : 60% de projets marqués 1 et 2 et 15% de projets marqués 2 ;

◗ S’aligner sur le plan d’action Genre de l’UE (GAP II) à l’horizon 2025 (85% d’aide genrée et 20% marquée 2) .

RECOMMANDATION N °7 : Faire de l’approche féministe une composante structurante de l’APD dans la future loi de programmation relative au développement solidaire et à la lutte contre les inégalités mondiales.

RECOMMANDATION N°8 : Améliorer la transparence et la lisibilité de l’aide genrée :

◗ Harmoniser et définir des modalités de reddition des comptes qui permettent d’obtenir un aperçu clair, comparable, évaluable, des niveaux d’APD genre chaque année .

RECOMMANDATION N°9 : Intensifier et évaluer la mise en œuvre du plan d’Action 2019-2022 de l’AFD.

RECOMMANDATION N°10 : Mettre en place des projets réellement transformatifs et qui permettent de soutenir de manière pérenne les acteurs et actrices de la diplomatie féministe (associations féministes).

RECOMMANDATION N°11 : Poursuivre la sensibilisation et les formations, développer la diffusion des outils genre et des bonnes pratiques afin d’adopter une plus grande rigueur dans le marquage genre de l’APD.

Politique de défense et sécurité : Réaliser l’agenda Femmes, Paix et Sécurité

RECOMMANDATION N°12 : Publier et mettre en œuvre le 3ème plan national d’action « Femmes, Paix et Sécurité. »

RECOMMANDATION N°13 : Renforcer les formations :

◗ Former le haut commandement : Instituer des formations obligatoires à l’égalité femmes-hommes et aux enjeux « Femmes, Paix et Sécurité » dans les écoles d’officiers et les grandes écoles militaires et, également, dans les écoles destinées à préparer aux postes à haute responsabilité (Ecole de guerre, Centre des Hautes Études Militaires…) ;

◗ Former en pré-déploiement : Organiser des formations systématiques, obligatoires sur les enjeux « Femmes, Paix et Sécurité » en préalable au déploiement des militaires en opération extérieure . Le contenu de ces formations devrait être uniformisé au sein du ministère des Armées . Les formations devraient également rappeler l’interdiction du recours à la prostitution posée par la loi d’avril 2016 .

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RECOMMANDATION N°14 : Poursuivre les efforts destinés à permettre l’accès des femmes aux postes à responsabilité, en particulier dans les fonctions militaires et à renforcer l’inclusion des femmes dans les opérations extérieures afin de placer l’armée française en situation d’exemplarité :

◗ Renforcer l’accès des femmes aux formations initiales et continues, en assouplissant les conditions d’accès aux examens et concours, notamment à l’École de guerre ;

◗ Etudier la possibilité de mettre en place des quotas pour augmenter la part des femmes dans les écoles de formation initiale et les écoles d’officiers .

RECOMMANDATION N°15 : Améliorer la communication en faveur de l’égalité entre les femmes et les hommes dans les forces armées :

◗ Adopter une communication sans stéréotype de sexe et garantir la mixité sur l’ensemble des supports visuels, pour déconstruire les stéréotypes sexistes associés à certains métiers militaires ;

◗ Garantir des informations non stéréotypées aux femmes et aux hommes dans les centres de recrutement des forces armées françaises et veiller à la présence de femmes militaires dans ces entités ;

◗ Développer les figures féminines pouvant servir de rôles modèles et permettre ainsi aux jeunes femmes, par une féminisation de l’image de l’armée, de se projeter dans des fonctions militaires, y compris au plus haut niveau de commandement .

RECOMMANDATION N°16 : Renforcer les outils de lutte contre les violences, harcèlement et discriminations à caractère sexiste et sexuel au sein des forces armées :

◗ Intégrer, dans le bilan annuel de la cellule Thémis, un suivi statistique des cas faisant l’objet d’un signalement au procureur de la République, sur la base de l’article 40 du code de procédure pénale, et des cas ayant fait l’objet de sanctions disciplinaires .

Politique commerciale : Intégrer le genre

RECOMMANDATION N°17 : Travailler à l’inclusion d’une perspective de genre dans tous les accords commerciaux :

◗ Effectuer une analyse de genre pour tous les accords commerciaux, dans les études d’impact ex-ante et ex-post ;

◗ Collecter systématiquement des statistiques sexuées ;

◗ Intégrer, dans les nouveaux accords commerciaux de l’UE et les accords en cours de renégociation, un chapitre spécial sur genre et commerce et renforcer les dispositions sur l’égalité femmes-hommes dans les accords commerciaux bilatéraux ;

◗ Prévoir la mise en place dans ces accords d’un mécanisme de suivi et d’examen de conformité périodiques ;

◗ Étudier la possibilité de mettre en place une conditionnalité en matière de droits des femmes, comme cela existe par exemple dans le domaine de l’environnement : mise en place de mécanismes contraignants qui prévoient la protection et la promotion des droits des femmes et l’égalité des sexes (avec références à la convention CEDEF et à son Protocole facultatif) ;

◗ Intégrer, dans les négociations commerciales, des expert .es genre (études d’impact, comités de mise en œuvre) ;

◗ Consulter les organisations de la société civile des pays concernés par les Accords commerciaux, avec une attention particulière aux associations engagées dans des domaines touchant des biens essentiels (santé, environnement, biodiversité, agriculture, eau…) .

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RECOMMANDATION N°18 : Assurer une représentation équilibrée des femmes et des hommes dans les administrations concernées et dans les équipes de négociations.

RECOMMANDATION N°19 : Porter dans les instances économiques mondiales (FMI, Banque mondiale, Fonds mondial…) la nécessité d’inclure une réflexion sur les enjeux de genre et la participation des femmes.

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INTRODUCTION La France, à la suite de la Suède en 2014 ou du Canada en 2017, promeut depuis mars 2018 le principe d’une « diplomatie féministe . » Avancé en 2018 par la secrétaire d’État chargée de l’égalité entre les femmes et les hommes dans son discours devant la Commission sur le statut des Femmes (CSW), le concept a été repris dans une tribune conjointe du ministre de l’Europe et des Affaires Etrangères et de la Secrétaire d’État le 8 mars 2019 .

A ce stade, la France n’a toutefois pas accompagné son annonce d’un étayage théorique . Utilisé en premier lieu dans un cadre multilatéral, le terme évoque le combat en faveur des droits des femmes et pour l’égalité à l’international, ainsi que la mise en cohérence des actions menées en la matière au niveau national et au sein de la politique étrangère de la France .

La promotion d’une « diplomatie féministe » s’est accompagnée de la publication, en mars 2018, par le ministère de l’Europe et des Affaires étrangères de la Stratégie internationale de la France pour l’égalité entre les femmes et les hommes (2018-2022) . Celle-ci a pour objectif d’intégrer le genre « dans l’ensemble des enjeux de la diplomatie française, dans ses dimensions politique, économique, d’influence, culturelle, éducative et de coopération au développement » et par ailleurs, « implique l’intégration des engagements internes du ministère en matière de parité . »

Cette nouvelle Stratégie s’inscrit dans un champ plus large que la stratégie « genre et développement » (2013-2017) qui l’a précédée, laquelle a fait l’objet d’un travail d’évaluation du HCE1, et s’attache à l’action du ministère de l’Europe et des Affaires étrangères (MEAE) et de ses douze opérateurs . Elle dispose d’un cadre de redevabilité sous forme d’objectifs et d’indicateurs et prévoit une auto-évaluation interne menée par le MEAE tous les ans et une évaluation externe menée par le HCE tous les deux ans .

Mais, en amont de ce travail d’évaluation, qui sera effectué au cours de l’automne 2020, le HCE estime nécessaire de s’interroger sur le concept de « diplomatie féministe », qui est intrinsèquement lié à la Stratégie internationale de la France pour l’égalité entre les femmes et les hommes .

Les conceptions, objectifs et questionnements, présents dans ce rapport, prennent une intensité particulière à l’aune de la crise provoquée par la pandémie de la Covid-19, dont les effets et l’impact qu’elle a sur les femmes et sur leurs droits rendent particulièrement nécessaire la conduite d’une « diplomatie féministe » qu’aucune urgence ne peut faire oublier . C’est en ce sens que le HCE a publié, en mai 2020, une note de vigilance, intitulée « La diplomatie féministe à l’heure de la pandémie » qui énonce les principes et les axes d’action incontournables pour répondre aux effets de cette crise sanitaire . Ces préoccupations demeurent aujourd’hui fondamentales .

Les objectifs de ce rapport sont les suivants :

o Examiner ce que recouvre la « diplomatie féministe » à la française (qui succède à l’appellation « diplomatie des Droits des femmes », utilisée lors du précédent quinquennat par le président de la République François Hollande et par Najat Vallaud Belkacem, alors ministre des droits des femmes), à travers les mots utilisés pour en rendre compte, son cadrage conceptuel, ses acteurs, les divers moments de son développement, les pratiques mises en œuvre, et les moyens qui lui sont affectés . La question sera de savoir s’il s’agit d’un effet de mode ou d’un enjeu de communication, à l’heure où le mot féminisme connait un regain de visibilité, ou encore d’une forme d’étatisation du féminisme, voire de son édulcoration . Ou, au contraire, faut-il y voir une salutaire prise de conscience au plus haut niveau de l’État de l’importance d’intégrer l’égalité dans la politique étrangère de la France et donc d’une avancée majeure ?

o Poser les éléments d’une définition du concept de « diplomatie féministe », afin d’en partager une conception commune ;

1 - HCE, « Rapport final d’évaluation de la mise en œuvre de la seconde Stratégie Genre et Développement 013-2014 », octobre 2017 http://www.haut-conseil-egalite.gouv.fr/IMG/pdf/seconde_strat_genre_develop_-_v3.pdf

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o Au regard de cette conception, analyser les aspects positifs et les manques de la diplomatie féministe à la française ;

o Énoncer en conséquence des recommandations pour la mise en œuvre d’une diplomatie féministe et ses conséquences sur la Stratégie internationale de la France pour l’égalité entre les femmes et les hommes .

Pour mener à bien ses travaux, la commission internationale du HCE s’est appuyée sur l’audition d’un nombre important d’acteurs et d’actrices relevant des domaines institutionnels, associatifs ou de la recherche ainsi que sur la littérature scientifique sur la question aux niveaux national et international . En raison de la période de confinement lors de la pandémie de la Covid-19, certains entretiens envisagés, notamment avec certain .es ministres n’ont pu être réalisés tandis que d’autres ont été effectués par téléphone ou par des réponses écrites à un questionnaire .

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I – La « diplomatie féministe » : un cadrage conceptuel difficile et exigeant

En utilisant l’expression de « diplomatie féministe » en 2018, la France s’ajoute au petit nombre de pays qui affichent une diplomatie féministe ou une politique étrangère féministe : la Suède depuis 2014 et le Canada depuis 2017, rejoints par le Mexique depuis janvier 2020 .

Le succès de la formule est néanmoins grandissant et nombre d’ONG internationales travaillent à mobiliser les États pour qu’ils adoptent ce terme . Citons, à titre d’exemples, les plaidoyers d’Oxfam et ICRW pour les États-Unis2 ou encore les travaux du récent « Centre for Feminist Foreign Policy3» pour le Royaume-Uni .

L’expression est toutefois nouvelle et il n’existe aucun texte adopté au plan international qui définisse le concept et en fixe le cadre . La compréhension du terme est flexible et variable selon les États .

Certes, les débats menés dans le cadre multilatéral sur l’égalité entre les femmes et les hommes et les droits des femmes ne sont pas nouveaux et on peut rappeler, à cet égard, les enjeux « Femmes, Paix et Sécurité », la mise en œuvre du programme d’action de Pékin ou encore celle de l’Agenda 2030 pour le développement et son ODD 5 . Toutefois, la référence au féminisme et son introduction dans le champ de la politique étrangère est, elle, nouvelle et questionne sur le concept et ses objectifs . Est-on face aux prémices d’une politique plus radicale ou s’agit-il de la poursuite d’une même politique sous un autre nom ?

En attendant l’adoption d’une définition commune, reconnue internationalement, il revient, pour l’instant, à chaque État de définir ses objectifs, ses critères et son programme d’action, en relation notamment avec sa propre conception du « féminisme . »

1. Les pays précurseurs (Suède, Canada) : des engagements divers en matière de politique étrangère féministe

1-1 La politique étrangère féministe de la Suède

Dès octobre 2014, la ministre des Affaires étrangères suédoise, Margot Wallström, a annoncé que son pays conduirait une « politique étrangère féministe », faisant ainsi de la Suède le premier pays au monde à faire du « féminisme » un principe directeur de l’élaboration et de la mise en œuvre de sa politique extérieure . Cette annonce, réitérée dans l’énoncé de politique étrangère de 20154, a immédiatement été suivie d’effets : un plan d’action pour la politique étrangère féministe (2015-2018)5 a été adopté par le ministère des Affaires étrangères et un poste d’ambassadrice pour l’égalité femmes-hommes et de coordinatrice de la politique étrangère féministe,

2 - https://politicsofpoverty.oxfamamerica.org/crafting-a-feminist-foreign-policy-together/ https://www.icrw.org/publications/toward-a-feminist-foreign-policy-in-the-united-states/

3 - https://www.fawcettsociety.org.uk/blog/the-uk-needs-a-feminist-foreign-policy?fbclid=IwAR2pJA-Kj3W0tatuoQwyqiWSZMquDTLdYSt3IgpOrUfaNOCbs-DRHP2mBdk

4 - https://www.government.se/speeches/2015/02/statement-of-foreign-policy-2015/

5 - Plan d’action de la politique étrangère féministe suédoise (2015-2018) https://www.government.se/495f60/contentassets/66afd4cf15ee472ba40e3d43393c843a/handlingsplan-feministisk-utrikespolitik-2018-enge.pdf

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placé auprès de la ministre des Affaires étrangères, a été créé . A son terme, le plan d’action pour la politique étrangère féministe a été reconduit pour une nouvelle période de quatre ans6 .

La politique étrangère féministe suédoise se définit comme un agenda transformatif, destiné à changer les structures, à renforcer la visibilité des femmes en tant qu’actrices et à combattre les discriminations et les inégalités entre les femmes et les hommes, en intégrant une démarche intersectionnelle7, pour prendre en compte le fait que les personnes ont des modes de vie, des niveaux d’influence et des besoins différents .

Le champ de la politique étrangère féministe suédoise, décrit dans le plan d’action pour la politique étrangère féministe (2019-2022), est large puisqu’il englobe à la fois les questions de plaidoyer politique, d’aide au développement, de sécurité, et de commerce et repose sur trois principes fondamentaux présentés comme les « trois R » et sur six objectifs :

o Les droits (Rights) : Promouvoir et défendre les droits des femmes et des filles, qui comprennent notamment la lutte contre toute forme de violence et de discrimination, en se fondant sur la mise en œuvre des conventions internationales en matière de droits des femmes .

o La représentation : Promouvoir la participation active et l’influence des femmes dans les processus de prise de décision, à tous les niveaux et dans tous les domaines, à l’international comme, en Suède, au plan national .

o Les ressources : Agir pour garantir que toutes les ressources soient allouées pour promouvoir l’égalité entre les femmes et les hommes .

Les six objectifs du plan d’action pour la politique étrangère féministe de la Suède se déclinent comme suit :

1 . Assurer aux femmes la pleine jouissance de leurs droits humains ;

2 . Libérer les femmes de la violence physique, psychologique et sexuelle ;

3 . Promouvoir la participation des femmes dans la prévention et la résolution des conflits, et dans la construction de la paix dans les situations de post-conflit ;

4 . Assurer la participation politique des femmes dans toutes les sphères de la société ;

5 . Promouvoir les droits et l’autonomisation économiques ;

6 . Promouvoir les droits et la santé sexuelle et reproductive .

Si le plan d’action pour la politique étrangère féministe (2019-2022) est le principal instrument de la politique étrangère féministe suédoise, il s’articule avec le plan d’action national sur la mise en œuvre des résolutions Femmes, Paix, Sécurité (2016-2020)8, dont il intègre les objectifs9 .

La politique étrangère féministe de la Suède relève du ministère des Affaires étrangères et est coordonnée en son sein par un groupe responsable de la préparation et de l’harmonisation avec les autres ministères10 . Elle s’accompagne d’outils de communication et de formation puisqu’il a été publié en 2019, par le ministre de la Coopération internationale pour le Développement, la ministre des Affaires étrangères, et la ministre du Commerce international en charge des affaires nordiques, un manuel sur la politique étrangère féministe suédoise11 qui en formule les principes, les méthodes, et les objectifs et en présente des bonnes pratiques .

6 - Plan d’action de la politique étrangère féministe suédoise (2019-2022) https://www.government.se/4adabb/contentassets/66afd4cf15ee472ba40e3d43393c843a/2019-swedish-foreign-services-action-plan-for-feminist-foreign-policy-eng.pdf

7 - Manuel de la politique étrangère féministe suédoise, (2019-2022), p .11 https://www.government.se/4ae557/contentassets/fc115607a4ad4bca913cd8d11c2339dc/handbook---swedens-feminist-foreign-policy.pdf

8 - Plan d’action de mise en œuvre des résolutions Femmes, Paix et Sécurité (2016-2020) de la Suède https://www.government.se/contentassets/8ae23198463f49269e25a14d4d14b9bc/women-peace-and-security-eng.pdf

9 - L’objectif 3 du plan d’action pour la politique étrangère féministe (2019-2022) reprend les objectifs du plan d’action national sur la mise en œuvre des résolutions Femmes, Paix, Sécurité (2016-2020), Ibid, pp .10-11

10 - Parallèlement à l’annonce de Margot Wallström, le Premier ministre Stefan Löfven a également déclaré lors de la formation du gouvernement en 2014 que la Suède avait un gouvernement féministe où tous les ministres travailleraient pour l’égalité dans leurs domaines politiques respectifs .

11 - https://www.government.se/4ae557/contentassets/fc115607a4ad4bca913cd8d11c2339dc/handbook---swedens-feminist-foreign-policy.pdf

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1-2 La politique d’aide internationale féministe du Canada

En 2017, le Canada s’est à son tour engagé sur la voie de la politique étrangère féministe, conçue autour de la promotion des droits des femmes et du respect des engagements internationaux .

Sous l’appellation de « politique d’aide internationale féministe »12, elle est centrée principalement sur l’aide au développement et comprend six domaines prioritaires :

o L’égalité des sexes et le renforcement du pouvoir des femmes et des filles (incluant la lutte contre les violences sexistes et sexuelles) ;

o La dignité humaine (action humanitaire) ;

o La croissance au service de tous et l’autonomisation économique des femmes ;

o L’environnement et l’action pour le climat ;

o La gouvernance inclusive ;

o Les femmes, la paix et la sécurité .

A cette politique d’aide au développement, le Canada adjoint plusieurs initiatives et mesures sectorielles :

o La politique des partenariats avec la société civile pour l’aide internationale13 ;

o La politique en matière d’égalité entre les sexes14 ;

o La stratégie de diversification du commerce15 ;

o Le plan national d’action Femmes, Paix, Sécurité (2017-2022)16 et la nouvelle politique de défense17 .

La politique étrangère féministe canadienne ne se restreint ainsi pas seulement aux questions liées au développement mais intègre les questions relatives au commerce, à la défense et à la sécurité ainsi qu’un volet interne de participation des femmes aux processus de décision .

Pour le Canada, la politique étrangère féministe répond non seulement à une exigence de droits et de justice, mais également à des objectifs de croissance économique et de stabilité sociale18 . A la différence de la Suède, les objectifs économiques et sociaux constituent un fondement central de la politique étrangère féministe canadienne .

Plus récemment, en janvier 2020, le Mexique est devenu le premier pays dit du Sud à adopter une politique extérieure féministe, en publiant une stratégie pour la période 2020-2024, composée des axes suivants19 :

1 . Une politique extérieure avec une perspective de genre et un agenda extérieur féministe ;

2 . Un ministère des Affaires étrangères paritaire ;

3 . Un ministère des Affaires étrangères sans violence et sans danger pour toutes ;

4 . Une égalité visible ;

5 . Un ministère des Affaires étrangères qui promeut un féminisme intersectionnel .

12 - https://www.international.gc.ca/world-monde/assets/pdfs/iap2-fra.pdf?_ga=2.69831890.376725149.1576572611-552198875.1573047030

13 - https://www.international.gc.ca/world-monde/issues_development-enjeux_developpement/priorities-priorites/civil_policy-politique_civile.aspx?lang=fra&_ga=2.95595614.376725149.1576572611-552198875.1573047030

14 - https://www.international.gc.ca/world-monde/funding-financement/policy-politique.aspx?lang=fra&_ga=2.95595614.376725149.1576572611-552198875.1573047030

15 - https://www.international.gc.ca/world-monde/assets/pdfs/international_relations-relations_internationales/g20/G20-nov-2018-trade-diversification-commerce-fr.pdf

16 - https://www.international.gc.ca/world-monde/assets/pdfs/cnap-eng.pdf

17 - http://dgpaapp.forces.gc.ca/fr/politique-defense-canada/docs/rapport-politique-defense-canada.pdf

18 - Discours de Chrystia Freeland, ministre canadienne des Affaires étrangères, 2016, « C’est une question fondamentale non seulement en matière de justice, mais également d’économie . Nous savons que le renforcement du pouvoir des femmes, à l’étranger et ici au pays, permet d’accroître la prospérité des familles et des pays . » ; « Nous croyons que le renforcement du pouvoir des femmes et des filles est la meilleure façon d’obtenir des résultats économiques et sociaux positifs », présentation de la politique d’aide internationale féministe canadienne https://www.international.gc.ca/world-monde/issues_development-enjeux_developpement/priorities-priorites/policy-politique.aspx?lang=fra

19 - https://www.gob.mx/sre/prensa/mexico-anuncia-la-adopcion-de-su-politica-exterior-feminista?state=published

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2. La diplomatie féministe de la France : une approche pragmatique et évolutive

C’est le terme de « diplomatie féministe » qu’a privilégié, de son côté, la France, expression mobilisatrice, destinée à frapper les esprits . Mais, à la différence de la Suède, le France n’a pas accompagné son annonce d’un cadrage théorique précisant les objectifs, le périmètre d’action ou les critères de cette politique .

Il faut donc se référer aux discours prononcés ainsi qu’à la Stratégie internationale de la France pour l’égalité entre les femmes et les hommes (2018-2022)20, pour tenter de préciser ce que la France entend par « diplomatie féministe » .

Ce terme est affirmé pour la première fois par la France en mars 2018 :

o devant un public national, par le ministre de l’Europe et des Affaires étrangères le 8 mars 201821 lors de la présentation de la Stratégie internationale de la France pour l’égalité entre les femmes et les hommes (2018-2022)22, décrite comme un « instrument au service d’une politique qui se veut féministe .»

o à la tribune de l’ONU, le 12 mars 2018, par la Secrétaire d’État chargée de l’égalité entre les femmes et les hommes, devant la Commission sur le Statut des Femmes (CSW) .

Le concept de « diplomatie féministe » sera repris et développé, un an plus tard, en mars 2019, dans une tribune conjointe du ministre de l’Europe et des Affaires Etrangères et de la Secrétaire d’État chargée de l’égalité entre les femmes et les hommes .

Les discours fondateurs de la diplomatie féministe

• Discours du Ministre de l’Europe et des Affaires étrangères, Jean-Yves Le Drian, à l’occasion de la Journée internationale des femmes, le 8 Mars 201823 : « Grâce à cette nouvelle stratégie, instrument d’une diplomatie qui se veut «féministe», la question du genre sera prise en compte dans l’ensemble des actions du ministère et de ses opérateurs, et dans toutes les zones géographiques. »

• Discours de la Secrétaire d’État à l’égalité, Marlène Schiappa, lors de l’ouverture de la 62e session de la Commission sur le Statut des Femmes (CSW) à l’ONU, le 12 Mars 201824 : «Voici ce qu’est la diplomatie féministe à la française (…). Les femmes de tous les pays nous regardent et nous demandent, membres des Nations unies, de ne minimiser, de n’excuser, de ne justifier, de ne tolérer aucune atteinte aux femmes, nulle part, jamais. La France est de retour. Le féminisme aussi. »

• Discours du Président de la République, Emmanuel Macron, à la 73e Assemblée générale de l’ONU, le 26 Septembre 201825 : « Nous devons aussi lutter ardemment contre les inégalités liées au genre. J’ai fait, en France, de l’égalité femmes-hommes la grande cause de mon quinquennat et je lance ici un appel pour en faire avec vous une grande cause mondiale. »

• Tribune conjointe du Ministre de l’Europe et des Affaires étrangères et de la Secrétaire d’État à l’égalité, « Pour une diplomatie féministe », publiée dans Libération, le 8 Mars 201926 : « La France est depuis un an à l’initiative d’une dynamique nouvelle : une véritable diplomatie féministe.

20 - https://www.diplomatie.gouv.fr/IMG/pdf/strategie_internationale_egalite_femmes-hommes_web_cle089345.pdf

21 - Discours de Jean-Yves Le Drian, le 8 mars 2018, à l’occasion de la journée internationale des droits des femmes, https://www.vie-publique.fr/discours/205271-declaration-de-m-jean-yves-le-drian-ministre-de-leurope-et-des-affair

22 - Stratégie internationale de la France pour l’égalité entre les femmes et les hommes, https://www.diplomatie.gouv.fr/fr/politique-etrangere-de-la-france/droits-de-l-homme/actualites-et-evenements-sur-le-theme-des-droits-de-l-homme/actualites-2019-sur-le-theme-des-droits-de-l-homme/article/pour-une-diplomatie-feministe-tribune-conjointe-de-jean-yves-le-drian-et

23 - Discours du 8 mars 2018 de Jean-Yves Le Drian, Op .cit .

24 - Discours de Marlène Schiappa à la 62e édition de la CSW, le 12 Mars 2018, https://www.egalite-femmes-hommes.gouv.fr/ouverture-de-la-62eme-session-de-la-commission-de-la-condition-de-la-femme-a-lonu-lundi-12-mars-2018/

25 - Discours d’Emmanuel Macron à la 73e Assemblée générale de l’ONU le 26 septembre 2018, https://www.elysee.fr/emmanuel-macron/2018/09/26/discours-du-president-de-la-republique-emmanuel-macron-a-la-73e-assemblee-generale-des-nations-unies

26 - Tribune conjointe « pour une diplomatie féministe » de Jean-Yves Le Drian et Marlène Schiappa, le 8 mars 2019, https://www.diplomatie.gouv.fr/fr/politique-etrangere-de-la-france/droits-de-l-homme/actualites-et-evenements-sur-le-theme-des-droits-de-l-homme/actualites-2019-sur-le-theme-des-droits-de-l-homme/article/pour-une-diplomatie-feministe-tribune-conjointe-de-jean-yves-le-drian-et

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Une diplomatie féministe qui n’oublie aucun sujet. (…) Une diplomatie concrète qui ne se contente pas de discours ; elle agit et produit des effets pour soutenir les femmes, toutes les femmes. (…) Faire vivre cette diplomatie féministe à travers le monde, c’est mener partout et tout le temps le combat de l’égalité entre les femmes et les hommes. »

• Discours du Ministre de l’Europe et des Affaires étrangères, Jean-Yves Le Drian, à l’occasion de la Journée internationale des femmes, le 8 Mars 201927 : « J’avais employé l’expression de «diplomatie féministe.» L’expression avait étonné certains. Un an après, je vous dis ici que je la revendique et que je l’assume. (…) Elle dit clairement les choses : l’égalité entre les femmes et les hommes est un enjeu politique à l’échelle globale ; elle doit donc s’imposer comme un marqueur de la conception que nous nous faisons de l’ordre international et de l’idée de progrès humain qui lui est, à nos yeux, associée. »

• Discours du Président de la République, à l’occasion de la conférence des ambassadeurs et ambassadrices, le 27 Aout 201928 : « La diplomatie française doit aussi servir l’égalité entre les femmes et les hommes. Nous l’avions mis au cœur de la lutte contre les inégalités au G7 mais là aussi il nous faut poursuivre une vraie diplomatie féministe. »

La lecture de ces textes et le contexte permettent de tracer le cadre de la diplomatie féministe portée par la France .

Un terme mobilisateur et frappant en réaction au contexte international

L’utilisation du concept de « diplomatie féministe », en 2018, par la France est fortement liée au contexte international, caractérisé par deux mouvements en apparence antagonistes :

o Un recul des libertés et droits des femmes dans un nombre grandissant de pays, y compris au sein même de l’Union européenne .

o Un renouveau et un développement international, depuis plusieurs années, des mobilisations pour les droits des femmes et pour leur émancipation, aussi bien au Sud qu’au Nord, à l’Est qu’à l’Ouest, par-delà des différences d’histoires, de cultures, de religions, d’organisations sociales et politiques .

Un contexte international de remise en cause des libertés et droits des femmes

Symbole fort de la liberté et des droits des femmes, les droits sexuels et reproductifs, et en particulier l’accès à la contraception et à l’avortement, sont attaqués en différents endroits du globe, en lien avec un regain des conservatismes et populismes .

Aux États-Unis, l’avortement est un droit constitutionnel depuis l’arrêt Roe vs Wade de la Cour suprême de 1973, mais chaque État peut adopter une réglementation spécifique sur cette question et les tentatives de durcissement sont récurrentes pour essayer de revenir sur ce droit, notamment depuis l’élection de Donald Trump en 2016 : ce dernier a manifesté une adhésion forte aux courants anti-choix évangélistes et le rétablissement de la « règle du bâillon mondial » (« Global Gag Rule ») qui a eu pour effet d’interdire le financement aux États Unis et dans des pays dits du Sud de programmes d’information en santé sexuelle et des services d’avortement . Actuellement, 28 États américains sur 50 ont introduit des règles limitant l’accès à l’avortement .

En Amérique du Sud, le Brésil, autrefois très investi dans les droits humains à l’ONU, bloque aujourd’hui nombre de discussions sur le genre et les droits sexuels et reproductifs, depuis l’élection de Jair Bolsonaro en 2018, ouvertement hostile à toute tentative d’assouplissement d’une loi déjà très restrictive et aux droits des femmes en général . Au Brésil, l’avortement n’est autorisé qu’en cas de viol ou de risque grave pour la mère .

27 - Discours de Jean-Yves Le Drian, à l’occasion de la journée internationale de lutte pour les droits des femmes, le 8 Mars 2019, https://www.diplomatie.gouv.fr/IMG/pdf/190308_jyld_discours_diplomatie_feministe_cle46e5c3.pdf

28 - Discours d’Emmanuel Macron à la conférence des ambassadeurs et ambassadrices, le 27 août 2019, https://www.elysee.fr/emmanuel-macron/2019/08/27/discours-du-president-de-la-republique-a-la-conference-des-ambassadeurs-1

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Au sein même de l’Union européenne, les stratégies des « anti-choix » se sont plus fortement structurées et organisées ces dernières années29 . Certes, il faut noter les résultats du référendum irlandais de mai 2018, largement en faveur de l’avortement mais deux pays européens, Malte et Andorre, ne disposent toujours pas de lois autorisant le droit à l’avortement . En Pologne ou en Hongrie, les attaques des conservateurs menacent un droit à l’avortement déjà restreint aux cas de viol, d’inceste ou de malformation fœtale . Dans d’autres pays comme l’Italie, l’expression de la clause de conscience des médecins condamne, dans plus de 70% des cas, les femmes à trouver des solutions à prix fort ou à renoncer à avorter .

Un an après le combat porté partout dans le monde par #MeToo, le discours de la Secrétaire d’État, Marlène Schiappa, devant la CSW (mars 2018), qui y fait clairement référence30, dénonce également les attaques portées par « l’obscurantisme » et « le populisme » à la liberté et aux droits des femmes, et en particulier aux droits sexuels et reproductifs, dont les droits à la contraception et à l’avortement . L’objectif affiché est alors de mener le combat pour les droits des femmes dans le monde et de reprendre, au niveau de l’État, la mobilisation de la société civile .

« Faire vivre cette diplomatie féministe à travers le monde, c’est mener partout et tout le temps le combat de l’égalité entre les femmes et les hommes31 .»

Un portage politique de haut niveau

La promotion d’une diplomatie féministe par le ministre de l’Europe et des Affaires étrangères et la secrétaire d’État en charge de l’égalité femmes-hommes bénéficie d’une impulsion au plus haut niveau : elle s’ancre sur l’engagement du chef de l’État qui déclare l’égalité femmes-hommes « grande cause du quinquennat », le 25 novembre 2017, à l’occasion de la Journée internationale pour l’élimination des violences faites aux femmes32 et qui lance, en septembre 2018, devant l’Assemblée générale des Nations unies, un Appel33 à faire de l’égalité femmes-hommes « une grande cause mondiale ».

Le terme de diplomatie féministe est également utilisé par le Président de la République qui souligne « le continuum entre (notre) stratégie nationale et internationale » et la nécessité de poursuivre « une vraie diplomatie féministe » au service de l’égalité entre les femmes et les hommes et appelle à amplifier les actions34 .

La cellule diplomatique de l’Elysée, entendue par le HCE en février 2020, a souligné l’importance accordée par l’Elysée à la diplomatie féministe, mission confiée à Marlène Schiappa et Jean-Yves Le Drian, avec l’objectif d’introduire de manière pragmatique les questions d’égalité entre les femmes et les hommes au sein des principales échéances internationales (« irriguer toutes les problématiques internationales de questions d’égalité femmes-hommes. ») . La mobilisation du concept, de manière pragmatique, a également été soulignée lors de l’audition du ministère de l’Europe et des Affaires étrangères .

Un objectif prioritaire : la défense des droits des femmes

La France pose la défense des droits des femmes et l’égalité entre les femmes et les hommes comme fondement de sa politique étrangère35, approche qui s’articule avec la promotion et le respect des engagements internationaux en matière de droits humains et de droits des femmes .

29 - Forum parlementaire européen sur la population et le développement (EPF), « Restaurer l’ordre naturel » : la vision des extrémistes religieux pour mobiliser les sociétés européennes contre les droits humains en matière de sexualité et de reproduction https://www.epfweb.org/sites/default/files/2020-05/online_rtno_fr.pdf

30 - « 2017 a marqué la fin du déni mondial face à l’ampleur des violences sexistes et sexuelles. 2018 ne doit pas être uniquement la fin d’une ère. 2018 doit être le début d’une autre. Nous sommes en l’an 1 après #MeToo. » Discours de Marlène Schiappa à la CSW de 2018, Op .cit .

31 - Ibid

32 - Discours du Président de la République à l’occasion de la journée internationale pour l’élimination de la violence à l’égard des femmes et du lancement de la « grande cause du quinquennat », le 25 novembre 2017, https://www.elysee.fr/emmanuel-macron/2017/11/25/discours-du-president-de-la-republique-a-l-occasion-de-la-journee-internationale-pour-l-elimination-de-la-violence-a-l-egard-des-femmes-et-du-lancement-de-la-grande-cause-du-quinquennat

33 - Discours du Président de la République, à la 73e Assemblée générale de l’ONU, le 26 septembre 2018, Op .cit .

34 - Discours du Président de la République devant la conférence des ambassadeurs et ambassadrices, août 2019, Op .cit .

35 - « Le respect des droits des femmes, l’égalité entre les femmes et les hommes et le refus de toutes les discriminations fondées sur le sexe sont un fondement de la politique extérieure de la France et de sa politique de développement », Stratégie internationale de la France pour l’égalité entre les femmes et les hommes (2018-2022), Op .cit ., p .14

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Principaux engagements internationaux et européens en matière de droits des femmes

- La Convention sur l’élimination de toutes les formes de discriminations à l’encontre des femmes36 (CEDEF) adoptée en 1979 par l’Assemblée générale de l’ONU et ratifiée en 1983 par la France , ainsi que son protocole facultatif ;

- Le programme d’action de la Conférence internationale pour la population et le développement37 (CIPD) du Caire de 1994, qui appelle à garantir l’accès à tous et toutes à des soins complets de santé sexuelle et reproductive, adopté par 179 États ;

- La déclaration et le programme d’action de la Conférence mondiale sur les femmes38 de Pékin, adoptée en 1995 par 189 États ;

- La résolution 132539 du Conseil de Sécurité des Nations Unies, adoptée en 2000, sur le rôle des femmes dans la prévention et la résolution des conflits armés et la lutte contre les violences sexuelles envers les femmes en temps de conflits ;

- Les résolutions « Femmes, Paix et Sécurité » (résolutions 1820, 1888, 1889, 1960, 2160, 2122, 2242, 2467 et 2493) des Nations Unies, adoptées à la suite de la résolution 1325 ;

- La Convention sur la prévention et la lutte contre la violence à l’égard des femmes et la violence domestique, (dite Convention d’Istanbul)40, adoptée en 2011 par le Conseil de l’Europe, et ratifiée par la France le 4 juillet 2014 .

Dans le cadre de l’Union européenne :

- Le Pacte européen pour l’égalité entre les hommes et les femmes (2011-2020)41, du Conseil de l’Union européenne ;

- La Stratégie européenne pour l’emploi et la croissance, dite Stratégie Europe 2020 ;

- La Stratégie en faveur de l’égalité entre les femmes et les hommes42 (2020-2025) de la Commission européenne, qui fait suite à l’Engagement stratégique pour l’égalité entre les femmes et les hommes (2016-2019)43 ;

- Le deuxième plan d’action genre de l’Union européenne (GAP II, 2016-2020)44 .

L’objectif de ce combat pour défendre et promouvoir les droits des femmes dans le monde est présenté à la fois comme une fin en soi et comme un moyen au service d’autres priorités de la politique étrangère : le développement, la paix et la stabilité45, en lien avec la mise en œuvre de l’Agenda 2030 pour le développement durable.

En témoigne le discours du président de la République à l’Assemblée générale des Nations unies (septembre 2019) : « Partout où l’inégalité entre les femmes et les hommes s’installe, c’est le recul de civilisation, c’est l’obscurantisme qui monte, c’est le terrorisme qui grandit, c’est le recul de l’éducation . C’est le recul aussi de la croissance parce que c’est se priver, dans chacun de ces pays, de la moitié de la richesse potentielle . »

36 - Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes, https://www.ohchr.org/fr/professionalinterest/pages/cedaw.aspx

37 - Programme d’action de la Conférence Internationale sur la Population et le Développement, rapport de 1994, https://unfpa.org/sites/default/files/pub-pdf/icpd_fre.pdf

38 - Déclaration et programme d’action de Beijing https://www.unwomen.org/-/media/headquarters/attachments/sections/csw/bpa_f_final_web.pdf?la=fr&vs=754

39 - Résolution 1325 du Conseil de sécurité des Nations unies https://www.un.org/womenwatch/ods/S-RES-1325(2000)-F.pdf

40 - Convention du Conseil de l’Europe sur la prévention et la lutte contre la violence à l’égard des femmes et la violence domestique https://www.coe.int/fr/web/conventions/full-list/-/conventions/rms/0900001680084840

41 - Pacte européen pour l’égalité entre les hommes et les femmes (2011-2020) https://register.consilium.europa.eu/doc/srv?l=FR&f=ST%207370%202011%20INIT

42 - Stratégie en faveur de l’égalité entre les femmes et les hommes (2020-2025) https://eur-lex.europa.eu/legal-content/FR/TXT/PDF/?uri=CELEX:52020DC0152&from=FR

43 - Engagement stratégique pour l’égalité entre les femmes et les hommes (2016-2019) https://op.europa.eu/fr/publication-detail/-/publication/24968221-eb81-11e5-8a81-01aa75ed71a1

44 - Deuxième plan d’action genre de l’UE http://data.consilium.europa.eu/doc/document/ST-14551-2018-INIT/fr/pdf

45 - Discours de Jean-Yves Drian du 8 mars 2018 : « Là où l’égalité entre les femmes et les hommes est bafouée, les tensions et les conflits s’aggravent. Là où les droits des femmes sont reconnus, promus, élargis, les sociétés sont renforcées. », Op .cit .

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Agenda 2030 pour le développement durable

Adopté en septembre 2015 par les 193 pays membres des Nations Unies, le Programme de développement durable à l’horizon 2030, appelé encore Agenda 2030, fixe 17 objectifs de développement durable (ODD), déclinés en 169 cibles à atteindre à l’horizon 203046 .

L’Agenda 2030 établit que l’égalité des sexes est un « droit fondamental de la personne mais aussi un fondement nécessaire pour l’instauration d’un monde pacifique, prospère et durable » . Cet objectif est tout à la fois transversal et spécifique . Il dispose d’un ODD dédié, le cinquième ODD (ODD5) qui vise à « parvenir à l’égalité des sexes et autonomiser toutes les femmes et les filles . » Il comprend neuf cibles47 : lutte contre les discriminations, violences et exploitation, mariages forcés et mutilations, promotion du partage des travaux domestiques, participation et accès aux postes de direction, santé sexuelle et procréation, droit et accès aux ressources, technologies et autonomisation, politiques d’égalité. Onze des dix-sept ODD incluent également des cibles genrées .

L’Agenda 2030 contient différents indicateurs annuels de suivi, qui sont propres à chaque pays signataire en raison de leur contexte et de leur situation . Pour la France, l’ODD 5 comporte cinq indicateurs de suivi : écart des rémunérations entre femmes et hommes, part des femmes dans les disciplines scientifiques à l’université, part des femmes victimes de violences intrafamiliales physiques et/ou sexuelles, part des femmes victimes de violences sexuelles hors violences intrafamiliales, femmes occupant des postes de direction dans le domaine privé et public .

Les Nations unies ont mis en place un dispositif de suivi régulier et universel : chaque année, les pays se retrouvent aux Nations unies lors d’un Forum politique de haut niveau pour faire le point sur l’avancée de la mise en œuvre de l’agenda 2030 et des ODD qui le composent . Alors qu’il ne reste que dix ans avant l’échéance de 2030, les dirigeants mondiaux, réunis en septembre 2019, à l’occasion du Sommet sur les objectifs de développement durable, se sont engagés à faire de la prochaine décennie une décennie d’actions et de résultats en faveur du développement durable ainsi qu’à mobiliser des financements, à renforcer la mise en œuvre au niveau national et à renforcer les institutions en vue d’atteindre les ODD d’ici 2030 .

Des thèmes prioritaires au sein de cette approche globale et une stratégie principalement centrée sur l’aide au développement

La France vise, ainsi, la défense et la promotion de l’ensemble des droits des femmes, en relation avec les engagements internationaux sus-cités et les objectifs de l’Agenda 2030 .

Un accent particulier est néanmoins porté sur certains thèmes prioritaires :

1 . Les droits sexuels et reproductifs, thème récurrent des discours de la diplomatie féministe ;

2 . La lutte contre les violences sexuelles et sexistes, l’éducation des filles, l’autonomisation économique des femmes, définis comme thèmes prioritaires de la ministérielle égalité du G7 sous présidence française (2019) .

Ces thèmes figurent aussi comme priorités sectorielles dans la Stratégie internationale de la France pour l’égalité entre les femmes et les hommes, qui y ajoute la participation des femmes aux espaces de décision, ainsi qu’aux processus de paix et de sécurité48 .

Par ailleurs, le cadre de redevabilité de la Stratégie, qui se pose comme la feuille de route de la diplomatie féministe49 témoigne d’un périmètre d’action beaucoup plus restreint que cette approche globale affichée et est centrée principalement sur l’aide publique au développement . En dépit de son ambition globale, le cadre de redevabilité de la Stratégie n’intègre pas les enjeux de défense et de sécurité, ni ceux du commerce international .

46 - Programme de développement durable Agenda 2030 https://www.un.org/ga/search/view_doc.asp?symbol=A/RES/70/1&Lang=F

47 - Ibid, pp .19-20

48 - Stratégie internationale de la France pour l’égalité entre les femmes et les hommes, Op .cit ., p .16

49 - https://www.diplomatie.gouv.fr/fr/politique-etrangere-de-la-france/diplomatie-feministe/

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Les enjeux « Femmes, Paix et Sécurité », pourtant fortement portés par la France dans le cadre multilatéral, sont traités dans un plan national d’action séparé dont aucun des objectifs n’est repris dans la Stratégie internationale de la France pour l’égalité entre les femmes et les hommes . La Stratégie n’engage par ailleurs que le ministère de l’Europe et des Affaires étrangères et ses 12 opérateurs et aucun autre ministère .

C’est ainsi que l’aide publique au développement bénéficie dans la Stratégie d’une place centrale. La France s’engage sur des objectifs chiffrés qui prévoient une trajectoire de progression : 50% de l’aide publique au développement consacrée à des projets en faveur de l’égalité femmes-hommes d’ici 2022 et 700 millions d’euros de projets ayant pour « objectif principal » l’égalité femmes-hommes (marqueur 2 OCDE) d’ici 2022 . La France s’engage également à augmenter ses contributions à ONU Femmes et au FNUAP pour se placer dans les 20 premiers contributeurs .

La Stratégie internationale de la France pour l’égalité entre les femmes et les hommes (2018-2022)

La Stratégie internationale de la France pour l’égalité entre les femmes et les hommes s’inscrit dans la lignée des deux stratégies « genre et développement » (2007-2012 ;2013-2017) qui ont marqué une étape importante dans la prise en compte du genre dans la politique d’aide au développement de la France . Toutefois, cette stratégie se veut plus ambitieuse que les précédentes en opérant une « transversalisation du genre à l’ensemble de la politique étrangère50 .» Paradoxalement, cette stratégie – qui a été définie a posteriori comme la feuille de route de la diplomatie féministe de la France - ne contient elle-même aucune référence explicite au féminisme et à sa pensée . Elle pose néanmoins pour objectif « d’intégrer le genre dans l’ensemble de l’action extérieure de la France » et décline pour ce faire un plan d’action à destination du ministère de l’Europe et des Affaires étrangères et de ses opérateurs .

La mise en œuvre de la Stratégie concerne le MEAE et ses 12 opérateurs : l’Agence pour l’enseignement français à l’étranger (AEFE), Atout France (AF), l’Agence française de développement (AFD), Business France (BF), Campus France (CF), l’Agence française de coopération médias (CFI), Expertise France (EF), l’Institut français (IF), le Centre de coopération internationale en recherche agronomique pour le développement (CIRAD), France Médias Monde (FMM), France Volontaires (FV) et l’Institut de recherche pour le développement (IRD) . Les autres ministères ne sont pas impliqués dans la mise en œuvre de la stratégie, à l’exception du ministère chargé de l’égalité entre les femmes et les hommes .

L’objectif principal de la stratégie est « d’intégrer l’égalité femmes-hommes et le genre de façon transversale et systématique au cœur de l’action extérieure de la France . » Elle est composée de cinq objectifs spécifiques :

1 . Favoriser un renforcement de la culture institutionnelle en faveur de l’égalité entre les femmes et les hommes et la prise en compte du genre au sein du ministère et de ses opérateurs (volet interne) ;

2 . Intensifier le plaidoyer politique de la France en matière d’égalité entre les femmes et les hommes ;

3 . Augmenter et améliorer la prise en compte de l’égalité entre les femmes et les hommes dans l’aide publique au développement ;

4 . Améliorer et renforcer la visibilité, la transparence et la redevabilité de l’action du ministère et de ses opérateurs en faveur de l’égalité entre les femmes et les hommes ;

5 . Renforcer les liens avec les acteurs de la société civile, le secteur privé et la recherche pour lutter contre les inégalités entre les femmes et les hommes .

Des priorités sectorielles51 sont également énoncées (sans entrer dans le cadre de redevabilité):

1 . Assurer le libre et égal accès à l’éducation et à la santé sexuelle et reproductive ;

2 . Promouvoir l’autonomisation économique des femmes, « comme vecteur principal de progrès et de développement », ainsi que leur intégration dans les processus de transition écologique ;

50 - Stratégie internationale de la France pour l’égalité entre les femmes et les hommes, Op .cit .

51 - Ibid .

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3 . Lutter contre les violences sexuelles et sexistes ;

4 . Assurer la participation des femmes aux instances de décisions dans le domaine économique, politique et social ;

5 . Assurer la participation égale des femmes aux processus de paix et de sécurité .

La Stratégie prévoit un cadre de redevabilité52 pour le MEAE et ses opérateurs, articulé autour de ses cinq objectifs principaux et intégrant 75 indicateurs .

Une formule novatrice qui rencontre parfois des résistances

A la différence de la Suède ou du Canada, la France utilise donc le terme diplomatie féministe, expression qui mérite d’être questionnée car le terme de diplomatie tout comme celui de féministe sont porteurs d’ambigüité .

◗ Le recours au terme diplomatie

Le terme diplomatie dispose de deux acceptions principales . Dans son acception large, la diplomatie est assimilée à la « politique étrangère » d’un État, dans toutes ses dimensions (politique, économique, commerciale, défense et sécurité…) . Elle est, dans la pratique de la Vème République, un « domaine réservé » du président de la République française, bien que la Constitution instaure une compétence partagée avec le Premier ministre dans ce domaine .

La diplomatie peut également être conçue – et c’est là son sens le plus usuel – comme un instrument de mise en œuvre de la politique étrangère et elle se réfère alors à l’action du ministère des Affaires étrangères et des diplomates .

Diplomatie vs politique étrangère ?

La diplomatie et la politique étrangère doivent être distinguées : elles ne relèvent pas de la responsabilité des mêmes institutions . En revanche, elles sont complémentaires : la politique étrangère ne peut exister sans l’action de la diplomatie, et la diplomatie doit être guidée par une politique étrangère .

Diplomatie

Le dictionnaire Larousse comporte plusieurs définitions de la diplomatie :

• « Branche de la science politique qui concerne les relations internationales »

• « Action et manière de représenter son pays auprès d’une nation étrangère et dans les négociations internationales »

• « Fonction, carrière de quelqu’un qui est employé à cette représentation ; corps constitué par ces fonctionnaires »

• « Politique extérieure d’un pays, d’un gouvernement »

Si le terme recouvre plusieurs réalités, les politologues spécialisé .es dans l’analyse des relations internationales s’accordent sur la deuxième définition proposée par Larousse .

« La diplomatie correspond à la mise en œuvre de la politique étrangère d’un État. La défense des intérêts nationaux constitue l’un de ses principaux objectifs. La diplomatie est ainsi le canal par lequel l’État affirme ses positions internationales et par lequel il va chercher à influer sur la position des autres acteurs internationaux, à travers des déclarations, des rencontres, des sommets ou des négociations53 » .

52 - Stratégie internationale de la France pour l’égalité entre les femmes et les hommes, Op.cit .

53 - https://www.vie-publique.fr/fiches/269886-quest-ce-que-la-diplomatie

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Politique étrangère

La politique étrangère correspond aux choix stratégiques et politiques en matière de relations extérieures qui, dans la pratique de la Vème République, relèvent du domaine réservé du chef de l’État . La politique étrangère est « une politique conduite par l’État sur la scène internationale, en particulier dans sa relation avec les autres acteurs étatiques54» .

Elle peut également être définie comme une politique publique – formulée, assortie de moyens, mise en œuvre et évaluée – « coproduite par une multiplicité d’unités et de services au sein de l’appareil d’État et nécessitant arbitrages55 ». Toutefois, elle n’est pas une politique publique comme les autres puisqu’elle traite « des problèmes qui se posent au-delà des frontières »56 et s’insère dans un contexte international qui la conditionne .

User du mot « diplomatie » peut donc être compris comme concernant uniquement l’action du ministère de l’Europe et des Affaires étrangères et des diplomates, si l’on considère diplomatie dans son acception restreinte .

Le HCE note que cet usage est en contradiction avec l’ambition portée par les discours fondateurs de placer la diplomatie féministe au cœur de la politique étrangère dans toutes ses dimensions .

Faudrait-il alors, à l’instar par exemple de la Suède, préférer l’expression « politique étrangère féministe » ? Le HCE ne le pense pas et valide l’expression à la fois nouvelle et mobilisatrice de diplomatie féministe, à condition de préciser qu’elle est prise dans son acception large, conçue comme « politique étrangère » dans toutes ses dimensions, politique, économique, commerciale, culturelle, éducative, médiatique, aide et développement, climat, défense et sécurité etc .

◗ Le recours à l’adjectif féministe

Auditionné .es par la Commission internationale du HCE, des représentant .es du ministère de l’Économie et des Finances, du ministère des Armées ou encore de certaines collectivités territoriales ont fait part de leurs réticences à utiliser cet adjectif jugé trop clivant, porteur d’incompréhensions et de malentendus et donc contre-productif, ou trop militant et radical . Le terme de « lutte contre les inégalités femmes-hommes » ou de « politique en faveur des droits des femmes » ou « pour l’égalité entre les femmes et les hommes » lui est, dès lors, préféré. Ainsi, la référence au féminisme dérange et son acceptation en France n’est pas totale puisque selon un sondage BVA de mars 2019 « seul un Français.e sur deux se revendique féministe57 » .

Cependant le HCE note que le terme « diplomatie féministe », s’il n’est pas systématiquement repris par les représentant .es des institutions auditionnées, est néanmoins connu d’elles et d’eux la plupart du temps et a un « effet d’entraînement » . Les interlocuteurs et interlocutrices du HCE en retiennent une injonction à progresser en matière d’égalité et de droits des femmes et à intégrer ces enjeux dans leurs analyses et leurs pratiques .

Cette apparente contradiction entre les deux termes de diplomatie féministe met l’accent, au contraire, aux yeux du HCE, sur ce qui fait la force et le caractère fondamental de cette politique nouvelle : la prise en compte de l’égalité et des droits des femmes et des hommes est le vecteur essentiel d’un équilibre économique et social, facteur de paix et de développement durable dans le monde .

Sans doute faut-il néanmoins, afin de recueillir une plus grande adhésion au concept de diplomatie féministe, au-delà des organisations de la société civile et des principales administrations cheffes de file (ministère chargé de l’égalité entre les femmes et les hommes et ministère de l’Europe et des Affaires étrangères), définir précisément l’expression « diplomatie féministe » et continuer à expliciter ses exigences et ses critères .

54 - Lexique de science politique : vie et institutions politiques, Dalloz, 3e édition, 2014 .

55 - Ibid

56 - Marcel MERLE, La politique étrangère, Economica, Paris, 1984 .

57 - https://www.bva-group.com/sondages/les-francais-et-le-feminisme-sondage-bva-pour-wondher-et-rtl-girls/

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3. La nécessité d’un cadrage conceptuel et méthodologique pour la mise en œuvre de la diplomatie féministe de la France

Sur la base des travaux et des expériences existantes en matière de diplomatie féministe, ainsi qu’en liaison avec les différentes auditions et réflexions menées, le HCE souhaite conforter cette expression en lui donnant une définition et un cadrage méthodologique qui permettent de fédérer les différents acteurs de cette politique .

3-1 Deux objectifs fondateurs

Promouvoir un féminisme universel contre toutes les formes de relativisme, qu’il soit religieux, culturel ou politique

Le mot féminisme est d’un usage ancien et notre propos n’est pas ici d’en retracer la genèse et l’histoire . Il convient cependant de souligner que son sens est aujourd’hui sujet à discussion, voire lourd de débats, de polémiques, de désaccords .

Le HCE souhaite ici énoncer quelques points : le féminisme est une lutte pour l’égalité entre les femmes et les hommes et un combat pour la liberté et d’abord et avant tout, celle de la libre disposition de son corps (d’où les luttes pour les droits sexuels et reproductifs ou contre les violences, pour ne citer que celles-là) . L’émancipation des femmes ne relève pas d’un enjeu de mœurs et ne se limite pas à l’intégration égalitaire à l’ordre établi mais vise une transformation radicale d’un ordre politique et social qualifié de patriarcal . Ainsi elle est bel et bien un enjeu politique central .

Le HCE estime que l’objectif premier d’une diplomatie féministe est de promouvoir un féminisme universel contre toutes les formes de relativisme, qu’il soit religieux, culturel ou politique .

Universel ne signifie pas uniforme, et le féminisme ainsi qualifié inclut la diversité des histoires, des pratiques sociales et des luttes, mais il juge non négociables les droits .

En outre, que le féminisme puisse articuler différents paramètres, articulation nommée aujourd’hui « intersectionnalité », particulièrement le genre, la classe et la race, triptyque le plus souvent énoncé, est une évidence de longue date, mais cette articulation ne peut pas, ne doit pas déboucher sur une subordination de l’égalité et de la liberté des femmes à d’autres enjeux .

La promotion d’un féminisme universel s’enracine dans le constat que partout, à des degrés divers et par-delà les différences, se conjuguent oppression, domination et émancipation . Que partout, des femmes sont victimes mais aussi et surtout qu’elles sont, et sans cesse davantage au fil des années, actrices de leur histoire .

Au-delà des débats actuels qui peuvent opposer différentes conceptions du féminisme, il convient de rappeler que les engagements internationaux pris par les États en matière d’égalité femmes-hommes et de droits des femmes sont adoptés de manière quasi-universelle : 189 États sont parties à la Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’encontre des femmes, outil juridique contraignant (CEDEF, 1979) ; 189 États ont adhéré à la Déclaration et au Programme d’action issus de la Conférence mondiale sur les femmes de Pékin (1995) ; les 193 États de l’ONU se sont engagés à réaliser l’Agenda 2030 et à atteindre ses 17 objectifs de développement durable, dont l’objectif 5 spécifiquement dédié à l’égalité femmes-hommes ; les résolutions «Femmes, Paix et sécurité » du Conseil de Sécurité s’appliquent aux 193 États de l’ONU ; l’Accord de Paris pour le climat (dont le préambule fait des droits humains et de l’égalité femmes-hommes un principe pour l’action climatique) . Ces adhésions, on le sait, ne signifient pas automatiquement une mise en œuvre mais elles peuvent être et même doivent être considérés comme des outils susceptibles d’aider à mettre les États devant leurs responsabilités et à transcrire leurs engagements en programmes d’action .

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Une diplomatie féministe aura ainsi également pour objectif de travailler avec l’ensemble des États impliqués et les mouvements féministes à la mise en œuvre des engagements internationaux et régionaux en matière de droits des femmes, d’égalité, de liberté, de lutte contre les violences sexistes et sexuelles, ainsi qu’à la réalisation de l’Agenda 2030 et des objectifs de développement durable (ODD) et de l’Accord de Paris pour le climat .

Mettre fin à un système patriarcal

Le féminisme vise un changement global, une transformation des rapports de pouvoir, l’abolition de la subordination des femmes, autant dire la suppression du patriarcat . Suppression en droit, mais aussi suppression dans les faits, puisque l’abolition juridique du patriarcat n’est pas synonyme de disparition de la domination masculine .

Il résulte qu’une « diplomatie féministe » n’est pas une diplomatie sectorielle (à l’instar par exemple de la diplomatie économique ou de la diplomatie culturelle) . Elle est en ce sens distincte de la « diplomatie des droits des femmes » : c’est une diplomatie transversale, qui a vocation transformative de l’ensemble des domaines, domaine politique, culturel, économique, environnemental, défense etc… à la fois dans leurs objectifs, dans les moyens qu’ils y consacrent et dans leurs différents moments .

3-2 Le périmètre et la méthode d’une diplomatie féministe : une intégration transversale du genre dans tous les domaines de la politique étrangère.

Le périmètre à retenir pour une diplomatie féministe

La diplomatie féministe nécessite la mise en œuvre d’une approche intégrée de la liberté et de l’égalité entre les femmes et les hommes dans l’ensemble des champs d’intervention et domaines de la politique étrangère : diplomatie stricto-sensu (au sens d’actions de plaidoyer international), aide publique au développement, défense et sécurité, commerce, climat .

Cette approche intégrée repose sur « la (ré)organisation, l’amélioration, l’évolution et l’évaluation des processus de prise de décision, aux fins d’incorporer la perspective de l’égalité entre les femmes et les hommes dans tous les domaines et à tous les niveaux, par les acteurs généralement impliqués dans la mise en place des politiques 58 .» Elle doit s’appliquer à tous les domaines de l’action extérieure et à toutes ses étapes (préparation, mise en œuvre, évaluation) .

Elle nécessite une appropriation, par l’ensemble des personnels impliqués dans ces différentes politiques, des enjeux des inégalités femmes-hommes et des actions nécessaires pour réduire celles-ci . En conséquence, la diplomatie féministe doit être une priorité pour toutes les actions extérieures de l’État et toutes les institutions impliquées dans la définition et la mise en œuvre de ces politiques . Pour la France, elle devrait donc dépasser le cadre du ministère de l’égalité entre les femmes et les hommes et du ministère de l’Europe et des Affaires étrangères et s’appliquer également à part entière à toutes les instances concernées et notamment au ministère des Armées et au ministère de l’Économie, des Finances et de la Relance .

Les six principes fondamentaux d’une diplomatie féministe

Le cadre suédois, sans être exhaustif, pose les premières bases d’une définition que le HCE reprend à son compte . Ce cadre s’appuie, comme il a été vu ci-dessus, sur le concept des « 3 R », les 3 critères sur lesquels repose, pour la Suède, la politique étrangère féministe :

o Les droits (Rights) : Placer la liberté, les droits des femmes et l’égalité entre les femmes et les hommes au cœur de l’action extérieure Une diplomatie féministe doit reposer sur les droits et principes posés par les textes internationaux en la matière, notamment la Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’encontre

58 - Conseil de l’Europe, Approche intégrée de l’égalité entre les femmes et les hommes, p .14 https://rm.coe.int/1680596136

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des femmes, CEDEF ; le programme d’action de la Conférence internationale sur la population et le développement du Caire (1994) ; la déclaration et le programme d’action de Pékin (1995) ; la résolution 1325 du Conseil de Sécurité des Nations unies et suivantes (agenda Femmes, Paix et sécurité) ; la Convention du Conseil de l’Europe sur la prévention et la lutte contre la violence à l’égard des femmes et la violence domestique et les autres engagements internationaux59 et régionaux .

o La représentation des femmes : Assurer la participation des femmes à la co-construction et à la mise en œuvre de la diplomatie féministe Cela signifie d’une part, le renforcement des exigences de parité et l’inclusion, à part égale et à tous les niveaux, des femmes parmi les personnels engagés dans la définition et la mise en œuvre de la politique étrangère . Cela signifie également l’inclusion, tout au long du processus d’élaboration et d’évaluation des politiques, des mouvements féministes et de femmes, dès lors qu’ils travaillent à l’égalité, la liberté et l’émancipation des femmes .

o Les ressources : Mobiliser des ressources conséquentes et pérennes, à la hauteur de l’enjeu et des ambitions Une politique étrangère féministe doit se donner des moyens à la hauteur de ses ambitions, en lui allouant un budget et des ressources propres (financières et humaines) . Ces moyens sont nécessaires à la mise en œuvre des actions et à l’impulsion d’un réel changement culturel et institutionnel à la fois au sein des ministères et opérateurs concernés et auprès des autres États et institutions internationales .

A ces trois critères suédois, le HCE estime nécessaire de rajouter les trois critères suivants :

o Une approche transformative : Le HCE estime que, conformément à la définition du féminisme, une politique ne peut être qualifiée de féministe que si elle cherche à modifier de manière durable, voire à abolir les structures inégalitaires du pouvoir patriarcal (changement de paradigme, changement de culture institutionnelle) et qu’elle s’inscrit dans la durée . Une politique féministe ne peut se limiter à l’adoption de mesures correctrices en faveur des femmes mais doit se concentrer sur la transformation des relations de pouvoir . Cette vision implique de s’attaquer aux causes profondes des inégalités tels que les stéréotypes, les normes sexistes et les lois discriminantes envers les femmes et de promouvoir une mise en œuvre effective de l’égalité réelle entre les femmes et les hommes . Adopter une approche féministe de la politique étrangère nécessite, en effet, un changement culturel et institutionnel profond des organisations impliquées dans la conception et la mise en œuvre de ces politiques .

o Une mise en cohérence des politiques et la mise en place d’une organisation institutionnelle dédiée et pérenne : Une diplomatie féministe nécessite une organisation institutionnelle et administrative qui permette d’assurer une coordination et une mise en cohérence des différentes politiques menées (politiques d’aide au développement, commerce, défense, action diplomatique) et leur articulation avec les politiques nationales . Ce système devrait également inclure un système de redevabilité permettant d’évaluer les actions menées (plan d’action avec indicateurs de résultats et indication des ressources mobilisées) dans l’ensemble des domaines concernés et leur impact, en lien avec les organisations de la société civile . Pour la France, la feuille de route d’une diplomatie féministe devrait être interministérielle, et non placée sous la responsabilité d’un seul ministère . (Cf . les recommandations dans la partie suivante du rapport)

o L’affirmation d’une solidarité internationale avec les femmes en lutte pour leurs droits et leurs libertés et le déploiement d’un soutien et d’une aide pour les militant .es qui, à cause de ces luttes et dans de très nombreux pays, sont victimes d’une lourde répression .

59 - dont les conventions de l’OIT

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3-3 Proposition de définition d’une diplomatie féministe retenue par le HCE

Sur cette base, le HCE propose la définition suivante d’une diplomatie féministe :

« La diplomatie féministe est la politique d’un État qui place l’égalité entre les femmes et les hommes, la liberté et les droits des femmes, la lutte pour l’abolition du patriarcat au cœur de son action extérieure, dans l’ensemble de ses dimensions (aide publique au développement, diplomatie stricto sensu, commerce et économie, culture, éducation, influence, défense et sécurité, climat et environnement…).

Pour ce faire, elle assure la participation, à parts égales, des femmes et des mouvements féministes (dans le pays et à l’extérieur du pays) à sa co-construction et à sa mise en œuvre. Elle alloue des ressources importantes sur la durée à la réalisation de cet objectif et elle met en place, au sein de l’État, une organisation institutionnelle et administrative dédiée et pérenne, qui permette d’assurer la cohérence des politiques et qui inclut un système de redevabilité. »

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II – La mise en œuvre de la diplomatie féministe de la France : entre avancées et résistances

Deux ans après l’annonce de l’adoption d’une diplomatie féministe et de la publication de la Stratégie internationale pour l’égalité entre les femmes et les hommes, le HCE estime que la mise en place de cette politique s’est accompagnée d’une mobilisation au sein de l’État et d’avancées réelles qu’il convient d’autant plus d’encourager que les résistances sont encore nombreuses . Néanmoins des points sont à renforcer afin de faire de la diplomatie féministe une politique transformatrice et réellement inscrite dans le système institutionnel français .

1. Quatre éléments d’un bilan contrasté

1-1 Un plaidoyer renforcé mais une irrigation insuffisante dans les différents domaines de la politique étrangère de la France

a) Un plaidoyer international renforcé en faveur des droits des femmes L’affirmation par la France d’une diplomatie féministe s’accompagne d’un plaidoyer renforcé en faveur des droits des femmes et de l’égalité femmes-hommes sur la scène internationale, en particulier dans le cadre multilatéral.

La France est ainsi particulièrement active dans le cadre des Nations unies sur ces thématiques, que ce soit par des interventions au plus haut niveau ou par l’intermédiaire de la Représentation permanente de la France auprès des Nations unies . Au-delà des interventions au plus haut niveau recensées en première partie, la France a mené une campagne active pour la ratification de la convention d’Istanbul sur la prévention et la lutte contre la violence à l’égard des femmes et la violence domestique, auprès des membres du Conseil de l’Europe et auprès de pays partenaires extérieurs, en particulier lors de sa présidence (mai - novembre 2019) .

Cet engagement s’est également manifesté pendant la pandémie de la Covid-19 au cours de laquelle la France a adopté, avec 58 autres pays, une déclaration conjointe sur la protection des droits et de la santé sexuels et reproductifs et la promotion de l’égalité des femmes et des hommes60 .

Outre les actions renforcées de plaidoyer international, cette mobilisation s’incarne également au travers d’événements diplomatiques phares (co)-organisés à l’initiative de la France : la présidence française du G7 (2019) et la co-organisation du Forum Génération Égalité (prévu en juillet 2020, décalé au 1er semestre 2021).

60 - Déclaration conjointe sur la protection des droits et de la santé sexuels et reproductifs et la promotion de l’égalité des genres dans la crise du COVID-19 https://www.diplomatie.gouv.fr/fr/le-ministere-et-son-reseau/actualites-du-ministere/informations-coronavirus-covid-19/coronavirus-declarations-et-communiques/article/declaration-conjointe-sur-la-protection-des-droits-et-de-la-sante-sexuels-et

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La présidence française du G7

De nombreux projets ont été soutenus lors du G7 .

Diplomatie féministe et présidence française du G7 (2019)

L’égalité entre les femmes et les hommes, et, plus largement, la lutte contre les inégalités, ont été mises au rang des priorités du G7 sous la présidence française, en 2019 .

Le Conseil consultatif pour l’égalité entre les femmes et les hommes, initialement lancé par le Canada en 2018, a été reconduit afin d’alimenter les travaux de la présidence française du G7 sur l’égalité entre les femmes et les hommes .

Plusieurs engagements ont été annoncés lors du Sommet de Biarritz (août 2019) :

• Adoption du Partenariat de Biarritz61 : engagement des États du G7 à adopter et à mettre en œuvre des cadres législatifs progressistes pour l’égalité femmes - hommes, en s’inspirant du bouquet législatif de 79 lois et bonnes pratiques identifiées par le Conseil consultatif pour l’égalité . L’Union européenne ainsi que l’Australie, l’Inde, le Chili et le Sénégal se sont par la suite joints à ce partenariat ;

• Soutien à l’initiative pour l’entreprenariat féminin en Afrique (AFAWA) : le G7 accorde un prêt global de 251 millions de dollars à la Banque africaine de développement (BAD)62 ; 135 millions de dollars pour la France ;

• Soutien à l’inclusion financière numérique des femmes en Afrique, sous l’égide de la Fondation Gates (France : 25 millions de dollars ; Royaume-Uni : 18,6 ; Fondation Gates :73) ;

• Soutien au Fonds mondial pour les survivant.es de violences sexuelles liées aux conflits, à l’initiative des Prix Nobel de la Paix Denis Mukwege et Nadia Murad : le G7 s’engage à lever 45 millions d’euros d’ici 202263 (6,2 millions d’euros sur 3 ans annoncés par la France) ;

• Soutien à l’initiative « Priorité à l’égalité » au Sahel, qui vise à intégrer le genre dans les politiques et planifications sectorielles d’éducation, sous l’égide de plusieurs organisations spécialisées comme l’UNGEI, l’UNICEF et l’UNESCO64 . Financements annoncés : France (2,5 M€), Commission européenne (1M€), Allemagne (1,3 M€), Royaume-Uni (1,6 MUSD) ;

• Renouvellement de l’engagement de la France à créer un fonds de 120 millions d’euros (via l’AFD) destiné aux mouvement féministes et ONG du Sud pour des projets d’égalité femmes-hommes .

Le Groupe des 7 (G7) est un groupe informel de sept pays dont les chefs d’État et de gouvernement se réunissent lors d’un sommet annuel . Il rassemble la France, les États-Unis, le Royaume-Uni, l’Allemagne, le Japon, l’Italie et le Canada . L’Union européenne y est également représentée . En plus des sujets économiques, qui sont au cœur de sa fondation, le G7 est une enceinte de concertation sur les grands enjeux globaux . Les pays du G7 représentent aujourd’hui près de 40% du PIB mondial et 10% de la population mondiale .

Toutefois, la mise sous silence de certains sujets centraux, tels que les droits sexuels et reproductifs, du fait de la présence des États-Unis, vient ternir ce bilan et il conviendra d’établir un suivi et un bilan des engagements pris lors du G7 .

Le Forum Génération Egalité

La France s’est engagée dans la co-organisation, avec ONU Femmes et le Mexique, du Forum Génération Égalité (Pékin +25), en France, pour les 25 ans de la Conférence mondiale de Pékin sur les femmes (initialement prévu

61 - Déclaration commune du G7 sur le partenariat de Biarritz, aout 2019 https://www.elysee.fr/admin/upload/default/0001/05/d212799579a4b28fa19552c70b576ea235d79480.pdf Appel à l’action du partenariat de Biarritz https://www.elysee.fr/admin/upload/default/0001/05/82bd863b490b177e3a751e7e07f57fc2fce22653.pdf

62 - Conférence de presse finale du Président de la République Emmanuel Macron au sommet du G7, 2019 https://www.elysee.fr/emmanuel-macron/2019/08/27/g7-biarritz-conference-de-presse-a-lissue-du-sommet

63 - https://www.elysee.fr/emmanuel-macron/2019/08/28/g7-biarritz-quest-ce-qui-a-ete-decide

64 - Initiative « priorité à l’égalité » au Sahel du sommet du G7, juillet 2019 https://www.diplomatie.gouv.fr/IMG/pdf/priorite_a_l_egalite_5_juillet_cle01981f.pdf

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en juillet 2020, décalé au premier semestre 2021) . Dans ce cadre, elle a annoncé qu’elle prendrait la tête, avec l’Argentine, le Burkina Faso et le Danemark, d’une coalition d’actions consacrée à la santé et aux droits sexuels et reproductifs qui sera lancée lors du Forum . Elle a aussi annoncé le lancement de deux nouvelles initiatives à cette occasion : un nouveau « Mécanisme pour les femmes, la paix et la sécurité et l’action humanitaire » ainsi qu’un manuel compilant les bonnes pratiques et politiques efficaces mises en place par les gouvernements lors de la crise Covid-19, afin de prévenir et mettre fin aux violences domestiques . L’Ambassadrice Delphine O a été nommée, en mai 2019, secrétaire générale du Forum Génération Egalité .

Le Forum Génération Égalité (Pékin +25) organisé en France en 2021

Le Forum Génération Égalité a pour objectif de permettre l’accélération de la mise en œuvre des engagements mondiaux en faveur de l’égalité entre les femmes et les hommes et de célébrer le 25ème anniversaire de la quatrième conférence mondiale sur les femmes de Pékin (1995), ainsi que la déclaration et le programme d’action qui en sont issus .

Il se définit comme un rassemblement mondial, plaçant au cœur de son action la société civile et l’ensemble des acteurs et actrices impliqué .es .

Outre les débats qui seront organisés à cette occasion, six coalitions d’action multi-acteurs seront lancées, qui associeront des gouvernements du Sud et du Nord, des organisations internationales, des fondations philanthropiques, la société civile et le secteur privé afin d’obtenir des résultats concrets et mesurables à l’horizon de cinq ans :

• Violence basée sur le genre

• Justice et droits économiques

• Autonomie corporelle et droits en matière de santé reproductive et sexuelle

• Action féministe pour la justice climatique

• Technologies et innovation pour l’égalité des sexes

• Mouvements et leadership féministes

Les enjeux de « Femmes, Paix et sécurité » ne font pas l’objet d’une coalition d’action mais devraient faire l’objet d’un nouveau Mécanisme .

La déclaration et le programme d’action de Pékin (1995)

La déclaration et le programme d’action de Pékin, adoptés à l’unanimité des 189 États présents lors de la 4ème conférence mondiale sur les femmes (Pékin, 1995), constituent un cadre de référence pour les droits des femmes . Souvent appelé aussi « plate-forme de Pékin », le programme d’action définit douze domaines prioritaires d’intervention . Pour la première fois, les signataires s’engagent à inclure effectivement l’égalité des femmes et des hommes dans tous les domaines de leur action gouvernementale .

Les 12 domaines prioritaires d’intervention :

• Les femmes et la pauvreté

• L’éducation et la formation des femmes

• Les femmes et la santé

• La violence à l’égard des femmes

• Les femmes et les conflits armés

• Les femmes et l’économie

• Les femmes, le pouvoir et la prise de décision

• Les mécanismes institutionnels pour la promotion des femmes

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• Les droits humains des femmes

• Les femmes et les médias

• Les femmes et l’environnement

• Les petites filles

Le HCE se félicite de cette mobilisation de la diplomatie, dans le cadre multilatéral et lors d’événements phares, au service des enjeux d’égalité femmes-hommes et des droits des femmes . Ces événements diplomatiques majeurs, véritables outils de mobilisation, contribuent à renforcer la visibilité des enjeux d’égalité femmes-hommes et de la diplomatie féministe et participent à marquer la présence de la France sur ces questions . Le HCE souligne la nécessité que la France initie et assure la mise en place d’engagements structurants et durables, lors de ces événements importants mais ponctuels, tels que le Forum Génération Egalité, et de prévoir des mécanismes de suivi et d’évaluation .

b) Une priorité insuffisamment assumée et une diplomatie encore trop sectorielle En-dehors de ces rendez-vous phares, le HCE souligne la nécessité de systématiser la mise en avant de ces enjeux féministes, y compris dans les forums et réunions multilatérales qui n’y sont pas spécifiquement consacrés et dans le cadre des échanges bilatéraux, encore trop faiblement mobilisés et il souligne l’importance de structurer ces échanges . Le HCE constate, en effet, lors de ses auditions et de l’analyse des discours prononcés lors des visites présidentielles ou ministérielles, que rares sont les exemples de mise en avant des enjeux d’égalité femmes-hommes et de droits des femmes dans un cadre bilatéral, y compris dans des pays où des reculs sont à l’œuvre en matière de droits des femmes . Ainsi, sur les douze visites bilatérales65 effectuées par le Président de la République entre mars 2019 et février 2020, une seule (au Japon) a donné lieu à l’évocation du thème des droits des femmes et de l’égalité femmes-hommes .

Le MEAE indique par ailleurs que seul un tiers des ambassades auraient engagé un dialogue politique sur les questions d’égalité entre les femmes et les hommes en 2018-2019 ; et que moins de 15% des ambassades disposent d’un cadre de concertation formel sur ce sujet avec leur pays d’accueil .

De même, la mise sous silence des questions de droits et santé sexuels et reproductifs (DSSR) pendant la présidence française du G7, du fait de la présence des États-Unis, ou dans un autre registre, la persistance des ventes d’armes à des pays connus pour leur non-respect des droits fondamentaux des femmes, interroge sur la concurrence et la hiérarchie des enjeux au sein de la politique étrangère française . Une réelle diplomatie féministe nécessiterait de porter les droits des femmes, l’égalité femmes-hommes, les DSSR en permanence au cœur des échanges diplomatiques, voire de les poser comme conditionnalité de ces échanges . Le HCE, tout en comprenant la nécessaire prise en compte des différents intérêts de la nation, soutient que la diplomatie féministe peut et doit imprégner davantage les échanges diplomatiques et s’appliquer à l’ensemble de la politique étrangère française.

La diplomatie féministe ne se joue donc pas que dans les grands rendez-vous ou dans les moments privilégiés que sont le 8 mars, journée internationale des femmes, ou le 25 novembre, journée internationale pour l’élimination des violences contre les femmes . Elle doit se déployer aussi dans le quotidien des ambassades, des instituts français, des centres culturels, étant de fait une composante de la diplomatie d’influence . L’autoévaluation du MEAE fait état de 45% des ambassades qui auraient organisé des conférences ou rencontres sur ce thème . Il serait intéressant de connaître, de manière relativement exhaustive, les thématiques des débats et colloques organisés par les postes, le nombre de femmes invitées, les critères qui président aux choix des intervenant .es, ainsi que la fréquence de ces rencontres .

Des relais importants de cette diplomatie d’influence sont ici à saluer et à mobiliser . L’Institut français, opérateur chargé de la promotion de la culture française hors de nos frontières et qui appuie l’action des services culturels des ambassades, a un rôle important à jouer dans cette partition . De même, France Médias Monde (FMM), qui réunit France 24, la chaîne d’information continue (en français, en anglais, en arabe et en espagnol), RFI, la radio

65 - Visites bilatérales du Président de la République de mars 2019 à février 2020 : le 12 mars 2019 à Djibouti et en Éthiopie ; le 13 mars 2019 au Kenya ; le 26 et 27 juin 2019 au Japon ; le 15 juillet 2019 en Serbie ; le 13 septembre 2019 à Andorre ; le 18 septembre 2019 en Italie ; le 6 novembre 2019 en Chine ; le 21 décembre 2019 en Côte d’Ivoire ; le 22 Janvier 2020 en Israël ; du 3 au 5 février 2020 en Pologne ; et le 27 février en Italie .

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mondiale (en français et en seize autres langues) et Monte Carlo Doualiya, la radio en langue arabe, peut être un relais et un acteur de cette politique . Sa présidente qualifie de « magnifique nouvelle » l’emploi de l’adjectif féministe, qui n’est pas « une injonction » mais une caisse de résonance de la vie et des combats des unes et des autres, vie et combats qui font l’objet d’émissions de télévision et de radio, aussi bien en Afrique qu’en Amérique latine ou en Asie . FMM s’est engagée de facto dans la diplomatie féministe, selon deux axes : en mettant en place un comptage des femmes sur les antennes depuis 2015 avec des objectifs de progression (50,3% de femmes sur les antennes en 2019 au global ; mais 30% d’expertes sur France 24 et 36% sur RFI), ainsi qu’un comité exécutif paritaire et en plaçant le statut et les droits des femmes au cœur de la ligne éditoriale de FMM (500 sujets et émissions dédiés en 2019, soit plus d’un par jour) .

Au-delà des actions de plaidoyer diplomatique, le HCE insiste donc sur la nécessité de renforcer la prise en compte des enjeux de la diplomatie féministe, afin de les placer de manière plus systématique au cœur de l’action extérieure de la France, dans tous les domaines, y compris dans ceux de la politique de sécurité et de défense, ou la politique économique et commerciale.

Ces deux points seront développés infra, dans la partie II – 2 de ce rapport, consacrée aux axes d’intervention de la diplomatie féministe .

RECOMMANDATION N°1 : Faire des enjeux féministes une réelle priorité de la diplomatie dans toutes ses dimensions :

◗ Poursuivre et intensifier le plaidoyer multilatéral, notamment dans les réunions et négociations qui ne sont pas spécifiquement consacrées à ces sujets (Assemblée Générale des Nations Unies (AGNU) et Conseil de sécurité, G7, G20, institutions financières internationales, Convention-cadre des Nations Unies sur les changements climatiques (CCNUCC) et négociations environnementales…) et dans le cadre de l’Union européenne ;

◗ Renforcer les coopérations avec les instances internationales engagées sur les enjeux d’égalité et de droits des femmes (ONU Femmes, Fonds des Nations Unies pour la Population (FNUAP)), notamment au niveau local (bureaux pays) ;

◗ Renforcer le dialogue et les actions dans le cadre bilatéral, en intensifiant la mobilisation des ambassadeurs et ambassadrices, des consul .es générales .aux et des conseiller .es de coopération et d’action culturelle (COCAC) :

◗ Renforcer la communication autour des enjeux de la diplomatie féministe et de la Stratégie internationale pour l’égalité femmes-hommes, notamment par le biais de messages aux plus hauts niveaux (conférence des ambassadeurs et ambassadrices, journées du Réseau de coopération et d’action culturelle) ;

◗ Renforcer le caractère obligatoire et systématique de prise en compte des enjeux d’égalité femmes-hommes par les postes, notamment en rendant obligatoire leur inscription dans les plans d’actions des ambassadeurs et des ambassadrices et dans leurs bilans .

◗ Au-delà des actions de plaidoyer diplomatique, renforcer la prise en compte des enjeux de la diplomatie féministe, afin de les placer de manière plus systématique au cœur de l’action extérieure de la France, dans tous ses domaines, y compris la politique de sécurité et de défense, ou la politique économique et commerciale . (Voir axe 2 – recommandations par axes d’intervention) .

1-2 Une organisation administrative française qui doit renforcer ses modalités de pilotage et de redevabilité

Adopter une approche féministe de la politique étrangère doit entraîner un changement culturel et institutionnel profond ainsi qu’une appropriation du sujet par l’ensemble des personnels liés aux questions extérieures .

a) Une première étape : la Stratégie internationale pour l’égalité entre les femmes et les hommes

L’adoption par le MEAE de la Stratégie internationale en matière d’égalité femmes-hommes en mars 2018 constitue une première étape importante dans la transcription de la diplomatie féministe en politique publique,

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assortie d’un plan d’action et d’un cadre de redevabilité . Elle témoigne également de la mobilisation croissante de ce ministère, en lien avec le Secrétariat d’État chargé de l’égalité entre les femmes et les hommes, autour de ces enjeux depuis l’adoption des deux stratégies Genre et Développement qui l’ont précédée (2007-2012 ; 2013-2017) .

Le HCE se félicite de l’ambition transversale de la Stratégie, au-delà des questions de coopération au développement qui constituaient le champ des précédentes stratégies, et en lien avec les recommandations du HCE issues de l’évaluation du Document d’orientation stratégique genre et développement66, ainsi que de l’adoption d’une approche intégrée de l’égalité appliquée à tous les objectifs des politiques, champs d’intervention et instruments de l’action extérieure .

La constitution d’un cadre de redevabilité (cinq axes d’intervention ; 75 indicateurs) pour le ministère de l’Europe et des Affaires étrangères et ses 12 opérateurs constitue également un point essentiel .

Le HCE note également la mise en place d’un pilotage de haut niveau de la stratégie, avec la tenue de réunions semestrielles du comité de pilotage comprenant les directeurs et directrices du MEAE et les opérateurs sous la présidence du Secrétaire général du MEAE et avec l’appui de la Haute fonctionnaire à l’égalité .

Le développement d’actions visant à renforcer la culture institutionnelle de l’égalité (objectif spécifique n°1 de la Stratégie), notamment par la sensibilisation et la formation des agent .es, et le développement d’un réseau de correspondant .es égalité67 destiné à diffuser et à veiller à la mise en œuvre de la Stratégie au sein des services du MEAE, des ambassades et chez les opérateurs, doit également être souligné et constitue la condition d’une réelle appropriation des enjeux et des objectifs de la diplomatie féministe .

Des éléments transmis par le MEAE, il ressort néanmoins que si les formations à l’égalité touchent un nombre croissant d’agent .es, elles ne sont pas systématiques pour l’encadrement intermédiaire (adjoint .e des sous-directeurs et sous-directrices, chef .es de pôles) ou supérieur (directeurs et directrices, ambassadeurs et ambassadrices), à l’exception des formations initiales reçues depuis 2015 . De plus, la durée des formations reste limitée (comprise entre une et trois heures maximum) . Elle permet une sensibilisation des agent .es aux enjeux de l’égalité mais pas nécessairement leur bonne appropriation sur la durée .

b) Une inscription insuffisante de la diplomatie féministe dans l’organisation administrative française

Le HCE souligne néanmoins que la Stratégie, si elle constitue une première étape nécessaire, ne peut en l’état et à elle seule constituer la feuille de route d’une politique étrangère féministe globale et transformative .

En effet, ainsi qu’il a été vu ci-dessus, son périmètre est partiel . Bien qu’élargi par rapport aux stratégies genre et développement qui l’ont précédée, il ne concerne que l’action du MEAE et de ses opérateurs et il n’inclut pas, dans son cadre de redevabilité, l’ensemble des domaines de la politique étrangère .

Effet d’entraînement de la Stratégie sur les opérateurs du MEAE

Il ressort des auditions menées par le HCE que si l’engagement de certains opérateurs en faveur de l’égalité femmes-hommes est antérieur à l’adoption de la diplomatie féministe et de la Stratégie internationale de la France pour l’égalité entre les femmes et les hommes (voir point sur France Media Monde ci-dessus), la mise en place de la Stratégie et de son cadre de redevabilité peut avoir un effet d’entraînement sur d’autres opérateurs .

Ainsi, Expertise France, opérateur pour l’expertise technique française à l’international, dont le contrat d’objectifs et de moyens (2020-2022) prévoit l’augmentation croissante du nombre de projets genre dans tous les secteurs d’intervention de l’agence : 50% de part des nouveaux contrats signés marqués CAD 2 ou CAD

66 - HCE, Rapport final d’évaluation de la mise en œuvre de la seconde Stratégie Genre et Développement 2013 – 2017, rapport n°2017-09-29-INT-029, http://haut-conseil-egalite.gouv.fr/IMG/pdf/seconde_strat_genre_develop_-_v3.pdf

67 - Le réseau des référent .es égalité est passé de 147 personnes en 2017 à 159 en 2020, selon les indications du MEAE .

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1 selon la règlementation du Comité d’aide au développement (CAD) de l’OCDE d’ici à 2022, dont au moins sept nouveaux projets CAD2 .

L’agence, qui prépare une nouvelle feuille de route sur le genre plus ambitieuse, a mis en place des référent .es égalité, au nombre de 15, dans toutes ses directions .

S’il est indiqué dans la Stratégie que « le genre est intégré à l’ensemble des enjeux de la diplomatie française dans ses dimensions politique, économique, d’influence, culturelle, éducative et de coopération au développement », il s’avère en réalité que seules les questions relatives au développement et au plaidoyer politique sont abordées . Sont laissés de côté les enjeux de sécurité, de défense et de commerce . De même, au sein même du périmètre du MEAE, la Stratégie pourrait et devrait également inclure, dans son cadre de redevabilité, les autres stratégies liées aux questions d’égalité du MEAE et notamment le Plan national d’action « Femmes, Paix et Sécurité » ainsi que la Stratégie sur les enjeux de population, de droits et de santé sexuels et reproductifs .

Il est nécessaire d’insister sur la prise en compte systématique d’une perspective de genre dans tous les documents d’orientation stratégique du MEAE et de l’AFD, ainsi que les Plans d’action et de mise en œuvre, particulièrement ceux qui ont de toute évidence un impact genre, comme le plan d’action de la stratégie sur les droits humains et le développement en cours d’élaboration au MEAE ou le plan Migrations et développement de l’AFD .

Stratégie sur les enjeux de population, de droits et de santé sexuels et reproductifs (2016-2020)68

Les enjeux liés aux droits sexuels et reproductifs ont fait l’objet d’une stratégie dédiée, publiée par le ministère de l’Europe et des Affaires étrangères en octobre 2016 .

Ce document d’orientation stratégique définit la feuille de route de la France pour contribuer à la mise en œuvre du Programme d’action du Caire (1994), qui a, pour la première fois, introduit le concept de « santé sexuelle et reproductive » et déclaré que les politiques de population et développement devaient prendre en compte les enjeux de genre et d’égalité femmes-hommes . Cette stratégie poursuit trois objectifs prioritaires, assortis de sept indicateurs de suivi : améliorer les cadres normatifs internationaux, régionaux et nationaux en matière de droits sexuels et reproductifs ; augmenter l’accès aux méthodes modernes de contraception par une approche intégrée et faciliter l’accès des adolescent .es et des jeunes aux services de santé sexuelle et reproductive afin de réduire les pratiques néfastes .

Un rapport de redevabilité à mi-parcours a été établi par le ministère de l’Europe et des Affaires étrangères en décembre 201869 qui détaille l’action du MEAE et de l’AFD sur ces enjeux depuis le lancement de la stratégie en 2016 . Il y est notamment indiqué que « l’efficacité de la mise en œuvre (de la stratégie internationale de la France pour l’égalité entre les femmes et les hommes) dépendra largement de son articulation avec les autres stratégies ministérielles, y compris la stratégie Action extérieure de la France sur les enjeux de population, de droits et santé sexuels et reproductifs 2016-202070 .»

Le HCE souligne également la nécessité de prévoir un suivi et un cadre de redevabilité pour l’ensemble des engagements pris dans le cadre international, et notamment des engagements financiers pris récemment dans le cadre du G7.

c) Une implication encore inégale de l’ensemble des acteurs publics concernés (État, collectivités territoriales)

Placer la diplomatie féministe au cœur de l’action extérieure de la France nécessite d’impliquer davantage, au-delà du MEAE et du ministère de l’égalité entre les femmes et les hommes71, les autres ministères concernés

68 - https://www.diplomatie.gouv.fr/IMG/pdf/dssr_fr_cle0b152c.pdf

69 - https://www.diplomatie.gouv.fr/IMG/pdf/rapport_de_redevabilite_dos_dssr_v2_cle02eeb1.pdf

70 - Rapport de redevabilité Ibid p .4

71 - En juillet 2020, l’appellation a changé le Secrétariat d’État devenant Ministère chargé de l’égalité entre les femmes et les hommes, de la diversité et de l’égalité des chances . Pour l’action passée, l’ancienne appellation est maintenue . Pour l’action à venir et les propositions, utilisation du nouveau nom du ministère .

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par l’action internationale, au premier rang desquels le ministère des Armées et le ministère de l’Économie, des Finances et de la Relance .

Pour aller plus loin dans la mise en œuvre d’une politique étrangère féministe dans toutes ses dimensions, le HCE estime qu’il conviendrait d’établir une feuille de route interministérielle établie par une instance de coordination . Celle-ci, qui pourrait être baptisée « Conseil pour la diplomatie féministe française » (CDFF), serait placée sous l’autorité du Président de la république ou du Premier ministre et s’accompagnerait d’un mécanisme de redevabilité pour l’ensemble des institutions concernées.

Plus encore, il conviendrait d’intégrer les autres acteurs et actrices publiques intervenant dans le champ de la politique étrangère, et notamment les collectivités territoriales . Le HCE, qui a auditionné un petit panel de collectivités et sollicité la Délégation à l’Action extérieure des collectivités territoriales (DAECT), a constaté qu’en dépit des nombreuses actions menées par les collectivités dans le champ international, ayant parfois directement trait aux enjeux d’égalité femmes-hommes et de droits des femmes, certaines réserves pouvaient être formulées :

◗ Le concept de diplomatie féministe est la plupart du temps méconnu ou mal connu des collectivités territoriales .

◗ Il est difficile d’avoir une vision exhaustive et consolidée des actions et projets menés en matière d’égalité et de droits des femmes par les collectivités territoriales (et parfois au sein d’une même collectivité territoriale) : absence de déclaration systématique par les collectivités territoriales des montants de leur APD72 ou de leur action extérieure dans son ensemble ; absence d’utilisation systématique d’indicateurs genrés ; manque de connaissance et d’appropriation des marqueurs genre de l’OCDE ; absence d’analyse genrée systématique des projets .

Une évaluation de la politique internationale conduite sous un angle féministe ou de genre par les collectivités territoriales serait donc opportune .

Genre et action extérieure des collectivités territoriales

Les collectivités territoriales (communes, départements, régions) peuvent mener et coordonner des projets de coopération avec des collectivités territoriales étrangères . L’article L . 1115-1 du Code général des collectivités territoriales (C .G .C .T) dispose que : « Dans le respect des engagements internationaux de la France, les collectivités territoriales et les groupements peuvent mettre en œuvre ou soutenir toute action internationale annuelle ou pluriannuelle de coopération, d’aide au développement ou à caractère humanitaire . À cette fin, les collectivités territoriales et leurs groupements peuvent, le cas échéant, conclure des conventions avec des autorités locales étrangères . » Ces coopérations doivent se faire en accord avec l’action diplomatique et dans le respect des engagements internationaux de la France .

La coordination entre l’État et les collectivités pour l’action extérieure est assurée par l’intermédiaire de la Commission Nationale de la Coopération Décentralisée (CNCD), qui se réunit deux fois par an et est présidée de droit par le Premier ministre ou par le ministre de l’Europe et des Affaires étrangères ainsi que par la Délégation pour l’Action Extérieure des Collectivités territoriales (DAECT), rattachée au ministère de l’Europe et des Affaires étrangères . L’Ambassadeur .rice délégué .e pour l’action extérieure des collectivités territoriales occupe parallèlement le poste de Secrétaire général .e de la CNCD .

En matière de financement :

Entre 700 millions et 1 milliard d’euros sont consacrés chaque année à l’action extérieure, dans son ensemble, par les collectivités territoriales françaises : une petite partie est consacrée à l’Aide Publique au Développement, le reste à des actions de jumelage, d’accueil de délégations étrangères ou à des projets avec des collectivités de pays non éligibles à l’APD . Selon les informations transmises par la DAECT, les collectivités territoriales françaises ont déclaré une aide publique au développement de 116,1 millions d’euros pour l’année 2018 . Parmi ce montant, 32,5 millions d’euros sont considérés comme étant susceptibles d’avoir un « impact positif »73 sur l’égalité entre les femmes et les hommes . Ce montant n’est néanmoins qu’une estimation en l’absence de recours des collectivités territoriales, à cette époque, aux marqueurs genre de l’OCDE .

72 - En 2018, seules 400 collectivités sur les 35000 existant ont fait une déclaration d’APD, selon la DAECT .

73 - Dénomination retenue par la DAECT sur déclaration des collectivités et en l’absence de recours systématique aux marqueurs genre de l’OCDE .

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Depuis 2018, la DAECT intègre les marqueurs Genre de l’OCDE dans ses appels à projets (8,5 Meuros en 2019) et a renforcé cette année les actions de communication sur l’utilisation des marqueurs genre . Elle estime que pour les projets qu’elle finance, le montant des projets marqués 1 et 2 s’établit à 500 000 euros environ en 2019 . A l’occasion du 8 mars 2020, la DAECT a lancé une cartographie interactive des projets de coopération décentralisée sur la thématique de l’égalité de genre74, non exhaustive à ce stade .

RECOMMANDATION N°2 : Renforcer l’inscription de la diplomatie féministe dans l’organisation administrative française :

◗ Maintenir un portage politique de haut niveau ;

◗ Établir une feuille de route interministérielle, et créer un Conseil pour la diplomatie féministe française (CDFF) placé sous l’autorité du Président de la République ou du Premier ministre, assorti d’un mécanisme de redevabilité qui implique l’ensemble des institutions concernées ;

◗ Impliquer tous les acteurs publics concernés :

◗ L’ensemble des ministères ayant une action internationale, aux côtés du MEAE et du ministère chargé de l’égalité ;

◗ Les collectivités territoriales, concernées par la coopération décentralisée, notamment en mobilisant les principales associations d’élu .es (Assemblée des départements de France (ADF), Association des maires de France (AMF), Régions de France, ex-ARF…) et en renforçant les actions de formations mises en place par la Délégation pour l’action extérieure des collectivités territoriales (DAECT) sur les enjeux de la diplomatie féministe et l’utilisation des marqueurs genre OCDE .

◗ Poursuivre et intensifier le déploiement en France de la budgétisation intégrant l’égalité entre les femmes et les hommes .

RECOMMANDATION N°3 : Renforcer les conditions de l’appropriation de cette diplomatie féministe par les acteurs et actrices de l’action extérieure de la France :

◗ Renforcer les formations sur les enjeux féministes et l’intégration d’une perspective de genre au MEAE et dans les ministères concernés :

◗ Rendre obligatoire la formation des agent .es et notamment des encadrant .es (ambassadeurs et ambassadrices, n°2, COCAC, directeurs et directrices, sous-directeurs et sous-directrices) aux enjeux d’égalité femmes-hommes et aux enjeux de la diplomatie féministe ;

◗ Passer de la sensibilisation à la formation (renforcer la durée, le contenu) et l’intégrer de façon pérenne au catalogue de la formation continue des personnels .

◗ Encourager le recours systématique à une communication inclusive sans stéréotype de sexe ;

◗ Renforcer les échanges avec la recherche en études de genre, et particulièrement genre et développement .

1-3 Des moyens humains et financiers qui ne sont pas à la hauteur des enjeux

L’effectivité d’une diplomatie féministe nécessite la mise en place de moyens (ressources humaines et financières) conséquents à la hauteur des enjeux et en cohérence avec l’ambition affichée de faire de la diplomatie féministe une priorité de la politique étrangère française .

a) Des ressources humaines insuffisantes au service de la diplomatie féministeEn dépit des ambitions posées par la Stratégie internationale pour l’égalité entre les femmes et les hommes, il n’existe, au sein du ministère de l’Europe et des Affaires étrangères, aucune direction ou aucun service dédié à

74 - Cartographie des coopérations décentralisées axées sur l’égalité de genre https://storymaps.arcgis.com/stories/87c11b32abb54f5c95a0afa18b603ac5

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la politique étrangère féministe . Les enjeux d’égalité femmes-hommes sont répartis entre différents services du MEAE : Direction générale de la mondialisation (4 ETP, hors encadrement), Direction des Nations Unies (0,5 ETP, hors encadrement), Ressources humaines (3 ETP), Haute Fonctionnaire à l’Egalité (1,5 ETP), auxquels s’ajoutent exceptionnellement, en 2020-2021, 5 ETP pour l’équipe d’organisation du Forum Génération Egalité .

La Haute Fonctionnaire à l’Egalité au sein du MEAE, qui dispose, depuis septembre 2019, d’une chargée de mission à temps plein, cumule cette fonction avec la lourde charge de directrice d’administration centrale . Les référent .es égalité cumulent, tou .tes, également plusieurs fonctions en sus de leur fonction principale de conseiller .e politique, chargé .e de presse et communication ou encore attaché .e de coopération, ainsi que nombre de mandats de correspondant .es sur des thèmes divers : humanitaire, sport, handicap, environnement, numérique, etc . Les auditions menées par le HCE auprès d’un échantillon de ces référent .es égalité mettent en exergue qu’à l’exception des postes où une impulsion particulière est donnée par l’ambassadeur ou l’ambassadrice, les enjeux d’égalité femmes-hommes et de droits des femmes sont traités de manière facultative (« quand il reste du temps une fois que les autres sujets sont traités » ou « lors d’occasions particulières, comme le 8 mars »), y compris dans des pays où les questions d’inégalités et de violences faites aux femmes sont prégnantes et au cœur de l’actualité . Selon une enquête réalisée par le MEAE auprès des postes diplomatiques début 2020, la fonction de correspondant .e égalité n’est pas explicitement mentionnée dans la majorité des fiches de poste . Et près des trois quarts des correspondant .es égalité n’ont pas connaissance de la lettre de mission propre à leur fonction .

La diplomatie économique française

À titre de comparaison, le HCE relève que des moyens conséquents ont été mis en place afin de faire de la diplomatie économique, depuis 2012, une priorité du ministère de l’Europe et des Affaires étrangères . Une direction de la diplomatie économique, anciennement direction des entreprises, de l’économie internationale et de la promotion du tourisme, a été créée, en 2013, par le ministre des Affaires étrangères, Laurent Fabius, qui a érigé la diplomatie économique en priorité absolue . La direction de la diplomatie économique était composée, en 2019, d’environ 70 personnes basées à Paris. Des représentants spéciaux ont été nommés pour certains pays ou zones géographiques afin de développer les relations économiques bilatérales de la France avec quelques partenaires-clé . Actuellement, il existe sept représentants spéciaux (Russie, Chine, Australie, Japon, Inde, Balkans, Asie Centrale) .

La diplomatie économique recouvre plusieurs missions : le renforcement de l’attractivité de la France auprès des investisseurs étrangers ; le soutien aux entreprises françaises qui souhaitent exporter ou se développer à l’étranger et la défense des intérêts français dans les évolutions du cadre juridique européen et international en matière commerciale .

Ainsi, la diplomatie économique est progressivement devenue une des missions les plus importantes assignées au réseau diplomatique . Les ambassadeurs et ambassadrices y consacreraient aujourd’hui plus du tiers de leur temps.

De plus, la diplomatie économique est accompagnée d’un exercice interministériel de pilotage et de suivi des dossiers économiques prioritaires de chaque pays, qui associe les ambassadeurs et ambassadrices, les directions en centrale et la direction générale du Trésor .

Même si la diplomatie économique requiert de multiples actions dans des champs très divers, le HCE estime que la diplomatie féministe doit également se mettre en ordre de marche en renforçant son organisation par de nouvelles ressources humaines dédiées à cette mission . Par ailleurs, compte-tenu de l’importance prise par la diplomatie économique, le renforcement de l’intégration d’une perspective de genre dans cette diplomatie pourrait constituer un levier essentiel pour développer la diplomatie féministe .

A titre de comparaison, le HCE rappelle qu’il existe ainsi, au sein du ministère des Affaires étrangères suédois, depuis 2015, un .e Ambassadeur .rice dédié .e en charge de la politique étrangère féministe75 et une équipe en

75 - Manuel de la politique étrangère féministe suédoise, 2018, pp .39-42 https://www.government.se/4ae557/contentassets/fc115607a4ad4bca913cd8d11c2339dc/handbook---swedens-feminist-foreign-policy.pdf

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charge de la coordination de cette politique, qui s’ajoute au réseau de points focaux nommés dans chaque service du ministère et en ambassade . L’Ambassadeur .rice est également en charge de l’Agenda Femmes, Paix et Sécurité76 .

Au Canada, une cinquantaine de personnes occupent des postes spécifiquement dédiés au genre au sein du ministère des Affaires étrangères, parmi lesquelles une ambassadrice dédiée aux questions « Femmes, Paix et Sécurité », depuis juin 2019, qui fournit des conseils à tous les ministères fédéraux pour renforcer la mise en œuvre du Plan national d’action canadien77 .

b) Des financements difficiles à évaluer précisément

Le recours au document de politique transversale dédié à la politique d’égalité

La Stratégie internationale de la France pour l’égalité entre les femmes et les hommes (2018-2022) n’est assortie d’aucun financement spécifique .

Si l’on analyse le document de politique transversale (DPT) dédié à la « Politique de l’égalité entre les femmes et les hommes »78 (PLF 2020), une évaluation des financements consacrés à la diplomatie féministe et de leur évolution peut toutefois être proposée .

Les financements de la diplomatie féministe de la France au sein du DPT 2020

Les financements consacrés à la diplomatie féministe dans le document de politique transversale (DPT) sont présentés dans l’axe 6 « Affirmer une diplomatie féministe au niveau international . » Ces financements se décomposent en quatre programmes :

Programme 185 : « Diplomatie culturelle et d’influence », qui relève de la mission « Action extérieure de l’État », regroupe l’ensemble des crédits destinés aux politiques de coopération culturelle, linguistique, universitaire et en matière d’enjeux globaux, et au service de l’enseignement public français à l’étranger .

À ce titre, sont financées des actions menées par les Ambassades en matière d’égalité femmes-hommes et de défense des droits des femmes: organisation de colloques, de conférences et échanges d’expertise .

76 - Women, Peace & Security Sweden’s National Action Plan for the implementation of the UN Security Council’s Resolutions on Women, Peace and Security 2016–2020, p .9, https://www.government.se/contentassets/8ae23198463f49269e25a14d4d14b9bc/women-peace-and-security-eng.pdf

77 - https://www.international.gc.ca/world-monde/issues_development-enjeux_developpement/gender_equality-egalite_des_genres/women_peace_security-femmes_paix_securite-rep.aspx?lang=eng

78 - Women, Peace & Security Sweden’s National Action Plan for the implementation of the UN Security Council’s Resolutions on Women, Peace and Security 2016–2020, p .9, https://www.government.se/contentassets/8ae23198463f49269e25a14d4d14b9bc/women-peace-and-security-eng.pdf

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Programme 209 : « Solidarité à l’égard des pays en développement », qui participe à la mise en œuvre de la politique d’aide publique au développement (APD) de la France, conjointement avec le programme 110 « Aide économique et financière au développement . » Il comprend deux volets : aide bilatérale et aide multilatérale .

Programme 110 : « Aide économique et financière au développement », mis en œuvre par la direction générale du Trésor du ministère de l’Économie et des finances, qui contribue à la politique française d’APD . Les montants de crédits, retracés dans le tableau ci-dessous, correspondent à la part des interventions financées par le programme étant identifiée, dans les statistiques d’APD produites par l’OCDE, comme ayant un « objectif genre » soit « principal » soit « significatif . » Ils comprennent, en particulier, une partie des bonifications de prêts de l’AFD ainsi que de la contribution française à l’AID (association internationale de développement) et au FAD (Fonds africain de développement) .

Programme 217 : « Conduite et pilotage de l’écologie, du développement et de la mobilité urbaine » destiné à financer les politiques publiques mises en œuvre par le ministère de la Transition écologique et solidaire et le ministère de la Cohésion des territoires et des relations avec les collectivités territoriales .

Au regard du document de politique transversale égalité femmes-hommes (axe 6), la part des financements consacrés à la diplomatie féministe passerait de 193 690 815 euros (CP 2018) à 277 623 609 (CP PLF 2020), soit une augmentation de 43% (augmentation de 83 932 794 euros). Les crédits consacrés à la diplomatie féministe représenteraient ainsi près de la moitié (48%) des crédits totaux consacrés à l’égalité femmes-hommes dans le pays .

Cette augmentation repose principalement sur les points suivants :

o l’augmentation des crédits du programme P209 « solidarité avec les pays en développement », avec une augmentation des contributions aux organisations internationales (+3,97 Meuros, soit + 23%), une augmentation des crédits pour les projets de coopération bilatérale (Fonds de solidarité prioritaire pour les projets innovants, FSPI) gérés par le MEAE (+16,7 Meuros ; soit +180%) et des financements de projets initiés ou renforcés lors du G7 sous présidence française à hauteur de 8,5 Meuros (AFAWA, 4,5 Meuros, Fonds mondial pour les survivant .es de violences sexuelles liées aux conflits : 2 Meuros ; Initiative des Nations unies pour l’éducation des filles, 2 Meuros), ainsi que pour le financement du Forum Génération Egalité/Pékin +25 (7 Meuros) .

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o l’augmentation de l’aide économique et financière du développement (programme P110) de 53 millions d’euros par rapport à 2018, soit une augmentation de 34% . Cette augmentation est en partie liée aux financements des projets du G7 . Toutefois, la part de ces projets est difficile à quantifier à la lecture du DPT, du fait notamment de leur présentation en autorisation d’engagements (AE) et en pluriannuel .

Le HCE note une augmentation de l’effort financier de la France en faveur de la diplomatie féministe et notamment de l’adoption de projets nouveaux dans le cadre du G7 (2019) et du renforcement du soutien aux organisations internationales (ONU Femmes, FNUAP), qu’il convient de poursuivre.

Il relève toutefois que les documents fournis manquent de clarté et que la hauteur réelle de cet engagement financier est difficile à évaluer. En effet, les financements aux organisations internationales (dans le cadre du programme P209 comme du P110) sont fondés sur des estimations : le pourcentage des ressources des organisations internationales, affecté en théorie par celles-ci aux politiques d’égalité, est appliqué au montant des contributions versées par la France à ces organismes, qui sont en réalité non fléchées (c’est-à-dire affectées au budget général et non à des programmes spécifiques d’égalité) . Pour la contribution au Fonds Africain de Développement (FAD), l’estimation s’est fondée sur la part des projets de la Banque africaine de développement obtenant des « résultats satisfaisants » en termes d’égalité de genre (nomenclature approximative ne correspondant pas aux critères d’évaluation de l’OCDE) .

Par ailleurs, le HCE note que l’augmentation importante attribuée dans le DPT au programme 217 repose sur la comptabilisation des salaires des personnels en charge de la mise en œuvre des actions d’égalité dans les services du ministère et dans les directions départementales interministérielles . Pour l’année 2020, la dépense prévisionnelle est évaluée à 1 742 628 € pour 18 ETPT .

Des contributions renforcées à ONU Femmes et au FNUAP mais d’un niveau inférieur à celui d’autres pays

Les 20 premiers contributeurs à ONU Femmes79 (au 31 décembre 2019)

La France a augmenté sa contribution à ONU Femmes de 75% entre 2018 et 2019 . Elle n’atteint toutefois encore que le 20ème rang des contributeurs à ONU Femmes en 201980 ; la Suède étant le 2ème contributeur après la Commission européenne et le Canada, le 9ème .

79 - https://www.unwomen.org/en/partnerships/donor-countries

80 - Pour le total des contributions (ressources de base et non essentielles), à hauteur de 3,61 millions de dollars

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Les 20 premiers contributeurs au FNUAP81 (2018)

La France ne figure pas parmi les 20 premiers contributeurs pour le FNUAP en 201882; le Canada étant 2ème et la Suède, 4ème contributeur .

RECOMMANDATION N°4 : Mobiliser des moyens (ressources humaines et financières) à la hauteur des enjeux :

◗ Clarifier le prochain document de politique transversale (DPT) « politique de l’égalité entre les femmes et les hommes », afin de faire apparaître plus lisiblement les financements consacrés à la diplomatie féministe ;

◗ Accompagner la Stratégie internationale en matière d’égalité femmes-hommes d’un budget pluriannuel sécurisé ;

◗ Renforcer le soutien à ONU Femmes et au FNUAP afin de faire entrer la France dans le classement des 15 premiers donateurs d’ici 2022 ;

◗ Tenir les engagements financiers pris lors du G7, et notamment le fonds de 120 millions d’euros pour des associations du Sud;

◗ Renforcer les moyens humains au service de la diplomatie féministe, en nommant un .e Ambassadeur .rice en charge de la diplomatie féministe et du plan d’action « Femmes, Paix et Sécurité » au sein du MEAE, en nommant un .e Haut .e fonctionnaire à l’Égalité à plein temps au sein du MEAE et en renforçant substantiellement les équipes dédiées au sein du MEAE, y compris dans les ambassades .

81 - https://www.unfpa.org/sites/default/files/UNFPA-donor-statistics-2018.pdf

82 - La France se place en 24ème position pour des ressources non essentielles, et en 26ème position pour le total des contributions (de base et non essentielles) pour ses contributions au FNUAP https://www .unfpa .org/data/donor-contributions/france#

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1-4 Une diplomatie féministe qui se conçoit encore trop largement sans les femmes

La participation à part égale des femmes et mouvements féministes à sa co-construction et sa mise en œuvre est l’un des critères clés de la diplomatie féministe : parité dans les postes à responsabilité de la diplomatie française d’une part ; soutien et inclusion des mouvements féministes, tout au long du processus d’élaboration et d’évaluation des politiques, d’autre part .

a) Une parité inexistante dans la diplomatie française La participation des femmes à la conception et à la mise en œuvre d’une diplomatie féministe reste encore faible . Bien que des progrès aient été réalisés en matière d’accès aux postes à responsabilités dans la diplomatie sous l’effet des quotas des primo-nominations de la loi Sauvadet (2012), la part des femmes ambassadrices, directrices ou cheffes de services reste encore insuffisante . Le ministère de l’Europe et des Affaires étrangères compte 52 % de femmes diplomates, mais 25 % d’ambassadrices (contre 11 % en en 2012) et 20% de consules générales . Les postes de directeurs et directrices et de chef .fes de service ne sont occupés qu’à 25 % par des femmes (contre 22 % en 2012)83 . Par ailleurs, près d’1/3 des femmes ambassadrices le sont dans des « postes à présence diplomatique » (postes aux missions et aux effectifs réduits) .

Les résultats sont encore trop faibles et le ministère de l’Europe et des Affaires étrangères est condamné à devoir s’acquitter en 2020, pour la troisième année consécutive, de pénalités (450 .000 euros au titre de 2017, 270 .000 pour 2018, 360 .000 pour 2019) pour non-respect de la loi Sauvadet84 .

Le HCE salue à cet égard les annonces faites par le ministre de l’Europe et des Affaires étrangères, en mars 2020, en matière de ressources humaines et de renforcement de la parité aux postes de décision : préparation d’un plan Parité, en concertation avec l’ensemble des agent .es ; levée du verrou statutaire qui empêchait les secrétaires des Affaires étrangères principaux d’accéder aux postes d’encadrement (élargissement du « vivier ») ; intégration du critère de respect des temps de vie professionnelle/vie familiale aux procédures d’évaluation de la hiérarchie administrative ; engagement, pour les nominations aux postes d’encadrement, de fixer un objectif, au-delà de celui de la loi Sauvadet, de 50% de primo-nominations d’ambassadrices d’ici 2025 ; lancement d’un plan de sensibilisation au sexisme .

D’autres ministères, impliqués dans la projection de la France à l’international, conservent également un faible taux de féminisation : au ministère des Armées, on compte 16 % de femmes pour les effectifs militaires, mais 9 % de femmes parmi les officiers généraux . Au ministère de l’Économie et des Finances, un quart des emplois d’encadrement supérieur et dirigeant sont occupés par des femmes en 2017 . Ils sont 36 % au ministère de la culture .

Le ministère de l’économie et des finances a dû payer une amende de 1 710 000 euros pour non-respect de la loi Sauvadet au titre de 2017, le ministère des armées, 90 000 euros85 .

b) Un soutien trop faible aux mouvements féministes Au-delà de la féminisation du ministère des Affaires étrangères, la diplomatie féministe ne peut se réaliser sans l’association étroite des associations et mouvements féministes .

Sans vouloir nier les efforts réalisés en matière d’information, de discussion et de concertation avec la société civile et les associations féministes (Plateforme Genre et développement, soutien au groupe Women 7 lors du G7, processus de consultation des associations dans la préparation du Forum Génération Egalité), l’implication des associations féministes nationales et internationales à la conception, la mise en œuvre et l’évaluation des politiques et des initiatives dédiées à l’égalité entre les femmes et les hommes dans le champ international

83 - Données transmises par le MEAE en date du 19 juin 2020 .

84 - Données transmises par le MEAE en date du 19 juin 2020

85 - Derniers chiffres communiqués .

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devrait être renforcée . Il conviendrait, pour ce faire, de leur accorder suffisamment de financements pérennes pour qu’elles puissent mener leur mission, avec une attention aux associations féministes françaises, y compris les associations issues des migrations, sous-financées par rapport aux OSI (organisations de solidarité internationale) .

Aujourd’hui, une faible part de l’aide publique au développement française passe par les ONG (3% de l’APD totale contre 13 à 17% dans les pays de l’OCDE) .

L’annonce par le président de la République, en mars 2019, de la création d’un fonds de 120 millions d’euros, destiné à « aider les mouvements féministes et les ONG, en particulier du Sud, à mener partout le combat pour l’égalité, les droits et la dignité des femmes et des filles » doit à cet égard être saluée . Le HCE note toutefois que le fonds, annoncé en mars 2019, a tardé à se mettre en place et que son financement ne figure pas dans le document de politique transversale égalité qui accompagne le PLF 2020 . Des précisions ont néanmoins été données le 15 juillet 2020 par le MEAE et l’AFD aux organisations de la société civile sur ses modalités de mise en œuvre (appels à projets annuels entre 2020 et 2022, dont le premier pour 2020 de 15 millions d’euros)86 . Contrairement à ce qui avait été annoncé87, l’engagement n’est pas annuel, mais portera sur trois ans .

Il importera d’évaluer si ce fonds est effectivement additionnel aux engagements financiers habituels de l’AFD en faveur du genre . Il sera également important qu’il soit co-construit avec les associations féministes, afin de lui conférer une approche réellement transformative .

RECOMMANDATION N°5 : Renforcer la participation des femmes à la diplomatie féministe :

◗ Renforcer les efforts pour atteindre la parité aux postes de décision dans la diplomatie et dans les ministères impliqués par la projection de la France à l’international :

◗ Appliquer la loi Sauvadet ;

◗ Fixer un objectif de nomination, chaque année, de femmes sur des postes qui n’ont jamais auparavant été occupés par une femme .

◗ Renforcer l’implication et le soutien aux associations investies sur les enjeux d’égalité entre les femmes et les hommes, de genre et de défense des droits des femmes :

◗ Mettre en place des soutiens conséquents et pérennes aux associations, notamment à travers le fonds de soutien aux organisations féministes ;

◗ Faire évoluer les modalités de financement via l’AFD : lever les barrières en termes de taille, qui empêchent les petites associations locales d’accéder aux financements publics et inscrire ces partenariats dans la durée ; inclure le renforcement des associations féministes comme un objectif à part entière (subventions de fonctionnement) .

2. Un état des lieux contrasté selon les différents axes d’intervention

La diplomatie féministe, pour atteindre un objectif réellement transformatif, doit s’inscrire dans l’ensemble des domaines de la politique étrangère, y compris économique, politique, commercial, culturel, environnemental, médiatique et de défense . Dans cette partie, qui n’a pas vocation à l’exhaustivité, le HCE souhaite analyser l’état d’avancement de ce qui peut s’apparenter à une diplomatie féministe et proposer des pistes pour renforcer sa mise en œuvre .

86 - https://www.afd.fr/fr/fonds-de-soutien-aux-organisations-feministes

87 - compte-rendu du conseil des ministres du 6 mars 2019, https://www.gouvernement.fr/conseil-des-ministres/2019-03-06/l-egalite-entre-les-femmes-et-les-hommes

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2-1 Aide Publique au Développement : Faire de l’approche féministe une composante structurante de l’APD

L’Aide publique au développement (APD) est inscrite au cœur de la Stratégie internationale de la France pour l’égalité entre les femmes et les hommes (2018-2022), qui fixe des objectifs en termes d’APD intégrant le genre : 50% des projets, en volume d’engagement annuel, marqués genre (marquage 1 et 2 OCDE), ainsi que 700 millions d’euros par an de projets AFD marqués 2 d’ici 2022 . Le marqueur genre de l’OCDE devra par ailleurs être renseigné dans les statistiques d’APD pour la totalité des projets .

Une impulsion indéniable

Le HCE, qui était en charge de l’évaluation du Document d’orientation stratégique genre et développement (2013-2017), constate que des progrès ont été accomplis par rapport à cette période en termes de prise en compte du genre dans le cadrage stratégique et dans l’organisation interne de l’AFD .

L’Agence Française de Développement (AFD) est l’opératrice majeure de l’aide publique au développement . Comme elle l’a exposé au cours de son audition par le HCE, l’agence est entrée dans une troisième phase : une faible prise en compte des enjeux d’égalité femmes-hommes avant 2014, une accélération entre 2014 et 2017 et enfin un saut qualitatif depuis 2018, lié, selon l’agence elle-même, à la proclamation de l’égalité femmes-hommes comme grande cause du quinquennat et à la publication de la Stratégie internationale en matière d’égalité femmes-hommes par le MEAE .

L’Agence, qui affirme être pleinement engagée dans la mise en œuvre d’une diplomatie féministe, s’est ainsi dotée en 2018 d’un plan d’orientation stratégique qui comporte un engagement « 100% lien social » (intégrant l’égalité) et d’un Plan d’Action Égalité Femmes-Hommes (2019-2022) qui « entend inscrire l’égalité entre les femmes et les hommes au sein de toutes les opérations de l’Agence, de sa filiale Proparco et prochainement d’Expertise France . » Il met l’accent sur « le renforcement des capacités internes, un pilotage institutionnel inclusif et il amplifie la démarche partenariale . » L’AFD s’est dotée, depuis 2018, d’une cellule lien social (six ETP), chargée du pilotage du plan d’action égalité, mais également d’autres thématiques (sport, culture) . Elle a également mis en place un réseau de 70 référent·es genre dans ses directions techniques et géographiques ainsi qu’en agence et a réalisé des outils destinés à sensibiliser et à accompagner les agent .es (kit prospect genre, boîtes à outils sectorielles, fiches projets emblématiques, etc .)

S’il n’est pas possible, dès 2020, d’estimer l’effectivité de la mise en oeuvre du plan d’action égalité femmes-hommes, le cap fixé semble néanmoins intéressant dans la mesure où l’approche est systémique et parce que le premier principe établi est celui de l’approche par les droits .

Des progrès toutefois insuffisants sur le niveau de l’APD genre

En 2017-2018 (derniers chiffres publiés par l’OCDE), l’OCDE évalue à 26% l’APD française visant l’égalité femmes-hommes (marqueur 1 et 2 OCDE), dont 3% pour l’aide marquée 2 . Ce résultat se situe en hausse par rapport à la période précédente (18% en 2013, année 1 de la stratégie genre et développement 2013-2017) mais est néanmoins en repli par rapport à 2016-2017 (32%) . Ce niveau reste faible et la France se situe très en-deçà de la moyenne des pays du comité d’aide au développement de l’OCDE (42% d’aide genrée pour 2017-2018, dont 4% marquée 2).

Ce mauvais résultat doit néanmoins être relativisé : la diminution de la part des projets marqués genre peut également s’expliquer par l’évaluation d’un plus grand nombre de projets (près de 100% des projets évalués) et par une amélioration de la qualité du marquage de l’aide . On pourrait ainsi considérer que l’on arrive à un stade qui serait en quelque sorte une “année zéro”, où les chiffres de l’APD genre sont calculés à partir d’un dénominateur valide .

Les objectifs de la France en matière d’aide publique au développement (50 % de l’aide marquée 1 ou 2 à horizon 2022) pourraient néanmoins être plus ambitieux à l’exemple d’autres pays affichant une « diplomatie féministe », tels que la Suède et le Canada qui atteignent près de 90 % de l’aide marquée 1 ou 2 en 2017-2018 . Le HCE observe, par ailleurs, que la cible de 50% était déjà un objectif fixé par la stratégie genre et développement, qui, n’ayant

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pas été atteint, a été reconduit pour 2018-2022 . À terme, l’objectif devrait être d’atteindre les 85 % préconisés dans le plan d’action pour l’égalité femmes-hommes de l’Union européenne («Gender Action plan, 2016-2020»), en précisant un objectif d’aide marquée 2 (objectif principal) .

Une exigence d’amélioration de la lisibilité et de la qualité de l’APD genre

◗ Améliorer la lisibilité

Élément indispensable pour permettre la redevabilité, l’effort de transparence quant à l’APD genre s’est accentué ces dernières années . L’AFD, notamment, est en mesure de fournir des données plus diverses et plus précises . Cependant, un manque de lisibilité important demeure .

Le HCE constate que les chiffres communiqués par l’AFD présentent de fortes discordances avec ceux publiés par l’OCDE (sur la base des déclarations de la direction Générale du Trésor) et peuvent même indiquer des tendances contradictoires (contraction de l’aide genrée selon les chiffres de la DG Trésor, augmentation sensible selon les chiffres transmis par l’AFD pour 2018) . Pour 2018, les documents transmis par la DG Trésor indiquent ainsi que la part des projets marqués genre pour l’AFD s’élève à 12% (avec un volume de projets marqués 2 de 19 millions d’euros) ; l’AFD indiquant, quant à elle, 50,1% de l’aide genrée (248,5 millions pour les projets marqués 2) en 2018 .

Les auditions, qui se sont appuyées sur des documents écrits et ont été complétées par des discussions techniques, ont mis en évidence deux différences :

o Un décalage dans le temps : les chiffres sont comptabilisés par l’AFD très en amont, au moment où le projet est validé par le conseil d’administration de l’AFD . Ils le sont par la DG Trésor (et l’OCDE) lors de l’étape ultérieure de la signature des projets .

o Une différence de périmètre : la DG Trésor et l’OCDE comptabilisent l’aide publique au développement . L’AFD comptabilise l’ensemble de son activité et pas seulement celle éligible à l’aide publique au développement .

Par ailleurs, l’AFD et la DGT ont insisté sur le fait qu’il pouvait y avoir des années comportant des “erreurs statistiques” comme cela peut être le cas sur 2018 (lorsque de gros engagements sont repoussés à l’année suivante) .

Ainsi, les montants indiqués par l’AFD (48,5% des projets en volumes marqués genre : 4,1 milliards d’euros alloués à des projets marqués 1 et 740 millions d’euros d’engagement pour des projets marqués 2 en 2019) indiquent une tendance, qui devrait se confirmer avec un décalage d’1 ou 2 ans dans les statistiques de l’OCDE et à un niveau plus faible (car non limitée à l’aide publique au développement) . La différence de niveau attendue résultant de la différence de périmètre (APD vs aide globale) n’a toutefois pas été indiquée .

Malgré la complexité de la tâche, les différentes institutions en charge de l’APD genre (DG Trésor, MEAE, AFD) doivent apporter une attention particulière pour trouver un mécanisme qui permette d’obtenir un aperçu clair, comparable, évaluable, des niveaux d’APD intégrant le genre chaque année et pour renforcer la transparence et la lisibilité des engagements de la France .

◗ Améliorer la qualité

Le processus d’évaluation des projets selon le marqueur genre du CAD est relativement récent . Il était normal que, lors de la première phase, les différents services de l’État n’aient pas une vision claire et systématique de ce qu’est un projet intégrant le genre de manière spécifique ou transversal . Désormais, avec la répétition de l’exercice au fil des années et l’adoption d’une diplomatie féministe, il est nécessaire de passer à une évaluation plus rigoureuse quant à la qualité des projets genre . Cette phase est déjà partiellement enclenchée, ce qui peut d’ailleurs expliquer pourquoi certains chiffres baissent ou stagnent mais l’évolution doit être plus franche .

Le système de marquage repose sur une auto-évaluation et l’OCDE ne fait que rapporter les chiffres fournis par les États . Cet exercice d’auto-évaluation lorsqu’il est pratiqué de manière rigoureuse a une vertu . En effet, appliquer l’approche genre à un projet, c’est se demander en amont (et non en aval) quel sera son impact (négatif ou positif, très rarement ou jamais neutre) sur les inégalités femmes-hommes . Se livrer à l’exercice de

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notation est donc un excellent moyen d’identifier quels sont les manques des projets en cours et entrevoir les possibilités d’amélioration pour les projets futurs .

L’ONG Oxfam International a souligné, dans un rapport publié en février 2020, le fait que les projets marqués 2 de certains États dont la France, si on les examinait attentivement, ne satisfaisaient pas les exigences d’une véritable approche genre88 . En ce qui concerne l’AFD, les projets examinés sont anciens, et l’analyse est sans doute relativement sévère . Il n’en reste pas moins que cela constitue une alerte pour renforcer la qualité de l’APD genre dans le futur .

◗ Les critères d’une APD véritablement féministe

L’intégration de l’approche genre est aujourd’hui clairement à l’agenda de l’APD française . Cependant, l’ambition d’une diplomatie féministe exige, afin que le secteur de l’APD soit en harmonie avec les ambitions affichées, une augmentation des efforts . Les montants d’APD pouvant varier annuellement, ce sont les moyennes sur plusieurs années qui doivent être prises en compte et, actuellement, quelle que soit la méthode de comptage de l’APD genre sur les dernières années, les niveaux atteints restent en deçà des enjeux .

Seule une forte impulsion politique dans les mois et les années à venir permettra de franchir le cap entre projets de développement intégrant les femmes et une approche féministe qui contribue réellement à changer les rapports sociaux entre les femmes et les hommes . Cette orientation devra se retrouver sans ambiguïté dans la loi de programmation relative au développement solidaire et à la lutte contre les inégalités mondiales, dont l’examen a été plusieurs fois repoussé et qui devrait être votée à l’automne 2020 . Cela implique de changer la manière de concevoir, de mener et d’évaluer les projets de développement, en faisant du caractère transformatif un élément indispensable .

En adéquation avec les engagements de la France, l’intégration du genre devrait être particulièrement et systématiquement envisagée dans des dispositifs tels que l’Alliance Sahel . La pérennité des financements est un autre facteur incontournable, notamment en matière de soutien aux associations, à la fois en termes de montants financiers et de modalités d’octroi . La loi devra intégrer ces éléments stratégiques et concrets pour avoir un réel impact .

Pour l’opérationnalisation de cette orientation, intensifier les formations en genre et y intégrer une perspective féministe pour tout le personnel en charge de l’APD présente un intérêt majeur, car l’appropriation doit se faire tant au niveau institutionnel qu’individuel .

Le HCE estime intéressant de fixer comme échéance à cette évolution de l’APD, la date de la fin de la Stratégie internationale 2018-2022 pour parvenir à un système de présentation des données plus lisible . Il lui semple pertinent également de présenter des données mieux consolidées entre les services et plus exigeantes au niveau qualitatif, au risque de s’apercevoir peut-être que, temporairement, les chiffres sont moins flatteurs . La clarté des données permettra de mieux identifier les marges de progression .

88 - https://www.oxfamfrance.org/wp-content/uploads/2020/02/Rapport_Oxfam_APD_Des_projets_en_faveur_de_legalite_femmes_hommes_fevrier_2020.pdf

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RECOMMANDATION N°6 : Fixer des objectifs d’APD genrée plus élevés, en cohérence avec les ambitions de la diplomatie féministe :

◗ Pour 2022 : 60% de projets marqués 1 et 2 et 15% de projets marqués 2 ;

◗ S’aligner sur le plan d’action Genre de l’UE (GAP II) à l’horizon 2025 (85% d’aide genrée et 20% marquée 2) .

RECOMMANDATION N°7 : Faire de l’approche féministe une composante structurante de l’APD dans la future loi de programmation relative au développement solidaire et à la lutte contre les inégalités mondiales.

RECOMMANDATION N°8 : Améliorer la transparence et la lisibilité de l’aide genrée :

◗ Harmoniser et définir des modalités de reddition des comptes qui permettent d’obtenir un aperçu clair, comparable, évaluable, des niveaux d’APD genre chaque année .

RECOMMANDATION N°9 : Intensifier et évaluer la mise en œuvre du plan d’Action 2019-2022 de l’AFD.

RECOMMANDATION N°10 : Mettre en place des projets réellement transformatifs et qui permettent de soutenir de manière pérenne les acteurs et actrices de la diplomatie féministe (associations féministes).

RECOMMANDATION N°11 : Poursuivre la sensibilisation et les formations, développer la diffusion des outils genre et des bonnes pratiques afin d’adopter une plus grande rigueur dans le marquage genre de l’APD.

2-2 Politique de défense et sécurité : Réaliser l’agenda Femmes, Paix et Sécurité

Les enjeux de défense et sécurité devraient être partie intégrante d’une politique étrangère féministe . Depuis la résolution 1325, résolution du Conseil de sécurité des Nations unies adoptée en 2000, l’agenda « Femmes, Paix et Sécurité » fixe un cadre à tous les États membres de l’ONU pour une meilleure prise en considération des questions liées au genre, dans la gestion des conflits et des processus de paix, pour lutter contre les violences sexuelles dans les conflits et pour accorder une plus grande place aux femmes dans les résolutions des conflits et dans les processus de paix .

Pourtant, la France qui promeut fortement l’agenda « Femmes, Paix et Sécurité » à l’international n’a pas intégré ces enjeux à sa feuille de route pour une diplomatie féministe .

Les résolutions Femmes, paix et sécurité

La résolution 1325, adoptée par le Conseil de sécurité des Nations Unies en octobre 2000, constitue une résolution pionnière . Elle met en lumière l’impact disproportionné des conflits armés sur les femmes . Elle appelle les États à impliquer pleinement les femmes dans les processus de prévention, de résolution des conflits, de maintien et de consolidation de la paix . Elle met en exergue les liens entre l’égalité des sexes et la paix et la sécurité à l’échelle internationale .

Neuf autres résolutions ont été adoptées, depuis lors, par le Conseil de sécurité, dont la résolution 1820 (2008) qui reconnaît, pour la première fois, que les violences sexuelles peuvent être utilisées comme arme de guerre .

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Ces dix résolutions, qui forment l’agenda « Femmes, paix et sécurité », constituent un socle essentiel pour une pleine prise en compte de la situation et du rôle des femmes dans les conflits . Elles reposent sur deux axes fondamentaux :

• Le renforcement de la participation des femmes aux processus décisionnels,

• La protection des femmes contre les violences sexuelles .

Ces résolutions créent des mécanismes destinés à lutter contre l’impunité : rapports annuels sur les violences sexuelles dans les conflits (résolution 1820/2008), création d’un mandat de Représentant .e spécial .e du SGNU chargé .e des violences sexuelles dans les conflits et possibilité de nommer des conseillers de protection des femmes dans les opérations de maintien de la paix des Nations unies (résolution 1888/2009), « liste d’infamie » (résolution 1960/2010) .

Entre 1990 et 2017, les femmes ne représentaient que 2% des médiateur .rices, 8% des négociateur .rices et 5% des témoins et des signataires des processus de paix . Or une participation significative des femmes permet que leurs droits et leurs intérêts soient pleinement pris en compte au lendemain d’un conflit et elle augmenterait de près de 35% la probabilité qu’un accord de paix dure plus de 15 ans .

La France a adopté en 2011 un plan national d’action89 (comme 86 autres pays membres des Nations Unies90) qui l’engage à adapter ses pratiques afin de mettre en œuvre l’agenda « Femmes, Paix et Sécurité », à renforcer la participation des femmes aux prises de décision et aux opérations extérieures, à intégrer une perspective de genre dans l’analyse des théâtres d’opérations, enfin, à combattre les violences sexistes et sexuelles .

Le Haut Conseil à l’Égalité a évalué, en 2018, le 2ème plan national d’action91 « Femmes, Paix et Sécurité » de la France, qui implique notamment le ministère de l’Europe et des Affaires étrangères et le ministère des Armées et a souhaité auditionner à nouveau le ministère des Armées en juin 2020 .

Dans son rapport d’évaluation92 de décembre 2018, le HCE constatait le faible degré d’appropriation du plan et des enjeux « Femmes, Paix et Sécurité .» S’agissant du ministère des Armées, le rapport du HCE (2018) insistait notamment sur deux points :

◗ Sur la place des femmes au sein du ministère des Armées : le HCE appelait à accentuer significativement les efforts destinés à permettre l’accès des femmes aux postes à responsabilité, en particulier dans les fonctions militaires, et à renforcer l’inclusion des femmes dans les opérations extérieures .

◗ Sur la lutte contre le sexisme et la mise en place d’une culture institutionnelle favorable à l’égalité femmes-hommes : le HCE constatait qu’aucune formation spécifique obligatoire n’était prévue sur les enjeux « Femmes, paix et sécurité », en préalable au déploiement, à l’exception de la formation de courte durée (½ journée) reçue par les conseiller .es juridiques en opération (LEGAD) . Les actions de sensibilisation sur le terrain, de même que leur contenu, étaient laissées à la charge des organisations (ONU, OTAN) et de l’UE, selon le cadre d’intervention . Pour les opérations extérieures menées par le ministère des Armées hors-ONU, Union européenne (UE) et OTAN, l’organisation éventuelle d’actions de sensibilisation dépend de chaque armée et elles ne sont donc ni systématiques ni uniformisées . Le HCE recommandait d’intensifier les actions de formation sur l’égalité femmes-hommes et l’agenda « Femmes, paix et sécurité » dans ses deux principales dimensions (prévention des violences sexuelles et inclusion des femmes dans les processus décisionnels) et, notamment, de dispenser des formations systématiques aux personnels appelés à être déployés en opération extérieure et d’harmoniser le contenu des formations entre les trois armées . Les formations devaient également rappeler l’interdiction du recours à la prostitution posée par la loi d’avril 2016 .

89 - https://www .diplomatie .gouv .fr/IMG/pdf/PNA_fr_DEF .pdf

90 - A la date d’août 2020 . https://www.peacewomen.org/member-states

91 - Rapport du HCE, « Évaluation du plan d’action français « Femmes, Paix et Sécurité » (2015-2018) : intensifier les efforts en vue d’une mise en œuvre effective des résolutions onusiennes », publié le 10/12/2018, http://haut-conseil-egalite.gouv.fr/IMG/pdf/hce_rapport_femmes_paix_securite_2018_12_11.pdf

92 - ?????

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En écho à ces recommandations, l’audition du ministère des Armées, le 2 juin 2020, fait apparaître les points suivants :

◗ Sur la notion même de diplomatie féministe

Les représentant .es du ministère des Armées ont souligné leur forte réticence à l’emploi du terme même de « diplomatie féministe », ce terme pouvant laisser entendre que les femmes sont promues non pour leurs compétences mais parce qu’elles sont femmes . Il a néanmoins été indiqué que le ministère des Armées participait de la diplomatie féministe, en mettant en œuvre une politique active destinée à renforcer la mixité au sein des armées car, pour lui, « Il s’agit de promouvoir les femmes les plus performantes au plus haut niveau .»

◗ Sur l’appropriation des enjeux « Femmes, Paix et Sécurité »

Interrogé .es sur les enseignements tirés du 2ème plan national d’action et les nouvelles mesures envisagées au titre du 3ème plan, les représentant .es du ministère ont indiqué que le genre était pris systématiquement en compte dans l’analyse des zones d’intervention afin de planifier la conduite des opérations . Les « conseiller .es juridiques en opération » (LEGAD) font office, depuis janvier 2019, de « conseiller .es environnement humain » (dont le rôle est d’analyser et de prendre en compte l’environnement humain propre à une zone d’intervention, dont « les femmes, les enfants, les codes sociaux… ») . Ils bénéficient à cet effet d’une formation annuelle de trois jours (1ère formation organisée en juin 2019) .

L’intérêt d’un renforcement de la présence des femmes en opérations a également été souligné, pour renforcer la perception du terrain ainsi qu’à des fins d’exemplarité de l’armée française .

Le HCE salue la mise en place de cette formation annuelle des conseillers juridiques en opération . Il souhaite néanmoins insister sur la nécessité de former l’ensemble du personnel avant déploiement d’une part, d’harmoniser le contenu des formations entre les trois armées et de renforcer leur durée d’autre part . Il remarque par ailleurs que les LEGAD ont en charge non seulement le rôle de « conseiller genre » (« gender advisor ») mais également celui de conseiller .e juridique pour l’ensemble de la mission, ce qui n’est pas le cas d’autres pays (Canada) .

D’informations reçues de la Mission permanente de la France à New York, il ressort, par ailleurs, que la France peine à remplir les objectifs chiffrés imposés par l’ONU aux États membres : sur un objectif fixé par l’ONU de 16% de femmes parmi les officier .es envoyé .es en opération en individuel en 2019 (objectif porté à 17% en 2020), la France ne comptait que 2% de femmes au 31 décembre 2019 . Sur une cinquantaine de postes concernés, la nomination de neuf femmes serait nécessaire pour que la France atteigne l’objectif onusien et puisse se mettre en situation d’exemplarité . A titre de comparaison, la Suède compte 24% de femmes officières en opération sous mandat de l’ONU, l’Australie 21%, le Royaume Uni 19% et le Canada 16% .

◗ Sur la place des femmes au sein du ministère des Armées

L’état des lieux chiffré a peu évolué depuis 2018 . Le ministère des Armées fait état de 20% de femmes pour l’ensemble du ministère (civiles et militaires), les femmes représentant 38% des effectifs civils et 16 % des effectifs militaires (plaçant la France au 4ème rang mondial, ex-aequo avec l’Australie pour la part des femmes militaires) .

Toutefois, l’accès des femmes aux postes à responsabilité, notamment dans les fonctions militaires, reste faible : 15% des officier .es et 9% des officier .es généraux .ales93 . Le ministère des Armées a été condamné pour non-respect de la loi Sauvadet94 . La proportion de femmes en écoles d’officiers et en écoles de guerre reste minime (proportion de femmes inférieure ou égale à 10%) . Bien qu’en théorie les femmes aient accès à l’ensemble des métiers depuis 2018, elles restent néanmoins invisibles et/ou peu présentes dans certaines armes et dans certains corps (58% de femmes au service de santé des armées mais 10% dans l’armée de terre) et elles ne sont que 9% en opération extérieure . Dans des métiers ou spécialités tels que fusiliers commandos, mécanicien .nes ou infanterie, les femmes ne représentent encore que 3 à 5 % des effectifs .

L’audition a néanmoins mis en évidence la mise en place d’actions destinées à renforcer la mixité : publication d’un plan mixité en mars 2019 .

93 - Chiffres au 1er janvier 2020 transmis par le ministère des Armées

94 - Derniers chiffres connus 2018 (au titre de 2017) https://www.fonction-publique.gouv.fr/nominations-equilibrees-dans-lencadrement-superieur-de-la-fonction-publique

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La ministre des Armées, Florence Parly, a présenté en mars 2019 un plan mixité95, ayant pour objectif de promouvoir l’égalité professionnelle entre les femmes et les hommes au sein des armées, aussi bien au sein des opérations que dans leurs structures administratives . Ce plan mixité a pour objectif de renforcer la part des femmes au haut commandement :

o Objectif de 10% de femmes chaque année parmi les lauréat .es du concours de l’Ecole de guerre ;

o Objectif de 10% de femmes parmi les officiers généraux d’ici 2022 ;

o Doublement de la part des femmes parmi les officiers généraux d’ici 2025 .

Il prévoit d’assouplir les conditions d’accès aux examens et concours, notamment à l’École de guerre, en élargissant les créneaux d’inscription et en les ouvrant aux officier .es sous contrat et d’assouplir la gestion pour l’accès aux grades et aux responsabilités, notamment en comptabilisant les congés parentaux .

Il prévoit également la mise en place de référent .es mixité dans tous les services et armées, dans le but de prévenir, conseiller et appuyer le commandement en matière d’équité entre les femmes et les hommes .

◗ Sur la lutte contre le sexisme et contre les violences sexistes et sexuelles

Lors de l’audition, les représentant .es du ministère des Armées ont rappelé l’affichage d’une tolérance zéro du ministère des Armées vis-à-vis des violences sexuelles dans l’armée et l’importance de l’exemplarité des forces armées . Le HCE se félicite des actions mises en place afin de répondre à la discrimination et aux violences sexistes et sexuelles, notamment :

o Mise en place de la cellule d’écoute (Thémis), en 2014, dédiée à la lutte contre le harcèlement et les violences sexuelles ;

o Mise en place de référent .es mixité-égalité depuis janvier 2020 dans l’ensemble des services et directions, suite à l’adoption de la loi de transformation de la fonction publique (6 août 2019), qui interviennent en complément de la cellule Thémis .

S’agissant de la cellule Thémis, le HCE s’interroge toutefois sur les suites données aux signalements effectués (sanctions disciplinaires, suites judiciaires sur la base de l’article 40), en l’absence de données statistiques communiquées .

Plus largement, le HCE s’interroge sur la permanence du sexisme et des violences sexuelles et sexistes, en particulier dans les lycées et écoles militaires, documentée par de nombreuses enquêtes96 . S’il se félicite de l’annonce de la mise en place de référent .es égalité dans chacun des six lycées militaires et dans les grandes écoles militaires depuis janvier 2020, il estime que ce dispositif ne doit pas exonérer les responsables de poursuivre et sanctionner les auteurs de ces violences . Par ailleurs, une réflexion sur le recrutement et le fonctionnement des lycées militaires et la manière de les ouvrir davantage aux filles est aujourd’hui nécessaire .

95 - https://www.defense.gouv.fr/actualites/articles/le-plan-mixite-du-ministere-des-armees-y-aller-y-rester-y-evoluer

96 - Médiapart, « Lycée Saint-Cyr: une machine à broyer les femmes », publié le 23 Mars 2018, https://www.mediapart.fr/journal/france/230318/lycee-saint-cyr-une-machine-broyer-les-femmes?onglet=full Lecaplain Guillaume, Moran Anaïs, «Lycée Saint-Cyr, un an après : « Finalement, rien de rien n’a changé » », Libération, publié le 27 Mars 2019, disponible sur https://www.liberation.fr/france/2019/03/27/lycee-saint-cyr-un-an-apres-finalement-rien-de-rien-n-a-change_1717821

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RECOMMANDATION N°12 : Publier et mettre en œuvre le 3ème plan national d’action « Femmes, Paix et Sécurité. »

RECOMMANDATION N°13 : Renforcer les formations :

◗ Former le haut commandement : Instituer des formations obligatoires à l’égalité femmes-hommes et aux enjeux « Femmes, Paix et Sécurité » dans les écoles d’officiers et les grandes écoles militaires et, également, dans les écoles destinées à préparer aux postes à haute responsabilité (Ecole de guerre, Centre des Hautes Études Militaires…) ;

◗ Former en pré-déploiement : Organiser des formations systématiques, obligatoires sur les enjeux « Femmes, Paix et Sécurité » en préalable au déploiement des militaires en opération extérieure . Le contenu de ces formations devrait être uniformisé au sein du ministère des Armées . Les formations devraient également rappeler l’interdiction du recours à la prostitution posée par la loi d’avril 2016 .

RECOMMANDATION N°14 : Poursuivre les efforts destinés à permettre l’accès des femmes aux postes à responsabilité, en particulier dans les fonctions militaires et à renforcer l’inclusion des femmes dans les opérations extérieures afin de placer l’armée française en situation d’exemplarité :

◗ Renforcer l’accès des femmes aux formations initiales et continues, en assouplissant les conditions d’accès aux examens et concours, notamment à l’École de guerre ;

◗ Etudier la possibilité de mettre en place des quotas pour augmenter la part des femmes dans les écoles de formation initiale et les écoles d’officiers .

RECOMMANDATION N°15 : Améliorer la communication en faveur de l’égalité entre les femmes et les hommes dans les forces armées :

◗ Adopter une communication sans stéréotype de sexe et garantir la mixité sur l’ensemble des supports visuels, pour déconstruire les stéréotypes sexistes associés à certains métiers militaires ;

◗ Garantir des informations non stéréotypées aux femmes et aux hommes dans les centres de recrutement des forces armées françaises et veiller à la présence de femmes militaires dans ces entités ;

◗ Développer les figures féminines pouvant servir de rôles modèles et permettre ainsi aux jeunes femmes, par une féminisation de l’image de l’armée, de se projeter dans des fonctions militaires, y compris au plus haut niveau de commandement .

RECOMMANDATION N°16 : Renforcer les outils de lutte contre les violences, harcèlement et discriminations à caractère sexiste et sexuel au sein des forces armées :

◗ Intégrer, dans le bilan annuel de la cellule Thémis, un suivi statistique des cas faisant l’objet d’un signalement au procureur de la République, sur la base de l’article 40 du code de procédure pénale, et des cas ayant fait l’objet de sanctions disciplinaires .

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2-3 Politique commerciale : Intégrer le genre

La politique commerciale doit être considérée comme partie intégrante d’une politique étrangère féministe .

Ainsi que l’indique le Parlement européen dans une résolution de mars 201897, le commerce n’est pas neutre et les politiques commerciales ont des impacts spécifiques sur chaque sexe . Les accords de commerce et d’investissement n’ont pas les mêmes répercussions sur les femmes et sur les hommes en raison des inégalités structurelles entre les sexes.

Tandis que les femmes composent près de la moitié de la population mondiale, elles ne représentent que 13 % des propriétaires de terres agricoles98 . Le déficit de financements en faveur des PME détenues par des femmes s’élève à 1 500 milliards de dollars99 . Les femmes sont moins bien rémunérées que les hommes et l’écart salarial entre les sexes demeure important à travers le monde (écart salarial global de 40 %100) . Les femmes sont majoritaires dans les secteurs mal rémunérés et moins protecteurs comme les métiers du soin (« care ») ou la vente de rue . Elles sont sous-représentées dans les nouveaux métiers rémunérateurs de la recherche et de l’innovation (28,8% dans les métiers de la recherche101, 15% dans l’ingénierie102, 26% dans les données et l’intelligence artificielle) .

Aucune nation n’est parvenue à réduire le fossé entre les sexes en matière de participation et d’opportunités économiques . Au rythme actuel, il faudrait 257 ans103 pour atteindre l’égalité dans le domaine économique .

La Suède et le Canada : des exemples d’inclusion de la perspective de genre dans les accords commerciaux

Pour la Suède comme pour le Canada, la politique commerciale constitue l’un des axes investis par la politique étrangère féministe104 avec l’inclusion d’une perspective de genre dans les accords commerciaux .

Tous les accords de libre-échange adoptés ou renouvelés par le Canada, depuis 2017, contiennent des dispositions sur le commerce et le genre105 et l’accord modernisé entre le Canada et le Chili (2017) est le premier, pour le Canada et pour un pays du G20, à contenir un chapitre dédié au genre et au commerce .

Genre et politique commerciale : l’exemple du Canada106

Le Canada applique, depuis 2017, une double approche dans le cadre de la négociation des accords de libre-échange :

• Travailler à l’inclusion d’un chapitre spécifique sur le commerce et le genre, qui réaffirme l’engagement envers les accords internationaux sur l’égalité des sexes et les droits des femmes ; qui met en place un cadre de coopération sur des questions liées au commerce et au genre et qui crée un comité de suivi consacré au commerce et au genre .

• Intégrer la question de l’égalité des sexes en introduisant des dispositions relatives au genre dans l’ensemble de l’accord . Ces dispositions peuvent être les suivantes :

o Un chapitre sur le travail qui comprend des engagements contraignants et exécutoires liés à l’égalité femmes-hommes (lutte contre les discriminations liées au sexe, adoption de programmes qui

97 - Résolution du Parlement européen du 13 mars 2018 sur l’égalité des genres dans les accords commerciaux de l’Union européenne, https://www.europarl.europa.eu/doceo/document/TA-8-2018-0066_FR.html

98 - Rapport d’ONU Femmes, « Traduire les promesses en actions : l’égalité des sexes dans le programme de développement durable à l’horizon 2030 », 2018 https://www.unwomen.org/-/media/headquarters/attachments/sections/library/publications/2018/sdg-report-gender-equality-in-the-2030-agenda-for-sustainable-development-2018-fr.pdf?la=fr&vs=431, p .21

99 - Rapport de la Banque Mondiale, « Les femmes, l’entreprise et le droit », janvier 2020 https://openknowledge.worldbank.org/bitstream/handle/10986/32639/211532FR.pdf?sequence=7&isAllowed=y

100 - Rapport du Forum économique mondial, « Rapport 2020 sur la parité entre les hommes et les femmes dans le monde », décembre 2019 http://www3.weforum.org/docs/WEF_GGGR_2020.pdf, p .5

101 - Rapport d’ONU FEMMES, « Traduire les promesses en actions : l’égalité des sexes dans le programme de développement durable à l’horizon 2030 », Op.cit ., p .20

102 - Rapport du Forum économique mondial, « Rapport 2020 sur la parité entre les hommes et les femmes dans le monde », Op.cit ., p .37

103 - Ibid ., p .6

104 - Politique commerciale féministe de la Suède https://www.government.se/information-material/2019/09/feminist-trade-policy/ L’approche canadienne https://www.international.gc.ca/trade-commerce/gender_equality-egalite_genres/trade_gender_fta-ale-commerce_genre.aspx?lang=fra

105 - Canada-Chili en 2017 ; Canada-Israël en 2018 ; Canada/États-Unis/Mexique en janvier 2020

106 - https://www.international.gc.ca/trade-commerce/gender_equality-egalite_genres/trade_gender_fta-ale-commerce_genre.aspx?lang=fra

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s’attaquent à l’écart salarial entre les sexes et aux obstacles à la pleine participation des femmes au marché du travail .)

o Des propositions sexospécifiques liées à l’investissement qui peuvent inclure :

» La direction et le conseil d’administration : les parties peuvent exiger la nomination de femmes à la direction ou au conseil d’administration d’une entreprise .

» La responsabilité sociale des entreprises : les parties encouragent les entreprises opérant sur leur territoire ou relevant de leur juridiction à adhérer à une liste indicative de pratiques de responsabilité sociale des entreprises, y compris l’égalité des genres .

» Des dispositions relatives aux marchés publics, en vertu desquelles les entités adjudicatrices pourraient opérer des choix préférentiels pour les petites entreprises appartenant à des femmes, lorsqu’elles achètent des biens ou des services .

Pour la Suède, la mise en œuvre d’une politique étrangère féministe implique également la mise en œuvre d’une politique commerciale féministe .

Selon le manuel de politique commerciale féministe suédois107 , la politique commerciale féministe comprend plusieurs objectifs :

• La mise en place d’une analyse genrée en amont des accords commerciaux et son corollaire, la collecte et l’utilisation de statistiques sexuées ;

• Une priorité donnée, dans les négociations commerciales, aux secteurs pour lesquels les impacts en matière d’égalité femmes-hommes sont positifs ;

• La mise en place d’une perspective de genre dans le développement de normes internationales ;

• L’intégration d’expert .es genre et une représentation équilibrée femmes-hommes dans les négociations commerciales et les activités de promotion commerciale .

La France et l’Union européenne : une inclusion en devenir

Pour la France, les relations commerciales se déroulent en partie dans le cadre des accords commerciaux que l’Union européenne a développés ces dernières années . Avec les pays avec lesquels l’UE n’a pas signé d’accord, les relations commerciales sont régies par les tarifs douaniers et les règles de base établies dans le cadre de l’Organisation mondiale du commerce (OMC) .

Or, seuls 20% des accords commerciaux de l’UE mentionnent les droits des femmes et 40% font mention de la promotion de l’égalité femmes-homme108 . Les études d’impacts réalisées en vue des accords commerciaux ne prennent que très partiellement en compte ces enjeux .

Auditionnée par le HCE, la direction générale du Trésor du ministère de l’Économie et des Finances souligne que l’Union européenne encourage depuis quelques années une politique commerciale plus sensible aux questions de genre afin de garantir que la libéralisation des échanges puisse bénéficier dans les mêmes conditions aux femmes et aux hommes : pour la première fois, un accord commercial Chili-UE, en cours de renégociation lors de la rédaction de ce rapport, devrait comporter un chapitre spécifique dédié au genre . Les dispositions de ce chapitre sont soumises à un mécanisme de règlement des différends, uniquement fondé sur des consultations entre les parties, mais qui ne permettent pas de mettre en place des sanctions en cas de non-respect .

La Direction générale du Trésor a fait état, dans ce contexte, d’échanges en cours entre la France et sept autres États membres de l’UE (Belgique, Suède, Pays-Bas, Espagne, Finlande, Luxembourg, Danemark) afin d’élaborer des propositions pour renforcer la prise en compte du genre dans les négociations et accords commerciaux de l’UE .

107 - Politique commerciale féministe de la Suède, Op.cit .

108 - Résolution du Parlement européen du 13 mars 2018 sur l’égalité des genres dans les accords commerciaux de l’Union européenne, Op.cit .

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Ces échanges, qui ont eu lieu début 2020, ont permis de faire émerger plusieurs propositions concrètes comme :

◗ Le renforcement du genre dans les accords commerciaux et dans les accords plurilatéraux et multilatéraux de l’OMC ;

◗ Une meilleure représentation des femmes dans l’élaboration des politiques commerciales (avec notamment une parité dans les organes de règlement des différends des accords) ;

◗ L’approfondissement des études sur les interactions entre le commerce et le genre avec les organisations internationales .

Ces huit États membres souhaitent que cette approche commune puisse permettre à l’UE de prendre des mesures rapidement après la publication des propositions (qui a pris du retard en raison de la crise sanitaire) .

A l’image de la conditionnalité aux questions environnementales, adoptée par la France, puisqu’elle ne négocie aucun accord commercial ni baisse de droits de douane avec les États non signataires des Accords de Paris sur le climat, il pourrait être envisagé que, dans les accords commerciaux conclus par l’Union européenne, les clauses concernant l’égalité femme-homme soient contraignantes et non plus seulement incitatives .

Dans le cadre d’une politique étrangère féministe, le HCE préconise d’adopter un agenda ambitieux en matière d’intégration du genre dans la politique commerciale .

RECOMMANDATION N°17 : Travailler à l’inclusion d’une perspective de genre dans tous les accords commerciaux :

◗ Effectuer une analyse de genre pour tous les accords commerciaux, dans les études d’impact ex-ante et ex-post ;

◗ Collecter systématiquement des statistiques sexuées ;

◗ Intégrer, dans les nouveaux accords commerciaux de l’UE et les accords en cours de renégociation, un chapitre spécial sur genre et commerce et renforcer les dispositions sur l’égalité femmes-hommes dans les accords commerciaux bilatéraux ;

◗ Prévoir la mise en place dans ces accords d’un mécanisme de suivi et d’examen de conformité périodiques ;

◗ Étudier la possibilité de mettre en place une conditionnalité en matière de droits des femmes, comme cela existe par exemple dans le domaine de l’environnement : mise en place de mécanismes contraignants qui prévoient la protection et la promotion des droits des femmes et l’égalité des sexes (avec références à la convention CEDEF et à son Protocole facultatif) ;

◗ Intégrer, dans les négociations commerciales, des expert .es genre (études d’impact, comités de mise en œuvre) ;

◗ Consulter les organisations de la société civile des pays concernés par les Accords commerciaux, avec une attention particulière aux associations engagées dans des domaines touchant des biens essentiels (santé, environnement, biodiversité, agriculture, eau…) .

RECOMMANDATION N°18 : Assurer une représentation équilibrée des femmes et des hommes dans les administrations concernées et dans les équipes de négociations.

RECOMMANDATION N°19 : Porter dans les instances économiques mondiales (FMI, Banque mondiale, Fonds mondial…) la nécessité d’inclure une réflexion sur les enjeux de genre et la participation des femmes.

Ce rapport trouvera un prolongement à l’automne 2020 dans l’énoncé d’indicateurs et dans l’évaluation de la stratégie internationale du MEAE, du moins au niveau de sa conception et de son cadrage, le HCE n’ayant, pour le moment, pas les moyens d’une évaluation de la totalité de sa mise en œuvre (ampleur, effets de terrain, caractère plus ou moins systémique…) .

Il conviendrait d’autre part d’examiner comment s’exerce la diplomatie féministe à l’heure de la pandémie et comment sont conduites dans les mois à venir les politiques de sortie de crise aux plans bi et multilatéraux .

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REMERCIEMENTSLe présent rapport a été réalisé par la Commission « Enjeux européens et internationaux » du Haut Conseil à l’Égalité, avec le concours de personnalités extérieures et avec l’appui du Secrétariat général du HCE . Que l’ensemble de ces personnes en soient remerciées .

◗ Brigitte GRESY, présidente du HCE .

◗ Martine STORTI, présidente de la Commission « Enjeux européens et internationaux » du HCE .

Pour la Commission « Enjeux européens et internationaux » :

◗ Jocelyne ADRIANT-MEBTOUL, présidente de la Coordination française du Lobby européen des femmes (CLEF) .

◗ Christian BRASSAC, président de la CIMADE Grand Est .

◗ Marion CHARPENEL, docteure en science politique et maître de conférence (experte associée) .

◗ Céline MAS, présidente du comité ONU Femmes France .

◗ Christine MAUGET, présidente de la Fédération du Poitou Charentes du Planning familial, chargée des questions internationales .

◗ Bertrand MONTHUBERT, conseiller régional d’Occitanie .

◗ Élisabeth MORIN-CHARTIER, ancienne députée européenne .

◗ Julia MOUZON, fondatrice d’Élueslocales .fr .

◗ Yveline NICOLAS, coordinatrice d’Adéquations (experte associée) .

◗ Nicolas RAINAUD, responsable plaidoyer France et International d’Équilibres et Populations .

Personnalités extérieures entendues :

◗ Amy BAKER, cheffe de mission adjointe à l’Ambassade de Canada en France .

◗ Isabelle BOUDINEAU, vice-présidente du Conseil régional de Nouvelle-Aquitaine en charge de l’Europe et de l’International .

◗ Dominique BUSSEREAU, président du département de Charente Maritime et président de l’association des Départements de France .

◗ Mireille CLAPOT, députée, vice-présidente de la commission des Affaires étrangères de l’Assemblée Nationale, co-rapporteure du rapport « 100 propositions pour une diplomatie féministe .»

◗ Aurélie GAL-REGNIEZ, directrice exécutive d’Équilibres et Populations .

◗ Sandra LHOTE-FERNANDES, chargée de Plaidoyer Santé et Égalité femmes-hommes à Oxfam France .

◗ Contre-Amirale Anne de MAZIEUX, haute fonctionnaire à l’égalité au sein du ministère des armées, et Général Philippe HIRTZIG, chef de division RH-Transformation à l’État-major des Armées .

◗ Alexandre MIRLESSE, conseiller technique développement, G7/G20, coopération et action culturelle à la cellule diplomatique de l’Élysée, et Constance BENSUSSAN, conseillère solidarités, égalité femmes/hommes, lutte contre les discriminations à la cellule diplomatique de l’Élysée .

◗ Marie-Cécile NAVES, directrice de l’Observatoire Genre et Géopolitique de l’Institut des Relations Internationales et Stratégiques .

◗ Erol OK, directeur général délégué, et Maud GRIMAUD, responsable de la Coordination avec le Réseau et correspondante égalité femme-homme de l’Institut français .

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◗ Nathalie PILHES, présidente d’Administration Moderne .

◗ Odile RENAUD-BASSO, directrice générale du Trésor au ministère de l’économie et des finances .

◗ Marie-Christine SARAGOSSE, présidente de France Médias Monde .

◗ Agnès VON DER MÜHLL, haute fonctionnaire à l’égalité du ministère de l’Europe et des Affaires étrangères, et Joan VALADOU, sous-directeur du développement humain à la direction générale de la Mondialisation du ministère de l’Europe et des Affaires étrangères .

◗ Bertrand WALCKENAER, directeur général délégué, et Nadège CHOUAT, cheffe de la cellule Lien social de l’Agence française de développement .

Correspondant.es égalité du ministère de l’Europe et de Affaires étrangères :

◗ Vincent BILLEREY, conseiller pour les Affaires sociales à l’Ambassade de France en Argentine .

◗ Fabien CAYLA, attaché de coopération à l’Ambassade de France en République Démocratique du Congo .

◗ Tiphaine COSNIER, conseillère Gouvernance et État de droit au service de coopération et d’action culturelle de l’Ambassade de France au Sénégal .

◗ Baptiste GAICH, chargé de mission Société civile et communication au service de coopération et d’action culturelle de l’Ambassade de France au Mali .

◗ Maïa-Catherine LAHOUD, chargée des relations publiques à l’Ambassade de France au Qatar .

◗ Laurence LEVAUDEL-CLAUSS, attachée de coopération et responsable du Pôle Gouvernance au service de coopération et d’action culturelle de l’Ambassade de France au Maroc .

◗ Christophe MANESSE, attaché de coopération institutionnelle à l’Ambassade de France en Russie .

◗ Thibault SAMSON, premier secrétaire de la mission permanente de la France auprès des Nations Unies à New York .

◗ Véronique WAGNER, conseillère politique, presse et communication à l’Ambassade de France au Pakistan .

Organismes et personnalités extérieures sollicités par écrit :

◗ COORDINATION SUD.

◗ Jérémie PELLET, directeur général, Martin FORTES DELACROIX, directeur de la stratégie et des partenariats, et Dehbia KROUK, responsable appui stratégique et relations parlementaires et référente genre d’Expertise France .

◗ Christine MORO, Ambassadrice, Déléguée pour l’action extérieure des collectivités territoriales .

◗ Commandante Nadia RIFFI, conseillère militaire adjointe à la Mission permanente de la France à New York .

◗ Patrizianna SPARACINO-THIELLAY, conseillère diplomatique de la maire de Paris .

◗ Veronika WAND-DANIELSSON, Ambassadrice de Suède en France .

Pour le Secrétariat général :

◗ Cléa LE CARDEUR, rapporteuse et commissaire aux affaires internationales et européennes, en charge de la commission « Enjeux européens et internationaux »

◗ Paola BERGS, secrétaire générale .

◗ Solène GOCHARD-LEZEBOT, chargée de communication en apprentissage .

◗ Coline REAL, stagiaire au sein du HCE de septembre 2019 à mars 2020 .

◗ Anaëlle SCHIMBERG, stagiaire au sein du HCE de mars 2020 à juillet 2020 .

55, rue Saint-Dominique - 75007 Paris Courriel : haut-conseil-egalite@pm .gouv .fr

Téléphone : 01 42 75 86 91

www.haut-conseil-egalite.gouv.fr Recevoir toutes nos informations : bit.ly/HCECP

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