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UNIVERSITÉ TOULOUSE II LE MIRAIL UFR lettres, philosophie et musique Département de lettres modernes Spécialité littérature comparée LA VANITÉ DU MONDE DANS LA POÉSIE FRANÇAISE ET ESPAGNOLE DE L’ÂGE BAROQUE Pablo Picasso, Nature morte aux oursins, Paris, Musée Pablo Picasso 1

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UNIVERSITÉ TOULOUSE II LE MIRAIL

UFR lettres, philosophie et musiqueDépartement de lettres modernes

Spécialité littérature comparée

LA VANITÉ DU MONDE DANS LA POÉSIE FRANÇAISE ET ESPAGNOLE DE L’ÂGE

BAROQUE

Pablo Picasso, Nature morte aux oursins, Paris, Musée Pablo Picasso

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Mémoire présenté par Mikaël OrusSous la direction de Christophe Imbert

Pour l’obtention du MI de littérature comparée

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Dieu s’adresse à l’Homme :

« Plus souvent que de raison, la vie et le monde t’accableront de chagrins. Le mal, qui est avec moi à l’origine de l’univers, trouve dans votre vie son terrain d’élection. Ton corps est une machine : elle se détraquera. Dans les délices ou les tourments, l’existence fera ce qu’elle pourra pour t’attacher à elle : tu seras contraint de la quitter. […] N’importe. La vie est sinistre. Et elle est belle. »

Jean d’Ormesson, La création du monde

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INTRODUCTION

Transcription du désarroi ressenti par l’homme de la fin du XVIe siècle face à un monde instable qu’il ne comprend plus, le baroque est consubstantiel au conflit spirituel qui gagne l’Europe, conflit d’autant plus violent en France qu’il mène à des guerres de religions particulièrement meurtrières. Le projet humaniste de la Renaissance qui prônait – avec le retour aux textes antiques païens – un retour aux textes de l’Évangile, épuré de toutes les présentations, les interprétations et les commentaires chrétiens réalisés depuis le Moyen Âge qui de l’avis de certains puristes l’obscurcissaient, a montré la nécessité de réformer l’Église catholique pour revenir à une sorte de pureté primitive du christianisme. Né de l’Humanisme, le mouvement de la Réforme qui souhaitait mettre fin aux dérives ecclésiastiques a provoqué la scission de l’Église en deux camps, catholique et protestant, amenés bientôt à s’affronter : huit guerres de religions vont ainsi tristement se succéder en France. Contrastant fortement avec l’optimisme des débuts de la Renaissance, cette période trouble est également celle des grandes découvertes de Copernic et de Galilée, lesquels, en déplaçant la Terre et l’Homme du centre de la création, bousculent les assises intellectuelles et religieuses de l’époque. La foi menacée, l’Église se doit de réagir .Avec le Concile de trente (1545-1563) naît la Contre-réforme, arme offensive visant à éduquer et rééduquer les chrétiens, au moyen d’une doctrine réformée et d’une séduction par l’art. D’une certaine façon, le baroque va naître de l’interpénétration d’un mouvement littéraire à visée édifiante initié en quelque sorte par la Contre-réforme et d’une pensée philosophique teintée de christianisme et fortement marquée par l’horreur des guerres de religion1.

L’une des attitudes philosophiques qui découle par ailleurs de la pensée baroque est celle qui consiste à considérer toute chose comme périssable. Les guerres et les massacres ont engendré chez les poètes une conscience suraiguë de la mort et du peu de consistance des choses

1 Pour plus d’informations sur les raisons de l’avènement du baroque en France, voir la thèse d’André Baïche, la naissance du baroque français, PUM, 1976

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terrestres. Sur ce point, les poètes de la Renaissance finissante sont en rupture avec la Pléiade : Agrippa d’Aubigné (1552-1630), un poète d’obédience protestante traumatisé par le conflit religieux avoue dans ses tragiques :

« Je n’escruy plus les feux d’un amour inconnu »2.

C’est que devant « l’horreur de tant de carnage et tuerie », il faut « choisi[r] un sujet conforme au malheur [du] siècle », nous dit Jean-Baptiste Chassignet(1571-1635), dans sa préface au Mespris de la vie et consolation de la mort(1594). Ce sujet, c’est la vanité du monde, un thème que le baroque affectionne plus que tout autre, et qui va connaître une ampleur et un succès considérable, tant sur le plan littéraire et philosophique que sur le plan plastique avec la peinture des Vanités par exemple, ou le motif des danses macabres. Bien plus qu’un thème, la vanité du monde est un esprit philosophique, ce que certains critiques ont appelé « l’esprit de la Vanitas »3. Le mot Vanitas a pour étymologie le mot latin vanus, qui veut dire à la fois vide et vain. La vanité, qu’elle renvoie au monde ou au péché capital de Vaine Gloire, est donc par définition ce qui a peu ou pas de consistance. De ce point de vue, le « monde », par opposition au Ciel et au Céleste, ou la vie, par opposition à l’après-mort, ont quelque chose de superficiel, d’inconsistant et d’illusoire, bien qu’ils soient donnés – faussement - comme réalités. Conjonction de trois autres thèmes, déjà présents bien avant l’âge baroque dans la pensée antique et biblique, la vanité du monde renvoie d’abord très explicitement au livre de la Bible, dans lequel l'Ecclésiaste s'écrie:"Vanitas vanitatum, et omnia vanitas" 4. Au substrat biblique viennent se greffer aux XVIe et XVIIe siècles le thème philosophique du Contemptus mundi, le mépris du monde dans lequel le mal est omniprésent et où tout est insignifiant, le thème de la brièveté de la vie ( vita brevis), et enfin celui de l'espoir du salut5, que l'on trouve principalement chez les pères de l'Église et les 2 Les tragiques, Livre I, « Misères », v.553 Marcel Israël notamment, dans sa thèse intitulée Quelques aspects du thème de la vanité du monde, Université d’Aix-en-Provence, 19764 Bible, Éccl, verset 25 Alain Tapié, se fondant sur l’étude de Bergström, considère la Vanité en peinture comme la conjonction de trois thèmes sensiblement identiques : la vanité des biens terrestres (représentée par des bijoux, de l’argent, etc.…), la brièveté de la vie (symbolisée par une fleur ou un sablier) et l’espoir de la résurrection (symbolisé par du

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poètes chrétiens, mais qui n'est pas sans rappeler la recherche de la sagesse chez les stoïciens et les épicuriens. Ce troisième thème est – certes - une composante essentielle de la vanité du monde, mais il est surtout la leçon, l’escarmiento, que l'on en déduit. Il faut avoir conscience de la Vanitas pour pouvoir être en mesure d'atteindre une forme de sagesse chez les philosophes, et pour pouvoir se racheter par la pénitence dans l'espoir du salut, chez les chrétiens. Inutile de dire qu'à l'époque de la Contre-réforme, c’est la leçon chrétienne qui prévaut. Mais l'essor dans le nord de l'Europe d’un néo-stoïcisme6 permettra d’associer recherche de sagesse avec espoir de salut.

Très vite, le problème que les premiers poètes baroques vont rencontrer sera de savoir comment retranscrire l’esprit de la Vanitas, comment écrire la vanité. Force est de constater que le style harmonique de la Renaissance ou encore les « fleurs » stylistiques de la Pléiade, parce qu’elles sont un déguisement, un embellissement de la vérité, ne conviennent pas pour la tâche qui leur incombe. L’esprit de la Vanitas qui hante les poètes de l’après-guerres requiert un tout autre style. C’est là le projet poétique d’Agrippa D’Aubigné :

 Aujourd’huy abordé au portD’une douce et civile mort,Comme en une terre seconde ;D’autre humeur je fay d’autres vers,Marri d’avoir laissé au mondeCe qui plaist au monde pervers.7

C’est le même poète qui dit : « Ce siècle autre en ses mœurs demande un autre style »8. Dès lors, la question qui se pose est celle de la légitimité, à l’âge baroque, de la réactivation du thème de la Vanitas Mundi , déjà très présent dans la littérature des siècles précédents: accompagne-t-elle véritablement un renouveau poétique ? Il convient pour répondre à cette question d’ébaucher dans un premier temps une topique historique de la Vanitas afin de percevoir l’ampleur de cette tradition littéraire, puis

blé ou une couronne de lauriers) in Catalogue des vanités du XVIIe siècle6 Sur ce point, voir OESTREICH,G., Neostoicism and the early modern state, Cambridge, University press, 19827 Préface aux Tragiques, vv.90-95. Nous soulignons.8 Ibid., Livre II, « Princes », v.77

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d’étudier plus profondément les causes et les manifestations de sa réactivation à l’âge baroque pour enfin s’interroger sur l’existence d’une poétique baroque de la vanité du monde.

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PLAN DU MÉMOIRE

I) UNE TRADITION LITTÉRAIRE ET PHILOSOPHIQUE   : topique thématique et historique de la vanité du monde

1) Le piège du monde   : a)un spectacle trompeurb) un théâtre des tentationsc)une prison dorée

2) Le temps qui passe   : a)brièveté de l’existenceb) stérilité/caducité de la viec)les jours comptés

3) La vie comme épreuve   : a)Piège du Carpe Diem et de la concupiscenceb) Le Monde ou Dieuc)une épreuve décisive

II) RÉACTIVATION BAROQUE (Causes, manifestations et conséquences):

1) Nécessité de concevoir le monde autrement   : a)une époque charnièreb) bouleversements scientifiques et religieux c) un monde instable

2) Une nouvelle façon de penser la mort   : a)l’obsession de la mortb) matérialisation et ostentationc)la mort, donneuse de leçons : les Vanités en peinture

3) Promotion d’un idéal   : a)socialb) philosophique c)chrétien/religieux

III) POETIQUE BAROQUE DE LA VANITÉ   ?

1) un regard mélancolique sur la vie   : a)hypotyposes éclairantesb) énumérations lancinantesc)antithèses déchirantes

2) l’incarnation du vide dans l’allégorie   : a)signifier le videb) comparaisons et incarnationsc)l’homme confronté au néant

3) une écriture assassinea)violence de l’écriture poétiqueb) violence de l’image

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c)rhétorique ou poétique ?

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Chapitre 1 :

UNE TRADITION LITTÉRAIRE ET PHILOSOPHIQUE   : topique thématique et

historique de la vanité du monde

Le poète baroque, pour montrer ce que le monde et la vie sublunaire peuvent avoir de vain, pour peindre la vanité du monde en somme, n’a d’autres recours que celui d’utiliser à foison des images et des métaphores empruntées le plus souvent à la littérature antique ou biblique et qui font figure, aujourd’hui mais déjà à l’époque, de véritables lieux communs. Ces topoï vanitatis peuvent être regroupés en thèmes et être analysés historiquement, afin de montrer leurs sources et leurs évolutions, ainsi que la pérennité de la Vanitas dans la littérature.

1.1 LE PIÈGE DU MONDE 

Un des grands thèmes qui sous-tend la Vanitas mundi, c’est le monde considéré comme un piège tendu à toute vie humaine. La mondanité, ou existence au sein du monde, est en proie à des illusions, à des apparences qui poussent le plus souvent au péché ou qui forcent à emprunter, sans le savoir, le chemin du vice. Cette idée de piège est à relier avec le thème du Contemptus mundi, qui rappelons-le, n’est pas propre au baroque : on en trouve des traces dans les premières philosophies grecques et orientales. Derrière ce mépris du monde, il y a à la fois une mise en accusation et une condamnation de son caractère mensonger que l’on constate à l’âge baroque chez absolument tous les poètes, toutes confessions confondues. Le retour à une méfiance envers le monde est une caractéristique du baroque mais également du XVIe siècle tout entier : la démonstration de l’héliocentrisme a profondément marqué les esprits au point qu’on en arrive à ne plus très bien savoir ce qu’est le monde, tant sa définition est à son image, c’est-à-dire mouvante.

1.1.1 Un spectacle trompeur Dans la tradition de la Vanitas et du Contemptus mundi, le monde

est un spectacle (étymologiquement, le mot vient du latin spectare qui

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veut dire « s’offrir au regard ») illusoire, trompeur, parce que double : il y a l’écorce du monde, sa face apparente, et ce qu’il y a derrière, sa laideur latente, l’essence qu’il s’efforce de cacher par des artifices.

Le monde n’est qu’une vaste illusion, un pur simulacre. C’était déjà le discours que proposait la théorie de la caverne et le reflet platoniciens. Dans cette logique du monde-illusion, il n’est pas rare de rencontrer le topos du theatrum mundi, le monde théâtralisé. Souvenir de la philosophie antique (Platon compare les hommes à des marionnettes dans Des Lois et Épictète nous dit dans son Manuel que l’homme est l’acteur d’une pièce de théâtre), cette métaphore païenne va connaître un grand succès avec l’humanisme qui parachèvera l’effort de christianisation commencé avec les Pères de L’Église. Au Moyen Âge, Guillaume Alecis (XVe siècle) écrivait dans Les feintes du monde que « le monde n’est pas tel qu’il semble ». Si Montaigne l’emploie souvent dans ses Essais pour exprimer l’inconstance du monde et la « comédie » de la vie, il faudra attendre le Siècle d’Or espagnol pour que ce topos prenne tout son sens (chrétien) : Calderon de la Barca écrit en 1645 El gran teatro del mundo (le Grand Théâtre du Monde), un auto sacramental 9 traitant sur le mode allégorique le lieu commun qui nous occupe. Déjà en 1615 avec le Don Quichotte, Cervantès faisait dire à son héros éponyme : « ninguna comparacion hay que mas al vivo nos represente lo que somos y lo que habemos de ser como la comedia y los comediantes »10. Coté français, la christianisation de ce topos n’est pas en reste, puisque Du Bartas fait du monde un théâtre, certes, mais de la puissance divine :

 Le monde est un théâtre, ou de Dieu la puissance,La justice, l’amour, le sçavoir, la prudence,Jouent leur personnage…  11.

Si Chassignet reprend ce topos à son compte, il semble ne pas l’assumer totalement : « QUE TE chaut il, mortel, à quelle heure tu

9 L’auto sacramental est un genre dramatique espagnol qui se joue en plein air pendant la Semaine Sainte.10 CERVANTES, El Ingenuoso Don Quijote de la Mancha, éd.Luis Andrés Murillo, Madrid, Castalia, 1978, t.II, chap.XII, p.121.Nous traduisons: « Il n’y a aucune autre comparaison qui nous représente plus vivement ce que nous sommes et ce que nous devons être que le théâtre et les comédiens ».11 DU BARTAS, Prem. Sem., 1er jour, 147-149

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sortes ? », « notre vie est semblable au jeu de l’eschaffaut »(X). Le mot théâtre n’est jamais prononcé, comme s’il s’agissait d’un tabou chez ce poète catholique. Les seules autres occurrences d’un éventuel theatrum mundi, nous les rencontrons dans les sonnets XLIX et CCCXIV, où il est question de masques, mais la comparaison s’applique uniquement dans ces cas à la mort.

La duplicité du monde, l’Homme ne peut l’entrevoir de façon sensorielle : elle ne nous apparaît pas de visu. Avec la dialectique illusion/réalité se fait sentir la nécessité d’un regard pénétrant, capable de passer outre les apparences, à l’image de celui de Lyncée que Boèce nous préconise d’adopter dans sa Consolation de la philosophie afin de pouvoir discerner (séparer, étymologiquement) l’illusion de la réalité: « si le regard pouvait pénétrer l’obstacle des apparences, est-ce que le spectacle des entrailles d’Alcibiade ne rendrait pas répugnant son corps si beau de l’extérieur ? »12.On retrouve ici le topos biblique du Sépulcre blanchi 13, cette métaphore employée par Jésus-Christ pour qualifier l’hypocrisie des Pharisiens, et qui peut tout aussi bien convenir au monde. Il y a donc une dialectique extérieur/intérieur, un dehors agréable, du moins une image plaisante, et un dedans beaucoup plus sombre et dénoté, mais qui n’en demeure pas moins réalité. Cette idée se maintient au Moyen Âge en se concrétisant dans les deux notions si chères à Chrétien de Troyes(1135-1183) que sont la « semblance » et la « senefiance ». Il n’est plus question de recouvrement, d’enfermement ou encore de dissimulation : réalité et illusion sont mises sur le même plan, elles cohabitent ensembles dans une sorte de brouillage du réel qui appelle tout naturellement à un déchiffrage symbolique que n’a pas su faire par exemple le Perceval du roman éponyme de Chrétien lorsque le cortège du graal s’est présenté devant lui au château de roi-pêcheur. Reprenant un topos très prisé de la chrétienté qui veut que ce que l’on voit en premier chez la rose, c’est la fleur et non les épines, Rutebeuf nous prévient : «  le rosier est piquant, si douce soit la rose ». Il faut donc

12 BOECE, La consolation de la philosophie, Livre III, 8.Alcibiade était connu pour son extrême beauté.13 Matthieu. 23, 27.

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considérer le monde dans son entier, et non se focaliser sur ce qu’il peut avoir d’attrayant, pour en saisir l’essence : c’est peut-être dans « la fausse semblance » du monde que réside celle-ci. Le Baroque quant à lui insiste davantage sur l’inconstance et la mutabilité14 du monde (« Le monde est inconstant, icy bas tout y change » nous dit Angot de l’Eperonnière15) pour souligner un peu plus son caractère illusoire. Qui plus est, si la personnification du monde est monnaie courante depuis la Bible, c’est avec le Baroque qu’elle est le plus travaillée. Ainsi lit-on sous la plume de Francisco de Quevedo: «  el mundo, que de nuestro deseo sabe la condición, para lisonjearla, ponese delante mudable y vario, porque la novedad y diferencia es el afeite con que más nos atrae »16. En ce sens, si le monde avance masqué ( Larvatus prodit), c’est pour mieux nous abuser . L’hypocrisie dont il fait preuve nous offre une image agréable, rassurante car voluptueuse, qui d’après Jean-Baptiste Chassignet, est « décevante » (du latin decipere, qui veut dire tromper, attraper, prendre): 

  O MONDE, tu ne dis jamais la vérité !

Tes propos cautelleus sont pleins de menterie,Tu m’as tousjours usé de fraude et tromperieQuant plus avecque toy j’ay rondement traitté.17 

Comme l’a si bien dit Rotrou,le dramaturge du XVIIe siècle : « [sa] bonace la plus profonde, /n’est jamais sans quelque vapeur »18. Cette perfide duplicité se trouve par ailleurs assez bien résumée dans la paronomase monde/immonde  récurrente chez les poètes baroques. On tient là une des clefs du Contemptus mundi, cette interprétation subjective de la vanité du monde. En effet dans la pensée chrétienne,

14 Cette mutabilité du monde participe beaucoup du contemptus mundi. Selon Juan Eusebio de Nieremberg(1595-1658), « la mudanza de las cosas [del mundo] muestra claramente y la vanidad dellas, y quan dignas son de desestima. »(La diferencia entre lo temporal y lo eterno,1651)15 Cité in Anthologie de la poésie baroque française de Jean Rousset16 QUEVEDO, Songes et discours : « Le monde, qui sait comment flatter notre désir, se présente à [nous] sous des couleurs changeantes et diverses, attendu que la nouveauté et la différence sont le fard dont il use pour mieux nous attraire » (traduction d’Annick Louis et de Bernard Tissier).17 CHASSIGNET, Le mespris, CCCLVI18 ROTROU, Le véritable saint-Genest, vv.1443-1444. Rotrou aurait-il lu les Tablettes de Mathieu ? Toujours est-il que l’on retrouve la même image, à peu de choses prés : « La tourmente en la mer couve sous la bonasse ».

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l’unité est primordiale, la vérité est une (Dieu) de telle sorte que tout ce qui est de l’ordre du double est donc à associer au diable (diabolon signifie celui qui sépare), ce qui explique la polémique en histoire de l’art sur le clair-obscur19 ou encore la condamnation de la part de l’église du théâtre.

Pour montrer ce que le monde a de sournois, il fallait une comparaison avec la femme. Avec le péché originel, elle a longtemps suscité du mépris ou de la méfiance, mais ce n’est pas ce qui la rapproche le plus du monde, ni ce qui justifie une féminisation de ce dernier. La femme, à l’Antiquité et au Moyen Âge, est avant tout l’incarnation de l’inconstance. Déjà Virgile faisait dire au dieu Mercure, à propos de Didon : « varium et mutabile semper » ( chose variable et toujours changeante que la femme , Enéide, livr.IV, v.569). On se souvient également de la formule lapidaire « Dido, id libido est » de Bernard Silvestre, laquelle s’appliquait peut-être dans l’esprit de l’époque à toutes les femmes. Que dire aussi des célèbres vers de François Ier, selon lesquels : « souvent femme varie,/bien fol est qui s’y fie » ? La femme est perçue comme dangereuse car inconstante et séductrice. Dans ces vers tirés de L’imitation de Jésus Christ20, le monde n’est pas explicitement comparé à la femme, mais la séduction qu’il opère sur l’âme (seductare : littéralement « conduire ailleurs », détourner) rappelle fortement l’enchantement, le charme féminin :

Le monde est un pipeur, on dit assez qu’il trompe,On déclame assez haut contre sa vaine pompe,Mais on ne laisse point d’y porter ses désirs.Le pouvoir dominant de la concupiscence,Qu’imprime en notre chair notre impure naissance,Ainsi sous ce trompeur captive nos esprits ;Mais il faut que le cœur saintement se rebelle,Et juge quels motifs font aimer l’infidèle,

19 Le clair-obscur ou Chairoscuro est une technique picturale dans laquelle se côtoient par contraste des couleurs sombres et des couleurs claires, pour créer des effets de lumière. Critiquée à ces débuts, cette technique peu académique décriée par l’Eglise a été portée par Le Caravage qui en a fait un symbole de l’intervention de la lumière divine sur l’obscurité du monde. 20 L’attribution L’Imitation de Jésus Christ est encore aujourd’hui incertaine. Si l’on a un temps pensé à Jean Gerson, il semblerait que l’auteur véritable soit Thomas A. Kempis. Pour la traduction, nous nous référons à celle de Pierre Corneille.

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Et quels doivent pousser à son juste mépris.

Le monde comme la femme séduisent avec de l’artifice. Les personnages incarnants l’engaño (la tromperie) chez Quevedo sont presque toujours des femmes ou des hommes fardés. La cuna y la sepultura, son traité de morale chrétienne, contient même une injonction à se méfier des femmes qui ressemble à une injonction à se méfier du monde : « Adorarlas [o sea las mujeres] y sujetar a ellas el alma no lo aconseja sino el deleite y vicio, que es tan poderoso […].De la mujer, cómo de las otras cosas, usa, pero no te fíes »21. Le poète Pierre Mathieu va plus loin encore dans la comparaison lorsqu’il dit :

 Le monde est de l’humeur d’une belle maistresse,Qui fait plus de jaloux qu’elle ne fait d’amis.22

Ce qui ce cache derrière cette désacralisation de la femme dès les premiers balbutiements du baroque, c’est peut-être rien moins qu’une volonté de rompre avec la tradition pétrarquiste. Quoi qu’il en soit, la tromperie, la duplicité, l’inconstance du monde trouve en la femme une illustration particulièrement parlante, parce qu’en plus de tromper son monde avec du maquillage, la femme depuis le Péché originelle est la figure du Péché et de la Tentation.

1.1.2 Un théâtre des tentations Dès sa naissance, l’Homme est plongé dans une mer de tentations.

Assailli de toutes parts, il ne lui reste qu’à éviter les pièges, et tout faire pour ne pas succomber aux tentations d’un monde diabolique.

Ces assauts dont l’Homme est perpétuellement victime sont une persécution et une oppression sans pareilles, à l’image de celles ressenties par le fidèle harcelé par les Philistins au Psaume 56 de la Bible :

Pitié pour moi, ô Dieu, on me harcèle,Tout le jour des assaillants me pressent.Ceux qui me guettent me harcèlent tout le jour :Ils sont nombreux ceux qui m’assaillent là-haut.

21 QUEVEDO, la cuna y la sepultura, para el conocimiento propio y desengaño de las cosas agenas, p.40. Notre traduction: « Leur vouer un culte [aux femmes] et leur assujettir son âme n’est pas conseillé, si ce n’est par le plaisir et le vice, qui est si puissant […].De la femme, comme des autres choses, fais usage, mais méfie-toi. »22 MATHIEU, Tablettes de la vie et de la mort, 18

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Une sensation d’étouffement envahit tout le chant, jusqu’à traduire une présence froide et terrifiante, une menace sournoise :

Ils s’ameutent, se cachent, épient mes traces,Comme pour surprendre mon âme.

Le spectre de la Tentation, la menace que cette dernière représente est illustrée entre autre au Moyen Âge par l’adaptation espagnole du Historia Apollonii Regis Tyri, l’histoire d’Apollonius de Tyr. Même s’il ne s’agit que d’une seule tentation, et pas la moindre (la tentation de l’inceste !), elle n’en demeure pas moins omniprésente, jusqu’à toucher Apollonius lui-même, pourtant héros vertueux, de façon symbolique, lorsque, ayant frappé sa fille au visage, il fait couler son sang virginal. Dans L’imitation de Jésus Christ, Thomas Kempis(1380-1471) au lieu d’accentuer l’ubiquité de la menace, préfère encourager l’Homme à combattre la Tentation, plutôt que de souffrir passivement ses assauts en rappelant l’exemple de Job :

Nous avons à combattre et dedans et dehorsLes tentations et les peines.Aussi,toi qui mis tant de mauxAu-dessous de ta patience,Toi qu’une sainte expérienceEndurcit à tous leurs assauts,Job, tu l’as souvent dit que l’homme sur la terreTrouvoit toute sa vie une imortelle guerre.

Pourtant le Baroque, en la personne de Sponde(1557-1595), s’attache à reprendre l’image de l’assaut subi par un être passif pour en montrer toute la violence. Dans un de ses sonnets de la mort, par ailleurs très célèbre, on trouve ce constat accablant :

Tout s’enfle contre moy, tout m’assaut, tout me tente,Et le Monde, et la Chair, et l’Ange révolté,Dont l’onde, dont l’effort, dont le charme inventéEt m’abisme, Seigneur, et m’esbranle, et m’enchante. 

Ce premier quatrain est un condensé des tentations du monde. Comme l’a souligné Claude-Gilbert Dubois23, il peut se lire par associations de mots, horizontalement (le Monde, la Chair, le Diable)et/ou verticalement(enfle, Monde, onde, abisme ; assaut, chair, effort, esbranle; tente, diable, 23 DUBOIS, le baroque, profondeurs de l’apparence

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inventé, enchante). Si l’on se fie à ce raisonnement, les tentations exercées par le Monde sur l’homme se font au moyen de l’eau puisque l’on retrouve ici le rimène monde/onde qui n’est pas d’un usage très rare en poésie. L’eau, depuis la Bible et l’épisode du déluge, est associée à l’idée de châtiment ou à l’idée de mort. Mais il ne s’agit là que d’une de ses nombreuses connotations. Toujours est-il qu’à l’époque baroque plus qu’à toute autre époque, l’eau fascine à cause de sa fluidité, de son ondulation naturelle et de son écoulement. Elle est extrêmement polymorphe et riche de sens, d’où sa très grande utilisation dans la poésie. La mer par exemple, est parfois préférée au monde pour métaphoriser l’existence, du Moyen Âge : 

Ceste mer,[…],que je vois,Est le monde qui nulle foysN’est quë ens il n’ait tourmentePour Vaine Gloire qu’i vente,C’est le soufflet que porte orgueil.24

Au baroque : En ce monde tout branle, il n’y a rien de ferme,C’est une mer qui n’a seurté, calme n’y port.25

Les vagues symbolisent les assauts de la tentation, et l’homme est noyé dans cet océan de pièges et d’embûches. Une autre image, dans les songes et discours de Francisco de Quevedo (1580-1645) fait du monde une ville où chaque rue porte le nom d’un vice ou d’une tentation. Où qu’il puisse aller, l’homme doit lutter contre le monde.

Si le monde est un théâtre des tentations, c’est en premier lieu parce qu’il est lui-même un vil tentateur. Aubigné ne nous dit-il pas que « tout cela qui est vicieux/Recognoist la Terre pour mère [des vices] » ? Les tentations abondent tellement en lui qu’elles font parties intégrantes du monde de sorte que nombreux sont les auteurs à l’avoir personnifié pour lui attribuer une volonté propre : celle du chasseur, désireux de capturer l’Homme dans ses rets. Quant à la mer, elle fait figure de pêcheuse d’humains. Dès lors l’Homme est animalisé, comme dans 24 DIGULLEVILLE, Pèlerinage de la vie humaine, cité par Philippe Maupeu dans sa thèse (MAUPEU, Philippe, Pèlerins de vie humaine, Toulouse, UTM, 2005). Il convient selon lui de remarquer l’homophonie expressive vente/vanter.25 MATHIEU, op.cit., II, 3

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L’Ecclésiaste, où il est dit : « l’homme ne connaît pas plus son heure que les poissons qui se font prendre au filet du malheur ». Cette animalisation de l’Homme et ce piège du monde et de la mer, on les rencontrait auparavant chez Sénèque : « Et fera et piscis spe aliqua oblectante decipitur »26. L’Homme est appâté par l’hameçon tendu par le Monde. Il est alléché par lui. D’ailleurs, n’est-il pas dit au Psaume 11, que  : «Inimici Dei terram lingent » (les ennemis de Dieu lècheront la Terre) ? Pascal précise dans ses Pensées : « les pécheurs lèchent la terre, c'est-à-dire aiment les plaisirs terrestres ». C’est la raison pour laquelle le rabin castillan Sem Tob del Carrion (1290- ?) précise que l’homme-poisson pris dans les filets du monde n’est pas une victime innocente, mais un poisson « viçioso y rriyendo » (Proverbos morales). Alléché ou non, l’Homme est toujours la proie, la victime de quelque puissance négative. Pour François Ier, c’est la mer qui symbolise les difficultés et les vicissitudes de la vie :

En la grand mer, où tout vent tourne et vire,Je suis pour vrai, la dolente navire.

Mais Kempis, utilisant lui aussi la métaphore du navire, exhorte à ne pas se laisser vaincre par le monde, parce que:

Telle qu’un vaisseau sans timon,Le jouet des fureurs de l’onde,Une âme lâche dans le mondeFlotte à la merci du démon .

Et l’homme chrétien, de n’avoir d’autres choix, dans ses conditions, que de lutter pour son salut contre le monde : « Ce monde n’est pas un monde, c’est un champ de bataille, /mais nous, avec des vins, des mets, nous nous battons », nous dit Rutebeuf dans son Dit de Pouille. Si Chassignet reprend l’image du chasseur dans son sonnet CCCLXXII, en affirmant que :

[Le monde est un] captïeus pipeurTapi sous les rameaus d’une ombreuse prairieAus dous chans de sa vois pleine de tromperie[qui attire] les oyseaus dans le filet trompeur .

26 SENEQUE, Lettres à Lucilius, Livre I, lettre VIII : « L’habitant des bois ou de l’onde se laisse prendre à l’appât qui l’allèche »

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Il l’enrichit en attribuant au monde la volonté farouche de causer notre perte et en lui adjoignant l’image du mauvais guide :

Le monde nous engouffre aus abysmes plus creus,Aus sentiers plus estrois sa main nous achemine,Nous promeine et conduit par ronce et par espine,Nous embusche et nous guide aus chemins plus scabreus. (CCCLIX)

Pour échapper aux pièges du monde, il faut provoquer en soi une psychomachie incroyable, un effort de résistance surhumain qui est presque de l’ordre de la sainteté, tant la tâche est hardie : « [Ce monde] enfle, abysme, retient, brusle, estreint [nos] désirs » . Toute cette entreprise de résistance au monde et de sanctification que Sponde connaît bien compte-tenu d’une conversion au catholicisme qui n’a pas eu que des aspects positifs, consiste à se distancier du monde, à prendre un recul salvateur, à passer de l’état pendant lequel :

 [L’on sent] dedans [soi] quelque chose qui gronde,Qui faict contre le ciel le partisan du Monde,[Noircissant] ses clartez d’un ombrage touffu 

À celui où :[L’on voit] comme le Monde embrasse ses délices,[Mais où l’on] n’embrasse rien au monde que ses supplices,[Considérant] ses gays Printemps [comme] de funeste Hyvers. 27

L’emploi ici du verbe « embrasser » n’a rien d’anodin. Il renvoie à la féminisation du monde et, employé négativement, dénote une volonté de détachement : le monde tentateur, parce que le poète refuse toute embrassade avec lui, n’a d’autre solution que de s’étreindre lui-même.

Le Contemptus mundi, le topos du mépris du monde, tout comme la posture d’humilité chez Saint-Augustin28 cherche à détourner l’homme d’un amour profane (amour de soi ou amour mondain) pour lui faire aimer Dieu. Il trouve son accomplissement le plus violent lorsqu’il s’applique à dénoncer cette attitude résolument tentatrice du monde. Quand il n’est pas féminisé, le monde est diabolisé. Dans le sonnet de

27 SPONDE, Stances de la mort28 SAINT AUGUSTIN, De Ciuitate Dei, XIV, 28 : « amor Dei usque contemptum sui ».

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Sponde partiellement étudié plus haut, le monde, la chair et le diable sont placés sur le même vers, de sorte qu’ils finissent par être ipso facto associés à une espèce d’alliance du mal, à un trio de puissances maléfiques. Il en va de même chez Thomas Kempis, mais cette juxtaposition entraîne une certaine confusion : on perçoit mal la différence entre « les pièges du monde et les filets du Diable ». Quelques années plus tard, le poète protestant Laurent Drelincourt (1625-1680) reprendra à son compte ce topos du monde-diable, dont les fruits exhumés de ses entrailles servent à appâter l’homme. C’est le fameux procès de l’or, dont Virgile méprisait déjà « l’exécrable soir »( « auri sacra fames », Eneide, Livr.III, v.57) :

[Ce] vieus tyran, d’obscure Naissance, Brillant et pâle Séducteur ;

Subtil et volage Enchanteur,Sujet de trouble et d’insolance. 29

Le parallélisme du milieu du quatrain met en évidence la dualité de l’or : il séduit et enchante, à l’instar du Diable et du Monde. Il est un « anguis in herba », un serpent caché sous l’herbe . Mais cette « dorure » du monde qui a tendance à éblouir l’homme parfois ne doit cependant pas lui faire oublier sa captivité.

1.1.3 Une prison dorée L’Homme est un être doublement prisonnier : son âme est la

captive d’une enveloppe périssable, le corps, dont la théorie de la métempsychose dit que l’âme s’en échappe après la mort, et son corps est prisonnier du monde, au propre comme au figuré. Le problème, c’est que l’Homme n’a pas toujours conscience de cette servitude forcée, au point qu’elle finit par devenir une servitude inconsciemment volontaire : l’homme s’engouffre dans les plaisirs du corps et du monde, des prisons certes dorées, mais des prisons tout de même.

Réceptacle de l’âme, simple enveloppe, le corps n’en reste pas moins chair et donc tentation de péché et de luxure. Il est, dans la pensée chrétienne, l’instrument de notre propre perte. Quand une trop grande

29 DRELINCOURT, Sonnets chrestiens, XXIX

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importance est accordée au corps, celui-ci se convertit en prison et en bourreau pour l’homme, puisqu’il se condamne ainsi lui-même(« Plus on jouit, plus on se blesse » d’après le poète du XIIe siècle Hélinand de Froidmont30). Le corps nous condamne à la mort, puisque chaque jour, il dépérit :

[la chair], que trop avons nourrie,Elle est pieça[depuis longtemps] dévorée et pourie.31

prétend Villon. C’est donc une prison mourante et mortifère. Pour autant, l’idée du corps-prison n’est pas nouvelle, on la retrouvait dans la philosophie grecque, chez Platon où le corps est qualifié de « tombeau de l’âme » (Phédon) et même dans la philosophie latine, chez Sénèque, pour qui le corps est un « fardeau nécessaire », en dépit du fait que « nul ne peut être libre, qui est esclave de son corps »32. De cette conception du corps va naître l’idéal de l’ascétisme, idéal d’une pureté et d’une légèreté du corps pour une meilleure ataraxie de l’âme. Le corps est lié à la Terre comme l’âme est liée au Ciel. On trouve dans la poésie maniériste d’Aubigné, cette idée d’attachement à la Terre par la pesanteur du corps, ainsi que l’idée de corps-prison :

Le cors qui est le plus terrestreEt plus pesant, n’est plus maisonPropre à l’esprit et ne peult estreRien que sa facheuse prison 33.

L’erreur de l’Homme selon Quevedo, c’est de « [tratar] al cuerpo, sombra de muerte, como a imagen de vida, y al alma eterna, como sombra de muerte »34, et ne pas voir que le corps est un « instrumento » qui lui a été donné « para[navegar] desta navegacion » (pour voguer au milieu de la mer). Ainsi, le corps fait instrument est la négation de l’homme, ce dernier ne pouvant se réduire à une simple corporalité, à une simple réification. C’est l’avis de Guy de Pibrac lorsqu’il dit :

Ce que tu vois de l’homme n’est pas l’Homme,

30 HELINAND DE FROIDMONT, Les vers de la mort, 2931 VILLON, François, « L’Epitaphe Villon » ou « La Ballade de Pendus » in Poesies diverses32 SENEQUE, Lettres à Lucilius,Livre XIV, lettre XCII33 Cité par J.ROUSSET in Anthologie de la poésie baroque en France34 QUEVEDO, la cuna y la sepultura : « Considérer le corps, ombre de mort, comme image de vie, et l’âme éternelle, comme ombre de mort ».

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C’est la prison où il est enserré,C’est le tombeau où il est enterré,Le lict branlant où il dort un court somme 35.

On retrouve la même chose, presque mot pour mot dans le premier vers du quatrain suivant chez Chassignet :

CE QUE tu vois de l’homme, homme, l’homme n’est pas,C’est seulement l’escorce et la cocque fragileDe l’ame incorruptible, immortelle, et subtile,Durant ce peu de tems qu’elle loge icy bas. 36

En somme, si l’on suit cette constante baroque du « Ecce homo, hominem non est », le corps ne peut pas être l’Homme, il n’est qu’un contenant, un « logis » dont l’âme est locataire, de sorte qu’« il est bien fou celui qui se fie au corps » car il laisse « l’amande pour la coquille »(Rutebeuf).

Le monde quant à lui, est la deuxième prison de l’homme, celle où évolue le corps. L’homme y est enchaîné, les biens terrestres, les tentations du monde le retiennent prisonnier. Tout comme le corps, le monde a une pesanteur nuisible à l’homme car elle l’attire vers le bas. Boèce nous le fait remarquer sous le mode du Beatus ille : « Heureux celui qui a pu dénouer/les liens de la lourdeur terrestre ». Pétrarque fait de même en citant Virgile :

Tant que l’âme est emprisonnée dans le corps, elle est courbée vers la terre, et offusquée de ténèbres 

Ou encore lorsqu’il fait dire à Saint-Augustin:L’âme est soulevée d’un coté vers le ciel, de l’autre appesantie par le poids du corps et les séductions terrestres.37 

Il faut comprendre ici que le monde est une prison qui rend plus hermétique encore celle du corps. Dans son livre sur La Mendicité spirituelle, un traité poétique sous forme de dialogue entre l’homme et son âme, Jean Gerson(1363-1429) fait cette dernière se plaindre d’être : « […)emprisonnée et enlaciée dedans l’hospital de [son] corps, en la grande prison de ce mortel monde »38. L’image de la prison est très pertinente, pour le monde du moins, car elle est polysémique. Le cachot 35 GUY FAUR DE PIBRAC, Les quatrains de la vanité du monde, 1136 CHASSIGNET,Op.cit., XCVII37 PETRARQUE, Mon secret38 GERSON, Jean, La mendicité spirituelle, II

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est le lieu de la captivité, mais également le lieu du châtiment de la faute et le lieu de l’enfermement dans les ténèbres. Cependant, si « nous savons que le monde est une prison », elle ne l’est véritablement que « pour les vertueux affranchis d’impatience », nous dit François Villon. Souvenir de la pensée augustinienne, le monde est conçu comme un cloaque sombre, par opposition au ciel et à la lumière qu’il dégage. Un sonnet de Chassignet se fait l’écho de cette conception :

Ce monde cy n’est point l’éternelle CitéOù nous devons aller, c’est la captivitéDe l’infame Babel, où quiconque désire

De vivre longuement, désire le sejourD’une longue prison où la clarté du jourNe sçauroit à nos yeux qu’en ombrage reluire.(CCLXI)

Mais la source en est davantage biblique que patristique : les apôtres ne sont-ils pas selon Jésus-Christ, « la lumière du monde » 39?

Si les hommes étaient condamnés, s’il n’y avait pas de planche de salut, leur servitude nous paraîtrait tragique, de l’ordre du fatum. Or, ce n’est précisément pas le cas : une chance est laissée à l’homme, celle de prendre conscience qu’il vit dans une prison dorée, et que sa servitude, aussi étonnant que cela puisse paraître est volontaire. Du Bellay(1522-1560) essaye d’amener à cette prise de conscience :

Que songes-tu, mon âme emprisonnée ?Pourquoi te plaît l’obscur de notre jour,Si pour voler en un plus clair séjourTu as au dos l’aile bien empennée ?40

Dans ses Octonaires sur la Vanité du Monde, La Roche-Chandieu s’indigne de l’aveuglement des hommes :

Comme le prisonnier cloué à sa caverneSonge qu’il fuit et court, où son plaisir le mène,[…]L’homme endormi au Monde en son péril s’asseure,Il songe qu’il est libre en sa captivité,Il songe qu’il abonde en sa nécessité.Et tousjours sa prison, et tousjours sa faim demeure.(XV)

39 Mth. 5, 13-1640 DU BELLAY, L’Olive, CXIII

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L’homme, qui n’est pas conscient de sa servitude, qui est esclave volontaire de sa propre prison est aussi digne de mépris que le monde ou la vie humaine, comme le souligne Pierre Mathieu(1563-1621) :

Mondain, qui vis et meurs au Monde perissable,Miserable est ta vie, et ta mort misérable. 

L’aveuglement de l’Homme quant à sa servile condition avait déjà été remarqué par Lucrèce, qui s’écriait dans son De rerum natura : « O vanas hominum mentes, o pectora caeca ! » ( O esprits vains des hommes, ô cœurs aveugles !). Mais une des images les plus éloquentes sur le sujet reste celle de l’Apôtre Pierre, pour qui le monde n’est rien d’autre qu’une maison tout enfumée où, aveugles, les yeux de la raison ne perçoivent point la vérité des choses. Il y a donc piège du monde parce qu’il il y a illusion (la fumée) et enfermement (la maison). Néanmoins, l’homme qui s’écrit : « Infelix ego homo ! Quis me liberabit de corpore mortis hujus ?41 », s’il est lucide quant à sa condition, ne comprend pas qu’il ne tient qu’à lui de se libérer pour ne plus être son propre esclave. Et il lui faut faire vite, une autre prison, le temps, glisse sur lui comme un torrent. Sa vie n’est qu’un instant : ses jours sont comptés.

1.2 LE TEMPS QUI PASSE 

Exhumer la vanité du monde pour éclairer les consciences serait une entreprise bien vaine si elle ne passait pas par le constat et la dénonciation de la fuite du temps. D’après ce que nous en dit Saint Augustin, le temps se définit dans l’instabilité et dans la mobilité ; comme le présent, il est insaisissable : « Ex illo quod nondum est, per illud quod spatio caret, in illud quod jam est »42. De ce fait, exprimer cette dérobade s’avère pour le moins difficile comme se plaît à nous avertir Pétrarque: « Pense que le temps s’enfuit et que personne ne saurait en rendre compte par des mots ». C’est peut-être la raison pour laquelle bon nombre de poètes ont eu recours à l’image et à la métaphorisation. Mais la meilleure expression du temps qui passe reste sa cristallisation dans le

41 « Malheureux homme que je suis, qui me délivrera de ce corps mortel ? » (Rom, VII,24)42 SAINT AUGUSTIN, Confessions, Livre XI, XXI : « Sorti de ce qui n’est pas encore, il passe par l’inétendue pour arriver à ce qui n’est plus »(traduction de M.Moreau).

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topos de la brièveté de la vie ( Vita brevis ). En soi la fuite du temps n’a rien de répréhensible ; elle ne devient un moteur de la Vanitas que lorsqu’on lui associe comme corollaire la vie. C’est en outre lorsqu’il éprouve sa temporalité que l’Homme prend conscience de sa vanité.

1.2.1 Brièveté de l’existence La Vita brevis s’illustre dans ce qu’il convient d’appeler des figures

de l’éphémère. Ces figures sont ambivalentes : elles peuvent être belles ou admirables, mais ce qu’il faut retenir c’est leur brièveté, leur célérité qui les rendent dérisoires, vaines, comme la vie.

Le constat de la brièveté de la vie est indissociable de celui de la fuite du temps et de sa célérité. Dans ses Géorgiques, Virgile est bien conscient que « fugit irireparabile tempus »( le temps s’enfuit, perdu pour toujours), mais avec l’ablatif « irireparabile », le vers prend une nuance tragique. Chez Sénèque, la fuite du temps se résume à une sorte de constat amer : «  Infinita est velocitas temporis, quae magis apparet respicientibus. Nam ad praesentia itentos fallit : adeo praecipitis fugae transitus lenis est »43. Avec Horace nous sommes davantage dans l’exclamation élégiaque : « « elles fuient, hélas ! Postumus, Postumus, elles s’écoulent les années ! ». Dans la Bible, Job se plaint que « [ses] jours ont courus plus vite que la navette »(JOB,VII,6). Au Moyen Âge, on retrouve cette plainte du temps en la personne de Michault Taillement (XVe siècle) dans son Passe-temps :

car le temps passe, je le sens bien,a toute heure, soir et matin ;mais je ne croyais avoir jamais moinsdu bien dont mon cœur est privé ;le drap s’use comme il a été tissé.

En somme, depuis l’Antiquité le thème de la fuite du temps s’accompagne presque toujours d’une expérience douloureuse de la perte : celle du temps perdu. Avec Guillaume de Lorris(1200-1238), on revient à la seule irrévocabilité de la fuite :

le temps qui s’en va nuit et jour43 SENEQUE, Lettres à Lucilius, Livre V, lettre XCIX : « incalculable vitesse du tps, plus manifeste alors qu’on regarde en arrière !Ceux qu’absorbe l’heure présente ne le sentent point, tant il fuit précipitamment et passe sans appuyer . »

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ss repos prendre et ss séjour[…]le temps, qui ne peut séjourner,mais va toujours ss retourner,[…]le temps, devant qui rien ne dure,ni fer ni chose tant soit dure .

En revanche à la Renaissance, si la tonalité élégiaque a bien disparu, le thème n’a plus la même finalité : il ne sert plus à provoquer la plainte, ou à seulement constater froidement la célérité du temps, mais plutôt à voir dans ce constat une invitation à profiter de la vie. C’est particulièrement vrai dans la poésie amoureuse, de Ronsard par exemple : « ne vois-tu pas le temps qui s’enfuit,/et la vieillesse qui vous suit ? » dit-il à une femme dédaigneuse. Dans ses Amours de Marie, il finit même par retourner le thème, en le niant : « Le temps s’en va, le temps s’en va, ma dame ;/Las !le temps, non, mais nous nous en allons ». Plus tard le Baroque reviendra au constat froid de la fuite et de la célérité temporelle, comme chez Favre( 1557-1624) par exemple, où l’on trouve le vers lapidaire : « le temps n’est qu’un instant ». Il n’y a pas de régression dans la continuité de ce thème, dans la mesure où le Baroque se sert des antithèses fréquentes de la poésie amoureuse (on se souvient des antithèses de Louise Labé) pour conférer au thème un tragique religieux, traduisant l’état de déréliction de l’homme du XVIe :

Le tems ne bouge point et jamais ne repose,La vie instable fuit & ne chemine pasFortune escrime & bat sans remuerLe monde nous despesche & ne scavons la cause.

comme en témoigne ce quatrain de Jean-Baptiste Chassignet.Quoi de mieux qu’une métaphore de l’écoulement pour exprimer et

la célérité du temps, et la brièveté de l’existence ? Le fleuve, par son renouvellement et son écoulement perpétuel possède un caractère on ne

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peut plus éphémère44. Dans la lignée d’Héraclite45, Chassignet affirme que « nos jours sans retourner s’escoulent comme l’eau »46. La temporalité humaine semble être un fleuve de Babylone : comme Pascal se plaît à le redire après saint Augustin, ces genres de fleuves « coulent, et tombent, et entraînent ». Le courant du fleuve de la brièveté de la vie est tel qu’il emporte avec lui les jours des hommes comme s’il s’agissait de vulgaires branches. Sénèque disait d’ailleurs à Lucilius que les hommes embrassent et saisissent la vie, « comme le malheureux qu’entraîne un torrent s’accroche aux roches et aux pointes des rochers ». Jorge Manrique(1440-1479) au Moyen Âge réactualise dans ses Coplas sobre la muerte de su padre cette métaphore du fleuve très présente, mais relativement peu développée à l’Antiquité :

Nuestras vidas son los riosQue van a dar en la marQue es el morir

Mais il rajoute: « alli van los señorios,/[…]alli los rios cabdales,/los otros medianos/y mas chicos,/allegados son iguales/los que biven por sus manos/y los ricos » 47. Reprenant le vers de L’Ecclésiaste, selon lequel « omnia flumina intrant in mare, et mare non redundat »(Eccl.I.7) ainsi que celui de Samuel, dans lequel il est dit que « omnes morimur » (nous mourrons tous), il a la bonne idée, ce que Pedro Salinas qualifie de « hallazgo genial » (géniale trouvaille) d’ajouter à cette métaphore un peu sclérosée dans l’autorité des Écritures le thème de l’égalité devant la mort, réminiscence d’Horace (« aequo pulsat pede48 », la mort frappe 44 L’image du sablier nous paraît par ailleurs digne d’intérêt puisqu’elle associe, comme celle de la rose, l’éphémère et la brièveté. On la retrouve souvent matérialisée dans l’amoncellement d’objets qui compose les Vanités. Parce qu’il est à la fois horloge et sable/poussière (l’espagnol ne dit-il pas « reloj de arena » ?), la brièveté du temps qui passe, le caractère éphémère et dérisoire de la vie sont métaphorisés dans ce seul objet. C’est ce qu’avait très bien compris Quevedo lorsque, dans une de ses silvas, il s’adresse à son sablier  pour lui dire : « Bien sé que soy aliento fugitivo;/Ya sé, ya temo, ya también espero/Que he de ser polvo, como tú, si muero;/Y que soy vidrio, como tú, si vivo”( QUEVEDO, « el reloj de arena » in Poesía varia). Non content de métaphoriser le temps qui passe et la vie, avec Quevedo le sablier symbolise l’homme lui-même, cet être de poussière fugitif comme le sable qui s’écoule, comme la bougie qui se consume pour reprendre une autre image de la vanité de l’homme.45 HERACLITE,« on ne peut pas descendre deux fois dans le même fleuve » (Traduction et Commentaire des Fragments (1959), Abel Jeannière, éd. Aubier Montaigne, 1985 )46 CHASSIGNET, Op.cit, sonnet 2647 MANRIQUE, Jorge, Coplas sobre la muerte de su padre48 HORACE, Odes, Livre I, IV, v.13

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d’un pied indifférent) et thème traditionnel des Danses Macabres49. Quelques décennies plus tard, la trouvaille sera reprise par Bossuet dans son Oraison funèbre d’Henriette d’Angleterre : « Ces fleuves tant vantés demeurent sans noms et sans gloire, mêlés dans l’Océan avec les rivières les plus inconnues ». Le baroque préférera voir dans le courant, l’inexorable poussée qui nous conduit vers la mort une définition de ce que nous sommes. Ainsi, chez le poète Robert Garnier :

Que ne ressemblons-nous aux vagueuses rivièresQui ne changent de cours ?

Ou au branle éternel des ondes marinièresQui reflottent toujours ?

Parmi la pléthore de figures de l’éphémère et de la brièveté, les métaphores végétales prennent une grande place. En effet, quoi de plus éphémère qu’une plante ? Homère nous disait dans L’Iliade que « sur terre les humains passent comme des feuilles »50 . Pour autant, il existe une métaphore que la littérature et la philosophie affectionnent tout particulièrement et qu’elles n’ont de cesse de travailler : il s’agit de l’image de la fleur, dans laquelle est incluse celle de la rose.51 D’une durée de vie très limitée dans le temps, la fleur a tout juste le temps de croître qu’il lui faut dépérir. De fait, le parallèle avec la vie est aisé ; à l’Antiquité se confondaient déjà brièveté de la fleur et de l’existence, comme dans ces vers de Juvénal :

 […]festineat enim decurrere uelox

Flosculus, angustae miseraeque breuissima vitaePortio. 52

Mais c’est la Bible qui joue le plus avec cette image. Ainsi dans le Livre de Job peut-on lire: « [l’homme qui sort et qui est coupé comme une

49 Dans sa Danza de la muerte, Juan de Pedraza(XVIe siècle) affirme que « […] la Muerte, que nunca reposa,/ [hace] el mas grande igual al menor ».50 HOMERE, Iliade (trad. Robert Flacelière), éd. Gallimard, coll. Bibliothèque de la Pléiade, 1955, chant VI, p. 192 51 Brièveté de la fleur et brièveté de la rose sont sensiblement la même chose ; néanmoins, la brièveté de la rose, la « fleur des fleurs », a été plus abondamment traité à cause de son lien avec l’amour. Il convient d’étudier le caractère éphémère des fleurs en général. Nous renvoyons cependant à la thèse de Charles JORET, la rose dans l’Antiquité et au Moyen Âge (Paris, 1892).52 JUVENAL, Satires, trad.de Labriolle et Villeneuve, Paris, Les Belles Lettres, 1967 : « car elle précipite sa course descendante, la fleur de ma jeunesse, cette portion si brève d’une vie restreinte et misérable » (satire IX, vv. 126-129)

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fleur] » ou encore « Pareil à la fleur, il [L’Homme] éclot puis se fane »53. De même, on trouve dans les Psaumes l’idée que l’homme s’apparente à de l’herbe, parce que « [ces jours sèchent comme de elle] ». Cette fragilité de la vie, métaphorisée dans la brièveté de la fleur ne donne lieu au Moyen Âge et à la Renaissance qu’à un sentiment de mélancolie devant ce qui se finit. Des Periers (1510-1544), un évangéliste proche de Marguerite de Navarre s’écrie :

Tant de joyaux, tant de nouveautés belles,Tants de présent,tant de beautés nouvelles,Bref, tant de biens que nous voyons fleurir ;Un même jour les fait naître et mourir ! 54

Avec le Baroque, nous sommes davantage dans le funèbre et le tragique. La fleur ne symbolise plus comme avant l’amour, mais la vie-elle même. C’est pourquoi Chassignet en vient à dire que:

Nos jours entremêlés de regret et de pleurÀ la fleur comparés comme la fleur fleurissent,Tombent comme la fleur, comme la fleur périssent,Autant comme du froid tourmentés de l’ardeur.55

Si la fleur est choisie pour illustrer la brièveté de la vie et par là même la vanité du monde, c’est peut-être pour son ambivalence. Sa beauté s’accompagne en effet de sa péremption. On peut admirer la fleur où la mépriser pour son caractère éphémère. Nombreux sont les poètes baroques de l’Espagne du XVIIe à parler même de « engañadora flor ». Il y a peut-être également derrière cette utilisation massive par le baroque de l’image de la fleur la volonté de détruire l’image un peu désuète de la fleur comme symbole de l’amour que la Renaissance a employé à l’envi.

1.2.2 Stérilité/caducité de la vieSi, d’aventure, on venait à considérer l’opinion de Saint Augustin

selon laquelle tout ce qui finit n’est rien, que penser alors de ce rien lorsque sa finitude est brève ? Dans un tel cas, brièveté et caducité sont synonymes. C’est d’ailleurs ce qui fait dire à La Roche Chandieu que : « Ce qui vit sur la terre et tout ce qui en est/Est caduque et mortel(II) ».

53 Job, XIV, 1-1054 DES PERIERS, Des roses55 CHASSIGNET, Op.cit.

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En filigrane de ces vers et du thème de la caducité de la vie se cache le psaume XXXVIII, attestant du néant de l’homme devant Dieu :  « ma durée est comme rien devant toi ;/Rien qu’un souffle, tout homme qui se dresse,/Rien qu’une ombre, l’humain qui va ;/Rien qu’un souffle, les richesses qu’il entasse[…] 56 ». Ce passage de la Bible ainsi que les images du souffle et de l’ombre vont connaître un très grand succès par la suite.

Certes, sur la caducité de la vie, ce ne sont pas les images qui manquent : du reflet platonicien à la thématique du miroir, de la fumée du sic transit gloria mundi57 à l’image de la coquille vide et/ou du coquillage feignant le bruit de la mer, n’importe quel objet ou concept liés aux idées de tromperie, d’illusion et de vanité suffisent à exprimer la stérilité, le manque de consistance du monde et de la vie. Cependant, les images les plus parlantes et les plus employées restent celles de l’impalpable : le vent, l’ombre et le songe. Pour Jean Froissart, « le temps s’enfuit ainsi qu’une ombre »( Le joli Buisson de Jeunesse), tandis que pour Jacques Tatureau (1527-1555):

Tout ce que l’Homme fait, tout ce que l’Homme penseEn ce bas monde ici,N’est rien qu’un vent léger, qu’une vaine espérancePleine d’un vain souci.58

S’adressant au mondain, cet être qu’il juge « sans fruict », La Roche Chandieu( 1534-1591) reprend le topos de la vie-fleur pour souligner en même temps que sa brièveté, la caducité de cette dernière :

[…] Combien que tu fleurissesEn biens et en honneurs, en plaisirs et délices,Ta fleur, qui trompe et ment,N’est qu’un jouet du vent.(VIII)

Cette image du jouet du vent, était déjà manifeste chez Horace59 et on la retrouve chez Madame Guyon, lorsqu’elle dit : « [je suis]un fêtu dont le 56 Ps XXXVIII, vv 7-8.57 « Ainsi passe la gloire de ce monde », variante de la Vanitas mundi extraite de L’imitation de Jésus Christ. Lors de l’élection d’un nouveau pape, la tradition veut qu’un cardinal prononce cette phrase en faisant brûler devant lui un morceau de coton. 58 TATUREAU, Jacques, Stances59 « O navire, des vagues nouvelles vont t’emporter sur la mer !Que fais-tu ?Reviens hardiment au port.[…]Si tu ne veux pas être le jouet des vents, prends garde. »(HORACE, Odes, Livre I, XIV)

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vent se joue,/une ombre fausse, un pur néant ». Le vent symbolise le vide dans un premier temps (Sponde ne qualifie-t-il pas la vie « d’ ampoule venteuse » ?), mais surtout la force supérieure qui passe et emporte tout avec lui, les jours comme la vie. De là le parallèle avec le temps. Chez Fiefmelin, nous avons l’idée que « cette vie est de plume, et de vent son passage,/Sur passe est le monde où tout vole estant né ». De même, Sponde nous avertit : « [Homme] commence d’apprendre/Que ta vie est de Plume, et le monde de Vent ». Mais c’est avec Drelincourt que le parallèle est le plus aboutit : « Mes jours ne sont qu’un vent qui passe ». On peut associer à cette image du vent celle de l’ombre et celle, presque identique, du songe. Dans Ajax, Sophocle disait déjà : « nous ne sommes que des fantômes, une ombre vaine ». Bien plus tard, Calderon écrira même que La vie est un songe. On l’aura compris, ce qui se cache derrière toutes ces métaphorisations, c’est l’idée de caducité à travers l’évanescence :

 L’ombre est tantost icy, et puis soudainement,Elle s’évanouit : ainsi lesgerementS’enfuit la vie humaine, inconstante et volage.60 

Telle une bulle de savon, la vie naît, se laisse porter par le vent et finit par éclater et libérer tout le vide qu’elle contenait.

Paradoxalement, la caducité admet une concrétisation : c’est la leçon exemplaire des ruines selon laquelle, suivant le vieil adage ovidien, le temps détruit tout (tempus edax rerum61). D’après Roland Mortier, c’est à Rutilius Namatianus que l’on doit la première évocation négative des ruines dans une œuvre littéraire :

Agnosci nequerunt aevi monument aprioris:grandia consumpsit moenia tempus edax.Sola manent intercepta vestigia muris ;Ruderibus latis tecta sepulta iacent.Non indignemur mortalia corpora solui:

Cernimus exemplis oppida posse mori. 62

60 CHASSIGNET, Op.cit., sonnet XCIX61 OVIDE, Métamorphoses, XV, 23462« On ne peut plus reconnaître les monuments des âges passés ; le temps, qui dévore tout, a détruit les murs grandioses. Il ne reste que des vestiges, une ligne de remparts effondrés çà et là ; sous de vastes décombres, les toits gisent ensevelis. Nous nous indignons pas si le corps des mortels ont une fin : des exemples nous font voir que les

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Avec Namatianus, l’évocation des ruines ne sert que d’exemple à la puissance destructrice du temps. Après lui, le thème sera relayé par le Moyen Âge, puis par les humanistes italiens tel Pétrarque pour enfin être repris par Du Bellay pour avoir le succès que l’on connaît. Chez ce dernier, le constat des ravages du temps sur Rome s’accompagne d’une certaine mélancolie qui lui fait prendre conscience de la vanité du monde :

[Nouveau venu qui cherches Rome dans Rome]Vois quel orgueil, quelle ruine : et comme[Celle qui mit le monde sous ses loisPour dompter tout, se dompta quelquefois,Et devint proie au temps, qui tout consomme.[…]Ô mondaine inconstance !Ce qui est ferme, est par le temps détruit,Et ce qui fuit, au temps fait résistance.63

Reposant sur l’invitation à une confrontation du faste passé d’une ville avec l’indigence que suggère ses ruines, il n’empêche qu’une telle évocation ne peut que montrer la vanité et l’orgueil. D’où cette véhémente déclaration de Sponde à propos de l’antique Carthage :

Ceste insolente là ! La pompe qu’elle aimaLe brasier dévorant du feu la consuma ;Que je ne ris au lieu, Carthage, de te plaindre. 

Chez les poètes de langue espagnole comme Lope de Vega ou Quevedo, l’évocation des ruines sert de prétexte au souvenir nostalgique et au constat triste de la caducité. Lope rappelle l’effet destructeur du temps et réutilise le vent et l’écho comme images poétiques dans ces quelques vers :

 Vivas memorias, maquinas difuntasQue cubre el tiempo de ceniza y hielo,Formando cuevas donde el eco al vueloSolo de viento acaba las preguntas.64

Quevedo quant à lui, est davantage dans la nostalgie:

villes peuvent mourir », Rutilius Namatianus, De Reditu suo, cité par MORTIER, Roland, in Poétique des ruines en France (Genève, Droz, 1974).63 DU BELLAY, Les Antiquités de Rome, III64 LOPE DE VEGA, Rimas sacras. Nous traduisons : « Mémoires vivantes, machines défuntes,/que le temps recouvre de cendre et de glace,/en creusant des cavités où l’écho au vol/ finit les questions avec seulement du vent. »

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Miré los muros de la patria mia,Si un tiempo fuertes, ya desmorados,De la carrera de la edad cansados,Por quien caduca ya su valentía.65

Quelques sonnets auparavant, il s’écriait: « ¡como se ha reducido /Toda su fama en un eco ! »

Pour illustrer davantage la caducité de la vie en général, le topos de l’ubi sunt se réfère à quelques vies particulières et illustres. La gloire passée des rois et des empereurs est confrontée par cette simple évocation latine à leur réalité présente, c’est-à-dire à la mort ou au néant. Le retour dans le passé et la confrontation de ce dernier avec le présent appelle tout naturellement à une méditation sur le temps, la mort, la vanité, y compris d’une vie illustre66. Le topos apparaît pour la première fois dans le De Brevitate Vitae de Sénèque. La Bible l’utilise à plusieurs reprises : avec L’Ecclésiaste, Isaïe, et dans le livre de Baruch. Mais c’est avec les Pères de l’Église, Saint Paul en premier et Saint Bonaventure par la suite, que la locution va se figer et se littérariser. Selon Etienne Gilson67, Saint Bonaventure est le premier à lui associer une énumération d’hommes célèbres et d’objets, ce que le Baroque ne manquera pas de faire à son tour, dans sa logique d’accumulation et de saturation. D’après Pedro Salinas, l’Ubi sunt? est une « maquinaria de ejemplaridad » constituée de deux éléments, l’un invariable et l’autre non. L’élément invariable, du moins dans le principe plus que dans la forme, est l’anaphore de la locution latine ou vernaculaire, où est posée la question de la disparition avec une certaine monotonie, une certaine langueur. Le deuxième élément, variable, est le nom ou les noms que l’on décide d’accoler au premier élément et qui au cours du temps varient et ne font que passer. A l’Antiquité, il s’agit de personnages héroïques ou puissants. Au Moyen Âge, des poètes comme Charles D’Orléans ou François Villon,

65 QUEVEDO, Poesias varias. Nous traduisons : « Je regardai les murs de ma patrie,/ un temps solides, aujourd’hui démolis, usés par le chemin de l’âge, pour qui son courage est à présent caduque. »66 Le « Ubi est, mors, victoria tua ? » de l’Apôtre, est du même acabit : le « triomphe » de la Mort, une fois confronté au passé vertueux du défunt, perd considérablement de sa superbe.67 GILSON , Etienne, , « De la Bible à François Villon », École pratique des hautes études, Melun, impr. Administrative, 1923.

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pour qui la Bible constitue une source directe, apportent une dimension nouvelle au topos, en associant à l’élément invariable la femme :

Dictes-moy où, n’en quel paysEst Flora, la belle Romaine ? 

Ou encore, chez Rutebeuf, des amis personnels :Que sont mes amis devenusQue j’avais de si prés tenusEt tant aimés !68

Cette humanisation (il ne s’agit plus de gloires passées mais de personnes inconnues) et cette universalité du topos s’accompagne en Espagne d’une actualisation, d’un ancrage dans le présent. Le poète Jorge Manrique délaisse les références antiques au profit de personnalités proches du présent. Ce qui fait en outre la singularité de Manrique dans la tradition du planctus que constitue l’ubi sunt ?, c’est pour Salinas la réduction du nombre de personnages cités(8 chez Manrique, 36 chez Juan de Mena par exemple), ainsi que la réduction qu’il opère dans l’espace et dans le temps. En somme, son originalité tient au fait qu’il rend proche et animé un topos très ancien et gravé dans le marbre . A l’ère Baroque, le topos est guère utilisé, si ce n’est dans une volonté archaïsante. Des poètes comme Pierre Mathieu le détourne, peut-être en vue d’une meilleure efficacité sur les consciences, sans pour autant sembler l’assumer ou peut-être pour rompre avec une lourde tradition. On le devine pourtant en filigrane de ces vers :

Ceste grandeur des Rois qui nous semble un colosse, N’est qu’ombre, poudre, et vent. 

Il ne reste plus rien des éléments invariables et variables de Salinas. Seule est retenue la leçon de l’Ubi sunt ?, qui consiste à appuyer le triomphe de la mort et à mettre en lumière l’égalité des hommes face à elle. Malherbe l’appliquera d’ailleurs mieux que quiconque dans les vers qui suivent :

Ont-ils rendu l’esprit, ce n’est plus que poussièreQue ceste Majesté si pompeuse et si fièreDont l’esclat orgueilleux estonne l’Univers,Et dans ces grands tombeaux où leurs ames hautaines

68 RUTEBEUF, La complainte Rutebeuf, vv.109-111

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Font encore les vaines,Ils sont mangez des vers.69

C’est dans l’anonymat des grands passés, tous regroupés dans le mot « Majesté », et dans leur fonte, qui représente leur situation actuelle et universelle, dans le mot « poussière » , que réside toute la force poétique et toute l’originalité de cette reprise, par Malherbe, d’une très vieille leçon.

1.2.3 Les jours comptésIl n’y a que lorsque l’on arrive au terme de sa vie que l’on peut

juger à quel point celle-ci a été brève et stérile. Heureusement, certains topoï comme le cotidie morior, le memento mori ou l’image du flambeau qui s’éteint nous rappelle que notre vie se consume chaque jour un peu plus( signalons au passage ce vers de Quevedo : « !Oh, como te deslizas, vida mia ! »), et qu’elle n’est, somme toute, qu’une lente mort.

Cette dernière image du flambeau renvoie à la symbolique du feu comme puissance de vie. Avec peut-être dans une certaine mesure le mythe de Prométhée, voleur de feu, c’est chez Lucrèce que l’on trouve ce qui pourrait bien être la première occurrence de cette image. A Athènes, il était d’usage, lors des courses de relais de se transmettre un flambeau. Lucrèce, inspiré par ces jeux écrit : « et quasi cursores, vitai lampada tradunt » (et comme les coureurs, les hommes se transmettent le flambeau de la vie). Chez Horace, l’image est beaucoup moins belle : à propos de la vieillesse d’une femme jadis belle, il finit son ode sur cette scène cruelle, dans laquelle « les bouillants jeunes hommes pourront, non sans rire, voir le flambeau tomber en cendres ». Ces vers ont peut-être inspiré Etienne Dolet (1509-1546) qui dans son Cantique d’Etienne Dolet prisonnier à la conciergerie de Paris, dit, à propos de son propre corps :

Sois tôt ou tard ce corps deviendra cendre,Car à nature il faut tribu rendre,Et de cela nul ne peut se défendre :Il faut mourir.

La cendre, avenir promis à chacun, compare implicitement la vie à un feu qui se consume. A la fin du XVIe siècle, l’image envahit la poésie. Dans sa 69 MALHERBE, Recueil des plus beaux vers, V

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Stance de la Mort, Sponde parle de « la flameuse vie », confirmant l’idée déjà énoncée dans sa Stance de la Cène que la vie est un « vivant flambeau ». Le feu qui se consume, le flambeau qui s’éteint symbolisent la mort prochaine, appellent en quelque sorte la cendre à venir. C’est ce qui lui fait dire que « cette vie n’est rien que le fanal qui [le] mène au mourir ». Laurent Drelincourt met en lumière ce côté péremptoire du flambeau, qui tend nécessairement à s’éteindre, en explicitant la comparaison avec la vie :

Ta vie est-elle pas une ombre passagère,Un flambeau qui s’écoule, et qui tire à sa fin ? (XXV)

Mais là où d’aucuns ne font, par l’emploi d’une telle image, que rappeler la définition même de la vie, c’est-à-dire une lente mort, Pierre Mathieu préfère, lui, remarquer la fragilité de cette vie et le caractère imprévisible de la mort, en faisant appel notamment à l’image du vent :

La vie est un flambeau, un peu d’air qui soupire,La fait fondre et couler, la souffle et la détruit .

Cependant, pour La Céppède, si le flambeau s’éteint, c’est à cause du monde, mais une fois mort, il renaît de ses cendres. C’est le chant de la résurrection :

Le flot de ce bas monde éteint notre fambeau,Mais après que la mort l’a trempé dans la tombe,Il revit, et rebrille, et plus clair, et plus beau .70

A bien des égards, l’image du flambeau qui s’éteint s’inscrit dans la tradition du memento mori. Cette locution latine était prononcée à tout général romain défilant à Rome après une victoire. C’est du moins ce que nous dit Tertullien dans son Apologétique(chap33). Mais avec l’exemple du banquet de Trimalchion dans le Satyricon de Pétrone, est rappelée l’ancienne coutume gréco-latine qui consistait à porter un squelette en même temps que l’on amenait les mets au cours d’un repas, afin d’insister auprès des convives sur la nécessité d’apprécier le moment, étant donné qu’un jour, il leur faudra mourir. On se rapproche avec cette variante du memento mori du thème du Carpe Diem Horatien. Si la Bible condamne les pécheurs qui s’écrient : « mangeons et buvons, car demain il nous

70 LA CEPPEDE, Théorèmes 1613-1621

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faudra mourir !71 », l’auteur des Odes se place à rebours de cette philosophie en disant : « Nunc est bibendum ! » (Maintenant il faut boire). L’intention première du topos du memento mori est bien évidemment moralisatrice, surtout chez les auteurs chrétiens. Dans la Genèse, Dieu dit à l’Homme : « memento quia pulvis es » (souviens toit que tu es poussière). Cette pensée se répète chez Horace, où il est rappelé que « Pulvus et umbra sumus72 »(nous ne sommes qu’ombre et poussière ). Avec Hélinand de Froidmont, l’accent est mis sur la véritable intention du Memento mori :

Ô Mort, s’il se pouvait, hélas !Que les riches à toi pensassent,Ils songeraient moins à l’argent.73

Il s’agit certes de rappeler aux hommes qu’ils vont mourir, mais dans une volonté d’agir sur eux, de modifier leurs comportements. Ce n’est pas du didactisme mais de l’endoctrinement d’une certaine façon. C’est également au Moyen Âge (peut-être la peste noire du XIVe siècle y est-elle pour quelque chose ?) que le memento mori va s’illustrer dans les danses macabres. Aux XVI et XVIIe siècles, le rappel de la mort se fait des plus violents. L’injonction suivante de Sponde : « Vivez, hommes, vivez, mais si faut-il mourir ! » relève presque du cynisme et de l’ironie. Chassignet, lui, est beaucoup plus morbide : « L’homme, voisin de l’angoisseuse biere »74.

Il est des poètes qui ne se contentent pas de rappeler aux hommes que leur fin est proche. Ils préfèrent leur faire prendre conscience que la mort les accompagne, qu’ils sont déjà en train de mourir et qu’il leur faut donc apprendre à bien vivre avec cette idée. La vie est inséparable de la mort nous dit Sénèque : «  Cotidie morimur ;cotidie enim demitur aliqua pars vitae, et tunc quoque, cum crescimus, vita descrescit »75. Au Moyen Âge, cette pensée est tellement ancrée dans les esprits, que l’on trouve la

71 Isaïe, 22,1372 HORACE, Odes, Livre IV, VI, v-1673 FROIDMONT, Op.cit74 CHASSIGNET, Op.cit, sonnet CCXC75 SENEQUE, Lettres à Lucilius, 24, 20 : « Oui, chaque jour nous retire une portion de notre vie ; alors même que l’être est en croissance, la somme de nos jours décroît »(traduction d’H. Noblot pour les Belles Lettres, 1976).

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variante de la vie-mort. Dans L’Imitation de Jésus Christ, on trouve l’exhortation suivante :

Pour maxime infaillible imprime en ta penséeQue chaque instant de vie est un pas vers la mort,Et qu’il faut de ton âme appliquer tout l’effortÀ goûter chaque jour une mort avancée. 

La vie n’est pas vie mais cruelle agonie. En un sens, la vie telle qu’on l’entend n’existe à aucun moment, ou alors réside-t-elle seulement dans l’acte de naître. Pour François Ier, vivre, c’est véritablement mourir : « Malgré moi je vis, et en vivant je meurs ;/De jour en jour s’augmentent mes douleurs ». En Espagne, Juan de Mena(1411-1456) renchérit : « ¿Quien non muere antes que muera ?/ca la muerte no es morir,/pues consiste en el bevir »76. Plus tard avec Francisco de Aldana (1537-1578), cette image est renouvelée et prend une autre dimension, encore plus parlante et poétique : dans son sonnet intitulé « Reconocimiento de la vanidad del mundo », le poète se rend compte que sa vie n’a consisté qu’à « andar muriendo » (marcher en mourant). Le «  mourir en vivant » de François Ier était moins parlant, parce que vivre est une notion non-visuelle. Avec Aldana on perçoit très bien le mourant en train de marcher. Au temps des guerres de religion, le topos du Cotidie morior se retrouve aussi bien chez Chassignet :

Nous allons à la mort, mais nous n’y courons pas,Et mourons tous les jours[…]

Que chez Quevedo[…]muerte viva es, Lico77, nuestra vida,Ayer el frágil cuerpo amenecida,Cada instante en el cuerpo sepultada.78

Mais toujours selon Sénèque, si toute la vie nous mourons, « Toute la vie on doit apprendre à mourir ». En effet, l’homme n’est pas préparé à la mort, et, de fait, il ne sait pas comment gérer sa vie :

Tu ne veux pas mourir, et tu ne sçais pas vivre,

76 JUAN DE MENA, Obras completas, éd. M-A Perez Priego, Barcelona, Planeta, 1989. Traduction: « Qui ne meurt pas avant sa mort ?/ car la mort, ce n’est pas mourir,/ mais vivre ».77 Destinataire poétique courant dans la poésie du Siècle d’Or78 QUEVEDO, Poesias varias. Traduction : « Notre vie, Lico, est une mort vivante,/qui naissait hier dans le corps fragil,/et qui chaque instant y meurt. »

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Ignorant que la vie est une vive mort.79

De tous ces rappels plus ou moins effrayant de la mort il y a une leçon à retenir, une fois prévenu de l’imminence, sinon de la simultanéité de la mort avec la vie : « De toutes tes actions, souviens-toi de ta fin, et tu ne pécheras jamais ». C’est ce que nous dit la Bible, dans le Livre de Siracide (7,36).

1.3 LA VIE COMME ÉPREUVE 

Catapulté dans un monde hostile et sournois, l’homme doit durant le peu de temps qui lui est échu - c’est-à-dire pendant toute sa vie – emprunter un chemin de vie qui va déterminer ce qu’il est et ce qu’il sera après sa mort. On peut même s’hasarder à dire que la tradition littéraire de la Vanitas s’éloigne un tantinet de la tradition chrétienne en ceci que peu de place y est en effet laissée à la Providence ; l’Homme doit lutter avec le monde mais il n’est pas prédestiné, seuls ses actes et ses choix vont le définir, dans une sorte de pré-existentialisme. La vie est une épreuve que l’Homme doit emporter pour son salut : il doit résister à la tentation et au piège du Carpe Diem, cette fausse volupté. Au-delà de l’alternative entre l’épicurisme et le stoïcisme qui lui est laissé se trouve une autre alternative, beaucoup plus radicale : le Monde ou Dieu.

1.3.1 Piège du Carpe Diem et de la concupiscenceL’Homme recherche toujours le Bonheur. C’est une des premières

vérités ontologiques. Montaigne ironise même dessus en disant : « Toutes les opinions du monde en sont là, que le plaisir et notre but[…]. Qui écouterait celui, qui pour sa fin établirait notre peine et mésaise ? »80. Si pour certains philosophes cette quête est réalisable dans cette vie, d’aucuns disent qu’elle ne peut véritablement être possible qu’après la mort. A cela, la religion ajoute que de la façon de vivre dépend le bonheur futur. Mais il s’en trouve encore certains qui, ne sachant plus très bien ce qu’il en est, préfèrent vivre dans l’instant présent et céder à la tentation du Carpe Diem et de la concupiscence, ignorant que leur volupté est fausse et pernicieuse.

79 MATHIEU, Op.cit. 80 MONTAIGNE, Essais, « Que philosopher c’est apprendre à mourir »

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À l’Antiquité, cette recherche du Bonheur ne laissait place qu’à une alternative entre les deux doctrines en compétition que sont le stoïcisme et l’épicurisme. La première est une doctrine rationaliste qui voit dans l’harmonie entre la nature et la raison un moyen d’accéder à la sagesse et au bonheur. Mais c’est avec sa morale, caractérisée par une indifférence à la douleur que le stoïcisme va véritablement asseoir son influence pendant des siècles. Avec les guerres de religion viendra l’avènement du néo-stoïcisme, une résurgence de l’école antique prônant la prise de recul et la distanciation. L’épicurisme est quant à lui une doctrine matérialiste : elle prône en effet la recherche du bonheur par l’ataraxie, cette paix de l’âme qui ne peut être atteinte qu’en se débarrassant des plaisirs non naturels et futiles. Relativement facile à pratiquer dans la vie de tous les jours, cette théorie philosophique a connu un très grand succès dans l’Antiquité. Attrayante, elle place la volupté procurée par la jouissance de la vertu au-dessus de tout et fait du plaisir le Souverain Bien. Mais ce n’est pas pour rien qu’Épicure juge bon de préciser : «  Lorsque nous disons que le plaisir est le souverain bien, nous ne pensons pas aux plaisirs des débauchés ni à ceux qui consistent dans les jouissances physiques.[…]Le plaisir dont nous parlons consiste dans l’absence de souffrance physique et de trouble de l’âme81 ». Cette alternative philosophique laissée à l’homme entre l’épicurisme et le stoïcisme dans sa recherche du bonheur laisse place dès la fin de la littérature médiévale à deux courants de pensées antagonistes, le vitalisme et l’ascétisme. La posture vitaliste devant la mort consiste en littérature à valoriser la vie par horreur du trépas, comme dans ces vers du dramaturge Juan del Encina(1468-1533) :

Tomemos hoy gasajado[placer]Que mañana bien[viene]la muerte;Bebemos, comamos fuerte[…]Que mañana ayunaremos.82

81 EPICURE, Lettre à Ménécée82 ENCINA, Antruejo, première églogue. Traduction : « Prenons aujourd’hui du plaisir,/parce que demain la mort arrive ;/buvons, mangeons fortement,[…]/parce que demain nous déjeunerons. »

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C’est la posture qu’adoptent entre autres l’auteur du Libro de buen amor, l’Arcipreste de Hita et plus tard celle de Garcilaso. Le vitalisme prône également la jouissance de la vie et incite à profiter de chaque instant. Il connut un grand succès à la Renaissance. Par opposition, l’ascétisme est une vision négative de l’homme et du monde qui exacerbe l’horreur de la mort et qui se développa au XVe siècle avec les Danses Macabres pour atteindre son paroxysme avec le baroque religieux. En définitive, la vanité du monde ne laisse place qu’à deux choix de vie : prendre du recul par rapport au monde, ou en jouir pleinement pour profiter de l’instant présent.

D’une mauvaise interprétation de l’épicurisme83 va naître l’invitation à l’hédonisme emblématisée par la locution Carpe Diem empruntée à Horace. Dans ses Odes, ce dernier conseille : « Carpe diem quam minimum credula postero84 » (cueille le jour sans te soucier du lendemain). Mais si l’épicurisme fait montre d’un certain hédonisme, il s’agit là d’un hédonisme modéré, associé à la sagesse. L’élégante injonction ronsardienne qui conseillait de « [cueillir] aujourd’hui les roses de la vie » (s’inspirant du « collige, virgo, rosa » d’Ausonio) ou encore le plus trivial « Nunc est bibendum » d’Horace ne doivent point être compris comme une incitation au plaisir mais davantage comme une exhortation à bien vivre l’instant présent. Le Carpe Diem, dans son intention première rejoint celle du memento mori. C’est la vérité que Des Periers tentera de rétablir et de faire comprendre :

[…]Vous donc, jeunes fillettes,Cueillez bientôt les roses vermeillettesA la rosée, ains que le temps les vienneA dessécher ; et, tandis, vous souvienne

83 Suivant le « Epicuri de grege porcum » (le pourceau du troupeau d’Épicure), comme s’aimait à s’appeler Horace(Liv. I, ép. IV, v.16) lui-même, Guy de Pibrac mettra sérieusement à mal la doctrine, en allant jusqu’à animaliser les partisans d’Épicure, lesquels forment à ses yeux un troupeau à l’antipode de celui de Dieu :

Ne vas suivant le troupeau d’Epicure,Troupeau vilain, qui blaspheme en tout lieu,Et n’escroyant ne cognoist autre DieuQue le fatal ordre de la nature.

C’est même la religion chrétienne toute entière qui condamne la recherche épicurienne de la volupté, puisqu’elle ne peut être le Souverain Bien.84 HORACE, Odes, Livre I, XI, v.8

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Que cette vie, à la mort exposée,Se passe ainsi que roses ou rosée 85.

Chez les auteurs de la Pléiade, le recours au Carpe Diem, s’il n’a pas une dimension didactique fortement marquée, n’en reste pas moins teinté de pessimisme. Seulement, c’est la galanterie que l’on retient le plus chez Ronsard, encore que dans son poème « Quand vous serez bien vieille », la beauté péremptoire de la « mignonne » , confrontée à la postérité éternelle de l’art, s’efface. A la Renaissance, on cherche le compromis, l’équilibre entre l’exhortation à jouir du présent, et le rappel de la mort, même si cette dernière n’est pas explicitement mentionnée, comme euphémisée. Le poète maniériste Cristobal de Mesa (1559-1633) nous en donne un bel exemple, en remplaçant la mort par le temps:

Coged el fruto con la breve vida,Que la edad pasa y muda toda cosa,Y todo al fin tras si lo lleva el tiempo86.

Garcilaso cherche même à atténuer le memento mori en adoucissant la mort, devenue neige:

Coged de nuestra alegre primaveraEl dulce fruto antes que el tiempo airadoCubra de nieve la hermosa cumbre cabeza (soneto XXIII).

En réaction à cet essoufflement de la force persuasive du memento mori dont le Carpe Diem semble être la cause première, le Baroque et tout particulièrement Chassignet ne vont pas, à cause de la Mort, vouer un culte à la vie, mais plutôt recentrer le regard sur la mort, ramener le lecteur à une méditation sur celle-ci. C’est la fameuse hypotypose du cadavre :

Mortel, pense quel est dessous la couvertureD’un charnier mortuaire un corps mangé de vers,Décharné, dénervé, où les os découverts,Dépoulpés, dénoués, délaissent leur jointure […]

Le sonnet de Chassignet est souvent comparé à la « Charogne » baudelairienne. Ils constituent tout d’eux des perles de la poésie macabre. Néanmoins, il serait peut-être pertinent de souligner que dans son poème, Baudelaire, dans la lignée didactique de Chassignet, s’il 85 DES PERIERS, Des roses. Nous soulignons.86 CRISTOBAL DE MESA, Rimas

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renoue avec la tradition baroque du memento mori, la renforce en détournant le Carpe Diem :

Et le ciel regardait la carcasse superbeComme une fleur s’épanouir.

Nombreux sont ceux qui condamnent la nouvelle conception de la vie que la mésinterprétation de ce qui constitue une tradition aussi bien littéraire que philosophique prône. Savourer le monde, la vie mondaine, s’engouffrer dans les délices du monde, dans son miel c’est tombé dans le piège du Carpe Diem et de la Vanité.

Le procès de la concupiscence est l’un des plus virulents qu’il ait été donné à la littérature religieuse et morale de faire. La condamnation de la chair est sans appel : elle est un des « trois ennemis » de l’âme avec le Monde et le Diable, cité par Sponde dans son célèbre sonnet. On retrouve cette même appellation chez La Céppède et Quevedo. Ce dernier insiste d’ailleurs sur le fait qu’ « ils se ressemblent tellement dans le monde [qu’on] les [confond] l’un l’autre ». On ignore la source d’une telle mise en parallèle, toujours et-il que la Bible enfermait déjà la chair dans une sorte de triptyque infernal : « Car tout ce qui est dans le monde/-la convoitise de la chair,/La convoitise des yeux/Et l’orgueil de la richesse-/Vient non pas du Père,/Mais du monde87». On assiste, parallèlement à cette dévalorisation de la chair, à une dévalorisation des concupiscents, des voluptueux, le plus souvent au moyen d’une animalisation, et ce dès L’Antiquité. Héraclite affirme que « si le bonheur consistait dans les plaisirs du corps, nous dirions heureux les bœufs quand ils trouvent des pois à manger »88, corroborant Sénèque qui prétend que « voluptas, bonum pecoris est »89. Plutarque va même plus loin en raillant les amoureux de la concupiscence et des richesses, les amoureux du monde en somme, dont l’amour « rapproche la créature humaine de l’âne ou de la fourmi » et en comparant les avares à « ces rats qui vivent dans les mines et qui y mangent de la terre mélangée à d’or : on ne peut tirer d’eux le précieux métal que quand ils sont crevés et

87 Première épître de Saint Jean, 2, 1688 HERACLITE, Op.cit, p.10589 SENEQUE, Lettres à Lucilius, traduction de J.Baillard, Livre XIV, lettre XCII : «« la volupté, c’est le bonheur de l’animal ». 

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qu’on leur a ouvert le ventre »90. Au Moyen Âge, le combat contre la chair est toujours de mise, puisque, selon Kempis, elle reste « notre fière ennemie, /que tant que nous traînons cette ennuyeuse vie,/nous avons à combattre autant qu’à respirer ». Auparavant, Hugues de Saint Victor la diabolisait en prétendant que « Ad carnem pertinet delectatio », et que « delectatio, est serpens »91. Tous tendent à rendre la chair répugnante, et à comparer ses consommateurs à de vils animaux. Hélinand de Froidmont les comparent souvent à des porcs ou à des grenouilles. A l’époque Baroque, Angot de l’Eperonnière (1581- ?) cherche à démontrer la vanité de la chair, qui selon lui ne procure qu’une volupté matérielle et donc fausse. Tout en poursuivant l’animalisation des pécheurs, il dit, dans ces quelques vers d’inspiration biblique : Nostre chair n’est que foin, qui le matin verdit

Et le soir devient sec, se froisse et flestrit.

La concupiscence et les plaisirs de ce monde ne sont qu’une nourriture basse et sans consistance. C’est un peu le discours que tient Sponde lorsqu’il dit que « les repas du Monde où l’homme se nourrit/ne sont que pour le ventre ». Image triviale et scatologique que celle du ventre, lieu de passage où rien ne reste. A bien des égards, il semble qu’il n’y ait pas de place au Royaume de Dieu pour ceux qui préfèrent le Monde au Ciel.

1.3.2 Le Monde ou DieuLa religion chrétienne est construite autour d’antagonismes

extrêmes : Dieu /Satan, le Paradis/l’Enfer, la Terre/le Ciel. Mieux encore, cette bipolarité relève beaucoup plus du manichéisme que d’un simple goût pour les contraires. Dans le choix entre le Monde ou Dieu, insensé est celui qui se fie au premier. Pourtant ils sont encore nombreux à le faire, surtout au XVIe siècle, ce qui fait dire à Théophile de Viau que de tous les siècles, « la Vertu n’eut jamais un […] plus barbare »92. C’est en fait qu’avec les guerres de religion se sont quelque peu adoucis la radicalisation, le manichéisme entre le Bien et le Mal. Il incombera donc 90 PLUTARQUE, « De l’amour des richesses » dans Œuvres complètes, éd. V.Betolaud, t.I, Paris, Hachette, 187091 SAINT VICTOR, Hugues, Six opuscules spirituels, II : « A la chair se rapporte la delectation[…] ; la délectation c’est le serpent ».92 THEOPHILE DE VIAU, « Élégie à une Dame » dans Œuvres poétiques( éd. Streicher, Genève, Droz, 1967)

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aux poètes baroques de grossir davantage le trait pour ne permettre aucune demi-mesure. Pour se faire, le recours à la spatialisation du choix et à des figures de l’apaisement sont nécessaires.

La bipolarisation manichéenne du choix laissé à l’Homme entre le monde ou Dieu n’est pas nouvelle, et sous-tend la religion chrétienne toute entière : « Qui est de ce monde n’est point de Dieu » (Mathieu, 6). Le manichéisme se fait par contre-point le plus souvent : Dieu est bon, par conséquent le monde est mauvais. Dans la parabole de la brebis égarée, la figure du Bon Pasteur est une figure d’apaisement, de soulagement pour la brebis perdue dans le cloaque du monde :

Passerais-je un ravin de ténèbre,Je ne crains aucun mal car tu es près de moi93.

La patristique développe la dialectique trouble/apaisement à travers l’image de la tempête en mer et du port, perçu comme un havre de paix. Chez Lucrèce, cette dialectique germait déjà :

Suave mari magno, turbantibus aequora ventis,E terra magnum alterius spectare laborem,Non quia vexari quemquam est jucunda voluptas.Sed quibus ipse malis careas quia cernere suave est. 94

de même que chez Horace : « Le repos, voilà ce que le marin[…] demande aux dieux, quand les noirs nuages cachent la lune et qu’on ne peut plus se guider sûrement sur la lumière des étoiles » (livre I,XVI). Au XIIIe siècle, Hélinand de Froidmont utilise cette image à l’envers (le monde est un port et la vie post-mortem est une mer où l’on navigue plus ou moins bien selon la vie que l’on a mené) pour illustrer la repentance :

Si avant de sortir du port,On calfate sa nef, alorsOn navigue sereinement.(49)

Face aux troubles que suscitent le monde, Fray Luis de León, emprisonné, éprouve un certain malaise, et de profondis en appelle à Dieu pour trouver l’apaisement :

93 Ps. XXIII, 494« Quand l'Océan s'irrite, agité par l'orage,/Il est doux, sans péril, d'observer du rivage/Les efforts douloureux des tremblants matelots/Luttant contre la mort sur le gouffre des flots ;/Et quoique à la pitié leur destin nous invite,On jouit en secret des malheurs qu'on évite ». ( LUCRECE, De rerum Natura, livre II, vv.1-4).

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 ? y dejas, Pastor Santo,Tu grey en este valle hondo, oscuro,Con soledad y llanto […]?Aqueste mar turbado¿Quién le pondrá ya freno?[…]¿qué Norte guiara la nave al puerto?

A l’époque baroque, Pedro de Espinosa (1578-1650) explicite un peu plus le thème de l’apaisement en comparant les tourments de son âme « al triste piloto » qui vogue « por el mar incierto ». Les poètes français de la même époque vont chercher à rendre encore plus radicale la bipolarisation. Dans ses Théorèmes , La Céppède réactualise l’expression biblique « secundum altitudinem coeli a terra » (la terre est loin du firmament, PS. 102, 11)tandis que Sponde oppose au « fiel amer de ce monde », le « miel céleste ». Le pessimisme dont il fait preuve concernant la lutte contre une mer démontée pour parvenir au port dans ces vers :

Mille flots, mille escueils, font teste à votre route,Vous rompez à travers, mais à la fin sans doubteVous serez le butin des escueils, et des flots.95

est un pessimisme qui n’a aucunement l’intention de décourager les vertueux ou les pécheurs désirants se repentir mais qui participe plutôt de l’entreprise de radicalisation du choix de vie : plus le monde apparaît cruel, plus le ciel devient attrayant.

A défaut de se radicaliser, le choix laissé peut également se concrétiser dans l’espace, de façon verticale d’abord avec la métaphore du ou des Mont(s) de Vertu qui s’inspire pour une large part d’Hésiode :

Long, ardu est le sentier qui y mène,Et âpre tout d’abord. Mais atteinsSeulement la cime, et le voiciDès lors aisé, pour difficile qu’il soit.96

Ce Mont de Vertu est très difficile d’accès. Sa montée se fait dans la peine et la douleur, comme un calvaire. Il arrive que certains hommes ne considèrent pas la vertu comme un moyen d’atteindre le bonheur, tant ils sont dans l’erreur et l’ignorance selon Boèce :

95 SPONDE, Stances de la Mort, V96 HESIODE, Les Travaux et les Jours, vv.290-292.

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Mais où donc gît le bien, lui que tant ils[les hommes] désirent,Ils en restent ignorants, et ne savent le voir ;Lui qui est au-delà de la voûte étoilée,C’est en bas, sur la Terre, qu’ils veulent le trouver.

C’est parce que le bien, se situe « au-delà de la voûte étoilée » que le mont ou la montagne ont été choisi pour symboliser cet idéal, ce regard porté vers le ciel. C’est dans cette optique que Jean Gerson a choisi d’intituler son traité didactique sur la prière La mountaigne de contemplation. Le mont, c’est le compromis entre la terre et le ciel, un compromis qui permet et symbolise l’union à Dieu. Cette figuration de l’effort de l’homme pour aller à Dieu, sorte élévation spirituelle par l’ascension d’un mont est depuis longtemps très répandue dans la littérature chrétienne. La spiritualité n’est qu’affaire de parcours vertical : « nous montons vers la paix de Jérusalem » dit Saint Augustin pour qualifier l’acte de prier97. La Céppède rappelle que

Christ même choisit un mont pour enseigner,Fit briller sur un mont les éclairs de sa gloire,Et s’en va sur un mont ses chauds vœux desseigner.98

Claude Hopil est certainement de tous les auteurs baroques, celui qui a le plus travaillé cette métaphore spatiale. Pour lui, « la terre est pour le corps,/le ciel est pour nostre âme ». De ce fait, il faut :

[Lever] nos yeux aux montagnes de Dieu[pour ne pas croupir]au centre de ce lieu,Qui n’est pas le séjour de nos célestes âmes.

Quelques décennies plus tard, le poète espagnol Mañara développe toutes les possibilités de la métaphore, en la bipolarisant : il n’y a désormais plus un mais deux monts, celui de Sion, de Vertu, de Dieu, de la Vérité, et un deuxième, celui de Babylone, du Vice, de Satan, et de la Vanité. Les deux monts se font faces. Le premier est presque désert et silencieux, le deuxième est très peuplé et y règne la félicité en même temps que la confusion.

97 SAINT AUGUSTIN, Confessions, XIII, 998LA CEPPEDE, Théorèmes de 1613, sonnet VII. La Céppède fait ici référence au Sermon de la Montagne (Mathieu, 5) et à l’épisode de la Transfiguration (Mathieu, 17).

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Cependant, à la spatialisation verticale, les auteurs ont, de tout temps et de loin, préféré la spatialisation horizontale, celle des chemins et/ou des voies. A l’Antiquité, le thème moral du droit chemin est très présent, notamment chez Sénèque : «Rectum iter, quod sero cognoui et lassus errando, allis monstruo clamo : « Vitate quaecumque vulgo placent, quae casus adtribuit » »99. Chez Horace, il n’y a pas à proprement parler de chemin, mais plutôt deux cheminements : une errance ou une destination spirituelles, sous la forme d’une route maritime qui empêche de tourner en rond au gré du hasard : « Je n’accordais que rarement aux dieux un hommage languissant à l’époque où j’allais au hasard, occupé à une déraisonnable sagesse ; aujourd’hui, il me faut retourner mes voiles et refaire la route que j’avais abandonnée »100. Dans la Bible, et tout particulièrement dans les Proverbes, il n’est question que de « droit chemin » et de « bon sentier ». Mais c’est Mathieu dans son Évangile qui rend le mieux la métaphore, en y ajoutant une description significative du bivium : « Large, en effet, et spacieux est le chemin qui mène à la perdition, et il en est beaucoup qui s’y engagent ; mais étroite est la porte et resserré le chemin qui mène à la vie, et il en est peu qui le trouvent » (Mathieu, 6,13)101. Au Ve siècle, le grec Xénophon, rapportant les paroles de Prodicos, est selon Erwin Panofsky102 le premier à illustrer la parabole dans une fable où est mis en scène l’acte de décision, ainsi que le premier à y intégrer deux figures fémines : Hercule, sur « le chemin de vie » voit arriver deux femmes, la Vertu et le Vice, qui se proposent de le conduire au bonheur. Les Pères de l’Eglise vont avoir à cœur de radicaliser les deux figures, en insistant sur la laideur du Vice comparée à l’extrême beauté de la Vertu. Cette allégorie du libre-arbitre, qui fait de la figure d’Hercule à cause de son choix, «  un prototype de la vertu stoïcienne », a beaucoup influencé l’humanisme allemand et italien, en peinture comme en littérature. Dante, s’il ne

99 SENEQUE, Lettres à Lucilius, Livre I, lettre VIII : « Le droit chemin, que j’ai connu tard et lorsque j’étais las d’errer, je l’indique aux autres ; je leur crie : evitez tout ce qui séduit le vulgaire, tout ce que le hasard dispense[…] »100 HORACE, odes, livre I, XXXIV101 Voir aussi Luc, 13, 24102 PANOFSKY, Erwin, Hercule à la croisée des chemins, Leipzig, Berlin, B.G.Teubner, 1930 pour l’édition originale.

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reprend pas le thème d’Hercule à la croisée des chemins utilise pourtant dans sa Divine Comédie, la métaphore :

Nel mezzo del cammin di nostra vitaMi ritrovai per una selva oscura,Che la diritta via era smarrita.103

Sur ce point précis de la métaphore des chemins, le Moyen Âge se caractérise par une très grande volonté didactique : Hélinand de Froidmont affirme catégoriquement que l’âme doit choisir « la vie qui fait le plus souffrir/ et renoncer aux agréments ». Thomas A. Kempis lui, préfère dire que « le plus sûr chemin pour aller vers les cieux,/ c’est d’affermir nos pas sur le mépris du monde ». Mais c’est Rutebeuf qui se fait le plus véhément : « Rien ne sert de vivre à qui ne prend la bonne voie »104. Au Siècle d’Or, Quevedo illustra le choix d’Hercule en se mettant lui-même en scène face aux deux chemins : «  Lorsque je distinguai[…] deux chemins qui partant du même endroit divergeaient brutalement, comme s’ils ne songeaient qu’à se fuir »105. Mais c’est à Mañara qu’il incombera de délivrer la leçon essentielle de la métaphore : «  cado uno miré como anda, que sus pasos le diran el fin que lleva ».

1.3.3 Une épreuve décisiveLa vie se résume en somme à un combat plus ou moins conscient

avec la Vanité. C’est une épreuve métaphysique décisive au cours de laquelle choisir son camp (mondain ou divin) s’avère primordial : du choix définitif dépendra la vie future. Toujours est-il qu’il y a une différence entre être un voyageur ou être un pèlerin dans cette vie. Le rôle joué détermine l’issu de la pièce.

Pour la littérature spirituelle, la vie n’offre qu’un pauvre répertoire : seuls deux rôles sont à jouer, celui du pécheur et celui du vertueux. Ces

103 DANTE, Divine Comédie, « L’Enfer », chant I : « Quand j’étais au milieu du cours de ma vie,/Je me vis entouré d’une sombre forêt,/Après avoir perdu le chemin le plus droit. » (traduction d’Antoine de Rivarol)104 Au rebours de ce didactisme catégorique et parfois véhement dans l’utilisation de la métaphore du bivium au Moyen Âge, Guillaume de Digulleville(1295-1358) joue la modération : dans son Pèlerinage de la vie humaine sont associés aux chemins un guide, la Grâce de Dieu, et une haie, sorte de frontière perméable qui sépare les deux voies. Dans sa thèse sur l’auteur médiéval, Philippe Maupeu voie dans cette haie une matérialisation de la Pénitence et la fonction médiatrice de l’Eglise. 105 QUEVEDO, « Songe de l’Enfer », dans Songes et discours

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deux attitudes peuvent être animalisées, comme dans ces vers de Claude Hopil :

Des vers et des serpens la terre et la demeure.Les monts sont pour les cerfs[…].106

ou métaphorisées dans les figures du voyageur, qui se contente d’aller de la naissance à la mort, et du pèlerin, qui cherche à faire de son séjour sur terre un cheminement spirituel. Le premier se laisse porter par le courant de la vie et ses plaisirs, « quasi sine navi laborantem influctibus, impetus aquae decurrentis secum trahit » nous dit Saint-Victor 107. Le deuxième, des deux chemins de Vice et de Vertu, a choisi le plus difficile. Marc-Aurèle au IIe siècle comparait la vie à « une halte de voyageur », ayant pour guide la philosophie. Juvénal par contre, dresse une ébauche très proche de la figure du pèlerin lorsqu’il clame : « Cantabit vacuus coram latrone viator » (le voyageur qui n’a rien passera en chantant devant les voleurs). Un voyageur qui n’a rien, c’est en quelque sorte un pèlerin dépouillé de tout ce qui pourrait l’encombrer, et sur qui le monde, n’a aucun pouvoir. Étymologiquement, le pèlerin est celui qui voyage au loin. Mais ce voyage n’a pas besoin d’être physique, il peut être uniquement spirituel et intériorisé. « Nous n’avons pas ici-bas de cité permanente, mais nous sommes à la recherche de la cité future » peut-on lire dans la Bible (Heb.13, 14). C’est donc dans le ciel que le pèlerin doit voir la motivation de son voyage. Le pèlerinage à Jérusalem est en réalité une recherche symbolique de la Jérusalem céleste. Si « Yahvé ne refuse pas le bonheur/ à ceux qui marchent en parfaits » (Ps.84, 12), la marche peut n’être que métaphorique, une sorte de pèlerinage de l’esprit108. Quoiqu’il en soit, la vie ne devient une épreuve que lorsque l’homme décide de prendre le chemin de Vertu et de devenir, se faisant, une sorte de pèlerin. Une fois engagé dans un itinéraire spirituel, le plus gros reste à faire. La

106 HOPIL, Claude, Méditations sur le Cantique des Cantiques et les douces extases de l’âme spirituelle, éd. G. Peyroche, D. Arnaud, Genève, Droz, 2000 .Note explicative : le cerf est dans la littérature spirituelle le symbole de l’âme en quête de Dieu.107 SAINT-VICTOR, Hugues, Op.cit., IV: « tel un naufragé s’agitant dépourvu de vaisseau au milieu des flots, le courant, impétieux de l’eau l’entraîne »( traduction de Roger Baron).108 C’est pourquoi on voit apparaître dans la littérature du XIV et XVe siècles des « pèlerinages de la vie humaines » allégoriques, à l’instar de celui de Guillaume de Digulleville.

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route n’est pas toute tracée et le bout du chemin ne sera atteint qu’au prix d’une certaine maturation de l’esprit109. Chez les platoniciens et autres pseudo-platoniciens, l’itinéraire profane pour accéder aux mondes des Idées passe par un détachement de l’âme au sensible, une libération des passions et une réflexion sur l’âme. Avec Jean Climaque (VIIe siècle), l’itinéraire est ascensionnel et passe par des « degrés »110. Cependant, la mystique adopte plutôt le schéma des trois voies qui se succèdent de Saint-Bonaventure (De triplica via) : la voie purificatrice, la voie illuminative et la voie unitaire. Au Moyen Âge, les auteurs incitent l’homme à se conduire en pèlerin, malgré la difficulté de la tâche :

Ne tiens sur la terre autre placeQue d’un pèlerin sans arrêt,Qui ne prend aucun intérêtAux soins dont elle s’embarasse ;Tiens-y-toi comme un étrangerQui dans l’ardeur de voyagerN’a point de cité permanente.111

Le baroque fera de même. Chassignet priera le « pèlerin de la terre » de ne plus s’abandonner « aux appas terriens » (CCLXXIII) et s’adressera directement aux « voyageurs de ce monde » pour les pousser à suivre la bonne voie :

Vous, voyageurs du monde et non vrays habitants,Qui logez vos desirs aus maigres passe-tems, Triumphes, dignitez, et richesse du monde :Jusqu’à quant tiendrez vous la pensee et les yeuxContre terre fichez sans regardier aus cyeus,Lieu de vostre patrie où tout plaisir abonde ?112

On notera cette constante du baroque qui consiste à cibler et interpeller par le vocatif le lecteur-pécheur. Deux épreuves supplémentaire sont promises à l’homme dans sa vie : le spectre du Jugement Dernier, qui plane sur lui comme une menace, et la Fortune, qui fait régner sur le monde l’instabilité et surtout 109 Sur cette maturation et sur la description de l’itinéraire spirituel, voir Dictionnaire de Spiritualité, article « voie ».110 Cette idée sera reprise par Saint-Augustin et Jean de la Croix (Subida del monte Carmelo).111L’ Imitation de Jésus Christ112CHASSIGNET, Op.cit., sonnet CIV

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l’insécurité. Sur la première épreuve, il y a peu à dire : il s’agit en réalité bien plus d’une contrainte dans le cours de la vie que d’une épreuve ; la nécessité de bien agir est soulignée car il faudra rendre des comptes. C’est en fait, une épreuve à venir qui doit nous guider dans nos choix. Elle remplit la même fonction que le memento mori, à savoir rappeler la finalité du parcours (la mort et le jugement) pour en améliorer l’accomplissement. Le Moyen Âge sur ce sujet délicat vacille entre une rhétorique de la sobriété :

Homme, quoi qu’ici-bas tu veuilles entreprendre,Songe à ce compte exact qu’un jour il en faut rendre ( Imitation de Jésus Christ).

et une rhétorique de la peur, comme chez l’espagnol Gonzalo de Berceo (XIIIe siècle) :

El dia del Judicio mucho es de temer,Mas que ninguna cosa que podiesse ser;Avra omne sus males ante si a traer,Non podrá nulla cosa de su mal esconder.113

Quevedo, dans son « songe du Jugement Dernier » réalise une description pour le moins terrifiante, une sorte de théâtre de la comédie humaine qui en fait ressortir le ridicule et l’effroyable pathétique. Si le Jugement Dernier sous-tend l’idée de justice divine, la Fortune quant à elle relève davantage de la justice et de l’injustice profane dans un premier temps du moins. Dans l’Eneide de Virgile, il est dit : « Fortunat superat »114. D’abord connotée positivement, avec la roue de la Fortune, elle promet une certaine justice ainsi qu’un certain équilibre : ceux qui sont en haut de la roue peuvent se retrouver du jour au lendemain tout en bas et vis-et-versa. C’est un peu le rôle qu’elle s’octroie dans la Consolation de la philosophie. Cependant, le Moyen Âge va considérablement l’enlaidir (preuve en est son apparition sous la forme d’une vieille femme hideuse dans Perceval ou le conte du graal). Elle s’assombrit et devient l’incarnation même de l’injustice et de l’insécurité. La première strophe

113 BERCEO, Gonzalo de, Los signos del Juicio Final. Nous traduisons : « il convient de craindre le jour du jugement, plus que tout autre chose ; tous devront porter leur fautes devant eux, ils ne pourrons rien cacher de leurs péchés. » 114 VIRGILE, L’Enéide, V : « La Fortune est souveraine ».

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du Cancionero de Baena de Gonzalo Martinez de Medina commence ainsi :

Fortuna, en pocas jornadas,Muda, trasmudo todo lo humano.

Avec Juan de Mena, on cherche à stigmatiser la Fortune ( dont il faut considérer « el seso, mas non el vocablo », str.33, v.3) et en même temps à la sanctifier. De l’avis de Françoise Maurizi, il faut voir dans Le labyrinthe de Fortune l’absence même de toute personnification de cette dernière et l’omniprésence de la Providence comme des preuves d’une volonté chrétienne de récupérer un thème païen115. La fin du Moyen Âge va en effet chercher à christianiser cette déesse païenne dont Saint-Augustin s’étonnait même qu’elle fut divinisée116, en faisant d’elle un avatar de la Providence. C’est désormais sous cette forme qu’elle apparaîtra chez les poètes baroques, soucieux de montrer la toute puissance de Dieu.

Certes, la vie est une épreuve, mais une épreuve décisive, un jeu tragique par excellence. En effet, la vie est régie par la promesse de la mort, ce principe fondamental, dont on sait qu’il est inéluctable. Mais dans la tradition de la Vanitas Mundi, si la vie est une épreuve mortelle, obligation est donnée d’y participer et selon la façon dont on joue, on peut à l’arrivée être gagnant ou perdant, avoir bien joué son rôle ou l’avoir mal interprété. Si Sénèque condamne ceux qui « agitur vita per lusum»117, c’est parce qu’il faut agir, être acteur de sa propre vie, et non se laisser vivre. Dans une de ses prosopopées de la mort, Hélinand de Froidmont lui fait dire :

Mes dés sont tous de deux ou d’asAfin que tous vos coups soient vains.

Les jeux de hasard, le jeu de dés ne se joue qu’avec la mort, qui est toujours gagnante. En revanche, avec la vie, le monde, le jeu est beaucoup plus complexe : c’est un jeu d’échecs qui demande de l’anticipation et de la réflexion. Chez Hélinand, la Vanité pourchasse les

115 MAURIZI, Françoise, « la visiva potençia » in Actes du Colloque International Juan de Mena des 16 et 17 Janvier 1998, Université de Caen, Paris, édition du temps, 1998116 SAINT AUGUSTIN, De Doctrina Christiana, Livre IV, XVI-XVII 117 SENEQUE, Lettres à Lucilius, Livre II, lettre XX :  « prennent la vie comme un jeu ».

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pécheurs « jusqu’à les faire échec et mat ». Chassignet reprendra la métaphore des jeux de dés(CCXVIII), tandis que Pierre Mathieu compare la vie à une « table de jeux » ou à un jeu d’échecs sur l’échiquier duquel « les noms sont distingués, et tout n’est que du bois ». Cette métaphore du jeu a été le plus souvent occultée par une autre beaucoup plus parlante, celle du Theatrum mundi, qui vise à répéter la formule de Pétrone selon laquelle « Mundus universus exercet histrionam »(le monde entier joue la comédie) soit pour en montrer la duplicité, l’illusoire de ce monde, soit pour faire office de memento mori, en insistant sur le tragique de la pièce jouée sur le théâtre du monde et de la vie. Selon Érasme, « La vie des hommes est-elle autre chose qu’une pièce de théâtre où chacun s’avance masqué et tient son rôle, jusqu’à ce que le metteur en scène lui demande de sortir? Je vous le dis : il n’y a partout que du travesti, et c’est ainsi que se joue la comédie humaine… ». A cela Ronsard ajoute que

Le monde est un théâtre et les hommes acteurs,La Fortune qui est maîtresse de la scèneApprête les habits, et de la scène humaine,Les cieux et les destins en sont les spectateurs.118

et rappelle ainsi que la pièce jouée est destinée à être jugée. Mais c’est véritablement avec le baroque et son obsession de la mort que le tragique va envahir la pièce et le théâtre. Shakespeare précise que la scène du monde joue « un drame » (Comme il vous plaira) et Mathieu que « la mort la finit toujours en Tragédie ». Plus tard Pascal le janséniste sera encore plus violent dans le choix des mots : « Le dernier acte est sanglant, quelque belle que soit la comédie en tout le reste. On jette enfin la terre sur la tête, et en voilà pour jamais»(197). Bien après, Federico Balart, un poète espagnol du XIXe siècle condensera la vérité et le tragique de la vie dans ce seul distique :

La accion de la tragedia sera varia,Pero siempre es igual el desenlace.119

Comme toutes les traditions littéraires, la Vanitas Mundi a perduré à travers les siècles grâce à des renouvellements successifs apportés par 118 RONSARD, Epilogue à une comédie119 BALAT, Federico, Sus mejores versos, édition posthume, 1912

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des auteurs influencés le plus souvent par la Bible et les philosophes gréco-latins, soucieux de porter un héritage et d’assurer une continuité, et ce, à des époques et des courants esthétiques et philosophiques différents. Mais les topoï ne sont pas sacro-saints, de même que la tradition de la Vanitas. Faire perdurer une tradition, ce n’est pas toujours sombrer dans le conservatisme, mais essayer de la rendre vivante. Dans le cas particulier qui nous occupe, l’objectif premier est didactique. A chaque époque, donc, de trouver le moyen de rendre prégnante, une idée antédiluvienne. Or, les motivations et le contexte varie selon les siècles.

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INDEX NOMINORUM

AAldana, 30Angot de l’eperonnière, 10, 35Aubigné, 4, 5, 14, 16

BBerceo, 41Boèce, 9, 17Bossuet, 22

CCalderon, 9, 25Carrion, 14Cervantès, 9Chassignet, 4, 9, 10, 14, 17, 18, 21, 23, 30

DDes periers, 23Dolet, 28Drelincourt, 15, 24, 28Du bartas, 9Du bellay, 18, 25

EEncina, 32Épictète, 8Epicure, 32

FFavre, 21Fiefmelin, 24François ier, 11, 14, 30Froidmont, 16Froissart, 24

GGarnier, 22Gerson, 37Gilbert dubois, 13

Guyon, 24

HHéraclite, 21Homère, 22Horace, 20, 24, 28, 32, 33

JJuvénal, 22

KKempis, 12, 14, 15

LLa céppéde, 29, 34La roche chandieu, 18, 23, 24Labé, 21Lope de vega, 26Lorris, 20Lucrèce, 19, 28

MMaguerite de navarre, 23Manrique, 21Mathieu, 10, 11, 19, 27, 29Mena, 30Mesa, 33Montaigne, 9Mortier, 25

NNamatianus, 25Nieremberg, 10

OOrléans, 27

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PPascal, 14, 21Pétrarque, 17, 19, 25Pétrone, 29Pibrac, 17, 32Platon, 8, 16

QQuevedo, 10, 11, 13, 17, 21, 26, 28, 30, 34

RRonsard, 20Rotrou, 10Rutebeuf, 10, 14, 17

SSaint augustin, 21, 23

Saint bonaventure, 26Saint paul, 26Saint-augustin, 17Salinas, 22Sénèque, 14, 16, 20, 21, 26, 30, 31Sophocle, 24Sponde, 13, 15, 24, 26, 28, 30, 34, 35

TTaillement, 20Tapié, 5Tatureau, 24Tertullien, 29Troyes, 10

VViau, 35Villon, 16, 18, 26, 27, 45Virgile, 11, 15, 17, 20

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Page 62: charlesnoel666.free.frcharlesnoel666.free.fr/M%E9moire/m%E9moire%202.docx · Web viewNous allons à la mort, mais nous n’y courons pas, Et mourons tous les jours[…] Que chez Quevedo

TABLE DES MATIERES

INTRODUCTION 4

PLAN DU MÉMOIRE 7

CHAPITRE I: UNE TRADITION LITTÉRAIRE ET PHILOSOPHIQUE 8

1.1 LE PIÈGE DU MONDE 81.1.1 UN SPECTACLE TROMPEUR 81.1.2 UN THÉÂTRE DES TENTATIONS 121.1.3 UNE PRISON DORÉE 161.2 LE TEMPS QUI PASSE 191.2.1 BRIÈVETÉ DE L’EXISTENCE 191.2.2 STÉRILITÉ/CADUCITÉ DE LA VIE 231.2.3 LES JOURS COMPTÉS 281.3 LA VIE COMME ÉPREUVE 311.3.1 PIÈGE DU CARPE DIEM ET DE LA CONCUPISCENCE 311.3.2 LE MONDE OU DIEU 351.3.3 UNE ÉPREUVE DÉCISIVE 39

BIBLIOGRAPHIE 44

INDEX NOMINORUM 48

TABLE DES MATIERES 50

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