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Écrire et lire, dans cet ordre Author(s): André Martinet Source: La Linguistique, Vol. 31, Fasc. 2 (1995), pp. 89-94 Published by: Presses Universitaires de France Stable URL: http://www.jstor.org/stable/30249085 . Accessed: 10/06/2014 14:11 Your use of the JSTOR archive indicates your acceptance of the Terms & Conditions of Use, available at . http://www.jstor.org/page/info/about/policies/terms.jsp . JSTOR is a not-for-profit service that helps scholars, researchers, and students discover, use, and build upon a wide range of content in a trusted digital archive. We use information technology and tools to increase productivity and facilitate new forms of scholarship. For more information about JSTOR, please contact [email protected]. . Presses Universitaires de France is collaborating with JSTOR to digitize, preserve and extend access to La Linguistique. http://www.jstor.org This content downloaded from 195.34.79.92 on Tue, 10 Jun 2014 14:11:05 PM All use subject to JSTOR Terms and Conditions

Écrire et lire, dans cet ordre

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Écrire et lire, dans cet ordreAuthor(s): André MartinetSource: La Linguistique, Vol. 31, Fasc. 2 (1995), pp. 89-94Published by: Presses Universitaires de FranceStable URL: http://www.jstor.org/stable/30249085 .

Accessed: 10/06/2014 14:11

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ECRIRE ET LIRE, DANS CET ORDRE

par Andrd MARTINET

Ecole pratique des hautes itudes

How to teach reading raises diferent problems from one language to another. As far as

possible, it is preferable to teach writing before or at least as soon as reading.

Dans le monde contemporain, le maniement satisfaisant d'une

langue de culture suppose quatre types de competence: la pro- nonciation d'enonces oraux, la comprehension de ces 6nonc6s, la production d'6nonces 6crits, la comprehension de ces 6nonc&s. Ce sont ceux qu'on dtsigne souvent au moyen des termes anglais, the four skills.

L'acquisition de ces competences se fait dans des conditions tres diff6rentes, selon qu'il s'agit des deux premibres, qui impli- quent des productions orales, ou des deux dernibres qui recla- ment l'ecriture. Mis "a part les cas pathologiques, l'acquisition des

comportements oraux, qu'il s'agisse de l'actif, la production, ou du perceptif, la comprehension, se realisera par la simple integra- tion de l'individu dans la

societt. Le resultat sera plus ou moins

satisfaisant, selon les capacitts inntes de cet individu et selon la structuration de la societd dans laquelle il vit. Mais, at tort ou

t raison, on estime que le processus d'acquisition des comp&- tences orales se fait <<naturellement , par simple satisfaction des besoins de l'individu dans le milieu o il grandit.

Il en va tout autrement de l'acquisition de la reproduction graphique des productions orales et de leur identification a la lecture. Les conditions de ce passage peuvent varier sensiblement selon que la graphie de la langue se compose au depart et en

La Linguistique, Vol. 31, fasc. 2/1995

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grande partie d'ideogrammes, c'est-a-dire de signes plus ou moins stylists correspondant chacun ' des notions, donc, souvent, au depart, de representations graphiques approximatives d'objets. Rien n'empechera, dans ce cas, qu'un enfant identifie le dessin d'un poisson avec la notion ou l'animal correspondant. Mais, en fait, les 'critures idtographiques se composent d'une large majorite de signes que l'enfant devra identifier par convention, normale- ment par un entrainement scolaire. Ii y a, dans toute langue, trop de notions dont on ne peut donner une representation gra- phique immediatement identifiable.

La situation est tout autre dans le cas d'une ecriture alphab&- tique: il n'y a aucune chance que l'enfant identifie a vue les mots ecrits poisson, fish, ryba comme autant d'equivalents de l'espece animale en cause. En principe, dans de tels systemes graphiques, chaque signe successif correspond, a l'oral, a un son type parti- culier, dhnud de toute signification. C'est ce que le linguistique designe comme un phoneme, chaque phoneme correspondant

' une habi- tude articulatoire particulibre. La graphie, dans ce cas, se compose de signes purement conventionnels. C'est bien ce que nous trou- vons, en franqais, dans sur, par, fini, avec, carnaval, macadam ofi c- figure dans ces trois derniers mots sans impliquer entre eux aucun rapport de sens. Dans des langues, comme le finnois, oui la graphie s'est fix"e assez recemment, la correspondance entre chaque signe graphique et chaque phoneme est parfaite. Dans ce cas, dis que l'enfant manie la langue parlke a la satisfaction generale, il suffit de lui apprendre l'equivalence d'une certaine habitude articula- toire, celle, par exemple, qui s'approche du ou du frangais cou, avec la lettre u de la graphie, pour qu'il puisse ecrire, sans crainte d'erreur, n'importe quel mot de la langue qu'il sait prononcer. Mis en face d'un texte, il en identifiera sans probleme chacune des lettres successives et, aide par les blancs qui separent les unites successives de sens, il attribuera immndiatement sa valeur a chacune de ces dernieres. Ceci, bien stir, dans les limites du vocabulaire

qu'il pratique. C'est 1l, malheureusement, ce qu'un petit Frangais ne peut

se permettre: des siecles d'6volution de la langue ont rendu impos- sible l'identification automatique d'un phoneme et d'une lettre, d'une habitude articulatoire bien acquise vers l'Fge de six ans et d'un signe graphique particulier, et vice versa: la lettre e cor- respondra, dans perdu, au phoneme not6 ai dans mais; dans femme,

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apres le f-, au phoneme note a dans flamme, et, a la finale, a rien de perceptible. Dans le couvent, le -ent correspond au phoneme note an dans flan, mais a z6ro dans elles couvent. Et ainsi de suite. Dans ces conditions, il ne pourra etre question de laisser l'enfant utiliser la graphie pour s'exprimer avant qu'on lui ait enseigne, au cours de longues annees, toutes les chausse-trapes de ce qu'on designe comme l'orthographe.

L'enfant sait, des l'abord, qu'il ne doit pas 6crire un mot avant d'avoir appris quelle lettre il doit choisir a chaque point. Cela l'obligera, pendant toute sa vie, a consulter le dictionnaire pour eviter de commettre des bevues orthographiques: un -n- simple pour un -nn- double, un -y- pour un -i- 1 o0i un -ph- voisin le suggere, dans sphinx, par exemple. Ou encore, il lui faudra relire son contexte pour &viter un -e simple lt oii -des s'impose. La crainte de la faute retire toute confiance a l'enfant et peut l'empecher de s'exprimer par la plume lorsque lui prend le d6sir de le faire.

On a pense qu'une solution du problime pouvait consister a faire apprendre a l'enfant la forme 6crite de chaque mot sans

analyse en lettres, sans donc faire intervenir les phonemes. C'etait, en quelque sorte, se replacer dans les conditions d'une langue at criture ideographique. L'idde venait d'Angleterre, pour une langue oui la correspondance lettre-phoneme comportait beau- coup plus d'entorses qu'en frangais. Soit le mot laugh <<rire >. Seul le 1- initial reproduit fiddlement le phoneme correspondant. Le -au- qui suit devrait s'6crire -ar- pour reproduire la prononcia- tion londonienne. Quant au -gh final, normalement muet dans though ou thigh, il se prononce comme un f Le petit anglophone a donc intir&t t identifier sans l'analyser, la forme laugh comme l'6quivalent de la notion <<rire >.

La situation est tout autre pour le franqais rire oui r- et -r- sont les repr6sentants normaux du phoneme /r/, -i- l'Cquivalent presque universel de /i/, et oui le -e final est muet dans l'usage general.

On comprend donc que la mithode de lecture dite <<globale >, sans analyse des lettres du mot ecrit, soit largement favoris&e par les anglophones, alors qu'il parait difficile, pour les Frangais, de faire totalement abstraction des correspondances lettre-phoneme. A l'inverse, on a pu envisager pour eux, dans un premier temps, de simplifier au maximum l'apprentissage de l'icriture et de la

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lecture, dans cet ordre, en proposant t l'enfant un equivalent graphique de chaque phoneme de telle sorte qu'il n'ait, pour 6crire la langue, qu'a reproduire son propre usage parld. A cinq ans, le jeune francophone sait, en parlant, distinguer entre ses

phonemes. Meme si certains ont encore une difficulte i repro- duire, 'a la satisfaction des adultes, la distinction entre roche et rosse, ils entendent parfaitement la diff6rence et protestent si leur interlocuteur ne la reproduit pas.

Il y a plus de vingt ans que l'experimentation se poursuit sur ces bases, a Villeneuve-le-Roi et t Fuveau, dans les Bouches- du-Rh6ne, tout d'abord, puis 'a Versailles. L'alphabet retenu est

designe comme l'alfonic. 11 retient, pour chaque phoneme de la

langue, la graphie la plus fr6quente, telle que le mot ecrit en alfonic s'&carte le moins possible de la forme orthographique, mais en respectant scrupuleusement la regle: toujours le meme

signe pour un phoneme donne, sans 6gard aux d6viations ortho-

graphiques. Pas de digraphes pour un phoneme: chapeau devient

/hapo/. L'alfonic doit pouvoir etre reproduit par un clavier fran- de machine a 6crire: les voyelles nasales sont marquees comme

telles par un tr6ma: chanson devient /hais6/. Le son ou est note /w/, aussi bien dans /tramwU/ pour tramway, que dans /zwav/ pour zouave, /pwavr/ pour poivre, /wvrir/ pour ouvrir. Au scan- dale des adultes, mais dans l'indiff6rence des d6butants, /x/ a 6te choisi pour noter le eu de feu, celui de peur et le e de brebis. Les enfants qui distinguent brun de brin, le distingueront comme /brx/ au lieu de /bre/. Ceux qui ne confondent pas tdche et

tache, ont la latitude de noter /tAh/ pour le premier, /tah/ pour le second. Mais les jeunes tendent a negliger cette distinction, et ils restent libres de suivre leurs propres habitudes ou d'adopter la pratique de leurs camarades ou celle de leur maitresse. L'essentiel est d'assurer la comprdhension mutuelle a la lecture, comme elle se realise a l'audition.

Il n'est pas question de tenter de supprimer, pour l'enfant, I'acces t l'orthographe qu'il va trouver partout autour de lui, dans la rue et ailleurs : ce qu'il 6crirait, lui, /farmasi/ va appa- raitre ailleurs comme PHARMACIE, avec un PH- initial inat- tendu, une succession -ARMA- formellement diff6rente de ses minuscules /-arma-/, un -C- pour son /-s-/ et un -E muet. Sans meme le vouloir, il va s'accoutumer aux divergences entre l'alfonic et les diverses formes assumees par les mots dans l'orthographe.

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C'est bien ainsi que nous avons tous appris ' identifier les majus-

cules d'-ARMA- et les minuscules d'-arma-. Bien entendu, il faut prendre garde ta ce que l'enfant ne con-

fonde pas alfonic et orthographe. On aura note qu'ici la distinc- tion est assuree par les barres obliques qui cernent les formes en alfonic. Dans la pratique scolaire, alfonic va apparaitre en

rouge et en minuscule baton, l'orthographe en noir ou bleu et en cursive liWe. Des l'abord, en entrant en classe, l'enfant va trouver, affich6 sur le mur, son prinom en alfonic et en orthographe. Lorsqu'on abordera d'autres textes que ceux rediges par les enfants de la classe ou des correspondants d'une autre classe, il s'agira de textes imprimes en orthographe, mais avec chaque ligne recou- verte d'un papillon portant le texte en alfonic.

Voici, en alfonic, le debut de La cigale et la fourmi:

/la sigal eyi hate/ /tw 1 ete/ /sx trwva for depwrvu/ /ca la bizx fu vxnu/ (en diction normale: /ci la biz fu vnu/)

A l'6tonnement des maitres et des expirimentateurs, on a cons- tat6 que beaucoup d'enfants, apres six mois de pratique alfonic, au niveau de la grande section de maternelle ou du cours prepa- ratoire, etaient capables de lire seuls un texte orthographid pris au hasard. Quelques accrochages initiaux, comme l'h6sitation devant -oi-, dans il itait une fois..., par exemple, pour le /fwa/ d'alfonic, 6taient rapidement vaincus.

Vers la fin janvier, donc apres cinq mois d'initiation ' alfonic, un jeune garcon, choisi au hasard, a ete invitei lire, a voix haute, un texte imprim6 normal. IL a reproduit sans erreur la premiere ligne oui se trouvait la nasale -an- dans laquelle il a reconnu sans hWsitation son /-i-/ alfonic. A la seconde ligne, il achoppe devant pendant. Il est 6videmment tent6 de prononcer -en- comme son /-e-/, c'est-a-dire -in-, mais cela ne fait pas de sens. L'expirimentateur lui vient en aide et prononce le mot que repete l'enfant. A la ligne suivante, se trouve la preposition en qu'il n'hWsite pas un instant " identifier pour ce qu'elle est et

qu'il prononce, correctement, comme un /i/ alfonic. Plac6 disor- mais devant une graphie en, il va, sans hesiter choisir la pronon- ciation qui fait un sens dans le contexte.

Alfonic, on le comprend, permet de dissocier l'apprentissage

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du passage de l'oral a l'6crit, aisement realisable en quelques mois, de l'acquisition d'une maitrise de l'orthographe frangaise qui, les

dicttes Pivot le montrent, n'est jamais acquise intigralement que par des individus exceptionnels. L'enfant de six ans va done pouvoir reproduire par ecrit tout ce qui lui passe par la tite, expliciter et communiquer avec sa plume tout ce qu'il veut communiquer de son expirience. Pour celui qui est, des l'enfance, rompu

'

passer de la pens&e a l'6crit, tout 6crit se presente naturellement comme une invitation a partager une pens6e, t r6aliser l'effort de retrouver derriere un texte ce que l'autre ta voulu faire savoir, a trouver ou retrouver, par exemple, le sens d'un mot en se fiant au contexte. On entend souvent dire aujourd'hui que maints

enfants, a l'entrte en sixibme, << ne savent pas lire >>. Ceci ne veut

pas dire qu'ils ne connaissent pas leurs lettres. Mais, ayant peu ecrit pour communiquer quelque chose, ils ne sont pas tentes de trouver un sens derriere toute graphie. Ils n'ont jamais eu de problkme pour passer du v6cu a son expression orale ni de

l'expression orale au v6cu. Mais, n'ayant guere pratique, par peur de la faute, le passage du vecu '

la'crit, ils ont peine 'a retrouver le v6cu derriere l'&crit.

Un episode illustre bien ce qu'est v6ritablement <<lire >>, une fois l'aptitude acquise. Dans une classe qui, pass6e par alfonic, a, depuis quelques mois, debouche sur l'orthographe, le maitre a reproduit, au tableau noir, en cursive, l'original d'un conte d'enfant. Il s'agit de v6rifier que le passage d'une graphie t 'l'autre a et6 realis6 en ce qui concerne la lecture. Les enfants sont invites a signaler leurs h6sitations. Une petite fille live la main et declare

qu'il y a un mot du texte qu'elle ne <peut pas lire >>. Il s'agit d'itable. Il ne peut &tre question ici d'une difficult6 pour passer de l'alfonic /etabl/ a l'orthographique !table: il y a beau temps que le <e muet >> ne fait plus problkme, non plus que l'accent aigu. L'enfant n'aurait donc aucune difficulte a prononcer le mot. Mais c'est l1 une notion qu'elle ignore. Lire, pour elle, veut dire

comprendre; tres exactement se representer la scene d6crite. Cette

petite <<-alfonicienne >> a termin6 son parcours puisqu'au-dela' des

abstractions successives des deux graphies, elle a relev6 le manque d'une realit6 pergue.

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