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Yao Assogba Professeur en travail social, Université du Québec en Outaouais (2008) DÉVELOPPEMENT COMMUNAUTAIRE EN AFRIQUE Comprendre la dynamique des populations Un document produit en version numérique par Diane Brunet, bénévole, Diane Brunet, bénévole, guide, Musée de La Pulperie, Chicoutimi Courriel: [email protected] Page web dans Les Classiques des sciences sociales Dans le cadre de: "Les classiques des sciences sociales" Une bibliothèque numérique fondée et dirigée par Jean-Marie Tremblay, professeur de sociologie au Cégep de Chicoutimi Site web: http://classiques.uqac.ca/ Une collection développée en collaboration avec la Bibliothèque Paul-Émile-Boulet de l'Université du Québec à Chicoutimi Site web: http://bibliotheque.uqac.ca/

DÉVELOPPEMENT COMMUNAUTAIRE EN AFRIQUE · Effets pervers du PHV-CUSO [31] Chapitre 3. Mouvement social paysan et développement [37] 3.1. Regain du mouvement paysan [37] 3.2. Dynamisme

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Yao Assogba Professeur en travail social, Université du Québec en Outaouais

(2008)

DÉVELOPPEMENT COMMUNAUTAIRE

EN AFRIQUE Comprendre la dynamique

des populations

Un document produit en version numérique par Diane Brunet, bénévole, Diane Brunet, bénévole, guide, Musée de La Pulperie, Chicoutimi

Courriel: [email protected] Page web dans Les Classiques des sciences sociales

Dans le cadre de: "Les classiques des sciences sociales"

Une bibliothèque numérique fondée et dirigée par Jean-Marie Tremblay, professeur de sociologie au Cégep de Chicoutimi

Site web: http://classiques.uqac.ca/

Une collection développée en collaboration avec la Bibliothèque Paul-Émile-Boulet de l'Université du Québec à Chicoutimi

Site web: http://bibliotheque.uqac.ca/

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Yao Assogba, Développement communautaire en Afrique... (2008) 2

Politique d'utilisation

de la bibliothèque des Classiques Toute reproduction et rediffusion de nos fichiers est interdite,

même avec la mention de leur provenance, sans l’autorisation for-melle, écrite, du fondateur des Classiques des sciences sociales, Jean-Marie Tremblay, sociologue.

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L'accès à notre travail est libre et gratuit à tous les utilisa-

teurs. C'est notre mission. Jean-Marie Tremblay, sociologue Fondateur et Président-directeur général, LES CLASSIQUES DES SCIENCES SOCIALES.

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Cette édition électronique a été réalisée par Diane Brunet, bénévole, guide, Musée de La Pulperie, Chicoutimi à partir du livre de :

Yao Assogba DÉVELOPPEMENT COMMUNAUTAIRE EN AFRIQUE.

Comprendre la dynamique des populations. Québec : Les Presses de l’Université Laval, 2008, 113 pp. [Autorisation formelle accordée par l’auteur le 14 août 2008 de diffuser toutes

ses publications dans Les Classiques des sciences sociales.]

Courriel : [email protected]

Polices de caractères utilisée :

Pour le texte: Times New Roman, 14 points. Pour les notes de bas de page : Times New Roman, 12 points.

Édition électronique réalisée avec le traitement de textes Microsoft Word 2008 pour Macintosh. Mise en page sur papier format : LETTRE US, 8.5’’ x 11’’. Édition numérique réalisée le 26 août 2013 à Chicoutimi, Ville de Saguenay, Québec.

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Yao Assogba

Professeur en travail social, Université du Québec en Outaouais

Développement communautaire en Afrique. Comprendre la dynamique

des populations.

Québec : Les Presses de l’Université Laval, 2008, 113 pp.

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[iv]

DU MÊME AUTEUR La raison démasquée. Sociologie de l'acteur et recherche sociale

en Afrique. Québec, PUL, 2007. Regard sur... La jeunesse en Afrique subsaharienne. Québec, Les

Éditions de l'IQRC, 2007. La sociologie est-elle une science ? Entrevue avec Raymond Bou-

don et systématisation de la démarche d'explication en sociologie. Sainte-Foy, PUL, 2004.

Sortir l'Afrique du gouffre de l'histoire. Le défi éthique du déve-

loppement et de la renaissance de l'Afrique noire. Sainte-Foy, PUL, 2004. [En préparation dans Les Classiques des sciences sociales. JMT.]

Insertion des jeunes, organisation communautaire et société. L'ex-

périence fondatrice des Carrefours jeunesse-emploi au Québec. Sain-te-Foy, Presses de l'Université du Québec, 2000.

Jean-Marc Ela, le sociologue et théologien africain en boubou.

Paris, L'Harmattan, 1999. La sociologie de Raymond Boudon. Essai de synthèse et applica-

tions de l'individualisme méthodologique. Sainte-Foy, PUL et Paris, L'Harmattan, 1999.

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[vi) Les Presses de l'Université Laval reçoivent

chaque année du Conseil des Arts du Canada et de la Société de développement des entreprises cultu-relles du Québec une aide financière pour l'ensem-ble de leur programme de publication.

Nous reconnaissons l'aide financière du gou-

vernement du Canada par l'entremise de son Pro-gramme d'aide au développement de l'industrie de l'édition (PADIÉ) pour nos activités d'édition.

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[vii]

Table des matières Liste des acronymes [ix] Introduction [1] Chapitre 1. Développement communautaire, animation rurale et groupements

villageois [5]

1.1. Le développement des communautés locales pendant la période colonia-le [5]

1.2. Les États africains postcoloniaux et le développement rural [13] 1.3. Les groupements des collectivités et le développement local [16]

Chapitre 2. Processus participatif et développement communautaire [21]

2.1. Définitions [21] 2.2. Idéal-type d'approches de participation [24] 2.3. Analyse de cas [25] 2.4. Effets pervers du PHV-CUSO [31]

Chapitre 3. Mouvement social paysan et développement [37]

3.1. Regain du mouvement paysan [37] 3.2. Dynamisme du mouvement paysan [39] 3.3. Écueils du mouvement paysan en Afrique [45]

Chapitre 4. Diaspora africaine et développement [49]

4.1. L’Afrique et ses diasporas [49] 4.2. Les diasporas africaines et le développement local [52] 4.3. Diasporas africaines, science et technologie [55] 4.4. Les Africains de la diaspora comme acteurs de développement. [60]

Chapitre 5. Économie sociale et populaire : aperçu général. [63]

5.1. Historicité des sociétés africaines et économie sociale et populaire [63] 5.2. Pratiques d'économie sociale et populaire [68]

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Chapitre 6. Comprendre les réussites et les échecs des projets de développement

communautaire [75]

6.1. Paramètres du paradigme interactionniste [75] 6.2. Modélisation et applications [77] 6.3. Capacité heuristique du paradigme interactionniste en matière de déve-

loppement [85] Épilogue. Innovation sociale et développement des communautés [87]

7. 1 Le concept sociologique de communauté : réalité empirique et cadre d'analyse [88]

7.2 Pour une explication sociologique de l'innovation sociale [95] En guise de conclusion [101] Références bibliographiques [103]

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Développement communautaire en Afrique. Comprendre la dynamique des populations.

QUATRIÈME DE COUVERTURE

Retour à la table des matières

Le développement des communautés locales a été toujours au cœur des préoccupations des administrations coloniales et des États afri-cains postcoloniaux. Les structures et l'esprit de ce mode d'interven-tion, appelé développement communautaire dans les colonies britan-niques et animation rurale dans les colonies françaises, ont été, pour l'essentiel, conservés pendant la première décennie (1960-1970) des indépendances. Depuis les années 1980, les organisations non gouver-nementales (ONG) internationales et nationales se présentent comme les acteurs principaux qui appuient les initiatives des populations ou qui travaillent avec elles dans des projets de développement commu-nautaire dont certains réussissent et d'autres échouent. Pourquoi ?

L'explication et la compréhension de ces échecs ou de ces réussites sont au centre de la sociologie du changement social. Ce livre présente un historique et propose une analyse sociologique interactionniste du développement des communautés en Afrique subsaharienne. La contribution qu'il apporte au débat sur le développement en Afrique a des répercussions théoriques et pratiques. Pour cette raison, il sera sans doute utile aux étudiants, aux chercheurs et aux intervenants de ce domaine.

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YAO ASSOGBA est né à Atakpamé

au Togo. Il a étudié en sociologie et en sciences de l'éducation à l'Université Laval (Québec, Canada) où il a obtenu un Ph. D. Professeur titulaire, il ensei-gne la sociologie et la méthodologie de recherche au Département de travail so-cial et des sciences sociales de l'Univer-sité du Québec en Outaouais (UQO). Il est l'auteur de nombreux ouvrages et articles sur les questions d'épistémolo-gie, d'éducation, d'insertion des jeunes et de développement en Afrique et au Québec. Il est membre du Centre d'étu-de et recherche en intervention sociale et de la Chaire de recherche du Canada en développement de collecti-vité.

Photographie de la couverture : Peeter Viisimaa, iStockphoto

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[ix]

Développement communautaire en Afrique. Comprendre la dynamique des populations.

Liste des acronymes

Retour à la table des matières

ACDI Agence canadienne de développement international

AQOCI Association québécoise des organisations de coopération inter-nationale

BCD Banque camerounaise de développement

BND Banque nationale de développement

BNDA Banque nationale de développement agricole

CERP Centre d'expansion rurale polyvalente

CESAO Centre d'études économiques et sociales d'Afrique de l'Ouest

CEQ Centrale des enseignants du Québec

CFAR Centre familial d'animation rurale

CFDT Compagnie française pour le développement des textiles

CFPC Conseil des fédérations paysannes du Cameroun

CIDR Compagnie internationale de développement régional

CISO Centre international de solidarité internationale

CMCEC Conseil mondial des coopératives d'épargne et de crédit (World Council of Credit Unions)

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CMDT Centrale malienne de développement des textiles

CNCA Caisse nationale de crédit agricole

CNUCED Conférence des Nations unies pour le commerce et le dévelop-pement

COOPEC Coopérative d'épargne et de crédit

CRPA Centre régional de promotion agropastorale

CTC Communauté togolaise au Canada

[x]

CUSO Canadian University Services Overseas

CVD Comité villageois de développement

DID Développement international Desjardins

DIEPA Décennie internationale de l'eau potable et d'assainissement

DRRI Directorate for Roads and Rural Infrastructures

DRI Développement rural intégré

FAC Fonds d'aide et de coopération

FMI Fonds monétaire international

FOCAOP Fonds commun d'appui aux organisations paysannes

FONADER Fonds national de développement rural

FONGS Fédération des organisations non gouvernementales du Séné-gal

FONGTO Fédération des organisations non gouvernementales du Togo

FUCEC-Togo : Fédération des unions coopératives d'épargne et de crédit du Togo

GED Genre et développement

GIES Groupe d'intérêt économique et social

GVR Groupement villageois révolutionnaire

IFD Intégration des femmes au développement

INADES Institut national africain pour le développement économique et social

IPD Institut panafricain pour le développement

LDLQ Ligue des droits et libertés du Québec

MUSOTAL Mutuelle de solidarité des tontiniers à Lomé

NEPAD New Partnership for Africa’s Development (Nouveau partena-

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riat pour le développement de l'Afrique)

NPDA Nouveau Partenariat pour le développement de l'Afrique (New Partnership for Africa’s Development)

NPI Nouveaux pays industrialisés

NTIC Nouvelles technologies d'information et de communication

[xi]

OCCDP Organisation catholique canadienne pour le développement et la paix

OCI Organisation de coopération internationale

ODF Office pour le développement de la forêt

OIM Organisation internationale pour les migrants

OIT Organisation internationale du travail

OMR Organisation du monde rural

OMS Organisation mondiale de la santé

ONG Organisation non gouvernementale

OPAT Office des produits agricoles du Togo

ORD Organisme régional de développement

ORPV Office régional de commercialisation étatique des produits vivriers

PAIGC Parti africain pour l'indépendance de la Guinée-Bissau et du Cap-Vert

PAS Programme d'ajustement structurel

PHV Projet d'hydraulique villageoise

PNUD Programme des Nations unies pour le développement

SAIL Service d'appui aux initiatives locales

SIP Société indigène de prévoyance

SMDR Société mutuelle de développement rural

SMPR Société mutuelle de production rurale

SOCODEVI Société de coopération pour le développement international

SONAH Société nationale pour le développement de la palmeraie et des huileries

SORAD

SOTOCO

Société d'aménagement et de développement

Société togolaise du coton

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SO.VOL.COM Société voltaïque de commercialisation

SRCC Société de rénovation de la caféière et de la cacaoyère

SYCOV Syndicat de producteurs de coton et de vivriers

TOKTEN Transfer of Knowledge through Expatriate Nationals

WOCCU World Council of Credit Unions (Conseil mondial des coopé-ratives d'épargne et de crédit)

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[1]

Développement communautaire en Afrique. Comprendre la dynamique des populations.

INTRODUCTION

Retour à la table des matières

Le développement des communautés locales a été toujours au cœur des préoccupations des administrations coloniales et des États afri-cains postcoloniaux. Appelé développement communautaire dans les colonies britanniques et animation rurale dans les colonies françaises, l'esprit et les structures de ce mode d'intervention (développement des communautés locales) ont été, pour l’essentiel, conserves après les indépendances des pays d’Afrique dans les années 1960. Depuis les années 1980, les organisations non gouvernementales (ONG) interna-tionales se présentent comme les acteurs principaux qui appuient les initiatives des populations ou qui travaillent avec elles dans des pro-jets dont certains réussissent mais d'autres échouent.

L’explication de ces phénomènes sociaux est au centre de la socio-logie du changement social. La décennie 1960-1970 a été dominée par les théories explicatives de type déterministe (Boudon, 1984), puis la théorie de rationalité de l'acteur est devenue dominante a partir des années 1980. Lorsqu’on fait une brève recension des écrits, il semble ne pas y avoir un livre qui présente en un tout a la fois l'historique et l'analyse sociologique du développement communautaire en Afrique noire subsaharienne en particulier. C'est la contribution que ce petit ouvrage veut apporter dans ce domaine d'études et de recherches.

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L’inspiration pour écrire ce livre vient donc de la maturation de nos connaissances théoriques et empiriques accumulées pendant une vingtaine d'années sur le développement des communautés locales en Afrique au sud du Sahara. En effet, les textes qui composent [2] cet ouvrage sont des versions revues, approfondies et actualisées de tra-vaux qui ont été publies sous diverses formes, articles, cahiers de re-cherche, conférences ou communications scientifiques. Prises ensem-ble, ces études proposent par leur convergence, une synthèse de thè-mes que nous avons traites isolement dans diverses publications, mais que nous n’avions pas eu l'occasion de rapprocher de façon a en faire voir l'articulation et la complémentarité. Globalement, ces études ré-unies permettent de faire apparaître les liens entre le développement communautaire et la rationalité des acteurs sociaux (populations loca-les) situés et datés.

Le livre comprend six chapitres. Le texte formant le premier chapi-tre présente une étude sociohistorique du développement communau-taire, du développement rural et du développement local en Afrique subsaharienne. Ce mode d'intervention collective est étudié a l'époque coloniale (anglaise, francophone et lusophone) et dans la période postcoloniale, c'est-à-dire des indépendances africaines dans les an-nées 1960 jusqu'aux années 2000, en passant par les années 1980 marquées par les programmes d'ajustement structurel (PAS) imposés aux États africains par la Banque mondiale et le Fonds monétaire in-ternational (FMI).

Théoriciens et praticiens du développement formulent généra-lement l'hypothèse que la participation des populations aux projets les concernant est garante de leur réussite. Le deuxième chapitre s'efforce de tester cette proposition par des données d'enquêtes. Considérant la participation comme un processus qui comporte différentes phases, la démarche d'analyse permet de mettre en évidence les phases d'enga-gement réel des populations a l'implantation des projets de dévelop-pement. L’analyse se raffine en montrant que les modes d'intervention qui s’inspirent du paradigme interactionniste favorisent plus la parti-cipation effective des gens que les modes d'intervention basés sur le paradigme déterministe.

Après avoir été le fer de lance de la décolonisation, le mouvement paysan africain a été forcé de se retrancher dans le « maquis » par les politiques d'embrigadement des populations dans des partis [3] uni-

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ques, par les États africains postcoloniaux, au nom de « l'unité natio-nale ». Mais les conséquences socioéconomiques des PAS et le vent de démocratisation des années 1990 vont faire connaître un regain de vie au mouvement paysan, notamment dans le domaine du dévelop-pement communautaire. C'est ce que le troisième chapitre tente de montrer.

Le quatrième chapitre est consacré à l'étude des rapports que les diasporas africaines entretiennent ou peuvent entretenir avec le déve-loppement de leurs pays d'origine. Au cours de la décennie 1960-1970, l'émigration des ressortissants africains était considérée comme nuisible au développement de l'Afrique. Mais, depuis les années 1980 et dans le contexte de la mondialisation, on a compris que les émi-grants africains représentent des diasporas susceptibles d'être mobili-sées au profit du développement local, scientifique et technologique du continent.

Le cinquième chapitre montre comment au cours des vingt-cinq dernières années la socioéconomie africaine de survie a connu des changements structurels pour se transformer en une véritable écono-mie sociale et populaire dans divers secteurs de la société, pour ré-pondre aux besoins essentiels des populations rurales et urbaines en améliorant leurs conditions de vie.

À partir d'une recension des études théoriques et empiriques des projets de développement communautaire, nous proposons, dans le sixième et dernier chapitre, les profils-types des projets à forte chance de réussite et à fort risque d'échec.

La manière dont les différentes études ont été articulées ici apporte sans nul doute une contribution particulière au débat théorique et pra-tique sur le développement des communautés locales en Afrique.

[4]

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[5]

Développement communautaire en Afrique. Comprendre la dynamique des populations.

Chapitre 1

Développement communautaire, animation rurale

et groupements villageois

1.1 LE DÉVELOPPEMENT DES COMMUNAUTÉS LOCALES

PENDANT LA PÉRIODE COLONIALE

Retour à la table des matières

Le fonctionnement socioéconomique des sociétés traditionnelles africaines s'appuie sur des institutions de type coopératif par exemple la coopération communale, l'aide réciproque, l'invitation au travail où se mêlent l'économique, le social et le cérémonial. Ainsi, les solidari-tés traditionnelles prennent la forme de groupes ad hoc de travail axes sur divers travaux collectifs, à savoir les travaux champêtres, la cons-truction d'habitats, le transport des récoltes, etc. Ces groupes se nom-ment tô chez les Malinkes du Mali, pare chez les Saras du Tchad, ad-jolu chez les Fons du Benin, efidodo chez les Éwés du Togo, sosoaga chez les Mossis du Burkina Faso, pour ne citer que ceux-là (Champa-gne, 1996 ; Gosselin, 1963). Ces types de solidarité traditionnelle se distinguent des associations volontaires de la période coloniale et postcoloniale qui sont des groupements urbains ou villageois orientés

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vers le développement communautaire, l'animation sociale rurale et le développement local (Assogba, 1991).

Développement communautaire et animation rurale sont souvent pris l'un pour l'autre dans les programmes de développement en Afri-que. Hormis leur différence d'origine, le premier est d'origine [6] an-glosaxonne alors que la seconde est d'origine française, ces deux concepts renvoient à des représentations différentes de développe-ment. Alors que celui-là naît du dynamisme de la communauté, celui-ci s'infiltre dans cette dernière (Meister, 1970-1971). Après une en-quête sur les expériences de développement dans les pays du tiers-monde, les Nations unies en sont venues à définir le développement communautaire dans ces régions comme :

L’ensemble des procédés par lesquels les habitants d'un pays unis-sent leurs efforts à ceux des pouvoirs publics en vue d'améliorer la situation économique, sociale et culturelle des collectivités, d'associer ces collectivités à la vie de la nation et de leur permettre de contribuer sans réserve aux progrès du pays. Les procédés supposent tous deux éléments essentiels : les habitants participent activement [...] des ser-vices techniques et autres sont fournis [...], ces programmes concer-nent généralement des collectivités locales (Salberg et Weilsh-Bonnard, 1970, p. 56).

La Grande-Bretagne a été le premier pays à utiliser le concept de développement communautaire pour désigner les programmes d'édu-cation populaire dans ses colonies ouest-africaines (Mayo, 1975). En-tre les deux guerres mondiales, les mouvements nationalistes com-mençaient à se développer dans les colonies. Dans le but d'atténuer les aspirations autonomistes des populations africaines et sous prétexte de « protéger » ses colonies contre le communisme, la Grande-Bretagne a élaboré des programmes de développement social et économique favorisant une plus grande participation des communautés. Les projets de développement communautaire mis sur pied jouaient un rôle à la fois politique et économique. Ils calmaient les tendances nationalistes radicales des peuples colonisés par la forme d'une certaine démocratie qu’ils introduisaient et par la participation des collectivités locales. Par ailleurs, la Grande-Bretagne tirait profit des projets communautai-res à vocation économique réalisés par une main-d'œuvre « bon mar-ché », sinon gratuite. Mais ces projets développaient également cer-taines infrastructures dans les colonies. La pratique du développement

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communautaire dans les colonies britanniques a été caractérisée par une [7] décentralisation du pouvoir permettant à la population d'exer-cer une certaine influence. La méthode anglosaxonne accordait une certaine importance aux associations volontaires qui étaient les porte-parole des populations auprès du gouvernement colonial.

L’acception du développement communautaire telle qu'elle est pré-sentée par les Nations unies reflète assez bien ce qui se pratique en Afrique anglophone comme développement communautaire. On re-connaît la participation active des populations concernées au proces-sus du changement social, mais on attribue également un rôle impor-tant à l'État ou à tout organisme extérieur à ce processus. La collecti-vité est censée prendre part aux principales étapes de réalisation des projets de développement avec le soutien financier ou technique de l'État. Le but recherché est la satisfaction des besoins fondamentaux des populations, de manière à améliorer leurs conditions économiques et sociales. C'est ainsi que les États anglophones de l'Afrique de l'Ouest ont adopté la pratique du développement communautaire comme stratégie du changement social dans les régions rurales. Tel était notamment le cas du Nigéria dans les années 1950. « Successive governments in Nigeria the 1950 have recognised the importance of community development as a method for effecting changes in the economic and social life of the rural population » (Adejunmobi, 1990 : 225).

Les structures de mise en œuvre des projets de développement communautaire sont des « associations de développement » créées au niveau des régions, des districts et des villages. Au début des années 1970, la coordination financière et technique de ces structures a été confiée a un organisme public appelé Directorate for Roads and Rural Infrastructures (DRRI). Ce nouvel organisme a favorisé la réalisation de nombreux projets de développement communautaire avec le concours des organisations non gouvernementales (ONG) de coopéra-tion internationale. Les secteurs socioéconomiques les plus touchés par ces projets sont l'agriculture, l'approvisionnement en eau et l'as-sainissement, l'éducation, la santé, la construction de pistes et les coo-pératives. Mais, ici comme ailleurs en Afrique, le développement communautaire a connu des problèmes de participation effective [8] des populations et de pérennité des projets, une fois que les agents de

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développement externes à la communauté cessent leurs actions d'en-cadrement.

L’approche coloniale consistait à proposer aux populations des techniques susceptibles d'encourager des initiatives communautaires lorsqu’elles n’existaient pas. Ainsi, grâce à l'incitation des services techniques coloniaux, les premiers comités villageois pour des projets de développement communautaire furent crées. Si la stratégie colonia-le était axée surtout sur la participation des populations à la phase d'exécution des projets, la stratégie postcoloniale propose, par contre, que les populations participent aux phases d'identification, de planifi-cation et d'exécution des projets. À cet effet, des structures ont été mi-ses sur pied. Il s'agit notamment des groupes d’action au niveau des villages et des zones urbaines et des comités de développement de dis-trict qui font la liaison entre les structures de développement régiona-les et nationales.

Dans l'ensemble, l'Afrique anglophone a mis en œuvre des pro-grammes de développement communautaire de type « intégratif ». En quoi consistent au juste ces programmes ? Il s'agit d'une stratégie glo-bale qui associe les efforts d'action communautaire, au niveau local, aux efforts financiers et techniques des gouvernements, régionaux et nationaux, ou de tout autre organisme extérieur, pour assurer le déve-loppement rural intégré (DRI). Le DRI est une pratique d'intervention dans les zones rurales qui vise le progrès économique et social de la population. Il touche aux dimensions à la fois agricole, sociale et édu-cative du développement. Dans le domaine de l'agriculture, on se pré-occupe de la répartition et des formes d'usage de terres. On s'intéresse à la dynamique des populations, à leur formation technique et à leur éducation en général. Tout ce processus débouche généralement sur l'organisation des coopératives agricoles, artisanales et l'aménagement des territoires agricoles pour une meilleure production. En dernière analyse, on vise une autosuffisance des populations rurales. Le pro-gramme intégratif possède sa propre administration et dispose [9] d'importants moyens techniques et financiers. Mais ce programme n’a pas souvent donné les effets escomptés (Dumont et collab., 1980).

L’animation rurale a été introduite dans les colonies françaises en vue de promouvoir les actions du développement par la participation communautaire (Vot et Brewster, 1989). Pour augmenter la produc-tion agricole et faciliter l'introduction de nouvelles techniques, il fal-

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lait associer les paysans aux programmes élaborés par l'administration coloniale, d'où la création des campagnes de vulgarisation et des coo-pératives. L’animation rurale est donc perçue comme une action édu-cative qui vise une participation des collectivités locales tout en les associant aux opérations en vue du développement. À l'époque, il s'agissait d'associer directement la paysannerie aux opérations menées par l'administration coloniale pour augmenter la production agricole. Le problème se posait en matière de modernisation. C'est ainsi que furent mises en œuvre des campagnes de vulgarisation agricole et de coopératives (Mondjanagni, 1984).

Après les indépendances dans les années 1960, les institutions co-loniales et leurs mécanismes de fonctionnement ont été, pour l’essentiel, maintenus. Seules les dénominations des structures ont changé d'appellation. Ainsi, les sociétés indigènes de prévoyance (SIP), créées des 1910 et qui constituaient des greniers villageois col-lectifs dans lesquels les paysans devaient verser une partie de leurs récoltes de céréales soigneusement triées, sont devenues dans les an-nées 1960 les sociétés mutuelles de production rurale (SMPR). Quel-que temps plus tard, les SMPR deviendront les sociétés mutuelles de développement rural (SMDR) dans la plupart des États de l'Afrique de l'Ouest francophone. Qu’il s'agisse des SIP, des SMPR ou des SMDR, le but de ces sociétés coloniales et postcoloniales demeure d'abord et avant tout de faciliter la production et la commercialisation des cultu-res de rentes, ce qui n'a rien à voir avec la production des cultures vi-vrières constituant les priorités alimentaires des paysans. L’animation rurale procède par différentes étapes, allant de la sensibilisation jus-qu’à l'exécution et l'évaluation des projets, en passant par la consulta-tion des [10] populations locales. Les agents d'animation appartien-nent à différents services administratifs. Dans tous les États, il y a des institutions de formation des agents d'animation rurale (Ela, 1982) 1

1 Dans les années 1960-1970, les principales institutions de formation des

agents d'animation dans la plupart des pays d'Afrique francophone étaient l'école nationale d'assistance sociale, l'École nationale d'hygiène, etc. Les Maisons familiales formaient aussi des agents de développement communau-taire pour travailler surtout dans les zones rurales. L’Institut africain pour le développement économique et social (INADES) était un organisme qui for-mait les populations rurales et les aidait dans la réalisation des projets com-

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Dans la pratique, on peut distinguer deux types de programmes d'animation rurale en Afrique francophone : le programme national et le programme sectoriel. Le premier est mis en œuvre par des organis-mes gouvernementaux dont les actions sont étroitement liées au déve-loppement global du pays. L’exemple classique d'un programme na-tional d'animation rurale est celui du Sénégal. Dans les années 1960, le plan de développement rural du Sénégal avait prévu passer du sys-tème d'associations agricoles aux coopératives agricoles. Les coopéra-tives devaient contribuer au développement rural et, par conséquent à la promotion paysanne. Pour mener à bien ce plan, un programme na-tional d'animation rurale a été élaboré et mis en œuvre par le ministère du Plan et du Développement (ministère à vocation socioéconomique dans les pays d'Afrique francophone). Le programme touchait à l’agriculture, à l'élevage et aux forêts. L’animation rurale était sous la responsabilité des centres d'expansion rurale polyvalente (CERP) im-plantés dans chaque circonscription du pays (BIT, 1970). D'autres pays tels que le Niger et le Burkina-Faso ont développé également ce type de programme.

Quant au second type, soit le programme sectoriel, il touche à des secteurs précis dans des zones déterminées. Visant essentiellement l'accroissement de la production des cultures de rente, le programme sectoriel d'animation rurale procède par trois opérations. D'abord sur le plan éducatif, une campagne de sensibilisation est menée auprès des paysans pour expliquer le bien-fondé d'une augmentation de la [11] production culturale. Vient ensuite une action de modernisation des exploitations, qui se traduit par l'introduction d'une nouvelle technolo-gie, par exemple la culture attelée, le tracteur, etc. Enfin, la troisième opération consiste à doter les villages d'équipements locaux tels que des puits, des habitats, etc. L’animation rurale proprement dite se fait également par phases successives : la sensibilisation populaire, la formation des encadreurs locaux par des stages de courte durée et leur recyclage par la suite. Les programmes sectoriels ont été mis en œuvre dans la plupart des pays qui ont voulu moderniser et accroître la cultu-re du coton après les indépendances : le Sénégal, le Niger, le Burkina Faso.

munautaires. L’Institut panafricain pour le développement (IPD) forme des cadres africains pour le développement communautaire ou l'animation rurale.

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La participation des populations africaines a constitué un problème sérieux des programmes et des projets de développement communau-taire et de l'animation rurale. Fondamentalement fondés sur la rationa-lité technique, ne prenant pas en compte les logiques des systèmes de production paysans, ces modes d'intervention ont eu des effets limites sur l'amélioration des conditions économiques et sociales des popula-tions rurales (Blanc-Pamard et collab., 1984 ; Gu-Konu, 1984). Dès la fin des années 1970 et le début des années 1980, on a commencé à insister sur la participation et la prise en compte des logiques produc-tives des collectivités locales comme sources d'inspiration des prati-ques novatrices de développement (Assogba, 1989 et 1988 ; Darisme, 1989 ; Whyte, 1987 ; Desjeux, 1985).

De façon générale, l'Afrique subsaharienne a été en dehors des ex-périences historiques d'éducation pratique de libération et de reconsti-tution nationales qu’ont connues des pays d'Asie et d'Amérique latine durant les années 1950, 1960 et 1970. Mais la Guinée Bissau, pays ouest-africain lusophone 2

Les méthodes de développement communautaire élaborées par le Parti africain pour l'indépendance de la Guinée-Bissau et du Cap-Vert (PAIGC) consistaient à mobiliser la population des villes et des cam-pagnes autour du PAIGC, à mobiliser des ressources nécessaires pour la lutte et à former des cadres pour assumer des fonctions politiques et militaires. La mobilisation et l'éducation populaires ont été faites à la lumière d'une analyse sociologique des structures sociales et des pra-tiques culturelles des couches sociales de la société guinéenne (Ca-bral, 1975a et 1975b ; Campbell, 1977). La participation et l'éducation communautaires s'étaient faites autour d'un projet sociétal d'indépen-

fait exception à la règle. La particularité du développement communautaire en Guinée-Bissau au cours des années 1960 et 1970 (période de guerre) réside dans son caractère explicite-ment politique. Le processus de libération nationale [12] du joug co-lonial du Portugal est base sur l'éducation populaire conçue comme la praxis qui permet au groupe social dominé, opprimé, de prendre cons-cience de sa situation, de la comprendre et d'agir afin de se libérer (Assogba, 1981).

2 L’Afrique lusophone désigne l'ensemble des anciennes colonies portugaises

en Afrique : Angola, Mozambique, Guinée-Bissau et Cap-Vert. Notre exem-ple porte sur les deux derniers pays.

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dance nationale par la lutte armée, du développement d'une culture africaine non aliénante et de la construction d'une économie nationale fondée sur l'autogestion. Cela s'est fait par étapes. Le PAIGC recrutait et formait d'abord des cadres. Ensuite, ceux-ci allaient informer et former la paysannerie. Cette opération devait conduire au déclenche-ment de la lutte armée contre le colonisateur portugais en 1962 et, plus tard, à la libération nationale de la Guinée-Bissau en 1973. Au fur et à mesure que le PAIGC gagnait la guerre, des programmes d'al-phabétisation conscientisante des adultes étaient mis en œuvre (Freire, 1971 et 1974) ; un système d'éducation national et démocratique et des centres médicaux ont été créés ; des coopératives et des magasins du peuple ont été mis sur pied (Freire, 1978). Grâce à l'action commu-nautaire, le PAIGC construisait ainsi une nouvelle société dans les zones libérées pendant la guerre de libération nationale. La philoso-phie et la pratique de la conscientisation n'ont pas été poursuivies dans les années qui suivirent l'indépendance de la Guinée-Bissau et des Îles du Cap-Vert. Cela s'explique sans doute par la fin de l'idéologie mar-xiste qui a inspiré le PAIGC durant la lutte pour l'indépendance. Par ailleurs, la non-expansion de l'expérience conscientisante à d'autres pays de l'Afrique peut s'expliquer par la circonscription de la langue portugaise aux seuls pays africains lusophones.

[13]

1.2 LES ÉTATS AFRICAINS POSTCOLONIAUX ET LE DÉVELOPPEMENT RURAL

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La colonisation a imprimé un caractère relativement durable à la pratique du développement communautaire et de l'animation rurale dans les anciennes colonies françaises de l’Afrique au sud du Sahara. Pour l'essentiel, les États postcoloniaux ont conserve les principes et les fonctionnements de ces modes d'intervention sociale durant les deux premières décennies d'indépendance (1960-1980). Dans son ou-vrage classique Quand l’État pénètre en brousse, Jean-Marc Ela mon-tre comment les pratiques de développement rural mises en œuvre en postcolonie ont systématiquement utilisé les paysans et leur force de

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travail, d'une part, et imposé d'autre part le parti unique afin d'étouffer toute tentation démocratique, sous le prétexte que la lutte pour le dé-veloppement ne souffrirait pas de la dispersion des forces « vives » de la nation (Ela, 1990).

Les États africains nouvellement indépendants ont pour la plupart élabore des plans quinquennaux de développement économique dans lesquels l'agriculture occupait une place primordiale. De grandes so-ciétés publiques et parapubliques ont été créées pour assurer le déve-loppement rural grâce aux cultures de rente : café, cacao, coton, ara-chides, etc. Pour illustrer ces politiques, donnons quelques exemples des pays de l’Afrique francophone. Dans le cas du Togo, par exemple, ses politiques agricoles avant la crise des années 1980 peuvent se di-viser en deux périodes. La première période, comprise entre 1960 et 1970, se caractérise par la mise sur pied de structures d'intervention de l'État en milieu rural. La deuxième période, comprise entre 1970 et 1985, est marquée par la prédominance des organismes publics et pa-rapublics d'intervention sectorielle. Ainsi ont été créés l'Office des produits agricoles du Togo (OPAT), la Société d'aménagement et de développement (SORAD) et la Caisse nationale de crédit agricole (CNCA). Créé pendant la campagne agricole dans la deuxième moitié des années 1960, l'OPAT joue le rôle d'une caisse de stabilisation do-tée du monopole de l'exportation. Conçue dans la perspective du déve-loppement rural intégré, la SORAD est chargée de la commercialisa-tion, de l'approvisionnement, du soutien technique à [14] tous les pro-duits agricoles. Au cours de la même période, des projets agro-pastoraux ont été mis en marche, tels les villages coopératifs pour re-grouper les jeunes agriculteurs formés par une institution appelée Jeu-nesse pionnière agricole. Animés par des encadreurs israéliens, les villages coopératifs devraient fonctionner selon l'organisation des kib-boutz d'Israël.

Le deuxième plan (1970-1985) a donné lieu à la création de nou-veaux organismes sectoriels. Il s'agit notamment de la Société togolai-se du coton (SOTOCO) chargée de la promotion de la culture et de la commercialisation du coton et de la Société de rénovation de la ca-féière et de la cacaoyère (SRCQ chargée de faire la promotion de la plantation et de la commercialisation du café et du cacao. D'autres secteurs agricoles sont également chapeautés par des organismes. Ce sont respectivement la Société nationale pour le développement de la

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palmeraie et des huileries (SONAH), Togofruit pour la commerciali-sation des fruits, Togograin pour le stockage et la commercialisation des grains et l'Office pour le développement de la forêt (ODF). Plu-sieurs autres projets et organismes furent aussi mis sur pied, entre au-tres, les offices régionaux de commercialisation étatique des produits vivriers (ORPV).

Dans l'ensemble, ces structures sont bureaucratisées et fortement hiérarchisées. La période de commercialisation et le prix de vente et d'achat de cultures de rentes sont fixés par décrets présidentiels. Cette mesure politique a été défavorable à la consolidation des coopératives de commercialisation créées par les producteurs de café et de cacao, comme c'est le cas de l'Union des coopératives de planteurs de la ré-gion des plateaux, principale productrice des cultures de rente. Au to-tal, les interventions des organisations étatiques, en s'inscrivant dans la logique de l'économie postcoloniale extravertie, dont pas favorisé le développement local dans le pays (Assogba, 2004a ; Gligbé, 2005).

Le développement rural au Burkina Faso a suivi les mêmes pério-des et le même pattern que ceux du Togo. Dès le début des années 1960, la priorité du gouvernement de la Haute-Volta nouvellement [15] indépendante fut, comme à l'époque coloniale, de mobiliser les populations rurales du pays en vue du développement agricole. C'est dans cette perspective que des programmes ont été mis en œuvre dans le but de favoriser l'amélioration de la production des cultures d'ex-portation (coton et arachides) et de l'approvisionnement des centres urbains en cultures vivrières (Gentil, 1986). La politique agricole de l'État est menée à l'aide des sociétés étrangères d'intervention comme la Compagnie française pour le développement des textiles (CFDT), la Compagnie internationale de développement régional (CIDR) et le Fonds d'aide et de coopération (FAC), le temps que soient fonction-nels les nouveaux organismes publics et parapublics : la Banque na-tionale de développement (BND), la Société voltaïque de commercia-lisation (SO.VOL.COM), les organismes régionaux de développement (ORD) devenus les centres régionaux de promotion agropastorale (CRPA) et l'Organisation du monde rural (OMR). Tous ces organis-mes « recourent au même mode d'intervention rurale : la mise en place de groupements villageois. Ces derniers représentent une rampe d'ac-cès au milieu rural pour les administrateurs de développement. Les activités essentielles demeurent cependant la distribution à crédit d'in-

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trants et de matériel agricole, distribution liée à la vulgarisation de nouvelles techniques agricoles et à la commercialisation de la Produc-tion céréalière et maraîchère » (Champagne, 1996 : 164). Ici comme ailleurs en début de la postcolonie, l'animation rurale consiste à l'or-ganisation des paysans par l'État et à son intervention directe dans le milieu rural (Meister, 1970-1971).

Cette politique est demeurée en vigueur jusqu'à la deuxième dé-cennie du développement (1970-1980). Certes, l'arrivée au pouvoir en 1983 d'un gouvernement révolutionnaire et la création des groupe-ments villageois révolutionnaires (GVR) donneront un nouveau souf-fle au mouvement associatif au Burkina Faso. Alors que les promo-teurs précédents des groupements villageois mettaient l'accent sur l'entraide et la coopération en canalisant les énergies vers des activités éducatives, sociales et sanitaires, le gouvernement de Sankara a posé le primat des transformations structurelles. Bien qu'il fut de courte durée, ce gouvernement, par sa nouvelle politique de [16] développe-ment rural, sema les germes du mouvement associatif qui devait don-ner naissance à la troisième génération des groupements de dévelop-pement issus des dynamiques internes des communautés rurales et urbaines (Zett, 2004).

Les mêmes orientations des politiques de développement rural s'observent au Mali pendant la première république (1960-1968) et la deuxième république (1968-1991) (Sanogo, 2004). La tendance sem-ble être la même pour les pays francophones de l'Afrique de l'Ouest (BIT, 1970).

1.3 LES GROUPEMENTS DES COLLECTIVITÉS ET LE DÉVELOPPEMENT LOCAL

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La quasi-continuité par l'État postcolonial des politiques coloniales en matière de développement communautaire ou de développement rural a été un échec eu égard à l'amélioration des conditions de vie des populations ouest-africaines. Les programmes d'ajustement structurel (PAS) du Fonds monétaire international (FMI) et de la Banque mon-diale de la fin des années 1970, la crise économique et le désengage-

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ment de l'État postcolonial dans les années 1980 ont aggravé les conditions sociales et économiques des populations rurales et urbai-nes. Alors qu’on croyait celles-ci étouffées par l'embrigadement poli-tique des partis uniques et essoufflées par l'interventionnisme étatique, on a plutôt assisté dans les années 1980 au regain de vie du mouve-ment communautaire ou associatif. Tout se passe comme si les orga-nisations paysannes et autres organisations africaines se sont prêtées au jeu de l'État, lequel allait souvent contre leurs intérêts, en se re-pliant dans des circuits parallèles aux lieux officiels où ils ont conser-vé toute leur vitalité. La décennie 1980-1990, que l'on peut considérer comme le temps fort de la crise, a été caractérisée par l’émergence significative de pratiques communautaires d'économie sociale. Ici et là dans les pays de l’Afrique occidentale, les organisations sous forme de coopératives, de groupements villageois, etc... prennent corps à partir des dynamiques des collectivités locales (Assogba, 2004b et 1998 ; Atim, 1999 ; Favreau et Fréchette, 2002).

[17] En raison de l'étendue du sujet et de la vaste littérature qui lui est

consacrée, on ne saurait viser l'exhaustivité. Nous nous limiterons donc essentiellement à quelques études illustrant les grandes tendan-ces des pratiques communautaires ou associatives en Afrique de l'Ouest. Dans cette région du continent, le Burkina Faso représente le pays qui a de solides assises historiques de groupements villageois. Cela s'explique sans doute par le fait que la société civile y a toujours joui d'une autonomie relativement significative par rapport à l'État colonial ou postcolonial (Buijsrogge, 1989). Les organisations locales telles que les groupements villageois, les associations paysannes, etc., ont constitué des forces du dynamisme de développement local. C'est le cas particulier du mouvement naam qui a été relancé par le sociolo-gue B. Ledéa Ouedraogo (1990). Le mot naam désigne la pratique sociale traditionnelle qui consistait au partage occasionnel de tâches entre les jeunes pour des activités d'intérêt collectif, par exemple l'or-ganisation des fêtes. Sous sa forme renouvelée, le naam est un mou-vement précoopératif qui concilie subtilement les valeurs traditionnel-les en mutation et les valeurs modernes. Le naam moderne vise à permettre à ses membres d'accumuler une plus-value pour l'investis-sement dans des activités de développement. Le naam s’est adressé initialement aux jeunes villageois des deux sexes. Les membres se

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consacrent principalement aux cultures communales de mil, de coton, de sésame et d'arachides durant la saison pluvieuse. En saison sèche, des activités communautaires comme le reboisement, la fabrication de foyers améliorés, la construction de fosses, de petits barrages, de puits, etc., sont réalisées.

Les naams ont connu une expansion avec le temps. Le Centre d'études économiques et sociales d’Afrique de l'Ouest (CESAO), ins-tallé à Bobo-Dioulasso (Burkina Faso), a soutenu les groupements paysans sur le plan de la formation et des techniques dans les secteurs de la santé, de l'agriculture (culture attelée, cultures maraîchères, plan-tation de vergers), des activités économiques de femmes, de l'hydrau-lique villageoise. Aujourd'hui, on estime autour de 20 000 le nombre des groupements villageois. Les groupements féminins de dévelop-pement ont aussi des assises solides au Burkina Faso. S'il [18] est une expérience à laquelle la littérature a porté une attention très particuliè-re, c'est bien le groupement féminin du village Bogoya dans le dépar-tement d' Ouahigouya de la province de Yatenga (Champagne, 1996 et 1990 ; Ouedraogo, 1990). Certes, depuis plusieurs années déjà, Dé-veloppement international Desjardins (DID) appuie des groupements féminins dans la région du Yatenga. Mais il semble que le groupement de Bogoya tire sa réputation du dynamisme de ses membres. Dans l'ensemble, les groupements villageois du Burkina Faso ont connu un essor à partir de la décennie 1970-1980 et ils ont tendance à situer leurs pratiques dans une perspective de développement local (Favreau et Fréchette, 2002 ; Champagne, 1996).

Le Mali représente également un foyer d'expériences remarquées d'associations villageoises ou tons en langue vernaculaire. Dans les années 1970, dans la zone cotonnière du Sud-Mali, les groupements de producteurs dépendaient des sociétés parapubliques d'intervention issues des grands travaux d'aménagement hydroagricoles effectues par l'État malien. Mais, en 1981, les producteurs de coton se sont révoltés contre la société d'État appelée Centrale malienne de développement des textiles (CMDT) chargée de la commercialisation du coton. Cette révolte historique donnera naissance en 1990 aux premières associa-tions villageoises. Il s'agit des groupements volontaires des habitants d'une même localité en vue de pratiques communautaires et de défen-se de leurs intérêts (Assogba, 1997). C'est ainsi que les tons se sont organisées pour obtenir une réduction du prix des « intrants » agrico-

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les, une augmentation du prix du coton sur le marché national et une priorité aux agriculteurs « en ce qui concerne la répartition de l'ali-ment du bétail produit à partir des grains de coton à l'usine Huilerie cotonnière du Mali » (Sinaba, 1994 : 28). Les activités d'éducation (alphabétisation) et d'économie du regroupement des associations vil-lageoises se font depuis 1990 avec la Banque nationale de dévelop-pement agricole (BNDA) chargée du « crédit de campagne du coton », mais également avec la CMDT restructurée depuis la révolte en 1981. Jusqu’au début des années 1970, ce sont surtout des missions de confession chrétienne qui travaillaient avec [19] les groupements vil-lageois au Mali pour le développement local (Assogba, 1988). Mais, après la grande sécheresse de 1973, on a assisté à la mise sur pied des organisations non gouvernementales (ONG) nationales. Constituées surtout de fonctionnaires à la retraite et de jeunes diplômés universi-taires, ces ONG sont devenues des acteurs importants de développe-ment local par la mise en œuvre de microréalisations à l'échelle d'un village, d'une agglomération de villages ou d'une région (Sanogo, 2004 ; Assogba, 1993).

À l'instar des pays du Sahel dont il a été question, les pays du golfe du Bénin (Togo et Bénin) ont aussi des expériences de groupements villageois. Aux associations traditionnelles villageoises qui continuent d'exister sous une forme ou une autre, il faut inclure les groupements nés à partir des années 1980 avec l'appui d'ONG nationales ou interna-tionales (Daane, Breusers et Frederiks, 1997 ; Kenkou, 1994). Dans le contexte général des groupements des populations villageoises, un accent particulier est mis sur les groupements villageois féminins. En effet, théoriciens et praticiens du développement intéressés à la pro-motion de la femme ont mis de l'avant les groupements villageois fé-minins comme outil politique et économique pour améliorer les condi-tions de vie des femmes africaines. Les associations féminines sont apparues non seulement capables d'inventorier les besoins des fem-mes, mais également de faciliter et d'assurer le succès de la mise en œuvre des projets de développement communautaire les concernant. Les groupements de femmes peuvent constituer un facteur important de changement social. C'est ainsi que les discours et les pratiques de « l'intégration des femmes au développement » (IFD) sont apparus au courant des années 1970, et ceux de « genre et développement » (GED) dans les années 1980 (Juteau, 2003 ; Champagne, 1996). La

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participation des individus et des groupements villageois aux projets de développement constitue l'enjeu dominant des interventions en mi-lieu rural. Le chapitre suivant présente une analyse de ce phénomène sous quelques-uns de ses aspects théoriques et pratiques.

[20]

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[21]

Développement communautaire en Afrique. Comprendre la dynamique des populations.

Chapitre 2

Processus participatif et développement communautaire

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La participation est un thème central et fondamental dans les dis-cours et les stratégies de développement communautaire. On admet que l'animation va favoriser la participation des populations aux pro-jets de développement et que celle-ci va avoir des répercussions sur la réussite de ces projets. La participation est analysée ici comme un processus.

2.1 DÉFINITIONS La notion de participation peut être définie comme le fait de parta-

ger quelque chose avec d'autres. Ce « quelque chose » peut être un objet, une activité, un pouvoir. Ainsi, la participation des populations locales à un projet de développement signifie leur engagement dans le processus de prises des décisions qui s'y rattachent. On peut distinguer différents types de participation selon les mécanismes qui leur font prendre corps. En se basant sur des facteurs tels que la motivation des individus et les modes de mobilisation, Meister (1977) a élaboré une typologie de participation qui est demeurée un classique. Elle com-prend cinq types :

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1. La participation de fait, fondée sur la tradition qui regroupe des

personnes ayant certains buts en commun, par exemple les groupes d'âge ou de métier. Le recrutement des membres n’est donc pas volontaire, mais de fait. La participation dans ce cas a pour fonction de renforcer les traditions.

[22] 2. La participation volontaire se déclenche sans l'aide d'une ani-

mation quelconque lorsque des personnes partageant certains intérêts décident de se grouper en syndicat, en coopérative ou en parti politique pour défendre leurs intérêts. Le recrutement se fait de façon volontaire et la participation a pour fonction socia-le de satisfaire les besoins nouveaux de la collectivité et de faci-liter l'adaptation des membres de celle-ci aux changements so-ciaux.

3. La participation spontanée renvoie à une participation entière-ment volontaire et sa spontanéité tient au fait que les circons-tances d'habitat (voisinage) ou d'affinité quelconque (cliques) ont mis des gens ensemble. Le recrutement se fait spontané-ment et la participation répond à des besoins d'ordre affectif et psychologique.

4. La participation provoquée est suscitée par des animateurs pour encourager des comportements jugés nécessaires pour une meil-leure adaptation au changement social. Le recrutement est donc provoqué par la sensibilisation pour remplir une fonction d'adaptation.

5. La participation imposée est provoquée selon des normes éta-blies par des animateurs extérieurs au groupe, comme dans le cas des règles imposées pour la distribution de l'eau d'irrigation. L’engagement est obligatoire puisqu’il est nécessaire au fonc-tionnement d'un programme ou d'un projet.

La typologie de Meister va ainsi du type de participation libre au

type de participation imposée au groupe. Some (1989) ajoute à cette typologie un sixième mode de participation : la participation semi-provoquée qui implique l'adhésion libre du groupe aux suggestions

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d'animateurs extérieurs (ou après avoir formé une organisation volon-taire, le groupe fait appel aux animateurs extérieurs). Le recrutement se fait selon le choix démocratique des participants dans le but de s'adapter librement aux exigences du changement social. Les groupe-ments villageois de développement vont en général de [23] la partici-pation provoquée à la participation imposé., mais la tendance demeure la participation semi-provoquée. S'il est un secteur de développement en Afrique qui a connu de nombreux échecs, c'est bien celui de l'hy-draulique villageoise, c'est-à-dire les projets d'approvisionnement en eau potable au moyen de puits, de pompes à eau ou de fontaines dans les régions rurales. Pour pallier ces échecs, la politique préconisée du-rant la Décennie internationale de l'eau potable et d'assainissement (DIEPA, 1980-1990) des États-Unis 3

Dans les années 1990, nous avons fait une étude sociologique d'un PHV dans la région maritime du Togo (Afrique de l'Ouest) (Assogba et Kékeh, 1994). Ce projet, financé par l'Agence canadienne de déve-loppement international (ACDI) et dont la maîtrise d'œuvre est assu-mée par le Canadian University Services Overseas (CUSO), vise l'ap-provisionnement en eau potable et l'amélioration des conditions d'hy-giène des populations rurales de deux préfectures (Zio et Yoto) dans la région maritime du Togo. L’objectif de notre enquête-terrain est d'analyser l'implantation du PHV-CUSO à la lumière du discours par-ticipatif. Une étude exploratoire a permis de déterminer que la partici-pation des populations locales est de type à la fois provoqué et semi-provoqué, dans la mesure ou les groupements villageois ont été for-més par les intervenants du PHV-CUSO et où la sensibilisation des populations locales a été réalisée par des animateurs ruraux. L’animation rurale est un ensemble de procédés d'éducation informel-le qui amènent les populations à bien connaître leurs réalités sociales de manière à être en mesure d'en faire un examen critique, et à prendre part à la dynamique de transformation sociale (Silakaratna, 1988 ; Goussault, 1970).

veut que les projets d'hydrauli-que villageoise (PHV) soient basés sur la participation communautaire et suivis de l'éducation sociosanitaire des populations concernées.

3 Organisation mondiale de la santé (OMS), Décennie internationale de l'eau

potable et de l'assainissement. Examen des données régionales et mondiales, 1986.

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[24]

2.2 IDÉAL-TYPE D’APPROCHES DE PARTICIPATION

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Comme cadre de référence, nous avons construit un idéaltype d'approches de participation en considérant celle-ci comme un proces-sus à plusieurs phases. Le processus d'implantation d'un projet de dé-veloppement communautaire comprend les étapes suivantes : l'identi-fication des besoins, l'élaboration, l'exécution, la gestion, la mainte-nance, l'évaluation et le suivi du projet. La phase d'élaboration d'un projet d'hydraulique villageoise comprend en général les études de faisabilité, le choix des techniques à mettre en œuvre et la conception. L’exécution du projet consiste, par exemple, à creuser des puits, à ra-masser le sable et les pierres, à construire des latrines. Cette participa-tion peut être imposée, spontanée ou bénévole, mais elle est perçue en général comme un facteur de diminution des coûts des projets. Ce-pendant, elle peut devenir un facteur politique qui prépare les popula-tions usagères à prendre en charge les projets une fois qu'ils sont réali-sés. La gestion et la maintenance sont les opérations de fonctionne-ment, d'utilisation et d'entretien des ouvrages (puits, pompes, etc.). Enfin, ces phases doivent être intimement associées au suivi et à l'éva-luation des effets des projets dans leur communauté.

Pour construire notre idéal-type d'approches de participation, nous avons défini l'approche de participation déterministe et l'approche de participation interactionniste. L’approche déterministe de la partici-pation n’implique pas les populations bénéficiaires dans les principa-les phases des projets de développement. Tout au plus, les interve-nants associent les acteurs sociaux visés à la phase d'exécution, ceux-ci étant essentiellement vus comme la main-d'œuvre. Évacuées tota-lement ou partiellement de la phase d'élaboration du projet (soit parce que celui-ci a été imposé, soit parce qu’il a été suggéré de manière technocratique), n'ayant pas été formées à la gestion et à la mainte-nance, les populations usagères montrent par leurs attitudes passives et leurs comportements de refus que le projet n'est point le leur. Peu

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ou pas de marge de liberté et de réinterprétation des objectifs du projet n’est laissée aux populations concernées :

[25]

L’absence de maîtrise de la décision engendre chez les paysans l'idée que le projet n'est pas le leur, mais celui de l'administration ou de la socié-té régionale d'aménagement. Elle crée un sentiment d'irresponsabilité gra-ve de conséquences. Les paysans gaspillent l'eau, négligent l'entretien des équipements et des ouvrages mis à leur disposition car ils attendent que ce soit l'État qui l'assure (Conac et collab., 1985, p. 102).

L’approche interactionniste de la participation implique les popula-

tions concernées lors de toutes les phases du projet depuis l'identifica-tion des besoins, la définition des objectifs jusqu’au suivi-évaluation, en passant par l'élaboration, l'exécution, la formation à la gestion et à la maintenance du projet. La participation renvoie ici à la responsabi-lité de l'individu et du groupe. L’un et l'autre prennent part des le dé-but au processus de décision. La participation devient un processus actif signifiant que la personne ou le groupe en question prend des initiatives et affirme son autonomie pour ce faire. Admettant que l'ac-teur social est un être doté d'une rationalité relative à une situation donnée, l'agent de développement inscrit la participation dans le contexte socioculturel, économique et politique des participants. Il importe de noter que les deux types de participation ne sont pas exclu-sifs. Ils peuvent par exemple se retrouver dans un même projet. On peut alors se demander où se situe le PHV-CUSO par rapport à ces deux types-idéaux de participation ?

2.3 ANALYSE DE CAS

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Le matériel qualitatif recueilli par observation directe, lors des en-trevues individuelles et des groupes de discussion, et par la suite ana-lysé à la lumière des deux types-idéaux de participation, a donné les résultats qui suivent. La participation villageoise à l'identification du PHV renvoie au degré de responsabilité des villageois dans la décision

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de créer des points d'eau potable dans leurs communautés. Dans le cas du PHV-CUSO, l'initiative vient des gouvernements togolais et cana-dien. D'une part, elle se situe dans le contexte de coopération entre les deux pays et, d'autre part, dans celui de la Décennie internationale [26] de l'eau potable et de l'assainissement à laquelle les deux États ont souscrit. En fait, les besoins en eau potable dans les préfectures du Zio et du Yoto sont évidents. Non seulement l'eau y est-elle rare, mais les eaux superficielles que l'on trouve dans les rivières sont également sources de maladies hydriques, en particulier la dracunculose commu-nément appelée le « ver de Guinée » (Petit, 1987). Le gouvernement du Togo, qui a fait de son programme d'accès à l'eau pour tous une priorité nationale, ne ménage pas les efforts pour répondre aux be-soins des régions plus nécessiteuses. Le PHV-CUSO s'inscrit directe-ment dans cette politique.

Quelle est la part de responsabilité des populations concernées dans cette phase du projet ? L’analyse des entrevues fait ressortir que les villageois et villageoises ressentaient depuis fort longtemps le be-soin d'avoir accès à l'eau (celle-ci manquait) ; mais la décision d'amé-nager des pompes à eau potable est venue d'abord des agents externes, c'est-à-dire du CUSO et des ministères togolais attitrés. Ceux-ci ont ensuite sensibilisé les bénéficiaires lors des campagnes d'information et de conscientisation. Les intervenants ont tous souligné ce principe et cette pratique, à savoir qu'aucun forage n’a été effectue sans une entente préalable avec les populations rurales. « [...] il a été établi que les travaux techniques, forages et autres, ne seraient réalisés qu’une fois les villages bénéficiaires conscientisés et mobilisés sur leurs be-soins en eau potable » (un intervenant). Une intervenante précise : « A priori, on avait accepté l'eau mais ensuite il était question d'arriver à choisir des villages qui étaient d'avis que l'eau était leur priorité et qui étaient prêts à signifier leur engagement à la question de l'eau. »

Ces dires ont été corroborés par les villageois interviewes. La campagne de sensibilisation « Notre eau » visait à faire prendre cons-cience aux bénéficiaires de l'importance de l'eau potable ainsi que des responsabilités nouvelles qu'ils auraient à assumer, par exemple la gestion et la maintenance des pompes, le changement d'habitudes d'hygiène, etc. Elle s'est terminée par la signature d'un protocole d'en-tente tripartite entre le village, le CUSO et le gouvernement du Togo. L’entente témoigne de l'acceptation du projet par le village et [27] se

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traduit par la formation d'un comité villageois de développement (CVD), l'élaboration d'un système de collecte de fonds permanent pour l'entretien des pompes, etc. En dernière analyse, nous pouvons dire que l'initiative du projet est le fruit de l'effort combine des agents de développement du Togo et du CUSO ; mais seule l'acceptation des populations usagères, à la suite d'une série de campagnes de sensibili-sation, permettait son élaboration efficace. « In fact, the Villagers or-ganised their work with CUSO. To its credit, nothing of this project had created for this project. Everything was greffed on the national structure (CVD) » (un intervenant). Les villageois du Zio et du Yoto ont pris part, dans une certaine mesure, à la phase des études d'implan-tation du PHV-CUSO. De concert avec les agents togolais et en res-pectant des traditions ancestrales, les intervenants du CUSO ont de-mandé aux « aînés » des villages d'indiquer les endroits convenables pour effectuer les forages. « Les villageois étaient chargés de nous dire où ils voulaient installer la pompe et, quand c'était possible, nous la mettions là. Sinon, nous suggérions un autre endroit, mais nous ne creuserions jamais si c'était un endroit sacré, un cimetière, etc. » (un intervenant).

Dans tous les villages que nous avons visités, les prêtres tradition-nels nous ont affirme qu'ils ont été consultés et les cérémonies néces-saires à de telles occasions ont eu lieu avec la participation des villa-geois et des villageoises. Les bénéficiaires ont pris part à la phase d'implantation en désignant des terres communautaires à cultiver, en choisissant des « artisans-réparateurs » et des « surveillants » locaux pour la maintenance des pompes. Ceux-ci ont suivi des séances de formation sur la mécanique et l'entretien des pompes à eau : « Quand j'arrivais dans les villages, je demandais souvent au surveillant des pompes de me montrer comment il prenait soin de la pompe. Il était responsable... fier... et toujours prêt à montrer la valeur de son travail. L’important, c'est que les gens comprennent que la pompe, c'est leur pompe. Et s'ils ne l'entretiennent pas, il n'y aura pas de service […] » (un intervenant).

[28] Il ressort de l'analyse des informations qu'il y a eu une collabora-

tion entre les agents de développement et les populations bénéficiaires dans l'implantation du PHV-CUSO. Celles-ci ont été associées à des opérations précises : choix des lieux de forage, des champs commu-

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nautaires, initiation à la technique des pompes, etc. Les villageois et villageoises ont pris part aux activités relatives à l'exécution du pro-jet : participation aux campagnes de sensibilisation (« Notre eau », « Notre village propre », « Notre santé », etc.), participation à la créa-tion des CVD, aux forages, à la culture des champs communautaires de mais, à l'ouverture des caisses communes en vue d'amasser des fonds de maintenance, participation à la construction de latrines fami-liales ou d'enclos d'animaux, etc. Si la participation visait à faire par-tager une partie des coûts de réalisation du projet entre les populations bénéficiaires, il y a lieu d'y voir également un mécanisme politique de responsabilisation de ces dernières vis-à-vis du PHV. Deux présidents de CVD nous donnent leur perception de la participation villageoise à l'exécution du PHV : « Ils [le CUSO et le gouvernement togolais] nous aident a avoir de l'eau propre ; ce que nous pouvons faire c'est de travailler avec eux pour avoir des pompes » ; « C'est nous qui avons besoin de l'eau. Nous devons travailler fort, souffrir pour mériter la pompe. Mets ton fardeau sur ton genou et Dieu te le mettra sur la tê-te ».

La participation communautaire à la gestion et à la maintenance des pompes à eau a été planifiée dès la phase d'identification du PHVCUSO. Les villageois et villageoises du Zio et du Yoto ont été sensibilisés et formés pour cette phase déterminante dans tout proces-sus d'autodéveloppement. Les modes de gestion et de maintenance des points modernes d'eau dans les pays d'Afrique ont varié considéra-blement au cours des années. Dans certains cas, les populations rura-les paient des frais de fonctionnement et de maintenance. Dans d'au-tres cas, non. Parfois, on engage la responsabilité financière et techni-que (partielle ou totale) de l'État. Dans des projets récents, on a mis sur pied des comites villageois de gestion. Un système d'entretien à « trois paliers » a été mis sur pied. Il a nécessité la formation des vil-lageois : les « surveillants-pompes » et les « artisans-réparateurs », puis les mécaniciens employés par le gouvernement. « Les surveil-lants des pompes, [29] des villageois, veillent à la propreté des abords, serrent les boulons et ainsi de suite. Les artisans-réparateurs sont d'an-ciens mécaniciens qui ont reçu une formation de la Direction de l'hy-draulique et de l'énergie et qui travaillent a compte privé [...] » (une intervenante). Comme on peut le constater, la formation à la gestion

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des points d'eau et à leur maintien fait partie intégrante du PHV-CUSO.

Une synthèse des résultats de l'analyse qui précède met en éviden-ce les faits suivants : les besoins en eau potable des populations du Zio et du Yoto sont fondamentaux, mais l'identification du PHV-CUSO revient aux agents externes ; les collectivités concernées ont été conscientisées au projet lors des campagnes d'information et de mobilisation ; les populations bénéficiaires ont participé de différentes façons aux phases d'implantation, d'exécution, de formation à la ges-tion et à la maintenance des ouvrages du PHV-CUSO ; l'ONG cana-dienne CUSO a travaillé de concert avec trois ministères du Togo et avec les communautés villageoises. Dans le processus de réalisation du projet, les intervenants ont essayé de tenir compte de certaines données du milieu : traditions religieuses, chefferie, structures natio-nales de développement rural, etc.

Si nous comparons ces faits aux deux types-idéaux de participation définis plus haut, nous pouvons conclure que le PHV-CUSO se rap-proche nettement de l'approche interactionniste en ce qui concerne les quatre premières phases du projet. En effet, une des caractéristiques du PHV-CUSO, c'est que le volet « participation communautaire » a primé sur le volet « technique ». Les intervenants ont accordé une im-portance à la sensibilisation et à la préparation des populations bénéfi-ciaires. Celles-ci ont collaboré de manière dynamique aux principales opérations du projet. « Ces activités de sensibilisation et de formation visaient toujours trois buts : expliquer la prochaine étape, définir les fonctions et les ressources nécessaires et, surtout, prendre conscience des besoins à combler et des efforts à faire au niveau villageois » (un intervenant).

Mais qu'en est-il de la phase « suivi-évaluation » ? Le suivi d'un projet de développement ne doit pas se limiter à des activités usuel-les ; il doit également et surtout consister à mettre sur pied les structu-res [30] nécessaires à la poursuite du projet, une fois que les agents externes de changement se retirent. En d'autres mots, le suivi doit ren-voyer à la notion de prise en charge des ouvrages d'un projet par la collectivité concernée. Quant à l'évaluation, elle doit constamment chercher à mesurer l'effet réel du projet sur les bénéficiaires et à tirer des leçons pratiques de l'expérience passée en vue du présent et du futur. Les données de notre enquête montrent que les intervenants du

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PHV-CUSO axent le suivi sur des opérations courantes telles que la formation à l'entretien, l'animation des villageois, la mobilisation de ceux-ci pour les micro-projets sanitaires (latrines) et lucratifs (champs communautaires). Toutes ces activités sont réalisées grâce à des ani-mateurs appelés « agents de base » qui reçoivent des formations thé-matiques au cours des séminaires et qui interviennent par la suite au-près des villageois. La méthode de formation des formateurs, ou trai-ning of trainers, qui était définie dans le plan d'exécution original du PHV-CUSO, une méthode censée assurer le suivi du projet à long terme, n’est pas mise en application jusqu'ici. En effet, les interve-nants devraient initialement former les animateurs, ceux-ci devraient à leur tour former les membres des CVD et, enfin, ces derniers de-vraient former les populations rurales aux principes et aux activités du PHV-CUSO. L’objectif visé était de favoriser l'autodéveloppement des agents du milieu. Mais, dans les faits, la formation se limite seu-lement aux animateurs.

Or, ceux-ci jouent un rôle déterminant dans la conscientisation des populations et le processus de prise en charge. Si l'on veut atteindre un réel autodéveloppement, il est donc logique d'admettre que les anima-teurs sont là pour un certain temps et de former en conséquence les villageois pour la relève. Rien de cela n'est encore amorcé et il est à craindre qu'après le retrait du CUSO du PHV la question de la prise en charge par les populations concernées de l'animation des communau-tés se pose de façon sérieuse. En fait, la majorité des animateurs sont des employés du CUSO ; mais il se pourrait que le gouvernement du Togo ne puisse soutenir financièrement tous les animateurs actuels. En dernière analyse, le PHV-CUSO se rattache à l'approche détermi-niste eu égard à la phase de suivi, car les acteurs sociaux concernés sont évacués de cette phase non moins importante du projet. Ce fai-sant, la pratique développementale du [31] CUSO ne répond pas adé-quatement à l'éternelle question de l'aide au développement : « Que deviendra le projet, une fois que l'organisme international se retire-ra » ?

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2.4 EFFETS PERVERS DU PHV-CUSO

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Par ailleurs, le PHV-CUSO a donné lieu à des effets pervers ou des conséquences inattendues. Qu’il suffise de donner un exemple. La lut-te contre la divagation des animaux a été mentionnée comme un pro-blème sanitaire à résoudre en rapport avec le programme d'éducation sociosanitaire. Les animaux domestiques sont traditionnellement lais-sés libres dans la nature ; ils se nourrissent seuls, dorment dehors et polluent les maisons. La solution hygiénique trouvée par les interve-nants du PHV-CUSO est la construction d'enclos pour abriter les bê-tes. Les villageois ont adhéré au projet après y avoir été sensibilisés. Mais, quelques mois plus tard, la plupart des gens ont abandonné les enclos pour revenir à la méthode traditionnelle d'élevage. Les interve-nants du projet ont vu les comportements des éleveurs comme une forme de résistance au changement et un attachement aux traditions. Mais, en interviewant les villageois, nous avons compris les motiva-tions de leurs gestes : ils ont abandonné la pratique des enclos parce que leurs animaux maigrissaient ou mouraient. Pourquoi ? Parce que les villageois oubliaient souvent de nourrir les animaux. Mettre les animaux dans des enclos et en prendre soin de façon régulière ne fai-saient pas partie des pratiques séculaires d'élevage des gens du Zio et du Yoto.

Par rapport à la phase d'évaluation, le PHV-CUSO se rattache à l'approche déterministe de la participation. Les agents du projet n’ont pas essayé de s'inspirer des pratiques pastorales et agricoles tradition-nelles pour promouvoir les micro-réalisations importantes comme l'élevage et la culture de mais (nous avons découvert également un effet pervers dans ce dernier cas). C'est à la suite de notre enquête que les intervenants du CUSO et du Togo ont compris l'échec des enclos non pas comme une résistance au changement, mais bien comme un comportement rationnel des villageois adapté à leur contexte socioé-conomique. En effet, l'agriculture et l'élevage [32] sont séparés dans le Zio et le Yoto, et l'un est secondaire par rapport à l'autre. Traditionnel-lement, le paysan passe toute la journée au champ pendant que ses animaux se nourrissent librement dans la nature. On lui propose un

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nouveau mode d'élevage (l’enclos) qui exige une disponibilité de temps et des pratiques nouvelles. Le paysan rentre fatigué des travaux champêtres et oublie de prendre soin des animaux enfermés ; et ces derniers meurent. Pour ne pas perdre son petit troupeau de cochons ou de moutons, le paysan abandonne les enclos et retourne aux pratiques traditionnelles ou adopte une autre solution, à savoir attacher les ani-maux autour d'un arbre dans la cour familiale de façon à ne pas ou-blier de les nourrir.

Il convient de citer d'autres effets pervers non moins remarquables du PHV-CUSO. Compte tenu du rôle important que les femmes jouent dans l'approvisionnement en eau dans les communautés rurales d’Afrique, le volet intégration de la femme au développement (IFD) a été l'un des objectifs principaux du PHV-CUSO. D'une part, cela si-gnifie que les femmes du Zio et du Yoto doivent participer au proces-sus de réalisation du projet et, d'autre part, qu'elles puissent s'adonner à des activités économiques grâce au temps « gagné » par l'accès di-rect à l'eau potable. Un fait est à noter : c'est l'effort qui a été déployé pour que les femmes participent à certaines structures. Ainsi, au mi-lieu de la réalisation du projet, on a estimé à 39% les membres fémi-nins des CVD, à 23% les surveillantes de pompes et à 33% les postes de « cadres » (vice-présidence, trésorerie) occupés par les femmes. Ces données ne doivent pas cependant cacher une réalité mise en évi-dence non seulement par nos entrevues et observations. C'est la parti-cipation des femmes au processus de décision qui, semble-t-il, fait partie de I'IFD. On a constaté à plusieurs occasions qu'au sein des CVD, par exemple, les femmes ont peu ou pas de pouvoir de décision. Les rapports hommes-femmes dans le Zio et le Yoto n'ayant pas été changés par la création de nouvelles structures en vertu du PHV-CUSO, il faut s'attendre à ce que la participation des femmes se fasse encore selon les valeurs et les normes traditionnelles. C'est ainsi qu'il ressort de nos enquêtes que les membres féminins [33] des CVD ne sont pas souvent consultés lors des prises de décisions relatives au projet.

Le deuxième aspect de l'IFD n’a pas connu beaucoup de succès. En effet, la création de groupements féminins de production agricole ou d'artisanat a été le mode d'intégration économique privilégié par le CUSO. Il s'agit d'une activité qui a été planifiée vers la fin du projet. Il y a eu surtout des tentatives de création de groupements féminins dans

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le secteur de l'agriculture, par exemple la culture d'arachides ou de maïs. Mais la plupart de ces projets féminins ont connu des problèmes d'ordre socioéconomique et culturel. Des groupes de discussion ont permis en effet de dégager les faits saillants suivants. L’idée (fondée bien entendu sur une étude du CUSO) selon laquelle l'accès à l'eau potable des pompes aurait permis aux femmes du Zio et du Yoto d'épargner 40% de leur temps de travail domestique (jadis consacré à aller chercher de l'eau à des dizaines de kilomètres des villages) de-vient fallacieuse des qu'on la confronte au vécu quotidien de ces fem-mes. Certes, la proximité des pompes fait gagner du temps et rend po-tentiellement disponible la main-d'œuvre féminine pour des « activités lucratives ». Mais tel n’est pas le cas. En fait, la plupart des femmes nous ont dit lors des entrevues individuelles et de groupes qu'elles consacrent le « temps épargne » aux travaux champêtres de la famille, de la communauté, aux enfants, etc.

C'est la journée traditionnelle de repos commun à toutes les popu-lations du Zio et du Yoto que les femmes pensent consacrer aux acti-vités des nouveaux groupements de production agricole ou d'artisanat. « Nous continuerons donc à mourir à la tâche [...] », a conclu une de ces femmes. L’IFD, dans ce cas, donne une surcharge de travail aux villageoises sans réellement assurer leur meilleure intégration écono-mique. Il ressort de la plupart des groupes de discussion que les fem-mes du Zio et du Yoto avaient (et ont probablement encore) comme aspirations profondes la limitation des naissances, et non la formation des groupements féminins de production. « Lorsque nous aurons moins d'enfants, nous serons plus en bonne santé, nous aurons proba-blement plus le temps de créer des groupements de femmes pour [34] l'agriculture, l'artisanat, le petit commerce, etc. ». Voilà bien résumé, par une jeune femme d'un des nombreux groupes de discussion, les réels désirs des villageoises du Zio et du Yoto. Mais la planification des naissances ne faisait pas partie du PHV-CUSO.

Par ailleurs, les groupements féminins d'agriculture qui ont été formés ont buté sur un autre problème non moins important, soit celui de la « propriété masculine de la terre » dans les communautés du Zio et du Yoto. Des membres de ces groupements ont dû louer des terres appartenant aux hommes. Certains propriétaires terriens ont été payés en argent, mais d'autres ont demande des parts de récoltes en guise de remboursement. Des groupements féminins ont donc soit débuté avec

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des dettes, soit hypothéqué pour trois ou cinq ans une partie de leurs recettes ou de leurs récoltes de mais et d'arachides. Somme toute, le second aspect de l'IFD a été une « activité de dernière minute » et a connu un échec évident.

L’enquête a également mis en évidence ce que nous avons appelé « l'effet de l'eau mousseuse ». En effet, tout en puisant l'eau potable de la pompe, les femmes ont continué à recourir également aux sources traditionnelles, notamment l'eau des toitures, celles des marigots et des ruisselets (pourtant déconseillées). Voici l'observation faite par un de nos assistants de recherche :

En plus de l'eau de la pompe, il y a l'eau de la rivière. Elle se situe à

quelques trois cents mètres de la pompe. L’eau est sale [...]. Des excréta sont déposés à une dizaine de mètres du lit de cette rivière. L’eau a une couleur jaune tirant sur le vert. On y fait la lessive. J'ai vu des femmes en train d'y laver leur linge.

Lorsqu'on a demandé aux femmes pourquoi elles faisaient leur les-

sive dans les ruisselets ou les mares (alors qu’elles savent par la sensi-bilisation sanitaire que c'est là voie de transmission de la dracunculo-se) ; elles ont répondu que ces eaux ont une qualité « mousseuse supé-rieure à celle de l'eau de la pompe ». « Nous économisons ainsi du savon », concluaient-elles. Et quand les villageois ont continué à boire l'eau des ruisselets ou des marigots, c'est parce qu'elle a meilleur goût que celle de la pompe qui est « trop salée ».

[35] L’étude de cas du PHV-CUSO nous a permis de montrer que le re-

cours à la pratique participative de type interactionniste dans un projet de développement communautaire exige de la part des intervenants qu'ils saisissent la culture du milieu d'intervention, qu'ils connaissent et tiennent compte des stratégies, des motivations et des aspirations des populations concernées. Cet effort d'appréhension de la logique des acteurs ainsi que de leur contexte social doit être une préoccupa-tion constante des intervenants et cela, pendant et après le projet de développement. Le cas du PHV-CUSO montre également que les pha-ses de suivi et de l'évaluation sont aussi importantes, sinon plus, que les premières phases d'un projet. Si l'approche déterministe de la par-

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ticipation tend à associer les populations concernées par les projets à des « objets d'évaluation », l'approche interactionniste suppose, pour sa part, que les agents d'intervention communautaire élaborent et ap-pliquent une méthodologie qui permet de considérer les populations comme des acteurs dotés d'une rationalité socioculturelle et économi-que, puis de les faire participer comme tels aussi dans les phases du suivi et de l'évaluation. L’intérêt de l'approche interactionniste de la participation dans le développement communautaire peut réduire les effets pervers « choquants » qui ont si souvent accompagné les pro-jets. De plus, cette approche est plus susceptible de favoriser l'autodé-veloppement des communautés villageoises africaines.

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Développement communautaire en Afrique. Comprendre la dynamique des populations.

Chapitre 3

Mouvement social paysan et développement

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La notion de mouvement paysan renvoie ici à l'effet agrégé macro-social relativement important des actions d'organisations paysannes. Mais, en Afrique, ces dernières sont tellement nombreuses par leur taille, leur influence économique et politique qu’un tri, selon des critè-res objectifs, est nécessaire pour bien distinguer les petites organisa-tions paysannes marginalisées des grandes qui jouent un véritable rôle de mouvement social. Selon Dominique Gentil et Marie-Rose Mercoi-ret (1991), au moins cinq critères définissent un mouvement social : 1) une autonomie intellectuelle et financière ; 2) des objectifs conscients et explicites ; 3) des rapports significatifs avec l'État ou avec le reste de la société civile ; 4) un poids économique et politique suffisant et 5) une organisation interne bien établie.

3.1 REGAIN DU MOUVEMENT PAYSAN Après avoir été l'un des piliers du mouvement de décolonisation en

Afrique noire francophone, les organisations paysannes, notamment les agriculteurs planteurs, ont été fort curieusement confinées dans des espaces institutionnels restreints et embrigadées par les politiques in-

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terventionnistes des États postcoloniaux et le volontarisme des organi-sations internationales de développement. Les programmes de déve-loppement rural par « le haut » qui s'échelonnent sur la période de 1960 à la fin de 1980 sont, entre autres, les manifestations concrètes de ces politiques dans les milieux paysans. Les organisations [38] paysannes africaines se sont bien prêtées officiellement à ces jeux qui allaient dans une large mesure contre leurs intérêts. Mais elles se sont repliées par ailleurs dans des circuits parallèles aux lieux officiels pour s'organiser comme producteurs et écouler à de meilleurs prix leurs produits. C'est donc dans ce « maquis » qu’elles ont conservé leur vitalité et leur essence de mouvement social.

Cherchant à évaluer leurs interventions dans les régions rurales a partir des dispositifs qu'ils ont mis sur pied comme mécanismes de-vant assumer le développement rural, l'État postcolonial et les organi-sations de coopération internationale de développement dont pu que constater l'échec partiel ou total de leurs projets ou programmes. Ces échecs en ont même conduit certains à nier toute existence du mou-vement paysan en Afrique noire. Mais ces échecs des projets de déve-loppement rural imposés par « le haut », aussi bien de l'extérieur que de l'intérieur de l'Afrique, peuvent être interprètes comme des straté-gies de résistance (Ela, 1994). Dans cette perspective, les dynamiques sociales à l'œuvre dans les villes comme dans les villages sont davan-tage qu’une réponse à la « culture de mort » des États postcoloniaux ou de leur désengagement ; elles sont une véritable riposte aux effets pervers sociaux des programmes d'ajustement structurel (PAS) du Fonds monétaire international (FMI) et de la Banque mondiale (Mer-coiret, 1990).

D’ailleurs, la crise du début de la décennie 1980-1990, la redéfini-tion du rôle de l'État dans le processus du développement rural, la mondialisation de l'idéologie et des pratiques néolibérales, la demande démocratique du début de la décennie 1990-2000 ont suffi pour que les paysans s'auto-organisent de nouveau, certains groupements mon-trant leur vitalité comme mouvements sociaux dignes de ce nom et tentant de jouer un rôle politique. On voit, ici et là, des organisations paysannes créer des fédérations d'organisations non gouvernementales (ONG). « Ainsi les initiatives paysannes retrouvent leur valeur dans un secteur où l'intervention de l'État se limite à asseoir un cadre juri-dique et à mener une action de formation et d'éducation » (Ela, 1994 :

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39). Les jeunes Africains de milieux ruraux ont compris, face à l'im-mobilisation de l'État à assurer leur insertion socioprofessionnelle, [39] qu’il fallait ou bien créer leurs associations ou bien intégrer celles qui existaient dans leurs localités ou leurs régions. Les organisations paysannes en Afrique noire francophone vont des associations et des groupements au niveau des petites localités, aux organisations natio-nales ou régionales. En général, il s'agit de pratiques sociales de paysans qui décident de se prendre en main et d'améliorer individuel-lement et collectivement leurs conditions de vie. Sur le plan local, c'est le cas des groupes d'entraide villageoise traditionnelle (Ouedrao-go, 1990), des comités et des coopératives (Buijsrogge, 1989). Au ni-veau du territoire national, il s'agit des fédérations, comme la Fédéra-tion des organisations non gouvernementales du Sénégal (FQNGS) (Jacob et Lavigne Delville, 1994) ou la Fédération des organisations non gouvernementales du Togo (FONGTO) (Malherbe et al., 1990 ; Assogba, Favreau et Lafleur [dir.], 1991).

3.2 DYNAMISME DU MOUVEMENT PAYSAN

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Dans les pays d’Afrique subsaharienne, le mouvement paysan, qui répond plus ou moins aux critères proposés par Gentil et Mercoiret, se définit aux niveaux local, régional et national des pays. Leur impor-tance en taille, en activités socioéconomiques, leur poids politique et leurs expériences varient d'un pays à l'autre. Alors que, dans un pays comme le Burkina Faso où la société civile a toujours joui d'une auto-nomie relativement significative par rapport à l'État colonial ou post-colonial, le mouvement paysan digne de ce nom à de solides assises historiques (Buijsrogge, 1989). Au Cameroun, par contre, le mouve-ment paysan - tel que nous l'entendons ici - ne date que de la crise économique des années 1980. Le cas du Sénégal se compare dans une certaine mesure a celui du Burkina Faso, mais le cas du Mali se situe - toutes choses étant égales par ailleurs - dans une situation similaire à celle du Cameroun (Sinaba, 1994 ; Njonga, 1994).

Dans les pays d'Afrique noire francophone étudiés, les organisa-tions paysannes ont tendance à se constituer dans les zones de cultures agricoles délaissées par l'État postcolonial. Dans les régions [40] de

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culture de rente (café, cacao, coton, etc.) ou d'aménagement hydro agricoles, les groupements paysans s'organisent pour constituer des fédérations régionales. Dans les zones ou les secteurs abandonnés par l’État, on voit se former des fédérations paysannes régionales. C'est le cas de la FONGS qui compte une quinzaine d'années d'expérience et d'existence. Cette dernière s'est donne une autonomie intellectuelle et opérationnelle vis-à-vis de l'État sénégalais et contre celui-ci. Le Fo-rum qu’elle a organisé en janvier 1993 en est témoin. Les fédérations ont en général un fort potentiel de dynamiques socioéconomiques et leur avenir est prometteur (Jacob et Lavigne Delville, 1994).

Dans les zones de coton, le mouvement paysan a un poids écono-mique important, mais les groupements de producteurs des grands aménagements hydroagricoles qui les constituent dépendent le plus souvent des sociétés parapubliques d'intervention. C'est le cas en par-ticulier du Mali où les débuts du mouvement paysan dans l'ensemble datent de la révolte de novembre 1981 des planteurs du coton du Mali-Sud (Sinaba, 1994 ; Marchand, 1991). Cette révolte historique, qui était contre la société d'État dénommée Centrale malienne de déve-loppement des textiles (CMDT) chargée de la commercialisation du coton, a donné naissance en 1990 aux associations villageoises. Ces dernières se sont organisées pour obtenir une réduction du prix des produits agricoles, une augmentation du prix du coton sur le marché national et une priorité aux agriculteurs (Sinaba, 1994). Les activités d'éducation (alphabétisation) et d'économie du regroupement des as-sociations villageoises se font depuis 1990 avec la Banque nationale de développement agricole (BNDA), chargée du crédit de campagne du coton, mais également avec la CMDT restructurée depuis la révolte de 1981. Il faut signaler aussi la Fédération des greniers, créée dans les années 1990 et qui se présente comme le plus important réseau de financement des producteurs du coton au Mali (Sanogo, 1994).

Du statut de structures fédératives, les groupements paysans ten-tent de passer à une organisation syndicale. C'est le cas notamment du mouvement paysan malien (devenu depuis le cas historique souvent cité en exemple) qui a tenu un congrès constitutif en septembre 1992 pour transformer le regroupement des associations villageoises [41] en Syndicat de producteurs de coton et de vivriers (SYCOV). Dans le Mali d'aujourd'hui, ou la démocratisation fait des progrès assez signi-ficatifs, le SYCOV est devenu :

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un partenaire privilégié que le gouvernement consulte désormais pour tous les problèmes concernant le monde rural en général, et les planteurs de co-ton en particulier. Il participe activement au suivi de la campagne de commercialisation et de la répartition de l'aliment pour le bétail, à l'élabo-ration du contre-plan, au dépouillement des plis des appels d'offres concernant l'achat des intrants et à des campagnes de sensibilisation et d'information sur toutes les questions intéressant le monde rural (Sinaba, 1994, p. 29).

C'est pour toutes ces raisons que certains auteurs parlent du Mali

comme la région du syndicalisme paysan et du développement rural en Afrique noire francophone (Marchand, 1991). C'est également au début des années 1990 que le mouvement paysan a pris un certain es-sor au Cameroun. Durant la crise économique des années 1980 qui a frappé la plupart des pays africains, on a commencé à voir des paysans camerounais, qui jusqu'alors agissaient au sein des associa-tions et des coopératives de petites tailles, isolés sur le plan géogra-phique et n’ayant aucune structure de concertation entre eux, s'organi-ser pour mieux défendre leurs intérêts. Pendant longtemps, comme ailleurs en Afrique noire francophone, l'État postcolonial s'est présenté comme la principale source d'initiatives en milieu rural et l'unique dé-fenseur des intérêts des organisations paysannes. Mais la crise écono-mique et la montée du néoliberalisme ont forcé l'État camerounais, à l'instar des autres États africains, à lâcher du lest et à montrer ses limi-tes :

À la faveur de la crise économique et de la redéfinition du rôle de

l'État, de nouvelles forces sociales ont commencé à éclore au Cameroun. Le milieu rural, fortement secoué par la baisse des prix des produits de rente, par la fermeture des structures d'encadrement, par la banqueroute des structures de financement de ses activités (le Fonds national de déve-loppement rural - FONADER - et la Banque camerounaise de développe-ment - BCD) et par la démission tacite de l'État, a généré les poussées les plus significatives dans le bouleversement de l'ordre établi (Njonga, 1994, p. 26).

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[42] Avec l'appui des ONG, et en particulier de la dynamique ONG dé-

nommée Service d'appui aux initiatives locales (SAIL) fondée en 1988, les associations paysannes du Cameroun ont pu effectuer des voyages d'échanges non seulement à l'intérieur du pays, mais égale-ment à l'extérieur comme au Sénégal et au Burkina Faso. Le SAIL a organisé des activités d'appui aux paysans dans les domaines de la formation, de la technique, de l'épargne-crédit et de la communication. Progressivement, on a observe, d'une part, la naissance des groupe-ments et des unions de groupements et la mise sur pied des fédérations et des unions de fédérations de paysans à l'échelle régionale ou natio-nale. Le mouvement paysan camerounais s'est constitue autour de deux grandes structures organisationnelles, à savoir le Conseil des fé-dérations paysannes du Cameroun (CFPC) et le Fonds commun d'ap-pui aux organisations paysannes (FOCAOP). Outre ces deux instances d'importante envergure, on dénombre une quarantaine de fédérations ou d'unions de groupements paysans (Njonga, 1994).

Les femmes jouent un rôle dans le mouvement paysan africain. On a constaté cependant que, dans certains pays, les agricultrices ont ten-dance à s'organiser entre elles. En témoigne le développement des groupements féminins au sud du Bénin. Pour certains sociologues du développement rural, il s'agit là d'une nouvelle dynamique sociale qui se traduit par la création de nouvelles formes d'organisation. Les groupements de femmes rurales indiquent la transformation progres-sive qui s'est opérée dans les rapports sociaux entre les sexes et qui est devenue une force sociale dans le processus de développement. Ces groupements féminins s’inscrivent d'ailleurs dans la dynamique endo-gène générale de l'organisation paysanne et du changement technique en milieu rural au Benin (Daane, Breusers et Frederiks, 1997 ; Jacob et Lavigne Delville, 1994). La structure du mouvement paysan en Afrique noire semble donc très complexe. Ses composantes se diffé-rencient selon une stratification géographique et sociale. « Par le haut », se situent les fédérations régionales ou nationales, les associa-tions de fédérations, les syndicats, etc. « Par le bas », se trouvent les groupes d'épargne-crédit, les groupements de jeunes et de femmes, etc.

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[43] Du point de vue social et culturel, ces organisations constituent des

lieux d'échanges d'idées et d'expériences, de développement de l'esprit de solidarité et d'entraide au sein de paysanneries africaines aux prises avec les défis de la modernité de manière générale, ainsi qu'avec les conséquences du désengagement de l'État et les politiques des pro-grammes d'ajustement structurel (PAS). Sur le plan économique, elles permettent aux paysans de défendre collectivement leurs intérêts en tant que producteurs ou consommateurs. Les fédérations paysannes africaines reçoivent de l'appui de nombreux partenaires internatio-naux, développent des réseaux de solidarité avec des ONG du Sud et du Nord (Favreau et Fréchette, 2002). Le mouvement paysan africain représente une force politique sur laquelle on doit compter dans l'Afrique en démocratisation (Monga, 1990).

Véritable fer de lance du mouvement paysan, les organisations paysannes témoignent donc d'un certain dynamisme. Elles contrôlent la commercialisation primaire ou la transformation des productions agricoles. Elles réussissent ainsi à investir dans des filières ou dans des infrastructures villageoises : négociation des prix, entretien rou-tier, construction d'écoles et de dispensaires. Les organisations paysannes sont en général multifonctionnelles en ce sens qu'en plus de leurs activités agricoles elles mettent souvent en place des services et des infrastructures pour répondre à certains besoins sociaux (santé, éducation, transport, loisirs, etc.) des populations locales (Assogba, 2004b). Les groupements paysans et certaines fédérations participent à une série d'innovations sociales, économiques et technologiques dans « l’Afrique des villages », comme dans « l'Afrique des villes ». Ainsi, on assiste aujourd'hui à l'organisation ou à la (re)manifestation des associations dites de développement, des tontines, des réseaux financiers et d'entraide, des associations de danses, des cultes, des re-ligions populaires, des mouvements de guérison, des sociétés secrètes, des collectifs de chefferies, etc. (Ela, 1998). Dans l'Afrique profonde, l'auto-organisation, ayant comme corollaire la solidarité de collectivi-tés de base, est plus que jamais devenue le principal mécanisme socié-tal de survie économique, la modalité-clef de résistance politique et d'adaptation sociale. Les groupements paysans ont compris, par [44] exemple, que leur salut ne se trouve plus dans les cultures de rente : café, cacao, coton, etc. En conséquence, ils orientent l'agriculture da-

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vantage vers les cultures vivrières. Ils vendent leurs produits par leurs propres réseaux, en dehors des offices de commercialisation et entre communautés voisines, au-delà des frontières artificielles entre pays voisins. Les gens mettent sur pied des associations de construction de maisons avec des matériaux locaux (Ela, 1994). Toutes ces initiatives constituent autant de réponses et de formes d'adaptation des collectivi-tés et des groupes de base au défi de l'insertion sociale des populations défavorisées de l’Afrique postindépendante par les effets pervers des programmes d'ajustement structurel (PAS) imposés par la Banque mondiale et le Fonds monétaire international.

La multifonctionnalité du mouvement paysan africain, ce mélange, cette imbrication de l'économique et du social, est une caractéristique constante des associations paysannes africaines membres de regrou-pements ou de fédérations. Cette prédominance du social sur l'écono-mique, ou plutôt cette culture qui voit essentiellement le social comme la finalité de l'économique, montre que l’Africain est, à sa manière, un homo economicus. Mais il en est un qui base ses comportements éco-nomiques sur des choix sociaux. C'est un homo socialis (Guéneau, 1986). Cette dimension sociale et communautaire des associations paysannes revêt une importance sociologique en matière de dévelop-pement. En effet, décider collectivement d'investir dans la construc-tion d'infrastructures d'intérêt public est une manifestation de la volon-té des populations paysannes de prendre en charge leurs milieux de vie, c'est-à-dire leurs villages ou leurs régions d'appartenance.

Alors qu’en Afrique l'État et ses institutions territoriales régionales ou locales ont de la difficulté à prélever les taxes généralement per-çues par les populations comme illégitimes, les associations paysan-nes réussissent à mobiliser les ressources propres aux collectivités vil-lageoises, à savoir les revenus des champs collectifs, les cotisations des associations membres des fédérations ou des regroupements paysans, l'impôt sur le revenu prélevé sur les ristournes du coton, etc., pour construire des infrastructures dans les villages. Les acteurs [45] sociaux (les associations paysannes) du mouvement paysan africain jouent ainsi un rôle dans la gouvernance locale. Ce sont en fait certai-nes valeurs et pratiques culturelles africaines qui ont permis aux asso-ciations villageoises de jouer efficacement ce rôle. Le recrutement se fait sur la base de l'appartenance à même la communauté et selon des logiques et stratégies lignagères. Les lignages représentent des fac-

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teurs importants eu égard à la finalité sociale des activités économi-ques, puisqu’ils ont, dans bon nombre de sociétés africaines, tradi-tionnellement une vocation de la gestion des affaires publiques. Dans les villes, on a aussi tendance à favoriser la création d'une association par village afin de ne pas disperser les forces paysannes d'une même localité (Ndione, 1993).

Les associations paysannes jouent aussi une fonction de régulation politique. Ainsi, par des pratiques sociales comme les danses, les chansons populaires, les langages symboliques et paraboliques, l'hu-mour, la vie associative offre l'occasion aux individus et aux groupes de rire des pouvoirs publics, de manifester la résistance à l'oppression en se moquant des discours de « langue de bois » des dirigeants. La vie associative semble aussi le refuge ou le maquis des leaders de l'opposition qui sont traqués par le pouvoir en place. En somme, sur le plan culturel, le mouvement paysan en Afrique noire puise ses formes, ses symboles, ses langages, son imaginaire à la fois dans le génie afri-cain et la réappropriation des éléments culturels de l'Occident.

3.3 ÉCUEILS DU MOUVEMENT PAYSAN EN AFRIQUE

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On ne peut étudier le mouvement paysan africain sans en faire aus-si une brève analyse dans le contexte des relations Nord-Sud. Si les paysans africains, organisés et constituant un mouvement, donnent des réponses appropriées aux besoins locaux, nationaux et parfois régio-naux face aux effets sociaux du néolibéralisme ambiant, leur effet ef-fectif se trouve par ailleurs limité par la mondialisation des marches et la concurrence des économies du Nord. Les productions du Nord en-vahissent les marchés africains, soit sous forme d'aide alimentaire, soit directement sur les marchés locaux. La conséquence [46] de ces prati-ques, c'est la destruction des marchés locaux et nationaux et la menace sérieuse du mouvement paysan africain.

Le mouvement paysan africain s'organise depuis plus d'une décen-nie, recherche au Nord l'expression de solidarité, c'est-à-dire le senti-ment d'une justice partagée ou des intérêts réciproques. Le mouve-

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ment altermondialisation et la généralisation des pratiques du com-merce équitable sont plus susceptibles d'apporter une solution structu-relle durable aux inégalités Nord-Sud en matière du commerce inter-national, notamment dans les produits agricoles (Fall, Favreau et La-rose, 2004 ; Ela, 2000). Exception faite du Sénégal et du Burkina Faso dans le Sahel où les organisations paysannes datent de la fin des an-nées 1970 et du début de 1980, dans la plupart des pays d’Afrique francophone au sud du Sahara, ces organisations ne datent que du dé-but des années 1990. La plupart des chercheurs attribuent leur essor au désengagement de l'État qui, sans contexte, a ouvert des espaces de liberté qui ont permis aux associations de petite taille et de peu d'en-vergure de s'organiser rapidement, en mettant à profit la vitalité endo-gène qu’elles avaient gardée, malgré deux décennies d'intervention et de contrôle étatiques. Les organisations paysannes récentes s'inscri-vent, à notre avis, dans l'ensemble du mouvement paysan africain amorcé au Sénégal et au Burkina Faso dix ou quinze ans plus tôt. De manière générale, en dépit de sa relative jeunesse, le mouvement paysan a joué et continue de jouer des fonctions économiques et so-ciales importantes, surtout dans les secteurs informels aussi bien en milieu rural qu'en milieu urbain. Cela étant dit, il n'en reste pas moins vrai que le mouvement paysan africain est le siège de certains para-doxes qu'il convient d'exposer ici.

D'abord, l'écueil des besoins sociaux que les organisations paysan-nes réussissent à combler malgré leurs ressources humaines, financiè-res et techniques limitées. À lire les rapports des experts internatio-naux, les statistiques des Nations unies et de ses grandes institutions sur l'Afrique depuis plus de vingt ans, cette partie du monde devrait être un espace totalement mort. Et pourtant, de façon générale, l'Afri-que survit. La clé de ce mystère, nous semble-t-il, réside d'abord dans le mouvement paysan propre à l’Afrique. Ce mouvement est [47] tel-lement ancré dans le socle culturel des sociétés africaines que trente ans d'essai de son démantèlement ou de sa canalisation par les régimes autoritaires postcoloniaux n'ont pas pu en venir à bout.

Le secteur associatif en milieu rural africain est un lieu d'activités où se mêlent échanges non monétaires, sociabilité, solidarités familia-les, contrat social fondé sur la parole donnée, etc. Le mystère du mou-vement paysan africain résiderait également dans la philosophie de vie des populations qui se résumerait avec humour de la façon suivante :

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« La situation est toujours désespérée, elle n’est jamais grave. » Comment expliquer en effet que, pendant trois décennies de dévelop-pement l'État postcolonial et les organisations internationales aient négligé, pour ne pas dire « méprisé », des associations paysannes, mais que, depuis la crise de cet État et la mise en œuvre des PAS dans les années 1980, la société civile se présente comme la réponse appro-priée aux problèmes sociaux que connaît l’Afrique ? Or, jusqu'ici, le mouvement associatif paysan n’a permis aux populations africaines que de survivre et non de vivre.

Autre écueil : les effets pervers des PAS sont tellement divers et nombreux, les ressources disponibles de plus en plus rares, qu'au mo-ment où l'on semble reconnaître le rôle actif et responsable des orga-nisations paysannes dans le développement ces dernières semblent déjà essoufflées. Si l'on veut que le mouvement paysan africain ait des bases solides et joue un rôle dans une perspective de développement durable, il faut associer au transfert des responsabilités (gouvernance locale) aux organisations paysannes des dispositifs qui compensent les coûts et diminuent les risques inhérents. En d'autres mots, le transfert des responsabilités doit être accompagné d'un transfert de pouvoir. Si le désengagement de l'État a favorisé l'émergence politique du mou-vement paysan africain, ce dernier a besoin, pour se consolider et s'épanouir, que ce même État lui assure un environnement social et économique favorable. L’État doit mettre en œuvre des nouvelles po-litiques de développement de l'agriculture et contribuer à définir les règles du jeu économique et institutionnel, dans les nouveaux contex-tes nationaux du désengagement et de la mondialisation.

[48] Enfin, dernier écueil : les organisations paysannes en Afrique noire

vivent également sous la menace constante. En effet, les organisations internationales, quelques fonctionnaires ou retraités, connaissent les rouages de la coopération et du développement international et tentent de transformer les associations paysannes villageoises en ONG, ce qui risque de leur faire perdre leur authenticité et leurs dynamiques socia-les. Enfin, les organisations paysannes africaines sont des expressions des syncrétismes. En effet, leur forme est un mélange dynamique des éléments culturels autochtones et importés. Elles sont ainsi le siège d'imaginaire et de pratiques de sorcellerie et de religions, de chefferie traditionnelle et d'autorité politique moderne, de techniques tradition-

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nelles et modernes. Pour l'observateur non averti, il s'agirait d'organi-sations syncrétiques « inachevées ». Mais les populations africaines, principaux agents du mouvement associatif paysan, font montre du génie créateur négro-africain en relevant ces contradictions internes par une réappropriation critique du technique, du social et du culturel, de l'économique et même du politique dans un contexte de multicultu-ralisme ou de pluralisme. Cette réappropriation se manifeste dans les secteurs de l'économie populaire, dans les corps de petits métiers, le bricolage et les pratiques de la débrouille.

C'est donc contre vents et marées que le mouvement paysan relève, tant bien que mal, les défis que lance aux populations le néoliberalis-me international dont le seul credo est l'économique. Ce mouvement a ceci d'authentique qu'il concilie étroitement activités économiques et activités sociales avec une dominance du social sur l'économique. C'est aussi une force politique potentielle. L’avenir du mouvement paysan en Afrique noire francophone dépendra de trois principaux facteurs : 1) la capacité de réappropriation des valeurs modernes par les associations villageoises ; 2) l'évolution politique interne des États postcoloniaux, à savoir leur démocratisation et 3) l'instauration d'un nouvel ordre international de commerce plus équitable (Favreau, 2003).

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[49]

Développement communautaire en Afrique. Comprendre la dynamique des populations.

Chapitre 4

Diaspora africaine et développement

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À partir de leur indépendance dans les années 1960, les pays afri-cains qui entrent à « l'ère du développement » vont connaître, à des degrés divers, l'émigration de leurs ressortissants vers l'Europe et l'Amérique du Nord. Or, dans l'analyse du processus de développe-ment, la variable migration a un caractère paradoxal. En effet, elle peut être vue sous une optique de gain ou de perte pour la construc-tion des pays d'origine. Pendant la décennie 1960-1970, l'émigration des ressortissants africains était surtout considérée comme nuisible au développement de l'Afrique. Mais, plus tard, on a compris que les émigrants pouvaient aussi représenter potentiellement des diasporas susceptibles d'être mobilisées au profit de leur pays d'origine (Gaillard et Gaillard, 1998). Depuis lors, on tend de plus en plus à analyser les migrations sous une optique de gain, et des études mettent en lumière la participation des diasporas africaines à titre de partenaires (formels ou informels) dans les projets de développement dans leurs régions, villes et villages d'origine.

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4.1 L’AFRIQUE ET SES DIASPORAS

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Le mot diaspora, qui signifie dispersion, vient du grec sporo, qui veut dire « graine » ou speira « semer ». À l'origine, le terme était uti-lisé pour désigner « la dispersion des établissements helléniques au-tour de la Méditerranée depuis des temps anciens » (ibidem : 41). La notion [50] de diaspora désignait précisément la migration des savants grecs expatriés et diffusant à travers le monde la culture hellénique. En effet, dans le domaine des sciences, l'émigration des savants ou « l'exode des cerveaux » est un fait historique bien connu dans l'Anti-quité grecque. Il s'agit d'un phénomène que l'on peut d'ailleurs quali-fier d'universel. Dans la tradition biblique, le terme a ensuite été utili-sé pour désigner la « dispersion des juifs » et enfin pour parler des peuples ne disposant plus de territoire national autonome, comme les Palestiniens ou les Kurdes. Mais, depuis les années 1980, la géogra-phie a recours à la notion de diaspora pour nommer les communautés nationales migrantes en interaction entre elles et avec le pays d'origi-ne. Cette définition met ainsi l'accent sur la territorialité particulière de cette forme d'organisation sociale qu’est la diaspora. La diaspora renvoie aussi à la « multipolarité » de la migration et à l'« interpolarité » des relations ; enfin, elle se caractérise par l'existen-ce des réseaux. De nos jours, la mondialisation de l'économie et des nouvelles technologies d'information et de communication (NTIC) est grandement propice à la formation et à la consolidation des réseaux, ainsi qu’à l'émergence de nouvelles formes de diasporas.

Les conditions de vie très difficiles ou les ambitions personnelles et collectives obligent souvent les populations africaines à quitter leur pays d'origine pour d'autres « cieux meilleurs » ou d'autres eldorados réels ou imaginaires. Dans les années 1960, les pays du Sahel (Mali, Mauritanie, Sénégal) généralement pauvres, accèdent à l'indépendan-ce. Faisant face à de graves problèmes de chômage, ils mettent en œu-vre des programmes de développement qui favorisent l'émigration de leurs ressortissants vers l'ancienne métropole, la France. Cette mesure, qualifiée souvent de « soupape de sécurité », permettait de desserrer l'étau du chômage pour maintenir une cohésion sociale. Dans les an-

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nées 1970, une nouvelle politique migratoire favorise l'arrivée des marchands ambulants du Sahel qui sillonnent, outre la France, les Pays-Bas, l'Allemagne, la Suède, l'Italie, l'Espagne, etc. On assiste également à l'émigration des travailleurs d'autres pays africains (Diop, 1993). Dans la même période, l'Afrique connaît « l'exode des cer-veaux ». Les meilleurs ingénieurs, techniciens, juristes, médecins, [51] professeurs, chercheurs, scientifiques, artistes, écrivains, etc., africains quittent leur pays pour l'Europe et l'Amérique du Nord, « à la recherche d'un véritable statut, d'une reconnaissance de la valeur de leurs capacités » (Corm, 1993 : 55).

Les régimes de dictature et la crise économique et sociale provo-quée par les programmes d'ajustement structurel (PAS) imposés aux pays africains par la Banque mondiale et le Fonds monétaire interna-tional (FMI), au début des années 1980, forcent des entrepreneurs, des commerçants, des négociants, etc., à prendre le chemin des pays ri-ches. Enfin, les deux dernières décennies (1980-1990 et 1990-2000) ont été celles de nouvelles catégories d'émigrés. Il s'agit des émigrants écologiques qui fuient les conséquences de la désertification, de la sécheresse et de la famine. Ou encore des émigrants politiques qui ont survécu aux dictatures africaines, des émigrants économiques victimes du chômage endémique, de la crise de l'emploi et de la pauvreté.

D'après les estimations des années 1990, les Africains résidant dans dix pays européens étaient de l'ordre d'un demi-million de per-sonnes. La répartition par nationalité indique que les Sénégalais, les Ghanéens, les Maliens et les Nigérians constituent le groupe majori-taire (Robin, 1992). Mais il faut considérer ces chiffres avec circons-pection, car ils sont sous-estimés dans certains pays comme l'Espagne, l'Italie ou la Belgique. Les flux de migrations de l’Afrique ont, égale-ment abouti au cours des dernières décennies en Amérique du Nord. Il s'agit surtout d'étudiants, de scientifiques et d'ingénieurs de l'Afrique subsaharienne venus vivre aux États-Unis et au Canada (Halary, 1994). L’émigration africaine vers certains pays du Nord ou du Sud est ainsi devenue un phénomène international de la fin du XXe siècle. « L’événement qui bouleverse la dynamique des migrations interna-tionales et en accentue le traumatisme, c’est, incontestablement, l'af-flux de ces gens d'Afrique noire qui frappent aux portes de l'Occi-dent » (Ela et Zao, 2006 : 123). Il n’est donc pas exagéré de recourir au concept de diaspora pour désigner les populations africaines, toutes

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catégories sociales confondues, en exil volontaire ou involontaire et dispersées aujourd'hui dans les quatre coins du monde. Par diasporas africaines ou Africains de la diaspora, nous entendons [52] les com-munautés des pays de l'Afrique subsaharienne installées en Europe, aux États-Unis, au Canada, dans les Antilles, aux Caraïbes et qui y travaillent, vivent ou survivent tant bien que mal. On peut y inclure aussi les communautés africaines installées dans des pays du sous-continent autres que leur pays d'origine.

Contrairement aux diasporas asiatiques, du Moyen-Orient et de certains pays d'Amérique latine qui ont des organisations confédérati-ves comme la Convention mondiale des Chinois, le Congrès mondial juif, les diasporas africaines ne disposent pas de tels organes. Les as-sociations des émigrés d'Afrique ont tendance à s'organiser plutôt sur la base du pays, de la région ou de la localité d'origine. Mais, en tant qu'émigrés, les Africains, à l'instar des autres peuples d'émigrés, déve-loppent ce que l'on peut appeler la « culture d'émigré » dont les va-leurs fondamentales sont l'importance de la communauté d'apparte-nance, les ambitions saines de réussite pour soi-même et pour sa pro-géniture, la valorisation de l'éducation, la propension à l'épargne, l'es-prit de sacrifice, la débrouillardise, l'esprit d'initiative (de Rochebrune, 1996). Cependant, comme immigrants, les Africains ont souvent des rapports très variables avec la société d'accueil, eu égard à leur adapta-tion et à leur insertion professionnelle et sociale. Tous les cas de figu-re sont possibles. Ils peuvent aller d'une insertion sociale et profes-sionnelle partielle ou complète à des situations de précarité, de chô-mage, d'exclusion et de pauvreté. Dans tous les cas, les diasporas peu-vent être vues comme le prolongement de la société civile du pays d'origine. En cela, elles peuvent représenter un flux et un reflux de forces économique, politique, sociale et culturelle potentielles pour le pays d'origine et le pays d'accueil.

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4.2 LES DIASPORAS AFRICAINES ET LE DÉVELOPPEMENT LOCAL

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Les diasporas africaines jouent un rôle non moins important dans les efforts du développement local dans leurs pays. Leurs actions sont remarquables dans les activités d'économie sociale où les associations diasporiques prennent des initiatives seules ou en partenariat avec des mouvements associatifs du Nord. Par exemple, c'est le cas [53] de l'engagement volontaire formel des émigrants dans les activités de développement économique, social et culturel de leurs localités ou régions d'origine. Il peut s'agir d'expéditions de biens en nature, de transferts de fonds « institués » (des retenues sur salaire effectuées par les services sociaux de retraites, d'allocations familiales, etc.). Ces apports de la diaspora peuvent représenter une source appréciable de financement. On a constaté que, dans certains pays africains, les contributions des émigrés en France ont « dépassé l'aide publique au développement octroyée par le pays hôte » (Dembélé Moussa, 2001 : 242).

Dans les années 1990, pour le Sénégal, les chiffres étaient de 132 millions de dollars chez les immigrés et de 250 millions de dollars pour l'aide publique française. Les transferts des immigrés du Mali en France se chiffraient à 25 millions de dollars et l'aide publique fran-çaise à 93 millions. Pour la Côte-d'Ivoire, la part de la diaspora était de 21 millions de dollars alors que l'aide publique de la France s'éle-vait à 305 millions (Condamines, 1993). Ces apports peuvent se com-parer favorablement à certains postes de la balance commerciale de certains pays. Ainsi, pour le Sénégal, en 1994, les envois de ses res-sortissants en France étaient au même niveau que les exportations des produits d'arachides. Dans de nombreuses localités de la plupart des pays africains, les envois des diasporas constituent la seule et souvent l'unique source de revenu des individus et des familles (Dembélé Moussa, 2001).

Parfois, les Africains de la diaspora s'organisent de façon formelle dans des associations pour œuvrer, en partenariat avec les compatrio-

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tes demeures aux pays, à la réalisation des projets de développement en terre d'origine. De nouvelles formes de coopération ont vu le jour au courant des années 1990. Il s'agit notamment du partenariat entre les associations diasporiques, les mouvements associatifs ou les orga-nisations non gouvernementales (ONG) du pays hôte. C'est notam-ment le cas des émigres sahéliens en France. L’exemple le plus connu et souvent cité est celui des associations des diasporas de la vallée du Sénégal (Mauritanie, Sénégal et Mali). Selon l'institut Panos, on en comptait environ 400 en France dans les années 1990.

[54] Ces associations de partenariat et de solidarité internationale ont

joué au cours des années et continuent de jouer un rôle non moins im-portant dans le développement local en Afrique (Dewitte, 1995 ; Condamines, 1993). Leurs interventions ont permis de doter un pan entier de villages et de localités d'infrastructures de base, c'est-à-dire d'écoles, de dispensaires, de centres de santé, de silos de stockage de céréales, d'aménagement de périmètres irrigués, de constitution de banques céréalières, de réseaux d'eau potable et d'assainissement, etc. Les diasporas participent également à des activités d'économie sociale et populaire : développement du micro-financement, transports, coo-pératives dans divers secteurs, etc. (Dembélé Moussa, 1999).

On sait aussi que l'émigration des travailleurs qualifiés et des pro-fessionnels draine généralement des richesses privées nationales dans le pays hôte. Dans le cas de l'Afrique subsaharienne, 34% de ces ri-chesses se trouvaient actuellement dans les pays d'accueil de ses dias-poras (Meyer, Kaplan et Charum, 2001). Des politiques fiscales et monétaires incitatives mises en vigueur par les États africains pour-raient inciter les diasporas à épargner dans leur pays d'origine. Bref, les Africains de la diaspora contribuent, pour une bonne part non moins importante, à l'effort du développement du continent. Un récent document des Nations unies met en évidence l'importance de cet ap-port, en estimant qu’entre 1970 et 1995. Cet apport est passé d'environ deux milliards de dollars US à plus de 70 milliards. Cette somme est de loin supérieure à l'aide publique au développement accordée à l'en-semble des pays du Tiers-Monde. En outre, cet apport constitue la seule source de revenus pour beaucoup, dans les pays pauvres. Donc canaliser un tel apport dans des investissements productifs serait une

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contribution significative au progrès de ces pays (Dembélé Moussa, 2001, p. 243).

Un courant de ces mouvements associatifs et des organisations de coopération internationale (OCI) développe des liens de solidarité avec des associations diasporiques pour appuyer la société civile et les partis d'opposition dans leurs luttes pour la démocratie et l'État de droit en Afrique. Au Québec (Canada), on peut citer, entre autres, l'exemple du Collectif pour la démocratie au Togo qui regroupe la [55] Communauté togolaise au Canada (CTC), les OCI comme l'As-sociation québécoise des organisations de coopération internationale (AQOCI), le Canadian University Solidarity Overseas (CUSO), le Centre international de solidarité internationale (CISO), mais aussi le mouvement syndical comme la Centrale des enseignants du Québec (CEQ) de Champlain et la Ligue des droits et libertés du Québec (LDLQ). En France, on peut citer l'association Survie.

4.3 DIASPORAS AFRICAINES, SCIENCE ET TECHNOLOGIE

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L’évolution prodigieuse de la science et le développement des nouvelles technologies d'information et de communication (NTIC) au cours des vingt dernières années ont permis à certaines diasporas scientifiques et technologiques (S&T) de jouer un rôle capital dans le développement et le renforcement des capacités scientifiques et tech-nologiques de leur pays. On croit d'ailleurs que ce rôle ira en grandis-sant et modèlera l'avenir scientifique dans le monde. En effet, selon certains auteurs, les grandes mutations en cours dans le monde contemporain laissent voir que la répartition des savoirs, des pouvoirs économiques, politiques et militaires va dépendre « largement des mi-grations scientifiques et technologiques » (Portnoff, 1996 : 57). Si dans le passé les diasporas scientifiques ont joué un rôle dans l'évolu-tion et la reconstruction scientifique des pays d'accueil et des pays d'origine, le rôle actuel de la dispersion internationale scientifique pa-rait encore plus important qu’on ne le croit (Halary, 1994). Bref, la

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science et la technologie sont les marques profondes des effets des migrations des savants, chercheurs et professeurs.

Historiquement, sinon ontologiquement, la science et la technolo-gie se sont nourries des déplacements de ceux qui y ont contribué, que ces mouvements aient été entrepris pour mettre en commun des ac-quis, pour se poser en concurrent ou pour coopérer. On s'accorde en général à reconnaître que cette circulation internationale des person-nes et des compétences à des effets bénéfiques. Il s'avère qu'elle susci-te un brassage d'idées et, en fin de compte, une optimisation cognitive globale (Meyer, Kaplan et Charum, 2001, p. 345).

[56] Dans les années 1990, on comptait plus d'un million d'étudiants

expatriés dans le monde. Parmi eux, on dénombrait 210 000 Euro-péens de l'Ouest, 200 000 Africains, dont la moitié de Maghrebins, 183 000 proche et moyen Orientaux, 25 000 Américains, 40 000 japo-nais, 3 300 Indiens et 27 000 autres Asiatiques. Les données récentes basées sur des méthodologies et des sources différentes montrent que, dans le contexte actuel de la mondialisation, il y a un nombre très éle-vé d'expatriés hautement qualifiés. On estime qu’environ un tiers (300 000) des diasporas scientifiques et technologiques (S&T) prove-nant des pays en développement travaillent dans le Nord. De plus, les recherches attestent que leur productivité scientifique et technique, mesurée en termes de publications et de brevets déposés, est bien su-périeure sur leur lieu actuel de résidence qu’elle ne le serait dans leurs pays d'origine, où les conditions sont moins favorables. L’essentiel de la production scientifique et technique des gens ordinaires du Sud se situe donc en fait actuellement dans le Nord (Meyer, Kaplan et Cha-rum, 2001 : 350).

Dans le contexte de la mondialisation, on peut créer un cadre juri-dique et politique qui permet aux pays d'origine de bénéficier des tra-vaux de leurs diasporas scientifiques et technologiques (S&T). Dans cette perspective, dans l'élaboration et la mise en œuvre des program-mes de coopération Nord-Sud, la production des diasporas scientifi-ques et technologiques (S&T) peut constituer une source potentielle du développement des pays d'origine. Deux mécanismes peuvent contribuer à cette réalité. Primo : le « retour des cerveaux » ou « l'op-tion-retour » lorsque les conditions politiques et sociales le permet-

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tent. Secondo : « l'option diaspora » qui consiste à mettre sur pied des réseaux de mobilisation à distance et de reconnexion des chercheurs, des ingénieurs de la diaspora avec la communauté scientifique présen-te sur le territoire national. Le retour des compétences et les réseaux de reconnexion ont fait en sorte que l'on préfère aujourd'hui les termes « mobilité », « circulation », migration ou « échange de cerveaux » à l'expression « exode de cerveaux » (Laplante, 2001). La coopération des diasporas scientifiques et technologiques (S&T) n'est pas nouvel-le. L’histoire des sciences et des technologies montre des exemples [57] de ce type de coopération, qu'il s'agisse d'initiatives individuelles ou de projets collectifs d'associations diasporiques scientifiques et technologiques (S&T) des universités hôtes d'Europe ou d’Amérique du Nord. De nos jours, la mondialisation a induit la « Science-Monde » qui permet la circulation des savants et des chercheurs à l'in-térieur d'une communauté scientifique internationale.

Dans la première moitié des années 1970, les nouveaux pays in-dustrialisés (NPI) du Sud-Est asiatique ont mis en place des politiques et des programmes visant la réinsertion systématique de leurs natio-naux formes à l'étranger. À la fin de la même décennie, deux organisa-tions internationales ont été créées pour financer des projets d'aide au retour dans leur pays d'origine des membres hautement qualifiés des diasporas. Ce sont l'Organisation internationale pour les migrants (OIM) et le programme Transfer of Knowledge through Expatriate Nationals (TOKTEN). Ce dernier est administré par le Programme des Nations unies pour le développement (PNUD). Mais, en Asie, ce sont, sans doute, Taïwan et la Corée du Sud qui ont mis en application les politiques de retour des compétences de façon plus volontariste. Une fois réalisés, ces retours contribuent effectivement au développement scientifique, technologique et industriel des pays d'origine. C'est ce qui a été observé par exemple dans le cas de Taïwan, de Hong Kong et de Singapour où le retour de leurs expatriés scientifiques a fait augmenter de façon extraordinaire le nombre de publications scienti-fiques de haut niveau. Il en est de même dans le domaine industriel. Ainsi, en 1996, sur les 193 sociétés créées dans un parc industriel et scientifique à Taïwan - le parc HSINCHU, leader mondial dans le secteur des ordinateurs personnels et des circuits intégrés - 81 l'ont été par les scientifiques et les ingénieurs taïwanais de retour des États-Unis (Gaillard et Gaillard, 1998).

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On remarque aussi que les diasporas de retour favorisent l'interna-tionalisation bénéfique des activités scientifiques et industrielles des pays d'origine. Les NTIC donnent donc une nouvelle configuration aux relations et aux échanges scientifiques entre les membres de la diaspora, d'une part, et avec la communauté scientifique du pays [58] d'origine, d'autre part. C'est ainsi qu'au cours des décennies 19801990 et 1990-2000 un nombre croissant d'initiatives ont été prises par plu-sieurs pays pour répertorier, mobiliser et reconnecter leurs diasporas scientifiques et technologiques (S&T) avec leurs collègues du territoi-re national. L’Inde fut le premier pays à mettre en place ce système. La réalité des diasporas S&T est fort complexe. Leurs formes et leurs modèles varient selon l'économie, la culture et le système sociopoliti-que des pays. Mais elles représentent un facteur potentiel de dévelop-pement des pays dans le contexte de la mondialisation.

En Afrique, 23 000 diplômés émigreraient chaque année dans les pays du Nord et cette émigration coûterait environ 4 milliards de dol-lars américains (Le Monde diplomatique, mars 2002). Malgré ce haut potentiel que représentent les diasporas S&T du continent, force est de constater que, sauf quelques projets de nouvelles politiques et expé-riences éparses, l'organisation formelle des diasporas S&T est très peu développée, sinon inexistante. Mais on doit souligner les efforts dé-ployés par certains pays, comme le Ghana, l'Érythrée, la Tunisie et le Maroc, pour démarrer des projets de mobilisation et de reconnexion de leurs diasporas. Toutefois, ces projets n'ont pas donne lieu à des structures très formelles et institutionnelles. L’Université d’Asmana en Éthiopie, par exemple, a simplement effectué un répertoire et solli-cite ses diasporas S&T installées aux États-Unis, afin qu'elles appor-tent leur contribution au renforcement de la qualité de l'enseignement dans le pays d'origine. L’insertion des diasporas S&T dans le déve-loppement de l'Afrique reste donc un projet national et panafricain à approfondir, par des réflexions soutenues et une réappropriation des expériences des pays du Sud les plus avancés dans le domaine (les NPI de l’Asie du Sud-Est et d’Amérique latine). Dans une Afrique où l'État postcolonial et ses institutions sont en déliquescence, si l'on veut sortir de la crise, il faut créer les conditions politiques, juridiques, économiques, sociales et culturelles nécessaires, pour mettre a profit tous les potentiels que représentent ses diasporas S&T, d'une part, et

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ses travailleurs, entrepreneurs, commerçants, artistes diasporiques, Autre part (Centre tricontinental, 2000 et 2001). Dans le premier cas :

[59]

Les mutations démocratiques en cours en Afrique invitent à s'interro-ger sur cette catégorie d'acteurs dominants que constituent les intellec-tuels. Quand les dictatures y prennent un peu partout les masques de la démocratie, il convient de questionner leur savoir, leur pouvoir. Car, au-delà des structures institutionnelles 4

, il y a tout simplement les hommes qui changent peu, ou pas fondamentalement, et avec lesquels il faudra in-venter des espaces sociaux démocratiques : c'est un défi. Un nouveau défi pour l'Afrique (Toulabor, 1993, p. 6).

Le rôle de la diaspora S&T africaine comme facteur de dévelop-pement est reconnu dans le document du Nouveau Partenariat pour le développement de l’Afrique (NEPAD, d'après l'acronyme anglais) élabore par des chefs d'États africains et discute au Sommet du G8 à Kananaski, en Alberta les 26 et 27 juin 2002. Ainsi, le programme d'action du NEPAD entend :

[...] promouvoir la coordination et la collaboration entre les experts des pays d'origine et ceux de la diaspora ; établir des réseaux scientifiques et techniques pour favoriser le rapatriement des connaissances scientifiques dans les pays d'origine et promouvoir la coopération entre les experts des pays d'origine et ceux de la diaspora ; veiller à ce que l'expertise des Afri-cains installés dans les pays développés soit utilisée dans le cadre de l'exé-cution de certains des projets prévus dans le NEPAD (NEPAD, 2001, p. 30).

Dans le second cas, il faudra soutenir et intensifier les expériences

novatrices de partenariat et de solidarité internationale entre les asso-ciations diasporiques, les mouvements associatifs du Nord et les popu-

4 On doit arrêter impérativement la déliquescence des universités en Afrique. À

cet égard, lire Aghali Abdelkader, « En Afrique, l'enseignement supérieur sa-crifié », dans Le Monde diplomatique, no 576, mars 2002, p. 20. Dans le même numéro, lire aussi Jean-Christophe Servant, « Les universités négérianes en déshérence », p. 20-21.

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lations africaines, pour la réalisation de projets d'économie sociale et de développement local. Les États africains « renaissants » doivent reconnaître et soutenir ces innovations. Ces initiatives peuvent comp-ter aussi sur le soutien des institutions des Nations unies, [60] comme le Programme des Nations unies pour le développement (PNUD), la Conférence des Nations unies pour le commerce et le développement (CNUCED) et l'Organisation internationale du travail (OIT), qui sem-blent plus réceptives aux projets d'économie sociale et solidaire (Fa-vreau et Tremblay, 2001). Un des problèmes du développement de l'Afrique, c'est le « chaînon » manquant entre l'économie de subsistan-ce et l'autre économie de marché. L’apport des Africains de la diaspo-ra dans le tiers-secteur pourrait établir progressivement le pont entre les espaces « micro-socioéconorniques » de survie et les espaces « macro-socioéconomiques » de mieux-être des populations qui font face à la faillite du développement imposé par « le haut » et « le de-hors » depuis une quarantaine d'années (Assogba, 2000 et Centre tri-continental, 2001).

4.4 LES AFRICAINS DE LA DIASPORA COMME ACTEURS DE DÉVELOPPEMENT

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La mise à contribution des diasporas dans le développement des pays d'origine est un phénomène fort complexe, parce qu'il est poly-morphique. Il est caractérisé par des asymétries entre le centre et les périphéries du système mondial. Il procède par des intermédiaires et des canaux de mobilité ou de circulation du capital humain, social et financier. L’apport diasporique met en relation au moins deux catégo-ries d'acteurs sociaux : l'homo œconomicus et l'homo donator. Enfin, comme tout phénomène, il peut engendrer des effets pervers négatifs ou positifs. Mais, au-delà de sa complexité, ce qu'on peut appeler « l'effet diasporique » demeure un facteur potentiel de développement du pays d'origine. Dans cette perspective, la mondialisation peut re-présenter un grand atout. Mais, en ce qui concerne l'Afrique, force est de constater maintenant que de manière générale les associations des Africains de la diaspora ne sont pas reconnues comme des acteurs du développement par les États africains, les bailleurs de fonds du Nord

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et les ONG. Le problème fondamental étant la non-reconnaissance de leur statut juridique, elles ne peuvent bénéficier de moyens pour s’engager dans la coopération pour le développement. Ainsi, il n’est [61] pas rare que des projets de solidarité internationale entrepris par des associations diasporiques africaines ne soient pas reconnus et cel-les-ci se voient le plus souvent mener des actions informelles. Certes, le récent document du NEPAD propose d'élaborer des politiques et d'établir des mesures juridiques afin que les diasporas S&T africaines contribuent au renforcement des capacités technoscientifiques et au développement de l'Afrique. Mais le NEPAD ne précise pas le plan d'action pour réaliser un tel projet. « Cependant, il semble clairement établi que la coopération au développement ne peut plus se passer de leur implication » (Braive, 2002 : 17).

À la lumière des quelques éléments d'analyse ci-dessus invoqués, on peut tirer la conclusion suivante. Si l'Afrique exploitait les moyens financiers et humains de sa diaspora, elle pourrait trouver ses propres solutions à ses problèmes de développement et compenser ainsi l'amenuisement des ressources de l'aide qu'elle reçoit des pays du Nord et de commerce avec eux. Pour sortir de la crise quasi endémi-que qui semble la frapper, les dirigeants africains en premier doivent prendre conscience de ce fait et considérer l'apport de leur diaspora comme un aspect des possibilités de l'aide extérieure au développe-ment qui a endetté l'ensemble des pays du tiers-monde. Par des politi-ques nationales et des lois du système bancaire, les pays africains peuvent attirer l'épargne des travailleurs africains de la diaspora. Cette épargne peut être canalisée dans des investissements productifs. Par ailleurs, des actions concrètes doivent être faites afin que les diasporas S&T apportent leur contribution au renforcement des capacités scien-tifiques et technologiques du continent. Dans cette perspective, des initiatives doivent être prises pour signer des accords de coopération dans ses domaines entre les pays africains et ceux du Nord. Pour leur part, les mouvements associatifs, les syndicats et les entreprises du tiers-secteur des pays hôtes du Nord peuvent former des collectifs avec les organisations des diasporas africaines. Pour démarrer en par-tenariat des projets de développement local en Afrique ou dans les pays d'accueil. Cependant, pour être en mesure de tirer profit de l'ap-port de ses diasporas comme acteurs de développement, [62] l'Afrique doit faire deux révolutions : 1) trouver ses fondements en puisant dans

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l'inventivité des femmes et hommes immigrés et 2) remettre en ques-tion sa position périphérique dans le système mondial, en s'insérant, au Sud et au Nord, dans les mouvements associatifs qui luttent pour une mondialisation à visage humain.

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[63]

Développement communautaire en Afrique. Comprendre la dynamique des populations.

Chapitre 5

Économie sociale et populaire : aperçu général

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Le regain de vie de l'économie sociale au cours des vingt dernières années aussi bien au Nord qu'au Sud représente la réponse que les po-pulations tentent d'apporter aux problèmes de chômage, de précarité, d'exclusion sociale et de pauvreté que connaissent les personnes et les collectivités locales et régionales. La remontée générale de l'économie sociale est, dans une certaine mesure, la riposte à la mondialisation de l'économie de marche, au recul de l'État-Providence dans différents domaines de la vie sociale, aux effets pervers des programmes d'ajus-tement structurel (PAS) dans les pays en développement en général et en Afrique en particulier, et à la promotion des pratiques de la bonne gouvernance dans les pays du Nord et du Sud (Favreau, 2005).

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5.1 HISTORICITÉ DES SOCIÉTÉS AFRICAINES ET ÉCONOMIE SOCIALE ET POPULAIRE

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En Afrique, l'économie sociale et populaire tire ses racines direc-tement de sa composante mutualiste, plutôt que de sa double compo-sante coopérative et mutualiste, comme ce fut le cas en Europe. Le bilan des modèles de coopératives importées en Afrique subsaharien-ne par les puissances coloniales, et qui ont été généralement mainte-nues après les indépendances, est très peu reluisant. Qui plus est, l'au-torité coloniale et l'État postcolonial africains n'ont point promu les mutuelles. Si l'on veut retracer les origines de l'économie sociale - dans [64] son assertion moderne - en Afrique, il faut reconnaître que c'est « au cœur des communautés locales que sont nées et se sont dé-veloppées de multiples formes traditionnelles d'entraide et de solidari-té, notamment pour faire face à des événements sociaux particuliers et coûteux comme l'organisation de funérailles, un mariage, une naissan-ce, etc. » (Defourny, Develtere et Fonteneau, 1999 : 17).

Tout essai d'appréhension théorique et méthodologique de l'éco-nomie sociale et populaire peut procéder par deux grandes approches : l'approche juridique et institutionnelle et l'approche normative. Toute-fois, c'est l'utilisation combinée des deux approches qui permet de donner une définition plus adéquate de ce type d'économie. La pre-mière approche permet essentiellement de définir l'économie sociale par ses statuts juridiques ou institutionnels. À cet égard, on distingue généralement trois principaux types d'organisations d'économie socia-le : 1) les entreprises de type coopératif qui renvoient aux diverses coopératives dans tous les secteurs de la vie économique et sociale ; 2) les sociétés de type mutualiste qui couvrent les domaines de l'assuran-ce maladie, des services sociaux et de santé, de l'assurance pour d'au-tres risques de la vie et 3) les organisations de type associatif qui re-groupent toutes les formes d'associations à but non lucratif rassem-blant librement des, personnes ou des citoyens, dont le but premier est de produire des biens et des services. Les organisations non gouver-nementales (ONG) et les organisations de charité sont des exemples d'associations. Chacun des trois types d'organisations a ses propres

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caractéristiques et ses modes de fonctionnement, quelle que soit la forme juridico-institutionnelle (ibidem).

Un mot sur le plan épistémologique. Un concept traduit une réalité donnée et le concept d'économie sociale et populaire ne fait pas ex-ception à la règle. Si les uns et les autres s'entendent en général sur les objectifs et les finalités que suppose cette notion, ils doivent admettre par contre que ses représentations et ses pratiques sociales reflètent le contexte social dans lequel elles s'insèrent. Mais dans le cas de l’Afrique, pour les raisons historiques que l'on connaît la définition formelle et opératoire du concept est teintée du sociocentrisme ou de l'ethnocentrisme. Pour mieux comprendre les activités d'économie [65] sociale et populaire en Afrique, un effort de rupture épistémolo-gique s’impose. Il faut « désociocentriser » ou « dé-ethnocentriser » la notion d'économie sociale et populaire et proposer une nouvelle défi-nition qui tient compte de l'historicité des sociétés africaines. Cette redéfinition doit porter sur les principaux paramètres descriptifs du tiers-secteur. Par exemple, l'appréhension d'une activité d'économie sociale et populaire en Afrique, du point de vue de son existence léga-le, doit prendre en considération les statuts juridiques et institutionnels non seulement selon le droit moderne, mais aussi selon le droit cou-tumier. C'est à partir de ces deux éléments de la réalité sociale africai-ne que l'observateur doit distinguer les types d'organisations d'écono-mie sociale et populaire.

Par exemple, l'étude des organisations de type mutualiste (Fonte-neau, 2000) et des mouvements paysans (Jacob et Lavigne Delville, 1994 ; Assogba, 1997) doit prendre en compte les domaines couverts (santé, médicaments, etc.) ainsi que les sujets sociaux concernes (in-dividus, familles, clans, néo-lignages, etc.). En ville, les recherches portant sur le type associatif doivent s'intéresser aux clubs sportifs, aux clubs de danse, aux associations des ressortissants du même villa-ge, de la même localité ou de la même région. Les recherches qui ont pour objet le type coopératif doivent s'intéresser non seulement aux secteurs qu'il couvre traditionnellement, mais également aux secteurs innovants comme les coopératives de pharmacopée, de « librairies-parterre », de « taxis-motos », etc. Ces coopératives et petites entrepri-ses peuvent disposer de microfinancement (Destrait et Kieffer, 2000 ; Monga, 1997), de micro-credits (Adéchoubou, 1996) et de micro-assurance santé (Rossel, 2001).

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Bref les enquêtes sur une activité d'économie sociale et populaire en Afrique doivent tenir compte du contexte social et situer par rap-port à celui-ci les paramètres descriptifs suivants : l'organisation, la légalité, le processus d'émergence, la mobilisation des ressources, le mode de gestion, le système de gouvernance démocratique, l'activité en question, la finalité des services donnés aux membres individuel-lement et collectivement. Le rapport au travail, à l'objectif et à la fina-lité de l'économie sociale et populaire doit être appréhendé selon une [66] approche cognitiviste (par opposition à une approche utilitariste ou instrumentaliste) qui prend en compte la rationalité socioéconomi-que et axiologique des acteurs sociaux concernés. Enfin, les études et les recherches doivent contribuer à la production et à l'avancement de la connaissance ainsi qu’à l'évolution des pratiques sociales en matière d'économie populaire. Les savoirs accumulés doivent être inscrits dans les programmes d'enseignement et de recherche. Les nouvelles connaissances et les pratiques sociales innovantes doivent faire l'objet d'application dans les domaines économiques, culturels, sociaux et politiques.

L’économie sociale et populaire ne peut se dissocier d'une théorie du développement. Mais ces pratiques sont rarement évoquées par les théories économiques ou sociologiques du développement. Les éco-nomistes et les sociologues semblent d'ailleurs méconnaître le concept (Bidet, 1999). Au cours des premières décennies d'aide au dévelop-pement de l'Afrique, les experts en la matière dont presque pas fait référence à l'économie populaire. Ce n'est que dans les années 1980, avec l'imposition des programmes d'ajustement structurel (PAS) par les institutions de Bretton Woods, que l'économie sociale ou populaire est devenue un champ d'études et de recherches pour quelques rares chercheurs africains et africanistes (Defourny, Develtere et Fonteneau, 1999 ; Peemans, 1997).

Les activités d'économie sociale et populaire sont aujourd'hui por-tées par les mouvements paysans et par les mouvements de travail-leurs dans les centres urbains ou semi-urbains 5 5 L’Afrique occupe une place importante dans le Réseau international de pro-

motion de l'économie sociale et solidaire (RIPESS) créé en 2003. Organisatri-ce et hôte de la Conférence internationale de Dakar 2005 sur l'économie socia-le et solidaire, l’Afrique s'est fait remarquer par le succès de la conférence (voir le site : www.ripess.net).

. Dès les indépendan-

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ces dans les années 1960, le terme secteur informel a été utilisé, à tort ou à raison, pour désigner l'ensemble de ces activités. Mais, en réalité, cette expression renvoie à des pans entiers d'activités socioéconomi-ques qui se déroulent de façon autonome par rapport aux systèmes de production des biens et services des pouvoirs publics, des [67] systè-mes dits « modernes ». Aujourd'hui, un fort courant de pensée recon-naît dans le secteur informel les capacités motrices propres au tiers-secteur en Afrique. Dans cette perspective, certains auteurs et prati-ciens emploient le terme économie populaire comme synonyme d'économie sociale. D'après Peemans (1995 et 1997) en particulier, l'économie informelle en Afrique, c'est l'économie populaire séculaire qui appartient à un « tissu de production » existant avant la colonisa-tion, mais qui a été à la fois marginalisée et diversifiée par cette der-nière pendant une bonne partie de la postcolonie. Pour Penouil (1992), le secteur dit informel est en fait un lieu d'initiatives et d'actions inno-vantes de survie dans un contexte de précarité, d'exclusion et de pau-périsation. Ces pratiques d'économie populaire ont pris des formes d'indigénisation de l'économie moderne par un processus de combi-naison et de réinterprétation des éléments culturels empruntés à l'au-tochtone et à l'importé ou à la modernité occidentale.

On peut distinguer deux grandes catégories d'activités d'économie populaire. Une première catégorie regroupe les initiatives individuel-les ponctuelles d'assistance. Une seconde comprend les initiatives so-cioéconomiques portées par des groupes dont la taille dépasse le cadre d'une seule famille, et dont les biens et les services sont destinés à un nombre relativement grand de personnes ou à une collectivité plus large. C'est cette seconde catégorie d'organisations d'économie popu-laire en Afrique qui s'apparente à l'économie sociale dans son accep-tion et ses pratiques contemporaines. L’économie populaire africaine se présente comme un ensemble d'articulations singulières entre cer-tains attributs : articulations entre les dimensions économiques et so-ciales de la petite production marchande (économie populaire), articu-lations qui seraient propres à l'homo africanicus. « Les divers types de propriétaires des micro-entreprises de l'économie populaire fonction-nent à la fois comme agents économiques sur le marche et comme ac-teurs sociaux dans un milieu de vie. La singularité de l'encastrement de la petite production marchande dans le tissu social a été bien mise en valeur par des chercheurs » (Peemans, 1997 : 111).

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Des enquêtes ont montré qu’en Afrique les activités d'économie populaire sont traversées par différentes logiques. L’économie de [68] subsistance peut faire bon ménage avec une économie de production visant à dégager un surplus. Ces deux formes d'économie combinent souvent une logique sociale de reproduction de la position sociale et de rapports sociaux de convivialité. Les relations d'affection tendent à marquer de façon importante les activités informelles. À cet égard, il importe de bien distinguer dans l'économie populaire africaine le rôle des rapports familiaux et celui de l'ethnicité. En effet, l'observation des pratiques de l'économie populaire montre que les liens familiaux et ethniques jouent un rôle considérable dans la création et le fonc-tionnement des petites activités. Par exemple, on constate une concen-tration et une domination de certains groupes ethniques dans des acti-vités particulières comme les taxis et la friperie (les Lokeles au Congo démocratique), le commerce des tissus et la couture (les femmes Mi-nas et Éwées au Togo), la menuiserie et la maçonnerie (Minas au To-go).

Bref, le terme « économie populaire » est utilisé pour désigner l’« expansion de nombreuses petites activités productives et commer-ciales qui se développent selon une autre logique que celle du monde capitaliste même si elles sont encerclées par ce dernier : travail indé-pendant, micro-entreprises familiales, coopératives, artisans organises, etc. » (ibidem : 117). L’économie populaire se distingue de l'économie capitaliste classique. Alors que dans celle-ci l'entrepreneur est celui qui apporte le capital, et qui cherche à le rentabiliser, dans celle-là, la micro-entreprise est organisée par le sujet qui apporte le facteur tra-vail.

5.2 PRATIQUES D’ÉCONOMIE SOCIALE ET POPULAIRE

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Depuis la fin des années 1980, on a assisté en Afrique subsaha-rienne à une véritable explosion d'organisations d'économie sociale et populaire de type mutualiste et de type associatif et aussi à un renou-vellement et à un renforcement des organisations de type coopératif

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Toutes assument, de manière plus ouverte que par le passé, des fonc-tions de production économique, de médiation sociale et politique, dans un contexte qu’on peut qualifier de pluralisme de [69] fait. S'il est un secteur de l'économie sociale et populaire qui a connu une flo-raison au cours des dernières années en Afrique, c'est bien le micro-financement. Pour bien fixer les idées, nous ne présenterons ici que quelques cas assez significatifs.

Les tontines

Les tontines ou la rotation d'épargne et de crédit sont enracinées

dans le socle social et économique des sociétés africaines. Aujour-d'hui, il existe des associations de tontines qui drainent un flux d'épar-gne-crédit considérable (Adair, 1996). Souvent légalisées et d'adhé-sion volontaire, elles sont liées aussi bien au domaine familial qu'au milieu géographique ou professionnel. Les appellations des pratiques « tontinières » sont différentes selon les pays. Mais leur principe reste identique : quelques personnes décident de verser à intervalles régu-liers une cotisation dont le montant total est attribué à l'une d'entre elles, chacune à son tour. Cette pratique permet de lier directement l'épargne et le crédit, ce qui signifie donc que chaque membre est al-ternativement épargnant et débiteur (Edimo Essombe, 1998). Les ton-tines connaissent du succès chez les petits entrepreneurs, les commer-çants, les artisans (Monga, 1997).

Les tontines ont beaucoup évolué au cours des vingt dernières an-nées et ont pris des formes nouvelles qui témoignent par ailleurs, de l'inventivité des populations africaines. Citons en exemple les « tonti-niers collecteurs » ou les « banquiers ambulants » (Adéchoubou, 1996). Cette pratique a débuté au Nigeria pour s'étendre ensuite au Bénin et au Togo. Les « banquiers ambulants » sont des garde-monnaie qui permettent aux clients d'épargner en mettant théorique-ment leur argent en sécurité, à l'abri des risques de vol, d'incendie et de pression sociale. Pour ce faire, ils distribuent des cartes aux clients. Chaque carte comporte des cases à remplir ou à cocher, avec le nom, l'adresse et parfois la photo du banquier ambulant. Le client et son banquier se mettent d'accord sur un montant journalier de cotisation. À la fin, le banquier rend l'ensemble des sommes cotisées par le client,

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moins une mise journalière qui constitue sa commission. Le système est souple : [70] la durée des cotisations peut être de plusieurs mois et la fréquence est variable, selon l'entente. En outre, un client peut avoir des cartes de plusieurs banquiers ambulants, selon ses besoins.

Le banquier ambulant peut faire des avances à son client sur l'épargne de ce dernier. Il peut aussi lui accorder des crédits, mais cet-te complexification nécessite qu'il dispose de fonds propres ou qu'il soit capable de gérer correctement sa trésorerie, en utilisant les dépôts des uns pour faire des avances aux autres (Servet, 1996). Il récupère l'argent de ces crédits avec, en sus, un taux d'intérêt sur la somme donnée. Généralement, les clients prennent du crédit pour des besoins bien précis : monter un commerce, acheter un taxi, améliorer un habi-tat, etc. La clientèle des tontiniers ambulants est essentiellement cons-tituée de femmes, mais elle comprend aussi des artisans, des tailleurs, des chauffeurs de taxi, des coiffeurs, des apprentis, quelques fonction-naires, des écoliers et des étudiants. Ils sont mieux appréciés que les banquiers formels, en raison du caractère plus adapté de leur système aux conditions des populations plus pauvres : facilité d'avance et de crédit, adaptation à la modicité des revenus, obligation d'épargne, formule souple pour les versements et les retraits (date et montant flexibles) et disponibilité de l'épargne à tout moment. Une mutuelle de solidarité des tontiniers existe à Lomé, au Togo, la MUSOTAL (Gen-til et collab., 1992).

Les coopératives d’épargne et de crédit

Une coopérative d'épargne et de crédit est une organisation finan-

cière démocratique dont les membres s'associent pour regrouper leur épargne et se faire mutuellement des prêts à des taux raisonnables (Fournier et Ouedraogo, 1996). Cette forme d'économie sociale et po-pulaire représente un mouvement mondial structuré en grands réseaux internationaux, dont une fédération mondiale, le Conseil mondial des coopératives d'épargne et de crédit (CMCEC), en anglais le World Council of Credit Unions NOCCU). Ce conseil est présent en Afrique (Jacquier, 1999). La Fédération des unions coopératives d'épargne et de crédit du Togo (FUCEC-Togo) a été créée en 1983. Elle et la [71] Caisse d'épargne du Togo (établissement de droit public) constituent

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les deux plus grands instituts de micro-financement qui partagent 80% de la clientèle nationale. Elle œuvre pour le développement, la promo-tion économique et sociale, et permet aux personnes disposant de fai-bles revenus d'avoir accès à du crédit à faibles taux et à des conditions plus souples que celles qui sont offertes dans les banques. Elle est le résultat d'un partenariat ONG, populations et bailleurs de fonds. En fait, la FUCEC découle de la première expérience de coopérative d'épargne et de crédit (COOPEC) au Togo, réalisée en 1969 par James Winter, un missionnaire américain, dans un village du sud-ouest du pays, en zone de culture de café et de cacao.

La FUCEC est un réseau des coopecs qui couvre le territoire natio-nal. En 2001, on en comptait 152 regroupant environ 150 000 mem-bres. Leurs dépôts s'élevaient à 13,3 milliards de francs CFA, pendant que le montant du crédit en cours était chiffre à 9,4 milliards de francs CFA 6

. Outre sa mission d'épargne et de crédit, la FUCEC a des pro-grammes s'inscrivant dans la lutte contre la pauvreté en milieu rural et semi-urbain, surtout chez les femmes démunies. Dans cette perspecti-ve, elle a fait des aménagements dans les conditions d'octroi de crédit. Ainsi, contrairement à la méthodologie traditionnelle, dans les pro-grammes réaménagés, c'est plutôt le crédit qui doit générer l'épargne. L’épargne ne précède donc plus le crédit. Cette nouvelle méthodolo-gie a favorisé des regroupements de femmes démunies en groupes d'intérêt économique et social (GIES), en vue de bénéficier de prêts solidaires. L’acceptation de ces prêts est généralement précédée d'une formation en nutrition et en lutte contre les maladies infantiles (As-sogba, 2004a).

Projet d'appui aux mutuelles d'épargne et de crédit Ce projet a vu le jour au début des années 1990 dans la région ma-

ritime du Togo avec l'appui de la Société de coopération pour le [72] développement international (SOCODEVI) 7

6 1$ US vaut en moyenne 500 francs CFA.

une société québécoise à

7 Voir Louis Favreau (dir.), L'engagement international du mouvement coo-pératif québécois : portrait de quatre organisations soutenant le développement de collectivités au Sud, Cahier de la CRDC, série Recherche, Gatineau, Université

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but non lucratif qui apporte son aide aux mutuelles de crédit-épargne. Cette ONG soutient les mutuelles de femmes en leur permettant de surmonter les difficultés occasionnées par la liquidation en 1991 de la Caisse nationale de crédit agricole (CNCA). Le projet a pour but de permettre aux femmes togolaises de rétablir leur revenu familial et de favoriser une recapitalisation au niveau de leurs activités commercia-les et productives. Trois objectifs sont visés : donner accès au crédit aux femmes, dispenser toutes les formations nécessaires pour que les femmes puissent s'approprier la direction et la gestion de ces mutuel-les et apporter des appuis techniques et économiques aux groupements de femmes dans le choix de leurs activités économiques et leurs poli-tiques de financement. Environ 195 groupements de femmes ont été couverts pour quatre mutuelles formées de 1950 femmes. Les activités se sont développées et toutes les mutuelles bénéficiant de l'appui ont été transformées en réseau (Beaudoin, 2005). On assiste également depuis les années 1990 en Afrique de l'Ouest à des pratiques d'écono-mie sociale et populaire en matière de financement de la santé. À la suite de l'Initiative de Bamako 8

Quoi qu'on dise, quoi qu'on fasse, un fait demeure évident en Afri-que. La plus grande partie de la population vit d'une économie sociale et populaire ingénieuse et novatrice, mais dont l'efficacité et l’efficience, eu égard aux besoins de base de l'existence humaine, va-rient considérablement. Ces activités socioéconomiques peuvent être des réponses de survie dans un contexte de paupérisation. Elles peu-vent aussi offrir une vie plus ou moins décente. En fait, elles [73] ré-sultent d'un processus d'adaptation des populations africaines à leurs milieux. Elles ont toutes un fort potentiel de transformations sociales en matière d'amélioration de conditions d'existence de ceux qui en sont les acteurs individuels et collectifs, à savoir les paysans, les arti-sans, les commerçants, les petits entrepreneurs, les gens des petits mé-tiers, les hommes, les femmes et les jeunes qui vivent dans l'Afrique

(Mali), des mutuelles de santé ont vu le jour au Mali (Sanogo, 2004), au Burkina Faso (Fonteneau, 2000) et au Sénégal (Atim, 1999), pour ne citer que ces pays du Sahel.

du Québec en Outaouais, 2004. 8 En 1987, l'UNICEF et l'Organisation mondiale de la santé (OMS) ont organisé

une réunion à Bamako au Mali afin de définir une nouvelle orientation politi-que en matière de santé. L’Initiative de Bamako est le nom donné à cette poli-tique.

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« officieuse » par opposition à l'Afrique « officielle ». C'est dans l'Afrique profonde ou officieuse que s'opèrent les réelles transforma-tions qui traversent quotidiennement le continent noir. Dans une Afri-que qui entend se développer désormais selon un processus d'amélio-ration généralisée des conditions de vie de la population, les États africains doivent sans détour mettre en œuvre une nouvelle planifica-tion stratégique qui fait de l'économie sociale et populaire le levier de la croissance de leur pays.

À cet égard, l'œuvre de Fernand Braudel (1980), bien synthétisée par Verschave (l994), est une référence historique fort pertinente. Bien réappropriés et mis en pratique, les enseignements de Braudel vont sans doute sortir progressivement, mais sûrement, l’Afrique de la crise du développement quasi « infernale » dans laquelle elle est en-fermée. Représentant l'économie comme une maison, Braudel note à travers l'histoire des sociétés humaines que cette maison est composée de trois étages. Le rez-de-chaussée correspond à l'économie de subsis-tance. Le premier étage renvoie à l'économie de marché local et, enfin, l'étage supérieur correspond à l'économie de marché. Selon Braudel, l'édification économique, politique et sociale (ou, en termes contem-porains, le processus historique de développement des sociétés) est une dynamique dialectique de construction de ces trois étages (Vers-have, 1995).

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Développement communautaire en Afrique. Comprendre la dynamique des populations.

Chapitre 6

Comprendre les réussites et les échecs des projets

de développement communautaire

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Les données théoriques et empiriques disponibles aujourd'hui at-testent que c'est le paradigme interactionniste de type wébérien qui a la capacité heuristique pour mieux nous faire comprendre les phéno-mènes de réussites ou d'échecs des projets de développement commu-nautaire. C'est ce que le présent chapitre tente de montrer.

6.1 PARAMÈTRES DU PARADIGME INTERACTIONNISTE

En tant que paradigme interactionniste, le type wébérien suppose

par définition un cadre sociologique général qui utilise un ensemble de langages reconnaissant une certaine liberté à l'acteur social. Ce pa-radigme est basé sur trois principaux paramètres, à savoir la notion d'effets pervers, le principe de la rationalité de l'acteur social et le principe de l'individualisme méthodologique.

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La notion d'effets pervers :

Dans le langage des sciences sociales, les effets pervers désignent

les effets individuels ou collectifs qui résultent de l'agrégation des comportements individuels non prévus dans les objectifs recherchés par les acteurs sociaux. Les effets pervers représentent une des causes fondamentales du changement social ou du développement. En [76] conséquence, expliquer un phénomène de développement dans une réalité donnée revient à le décrire empiriquement comme un effet d'agrégation résultant d'actions individuelles rationnelles, c'est-à-dire compréhensibles si on les rapporte au contexte social des acteurs. La potion d'effets pervers suppose un cadre analytique qui conçoit un homo sociologicus intentionnel « mû par les objectifs qu’il désire at-teindre et par les représentations qu’il a des moyens susceptibles de lui permettre d'atteindre ces objectifs » (Boudon, 1977 : 12). En der-nière analyse, le paradigme des effets pervers implique le principe de la rationalité, de l'intentionnalité ou de la logique de l'acteur.

Le principe de la rationalité de l'acteur

Admettre que le sujet sociologique est rationnel revient tout sim-

plement à mettre en évidence, étant donné le passé, les ressources et l'environnement de l'homo sociologicus, les « bonnes raisons » qui l'ont poussé à adopter tel comportement, telle attitude ou telle croyan-ce (Boudon, 1988). Ce comportement est alors compréhensible puis-que l'observateur a réussi à cerner les motivations à agir de l'acteur dans sa situation (Assogba, 1988).

Le principe de l'individualisme méthodologique

Pour rendre compréhensible le comportement des acteurs sociaux,

l'analyse sociologique doit descendre jusqu'à ceux-ci. Cette démarche est possible grâce au principe de l'individualisme méthodologique. Il s'agit d'un principe selon lequel le sociologue doit considérer les ac-

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teurs individuels situés dans un système d'interaction comme les « atomes logiques de son analyse ». La méthode d'analyse du phéno-mène social observé consiste alors à en faire une conséquence de la logique du comportement des individus engagés dans ce phénomène.

L'individualisme méthodologique suppose une démarche compré-hensive qui implique, elle-même, deux conséquences d'ordre métho-dologique. La première, c'est que le chercheur doit toujours [77] faire l'effort méthodologique nécessaire pour recueillir les données suffi-santes pour appréhender les motivations qui ont inspiré l'action. Cet effort est possible quelle que soit la distance culturelle entre l'observa-teur et l'acteur car, disposant d'informations suffisantes, le premier peut en principe comprendre le second. La deuxième conséquence, c’est la nécessité pour le chercheur de rompre avec ses prénotions : « [...] le caractère compréhensible de l'action n’implique pas qu’on ne doive pas, avant d'interpréter telle ou telle action, prendre des précau-tions dont tout scientifique s'entoure lorsqu'il cherche à expliquer un fait quelconque » (Boudon, 1979 : 251).

Cet énoncé est d'autant plus important que l'action constitue une catégorie particulière de faits et que la compréhension de l'action du sujet sociologique implique en réalité de la part de l'observateur un jugement empathique de type « À la place de untel, j'aurais peut-être agi de la même façon ». La logique dont il postule l'existence dans la démarche interprétative doit, bien entendu, toujours être compatible avec les données observables. La meilleure précaution scientifique pour le sociologue, précisent Boudon et Bourricaud, « consiste pour lui à vérifier que son analyse microsociologique est bien compatible avec les données macrosociologiques qu'il est en mesure d'observer » (Boudon et Bourricaud, 1986 : 6).

6.2 MODÉLISATION ET APPLICATIONS

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Le modèle d'analyse issu du paradigme interactionniste de type wébérien peut être présente comme suit. On considère une population X au sein de laquelle on diffuse un nouveau projet de développement communautaire qui représente en fait une innovation I, disons

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l’approvisionnement en eau potable et l'assainissement. Le but visé est d'amener la population à adopter l'innovation I. Autrement dit, à pro-voquer un changement social M, c'est-à-dire l'adoption par la popula-tion de nouvelles pratiques d'alimentation en eau et d'hygiène. Dans le processus de développement communautaire, M peut prendre la forme d'adoption totale, d'adoption partielle ou d'échec du projet. Quelle que soit cette forme, il s'agit d'expliquer M. Selon [78] le paradigme inte-ractionniste de type wébérien, M doit être interprété comme la consé-quence de la logique des actions individuelles (mi) d'acteurs sociaux qui se trouvent dans une situation donnée. En d'autres termes, M doit être compris et analysé comme une fonction M (mi) d'un ensemble d'actions individuelles M d'acteurs sociaux ayant des préférences et des stratégies dans une situation de structures S dans lesquelles ils se trouvent. S doit être défini par des facteurs structurels et individuels.

Nous avons appliqué ce modèle d'analyse dans des enquêtes pour des projets de développement communautaire en Afrique. Nous en présentons deux, un qui a réussi et un autre qui a été un échec (Assog-ba, 1993 et 1988).

6.2.1 Projet ayant connu du succès : construction d’un barrage à Bé au Mali

Historique du projet Bé est un petit village éloigné d'une trentaine de kilomètres de la

route nationale qui relie le centre du Mali à la capitale Bamako. Bé est situé dans le cercle de Bla, région de Ségou. Le barrage de Bé est éri-gé sur une petite rivière appelée Koni, un affluent de la Bani qui, elle-même, se jette dans le Niger. La région de Koni est essentiellement agricole. Dans les années 1980, des paysans de la région ont lancé un projet de construction du barrage de Bé sous la responsabilité du di-recteur du Centre familial d'animation rurale (CFAR) de Koni, qui était un missionnaire des frères du Sacré-Cœur très expérimenté dans ce secteur. La même année, Oxfam-Québec et l'Organisation catholi-que canadienne pour le développement et la paix (OCCDP) - commu-

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nément appelée Développement et Paix - accordent une aide financiè-re pour le projet.

Objectifs du projet La finalité du projet est d'accroître le mieux-être économique des

populations locales. Les moyens d'action pour la construction du [79] barrage sont les suivants : l'embauche d'une main-d'œuvre spécialisée et non spécialisée, la participation bénévole de la population et les frais de transport de matériaux (fer, ciment, batardeaux, sable, cail-loux, latérite, etc.). En ce qui a trait aux objectifs particuliers, ils sont les suivants : augmenter la production agricole (riz et cultures maraî-chères), abreuver le bétail et étendre la saison de pêche et, finalement, laver le dah (une fibre textile très rentable) et procéder à son rouissa-ge.

Évaluation du projet Le projet répond adéquatement aux besoins environnementaux,

techniques et socioéconomiques des paysans de cette région du Sahel qui vivent de la pêche, de l'agriculture et de l'élevage. En effet, le bar-rage permet d'éviter la redescente rapide de la crue provoquée par la saison des pluies, de stocker l'eau et d'irriguer le plus longtemps pos-sible les plaines environnantes, d'abreuver le bétail, de prolonger la durée de la pêche et de favoriser la culture maraîchère (légumes, fruits), la culture du riz et du dah.

Le projet répond aux principes d'une technologie appropriée au pays en développement comme l'utilisation de matériaux locaux, un fort coefficient de main-d'œuvre locale, un faible coefficient de capital financier, un fonctionnement et un entretien faciles pour les bénéfi-ciaires. Le projet permet l'amélioration de l'économie agricole de la région sans provoquer un changement radical des valeurs et de la culture des paysans. Cependant, l'utilité pratique du barrage dépend essentiellement de la pluviométrie.

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La participation de la population a été effective. En effet, la com-munauté de Koni a pris part activement à toutes les phases du projet, depuis l'expression du besoin d'irrigation rationnelle des plaines jus-qu’aux travaux de construction, en passant par la planification des ac-tivités. Les paysans (les hommes surtout) ont participe au projet à temps partiel ou à temps plein, mais, dans la plupart des cas, de façon bénévole. Seule une petite main-d'œuvre spécialisée a été rémunérée. Une quinzaine de villages de la région de Koni ont [80] participé à la construction du barrage. Les femmes ont pris part surtout à la culture du riz et du mil.

Le volet préparation et entretien a été très bien planifié. Les paysans ont une connaissance empirique et ancestrale des crues. Ils ont déjà vu le fonctionnement d'autres petits barrages construits par l'ONG locale dans d'autres villages. La main-d'œuvre non spécialisée a été initiée et préparée sur le tas (construction de puits, de digues, division du travail, etc.). Les bénéficiaires sont capables de faire fonc-tionner le barrage, car les batardeaux sont simplement posés et enle-vés manuellement. Le projet nécessite d'ailleurs peu d'entretien et, dans un cas extrême de nécessité, l’ONG locale, le CFAR, dispose d'un personnel qualifié pour répondre aux besoins.

Les objectifs du projet ont été atteints en grande partie. Ainsi, le barrage a eu les effets positifs suivants : il a servi à alimenter la nappe phréatique, il a permis l'abreuvement de 15 000 bœufs, il a amélioré la production de la pêche, il a permis la culture maraîchère (tomates, oi-gnons, choux) et la culture de fruits et a donc amélioré l'alimentation des populations de façon significative. Il a également permis l'aména-gement de 5 000 ha de rizières et le rouissage de milliers de tonnes de dah. Les revenus des paysans ont ainsi augmenté durant les saisons suffisamment pluvieuses. En dernière analyse, le projet a eu un effet positif sur la production agricole et le revenu des femmes, qui jouent un rôle économique essentiel dans le secteur de l'agriculture.

Par ailleurs, le barrage a servi comme moyen de transport (pont) aux populations de cette région où les déplacements ne sont pas tou-jours aisés. Il a servi de voie de communication sur les plans écono-mique et culturel, dans le sens où il a favorisé le transport des produits agricoles et des personnes, puis des mariages intertechniques. Il a créé une solidarité entre les villageois et a éveillé leur conscience politique.

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Par exemple, les populations ont exigé le renvoi d'un gouverneur de région qui s’opposait à la construction du barrage.

Le projet nécessite de faibles coûts renouvelables et les paysans as-sument collectivement l'entretien du barrage. C'est donc dire que le [81] projet est pratiquement autosuffisant. Le barrage de Bé est solide et est, potentiellement, de nature durable. Les populations continue-ront à tirer profit de ses effets tant et aussi longtemps que la pluviomé-trie sera bonne et régulière dans le Sahel en général, et le Mali en par-ticulier.

6.2.2 Projet ayant connu un échec : forages de puits à Minta

Historique du projet Minta est une petite localité enclavée située dans la région de la

Haute-Sanage au Cameroun. Un ancien coopérant canadien du Came-roun sensibilise la population de la paroisse Saint-Bruno aux problè-mes du sous-développement de la région de Minta et aux efforts d'au-todéveloppement que la mission catholique de Minta y déploie. La paroisse lance donc « l'opération Minta » et décide de s'engager dans ce projet d'autodéveloppement et choisit l'OCCDP comme ONG ca-nadienne répondante. Parmi les « micro-réalisations » de ce projet de développement communautaire, se trouve le creusage de puits. Dans cette localité camerounaise, des experts et des responsables d'ONG ont circonscrit un besoin de la population : le manque d'eau potable. Les femmes des villages doivent parcourir des kilomètres à pied pour aller chercher l'eau au marigot. Elles perdent une demi-journée, par-fois une journée entière. L’ONG locale, une « mission catholique », creuse une dizaine de puits dans les villages.

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Objectifs du projet Les objectifs du projet sont les suivants : 1) approvisionner la po-

pulation en eau potable ; 2) améliorer la santé des gens ; 3) faciliter l'accès à l'eau aux femmes et leur permettre d'économiser du temps et de l'énergie pour faire d'autres activités, comme labourer, faire du commerce, assurer l'éducation de la population et 4) favoriser l'auto-développement de la communauté.

[82] Évaluation du projet Le projet répond à un besoin réel. En effet, assurer l'accès à l'eau

potable à une population rurale, quoi de plus fondé ! Faire économiser du temps aux villageoises qui « palabrent » toute la journée sur le sen-tier du marigot, quoi de plus rentable ! La population a pris part au creusage des puits : les hommes ont pioché, dynamité et cassé des pierres ; les femmes ont transporté la terre. Le matériel a été fourni par l’ONG et l'infrastructure nécessaire a été installée : bord des puits ci-mentés, poulies, cordes, seaux, etc. Le volet préparation et formation de la population à l'entretien des puits n'a pas été sérieusement plani-fié, ni systématiquement été entrepris.

Lorsque la construction des puits a été terminée, on a procédé à l'inauguration officielle. Ça été la fête au village. Cependant, coup de théâtre après la fête ! Les femmes, principales responsables de l'ap-provisionnement de l'eau domestique, ont utilisé les puits mais, peu après, elles les ont abandonnés et ont recommencé à aller chercher l'eau au marigot. C'est l'échec du « micro-projet »forage de puits à Minta. Quelle logique ? Avoir un puits à deux pas de la case et déci-der de parcourir des kilomètres pour aller chercher l'eau ! Vouloir perdre du temps, alors qu'on peut en économiser pour faire d'autres activités et avoir plus d'argent. Quelle logique peut expliquer cela ? L’aliénation culturelle, la résistance au changement, le poids des tradi-tions ? Voilà, entre autres, les explications que des responsables de

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l'ONG locale ont avancées. Mais nos entrevues avec des femmes nous ont permis de découvrir ceci. Les femmes de Minta ne voulaient plus utiliser les puits pour les raisons suivantes : l'accès direct à l'eau leur permet d'économiser du temps, cependant il ne leur permet pas de fai-re d'autres choses que de demeurer à la maison pour continuer les cor-vées habituelles (cuisine, soins des enfants, jardinage, etc.) ; l'accès direct à l'eau ne leur permet donc pas de sortir de la maison, de mar-cher en compagnie de leurs amies et de palabrer, d'échanger, etc. L’accès direct à l'eau les coupe plutôt de certaines relations sociales, de certains loisirs, etc.

[83] Nous pouvons faire une analyse interactionniste des résultats de ce

projet. Nous supposons que les acteurs sociaux, en l'occurrence les femmes de Minta, sont des êtres rationnels. Elles sont des homo socio-logicus et homo economicus. Leur rationalité s'inscrit dans un contexte social donné. Cette rationalité permet à l'acteur social d'élaborer des stratégies en fonction des coûts-risques-bénéfices rattachés à une ac-tion ou à un projet social. La rationalité permet ainsi à l'acteur social de s'adapter à un contexte social donné. Lorsque les coûts d'ordre so-cial ou économique sont trop élevés et que les bénéfices anticipes sont moindres, l'acteur ne prend pas le risque d'entreprendre l'action en question. Dans le cas des femmes de Minta, le coût social du puits (éclatement du réseau social) est trop élevé et le bénéfice anticipé (ac-cès direct à l'eau alors que le marigot donne la même eau) est petit. De là, elles ont décidé de retourner au marigot. Le bénéfice social, cultu-rel et psychologique est élevé (maintien du réseau social, échange, loisir par la marche).

Une étude préalable auprès des femmes aurait pu permettre de connaître la rationalité, la logique sociale de la recherche d'eau au ma-rigot. L’élaboration du projet avec leur participation aurait conduit les « développeurs » à construire les puits ailleurs, ou à montrer des tech-niques de purification de l'eau du marigot. Mais tel n’a pas été le cas. Et il en est de même pour beaucoup de projets « micro » ou « macro ». Afin de minimiser les risques d'échec des projets de déve-loppement communautaire, il serait indique d'appliquer la méthode

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d'analyse interactionniste de type wébérien non seulement a posterio-ri, mais aussi et surtout a priori des projets.

6.2.3 Profils-types des projets de développement communautaire

Les deux projets présentés ci-dessus ont des valeurs paradigmati-

ques dans la mesure où ils schématisent des projets de développement communautaire exemplaires. Que ce soit le projet « de construction d'un barrage » à Bé au Mali (succès) ou le projet « de forage de puits » à Minta dans la région de la Haute-Sanage au Cameroun (échec), une [84] régularité se dégage de l'analyse de ces projets en matière de fac-teurs de réussite et de contraintes ou d'échecs.

Il nous est donc possible de présenter des ensembles de facteurs de réussite et de blocage ou d'échec auxquels nous accordons une valeur paradigmatique. Le terme paradigme, tel qu’il est employé ici, renvoie au sens grammairien de conjugaison. Lorsqu'on sait conjuguer le ver-be aimer par exemple, on sait conjuguer tous les verbes français du même type. L’idée, écrivent Mendras et Forse, est de transposer « cet-te régularité, non plus à des cas ou des personnes, mais à des étapes successives d'une situation : les situations analogues soumises aux mêmes forces doivent se transformer selon la même séquence d'éta-pes, et si elles divergent de cette séquence, la construction d'autres paradigmes de la même famille s'impose » (Mendras et Forsé, 1983 : 8).

Profil-type des projet à fortes chances de succès Les projets qui présentent, toutes choses étant égales par ailleurs,

les caractéristiques suivantes sont sensiblement mieux réussis : l’ONG locale responsable est bien structurée et bien organisée ; l’ONG locale est stable, a une connaissance anthropologique et sociologique du mi-lieu et dispose d'une longue expérience en développement ; l’ONG locale dispose d'un personnel permanent et qualifié ; le projet est de petite ou de moyenne envergure, il répond aux besoins réels de la po-

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pulation, se réalise selon les principes de la technologie approprié (uti-lisation des ressources du milieu, fort coefficient de main-d'œuvre, entretien et réparation faciles, faible coefficient de capital financier). La population concernée participe réellement aux principales phases du projet (identification des besoins, planification, exécution, contrô-le, évaluation) ; le volet préparation et formation est bien planifié et exécuté ; le processus d'autosuffisance et d'autodéveloppement s'inspi-re des pratiques traditionnelles du milieu (tontine, travail collectif par rotation, quote-part d'amortissement en nature, etc.).

[85] Profil-type des projets à faibles chances de succès Les projets qui connaissent des limites et de sérieuses difficultés,

toutes choses étant égales par ailleurs, ont les caractéristiques suivan-tes : l'ONG locale responsable est peu structurée et organisée ; l'ONG locale est instable, a une faible connaissance anthropologique du mi-lieu et en est à sa première expérience dans le secteur touché par le projet ; l'ONG locale ne dispose pas d'un personnel permanent et qua-lifie. Ou bien, s'il en dispose, ce personnel est instable, irrégulier ou encore la responsabilité du projet revient à un seul individu ; le projet a un caractère global et veut répondre à plusieurs besoins à la fois et en même temps. La population participe essentiellement à la phase exécution du projet ; le volet préparation et formation n’est pas sérieu-sement planifié et exécuté ; l'ONG locale sous-estime ou mésestime l'influence des facteurs culturels dans un projet de développement. Tels sont les deux grands profils-types que nous avons pu dégager de l'analyse des projets de développement communautaire en Afrique de l'Ouest que nous avons étudies au cours des vingt dernières années. Une recension des écrits sur le même sujet montre que les profils-types que nous avons dégagés ont une valeur paradigmatique (Ela, 1998 ; Guéneau, 1986 ; Schneider, 1985).

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6.3 CAPACITÉ HEURISTIQUE DU PARADIGME INTERACTIONNISTE,

EN MATIÈRE DE DÉVELOPPEMENT

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La question fondamentale que les grands sociologues du change-ment social ont toujours posée est celle-ci : « Comment les acteurs sociaux d'un système social donne décident-ils d'adopter une innova-tion » ? Par exemple, « comment les agriculteurs d'une région déci-dent-ils d'acheter un tracteur, de planter une nouvelle semence, d'utili-ser un nouveau pesticide » ? Les études empiriques montrent que le processus d'adoption de l'innovation prend toujours une allure caracté-ristique témoignant que celle-ci provient, en dernière analyse, des dé-cisions des membres qui composent un système social donné. En d'au-tres termes, l'adoption d'une innovation résulte le plus souvent de l'agrégation des décisions individuelles des agents sociaux d'un [86] système social. L’idée développée dans ce chapitre a d'abord admis que la question que l'on se pose aujourd'hui à propos des projets de développement communautaire en Afrique demeure la même. Ensuite, nous avons présumé que le paradigme interactionniste de type wébé-rien est celui qui rend le mieux compte de l'effet d'agrégation exem-plaire caractéristique de l'adoption de l'innovation, c'est-à-dire du pro-cessus du changement social ou du développement dans une commu-nauté. Le propre de ce paradigme, c'est de concevoir l'homme inten-tionnel - homo sociologicus, homo ideologicus, homo economicus - et de postuler sa rationalité relative.

Nous basant sur des données empiriques de premières sources et de sources secondaires, puis utilisant une méthode particulière d'analyse interactionniste, nous avons enfin montré que les projets de dévelop-pement communautaire qui connaissent du succès sont, en général, ceux qui correspondent à la logique sociale ou à la rationalité des bé-néficiaires et auxquels ces derniers ont réellement participé. Nous en concluons que c'est le paradigme interactionniste de type wébérien qui est sous-jacent à ces projets. Toutes choses étant égales par ailleurs, les projets de développement communautaire qui échouent ne s'inscri-vent pas dans la logique sociale des bénéficiaires et ceux-ci n’y parti-

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cipent pas pleinement. Nous en concluons que le paradigme qui leur est sous-jacent n’est pas interactionniste de type wébérien. Il s'agirait sans doute d'un paradigme qui n'admettrait pas les principes de la ra-tionalité de l'acteur et de l'individualisme méthodologique.

À partir du moment où il est reconnu et admis « qu'il n’est de dé-veloppement que de l'homme et par l'homme », puis dans la mesure où des données empiriques de plus en plus nombreuses corroborent cette hypothèse, il est indiqué de déterminer le paradigme qui inspire une telle idée et fonde de telles pratiques. Nous venons de montrer que le paradigme à grande capacité heuristique des phénomènes de développement communautaire est le paradigme interactionniste de type wébérien.

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[87]

Développement communautaire en Afrique. Comprendre la dynamique des populations.

ÉPILOGUE

Innovation sociale et développement des communautés 9

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Pourquoi observe-t-on l'innovation sociale dans les communautés ? Cette question met en jeu la fonction cognitive de la sociologie qui consiste à dépasser la description des phénomènes sociaux pour les expliquer et les faire comprendre. L’objectif de ce texte est de montrer qu’une relecture de ces notions chez les sociologues classiques, Ferdi-nand Tönnies, Émile Durkheim, Max Weber et Georg Simmel, permet de rendre intelligible cette interrogation. Dans un premier temps, nous présentons le concept de communauté à la fois comme réalité empiri-que et cadre d'analyse du processus de transformations sociales. Cette élaboration montre comment la nécessité d'innover socialement pour le développement social s'impose aux acteurs sociaux dans un contex-te sociétal en changement. En deuxième lieu, nous présentons une analyse du processus sociétal qui conduit à l'innovation sociale.

9 Version raccourcie et adaptée d'un texte plus long : Yao Assogba, Innovation

sociale et communauté. Une relecture à partir des sociologues classiques, Cahiers de l'Alliance de recherche université-communauté/innovation sociale et développement des communautés (ARUC-ISDC). Université du Québec en Outaouais. Série Recherches, Numéro 5, 2007, 16 p.

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[88]

7.1 LE CONCEPT SOCIOLOGIQUE DE COMMUNAUTÉ : RÉALITÉ EMPIRIQUE

ET CADRE D’ANALYSE

7.1.1 Définition du concept

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La notion de communauté est fondamentale en sociologie, et repré-sente ainsi un des thèmes constitutifs de cette discipline. Au-delà des nuances que l'on note dans les différentes et nombreuses définitions dont elle a fait l'objet, il y a une convergence dans son usage comme cadre de référence pour l'analyse du processus de transformation des sociétés préindustrielles et l'émergence progressive de la société in-dustrielle au siècle en Europe. En effet, la problématique principale que les grands classiques de la sociologie ont tous examinée et qui constitue une des toiles de fond de leur œuvre, en l'occurrence Ferdi-nand Tönnies, Émile Durkheim, Max Weber et Simmel, c'est le pas-sage d'un type de société à l'autre en tant que réalité empirique (orga-nisation sociale). La notion de communauté a constitué également l'élément d'une typologie communitas et societas pour analyser le pro-cessus d'intégration sociale et les mécanismes de la cohésion sociale dans la société.

Comment s'opère le passage d'un ordre social caractérisé par les liens de nature communautaire et traditionnelle à un ordre social mar-qué par le laïcisme, l'individualisme et la rationalisation ? Est-ce qu'il y a une rupture ou une continuité des deux ordres sociaux ? Les liens communautaires peuvent-ils disparaître totalement dans un ordre so-cial laïc et individualiste ? Un ordre social peut-il exister sans un équi-libre entre l'initial et le nouveau qui émerge sous les effets de l'indus-trialisation ou de la modernité ? Voilà les questions fondamentales que les pères fondateurs de la sociologie ont posées et essayé d'éluci-der en observant les changements qui s'opéraient au XIXe siècle dans l'ordre social ancien (société traditionnelle) pour donner un nouvel ordre social (société moderne).

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L’idéal type classique qui sert habituellement de cadre de référence pour analyser les deux types d'organisation sociale est celui proposé par Ferdinand Tönnies dans son livre Gemeinschaft und [89] Gesell-schaft 10

Pour Tönnies, la Gemeinschaft, la communauté assume des fonc-tions sociales d'ordre émotionnel basées sur les sentiments affectifs. Chaque individu y est considéré par l'autre comme une fin en soi, et non comme un moyen pour parvenir à une fin. C'est une organisation sociale dans laquelle les relations entre les individus sont basées sur la proximité affective, géographique, culturelle ou sociale. Exemples : la communauté familiale, les communautés de voisinages, quartier ou village (Giner, 1970). Les membres d'une communauté se connaissent personnellement et participent minimalement, sous une forme directe ou indirecte, aux affaires communes.

. Tannies distingue deux grands types d'organisation sociale : la communauté et la société. L’une ou l'autre représente le lieu où se constituent des types particuliers de relations sociales ou de sociabili-té. C'est la nature de la sociabilité qui confère la désignation de com-munauté ou de société au groupement humain. La sociabilité peut être à dominance affective, émotionnelle ou bien à dominance utilitaire, instrumentale. Dans le premier cas, on parlera de communauté et de société dans le second cas.

À l'idéal type de la communauté, Tönnies oppose l'idéal type de la Gesellschaft (de la société). Celle-ci est fondée avant tout sur des inté-rêts utilitaires. Les individus y sont ainsi considérés comme des ins-truments ou des moyens pour parvenir à des fins. La société est fon-dée sur le caractère individuel des intérêts. Ses membres se connais-sent de façon impersonnelle et le lien qui existe entre eux est contrac-tuel. Donnons en exemples les institutions publiques ou privées dans les sociétés industrielles (administration, bureaucratie, entreprises, etc.).

Les deux types d'organisation ne sont pas exclusifs, mais coexis-tent dans la réalité sociale qui est plus complexe. Le critère qui sert à faire la distinction des deux types est le degré d'importance de la natu-re de la sociabilité dans un type d'organisation sociale donné. Bref la Gesellschaft, la société est un ensemble de relations humaines, [90] de 10 Ferdinand Tönnies, Communauté et société : catégories fondamentales de la

sociologie pure, Paris, Retz, CEPL, 1977.

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nature essentiellement individuelle qui résultent plus de la volonté ou simplement de l'intérêt que de l'ensemble complexe d'états d'affectifs, d'habitudes et de traditions qu'implique la Gemeinschaft, la commu-nauté.

7.1.2 Approche typologique

Dans l'analyse qu'il fait des transformations sociales qui s'opèrent

dans l'Europe du XIXe

La société traditionnelle repose sur une intégration de type com-munalisation, c'est-à-dire basée sur la tradition et le sentiment d'avoir en commun des valeurs. Par contre, l'intégration des acteurs sociaux dans la société moderne se fait par sociation, en ce sens que cette or-ganisation sociale (la modernité) est dominée par le compris ou la coordination d'intérêts. Il importe de rappeler encore qu'il s'agit de types idéaux. Dans la réalité, les relations sociales que supposent dif-férentes formes d'activités sociales ont en partie un caractère de com-munalisation et en partie un caractère d'une sociation

siècle, Weber a été certes influencé par la typo-logie de Tönnies. Pour Weber, le processus d'intégration sociale revêt deux formes principales : la Vergemeienschaftung, la « communalisa-tion » et la Vergesellschaftung, la « sociation ». La première forme correspond à la relation sociale inspirée d'une action ou d'une activité sociale fondée sur le sentiment subjectif d'ordre traditionnel ou affec-tif des acteurs sociaux appartenant à une même communauté. Les pro-totypes de la « communalisation » sont la famille, une communauté religieuse, une communauté de quartier ou une communauté locale, etc. La seconde forme d'intégration, soit la « sociation », est toute re-lation sociale inspirée par une activité sociale fondée sur un compro-mis d'intérêts « motivés rationnellement en valeur ou en finalité, ou sur une coordination d'intérêts, motivée de la même manière » (Voyé, 1998 : 141, citant Max Weber, dans Économie et société, Paris, Plon, 1971 : 41). Exemples : l'administration, la bureaucratie, le libre mar-ché.

On peut rapprocher les notions de communauté et de société de Tönnies d'une part, et de celles de communalisation et de sociation de Weber d'autre part, à l'opposition que Durkheim (1960) établit, [91]

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dans son ouvrage De la division du travail social, entre la solidarité mécanique caractérisant le lien social dans la société traditionnelle préindustrielle, et la solidarité organique caractérisant le lien social dans la société moderne ou industrielle. Le premier type de solidarité est fondé sur une grande conscience collective qui représente l'ensem-ble des croyances et des sentiments moraux communs aux membres du groupe. Le second type de solidarité (organique) est fondé sur la primauté de la division du travail. Le progrès technique et l'émancipa-tion générale des individus permettent que « l'ordre social repose non plus sur une uniformité mécanique et sur la répressive collective, mais sur l'articulation organique d'individus libres dont les fonctions sont a la fois différentes et complémentaires. « La solidarité organique per-mettra à l'homme de s'affranchir des contraintes traditionnelles impo-sées par la parenté, par l'appartenance à une classe ainsi qu'à un lieu, et d'une façon plus générale, par la conscience sociale » (Nisbet, 1984 : 112).

Parlant de la tradition sociologique, Nisbet note à bon escient que cette « typologie se retrouve également chez Simmell 11

, chez qui le terme de « métropole » permet de faire référence à tous les aspects de la modernisation. Elle constitue également la base essentielle de la distinction établie par toute la sociologie américaine, à la suite de Charles H. Cooley, entre types d'association « primaire » et « se-condaire » (ibidem 1984 : 105).

7.1.3 Nécessité de l'innovation sociale pour le développement social

L'utilisation typologique de la notion de communauté a ainsi per-

mis aux sociologues classiques d'analyser le vaste processus histori-que qui conduit des sociétés traditionnelles essentiellement commu-nautaires (clans, familles étendues, parentés, communautés rurales) à des sociétés modernes ou des organisations de types sociétaires (bu-reaucratie, administration, finances, entreprises, partis [92] politiques, syndicats) sont prédominantes. Ils constatent par ailleurs que les communautés qui n'ont pas disparu dans le processus se sont réadap- 11 Georg Simmel, La philosophie de 1’argent, Paris, PUF, 1987.

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tées au nouveau contexte, le plus souvent non sans tensions ou conflits avec la société moderne. Le même processus est en cours dans les so-ciétés industrielles et postmodernes. Cette réadaptation des groupes primaires aux conditions sociétales de la modernité est une indication de l'importance qu'ils ont dans la vie normale de l'individu, ce que les pères fondateurs de la sociologie affirment dans leur œuvre.

Weber perçoit que, même si la distinction conceptuelle et typolo-gique qu'il fait entre la communalisation et la sociation est fondée, « la stabilité institutionnelle du second type de société dépend de ce qu'il soit profondément enracine dans le premier et de ce qu’il ait, entre les deux, une parfaite continuité » (Nisbet : 113). Concernant Durkheim, Nisbet prend bien soin de souligner que la thèse évolutionniste de l'humanité qu'il défend dans les premiers chapitres de son ouvrage De la division du travail social, sera clairement révisée, par la suite, dans son œuvre. En effet, l'auteur de Les formes élémentaires de la vie reli-gieuse soutient que c'est dans le communitas et non dans la societas que résident les véritables racines de la société (humaine). « La socié-té ne peut faire sentir son influence que si elle est un acte, et elle n'est un acte que si les individus qui la composent sont assemblés et agis-sent en commun. C'est par l'action commune qu'elle prend conscience de soi et se pose ; elle est avant tout une coopération active » (Nisbet, 1984 : 111, citant Émile Durkheim dans Les formes élémentaires de la vie religieuse, Paris, PUF, 1968, 5e

Durkheim ne conçoit donc pas qu'une société puisse exister sur une base strictement utilitariste et rationaliste. Sa pensée « fut au contraire profondément influencée par la résurgence, au XIX

édition, p. 598).

e siècle, des va-leurs associées à la notion de communauté, à une communauté repo-sant sur des liens affectifs a la fois étroits, profonds et durables » (ibi-dem : 111). Durkheim postule clairement la nature communautaire de la société. Pour l'auteur du Le suicide. Étude sociologique, la société normale est un système complexe d'éléments sociaux et psychologi-ques comme la conscience collective, l'autorité morale, la [93] com-munauté et le sacré. Dans cette perspective, la seule réponse appro-priée aux conditions de vie des sociétés modernes réside également dans le renforcement de ces éléments. « C'est ainsi, et ainsi seulement que l'on pourra réduire le nombre de suicides, l'intensité des luttes

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économiques et l'insatisfaction corrosive résultant d'une existence anomique » (ibidem : 114) 12

.

C'est donc à partir des interrogations sur les rapports « économie-société » que les pères fondateurs de la sociologie ont abordé la pro-blématique de l'intégration sociale et de la cohésion sociale dans la communitas et dans la societas. Ils ont toujours craint la disparition des liens et des institutions ou structures communautaires sous le dé-veloppement a outrance de la sphère économique au détriment de la sphère sociale. Une relecture de Weber (1964 et 1981) par Roustang a permis à celui-ci de souligner que le sociologue allemand « est inquiet de voir le capitalisme vainqueur n’ayant plus besoin du soutien l'ascé-tisme religieux repose maintenant sur "une base mécanique" » (Rous-tang, 1995 : 50). Pour étayer son argumentation Roustang cite :

P. Raynaud écrit dans sa préface de l’Histoire économique, p. X : (…) il est clair que la vision wébérienne du capitalisme doit beaucoup aux ques-tions qui tourmentent l'homme - et le citoyen - Weber. L’économie n'était à ses yeux qu'une dimension particulière de l'activité humaine, qui devait être subordonnée à la politique (...) et dont la logique immanente menaçait de détruire les possibilités d'une existence authentique (...) (Roustang, 1995 : 50).

Durkheim pense que c'est dans les secteurs du commerce et de l'in-

dustrie que la vie sociale est en anomie à l'état chronique. Dans la pré-face de la seconde édition de De la division du travail social, Durk-heim écrit « Nous insistons à plusieurs reprises, au cours de ce livre, sur l'état anomique juridique et moral où se trouve actuellement la vie économique » (Durkheim, 1967 : iii). Dans Philosophie de l’argent, Simmel de son côté parle du risque de voir les échanges [94] monétai-res devenir « l'unique lien qui subsiste entre les éléments dont il a dé-truit les autres relations mutuelles » (Simmel, 1987 : 432, cité par Roustang, 1995 : 51).

Poursuivant leurs interrogations sur les rapports « économie-société », mettant en garde contre le risque de la rupture du lien social

12 Émile Durkheim, Le suicide. Étude sociologique, Paris, PUF, 1981, 7e tirage

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dans les sociétés modernes et suivant leur intuition sociologique, l'un ou l'autre de ces classiques a émis le souhait qu'une instance ou un mécanisme puisse favoriser l'ancrage de la societas dans la communi-tas, de telle manière d'avoir un « équilibre institutionnel » entre les deux. C'est ainsi que Weber « s'interrogeait pour savoir si apparaîtrait ultérieurement une puissante reconnaissance des penseurs et des idéaux anciens, ou encore - au cas où rien de cela n’arriverait - une pétrification mécanique, agrémentée d'une sorte de vanité convulsi-ve » (cité par Roustang : 51). En tout cas pour les « derniers hom-mes » de ce développement de la civilisation, ces mots pourraient se changer en vérité. « Spécialistes sans vision et voluptueux sans cœur - ce néant s'imagine avoir gravi un degré de l'humanité jamais atteint jusque-là » (Roustang, 1995 : 50, citant Max Weber, dans Histoire économique. Esquisse dune histoire universelle de l'économie et de la société, Paris, Gallimard, 1981, p. X ).

De son côté, Durkheim se demande « quelles sortes de groupe-ments professionnels, qui s'intercaleraient entre l'État et les particu-liers, pourraient amener l'individu à subordonner son intérêt particu-lier à l'intérêt général, faute de quoi il n'y a pas de société » (Rous-tang, 1995 : 51). Pour étayer son analyse, Roustang (ibidem) cite Durkheim « Une société composée d'une poussière infinie d'individus inorganisés, qu'un État hypertrophié s'efforce d'enserrer et de retenir, constitue une véritable monstruosité sociologique » (ibidem). Quant à Simmel, il nous dit que l'individu qui est trop soumis aux seuls échan-ges monétaires risque d'y perdre son âme et de ce qu'elle a de spécifi-que et de chaleureux.

Les théories et l'intuition sociologiques des grands classiques ont résisté à l'usure du temps et sont d'une actualité frappante. Si la mo-dernité bouleverse assez radicalement la société traditionnelle, elle se voit à son tour sinon fondamentalement transformée du moins [95] relativement secouée par diverses évolutions du contexte sociétal des années 1970 et 1980 (choc pétrolier, nouvelles technologies d'infor-mations et de communications, crise économique, crise de l'État Pro-vidence, etc.) qui vont faire entrer le monde contemporain dans ce qu'il est convenu d'appeler la post-modernité. Tout comme au XIXe siècle, la modernité en introduisant de nouvelles formes de lien social dans la société traditionnelle a créé un hiatus dans les représentations

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collectives ou les valeurs communes, la post-modernité a également engendré un vide similaire.

Selon la sociologie classique, pour maintenir ou créer la cohésion sociale, toute nouvelle forme de lien social doit être relayée par un système approprie des représentations collectives, car dans les socié-tés postmodernes les représentations collectives sont devenues floues ou caduques. Par exemple, l'individualisme comme système de va-leurs ne permettrait ni la forme sociétaire du lien social ni la formation de groupements intermédiaires entre l'individu et la société (Assogba, 2000). Il fallait qu’émergent de nouvelles pratiques sociales ou des innovations sociales qui s'inspirent d'un nouveau système de valeurs.

7.2 POUR UNE EXPLICATION SOCIOLOGIQUE DE L’INNOVATION SOCIALE

7.2.1 Définition et caractéristiques

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Est innovation sociale toute initiative prise par des acteurs sociaux dans un contexte sociétal donné dans le but d'apporter des réponses inédites a un certain nombre de problèmes sociaux (exclusion sociale, pauvreté, décrochage scolaire, etc.). Sur le plan sociologique, les in-novations sociales présentent les grandes caractéristiques suivantes.

- Elles remettent en question les dichotomies traditionnelles

comme « marchand et non-marchand », « producteur et non producteur ou consommateur », « public et privé ».

[96] - Les innovations sociales cherchent à mettre en œuvre des

moyens appropries au contexte sociétal. - Elles visent la cohésion sociale et la solidarité, elles reposent

sur la démocratie participative, elles évitent la bureaucratisa-tion.

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- Les innovations sociales s'inspirent généralement des princi-pes fondamentaux de l'économie sociale et de l'économie so-lidaire (Lexique de sociologie, 2005).

7.2.2 Explication de l'innovation sociale comme phénomène social

Les travaux de Raymond Boudon sur l'évolution des valeurs, à par-

tir d'une relecture qu'il fait des grands sociologues classiques, permet-tent d'expliquer l'innovation sociale comme phénomène social (Bou-don, 2002, 2000, 2006). À Durkheim (1967) Boudon emprunte la no-tion de l'individualisme, à Weber (1971) l'idée du processus de ratio-nalisation des valeurs et à Simmel (1984) les idées de 1’irréversibilité dans l'histoire et du poids des contingences.

Dans l'acception durkheimienne, la notion d'individualisme renvoie à la faculté ontologique de l'être humain d'avoir conscience de son individualité dans la société. Selon Durkheim, l'individualisme est un « phénomène qui ne commence nulle part, mais qui se développe, sans s'arrêter tout le long de l'histoire » (Durkheim, 1967 : 146).

Cette assertion veut signifier qu’aussi loin qu’on puisse remonter dans l'histoire de toutes les sociétés, l'individu a toujours en tant que tel représenté le point de référence privilégié, à l'aune duquel il est possible de juger de la pertinence des normes et de la légitimité des institutions sociales au sens le plus large du terme. Certes le respect de la dignité de l'individu n'a pas toujours prévalu dans la réalité sociale, mais par contre l'individu lui-même a toujours eu le « sens de la dé-fense de sa dignité et de ses intérêts, que ce sentiment constitue la toi-le de fond sur laquelle se déroule l'histoire des institutions et sans dou-te l'histoire tout court » (Boudon, 2002 : 79). C'est donc un principe [97] sociologique fondamental que l'idée de la dignité de l'individu inspire toujours une innovation sociale.

Dans Les problèmes de la philosophie de l'histoire, Simmel (1984) montre qu’il y a à l'œuvre dans l'histoire une tendance lourde à une demande constante pour le respect de l'égale dignité de chaque per-sonne par les acteurs sociaux. Par ailleurs, le sociologue allemand re-connaît que les contingences de l'histoire peuvent avoir une influence

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sur cette lourde tendance. Cependant, un principe demeure au sein de toutes les sociétés, y compris les plus archaïques, soit que les institu-tions sociétales ne peuvent pas ne pas être inspirées par l'objectif d'instaurer une organisation sociale perçue et donnant le sentiment à l'individu que celle-ci respectait sa dignité. C'est pourquoi, dans toute société, il existe des acteurs sociaux qui produisent des innovations sociales inspirées du sens de la dignité humaine. Ces acteurs cher-chent à le réaliser en choisissant les moyens plus appropries (pratiques sociales novatrices) que ceux qu’on utilisait jusque-là pour lutter contre les problèmes sociaux (l'exclusion sociale, la pauvreté, etc), et assurer le développement social des personnes et des communautés. C'est dans ce sens qu'il faut expliquer et comprendre l'évolution du développement des communautés en Afrique depuis l'époque colonia-le jusqu’à nos jours.

Les contingences historiques étant toujours à l’œuvre, les innova-tions sociales sont toujours soumises à un phénomène de « rationalisa-tion diffuse » (Weber, 1971). La rationalisation est le processus histo-rique par lequel sont sélectionnées les idées et les valeurs fondamenta-les qui inspirent les moyens appropriés que propose l'innovation so-ciale. C'est pourquoi celle-ci ne se réalise pas sans conflits ni sans lut-tes entre les porteurs de l'innovation sociale et les catégories d'acteurs qui résistent au changement. Mais une fois sélectionnées, largement diffusées et acceptées par une partie importante de la société, les idées et les valeurs qui se révèlent les plus respectueuses de la dignité de la personne prennent racine et s'installent de façon irréversible dans la conscience collective.

Mais selon les forces historiques, ces idées et valeurs peuvent connaître des avancées ou des reculs dans les institutions et pratiques [98] sociales. Ainsi, l'irréversibilité des idées n'implique pas nécessai-rement l'irréversibilité des institutions et pratiques sociales. « Une ins-titution, une idée peuvent en effet s'inscrire irréversiblement comme "bonnes" dans la conscience publique, tandis que leur installation est rendue difficile par le jeu des contingences et des intérêts » (Boudon, 2000 : 330). Par exemple, l'idée de lutter contre les maladies par l'ap-provisionnement en eau potable des populations rurales en Afrique peut être une très bonne idée, mais il pourrait arriver que de tels pro-jets ne soient pas dans les plans de développement social des États africains.

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En dernière analyse, on doit admettre que la notion de dignité de la personne humaine est l'idée forte qui guide discrètement ou de façon latente toute innovation sociale. Il appartient aux acteurs porteurs de l'innovation de mettre en évidence les valeurs humaines qu'ils veulent transformer en institutions sociales ou pratiques sociales puis de cher-cher a contrer les contingences historiques qui peuvent représenter un obstacle à leur programme.

7.2.3 Diffusion de l'innovation sociale

Des enquêtes sur le processus de diffusion des innovations techni-

ques, par exemple une nouvelle variété de produit agricole chez les agriculteurs, un nouveau produit pharmaceutique chez les médecins, a conduit à la conclusion générale empiriquement démontrée suivante : « une innovation se diffuse à travers certains canaux, selon un délai variable, aux membres d'un système social » (Mendras et Forse, 1983 : 74). Le processus prend en général une allure sigmoïde, c'est-à-dire en forme de S. L’adoption et l'appropriation de l'innovation se jouent en fonction du système social dans lequel sont situés les acteurs sociaux rationnels, et ceci par information et imitation successives. Celles-ci vont d'abord des acteurs sociaux qu'on appelle les pionniers parce qu’ils prennent des risques, s'aventurent seuls et adoptent l'in-novation sans soutien de leurs congénères. Viennent ensuite des ac-teurs sociaux qui adoptent le comportement nouveau des pionniers. Suivent après la majorité des gens plus réfléchis et septiques, puis en-fin les gens qui ont peine à changer. Les pionniers et les novateurs ont en général un [99] niveau d'instruction plus élevé que les autres, leur niveau social est plus élevé, ils participent plus aux associations, ont des aspirations sociales et professionnelles plus élevées et sont plus ouverts au changement.

L’innovation peut s'avérer réelle et donner lieu à une nouveauté plutôt circonscrite. C'est avec le temps et la reconnaissance sociale de ses retombées ou du savoir faire qui en émergé que cette nouveauté franchira l'étape de sa reproduction ou de son adaptation à d'autres contextes. L’ensemble des propositions sociologiques énoncées ci-dessus à propos de la diffusion de l'innovation technique s'applique également à la diffusion et l'adoption de l'innovation sociale.

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7.2.4 Pertinence méthodologique

L’ensemble de l'élaboration qui précède a des conséquences pour

la recherche sociale, dans la mesure où on peut en tirer un cadre mé-thodologique de cueillette et d'analyse des données.

Ce cadre méthodologique peut se présenter comme suit :

1. Le problème social 2. La demande sociale du respect de la dignité des individus (la

population) 3. Le processus de sélection des idées et valeurs fortes (irréver-

sibles) correspondantes à ce respect 4. Le caractère inédit des réponses aux problèmes sociaux 5. Le caractère approprié des pratiques sociales novatrices 6. Les mécanismes sociaux de maintien des idées et valeurs

fortes 7. Les pionniers, leurs caractéristiques et le temps de l'adoption

de l'innovation sociale 8. Les novateurs et leurs caractéristiques et le temps de l'adop-

tion de l'innovation sociale [100]

9. Les « retardataires », leurs caractéristiques et le temps de l'adoption de l'innovation sociale.

La fonction fondamentale de la sociologie est de rendre intelligible

les phénomènes qui paraissent énigmatiques ou évidents de prime abord. Ainsi on peut se demander pourquoi à un moment donné il de-vient nécessaire qu’une innovation sociale se produise dans une com-munauté ? La réponse sociologique à cette question ne paraît pas sim-ple au premier abord. Mais une relecture des grands sociologues clas-siques, notamment Tönnies, Durkheim, Weber et Simmel permet de

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dégager de leur œuvre respective des éléments théoriques capables d'expliquer et de faire comprendre le phénomène social qu’est l'inno-vation sociale dans les communautés. L’intérêt d'une telle analyse est qu'elle montre que l'innovation sociale et le développement des com-munautés ne constituent pas des faits de hasard. La relation dynami-que entre les deux éléments trouve son explication dans le nécessaire maintien de la cohésion sociale dans la société lorsque la dignité des personnes est en cause ; cohésion sociale que la sociologie cherche à comprendre et que le travail social ou l'intervention sociale cherche à construire ou à reconstruire. Dans cette perspective, la sociologie et le travail social constituent les deux faces de la même médaille et cher-chent à comprendre et activer l'innovation dans le développement des communautés.

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Développement communautaire en Afrique. Comprendre la dynamique des populations.

EN GUISE DE CONCLUSION

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Le développement est en fait un processus de changement social et politique au sein d'une société déterminée. C'est pourquoi il suscite des oppositions, des contre-processus, etc. Dans son assertion moder-ne, le développement vise l'amélioration des conditions d'existence de tous les membres de la société. Il vise notamment à améliorer le ni-veau d'éducation, la santé, le bien-être social et économique des indi-vidus et des groupes, à favoriser la participation de tous les citoyens à la vie du pays. L’histoire montre que l'État, ou une instance publique et centrale de régulation de la vie sociétale, joue normalement un rôle dans le développement de la société. Ce rôle peut être joué de manière à favoriser ou non le bien-être du plus grand nombre de personnes.

La problématique du développement soulève donc fondamentale-ment des questions d'économie politique dont, entre autres, les trois suivantes : 1) comment faire circuler les avancées techniques et les pratiques sociales innovantes à l'intérieur de la société et au sein des populations défavorisées ? ; 2) comment consolider ces progrès tech-niques et ces pratiques pour assurer une modernisation généralisée de la société ? ; 3) comment renouveler sans cesse ces pratiques de telle sorte qu’elles parviennent à résoudre les problèmes de sante, d'éduca-

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tion, etc. auxquels la société doit faire face ? Tels sont les enjeux du développement des communautés en Afrique de façon plus particuliè-re. L’issu de ces enjeux doit être expliqué comme l'agrégation des comportements compréhensibles et, en ce sens, rationnels, des popula-tions concernées qui sont insérées dans un environnement qui est le leur.

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Développement communautaire en Afrique. Comprendre la dynamique des populations.

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Fin du texte